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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 19 mars 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. de Brouckere, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1027) M. Dubus procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. Troye lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Les sieurs Vroome et Sinave, sauniers, à Nieuport, présentent des observations contre la demande qui a pour objet une augmentation de droits sur l'eau de mer, et prient la chambre de réduire les droits d'accises sur le sel brut. »

M. Clep. - Je prie la chambre de bien vouloir renvoyer cette pétition à la commission permanente de l'industrie, avec demande d'un prompt rapport, ainsi que cela a été fait récemment pour d'autres réclamations de même nature.

- Cette proposition est adoptée.


« Les avoués de Gand demandent une réduction du nombre des avoués. »

M. Delehaye. - Il y a quelque temps, lorsqu'il s'est agi de réduire le tarif des frais de justice, on a émis l'opinion que la réduction de ce tarif nécessitait une réduction du nombre d'agents ministériels, et, à cette occasion, j'ai exprimé la pensée que le nombre d'avoués était trop considérable pour que chacun pût trouver dans son état les moyens d'élever convenablement sa famille.

Aujourd'hui une place d'avoué est vacante à Gand. Incessamment le ministre de la justice sera appelé à pourvoir à cette place.

Nous pourrions aujourd'hui réaliser cette réduction, en engageant le gouvernement à réduire le nombre.

Je demande que la pétition soit renvoyée à la commission, avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi sur les cours d’assises

Second vote des articles

Article additionnel

M. le président. - Le premier objet à l'ordre du jour est le vote définitif du projet de loi relatif aux cours d'assises.

Dans la dernière séance, M. le ministre de la justice a présenté un article additionnel ainsi conçu :

« Art. 7. Sont abrogés les arrêtés des 9 septembre 1814 et 20 janvier 1815, les articles premier et 4 de la loi du 20 février 1832 et les articles 26 et 27 de la loi du 15 mai 1838. »

Il a été décidé que la discussion et le vote de cet article auraient lieu aujourd'hui. Je suis chargé de faire savoir à la chambre que M. le ministre de la justice ne peut assister à la séance. Si donc l'article dont il s'agit devait rencontrer quelque opposition de la part d'un membre de la chambre, il faudrait remettre la discussion et le vote à demain. Si, au contraire, l'article ne rencontrait aucune opposition, rien n'empêcherait de voter aujourd'hui. Je demande donc si quelqu'un veut prendre la parole sur l'article 7 dont je viens de donner lecture.

- Personne ne demandant la parole, l'article est mis aux voix et adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet. En voici le résultat :

69 membres répondent h l'appel nominal.

60 répondent oui.

9 répondent non.

En conséquence le projet de loi est adopté; il sera transmis au sénat.

Ont répondu oui : MM. Clep, Coomans, Cumont, David, H. de Baillet, de Baillet-Latour, de Bocarmé, Dedecker, de Haerne, Delehaye, d'Elhoungne, Deliége, de Perceval, de Royer, Desoer, de T'Serclaes, Devaux, d'Hoffschmidt, Dubus, Dumont, Dumortier, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Lange, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Mercier, Osy, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Troye, Van den Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Verhaegen, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Allard, Anspach, Boedt, Bruneau, Cans et H. de Brouckere.

Ont répondu non : MM. de Chimay, de Liedekerke, de Mérode, de Renesse, Destriveaux, de Theux, Julliot, Orts et Tesch.

Proposition de loi ayant pour but de venir en aide à la classe ouvrière, par le travail, par la création de divers impôts et par la fondation d’un établissement de crédit

Développements

M. le président. - La parole est à M. Sinave pour développer sa proposition.

M. Sinave. - Messieurs, dans la séance du 31 janvier, j'ai eu l'honneur de vous prévenir que je viendrais successivement vous proposer trois projets de lois pour venir en aide à la classe ouvrière.

Le premier projet est celui que j'ai déposé le 13 février sur le bureau de la chambre ; il a pour but de l'extinction du paupérisme en Belgique par le travail.

Le second projet concerne spécialement la Flandre occidentale ; il a rapport à l'industrie linière et aux moyens de venir en aide à cette industrie.

Le troisième projet est la fondation d'un grand établissement national de crédit, dont j'ai fait la proposition sous forme d'amendement à l'adresse, et dont j'ai développé les principales dispositions dans la séance du 5 juillet 1848.

Ces trois projets émanent du même système; ainsi, si le premier, que je vais développer, ne méritait pas votre approbation, il me serait impossible de vous présenter les deux autres, vu les ressources qui nous manqueraient et dont nous avons besoin.

Quel que soit mon désir d'entrer immédiatement en matière, qu'il me soit permis cependant de jeter un coup d'œil rétrospectif, et de vous exposer les faits principaux qui, selon moi, ont produit le manque de travail, cause unique de la misère dans les Flandres.

Personne ne peut mettre en doute la prospérité qui régnait dans les Flandres, lors de notre réunion à la France.

Pendant cette époque, on considérait ces provinces comme les contrées les plus florissantes de l'Europe. L'industrie linière les mettait au premier rang des nations industrielles; la cause de cette prospérité se trouvait dans l'étendue de l'empire français. A peine suffisait-on pour satisfaire les besoins des nombreux consommateurs. D'après les évaluations faites alors, les exportations de nos toiles de lin pour les divers pays, et pour l'intérieur des vastes Etats de Napoléon, dépassaient la somme de soixante millions de francs par an.

De 1814 à 1830, de cette masse considérable de consommateurs il ne resta plus que les habitants du royaume des Pays-Bas, de ses colonies et les consommateurs de l'étranger. Dès 1830, il était facile de prévoir l'avenir malheureux de l'industrie linière et l'état misérable qui attendait la classe ouvrière des Flandres. Plusieurs causes y concoururent simultanément. Notre position isolée, la consommation intérieure de nos toiles réduite par la diminution des consommateurs, leur exportation toujours décroissante attestée par les statistiques du gouvernement, et finalement presque nulle à cause des droits prohibitifs dont les frappent toutes les grandes nations étrangères, l'apparition de la nouvelle industrie à la mécanique, telles sont les causes de la décadence de l'ancienne industrie. Cette décadence avait été prévue par tous ceux qui possédaient quelque notion de son organisation ; c'était un événement qui devait s'accomplir, dont les causes n'étaient ignorées de personne, et dont les résultats devenaient de jour en jour plus sensibles.

Cependant, depuis 1830, aucune mesure qui révèle un pouvoir intelligent et au fait des intérêts matériels ne fut prise pour donner à l'industrie linière un essor nouveau que commandaient son organisation tout exceptionnelle, la position isolée du pays et l'apparition de la nouvelle industrie. Dès lors une inaction forcée et, par suite, la misère remplacèrent tout vestige de travail et de bien-être. C'est parce que le travail occupait tous les hommes valides que, du temps de l'empire, nos populations se trouvaient dans un état florissant; c'est parce qu'aujourd'hui le travail leur manque, que le paupérisme les frappe si cruellement.

Un second fait, messieurs, que je tiens à constater, c'est l'insuffisance progressive de la production alimentaire. Ce fait a aussi sa part dans les misères des Flandres; et comme j'ai eu l'honneur de vous le faire observer, il s'est produit, il s'est développé en même temps que le paupérisme. La cause en est la même.

Les débats de la chambre nous ont prouvé qu'après avoir perdu un temps précieux, le gouvernement n'a encore aucun système arrêté; qu'après avoir hésité entre différents moyens, il semble maintenant arrêter son choix à l'émigration et aux différentes espèces de colonisation. Je crois utile d'entrer ici dans quelques explications.

Pour vous prouver combien l'émigration aurait peu d'influence sur nos populations, je vous citerai ce qui se passe en Angleterre. L'émigration y est presque une nécessité à cause des besoins des immenses possessions de ce pays. Depuis une quarantaine d'années, elle s'est élevée (page 1028) au-delà du chiffre de quatre millions, et la population, loin de diminuer, s'est augmentée de huit millions.

Supposons même que, par l'émigration ou la colonisation sous domination étrangère, on obtienne un résultat contraire, l'émigration n'en serait pas moins, en définitive, une mesure désastreuse, car la Belgique y perdrait les capitaux et les hommes valides qu'elle pourrait utiliser chez elle.

L'établissement d'une colonie à mère patrie est chose irréalisable pour nous. Pour vous le démontrer, je vous entretiendrai un moment du système qui ordinairement est mis en pratique par l'Angleterre; si vous voulez l'examiner, vous verrez que le gouvernement anglais n'a créé aucune de ses vastes colonies. Toutes sont le fruit du travail des associations particulières qu'elle a prises sous sa puissante protection, sans toutefois les rétribuer et intervenir directement dans leur gestion. Voyez ce qui s'est passé dernièrement dans la Nouvelle-Zélande. Les colons d'origine anglaise, qui s'y trouvaient établis, n'ont eu recours au gouvernement que quand la prospérité et la grande étendue de leur colonie avaient excité l'envie des indigènes. Jusque-là, le gouvernement était resté étranger à cette entreprise.

Pourquoi le gouvernement anglais agit-il ainsi? Parce qu'il connaît l'impuissance d'un gouvernement pour former une colonie et l'insuffisance de ses ressources pour satisfaire aux exigences de ses agents et des colons. Mais une fois intervenue dans une colonie, par la puissance de sa marine, l'Angleterre sait la protéger contre toute attaque; elle sait la conserver, elle sait obliger les colons à se procurer chez elle, dans ses manufactures, tous les objets nécessaires à leurs besoins ; elle sait les exploiter même après leur émancipation. Pour exemple, je ne citerai que les Etats-Unis du Nord.

Supposons un instant la Belgique, dont la position est loin de pouvoir être comparée sous aucun rapport à celle de l'Angleterre, capable d'établir une colonie à mère patrie. Qu'arrivera-t-il dans le cas d'une guerre européenne ? Ce qui est arrivé autrefois au Portugal, à l'Espagne, à la Hollande, à la France elle-même. Cette colonie deviendrait la proie de l'Angleterre, et ainsi notre propriété, nos capitaux et nos colons passeraient à l'étranger. Qu'on n'aille donc pas chercher dans des pays lointains des terres incultes, qui se trouvent suffisamment chez nous et qui ne demandent que des travailleurs et des capitaux. Qu'on cesse donc d'attribuer au gouvernement le devoir de protéger des entreprises qui doivent résulter de la liberté individuelle et être l'œuvre d'associations particulières et indépendantes.

Quant à la colonisation à l'intérieur, plusieurs observations se présentent naturellement à celui qui examine de près la question.

Il doit se demander d'abord si la colonisation à l'intérieur peut être faite sur une assez forte échelle pour pouvoir atteindre le but qu'on se propose. Ensuite, si c'est un bien beau cadeau à offrira une autre province que d'y transporter la partie de la population des Flandres abîmée par les maladies et la misère, car je ne crois pas qu'on veuille nous enlever les hommes valides qui nous restent encore; si, en un mot, il existe une province qui accepterait ce cadeau avec empressement et s'en chargerait sans murmurer. Pour ma part, messieurs, je dois répondre négativement à ces trois observations. Quoique je ne partage pas l'opinion qu'il y ait dans les Flandres une population exubérante, mais qu'il y manque une bonne distribution de travail, je crois que c'est à cette dernière colonisation, qui nous offre au moins l'avantage de ne pas faire sortir nos capitaux de la Belgique, que le gouvernement doit se borner, si la situation du trésor lui permet de disposer des sommes nécessaires.

Si, depuis plusieurs années, les intérêts matériels avaient été le premier soin du gouvernement, on aurait pu remédier au mal par des moyens presque imperceptibles; le pays et les Flandres n'auraient pas été plongés dans un état si malheureux; la terre aurait produit de quoi suffire aux besoins de la population; la Belgique n'aurait pas vu mourir de misère et de faim un seul de ses enfants, et elle n'aurait pas été forcée de se constituer tributaire de l'étranger pour le pain qui lui manque. Afin d'obtenir ces résultats aujourd'hui, ce ne sont plus de légères mesures, ce sont des sacrifices extraordinaires qu'on demande au pays.

Cette question est devenue des plus graves par l'introduction de nouvelles méthodes dans nos industries, et les progrès bien trop lents de notre agriculture. Elle ne trouve de solution que dans les sacrifices que les classes supérieures de la société doivent s'imposer. Le moment de faire ces sacrifices est arrivé. Il faut des modifications successives et pacifiques à la société, et la société ne se sauvera qu'à ce prix.

Il me semble inutile, d'après ce qui précède, de vous entretenir davantage du but que je veux atteindre. Je passerai donc immédiatement aux développements des articles, après vous en avoir donné lecture.

Proposition de loi.

Art. 1er. A partir du 1" juillet 1849, il est décrété :

§ 1° Un impôt de 5 p. c. sur le produit annuel des rentes de l'Etat.

§ 2° Un impôt de 5 p. c. sur le produit annuel des rentes et des capitaux donnés en prêt, garantis par une hypothèque conventionnelle.

§ 5° Un impôt annuel de 15 p. c. sur le produit des droits de douanes.

§ 4° Un impôt annuel de 2 p. c. du principal de la contribution des propriétés bâties et non bâties augmentant progressivement de 2 p. c. par cent fr., à partir de cent fr. jusqu'aux cotes les plus élevées.

Art. 2. Les rentes de l'Etat en propriété à des étrangers sont exemptes de l'impôt.

Art, 3. Les propriétaires payant moins de 100 fr. de contribution foncière sont exempts de l'impôt en observant les formalités prescrites par l'article 10.

Art. 4. Les revenus de ces impôts formeront un fonds spécial destiné à l'encouragement de l'agriculture.

Art. 5. Tout propriétaire qui s'obligera à cultiver à la bêche un terrain formant un ou plusieurs numéros de la matrice cadastrale et destiné exclusivement à la production des céréales, lins et autres produits à spécifier par arrêté royal, aura droit à une prime annuelle de 30 francs par hectare à partir de la récolte de 1850. Toute fraction de numéro du cadastre n'est pas admise.

Art. 6. Jouiront en outre d'une prime extraordinaire de 10 francs par hectare les propriétaires qui s'obligent à cultiver un terrain à la bêche et à y semer du froment ou du seigle avant l'hiver de 1849.

Art.7. Seront passibles annuellement et en sus de l'impôt fixé par l'article 1, paragraphe 4° de 20 p. c. du principal de la contribution foncière, tous les propriétaires qui, avant le 1er novembre 1851, n'auront pas déclaré cultiver à la bêche au moins 1 5/0 de leurs propriétés non bâties.

Art. 8. Les propriétaires mentionnés à l'article 3 ne pourront profiter du bénéfice de la loi.

Art. 9. Les dispositions des articles 5 et 6 ne sont point applicables:

§ 1° Aux propriétés dans l'enceinte des villes.

§ 2° Aux propriétés formant des enclos, situées dans des communes rurales et autres localités.

§ 3° Aux propriétés livrées à la culture des plantes potagères et des jardinages.

S 4° Aux propriétés cultivées à la bêche au moment de la promulgation de la loi, ou à une époque antérieure.

Art. 10. Les demandes d'exemption de l'impôt d'après l'articles 3, et celles d'obtention des primes fixées par les articles 5 et 6, doivent être déposées annuellement, et avant le 1er novembre, à la maison communale et au bureau du receveur des contributions directes des communes où les terrains sont situés.

Ces dernières doivent être accompagnées d'une déclaration indiquant ;

§ 1° Le numéro du cadastre de la partie de terre qu'on se propose de cultiver à la bêche.

§ 2° Les fruits qu'on compte y semer.

Art. 11. Des primes prélevées sur les mêmes fonds, et dont le total ne peut annuellement excéder cent mille francs, seront accordées à tout navire national pour l'importation de guano première qualité destiné exclusivement à l'agriculture belge.

Elles sont fixées comme suit pour l'année 1850 :

§ 1° A vingt francs les mille kilogrammes pour les provenances directes sans rompre charge d'un lieu situé à l'occident du cap Horn et à l'orient du cap de Bonne-Espérance.

§ 2° A dix francs les mille kilogrammes pour les provenances directes d'un lieu au sud de l'Equateur à l'orient du cap Horn et à l'occident du cap de Bonne-Espérance,

Art. 12. Un arrêté royal réglera la forme des déclarations, la méthode et les conditions de la culture à la bêche, les formalités à observer relativement aux diverses demandes de primes et la fixation des amendes provisoirement jusqu'à la réunion prochaine des chambres.

Art. 13. Toutes les dispositions de la présente loi seront rendues exécutoires dans les formes prescrites en matière de contributions directes, d'enregistrement, etc.

Art. 14. L'excédant de l'impôt, déduction faite des frais et des primes, pourra recevoir une destination spéciale à déterminer par la loi. (Etablissement national de crédit.)

Le premier article concerne les ressources nécessaires à l'exécution du projet de loi. Il contient quatre paragraphes. Le premier traite d'un impôt sur les rentes de l'Etat.

Ce qui m'engage surtout à vous faire la proposition de cet impôt, c'est que je crois d'abord, qu'il est juste de faire supporter aux rentiers de l'Etat cette légère charge en faveur du travailleur, que je considère ensuite comme une des causes du paupérisme la trop grande quantité de capitaux engloutis dans les fonds publics. Le moment est arrivé où le gouvernement doit renoncer à de nouveaux emprunts. Il faut non seulement équilibrer les dépenses et les recettes, mais encore songer sérieusement à l'amortissement de la dette publique. La masse de fonds publics dans tous les Etats qui en abusent est hors de toute proportion avec leurs ressources. Elle est la cause principale des crises financières et, par suite du chômage forcé où sont réduits les travailleurs, seules victimes de ces événements; elle détourne de l'agriculture, de l’industrie et du commerce des capitaux qu'on leur destinait.

D'ailleurs, ce n'est pas un impôt nouveau, il existe depuis longtemps en Angleterre, en Portugal et prochainement il sera établi en Hollande sur une échelle plus vaste; les étrangers y contribueront comme les nationaux. On me dira peut-être qu'en Angleterre et en Hollande l'impôt sur les rentes de l'Etat n'est pas spécial, mais qu'il se rattache au système de l'impôt sur le revenu. J'en conviens, mais ce n'est pas une objection bien sérieuse et bien fondée. Un système où chaque citoyen est obligé de mettre, devant les agents du fisc, à découvert l'état prospère ou en décadence de sa fortune, de son industrie et de son commerce, n'est pas dans nos mœurs, et rencontrerait dans l'exécution l'opposition la plus vive. Il serait odieux, parce qu'il établit une espèce d'inquisition dans l'intérieur des familles et dans les fortunes des particuliers. Vous-mêmes, messieurs, vous avez réfuté ce principe d'inquisition en repoussant l'impôt sur les successions en ligne directe.

(page 1029) Je crois donc qu'on n'a à m'opposer aucune raison quelque peu plausible.

Qu'on ne me dise pas non plus que les Belges iront faire leurs placements dans des fonds étrangers. Seront-ils sûrs d'y trouver la même garantie et de recevoir seulement, en cas de guerre, l'intérêt de leur argent, loin de se voir rembourser un jour le capital?

On ne peut faire l'appréciation exacte du chiffre de la dette en propriété à des Belges; en admettant une évaluation approximative de trois cents millions, l'impôt rapporterait quinze cent mille francs.

Le paragraphe 2 a rapport aux rentes particulières. Jusqu'ici les possesseurs de ces rentes ont été exemptés de tout impôt. Il serait injuste, me semble-t-il, quand toutes les ressources du pays doivent contribuer aux charges de l'Etat, de voir une inégalité si choquante; ce serait d'autant plus injuste qu'il s'agit de venir en aide aux classes ouvrières. Je pense qu'il n'existe aucun motif sérieux contre le prélèvement de cet impôt, si l'utilité de l'emploi n'est pas contestée.

L'évaluation officielle de cet impôt est de 1,400,000 francs.

Le paragraphe 3° de l'article premier a rapport à l'impôt sur le produit des droits de douanes. Cet impôt est équitable, à cause de la solidarité qui doit unir toutes les classes de la société. Il pèse sur les consommateurs dont les travailleurs forment la majeure partie.

Remarquez que ceux-ci ont aussi leur part dans les charges nouvelles qu'on imposerait au pays, et que ce qu'on prélèverait sur eux dépasse en proportion de beaucoup la quote-part des propriétaires du sol.

L'évaluation officielle est de 1,700,000 francs.

Le paragraphe 4 de l'article premier concerne l'impôt progressif.

Lorsqu'on admet l'application toute spéciale, il doit être plutôt considéré comme le revenu d'une association de propriétaires destiné à revenir à ceux d'entre eux qui amélioreraient leurs propriétés.

Quoi qu'il en soit, l'introduction de l'impôt progressif est aujourd'hui devenue inévitable. Le principe en est admis dans d'autres pays. Il a été mis en pratique par le gouvernement dans la loi sur les patentes et dans les projets de lois sur les contributions personnelles.

Le ministère est lui-même entré dans cette voie. M. le ministre des finances l'a lui-même déclaré :

« L'impôt est trop bas, il doit être relevé, il doit atteindre les classes supérieures. »

Il a dit encore :

« J'ai la conviction que les classes supérieures sont trop peu imposées. Il ne faut pas, sous la préoccupation des plaintes que je comprends, que le législateur se montre trop facile à se dispenser d'avertir en temps utile les classes supérieures de la société, qu'elles ont des sacrifices a faire. »

Et puis encore :

« Il faut que les classes inférieures de la société soient dégrevées, elles ne peuvent l'être que par des sacrifices imposés aux classes supérieures. »

Je félicite le ministère de sa résolution, et je n'hésite pas à lui dire qu'elle a été accueillie dans le pays par la plus vive sympathie.

M. le ministre des finances n'a pu me donner les renseignements désirés relativement au nombre et au montant des cotes par propriétaire; ce travail se fait au ministère et ne sera terminé que dans quelques mois. Je ne puis donc donner une évaluation officielle du revenu de cet impôt; mais prenant pour base la liste des éligibles au sénat, j'ai pu l'évaluer approximativement à trois millions de francs.

Les articles 2, 3, 4 et 5 n'exigent aucun développement. Vous comprendrez facilement, je crois, pourquoi j'exempte les propriétaires payant moins de cent francs de contribution foncière de toute charge et de tout bénéfice de la loi.

Pourquoi j'exempte provisoirement les propriétaires belges ayant des propriétés à l'étranger, et les étrangers possesseurs de fonds belges.

Pourquoi enfin je forme, du revenu de ces différents impôts, un fonds spécial destiné à l'encouragement de l'agriculture.

J'aborde de suite les articles 5, 6 et 9, concernant la culture à la bêche.

Le sol de la Belgique, à cause de la latitude et de la position topographique du pays, est généralement humide et froid ; l'humidité est la cause principale de toute détérioration ou de toute perte dans nos récoltes.

Au-dessous de la terre végétale se trouve, suivant la nature du sol, à une certaine profondeur, soit une couche ferrugineuse, soit une terre tellement compacte qu'elle ne peut donner passage à l'eau. Les eaux pluviales, ne pouvant la pénétrer, stationnent sur son étendue. C'est ce stationnement qui détériore la végétation. Il faut briser , ou bien défoncer ce sous-sol pour permettre à l'eau d'infiltrer au-dessous des racines des plantes.

Il est constaté par des preuves irrécusables que, si l'on fait rompre le sol à une profondeur de 35 à 45 centimètres et à chaque période de 8 à 10 ans selon les localités, on obtient une végétation vigoureuse et des récoltes plus certaines et plus abondantes.

Dans toutes les qualités de terrains, le défonçage est une mesure d'une grande utilité.

Dans les terres légères, qui forment les deux tiers de la totalité des terres labourables de la Belgique, il est absolument nécessaire; on doit y briser, à une époque plus rapprochée, le sous-sol ordinairement ferrugineux d'une grande résistance et qui se reproduit constamment.

Le défonçage ne peut s'exécuter avec perfection qu'au moyen de la bêche.

La bêche est surtout nécessaire pour ramener les couches inférieures au niveau du sol, leur rendre ainsi par le contact avec l'atmosphère, leurs principes vivifiants, et soigner, tout en ménageant les couches de terre propres à la végétation, la disposition du terrain de manière à donner un écoulement facile aux eaux pluviales parfois trop abondantes.

La charrue ne peut nulle part donner, ces résultats. Elle fait défaut dans les terres légères. Elle ne peut atteindre la couche ferrugineuse dont le gite se rencontre ordinairement à des profondeurs inégales.

La bêche divise mieux la terre, elle la rend plus meuble, elle aide plus efficacement à détruire les plantes parasites, elle nous offre une distribution meilleure et plus régulière des engrais et par suite une végétation plus uniforme. Enfin elle a cet immense avantage d'améliorer le terrain et de donner une plus grande valeur à la propriété.

Il est prouvé que, par cette méthode, on obtient une majoration de produits de 30 p. c.

Pour les plantes pivotantes, elle est beaucoup supérieure, de 60 p.c. C'est ainsi que l'on peut faire progresser l'agriculture.

Ici se présente une considération de la plus haute importance relative à l'élève du bétail, qui est le fondement de l'agriculture. Les subsistances pour élever le bétail manquent à la réussite de toute exploitation agricole ; la culture à la bêche, par une production abondante des plantes racines, lui procurera une nourriture saine et abondante pendant tout l'hiver. Ayant obtenu ce résultat, nous pourrons posséder une bonne et belle race bovine. Comme la vache et le bœuf sont également capables de supporter la fatigue de la charrue dans les terres légères, la substitution insensible de la race bovine à la race chevaline en deviendra une conséquence inévitable. Cependant le travail de la vache ne peut être qu'un exercice salutaire, et afin de ne pas l'exposer à une réduction de son produit quotidien, il faut pouvoir renouveler l'attelage à plusieurs reprises dans la journée. C'est ainsi que, par une étable mieux garnie, un nouvel avenir s'offrira à l'agriculture, qu'une économie immense en résultera pour le cultivateur, car tout est perte avec le cheval ; tout est bénéfice avec le bœuf ou la vache.

Je me réserve de faire plus tard une proposition qui frappera d'un impôt tout cheval de cultivateur âgé de plus de trois ans. Le produit serait employé à donner des primes aux éleveurs de bétail, et des indemnités aux propriétaires pour remplacer les étables existantes qui engendrent les épizooties, par d'autres, sur un modèle généralement connu en Hollande.

D'après ce qui précède, je crois vous avoir démontré que le bêchage n'est de rigueur qu'à des époques plus ou moins éloignées, uniquement pour défoncer le sous-sol. Ainsi entre ces deux époques rien n'empêche l'emploi de la charrue. Dans le pays de Waes, les propriétaires y font diviser leurs terres en sections de manière à établir une rotation complète dans les neuf ou dix ans. Quoique cette méthode y soit en usage depuis bien longtemps, on éprouve encore aujourd'hui l'impérieux besoin de ce labour extraordinaire et périodique. Cet exemple me dispense de plus amples développements. Il suffit d'examiner attentivement l'agriculture de ce pays, pour se convaincre de l'utilité de la proposition que j'ai l'honneur de vous soumettre.

La Belgique possède environ un million d'hectares livrés à la culture des céréales. Déduisant de cette somme deux cent mille hectares au moins qui ne peuvent, d'après le projet, profiter de la prime, il nous restera 800 mille hectares, si nous admettons toutefois que les propriétaires soient tous ou pénétrés de leurs devoirs envers la société, ou poussés vers le but d'améliorer leurs terres.

Mais comme je l'ai fait remarquer plus haut, puisqu'il y a nécessairement une rotation de huit à neuf et même dix années pendant lesquelles on peut se servir de la charrue, il n'y aurait donc que quatre-vingt-dix à cent mille hectares qui profileraient immédiatement du bénéfice de la loi. Supposons que cette méthode prenne une telle extension qu'au lieu de cent mille hectares, on en cultive, à une époque peu éloignée, trois cent mille annuellement. Le produit qu'on en retirerait suffirait non seulement pour alimenter la population actuelle, mais une population de plus de cinq millions et demi, et ainsi jusqu'à cet accroissement on pourrait exporter ce qu'on ne peut consommer.

Rien n'empêche plus tard, quand cette culture sera appliquée surtout aux terres légères, de ne plus accorder de prime aux propriétaires ; car j'ai la conviction que dès qu'ils auront apprécié l'efficacité de cette méthode ils n'auront aucun motif de ne pas la continuer dans leur intérêt et à leur grand avantage.

Je n'ai pas cru le moment opportun de faire contribuer les communes pécuniairement aux primes pour les intéresser dans la répression de la fraude; d'abord parce que leur étal n'est pas prospère, et ensuite parce que les propriétaires ne s'exposeront pas à éluder les dispositions de la loi au risque d'encourir des amendes.

Le but de l'article 6, relatif aux primes extraordinaires, est de procurer immédiatement de l'ouvrage aux ouvriers valides et sans travail.

Je n'ai pas rendu applicables les dispositions des articles 5 et 6, aux propriétés dans l'enceinte des villes, à celles formant des enclos dans les communes rurales et autres localités, à celles livrées à la culture des plantes potagères et des jardinages, et enfin à celles cultivées à la bêche, au moment de la promulgation de la présente loi, ou à une époque antérieure, parce qu'il me semble que la généralité de ces propriétés sont loin d'exiger encore quelque prime pour l'amélioration de leur culture. L'objection qu'on pourrait me faire ici, en me disant que beaucoup de propriétaires seront frappés d'un impôt dont ils ne veulent ou ne (page 1030) peuvent en proportion tirer les bénéfices, est on ne peut plus vraie; mais elle n'est pas aussi juste lorsqu'on considère que cette classe de propriétés est beaucoup trop privilégiée et favorisée, comparativement aux classifications inférieures, par la loi sur la contribution foncière en vigueur.

Celui qui possède des terres incultes est placé dans le même cas, me dira-t-on. Il paye et ne retire aucun bénéfice. C'est encore vrai. Mais j'y répondrai que celui-là n'a qu'à rendre ses terres à la culture ; c'est le but de la loi, et au besoin, s'il lui manque des capitaux, il pourrait se les procurer à un intérêt très modique, à 2 1/2 p. c, par exemple, à l'établissement national de crédit. Une considération qu'il n'est pas inutile de faire remarquer en passant, c'est que les terrains de cette catégorie sont en possession de mainmortes et de très grands propriétaires.

L'article 7, qui rend obligatoire sous peine d'amende de 20 p. c. du principal de la contribution foncière, tout propriétaire qui n'aurait pas déclaré cultiver à la bêche au moins 1/50 de ses propriétés non bâties, ne doit pas être considéré comme une espèce de contrainte contre le propriétaire récalcitrant, mais seulement comme un simple avertissement dont il ne sera pas, je crois, nécessaire de faire usage, persuadé que je suis que tous les propriétaire s'empresseront de remplir un devoir sacré envers leurs semblables.

L'article 11 concerne les engrais. Il est accordé des primes dont le total ne peut dépasser cent mille francs, à tout navire belge pour l'importation du guano.

Depuis peu de temps nos cultivateurs se sont décidés à faire plus généralement usage du guano. Ils sont tous d'accord sur la bonté et la force productive de cet engrais, qui, malheureusement, ne nous vient pas directement des lieux de provenance. L'Angleterre nous le livre, c'est ainsi qu'il y a fraude à notre grand préjudice et que nous payons les frets et des frais énormes, tout en nous rendant annuellement tributaires de l'étranger pour une forte somme, en échange d'une marchandise le plus souvent falsifiée. Les importations augmentent considérablement depuis deux ans. L'Angleterre en possède le monopole pour les provenances du Pérou; il est plus que temps de nous affranchir d'une tutelle aussi désastreuse. Ce sont ces considérations qui m'ont déterminé à vous proposer l'article relatif aux primes à accorder à l'importation du guano. J'ai la conviction que cette mesure sera généralement approuvée et qu'elle est attendue avec la plus vive impatience, comme très avantageuse à l'agriculture et au commerce.

Ce que je crains, c'est que, malgré des primes si fortes, la somme désignée ne soit totalement absorbée parce que notre marine marchande, faute d'encouragement et par l'admission à un droit réduit des navires construits à l'étranger, se trouve dans une position déplorable et dans l'impuissance de livrer un nombre de navires suffisant à ces expéditions.

Les articles 10, 12 et 13 ne sont que des dispositions réglementaires dont vous pouvez apprécier les motifs.

L'article 14 a rapport à tout excédant du revenu des impôts, déduction faite des frais et des primes.

Fidèle à l'article 4, qui lui donne une destination spéciale, je crois que l'emploi que je veux en faire ne rencontrera pas d'opposition. J'estime ma proposition d'autant plus utile, que M. le ministre des finances, en reconnaissant les services qu'un établissement national de crédit pourrait rendre au pays, nous a montré l'impossibilité où était le gouvernement de doter un établissement de ce genre.

Ici je termine les développements du projet de loi soumis à vos délibérations, mais on comprend facilement que mon système serait incomplet. Il faut donc, pour en donner une idée exacte, et pour vous mettre à même d'en juger l'ensemble, que je m'occupe successivement de l'industrie linière et de cet établissement national de crédit dont j'ai eu plusieurs fois occasion de vous entretenir.

Je n'entrerai pas dans de grands développements. J'aborderai immédiatement le fond, car les détails ne sont pas précisément nécessaires quand on se rappelle la discussion qui a eu lieu sur la question linière.

Ces débats qui ont réduit cette question à toute sa simplicité ont encore fortifié en moi des idées arrêtées depuis longtemps. « Il faut produire à aussi bon compte que nos voisins. » Voilà le fait qui, réalisé, doit sauver notre industrie. Nous possédons la matière première, condition indispensable pour soutenir toute concurrencent les hommes ne nous manquent pas pour lui donner toutes les transformations possibles.

Je crois qu'aujourd'hui l'industrie linière doit avoir un double caractère.

Il faut maintenir avant tout son organisation actuelle.

Il faut maintenir l'ancien filage à la main pour les toiles en consommation de l'intérieur et destinées à des pays où elles ont encore la préférence.

Il faut le filage à la mécanique pour les toiles destinées à l'exportation transatlantique.

L'ancienne industrie est susceptible de nombreuses améliorations dans ses détails. Le filage à la main peut recevoir une meilleure direction et le tissage un grand perfectionnement par l'usage des nouveaux métiers.

Qu'on ne se fasse pas cependant illusion, un temps viendra où l'ancienne industrie finira par succomber. Qu'on prenne donc des mesures pour la remplacer en temps utile par la nouvelle industrie.

Sans le moindre doute on obtiendra ces résultats par les moyens que je vais indiquer.

Le lin, produit de notre sol qu'on ne peut nous enlever si nous en protégeons la culture comme je le propose, est la base de cette industrie. Cependant un fait digne de remarque et dont la conclusion est bien facile, c'est que le gouvernement lui-même a fait venir de l'Angleterre du fil à la mécanique, qu'il l'a fait tisser dans les prisons par les tisserands flamands et qu'enfin il a fait exporter ces toiles et les a vendues avec avantage. Ce fait prouve à l'évidence qu'il suffit de fabriquer chez nous le fil de lin à la mécanique à aussi bon compte que chez les Anglais, pour nous mettre à même de soutenir la concurrence sur les marchés étrangers.

Nous connaissons tous la forme et l'organisation de cette industrie vraiment agricole dans les Flandres.

Il existe, à cause des différents éléments qui s'y rattachent, un obstacle qui l'empêche de se relever par elle-même. Elle est éparpillée sur l'étendue de nos deux grandes provinces, et c'est dès lors une affaire d'intérêt général dont le gouvernement seul est capable de se charger.

Je le reconnais, le gouvernement a fait d'énormes sacrifices. Il devra en faire continuellement, s'il ne prend pas la ferme résolution de sortir de la position actuelle.

Voici les moyens que je crois devoir vous proposer.

Ces moyens simples à exécuter, et en rapport avec la constitution de cette industrie, lui assurent un avenir plus heureux.

Il faut établir trois filatures à la mécanique dans la Flandre occidentale : une à Courtray, une à Roulers et une à Bruges; ces trois villes sont placées sur le diamètre de la province, et liées entre elles par une ligne de chemin de fer, de sorte qu'en moins d'une heure les tisserands pourront se rendre de l'une dans l'autre de ces localités.

Ces trois filatures doivent être construites aux frais de l'Etat, et quand leur construction sera achevée, il faudra les vendre ou les céder à une ou plusieurs sociétés, ou à des particuliers, sous bonnes garanties, mais à des conditions tellement favorables, que si même il fallait en venir à cette extrémité on devrait les donner, sans retirer le moindre intérêt du capital qu'elles ont coûté.

Les conditions qu'on devrait y mettre sont les suivantes :

La première serait de livrer constamment aux tisserands le fil de lin aux prix des mercuriales de revient du fil pris aux filatures anglaises. La fixation de ce prix serait faite par une commission spéciale nommée par le gouvernement.

La seconde, de faire l'échange du lin des tisserands-agriculteurs contre le fil des divers numéros, d'après tarif arrêté de la même manière que précédemment.

La troisième, de fournir, à crédit, aux communes le fil de lin que celles-ci, sous l'approbation des députations permanentes, jugeront convenable d'acheter pour leur compte. Ainsi les administrations communales pourront livrer, à leur tour, le fil à la mécanique aux tisserands probes et honnêtes, sans moyens et sans crédit. Ce serait là une excellente mesure, car la plupart, pour ne pas dire la totalité des tisserands doivent être comptés dans ce nombre. C'est ainsi qu'on verra renaître le respect pour l'autorité administrative, et la moralité de nos populations si fortement ébranlés par la misère et les secours pécuniaires à des hommes qui demandent du travail et non des aumônes.

Les communes seront obligées de suivra le même système de crédit en faveur du filage à la main, afin de faciliter l'achat du lin chez les fermiers.

Il faut encore obliger les communes de faire l'achat pour leur compte des métiers de tissage de nouvelle invention avec lesquels on n'aura pas à redouter fortement le tissage à la mécanique, et de les prêter aux tisserands avec l'obligation d'un remboursement partiel et périodique. Les métiers nouveaux reviennent à des prix trop élevés pour ceux-ci. Du reste l'intervention des communes y est nécessaire sous tous les rapports. Qu'on ne m'objecte pas que les communes sont obérées, qu'elles ne sauraient où trouver les ressources pour faire ces dépenses sans l'appui du gouvernement, qui lui-même en est aux expédients pour combler le déficit croissant du trésor ; car je répondrai que les moyens que j'emploie pour relever l'industrie linière ne peuvent être séparés du reste de mon système, et qu'ainsi elles pourront s'adresser à l'établissement national de crédit où à un intérêt modique elles trouveront de quoi satisfaire à des besoins si pressants.

C'est par ces mesures, messieurs, que je veux relever l'industrie linière de son état de décadence.

Vous voyez que, pendant une époque de l'année, la culture des champs donnera de l'occupation à un grand nombre d'ouvriers, tandis que, pendant l'autre, le travail que procurera le relèvement de l'industrie linière occupera les mêmes bras.

Il me reste, pour terminer le chapitre de l'industrie, à répondre d'avance à une objection qu'on pourrait m'adresser. Mais, me dira-t-on, vous oubliez qu'il y a des pauvres dans les villes?

Voici deux circonstances, dignes de votre attention, qui détruisent cette objection.

Quand les ouvriers des campagnes sont sans ouvrage, ils se portent vers la ville. L'encombrement y fait naître la concurrence, le chômage et la pauvreté.

Au contraire, quand le travail reprend à la campagne, les villes se voient immédiatement soulagées.

La première de ces circonstances a été observée dans les Flandres, surtout depuis l'état de souffrance de l'industrie linière.

La capitale en a même éprouvé un moment les effets douloureux; mais ce moment ne fut pas long. La trop heureuse capitale, où s'engouffre (page 1031) annuellement la majeure partie du budget, ne s'inquiète guère de ce qui se passe dans les provinces ; elle a inhumainement et brutalement refoulé de son sein les malheureux Flamands qui y venaient chercher de l'ouvrage et du pain.

Au reste, on peut facilement appliquer aux villes le système qu'on croit devoir mettre en pratique dans les communes rurales, on pourrait encore y introduire toute industrie qu'on jugerait convenable aux besoins de la localité.

Je commence maintenant les développements des moyens financiers qui doivent nous mettre à même d'exécuter les diverses mesures que je vous propose.

Cette question doit se résoudre dans le troisième projet de loi que j'ai l'intention de soumettre à la chambre, si le projet que nous discutons est accueilli favorablement.

Dans la séance du 5 juillet 1848, j'ai eu l'honneur de vous présenter un amendement à l'adresse sur la nécessité de fonder un grand établissement national de crédit.

J'ai pu juger par les débats qui ont eu lieu dernièrement, que la majorité des membres de cette chambre s’est prononcée pour un établissement de ce genre.

Le gouvernement semble lui-même partager cette opinion, mais il a déclaré, comme nous le savons, qu'il ne pouvait le doter.

Pour lever en grande partie cette difficulté, j'y ai consacré spécialement l'excédant des ressources du projet de loi comme première mise de fonds.

La seconde mise de fonds se composerait des capitaux restants et non employés de la liquidation avec les Pays-Bas et de ceux provenant de l'encaisse de l'ancien caissier de l'Etat.

Si le gouvernement veut un établissement national de crédit, je l'engage à prendre l'initiative et à ne pas perdre un temps précieux.

Il conviendrait de le fonder avec le 1er janvier prochain, de manière à ce qu'il puisse fonctionner vers cette époque; il est temps que le gouvernement prenne la direction de la recette générale et qu'il en charge son propre établissement en remplacement d'une société particulière, avec laquelle il est nécessaire de liquider complètement et sans retard; car il ne faut pas se le dissimuler, sans les garanties données aux billets de banque par le gouvernement, la Société Générale n'existerait plus depuis longtemps. Cependant la Société Générale a sous sa dépendance le gouvernement, qui, sans manquer à sa dignité, ne peut s'associer à une société particulière qu'il tient debout, pour se créer un crédit à découvert de quelques millions seulement.

Il faudrait retirer à la Société Générale la direction et les fonds de la caisse d'épargne afin de faire renaître la confiance.

Il faudrait conférer à l'établissement national de crédit le droit exclusif de créer et de faire circuler des billets de banque au porteur et ôter ce droit aussitôt que possible à la Société Générale, et à toutes autres sociétés particulières du pays.

Il faudrait établir, par une loi spéciale, une hypothèque privilégiée sur les domaines de l'Etat comme garantie des billets au porteur qu'émettra l'établissement national.

Il faudrait en outre une nouvelle loi sur les expropriations.

Cet établissement sera chargé :

1° De diriger le trésor de l'Etat;

2° D'administrer la caisse d'épargne ;

3° De former des bureaux d'escompte, commerciaux et industriels, et de crédit agricole dans tous les chefs-lieux des provinces;

4° De prêter aux provinces, aux communes et aux propriétaires ;

5° De doter une société d'exportation pour les produits de toutes les industries nationales.

La société d'exportation ne peut donc être l'œuvre directe du gouvernement; ce n'est pas à lui à la créer, à la doter et à la diriger surtout. Elle doit être dirigée par des hommes compétents et d'une expérience reconnue. Elle doit être dotée et agir sous la surveillance de l'établissement de crédit. Tel est, à mon avis, l'établissement national de crédit qu'il convient de fonder sur de larges bases pour soutenir notre agriculture, notre industrie et notre commerce.

Je dirai quelques mots sur les divers systèmes de crédit agricole à l'étranger. Ils ne présentent aucune chance de succès en Belgique. Tous ont pour base des obligations à terme mises en circulation.

Dans notre pays, les propriétaires ne consentiraient jamais à laisser mettre leurs obligations en circulation ; d'ailleurs, un tel mode ne peut fonctionner avec la division toujours croissante des propriétés.

Quant au système de créer des billets à terme sans aucune marque d'origine, sans indication du nom du débiteur et de l'hypothèque spéciale, mais garantis par l'Etat, admis dans les caisses publiques, et qu'il faudrait retirer de circulation à l'échéance, il est plus rationnel de donner la faculté au prêteur de mettre en circulation des billets de banque au porteur.

Les propriétaires emprunteront volontiers, s'ils ont la certitude que leurs obligations restent enfermées dans le coffre-fort de l'établissement.

Je termine. Je répète, avec M. le ministre des finances, qui comprend toute la gravité des circonstances :

« Pour les riches, le temps des grands sacrifices est arrivé. »

Oui, il faut des sacrifices. C'est à ceux qui possèdent de se pénétrer de ces mémorables paroles. Le moment est venu où l'on ne peut reculer devant les mesures qui doivent procurer du travail aux hommes valides.

Que ceux qui ne considèrent que leur intérêt, que ceux qui se retranchent derrière un froid égoïsme sachent qu'il n'est de choix à faire qu'entre le communisme, c'est-à-dire le bouleversement de toutes nos institutions, et la société actuelle modifiée successivement et pacifiquement d'après les exigences du siècle.

Toute hésitation, toute lenteur augmente le péril, et l'époque n'est peut-être pas éloignée où ces modifications pacifiques et successives deviendraient impossibles.

Je sollicite vivement la chambre à marcher dans une même voie, celle de l'amélioration sociale.

La cause des Flandres, que le ministère a promis de sauver sur l'honneur, est la cause du pays.

Je mets le ministère en demeure, s'il trouve mes propositions inefficaces, d'en présenter d'autres qui puissent accomplir ses engagements.

S'il continue à résister à nos supplications, il forcera les populations flamandes à se sauver elles-mêmes.

S'il continue à rester dans l'inaction, c'est le trône et l'indépendance du pays qu'il met en jeu.

L'attitude du pays a été calme et ferme. Celle du clergé a été sublime depuis les derniers événements politiques. Qu'il concoure avec nous de toute son influence à des réformes devenues nécessaires; qu'il compare l'époque actuelle à celle de 1793; qu'il se souvienne non seulement de la haine publique et des poursuites auxquelles il a été en butte, mais de la religion qu'il a mise en danger chaque fois qu'il s'est montré hostile à la volonté générale et qu'il s'est ligué avec l'aristocratie contre le peuple; qu'il continue donc à ne former qu'un ensemble avec les peuples pour le salut de tous; qu'il reste étranger aux commotions politiques, et partout la vénération suivra ses pas, et des louanges accueilleront le nom respecté du prêtre.

Quant à moi, quel que soit l'accueil que la chambre réserve à ma proposition, j'ai la conviction d'avoir rempli, sans prétention aucune, le devoir d'un bon citoyen, et d'avoir agi en homme dévoué au bonheur de son pays et à la conservation de ses institutions.

Vous vous trouvez de nouveau saisis de la question des Flandres. Je vous prie de vouloir bien l'examiner à fond. Il est temps de décider cette question et d'en voir la fin. Il est impossible que l'état actuel continue. Si l'on persiste à le mépriser et à ne rien faire pour les Flandres, on verra ce qui en adviendra. Pour ma part, je sollicite la chambre de prendre ma proposition en considération, ou de prendre d'autres mesures efficaces.

- La proposition est appuyée.

La chambre, consultée, met à la suite de l'ordre du jour la discussion sur la prise en considération de cette proposition.

Projet de loi sur les droits de succession

Discussion générale

M. le président. - Un rapport a été fait, le 20 janvier, par (erratum, page 1070) M. Deliége au nom de la section centrale.

Le gouvernement se rallie-t-il aux conclusions de ce rapport?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non, M. le président.

M. le président. - La discussion s'ouvrira sur le projet du gouvernement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande la parole. Messieurs, on ne peut espérer d'être accueilli avec faveur, lorsqu'on vient réclamer de nouveaux impôts. C'est une tâche ingrate, difficile, toujours périlleuse pour la popularité, mais devant laquelle il serait indigne de reculer, quand un grand devoir oblige à l'accomplir. Je ne me sens nullement disposé, quant à moi, à déserter la mission qui m'est imposée. Animé d'une conviction profonde sur la nécessite et la légitimité des mesures qui vous sont proposées, persuadé qu'elles sont à la fois un acte de justice et un acte de prudence, j'ai l'espoir qu'elles seront sanctionnées par la majorité de cette chambre.

Les adversaires du projet se rangeront probablement en trois groupes distincts.

Les uns ne contesteront point les principes essentiels sur lesquels repose le projet de loi; ils les approuveront même ; mais ils se déclareront opposés à tout accroissement d'impôt. A leurs yeux, des économies nouvelles permettront de pourvoir à toutes les exigences de la situation. Cette position n'engage et ne compromet vis-à-vis de personae.

Les autres, sans témoigner de répugnance pour les principes, reconnaissant qu'il faut nécessairement de nouvelles ressources pour le trésor, et que des économies seraient impuissantes à les procurer, chercheront à abriter leur vote négatif derrière la vague espérance que d'autres produits pourront être efficacement substitués à ceux qu'on attend des droits de succession.

Les troisièmes, enfin, puritains en cette matière, trouvant dans ce projet de loi une sorte d'atteinte à la propriété, que sais-je même ? à la famille ; établissant une filiation injurieuse entre les principes du projet de loi et les doctrines perverses qui ont vu le jour récemment, je me trompe, qui ont été renouvelées, copiées de quelques insensés aussi insensés que les derniers venus ; les troisièmes, dis-je, établissant cette filiation injurieuse entre les principes du projet de loi et les doctrines que je viens de rappeler, se montreront les adversaires implacables du projet de loi.

Je crois sincèrement que les uns et les autres sont dans l'erreur.

Je crois qu'il est utile, indispensable de faire disparaître de trompeuses illusions, ou des préventions qu'il est dangereux de laisser propager.

Je ne viens point refaire devant vous l'exposé de la situation du trésor. Je l'ai présenté, il y a peu de temps ; je n'ai rien à en retrancher, je (page 1032) n'ai rien à y ajouter; j'ai dit toute la vérité aussi clairement que je l'ai pu, aussi franchement que je le devais.

Personne ne peut plus équivoquer aujourd'hui sur le montant de notre dette exigible à une époque plus ou moins prochaine. Notre arriéré importe une somme fort élevée. Toutefois, il n'y a lieu de s'en préoccuper dans cette discussion qu'au point de vue des intérêts et de l'amortissement; car il est bien évident que ce n'est point par l'impôt, mais par d'autres mesures, qu'il faudra éteindre ou consolider cette dette.

On cherchera à éteindre cet arriéré à l'aide ou d'une nouvelle émission de titres de notre dette, ou bien, ce qui revient au même, en faisant accueil à la proposition déposée par l'honorable M. De Pouhon.

Toujours est-il, quel que soit le parti auquel on s'arrête, qu'il est évident, dès ce moment, que notre dette publique, que les intérêts et l'amortissement de notre dette publique doivent s'accroître, dans un court espace de temps, d'une somme fort notable.

Notre arriéré est, en effet, aujourd'hui couvert en partie par 12 millions de billets de banque qui n'exigent pas d'intérêts, en partie par la réserve de l'amortissement.

Il faut bien que l'on se préoccupe du moment où les billets de banque cesseront d'avoir cours forcé. On doit se hâter de faire cesser cet état de choses anormal. Nous devons prévoir, nous devons espérer que, dès 1850, cet état de choses aura cessé. Il faut donc se préparer à cette éventualité. Il faut que, le jour où la situation des banques permettra de faire disparaître le cours forcé, l'Etat soit, de son côté, en mesure de faire face à ses obligations.

C'est là, messieurs, une considération qu'il ne faut pas perdre de vue pour apprécier notre situation.

Je ramène maintenant votre attention sur les budgets de 1850; car il ne s'agit pas de la situation de 1849 ; vous savez parfaitement dès aujourd'hui que cette situation est complètement assurée. Il s'agit de la situation de 1850.

Les budgets de cet exercice ont été présentés. Quel résultat présentent-ils? Je n'ai pas besoin de vous dire, messieurs, que ces budgets ont été préparés sans aucune espèce de préoccupation de la discussion actuelle; qu'ils ont été préparés sérieusement, et que le gouvernement n'a pas songé à y créer, en faveur de sa thèse, des arguments qui certes ne lui manquent pas.

Les dépenses, sauf les nouvelles réductions promises, y sont telles que vous les avez arrêtées pour 1849. Les recettes y sont telles qu'il est possible de les prévoir pour 1850; telles que, si l'on fait abstraction de l'année 1848, on retrouverait nos recettes, à l'année 1850, ayant en général, suivi leur progression habituelle.

La chambre se convaincra de l'exactitude de mes assertions, lorsqu'elle examinera ces budgets. Elle se convaincra que les recettes qui sont portées au budget des voies et moyens sont toutes élevées, je puis le dire, à leur maximum.

Il faudra, au contraire, sur certains articles, rabattre beaucoup de mes évaluations. Ainsi, du chef de la réforme postale adoptée par la chambre, du chef d'autres mesures nécessaires qui déjà vous ont été proposées, pour d'autres causes encore, des réductions importantes seront faites. Ce serait se faire illusion que d'estimer ces réductions à une somme moindre de 1,500,000 fr.

Or, messieurs, si je fais abstraction des produits probables de la loi qui vous est actuellement soumise, et que je déduise 1,500,000 fr. du budget des voies et moyens qui est proposé, vous trouverez un large déficit, plus d'un million de francs, pour acquitter vos dépenses ordinaires.

Il est regrettable, à certains égards, que le débat actuel s'ouvre avant l’examen des budgets de cette année; car j'ai pu me convaincre que beaucoup de membres se font une grande illusion sur la situation de 1850.

Se préoccupant des économies notables qui ont été opérées par le gouvernement, se préoccupant de la balance des budgets de 1849, qui est, comme vous le savez, extrêmement favorable, l'une des plus favorables qui aient été présentées depuis 1830; se préoccupant de ces deux choses, ils ont pensé que la situation de 1850 se présenterait encore à peu près dans les mêmes conditions. Ou n'a pas réfléchi, messieurs, qu'un seul article de notre dette publique se trouve augmenté pour 1850 de trois millions 800,000 fr.

En présence de cette situation, messieurs, que je ne complique pas par des détails de chiffres, que je me borne à énoncer d'une manière générale, mais qui est, en somme, de toute vérité, que chacun peut aisément apprécier, en présence de cette situation, que faut-il faire? Faut-il accumuler déficit sur déficit? Manquer ce déficit par la dette flottante, une dette flottante grandissant d'année en année? Se livrer à des dépenses extraordinaires, à des dépenses imprévues, sans ressources certaines pour les acquitter? Toujours les couvrir avec la dette flottante, avec la ressource des bons du trésor, pour arriver à quoi, messieurs? En temps de paix, a des emprunts trop souvent onéreux pour le pays; en temps de crise, à l'emprunt forcé, et, en tout état; de cause, à un accroissement constant, permanent, systématique de la dette !

Si c'est là ce qu'on veut, messieurs, qu'on le lente ! Mais je doute qu'il se trouve longtemps des hommes qui consentent à administrer dans de pareilles conditions, et je doute surtout qu'il se trouve une majorité dans cette chambre, assez dépourvue d'esprit de prévoyance pour persévérer dans un pareil système. On le voudrait d'ailleurs, qu'on ne le pourrait pas; on le voudrait, qu'il faudrait reconnaître que la chose est impossible; impossible quand on a déjà devant soi 30 millions de déficit successivement accumulés. Pour recommencer les errements du passé, il faudrait d’abord éteindre cette dette; il faudrait la consolider, il faudrait reprendre la situation à son point de départ. Car dès ce moment il vous serait impossible de songer à émettre des bons du trésor hors de limites extrêmement modérées.

Ce n'est pas, messieurs, d'aujourd'hui que cette situation doit être accusée. Si vous vous reportez à l'examen du budget des voies et moyens depuis dix ans, vous y trouverez constamment énoncée cette pensée qu'il faut de nouvelles ressources, qu'il est impossible que l'on continue sans danger à suivre un pareil système. Le cabinet de 1840 l'avait reconnu, l’avait constaté. Il avait résolument proposé des augmentations d'impôt s’élevant à plus de 7 millions de francs.

En 1844 (on avait alors couvert le passé avec les ressources qu'avaient données le traité fait avec la Hollande et la convention faite avec la Société Générale), en 1844 on était encore une fois à bout d'expédients, et voici ce que le rapporteur de la section centrale disait à la chambre :

« La section centrale exprime le regret que le gouvernement présenté les budgets en déficit ; il est très vrai que le déficit constaté dès à présent est peu considérable, mais l'expérience a démontré que des besoins nouveaux se révèlent toujours dans le cours d'un exercice. Plusieurs dépenses déjà prévues et pour ainsi dire immédiates, telles que le réendiguement du polder de Lillo, d'autres encore dont il est plus difficile de préciser la nature et l'importance, pourront accroître le déficit, en supposant d'ailleurs qu'aucun événement, à l'intérieur ou au dehors, ne dérange des prévisions basées sur des circonstances très favorables.

« Lorsque de telles circonstances existent, les intérêts essentiels et durables du pays exigent que l'on établisse un équilibre vrai entre les recettes et les dépenses, si même l'on ne peut créer une réserve, afin de parer plus aisément aux crises qui peuvent tarir ou rendre moins fécondes certaines sources du revenu public, en même temps qu'elles rendent nécessaires de plus fortes dépenses.

« Pour le passé, le résultat des arrangements financiers conclus avec le gouvernement des Pays-Bas et avec la Société Générale, permettra sans doute de faire disparaître presque entièrement le découvert du trésor et de réduire la dette flottante dans les limites qu'elle ne doit point dépasser, d'après les règles d'une gestion sage et prudente ; mais ce fait exceptionnel ne devant plus se reproduire, il faut, sous peine de compromettre l'avenir, aviser sérieusement aux moyens d'établir et de maintenir l'équilibre, qui n'a pas existé jusqu'à présent. »

Le rapporteur de la section centrale, à cette époque, était l'honorable M. Malou.

En 1846, la section centrale exprimait le regret qu'on n'eût point fait de proposition pour créer des ressources nouvelles.

« L'objet de la mission que vous avez confiée à votre section centrale, qui m'a fait l'honneur de me charger de la rédaction de son rapport, est de vérifier si les voies et moyens proposés par le gouvernement suffisent à couvrir les dépenses de l'exercice 1846, l'objet de sa mission est de s'assurer de la modération et de la sincérité de l'évaluation des produits ; son devoir est de provoquer des propositions tendantes à prévenir l'insuffisance des ressources.

« Le ministre des finances, dans son discours préliminaire, exprime l'opinion qu'il ne suffit pas d'obtenir un rigoureux équilibre entre les recettes et les dépenses ; il forme même le vœu que l'idée si grande, si utile, qui s'est manifestée parmi vous, l'idée d'une réserve destinée à parer aux crises, qui peuvent tarir ou rendre moins abondantes certaines ressources du revenu public , se réalise.

« En 1840, le chef du département des finances, dans un rapport sur la situation des finances, présenté le 11 mai, se prononçait aussi en faveur d'une réserve. « Pour se prémunir contre de tels événements, disait-il, une sage prévoyance exigerait peut-être davantage; car, au lieu d'aborder un exercice avec une insuffisance de 8 millions à couvrir avec des bons du trésor, il faudrait, au contraire, une réserve ou un excédant de ressources de pareille somme au moins. »

« Votre section centrale espère que ces vœux ne resteront pas stériles pour l'exercice 1847, et que l'administration prendra l'initiative d'une situation désirable, nécessaire pour assurer l'indépendance du pays, mais qui ne peut être amenée que par son intervention.

« En attendant elle regrette que ses propositions pour l'exercice qui va s'ouvrir ne fassent entrevoir qu'un équilibre rigoureux.

« La responsabilité de l'administration en exige davantage ; d'après votre section centrale, son devoir est d’assurer la clôture des exercices par des excédants de recette suffisants pour réduire au moins l'émission des bons du trésor, qui représentent le découvert, et de rendre à la dette flottante le caractère de sa loi primitive du 16 février 1833, qui n'était autre que de permettre la disposition immédiate des rentrées arriérées du trésor, pour assurer la marche des services publics.

« Mais l'on n'y parviendra qu'en mettant un terme à la progression continuelle des dépenses ; par l'étude et l'adoption d'un système qui permette de simplifier les rouages de l'administration, d'en écarter les éléments inertes, et d'introduire dans tous les services de sages économies dont les chefs des départements ont seuls la clef.

« L'on n'y parviendra qu'avec cette courageuse abnégation de soi-même, qui n'hésite pas à proposer des augmentations de produits, lorsqu'elles sont indispensables pour prévenir de plus grands maux.»

Et la section centrale exprimait le vœu que de pareilles idées ne fussent point stériles, elle regrettait que les propositions pour l'exercice qui allait s'ouvrir ne fissent entrevoir qu'un équilibre rigoureux; et de (page 1033) l'avis de la section centrale l'équilibre ne pouvait être sérieux que s'il présentait un excellant de 8 millions de francs.

C'est enfin, messieurs, ce qui a encore été exprimé par la section centrale de 1847, en ces termes :

« Le seul lot qui reste en partage à la section centrale qui a l'honneur de s'adresser à vous par mon organe, est de former des vœux pour que le gouvernement ne présente à l'avenir que des budgets de dépenses et de recettes équilibres de manière à offrir un excédant de ressources de deux à trois millions, destinés à faire face à l'imprévu, c'est-à-dire aux crédits supplémentaires et aux dépenses dont la nécessité se révèle pendant le courant de l'exercice. »

Ainsi, messieurs, on a été suffisamment averti; on a su, à toutes les époques, quelle était la fâcheuse situation dans laquelle on se trouvait; on a su, à toutes les époques, combien il était nécessaire de créer de nouvelles ressources.

Le cabinet actuel n'est pour rien dans cette situation; il ne l'a pas faite, il l'a acceptée. A part 16 millions qu'il a dû demander aux chambres, à la suite des événements du 24 février et sur lesquels plusieurs millions sont encore disponibles, tout ce que le ministère a réclamé, tout ce qu'il réclamera encore, c'est, ou bien pour acquitter les dettes du passé, ou bien pour refaire une situation compromise ; et c'est après avoir proposé, réalisé de larges économies, qu'il a néanmoins été convaincu qu'il fallait recourir à l'impôt.

Et qu'on ne se méprenne ni sur mes paroles ni sur mes intentions: il est loin de ma pensée de vouloir récriminer. A quoi bon ? Mais ce n'est que la plus rigoureuse justice, de reconnaître que le ministère actuel est étranger à la situation, que toutes les difficultés qu'il a rencontrées depuis bientôt vingt mois qu'il est aux affaires, sont venues de l'héritage que nous avons reçu ; que tous les sacrifices que le pays a dû s'imposer, n’ont servi qu'à acquitter une partie seulement des dettes accumulées.

Non, messieurs, je ne veux pas récriminer ; mais si je ramène voire attention sur ce fait, c'est pour qu'il serve d'enseignement, c'est pour poser à la chambre la question de savoir s'il lui convient qu'on sorte enfin de cette position précaire, incertaine, misérable, dangereuse, dans laquelle on a été jusqu'à présent.

Mais serait-ce assez d'envisager notre position, en vue de rechercher ce qui est nécessaire pour établir un équilibre qu'on pourrait considérer comme rigoureux? En ces termes, les ressources nouvelles, à concurrence de 3 millions, ne nous laisseraient qu'un excédant tout à fait insuffisant. On n'oserait affirmer qu'il y aurait un équilibre certain entre les recettes et les dépenses de l'Etat, si le projet qui vous est soumis était adopté, son produit probable étant de trois millions de francs.

Mais n'avons-nous rien à faire? Pouvons-nous nous préoccuper uniquement du soin de payer les services publics, d'assurer le payement de notre dette? Est-ce là, messieurs, tout ce que vous devez faire, surtout dans les circonstances où nous sommes ? Les révolutions qui ont secoué l'Europe dans l'année 1848 ne sont-elles pas de nature à éveiller quelque peu l'attention inquiète, à nous porter à chercher ce qu'il est nécessaire de faire dans l’intérêt de la société? Quelques-uns dans leur égoïsme ou dans leur indifférence, se persuadent que ces révolutions sont des accidents dus à l'effervescence de quelques hommes passionnés, égarés ; je les abandonne volontiers à leur béatitude ; mais quant à moi, je suis profondément convaincu que ces révolutions marquent une aspiration immense des classes souffrantes vers une situation meilleure; je suis profondément convaincu qu'il faut s'occuper avec le plus grand soin, avec une attention constante, qu'il faut s'occuper avec cœur et âme des classes malheureuses de la société.

Messieurs, nous n'avons pas attendu les événements du 24 février, pour vous dire notre pensée sur ce point. Dans le programme du cabinet du 12 août 1847, nous disions :

« Le cabinet croit que l'attention et l'action du gouvernement doivent particulièrement se porter sur le bien-être matériel et moral des classes nécessiteuses et laborieuses. »

Messieurs, c'est à la fois votre intérêt et votre devoir de nous aider à atteindre ce but. Il faut que l'instruction populaire soit largement répandue ; il faut que le sort des instituteurs soit moins précaire; il faut que les communes qui manquent d'écoles en soient dotées ; il faut que de larges trouées soient faites dans les bas-fonds infects où se réfugient les classes laborieuses ; il faut qu'on favorise parmi elles la formation d'institutions de secours et de prévoyance.

Nous avons le droit de vous rappeler que, sur tous ces points encore, nous n'avons pas attendu les dernières révolutions pour exprimer nos idées. Avant le 24 février, nous avons déposé sur le bureau de cette chambre un projet de loi qui réclamait un million, comme premier acte, pour constructions d'écoles ; un million pour assainir les quartiers occupés par les classes inférieures; depuis lors, d'autres sommes ont encore été demandées pour aider à la formation d'institutions de secours et de prévoyance. Ce ne sont pas là des concessions commandées par les circonstances. C'est avant le 24 février que nous soumettions de telles propositions ; c'est que nous agissions en exécution de notre programme, c'est qu'en agissant ainsi, nous procédions en vertu de sentiments vrais, sérieux, profonds, réfléchis; c:est que nous étions profondément convaincus qu'il y va de l'intérêt de la société de se préoccuper de pareils intérêts.

Messieurs, où est votre premier écu pour faire face à ces dépenses qui se perpétueront dans de fortes proportions durant de longues années? Croyez-vous que vous aurez assez fait pour les intérêts du peuple, lorsque, dans une loi, vous aurez substitué à des principes mauvais des principes meilleurs, je le veux, sur le droit et l'autorité? Non, messieurs. Il faut autre chose que des paroles ; et, à ces esprits négatifs, à ces grammairiens politiques, juges impitoyables de toutes les fautes d'autrui, qui' se gardent de poser aucun acte, pour ne pas engager leur responsabilité; à ces esprits qui brillent par la critique, à ces fleurs sans fruit, j'ai le droit de dire à mon tour : Assez de discours, des actes !

Je viens, messieurs, de parler de l'instruction primaire et de quelques-uns des besoins les plus urgents des classes inférieures. Voyons maintenant l'instruction moyenne. Vous nous sommez de déposer le projet de loi sur cette matière; ce n'est pas, sans doute, une vaine parade que l'on veut faire; on veut sérieusement ce que l'on demande.

Nous le voulons nous, nous voulons pourvoir à l'instruction moyenne et à l'instruction professionnelle. Où est votre premier écu pour acquitter cette dépense nouvelle, normale, permanente? Où est enfin votre premier écu pour exécuter ces travaux, ces entreprises qui doivent servir non seulement à accroître le capital de la nation, à multiplier les instruments de travail, mais qui sont encore des moyens de transition pour arriver à l'amélioration du sort des classes malheureuses? Où est votre premier écu pour exécuter des travaux dans les Flandres, pour créer de nouveaux centres de populations, pour achever les travaux entrepris, la dérivation de la Meuse, le canal d'Herenthals, le canal de la Campine, pour la société d'exportation ?

Je viens d'énumérer ce qui est urgent, ce qui est réclamé par tout le monde dans cette chambre et au-dehors. Ai-je tout dit? Et les impôts n'ont-ils aucune transformation à subir? Ne devons-nous pas agir dans la prévision de ce qu'il y a à faire sous ce rapport? Nous avons proposé et vous avez adopté une loi que je crois fort bonne, car elle a eu pour résultat de dégrever 60 mille ouvriers de la patente; j'en suis fort heureux. Mais ce n'est pas assez.

Nous avons d'autres actes à poser; les impôts doivent être remaniés, notamment les impôts directs, non pour leur faire produire davantage, mais pour amener une meilleure répartition, pour empêcher que ceux qui ne sont pas en position de faire l'avance de l'impôt soient cependant obligés de l'acquitter. C'est une chose juste et nécessaire; il faut y pourvoir.

Quand je consulte tous ces besoins, que je mets en regard l'état de nos finances, quand je vois nos budgets en déficit, bien qu'ils ne contiennent que les dépenses nécessaires pour assurer les services publics, est-ce que j'exagère en disant qu'un accroissement de ressources à concurrence de 7 à 8 millions est indispensable, non pas sur l'heure, immédiatement, en totalité, niais successivement pour établir une situation qui permette à l'Etat de remplir la mission qui lui est dévolue ?

M. Dumortier. - Relevez les tarifs du chemin de fer...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne puis pas accepter l'interruption. L'honorable M. Dumortier, suivant sa coutume constante, se persuade que la Belgique sera sauvée au moyen d'un tarif élevé pour le chemin de fer ; j'aurais regret de le troubler dans cette croyance.

La sagesse et la prudence me paraissent conseiller à la Belgique de ne pas persévérer dans le système suivi jusqu'à ce jour, d'enter emprunt sur emprunt.

Il faut s'arrêter dans cette voie, il faut chaque année un excédant assez notable, applicable aux dépenses extraordinaires qui changent d'objets, mais qui exigent une même somme chaque année; quatre ou cinq millions réservés dans ce but, pouvant être appliqués à des besoins plus urgents en cas d'éventualités fâcheuses, permettraient à la Belgique de marcher vers la réduction de sa dette, ce qui conduirait à une réduction d'impôts.

C'est en face de cette situation que je rencontre mes adversaires, et d'abord ceux qui veulent parer à tout avec des économies. Ils étaient, paraît-il, en nombre au sein de la section centrale. « Il n'est pas certain, a, dit la section centrale, que la chambre suivant, dépassant même le ministère dans la voie qu'il s’est tracée, ne parviendra pas, au moyen d'économies faites avec intelligence, à établir une bonne situation financière. »

Messieurs, l'espoir est maintenant évanoui; l'événement a répondu à la supposition quelque peu extraordinaire qui a servi peut-être de prétexte à plus d'un vote dans le sein des sections. L'accord «le la chambre et du ministère sur la question des économies en dit assez; en général, on a adopté les propositions faites par le gouvernement, on n'a pas été au-delà; parfois on est même resté en deçà ; on a reconnu, c'était une justice à lui rendre, que le gouvernement avait fait tout ce qui était possible en fait d'économie ; les budgets ont été scrutés, fouillés cette fois comme jamais ils ne l'ont été à aucune autre époque. Nous pouvons dire que des, économies notables sont maintenant impossibles à réaliser sur les budgets. (Interruption.) J'en excepte, cette interruption est bonne, j'en excepte pour quelques membres de cette chambre, le budget de la guerre. Je ne discute pas; je suppose qu'il devienne possible de descendre au chiffre de 25 millions; je vous déclare que tous les membres du ministère seront parfaitement heureux le jour où pareille chose pourra se réaliser. Je suppose le budget de la guerre réduit à 25 millions. Non seulement pareille chose n'est pas possible immédiatement, tout de suite; il faudrait certainement un temps assez long ; mais soit, comme je ne veux pas compliquer le débat, j'accepte.

- Un membre. - La gendarmerie comprise?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous vous en étonnez? Vous le voyez, je vais aussi loin qu'on peut aller : c'est donc deux millions; mais ces deux millions, c'est tout ce qu'on peut trouver. Je réponds à ceux qui ne veulent pas d'impôts nouveaux, qui veulent refaire nos finances avec des économies. Je me demande où elles sont, où l'on peut (page 1034) les trouver. Je ne puis les trouver que sur le budget de la guerre. Je trouve là deux millions d'économies. Avec ces deux millions, le déficit sur les dépenses annuelles, sera-t-il comblé? C'est tout au plus. Mais enfin, en principe, en théorie, le déficit sera comblé. En faudra-t-il moins de nouveaux impôts? N'est-on pas d'accord que, si l'on veut réellement un équilibre entre les recettes et les dépenses, il faut un excédant de recettes de trois millions, pour parer à l'imprévu, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus certain à prévoir en fait de budgets?

Je ne sache pas qu'en examinant scrupuleusement les budgets, il soit possible de trouver autre chose qui soit saisissable, appréciable, discutable.

Ainsi, les personnes qui ont espéré pouvoir refaire la situation financière avec des économies, exclusivement avec des économies, ainsi que la section centrale l'avait exprimé dans son rapport, ces personnes, je pense, devront renoncer à ce système.

Je m'adresse maintenant à mes autres adversaires. Ils entrevoient, d'une manière plus ou moins certaine, d'autres ressources possibles : d'abord des centimes additionnels sur tous ou quelques-uns de nos impôts. C'est un moyen très simple, un moyen extrêmement facile de rétablir nos finances. Pour d'autres, les sucres. Pour d'autres encore, les assurances. Pour d'autres, enfin, des intérêts à percevoir sur les billets de banque.

Je n'ai guère entendu parler d'autre chose.

- Un membre. - Et le tabac !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Lorsque j'ai parlé des centimes additionnels sur tous les impôts, j'y ai compris la douane; et le tabac figure, j'imagine, dans les produits de la douane. J'y reviendrai tout à l'heure.

Ici je dois faire remarquer qu'il y a une erreur capitale, une fausse appréciation de la situation, qui sert de base à ceux qui s'opposent au projet de loi par les motifs que je combats en ce moment. La section centrale en a été l'écho. Voici ce qu'elle dit sur ce point :

« En supposant même qu'elle ne pût atteindre ce but (par des économies), serait-il d'une mauvaise politique de couvrir celles de nos dépenses qui ne sont que temporaires par des ressources aussi temporaires ?

« En ajoutant quelques centimes additionnels à tous ou à quelques-uns de nos impôts, ne pourrait-on pas rétablir l'équilibre entre nos recettes et nos dépenses, et même parer à des éventualités qui, nous l'espérons, ne se présenteront plus? »

La section centrale, pour servir de base à son raisonnement, a supposé fort gratuitement que nos besoins étaient temporaires. C'est une erreur complète. Je l'ai démontré, je pense, tout à l'heure. Nos besoins sont permanents : il s'agit de 7 ou 8 millions à trouver, non point pour faire face à des besoins temporaires, mais pour faire face à des besoins permanents, annuels.

Quant à des centimes additionnels sur tous ou quelques-uns de nos impôts, j'imaginerais difficilement que ce fût sérieux.

Sur quelques-uns de nos impôts, je le comprends. Mais sur tous nos impôts, je déclare nettement que c'est absolument impossible.

Est-ce sur l'enregistrement, déjà si lourd, qu'on veut faire peser les centimes additionnels ?

Est-ce sur le timbre commercial, qu'on vient de réduire afin de mieux en assurer la perception ?

Est-ce sur la douane ? Mais à part certains articles, dont je fais moi-même réserve, sur lesquels j'aurai l'occasion de m'expliquer, qui songerait à la mesure illibérale d'une aggravation des droits de douane ?

Je m'étonne que l'honorable rapporteur de la section centrale se soit fait l'écho d'une pareille demande. Ce serait plutôt réduire les revenus que les augmenter, qu'aggraver la plupart des droits de douane de centimes additionnels. Est-ce que, par hasard, on aurait en vue un droit sur les grains, une augmentation du droit récemment voté ? C'est ainsi qu'on prétendrait alléger la situation des classes laborieuses de la société !

Voilà donc une série d'articles et des plus productifs qu'il faut éliminer.

Est-ce sur les produits des accises? Mais pour quelques produits nous sommes liés par les traités. Il est certains produits que nous ne pouvons pas même augmenter. Des centimes additionnels sur tous les impôts, je crois, en vérité, qu'il y faut renoncer.

Est-ce la bière qu'on a eu en vue? L'honorable M. de Man, qui faisait partie de la section centrale, qui a voté le rapport, pourra nous le dire. Quoi qu'il en soit, il est certain que ce n'est pas avec des centimes additionnels que nous percevrons quelque chose sur ce produit ; il va depuis longtemps en déclinant. A la vue des recettes données par cet impôt, il faudra consentir à une réduction des prévisions au budget des voies et moyens. La recette sera moindre que les années passées. Ce n'est pas avec des centimes additionnels qu'on portera remède à cet état de choses. Il faut (peut-être nous y conviera-t-on) une législation entièrement différente.

Le genièvre pourrait supporter les centimes additionnels dont on parle. Incontestablement, c'est là une matière essentiellement imposable. Je l'accorderai donc bien volontiers à la section centrale. Mais à part le genièvre, le tabac et le sucre (objet spécial que nous pouvons ne pas discuter ici), je ne vois guère, parmi les autres objets soumis à l'impôt, quels sont ceux qu'on pourrait aggraver.

Je suppose que la section centrale, en parlant de tous les impôts à grever de centimes additionnels, n'a pas entendu parler du sel !

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je savais bien que les centimes additionnels sur tous les impôts finiraient pur se réduire ù bien peu de chose ! Mais alors que signifient donc les calculs commodes de la section centrale ?

Mais on ajoutera peut-être des additionnels aux additionnels si nombreux de l'impôt foncier. Qu'on s'en explique. La contribution personnelle, les patentes ! Est-ce là ce qu'on veut ?

Je n'exclus pas ce qui est pratique, ce qui est possible, au point de vue où l'on se place.

Je me garde de prétendre qu'il n'y a pas à tirer parti de certains impôts que nous avons déjà. Mais que l'on veuille bien y réfléchir.

J'ai dit que 7 ou 8 millions de ressources nouvelles étaient nécessaires. Je n'en propose que trois. Je n'ai donc pas dit mon dernier mot sur les impôts à créer. Je prévois qu'il faudra quelques autres ressources encore. Nous verrons plus tard. Je ne m'attache ici, dans cette partie de la discussion, qu'à démontrer une chose : c'est que les ressources signalées sont inopérantes pour la plupart, insuffisantes en tous cas, qu'aucune n'est de nature à faire repousser le projet en discussion.

Je crois que tout le monde sera d'accord qu'il est inutile de faire état, dans cette discussion, de l'article sucre. Ce n'est pas à discuter maintenant. On appréciera plus tard s'il y a plus d'avantages que d'inconvénients à grever cet article.

Mais encore une fois, pour ceux mêmes qui veulent adopter l'impôt sur le sucre, cela n'est nullement exclusif de l'impôt qui vous est soumis.

Messieurs, veuillez le noter, c'est à ce point que je m'attache dans cette discussion. J'essaye de faire comprendre à la chambre que les autres ressources, un peu vagues, un peu imaginaires, que l'on fait entrevoir, ne peuvent tenir lieu des ressources positives que je vous présente et qui sont indispensables. Je cherche à démontrer que ceux mêmes qui voudraient adopter la proposition de l'honorable M. Cools ou celle de l'honorable M. Mercier sur les sucres, ne pourraient pas, à l'aide de cela, refaire la situation financière. Il faudrait encore des impôts. Il faudrait encore de l'argent, beaucoup d'argent.

Restent les assurances.

Ici, messieurs, je ne puis qu'affirmer ; car il me faudrait entrer dans un débat approfondi sur cette question. Mais je crois pouvoir affirmer à la chambre qu'il n'y a rien de plus problématique que le produit du monopole des assurances. Après avoir examiné attentivement, après avoir scruté avec le plus grand soin les éléments qui avaient été indiqués comme devant démontrer que les assurances produiraient 5 à 6 millions, je suis arrivé à la conviction que l'on n'oserait peut-être pas promettre un produit d'un million.

Je suis prêt, messieurs, à discuter; si l'on veut ouvrir une grande parenthèse pour cet article, nous nous en occuperons. Mais je tiens qu'il est impossible d'espérer quelque chose de ce côté qui puisse faire passer sur tous les inconvénients de la mesure.

Je crois devoir faire remarquer, sans m'y arrêter autrement, qu'avant d'avoir discuté un pareil projet, avant d'avoir pu le mettre en œuvre, en supposant qu'il soit complètement réalisable, un temps bien long serait nécessaire.

Enfin, quelques-uns ont dit: Vous n'avez pas tiré des billets de banque à cours forcé tout le parti qu'on peut en obtenir.

Messieurs, nous devons agir dans la prévision, je l'ai déjà dit, que cet état de choses disparaîtra en 1850. Or, c'est à 1850 que notre pensée se reporte. J'admets que l'on peut obtenir un profit de la concession que fait l'autorité d'émettre des billets. Mais, avec le cours volontaire, c'est une ressource très limitée, et il s'agira d'examiner, lorsqu'on s'occupera de l'organisation d'un établissement de crédit, ce que l'Etat peut retirer des avantages qu'il fera à cet établissement. Il se peut qu'il y ait là pour l'Etat une certaine somme de revenu. Mais qu'on ne s'y trompe pas, il s'agit d'une somme relativement minime.

Ainsi, sans condamner d'une manière absolue, loin de là, telle ou telle des ressources indiquées, je me borne à les réduire à leur juste valeur, et je soutiens qu'elles sont loin de pouvoir produire ce qui sera nécessaire pour faire face aux besoins du pays.

Encore une fois, messieurs, ce n'est point là une opinion de circonstance, une opinion préparée à l'appui d'une thèse, comme démonstration en faveur du projet de loi ; c'est une opinion souvent exprimée par plusieurs d'entre nous dans cette chambre, c'est une opinion exprimée il y a peu de temps par l'honorable M. d'Elhoungne. L'honorable M. d'Elhoungne nous a dit, en effet, dans la discussion du budget de la guerre qu'il ne se faisait aucune illusion; qu'il ne voulait persuader à personne que des économies pourraient suffire ; qu'il faudrait des impôts et qu'il voterait le droit de succession. Il faut non seulement les économies que nous avons faites, mais il faut, quoi qu'on fasse en fait d'économies, il faut en toute hypothèse, au moins les trois millions actuellement demandés, rien que pour établir à peine l'équilibre entre les recettes et les dépenses de l'Etat.

Des raisons d'un autre ordre nous ont, au surplus, fait repousser l'idée d'une aggravation des impôts existants dans les circonstances actuelles. A nos yeux une mesure semblable aurait été éminemment impolitique, elle serait dangereuse. En supposant (je ne me prononce pas sur cette supposition), en supposant que sur les bières, les eaux-de-vie indigènes, les tabacs, le café, si vous voulez, en supposant qu'il y eût quelque chose à faire de ce côté, si on avait voulu s'en préoccuper maintenant, vous auriez eu incontestablement, comme on l'a vu à d'autres (page 1035) époques, des coalitions formidables. Il faut des temps de calme pour aborder ces questions. D'ailleurs, l'époque serait on ne peut plus malheureusement choisie pour surcharger nos impôts ordinaires. Après deux années de disette, après une année qui a exigé, bien que ce ne soit qu'à titre d'avances, des sacrifices nombreux de la part des contribuables, il serait imprudent, inique, d'aller puiser aux mêmes sources, et c'est pourquoi, messieurs, j'ai cru devoir insister plus que jamais pour le projet e loi sur les droits de succession.

Messieurs, je n'ai, à la vérité, aucune passion pour ce projet; je n'ai aucun fanatisme pour cet impôt. Si, dans les mêmes conditions de bonté, de justice, d'équité, on m'offrait d'autres ressources qui ne dussent point troubler les contribuables, je les accueillerais de grand cœur; mais dans les circonstances où nous sommes, surtout, l'impôt des successions a sur tous les autres, je n'en excepte pas un seul, un avantage immense, c'est qu'il ne réduit pas les profits du travail, c'est qu'il n'est point destiné à augmenter les frais de production, c'est qu'il ne fait pas renchérir le prix des marchandises, qu'il ne porte aucune atteinte à la condition actuelle des propriétaires, des industriels, des commerçants. Vous entendriez des clameurs s'il fallait augmenter l'impôt foncier, l'impôt personnel ou l'impôt patente ; vous entendriez des cris de résistance s'il fallait modifier les droits d'accises pour accroître les produits de l'impôt; mais en vain a-t-on cherché à passionner le public contre l'impôt de succession, le public est resté parfaitement calme; le public ne s'émeut pas et ne peut s'émouvoir; pas une pétition... (Interruption.) Je n'entends pas dire qu'il n'y ait pas une pétition au greffe de la chambre, contenant une appréciation de l'impôt de succession ; ce que j'entends, c'est une manifestation contre l'impôt de succession.

Je dis, moi, que cet impôt est éminemment populaire; je dis populaire dans le bon sens du mot; que cet impôt ne peut soulever aucune critique fondée. Cet impôt n'a pas plus que les autres le privilège de porte atteinte à la propriété. L'impôt de succession n'est pas dans d'autres conditions, sous ce rapport, que l'impôt foncier lui-même, que l'impôt de mutation, que tous les impôts, en général, qui grèvent la propriété apparemment, car je ne sache pas qu'on ait trouvé le moyen d'établir les impôts quelque part au-dessus des choses terrestres ; ils reposent sur une base sérieuse, ils se composent tous d'une partie de l'avoir des citoyens.

Ces considérations m'amènent naturellement à m'occuper maintenant du projet de loi en lui-même, des deux objets principaux qui doivent nécessairement entrer dans la discussion générale; j'entends parler du droit en ligne directe et du serment.

- Plusieurs membres. - A demain !

M. le président. - M. le ministre désire-t-il remettre la suite de son discours à demain?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est comme la chambre le préfère.

- La séance est levée à 4 heures 3/4.