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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 8 mars 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 933) M. Troye procède à l'appel nominal à 1 heure et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée,

Pièces adressées à la chambre

M. de Luesemans fait connaître l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Le sieur Offergelt, ancien receveur des contributions, propose à la chambre de faire, au budget de 1850, une retenue proportionnelle sur les traitements et sur les revenus qui s'élèvent à 1,500 fr. et au-dessus, ou bien de l'indemniser de la perte qu'il a essuyée dans les remises de son bureau. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sieurs Jacques, Stevens et autres membres du bureau du comité médical de l'arrondissement d'Anvers demandent l'abolition de l'impôt, patente auquel sont assujettis ceux qui exercent l'art de guérir. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget des voies et moyens.

Rapport sur une pétition

(page 934) M. Moxhon. - Au nom de la commission d'industrie, j'ai l'honneur de déposer les rapports ;

Sur la pétition du Sieur Leroux qui propose de fixer un minimum de prix au-dessous duquel les grains étrangers seraient soumis à un droit protecteur, et demande que les farines de provenance étrangère soient frappées d'un droit de 2 fr. par 100 kilog.

3« Sur la pétition de quelques habitants de St.-Mard qui demandent que les objets en osier fabriqués en France et dans la partie cédée du Luxembourg soient prohibés à l'entrée ou soumis à un droit élevé.

Ces rapports seront imprimés et distribués. Ils figureront à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi supprimant le conseil des mines

Discussion des articles

MpV. - Le premier objet à l'ordre du jour est la suite de la discussion du projet de loi relatif à la suppression du conseil des mines.

M. Loos. - Messieurs, je crois qu'il serait utile, dans l'intérêt des travaux de la chambre, de continuer la discussion sur le projet de loi relatif de la réforme postale. Nous avons encore tous présents à la mémoire les renseignements nombreux que nous a fournis le remarquable discours de l'honorable M. Cans. Je demande que, dans l'intérêt de cette discussion, elle ne soit pas scindée et qu'on la continue immédiatement.

M. Lelièvre. - Je prierai la chambre de bien vouloir s'occuper du projet de loi relatif à la suppression du conseil des mines. Il m'est impossible d'assister à la séance de demain, et comme rapporteur, je pense que ma présence est sinon indispensable, au moins utile.

M. le président. - M. Loos insiste-t-il ?

M. Loos. - En présence de la déclaration de M. le rapporteur, je ne crois pas pouvoir insister.

Article 2

M. le président. - L'article premier a été voté par la chambre.

« Art. 2. Toute demande en concession, en maintenue ou en extension, sera faite par voie de simple pétition adressée au gouverneur de la province, dans le ressort de laquelle la concession, maintenue ou extension sera demandée. Elle contiendra élection de domicile dans le chef-lieu de la même province.

« Le gouverneur sera tenu de faire enregistrer la demande à sa date sur un registre particulier, d'en donner connaissance au ministre des travaux publics dans les dix jours et d'ordonner les publications et affiches dans le même délai. »

- Adopté.

Article 3

« Art. 3. Les affiches auront lieu pendant 4 mois continus, dans le chef-lieu de la province, dans celui de l'arrondissement administratif où la mine sera située, dans le lieu du domicile réel du demandeur, et dans toutes les communes sous le territoire desquelles la concession pourra s'étendre ; elles seront insérées au Moniteur et dans un journal du chef-lieu de la province. »

La commission propose d'ajouter après les mots : « au domicile réel du demandeur, » ceux-ci : « si ce domicile est établi en Belgique. »

Elle propose en outre d'ajouter à la fin de l'article : « Ainsi que dans un journal du chef-lieu de l'arrondissement où la mine est située. »

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin) déclare qu'il se rallie à ces deux amendements.

M. Lebeau. - Il doit être bien entendu , en ce qui concerne la deuxième proposition de la commission, qu'il ne s'agit pas d'une formalité dont l'inobservation entraînerait la nullité , car il se présentera des cas où l'exécution de cette disposition sera impossible; il y a des chefs-lieux d'arrondissement où il n'existe pas de journal.

M. Lelièvre. - Je proposerai d'ajouter : « S'il y en a un. »

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Pour que la formalité fût substantielle, pour que son inobservation pût entraîner la nullité, il faudrait que la loi le dît formellement.

M. le président. - M. Lelièvre insiste-t-il pour l'addition des mots : « S'il y en a un ?»

M. Lelièvre. - Non, M. le président.

- L'article est mis aux voix et adopté, avec les deux modifications proposées par la commission.

Articles 4 à 8

« Art. 4. Les publications des demandes en concession, maintenue ou extension auront lieu devant la porte de la maison commune et des églises paroissiales, à la diligence des bourgmestres, à l'issue de l'office, un jour de dimanche, et au moins une fois par mois pendant la durée des affiches. Les bourgmestres seront tenus de certifier ces publications. »

- Adopté.


« Art. 5. Le greffier de la province délivrera au requérant un extrait certifié de l'enregistrement de la demande. »

- Adopté.


« Art. 6. Les demandes en concurrence et les oppositions qui y seront formées seront admises devant le gouvernement jusqu'au dernier jour du quatrième mois, à compter de la date de l'affiche : elles seront notifiées par actes extrajudiciaires au gouvernement provincial, où elles seront enregistrées sur le registre indiqué à l'article 2 ; elles contiendront élection du domicile au chef-lieu de la province. Les oppositions seront notifiées aux parties intéressées; et le registre sera ouvert à tous ceux qui en demanderont communication.

- Adopté.


« Art. 7. A l'expiration du délai des affiches et publications, la demande en concession, maintenue ou extension, sera envoyée avec toutes les pièces à l'appui, ainsi que les demandes en concurrence et les oppositions auxquelles elle aura donné lieu, à l'avis tant de l'ingénieur en chef de la division que de celui du district dans le ressort desquels la concession, maintenue ou extension de concession sera demandée. Ceux-ci seront tenus, dans le mois qui suivra la réception des pièces, de les renvoyer au gouverneur de la province avec leurs avis motivés.

« Dans un pareil délai d'un mois après la réception de ces avis, un membre de la députation permanente fera un rapport sur le tout. Ce rapport contiendra les faits et l'analyse des moyens.

« Il sera déposé au greffe du gouvernement provincial ; la notification du dépôt sera faite aux parties intéressées, par huissier, en la forme ordinaire, à la requête du gouverneur de la province, et aux frais du demandeur en concession, maintenue ou extension de concession.

« Dans le mois de la signification du dépôt, les parties seront admises à présenter leurs réclamations à la députation, qui pourra, selon les circonstances, accorder des délais ultérieurs pour rencontrer les réclamations produites. »

- Adopté.


« Art. 8. La députation sera tenue de donner, par la voie du greffe et sans déplacement, communication aux parties intéressées de toutes les pièces qui concerneront, soit les demandes en concession, soit les oppositions ou les interdictions.

« Les pièces seront visées par le membre de la députation chargé de l'instruction; il en sera dressé un inventaire par le greffier provincial qui en délivrera des copies certifiées aux parties intéressées qui en feront la demande. »

- Adopté.

Article 9

« Art. 9. Dans le mois qui suivra l'expiration du délai fixé soit pour présenter les réclamations, soit pour rencontrer les réclamations produites, la députation permanente émettra son avis. Cet avis énoncera si les formalités prescrites aux articles précédents ont été accomplies, s'il y a lieu d'accorder ou de rejeter la demande et, en cas d'avis favorable, les conditions auxquelles la concession, maintenue ou extension de concession pourra être accordée.

«Cet avis sera transmis, endéans la huitaine, au ministère des travaux publics, et publié tant dans le Moniteur que dans un journal du chef-lieu de la province. «

La commission propose de rédiger le paragraphe 2 comme suit : « Cet avis sera transmis endéans la huitaine au ministère des travaux publics et publié tant dans le Moniteur que dans les journaux mentionnés en l'article 3. «

M. Delfosse. - Il suffit de dire « publié dans les journaux mentionnés en l'article 3. »

M. Lelièvre, rapporteur. - C'est juste.

- L'article 9, tel qu'il est amendé par la section centrale et sous-amendé par la commission , est mis aux voix et adopté.

Article 10

« Art.10. Pendant le mois qui suivra la publication de cet avis, toute opposition sera admissible devant le ministre des travaux publics. Elle aura lieu par une requête signée par la partie opposante ou son fondé de pouvoir, et sera notifiée dans tous les cas aux parties intéressées.

« Le ministre pourra, selon les circonstances, accorder des délais ultérieurs pour rencontrer les réclamations ou oppositions produites. »

La commission propose de rédiger comme suit le paragraphe 2 de l'article 10 :

« Le ministre pourra, selon les circonstances, accorder des délais ultérieurs, qui ne pourront excéder trois mois, pour rencontrer les réclamations ou oppositions produites. »

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, que le ministre accorde un délai de trois mois pour l'instruction d'une opposition, je le conçois ; mais cette opposition peut donner lieu à un débat devant lui ; et dès lors il me paraît bien difficile d'en fixer rigoureusement le terme.

M. Lelièvre, rapporteur. - Si M. le ministre des travaux publics veut substituer au délai de trois mois un autre délai, au nom de la commission, je m'y rallie.

M. Pirmez. - 11 n'est pas possible de limiter les délais que le ministre peul accorder pour rencontrer les réclamations ou oppositions produites. Nous ne pouvons apprécier la nature de ces actes et les circonstances qui nécessiteront leur production. Si l'on craint qu'on ne veuille éterniser le débat, je ferai remarquer que le ministre peut toujours le clore.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Dans le fait ces instructions sont quelquefois très-longues; il faut accorder aux parties le temps de présenter leurs moyens, soit d'attaque, soit de défense.

M. Lelièvre, rapporteur. - Lorsque l'instruction est parvenue à cette période, elle touche à sa fin, puisque déjà la députation permanente a émis son avis. A cette époque on peut prévoir jusqu'à certain point le (page 935) moment où le ministre pourra statuer. La commission a pensé que le terme de trois mois était le maximum du délai qu'on pourrait exiger et qu'il était plus que suffisant pour permettre à toutes les réclamations de se produire et se justifier.

M. le ministre ne proposant pas même un autre terme, je maintiens celui énoncé à l'amendement de la commission.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Ce que vient de dire M. le rapporteur n'est pas exact. Même sous l'empire de la législation en vigueur, le ministre n'est pas seulement appelé à statuer sur l'avis de la députation; il peut se faire qu'il survienne, devant lui, des oppositions ou des demandes nouvelles, que de nouveaux mémoires lui soient soumis pour combattre l'avis soit de la députation, soit du conseil. Il faut donner aux partis le temps de présenter leurs moyens, de combattre ceux de leurs adversaires. Ce peut être le point de départ d'une nouvelle instruction qui mette le ministre dans la nécessité de s'éclairer par de nouveaux avis. Un délai de trois mois est trop restreint à cet effet; on ne peut pas mettre le ministre dans la nécessité de se prononcer dans ce délai.

M. Lebeau. - Je demande la parole pour appuyer l'opinion émise par l'honorable M. Lelièvre. Si le délai de trois mois paraît trop court, M. le ministre peut en demander un plus long. Il se trompe toutefois sur la partie de la disposition dont il s'agit ; ce n'est pas la mise en demeure du ministre de se prononcer; c'est la clôture des débats, car rien dans l'article ne dit dans quel délai il doit se prononcer.

La proposition de M. Lelièvre prononce une déchéance contre les parties qui n'ont pas présenté leurs réclamations. Si on ne veut pas rendre les débats interminables, il faut adopter cette proposition ou quelque chose d'analogue.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je concevrais la disposition proposée, s'il s'agissait seulement de clore les débats; mais des réclamations nouvelles, des demandes en concurrence peuvent se produire au dernier jour. Le ministre devra-t-il les méconnaître? Ce serait l'exposer à consacrer une injustice qu'un délai plus long lui permettrait d'éviter.

M. Delfosse. Nous n'avons pas limité à l'article 7 les délais ultérieurs que la députation peut accorder, nous ne devons pas limiter non plus ceux que le ministre peut accorder.

M. Rousselle. - Il convient que la chambre comprenne bien la portée de l'amendement présenté par la commission.

Lorsque le dossier arrive au ministère, l'instruction est complète; elle est terminée ; les ministres seront en état de statuer. Mais, par un article de la loi, on a dit que jusqu'au dernier moment on pourrait introduire des oppositions et des réclamations près du ministre. Il faut, sans doute, une instruction pour ces demandes ; mais il ne faut pas qu'elle soit indéterminée. Sans cela, il y aura certaines parties intéressées dans le débat qui, ayant connaissance de l'avis de la députation, pourraient présenter des moyens un peu dilatoires pour éterniser l'instruction.

Comme l'a fait observer l'honorable M. Lebeau, il convient d'empêcher cet abus. Il convient que les parties intéressées à empêcher la demande en concession ou en extension ne puissent arrêter la décision.

M. le ministre peut, s'il croit que 3 mois ne suffisent pas, en demander 6. Mais il convient que la loi indique un terme.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je ne partage pas l'avis qui vient d'être exprimé.

A coup sûr, il ne faut pas laisser aux parties le droit d'éterniser le débat. Mais le gouvernement a toujours la faculté d'y couper court ; il peut le clore quand il le jugera convenable. Ce qui serait dangereux, ce serait d'imposer au gouvernement l'obligation de clore le débat, alors qu'il se présenterait des demandes qui pourraient donner lieu à des contestations ultérieures. C'est un nouveau procès, dont il est impossible de prévoir et de limiter la durée.

- L'amendement proposé par la commission à l'article 10 est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'article 10 est adopté.

Article 11

« Art. 11. A l'expiration du délai fixé par l'article qui précède ou des délais qui auront été accordés pour rencontrer les réclamations ou oppositions produites, la demande sera envoyée avec toutes les pièces qui la concerneront, à l'avis de l'inspecteur des mines qui sera tenu de répondre endéans le mois ; après quoi il sera statué par arrêté royal, délibéré en conseil de ministres et motivé dans la forme des jugements. »

La commission propose par amendement de commencer l'article 11 comme suit :

« A l'expiration du délai fixé par l'article qui précède ou des délais qui auront été accordés pour rencontrer les réclamations ou oppositions produites, il sera statué, etc. »

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je comprends que la commission ait éprouvé quelque répugnance à consacrer, par une disposition législative, l'existence d'un emploi, qu'on pourrait tôt ou tard, juger utile de supprimer. Mais, d'un autre côté, il importe non seulement de donner au gouvernement le droit, mais encore de lui imposer le devoir de consulter un officier des mines sur les demandes en concession sur lesquelles il est appelé à statuer.

Pour éviter l'inconvénient que la commission a eu en vue, on pourrait ajouter après les mots : « de l'inspecteur des mines », ceux-ci : « ou d'un ingénieur en chef autre que celui qui a émis le premier avis ».

Voici, messieurs, l'utilité de l'instruction nouvelle que cette disposition a pour objet de provoquer :

L'avis qui sera demandé à l'inspecteur des mines ou à un ingénieur en chef autre que celui qui aura émis le premier avis, constituera un nouveau contrôle, une garantie de plus pour tous les intéressés.

Au premier degré de l'instruction, l'ingénieur de district et l'ingénieur en chef de la division sont consultés sur toutes les demandes en concession, en maintenue ou en extension, et sur les demandes en concurrence et les oppositions auxquelles elles peuvent donner lieu. En imposant au gouvernement le devoir de consulter un autre ingénieur, vous le mettrez en garde contre les surprises auxquelles l'avis des deux premiers et celui de la députation permanente pourraient l'exposer.

M. Lebeau. - Messieurs, je suis obligé de faire remarquer encore combien cette disposition est insolite. Elle n'a aucune analogie dans nos lois. Si le ministre des travaux publics est tenu de consulter un inspecteur des mines, je ne vois pas pourquoi, dans nos différentes lois organiques, on ne dit pas que le ministre des finances est tenu de consulter ou l'inspecteur des domaines, ou l'inspecteur de l'enregistrement, ou l'inspecteur des contributions directes ; pourquoi M. le ministre de l'intérieur ne serait pas tenu, dans de telles circonstances, de prendre l'avis du gouverneur, du commissaire d'arrondissement.

Il s'agit, messieurs, de fonctionnaires qui sont les subordonnés du ministre, que le ministre a en tout temps le droit de consulter, auxquels il a le droit de déterminer un délai dans lequel la réponse doit lui arriver.

Il y a réellement, je le répète, dans cette disposition quelque chose de tout à fait insolite. Je ne suis pas effrayé de l'idée de consacrer par la loi l'existence d'un fonctionnaire public; ce n'est pas là ce qui m'arrête. Cependant il serait assez singulier de consacrer par la loi l'existence d'un fonctionnaire de cette nature. Dans les autres administrations, il n'y a pas une seule disposition qui soit analogue à celle-là. Et, chose étrange! si un ministre reconnaissait l'inutilité de tel fonctionnaire, ainsi consacré par la loi, s'il lui était démontré que la suppression est conciliante avec le bien du service et emporte une économie quelconque, il ne pourrait le supprimer ; il devrait pour cela déposer un projet de loi.

Voilà les conséquences où vous arrivez avec cette singulière disposition.

Ensuite, vous fixez un délai endéans lequel il faut que le fonctionnaire réponde. Mais où est la sanction? S'il ne répond pis, qu'est-ce qu'on fera ? Rien de plus que ce qu'on pourra faire par la voie administrative.

Lorsque le ministre demande un avis à un fonctionnaire et lui dit qu'il y a urgence, si cet avis ne lui arrive pas, il a la faculté de destitution, la faculté de suspension, la faculté de réprimande. Mais tous ces moyens, le ministre les a. Il n'y a pas besoin de les lui donner, tandis que vous inscrivez dans la loi une disposition qui n'a pas d'autre sanction que celle qui résulte de la hiérarchie administrative.

Je n'insiste pas, parce que, grâce aux anomalies qu'on rencontre dans ce singulier projet, une de plus ou une de moins est indifférente. Mars, pour l'honneur de notre législation, je ne voudrais pas qu'on y mît des dispositions aussi insolites que celles-là.

M. Lelièvre, rapporteur. - Obliger un ministre du Roi à consulter l'un de ses subordonnés me paraît présenter quelque chose d'anormal. Le ministre consulte les ingénieurs des mines ressortissant à son département comme il le juge convenable, mais les relations du chef d'un département avec des employés inférieurs doivent rester étrangères .aux dispositions d'une loi spéciale comme celle dont nous nous occupons; beaucoup moins encore on peut les lui imposer comme un devoir absolu.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je n'ai aucune raison d'insister particulièrement pour que la disposition soit conservée telle qu'elle est conçue.

Cependant je crois pouvoir faire remarquer à l'honorable M. Lebeau et à l'honorable rapporteur de la section centrale, que les scrupules qu'ils ont élevés sur les dispositions de cet article ne sont nullement fondées. Il leur a paru que c'était quelque chose d'anormal, que le ministre fût tenu de prendre l'avis d'un de ses subordonnés. Il en a, dit-on, toujours le droit; pourquoi lui en imposer le devoir ?

Messieurs, il faut remarquer que toute cette instruction est d'une nature particulière. C'est en réalité une sorte de procès administratif, et toutes les formalités qui sont prescrites, tous les avis qui sont exigés, comme autant de préalables nécessaires à l'octroi de la concession, sont autant de liens imposés au gouvernement, autant de garanties de son impartialité et du respect des droits de tous.

Il n'y a donc rien d'étrange, à mon avis, à voir le ministre placé dans la nécessité de consulter, même un fonctionnaire placé sous ses ordres; libre à lui, sous sa responsabilité personnelle, de s'écarter de l'avis qui lui aura été donné. Mais il sera averti par la loi que cet avis servira de témoignage contre lui, si l'on peut supposer qu'il s'oublie un jour à ce point que d'accorder une concession qu'il aurait dû refuser.

M. Lesoinne. - Avec la loi qui nous régit, les demandeurs en concession pouvaient compter que l'examen de leurs demandes serait fait par un corps d'hommes possédant toutes les garanties possibles d'impartialité et de justice.

Cette garantie leur a été enlevée par un vote précédent que la plupart des honorables membres ont émis par un motif d'économie. Je n'ai pas (page 936) l'espoir de faire revenir ces honorables membres à mon opinion. Je me bornerai à dire quels seront les résultats du projet actuel. Nous n'avons plus de garanties. Nous ne savons pas comment l'examen des demandes en concession se fera, ou plutôt nous savons qu'il se fera dans les bureaux. Le conseil des ministres délibérera. Passera-t-il sept à huit heures par jour à examiner les demandes en concession? Car toutes ces demandes sont d'une nature très difficile ; elles exigent une très grande attention, beaucoup de soin. Les ministres, occupés comme ils le sont, pourront-ils donner le temps nécessaire à l'examen de ces demandes?

Sous l'ancien gouvernement on avait nommé, en 1828 je crois, une commission chargée d'examiner quels moyens il y aurait d'obvier aux difficultés que présentait l'application de la loi de 1810. Cette commission concluait à la création d'un conseil des mines en dehors du conseil d'Etat. Ainsi, déjà même avec le conseil d'Etat, on jugeait qu'un conseil des mines était nécessaire. Les inconvénients qui se sont présentés sous l'ancien gouvernement, même avec le conseil d'Etat, ces inconvénients sont aujourd'hui oubliés ; mais, soyez bien persuadés, messieurs, que sous le régime de la loi nouvelle, ils ne tarderaient pas à reparaître. Les ministres ne passeront jamais pour être à l'abri des influences politiques, et ils ne présenteront jamais les mêmes garanties qu'un corps désigne spécialement pour l'examen des questions de mines.

Je dois refuser mon assentiment à l'article 11. Je voterai contre cet article, de même que j'ai voté contre l'article premier.

M. Lebeau. - Messieurs, comme je suis opposé au principe du projet de loi, je ne proposerai pas d'amendement ; mais si j'étais favorable au principe du projet, je proposerais immédiatement d'élaguer du texte de la loi les mots : « conseil des ministres» et de déférer purement et simplement au chef du département auquel ressortissent les mines, la décision dont il s'agit dans l'article actuellement en discussion. Je le ferais, messieurs, parce qu'enfin, s'il y a là dans cette matière une responsabilité telle quelle, au moins cette responsabilité serait sérieuse, tandis que, quelle que soit la bonne volonté que les collègues du ministre des travaux publics apportent dans l'exercice de cette nouvelle partie de leurs attributions, il est à peu près démontré que, les nombreux travaux dont ils sont accablés présentant si peu d'analogie avec les travaux relatifs aux concessions de mines, leur examen sera forcément assez superficiel.

Il est évident, messieurs, que, dans la pratique, chacun des collègues du ministre des travaux publics se bornera à lui demander : « Avez-vous fait un examen approfondi de la question? Répondez-vous que tout a été bien vu par vos subordonnés? Etes-vous parfaitement renseigné? Eh bien, cher collègue, nous sommes de votre avis. » Voilà comment les choses se passeront. Il ne faut pas s'imaginer que chaque ministre va examiner les dossiers de pareilles affaires. Cela est matériellement impossible ; ou bien il faudrait attendre des années avant que les parties intéressées pussent espérer une solution. Déjà aujourd'hui, qu'il y a un tribunal unique et un ministre unique chargé de statuer, ces affaires sont è peu près interminables.

Ensuite, messieurs, qu'est-ce que c'est que le conseil des ministres ? Dans quelle loi a-t-on consacré l'existence d'un conseil des ministres ? Combien faut-il de ministres présents pour constituer le conseil des ministres ? Qu'arrivera-t-il si, comme on l'a vu plusieurs fois, un ministère se trouve réduit à 3 ou 4 membres, dont 2 ou 3 font l’interim? Dans un conseil quelconque, il y a d'habitude un président et un secrétaire ou un greffier, qui est-ce qui donnera l'authenticité aux actes du conseil des ministres? Sera-ce le secrétaire général du département des travaux publics? On n'en dit rien. Tout sera livré au hasard, à l'aventure.

Ensuite, messieurs, on voit souvent dans les journaux qu'il y a eu un conseil des ministres qui a été présidé par Sa Majesté ; est-ce qu'un conseil des ministres de cette nature peut statuer sur une demande en concession de mines, en maintenue ou en extension? Je demande pardon de faire allusion à un personnage dont le nom doit rester étranger à nos débats; mais enfin il faut bien signaler tous les inconvénients de cette étrange disposition.

Ainsi, messieurs, si j'étais partisan de la loi, je ferais très sérieusement la proposition de déférer la décision au ministre des travaux publics seul, sauf à lui, comme chaque ministre peut le faire, de prendre, dans des circonstances graves, l'avis de ses collègues; mais je ne l'insérerais pas dans la loi, parce que je ne sais pas ce que c'est que le conseil des ministres, légalement parlant.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Comme la chambre vient de l'entendre, c'est le principe même de la loi qui est mis en discussion. Ce principe étant déjà consacré par un vote, je n'y reviendrai pas. Je répondrai seulement aux observations faites par l'honorable M. Lebeau.

Cet honorable membre a dit : « Lorsque le ministre des travaux publics soumettra une affaire au conseil, l'examen de ses collègues se bornera à lui demander si l'affaire a été régulièrement instruite, et sur sa réponse affirmative, le conseil donnera, sans examen ultérieur, son adhésion à la mesure qui lui sera proposée. » Je crois pouvoir répondre, messieurs, que c'est, en effet, de cette manière que les choses se passeront le plus souvent. Pourquoi? Parce que dans le plus grand nombre de cas il n'y a pas de débat sérieux, il n'y a pas de parties litigantes.

M. Lesoinne. - C'est une erreur.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Ce n'est pas une erreur. C'est un fait et un fait qui a été attesté par M. Fallon dans la discussion de la loi qui a institué le conseil des mines. M. Fallon a été, à cette époque, le premier à reconnaître que le plus grand nombre des affaires de cette nature n'exigent pas même un examen sérieux. Les demandes en concessions de mines qui donnent lieu à de graves difficultés sont très rares, et lorsqu'il s'en présentera, soyez-en persuadés, messieurs, le conseil des ministres ne se bornera pas à demander au ministre des travaux publics, si l'affaire a été régulièrement instruite, et le ministre lui-même ne se bornera pas à dire à ses collègues : « J'ai examiné l'affaire ; ayez confiance en moi, signez l'arrêté que je vous propose. »

Alors le point de la difficulté, du doute sera signalé à tous les ministres, et tous délibéreront sérieusement, parce que tous sauront que leur responsabilité est en jeu. Ce qu'une question semblable présente de difficile, se résume presque toujours en un point de droit ou de fait très simple; et, lorsque le ministre des travaux publics le présentera au conseil dégagé des formalités de l'instruction, le conseil tout entier pourra l'aider efficacement de ses lumières.

M. Lesoinne. - M. le ministre a dit que, dans la discussion de la loi sur les mines, M. Fallon avait fait remarquer que les trois quarts des demandes en concession ne présentaient pas de difficulté ; je ne sais pas si l'honorable M. Fallon est encore du même avis aujourd'hui, après avoir siégé au conseil des mines pendant une dizaine d'années ; mais ce qui est certain, c'est que les demandes en concession qui présentent le plus de difficulté restent encore en presque totalité à être examinées, ce sont les demandes en concession de mines métalliques. Eh bien, M. le ministre des travaux publics vient de dire que lorsqu'il y aurait un point de difficulté à résoudre, les collègues du ministre des travaux publics ne s'en rapporteraient pas uniquement à lui, mais qu'ils examineraient l'affaire avec le plus grand soin pour mettre leur responsabilité à couvert.

M. le ministre des travaux publics ainsi que ses collègues sont remplis des meilleures intentions, mais ils ne se sont peut-être pas bien rendu compte du travail nouveau dont ils veulent se charger; mais en supposant même qu'ils puissent s'en acquitter convenablement, ils ne sont pas éternels, et leurs successeurs auront-ils le même zèle et le même bon vouloir?

Quant à la responsabilité ministérielle qu'on a fait valoir encore, je demanderai ce que c'est que la responsabilité ministérielle dans les affaires d'intérêt privé? Qu'importe au public que ce soit à MM. tel ou tel qu'on ait accordé ou refusé une concession de mines? Nous ne pouvons donc trouver là la moindre garante.

M. Dumortier. - Messieurs, l'article en discussion résume toute la loi. Je ne puis admettre avec M. le ministre des travaux publics que le principe qu'il consacre ait été décidé par le vote de la chambre ; la chambre ne l'a pas décidé. Elle a voté sur la question du maintien du conseil des mines et rien de plus. Jusqu'ici, elle n'a rien décidé quant aux garanties nouvelles qui doivent entourer les concessions de mines.

Comme on vient de le dire, il n'existe plus en réalité aucune espèce de garantie dans la loi. Quand un pareil projet a été présenté en 1831, demandant que les richesses minières du pays fussent concédées par le gouvernement, il s'est trouvé un concert unanime de tous les membres de la chambre pour le repousser.

En 1837, quand nous avons fait la loi sur le conseil des mines, il y avait une minorité considérable contre cette loi. Mais pourquoi cette minorité était-elle contraire à la loi ? Parce qu'elle n'y trouvait pas encore assez de garanties. Mes honorables amis, MM. Gendebien, Dubus et Dechamps proposèrent alors de faire concéder les mines par une commission de cinq personnes, dont une seule nommée par le ministère et les quatre autres prises dans le sein de la cour de cassation et désignées par la cour elle-même.

Voilà ce que nous voulions dans la loi, nous minorité de cette époque. Nous étions contraires à la loi sur le conseil des mines, par ce seul et unique motif qu'elle n'offrait pas encore assez de garanties.

Lorsque nous fîmes la loi de 1837, il y avait 80 demandes en concession de mines; aujourd'hui, il y en a 150, c'est-à-dire à peu près le double ; et remarquez que bien de nouvelles demandes seront adressées dans l'avenir, car on commence seulement à s'occuper des recherches minérales proprement dites. Et c'est dans un pareil moment que vous supprimez toute espèce de garantie dans la loi, que vous allez investir le conseil des ministres du droit de concéder arbitrairement les mines, les immenses richesses que renferme notre sol.

Messieurs, la plus grande garantie qu'offrait la loi de 1837 était celle-ci : C'est qu'aucun membre du conseil des mines, soit par lui-même, soit par ses parents, ne pouvait être intéressé dans leur demande en concession de mines. Je proposerais à la chambre d'insérer dans le projet de loi une disposition semblable et applicable au conseil des ministres, car il faut des garanties pour l'avenir.

Messieurs, rappelez-vous ce qui s'est passé sous le gouvernement des Pays-Bas; alors on a eu l'immense scandale de voir un ministre se donner à lui-même, sous le nom d'une société anonyme, les mines qui se trouvent sur la moitié du territoire de toute une province belge. (Interruption.)

Il y avait, me dit-on, un conseil d'Etat; mais ce conseil était purement consultatif. Or, c'est précisément pour empêcher de pareils abus que, par la loi de 1837, nous avons voulu que le gouvernement ne pût pas concéder à d'autres personnes qu'à celles désignées par le conseil des mines. C'était là une garantie contre le favoritisme et la concussion.

Quelle garantie avez-vous dans le nouveau projet de loi ? Ces garanties je les cherche en vain. Je suis convaincu que les ministres actuels et surtout l'honorable M. Rolin dans lequel, je ne puis assez le répéter, (page 937) j'ai toute confiance, ne commettront pas de semblables abus; mais vous ne faites pas la loi seulement pour l'honorable M. Rolin, mais vous la faites encore pour tous les ministres qui viendront après lui; et qui peut prévoir que de pareils abus ne se reproduiront pas dans l'avenir?

Je ne conçois pas qu'on veuille aujourd'hui supprimer toute espèce de garantie, et que ce soit précisément une chambre libérale qui opère de la sorte. Je déplore amèrement un projet de loi comme celui qui nous est présenté; je désire de tout mon cœur que ce projet n'amène pas des abus tels qu'on doive la nommer un jour : la loi des pots-de-vin.

Si je veux des garanties dans la loi, c'est dans l'intérêt de l'ordre que je demande des garanties. J'ai beau chercher des garanties dans le projet de loi, je n'y en trouve pas.

Le conseil des ministres est, dit-on, responsable!... Mais comme l'a très bien fait remarquer l'honorable M. Lesoinne, jamais on n'imaginera de soulever une question de responsabilité ministérielle, à cause que dans une affaire d'intérêt privé, le cabinet aura préféré Pierre à Paul. Et puis, si un abus a lieu, vous ne pourrez faire aucune réclamation. Quand M. le ministre des travaux publics aura fait son rapport devant ses collègues, ce rapport ne sera pas connu, tandis qu'aujourd'hui le rapport du conseil des mines est signifié à tous les demandeurs, et quand ils trouvent que ce rapport est partial, ils ont un recours en cassation devant le ministère. Ce recours n'existera plus aujourd'hui. Toute espèce de garantie est donc supprimée dans le projet de loi. Ce projet est donc funeste, fatal, et pour mon compte, je le dis sincèrement à la chambre, à l'exception du projet de loi des 24 articles, je n'ai pas vu depuis 1830 un projet de loi aussi funeste que celui-ci. (Interruption.)

Les amateurs de la suppression du conseil des mines peuvent avoir une opinion différente, mais je puis exposer la mienne.

Il n'y a donc aucune espèce de garantie dans la loi qu'on nous propose. J'aurais voulu que des garanties nouvelles y fussent introduites par la commission ou du moins qu'on eût remplacé les anciennes garanties par d'autres garanties équivalentes. Qu'est-ce qu'une concession de mines? C'est un jugement entre des intéressés, tellement que l'article en discussion porte en termes exprès que l'arrêt sera rendu dans la forme des jugements.

Or, la division des pouvoirs est une question élémentaire en matière de gouvernement constitutionnel ; cependant le ministre, le pouvoir exécutif va être établi, par la loi, juge entre les particuliers, et ce jugement arbitraire et sans appel a lieu en matière de préférence, et en présence d'intérêts d'autant plus passionnés, d'autant plus actifs qu'il s'y agira de valeurs plus considérables. Je vous le demande, n'est-ce pas là le renversement de toutes les maximes constitutionnelles? Autrefois on disait : Le roi règne et ne gouverne pas; aujourd'hui on pourra dire: Les ministres gouvernent et jugent.

Messieurs, veuillez-le remarquer, les travaux du conseil des mines ne se bornent pas seulement à des concessions. Il y a encore les avis du conseil des mines qui s'étendent à une foule de questions et de matières. Eh bien, qui donnera désormais cet avis? Les députations? Mais alors vous n'aurez plus d'homogénéité ; Liège émettra un avis dans un sens, Namur dans un autre, le Hainaut dans un troisième sens; vous aurez autant de législations que de provinces. On vous parle d'économies, mais veuillez bien le remarquer, c'est un leurre.

Si M. le ministre veut remplacer l'ancien conseil des mines, vous n'aurez pas les économies qu'on vous promet. On a parlé de 60,000 francs par an. Mais les bureaux des mines doivent être conservés, leur travail continuant comme autrefois; toute la différence, c'est que les bureaux qui instruisent aujourd'hui les affaires de mines seront transférés au département des travaux publics; il n'y aura qu'un changement de domicile; pas un seul employé ne pourra être supprimé. Comme le ministre devra préparer toutes les questions, tous les avis si compliqués que soulève l'exploitation, bientôt on vous demandera un chef de division des mines, un directeur, des employés supérieurs pour effectuer les travaux préparatoires que le ministre n'a pas le loisir de faire, et quand vous aurez tenu compte des traitements d'attente des conseillers actuels et de ceux des fonctionnaires nouveaux, vous verrez que vous payerez une somme aussi forte, peut-être même plus forte qu'aujourd'hui.

Quand une question est instruite, a dit M. le ministre, elle se réduit à un point extrêmement simple. Je crois savoir que M. le ministre est dans une complète erreur. Je tiens d'un ancien collègue, qui a siégé longtemps parmi nous et est aujourd'hui conseiller des mines, qu'il est telle question soulevée par une demande en concession de mine pour laquelle lui-même a dû travailler six semaines sans désemparer.

Je vous le demande, est-ce que le ministre pourra consacrer six semaines à l'examen d'une seule question? Evidemment c'est impossible, à moins de négliger toutes les affaires de son département. Des questions de ce genre, il peut s'en présenter chaque jour ; il faut qu'elles soient traitées par des employés supérieurs; ces employés supérieurs il faudra les payer, et alors adieu les économies qu'on présente comme résultant de la suppression du conseil des mines.

Messieurs, les questions de concession ne sont pas aussi simples que le dit M. le ministre des travaux publics. J'ai été au conseil des mines, et j'ai été effrayé en voyant l'importance des dossiers qui se rattachent à chaque affaire ; j'en ai vu de tellement volumineux qu'un homme pourrait à peine les porter. On vous présente cela comme de questions excessivement simples; moi je dis que vous arrivez à un résultat nécessaire. Vous supprimez le conseil des mines; vous allez donner ses attributions non au ministre, mais à la bureaucratie, qui n'a pas de responsabilité, dont la signature ne paraît pas sur l'arrêté, n'est nulle part; c'est elle qui donnera toutes les concessions de mines, qui traitera toutes les questions de maintenue ou d'extension de concession et les questions si délicates de la suspension des travaux. Vous allez mettre les exploitations de mines en telle position, qu'ils vont être jugés par ceux avec lesquels ils sont constamment en contestation. Ceux qui habitent des districts miniers vous diront qu'il y a presque toujours lutte entre les exploitants de mines et les ingénieurs, et par votre loi, vous arrivez à ce résultat que vous rendez, dans ces questions si graves et si délicates, les ingénieurs juges et parties, que vous mettez les exploitants à leur merci. Ce résultat, je n'en veux à aucun prix. Puisqu'on ne nous présente pas de garantie, je ne vois pas d'autre moyen d'en avoir que de reprendre la disposition qui se trouve dans la loi instituant le conseil des mines et de l'appliquer aux ministres. C'est ce que je propose par amendement.

Un honorable membre me dit : Et les députations! Je voudrais qu'on pût appliquer la disposition aux députations.

Mais il y a une chose qu'il faut remarquer : Les députations se composent de membres appartenant à la province ; autant vaudrait récuser tous les membres de la députation ; dans les provinces minières tous les membres de la députation sont intéressés dans les mines de la province. Dans une demande d'extension de concession, on a le plus grand intérêt à ce que telle personne ne l'obtienne pas; vous allez faire juger la question par des propriétaires de mines qui seront juges dans une question où ils sont intéressés. Si pour les contestations ordinaires pareil moyen de les vider était proposé, il serait repoussé par l'assemblée. Vous le voyez il n'y a plus de garantie.

Je demanderai à M. Tesch, qui m'interrompt, par quelles garanties il veut remplacer les anciennes. Pour moi je n'en vois aucune dans la loi présentée; si une pareille loi eût été présentée par les ministres précédents, il n'y eût pas eu assez de sifflets en Belgique pour huer des ministres aussi envahisseurs. Quand une proposition semblable fut faite en 1831, il y eut dans cette chambre un tollé général pour la repousser, et on lui a substitué un comité composé d'un membre nommé par la chambre, un membre nommé par le sénat et deux membres de la cour de cassation nommés par elle, et un seul membre nommé par le gouvernement.

Voilà le premier conseil qui a été chargé d'examiner les concessions de mines. Plus tard nous avons fait la loi constituant le conseil des mines; nous n'y trouvions pas encore assez de garanties et nous avions présenté un amendement admis au premier vote, qui, sur 5 membres dont devait se composer le conseil, en faisait nommer 4 par la cour de cassation dans son sein et un seul par le ministre. Voilà ce que voulait alors la minorité ; elle voulait des garanties plus grandes encore contre l'arbitraire ministériel, et cependant alors nous n'avions pas eu les exemples fâcheux qui se sont passés depuis à nos côtés.

Pour moi, messieurs, je veux pour mon pays que le pouvoir reste pur et qu'on ne puisse pas le soupçonner. Dans ces questions de préférence où il n'y a pas de droit absolu, quelle que soit leur droiture, les ministres seront inévitablement soupçonnés par les intérêts vivaces et passionnés qu'ils auront même justement froissés. J'aime mieux la condition actuelle des ministres lorsqu'ils sont au-dessus de tout soupçon, que de les voir exposés au soupçon quand ils auront, suivant le droit le plus rigoureux, accordé une concession minérale.

Je veux pour mon pays que le ministère ne puisse pas être soupçonné. C'est pour cela principalement que je m'oppose à laisser au ministère les concessions de mines qui sont une des plus grandes richesses du pays.

Les habitants des provinces qui ne sont pas minières ne connaissent pas l'importance des mines. Mais c'est une chose digne d'attention que le capital des sociétés formées depuis 1830 s'élève à la somme de près de 2 milliards de francs. Or, ces concessions ne représentent guère que le dixième des richesses minières du pays. D'après cela, les mines du pays représenteraient une valeur de 20 milliards. Il est certain que dans les provinces qui ne sont pas minières on ne se fait aucune idée de l'importance de ces richesses. Moi-même j'ai vu offrir, en ma présence, 12 millions de francs pour une mine de houille.

Je vous le demande, cela ne mérite-t-il pas quelques garanties? La chambre en jugera dans sa sagesse comme elle l'entendra. Maïs je ne saurais admettre qu'il y a dans le projet en discussion des garanties suffisantes.

Messieurs, j'ai combattu l'absence de garanties en 1831 et en 1837. Je suis conséquent avec moi-même en combattant cette même absence de garanties en 1848. Je refuserai donc mon vote à une loi qui peut devenir une source de corruptions de tout genre et que je regarde comme la plus fatale que l'on puisse nous présenter en matière d'intérêts matériels et de la dignité du pouvoir.

M. le président. - M. Dumortier vient de déposer l'amendement suivant, qui fait partie de la discussion :

« Aucun ministre ne pourra, ni par lui ni par ses parents, jusqu'au quatrième degré, être intéressé dans les mines demandées en concession. »

M. Lelièvre. - Nous pensons que le projet qui vous est soumis présente les garanties nécessaires pour sauvegarder les intérêts engagés en matière de mines. Toutes les pièces de l'instruction reçoivent la publicité la plus étendue. L'avis de la députation permanente du conseil provincial, qui résume les moyens des parties et les questions soulevées, est publié textuellement. N'est-il pas vrai que tout citoyen est mis à même de juger de quel côté se trouve la vérité ? En présence de semblables dispositions, je ne (page 938) conçois pas même la possibilité d'une injustice, qui deviendrait éclatante aux yeux de tous.

C'est en ces circonstances que la sentence est rendue par des ministres responsables, par des hommes dont le public est mis à portée d'apprécier la décision, par des hommes qui ne peuvent, comme un collège, décliner une responsabilité personnelle. Je vous avoue, messieurs, que cet état de choses doit rassurer les esprits les plus soupçonneux.

Si nous devions faire le procès au principe de l'institution du conseil des mines, il ne nous serait pas difficile de produire des objections d'une tout autre valeur que celles qu'on déduit contre le projet.

Nous représenterions le ministère ayant action directe sur des fonctionnaires amovibles, relevant de lui, nommes par lui, exerçant son empire sur eux lorsqu'il s'agit d'accorder une concession, et s'abritant derrière cet avis pour couvrir sa responsabilité.

Nous le représenterions influant sur ce même corps, lorsqu'il s'agit de refuser une concession à un ennemi politique, à l'adversaire d'un protégé, d'un agent électoral dont on a intérêt à se ménager les services.

Nous vous représenterions l'influence immense d'un rapporteur qui peut céder à des obsessions et dont l'avis tranche ordinairement le débat soumis au conseil, tandis que la responsabilité de l'avis pèse sur le corps entier et par suite n'atteint personne individuellement. Les motifs qui précèdent étaient ceux que l'honorable M. Dumortier faisait valoir en 1837, contre l'institution dont il s'agit. Dans notre système, au contraire, c'est un ministre du Roi qui répond devant le pays d'un acte posé au grand jour, alors que les éléments de l'instruction sont connus de tous ; et certes, ce n'est pas en présence d'une presse vigilante qu'un fonctionnaire placé au fait du pouvoir, s'exposerait à sacrifier son honneur, sa dignité, son existence en sanctionnant une injustice, si même il avait pu en concevoir la coupable pensée.

L'acte, d'ailleurs, n'émane pas d'un seul homme; il est délibéré avec des collègues, hommes les plus éminents du pays par leurs lumières et leur probité.

Exiger davantage, messieurs, c'est à notre avis porter la défiance jusqu'à l'exagération, c'est faire le procès à toute institution humaine, présentant les plus solides garanties, car il n'en est aucune que l'on ne puisse combattre par les motifs déduits contre le système de la section centrale. Ces susceptibilités outrées je ne puis les partager, et en proclamant que la publicité extraordinaire admise par le projet et rapprochée des autres dispositions, sauvegarde les intérêts privés d'une manière aussi efficace que l'institution du conseil des mines, j'obéis au sentiment de la plus profonde conviction.

Un mot sur l'amendement de l'honorable M. Dumortier. Cet amendement tend à porter atteinte à des intérêts privés qui compéteraient à des ministres comme propriétaires du sol ou à tout autre titre. L'obligation du ministre en pareil cas est de s'abstenir de prendre part au jugement. Il doit se retirer de la délibération, mais il n'est pas possible d'accueillir un amendement dans les termes de celui proposé par notre honorable collègue.

M. Rousselle renonce à la parole.

M. Tesch. - J'ai demandé la parole lorsque l'honorable M. Dumortier m'a interpellé sur la question de savoir si la loi offre des garanties suffisantes. La chambre l'a décidé en adoptant l'article premier. J'ai l'habitude de me soumettre aux décisions de la chambre. Une discussion à ce sujet serait oiseuse et nous ferait perdre un temps qu'on serait en droit de nous demander d'employer plus utilement.

Quant à l'amendement de l'honorable M. Dumortier, je ne dirai qu'un mot; c'est qu'il est impossible dans l'application.

L'existence du ministère dépendrait non pas seulement de lui, mais de tous ses parents jusqu'au quatrième degré. L'honorable M. Dumortier défend à un ministre d'être intéressé, soit par lui, soit par ses parents jusqu'au quatrième degré, dans une concession de mines. Vous ne pouvez défendre aux parents d'un ministre d'être intéressés dans des demandes en concessions de mines.

Il suffira qu'un frère ou un cousin du ministre ait un intérêt de ce genre pour qu'immédiatement un ministre doive donner sa démission. Je vous demande si c'est admissible. Cela vous démontre que l'amendement est inacceptable.

M. Dumortier. - L'honorable préopinant n'a pas compris l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer.

M. Tesch. - Il est inintelligible.

M. Dumortier. - Il est très clair. Il s'agit, non pas d'intérêt dans des concessions de mines accordées, mais de demandes en concessions concernant un parent du ministre et sur lesquelles il devrait statuer.

M. Tesch. - Soit ! Il suffira qu'un parent du ministre demande une concession pour que celui-ci doive immédiatement donner sa démission.

M. Dumortier. - Je demanderai à l'honorable M. Tesch si lui, avocat, consentirait à ce que le frère de sa partie adverse siégeât comme juge dans le tribunal d'Arlon.

M. Tesch. - Il devrait s'abstenir !

M. Dumortier. - L'honorable M. Tesch me fait dire ce que je n’ai pas dit.

Cela n'y est pas du tout, et en voici la preuve.

Voici ce que je dis : a Aucun ministre ne pourra, ni par lui, ni par les siens, ni par ses parents jusqu'au quatrième degré, être intéressé dans les mines demandées en concession. »

M. Tesch. - Il devra donc donner sa démission.

M. Dumortier. — Il fera comme il voudra. S'il préfère une concession de mines à un ministère, il donnera sa démission. Il est possible que vous voyiez des ministres qui seront de ce goût. Il y en a plusieurs qui se sont trouvés dans des conditions pareilles. Il y en a même qui se sont accordé la concession de la moitié d'une province sans donner leur démission. C'est un goût comme un autre.

Au reste, messieurs, il n'est pas entré dans ma pensée qu'un ministre devrait donner sa démission parce que le conseil des ministres serait appelé à prononcer sur une demande en concession dans laquelle il serait directement ou indirectement intéressé. J'ai modifié mon amendement précisément pour faire disparaître l'objection qui, selon moi, n'a aucune valeur. Voici comment j'ai rédigé mon amendement : « Aucun ministre ne pourra être personnellement intéressé dans une demande en concession ou en extension. Il ne pourra prendre part à aucune délibération du conseil des ministres, relativement à une demande dans laquelle sera intéressé un membre de sa famille jusqu'au 4e degré inclusivement. »

M. Destriveaux. - Messieurs, j'ai voté avec la minorité de la chambre contre l'adoption de l'article premier. Je ne crois pas que la décision qu'a prise la majorité de la chambre, et qui jusqu'à présent n'est pas définitive, puisqu'elle ne sera définitive que par le vote sur l'ensemble de la loi, je ne crois pas, dis-je, que la décision de la chambre puisse m'empêcher de répéter d'une manière très abrégée les raisons qui me font persister dans l'opposition que j'ai exprimée.

S'il ne s'agissait pas ici d'une question d'économie, je demande si l'on aurait imaginé la suppression du conseil des mines. C'est donc en ce moment l'économie, le principe d'économie qui domine toute la discussion. Or, cette nécessité d'une économie qui, d'après les évaluations, n'est pas extrêmement considérable, peut-elle être assez puissante pour renverser une institution à laquelle on a donné des éloges?

Dans presque tous les pays de l'Europe où le système minéralogique a pris une grande extension, on sent la nécessité d'établir des administrations, des espèces de tribunaux spéciaux pour connaître de toutes les matières qui intéressent la métallurgie. Dans les provinces qui constituent aujourd'hui le royaume de Belgique, dès la plus grande antiquité il existait des conseils connaissant de toutes les questions qui concernent les mines. Après la révolution que nous avons éprouvée, on a senti le besoin de maintenir le principe de cette organisation et de la formuler de manière à donner des garanties.

Je passe rapidement sur le détail des faits et j'arrive au conseil des mines.

Le conseil des mines a été établi après une très longue discussion, après une discussion très lumineuse, discussion qui avait lieu uniquement sur le principe de l'établissement, et qui n'était pas dominée ou amenée par un principe tout à fait différent. Car le principe d'économie est tout à fait en dehors de l'appréciation de l'utilité du conseil des mines.

Ainsi donc, entraînés par le désir d'une économie qui ne sera pas considérable, nous voulons, dans notre pays, établir un régime contraire à tous les antécédents du pays même, contraire à tous les principes qu'ont formulés la plupart des pays étrangers dans lesquels il y a des mines.

Il faudrait, si je ne me trompe, que l'on pût reprocher à la marche, à la tendance du conseil des mines ou des fautes graves ou tout au moins qu'il fût possible de prononcer contre lui une sentence d'inutilité. Or, le conseil peut-il être considéré comme inutile?

On a invoqué l'autorité d'un homme honorable qui, lors de la première discussion, a dit que la plupart des demandes en concession, en extension, en maintenue, étaient de telle nature qu'il n'y avait pour ainsi dire qu'à lire les pièces pour être en état de décider. Eh bien ! d'après les tableaux qui ont été produites, tableaux sur lesquels l'attention spéciale de la chambre a été appelée, il est constant que sur mille affaires qui ont été décidées, il y en a 370 dans lesquelles on a dû prendre des renseignements particuliers, faire une instruction toute particulière, et l'on a eu à statuer sur des intérêts qui sont liés avec la question principale, mais qui cependant étaient d'une nature différente.

Or, peut-on dire que rien n'est plus facile que de décider de semblables questions? Peut-on dire que le conseil des mines est inutile? C'est comme si l'on disait que les tribunaux sont inutiles parce qu'ils ont souvent à décider des causes qui ne demandent qu'une exposition pour qu'on puisse en connaître.

M. le président. - Nous revenons à la discussion de l'article premier.

M. Destriveaux. - Vous me pardonnerez, M. le président. Je suis dans la question. L'article 11, qu'est-ce qu'il est? Il est la mise en œuvre du principe de l'article premier. Or, n'admettant pas le principe de l'article premier, je suis dans les termes d'une discussion véritable et régulière, lorsque je m'oppose, par des raisons qui conviennent aux deux articles, à l'admission de l'article 11

Messieurs, ce que je dis ici, ce n'est pas précisément pour ramener une partie de mes collègues qui paraissent avoir une opinion formée ; mais c'est pour exprimer une dernière fois ma profonde et intime conviction. D'un côté je vois les garanties disparaître; de l'autre côté, je ne vois rien d'équivalent.

On émet sur le conseil des ministres des appréhensions. On parle de récusations, d'intérêts particuliers. Mais si vous voulez exercer des récusations contre le ministère, à plus forte raison il faut en exercer contre (page 939) les députations. C'est une observation qui ne doit échapper à aucun de nous : c'est que les députations permanentes ont une bonne partie de l'instruction dans leurs attributions; quant à la décision, elle appartiendrait, dans le système de la loi, aux ministres.

Or, y a-t-il des raisons de récuser celui qui prend la décision, raisons qui n'existent pas pour celui qui fait l'instruction ?

La récusation se fait contre les juges, mais se fait-elle contre les agents qui se livrent à une instruction quelconque? Il faudrait des cas spéciaux extrêmement rares pour que cette dernière récusation eût lieu.

Je trouve donc, messieurs, que toutes les garanties disparaissent et qu'on ne rencontre pas dans la décision déférée au conseil des ministres l'équivalent de celles que présentait l'ancien ordre de choses.

Enfin, l'inspecteur des mines, je vous avoue, messieurs, que j'en suis à me demander ce que c'est qu'un inspecteur des mines. Est-ce un fonctionnaire chargé d'examiner les différentes mines du royaume, d'examiner les travaux qu'on y fait ou d'examiner les travaux faits à cet égard par les ingénieurs aux différents degrés? Cette inspection, je ne vois pas d'où elle tire son origine, je n'en vois pas l'utilité et je ne vois pas quelles lumières elle peut fournir aux ministres.

Ainsi, messieurs, sans prolonger davantage ces observations, je vous dirai que dans l'ensemble de la loi, et dans la plus grande partie de ses détails, je vois la substitution d'une institution bâtarde à une institution véritablement applicable à la matière, à une institution dont il est impossible de nier la compétence. Je dirai que je vois disparaître d'un côté des garanties véritables et ne présenter, de l'autre, que des garanties factices. Je le répète, je ne parle que de l'institution ; les hommes, je ne les juge que par leurs actions, et quand je rencontre des actions honorables je les juge d'une manière honorable; aussi je désire que toutes leur ressemblent, mais c'est souvent, je dois le dire, un simple souhait.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, je n'ai qu'une simple observation à faire au sujet de l'amendement de M. Dumortier, c'est qu'il serait nécessairement dépourvu de toute sanction. Pour la récusation que l'on peut exercer contre les conseillers des mines, il y a une sanction réelle, et je prie la chambre de remarquer où le législateur de cette époque avait cru devoir la placer. L'article 6 de la loi de 1837 porte :

« Tout membre du conseil des mines peut être récusé pour les causes qui donnent lieu à la récusation des juges, etc.

« Le ministre, après avoir entendu le membre récusé, statuera sans retours ultérieur. »

On comprend qu'il fallait, en effet, un juge des causes de récusation qui pourraient être alléguées. Ce juge, c'était le ministre; c'est en lui que le législateur de 1837 avait placé sa confiance ; mais si vous établissez des causes d'abstention ou de récusation contre les ministres eux-mêmes, qui en sera le juge? Vous êtes nécessairement conduits à en déférer le jugement à l'appréciation de leurs propres consciences.

N'en doutez pas : les causes d'abstention ou de récusation qui pourront exister contre l'un ou l'autre d'entre eux, seront infailliblement portées au grand jour de la publicité ; et dès lors, je vous le demande, quel serait le ministre assez osé pour se placer au-dessus du sentiment de réprobation qui s'élèverait dans tout le pays, s'il s'avisait de se porter juge dans sa propre cause ou dans la cause d'un de ses proches?

Il y a, messieurs, un changement de rédaction qui me paraîtrait de nature à satisfaire les honorables membres qui ont montré de la répugnance à consacrer l'existence d'un inspecteur des mines par une disposition législative.

L'honorable M. Destriveaux vous a dit, tout à l'heure, qu'il ne comprenait pas ce qu'un inspecteur des mines pouvait avoir à inspecter. Une supposition très simple lui permettra, je crois, de le comprendre : Une députation permanente estime qu'il y a lieu d'interdire l'exploitation d'une mine dans un des cas prévus par la loi ; l'interdiction est déférée au jugement du ministre; le ministre se trouve en présence de deux avis contraires, l'un de l'ingénieur en chef, l'autre de la députation permanente. Comment pourra-t-il s'éclairer, si ce n'est en envoyant sur les lieux l'agent qu'il a sous la main, pour lui demander un rapport sur l'état de la mine et sur les dangers que son exploitation présente.

Cependant je ne trouve aucun inconvénient à réserver la question et on peut le faire, me semble-t-il, d'une manière très simple en remplaçant les mots qui se trouvent dans le projet, par ceux-ci : « d'un officier des mines ayant au moins le rang d'ingénieur en chef. »

M. Destriveaux. - Messieurs, je n'ai pas dit que je ne concevais pas qu'on pût inspecter une mine, j'aurais dit une chose absurde ; mais j'ai dit que je ne concevais pas que tel ou tel fonctionnaire fût qualifié d'inspecteur des mines d'une manière générale. Quant au changement de rédaction proposé par M. le ministre, dans l'hypothèse que l'article fût admis, je ne dis pas que je me rallierais à ce changement, puisqu'il fait partie de l'article que je repousse, mais enfin je l'approuve.

- L'amendement de M. Dumortier est mis aux voix; il n'est pas adopté.

M. le président. - Nous avons maintenant l'amendement de la commission, qui est ainsi conçu :

« A l'expiration du délai fixé par l'article qui précède ou des délais qui auront été accordés pour rencontrer les réclamations ou oppositions produites, il sera statué par arrêté royal, délibéré en conseil des ministres et motivé dans la forme des jugements. »

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Si c'est une simple faculté pour le ministre, je me rallie à l'amendement de lu section centrale, et je retire ma rédaction.

- L'amendement de la section centrale est mis aux voix et adopte.

L'article 11 ainsi amendé est adopté.

Article 12

« Art. 12. Dans tous les cas où l'opposition, qui aurait été faite à fa demande, sera fondée sur la propriété de la mine acquise par concession ou autrement, les parties seront renvoyées devant les tribunaux et cours. »

- Adopté.

Article 13

« Art. 13. Les arrêtés que le ministre des travaux publics prendra en vertu des articles 49 et 50 de la loi du 21 avril 1810 et des articles 4 et 7 du décret impérial du 3 janvier 1813, seront toujours motivés. »

La section centrale propose la rédaction suivante :

« Les arrêtés que le ministre des travaux publics prendra, en vertu des articles 49 et 50 de la loi du 21 avril 1810 et des articles 4 et 7 du décret impérial du 3 janvier 1813, ne pourront être rendus qu'après avoir pris l'avis de la députation permanente du conseil provincial. Ils seront toujours motivés.

« Il n'est point dérogé, par la disposition précédente, à l'exécution provisoire, dans les cas d'urgence, des mesures ordonnées soit par la députation permanente soit par les ingénieurs des mines conformément aux lois existantes. »

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, je pense que le premier paragraphe , proposé par la section centrale, est inadmissible. La section centrale aura perdu de vue une disposition de la loi qui ne saurait se concilier avec celle qu'elle propose.

En effet, il ne peut s'agir, dans le cas prévu par la disposition en discussion, de prendre l'avis de la députation permanente, puisque c'est elle qui provoque l'action du gouvernement en portant une mesure de police en premier degré. La consulter de nouveau, ce serait l'inviter à se prononcer sur le mérite de la mesure qu'elle-même aurait prise.

Le second paragraphe de l'amendement est inutile ; il était nécessaire, lorsqu'on soumettait ces affaires au conseil des mines : il fallait bien dire alors qu'on ne dérogeait pas aux dispositions existantes pour les cas d'urgence.

La disposition de l'article 13 du projet de loi remet les choses dans leur état antérieur, dans l'état où elles étaient avant l'institution du conseil. Les droits de la députation ne dérivent pas de la loi du 2 mai 1837, mais du décret du 3 janvier 1813, qui permet l'exécution provisoire des arrêtés lorsqu'il y a urgence.

La loi du 2 mai a dit que cette disposition de l'arrêté du 3 janvier 1813 était maintenue. En abrogeant l'article de la loi qui a prononcé son maintien, s'ensuivra-t-il que l'arrêté du 3 janvier 1813 sera détruit ? Nullement. Car si la loi du 2 mai 1837 a cru devoir la maintenir en termes exprès, c'est en vue d'une institution dont l'existence aurait pu la faire considérer comme superflue. L'institution détruite, il est naturel que ce qui a été fait en vue de son existence disparaisse avec elle.

M. Lelièvre, rapporteur. - Messieurs, il est évident que lorsque l'on exige l'avis de la députation permanente, cette formalité est accomplie lorsque la proposition émane de ce collège, je ne vois donc pas d'obstacle à l'accueil de l'amendement proposé par la commission, surtout qu'il n'est pas clair que, dans l'état actuel de la législation, les arrêtés énoncés en l'article 50 de la loi de 1810 doivent nécessairement être portés sur la proposition formelle de la députation. Une disposition claire et précise sur ce point a en tout cas une utilité réelle.

D'un autre côté puisqu'il est entendu que le paragraphe 3 de la loi du 2 mai 1357 continuera à recevoir son exécution, il me paraît encore utile, sinon indispensable , d'accueillir la disposition additionnelle proposée dans le rapport de la commission ; la généralité de l'article 16 du projet fera nécessairement naître un doute qu'il est convenable de prévenir.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, il n'y a pas d'inconvénient à accueillir l'amendement; je pense seulement qu'il est inutile.

- La discussion sur l'article 13 et l'amendement qui s'y rattache, est close.

L'amendement de la section centrale se compose de deux parties.

M. Delfosse. - Au lieu de dire dans le premier paragraphe : « les arrêtés que M. le ministre des travaux publics prendra, etc., ne pourront être rendus qu'après avoir pris l'avis de la députation permanente; » il serait plus correct de dire : « les arrêtés, etc., devront être précédés de l'avis de la députation permanente, etc. »

M. le président. - Je vais mettre aux voix l'amendement de la commission.

- Plusieurs voix. - La division !

« Les arrêtés que le ministre des travaux publics prendra, en vertu des articles 49 et 50 de la loi du 21 avril 1810 et des articles 4 et 7 du décret impérial du 3 janvier 1813, ne pourront être rendus qu'après avoir entendu la députation permanente du conseil provincial. Ils seront toujours motivés.

« Il n'est point dérogé, par la disposition précédente, à l'exécution provisoire, dans les cas d'urgence, des mesures ordonnées soit par la députation permanente, soit par les ingénieurs des mines, conformément aux lois existantes. »

- Ces deux paragraphes sont successivement mis aux voix. Ils ne sont pas adoptés.

L'article du gouvernement est ensuite mis aux voix et adopté.

Articles 14 et 15

(page 940) « Art. 14. La déclaration d'utilité publique, dans le cas prévu par l'article 12 de la loi du 2 mai 1837, pourra être faite sur la proposition de la députation permanente du conseil provincial. »

- Adopté.

« Art. 15. Les dossiers des affaires dont le conseil des mines se trouvera encore saisi, au jour de la mise à exécution de la présente loi, seront renvoyés au département des travaux publics qui les transmettra, s'il y a lieu, à la députation permanente du conseil provincial dans le ressort duquel la mine sera située, pour les soumettre à l'instruction prescrite ci-dessus. »

- Adopté.

Article additionnel

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Avant de passer à l'article 16 et dernier, je proposerai la disposition suivante :

« Il sera statué, par arrêté royal motivé, dans tous les cas où l'intervention du conseil d'Etat est requise par les articles 38 et 64 de la loi de 1810, et par l'article 34 du décret impérial du 6 mai 1811. »

A la vérité il n'est jamais arrivé, sous l'empire de la loi de 1837, que le conseil des mines ait eu à statuer sur des affaires de cette nature, mais il suffit qu'il puisse s'en présenter pour que je croie utile de régler la forme dans laquelle il y sera statué.

M. Orts. - Je demanderai à M. le ministre si la disposition qu'il propose n'est pas contenue, en partie du moins, dans un des articles du projet.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je ne le pense pas.

Voici ce que portent les articles 38 et 64 du décret de 1810 :

(Le ministre donne lecture de ces deux articles.)

On le voit : les deux articles que je viens de citer avaient réglé, pour le cas qu'ils prévoient, l’intervention du conseil d'Etat. Il en est de même de l'article 31 de la loi du 6 mai 1811, aux termes duquel les abonnements des redevances au-dessus de 3,000 francs doivent être approuvés par un décret rendu en conseil d'Etat.

Or l’article premier de la loi du 2 mai 1837 a disposé que les attributions conférées au conseil d'Etat par la loi du 21 avril 1810 seraient exercées par un conseil des mines. Donc, en abrogeant cet article, il devenait nécessaire de prévoir dans quelle forme et par quelle autorité il serait statué à l'avenir dans les cas prévus.

- Le nouvel article 16, proposé par M. le ministre, est mis aux voix et adopté.

Article 16

« Art. 16 (devenu 17). Les articles 22 et suivants, jusques et y inclus 28, du décret du 21 avril 1810, et le titre premier de la loi du 2 mai 1837 sur les mines (Bulletin officiel, n°XXVII) sont abrogés. »

- Adopté.

Second vote des articles et vote sur l’ensemble du projet

M. le président. - Il n'y a eu d'amendement que le nouvel article proposé par M. le ministre.

- L'adoption de cet article est confirmée.


Il est ensuite procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi. En voici le résultat :

86 membres sont présents.

1 membre (M. Moxhon) s'abstient.

Nombre des votants, 85.

52 votent pour l'adoption.

33 votent contre.

La chambre adopte.

Ont voté l'adoption : MM. Rousselle, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Troye, Van den Berghe de Binckum, Van den Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Iseghem, Van Renynghe, Vilain XIIII, Anspach, Boedt, Boulez, Bruneau, Cans, Clep, Cools, Cumont, de Bocarmé, de Breyne, de Brouckere (Henri), Debroux, de Haerne, Delehaye , Delescluse, Delfosse, Deliége, de Luesemans, de Royer, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, Jacques, Jouret, Lange, Lelièvre, Liefmans, Loos, Manilius, Moreau, Orts, Osy, Peers, Pierre, Rodenbach, Rogier, Rolin et Verhaegen.

Ont voté contre : MM. Schumacher, Thibaut, Van Cleemputte, Van Hoorebeke, Vermeire, Veydt, Allard, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon , de Renesse, Destriveaux, Desoer, de Theux, Devaux, Dumortier, Lebeau, Lesoinne, Mascart, Mercier, Moncheur, Pirmez et Prévinaire.

M. Moxhon motive en ces termes son abstention. - Je me suis abstenu, parce que je suis persuadé de la nécessité où nous nous trouvons de réaliser toutes les économies équitables et possibles ; mais je n'ai pas trouvé dans le projet qui vous est soumis assez de garanties pour les particuliers en matière de concession ou d'extension de mines.

Projet de loi sur la réforme postale

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - La discussion continue sur l'article premier et sur l'amendement qui s'y rattache.

La parole est à M. le ministre des travaux publics.

(page 948) M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, à la fin de la séance d'hier, un honorable député d'Anvers a demandé que le gouvernement fît connaître à la chambre le montant de la recette du timbre sur les effets de commerce, depuis la mise en vigueur de la loi de 1848. Il a fait ressortir que « dans l'opinion du gouvernement, dont il faisait partie à cette époque, l'augmentation de recette, qui en serait résultée, aurait offert une compensation suffisante au déficit qu'allaient occasionner l'abolition du timbre des journaux et la réduction de la taxe des lettres, déjà arrêtée en principe. »

Il a pensé que « si le résultat financier était satisfaisant, il y aurait un fort bon argument à en tirer, pour faire un pas plus décisif dans la réforme postale. »

Je viens de vous donner connaissance des paroles mêmes prononcées, à la séance d'hier, par l'honorable M. Veydt.

Je me suis procuré les renseignements que l'on a désirés, les voici :

Pendant le mois de septembre 1848 (premier mois de la mise en vigueur de la loi sur le timbre des effets de commerce), le produit a été de 44,560 fr. 73, en octobre de 34,110 fr. 80, en novembre, de 30,114 fr. 35 et en décembre, de 32,230 fr. 31.

Le produit du mois de février n'est pas connu jusqu'ici.

Dans la séance du 19 décembre 1848, M. le ministre des finances, se basant sur les recettes connues, évaluait l'augmentation annuelle du produit du timbre sur les effets de commerce à 186,507 fr. 23 c. Les résultats obtenus et connus jusqu'à ce jour ont justifié ses prévisions.

En effet, les trois derniers mois de l'année 1848, comparés aux trois derniers mois de l'année 1847, donnent une augmentation de 44,000 fr. environ, soit une augmentation de 175,000 fr. pour l'année entière. Or, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, M. le ministre des finances avait annoncé à la chambre une augmentation probable de 186,507 fr. Donc l'augmentation réelle, loin de dépasser les prévisions du ministre, est restée en dessous.

D'un autre côté, on obtient, par l'augmentation de 5 p. c. sur les patentes, augmentation qui ne s'étend pas à toutes les patentes en général, mais seulement à certaines catégories, une recette en plus de 70.000 fr.

L'augmentation espérée par la loi sur le timbre des effets de commerce devait servir à combler partiellement le déficit qui serait résulté et de l'abolition du timbre des journaux et de l'adoption de la réforme postale. Or, l'abolition du timbre des journaux a eu pour résultat une diminution de recette de fr. 392,858-158 soit de 400,000 francs environ, calculée sur les recettes de 1847.

La réduction postale, telle que nous vous la proposons, c'est-à-dire au taux de 20 c, aurait pour résultat, d'après nos calculs, une diminution de recettes de 239,000 fr., soit ensemble 631,858 fr. Donc bien loin que l'augmentation du produit du timbre sur les effets de commerce, jointe à l'augmentation du droit sur les patentes, laisse un excédant suffisant pour permettre de doler le commerce d'une réforme postale à dix centimes, il y a impossibilité évidente, absolue, de combler, au moyen de cette double augmentation, le déficit résultant et de l'abolition du timbre des journaux, et de la taxe à vingt centimes.

J'ai parlé, messieurs, de l'augmentation de recettes résultant de la loi sur le timbre des effets de commerce. Mais vous n'aurez pas perdu de vue (l'honorable M. Veydt a eu soin de vous le signaler) que cette loi n'a pas créé une aggravation, mais une diminution d'impôt.

La loi a eu à la vérité pour effet d'assurer l'application des lois existantes ; mais le commerce n'est assurément pas en droit de s'en plaindre. Il a été placé dans la nécessité d'observer la loi, voilà tout ; mais le droit a été réduit.

J'ai dit que l'augmentation réalisée par cette loi et par la loi des patentes est bien loin de suffire pour combler le déficit opéré par l'abolition du timbre des journaux. A plus forte raison, ne peut-on y trouver une ressource pour combler le nouveau déficit, le déficit considérable que l'établissement de la taxe à 10 centimes aurait inévitablement pour conséquence.

On a parlé de l'aggravation de charges dont le commerce a été frappé par une loi récente sur le timbre des lettres de voilure. C'est une erreur. Cette loi, de même que la loi sur le timbre des effets de commerce, a opéré un dégrèvement, une diminution de charges, et l'on ne peut pas même prétendre qu'elle ait étendu l'application de l'impôt à des matières nouvelles. Elle n'a fait que consacrer législativement l'interprétation franche et raisonnable de la loi antérieure, la définition, l'entente légale du mot : lettres de voilure.

Le produit qu'on peut d'ailleurs attendre de cette mesure est tout à fait insignifiant et ne mérite pas d'être porté en ligne de compte, alors que nous parlons de réductions qui ont une importance de plusieurs centaines de mille francs.

Ainsi, messieurs, lors même qu'à l'époque de l'émanation de la loi sur le timbre des effets de commerce, on aurait promis au commerce de compenser par une nouvelle libéralité un prétendu accroissement de charges, vous voyez que la promesse serait généreusement, magnifiquement remplie, par la réduction de la taxe postale à 20 centimes, telle que nous la proposons.

(page 949) Au surplus, messieurs, si les souvenirs de l'honorable M. Veydt avaient été fidèles, il n'aurait pu élever aucun doute sur le sens et la portée de la compensation promise. Car c'est dans une seule et même séance, le 27 avril 1848, que le ministère a proposé à la chambre et la loi sur le timbre des effets de commerce et la loi sur la réforme postale qui est aujourd'hui en discussion. Par conséquent, dans la supposition que la réforme postale eût été promise au commerce en compensation d'une charge nouvelle qu'on lui aurait fait supporter, il est certain que le gouvernement a limité dès lors le chiffre de cette compensation, et que la législature, en votant la première loi, n'a pu se faire illusion sur les intentions du gouvernement à l'égard de la seconde.

S'il fallait une nouvelle preuve de ce que je viens de dire, je la trouverais dans les paroles qui ont été prononcées à cette époque par l'honorable ministre des finances M. Veydt. Voici ce qu'il disait :

« Il n'est pas exact qu'il y ait aggravation de charge pour le commerce; il y a, au contraire, dégrèvement à son profit. L'article premier du projet de loi réduit le droit pour les effets négociables inférieurs à mille francs; et, à partir de cette somme, le droit sera d'un demi par mille, soit cinquante centimes par mille francs, au lieu de soixante centimes, qu'impose la loi de 1839.

« Quel est le but du projet de loi en discussion ? C'est d'établir en faveur du trésor une compensation pour deux avantages, à son détriment, qui sont faits au commerce. Certainement que la fixation du port des lettres à 20 centimes, comme maximum, sera principalement au profit du commerce ; la suppression du droit de timbre sur les journaux ne lui est pas indifférente; car quel est le négociant qui ne soit pas obligé de s'abonner à un ou deux journaux du pays? Or, messieurs, il n'est pas possible que le ministère songeât à faire passer de pareilles dispositions dans la législation, quelle que soit leur opportunité, sans mettre à côté des moyens d'assurer au trésor des recettes au moins équivalentes. Dans des temps ordinaires, nous en eussions agi ainsi ; à plus forte raison fallait-il le faire dans les circonstances présentes. Le commerce n'est pas fondé à se plaindre. Il recevra une ample compensation et, de plus, il payera moins pour les effets qu'il crée ; mais, je l'espère, il payera. »

Ce sont nés paroles mêmes de l'honorable M. Veydt que j'invoque aujourd'hui.

Je dis en conséquence que les avantages qui ont été faits au commerce et celui que nous proposons de lui faire, sont une compensation aussi ample qu'il est en droit de la désirer; je dis que, même dans des temps ordinaires, on ne serait pas en droit de nous demander d'aller au-delà ; à plus forte raison, dans les circonstances présentes.

Tenir les promesses qui ont été faites, c'est un devoir sacré : faire plus, ce serait, à nos yeux, une grave imprudence.

Messieurs, avant que la chambre se prononce sur le chiffre de la taxe postale, je crois devoir fixer spécialement son attention sur les conséquences du vote qu'elle est appelée à émettre.

Que la taxe uniforme à 10 centimes imprimerait un élan beaucoup plus considérable à la correspondance, qu'une réduction à 20 centimes; qu'elle serait beaucoup plus efficace pour la répression de la fraude, qu'elle constituerait un bienfait beaucoup plus large pour le commerce, je n'ai pas songé à le contester, et je ne crois pas que, dans la séance d'hier, j'ai encore fait quelque effort pour démontrer le contraire. Mais faut-il que la chambre sache quel est le déficit auquel elle doit s'attendre, si elle vote l'établissement de la taxe des lettres à 10 centimes ; encore faut-il qu'elle sache bien qu'en le votant, elle contracte, dès aujourd'hui, l'obligation de procurer au gouvernement des ressources nouvelles en compensation d'une nouvelle diminution de recettes.

Cette diminution s'élèvera à un million au moins : on ne saurait en douter ; j'espère que la démonstration de ce fait ne laissera rien à désirer.

Le rapport de M. de Corswarem sur le projet de loi de 1847, évaluait la perte à résulter de la réduction de la taxe postale à 10 centimes à 2,040,860 fr.

L'exposé des motifs qui accompagnait la présentation du projet de loi en discussion, a évalué cette diminution à 1,096,054 fr. La section centrale qui a eu toutes les pièces, tous les documents sous les yeux, n'a rien trouvé à redire au chiffre indiqué par le ministre. Loin de là, il lui a paru que la diminution de recettes pourrait être plus considérable.

Maintenant, messieurs, quels sont les divers moyens dont on a fait usage pour combattre ce calcul de probabilité? On a cité un document des Etats-Unis, on a cité l'exemple de la France, on a passé sous silence l'exemple de l'Angleterre, et on a fait un calcul pour prouver qu'avec une augmentation de correspondance de 55 p. c, la taxe à 10 centimes rapporterait autant que la taxe à 20 centimes. Je vais, messieurs, rencontrer ces divers moyens.

Le document des Etats-Unis qu'est-ce? C'est un rapport fait par un fonctionnaire à l'office des postes; rien de plus, rien de moins. C'est l'avis d'un homme sur l'utilité d'une réforme en projet. Ce n'est pas une expérience qui puisse servir de base à nos propres appréciations, ce n'est pas un fait acquis; c'est un avis donné sur l’utilité d'une mesure à prendre. Je crois donc pouvoir dire que ce document ne doit pas nous arrêter.

On a cité un article du Journal des Débats sur les premiers résultats de l'application de la réforme postale en France. Je crois, messieurs, pouvoir révoquer en doute l'authenticité de ces renseignements; et voici sur quoi ce doute se fonde : nous nous sommes adressés officiellement à l'office des postes, à Paris, pour obtenir des renseignements de cette nature; et nous n'avons pu les obtenir jusqu'à ce jour, bien que nous soyons retournés plusieurs fois à la charge. Nous avons tout lieu de croire que l’office des postes de Paris ne pourrait pas indiquer lui-même, jusqu'ici avec certitude, quels ont été les premiers résultats de la réforme introduite. Ce n'est pas, messieurs, sur un article de journal que vous pouvez asseoir une décision aussi importante que celle qu'il s'agit de prendre.

Mais n'est-ce donc rien que l'exemple de l'Angleterre ? Serait-il vrai que nous puissions le dédaigner? Ne renferme-t-il aucun enseignement, aucun avertissement de nous tenir en garde contre une tendance trop libérale, contre l'entraînement de nos sympathies ? Sans doute aucun pays ne s'est trouvé dans des conditions plus favorables pour réaliser une réforme brusque et complète que l'Angleterre. La taxe était extrêmement élevée, la fraude extrêmement puissante; on évaluait que le nombre des lettres transportées par des voies illicites, égalait celui des lettres transportées par la poste ; il y avait des exemptions extrêmement nombreuses. Or, quel a été le résultat? De 75 millions, il est vrai, le nombre des lettres s'est élevé à plus de 300 ; c'est-à-dire qu'il a quadruplé en quelques années: mais quel a été le résultat financier? Vous le connaissez : à l'heure qu'il est, on n'a guère dépassé la moitié du revenu net qu'on avait atteint avant l'introduction de la réforme. C'est donc un sacrifice immense que l'Angleterre s'impose pour procurer, je l'avoue, un immense bienfait au commerce, à l'industrie et à la civilisation. Pouvons-nous espérer d'obtenir des résultats plus brillants au moyen d'une réduction à 10 centimes?

J'en viens, messieurs, au calcul dont j'ai parlé tout à l'heure. Vous vous rappelez les chiffres indiqués hier par l'honorable M. Cumont : Il suppose que 35 lettres sur 100 continueront d'être soumises à la taxe de 20 centimes pour défaut d'affranchissement préalable, que 15 lettres sur 100 seront soumises à la double taxe, comme excédant le poids de 10 grammes ; et que 5 lettres sur 100 seront taxées comme lettres chargées ou recommandées.

Ainsi, en résumé, ce calcul de fonde sur l'hypothèse que 55 lettres sur 100 continueront d'être soumises à la taxe de 20 centimes que nous voulons établir.

Ce calcul, messieurs, m'avait été présenté, avec une légère variante par d'honorables négociants de Bruxelles. Les négociants de Bruxelles portaient à 30 au lieu de 35 le nombre des lettres qui continueraient à être soumises à la forte taxe pour défaut d'affranchissement, ils évaluaient le nombre des lettres chargées ou recommandées à 10 au lieu de 5.

Ce calcul m'avait embarrassé, je l'avoue; et bien que j'eusse le sentiment qu'il ne pouvait être exact, on n'avait pu m'en fournir une réfutation satisfaisante. Mais une réflexion plus sérieuse m'avait fait découvrir le double vice sur lequel il repose. Le voici.

Pour prouver que la taxe à 10 c, avec une augmentation de correspondance de 55 p. c, donnera un produit égal à celui que donnerait la taxe à 20 c., on se met fort à l'aise : on suppose que, la taxe à 20 centimes admise, il n'y aura point de lettres chargées ni recommandées ; et on dit simplement: 100 lettres à 20 centimes donnent 20 fr. C'est une première erreur; mais il en est une autre, bien plus considérable et qui avait, au premier abord, échappé à mon attention bien qu'elle soit très facile à saisir.

On dit : Avec une augmentation de 55 p. c. on réaliserait au moyen de la taxe à 10 c. le même produit qu'au moyen de la taxe à 20 c.

Mais, pour apprécier le déficit que nous réaliserions par la première de ces taxes, il reste à tenir compte de l’augmentation de correspondances qu'il faudrait obtenir, pour obtenir de la taxe à 20 centimes, le même produit que de la taxe actuelle; et de plus il est à remarquer que l'augmentation de 55 p. c. supposée nécessaire pour égaliser le produit de la taxe à 10 centimes à celui de la taxe à 20, devrait porter sur un nombre de lettres déjà augmenté dans la proportion nécessaire pour égaliser le produit de la taxe à 20 centimes à celui de la taxe qui existe aujourd'hui.

Pour arriver à une appréciation aussi simple et aussi exacte que possible, il m'a paru que le moyen était celui-ci :

A la page 4 de l'exposé des motifs, vous trouvez la constatation du nombre et de la taxe des lettres actuellement transportées par la poste en Belgique.

Pour calculer l'influence que l'établissement de la taxe uniforme de 10 centimes pourra exercer sur l'accroissement de la correspondance et sur la diminution de la recette, il est évident qu'on doit commencer par faire abstraction des lettres qui se transportent, dès à présent, au prix de 10 centimes. Ce sont, comme vous le voyez à cette page, les lettres de la ville pour la ville, les lettres de et pour le même canton, et certaines lettres de et pour l'étranger.

En retranchant le nombre de ces trois catégories de lettres et leur produit, on trouve que les lettres transportées dans notre pays à la taxe de 20 centimes et au-dessus, s'élèvent au nombre de 7,963,251, et produisent au trésor la somme de 2,754,660 fr. 60 c.

Or quel est le nombre de lettres qu'il faudrait transporter, sous le régime de la taxe à 10 centimes, pour obtenir le même produit de fr. 2,734,660-60 ? Là est le problème.

Il est évident que, si toutes les lettres étaient transportées au prix de la taxe simple, ce nombre serait de 27,346,606. Mais il faut tenir compte des lettres qui continueraient d'être soumises à la double taxe, soit pour défaut d'affranchissement, soit comme lettres chargées ou recommandées.

Or, en admettant la supposition évidemment exagérée que le nombre de ces lettres serait dans la proportion de 55 à 100, on arrive encore à ce résultat, que, pour réaliser le même produit, la taxe devrait transporter (page 950) une quantité de 17,642,968 lettres, en remplacement des 7,963,251 lettres qu'elle transporte actuellement au prix de deux décimes et au-dessus.

Ne vous paraît-il pas évident, messieurs, d'après ces données, qu'aven l'établissement de la taxe à 10 centimes, vous devriez vous attendre à une diminution de recettes, à peu près égale à celle indiquée dans l'exposé des motifs? Et dès lors n'est-il pas vrai de dire que la question que vous êtes appelés à résoudre est de savoir si vous voulez accepter pour 1849 un déficit de près d'un million, si vous êtes prêts à procurer au gouvernement les ressources nouvelles, dont il aura dans ce cas indispensablement besoin, en dehors de celles qu’il a demandées jusqu'ici.

Messieurs, je pense avoir réduit ainsi la question à ses termes les plus simples, et posée dans ces termes, je crois que vous n'hésiterez pas à la résoudre dans le sens d'une réforme prudente et modérée.

Je le répète, nous ne contestons en aucune manière l'utilité d'une réforme plus radicale.

Mais ce que nous proposons aujourd'hui, ce n'est pas seulement une amélioration sensible, bien que partielle, c'est en même temps le gage d'une amélioration plus complète dans l'avenir, si l'expérience donne raison aux partisans de la réforme, ou si l'état des finances permet de tenter une expérience plus hardie.

Mais il nous paraît tout à fait impossible d'accepter aujourd'hui un déficit de près d'un million, fût-ce même dans l'intérêt du commerce et de l'industrie.

Messieurs, l'honorable M. Rodenbach vous disait dans la séance d'hier que la mesure proposée par le gouvernement est une mesure bâtarde. ! Qu'il me permette de lui répondre par une autorité qu'il ne récusera pas à coup sûr, puisque c'est celle de M. Rodenbach lui-même. Voici ce que cet honorable membre disait dans la séance du 29 février 1844.

« J'ai, dans la troisième section, soulevé la question de l'uniformité de la taxe des lettres. Je sais que la question est très grave. Je ne demande, pas que cette uniformité soit introduite en Belgique d'une manière aussi brusque qu'elle l'a été en Angleterre.»

M. Rodenbach trouve ce dernier système exagéré ; il demande au ministre si l'on ne pourrait pas obtenir... quoi? la taxe bâtarde, et même quelque chose de plus bâtard encore que ce que nous proposons, une taxe moyenne de 20 à 25 centimes. (Interruption.)

M. Rodenbach. - Quand ai-je dit cela ?

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Le 29 février 1844. Je ne sais si l'enfant, de légitime qu'il était alors aux yeux de M. Rodenbach, est devenu bâtard depuis. Mais ce que je puis dire, c'est qu'il le tenait encore pour légitime le 12 mars 1845; car dans la séance de ce jour, il commence par déclarer qu'il n'admet pas du tout le système anglais, qu'il le repousse au contraire.

Il ne demande pas l'uniformité de la taxe, il signale les conséquences onéreuses du système anglais, il demande qu'on adopte un système analogue à celui établi en Prusse, c'est-à-dire une taxe réduite mais toujours établie en raison de la distance.

Je tenais à me justifier aux yeux de M. Rodenbach ; je suis sûr maintenant que j'obtiendrai son assentiment.

(page 940) M. d'Hondt. - Messieurs, je ne vous répéterai point tous les arguments qui ont été développés dans la séance d'hier par les honorables collègues qui ont demandé la taxe uniforme à 10 centimes; mais avec eux je viens appuyer cette taxe, parce que ce n'est que là que je vois une véritable réforme.

A mes yeux la taxe de 20 centimes, proposée par le gouvernement et par la section centrale, n'aurait pas pour effet d'extirper la fraude, ni par conséquent d'opérer cet accroissement considérable dans le transport des lettres.

Je suis donc de l'avis de ceux qui pensent que la taxe de 10 centimes, par cela même qu'elle exclura toute fraude, ne sera pas plus nuisible aux intérêts du trésor que la taxe de 20 centimes, indépendamment des avantages bien supérieurs qu'elle offrira au pays. Mais en fut-il autrement, et quand même, dans sa naissance, cette taxe devrait causer quelque lésion au trésor, serait-ce un motif de reculer devant cette mesure toute de progrès et de civilisation?

L'honorable M. Manilius vous l'a dit hier avec beaucoup de raison : Le commerce et l'industrie ne sont-ils déjà pas assez frappés et par le timbre des effets de commerce, et, j'ajouterai moi, par le timbre des lettres de voiture, pour qu'ils aient droit à quelque soulagement dans une réforme postale large et radicale ?

C'est à tort, me semble-t-il, que l'honorable ministre des travaux publics vient de nous dire, à l'instant même, que dans les dernières lois sur le timbre des effets de commerce et des lettres de voiture, le commerce, au lieu d'une aggravation, a au contraire trouvé un dégrèvement.

L'honorable ministre s'est appuyé sur la considération que les droits nouveaux sont moindres que les droits anciens.

Mais que l'honorable ministre veuille consulter le commerce et l'industrie, et il se convaincra bientôt du mécontentement général que les lois récemment votées y ont produit.

Je ne suis donc nullement d'accord en ce point avec l'honorable ministre des travaux publics.

Et s'il devait y avoir dégrèvement pour le commerce, je demanderai à l'honorable ministre dans quel but alors ces lois nouvelles sur les timbres ont été proposées. N'est-ce pas dans le but évident de parvenir à un résultat fiscal plus favorable que sous l'empire de la législation antérieure?

Si les droits précédemment existants étaient plus forts, il n'en est pas moins vrai qu'ils gênaient bien moins le commerce que ceux qui ont été récemment établis. Et pourquoi ? Parce que les lois anciennes étaient tombées en désuétude, ne s'exécutaient point ; parce qu'elles présentaient des moyens d'éluder leur application.

Mais les lois récentes, vous les avez proposées dans des termes tels qu'il est impossible de s'y soustraire, et, sans aucun doute, dans l'intention de les faire exécuter avec une certaine rigueur; car sans cela, puisque les nouveaux droits de timbre sont abaissés, comment parviendriez-vous à un produit financier plus important qu'anciennement?

A part ces observations, la question n'offre-t-elle pas quelque intérêt moral, quelque intérêt de civilisation? Vous conviendrez, messieurs, que pour bien des personnes, pour bien des familles, la taxe postale élevée est une espèce de frein aux relations épistolaires de la parenté et de l'amitié.

Eh bien, messieurs, en votant la taxe minime de 10 centimes, nous accorderons à tous, à toutes les classes de la société, le moyen de multiplier, par la voie des lettres, non seulement les relations d'affaires, mais celles de l'intimité, de l'affection des familles.

Cette considération est pour moi un motif de plus pour voter la taxe uniforme de 10 centimes.

M. Osy. - J'ai demandé la parole pour motiver mon vote. J'aurais désiré que le projet de loi qui nous occupe eût été ajourné à un an ou deux, quand notre situation financière eût été plus favorable. Dans la situation actuelle, je pense qu'il serait très fâcheux de créer un nouveau déficit qu'il faudrait combler au moyen de nouveaux impôts, notamment de ceux qui nous sont présentés et qui répugnent à beaucoup d'entre nous. D'après les détails très intéressants que nous a communiqués l'honorable M. Cans, je pense que si nous introduisons une réforme dans notre régime postal, nous devons adopter la taxe à 10 centimes plutôt que celle à 20 centimes. Car la taxe à 20 centimes ne ferait pas cesser la fraude, surtout pour les lettres doubles ou triples contenant des factures ou documents commerciaux ; un négociant a un correspondant dans une ville, il lui adresse ces lettres-là en paquet et elles sont distribuées moyennant 10 centimes. Cette fraude continuera à se faire.

Comme le projet est présenté et que le pays paraît désirer la réforme postale, je donnerai mon vote approbatif à l'amendement proposé par l'honorable député de Bruxelles.

Il est vrai que je crois que la première année, nous aurons une diminution de recettes, mais elle n'ira pas à la somme indiquée par M. le ministre des travaux publics, parce que l'augmentation de la correspondance se fera sentir de suite, du moins pour toute la partie qui se fraude actuellement. D'un autre côté, la différence se trouvera à peu près compensée par la surcharge qu'on a imposée au commerce ; la réduction du timbre des journaux n'est pas dans l'intérêt du commerce, tandis que l'augmentation du droit de patente et l'exécution de la loi sur le timbre des effets de commerce ont été pour lui une aggravation de charges.

Par ces diverses considérations, je donnerai mon vote à la proposition qui réduit la taxe à 10 centimes.

(page 941) M. Delehaye. - La réforme proposée par le gouvernement ne saurait avoir pour conséquence l'expérimentation que l'on provoque, celle pouvant accroître considérablement le nombre de lettres, ni la cessation de la fraude.

Je suis convaincu qu'en réduisant le prix de 30 centimes à 20, l'on n'accroîtra pas suffisamment le chiffre des lettres pour compenser la perte résultant de la réduction, et surtout qu'on ne mettra pas un frein à la fraude qui se commet dans des rayons peu étendus.

Tous ceux qui habitent la campagne à deux ou trois lieues d'une ville savent que l'on fait moins emploi de la poste que des mille et un moyens qui se présentent pour faire remettre la correspondance.

Pour faire cesser cette habitude, il faut réduire le port des lettres afin que la fraude soit sans utilité.

Cela réclame un système plus large que celui que propose le gouvernement.

Je comprends les hésitations de M. le ministre des travaux publics en présence du grand déficit qu'il croit devoir résulter de la proposition que nous lui soumettons ; sans cela, je me plais à croire que le ministère tout le premier applaudirait à la mesure.

Mais, messieurs, en admettant que notre réforme doive limiter les ressources du trésor, doive même entraîner une perte considérable, cette considération est-elle suffisante pour la faire repousser, alors qu'elle est vivement sollicitée par le commerce et par l'industrie ; alors que les progrès de la civilisation elle-même sont attachés à son adoption?

Que dire alors, que ce déficit d'un million n'est qu'imaginaire, ne repose sur aucune donnée certaine ; est même tout à fait chimérique !

Comment comprendra-t-on que dans l'hypothèse présentée par le gouvernement, et tendant à réduire le port des lettres de 30 à 20 centimes, il y aura perte de 200 et quelques mille francs, et que ce déficit montera à 1,000,000, si le port de 30 centimes est réduit à 10?

Je vous avoue que, malgré toute l'attention que j'ai prêtée à la discussion, malgré tous les calculs que j'ai faits, il n'y a pas de règle d'arithmétique qui puisse me faire comprendre qu'une réduction de la taxe de 30 à 20 centimes, amenant une diminution de 200,000 francs seulement dans les recettes, vous aurez une réduction d'un million en réduisant la taxe de 20 à 10 centimes. Je voudrais qu'on le prouvât.

Pour moi, il m'est impossible de trouver cette preuve, et tout me dit que cette diminution n'a rien de fondée. Nos honorables adversaires admettent que la réduction de la taxe des lettres à 20 centimes (et évidemment à plus forte raison à 10 cent.) aura pour résultat une augmentation du nombre des lettres. S'il y a augmentation proportionnelle à la quotité de la réduction , la disproportion ne peut plus être aussi grande. Ainsi le million disparaît.

Je voudrais que M. le ministre des travaux publics dissipât mes doutes à cet égard, et certes sa sagacité ne lui fera pas défaut, si mes calculs sont erronés.

Quoi qu'on puisse dire, il n'en est pas moins vrai qu'on a imposé au commerce et à l'industrie des charges plus considérables qu'on ne l'a dit. Je ne puis admettre la comparaison qu'on a faite entre les trois derniers mois de 1847 et de 1848. Il va de soi que la stagnation des affaires en 1848 a eu pour résultat une diminution dans le nombre des effets de commerce, que de plus les mois signalés correspondent précisément à l'époque de l'année où les affaires sont le moins nombreuses.

Mais quand le contraire serait prouvé, je ne reculerai pas encore devant l'adoption de la réforme radicale.

Le trésor, à la vérité, a fait une perte de 400,000 fr. par l'abolition du timbre sur les journaux (je doute que la civilisation ait été améliorée en proportion de ce sacrifice}. Mais le commerce ni l'industrie ne devraient point pâtir de ce bienfait accordé à la presse. J'habite une ville de commerce, éminemment libérale; j'y ai vu très peu de personnes qui aient applaudi à cette mesure, en tant qu'elle soit venue aggraver les charges de l'industrie et du commerce. Dans tous les pays, on applaudit à de pareilles mesures, mais c'est quand elles n'ont pas pour conséquence des charges nouvelles pour ce qui constitue le principal élément de la force publique, le travail national.

Je suis très grand partisan de la propagande des idées par la voie de la presse. Mais je voudrais que le commerce et l'industrie ne fussent pas appelés à en faire les frais. Ceux qui lisent les journaux peuvent faire certains sacrifices. Il n'en est pas de même de ceux qui vivent de l'industrie dont les charges atteignent toujours indirectement l'ouvrier. L'ouvrier ne profite pas de l'abolition du timbre des journaux, car il ne peut faire aucune dépense dans l'intérêt de la science. Ce qu'il lui faut, c'est du positif, c'est de la nourriture.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On a amélioré la position de l'ouvrier, en le dispensant du droit de patente.

M. Delehaye. - Sans doute, et j'en sais gré au gouvernement. Mais mon observation n'en subsiste pas moins dans toute sa force.

Je donnerai mon assentiment à la proposition de réduire la taxe à 10 centimes.

Je comprends, comme je l'ai déjà dit, les hésitations du gouvernement en présence du déficit. Mais, malgré cette considération, je suis convaincu que l'on peut, sans inconvénient, adopter la taxe à 10 c.

C'est là une de ces protections dont l'effet est immédiat et qui jamais ne saurait porter atteinte à une autre partie quelconque de l'industrie.

Les primes, de quelque nature quelles soient, produiront toujours un effet moins salutaire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, la proposition qui vous est faite a un caractère extrêmement séduisant. Tout ce qu'on pourra dire en faveur de la réduction de la taxe à 10 centimes a été dit. Nous sommes parfaitement d'accord avec les orateurs qui en ont fait ressortir les avantages. Mon honorable collègue et ami, le ministre des travaux publics, s'est expliqué hier d'une manière tout aussi éloquente que les honorables préopinants. Mais tout ce qu'on pourra dire ne pourra faire disparaître le résultat que nous signalons, c'est-à-dire une réduction d'au-delà d'un million de francs. (Non! non!)

Nous disons que d'après les documents recueillis par l'administration, la réduction, pour 1 849, sera de 1,096,000 francs; plus l'augmentation de frais, dont il n'est pas tenu compte.

Nous demandons à la chambre si, pour le cas où ce résultat arriverait, elle serait disposée à admettre une ressource nouvelle de la même somme. Car toute la chambre doit être d'accord, avec nous, sur ce point, que ce n'est pas le moment de réduire nos recettes d'un million, alors que d'autre part nous recherchons les moyens de les accroître.

La réduction à 20 centimes est une réforme sage. On dit qu'elle est insignifiante. Mais elle réduit la taxe actuelle de 40 p. c., et elle a l'avantage de ménager nos ressources, de ne pas opérer de nouvelles réductions par un changement trop brusque. Avec la taxe à 10 centimes, ce n'est qu'à dater de 1855 (si les calculs de l'administration sont exacts) que nous pourrons rétablir l'équilibre.

Jusque-là, le trésor sera toujours en perte. Il arrivera ce qui est arrivé en Angleterre.

Avec la taxe sage, libérale de 20 centimes la perte ne se fera sentir que sur l’exercice 1849. A partir de 1850, nous aurons atteint le niveau d'aujourd'hui.

Sans doute, il est très agréable de suivre cette double ligne, de réduire toutes les dépenses, de réduire toutes les recettes. C'est un rôle très commode, je le reconnais. Mais le gouvernement ne peut s'associer à un tel système.

On a dit : « Plutôt que d'adopter la taxe à 20 c, mieux vaut conserver le système actuel. » Lorsque nous avons proposé la taxe à 20 c, nous l'avons fait pour accomplir la promesse faite à la chambre l'année dernière. C'est cet engagement que nous avons voulu remplir, parce que nous tenons, avant tout, à ce que les promesses du gouvernement s'accomplissent.

Il y aura une grande amélioration dans le système postal par la taxe à 20 c. La France qui, depuis un an, a dû céder à bien des entraînements, la France républicaine n'a pas cru devoir aller au-delà. N'allons pas au-delà non plus. Restons dans ces sages limites, que nous considérons d'ailleurs comme très libérales. C'est un allégement réel pour le commerce et l'industrie.

En ce qui concerne les ouvriers, je voudrais que l'honorable M. Delehaye dît quand nous avons aggravé leur situation.

M. Delehaye. - Je n'ai pas dit cela.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable M. Delehaye a dit qu'on avait aggravé la situation de la classe ouvrière. Je le répète, nous avons dégrevé les ouvriers de leur patente. Si vous ne le dites plus, c'est que vous retirez ce que vous avez dit.

Quant au commerce, les lois sur le timbre des effets de commerce et sur le timbre des lettres de voiture ne donneront pas une ressource équivalente à la réduction résultant de la taxe à 20 centimes. Voilà toute l'aggravation que le commerce a eu à subir des deux lois auxquelles on a fait allusion.

Le commerce sera très reconnaissant de voir la taxe moyenne de 32 centimes réduite à 20 centimes. Je suis persuadé que beaucoup de négociants seront enchantés de faire sur une dépense de 4 à 5 mille francs un bénéfice, de 40 p. c. Je pense que l'honorable M. Prévinaire qui m'interrompt ne le niera pas. Je suis convaincu que la réduction à 20 centimes sera acceptée avec beaucoup de reconnaissance.

La chambre est maintenant avertie. Avec le système de la taxe à 10 centimes, il y aura un déficit immédiat d'au moins un million à combler.

- Plusieurs membres. - La clôture!

M. Veydt. (contre la clôture). - Messieurs, on veut clore, et il reste beaucoup de choses à dire. Je voudrais au moins que la chambre me permît de donner quelques explications au sujet des premiers produits de la loi du timbre sur les effets de commerce. Je trouve, je l'avoue, le résultat indiqué par M. le ministre des travaux publics fort au-dessous de ce qu'on devait attendre; mais il faut tenir compte des circonstances. Durant tous les mois dont M. le ministre a donné les chiffres, les affaires industrielles et commerciales ont langui. Toute l'année 1848 a été mauvaise. Les escomptes d'un seul établissement financier, dont le compte rendu vous a été adressé, messieurs, ne se sont élevés qu'à 52 millions, tandis qu'ils avaient été de 109 millions en 1847, année qui elle-même n'était pas bonne. Il y a ensuite d'autres raisons qui ont affecté les (page 942) recettes et que j'exposerais, si la chambre voulait continuer la discussion.

M. Rodenbach. - Je demande que l'on continue à discuter, d'autant plus que M. le ministre m'a accusé de versatilité. Je voudrais lui expliquer pourquoi j'ai été versatile.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

M. le président. - On avait posé hier une question de principe : La taxe sera-t-elle de 10 ou de 20 c? Il s'agira de voter d'abord sur cette question, et on s'occuperait ensuite de ce qui concerne l'affranchissement.

M. Cools, rapporteur. - Messieurs, pour qu'il n'y ait ni erreur, ni surprise, je désirerais qu'avant de voter sur ce qui est relatif à l'affranchissement, la question fût mieux éclaircie. J'aurai un amendement à présenter…

M. le président. - La discussion est close.

M. Cools. - Il a été convenu hier qu'on discuterait uniquement le principe de la taxe à 10 ou à 20 c. ; si la clôture ne porte que sur cette question, je n'ai rien à dire; mais si on veut voter sur l'affranchissement, je demanderai à pouvoir m'expliquer.

M. Cans. - Je pense qu'il faut seulement voter sur le chiffre de la taxe et permettre ensuite de présenter des amendements sur la question de l'affranchissement.

M. le président. - Veut-on suivre cette marche?

- Plusieurs membres. - Oui, Oui.

M. le président. - Je mettrai aux voix le chiffre de 10 centime qui forme amendement.

M. Dolez. - C'est le chiffre le plus élevé qu'il faut d'abord mettre aux voix. {Interruption.)

Si vous commencez par le chiffre de 10 centimes, vous gênerez la liberté du vote des membres qui préfèrent la taxe de 10 centimes à la taxe actuelle, mais qui préféreraient cependant le chiffre de 20 centimes; en commençant, au contraire, par ce dernier chiffre, vous mettez chacun parfaitement à l'aise.

M. Mercier. - Lorsqu'il s'agit d'un crédit, il est dans les usages de la chambre de voter d'abord le chiffre le plus élevé, mais il [n'en est pas de même lorsqu'il s'agit de toute autre disposition ; d'après nos précédents c'est l'amendement et par conséquent la taxe à 10 centimes qui doit d'abord être mise aux voix. La difficulté dont parlait tout à l'heure l'honorable M. Dolez n'en existerait pas moins, selon sa proposition, pour tous ceux qui veulent une réforme quelconque ; quel que soit le chiffre que l'on mette d'abord aux voix, on peut arriver au résultat qu'il a en vue de prévenir.

M. Orts. - Je crois, messieurs, qu'il faut absolument suivre la marche indiquée par M. Mercier et qui est d'ailleurs conforme aux précédents de la chambre. Sans cela nous pourrions tomber dans des difficultés nouvelles. Si la taxe à 20 centimes est rejetée, elle le sera probablement par différents motifs, et la taxe de 10 centimes ne sera pas adoptée par ce seul vote; on pourra encore proposer un chiffre intermédiaire, 18 centimes par exemple ; tandis que si nous adoptons le chiffre de 10 c. nous aurons une solution.

M. Delehaye. - Il y a d'autant plus de motifs d'adopter la proposition de M. Mercier, que nous voulons aussi la taxe de 20 et de 10 c, 20 centimes pour les lettres non affranchies, et 10 centimes pour les lettres affranchies.

- Le chiffre de 10 centimes est mis aux voix par appel nominal ;

82 membres sont présents.

49 adoptent.

33 rejettent.

En conséquence, la taxe de 10 centimes est adoptée.

M. Rodenbach. - Le siècle est en marche !

Ont voté l'adoption : MM. Schumacher, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Anspach, Boedt, Boulez, Bruneau, Cans, Cumont, Dautrebande, David, de Brouckere (Henri), Debroux, de Chimay, Delehaye, Delfosse, Deliége, de Luesemans, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Destriveaux, d'Hont, Jacques, Lebeau, Lesoinne, Liefmans, Loos, Manilius, Moreau, Moxhon, Orts, Osy, Peers, Pierre, Prévinaire, Rodenbach et Verhaegen.

Ont voté le rejet : MM. Rousselle, Thibaut, Troye, Van Cleemputte, Van den Berghe de Binckum, Van den Brande de Reeth, Allard, Clep, Cools, de Baillet (H.), de Baillet-Latour, de Bocarmé, de Breyne, Dechamps, Dedecker, de Haerne, Delescluse, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Renesse.de Royer, de Theux, d'Hoffschmidt, Dolez, Dumortier, Jouret, Lange, Mascart, Mercier, Pirmez, Rogier et Rolin.

M. le président. - Voici un amendement qui vient d'être déposé :

« La taxe des lettres, quelle que soit la distance à parcourir dans le royaume, est réglée comme suit :

« Lettres affranchies au moyen de timbres, pesant moins de 10 grammes, 10 centimes.

« Lettres affranchies au moyen de timbres, pesant de 10 à 20 grammes, 20 centimes.

« Lettres affranchies au moyen de timbres, pesant de 20 à 40 grammes, 40 centimes.

, « Et ainsi de suite en augmentant de 20 centimes par 20 grammes.

« Pour les lettres non affranchies il sera perçu le double de la taxe dont elles auraient été passibles si elles avaient été affranchies.

« Lorsque la valeur représentative des timbres appliqués sur une lettre sera insuffisante en raison de son poids, le supplément de taxe à percevoir du destinataire sera également doublé.

« Cans, T'Kint de Naeyer et Loos. »

- Les amendements seront imprimés et distribués.

La séance est levée à 4 heures 3/4.