(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, sessions 1849)
(Présidence de M. Delfosse, vice-président.)
(page 661) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à 1 heure et quart.
La séance est ouverte.
M. Troye donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.
M. de Luesemans présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Bouchoms, maître de poste à Pepinster, né à Eysden, duché de Limbourg, demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur de Mat réclame l'intervention de la chambre pour obtenir le payement de fournitures faites en 1830. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. le ministre de la justice adresse à la chambre 109 exemplaires du compte de l'administration de la justice criminelle, pendant les années 1840, 1841,1842 et 1843.
- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la chambre.
(page 669) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je regrette de devoir prolonger une discussion déjà très longue. Mais la chambre voudra bien se rappeler que je ne suis pas intervenu dans les débats; que beaucoup d'orateurs ont été successivement entendus; que m'étant expliqué une première fois, je n'ai pas cru devoir prendre la parole, et interrompre ainsi le tour des orateurs inscrits.
Je tâcherai d'abréger, autant que possible, les considérations nouvelles dans lesquelles il est nécessaire que j'entre, avant qu'on ne clôture définitivement cette grande et longue discussion.
Messieurs, je dois d'abord me féliciter et remercier la chambre des termes bienveillants avec lesquels presque tous les orateurs qui ont pris la parole se sont expliqués relativement aux intentions et aux actes du gouvernement. On a trouvé plusieurs choses à louer, on a trouvé peu à reprendre.
Personne n'a été assez injuste pour exiger du gouvernement des résultats immédiats, complets. L'on a compris que toutes les mesures, prises par le gouvernement, l'avaient été, les unes à titre d'essai ; d'autres, comme stimulant, direction, conseil. Pour que tout cela opère, il faut du temps. Je n'ai jamais annoncé que toutes les mesures prises devaient obtenir des résultats immédiats et complets.
On a reconnu une amélioration déjà sensible dans la situation des Flandres. C'est beaucoup lorsque l'on se rappelle l'état de découragement, l'espèce de désespoir où était tombée la population, et je dirai, plusieurs de ceux qui la représentent dans cette enceinte. Ce n'est pas peu que d'avoir amené ces mêmes représentants à reconnaître qu'il y a amélioration dans la situation générale; et ils ont eu raison de le reconnaître : cette amélioration s'est révélée par trop de symptômes, par trop d'aveux, pour qu'elle puisse être niée; je me permettrai de corroborer par quelques nouveaux faits cette assertion, qu'il y a amélioration dans la situation.
Ainsi, pour commencer par la situation sanitaire, on avait répété à plusieurs reprises que la progression des décès se faisait sentir d'une manière désastreuse, qu'il y avait accroissement continu dans le nombre des décès.
Voici, messieurs, pour l'année 1848, les renseignements que j'ai pu recueillir jusqu'à la date d'avant-hier sur la mortalité dans l'une et l'autre Flandre; les données statistiques n'ont pas pu être complétées ; on est occupé à les recueillir, et chaque jour j'en reçois de nouveaux à cet égard.
Ces renseignements s'appliquent à 99 villes et communes de la Flandre occidentale. Pour être juste, il ne faut pas comparer les décès aux naissances, mais les décès entre eux.
Les décès dans la Flandre occidentale, en 1845, ont été de 5,061 ; en 1846, de 5.747; en 1847, de 6,273; en 1848, ils sont descendus à 5,594.
Il y a des gens pour qui c'est une satisfaction chaque fois qu'un malheur public se manifeste, chaque fois que la mortalité a sévi ; ils ont soin d'annoncer ce malheur avec une sorte de triomphe ; à chaque nouvelle aggravation, certains journaux s'emparaient avec un empressement inqualifiable de cette nouvelle marque d'un malheur public. Eh bien! la joie de ces excellents citoyens doit aujourd'hui tendre à diminuer. C'est regrettable. Mais il est certain qu'au point de vue des décès la situation des Flandres s'est améliorée.
Les naissances, il faudrait les comparer aux mariages. Voici un renseignement qui annonce une amélioration dans la situation des Flandres : le nombre des mariages avait diminué d'une manière sensible, et il s'est accru à mesure que la situation s'est améliorée. Dans quelques villes et communes, ce ne sont pas des communes choisies, j'ai recueilli les renseignements jour par jour et à mesure qu'ils se présentaient ; je suis persuadé que la chambre est convaincue de la sincérité des chiffres que j'ai l'honneur de lui présenter; il y a une différence entre ces chiffres et ceux qui défrayent certaine presse.
Dans les 99 villes et communes dont je viens de parler, le nombre des mariages en 1845 avait été de 1,331; en 1846 il était descendu à 1,098 ; en 1847 à 985; mais en 1848 il s'est relevé et il a atteint le chiffre de 1,288.
De manière que, selon toute probabilité, le nombre des naissances, qui avait diminué à mesure que le nombre des mariages diminuait, va reprendre de l'accroissement à mesure que le nombre des mariages augmentera.
Dans la Flandre orientale, je n'ai pas de renseignements, quant aux communes rurales : il ne m'en est parvenu que pour 8 villes. Dans ces villes en 1845, les décès ont été de 2,579 ; en 1846, ils ont été de 3,045; en 1847, de 3.145 et en 1848, ils sont descendus à 2,850. Les mariages dans ces villes ont été en 1845, de 639; en 1846, de 554; en 1847, de 488, et en 1848, leur nombre s'est relevé à 655.
Ainsi l'année 1848 tend beaucoup à se rapprocher de l'étal normal. Il faut compter aussi dans l'année 1848 les deux premiers mois (janvier et février) qui ont hérité en quelque sorte de la mauvaise situation de 1846 et 1847. C'est à partir du mois de mars que l'amélioration s'est fait particulièrement sentir.
Spécialement pour les districts qui ont été le plus cruellement frappés, pour les districts de Thielt et de Roulera, je n'ai pas le chiffre des mariages; mais voici la situation des décès :
Roulers. Année 1846 2,957, 1847 3,982, 1848 3,135
Thielt. Année 1846 2,743, 1847 3,909, 1848 2,810.
M. Rodenbach. - C'est effrayant.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Sans doute, le nombre des décès est considérable. Mais je tiens à constater qu'il y a diminution notable. Voilà simplement ce que je veux prouver.
Si nous faisions une excursion dans les pays étrangers, nous verrions que tous ont été frappés par la même crise, peut-être dans des proportions plus fortes. Je ne vous citerai pas les chiffres de l'Irlande; ils sont vraiment effrayants. Mais, pour la seule ville de Londres, sur les 2,100,000 habitants de cette ville, il y a eu, en cinq ou six semaines, 500,000 malades, et la mortalité de 1847 a dépassé de 49 mille celle de 1845.
Cette amélioration de l'état sanitaire est d'ailleurs constatée par les rapports des commissions médicales provinciales de la Flandre occidentale et de la Flandre orientale.
Voici un extrait du rapport de la commission médicale de la Flandre, orientale ; il est du 12 janvier :
« Aujourd'hui la situation est moins mauvaise; l'abondance des dernières récoltes rendant la condition des classes pauvres plus supportable. Les conditions hygiéniques se sont améliorées, et les affections anémiques ont disparu. »
Voici maintenant un extrait du rapport de la commission médicale provinciale de la Flandre occidentale, du 31 décembre dernier.
« Les conditions sanitaires de la province sont beaucoup meilleures qu'elles ne l’étaient, l'année précédente. Dans ce moment nous n'avons ni officiellement ni officieusement reçu des informations qui indiquent l'existence d'une épidémie dans notre Flandre ; nous pouvons affirmer que dans la ville de Bruges, la partie indigente de la population n'a, depuis plusieurs années, fourni pour la saison un nombre aussi restreint de malades. Le typhus semble éteint ou du moins assoupi. »
Je n'ai pas besoin de rappeler les différentes et nombreuses mesurer que l'administration supérieure a prises pour parer, autant qu'il était en elle, aux effets des maladies qui ont été la suite de la crise alimentaire.
Je ne pense pas que personne, dans cette enceinte, songe à reprocher au gouvernement l'existence de cette crise. Je ne veux pas non plus attribuer au gouvernement le mérite d'avoir fait cesser la maladie. Tout ce que je demande, c'est qu'on veuille bien reconnaître que le gouvernement n'a pas manqué de soin, d'activité, ni de sollicitude pour parer, autant qu'il était en lui, aux effets pernicieux de cette maladie, qui elle-même n'était que la conséquence de la crise alimentaire, conséquence dont tous les pays d'ailleurs se sont ressentis.
Je passe, messieurs, à ce que j'appellerai d'autres symptômes d'amélioration dans les Flandres.
A l'époque où les emprunts ont été décrétés, beaucoup de personnes avaient pensé que les Flandres ne seraient pas en état de remplir leur part d'obligations vis-à-vis du trésor. Voici, messieurs, l'état de la situation des recettes faites l'année dernière dans la Flandre orientale et dans la Flandre occidentale.
Sur l'avance égale aux 8/12 de la contribution foncière et sur l'emprunt, il ne restait plus à recouvrer au 1er janvier, dans la Flandre orientale, qu'environ 80,000 fr. sur 5,895,000 fr.
Dans la Flandre occidentale, sur les 8/12 et sur l'emprunt forcé, il ne restait plus à recouvrer que 10,600 fr. sur 5,177,000 fr.
Cela, messieurs, fait honneur au patriotisme, à la bonne volonté des habitants des Flandres. Mais cela prouve aussi que les contribuables n'étaient pas réduits à un tel état de détresse qu'ils se seraient trouvés dans l'impossibilité absolue de faire face aux contributions.
La rentrée des contributions ordinaires n'a pas souffert.
Le gouvernement, messieurs, a-t-il déployé des moyens rigoureux pour obtenir ces résultats ? Tous vous répondrez que ces moyens n'ont pas été mis en pratique par le gouvernement; que c'est le bon vouloir, le patriotisme des habitants qui a rempli, d'une manière si inattendue pour quelques-uns, le vœu de la loi. Je passe, messieurs, à un autre ordre de faits.
Les faillites avaient été, dans la Flandre orientale en 1846, de 43 ; er: 1847 de 40; en 1848 elles n'ont été que de 36.
Dans la Flandre occidentale, le nombre des faillites a été en 1847 de 24; en 1848 , il a été de 17.
Voici un autre fait que je signale également à l'attention de la chambre, parce qu'il témoigne de l'excellente moralité des populations flamandes, en même temps qu'il annonce une amélioration dans la situation matérielle et morale de ces populations. Je veux parler du nombre des délits.
Le nombre des délits constatés dans la Flandre orientale avait été en 1846 de 4,246. Eu 1847, il avait été de 6,149, et on peut se l'expliquer facilement. Mais en 1848, le voici descendu au chiffre de 3,291.
Dans la Flandre occidentale, les chiffres pour 1846 me manquent. (page 670) Mais pour 1847, le chiffre était de 4,566, et en 1848, il est descendu à 3,451.
J'ai cité, messieurs, dans mon premier discours, un grand nombre de documents d'où il résultait qu'il y avait amélioration réelle dans la situation matérielle ; d'autres documents me sont parvenus depuis. Mon intention n'est pas de les soumettre tous à la chambre; qu'on me permette seulement de lire le plus récent. Il est du 4 février et adressé au gouverneur de la Flandre orientale par un industriel très compétent de la ville de Gand. Il est très court ; permettez-moi de vous en donner lecture :
« J'ai l'honneur de vous confirmer ma dernière qui vous donnait des renseignements sur l'activité de nos fabriques de coton.
« J'ai à vous signaler un mieux sensible pour les établissements en lin; notamment celui de la Lys trouve un écoulement pour sa production entière.
« Les raffineries de sucre reprennent leur travail normal. La demande pour la consommation dépasse l'attente de ces industriels.
« Grâce à l'impulsion que le gouvernement a imprimée à l'établissement du Phénix, son personnel de 145 est porté à 225 ouvriers, avec espoir d'arriver à 300. »
Messieurs, la ville de Gand joue un trop grand rôle dans les Flandres pour que nous puissions la passer sous silence, alors que nous nous occupons de la situation de ces provinces. Eh bien, il est hors de contestation que depuis l’année 1830 la ville de Gand n'aura point passé, sous le rapport industriel, de meilleur hiver que l'hiver de 1848. Je pense, messieurs, que ce fait ne sera contesté par personne.
Au point de vue des tissus, voici le double résultat qui s'est manifesté depuis un certain nombre d'années. Je parle des tissus de coton et des tissus de laine : l'importation a toujours été en diminuant et l'exportation a pris des développements nouveaux. Permettez-moi de vous citer quelques chiffres.
L'importation des tissus de coton, qui s'élevait en 1834, à 433,000 kil., est descendue successivement, en 1847, à 246,000 kil., et, en 1848. à 190,000 kilog.
Les exportations, au contraire, qui s'élevaient en 1834, à 685,000 kil. ont été, en 1838, de 435,000 kil.; en 1843, de 473,000 kil.; en 1847, de 704,000 kilog.; et, en 1848, de 829,000 kilog. de tissus de coton.
J'en viens aux tissus de laine qui ne concernent pas aussi directement la ville de Gand, mais qui concernent, à certains égards, plusieurs localités des Flandres ; dans tous les cas, c'est un fait qui intéresse tout le pays.
Pour ces tissus, l'importation a été en 1844, de 706,000 kil., en 1845 de 571,000 kil., en 1847 de 347,000 kil. et en 1848 de 248,000 kil.
Cette diminution dans l'importation a continué en 1848, malgré les surprimes que le gouvernement français avait cru pouvoir accorder à la sortie des tissus de laine. Nos exportations ont été en 1834 de 219,000 kil., en 1843 de 761,000 kil. et en 1847 de 758,000 kil.
Pour 1848, si l’on se rapporte aux exportations françaises et anglaises qui ont subi des diminutions très considérables, on devait s'attendre aussi à voir une grande diminution dans nos exportations de 1848; eh bien, ces exportations se sont encore maintenues à 720,000 kil.
Voilà quelques faits de nature à rassurer un peu le pays sur la situation industrielle.
En ce qui concerne les tissus de coton, je dis que depuis 1830, et même depuis 1829, année la plus prospère pour les tissus de coton, la situation de la ville de Gand n'a jamais été aussi bonne. Les exportations en 1829 se sont élevées à 745,000 kilog., tandis qu'en 1848, les exportations se sont élevées à 829,000 kilog. ; d'un autre côté, l'importation des tissus de coton étrangers dans les Pays-Bas, s'élevait en 1829 à 901,000 kilogrammes; en 1848, il n'a été importé, je l'ai dit, en Belgique, que 190,000 kilog. de tissus de coton. Je pense que personne ne viendra contredire ces faits.
Messieurs, qu'il me soit permis de sortir ici de la question, des Flandres, de donner quelques autres renseignements sur nos exportations. L'on a parlé dans cette enceinte, à plusieurs reprises, de l'état d'abaissement où était tombé le travail national; eh bien, il y a là aussi exagération : le travail national a continué de marcher avec une activité inespérée et sans exemple dans les pays voisins.
Nos armes, par exemple, qui en 1839 s'exportaient pour une valeur de 2,150,000 francs, se sont exportées en 1848, pour une valeur de 5,586,000 francs, par un mouvement continu d'accroissement.
Les fers et le zinc travaillés et non travaillés se sont exportés en 1840 jusqu'à concurrence de 19,757,880 kilogrammes; en 1846, l'exportation s'est élevée à 80,298,525 kilog., et en 1847 à 131,417,141 kilog.
Machines et mécaniques exportées. En 1839 2,808,558 francs, en 1842, 3,372,345 francs, en 1846 à 3,944,372 fr., en 1847 à 4,109,829 fr.
Les importations de cet article ont, au contraire, diminué ; elles étaient en 1839 de 3,433,519 francs, en 1843 de 694,527 fr., en 1847 de 508,643 fr.
Pour nos verres à vitre, vous savez, messieurs, quelle progression extraordinaire nos exportations ont suivie depuis 1839 : en 1839 3,836,768 kilog., en 1843 4,892,089 kilog., en 1846 9,389,530 kilog., en 1847, 11,750,971 kilog.
En 1848, c'est moins qu'en 1847, mais plus qu'en 1846; l'exportation a été de 9,700,000 kilog.
Clous. Exportation de 1839 4,440,552 kil., en 1844 4,575,592 kil., en 1846 4,770,614 il., en 1847 5,409,669 kil., en 1848 6,677,050 kil.
Ainsi, si pour les produits liniers, il y a décroissance dans le chiffre des exportations, il y a augmentation considérable dans l'exportation des autres produits industriels.
J'ai dit que ce même résultat ne se fait pas remarquer dans les pays voisins. Je ne citerai pas la France. Vous savez quelle dépréciation énorme s'est fait sentir sur tous les produits, tant à la consommation intérieure qu'à l'exportation. Mais l'Angleterre même n'a pas été à l'abri des conséquences de la grande crise qui remue en ce moment tout le continent européen.
Les onze premiers mois de 1848, comparés aux onze premiers mois de 1847, accusent en Angleterre une diminution de 130 millions de francs dans la valeur des exportations.
C'est sans doute à ce résultat qu'il faut attribuer les discours et les amendements que nous venons de voir se produire dans le parlement anglais et qui semblent révéler, de la part de l'opposition, l'opinion que l'Angleterre n'a pas prospéré en 1848. L'amendement de M. Grattan blâmait le silence gardé en ce qui concerne les mesures destinées à alléger la détresse de l’Irlande. Vous savez qu'il y a bien longtemps qu'on s'occupe en Angleterre des moyens d'alléger la détresse de l'Irlande. Vous savez que d'efforts ont été faits, que de millions ont été dépensés pour atteindre ce but ; mais il semble jusqu'à présent que le mal soit pour ainsi dire incurable. L'amendement présenté à la chambre des lords par l'ancien ministre Stanley, qui a été repoussé par deux voix de majorité, refusait au gouvernement des félicitations parce qu'il ne trouvait pas la situation de l'Angleterre bonne. « Une grande partie des intérêts agricoles et coloniaux, disait l'amendement de lord Stanley, souffrent, et la misère toujours croissante, est bien faite pour justifier les plus sérieuses inquiétudes. »
Messieurs, je m'attends, non pas dans cette enceinte, mais hors de cette enceinte, à voir défigurer les renseignements que je viens de vous donner. Il est très doux pour certains esprits de proclamer l'abaissement continu et la misère toujours croissante de la Belgique. Et quand il arrive à un personnage officiel de prendre en main la cause de la Belgique, de démontrer, des documents authentiques à la main, que cette détresse qu'on proclame n'existe pas, que la misère ne va pas croissant, les calomnies, les démentis ne lui sont pas épargnée. Je tiens pour inattaquables, pour inexorables les chiffres que je viens de citer.
Le gouvernement, je crois pouvoir le dire, se sent assez fort dans l'opinion publique, assez soutenu par l'assentiment général, pour n'avoir pas recours à des moyens factices qui tendraient à faire au pays une situation fausse. Nous nous attachons à maintenir le pays dans cette bonne situation. Mais sous notre régime de liberté, où le mensonge ne craint pas de marcher le front haut, la vérité ne doit pas craindre de marcher aussi le front haut ; il ne faut pas laisser au mensonge le privilège de la hardiesse.
On cherche à troubler l'esprit de nos classes ouvrières, on les considère comme exploitées par les classes riches, par le gouvernement. Je demande s'il est un pays dans le monde où l'égalité vraie, générale soit plus complète entre toutes les classes, où le gouvernement ait montré plus de prévoyance, plus de sollicitude paternelle pour les classes inférieures. On s'en est beaucoup occupé, on s'en occupera encore activement; j'aurai l'occasion d'énumérer toutes les mesures qui ont été prises ou conseillées dans l'intérêt des classes ouvrières ; vous verrez qu'elles sont nombreuses; nous espérons que beaucoup de ces mesures seront efficaces.
Ce qu'il importe de bien faire comprendre au pays, c'est que sa situation matérielle ne s'est pas gravement ressentie de la situation politique des pays voisins, que la situation politique n'a pas exercé sur la situation matérielle ces effets désastreux que quelques-uns souhaitaient.
Messieurs, j'ai suivi très attentivement cette longue discussion qui touche à sa fin : je dois le dire, je n'ai pas remarqué, au milieu de toutes les bonnes intentions qui animaient les différents orateurs, je n'ai pas remarqué qu'on suggérât au gouvernement des mesures entièrement nouvelles ou qu'il eut à prendre immédiatement. Hier, avant de prendre la parole, j'avais interpellé officieusement l'honorable député de Bruges, en lui disant que le moment était venu de produire les projets qu'il avait annoncés à l'ouverture de la dissuasion. Il a bien voulu me répondre, je ne crains pas (page 671) d'être indiscret en répétant ses paroles, puisqu'il s'agit d'une conversation parlementaire; l'honorable membre m'a répondu qu'il était d'accord avec moi sur tous les points. (Interruption.)
L'honorable membre ne pourra pas dire le contraire ; plusieurs de mes collègues l'ont entendu. Tout ce que vous avez fait, m'a-t-il dit, je l'approuve, je suis entièrement de votre opinion. Ainsi, sous ce rapport, je me félicite de m'être rencontré sur le même terrain avec l'honorable député de Bruges; ceci sans préjudice des projets qu'il a annoncés et que nous attendons.
Un honorable député de Gand, en approuvant la marche suivie par le gouvernement, a semblé faire deux réserves. Il a paru croire, il a même donné à entendre que les différentes mesures de détail qui avaient été prises, avaient leur bon côté, mais que rien d'efficace et de puissant ne pouvait se faire en dehors d'une société d'exportation ; il a regretté jusqu'à certain point que le gouvernement ait été obligé de faire de l'administration de détail, de descendre à de petites mesures applicables à un grand nombre de localités.
Je suis d'accord avec l'honorable membre, qu'une société d'exportation peut être un remède efficace et puissant pour apporter un soulagement à l'industrie des Flandres. La société d'exportation était comprise dans le programme du ministère et le principe en est déposé dans un projet de loi.
Mais je ne suis pas du tout d'accord avec lui, s'il nie que toutes les mesures prises aient eu des résultats, qu'elles aient été efficaces en vue même de la société d'exportation. Je crois au contraire que toutes les mesures de détail ont été prises très efficacement, qu'il faut les continuer, que le mal qui sévit dans les Flandres ne peut être traité par un spécifique général ; que c'est un mal local qui doit être traité suivant les circonstances, qui exige des remèdes spéciaux suivant les localités, je dirai même suivant les individus, et qui exige beaucoup de soins et d'assiduité.
Sous ce rapport, je ne puis que m'applaudir de ce grand nombre de mesures de détail qui ont été prises, et je me propose de continuer à marcher dans cette voie.
Nous devons encourager les Flamands à perfectionner, à diversifier l'industrie linière. Mais nous devons aussi encourager d'autres travaux , et prévoir les changements nouveaux qui pourraient s'introduire, par exemple, dans le tissage de la toile. Il faut que l'industrie flamande se trouve armée de ressources très nombreuses, très variées, pour faire face aux éventualités de l'avenir.
Il ne faudrait pas qu'une invention, que l'application immédiate, par exemple, de la mécanique à tel ou tel produit des Flandres , vînt de nouveau surprendre les travailleurs auxquels d'autres ressources que la toile n'auraient pas été ouvertes.
Un orateur, qui a pris la parole hier, a été beaucoup plus loin : il voudrait interdire au gouvernement toute espèce d'intervention. Je l'ai déjà dit : autant je serais éloigné d'un système qui chargerait le gouvernement de tout faire, autant je repousserais un système qui tendrait à condamner le gouvernement à ne rien faire du tout.
Le gouvernement est institué, pourquoi? Pour protéger, je le veux bien, la société; mais aussi pour prévoir ses besoins, pour y pourvoir dans une certaine limite. Je ne comprendrais pas un gouvernement inerte, inactif. Je comprends un gouvernement prévoyant, intervenant dans certaine mesure, d'après certaines règles. Tout le premier, un gouvernement constitutionnel, c'est-à-dire un gouvernement contrôlé, qui est présumé représenter l'opinion publique, et résumer en lui ce que le pays a de plus actif et de plus capable, un tel gouvernement ne semble pas fait pour rester dans un état passif et d'inertie. Il ne faut pas que, sous prétexte de prudence et de circonspection, on s'abstienne. Trop souvent les gouvernements ont caché sous de tels prétextes leur impuissance ou leur mauvaise volonté. Il faut qu'un gouvernement soit prudent, circonspect. Mais il faut aussi qu'il puisse agir, et qu'il sache agir.
Je sais que le rôle du gouvernement ainsi entendu n'est pas facile; qu'en général on rend le gouvernement responsable du mal, et qu'on ne lui sait pas gré du bien qui se fait. Mais de ce que le rôle du gouvernement soit devenu difficile, il ne s'ensuit pas que ce rôle ne lui appartienne pas, notamment vis-à-vis des classes inférieures. Je crois que le gouvernement (j'entends, le gouvernement et le parlement, toutes les forces représentatives et actives du pays) doit savoir faire acte de présence. Il ne faut pas abandonner la direction des classes inférieures à quelques esprits brouillons qui se prétendent seuls aptes à diriger, à protéger cette partie de la société. C'est au gouvernement, c'est au parlement à se mettre à la tête des améliorations morales et matérielles que réclame la situation des classes inférieures.
Un honorable député de Gand, après avoir conseillé une société d'exportation, recommande l'instruction primaire.
J'irai plus loin : Je dis qu'il faut faire quelque chose, qu'il faut faire beaucoup non seulement pour l'instruction primaire, mais pour l'instruction du peuple.
S'il ne s’agissait que de l'instruction primaire, de l'instruction des enfants, vous reconnaîtrez qu'un pareil remède n'aurait pas au moins le mérite d'une application immédiate, tandis qu'on réclame des remèdes prompts et directs.
Je l'ai rappelé déjà, nous avons cherché à répandre l'instruction dans le peuple par divers moyens. Nous nous sommes occupés du perfectionnement de l'enseignement primaire, de l'enseignement professionnel. Nous avons cherché à agir sur l'esprit des classes ouvrières, en même temps que nous cherchions, à améliorer leur situation matérielle.
Un des premiers actes qui aient été posés, c'a été de récompenser l'habileté et la moralité des ouvriers par des décorations spéciales délivrées sons les yeux du gouvernement, à la face de la nation, dans des solennités publiques, par les mains du chef de l'Etat; et ceux qui ont assisté à ces cérémonies peuvent dire si jamais aucun spectacle a laissé dans leurs cœurs des impressions meilleures et plus profondes.
De cette manière, l'ouvrier a été relevé à ses propres yeux. Il a vu que par une bonne conduite et un travail habile, il est sûr de se recommander à l'attention de ses concitoyens.
Ce n'était pas seulement là pour lui un honneur, il y avait là aussi pour lui une récompense matérielle, puisque, à l'avenir, cette distincte devait désigner ceux qui les portaient comme dignes de la confiance.
Nous avons, et sous ce rapport c'est un conseil que l'honorable M. d'Elhoungne, alors qu'il était dans l'opposition, donnait au ministère précédent, nous avons pris la résolution de propager dans les classes ouvrières les livres industriels. Des hommes spéciaux se sont attachés à traduire, de l'allemand et de l'anglais, les livres élémentaires les mieux faits. Incessamment une première série de ces livres industriels sera publiée.
Nous avons également décrété la publication de livres agricoles, par les mêmes moyens, avec le concours d'hommes également dévoués, et incessamment nous pourrons publier la première série de ces livres agricoles à l'usage des classes laborieuses.
Nous avons cherché à rattacher aussi, autant que possible, les classes populaires à l'histoire même de la patrie. Nous avons décidé que des lectures historiques seraient publiées. Et que renfermeront ces lectures historiques? Elles renfermeront la biographie de tous les hommes qui ont servi le pays, soit dans la paix, soit à la guerre, soit dans les arts, soit dans les lettres. Elles renfermeront le récit des faits les plus éclatants, les plus mémorables de l'histoire ancienne et de l'histoire moderne du pays qui, certes, vaut bien son histoire ancienne. Elles renfermeront même l'histoire des monuments du pays, la description de ses plus beaux sites.
Ce n'est pas assez, messieurs; nous avons aussi voulu, toujours dans le même ordre d'idées, par des moyens plus à portée encore du grand nombre, signaler tout ce que notre pays offre de beau et de bon, soit dans l'histoire ancienne, soit dans l'histoire moderne. Des dessins seront distribués à profusion dans les villes et dans les campagnes, qui reproduiront les tableaux religieux de nos grands maîtres, les plus beaux faits historiques, les portraits de nos hommes illustres, les plus beaux monuments, les plus beaux sites du pays.
Au lieu de ces ignobles caricatures qui pervertissent le goût de nos habitants des villes et des campagnes, alors qu'elle ne pervertissent pas leurs mœurs, nous ferons en sorte de substituer des tableaux, des estampes d'un dessin choisi, des sujets qui leur apprendront quelque chose, qui les feront réfléchir, qui leur feront aimer, estimer leur pays, et qui, en relevant l'ensemble de la Belgique, relèvera aussi chaque Belge à ses propres yeux.
Quant à l'enseignement primaire proprement dit, par différentes mesures nous avons fait en sorte d'étendre l'enseignement primaire aux matières agricoles. Aujourd'hui des cours d'agriculture sont annexés à nos écoles normales. Les évêques ont été invités, et plusieurs déjà l'ont fait, à adjoindre également des cours d'agriculture à leurs écoles normales. Les inspecteurs ont eu à rechercher quels étaient ceux des instituteurs qui seraient capables de donner les notions élémentaires d'agriculture dans leurs écoles. J'ai déjà rappelé que le gouvernement avait décidé de ne plus construire d'écoles qu'à la condition d'y adjoindre une étendue de terrain qui pourrait servir en même temps de délassement à l'instituteur et d'école expérimentale pour les élèves.
Pour relever l'enseignement primaire, nous avons étendu à cet enseignement le mode de concours dont nous avions obtenu de si bons effets dans l'enseignement moyen. Dès l'année prochaine, les écoles primaires de chaque province concourront entre elles
Nous avons songé aussi à l'instruction primaire adonner aux filles; aujourd'hui les filles pauvres reçoivent l’instruction dans les établissements particuliers. L'action administrative est pour ainsi dire morte. Nous croyons que ces établissements particuliers rendent des services et nous ne voulons pas fermer ces écoles. Mais nous croyons que l'action laïque doit aussi son large concours à l'enseignement des filles. Lors de la discussion de la loi de l'instruction primaire, nous avons exprimé le vœu formel, étant membre de l'opposition, que dans l'instruction primaire on ne perdît pas de vue l'instruction des filles et surtout des filles pauvres.
Eh bien ! nous venons aussi de créer des cours normaux en faveur des jeunes personnes qui veulent embrasser cette carrière si honorable de l'instruction primaire.
Quant à l'enseignement plus élevé, à l'enseignement professionnel, voici ce que nous avons fait; et je supplie la chambre de me pardonner cette espèce de programme rétrospectif que je lui soumets de mes actes. Mais après tout, nous sommes responsables de nos actes; il est juste que nous rendions compte à la législature de tout ce que nous avons fait, et je ne dis pas autre chose.
Quant à l'enseignement industriel, tout en maintenant ce que nous avons soutenu en plusieurs circonstances en faveur de l'enseignement humanitaire proprement dit, de l'enseignement classique, nous avons reconnu la nécessité d'étendre, autant que possible, l'enseignement professionnel, (page 672) l'enseignement destiné aux classes industrielles de tous les degrés. Sous ce rapport, nous avons étendu les concours de l'enseignement moyen à tous les cours qui, dans les collèges ou les athénées, sont destinés aux élèves industriels. Jusqu'ici, nous n'avions admis à nos concours que les élèves humanitaires; à l'avenir, les élèves qui suivent les cours professionnels y seront reçus.
Nous croyons qu'il y a encore beaucoup à faire pour l'enseignement professionnel. Nous avons chargé trois hommes spéciaux d'inspecter tous les établissements d'enseignement moyen où se donne l'enseignement industriel. Nous attendons le rapport de ces hommes spéciaux, avant de prendre des mesures ayant pour but d'améliorer, de perfectionner l'enseignement professionnel dans un grand nombre d'établissements.
Nous croyons qu'il faut maintenir l'enseignement humanitaire, l'enseignement classique, je le répète. Mais il y a aussi de graves inconvénients, à l'époque où nous sommes, à multiplier outre mesure cette sorte d'enseignement. Ainsi, pour le dire tout de suite, je ne crois pas qu'il soit utile qu'un grand nombre de petites localités renferment des écoles latines ; je crois qu'il faut les restreindre à un certain nombre de localités importantes du pays. Dans les communes moins importantes, c'est vers l'enseignement professionnel proprement dit et vers l'enseignement agricole qu'il faut diriger les jeunes gens. Ceux qui veulent embrasser la carrière de médecin ou d'avocat, peuvent faire quelques frais pour venir dans les grandes villes. D'ailleurs, les bourses du gouvernement sont réservées pour les sujets distingués.
Nous avons rencontré dans une ville du pays une école qui nous a paru établie sur des bases convenables. Je ne veux pas parler de l'école industrielle de Gand, qui est dirigée par un homme du premier mérite. Mon observation s'adresse à un autre genre d'école. Il s'agit de l'école des arts et métiers de Tournay. Cette école paraît établie sur de bonnes bases.
Nous nous sommes empressé d'accorder un large subside à l'école des arts et métiers de Tournay, et nous prévenons les communes qui voudraient établir de pareilles écoles qu'elles rencontreront nos sympathies. J'espère que les chambres seconderont l'intention du gouvernement pour le perfectionnement des écoles d'arts et métiers.
Voilà, messieurs, ce qui a été fait avec l'intervention de l'Etat, pour l'amélioration intellectuelle et morale des classes laborieuses.
Quant aux améliorations matérielles, eh bien, qu'il me soit permis aussi de le rappeler, le gouvernement n'est pas resté inactif. Dès l'année 1847, redoutant une nouvelle crise alimentaire, attendu que les premiers rapports sur l'état de la récolte des pommes de terre étaient extrêmement sombres, nous avons adressé à toutes les communes une circulaire pour les engager, le cas échéant, à faire ce qui avait été fait l'année précédente avec succès, dans quelques villes et notamment à Bruxelles, pour procurer, au moyen de produits accumulés, les denrées alimentaires à des prix modérés aux classes pauvres. Heureusement les circonstances qui ont suivi ont affranchi les communes de cette intervention que nous ne leur imposions pas, mais que nous leur recommandions.
Nous avons encouragé, dans plusieurs localités, la propagation de sociétés d'épargnes entre les ouvriers.
Ces sociétés utiles se substituent à l'action des communes; les ouvriers s'associent entre eux et forment un fonds commun au moyen duquel ils achètent dans la bonne saison des provisions pour la mauvaise saison. Il existe des sociétés semblables dans d'autres pays. Le gouvernement en a encouragé plusieurs ; toutes celles qui se sont formées ont reçu des subsides. Je crois, en effet, messieurs, que chaque fois que les efforts individuels se manifestent en ces sortes d'innovations, il faut les encourager, afin que l'action administrative puisse ensuite se dispenser d'intervenir, car elle ne doit intervenir qu'à défaut de l'action individuelle.
Nous avons encouragé la formation de sociétés de secours mutuels. On a parlé hier de l'absence du crédit agricole, on a parlé de la nécessité de prendre en Flandre certaines mesures qui auraient pour but de mettre le tisserand à même d'obtenir du cultivateur la matière première, sur la simple promesse de son travail.
Eh bien, nous avons aussi, dans une commune, essayé de semblables mesures sur l'avis du comité des Flandres car nous l'avons toujours consulté et je lui adresse mes sincères remerciements des lumières qu'il nous a fournies.
Messieurs, l'institution des prud'hommes, dans l'état actuel de la société est susceptible de recevoir de larges améliorations. Nous préparons un projet qui a pour but d'élargir, d'étendre, en quelque sorte le protectorat que cette institution offre aux classes laborieuses. Ce projet sera présenté dans le courant de la session.
On a parlé aussi des brevets d'invention. Nous préparons également un projet de loi sur les brevets d'invention et les marques de fabrique. La question de l'estampille pourra se reproduire à cette occasion. Nous dirons seulement en passant, qu'aucune loi ne défend aux fabricants ni aux communes d'estampiller leurs produits.
Il est des mesures, messieurs, que le gouvernement étudie depuis longtemps et qui recevront, je l'espère, successivement leur application; je veux parler des mesures d'hygiène publique. Les documents du parlement anglais sont remplis de bills relatifs à ce qu'on appelle en Angleterre la santé des villes. Nous nous sommes mis en rapport avec les administrations communales pour les engager de la manière la plus pressante à s'occuper de travaux d'hygiène publique, de travaux d'assainissement, surtout dans les quartiers occupés par les classes ouvrières. Des subsides sont déjà distribués à huit ou dix localités, avec la destination spéciale d'être appliqués, concurremment avec les ressources locales, à des travaux d'assainissement. J'ai engagé les communes à instituer, dans ce but, des comités de salubrité, composés d'hommes spéciaux et de philanthropes actifs et réels. J'ai consulté la commission des monuments sur le meilleur plan à déterminer pour les constructions destinées aux classes pauvres (Interruption.)
Oui, messieurs, j'ai consulté la commission des monuments. Ceci est du grandiose, dira-t-on. Eh bien, je crois que la commission des monuments fera une chose vraiment grande si elle donne au gouvernement les moyens d'indiquer aux communes et aux habitants des plans de constructions commodes, saines et peu coûteuses, à l'usage des classes ouvrières. Ce serait là, messieurs, un monument égal, selon moi, aux plus beaux monuments de l'architecture.
Toujours dans cette direction, afin de faciliter les travaux d'assainissement des villes et des communes rurales, j'ai soumis à une enquête générale un projet qui aurait pour but, là où la population est le plus accumulée, de faciliter les expropriations.
Il s'agit de savoir si une commune qui a résolu d'assainir tout un quartier, ne pourrait pas exproprier, outre les terrains nécessaires à l’établissement de ses constructions, quelque chose au-delà, afin de pouvoir retrouver sur la vente des terrains extérieurs le moyen de se couvrir des sacrifices nécessités par les constructions. Je sais que ce projet n'a pas été accueilli par toutes les communes, mais je rappellerai que le principe, au fond, n'a rien d'injuste ni même rien de nouveau. Nous l'avons déjà introduit dans une de nos lois, lorsque nous avons décrété la construction de canaux dans la Campine.
Messieurs, je ne prolongerai pas cet exposé peut-être trop long. La chambre y verra du moins que le gouvernement n'est pas resté entièrement inactif. Toutes ces mesures sont loin d'être devenues des actes complets. Nous serions trop heureux si toutes les idées qui peuvent émaner, soit du gouvernement, soit de la presse, bonne conseillère, pouvaient se réaliser du jour au lendemain. Il faut du temps, de la mesure, de la patience, mais je crois qu'en tenant compte de tous ces éléments de succès, on ne doit pas non plus désespérer de l'avenir, ni craindre d'aborder de front les difficultés qui peuvent effrayer ailleurs. Il ne faut pas laisser ignorer au peuple qu'on s'occupe beaucoup de lui; il faut que le peuple, comme on l'a dit, se sente contenu, mais il faut aussi qu'il se sente aimé ; nous le contiendrons, s'il venait à s'égarer ; mais il trouvera toujours dans le gouvernement de vives sympathies pour ses souffrances et un désir bien sincère de le soulager dans ses misères.
(page 661) M. Sinave. - Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur a bien voulu dire tout à l'heure que lui et moi, nous étions parfaitement d'accord, qu'il n'existe aucun différend entre nous deux. Voici ce qui a eu lieu entre nous.
M. le ministre m'ayant demandé hier que je déposasse mon projet, j'ai dit : J'attendrai la fin de la discussion du budget de l'intérieur, parce que je crois qu'aux articles il y aura une nouvelle discussion, et que dès lors il pourrait en résulter une confusion relativement à cet objet; j'ai ajouté que mon projet était un peu d'une démocratie avancée, et que comme j'avais la conviction que M. le ministre partageait ces opinions, je ne doutais pas de son concours; à cet égard nous avons été parfaitement d'accord. Voilà ce qui s'est passé entre nous. Je pense qu'il n'y a rien là que de fort honorable.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je ne veux pas prolonger ce débat. Voici ce que j'ai compris : Il y a eu deux parties dans ma conversation avec l'honorable M. Sinave ; dans la première, il m'a dit : « Tout ce que vous faites, je l'approuve ; nous sommes d'accord » ; dans la seconde partie, venait le projet ultra-démocratique , et ici je n'ai pas compris que nous serions d'accord. Du reste, je ne me suis pas prononcé, ne connaissant pas encore le projet ou les projets de l'honorable M. Sinave.
M. Sinave. - Je demande pardon à l'honorable ministre de l'intérieur. Il n'a pas été question des Flandres, mais uniquement de nos opinions démocratiques avancées, et puisque l'honorable ministre de l'intérieur déclare formellement aujourd'hui devant la chambre qu'il est entièrement d'accord avec moi, je déclare à mon tour que je suis très heureux de voir que l'honorable ministre de l'intérieur partage mes opinions politiques.
- La discussion générale est close.
M. Jullien, au nom d'une section centrale, dépose le rapport sur le projet de loi concernant la compétence en matière criminelle.
- Le rapport sera imprimé et distribué.
M. Orts. - Messieurs, ce projet ainsi que celui sur lequel j'ai eu l'honneur de déposer hier le rapport de la section centrale devant être voté avant la présentation du budget de la justice pour 1850, je demande que les deux projets soient mis à l'ordre du jour à la suite de ceux qui y sont déjà.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Bien entendu que le budget de la guerre aura la priorité.
- La proposition de M. Orts, avec la réserve indiquée par M. le ministre de l'intérieur, est mise aux voix et adoptée.
« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Traitement des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 192,050. »
- Adopté.
« Art. 3. Fournitures de bureau, impressions, achats et réparations de meubles, éclairage, chauffage et menues dépenses : fr. 30,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Frais de route et de séjour, courriers extraordinaires : fr. 3,500. »
- Adopté.
« Art. 5. Pensions : fr. 195,000. »
- Adopté.
« Art. 6. Secours à d'anciens employés belges aux Indes ou à leurs veuves : fr. 5,000. »
- Adopté.
« Art. 7. Secours à d'anciens fonctionnaires et employés ou à leurs veuves, qui, sans avoir droit à la pension, ont néanmoins des titres à l'obtention d'un secours, à raison de leur position malheureuse : fr. 7,000. »
- Adopté.
« Art. 8. Personnel. Frais de la commission centrale de statistique et des commissions provinciales. - Jetons de présence et frais de bureau : fr. 7,000. »
- Adopté.
« Art. 9. Matériel. Frais de publication des travaux du bureau de statistique générale, de la commission centrale et des commissions provinciales : fr. 8,000. »
- Adopté.
« Art. 10. Complément définitif des frais d'exécution, de rédaction et de publication relatifs au recensement général de la population, de l'agriculture et de l'industrie : fr. 22,000. »
- Adopté.
M. Rousselle. - Je désire savoir de M. le ministre si le vote des articles 11 à 37 du budget, comprenant les frais d'administration dans les provinces, implique l'approbation de la distribution de la somme de 879,382 francs, à laquelle s'élève le chiffre total de ce chapitre, et s'il doit consacrer définitivement cette distribution, de manière qu'il ne fût plus permis d'y rien changer.
Si cela était, si M. le ministre déclarait qu'après le vote il ne se croirait pas autorisé à procéder à une distribution nouvelle, à une réorganisation des bureaux des gouvernements provinciaux, je devrais peut-être m'abstenir ou proposer un amendement.
En effet, messieurs, il suffit de jeter les yeux sur les développements du budget, pour être convaincu d'un défaut de justice distributive dans la répartition des frais administratifs entre les neuf provinces.
Prenons pour exemple les traitements des employés et gens de service. On porte au budget pour ces traitements la somme de 374,515 francs, répartie sur 314 agents, soit en moyenne par agent, pour tout le royaume, la somme de 1,192 francs. La moyenne par province est, savoir : Pour Anvers, de 1,414 fr., le Brabant de 1,377 fr., la Flandre occidentale de 1,332 fr., le Luxembourg de 1,272, le Limbourg de 1,222, la Flandre orientale de 1,154, Liège de 1,123 fr., Namur de 1,029 et le Hainaut de 997 fr.
(page 662) Ainsi, messieurs, pour cinq provinces, Anvers, Bradant, Flandre occidentale, Luxembourg et Limbourg, les traitements des employés et gens de service dépassent assez notablement la moyenne de ces frais dans tout le royaume.
Pour les quatre autres, Flandre orientale, Liège, Namur et Hainaut, les frais sont en dessous de la moyenne, et il est à remarquer qu'entre le premier et le dernier degré de l'échelle, il y a une différence par agent de 417 fr. où 42 p. c.
Et cependant, messieurs, sur le nombre de 2,524 communes qui composent le royaume et dont tous les intérêts administratifs sont à surveiller et diriger, les cinq premières provinces n'en comptent que 1,128, tandis que les quatre autres en comptent 1,396. Or, on doit reconnaître que le nombre plus élevé des communes est déjà un fait qui mérite une grande considération, abstraction faite même des circonstances particulières qui doivent dans ces quatre dernières provinces rendre le travail de l'administration provinciale bien autrement important et considérable que dans les autres.
Rappellerai-je maintenant qu'au bas de l'échelle se trouve la province de Hainaut dont l'administration, par le nombre des communes, par la population, par l'importance et la diversité des besoins et des intérêts de son agriculture, de son industrie, de ses mines, de ses établissements métallurgiques, est, de l'aveu général, la plus compliquée et celle de tout le royaume qui exige le plus de soins et de travail.
Si donc une moyenne de 1,000 francs en somme ronde, par agent, suffit dans cette province ; si elle est une rémunération équitable du travail, pourquoi les autres provinces ne seraient-elles pas ramenées à cette moyenne ?
Dans cette hypothèse, une économie de 60,000 fr. serait toute trouvée sur un seul article. Au contraire si la rémunération à ce taux est jugée insuffisante, pourquoi le Hainaut fait-il vainement entendre ses réclamations depuis tant d'années pour que le traitement de ses employés provinciaux soit augmenté.
Ne croyez pas, messieurs, que ce soit au nombre des agents qui aurait dans le Hainaut trop pesé sur la somme globale des traitements qu'il faille attribuer la modicité de cette moyenne ; c'est bien réellement la modération générale de ces traitements eux-mêmes qui a fait sentir son influence. M. le ministre possède sans doute ou pourrait se faire remettre les documents propres à achever la démonstration de ce point.
Quant à moi, messieurs, je me bornerai à une seule citation. La moyenne du traitement du chef de division est dans le Hainaut de 2,800 fr., tandis que je vois dans le Moniteur du 5 décembre dernier n°340, qu'un chef de division dans une province a obtenu une pension de 2,880 fr. calculée sur un traitement annuel de 3,840 fr., et dans le Moniteur du 9 du même mois n°344, qu'un chef de division dans une autre province a obtenu une pension de 2,766 fr. calculée sur un traitement de 3,929 fr. Ainsi, dans ces deux provinces, voilà des pensions de retraite qui montent jusqu'à la somme du traitement d'activité dans le Hainaut. Il me semble que cela doit suffire pour prouver qu'il y a quelque chose à faire, et que M. le ministre ne peut se dispenser de porter sur cet objet une sérieuse attention.
Je terminerai, messieurs, en exprimant le vœu que M. le ministre examine aussi très attentivement d'ici à la présentation du budget de 1850, la question de savoir s'il n'y aurait pas lieu de faire un classement des provinces de manière à ce que tous les traitements, même les plus élevés de l'administration provinciale, suivissent une proportion relative au rang des fonctionnaires, à l'importance de la résidence et surtout au travail à faire. Car enfin, c'est la rémunération équitable des services publics qu'il s'agit d'assurer, et elle ne sera convenablement assurée qu'autant qu'on ne nivellera pas les traitements de tous les fonctionnaires de la même dénomination, qu'ils soient chargés de peu ou de beaucoup de besogne, d'un travail très varié et difficile ou d'un travail simple et aisé.
Si ce mode de classement était appliqué partout dans l'administration provinciale, comme cela existe déjà dans l'ordre judiciaire, comme cela existera sans doute dans toutes les branches de l'administration financière, on obtiendrait de très notables économies, et cela sans toucher à des institutions chères au pays. J'aime à espérer que cette idée, qui a pris déjà quelque racine dans les esprits, s'y développera davantage encore, et que le moment n'est pas éloigné où le principe du classement étant sagement et généralement appliqué, il en sortira des fruits abondants, très profitables à l'ordre de nos finances.
M. Jullien. - Messieurs, les première et deuxième sections ont appelé l'attention du gouvernement sur la disproportion que l'on remarque entre le nombre des employés provinciaux, et le chiffre des allocations pour les traitements dans les diverses provinces. La section centrale, saisie de cette observation, en a fait part à M. le ministre de l'intérieur qui y a répondu dans ces termes :
« La disproportion, quant au nombre d'agents, provient entre autres causes de l'importance plus ou moins grande des provinces, et du surcroît de travail qu'occasionnent certaines industries qui leur sont propres. Quant à la disproportion des traitements, elle se justifierait, selon M. le ministre, par la cherté relative de la vie dans les chefs-lieux. Au surplus, M. le ministre fait remarquer qu'aux termes de l'article 126 de la loi provinciale, c'est le gouverneur qui nomme le personnel de ses bureaux et fixe les traitements. »
Je ne puis laisser passer inaperçue cette dernière observation. Aux termes de l'article 126, il appartient aux gouverneurs de nommer leurs employés; mais le droit de nommer les employés provinciaux n'emporte pas le droit d'en déterminer arbitrairement les traitements; sous ce rapport, la loi provinciale n'a conféré aucun droit aux gouverneurs.
Le contrôle de l'organisation des bureaux provinciaux rentre dans les attributions du ministre de l'intérieur ; c'est au gouvernement qu'il appartient de fixer le nombre des divisions qui seront attachées à chaque gouvernement provincial, les cadres de ces divisions et le traitement dont jouiront les chefs et employés qui en dépendent.
Le système que je combats conduirait à autoriser les gouverneurs à disposer des traitements d'une manière tout à fait absolue, et par suite à grever indirectement le trésor de pensions dont le chiffre serait nécessairement en rapport avec le chiffre élevé des traitements qui seraient accordés.
Je m'élève, d'ailleurs , contre ce système parce qu'il pourrait amener du népotisme; il pourrait en effet arriver, qu'un gouverneur après avoir choisi un de ses fils comme employé, lui accordât un traitement qui témoignerait d'une affection toute paternelle. Ce sont là des abus que le département de l'intérieur doit prévenir et empêcher en usant du droit qui lui appartient de fixer les traitements.
Il me suffira, j'en ai la certitude, d'avoir appelé l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la nécessité de veillera une réorganisation des bureaux provinciaux pour qu'il introduise, autant que possible, dans cette réorganisation nouvelle des règles de nature à faire disparaître les anomalies signalées par les sections dans les allocations des traitements pour les différentes provinces.
J'attendrai que M. le ministre ait bien voulu donner quelques explications sur ses vues à cet égard.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Un de mes honorables prédécesseurs avait institué une enquête administrative auprès des gouverneurs de province, pour les consulter sur le meilleur plan d'organisation à introduire dans les bureaux. Cette enquête ne paraît pas avoir donné des résultats susceptibles d'être approuvés puisqu'il n'y a pas été donné de suite.
De tout temps les gouverneurs ont été autorisés à nommer tous leurs employés et à fixer leurs traitements dans les limites de leur budget. Je pense qu'on ne pourrait pas sans inconvénient enlever aux gouverneurs cette faculté qui ne leur a jamais été contestée.
Les gouverneurs sont responsables vis-à-vis du gouvernement de l'ensemble et de la marche de leur administration. Il ne serait pas juste que le ministre leur imposât certains choix en les rendant responsables.
On vient de parler de népotisme, de favoritisme. On conçoit qu'un gouverneur ait confiance dans son fils pour en faire son secrétaire intime ; mais le ministre ne pourrait-il faire à son tour du népotisme et, pour peu qu'il ait une famille nombreuse, peupler les gouvernements provinciaux de ses enfants et petits-enfants?
Je pense qu'un gouverneur ne peut qu'exceptionnellement faire du népotisme. Le contrôle est très rapproché des actes posés ; le gouverneur est surveillé de près, et le désir de chaque père de famille de voir son enfant faire son chemin suffirait seul pour mettre les gouverneurs en garde contre cette velléité de placer des créatures autour de lui.
L'on a parlé de la différence des traitements assignés aux employés de même classe dans les différentes provinces.
Eh bien, ici encore, je dois le dire, je pense qu'il serait très difficile de rétribuer à un taux normal, équitable, les employés des gouvernements provinciaux. Il faut tenir compte de certaines circonstances locales, de la cherté de la vie dans les localités, de la facilité plus ou moins grande qu'elles offrent au recrutement des employés.
Ainsi, pour Anvers, on a cité un chef de division aux appointements de 3,800 fr. Je me rappelle que c'est moi qui ai porté à ce taux les appointements de ce fonctionnaire qui avait 30 ans de service. Il a depuis été mis à la pension.
Anvers est une ville où il est très difficile de recruter de bons employés ; les bureaux du commerce sont ouverts aux jeunes gens, et leur offrent une carrière plus avantageuse que l'administration. Il en est de même à Bruxelles. C'est l'observation qu'a faite avec raison M. le gouverneur du Brabant pour établir que le chiffre alloué pour le traitement de ses employés était insuffisant relativement à l'allocation des autres provinces.
C'est ce cas de dire que le salaire augmente en raison de la rareté des offres.
Dans les petites localités, il n'en est pas de même ; là il n'est pas aussi facile de trouver des débouchés pour un fils de famille. Là le nombre des aptitudes disponibles fait qu'on peut les salarier un peu moins. Il faut tenir compte aussi de ce que les obligations de société sont à ce niveau beaucoup moindres dans une petite ville que dans une grande.
Il est très vrai que plusieurs gouverneurs se plaignent de l'inégalité de la répartition. Ainsi, je citerai M. le gouverneur du Hainaut. C'est une province extrêmement importante; elle doit être administrée non seulement à la surface, mais dans ses parties souterraines. Elle renferme en outre un grand nombre de villes. C'est une province de premier ordre,
Je le reconnais.
Il en est de même de la Flandre orientale. Tout récemment le gouverneur de cette province s'est plaint de l'insuffisance du crédit alloué a son budget. Mais je dois ajourner, jusqu'à ce que notre situation financière permette l'examen de ces demandes.
D'ici au moment où le budget de 1850 sera présenté, je ne puis(page 663) promettre d'opérer un remaniement complet des administrations provinciales. Je ne puis le promettre à l'honorable M. Rousselle.
M. Rousselle. - Je demande seulement qu'on examine.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je prends volontiers l'engagement de me livrer à cet examen. Mais le remaniement ne pourra être fait pour l'exercice prochain ; car à peine le budget de 1849 sera-t-il voté que nous devrons présenter le budget de 1850. Nous n'avons pas, pour ainsi dire, un jour à perdre ; nous voici bientôt au terme fatal du 1er mars.
Mais, au fond, l'état des choses ne constitue pas un abus tel qu'il faille y pourvoir immédiatement.
Nous examinerons s'il y a lieu d'établir une répartition plus équitable et de le faire sans qu'il y ait aggravation du budget ; nous continuerons de marcher dans la voie des économies. Nous ne promettons pas d'en faire autant qu'il en a été fait jusqu'à présent, mais nous tâcherons d'en faire encore.
J'espère que ces explications paraîtront suffisantes.
- M. Verhaegen remplace M. Delfosse au fauteuil.
M. Jullien. - Je vois avec regret que M. le ministre ne partage pas l'opinion que j'ai eu l'honneur de soutenir. M. le ministre, il faut l'avouer, s'est placé sur un terrain infiniment commode. Il présuppose que les gouverneurs de province ont le droit de fixer les traitements de leurs employés. C'est là précisément ce que je conteste.
Si, aux termes de l'article 136 de la loi provinciale, ils ont le droit de nommer leurs employés, ils n'ont pas, par cela même, le droit de fixer leurs traitements. La chambre vote les traitements. C'est au gouvernement, c'est au ministre de l'intérieur à veiller à ce que les traitements reçoivent un juste emploi.
Les gouverneurs, a dit M. le ministre de l'intérieur, agissent sous leur propre responsabilité. Mais vous ne pouvez, M. le ministre, abdiquer votre responsabilité vis-à-vis des chambres, pour la déverser sur les gouverneurs de province. Du moment que nous mettons des crédits à la disposition du gouvernement, nous avons le droit de demander compte de l'emploi des allocations que nous votons.
Que le gouvernement doive intervenir dans l'organisation des rouages des gouvernements provinciaux, j'en trouve la preuve dans les paroles de M. le ministre de l'intérieur.
Les gouverneurs de province, a-t-il dit, signalent de toutes parts les inégalités qui se sont introduites dans la répartition des allocations. N'est-ce pas convenir qu'il est nécessaire d'intervenir pour changer l'organisation de telle ou telle administration provinciale? N'y a-t-il pas nécessité d'intervenir encore pour veiller à ce qu'il y ait dans les bureaux mêmes une répartition équitable des traitements entre les divers employés, pour empêcher qu'on ne rogne les traitements des uns pour avantager les autres.
Les observations que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre subsistent donc dans toute leur force.
M. H. de Brouckere. - Je ne crois pas que, M. le. ministre de l'intérieur ait eu l'intention de décliner la responsabilité qui pèse sur lui du chef des allocations qui figurent au budget pour les traitements des employés des gouvernements provinciaux. Mais M. le ministre a répondu à l'honorable préopinant que, dans l'usage qui a été fait de ce crédit, il ne voit pas d'abus tellement graves que l'intervention de l'administration supérieure soit immédiatement indispensable.
Je pense, moi, qu'il est impossible d'arrêter un règlement général, qui puisse servir de règle pour la composition de toutes les administrations provinciales. Chaque gouverneur est responsable du travail de ses bureaux; il faut donc laisser à ces hauts fonctionnaires une grande latitude pour la manière dont ils composent leurs bureaux.
Remarquez que non seulement les employés d'un même grade ne sont pas salariés de la même manière dans les différentes provinces, mais que dans une même province des employés du même grade sont salariés eux-mêmes différemment. Ainsi quand un gouvernement a dans ses bureaux un chef de division distingué, lui rendant de très grands services, ayant passé de longues années dans la même carrière, la plus ingrate de toutes, il est tout juste que ce chef de division soit mieux traité qu'un autre qui n'aurait ni les mêmes capacités, ni les mêmes connaissances, ni les mêmes années de service.
L'honorable M. Jullien a fait entendre que, dans certaines administrions provinciales, il se serait glissé des abus. Quant à moi, je ne reconnais pas ces abus. La chambre n'est pas à même de les apprécier. Mais pour autant que j'ai connaissance de ce qui se passe, ou plutôt pour autant que j'ai eu connaissance autrefois de ce qui se passait dans les diverses administrations provinciales, je crois qu'en général il n'y a pas de plaintes fondées ou du moins de plaintes graves à faire, et j'engage, pour ma part, le gouvernement à réfléchir mûrement avant de se déterminer à intervenir dans le personnel et dans la répartition du crédit destiné au personnel des employés provinciaux.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, on ne conteste pas, je pense, le droit attribuée aux gouverneurs de nommer les employés. La loi provinciale est formelle à cet égard.
Mais on leur conteste le droit de fixer les traitements.
J'ai dit que l'usage était jusqu'ici que les gouverneurs fixassent, dans les limites du budget économique, les traitements des employés qu'ils nomment. Ce n'est pas à dire que s'il y avait abus dans cette fixation, que si un gouverneur, par un motif personnel ou autre, venait à fixer le traitement d'un fonctionnaire à un taux peu raisonnable, le ministre ne serait pas là pour l'arrêter.
Les imputations sur le budget économique ne se font pas qu'avec la sanction et l'approbation du ministre. Il arrive parfois que le ministre arrête au passage une dépense, et qu'avant de la soumettre à la liquidation de la cour des comptes, il fait des observations au gouverneur. Ce droit il est complètement réservé au ministre contre les abus possibles. Celui qui peut le plus en vertu de la loi provinciale c'est-à-dire, qui peut nommer, doit pouvoir le moins, c'est-à-dire fixer les traitements, bien entendu sous la sanction du ministre. Voilà la règle.
Ceci est un cas de responsabilité. Comme la responsabilité du gouverneur dans la province doit être complète et grande, il faut aussi lui laisser libres ses moyens d'action. Il ne conviendrait pas de lui imposer ses agents, ses instruments administratifs.
M. Moncheur. - Messieurs, j'adhère à l'opinion qui vient d'être exprimée par M. le ministre de l'intérieur et par notre honorable collègue, M. de Brouckere, relativement au droit et à la convenance qu'il y a de laisser aux gouverneurs de province, non seulement, ainsi que la loi provinciale l'ordonne, le droit de nommer et de révoquer les employés de leurs bureaux, mais aussi celui de fixer leurs traitements. Je crois que si on leur enlevait ce droit, on diminuerait extrêmement l'ascendant que les gouverneurs doivent conserver sur leurs employés. Toutefois, messieurs, je n'ai pas demandé la parole pour vous faire cette simple observation. Je l'ai réclamée pour attirer votre attention sur les chiffres qui figurent au chapitre en discussion du budget de l'intérieur sous la lettre C : « Frais de bureau, d'impression, de reliure ; entretien du mobilier, éclairage, chauffage, menues dépenses. » En comparant entre eux les chiffres de cette rubrique pour les différentes provinces, je trouve une inégalité choquante et que je ne crois pas justifiée.
En effet, messieurs, de quoi doivent dépendre les frais de bureau, par exemple, les frais de reliure et d'impression? Ils doivent dépendre nécessairement et en première ligne du nombre d'affaires.
Dans les provinces où il y a le plus d'affaires à traiter, là aussi il doit y avoir le plus de frais de bureau et d'impression. Dans les provinces où il y a le plus de communes, les frais de bureau et d'impression doivent aussi être le plus considérables. Là où le plus grand nombre d'agents est reconnu nécessaire à cause du grand nombre d'affaires, là aussi les frais de bureau doivent être le plus considérables.
Eh bien! je remarque qu'il n'y a nulle analogie, nulle proportion entre le nombre d'agents qui se trouvent employés dans les provinces, ni entre le nombre de communes que comprennent ces provinces, et les chiffres que je vois figurer ici sous la lettre C au budget de l'intérieur.
Ainsi, dans la province d'Anvers, où il y a 29 agents, les frais de bureau sont de 15,800 francs, tandis que dans la province de Hainaut, où il y a 53 agents, ces frais ne sont pas plus considérables.
Dans la province de Namur, qui renferme plus de communes que celle d'Anvers, et où les affaires sont plus nombreuses peut-être que dans la plupart des autres provinces à cause du grand nombre de biens communaux qui existent dans celle-ci, les frais de bureau et d'impression ne sont que de 11,700 francs, tandis que, dans les autres provinces et notamment dans celle d'Anvers, comme je l'ai dit, ils sont beaucoup plus élevés.
Dans la province de Luxembourg il n'y a que 25 agents, tandis que dans celle de Namur il y en a 35, et cependant les frais de bureau sont, dans la province de Luxembourg, de 13,000 fr. au lieu de 11,700 fr.
Quant à l'autre partie de la dépense, figurant sous cette rubrique et qui est libellée :« l'entretien des meubles, éclairage, chauffage, menues dépenses », il est évident que les frais de celle nature doivent encore être mis en rapport avec le nombre d'agents à éclairer, à chauffer et à meubler. Ainsi là où il y a 53 agents à éclairer, à chauffer et à meubler, les frais d'éclairage, de chauffage et de mobilier doivent être plus considérables que là où il n'y en a qu'un nombre plus restreint. Eh bien ! de ce chef encore il n'y a aucune proportion entre les deux faits. Je crois donc, messieurs, qu'il doit y avoir abus dans ces dépenses, et j'engage M. le ministre de l'intérieur à porter ses investigations sur le point de savoir si le chiffre accordé aujourd'hui à chaque province pour cet objet est bien nécessaire.
Messieurs, à l'administration centrale ou a fait un examen scrupuleux de ses frais d'administration et on en a élague quelques-uns. A-t-on fait le même examen au chef-lieu de chaque province? J'ai lieu de croire que non. Peut-être des besoins du moment ont-ils pu surgir dans telle ou telle province, à telle ou telle époque; peut-être a-t-il fallu augmenter le mobilier ou les locaux.
Mais, messieurs, ainsi que cela arrive souvent, une fois qu'un chiffre figure au budget, soit pour mobilier, soit pour menues dépenses et autres frais semblables, il ne diminue plus. On le considère alors comme une espèce d'abonnement dont il faut absolument épuiser le chiffre, de peur que l'année suivante, on ne vienne dire : Vous avez eu un excédant, donc il faut réduire voire allocation.
D'après cela, messieurs, je crois qu'il conviendrait, qu'avant la rédaction du budget de 1850 et, dans tous les cas le plus tôt possible, M. le ministre de l'intérieur voulût bien demander aux chefs de l'administration dans chaque province, un état exact de ce qui est rigoureusement indispensable pour les dépenses comprises dans la rubrique que je viens d'indiquer. Je crois, messieurs, qu'il pourra résulter de cette investigation une économie assez considérable.
(page 664) M. de Royer. - Il est évident, messieurs, que les employés de l'administration ne sont point placés sur la même ligne dans toutes les provinces. J'appuie les observations de l'honorable M. Moncheur, et je prie M. le ministre de bien vouloir rechercher les moyens d'amener plus d'uniformité entre les traitements des employés dans les diverses provinces. Il y a des injustices à réparer sous ce rapport, car il est certain que les employés du gouvernement provincial du Hainaut ne se trouvent pas sur la même ligne que ceux d'autres provinces.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je dois faire observer, messieurs, que les employés des gouvernements provinciaux ont eu aussi à subir des réductions au budget. Un chiffre de 25,000 francs figurait au budget précédent pour la création de certains bureaux de statistique dans les gouvernements provinciaux ; ce chiffre a été entièrement retranché, de même que pour l'administration centrale le chiffre de l'année dernière a subi une réduction de 10,000 francs.
Il faut que les employés des gouvernements provinciaux se soumettent à la même loi que ceux de l'administration centrale. Si plus tard nous pouvons améliorer leur position, nous nous empresserons de le faire; mais je dois répéter qu'il sera bien difficile d'établir de l'uniformité entre les employés des différentes provinces.
M. Moncheur. - M. le ministre n'a rien répondu à ce que j'ai dit des mêmes frais.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Dans les localités peu considérables, il y a aussi moins de frais de ce genre ; les hôtels sont moins vastes; les réunions moins nombreuses. Je dois dire cependant que le gouverneur de la province de Namur ne laisse pas les crédits alloués de ce chef, sans application utile.
M. Moncheur. - Je ne demande pas une augmentation pour Namur; je demande une réduction pour les autres provinces.
M. le président. - Si personne ne demande plus la parole, je mettrai l'article aux voix. Le chiffre, qui était de 31,700 fr., doit être porté à 37,700 par suite du rejet du projet de loi ayant pour objet de réduire le nombre des membres des députations permanentes.
« Art. 11. Traitement du gouverneur, des députés du conseil provincial et du greffier provincial : fr. 31,700. »
- Le chiffre de 37,700 fr. est adopté.
« Art. 12. Traitement des employés et gens de service : fr. 41,000. »
- Adopté.
« Art. 13. Frais de route, matériel et dépenses imprévues, non libellées au budget : fr. 18,300. »
- Adopté.
« Art. 14. Traitement du gouverneur, des députés du conseil provincial et du greffier provincial : fr. 37,700. »
- Adopté.
« Art. 15. Traitement des employés et gens de service : fr. 49,575. »
- Adopté.
Art. 16. Frais de route, matériel et dépenses imprévues, non libellées au budget : fr. 18,700. »
- Adopté.
« Art. 17. Traitement du gouverneur, des députés du conseil provincial et du greffier provincial : fr. 37,700. »
- Adopté.
« Art. 18. Traitement des employés et gens de service : fr. 41,300. »
- Adopté.
« Art. 19. Frais de route, matériel et dépenses imprévues, non libellées au budget : fr. 19,250. »
- Adopté.
« Art. 20. Traitement du gouverneur, des députés du conseil provincial et du greffier provincial : fr. 37,700. »
- Adopté.
« Art 21. Traitement des employés et gens de service : fr. 45,000.’
- Adopté.
« Art. 22. Frais de route, matériel et dépenses imprévues, non libellées au budget : fr. 17,500. »
- Adopté.
« Art. 23. Traitement du gouverneur, des députés du conseil provincial et du greffier provincial : fr. 37,700. »
- Adopté.
« Art. 24. Traitement des employés et gens de service : fr. 52,840. »
- Adopté.
« Art. 25. Frais de route, matériel et dépenses imprévues, non libellées au budget : fr. 18,930. »
- Adopté.
« Art. 26. Traitement du gouverneur, des démîtes du conseil provincial et du greffier provincial : fr. 37,700. »
- Adopté.
« Art.27. Traitement des employés et gens de service : fr. 43,800. »
- Adopté.
« Art. 28. Frais de route, frais de loyer, matériel et dépenses imprévues, non libellées au budget : fr. 18,690.
« Id. extraordinaires : fr. 4,800. »
- Adopté.
« Art. 29. Traitement du gouverneur, des députés du conseil provincial et du greffier provincial : fr. 37,700. »
- Adopté.
« Art. 30. Traitement des employés et gens de service : fr. 33,000. »
- Adopté.
« Art. 31. Frais de route, matériel et dépenses imprévues, non libellées au budget : fr. 14,997. »
- Adopté.
« Art. 32. Traitement du gouverneur, des députés du conseil provincial et du greffier provincial : fr. 37,700. »
- Adopté.
« Art. 33. Traitement des employés et gens de service : fr. 31,800. »
- Adopté.
« Art. 34. Frais de route, de loyer, matériel et dépenses imprévues, non libellées au budget : fr. 15,200.
« Id. extraordinaires : fr. 5,000. »
- Adopté.
« Art. 35. Traitement du gouverneur, des députés du conseil provincial et du greffier provincial : fr. 37,700. »
- Adopté.
« Art. 36. Traitement des employés et gens de service : fr. 36,000. »
- Adopté.
« Art. 37. Frais de route, matériel et dépenses imprévues, non libellées au budget : fr. 14,700. »
- Adopté.
« Art. 38. Moitié du dernier tiers d'une somme de 400,000 fr. pour la restauration du palais de Liège : fr. 67,000. »
- Adopté.
M. Van Hoorebeke (pour une motion d’ordre). - Messieurs, lors de la discussion du projet de loi présenté par l'honorable M. Jacques, l'honorable M. Vilain XIIII a proposé à la chambre de renvoyer à l'avis des conseils provinciaux la proposition du gouvernement, qui a pour objet la suppression de quatre commissariats d'arrondissement. Je demanderai à la chambre la permission de répondre à cette motion d'ordre et de reproduire les motifs qui doivent déterminer le vote de la chambre.
Messieurs, je ne me dissimule pas que, dans les circonstances actuelles, la proposition que j'ai l'honneur de faire se produit sous des dehors peu favorables, parce que, quoiqu'on en puisse dire, elle est compliquée d'une question d'argent, d'une question d'économie. Mais je fais en ce moment un appel à l'impartialité de la chambre, à sa bonne foi, à ses convictions, et j'ose réclamer d'elle quelques moments d'attention, pour lui démontrer que cette proposition que j'ai l'honneur de faire est juste, raisonnable et logique.
D'abord, rien de plus formel, de plus explicite que l'article 83 de la loi provinciale, qui a été invoqué lors de la discussion de la proposition de l'honorable M. Jacques. L'article 83 est en effet conçu en ces termes :
« Le conseil donne son avis sur les changements proposés pour la circonscription de la province, des arrondissements, cantons et communes, et pour la désignation des chefs-lieux. »
Ainsi pour la désignation des chefs-lieux, le gouvernement est tenu de prendre l'avis des conseils provinciaux ; c'est là une obligation rigoureuse que la loi lui impose et que la loi a eu raison de lui imposer, parce qu'elle constitue en faveur de la province une garantie d'indépendance et de bonne administration.
Le gouvernement n'est pas tenu de suivre l'avis du conseil provincial; il conserve à cet égard toute la liberté de son initiative ; mais cet avis, il doit le prendre ; cette obligation est consacrée par l'article 83 et il doit la respecter.
En effet, quand on lit les discussions qui ont eu lieu dans cette chambre, lors de la présentation de cet article, on reste convaincu qu'où n'a pas voulu qu'il pût dépendre de quelques employés inférieurs de l'administration centrale, ignorant peut-être les nécessités administratives, de (page 665) remanier les circonscriptions, ou de changer la désignation des chefs-lieux.
On a pensé que la province, mieux que tout autre, était en droit d'éclairer le gouvernement à cet égard, et de se prononcer sur les motifs de convenance qu'il y a à apporter des modifications dans la circonscription administrative de la province. Voici en effet en quels termes s'exprima M. le ministre de la justice de cette époque, l'honorable M. Lebeau :
« Il me semble que la prérogative du gouvernement n'est pas contestée de présenter des projets de loi sur ces circonscriptions ; on l’oblige à prendre un avis : qu'on formule ou qu'on ne formule pas l'obligation, il prendra toujours cet avis. Cependant je ne comprends pas les motifs de la suppression demandée. La disposition est une garantie de plus qu'on donne aux localités. »
La section centrale, pour combattre ma proposition qui a déjà été défendue dans le sein de cette section, a invoqué les précédents; elle s'est fondée sur ce qui s'était fait à Dixmude et à Furnes d'une part, et à Thielt et à Roulers d'autre part.
D'abord, je ferai remarquer à la chambre que les précédents de cette nature ne prouvent absolument rien. La chambre ne respecte la jurisprudence administrative que quand celle-ci est d'accord avec la loi; or, je démontrerai qu'ici elle est en opposition formelle avec la loi.
Mais puisqu'on a parlé de précédents, que la chambre me permette d'en invoquer un autre.
L'article 154 de la loi fondamentale du royaume des Pays-Bas était ainsi conçu :
« Les administrations rurales des seigneuries, districts ou villages sont organisées de la manière qui sera trouvée la plus convenable aux circonstances et aux intérêts locaux et jugée compatible avec les droits légalement acquis. Les états provinciaux font faire à cet égard, et en se conformant à la loi fondamentale, des règlements qu'ils soumettent avec leurs observations à l'approbation du Roi. »
Aussitôt que la loi fondamentale eut été promulguée, les états provinciaux s'occupèrent de la division de leurs provinces en districts et cantons et soumirent leurs projets à l'approbation du Roi qui rendit, en 1816, les règlements relatifs à cet objet.
Les règlements définitifs, tant sur l'organisation que sur les attributions, furent arrêtés en 1817.
Or, voici ce qui arriva dans la province où la section centrale va chercher ses précédents. La Flandre occidentale voulait revenir à son ancienne administration intérieure de châtellenies ; elle voulait avoir douze administrations intérieures ou douze arrondissements administratifs ; le gouvernement ne lui accorda pas ce qu'elle demandait; mais dans l'intérêt du pouvoir, il lui envoya douze commissaires de district ; plus tard, le nombre des commissaires de district fut réduit à huit; mais le gouvernement ne prit cette mesure qu'à la suite d'une délibération des états provinciaux ; par conséquent, sous le gouvernement néerlandais, qui avait certes des institutions moins démocratiques que les nôtres, qui était moins soucieux des intérêts des localités, a cru devoir demander l'avis des étals provinciaux sur cette question. Ce n'est qu'à la suite d'une délibération des états provinciaux, délibération dans laquelle ils déclaraient que le chiffre de 12 commissaires d'arrondissement était exorbitant; ce n'est qu'à la suite de cette délibération que le gouvernement réduisit à huit le nombre de douze.
Ainsi les précédents, on le voit, quand on les examine de près, sont tout à fait contraires à l'opinion de la section centrale. Du reste, j'ai cherché à me rendre compte de la valeur des objections qui m'ont été opposées en section centrale. Je dois le dire en toute franchise, ces objections roulent sur un abus de mots; on perd de vue l'art. 83 de la loi provinciale pour se livrer à de véritables arguties. Toute l'argumentation de la section centrale se réduit à ceci. Le gouvernement ne détruit pas l'arrondissement administratif, il ne supprime que le commissaire; pour peu que vous y mettiez de la complaisance, vous vous convaincrez que rien n'est changé. Eecloo, Maeseyck, Virton et Ostende auront leur commissaire de district, mais au lieu d'être à Eecloo, à Maeseyck, à Virton et à Ostende, ils seront à Gand, à Bruges, à Hasselt et à Arion.
Voilà la théorie de la section centrale. Cette théorie peut être très ingénieuse, mais je crois qu'elle est fausse, illogique en contradiction manifeste avec l'interprétation saine et rationnelle que nous devons donnera la loi. Qu'est-ce donc qu'un chef-lieu? La question est de savoir si dans la proposition du gouvernement il y a désignation d'un autre chef-lieu. L'argumentation de la section centrale m'a obligé à recourir à des définitions. J'ai consulté le Traité de droit administratif de MM. de Brouckere et Tielemans. C'est une autorité qu'on ne récusera pas.
Voici ce que j'y lis au mot Chef-lieu :
« On appelle ainsi dans chaque division territoriale du royaume, la ville, la commune où l'autorité a sa résidence et où se traitent par conséquent les affaires administratives et judiciaires du ressort. Il y a eu en Belgique des chefs-lieux de province, des chefs-lieux d'arrondissement et des chefs-lieux de canton. »
Or, je demande à la section centrale, si la proposition du gouvernement était adoptée, où l'autorité administrative résidera? Sera-ce à Eecloo, à Maeseyck, à Ostende et à Virton? Où se traiteront les affaires administratives? Ce sera à Hasselt, Gand, Bruges et Arlon. Donc il y a changement de chef-lieu.
Allons plus loin ; pour peu qu'on se préoccupe de la pensée qui a dicté les dispositions relatives aux collèges électoraux, on ne tarde pas à se convaincre que ces dispositions ont été conçues et rédigées sous l'influence de ce double fait : au sommet de l'arrondissement administratif, il y a un chef-lieu administratif correspondant au chef-lieu électoral ; puis à ce chef-lieu électoral il se trouvera un agent du gouvernement, un commissaire de district qui aura la mission de surveiller les actes qui ont pour objet de garantir la sincérité des opérations électorales. C'est à ce point qu'aboutissent, c'est de ce point que rayonnent tous les actes qui ont pour objet d'assurer la sincérité des opérations électorales. L'article 9 de la loi électorale porte :
« Après l'expiration du délai fixé pour les réclamations, les listes, le double des rôles, certifié par les receveurs et vérifié par les contrôleurs, ainsi que toutes les pièces au moyen desquelles les personnes inscrites auront justifié de leurs droits, ou par suite desquelles des radiations auront été opérées, seront envoyés, dans les vingt-quatre heures, au commissariat du district.
« Un double de la liste sera retenu au secrétariat de la commune.
« La réception de la liste sera constatée par un récépissé délivré par le commissaire du district. Ce récépissé sera transmis au collège des bourgmestre et échevins dans les 24 heures de l'arrivée de la liste au commissariat. Il en sera fait immédiatement mention dans un registre spécial, coté et paraphé par le greffier provincial.
« Chacun pourra prendre inspection des listes, tant au secrétariat de la commune qu'au commissariat du district.
« Chacun pourra aussi prendre inspection du double des rôles et des autres pièces mentionnées ci-dessus.
« Le commissaire du district fera la répartition des électeurs en sections, s'il y a lieu, conformément à l'article 19 de la présente loi. (Article 6, loi du 1er avril 1843.)
L'article 13 dit :
« La députation permanente du conseil provincial statuera sur ces demandes dans les cinq jours après l'expiration du délai d'opposition à la réclamation, si la demande est faite contre un tiers. Les décisions seront motivées. (Article 13, paragraphe prmeier, loi électorale.)
« En cas de partage des voix sur un appel, si les membres absents de la députation permanente sont empêchés, ou, si, à la séance suivante, ils ne se présentent pas, ou si le partage se reproduit, on assurera, pour vider le partage, un conseiller provincial, d'après l'ordre d'inscription au tableau en commençant par le plus âgé. (Art. 8, loi du 1er avril 1843.)
« La communication de toutes les pièces sera donnée, sans déplacement, aux parties intéressées qui le requerront, ou à leurs fondés de pouvoirs.
« Les décisions seront immédiatement notifiées aux parties intéressées et au commissaire du district pour faire les rectifications nécessaires.
« Toutes les réclamations et tous les actes y relatifs pourront être sur papier libre et seront dispensés de l'enregistrement ou enregistrés gratis ». (Loi électorale.)
L'article 37 dit :
« Les membres du bureau principal rédigeront un procès-verbal de l'élection, séance tenante ; et l'adresseront directement au ministre de l'intérieur dans le délai de huitaine. Il en restera un double au commissariat du district, certifié conforme par les membres du bureau. »
Ainsi, messieurs, il ne peut y avoir le moindre doute : la proposition du gouvernement tend à changer la désignation du chef-lieu. Je vais plus loin, je prétends que cette proposition n'a pas seulement pour objet de changer la désignation du chef-lieu, mais qu'elle anéantit en fait l'arrondissement administratif.
C'est ici que je rencontre une observation qui a été faite, c'est qu'à la différence de la province et de la commune, le chef-lieu d'arrondissement n'a pas une individualité propre, il ne s'impose pas lui-même, il n'a pas des recettes propres. La personnalité des arrondissements a fait en France l'objet d'un débat approfondi et la question y a été résolue dans le sens que j'indique. Voici en quels termes le rapporteur de la chambre des pairs s'exprimait :
« Les communes forment un premier élément de la société; ce sont des agglomérations naturelles, qui ont leur vie propre, leurs intérêts particuliers et qui s'administrent elles-mêmes selon les règles posées par les lois. Les départements sont les divisions du territoire de l'empire formées dans le but d'assurer l'exécution des lois générales. Les lois reconnaissent, en effet, des dépenses et des recettes départementales, comme elles reconnaissent des dépenses et des recettes communales. Admettre un troisième genre de recettes et de dépenses, c'est-à-dire intercaler entre la comptabilité du département et celle des communes une nouvelle comptabilité, ce serait compliquer notre machine administrative et rendre son jeu plus difficile. Il s'ensuivrait, quelque précaution que l'on pût établir, que les arrondissements voudraient posséder et s'assimiler, sous ce rapport, aux départements, etc., etc. »
Ainsi, messieurs, ce qui caractérise l'arrondissement administratif, ce n'est pas le ressort, car qu'importe le ressort si cela ne produit aucun effet? Ce qui caractérise l'arrondissement administratif, c'est la concentration sur un seul point, dans une ville qu'on appelle chef-lieu, des affaires administratives. Otez le titulaire, vous ôtez la concentration des affaires, vous ôtez le chef-lieu; ôtez le chef-lieu, vous ôtez l'arrondissement même.
C'est ainsi que cela a été compris dans la loi provinciale. Vous n'avez qu'à lire l'article 132 :
« Il y a, pour chaque arrondissement administratif, un commissaire du gouvernement, portant le titre de commissaire d'arrondissement.
« Ses attributions s'étendent sur les communes rurales, et, en outre, sur les villes dont la population est inférieure à 5,000 âmes, pour autant que ces villes ne soient pas chefs-lieux d'arrondissement.»
Or, messieurs, voulez-vous savoir ce qui est arrivé quand cet article (page 666) a été adopté par la chambre? Lors de la discussion de cet article, l'honorable M. de Roo, proposa un amendement qui n'avait pas, non plus pour but la suppression des arrondissements administratifs, mais qui tendait simplement à réduire le nombre des commissaires de district au chiffre des arrondissements judiciaires.
Voici comment était conçue la première partie de l'amendement de M. de Roo.
« Il n'y aura dans chaque arrondissement judiciaire qu'un commissaire du gouvernement portant le titre de commissaire d'arrondissement. »
M. de Roo ne touchait pas, lui non plus, aux circonscriptions et cependant il crut devoir mettre son amendement en harmonie avec la loi électorale. Il ajouta donc :
« Les formalités et attributions fixées par la loi électorale seront remplies par les commissaires d'arrondissement des chefs-lieux et districts électoraux. » Malgré cette précaution, que l'on ne prend pas aujourd'hui parce qu'elle impliquerait une dérogation expresse à nos lois électorales, amendement de M. de Roo fut rejeté.
Les articles 137, 138 donnent à cette opinion une confirmation éclatante.
Ces articles prouvent qu'il doit y avoir par arrondissement administratif un commissaire d'arrondissement. L'article 137 porte :
« Un mois avant la réunion du conseil provincial, ils (les commissaires d'arrondissement) adressent à la députation un rapport sur les améliorations à introduire dans leur arrondissement, sur ses besoins et sur tout ce qui est de nature à être soumis au conseil provincial. »
S'il1 pouvait y avoir le moindre doute dans l'esprit de la chambre sur la question qui fait l'objet de la délibération actuelle, il suffirait d'un simple dilemme pour convaincre d'erreur l'opinion de la section centrale. Je pourrais dire à la section centrale : Ou bien vous admettez avec moi que l'arrondissement administratif disparaît, que le commissaire de district disparaît. Alors pour sûr, vous m'accorderez que l'article 83 de la loi provinciale est applicable. Ou bien, vous persistez à soutenir que l'arrondissement administratif peut subsister malgré la disparition du commissaire d'arrondissement.
Alors, l'article 132 de la loi provinciale n'est plus qu'un mensonge : il ne sera pas vrai qu'il y ait, par arrondissement administratif, un commissaire d'arrondissement. Alors il sera vrai que, par un triste privilège, quatre arrondissements seront exceptés du bienfait de la loi. La chambre peut, sans doute, malgré la disposition formelle de l'article 83 de la loi provinciale, ne pas renvoyer à l'examen des conseils provinciaux. Mais elle aura dérogé à une disposition formelle, expresse, d'une loi organique, de la loi provinciale. Je conçois la dérogation tacite par l'existence de deux dispositions inconciliables. Mais ici, il n'y aurait pas de loi ; il y aurait simplement retrait, bâtonnement, suppression de l'allocation nécessaire à quatre commissaires d'arrondissement.
La chambre peut-elle décider que le résultat de son vote sera de faire disparaître l'article 132 de la loi provinciale du Code de nos lois ? Evidemment non.
Si l'article 132 existe, il faut dire que 4 commissariats d'arrondissement seront exceptés de la loi commune, par suite d'une proposition très irrégulière, très anormale.
Mais je laisse un instant de côté la question de légalité. Je demande s'il n'y a pas des motifs d'équité qui doivent déterminer à suivre, à l'égard des propositions que j'ai l'honneur de combattre, une marche analogue à celle qui a été suivie pour la proposition de M. Jacques. La chambre sait à quelles discussions vives, animées, cette proposition a donné lieu dans les sections. Plusieurs systèmes se sont trouvés en présence.
Les uns voulaient qu'il n'y eût d'autres arrondissements administratifs que les arrondissements judiciaires ; d'autres voulaient la suppression du commissaire de district du chef-lieu de la province. Je demande si pour la question maintenant en délibération, comme pour celles-ci, il ne convient pas de prendre l'avis des conseils provinciaux.
Si par la délibération de ces conseils il était établi que l'on peut réaliser cette simplification des rouages administratifs, je me rangerais à cette opinion. Mais pour changer l'organisation actuelle, il ne faut pas procéder par une mutilation, par une mesure qui sera peut-être reconnue plus tard une iniquité.
Je conjure donc la chambre d'apporter la plus grande réserve dans l'examen de cette question; je la conjure d'adopter la proposition que j'ai eu l'honneur de faire.
Elle a dû se convaincre, par ce que j'ai dit, que ce n'est pas un intérêt de localité qui est en jeu. Ces considérations de localité n'ont pas passé par ma bouche. Cependant, il me sera permis de faire remarquer que si le projet formé pour l'arrondissement d'Eecloo est réalisé, cet arrondissement, qui n'est pas considérable, je le reconnais, qui ne se compose que de vingt communes, serait réuni à un arrondissement considérable de quatre-vingts communes, qui l'absorberait entièrement, ce qui ne serait pas seulement une faute administrative, mais une faute politique.
Je crois donc que pour faire sortir quelques arrondissements du droit commun, il faut attendre que l'œuvre soit complète.
M. Prévinaire, rapporteur. - Le rapport de la section centrale s'exprime de la manière suivante.
« La section centrale, après un examen attentif, a reconnu que la réforme proposée ne tombe pas sous l'application de la disposition de l'article 83 de la loi provinciale, attendu qu'aucune modification de circonscription ou de chef-lieu ne doit être la conséquence de la mesure proposée, du moment où les précédents indiqués seront suivis en cette occasion. ».
En effet y a-t-il, dans le cas de la réunion de deux commissariats d'arrondissement entre les mains du même titulaire, un changement de délimitation de l'arrondissement, un changement au chef-lieu, surtout si les précédents sont suivis? C'est, ce me semble, toute la question, et l'honorable préopinant l'a examinée sous un tout autre point de vue.
Il existe deux précédents de la combinaison proposée ; depuis longtemps le gouvernement a confié au même titulaire la direction des arrondissements de Roulers et de Thielt d'une part, de Dixmude et de Fumes, d'autre part.
Que s'est-il passé alors? Les titulaires ont conservé un bureau, là où se trouvait autrefois le chef-lieu de l'arrondissement, alors qu'il y avait un titulaire distinct. Le même titulaire se rend dans les deux arrondissements pour faciliter ses rapports avec ses administrés.
Toute la question est de savoir si une disposition de la loi s'oppose à un tel changement administratif. Nous voyons bien par l'article 132 de la loi provinciale qu'il y a pour chaque arrondissement administratif un commissaire du gouvernement. Mais la loi est silencieuse, en ce qui concerne la résidence obligée de ce fonctionnaire au chef-lieu. L'article 126 est par contre explicite au sujet du gouverneur; il l'oblige à résider au chef-lieu de la province. Je crois qu'il faut tenir compte de cette distinction.
La loi a donc voulu établir une distinction entre ces deux fonctionnaires, représentants du pouvoir exécutif dans deux ressorts différents. Je le répète , la section centrale n'a examiné qu'une question, celle de savoir si l'article 83 doit recevoir, dans ce cas, son application. Se fondant sur ce qu'il n'y a de changement ni au chef-lieu ni à la circonscription administrative, et sur les deux précédents que j'ai rappelés et dont vous avez eu souvent la preuve par des pétitions tendant à faire rétablir le chef-lieu ou il se trouvait précédemment, la section centrale a pensé que ce précédent n'ayant donné lieu à aucun inconvénient, elle pouvait fort bien adopter la proposition du gouvernement qui, en réalité, produira une économie de 55,672 fr.
Voilà, messieurs, les seules observations que je voulais faire à l'appui de l'opinion de la section centrale.
M. Pierre. - Le gouvernement, dans le but de s'associer aux vues manifestées par le pays et par la chambre pendant sa courte session extraordinaire de l'an dernier, pour la réalisation des économies qu'il serait possible d'opérer, sans désorganiser aucun service public et sans y porter la moindre atteinte, a dû passer en revue toutes les branches d'administration et examiner jusqu'à quel point telle ou telle économie y serait convenablement réalisable. C'est de cet examen qu'est venue à surgir la proposition de suppression des quatre commissariats de Maeseyck, Eecloo, Ostende et Virton.
Je n'examinerai pas la question de légalité, l'honorable M. Van Hoorebeke vient de la traiter, à mon avis, d'une manière péremptoire, décisive et qui ne laisse rien à désirer. Je ne parlerai donc de cette affaire que sous le point de vue d'équité et d'opportunité.
Chacun de nous ne s'est-il pas demandé, il faut le dire, en présence de cette proposition, si, dès l'instant où l'on reconnaissait l'utilité de toucher à l'organisation ou à la circonscription des arrondissements administratifs, la suppression proposée était bien tout ce qu'il y avait à faire. Inutile d'ajouter que la réponse que chacun s'est faite était négative. Il résulte du travail des sections qu'elles ont toutes été de cet avis, et qu'il s'y est rencontré une unanimité vraiment remarquable pour reconnaître que c'était là à peine une demi-mesure.
Eh bien, messieurs, est-il sage d'en agir ainsi, d'entrer dans une semblable voie? Est-il équitable, surtout, de froisser dans leurs intérêts quatre localités qui n'ont, à une seule exception près, d'importance que parce qu'elles sont des sièges de commissariats d'arrondissement ?
Il serait d'autant moins juste de leur enlever cet avantage, à peu près l'unique dont elles puissent jouir, que deux d'entre elles appartiennent aux malheureuses provinces qui ont été victimes du fatal et à jamais déplorable morcellement.
Ce serait là un singulier moyen réparateur que vous leur appliqueriez. Ne serait-ce point tuer au lieu de chercher à guérir?
Pourquoi donc offrir ces quatre localités en quelque sorte en holocauste au pays? Pourquoi leur donner cette fâcheuse préférence parmi tant d'autres villes, dont les commissariats pourraient tout aussi bien être supprimés et qui souffriraient beaucoup moins de cette suppression, parce qu'elles ont d'ailleurs plus de ressources et plus d'importance par elles-mêmes?
Toutefois, messieurs, j'ai hâte d'ajouter que s'il s'agissait d'une réorganisation complète, d'une mesure générale dans le sens, par exemple, de la proposition faite par l'honorable M. Jacques, qui pourrait apporter une économie notable, pour l'avenir, dans les finances de l'Etat, oh ! alors, j'ai assez bonne opinion du patriotisme de mes concitoyens pour être persuadé que, quelque considérable que soit le sacrifice qui leur serait imposé par cette grande mesure, ils sauraient se résigner sans se plaindre, tandis que si vous adoptiez la proposition actuelle, ils ne vous pardonneraient point de les sacrifier ainsi en quelque sorte au hasard et cela pour réaliser une aussi chétive économie.
La proposition de l'honorable M. Van Hoorebeke me paraît d'autant plus rationnelle, que la chambre est en ce moment saisie du projet de réorganisation complète des commissariats, d'arrondissement, dont je parlais à l'instant. Il serait conséquemment inopportun de toucher dès maintenant, et pour ainsi dire à la légère, à la solution de cette importante question. Il (page 667) me semble préférable de la réserver tout entière pour l'examiner ultérieurement avec la maturité qu'elle comporte. C'est pourquoi je voterai pour la proposition qui nous conduit à ce sage et prudent résultat.
M. Dedecker. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
Ma motion d'ordre consiste à étendre celle que vient de vous soumettre l'honorable M. Van Hoorebeke, et qui tend à remettre, jusqu'à ce que les conseils provinciaux aient été consultés, l'examen de la réunion de quelques commissariats d'arrondissement.
Vous savez, tous, messieurs, que la proposition, que nous a faite le gouvernement, en présentant le budget de l'intérieur, ne se borne pas à la suppression de quatre commissariats d'arrondissement. Elle renferme aussi une nouvelle classification de tous les commissariats d'arrondissement.
Or, messieurs, en 1845, la position des commissaires d'arrondissement a été complètement modifiée. Aujourd'hui M. le ministre de l'intérieur veut en faire une nouvelle classification, et si la proposition de l'honorable M. Jacques recevait l'assentiment des conseils provinciaux, vous auriez, l’année, prochaine, à opérer, un nouveau bouleversement des commissariats d’arrondissement.
Ma proposition tend à demander que la proposition entière du gouvernement, tant en ce qui concerne la suppression de quatre commissariats d'arrondissement qu'en ce qui concerne la classification nouvelle, soit ajournée à l'année prochaine,, et qu'au budget de cette année, les chiffras anciens soient maintenus, c'est-à-dire, en d'autres termes, que la chambre veuille bien différer d'une année la décision à intervenir sur la nouvelle classification des commissariats d'arrondissement. En agissant ainsi, vous agirez d'une manière rationnelle, et vous éviterez une discussion qui va durer deux ou trois jours. Car si je suis bien informé, tous les membres appartenant aux divers arrondissements qui ont à se plaindre de la nouvelle classification viendront défendre les intérêts de leur arrondissement, et je suis de ce nombre.
M. de Renesse. - Messieurs, d'après l'article 83 de la loi provinciale, les conseils provinciaux doivent donner leurs avis sur les changements proposés, pour la circonscription de la province, des arrondissements, cantons et communes, et pour la désignation des chefs-lieux ; l'article 132 de la même loi établit qu'il y a, pour chaque arrondissement administratif, un commissaire du gouvernement, portant le titre de commissaire d'arrondissement. De la combinaison de ces articles, il me semble résulter à l'évidence que, si l'on veut porter des modifications aux arrondissements administratifs, désigner d'autres chefs-lieux, il y a convenance, même obligation de se conformer aux prescriptions de la loi provinciale. D'après l'article 2 de la Constitution, les subdivisions des provinces ne peuvent être établies que par la loi; or, d'après la proposition faite au budget de l'intérieur, adjoindre certains arrondissements administratif à d'autres, c'est introduire une autre subdivision administrative des provinces que celle qui existe actuellement, et certes, lorsque l'article 2 de la Constitution a été discuté, le congrès n'a pu avoir l'intention d'admettre qu'une modification à la subdivision des provinces puisse avoir lieu par la loi du budget, mais bien par une loi particulière; le mode à suivre, à cet égard, nous a été tracé par l'article 85 de la loi provinciale; nous devons aussi bien nous y conformer pour les modifications proposées au budget de l'intérieur, que pour la proposition faite par notre honorable collègue M. Jacques et que la chambre a renvoyée à l'avis des conseils provinciaux. Lorsqu'il s'agit de toucher à la délimitation d'une seule commune, l'administration supérieure, se conformant à la disposition de l'article précité, consulte, chaque fois, le conseil provincial; à plus forte raison, il faut en agir de même, lorsqu'il est question d'un intérêt plus général, comme l'adjonction de plusieurs arrondissements administratifs à d'autres ; ce qui est la même chose, que leur suppression, car, d'après la loi provinciale, il n'y a de commissariat de district que là où il y a réellement un commissaire.
Avant de prendre une pareille mesure, il faut en calculer toutes les conséquences, et examiner les objections sérieuses qui peuvent se présenter même pour l'exécution de la loi électorale. D'après l'article 19 de cette loi, les électeurs se réunissent au chef-lieu du district administratif, dans lequel ils ont leur domicile réel. Ainsi, suivant cette disposition, pour ne citer que les électeurs du district de Maeseyck, ils devront continuer à se réunir, pour les élections des chambres, à Maeseyck ; d'après l'article 15 de la même loi, il doit être donné, au commissariat du district, communication des listes annuelles et des rectifications à tous ceux qui voudront en prendre copie ; or, comme à Maeseyck le commissariat doit être supprimé, vous obligerez les habitants de cet arrondissement de se rendre dans un autre district électoral, celui de Hasselt, pour prendre inspection de la liste des électeurs, et y former, s'il y a lieu, leur opposition; ce qui est entièrement contraire à la loi électorale, puisque, d'après cet article 15, les listes annuelles doivent être déposées au commissariat du district électoral où doit avoir lieu l'élection, et non au commissariat d'un autre district; c'est du moins ainsi que l'on doit comprendre les dispositions de la loi provinciale qui ont rapport aux commissariats d'arrondissement; vouloir les interpréter autrement, ce serait introduire des changements sans qu'une loi spéciale ait modifié plusieurs articles de cette loi organique.
L'on ne peut s'appuyer sur les deux précédents cites dans le rapport de la section centrale, pour en tirer la conséquence qu'il appartient à une simple disposition ministérielle de supprimer plusieurs arrondissements administratifs, et prétendre que cette réforme ne tombe pas sous l'application de la disposition de l'article 83 de la loi provinciale c'est entièrement méconnaître les termes mêmes de cet article, où il est positivement indiqué que pour la désignation des chefs-lieux , il faut recourir à l'avis des conseils provinciaux; en transférant le chef-lieu d'un arrondissement administratif à un autre chef-lieu, il me semble que c'est bien introduire un changement essentiel dans les arrondissements, qui doivent subir une mutation de leurs chefs-lieux.
Si c'est dans le seul but d'économie que l'on propose la suppression réelle de quatre arrondissements administratifs, il y avait une autre économie plus notable à faire, ce serait de supprimer les commissariats de district des chefs-lieux de province; mais toujours en demandant au préalable l'avis des conseils provinciaux ; il y avait là une dépense en moins du chef de traitements de fr. 49,650, d'après le taux fixé au budget de 1849, et si l'on y ajoutait encore une partie des émoluments qui auraient pu être économisés, la réduction réelle eût dépassé 62,000 francs, tandis que l'économie à effectuer par la suppression de quatre commissariats n'est que de 16,800 francs ; mais il me paraît que l'on ne tient pas assez compte des intérêts des districts secondaires; ils doivent se plier aux exigences des grandes localités pour lesquelles on a plus d'égard, et c'est ainsi qu'ils sont parfois sacrifiés.
Les intérêts des arrondissements d'une moindre importance méritent cependant d'être respectés, surtout si, par l’éloignement de certains districts du centre du pays, il peut être nécessaire d'y maintenir un commissaire d'arrondissement pour que leurs habitants puissent se trouver à portée de leur chef d'administration, sans avoir besoin de faire une trop longue route; si ces districts n'ont pas autant d'importance sous le rapport de la population, il est de ces arrondissements qui ont un territoire très considérable, où, par conséquent, des travaux d'amélioration peuvent se faire, où un administrateur zélé, se trouvant constamment sur les lieux, peut rendre de très grands services aux localités qu'il est chargé d'administrer ; du moins, avant de procéder à la suppression de plusieurs arrondissements administratifs, il y a haute convenance de consulter les conseils provinciaux, plus spécialement chargés de défendre les intérêts de leurs provinces, d'exposer les motifs qui pourraient s'opposer à des modifications essentielles aux districts administratifs; j'ai donc l'honneur d'appuyer la proposition faite par l'honorable M. Van Hoorebeke.
M. Rodenbach. - Messieurs, l'honorable député d'Eecloo vous a proposé de renvoyer à l'avis des conseils provinciaux la proposition du changement de résidence de quatre commissaires d'arrondissement.. Je crois que la question est la même en ce qui concerne les districts de Roulers et de Dixmude. Je demande donc, par sous-amendement, que les conseils provinciaux soient aussi invités à donner leur avis en ce qui concerne ces districts.
Je le répète, la question est la même, et je crois que les articles 83 et 132 de la loi provinciale s'opposaient à ce qu'on supprimât la résidence de Roulers.
M. Vilain XIIII. - Messieurs, l'honorable rapporteur de la section centrale m'a paru si frappé de la manière dont l'honorable. Mi Van Hoorebeke avait défendu sa motion d'ordre, qu'il n'a trouvé d'autre moyen pour la combattre, que d'établir un fait qui ne me paraît nullement établi et sur lequel je dois demander une explication, soit à M. le rapporteur, soit à M. le ministre de l'intérieur.
Il vous a dit que les chefs-lieux des quatre arrondissements dont il s'agit continueraient à subsister que les bureaux des commissariats d'arrondissement seraient maintenus dans ces chefs-lieux, et que le commissaire d'arrondissement qui serait chargé de l'administration de. deux districts, viendrait dans l'ancien chef-lieu plusieurs fois par semaine.
Je voudrais bien savoir où ce fait est établi, et je demanderai, soit à M. le ministre de l'intérieur soit à M. le rapporteur de la section centrale, comment les chiffres du budget pourront s'harmoniser avec ce système. D'après le budget, les bureaux sont supprimés dans les quatre arrondissements dont le commissariat est supprimé. Où sont d'ailleurs mentionnés les frais de voyage qui seraient nécessaires pour les quatre commissaires d'arrondissement qui seraient obligés de voyager toutes les semaines et de postillonner entre leur ancien commissariat et le nouveau commissariat qui leur serait ainsi donné à administrer?
Je demande sur ce point une explication.
M. Lelièvre. - L'article 83 de la loi provinciale n'est évidemment applicable qu'à l'hypothèse où il est question du changement à apporter à la circonscription des arrondissements. Dans l'espèce, messieurs, l'arrondissement reste le même, seulement le fonctionnaire administratif change de résidence. Prétendrait-on, par exemple, qu'il y a changement dans la circonscription des cantons parce qu'un juge de paix sera chargé de rendre la justice pour deux cantons? Evidemment non. Nous pensons donc que la section centrale a parfaitement saisi le sens de la loi, tandis que la proposition de l'honorable M. Van Hoorebeke confond le changement de la circonscription avec celui de la résidence du fonctionnaire.
M. Prévinaire, rapporteur. - Je répondrai à l'honorable M. Vilain XIIII que la section centrale s'est appuyée sur un précédent. Elle a opposé l'existence d'un fait à toutes les inductions qu'on cherchait à tirer de la combinaison de certaines dispositions légales; et c'est plutôt l'adresse avec laquelle on a tiré parti de ces inductions et le talent que mettait l'honorable M. Van Hoorebeke à les défendre, qui m'a frappé, que le fondement de son raisonnement en lui-même.
Quant à l'existence de deux bureaux dans certains arrondissements réunis, le fait est positif; il est constaté par le témoignage de membres qui appartiennent à ces arrondissements. ainsi que par différentes pétitions adressées à la chambre. Il est constant que lorsqu'il y a deux arrondissements réunis sous un même titulaire, le commissaire se transport alternativement de l'un des arrondissements à l'autre et qu'il a (page 668) dans chaque chef-lieu un subordonné qui entretient des rapports constants et réguliers avec les administrés. C'est absolument ainsi que la chose se passait lorsque certains commissaires d'arrondissement siégeaient dans cette enceinte; ils étaient aussi remplacés dans leur arrondissement par un de leurs subordonnés.
Quant aux frais de déplacement, les commissaires qui auront deux arrondissements dans leurs attributions pourront supporter ces frais puisqu'ils auront un traitement supérieur à celui qu'ils auraient eu s'ils ne s'étaient trouvés qu'à la tête d'un seul arrondissement.
Toute la question, messieurs, est de savoir si l'on peut considérer comme un changement de circonscription la mesure par laquelle deux arrondissements seraient confiés à un seul commissaire. Eh bien, je ne le pense pas, car la loi ne dit nulle part que le commissaire d'arrondissement doit résider dans son arrondissement même. Non seulement elle ne dit rien quant à la résidence, mais elle fait réellement du commissaire d'arrondissement un fonctionnaire nomade, puisqu'elle lui impose par exemple de fréquentes inspections qui l'obligent à des déplacements.
M. de Breyne. - Messieurs, je viens appuyer la proposition de l'honorable M. Dedecker tendant à ce qu'on renvoie aux conseils provinciaux non seulement ce qui est relatif aux 4 arrondissements dont le gouvernement propose la suppression, mais en quelque sorte la question de l'organisation de tous les arrondissements administratifs. Depuis plusieurs années l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter est supprimé de fait, et chaque fois qu'il s'est agi de la discussion du budget de l'intérieur ou d'une proposition quelconque relative à la circonscription des arrondissements, chaque fois nous avons reçu un grand nombre de réclamations contre l'état de choses existant. Je crois qu'il importe, dans l'intérêt du gouvernement, aussi bien que dans l'intérêt des administrés, que cette question soit enfin résolue d'une manière définitive. Or vous n'arriverez à une solution convenable qu'en prenant l'avis du conseil provincial, ce n'est que de cette manière que vous parviendrez à satisfaire la population intéressée.
Si j'ai bien compris l'honorable M. Prévinaire, il a dit que quand un seul commissaire administre deux arrondissements, il se rend, à des jours et heures déterminés, dans chacun de ces arrondissements. Je dois dire que pour l'arrondissement de Dixmude cela n'existe pas, et que l'honorable rapporteur de la section centrale est complètement dans l'erreur. Il est vrai que la première année après la réunion des deux arrondissements le bureau qui existait au chef-lieu de l'arrondissement de Dixmude y a été conservé, et que le commissaire s'y rendait une ou deux fois par semaine et donnait ainsi aux administrations communales toute facilité pour se rendre auprès de lui, l'instruire des faits qui se passaient dans leur commune et recevoir les conseils dont elles avaient besoin ; mais cet état de choses ne dura pas longtemps, et depuis les archives ont été enlevées, le bureau a disparu, les employés ont été congédiés et aujourd'hui les administrations communales sont obligées de se soumettre à des déplacements longs et coûteux pour se mettre en rapport avec le commissaire qui réside à l'extrême frontière des deux arrondissements et à une distance de cinq à six lieues de plusieurs communes très populeuses.
Pour tous ces motifs, messieurs, j'appuie la proposition de l'honorable M. Dedecker, et je demande le renvoi aux conseils provinciaux de tout ce qui concerne les arrondissements administratifs.
M. Jullien. - Messieurs, le classement des commissariats d'arrondissement, proposé par le gouvernement, ne doit être, selon nous, accepté que comme une mesure provisoire.
Le gouvernement, pour déterminer les bases de ce classement, s'est attaché, si je ne me trompe , au nombre des communes, à la quantité d'hectares de leur territoire et à leur population.
Il est une autre base, messieurs, qui aurait dû être surtout prise en considération, c'est le nombre d'affaires qu'il y a à traiter dans chaque commissariat d'arrondissement. Cette base inhérente, non à tout le territoire de la commune, mais bien à la nature des propriétés communales et aux affaires que leur administration fait surgir, ayant été laissée à l'écart, le classement doit nécessairement être défectueux. J'appuierai donc la proposition de l'honorable M. Dedecker, tendant à ce que les conseils provinciaux soient consultés sur la classification elle-même.
J'ajouterai, messieurs, que la proposition de l'honorable M. Jacques est beaucoup plus large que l'organisation projetée par le gouvernement ; elle est destinée à amener une réorganisation définitive plus appropriée aux nécessités administratives et plus propre à diminuer notablement les charges du trésor. J'engage donc particulièrement le gouvernement à veiller à ce que, sous aucun prétexte les conseils provinciaux ne puissent ajourner l’examen de la proposition de l'honorable M. Jacques. Comme cette proposition se lie à la circonscription des arrondissements judiciaires qui renferme beaucoup de vices, il serait à désirer aussi que les conseils provinciaux pussent se prononcer sur les changements dont cette dernière serait susceptible. Je voudrais que M. le ministre de l'intérieur se concertât avec son honorable collègue du département de la justice, afin de prendre également sur ce point l'avis des conseils provinciaux. De cette manière on pourrait arriver à un état de choses qui répondrait à la fois aux besoins des justiciables et des administrés, et qui ferait cesser toutes les réclamations incessantes dont la chambre et les départements ministériels sont encombrés.
Puisque j'ai la parole, je dirai que je ne puis appuyer la fusion, qui a été proposée, de différents commissariats, pour les remettre entre les mains d'un seul et même fonctionnaire.
M. le président. - C'est le fond ; on ne discute en ce moment que la motion d'ordre ; il ne s'agit que du renvoi aux conseils provinciaux.
M. Jullien. - Je cherche à établir la nécessité de ce renvoi.
Selon moi, cette fusion ne peut avoir lieu que par une loi précédée e« l'avis des conseils provinciaux, car si elle ne blesse pas le texte même de l'article 83 de la loi provinciale, elle en blesse évidemment l'esprit.
Si vous déclarez que l'on peut réunir en une seule et même main deux commissariats d'arrondissement; eh bien, le ressort de l'un devient nécessairement un ressort purement nominal, et sa désignation comme chef-lieu un non-sens.
Que si cette mesure n'était pas jugée par la chambre, en opposition formelle avec l'article 83 de la loi provinciale, qui exige l'avis préalable des conseils provinciaux, tout au moins la chambre reconnaîtra-t-elle que la fusion proposée incidentellement au budget viole diamétralement l'article 132 de la même loi. Cet article porte, en effet, qu'il y a pour chaque arrondissement administratif un commissaire du gouvernement. A moins de transformer le texte de l'article, à moins de le dénaturer en y insérant ces mots : « Il y a pour un ou plusieurs arrondissements administratifs un commissaire du gouvernement, » vous ne pouvez admettre le système de la section centrale, qui considère comme légale l'administration de deux commissariats par un seul fonctionnaire, alors qu'il doit y avoir un commissaire pour chaque arrondissement.
Je n'admets pas, pour ma part, le système de ces commissaires voyageant d'un arrondissement à l'autre, système défendu par l'honorable rapporteur de la section centrale. Déjà nous avons des députés permanents qui sont ambulants ; je ne voudrais pas voir introduire encore dans notre organisation provinciale le système des commissaires ambulants. Je trouve ce système excessivement mauvais, et je ne puis m'y rallier.
M. Van Hoorebeke. - Messieurs, l'honorable rapporteur de la section centrale a avancé un fait que je tiens à rectifier. Il a argumenté d'une disposition de la loi provinciale pour soutenir que la loi n'obligeait pas le commissaire de district à résider dans le chef-lieu. C'est une grave erreur.
Il existe, à cet égard, une disposition formelle dans un règlement qui est encore en pleine vigueur; l'article 44 d'un règlement de 1818 exige que le commissaire de district réside au chef-lieu de l'arrondissement administratif.
Au reste, l'argumentation que j'ai présentée à la chambre repose sur une double distinction qui a été perdue de vue.
Je me suis demandé tout d'abord ce que c'est qu'un chef-lieu. J'ai ouvert le premier manuel administratif connu, et j'ai trouvé que le chef-lieu était la ville où résidait le commissaire de district et où se traitaient les affaires administratives.
Je me suis demandé ensuite si la proposition du gouvernement devait avoir pour effet d'empêcher le commissaire de district de résider dans les villes où l'on supprime les commissaires de district, et si en second lieu la concentration d'affaires variait à cesser.
Eh bien, ces deux éléments qui caractérisent les chefs-lieux viennent à disparaître, à la suite de la proposition du gouvernement; il en résulte donc qu'on modifie la désignation des chefs-lieux.
La seconde partie de mon argumentation consistait en ceci: que la préposition du gouvernement tendait, non seulement à changer la désignation des chefs-lieux, mais encore à atteindre l'existence même des arrondissements administratifs ; car l'arrondissement administratif n'est pas le ressort; c'est encore une fois la concentration des affaires administratives dans une seule ville, sur un même point qu'on appelle chef-lieu ; et l'article 132 de la loi provinciale corrobore cette interprétation.
J'ai dit que, si la proposition du gouvernement était adoptée, il y aurait quatre arrondissements administratifs qui seraient privés du magistrat que la loi leur assigne.
En conséquence de ces motifs, j'ai cru que la proposition du gouvernement, même en équité, devait être soumise à l'avis des conseils provinciaux.
- La chambre remet à demain la suite de la discussion.
M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le budget de la guerre.
- Le rapport sera imprimé et distribué. La chambre le met à l'ordre du jour.
La séance est levée à 5 heures.