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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 28 février 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 871) M. Dubus procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Le sieur Devroede, ancien maître de carrières et entrepreneur de travaux publics, soumet à la chambre des réflexions sur les travaux de construction et d'entretien des routes pavées et des chemins vicinaux. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Delem, ancien entrepreneur des lits militaires de la ville de Liège, prie la chambre de statuer sur sa demande qui a pour objet de réaliser une économie de 350,000 francs sur l'entreprise des lits militaires. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre.


« Le baron de Vivario demande qu'il soit pris des mesures pour que les habitants de la campagne obtiennent facilement et à peu de frais l'assistance qui leur est nécessaire, en cas de maladie. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


M. Le Hon demande un congé.

- Accordé.

Rapport sur une pétition

M. Manilius. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau, au nom de la commission d'industrie, le rapport sur une pétition datée de Bruxelles, qui réclame la libre entrée des droits de fil retors de coton du n°70 et au-dessus.

- Des membres. - Les conclusions ?

M. Manilius, rapporteur. - La commission propose le renvoi à MM. les ministres de l'intérieur et des finances.

- Le rapport sera imprimé et distribué. La discussion en sera fixée ultérieurement.

Projet de loi portant le budget du département de la guerre pour l’exercice 1849

Proposition de constitution d’une commission d’enquête

M. le président. - La discussion générale a été close dans la séance d'hier. A la fin de la même séance, M. Pierre a déposé une proposition dont la chambre a autorisé l'impression, sauf à voir si elle serait appuyée.

Cette proposition est ainsi conçue :

« J'ai l'honneur de proposer à la chambre de nommer dans son sein une commission d'enquête chargée de constater si notre système militaire actuel répond aux besoins et aux ressources du pays. »

- La parole est à M. Pierre, pour développer sa proposition.

M. Pierre. - La discussion longue et approfondie qui vient de se dérouler devant nous, messieurs, a dévoilé jusqu'à l'évidence les vices nombreux de notre organisation militaire actuelle. J'espérais que le gouvernement, frappé d'une défectuosité aussi dangereuse, reconnaîtrait la nécessité d'y porter remède le plus promptement possible. J'étais, certes, on ne peut plus désireux de ne point me voir forcé à déposer ma proposition. Mais voyant M. le ministre de la guerre persister à vouloir maintenir cette déplorable organisation, qui, à mes yeux, ne répond ni aux besoins ni aux ressources du pays, et la proclamer néanmoins comme excellente, sans nous laisser le plus léger espoir qu'il consentira môme plus tard à une révision, il n'y avait plus à hésiter. Je me suis alors demandé quel parti il y avait à prendre ? Deux m'ont paru, s'offrir à nous : voter contre le budget, ou bien, faire ouvrir une enquête parlementaire. Après examen, il m'a semblé que le premier de ces deux moyens ne répondait point parfaitement à nos vues; en effet, que voulons-nous? Une armée meilleure, plus forte, sous le rapport de l'homogénéité et de la consistance militaire, et moins coûteuse à la fois. Or, repousser le budget par un vote négatif, ce n'est point atteindre notre but, ce n'est point résoudre cette question importante qui nous occupe et dont la solution importe tant aux intérêts sagement entendus du pays. L'honorable M. Delfosse nous l'a dit, messieurs, avec infiniment de raison : « Voulez-vous maintenir l'ordre et la tranquillité, réformez hardiment. » Ne nous y trompons point; car, quoi que l'on en dise, le pays a la conscience des maux qui le minent sourdement, et il attend le remède avec la plus vive impatience. Voilà l'opinion publique, ne nous laissons pas égarer par d'autres raisonnements. Le rejet du budget étant donc un moyen inefficace, je me suis arrêté au second moyen consistant à ouvrir l'enquêle, qui fait l'objet de ma proposition.

L'article 40 de la Constitution consacre à notre profit ce droit de la manière la plus illimitée. L'usage de ce droit ne peut évidemment avoir d'autres bornes que la discrétion et l'appréciation de la chambre elle-même, qui est omnipotente pour son exercice et ne relève à cet égard que de son libre arbitre.

Ma proposition ne peut, en conséquence, soulever qu'une seule question, qui se traduit en ces mots : Devons-nous, dans cette circonstance, user de notre droit ? Je vais essayer d'y donner la réponse.

Je me dispenserai de reproduire les innombrables arguments et démonstrations qui ont mis à jour la défectuosité de notre organisation militaire. C'est un fait trop pertinemment acquis à la discussion.

On m'objectera peut-être que l'enquête est une mesure exceptionnelle, et qu'il faut dès lors des motifs exceptionnels pour l'ouvrir. Eh bien, messieurs, de tels motifs, ne les avons-nous pas? Ne sommes-nous pas dans les circonstances les plus extraordinaires? Des trônes s'écroulent, d'autres gouvernements leur succèdent, une immense agitation se produit partout. L'Europe vacille, tremble et chancelle sur des bases qui semblaient inébranlables. Devons-nous, en présence de cet état de choses, nous reposer dans une funeste sécurité? Elle serait d'autant moins pardonnable que la discussion nous a ouvert les yeux et montré le péril. N'est-il pas de notre devoir impérieux d'y mettre fin au plus tôt? L'intérêt public nous permet-il de temporiser plus longtemps? C'est en suivant l'impulsion irrésistible de ma conscience et de ces convictions que je me suis décidé à vous soumettra ma proposition.

Et, messieurs, quand on vient vous proclamer bonne notre organisation militaire, on oublie donc son historique. En 1842, d'après les réclamations incessantes et nombreuses de la législature, d'après aussi la conviction personnelle de M. le ministre de la guerre, dont je vous ai fait part dans la séance de vendredi dernier, en citant textuellement ses paroles qui démontrent mieux que je n'aurais pu le faire les vices essentiels de notre système militaire, il voulut y remédier comme on le sait, et nomma préalablement, pour arriver à cette fin, une commission, dont le travail ne se rencontra pas avec ses vues organiques, ce qui eût été impossible, puisqu'il l'avait circonscrite dans des limites qui furent pour elles un véritable nœud gordien. La situation dut dès lors se prolonger sans amélioration, et se prolongea jusqu'à l'époque de la prétendue organisation. On était effrayé des difficultés qui se résumaient en questions de personnes, et le courage de les résoudre fit défaut. Qu'arriva-t-il à cette époque? Un autre ministre était au pouvoir : poussé à bout par les réclamations qui avaient toujours été croissant et ne sachant comment se tirer des embarras d'une organisation, il eut recours à un expédient fort heureux et qui lui réussit à merveille. Pour y arriver, pas ne fut besoin de recourir ni à une commission, ni à un comité consultatif quelconque. M. le ministre présenta tout simplement à la législature un état de situation, non pas de l'armée, mais bien seulement des cadres de l'armée, et une loi vint consacrer ce système défectueux contre lequel on s'était tant récrié. Voilà, messieurs, l'historique exact et fidèle de l'organisation que nous repoussons. Je suis en mesure de vous en donner la garantie la plus formelle. Je ne sais si la loi dont je viens d'avoir l'honneur de vous parler peut très sérieusement être considérée comme définitive.

Ce ne sont point les périodes sonores et arrondies que nous a pompeusement débitées, hier, du ton le plus solennel M. de Liedekerke, qui m'auraient fait changer de conviction. Il ne me pardonne pas de m'être occupé de questions militaires, n'ayant jamais eu, dit-il, à traiter que d'affaires judiciaires. A ce propos, messieurs, je serais curieux de savoir où M. de Liedekerke a fait ses armes, pour se croire plus compétent que tout autre; car, au fait, lui aussi s'est permis de vous parler d'art militaire, et peut-être n'a-t-il même pas eu la précaution de s'entourer, comme moi j'ai eu soin de le faire, d'éléments d'appréciation, qui ont un mérite au moins égal à celui du vague désespérant dans lequel il s'est lancé, en y prenant ses ébats fort à son aise.

Quant au calembour que M. de Man s'est plu à faire sur mon nom, samedi dernier, je ne puis me dispenser de lui eu faire mon compliment, et je suis forcé de reconnaître que l'honorable collègue a de très heureuses dispositions pour le calembour.

Le fond de mon sujet a trop d'importance pour que je l'abandonne plus longtemps. Il résulte de l'exposé que je venais de vous faire à l'instant, que l'on n'a rien organisé, absolument rien; la loi a été uniquement la consécration de ce qui existait. Il y a plus, messieurs, ce qui était mauvais est (page 872) devenu, depuis, bien plus mauvais encore, attendu que l'on a successivement réduit d'année en année le nombre des hommes présents au corps, et que, quand on était dans la position précaire et provisoire qui a précédé la loi, on se gardait bien de porter les cadres au grand complet, tandis que lorsque la loi fut votée, on ne connut plus de frein, tous les cadres furent portés au plus grand complet. En voulez-vous une preuve irréfragable parmi tant d'autres? C'est que lors de la discussion de la loi prétendument organique, M. le ministre promettait qu'on ne nommerait qu'autant de colonels et de lieutenants-colonels que nous avons de régiments, et en exécution de cette promesse on en a nommé précisément le double : seize colonels, seize lieutenants-colonels. Les réflexions sont superflues !

La commission d'enquête que je propose serait chargée d'examiner et d'approfondir notre organisation actuelle et de proposer les principes fondamentaux d'un nouveau système, si, comme tout porte à le croire, elle reconnaît l'autre défectueux. Elle pourrait, à cette fin, recourir aux lumières d'officiers supérieurs retraités et indépendants, dont les capacités sont reconnues. Quant à certaines autres personnes compétentes, mais directement intéressées, qu'elle pourra également consulter, si elle le juge convenir, elle se gardera bien de donner à leur appréciation une valeur autre que celle qu'elle méritera, en conservant ainsi à son travail la garantie de la plus irréprochable impartialité.

Les débats qui se sont agités dans cette enceinte doivent avoir eu pour résultat, d'une part, d'ébranler, plus qu'elle ne l'était déjà, la confiance de l'armée dans sa propre force et, de l'autre, d'enlever au pays la sécurité dangereuse dont il jouissait en comptant sur une armée, dont l'organisation lui a été solennellement et à satiété signalée comme déplorable. Dans l'impasse où nous sommes engagés, l'enquête est le seul moyen de parvenir à doter la Belgique d'une armée meilleure et moins coûteuse, comme je l'ai dit en commençant. Par ma proposition je n'entends nullement limiter l'action du gouvernement; elle n'a pas cette portée et doit avoir essentiellement pour résultat la constatation d'un fait que M. le ministre révoque en doute et que nous tenons, nous, pour certain et avéré, c'est-à-dire qu'il déclare bon un système de défense qui nous paraît à nous très mauvais. En cela seul réside la signification, le point culminant de ma proposition. Si j'y ai ajouté la deuxième partie, qui a trait aux ressources de l'État, c'est par la raison que, déposant cette proposition à l'occasion du budget, il m'avait paru de prime abord assez rationnel de ne point laisser à l'écart la question financière. Mais, quoiqu'éloigné de renoncer à l'espoir de voir réaliser sur le budget de la guerre de notables économies, si cette partie de ma proposition vous semble présenter le moindre obstacle, je consens très volontiers à la retirer, afin que la forme de ma proposition soit mieux circonscrite dans les exigences parlementaires. Il est, en effet, facile de prévoir l'objection fondée que l'on ne manquerait pas de m'opposer. C'est que s'il s'agissait d'une question financière, pas ne serait besoin d'ouvrir une enquête, la chambre serait sans doute elle-même parfaitement compétente pour la trancher.

Quant à la question militaire, c'est tout autre chose. M. le ministre de la guerre n'avait pas, il est vrai, comme le faisait remarquer l'honorable M. d'Elhoungne, nié la compétence de la chambre ; il ne la lui avait même pas contestée, en la prenant comme corps constitué, comme assemblée délibérante; toutefois il avait décliné positivement la compétence de chacun de nous individuellement, lorsque nous avons jugé à propos de nous occuper de son budget. C'était, au résumé, de sa part, une négation de compétence en détail, ce qui au fond aboutissait absolument au même résultat.

Permettez-moi, messieurs, de dessiner en deux mots la position de chacun. N'est-il pas vrai que le gouvernement, si j'en excepte M. le ministre de la guerre, n'est pas le moins du monde plus compétent que nous pour résoudre les questions militaires? Reste donc M. le ministre de la guerre seul.

Mais, messieurs, M. le ministre, malgré ses hautes capacités et un talent éminent que nous sommes unanimes pour lui reconnaître, est sans doute trop modeste pour se croire infaillible. Or, messieurs, quand à l'opinion de M. le ministre qui nous dit que la loi est bonne, nous opposons celle de plusieurs généraux et de plusieurs autres officiers supérieurs expérimentés qui ont vieilli dans la carrière des armes et qui nous disent que la loi est mauvaise, le doute ne nous est-il pas au moins permis, et le gouvernement n’a-t-il pas autant d'intérêt que nous à l'éclaircir pour arriver à la vérité? M. le ministre de l'intérieur ne nous a-t-il pas dit, dans la séance de samedi dernier, que le gouvernement n'entendait pas mettre d'obstination dans ses résolutions, et qu'il ne disait pas qu'il ne consentirait jamais à toucher à la loi organique. Ne devons-nous pas prendre acte de ce bon vouloir, de cette favorable disposition de sa part? Aussi je n'ai nul doute que dès l'instant où l'enquête aura démontré, comme elle le démontrera, c'est certain, que notre état militaire est vicieux et ne répond pas aux besoins du pays, le gouvernement ne s'empresse de s'associer franchement à nos efforts et ne nous prête son concours éclaire pour doter immédiatement le pays d'une organisation aussi bonne qu'il nous sera possible de la faire.

Puisque nous ne pouvons avoir qu'une armée faible en nombre à jeter au besoin dans la balance en cas d'événements, ne doit-elle pas au moins être bonne et racheter en qualité ce qui lui manque en quantité ? D'ailleurs, messieurs, ne nous rendrions-nous pas coupables, en livrant à la merci des chances terribles d'un premier choc les enfants du pays appelés sous des drapeaux, que le vicieux état de notre situation militaire ne leur permettrait pas de défendre convenablement? Ne nous exposerions-nous pas ainsi à faire en pure perte et cruellement des milliers de victimes? Serait-ce bien là le moyeu de réparer l'atteinte portée à l'honneur national en 1831 ; alors, tout le monde doit en convenir, il y avait des circonstances atténuantes à invoquer à bon droit en notre faveur; mais aujourd'hui nous n'aurions plus les mêmes excuses. N'oublions cependant pas, messieurs, que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Chacun sait que c'est en première ligne aux vices organiques de nos forces militaires que doivent être attribués les désastres de 1831. Je vous avouerai qu'il ne serait guère possible que nous soyons beaucoup plus rassurés sur notre organisation actuelle que nous n'avions lieu de l'être à cette époque. A Dieu ne plaise que je sois ici un prophète de malheur ! Je ne puis toutefois m'empêcher de vous dire que je suis effrayé en songeant qu'en cas de conflagration la même fatalité qu'alors nous serait réservée, si l'on s'obstine à vouloir maintenir la malheureuse organisation d’aujourd'hui.

Quant à moi j'ai hâte d'en décliner, quoi que l'on dise, la part la plus minime de responsabilité.

La gravité de la question n'exige-t-elle pas que nous ne négligions aucun moyen de mettre au grand jour la vérité?

Cette enquête offrira à l'armée, au pays, au gouvernement et à nous-mêmes la plus belle garantie. L'ouverture de cette enquête produira un effet moral immense. L'armée reprendra confiance en elle-même, elle verra quelle sollicitude éprouve pour elle la législature, et sera assurée d'être dotée bientôt d'une organisation qui la rendra, dans la limite de ses proportions, forte et imposante; elle aura en perspective un sort plus stable, plus certain, à l'abri en un mot des fluctuations de la politique.

De son côté, le pays se rassurera et pourra compter sur une armée meilleure, tout en profitant des notables économies qu'amènera cette réorganisation.

Pendant la session législative de 1845-1846, la chambre a décidé l'ouverture d'une enquête semblable à celle que je demande, pour rechercher les causes de l'éboulement du tunnel de Cumptich. Assurément, messieurs, il s'agissait là d'une affaire fort grave. Un ouvrier, père de famille, avait péri victime d'un éboulement, que l'on attribuait d'abord à l'inexpérience et que plus tard l'on a pu attribuer à quelque chose de plus fâcheux encore. La vie d'autres personnes pouvait ultérieurement se trouver chaque jour en danger. La chambre s'en est émue et, voulant donner des gages de sa sollicitude éclairée à la sécurité publique, elle a pris sans hésiter et, malgré l'opposition prononcée du gouvernement, la grande mesure que je viens demander. Or, tout en admettant la gravité des circonstances dans lesquelles se présentait l'affaire du tunnel de Cumptich, il faut reconnaître que la question qui s'agite dans cette enceinte a une gravité tout autre. En effet, il ne s'agit point seulement ici de la vie de quelques personnes, mais de l'intérêt et du salut de l'armée et du pays tout entier.

Une des principales objections que faisait alors M. le ministre des travaux publics à la proposition d'enquête qu'avait présentée notre honorable président actuel, consistait à dire qu'elle était inutile, parce qu'elle n'amènerait aucun résultat pratique. Cette objection, on ne pourrait la faire ici ; car il est évident que si, comme nous sommes porté à le croire, l'enquête établit que notre système de défense militaire n'offre aucune sécurité au pays, les hommes spéciaux et compétents que la commission aura soin d'entendre, lui indiqueront les bases d'une organisation meilleure.

On m'objectera peut- être encore que nous pouvons nous dispenser de l'enquête, que nous avons un mode plus efficace et plus direct à notre disposition, que nous pouvons user de notre droit d'initiative. Je ne crois pas qu'aucun de nous consente à se charger d'une pareille besogne, et soit, d'ailleurs, à même de s'en acquitter, tous les bureaux du département de la guerre pouvant à peine y suffire. Ce qui le prouve, c'est que les prédécesseurs de M. le ministre ont reculé devant les grandes difficultés de cette tâche. C'est ainsi mal à propos que l'on nous a conviés plus d'une fois à l'exercice de ce droit, que l'on nous sait dans l'impossibilité, à peu près absolue, d'exercer.

Comme je vous l'ai dit précédemment, messieurs, loin de moi la moindre pensée hostile contre le gouvernement ! J'ai cru que ma conscience et mon mandat me commandaient de vous faire la proposition que j'ai eu l'honneur de vous soumettre ; je n'ai conséquemment pensé à autre chose qu'à l'accomplissement d'un devoir. Je ne pense pas que nous puissions jamais rencontrer une occasion plus favorable d'user de la prérogative que nous donne l'article 40 de la Constitution.

M. le président. - La proposition de M. Pierre est-elle appuyée ?

- Des membres. - Elle est retirée.

M. Pierre. - Pardon, je n'ai retiré que la seconde partie, relative à la question financière.

M. le président. - Ainsi la proposition se réduit à ceci :

« Nomination par la chambre, dans son sein, d'une commission d'enquête chargée de constater si notre système militaire actuel répond aux besoins du pays. »

Cette partie de la proposition de M. Pierre est-elle appuyée?

- Elle n'est pas appuyée.

M. le président. - En conséquence, toute discussion cesse sur ce point. Nous arrivons aux articles du budget de la guerre.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Administration centrale

Article premier

« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Traitement des employés civils.

« Charges ordinaires : fr. 140,000.

« Charges extraordinaires : fr. 6,300. »

« Total : fr. 146,300. »

(page 873) M. Orts. - Je vois figurer aux charges temporaires de l'article 2 une somme destinée, je pense, à accorder des traitements d'attente à certains employés qui, par mesure d'économie, ont été dépouillés des fonctions qu’ils remplissaient au département de la guerre. A l'égard des traitements d'attente, dans une séance précédente, la chambre a décidé une question de principe pour le mode de répartition des fonds qui seraient votés avec cette destination. Je désire savoir si ce mode de répartition sera suivi au département de la guerre. Le chiffre me fait croire qu'il n'en sera pas ainsi, ce qui serait une injustice envers les employés du département de la guerre qui ont droit aux mêmes avantages, à la même position que les employés des autres départements mis au traitement d'attente. Il y aurait une contravention à la volonté exprimée par la chambre, quand elle a pris une décision générale sur la question des traitements d'attente. Je demanderai donc à M. le ministre de la guerre s'il entend répartir l'allocation portée à son budget pour traitements d'attente, d'après le système adopté par la chambre, c'est-à-dire en accordant à ceux qui ont plus de dix années de service, les 2/3 de leur solde, et à ceux qui ont moins de dix ans de service, la moitié de leur solde.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Les employés civils du département de la guerre mis en non-activité par suppression d'emploi ne rendaient plus aucune espèce de service, et ils sont prêts d'atteindre l'âge voulu pour avoir droit à la pension de retraite; en attendant je leur ai accordé la moitié de leur traitement d'activité.

Je ne puis pas changer leur position : la somme de 6 mille francs portée pour ces traitements de non-activité, diminuera peu à peu au fur et à mesure que les employés mis en non-activité pourront être pensionnés et dans peu d'années la totalité du chiffre aura disparu.

M. Orts. - Il me paraît qu'on fait extrêmement bon marché des intérêts des petits, tandis qu'on n'est pas aussi coulant quand il s'agit de gros traitements. Je ne pense pas toutefois qu'il soit dans l'intention de la chambre de manquer de justice envers ces petits employés à raison I des circonstances où ils sont placés ; s'ils sont rapprochés de l'époque où ils devront être mis à la pension, c'est un motif de plus pour leur accorder les mêmes avantages qu'aux employés mis en traitement d'attente dans les autres ministères. C'est une question d'humanité, d'équité, je ne crois pas qu'elle soit tranchée d'une manière satisfaisante par la réponse de M. le ministre de la guerre.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - La position de ces employés n'est pas aussi fâcheuse que le pense l'honorable préopinant; s'ils avaient été pensionnés, ils auraient reçu un traitement moindre; et il était possible de les pensionner; car, à l'exception d'un seul, ils ne rendaient plus de service, soit à cause de leur grand âge, soit parce qu'ils avaient ruiné leur santé dans l'exercice de leurs fonctions; c'étaient des employés inutiles que j'ai dû supprimer sans les remplacer. Ils recevront un traitement supérieur à la pension qu'ils auraient eue s'ils avaient été pensionnés pour infirmités ou incapacité de travail.

Je ne pense pas avoir été injuste à leur égard ; du reste, si la chambre veut améliorer leur position, leur allouer les deux tiers de la solde, je ne m'y oppose pas le moins du monde.

- L'article est mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. Supplément aux officiers et sous-officiers employés au département de la guerre.

« Charges ordinaires : fr. 4,000.

« Charges extraordinaires : fr. 10,000. »

La section centrale propose le rejet de cette allocation de 10,000 fr.

M. le ministre de la guerre déclare ne pas se rallier à cette proposition.

M. Thiéfry. - La section centrale a maintenu une somme de 4,000 francs qui figure au budget pour supplément de solde aux sous-officiers détachés au département de la guerre, et elle en a rejeté une de 10,000 francs, aussi pour supplément de solde aux officiers attachés au même ministère.

Je pense, messieurs, qu'aucune distinction ne peut être faite, et que si l'on croit qu'une indemnité est due, elle doit être payée aux officiers comme aux sous-officiers. Si, au contraire, elle n'est pas justifiée pour les officiers, elle ne saurait l'être pour les sous-officiers.

Par arrêté royal du 15 août dernier, M. le ministre a décidé que cette indemnité ne serait plus payée aux officiers qui seraient nommés à l'avenir et que, par exception, ceux qui en jouissent actuellement la conserveront jusqu'à ce qu'ils aient obtenu de l'avancement. Ce supplément de solde, messieurs, n'aurait, me semble-t-il, jamais dû être accordé; les officiers et les sous-officiers employés au ministère de la guerre ont déjà de grands avantages sur les autres, ils ne montent point de garde, ils ont moins de dépenses et un service beaucoup plus agréable; ils ont une position plus stable, pour séjour la plus belle ville du pays ; jamais ils ne vont au camp, ils sont plus à même de se faire connaître et de pouvoir obtenir de l'avancement au choix.

De quel droit ont-ils donc reçu et continueraient-ils à recevoir un supplément de solde?

Je dirai plus, si réellement une indemnité est due, ne doit-elle pas être partagée avec celui qui fait au régiment, outre son service, celui de l'officier ou du sous-officier détaché?

L'arrêté du 15 août dit « qu'à l'avenir il sera tenu compte, dans les promotions au choix, des services spéciaux que rendront les officiers et sous-officiers détachés au département de la guerre et qui se distingueront par leur zèle et leur capacité. »

C'est là, messieurs, une très bonne mesure ; elle est conforme à l’intention du législateur qui a autorisé l'avancement au choix. Je ne critique qu'une seule chose, c'est l'époque de la prise en considération du travail. D'après l'arrêté, on n'y aura égard qu'à l'avenir, c'est-à-dire lorsque l'officier et le sous-officier ne recevront plus de supplément de solde.

Pourquoi ne pas supprimer sur le champ ces indemnités et appliquer immédiatement la loi sur l'avancement ? Je ne comprends pas cette distinction entre le passé et l'avenir pour une indemnité ; ou elle est due, et alors continuez-la ; ou c'est un abus, et dans ce cas supprimez-la tout de suite.

Je pense d'ailleurs que l'on a toujours eu égard à ce travail de bureau. J'en ai presque acquis la certitude en lisant l'état nominatif de ceux qui ont touché ces indemnités en 1847. Ce tableau est imprimé, page 42 du rapport de la section centrale du budget de 1848 : j'y ai remarqué que sur 29 officiers et 12 sous-officiers, 4 officiers et 2 sergents ont obtenu de l'avancement en 1847, et 1 officier et 1 sergent ont reçu de l'avancement en 1848.

Je ne blâme pas cette mesure, bien au contraire. Je dis seulement que l'on apprécie les services rendus, et que l'indemnité n'est pas justifiée, pas plus pour les sous-officiers que pour les officiers : Tels sont les motifs qui m'engagent à présenter ces observations pour qu'elles soient méditées par M. le ministre.

Il y a encore un autre motif pour la supprimer, c'est qu'elle peut détruire l'émulation pour certains grades, en ce sens que les officiers qui les occupent ont des appointements plus élevés que ceux qu'ils toucheront après avoir eu de l'avancement. Par exemple, un major d'état-major, d'artillerie ou du génie, a 5,500 fr. d'appointements ; il reçoit 1,000 fr. d'indemnité ; il a donc 6,500 fr., et il n'en aura que 6,300 quand il sera nommé lieutenant-colonel.

On m'a objecté que les sous-officiers ne jouissaient pas de la vie commune. Si la vie commune était un avantage désiré par les employés du ministère, ils l'obtiendraient tout de suite ; M. le ministre les placerait sur-le-champ en subsistance, soit dans le régiment d'élite, soit dans celui des guides.

M. de Man d'Attenrode, rapporteur. - Messieurs, je commencerai par répondre deux mots à l'honorable M. Thiéfry, qui vient de chercher à établir Que la section centrale n'a pas agi avec discernement en allouant 4,000 fr. de supplément pour les sous-officiers détachés dans les bureaux du département de la guerre, tandis qu'elle a refusé de voter le crédit de 10,000 fr. destinés à être répartis en suppléments en faveur des officiers employés dans les mêmes bureaux; la réponse sera facile.

La section centrale a alloué le crédit destiné aux sous-officiers détachés de leurs corps, parce qu'ils ne jouissent pas dans cette position des avantages que leur assure la vie commune et quant au logement et quant aux subsistances. C'est ce motif qui a déterminé la section centrale à voter les 4,000 fr., et il me semble suffisant pour déterminer aussi la majorité de cette chambre.

Mais il n'en a pas été de même des 10,000 fr., je vais en déduire aussi les motifs.

Je commence par faire cette question: Qu'est-ce qui justifie un supplément de traitement?

C'est incontestablement un surcroit de travail, un surcroît de dépenses. Il est équitable d'accorder une compensation pour un travail extraordinaire imposé en sus d'un travail ordinaire, je le reconnais.

Mais le gouvernement impose-t-il un surcroît de travail, un surcroît de dépenses aux officiers détachés dans les bureaux de la guerre ? Leurs devoirs sont-ils plus pénibles à accomplir que lorsqu'ils font le service dans leurs corps respectifs? Sont-ils chargés de plus de dépenses? Votre section centrale ne l'a pas pensé. La vie de régiment impose au contraire des corvées plus pénibles, des dépenses plus considérables auxquelles il est impossible de se soustraire; l'activité du service impose des frais d'entretien d'uniformes, des frais résultant de diverses contributions indirectes pour la musique, les bibliothèques, et bien d'autres choses encore.

Il y a plus, ils ne jouissent pas des bienfaisants effets du soleil, dont leurs camarades du département de la guerre sont plus rapprochés.

Tels sont les motifs qui ont déterminé la majorité de votre section centrale à ne pas donner un accueil favorable au crédit de 10,000 fr.

D'ailleurs, le gouvernement n'a-t-il pas reconnu lui-même, en principe, que cette dépense était superflue, puisque l'article 7 de l'arrêté organique des bureaux de la guerre porte, que ces suppléments cesseront au fur et à mesure que les officiers, qui en jouissent, obtiendront de l'avancement. Eh bien, messieurs, je pense qu'une fois ce principe de la suppression admis, il y a lieu de l'appliquer immédiatement. S'il ne l'est pas, ces suppléments se perpétueront encore longtemps; car il y a au département de la guerre des officiers qui y sont entrés comme simples soldats ou sous-officiers, et qui, sans rentrer sous le drapeau depuis de nombreuses années, sont arrivés jusqu'au grade de lieutenant et même de capitaine.

Enfin, messieurs, je ferai valoir un dernier motif en faveur de l'amendement de la section centrale ; ce motif, c'est l'accroissement que prend de plus en plus le nombre des officiers détachés de leurs corps au département.

En 1834, à l'occasion de la discussion d'un projet de crédits supplémentaires, sur lequel l'honorable colonel de Puydt fit rapport, divers (page 874) membres de cette chambre adressèrent des critiques assez vives au ministre de la guerre, à propos du nombre des officiers détachés à son département.

Je remarque, dans le rapport de la commission, le passage suivant :

« On croit devoir signaler aussi comme un abus blâmable, la présence d'un grand nombre d'officiers supérieurs et autres dans les bureaux de la guerre. Un pareil état de choses n'est concevable que pour certaines spécialités. » (Voir le Moniteur du 3 août 1834.)

Voici comment s'exprima le rapporteur, le colonel de Puydt :

« La présence d'un assez grand nombre d'officiers supérieurs et autres dans les bureaux du ministère, n'est pas mieux justifiée. Que le chef du dépôt de la guerre soit un officier d'état-major ou du génie, il n'y a là rien que de très rationnel ; que dans les divisions de l'artillerie et du génie, il y ait aussi des officiers de ces armes, rien de mieux, pourvu toutefois que cela ne fasse pas double emploi avec des inspecteurs généraux, dont les attributions sont les mêmes ; mais hors de là c'est un abus que de se servir d'officiers dans les bureaux, parce que chaque officier, qui est employé comme scribe, est remplacé dans son service par un officier de son grade. »

Le ministre de la guerre répondit aux critiques qui lui étaient adressées, en faisant en ces termes l'exposé de la composition de ses bureaux :

« Le nombre de ces officiers peut paraître au premier aperçu bien considérable, et cependant quand on entre dans les détails de chaque service, l'on convient facilement qu'il ne peut guère être diminué.

« Le cabinet particulier du ministre se compose de 4 capitaines, qui travaillent immédiatement sous ses ordres et expédient toutes les affaires qu'il traite lui-même.

« Le directeur du personnel a pour sous-chef un lieutenant-colonel, pour chef de bureau du personnel de toutes les armes un major, et pour la tenue des états de situation et des contrôles un capitaine très entendu dans cette partie ; ils ont la tradition de toutes les affaires, il serait difficile de s'en passer.

« Les divisions de l'artillerie et du génie sont confiées à un officier supérieur de chacune de ces armes et ont un adjoint.

« Le dépôt de la guerre a deux officiers supérieurs pour la direction des travaux, et ils y sont utilement employés.

« La division de l'administration a pour la direction de ses nombreux travaux deux sous-intendants et un adjoint.

« Enfin il existe un capitaine employé au secrétariat général pour une destination toute spéciale.

« Voilà donc 17 officiers qui travaillent au ministère de la guerre. »

Voyons maintenant ce que sont les bureaux de la guerre en 1849.

Les officiers qui y sont détachés sont au moins au nombre de 50, en y comprenant les officiers attachés au cabinet, au dépôt de la guerre et ceux de l'intendance.

Le personnel de l'intendance se composait de 3 officiers en 1834, il s'élève à 10 en 1849.

Si le petit nombre des officiers détachés au ministère faisait en 1834 l'objet du blâme de l'honorable colonel de Puydt, et certes on ne contestera pas la compétence de cet officier si regrettable par ses lumières, que devons-nous penser du nombre des officiers détachés en 1849?

Nous sommes donc fondés à croire que le nombre des officiers enlevés à leurs régiments et transformés en employés de la bureaucratie est trop considérable, et je crois qu'un des moyens d'en réduire le nombre, est de ne plus allouer de fonds destinés à accorder des suppléments de traitements.

D'ailleurs, la suppression des suppléments n'est qu'un retour à ce qui existait autrefois. Ces suppléments ne figurent au chapitre de l'administration centrale, que depuis quelques années.

Sous l'empire il n'y avait que deux officiers-détachés dans les bureaux de la guerre à Paris, et ils n'avaient pas de suppléments ; c'étaient les généraux Evain et Gassendi.

Sous la restauration, et depuis 1830, le nombre des officiers détachés au département de la guerre de France fut considérable; mais c'étaient, à de rares exceptions, tous officiers des armes spéciales, et ils ne recevaient pas de suppléments de traitements.

Il en fut de même sous le gouvernement des Pays-Bas, les exceptions à la règle furent peu nombreuses.

Cet état de choses subsistait encore en 1834 en Belgique.

Lors de la discussion des crédits supplémentaires destinés au département de la guerre, qui eut lieu au mois d'août 1834, et dont je viens de citer des passages, l'on reprocha aussi au gouvernement d'accorder des suppléments de traitements aux officiers détachés dans les bureaux de la guerre.

Le ministre de la guerre répliqua en ces termes : « Je dois ajouter que deux capitaines d'infanterie, qui sont au nombre des officiers employés, ont réclamé le bénéfice d'une disposition de l'arrêté de 1819, qui accorde aux capitaines d'infanterie employés au ministère une gratification de 400 florins, destinée à porter leur traitement au même taux, que celui des capitaines des armes spéciales. Ainsi quand j'ai dit que les officiers employés au ministère ne recevaient rien sur les fonds de ce département pour frais d'administration, j'étais fondé à le dire ; mais je puis affirmer que si deux d'entre eux reçoivent ce supplément de solde de 400 florins, les quinze autres ne reçoivent rien. »

Ainsi, messieurs, vous le voyez, le principe des suppléments n'était pas admis en 1834.

Si le gouvernement en accordait, c'était par exception, à deux capitaines d'infanterie, afin de porter leurs traitements au taux de ceux des officiers des armes spéciales, et cela par suite d'un arrêté du gouvernement déchu.

Je termine, messieurs, en insistant sur les considérations suivantes : c'est qu'il ne faut pas trop multiplier le nombre des officiers que l'on enlève au service actif pour les faire passer dans les bureaux. La direction des services qui exigent des connaissances spéciales doit seule leur être réservée. C'est un abus que de détourner de leur carrière des officiers d'un grade inférieur pour les transformer en instruments de bureaucratie.

C'est un abus que de les y conserver pendant un terme tellement long, qu'ils perdent toute habitude du service. .

Toute promotion devrait être suivie de la rentrée sous le drapeau.

J'espère, messieurs, que les motifs qui ont déterminé le vote de la section centrale, et que je viens de développer, détermineront aussi le vôtre, et que vous adopterez l'amendement qui tend à refuser le crédit de 10,000 francs.

M. de Luesemans. - Messieurs, l'honorable rapporteur de la section centrale a soulevé deux questions; une question, en quelque sorte, d'organisation : convient-il qu'il y ait à l'administration centrale autant d'officiers qu'il y en a actuellement? L'autre est une question de chiffres, une question purement financière. Sur la première question, messieurs, je n'ai absolument rien à répondre, elle est tout à fait du ressort du ministère, et je ne veux nullement affirmer jusqu'à quel point il convient d'avoir des officiers à l'administration centrale; jusqu'à quel point il convient de les renvoyer à leurs corps. Mais lorsqu'il s'est agi de la suppression d'une indemnité allouée jusqu'à présent à certains officiers, j'ai désiré savoir quelle était la position de certains d'entre eux, quels étaient ceux qui recevaient une indemnité et qui seraient atteints par la proposition de la section centrale.

L'honorable M. Thiéfry vient de dire que les officiers d'état-major, les officiers d'artillerie et d'autres armes spéciales recevaient une indemnité pour le travail qu'ils ont à fournir au département de la guerre. Je ne sais si mes renseignements sont exacts, mais il m'a été affirmé qu'aucun officier des armes spéciales ne reçoit l'indemnité qui n'est accordée qu'aux officiers d'infanterie, à partir du rang de capitaine.

L'honorable M. de Man a fait l'historique de l'introduction de cette indemnité dans l'administration de la guerre; il a dit, d'après une réponse fournie en 1834 par l'honorable M. Evain, que les officiers, en général, ne recevaient aucune indemnité, mais que, par exception, on en accordait une à deux officiers seulement. Je ne m'explique guère cette réponse faite par l'honorable M. Evain, en présence d'un arrêté du 19 octobre 1832 dont je viens de prendre communication. Cet arrêté porte, article 2 :

« Les officiers d'ordonnance et adjoints aux états-majors, ainsi que ceux qui sont employés au département de la guerre, qui appartiennent à l'arme de l'infanterie, seront assimilés aux aides de camp pour le traitement et les allocations qui leur sont fixés par notre arrêté du 26 août 1832. »

Je ne conçois pas, devant cet arrêté, la réponse faite par l'honorable général Evain, car il résulte des documents que je mets sous les yeux de la chambre que les officiers d'infanterie ont un droit acquis à être assimilés aux aides de camp pour les allocations et le traitement qui leur sont fixés par un arrêté antérieur.

Or, cet arrêté antérieur, qui est du 26 août 1832, fixe leur traitement à 400 florins des Pays-Bas d'augmentation pour les capitaines, et à 500 florins pour les lieutenants et sous-lieutenants.

Messieurs, je ne viens pas demander le maintien absolu de cette allocation , je réserve même formellement mon propre vote, mais j'ai cru devoir donner à la chambre des explications que je me suis procurées, et que je n'ai pas trouvées dans le rapport de la section centrale.

Messieurs, prenons-y garde, comme l'a très bien fait observer tout à l'heure l'honorable M. Orts, les réductions de traitement s'opèrent en général, non sur les gros, mais sur les petits traitements.

Ainsi, ce sont encore les lieutenants et les sous-lieutenants d'infanterie qui dans l'armée sont les moins payés, qui vont être atteints par la suppression des 10,000 fr. Les lieutenants reçoivent un traitement de 1,900 fr., plus un supplément de 450 fr.; total 2,350 fr. Les sous-lieutenants touchent un traitement de 1,600 fr., plus une indemnité de 400 francs ; total 2,000 fr., tandis que dans les autres armes les officiers du même grade reçoivent un traitement bien supérieur à celui qui est alloué aux officiers d'infanterie, en y comprenant même le supplément de traitement dont la section centrale demande la suppression.

Or, quelque désir que j'éprouve de réaliser des économies, et la chambre me rendra cette justice que jamais la question d'économie ne m'a trouvé rebelle, je déclare qu'à moins d'une justification ultérieure, il me répugnerait d’en opérer une sur des traitements déjà si réduits. Messieurs, le vote de la chambre peut la conduire à de singulières conséquences.

Ainsi, pour citer un exemple, il m'a été dit qu'un officier attaché au 2ème bureau de la deuxième division était sous-lieutenant depuis 1836; il touchait alors 1,600 francs le traitement; et en vertu de l'arrêté du 19 octobre 1832, il recevait un supplément de 1,060 francs, de sorte qu'il touchait en tout 2,660 francs, en 1836. L'arrêté du 7 septembre réduisit le supplément de cet officier : il ne reçut plus que 2,000 fr. ; voilà donc une première réduction de 660 francs opérée en 1843. Il fut nommé lieutenant en 1845; son traitement ne fut plus que de 2,350 fr., c'est-à-dire (page 875) 310 fr. de moins qu'il ne touchait en 1836, lorsqu'il était sous-lieutenant. Si maintenant la chambre vote la suppression, il en résultera que cet officier (et ce n'est pas le seul) ne recevra, après 15 années de service, que 1,900 fr., montant de son traitement net, c'est-à-dire 750 fr. de moins qu'il ne recevait il y a treize ans.

Messieurs, j'approuve sans réserve l'arrêté du mois d'août 1848 qui supprime les suppléments de traitement pour l'avenir ; désormais les officiers qui seront appelés dans les bureaux de la guerre sont prévenus qu'ils ne doivent espérer, de ce chef, aucune augmentation ni indemnité. Si la chambre n'adoptait pas la réduction, j'engagerais même M. le ministre de la guerre à appliquer immédiatement l'arrêté de 1848 à tous les grades supérieurs. Mais quant aux officiers d'un ordre en subalterne actuellement détachés dans les bureaux et qui ont fait leur budget sur la certitude d’obtenir un traitement supplémentaire, il y aurait une espèce d'injustice à ne pas respecter, je ne dirai point un droit acquis, mais une position acquise. C'est dans ce but que j'ai donné à la chambre ces explications, me réservant mon vote, comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire, et attendant les explications ultérieures de M. le ministre de la guerre ; je désire, entre autres, savoir si les renseignements qui m'ont été fournis sont exacts; je désire savoir aussi quelle serait la portée de la réduction des 10,000 francs, quels sont les officiers qui seront atteints, et dans quelles limites. Si la réduction doit porter sur les grades supérieurs, je la voterai volontiers; mais si elle doit porter sur les grades dont les titulaires sont le moins payés dans la hiérarchie militaire, je ne crois pas pouvoir m'y rallier. J'attendrai la fin de la discussion.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, après les explications que vous a données l'honorable M. de Luesemans, il me reste peu de chose à dire.

Les officiers détachés au département de la guerre sont chargés d'un service spécial, dans lequel ils ne pourraient pas être remplacés par des employés civils. Ils sont chargés d'ailleurs d'un travail très important, et de la manière dont ce travail est exécuté, dépend la bonne administration générale de l'armée. Il est donc essentiel que des hommes spéciaux soient chargés de ces fonctions.

On vous a dit que ces officiers sont dans une position beaucoup plus agréable que s'ils étaient dans leurs régiments. Eh bien, examinons jusqu'à quel point cette assertion est vraie. Tous les jours de l'année, ils doivent être dans les bureaux de la guerre, où ils passent une grande partie de la journée ; même à certaines époques de l'année, ils doivent y venir le soir. Je ne sais si cette position est extrêmement agréable.

« Ils habitent, dit-on, la capitale. » Mais cet avantage est bien compensé par les dépenses extraordinaires que ce séjour leur impose, et ils ne peuvent guère profiter des plaisirs qu'il offre, puisqu'ils passent tout leur temps dans les bureaux.

On dit aussi qu'ils ont plus d'occasion de se faire connaître. C'est encore une erreur. Car ces officiers étant détachés de leur corps, ils n'ont occasion de se faire connaître ni des inspecteurs ni des chefs de corps, dont l'opinion exerce une grande influence sur le travail des promotions. Sous ce rapport donc, ces fonctionnaires ne sont pas dans une position privilégiée.

En France, en Hollande, dans d'autres pays encore, savez-vous, messieurs, comment on a organisé l'administration de la guerre? Un arrêté détermine le traitement attribué à chaque fonction, et quel que soit le grade de l'officier qui occupe l'emploi, celui-ci touche le traitement qui y est attaché. Chez nous, au contraire, on n'accorde aux officiers, détachés au département de la guerre, que des suppléments de 400, de 450 ou de 600 fr. Ainsi, le sous-lieutenant touche un supplément de 400 fr., ce qui joint à son traitement de 1,600 fr., fait un total de 2,000 fr. Si un employé civil était chargé de ces fonctions, il faudrait lui donner 3 à 4,000 fr. Si maintenant vous ne laissez à ces sous-lieutenants que leur traitement militaire seulement, comme il y a à défalquer de ce traitement les retenues pour le service de santé et pour les caisses des veuves, ils auront un traitement inférieur à celui des huissiers, et cela parce qu'ils ont l'honneur d'être officiers. Cette position serait-elle équitable, juste?

On dit que ces officiers ne sont pas tenus à l'uniforme. C'est une erreur : ils doivent avoir l'uniforme, tout leur équipement. Du jour au lendemain, ils peuvent être appelés à faire le service; il y a des circonstances où ils doivent venir en uniforme au département de la guerre.

Messieurs, on a dit encore que si on allouait le chiffre de 10,000 fr., ce chiffre se perpétuerait, et que l'arrêté que j'ai fait prendre au mois d'août ne porterait pas ses fruits de longtemps. Eh bien, dès à présent' il a porté ses fruits puisque le crédit voté pour l'année 1848 était de 16,000 fr., et que je demande seulement 10,000 fr. pour 1849.

Il y a donc une réduction de 3 mille francs cette année, parce que j'ai pu remplacer quelques officiers employés par d'autres, qui venaient d'être promus, et qui, en compensation de l'avantage qu'ils avaient obtenu, pouvaient équitablement être appelés à faire un service extraordinaire, sans eu être indemnisés. Il est difficile de trouver des officiers convenables, il faut en essayer plusieurs avant d'en trouver un qui soit propre au travail qu'on exige de lui. Il arrive que de très habiles officiers ne peuvent remplir ces fonctions parce qu'ils ne possèdent pas les qualités nécessaires pour ces positions spéciales.

On a dit qu'à certaine époque il y avait au département de la guerre moins d'officiers qu'actuellement. Cela est vrai, mais alors il y avait peu d'officiers ayant fait des études spéciales; d'un autre côté, les services publics n'avaient pas pris le développement qu'ils ont aujourd'hui, nous n'avions pas les établissements que nous avons créés et qui ne peuvent être dirigés que par des officiers. D'ailleurs, je ferai remarquer que lie nombre des employés civils a été réduit naguère par mesure d'économie, ce qui a nécessité l'augmentation du nombre des officiers.

On a parlé d'officiers d'état-major, recevant des suppléments de traitement. C'est une erreur; il n'est pas un seul officier d'état-major qui reçoive un supplément de traitement Il n'y a que les officiers appartenant aux armes dont les traitements ne s'élèvent pas au taux de ceux de l'état-major qui reçoivent un supplément. Mais les officiers d'état-major ne reçoivent pas un centime d'indemnité. (Interruption.)

Je suis étonné que l'honorable M. Thiéfry confonde les officiers du génie avec les officiers d'état-major qui ont un traitement supérieur.

M. Thiéfry. - Cela ne détruit pas mon observation, car il y a des officiers supérieurs d'artillerie recevant une indemnité telle que leur traitement se trouve supérieur à celui qu'ils toucheraient quand ils auront de l'avancement.

M. le président. - M. Thiéfry veut répondre, je l'inscrirai.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je pourrais donner la liste nominative des officiers qui reçoivent des suppléments de traitement. Il y a des sous-lieutenants recevant 400 fr. de supplément, des lieutenants recevant 450 fr., des capitaines recevant 400 fr., l'un d'eux 600 fr. qui remplissent des positions de sous-chef de division, de chef de bureau.

Il n'existe plus qu'un directeur, le directeur de la division du génie, qui reçoit un supplément de mille francs. Chacun des directeurs recevait autrefois un supplément de mille francs; comme celui-là n'a pas eu d'avancement, on lui a maintenu ce supplément; c'est le seul qui reçoive aujourd'hui mille francs; les autres officiers n'ont que 600, 500, 450 et 400 fr. Je n'ai pas pu me rallier à la proposition de la section centrale, parce que l'indemnité n'est pas trop élevée, surtout après l'augmentation de travail résultant des suppressions d'emplois. Ces officiers, cette année spécialement, ont été surchargés de besogne par suite des événements qui ont nécessité le rappel sous les armes de plusieurs classes de milice, l'augmentation et le renouvellement d'une partie du matériel, la mise en état de défense des places fortes.

Pendant quatre mois je les ai fait revenir tous les soirs au ministère où ils ont passé les nuits à tour de rôle. J'avais eu la pensée de les rémunérer, et au lieu de cela on veut leur enlever le petit supplément, qu'ils touchent depuis nombre d'années. Ce n'est pas admissible. Je ne pense pas que la chambre voudra consacrer une mesure de cette nature.

- La discussion est close.

Le chiffre proposé par le gouvernement est 14,000 fr.

Le chiffre proposé par la section centrale est 4,000 fr.

Le chiffre du gouvernement est mis aux voix.

La première épreuve est douteuse.

Il est procédé à une nouvelle épreuve.

Ce chiffre n'est pas adopté.

Le chiffre de la section centrale est adopté.

Articles 4 et 5

« Art. 4. Matériel : fr. 40,000. »

- Adopté.


« Art. 5. Dépôt de la guerre.

« Charge ordinaire : fr. 16,000.

« Charge extraordinaire : fr. 10,000. »

- Adopté.

Chapitre II. États-majors

Articles 6 à 8

« Art. 6. Traitement de l'état-major général : fr. 675,000. »

- Adopté.


« Art. 7. Traitement de l'état-major des provinces et des places : fr. 271,629 70. »

- Adopté.


« Art. 8. Traitement du service de l'intendance : fr. 140,900. »

- Adopté.

Chapitre III. Service de santé et administration des hôpitaux

Articles 9 à 11

« Art. 9. Traitement du service de santé et administration des hôpitaux : fr. 327,014 75. »

- Adopté.


« Art. 10. Entretien des malades : fr. 459,525. »

- Adopté.


« Art. 11. Matériel des hôpitaux : fr. 110;000. »

- Adopté.

Chapitre IV. Solde des troupes

(Les hommes momentanément en subsistance près d'un régiment d'une autre arme, compteront, pour toutes leurs allocations, au corps où ils se trouvent en subsistance)

Articles 12 à 15

« Art. 12. Traitement et solde de l'infanterie : fr. 9,522,000. »

- Adopté.


« Art. 13. Traitement et solde de la cavalerie : fr. 3,120,000. »

- Adopté.


« Art. 14. Traitement et solde de l'artillerie : fr. 2,668,000. »

- Adopté.


« Art. 15. Traitement et solde du génie : fr. 753,400. »

- Adopté.

Chapitre V. Ecole militaire

Articles 16 et 17

« Art. 16. Etat-major; corps enseignant et solde des élèves : fr. 154,170. »

- Adopté.


« Art. 17. Dépenses d'administration : fr. 23,650. »

- Adopté.

Chapitre VI. Etablissements et matériel de l'artillerie

Articles 18 et 19

« Art. 18. Traitement du personnel des établissements : fr. 37,203. »

- Adopté.


« Art. 19. Matériel de l'artillerie.

« Charge ordinaire : fr. 440,370.

« Charge extraordinaire : fr. 58,427. »

- Adopté.

Chapitre VII. Matériel du génie

Article 20

« Art. 20. Matériel du génie.

« Charge ordinaire : fr. 750,000.

« Charge extraordinaire : fr. 300,000. »

M. Delehaye. - La chambre sait qu'il y a quelque temps, la ville de Gand a été témoin d'un événement très déplorable. Un des magasins de la citadelle de Gand a fait explosion. Les circonstances qui ont amené ce triste événement ont jeté la consternation dans la ville. On s'est demandé comment il se fait qu'alors qu'on prend tant de précautions pour la conservation de la caisse des régiments, on n'en prend aucune quand il s'agit de la population de toute une ville. Vous savez que la caisse d'un régiment ferme au moyen d'une serrure à trois clefs. Quand il s'agit d'un magasin à poudre, comment se fait-il que l'accès en soit permis à un seul individu?

Je demanderai à M. le ministre de la guerre qui a, dans la discussion de son budget, témoigné tant de sollicitude pour l'armée et pour le pays, si cet état de choses ne pourrait pas être changé.

A cette occasion, je demanderai à M. le ministre de la guerre, s'il ne conviendrait pas de démolir la citadelle de Gand. Les habitants de Gand en demandent avec instance la démolition, et bientôt vous serez saisis d'une proposition à ce sujet. Cette citadelle ne peut en rien contribuer à la défense du pays, elle enlève à la ville et au pays un terrain qui pourrait leur être d'une grande utilité. Ces considérations détermineront sans doute M. le ministre de la guerre à examiner cette question.

Il est certain qu'au sein d'une population aussi forte que celle de Gand un magasin à poudre est un sujet de craintes légitimes et continuelles. On pourrait utiliser ce terrain, en y construisant une caserne. On obtiendrait ainsi de meilleurs résultats.

Je ne pousserai pas plus loin mes observations, désirant, après un débat de plusieurs jours, que nous puissions enfin passer au vote sur le budget de la guerre.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je puis donner à l'honorable M. Delehaye des renseignements qui le satisferont complètement. J'ai fait examiner la question des magasins à poudre, immédiatement après l'explosion du magasin de la citadelle de Gand. Des mesures de précaution ont été ordonnées partout. Ainsi, l'accès des magasins à poudre sera désormais plus difficile. Nul ne pourra y entrer s'il n'est accompagné des deux dépositaires des clefs, et s'il n'a prévenu le chef du poste chargé de la garde du magasin.

Sous ce rapport, l'honorable M. Delehaye peut donc avoir tous ses apaisements.

Au reste, j'ai pris toutes les mesures pour empêcher le retour de tout danger d'explosion dans l'avenir.

M. Loos. - Je remercie M. le ministre des précautions qu'il a prises pour la garde des magasins à poudre. Mais je lui demanderai si, en temps de paix, il est nécessaire de conserver dans nos places fortes des quantités de poudre aussi considérables que celles qui s'y trouvent aujourd'hui.

Je pense qu'en temps de paix, il serait préférable de conserver les poudres dans des magasins éloignés des centres de population. Car, quelques mesures de prudence que l'on prenne, il y a danger et danger assez grand, puisque nous voyons, après certaines périodes de temps, à des distances de 15 ou 20 ans, se reproduire des malheurs du genre de celui qui a éclaté à Gand.

- L'article est adopté.

Chapitre VIII. Pain, fourrages et autres allocations

Article 21

« Art. 21. Pain : fr. 1,520,925 44. »

La section centrale propose une réduction de 95,000 fr., à laquelle se rallie M. le ministre.

Le chiffre serait ainsi réduit à 1,425,925 fr. 44 c.

- Ce chiffre est adopté.

Article 22

« Art. 22. Fourrages en nature : fr. 2,515,000. »

La section centrale propose une réduction de 400,000 fr. à laquelle se rallie M. le ministre.

Le chiffre serait de 2,415,000 fr.

- Ce chiffre est adopté.

Articles 23 à 28

« Art. 23. Casernement des hommes : fr. 576,580. »

- Adopté.


« Art. 24. Renouvellement de la buffleterie et du harnachement : fr. 150,000. »

- Adopté.


« Art. 25. Frais de route et de séjour des officiers : fr. 91,000. »

- Adopté.


« Art. 26. Transports généraux : fr. 50,000. »

- Adopté.


« Art. 27. Chauffage et éclairage des corps de garde : fr. 58,000. »

- Adopté.


« Art. 28. Remonte : fr. 86,790. »

- Adopté.

Chapitre IX. Traitements divers, honoraires et pensions temporaires

Articles 29 et 30

« Art. 29. Traitements divers, honoraires et pensions temporaires.

« Charge ordinaire : fr. 265,840 80.

« Charge extraordinaire : fr. 8,159 20. »

- Adopté.


« Art. 30. Frais de représentation : fr. 22,000. »

- Adopté.

Chapitre X. Pensions civiles et secours.

Article 31

« Art. 31. Pensions civiles et secours.

« Charge ordinaire : fr. 37,000.

« Charge extraordinaire : fr. 16,670. »

- Adopté.

Chapitre XI. Dépenses imprévues

Article 32

« Art. 32. Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 16,645 11. »

- Adopté.

Chapitre XII. Gendarmerie.

Article 33

« Art. 33. Traitement et solde de la gendarmerie : fr. 1,831,000. »

M. le président. - Aux quatre articles du chapitre IV, il y a une note marginale sur laquelle la chambre doit voter. Cette note est ainsi conçue:

« Les hommes momentanément en subsistance près d'un régiment d'une autre arme, compteront, pour toutes leurs allocations, au corps où ils se trouvent en subsistance. »

- Cette note est adoptée.

Second vote

M. le président. - Un amendement ayant été adopté, il y a lieu de remettre le vote définitif à après-demain.

M. d'Elhoungne. - Je crois que l'amendement qui a été adopté a peu d'importance, et la chambre a de nombreux travaux qu'elle doit achever. Je vous proposerai de passer immédiatement au second vote du budget de la guerre.

M. Lesoinne. - Avant le second vote, je désirerais répondre à une note qui se trouve dans le rapport de la section centrale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, dans toute autre circonstance, s'il y avait urgence, je serais le premier à demander que la chambre procédât immédiatement au vote définitif. Mais il y a eu un amendement, et le règlement exige que cet amendement soit voté dans une autre séance. Le gouvernement ne demande pas l'urgence. Il n'y a aucune raison de voter aujourd'hui plutôt que demain.

L'amendement adopté n'a peut-être pas d'importance pour quelques membres de la chambre. Mais il a une certaine importance au point de vue administratif. M. le ministre de la guerre doit avoir le temps de réfléchir et de voir s'il peut se rallier à l'amendement ou s'il doit le combattre.

- La chambre fixe le vote définitif du budget à après-demain.

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la suppression du conseil des mines. (Interruption.)

M. Delfosse. - On ne croyait pas que la discussion du budget de la guerre serait terminée aujourd'hui. On n'a pas pris les pièces nécessaires à la discussion du projet sur le conseil des mines.

- Un membre. - La proposition de M. Sinave.

M. le président. - M. Sinave nous a déclaré qu'il n'est pas prêt. Mais nous avons à l'ordre du jour le projet de loi sur la suppression du conseil des mines.

- Plusieurs membres. - C'est impossible !

M. d'Elhoungne. - Ce qui se passe en ce moment est la meilleure justification de la proposition que j'ai eu l'honneur de faire à la chambre. Si la chambre avait abordé le second vote du budget de la guerre, elle aurait terminé ce budget aujourd'hui; demain elle aurait pu aborder d'une manière régulière ses autres travaux et les poursuivre sans interruption. Je demande formellement que la chambre revienne sur sa décision et qu'elle passe au vote définitif du budget de la guerre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Sans doute la chambre est libre de revenir sur le vote qu'elle vient d'émettre, mais je demande à quoi lui servira de gagner cinq minutes? Lorsque l'on aura voté définitivement (page 877) le budget de la guerre, ce qui demandera, je le répète, cinq minutes, on se trouvera précisément dans la même position.

Je ne pense pas qu'après-demain l'amendement qui a été adopté donne lieu à de longs débats; mais comme c'est une question d'administration intérieure, il est naturel que M. le ministre de la guerre ait le temps de se consulter sur le point de savoir s'il doit se rallier à la proposition ou la combattre de nouveau.

M. d'Elhoungne. - Pour le budget de l'intérieur on n'a pas observé le règlement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On était d'accord pour passer immédiatement au vote définitif.

Je ne comprends pas l'importance que l'honorable membre attache à sa proposition. Je donne une raison pour ajourner le vote définitif à demain ou à après-demain, M. d'Elhoungne n'en donne aucune pour voter immédiatement; il dit bien qu'il veut faire gagner du temps à la chambre, mais rien n'empêche la chambre de passer immédiatement à l'examen d'un autre projet; il y en a plusieurs à l'ordre du jour que l'on doit être prêt à discuter.

M. de Mérode. - Comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur, lorsqu'il s'est agi de son budget tout le monde était d'accord ; personne n'a réclamé l'exécution du règlement. Je conçois que l'on passe sur le règlement lorsque personne ne s'y oppose, mais quand il y a la moindre opposition la chambre est dans l'habitude d'observer le règlement. Je crois qu'il faut en agir de même aujourd'hui.

M. Lebeau. — Je ne m'oppose pas à la motion de l'honorable M. d'Elhoungne par suite de l'importance qu'elle pourrait avoir en elle-même; mais je dois la combattre comme précédent. Il est évident que si l'on peut soumettre au vote de la chambre l'exécution du règlement, jamais la minorité, pour laquelle le règlement a été fait, ne pourra en invoquer le bénéfice, elle succombera toujours. Je prie la chambre d'être attentive à ce danger. Je conçois très bien que quand personne ne réclame l'exécution d'une disposition pareille, il soit sans inconvénient de passer outre, car alors vous ne blessez pas les droits d'une partie de la chambre.

Je vous prie, messieurs, de bien fixer votre attention sur le danger qu'il y aurait à poser un semblable précédent, et cela quand il n'y a aucun motif sérieux d'urgence. Ce serait violer à plaisir le règlement, violer à plaisir les droits de la minorité qui réclame.

M. d'Elhoungne. — Il est dans les usages de la chambre de s'écarter de la disposition du règlement dont il s'agit, lorsqu'il y a une certaine urgence ; or, je considère comme un motif d'urgence ce fait que la chambre n'a plus rien à l'ordre du jour, dont elle puisse utilement s'occuper. Je crois qu'il est très urgent que la chambre ne perde plus de temps en présence des nombreux travaux qu'elle a à faire cette année. Je concevrais la remise du vote définitif à un autre jour, si les détails du budget avaient donné lieu à de grandes discussions, mais vous venez de voir avec quelle rapidité tous les articles ont été adoptés; un seul article, celui qui a subi une réduction de 10,000 fr., a donné lieu à quelques débats; eh bien, la chambre pourra utilement consacrer le reste de la séance à un nouvel examen de cet article. Cet examen peut avoir lieu aussi bien aujourd'hui qu'après-demain. Est-ce que M. le ministre de la guerre a besoin de beaucoup de temps pour se préparer à une nouvelle défense du chiffre qui a succombé? Est-ce que les membres qui l'ont combattu ont besoin de longues méditations pour pouvoir le combattre de nouveau?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, nous sommes tout aussi désireux que qui que ce soit de ménager, d'utiliser les moments de la chambre; nous l'avons souvent prouvé; mais, je le répète, en supposant que le gouvernement ne combattît point la proposition de la section centrale, qui vient d'être adoptée, on passerait au vote définitif qui prendrait quelques minutes, puis on se retrouverait dans la position où l'on se trouve maintenant. Je fais à l'honorable M. d'Elhoungne l'honneur de croire qu'il ne se flatte pas de sauver la session, en faisant gagner cinq minutes à la chambre.

Messieurs, nous demandons que l'on vote après-demain ou demain, parce que nous ne voyons aucune espèce de nécessité, aucune espèce d'utilité à voter aujourd'hui.

M. de Theux. - Je veux seulement rappeler à la chambre que chaque fois qu'il y a eu opposition à un vote définitif immédiat, la chambre a fait droit à cette opposition. C'est ce qui doit être, en effet, parce que le règlement, est formel et la raison donnée par l'honorable M. Lebeau est si péremptoire que je ne conçois pas qu'on puisse y résister. Du moment que l'exécution du règlement est réclamée, il faut qu'elle ait lieu.

M. d'Elhoungne. - Puisque personne ne défend ma proposition, je la retire.

M. Delfosse. - Ainsi le vote définitif reste fixé à après-demain.

Nous avons maintenant à l'ordre du jour le projet de loi sur les droits de succession, la suppression du conseil des mines, la réforme postale, l'érection de la commune de Ploegsteert; voulez-vous aborder ce dernier objet? (Adhésion.)

Projet de loi séparant les communes de Warneton et de Ploegsteen

Discussion générale

M. de Haerne. - Messieurs, la question de la séparation du hameau de Ploegsteert d'avec Warneton et de son érection en commune spéciale a occupé depuis longtemps les autorités locales et provinciales, comme il est dit dans le rapport. Il y a vingt ans au moins que cette question s'agite parmi ces autorités. Aussi une décision a été prise à l'unanimité d'abord par le conseil communal, ensuite par le conseil provincial. La question a cependant donné lieu à des difficultés devant lesquelles votre commission spéciale a cru devoir reculer.

Il s'agit d'une erreur que je puis qualifier de matérielle, d'après les renseignements qui m'ont été fournis, d'après la connaissance particulière que j'ai de la localité et de la question en elle-même.

La commission n'a pas cru pouvoir adopter pour le moment le projet proposé.

Je rends hommage à ses convictions. Je suis persuadé que, comme moi, elle voit dans cette affaire une question d'humanité, de justice. Mais enfin cette erreur l'a arrêtée, et elle n'a pas cru pouvoir proposer l'adoption immédiate de la proposition ministérielle, tendant à ériger le hameau de Ploegsteert en commune séparée.

Cependant j'ai vu avec plaisir, et je prends acte de cette déclaration, que la commission est d'accord avec le gouvernement, avec le conseil provincial et avec l'autorité communale, pour adopter la séparation en principe; de manière qu'aux yeux de la chambre, si elle adopte les conclusions de la commission, la séparation doit être envisagée comme admise en principe et qu'il n'y aura plus lieu de revenir ultérieurement sur la question de celle séparation quant au fond.

Je crois devoir donner à la chambre quelques explications sur la nature de l'erreur commise, afin qu'à l'avenir de pareilles difficultés auxquelles je m'attends encore, n'arrêtent plus la chambre. Cette erreur purement matérielle provient de certains intérêts qui se sont trouvés en présence et qui se rencontrent presque toujours dans de pareilles questions. Ordinairement les communes dans lesquelles une séparation doit avoir lieu, s'opposent à cette séparation. Un intérêt local cherche à entraver la séparation réclamée par des motifs d'humanité, de justice, par des considérations d'intérêt général.

Eh bien, c'est là le fond de la difficulté dans le cas présent. Car depuis longtemps une opposition très vive s'était manifestée de la part de la commune de Warneton contre l'érection de Ploegsteert en commune séparée, malgré le droit évident de ce hameau. Pour vous démontrer l'évidence de ce droit, pour vous prouver que l'humanité, la justice réclament cette séparation, je dirai que ce hameau, depuis vingt ans, est dans l'abandon le plus complet ; qu'il n'y a pas de voies de communication ; ou que du moins les voies de communication sont impraticables les trois quarts de l'année. Il n'y a pas d'école, à tel point qu'on y compte jusqu'à 200 fermiers qui ne savent pas écrire. Ainsi, un grand nombre de propriétaires de Ploegsteert, qui ont adressé une pétition à la chambre, ont dû figurer leur signature par une croix. Ajoutez une distance de 5 quarts de lieue de clocher à clocher.

Un autre fait qui prouve que c'est avec justice qu'on réclame la séparation, c'est qu'un pavé a été construit pour établir une communication entre Warneton et Comines ; que le chemin de Ploegsteert a contribué pour 17,000 francs dans cette construction ; que ce sacrifice a été fait en pure perte pour ce hameau, puisque Ploegsteert est dans l'impossibilité de profiter de cette voie de communication.

Les griefs dont le conseil provincial avait exigé le redressement sont restés presque tous debout; mais revenons à l'erreur signalée par la commission.

Cette erreur paraît étrange de prime abord. Elle consiste en ce qu'on attribue à Ploegsteert, dans le projet de délimitation, un nombre d'hectares plus considérable que celui qui reviendrait de droit au hameau qui réclame la séparation. Il y a une différence de plus de 600 hectares.

Cette erreur paraît presque incroyable ; car la question a été débattue depuis des années, les divers projets ont été étudiés à fond, les plans de séparation et de délimitation mûrement examinés depuis longtemps; mais on comprend la véritable cause de cette erreur, quand on remonte à la source. Or, voici, d'après les renseignements qui m'ont été fournis, et d'après la connaissance que j'aide ce qui s'est passé, comment l'erreur a été commise.

Dans le principe, on a fait une vive opposition à la séparation. Mais la ville de Warneton, voyant que la séparation était inévitable, y a consenti, sauf à accorder au hameau de Ploegsteert un terrain plus étendu que celui qu'il demandait lui-même. Dans cette délimitation, on faisait entrer trois petits hameaux très pauvres ; on espérait que par là Ploegsteert reculerait lui-même devant la séparation. C'est en effet ce qui a eu lieu dans le principe. Quand la question a été posée en ces termes pour la première fois au sein du conseil communal, tous les conseillers appartenant à Warneton proprement dit, ont adopté le projet, tandis que les conseillers appartenant au hameau de Ploegsteert, l'ont repoussé. C'était donc Warneton qui voulait la délimitation contre laquelle il réclame maintenant.

On ne comprend pas d'abord comment la commune de Warneton accordait au hameau de Ploegsteert une délimitation plus étendue; mais la chose s'explique, lorsque l'on considère que, dans cette délimitation, en faisant entrer trois hameaux très pauvres, qui devaient dès lors obérer la commune nouvelle de charges qu'elle ne pourrait pas supporter et devant lesquelles elle aurait reculé. Cette générosité apparente de la commune de Warneton a donc sa source dans l'espoir qu'avait cette commune, que le hameau de Ploegsteert repousserait la délimitation et la séparation. En effet, il parut d'abord que tel serait, en définitive, le résultat, car l'opposition venait primitivement de la part du hameau de (page 878) Ploegsteert qui ne voulait pas de cette séparation, qui se contentait d'un territoire moins étendu, c'est-à-dire de la circonscription du ressort spirituel.

Cependant plus tard, le hameau de Ploegsteert s'est ravisé ; voyant que le principe de la séparation allait lui échapper, il est revenu sur sa première détermination, et il a adopté la délimitation proposée, en consentant à supporter les charges qui devaient lui incomber. Voilà comment s'explique la différence; elle est telle que les charges pour les pauvres qui se trouvent dans les trois petits hameaux dont je viens de parler, savoir : du Guère, du Toucquet et de St-Ivon, se montent à une somme de 2,600 fr., tandis que le revenu n'est que de 1,200 fr., c'est-à-dire que les charges qu'on imposait à Ploegsteert pour les pauvres étaient plus du double du revenu que les hameaux pouvaient produire. Voilà pourquoi cette commune en projet reculait d'abord devant le sacrifice qu'on voulait lui imposer; mais craignant que la séparation ne fût repoussée, elle en a adopté le principe avec toutes les charges, parce que, fatiguée des entraves et des difficultés qu'on lui suscitait sans cesse, elle préférait une séparation onéreuse plutôt que de n'en pas avoir du tout. Voilà l'état des choses tel qu'il se présente en réalité. Que la chambre sache donc que si les terrains assignés à Ploegsteert paraissent trop considérables, c'est le fait de Warneton qui a mauvaise grâce de réclamer maintenant contre son œuvre.

J'ai cru devoir donner ces explications à la chambre afin qu'il soit bien entendu que le principe de la séparation ne sera pas abandonné, quelles que soient les difficultés auxquelles cette question pourra encore donner lieu, car je prévois qu'il en surgira ; le passé me suffit pour juger de l'avenir.

Il est bon, messieurs, que vous sachiez que dans la commune de Warneton il y a deux partis : l'un qui, reconnaissant la justice de la cause, veut la séparation, même avec la délimitation proposée. Des pétitions adressées à la chambre, et sur lesquelles figurent même des conseillers de Warneton, en font foi. L'autre, qui se borne en apparence à demander une rectification de délimitation, mais qui, au fond, repousse la séparation même, et qui tâchera de l'écarter par tous les moyens.

Ces partis représentent deux intérêts divers : l'intérêt des propriétaires et l'intérêt des détaillants. Les propriétaires, qui supportent les charges des pauvres, veulent la séparation telle qu'elle est établie, parce que, de cette manière, ils seront débarrassés d'une partie de ces charges.

Voilà une fraction qui veut la séparation sur le pied des délimitations proposées. Il y a une autre fraction qui s'y oppose, c'est le parti des boutiquiers, des cabaretiers, parce que ces personnes espèrent que la population qui devra refluer sur le centre de la commune à cause des relations de toute espèce, de l'état civil et d'autres, leur procurera quelques avantages.

Voilà donc outre l'intérêt du Ploegsteert deux intérêts opposés qui se trouvent dans la commune de Warneton et qui se reproduiront toujours, de sorte que si on s'arrête devant cette difficulté, la question sera insoluble.

Je le répète, j'ai fait ces observations pour qu'on ne tire pas du rapport de la commission une conclusion contre le principe de la séparation, et que celle-ci ait définitivement lieu avant la fin de l'année actuelle.

M. A. Vandenpeereboom. - Le discours chaleureux que vient de prononcer l'honorable M. de Haerne, ferait croire qu'il s'agit ici d'une de ces grandes questions politiques qui soulèvent les passions les plus vives. Cependant, messieurs, cette question est on ne peut plus simple, puisqu'il ne s'agit que d'une question de fait, purement administrative, et que je me permettrai d'exposer en peu de mots à la chambre.

Depuis longues années le hameau de Ploegsteert demande à être séparé de la ville de Warneton. Après une laborieuse instruction, ces deux localités sont tombées d'accord, à la suite de circonstances qu'il est inutile de rappeler, et dès lors le conseil provincial qui avait donné d'abord un avis défavorable, crut devoir revenir de son opinion première. La députation du conseil provincial fut chargée de proposer les conditions de la séparation et du partage de la communauté.

Dans la délimitation du territoire une erreur grave a été commise par ce collège et cette erreur a été reproduite par l'exposé des motifs du gouvernement. L'étendue territoriale de Warneton est aujourd'hui de 3,662 hectares ; si la délimitation proposée était admise le territoire de cette ville serait désormais réduit à 1,100 hectares, tandis que la commune nouvelle de Ploegsteert aurait une superficie de 2,562 hectares. Il en résulterait que la partie séparée deviendrait beaucoup plus importante, quant au territoire, que la commune mère, puisqu'elle aurait les deux tiers de la totalité du territoire commun ; ce qui est inadmissible.

Je ferai remarquer que la députation ne peut avoir eu cette intention, la simple raison le prouve ; c'est là une simple erreur de chiffre commise par elle, lors de l'examen du projet et des documents qui lui furent soumis et qui peut-être eux-mêmes n'étaient pas exacts.

Je pense qu'en présence de cette erreur administratif e et de fait il est impossible de voter le projet, et qu'il y a lieu de demander un supplément d'instruction, conformément à la loi provinciale.

Je répondrai un mot à l'honorable M. de Haerne qui ne comprend pas comment l'erreur a pu se commettre. Il ne me serait pas difficile peut-être de l'expliquer. Mais je crois que le devoir de la commission, dont je suis rapporteur, était de signaler l'erreur, mais non d'en rechercher la cause. Néanmoins, je crois pouvoir faire remarquer que plusieurs plans avaient été présentés au conseil, qu'aucun n'a été adopté en entier, qu'on a pris un peu de chacun d'eux, enfin que le travail a été fait avec une certaine précipitation et à la fin de la session du conseil; ces circonstances peuvent expliquer l'erreur que la commission a cru devoir signaler.

M. Delehaye. - J'ai également fait partie de la commission qui a examiné le projet de loi. Je ne cacherai pas que mon premier mouvement a été d'en voter l'adoption. Mais après que j'avais émis ce vote, il m’a été objecté que ce vote était basé sur l'erreur qui avait été commise.

D'un autre côté, le hameau de Ploegsteert n'a plus intérêt à la séparation immédiate. En effet, le budget est voté pour cette année. Toutes les dispositions ont été prises dans l'hypothèse de la réunion des deux sections. Quand même vous décideriez immédiatement la séparation, votre décision n'aurait d'effet que l'année prochaine.

En adoptant l'ajournement proposé par la commission, la chambre pourra voter la séparation avant la fin de l'année, après qu'aura été rectifiée l'erreur capitale qui a été commise dans la séparation des deux sections. Car une fois cette erreur rectifiée, je pense que la séparation des deux sections doit être admise dans leur intérêt.

M. de Haerne. - L'honorable rapporteur a paru s'étonner de ce que j'avais mis un peu de chaleur dans cette question. Cependant je crois être resté dans les convenances. Il a dit que je défendais cette question comme si c'était une question d'intérêt général.

- Plusieurs membres. - Non; mais comme une question d'intérêt politique.

M. de Haerne. - Il n'y a rien ici de politique pour moi ; je laisse ce côté de la question à d'autres. Puisqu'on me jette ce mot, je dirai que presque toutes les grandes influences politiques, de quelque couleur qu'elles fussent, étaient contraires à mon opinion.

J'envisage la question, comme une question d'intérêt général. D'abord j'aurai l'honneur de dire à la chambre que la justice et l'humanité sont engagées dans la question. J'en fais une question d'intérêt général, parce que c'est une question de défrichement. Il s'agit de plus de 700 hectares à défricher. Aussitôt la séparation prononcée, on mettra la main au défrichement. Les propriétaires sont déjà d'accord et peuvent compter sur le concours des autorités futures. Les fonds sont faits aussi pour la construction d'une école et d'un atelier.

En général, les provinces se sont jusqu'à présent opposées aux séparations de communes, parce qu'il en résulte des frais pour elles. Cependant nous sommes entrés depuis quelque temps dans un nouveau système. Je crois qu'à cet égard elles seconderont mieux le gouvernement, dont le système est (comme l'a très bien expliqué M. le ministre de l'intérieur dans plusieurs discours et dans d'autres documents) de procéder aux défrichements en créant de nouveaux centres de population. Or, vous n'y réussirez jamais si vous vous laissez arrêter dans la solution de ces questions par des difficultés accessoires et de mesquins intérêts de localité.

On trouvera toujours des raisons semblables à celles qu'invoque aujourd'hui, non la ville de Warneton, mais quelques habitants de cette ville, contre la décision antérieure du conseil communal.

Je citerai pour exemple le Vrygeweyd, an centre duquel il faudra établir une nouvelle commune, si l’on veut que les défrichements projetés obtiennent du succès. Cette nouvelle commune ne se créera pas non plus sans opposition.

Je ne repousserai pas les conclusions de la commission, parce que je la crois animée de bonnes intentions, et que j'espère que le gouvernement fera tout ce qu'il pourra pour que cette affaire se termine avant 1830. Dans ce cas, Ploegsteert ne demandera pas mieux que d'avoir une circonscription plus restreinte, puisqu'il en résultera une diminution de charges pour ce hameau.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le renvoi proposé par la commission est motivé sur une erreur matérielle qui est le fait du conseil provincial, chargé de l'instruction première.

Après avoir entendu les deux opinions, je crois qu'il y a lieu de livrer le projet à une nouvelle instruction.

Du reste, en principe, je crois la séparation désirable et juste ; elle doit se faire, mais dans des limites équitables pour l'une et pour l'autre section. Il résulterait du projet arrêté par le conseil provincial un grand préjudice pour la ville de Warneton. J'espère que, dans sa prochaine session, le conseil de la Flandre occidentale pourra revenir sur cette question. La chambre pourra, à son tour, cette année même, adopter un nouveau projet, de sorte que la commune de Ploegsteert puisse voter son budget à temps pour 1850.

M. de Haerne. - Très bien.

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.

En conséquence, le projet de loi est renvoyé à M. le ministre de l'intérieur, pour faire l'objet d'une instruction supplémentaire.

-La séance est levée à 4 heures.