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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 5 mars 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. H. de Brouckere, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 909) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à 2 heures et quart.

— La séance est ouverte.

M. Troye donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Luesemans fait connaître l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Plusieurs membres de la garde civique de Wavre demandent que le service actif, en temps de paix, soit fait par les célibataires ou veufs sans enfants, de 21 à 35 ans. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Gerdingen demande le maintien du bureau de contributions établi à Achel. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Dierickx, ancien employé aux ponts et chaussées, prie la chambre de lui faire obtenir un nouvel emploi. »

- Même renvoi.


« Les exploitants de mines de houille du couchant de Mons prient la chambre de rejeter le projet de loi qui supprime le conseil des mines. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le conseil communal de Chaumont-Gistoux prie la chambre de voter les sommes nécessaires pour l'achèvement des travaux de construction de la route de Wavre à Huy. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.


« Le sieur Gassiers, ancien militaire, congédié pour infirmités contractées au service, prie la chambre de lui accorder une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Pierre-Léonard Geerlach, employé à l'administration des chemins de fer à Bruxelles, né à Siegbourg (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


Dépêche de M. le ministre de la justice, accompagnant l'envoi de neuf demandes en naturalisation ordinaire, avec les renseignements y relatifs.

- Renvoi à la commission des naturalisations.


Dépêche de M. le ministre des finances, accompagnant l'envoi d'explications sur une pétition de l'administration communale de Florenne, tendant à obtenir la liquidation d'une créance dite française.

- Dépôt au bureau des renseignements.


Dépêche de M. le ministre de la guerre, accompagnant l'envoi de deux exemplaires de l'Annuaire militaire officiel pour 1849.

- Dépôt à la bibliothèque.


M. de Baillet-Latour demande un congé de deux jours pour affaires urgentes.

- Accordé.


M. Jullien demande un congé pour affaires urgentes.

- Accordé.


M. Bouvet adresse à la chambre 110 exemplaires de la brochure sur l'enseignement moyen.

- Distribution aux membres.


M. de Brouwer de Hogendorp demande un congé.

- Accordé.


M. Schumacher demande un congé.

- Accordé.

Projet de loi portant suppression du conseil des mines

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - Dans la dernière séance, la chambre a adopté le premier paragraphe de l’article premier, ainsi conçu :

« Art. 1er. Le conseil des mines établi par la loi du 2 mai 1837 est supprimé. »

Nous sommes arrivés au deuxième paragraphe de cet article, ainsi conçu :

« A l'avenir il sera statué sur toute demande en concession, en maintenue ou en extension de mines à l'exception de celles concernant des mines de fer, d la manière et dans les formes ci-après. »

Personne ne demande la parole.

Le deuxième paragraphe de l'article premier est mis aux voix et adopté.

Article 2

M. le président. - Nous passons à l'article 2.

M. de Theux. - Messieurs, nous discutons un projet qui en réalité n'a été examiné ni par les sections ni par la section centrale. On a proposé purement et simplement le rejet ; la section centrale n'a pas examiné les articles. Il est évident que ce mode de discussion est irrégulier; on ne peut pas l'adopter pour une matière si peu connue de presque tous le membres de cette chambre. Je demande un nouvel examen, en prenant pour point de départ la suppression du conseil des mines. Je demande le renvoi à la section centrale pour avoir un rapport sur les articles.

M. Jacques. - Presque tous les membres de la section centrale ayant émis une opinion contraire au projet de loi, je demanderai s'il ne devient pas nécessaire de renvoyer l'examen des articles à une commission spéciale. Il serait préférable, je pense, de confier ce nouvel examen à une commission plutôt qu'à la section centrale qui est presque tout entière hostile au projet. Si on ne juge pas à propos de continuer la discussion, je demande le renvoi du projet à une commission spéciale.

M. Destriveaux. - Je ne m'oppose en aucune manière, puisque je faisais partie de la section centrale, à ce qu'on renvoie l'examen des articles du projet de loi à une commission spéciale; mais je crois devoir prendre la parole pour éviter toute espèce de malentendu. La section centrale avait émis une opinion contraire aux principes contenus dans l'article premier du projet; la majorité n'ambitionnera pas, j'en suis sûr, la tâche d'examiner les détails. Mais il faut qu'il soit bien entendu que, dans la proposition de renvoi à une commission, il n'y a pas la moindre défiance sur la manière dont la section centrale remplirait sa mission, si éventuellement cette mission lui était confiée.

M. le président. - Je suis convaincu que cette défiance n'est dans la pensée d'aucun membre de la chambre.

M. Jacques. - Je dois déclarer franchement qu'il n'y a pas eu de ma part la moindre supposition d'intention mauvaise à l'égard de la section centrale. Mais tout le monde comprendra qu'une section contraire à un projet ne peut y mettre la bonne volonté nécessaire pour en accélérer l'examen. Ce n'est que sous ce point de vue que le renvoi à une commission me parait préférable.

M. Moncheur. - Je viens d'entendre un de messieurs les secrétaires mentionner une pétition relative au projet en discussion ; j'ai eu la curiosité de la voir et je trouve qu'elle est signée par un grand nombre d'exploitants du couchant de Mons, et que ces exploitants se prononcent contre le projet de loi. Je crois, messieurs, que ce fait est de nature à venir à l'appui de la proposition de renvoi à la section centrale, renvoi que je crois, d'ailleurs, nécessaire, puisque nous n'avons pas de rapport sur les articles du projet du gouvernement.

M. Dumortier. - Cette pétition est contraire au projet de loi. J'en demande l'insertion au Moniteur. Il est bon que chacun connaisse une pétition signée par un nombre aussi considérable d'exploitants.

M. Bruneau. - Il y a eu décision de la part de la chambre.

M. Dumortier. - Quoiqu'il y ait décision, on n'a pas sans doute peur de la lumière. Du reste, il y a un vote d'appel. La chambre peut encore rejeter le projet de loi. Dans une matière aussi grave, lorsque nous voyons les industriels de Liège, de Mons, du Centre, de Charleroy, lorsque nous voyons tous les charbonnages protester contre la loi, cela mérite une mûre délibération de la part de la chambre.

Je demande donc l'insertion au Moniteur pour que la chambre voie si cette pétition doit influer sur son vote définitif.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je propose le dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion. Chacun ainsi pourra en prendre connaissance.

M. Dumortier. - Je suis surpris de voir M. le ministre des travaux publics s'opposer à l'insertion de la pétition au Moniteur.

Est-ce que vous avez peur que la chambre voie clair ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous supposez que la chambre n'a pas vu clair en votant l'article premier?

M. Dumortier. - Il faut que vous teniez bien à ce projet pour que vous vous opposiez à ce que la chambre y voie clair.

La chambre a émis un vote; c'est vrai. Mais elle a à se prononcer sur l'ensemble du projet et si elle le rejette, la loi actuelle reste en vigueur. Je pense que la chambre ne peut s'empêcher de voter l'impression de cette pétition.

Si la chambre le permettait, je lui donnerais lecture de cette pétition. (Lisez ! lisez!)

Puisque la chambre le permet, je vais lire la pétition.

« A messieurs les membres de la chambre des représentants à Bruxelles.

« Messieurs,

« M. le ministre des travaux publics vous a présenté, dans votre séance du 23 novembre 1848, un projet de loi tendant à supprimer le conseil des mines. Les soussignés, exploitants des mines de houille du couchant de (page 910) Mons, viennent vous demander de ne pas donner votre adhésion à ce projet; et prennent la liberté de vous exposer par quels motifs ils estiment que cette institution est de toute nécessité.

« En effet, messieurs, toutes les considérations qui ont été présentées en faveur du conseil des mines, lors de sa création, existent encore aujourd'hui. N'y a-t-il pas encore un nombre considérable de demandes de concession, de maintenue ou d'extension de concession ! Ne sent-on plus le besoin d'avoir une jurisprudence uniforme, et, plus que tout cela, la nécessité de voir trancher d'aussi graves questions par un corps permanent qui, en dehors de toute influence politique locale ou d'élection, serait par cela même à l'abri du soupçon?

« Pour une affaire civile qui ne concerne que l'intérêt de deux individus, trois degrés de juridiction existent ; première instance, cour d'appel, cour de cassation, et cette affaire est soumise à des hommes de l'indépendance la plus complète, à des juges inamovibles ; ne serait-il pas irrationnel d'entourer de moins de garanties la solution d'une question de mines, d'une interdiction de travaux, par exemple, qui intéresse la classe ouvrière et celle des consommateurs, d'une question qui ne lèse pas une partie des droits du propriétaire, mais qui les anéantit complètement et cela sans indemnité?

« Vous avez établi, messieurs, des législations spéciales, une législation commerciale, militaire, maritime, et vous avez institué, pour faire exécuter et interpréter ces législations, des cours particuliers. Pourquoi les exploitations charbonnières, qui sont soumises à un impôt exceptionnel, n'auraient-elles pas aussi leur législation et leur conseil ? Car elles sont susceptibles de soulever des questions compliquées dont la solution nécessite le concours de jurisconsultes qui, sans être ingénieurs, ne soient pas totalement étrangers aux questions d'art.

« Tout en rendant justice au zèle et à l'impartialité des députations permanentes dans les nombreux avis qu'elles ont émis jusqu'à présent, nous n'en croyons pas moins que leur double origine élective ferait craindre des abus et cela surtout dans une province comme la nôtre où la majeure partie des intéressés est étrangère au pays. Si des économies doivent être apportées dans l'administration des mines, Il serait plus juste qu'elles vinssent frapper les sommités du corps des ingénieurs, qui sont hors de proportion avec le nombre des officiers subalternes.

« Le renvoi au conseil des ministres ne nous paraît pas remédier aux inconvénients qui vous ont été signalés. En effet, les ministres sont souvent étrangers à ces questions ; hommes politiques avant tout, leur position n'offre aucune stabilité, ils ne peuvent donc remplir le double but de l'institution, l'unité de jurisprudence et la formation d'hommes spéciaux ; il resterait d'ailleurs à examiner jusqu'à quel point l'institution ministérielle, en octroyant des concessions de mines de houille, ne sortirait pas des limites que lui a tracées notre droit constitutionnel.

« Nous dirons également, messieurs, que lorsque la France, la Prusse et d'autres pays, ont de tout temps reconnu la nécessité d'avoir une juridiction spéciale pour les mines, ce n'est pas à la Belgique, dont les institutions font en ce moment l'admiration de toute l'Europe, à elle beaucoup plus riche que les autres pays en productions minérales, à donner, en vue de mesquines économies, le triste exemple de la suppression d'une institution aussi utile que juste.

« Confiants, messieurs, dans votre haute impartialité et dans votre profonde connaissance des intérêts du pays, nous avons l'honneur de vous présenter l'assurance de notre très haute considération.

« Jemmapes, le 17 février 1849.

Les exploitants de mines de houille du couchant de Mons,

Pour l'exploitation du Grand-Hornu, Legrand-Lecrepe.

Pour la société de Belle-et-Bonne, Refuse.

Pour la société des Produits, Cardinal.

Pour la société du Haut-Flénu, M. Bote.

Pour la société d'Hornu et Wasmes, J. Delhaise.

Pour la société du Levant du Flénu, A. Bonches.

Pour la société du Bois, César Tierce.

Pour la société du Centre du Flénu, Absent.

Pour la société de Turlupu, Refuse.

Pour la société du Nord et Midi de Bois-de-Boussu, Boissac.

Pour la société du Grand-Buisson, Legrand-Lecrepe.

Pour la société du Midi du Flénu, Refuse.

Pour la société du Bonnet-Veine à Mouches, J. Bourlard.

Pour la société de Ste-Cécile et St-Séraphin, Lienard.

Pour la société de la Cossettle, A. Quenot.

Pour la société du Couchant du Flénu, Henri Jordan.

Pour la société des Charbonnages Belges, Aug. Eyckholt.

Pour la société du Rieu du Cœur, Wautier.

Pour la société de la Grande Machine à feu de Dour, H. Nicodême.

Pour la société du Longterne, F. Letoret.

Pour la société de Bellevue-Baisieux, P. Babut.

Pour la société de Jolimet et Roïnge, Absent.

Pour la société de Bonne-Espérance, H. Gain.

Pour la société des Houilles grasses d'Elouges, Ch. Colmant.

Pour la société du Grand-Picquery, Bramant-Gauthiez.

Pour la société des Seize Actions, L. Cavenaile, frère aîné,

M. de Royer. - M. Dumortier aurait-il la complaisance de me dire la date de cette pétition.

M. Dumortier. - Elle est du 17 février.

M. de Royer. - Cela me paraît assez étrange, en présence des lettres que j'ai reçues et que j'ai communiquées à mes collègues de l'arrondissement de Mons. Ces lettres viennent de plusieurs exploitants du couchant de Mons, qui m'ont écrit, les 5, 4 et 7 janvier, pour demander tout l'opposé de ce que contient la pétition.

J'ai ici encore d'autres pièces qui me demandent d'appuyer la suppression du conseil des mines.

J'ai reçu aussi la visite de quelques administrateurs des charbonnages de Mons, qui sont certainement compétents dans la question et qui m'ont engagé à appuyer la suppression du conseil des mines.

Voilà maintenant une pétition qui surgit et qui demande tout le contraire. J'avoue que je m'y perds. Il se passe là-dedans quelque chose que je n'oserais expliquer ni qualifier, mais qui me paraît complètement irrégulier.

On ne peut mettre ainsi des représentants sur la sellette et les ridiculiser en présence du pays, en les engageant à voter en faveur d'un projet pour venir ensuite demander le contraire dans une pétition, signée peut-être par complaisance.

M. Lelièvre. - J'appuie les observations de l'honorable M. de Royer. J'ajouterai que je tiens de notre collègue, M. Faignart, qu'ayant consulté des intéressés de son arrondissement sur l'utilité du conseil des mines, il avait reçu pour réponse qu'il n'existait, à leur avis, aucun inconvénient à la suppression de cette institution. J'ai cru devoir faire cette observation à l'occasion de ce que vient de nous dire l'honorable M. Dumortier.

M. le président. - Nous sommes en présence de deux propositions, celle de M. Jacques et celle de M. de Theux. Je mettrai d'abord aux voix la proposition de M. Jacques qui tend à ce que le projet soit renvoyé à une commission spéciale nommée par le bureau.

- La proposition de M. Jacques est mise aux voix et adoptée.

La chambre décide ensuite que la commission sera composée de sept membres.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je demande que la commission soit nommée immédiatement; le gouvernement doit tenir à ce que le projet soit examiné dans le plus bref délai.

M. le président. - Avant la fin de la séance, le bureau fera connaître la composition de la commission,

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pour ne pas perdre le fruit de la première discussion, il importe que la commission spéciale fasse son rapport le plus tôt possible, afin qu'on puisse aborder l'examen des articles, ayant encore présente à la mémoire la discussion générale. Je ferai remarquer que les articles ont déjà été examinés par la chambre en sections, et dès lors je pense que le rapport pourra être fait demain ou après-demain. La chambre ne peut suspendre l'examen de cette loi, sans s'exposer à perdre les deux séances qu'elle y a déjà consacrées.

M. le président. - La commission sera convoquée pour demain.

Ordre des travaux de la chambre

M. Cools (pour une motion d’ordre). - Messieurs, à la fin de la dernière séance, vous avez décidé que vous vous occuperiez aujourd'hui de la fixation de l'ordre du jour. Je désire présenter quelques observations à cet égard.

Je commencerai par faire observer à la chambre qu'elle a encore une décision à prendre en ce qui concerne la question des sucres. Le rapport a été distribué avant-hier. Je proposerai de mettre cette question à l'ordre du jour à la suite de tous les objets qui s'y trouvent déjà portés.

- Cette proposition est adoptée.

M. Cools. - Maintenant, messieurs, l'honorable ministre des finances vous a fait connaître qu'il désirait que la discussion du projet de loi sur les droits de succession fût retardée. Je proposerai donc de régler l'ordre du jour de la manière suivante :

1° Révision des tarifs en matière civile;

2° Révision des tarifs en matière criminelle ;

3° Compétence en matière criminelle.

On s'arrêterait là pour le moment.

Maintenant il reste la réforme postale, dont on a dit également quelques mots dans la dernière séance. J'ai fait observer alors que, si le projet est adopté, il en résultera, pour l'année prochaine, un déficit de près d'un million.

M. le président. - C'est prématuré.

M. Cools. - Pardon, M. le président ! je crois être dans la question.

Nous devons nous attendre à ce que la proposition soit renouvelée, d'adopter la réforme à 10 centimes. Or, si cette proposition était accueillie, d'après mes calculs il y aurait un déficit d'un million et demi. (Interruption, bruit.)

M. le président. - La parole est continuée à M. Cools.

M. Cools. - J'admets qu'on puisse contester ce que je viens de dire. C'est un point que nous pouvons débattre, lors de la discussion du projet de loi.

Mais un point sur lequel tout le monde est d'accord et qui est admis par le gouvernement, c'est que la réforme même seulement à 20 cent. amènera un déficit de plusieurs centaines de mille francs.

M. le président. - A quoi bon discuter maintenant cette question?

M. Cools. - Permettez-moi de continuer; je suis dans la question. Je veux faire observer que pour un objet qui a une importance financière assez grande, il n'est pas convenable de s'en occuper dès à présent, qu'il faudrait mettre préalablement à l'ordre du jour un autre projet de (page 911) loi, c'est-à-dire la loi sur les successions, qui doit améliorer notre situation financière. Après la loi des successions, viendrait la réforme postale. Je pense que le gouvernement devrait s'expliquer à cet égard.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, le gouvernement n'attache aucune espèce d'importance à ce que la discussion du projet de loi sur la réforme postale précède ou suive la discussion de la loi sur les successions. D'honorables membres peuvent croire qu'il y a quelque intérêt à ce que l'un de ces projets précède l'autre ; quant à moi, je n'en vois aucun. Je me tiens à la disposition de la chambre. Si l'état de ma santé le permet, je discuterai le projet de loi sur les successions dès que son tour viendra; je ferai tout ce qui dépendra de moi pour qu'il ne subisse pas le moindre retard.

M. le président. - Nous avons à l'ordre du jour deux projets de loi qui occuperont peut-être la chambre pendant deux ou trois jours: nous pourrions commencer par ces deux projets , et nous examinerons ensuite quels sont les projets qui doivent être discutés les premiers et dans quel ordre ils doivent venir. (C'est cela!)

Si donc il n'y a pas d'opposition, cette marche sera suivie.

Projet de loi révisant les tarifs en matière civile

Discussion générale

La discussion générale est ouverte.

M. Lelièvre. - Messieurs, depuis longtemps la révision des tarifs en matière civile est reconnue comme indispensable. Le décret de 1807 renferme des lacunes sur des actes importants qui méritent une juste rémunération. D'un autre côté, la dépréciation de la valeur monétaire ne permet plus de laisser la quotité de la rétribution duc aux officiers ministériels sur le pied d'un règlement arrêté il y a 42 ans; et pour s'en convaincre, il suffit de comparer le traitement que recevaient à cette époque les magistrats et fonctionnaires publics avec celui que nos lois actuelles ont cru, à juste titre, devoir leur attribuer.

Enfin, messieurs, des lois postérieures ayant introduit des formalités 'exigeant des actes spéciaux qui n'ont pu être tarifés par le décret de 1807, il est évident que de nouvelles dispositions sont nécessaires pour régler l'honoraire qu'ils méritent. J'applaudis en conséquence au principe du projet qui vous est soumis, et à la proposition d'abandonner au gouvernement le soin d'apporter au tarif en vigueur les modifications convenables.

La section centrale va plus loin; elle veut que l'arrêté royal relatif à cet objet soit rendu dans les trois années de la promulgation de la loi, et qu'à partir de cette époque, il soit considéré comme définitif et ne puisse être modifié que par une disposition législative.

Je ne puis donner mon assentiment à cet amendement ; en effet, il est évident qu'il sera bien difficile de régler tant et de si minutieux détails d'une manière complète; il y aura certainement encore des lacunes et des erreurs.

Eh bien, messieurs, permettre de ne corriger ces imperfections que par une loi, c'est les rendre irréparables, car l'on sait avec quelle difficulté on touche à la législation. D'un autre côté, il s'agit ici de détails d'exécution dont le règlement appartient au pouvoir exécutif; il faut donc laisser à celui-ci une liberté entière de corriger son œuvre qu'il reconnaîtrait défectueuse.

D'ailleurs, si l'on reconnaît la nécessité de laisser le gouvernement juge d'établir un tarif comme il le croit convenable, il paraît assez naturel de l'autoriser à apporter les modifications dont l'expérience constaterait la nécessité. La proposition de la section centrale ne me paraît donc pas admissible.

Mais, messieurs, ce qui me paraît mériter votre attention spéciale, c'est l'article 3 du projet conçu en ces termes :

« Les officiers ministériels devront, s'ils en sont requis, demander la taxation des frais et dépens à charge des parties pour lesquelles ils ont occupé ou instrumenté.

« Ils devront de plus l'obtenir avant d'intenter de ce chef une action en justice, sinon ils seront déclarés non recevables. »

Que les officiers ministériels soient tenus, s'ils en sont requis, de demander la taxe de leurs frais, je le conçois assez, mais qu'on les astreigne à remplir cette formalité avant de pouvoir intenter une action en justice à peine d'être déclarés non-recevables, c'est ce qui me paraît inadmissible. En effet, la question sera nécessairement préjugée par la taxe, soit en faveur de l'officier ministériel, soit contre lui. L'on veut ainsi astreindre le demandeur à requérir un acte dont le résultat sera de décider d'avance la difficulté qui sera soumise au tribunal.

Ce n'est pas tout; dans le système du projet, l'officier ministériel contraint de faire taxer son état ne pourra-t-il réclamer en justice que le montant de la taxe? Certes on ne peut lui enlever les moyens de faire réformer la décision d'un seul juge; or, s'il peut encore élever sa demande au-delà du taux fixé par la taxe, cette mesure ne présentera aucun avantage tandis qu'elle aura un inconvénient sérieux, celui de faire naître un préjugé incompatible avec les principes qui doivent présider à l'administration de la justice, préjugé d'autant plus dangereux que la taxe a lieu en l'absence des parties intéressées.

Une autre question mérite aussi d'être examinée; elle fera l'objet d'un amendement que je déposerai, elle est relative aux devoirs extraordinaires que peut faire un avoué pendant l'instance et qi» méritent certainement une juste rémunération.

L'avoué est souvent obligé, dans les intérêts qui lui sont confiés, de rédiger des actes et de faire des démarches nécessaires au succès de la cause. Souvent il doit se procurer des pièces utiles, rédiger des exploits importants, donner des instructions aux huissiers, conférer avec l'avocat. Certes, des actes de cette nature doivent être convenablement rétribués, et le plaideur qui charge un avoué de le représenter lui confère par cela seul le pouvoir de faire toutes démarches utiles pour conduire la cause à bonne fin. Ce sont là des actes qui découlent du mandat donné à l'avoué et qui, par conséquent, doivent être honorés, en vertu de l'intention commune qui a présidé au contrat intervenu entre l'avoué et son client. On ne peut donc exiger à cet égard un mandat spécial, d'abord parce qu'il n'est pas possible de requérir cette formalité à raison de la multiplicité de ces actes auxquels est astreint un officier ministériel dans l'intérêt de la cause et, en second lieu, parce que le mandat dont il s'agit n'est que la conséquence des pouvoirs conférés à l'avoué qui, naturellement, est chargé de faire tous actes nécessaires pour le triomphe des intérêts qui lui sont confiés.

Je pense donc que le projet doit renfermer sur ce point une disposition destinée à trancher la difficulté qui s'est élevée à cet égard.

Toutefois, j'admets un tempérament à l'exercice du droit que je revendique. La rétribution sera réglée par le juge qui appréciera, d'après la nature de l'affaire, les démarches et vacations extraordinaires qu'a pu faire l'avoué, et fixera la rétribution qui lui sera due en bonne justice selon l'importance de la cause et les autres circonstances soumises à son appréciation.

Je ne puis terminer sans applaudir à l'article 2 du projet qui fait cesser la différence existante entre les matières sommaires et les matières ordinaires.

C'était là une source de difficultés auxquelles le législateur a cru avec raison devoir mettre fin. D'ailleurs, la rétribution que les avoués recevaient en matière sommaire n'était souvent que dérisoire, et il arrivait quelquefois qu'ils ne perçussent que leurs simples déboursés, lorsque la contestation se terminait autrement que par jugement. En conséquence, sauf l'amendement que je me réserve de proposer, j'appuierai de mon vote le projet qui vous est soumis par le gouvernement.

M. Moreau, rapporteur. - Si j'ai bien compris l'honorable préopinant, il a critiqué l'amendement de la section centrale introduit à l'article 4 et ainsi conçu :

« Art. 4. Les dispositions des décrets de 1807, maintenues et les dispositions nouvelles seront refondues dans un arrêté royal porté en exécution de la présente loi.

« Cet arrêté sera pris avant l'expiration de la troisième année de sa promulgation ; à partir de cette époque, il sera considéré comme définitif et ne pourra plus être modifié que par une loi. »

Il demande donc le retranchement du dernier paragraphe proposé par la section centrale. Celle-ci, messieurs, d'accord avec le législateur de l'Empire, a pensé que le tarif des frais et dépens en matière civile devait être réglé d'une manière définitive par la loi; car on peut dire, ce me semble, que les frais de procédure civile sont des espèces de péages qui sont à charge de ceux qui ont besoin de recourir à la justice civile.

La section centrale aurait désiré pouvoir proposer une disposition analogue à l'article 1042 du Code de procédure civile, c'est-à-dire prescrire que les tarifs seraient révisés au bout de 3 ans par la législature; mais elle a reconnu qu'il était de toute impossibilité que les chambres examinassent les nombreux détails de ces tarifs, et qu'on leur imposât la tâche de réviser le décret de 1807 qui contient 175 articles relatifs à plusieurs milliers d'actes.

Dans cette alternative, la section centrale a adopté un terme moyen qui, selon elle, atteindrait le but qu'elle s'est proposé, sans laisser au gouvernement ce qui aurait d'autres inconvénients, la faculté de changer, quand bon lui semblerait, le tarif des frais et dépens en matière de procédure civile. Elle l'a donc autorisé à réviser les tarifs qui, après trois ans d'expérience, ne pourront plus être modifiés que par une loi. Si, pendant ces trois années, quelques actes sont reconnus avoir été taxés à un taux trop bas ou trop élève, chaque membre pourra donner des avertissements au ministre; et quand les tarifs auront force de loi, chacun de vous pourra encore faire usage de son droit d'initiative pour en demander la modification.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, le gouvernement ne voit pas d'inconvénient à se rallier à la proposition de la section centrale. Je crois qu'une épreuve de trois années sera suffisante pour apprécier le nouveau tarif. Le projet en a été élaboré depuis longtemps par une commission de magistrats, et il pourra être publié en même temps que la loi que vous discutez. Lorsqu'il aura été soumis à cette épreuve et que l'expérience aura indiqué les corrections et améliorations dont il sera susceptible, le gouvernement y introduira les nouvelles modifications reconnues nécessaires et l'arrêtera définitivement avant l'expiration du délai de trois années, après lequel il ne pourra plus être modifié que par une loi.

Je pense, messieurs, qu'il importe d'imprimer à ces tarifs un certain caractère de stabilité et qu'il ne conviendrait pas que le gouvernement pût les changer à son gré, à chaque instant par des arrêtés nouveaux. Si, après le terme de 3 ans, l'on reconnaît que le tarif doit encore être modifié, le gouvernement présentera, s'il le faut, un nouveau projet de loi pour être autorisé à le faire. Mais il est fort peu probable que cela sera nécessaire.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Le gouvernement se rallie aux amendements de la section centrale.

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Le gouvernement est autorité à régler la taxe et le mode de liquidation des frais et dépens en matière civile, et à apporter les modifications nécessaires aux décrets du 16 février 1807 (Bulletin des lois, n°2240 2241 et 2242). »

- Adopté.


« Art. 2. La taxe et le mode de liquidation seront les mêmes pour les matières sommaires et pour les matières ordinaires. »

- Adopté.

Article 3

« Art. 3. Les officiers ministériels devront, s'ils en sont requis, demander la taxation des frais et dépens à la charge des parties pour lesquelles ils ont occupé ou instrumenté.

« Ils devront de plus l'obtenir avant d'intenter, de ce chef, une action en justice; sinon ils seront déclarés non recevables. »

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'honorable M. Lelièvre soutient que cette disposition est inadmissible. Mais je pense qu'il est dans l'erreur, et qu'il lui donne une portée qu'elle n'a pas. Voici ce qui a donné lieu à cette disposition. Il y avait doute sur la question de savoir si les frais dus à l'avoué par la partie qui perd son procès devaient être taxés, et plusieurs magistrats se refusaient à cette taxation. Il en résultait que quand la partie succombant refusait de payer ces frais, l'avoué devait lui intenter de ce chef une action, ce qui occasionnait des frais frustratoires et inutiles.

Or, l'article 3 obvie à cet inconvénient en obligeant les officiers ministériels à réclamer la taxe et par suite en obligeant les magistrats à taxer ces dépens quand ils en seront requis. Cette disposition est donc entièrement dans l'intérêt des plaideurs qui généralement lorsqu'ils verront un état taxé par le magistrat, n'iront pas plus avant, et s'empresseront de payer l'avoué qui aura occupé pour eux.

L'honorable membre pense que la taxe préalable pourrait être un préjugé en faveur de l'action que l'avoué doit intenter à sa partie, mais il est encore dans l'erreur à cet égard. La taxe du juge n'aura d'autre effet que de certifier que les frais et vacations indiqués dans l'état sont conformes au tarif et doivent être payés. Cela n'empêche pas que si la partie croit avoir des motifs de ne pas payer, elle peut faire valoir ses droits devant les tribunaux. Mais la question de la taxe sera préalablement décidée ; l'action ne pourra être intentée qu'après la taxe.

Je crois que cette mesure serait extrêmement utile, qu'elle éviterait des frais aux parties qui déjà en ont eu à payer, puisqu'elles ont perdu leur procès.

M. le président. - M. Lelièvre vient de déposer la proposition suivante :

« Je propose :

« 1° La suppression du paragraphe 2 de l'article 3;

« 2° Une disposition additionnelle à cet article ainsi conçue :

« Indépendamment des émoluments alloués par le tarif, les avoués ont le droit de réclamer, sur taxe du juge à charge de leurs parties, des honoraires pour devoirs et vacations utiles qu'ils peuvent faire dans l'intérêt de leur cause. »

M. Lelièvre. - Je ne vois aucun inconvénient à laisser subsister le paragraphe premier ; mais le second me semble devoir être rejeté, parce qu'il est impossible de forcer l'avoué, avant de se pourvoir en justice, à requérir une taxe que doit préjuger le procès, soit contre lui, soit en sa faveur, et en ce dernier cas contre les intérêts d'un tiers qui n'est pas entendu.

D'ailleurs, s'il s'agit de se pourvoir en justice, la taxe préalable est insignifiante, puisque c'est le tribunal qui sera appelé à statuer contradictoirement sur le mérite de la demande et la hauteur de la créance. Il n'est donc pas possible de créer de ce chef une fin de non-recevoir contre une demande fondée.

M. Toussaint. - Je désire que la chambre ne laisse pas les parties et les avoués dans l'état normal dont M. Lelièvre parle et qu'elle ne les oblige pas à aller tout d'abord en justice réglée pour le règlement des frais. Je préfère infiniment que ces sortes d'affaires, se rapportant à un procès qui a été longuement débattu, soient décidées par le juge dans le silence du cabinet plutôt que d'être portées devant les tribunaux en séance publique. Ce sont des débats dont, dans l'intérêt des officiers ministériels eux-mêmes, il faut, autant que possible, éviter de donner le spectacle aux justiciables.

L'honorable M. Lelièvre croit que dans l'étal actuel les difficultés qui s'élèvent entre les parties et les avoués au sujet de la taxe se rapportant à un jugement obtenu sont jugées en audience publique. C'est une erreur. Dans la plupart des tribunaux où il y a une procédure un peu régulière, il n'en est pas ainsi; l'avoué ne demande pas directement son payement à l'audience, il le demande à l'amiable. Si la partie réclame et demande la taxe, cette difficulté est réglée par le juge en la chambre du conseil.

M. Lelièvre. - L'honorable M. Toussaint est dans l'erreur, il confond la procédure qui a lieu en cas d'opposition à la taxe formée par la partie qui a succombé dans l'instance avec l'hypothèse où nous nous trouvons, celle d'une demande exercée par l'avoué contre son client. Cette action est soumise aux règles ordinaires, et il ne s'agit pas de la vider par opposition.

Je maintiens qu'en ce cas l'avoué ne doit pas être astreint à une taxe préalable qui ne doit avoir aucune influence sur le procès, puisque le juge devant lequel l'instance sera poursuivie, devra de nouveau taxer les honoraires et en déterminer l'import.

L'obligation d'obtenir une taxe préalable ne peut aboutir à rien.

M. Toussaint. - Je n'avais pas compris ainsi l'idée émise par l'honorable M. Lelièvre. Mais mon idée subsiste; mon raisonnement reste debout; car si le juge peut taxer convenablement les frais du demandeur, il peut tout aussi bien taxer les frais du défendeur. Le juge qui décide la cause peut connaître des difficultés relatives à la taxe. Vous ne l'éclairerez pas plus à l'audience que vous ne pouvez l'éclairer dans son cabinet.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Comme j'ai eu l'honneur de le faire observer, le but de l'article est d'éviter des exactions inutiles de la part des avoués envers les clients pour lesquels ils ont occupé. Lorsque les parties, s'étant laissé assigner, verront en tête de l'assignation l'état taxé par le juge, le plus souvent elles payeront sans aller devant la justice. Rien de plus simple que d'exiger que l'état des frais fait par l'avoué soit visé par le magistrat taxateur, avant que l'action puisse être intentée. Cette disposition aura pour résultat d'éviter des actions judiciaires, qui entraîneraient des frais frustratoires ; sous ce rapport, elle aura donc un grand degré d'utilité.

M. Moreau, rapporteur. - J'ai demandé la parole pour présenter une simple observation.

L'honorable M. Lelièvre admet la première partie de l'article 3. Il. consent à ce que les officiers ministériels soient astreints, lorsqu'ils en seront requis, à demander la taxation des frais et dépens à charge des personnes pour lesquelles ils ont occupé. Mais il rejette le deuxième paragraphe de l'article 3, aux termes duquel ils sont déclarés non recevables dans leur action si, avant de l'intenter, ils n'ont pas obtenu la taxation de leurs frais. Il est évident que cette disposition doit être admise, comme conséquence de la première, dont elle n'est que la sanction, car c'est le seul moyen de contraindre l'officier ministériel à faire taxer l'état de ses frais. Le dernier paragraphe de l'article 3 doit être maintenu.

M. de Luesemans. - Messieurs, je crois que la disposition finale de l'article 3 du projet peut donner lieu à quelques inconvénients, sur lesquels je désire faire une question à M. le ministre de la justice.

Si un officier ministériel réclame, par une action judiciaire, les frais et dépens à charge de la partie pour laquelle il a occupé, c'est qu'il croit y avoir droit, et qu'il se fonde sur des devoirs promérités.

La question qui s'agitera devant le tribunal sera une question où des droits civils seront engagés, et qui devra être jugée au fond et après débats contradictoires par le tribunal devant lequel elle aura été portée. Or le paragraphe en discussion pourra avoir pour résultat de rendre juge du fond le président taxateur qui pourra, par un refus de taxer l'état, empêcher que malgré son droit l'avoué ne puisse le faire valoir en justice ; en effet, si le président du tribunal n'a pas taxé, avant que l'action ne soit intentée, l'avoué sera déclaré non recevable, dans son action quelque fondée qu'elle puisse être. N'est-il pas évident, messieurs, que la forme primera le fond? Cela me semble exorbitant, et je prierai M. le ministre de la justice de vouloir bien dissiper mes scrupules.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je ne peux pas supposer qu'un magistrat auquel la loi impose l'obligation de taxer les états qui lui sont soumis, puisse refuser cette taxe. Ce serait, comme vient de le dire M. Toussaint, un véritable déni de justice. On ne peut pas prévoir une pareille opposition dans la loi. Je pense que lorsque les magistrats seront requis de taxer des états qui leur seront soumis, ils s'empresseront toujours de le faire. S'ils ne le font pas, c'est qu'ils auront de justes motifs pour s'y refuser, et alors ils déclareront ces motifs. Par exemple, si un avoué venait réclamer une taxe qui ne lui serait pas due, pour une affaire dans laquelle il n'aurait pas occupé, alors le président du tribunal refuserait, par une ordonnance motivée, la taxe qui lui serait demandée. Si l'avoué croyait devoir aller plus loin, il pourrait intenter une action, et le tribunal serait appelé à juger la question. Mais je ne puis croire que partout où la taxe sera demandée justement, elle soit refusée par le magistrat qui sera requis de la donner.

M. de Luesemans. - La réponse que vient de me faire M. le ministre de la justice me parait un motif sérieux pour demander la suppression du paragraphe. Ainsi, M. le ministre de la justice nous dit que dans le cas où l'avoué demanderait à faire taxer un état dans une affaire où il n'aurait pas occupé, le président du tribunal ne taxerait pas. Mais ce sera là évidemment préjuger le fond. Or, la solution de la question ainsi posée doit appartenir, non pas au président du tribunal, mais au degré de juridiction devant lequel l'affaire est portée.

Je pense que par ces motifs il y a lieu de supprimer le dernier paragraphe de l'article 3.

M. de Theux. - Je pense, messieurs, qu'il vaut mieux maintenir le projet du gouvernement par la raison fort simple que, la plupart du temps, ces sortes de questions s'élèvent vis-à-vis de personnes peu fortunées, et ignorantes des questions de la procédure, et qu'il convient qu'elles soient informées, par la taxe, du montant et de la justice de la réclamation qui leur est adressée.

C'est le moyen le plus simple de mettre cette catégorie de plaideurs à l'abri de toute demande exorbitante et de ne pas les engager dans des contestations qui pourraient les entraîner à des frais.

- Les deux paragraphes de l'article 3 sont successivement mis aux voix et adoptés.

M. le président. - Vient maintenant la disposition additionnelle proposée par M. Lelièvre.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Cette disposition est extrêmement grave. Je ne crois pas qu'il soit possible de l'adopter et de l'insérer incidemment dans le projet actuel.

Il s'agirait de reconnaître le droit des avoués à d'autres émoluments que ceux qui leur ont été alloués jusqu'ici en vertu des tarifs civils. Or, (page 913) la jurisprudence est contraire à cette prétention des avoués qui, je crois, a déjà été repoussée par des arrêts solennels.

Lorsque les avoués seront mandataires de leurs parties, lorsqu'ils auront des mandats spéciaux pour faire des vacations particulières autres que celles qu'ils doivent faire en qualité d'officiers ministériels, ils pourront demander des honoraires particuliers. Mais je crois que la loi n'a pas à s'occuper de cela. Nous faisons des tarifs pour les officiers ministériels et nous ne devons nous occuper que de la taxation des dépens qui leur sont dus en cette qualité.

M. Lelièvre. - Mon amendement a pour but de faire cesser une difficulté qui s'élève souvent et qu'il appartient à la législature de trancher.

Divers actes faits par les avoués dans l'intérêt de leurs clients ne sont pas mentionnés dans le tarif. Cependant il est naturel que les officiers ministériels aient droit à des honoraires du chef de ces devoirs qui ont profité leurs clients, et qui ont été faits dans les intérêts de ceux-ci. Je demande que la loi renferme à cet égard une disposition formelle; toutefois, l'appréciation de ces devoirs sera soumise à la taxe du juge.

M. Orts. - Je crois que l'honorable M. Lelièvre confond deux choses : les honoraires que l'avoué peut réclamer pour les actes de son ministère, pour les actes qu'il a posés en qualité d'officier ministériel privilégié, et les honoraires qu'il peut réclamer pour devoirs utiles à son client, mais qu'il ne fait que comme pourrait le faire un avocat. De même que, pour ces derniers actes, l'avocat n'est pas sujet à la taxe, je crois qu'il faut laisser l'avoué dans la même position.

Du reste, M. le ministre de la justice vous a fait observer avec beaucoup d'exactitude que la question est tranchée dans un sens contraire à l'amendement par la jurisprudence existante.

Il existe un arrêt de la cour de cassation, assez récent, rendu à l'occasion d'un jugement du tribunal de Namur; par conséquent, M. Lelièvre doit le connaître. Cet arrêt décide qu'il ne faut pas tarifer les devoirs faits par l'avoué en une autre qualité que sa qualité d'avoué. Je pense que ce système est le meilleur à suivre ; car si vous adoptiez le système de M. Lelièvre, il faudrait, pour être conséquent, soumettre à la taxation les honoraires des avocats. Cette innovation n'est, je le suppose, dans la pensée de personne.

M. Lelièvre. - L'honorable préopinant se trompe en disant que l'arrêt dont il parle a décidé que les avoués n'ont pas droit à des honoraires. Il a décidé qu'une promesse était nécessaire, en reconnaissant toutefois que cette promesse pouvait n'être que tacite. Le principe n'a donc pas été tranché contrairement à mon amendement, et les motifs que j'ai déduits à l'appui de mon système me paraissent péremptoires.

- La disposition additionnelle proposée par M. Lelièvre est mise aux voix, elle n'est pas adoptée.

Article 4

« Art. 4. Les dispositions des décrets de 1807 maintenues et les dispositions nouvelles seront refondues dans un arrêté royal porté en exécution de la présente loi.

« Cet arrêté sera pris avant l'expiration de la troisième année de sa promulgation; à partir de cette époque, il sera considéré comme définitif et ne pourra plus être modifié que par une loi. »

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Il faudra remplacer le mot « promulgation » par celui de « publication ».

- L'article est adopté avec ce changement.

M. le président. - Voici la composition de la commission chargée d'examiner le projet de loi sur la suppression du conseil des mines : MM. Destriveaux, Dautrebande, Pirmez, Rousselle, Orts, Jacques et Lelièvre.

La commission sera convoquée pour demain à 11 heures.

Vote sur l’ensemble du projet

M. le président. - Je suppose que la chambre voudra passer immédiatement au vote sur l'ensemble du projet de loi concernant les tarifs en matière civile. Elle ne considérera pas comme un amendement la substitution du mot publication à celui de promulgation. Ce n'est que le redressement d'une erreur. (Adhésion.)


- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 58 membres présents.

Ce sont : MM. Dautrebande, David, H. de Baillet, Dedecker, de Haerne, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Perceval, de Renesse, de Royer, Desoer, Destriveaux, de Theux, de T'Serclaes, Dolez, Dumortier, Jacques, Jouret, Julliot, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Orts, Osy, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rousselle, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Troye, Van Cleemputte, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Boedt, Bruneau, Cans, Clep, Cools, Cumont et H. de Brouckere.

Projet de loi concernant les tarifs en matière criminelle

Discussion des articles

M. le président. - Je demanderai à M. le ministre de la justice s'il se rallie au projet de la section centrale?

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Les amendements ont été concertés entre le gouvernement et la section centrale. Nous sommes d'accord sur tous les points : seulement j'aurai à présenter quelques observations peu importantes, dans le cours de la discussion.

M. le président. - Ainsi la discussion portera sur le projet de la section centrale.

- Personne ne demandant la parole sur l'ensemble du projet, la chambre passe à la discussion des articles.

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à apporter à celles des dispositions des décrets des 18 juin 1811 et 7 avril 1813 qui ne font pas l'objet de la présente loi, les modifications qu'il jugera nécessaires.

« Les articles de ces décrets maintenus ou modifiés, ainsi que les articles nouveaux, seront refondus dans un arrêté royal destiné à remplacer ces décrets.

« Cet arrêté sera pris avant l'expiration de la troisième année de la publication de la présente loi; à partir de cette époque, il sera considéré comme définitif et ne pourra plus être modifié que par une loi. »

- Adopté.


« Art. 2. Les frais de recouvrement des amendes, frais de justice restitutions et dommages-intérêts seront taxés conformément au tarif en matière criminelle.

« L'administration de l'enregistrement, chargée du recouvrement, fera l'avance des frais et s'en remboursera suivant les formes de droit sur les condamnés. »

- Adopté.

Article 3

« Art. 3. Tous les individus condamnés définitivement et par le même jugement, comme auteurs ou complices d'un même crime, d'un même délit ou d'une même contravention, et les personnes déclarées civilement responsables, seront tenus solidairement des frais, des amendes, des restitutions et des dommages et intérêts.

« Si, sur l'appel du ministère public seul, le jugement est confirmé, les frais de l'appel ne seront point à la charge du condamné.

« Lorsque la peine sera réduite par le jugement d'appel, celui-ci pourra ne mettre à charge du condamné qu'une partie des frais ou même l'en décharger entièrement.»

M. Lelièvre propose d'énoncer le paragraphe 3 en ces termes :

« Lorsque la peine sera réduite par le jugement d'appel, celui-ci pourra ne mettre à charge du condamné qu'une partie des trais de l'instance d'appel ou même l'en décharger entièrement. »

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je demanderai que dans le second paragraphe on substitue aux mots : « une partie des frais », ceux-ci : « une partie de ces frais ».

M. Lelièvre. - L'amendement de M. le ministre de la justice étant conçu dans le même esprit que le mien et portant ainsi sur les frais de l'instance d'appel, je déclare m'y rallier.

- Cette substitution est adoptée.

M. Lelièvre. - Messieurs, j'ai l'honneur de proposer à l'article 3 la disposition additionnelle suivante :

« Celui qui aura porté une plainte évidemment mal fondée, pourra, sur les conclusions du ministère public, et après avoir été entendu, être condamné aux frais de la poursuite, alors même qu'il ne se serait pas constitué partie civile. »

Depuis longtemps on reconnaît la nécessité de pouvoir atteindre ceux qui forment des plaintes téméraires donnant lieu à des poursuites dont les frais sont supportés par le trésor public. Le ministère public donne suite à une plainte qu'il croit fondée; et la cause appelée à l'audience, il devient évident qu'elle est vexatoire. Il est plus juste que celui qui, par son fait, a occasionné un dommage à l'Etat doive le réparer et cette réparation consiste naturellement dans la condamnation aux dépens du procès. Les tribunaux de simple police et de police correctionnelle peuvent, en acquittant le prévenu, lui adjuger des dommages et intérêts à charge des plaignants (art. 157 et 191 du Code d'instruction criminelle). Il est juste que le juge puisse adjuger à l'Etat semblable réparation, lorsque le plaignant a induit en erreur le ministère public en provoquant son action sans aucun fondement.

Cette disposition sera de nature à réduire considérablement les frais de justice; on sera plus circonspect à déposer des plaintes, lorsque la loi aura prononcé une pénalité contre ce fait témérairement posé.

Ce sont ces considérations qui m'ont engagé à proposer un amendement dont l'accueil doit amener d'heureux résultats et qui, du reste, est conforme à la plus sévère justice.

M. Orts. - Messieurs, l'amendement de l'honorable M. Lelièvre est un véritable bouleversement dans les principes de notre procédure criminelle ; je crois qu'en supposant que cette disposition fût bonne, ce ne serait pas le moment de la discuter ; ce serait mal la placer que de l'introduire dans une loi où il s'agit seulement de la révision du tarif des dépens.

Du reste, je crois que, comme révision du Code d'instruction criminelle, l'amendement de l'honorable M. Lelièvre serait une innovation fort peu heureuse; car, il ne faut pas oublier, messieurs, que le ministère public est d'abord le premier juge de la validité des plaintes qui lui sont transmises. Si le ministère public, sur une simple plainte, se met à poursuivre mal à propos, c'est tout autant sa faute que celle du plaignant; par conséquent, il serait très dangereux de permettre au ministère public de rejeter sur un plaignant la responsabilité de la faute commune.

Je crois donc que l'amendement de l'honorable M. Lelièvre ne doit pas être adopté, au moins qu'il ne doit pas être voté dans le projet de loi en discussion.

M. Lelièvre. - Messieurs, on prétend que mon amendement ne peut pas trouver place dans le projet en discussion. Mais de quoi s'agit-il? Il s’agit précisément de statuer sur les frais de justice. Par l'article 4, vous les imposez aux communes, aux provinces, aux administrations et établissements publics; moi je veux qu'ils tombent à la charge de ceux (page 914) qui auront formé des plaintes mal fondées. Mon amendement a donc un rapport intime avec la loi que nous discutons.

On dit, messieurs, que ce serait bouleverser les principes de notre législation criminelle. Pas le moins du monde. Le plaignant, qui ne s'est pas constitué partie civile, peut être condamné aux dommages et intérêts envers le prévenu acquitté. Pourquoi, lorsque par une plainte vexatoire, il a entraîné le trésor dans des dépenses inutiles, ne serait-il pas condamné aux frais vis-à-vis de la partie publique qu'il a induite en erreur?

Cette condamnation aux frais constitue en ce cas la réparation du dommage causé à l'Etat.

Mon amendement a pour but de réduire les frais judiciaires en empêchant qu'on ne forme des plaintes dénuées de toute apparence de fondement. Il est fondé précisément sur les motifs qui ont dicté les dispositions du Code d'instruction criminelle que j'ai indiquées.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Une semblable disposition ne sera, je pense, dans aucun temps introduite dans notre législation; mais, dans tous les cas ce n'est pas ici le lieu de la présenter; et il faudrait la rattacher à la révision du code d'instruction criminelle dont tôt ou tard nous aurons à nous occuper; l'honorable M. Lelièvre, s'il le juge à propos, pourra alors reproduire sa proposition, mais je pense qu'elle ne sera pas plus admise alors qu'elle ne le serait maintenant.

En effet, elle bouleverserait tous les principes de notre législation en matière de procédure criminelle. La partie plaignante ne peut être condamnée aux frais que quand elle s'est portée partie civile ; mais si elle se borne à déposer une plainte en laissant au ministère public le soin d'apprécier s'il convient de lui donner suite, celui-ci quand il poursuit fait sienne la plainte qui lui a été adressée, et lui seul pourrait être responsable des conséquences; mais l'on sait que le ministère public n'est soumis à aucune responsabilité, car il est toujours présumé agir dans l'intérêt de la société.

- La discussion est close.

L'article 3 proposé par la section centrale est mis aux voix et adopté.

La disposition additionnelle proposée par M. Lelièvre est mise aux voix; elle n'est pas adoptée.

Article 4

« Art. 4. Les provinces, les communes, les administrations et établissements publics sont assimilés aux parties civiles dans les poursuites en matière de police correctionnelle ou de simple police faites à leur requête ou même d'office, et principalement dans leur intérêt pécuniaire. »

- Adopté.

Article 5

« Art. 5. L'article 157 du décret du 18 juin 1811 est abrogé. »

En matière de police simple ou correctionnelle, la partie civile sera tenue, avant toutes poursuites, soit qu'elle agisse directement, soit qu'elle procède comme partie jointe, de déposer au greffe la somme présumée nécessaire pour les frais de la procédure, sans qu'il puisse être exigé aucune rétribution pour la garde de ce dépôt, à peine de concussion. Une nouvelle somme devra être fournie si la première est devenue insuffisante.

« En cas de condamnation des prévenus, les sommes consignées par la partie civile lui seront remboursées après déduction des frais qu'elle aura faits dans son intérêt et qui seront taxés par le jugement.

« Les provinces, les communes, les administrations et établissements publics sont dispensés de la consignation.

« Il en sera de même de la partie civile qui, sur requête présentée à la chambre du conseil, aura été admise au bénéfice du pro Deo.»

M. Lelièvre. - Il est impossible de maintenir la disposition : « Après déduction des frais qu'elle aura faits dans son intérêt ». En effet, les frais que la partie civile aura faits dans son intérêt ont été avancés par elle et non par le trésor public. Il ne peut donc être question de les déduire de la somme consignée.

M. Toussaint. - Il va sans dire que, quand on restituera à la partie civile le résidu de sa consignation, on n'ira pas déduire les frais que la partie aura faits elle-même et payés. La règle consacrée par tous les tribunaux, c'est que la partie qui intente l'action consigne dès le début ce qui sera nécessaire pour payer tous les frais du procès et qu'elle ne paye rien directement. C'est ainsi que cela se passe au tribunal de Bruxelles ; c'est le seul moyen d'avoir une garantie complète qu'une partie des frais ne tombera pas à charge du trésor. C'est à cette fin que l'article a été rédigé ainsi qu'il l'est.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Pour faire droit à la réclamation de M. Lelièvre, il suffit de supprimer les mots: « qu'elle aura ».

M. Orts. - J'ai demandé la parole pour avoir une explication de M. le rapporteur de la section centrale sur la portée du paragraphe final de l'article, où nous lisons :

« Il en sera de même de la partie civile qui, sur requête présentée à la chambre du conseil, aura été admise au bénéfice du pro Deo. »

Je désirerais savoir si par ces mots : « sur requête présentée à la chambre du conseil », on a entendu modifier, quant à l'obtention du pro Deo, les formalités qui doivent être accomplis d'après la loi existante. D'après cette loi, il faut que la partie qui demande le pro Deo comparaisse en présence de la partie adverse devant la chambre du conseil. Veut-on supprimer cette comparution ? C'est une modification peu heureuse, ce serait faciliter les moyens de faire gratis de mauvais procès à des honnêtes gens. Ce serait aller trop loin que d'autoriser le plaignant à plaider pro Deo sans avoir entendu sou adversaire naturel. Je ne pense pas que la chambre veuille faciliter l'accès du tribunal correctionnel dans des circonstances où l'on ne trouverait pas d'accès près du tribunal civil.

M. Moreau, rapporteur. - Le projet de loi n'indiquait pas de quelle manière le pro Deo serait accordé. La section centrale a admis une disposition exigeant que celui qui veut obtenir le pro Deo, présente une requête à la chambre du conseil ; mais elle n'a pas pour cela voulu innover dans les formalités auxquelles l'obtention de cette faculté est soumise. Du moins j'ai compris de cette manière l'amendement proposé par la section centrale.

M. Toussaint. - Je crois que la mémoire de M. le rapporteur le sert mal quand il pense que l'intention de la section centrale n'a pas été d'innover, quant au jugement qui accordera à un indigent le bénéfice du pro Deo.

Comme membre de la section centrale, mon intention a été de faire statuer sur la demande de pro Deo par la chambre du conseil de la Chambre correctionnelle, et non par la chambre du conseil de la chambre civile.

Pour mon compte, je n'ai pas du tout compris que la partie adverse dût être appelée.

On ne doit pas croire que la chambre du conseil accorde légèrement la faveur de poursuivre gratuitement, comme partie civile, une personne qui se serait rendue coupable d'un délit.

Les juges de la chambre du conseil sont d'ailleurs les mêmes qui auront à connaître de la cause en audience publique. Ils sont habitués à juger ces sortes d'affaires. Elles seront bien jugées sans qu'on établisse un débat sérieux entre celui qui veut se porter partie civile et sa partie adverse.

J'insiste donc pour que la disposition soit maintenue telle qu'elle a été conçue, c'est-à-dire qu'il ne soit pas ouvert un débat avant le débat public.

Il faut que la personne qui n'est pas favorisée des dons de la fortune puisse aussi bien que d'autres faire prévaloir son droit. En lui donnant le moyen de faire prévaloir son droit, vous ne compromettez aucun autre droit.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Le gouvernement avait compris la disposition proposée par la section centrale dans le sens qui vient d'être indiqué par l'honorable M. Toussaint. Il avait pensé que l'on pourrait simplifier les formalités du pro Deo en faveur de l'indigent qui, se prétendant lésé par un délit, réclamerait cette faveur à l'effet de se porter partie civile.

Je pense qu'il ne peut y avoir aucun inconvénient à ce que la chambre du conseil puisse accorder le pro Deo sur simple requête. Il est probable que, dans aucune circonstance, les magistrats n'accorderont légèrement une semblable autorisation. Il serait difficile en cette matière d'assigner la partie adverse et de remplir les mêmes formalités qu'en matière civile. Exiger ces formalités, ce serait en quelque sorte un déni de justice; car cela empêcherait presque toujours la partie lésée de poursuivre son action.

Il me semble donc que l'on peut maintenir la disposition en y attachant le sens que vient d'indiquer l'honorable M. Toussaint et qui ressort d'ailleurs des termes dans lesquels elle est conçue.

M. Lelièvre. - Il faut voir comment les choses se traitent en pratique. Ordinairement on se porte partie civile à l'audience. L'on ne peut donc recourir à la chambre du conseil.

Le décret de 1811 n'impose en ce cas qu'une seule obligation, celle de justifier de son indigence.

Il faudrait dire : Il en sera de même de la partie civile qui aura justifié de son indigence.

La justification de l'indigence résulte d'un double certificat du bourgmestre et du percepteur des contributions, approuvé par le commissaire d'arrondissement.

M. Tesch. - Le paragraphe dernier de l'article 3 est une innovation, au moins dans la pratique. Pour ma part, je ne suis pas très partisan d’innovations qui se glissent dans un projet de loi et dont on n'a pas calculé la portée.

Je conçois qu'en matière civile on accorde le bénéfice du pro Deo, parce que là il n'y a pas de magistrat chargé de veiller aux intérêts des parties. Mais en matière pénale, il y a le procureur du roi chargé de la poursuite de tous les crimes et délits. Ou bien le procureur du roi poursuit, et alors la partie civile n'a pas de frais à avancer ; ou bien le procureur du roi refuse de poursuivre, et alors on ne saurait le contester, il y a présomption que l'individu qui prémédite de se porter partie civile n'a pas le bon droit pour lui.

Je pense qu'il faudrait retrancher ce paragraphe.

Lorsque, comme disait tantôt M. le ministre de la justice, nous discuterons le projet de révision du code d'instruction criminelle, nous discuterons l'arrêté de 1818 relatif au pro Deo. Nous verrons alors s'il faut ou non l'étendre aux matières criminelles, correctionnelles et de simple police.

Quant à présent, je pense qu'il faut supprimer le paragraphe.

M. Van Hoorebeke. - Il me semble que les honorables préopinants ont parlé sous l'empire d'une préoccupation que je ne puis admettre, c'est que la partie lésée, quand elle se constitue partie civile, serait suffisamment protégée par nos lois.

J'admets l'article 5 en tous points, précisément parce qu'il porte abrogation de l'article 15 du décret de 1811, qui lui-même déroge aux principes (page 915) du Code d'instruction criminelle. L'on revient ainsi aux véritables principes, consacrés par le Code d'instruction criminelle.

Le code d'instruction criminelle ouvre à la partie lésée deux voies : la voie civile et la voie criminelle, à l'effet de poursuivre la réparation du dommage qui a été causé.

Le décret de 1811 dit à la partie civile : Si le malfaiteur que vous avez dénoncé à la rigueur de la loi est condamné, c'est vous, vous victime, qui payez les frais. Le battu paye l'amende. C'est un legs des anciennes justices seigneuriales. Le décret de 1811 avait jugé convenable de faire revivre ce principe odieux. Le projet par son article 5 le fait disparaître et je m'en félicite pour ma part.

Il me reste à faire une observation qui m'a été suggérée par la lecture d'un passage du rapport de la section centrale. Dans nos lois, les parties lésées ne sont pas suffisamment protégées.

On n'a qu'à consulter les tableaux statistiques. Eu France, sur cent affaires soumises aux tribunaux répressifs, il y eu a une au criminel et six au correctionnel, dans lesquelles il y a une partie civile. Cependant on a évalué à plus de 6 millions les sommes qui restent annuellement entre les mains des voleurs.

Pour la Belgique, je n'ai pu faire les calculs, la statistique des tribunaux correctionnels n'est pas encore publiée. Mais je crois que la proportion est absolument la même; c'est-à-dire que sur cent affaires il y en a peut-être six dans lesquelles il y a une partie civile; et cela par une raison bien simple, c'est que nos lois ont réservé toute leur sollicitude pour les coupables et n'ont rien fait pour les parties civiles.

Ainsi dans des législations étrangères, on insère comme circonstance atténuante le cas où le coupable a restitué volontairement la chose volée. Dans la nôtre, il n'y a rien de semblable; de plus il serait peut-être même convenable de mettre comme condition de l'octroi des grâces et du bénéfice de la prescription des peines, le fait de la réparation du dommage, en cas de solvabilité du condamné.

L'article 5 en discussion est un retour vers les vrais principes, et je lui donne mon adhésion.

M. Tesch. - L'honorable M. van Hoorebeke n'a rien répondu quant à la question du pro Deo. Je disais que c'était une question qui n'avait pas été examinée, qui n'avait été étudiée par personne.

M. Van Hoorebeke. - J'ai parlé de l'article 5.

M. Tesch. - De l'article 5, paragraphe dernier?

M. Van Hoorebeke. - Non, j'ai parlé du paragraphe premier.

M. Tesch. - Je dis que la question n'a pas été étudiée et je vais le démontrer.

En matière civile, on conçoit le pro Deo. On conçoit que la chambre du conseil puisse examiner s'il faut ou non l'accorder, parce que le plus souvent la chambre du conseil aura examiné des titres sur lesquels s'appuie la demande et sur lesquels elle aura pu se faire une opinion.

Remarquez qu'en matière correctionnelle comme en matière criminelle, il s'agit presque toujours de faits à décider, tandis qu'en matière civile, il s'agit de droits sur lesquels il faut prononcer.

Eh bien, quand il s'agira de faits à examiner, comment le tribunal pourra-t-il autoriser le pro Deo? Car on doit supposer que le tribunal n'autorise le pro Deo que pour autant qu'il juge que l'affaire peut être sérieusement soutenue. Or, en matière correctionnelle, quand il n'y aura pas eu d'instruction préalable, cela lui sera presque toujours impossible. Ainsi, un individu se plaint d'avoir été battu. On fera venir la partie adverse qui répondra par une dénégation. Comment le tribunal fera-t-il pour vérifier si l'individu qui se plaint, a été ou n'a pas été battu?

Il en sera de même pour les vols et pour d'autres faits analogues.

Je demande si dans ces cas le pro Deo pourra être accordé.

Je dis, messieurs, que nous ne pouvons, sans un mûr examen, admettre un principe semblable dans notre législation. Lorsque nous nous occuperons de la révision de notre Code d'instruction criminelle, je l'ai dit tantôt, nous verrons s'il y a lieu de l'admettre.

M. Bruneau. - Je crois, messieurs, qu'il y aurait moyen de concilier toutes les exigences par un changement de rédaction. Il suffirait d'ajouter après les mots : présentée à la chambre du conseil, ceux-ci : ou au tribunal correctionnel.

Voici en fait comment les choses se passent. Je suppose qu'un pauvre diable soit écrasé par la voiture d'un grand seigneur. Il veut se porter partie civile. D'après la loi, il ne le pourrait pas, à moins de consigner les frais qui doivent résulter de la poursuite.

D'après le projet, que devra-t-il faire? Il devra demander préalablement à la chambre du conseil à être autorisé à se porter partie civile.

Je suppose qu'il ne le fasse pas, soit parce qu'il n'a pas la prévoyance de le faire, soit parce qu'il s'est adressé à un conseil qui ne lui a pas indiqué le moyen de le faire.

Mais lorsque l'affaire se poursuit devant le tribunal correctionnel, lorsqu'il y a presque certitude par les dépositions des témoins qu’il y aura condamnation, il est de l'intérêt de la personne lésée de se porter à l'audience même, partie civile. D'après la loi, elle ne le pourrait pas ou il faudrait nue l'affaire fût remise à une autre audience.

Je ne vois, messieurs, aucun inconvénient à ce qu'en cas semblables, la personne lésée puisse demander à se porter partie civile, et à ce que le tribunal puisse, séance tenante, l'y autoriser.

Je propose donc d'ajouter, après les mots « à la chambre du conseil », ceux-ci : « ou au tribunal correctionnel ».

M. le président. - M. Lelièvre propose par amendement de rédiger ainsi le dernier paragraphe.

« Il en sera de même de la partie civile qui aura justifia de son indigence. »

M. Lelièvre. - Messieurs, mon amendement tend à maintenir la législation actuelle. Il est évident que lorsque le ministère public a lui-même exercé une poursuite et que la partie civile vient se joindre à loi, l'on ne peut exiger la consignation dont nous nous occupons si l'individu lésé par le délit justifie son état d'indigence; c'est pour lui un droit de se joindre au ministère public; or, on conçoit la dispense de la consignation dans le cas où sa position ne lui permet pas de satisfaire à l'obligation écrite dans la loi. Je ne pense pas qu'il y ait des motifs suffisants de modifier la législation à cet égard.

M. Orts. - Dans ce qu'a dit tout à l'heure l'honorable M. Van Hoorebeke, il est un argument statistique qui aura peut-être fait quelque impression sur la chambre. Il a représenté nos lois criminelles comme un obstacle permanent à toute poursuite de la part des parties lésées contre ceux qui leur ont causé du dommage. Eh bien, malgré les chiffres statistiques donnés par l'honorable membre, je dis qu'il n'en est rien. Ce n'est pas la difficulté d'obtenir justice devant les tribunaux contre un adversaire riche qui empêche celui qui se croit lésé de se porter partie civile. On ne se porte pas partie civile par une excellente raison, c'est qu'on craint, en cas de perte du procès, d'en supporter les frais. Or, ce n'est pas ce qu'évitera l'article 5 en ce moment en discussion. (Interruption.)

L'honorable M. Van Hoorebeke m'interrompt; il prétend que je me trompe. Je vais lui démontrer au contraire son erreur.

L'honorable membre s'imagine que le projet doit empêcher la condamnation aux frais de la partie civile qui succombe. Ce n'est pas là le but du projet. Le projet veut, comme la loi existante, que la partie civile qui succombe, qu'elle soit riche ou qu'elle soit pauvre, soit condamnée aux frais. Cela est maintenu. On veut éviter une seule chose : la consignation. Or, c'est la perspective de devoir payer les frais d'un mauvais procès qui empêche ordinairement qu'on ne se porte partie civile.

Il y a encore un autre motif : c'est que la personne qui se porte partie civile, se prive de son propre témoignage. Or, d'ordinaire le plaignant est le principal témoin dans son affaire.

Voilà les motifs pour lesquels la partie qui se croit lésée ne veut pas courir le risque de se porter partie civile. Elle fait d’ordinaire plus sagement. Elle attend que le ministère public ait agi d'office; elle attend qu'il ait fait condamner; et quand il y a condamnation, elle s'adresse au tribunal civil devant lequel elle obtient facilement une condamnation à des dommages-intérêts, un jugement correctionnel en main.

M. Van Hoorebeke. - Je n'ai qu'un mot à dire : c'est que l'honorable M. Orts raisonne sur un paragraphe, tandis que moi, j'ai raisonné sur un autre.

Le paragraphe premier porte qu'en cas de condamnation des prévenus, les sommes consignées par la partie civile lui seront remboursées. Par conséquent l'obligation de la consignation n'est pas détruite.

Vous avez raisonné pour le cas où la partie civile ne serait pas en état de consigner la somme présumée nécessaire; dans ce cas elle est dispensée de la consignation. Mais ce n'est pas de ce cas que je me suis occupé, J'ai raisonné sur le premier paragraphe qui maintient l'obligation de la consignation, niais qui porte abrogation de l'article 157 du décret du 18 juin 1811, en vertu duquel c'était la partie lésée qui, même en cas de condamnation du coupable qu'elle a dénoncé aux rigueurs de la loi, était tenue des frais envers l'Etat.

M. Toussaint. - Messieurs, il vient de nous être fait deux pro positions : Celle de M. Tesch tend à supprimer tout simplement la disposition finale de l'article. La proposition de M. Lelièvre tend à ce que l'indigent qui veut se constituer partie civile puisse le faire en tout état de cause en obtenant le pro Deo jusqu'au dernier moment, jusqu’à immédiatement avant le jugement: il lui suffirait de justifier de son indigence. Le système de M. Lelièvre aurait pour effet d'interrompre l'action de la justice en l'obligeant à s'occuper d'abord de reconnaître le fait de l'indigence. (Interruption.) D'après la législation actuelle il n'y a pas, à vrai dire de pro Deo en matière correctionnelle. (Interruption.) Quoi qu'il en soit, je crois que vous devez toujours admettre le paragraphe final de l'article 5 qui ne présente aucun danger pour la personne poursuivie et qui offre certainement un avantage à l'indigent; elle lui permettra non seulement de profiter du jugement, mais encore elle lui donnera l'avantage très grand de suivre lui-même la procédure afin, d'une part, devoir flétrir le fait commis à son détriment, et d'autre part, d'obtenir une juste réparation.

J'insiste pour l'adoption du paragraphe final de l'article.

M. Tesch. - Pour maintenir le paragraphe final de l'article, il faudrait au moins qu'on déterminât de quelle manière les parties procéderont. Il ne suffit pas de consacrer un principe, il faut aussi introduire dans la loi des articles qui apprennent au public la manière dont on devra s'y prendre quand on voudra obtenir le pro Deo; il faut nécessairement déterminer la procédure à suivre quand on voudra obtenir cette faveur.

Je demanderai si les choses se passeront comme elles se passent aujourd'hui en matière civile. En matière civile, on présente une requête au tribunal; deux juges entendent les parties et font ensuite un rapport au tribunal, et le tribunal décide; rendra-t-on ces formalités applicables en matière criminelle ? Le tribunal correctionnel désignera-t-il un huissier, un avoué, un avocat? Si on veut introduire des principes nouveaux qu'on en réglemente l'application. Alors au moins la loi aura un sens qu'elle n'a pas aujourd'hui.

(page 916) M. Toussaint. - Je regrette, messieurs, de devoir revenir si souvent sur ce point, mais j'espère que la chambre me le pardonnera en faveur de l'objet, à savoir l'action exercée par un indigent contre celui qui a commis un délit à son détriment.

M. Tesch demande une réglementation. Mais il est réellement trop éclairé pour avoir besoin d'autres règles que celles que contient le paragraphe qu'il critique.

Il va sans dire que la disposition a lieu sur une simple requête présentée à la chambre et sur laquelle il sera statué en chambre du conseil. Cela est si vrai que l'on est venu nous opposer cette objection que la partie adverse ne serait pas entendue, qu'elle n'aurait pas les mêmes garanties qu'en matière civile.

L'article indique donc suffisamment la marche à suivre. La chambre du conseil statuera ; et en statuant elle aura devant elle le dossier criminel ou correctionnel, les notes du ministère public, et elle pourra demander des renseignements ultérieurs si elle n'est pas suffisamment éclairée.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Aujourd'hui, messieurs, dans la pratique, lorsqu'un indigent veut se porter partie civile et jouir du bénéfice du pro Deo, il doit remplir les mêmes formalités que celles qui sont exigées en matière civile. Or, le but de la section centrale a été de faciliter aux indigents cette action, qui est aujourd'hui entourée de beaucoup de difficultés. La section centrale propose donc que l'indigent qui veut se porter partie civile puisse être admis au bénéfice du pro Deo, sur une simple requête présentée à la chambre du conseil. Maintenant qu'aura à faire la chambre du conseil lorsqu'elle sera saisie d'une semblable requête? Elle aura d'abord à constater l'indigence de celui qui veut se porter partie civile. Ensuite elle examinera si l'action que l'indigent veut intenter se présente avec des présomptions telles qu'on puisse la considérer comme sérieuse et fondée. Dans ce cas, la chambre du conseil autorisera l'indigent à poursuivre, et lui accordera le bénéfice du pro Deo, par suite duquel il sera de droit dispensé de la consignation.

Voilà, messieurs, l'interprétation que doit recevoir la disposition finale de l'article 5, telle qu'elle est amendée par la section centrale. Je crois qu'elle mérite d'être favorablement accueillie, et qu'elle ne peut, dans la pratique, donner lieu à aucune espèce d'inconvénient.

M. Lelièvre. - Il ne faut pas perdre de vue comment les choses se passent devant la justice répressive. Le plaignant se porte ordinairement partie civile à l'audience même, il peut user de ce droit jusqu'à la clôture des débats. Le renvoyer aux formalités en matière du pro Deo, c'est introduire une procédure incompatible avec la célérité que requièrent les affaires correctionnelles. Car veut-on donc que le tribunal suspende le jugement et la séance pour statuer en chambre du conseil sur une requête tendant à l'admission du bénéfice du pro Deo ?

M. le ministre de la justice pense que, dans l'état actuel de la législation, la partie civile doit observer les formalités requises par l'arrêté autorisant le pro Deo en matière ordinaire. C'est une grave erreur. Le décret de 1811 dispense la partie civile de la consignation lorsqu'elle justifie de son indigence, on ne peut donc rien exiger de plus. La loi n'impose pas d'autre obligation; et remarquez qu'en matière de justice répressive, les tribunaux ne sont pas d'ordinaire à même d'apprécier le plus ou moins de fondement des droits d'une partie civile, avant d'avoir entendu les témoins. Tout repose sur un fait délictueux imputé au prévenu et le plus souvent méconnu par lui. On ne peut donc évidemment adopter, en cette occurrence, les principes reçus en matière civile relativement au bénéfice du pro Deo. Le système contraire, défendu par M. le ministre, est repoussé par la nature des choses.

Il ne faut pas également perdre de vue qu'il y a une différence entre la demande de jouir du bénéfice du pro Deo et la dispense de la consignation des fonds pour se constituer partie civile. M. le ministre confond encore à cet égard deux objets essentiellement distincts.

La disposition que je combats tend à innover une législation qui depuis 37 ans n'a jamais donné lieu à aucun inconvénient; elle tend à compliquer la procédure; ce qui me parait toujours dangereux. Il me semble plus rationnel et plus prudent de maintenir à cet égard la législation actuelle, qu'il ne convient pas de changer sans de graves motifs.

- La chambre adopte d'abord l'amendement proposé par M. le ministre de la justice au paragraphe 5; elle adopte ensuite les quatre premiers paragraphes de l'article.

Au cinquième paragraphe, il y a deux amendements; l'un, proposé par M. Lelièvre, est destiné à remplacer le paragraphe 5; l'autre, présenté par M. Bruneau, a pour but de faire insérer après les mots « à la chambre du conseil » ceux-ci « ou au tribunal correctionnel ».

Le vote sur ce paragraphe et sur les amendements est remis à demain.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - Le premier objet à l'ordre du jour de demain sera la continuation du projet de loi concernant la révision des tarifs en matière criminelle, à moins que le rapporteur de la commission chargée d'examiner le projet de loi sur les mines, ne présente son rapport sur la loi à l'ouverture de la séance, et que la chambre ne juge à propos de discuter immédiatement cet objet. S'il n'y a pas d'opposition, les bulletins de convocation porteront : Suppression du conseil des mines, développements de la proposition de M. Sinave, révision des tarifs en matière criminelle, etc.

- La séance est levée à 5 heures moins un quart.