(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 646) M. Dubus procède à rappel nominal à 1 heure et demie, la séance est ouverte.
M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, hier il n'y a pas eu de séance publique; à l'heure fixée pour l'ouverture, il n'y avait pas un nombre suffisant de membres. Ce fait a pu paraître étrange, surtout quand on considère le zèle et l'exactitude dont la chambre a fait preuve dans toutes les occasions. Je tiens donc à déclarer que si, à 1 heure et même à 1 heure et demie, il n'y avait pas un nombre suffisant de membres, on doit l'attribuer à ce qu'il est dans nos usages, depuis un temps très long, de n'ouvrir la séance du lundi qu'à 2 heures. On a tellement cette habitude que la plupart des membres ne regardent pas même leur billet de convocation pour le lundi.
Je puis certifier que, entre 1 1/2 heure et 2 heures, il s'est présenté plus de 30 membres, qui tous ont été très étonnés d'apprendre qu'ils arrivaient trop tard.
Je crois qu'il vaudrait mieux, à l'avenir, que séance du lundi fût toujours fixée à 2 heures. Il est de notoriété que beaucoup de membres de la chambre retournent chez eux le samedi, y passent le dimanche et ne reviennent que dans la matinée du lundi. Il est dans les convenances de ces membres que la séance ne s'ouvre le lundi qu'à 2 heures; ces convenances, nous devons y avoir égard, dût la séance, ce jour-là, se prolonger un peu plus tard, pour qu'il n'y ait pas perte de temps.
M. le président. - Ces observations viendront à propos lorsqu'il s'agira, samedi prochain, de fixer l'heure de la séance du lundi. Samedi dernier, il y a eu un débat contradictoire sur la fixation de l'heure de la séance de lundi, et la majorité a décidé qu'elle s'ouvrirait à 1 heure. Hier, on a demandé l'exécution du règlement, et il a fallu que le bureau fît droit à cette demande. Maintenant, lorsque la chambre aura à fixer la séance de lundi, elle pourra prendre en considération les observations que M. de Brouckere vient de présenter.
M. de Luesemans fait connaître l'analyse des pièces suivantes.
« Le sieur Segein, ancien militaire pensionné, prie la chambre de lui accorder une gratification. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Smoelen demande que la chambre fasse une manifestation en faveur du souverain pontife. »
- Même renvoi.
« Les bateliers qui naviguent sur le canal de Charleroy prient la chambre de prendre des mesures pour améliorer leur position. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Hamont demande le maintien de l'arrondissement administratif de Maeseyck. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
Le conseil communal d'Arlon demande que l'excédant du fonds réservé par les traités pour la liquidation de créances à charge de l'Etat ne soit définitivement attribué au trésor qu'après remboursement à la ville d'Arlon de la somme qui a été déposée par elle à la caisse d'amortissement de France. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi qui met des valeurs à la disposition du gouvernement.
« Le sieur Lefebvre, syndic de la chambre de discipline des huissiers de l'arrondissement de Tournay, présente des observations contre la demandé des huissiers de Louvain qui a pour objet l'abrogation de la loi du 28 floréal an X. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la compétence en matière civile et commerciale.
« Plusieurs pêcheurs et poissonniers à Anvers demandent que les douaniers et les employés chargés de faire la prisée du poisson soient tenus de visiter simultanément le poisson aussitôt l'arrivée dans le port. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur d'Agnely, ancien officier de la gendarmerie, demande la révision de sa pension. »
- Même renvoi.
Il est fait hommage à la chambre, par M. Jobard, de deux exemplaires de la 4ème livraison du Bulletin du Musée de l'industrie, année 1848.
- Dépôt à la bibliothèque.
M. Gilson, retenu par une indisposition, demande un congé.
- Accordé. *
M. le président. - M. Gilson a demandé, en outre, que M. Cumont fût autorisé à présenter à la chambre les considérations qu'il se proposait de faire valoir encore dans la discussion du budget de l’intérieur. Si la chambre le trouve bon, j'accorderai tout à l'heure à M. Cumont le tour de parole qui avait été réservé à M. Gilson.
- Adopté
M. A. Vandenpeereboom dépose le rapport sur le projet de loi ayant pour objet l'érection d'une nouvelle commune dans la Flandre occidentale.
M. Rodenbach. - Quelles sont les conclusions?
M. A. Vandenpeereboom. - Un supplément d'instruction.
M. Rodenbach. - Messieurs, voilà peut-être 15 ans que le hameau de Ploegsteert demande à être détaché de la commune de Warneton. Il paraît qu'il y a entrave sur entrave. Je crois que le rapport parle d'une erreur dans les limites à donner à la nouvelle commune. Je saisis cette occasion pour demander qu'on veuille presser cette affaire, car le retard qu'elle éprouve est considéré dans la localité comme une espèce de déni de justice. Je désirerais que la députation permanente de la Flandre occidentale voulût bien nommer promptement un commissaire pour que le conseil provincial puisse examiner l'affaire dans sa prochaine réunion et que nous puissions, à notre tour, prendre une décision avant la fin de l'année.
M. le président. - Le rapport sera imprimé et distribué et je proposerai à la chambre de le discuter à la suite des objets qui se trouvent à l'ordre du jour. M. Rodenbach pourra alors présenter ses observations.
M. Rodenbach. - Je me réserve de prendre la parole quand la discussion du rapport sera ouverte.
- La proposition de M. le président est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - La discussion générale continue. La parole est à M. Cumont.
M. Cumont. - Les observations que j'ai à soumettre à la chambre, au sujet du discours de M. Gilson et en réponse à M. Dumortier, exigeant la présence de M. Dumortier que je n'ai pas l'honneur de voir ici, je prie M. le président de ne m'accorder la parole que quand M. Dumortier sera arrivé.
M. le président. - Je ne pense pas qu'il y ait d'opposition. Je donnerai donc la parole à M. David.
M. David. - Je demanderai à attendre la présence de M. le ministre. Ce que j'ai à dire a trait à une proposition d'une nature tout à fait pratique. Je désirerais donc que M. le ministre fût présent lorsque je prendrai la parole.
M. le président. - La parole est à M. de Brouwer de Hogendorp.
M. de Brouwer de Hogendorp. - Avant que la discussion fût reprise, je pense qu'il serait convenable que M. le ministre de l'intérieur fût présent, puisqu'il s'agit de son budget.
M. le président. - Je l'ai fait prévenir...
- Plusieurs membres. - Nous attendrons.
- La séance est suspendue pendant quelques minutes.
M. le président. - Pour utiliser la séance, ne convient-il pas de donner la parole à des membres qui n'ont pas à répondre au ministre ? (Adhésion.)
La parole est à M. Delehaye.
M. Delehaye. - Il est vrai que je n'ai pas l'intention de répondre à M. le ministre de l'intérieur. Je me propose de répondre quelques mois à l'honorable M. Charles de Brouckere, qui est également absent. Mais comme le Moniteur reproduira mes paroles, je crois ne pas devoir reculer devant cette considération.
L'honorable membre m'a fait l'honneur de combattre trois idées que j'avais développées dans le discours que j'avais prononcé dans la séance de vendredi dernier.
La première est celle que j'avais émise à l'égard du haut prix des fermages. L'honorable membre nous a dit que ce n'étaient pas les adjudications publiques qui avaient fait hausser le prix des fermages, qu’il ne faillait l'attribuer qu'à l'augmentation considérable de la population.
Il est vrai qu'en thèse générale l'augmentation de la population doit avoir pour conséquence la hausse des denrées alimentaires. Mais, en Belgique, cette considération seule n'a pas un grand poids. En voici la raison : la population a certainement beaucoup augmenté parmi nous. Mais ce qui a augmenté dans une proportion presque égale, c'est la (page 647) quantité des terres livrées à l'agriculture. Depuis quelque temps, il y a eu beaucoup de défrichements, beaucoup de déboisements.
Mais je vais beaucoup plus loin. Je dis que, la population de la Belgique augmentât-elle considérablement, si les denrées alimentaires restent au bas prix où elles sont maintenant, les fermages diminueront. Ce fait est inévitable, parce que les fermiers seraient dans l'impossibilité de payer leurs fermages.
Messieurs, veuillez consulter à cet égard tout ce qui se passe dans les provinces. J'ai acquis la persuasion intime qu'il suffirait de deux ou trois années de bas prix des céréales, pour qu'il y eût non seulement réduction des fermages, mais ruine pour un grand nombre de cultivateurs.
J'ai envisagé comme chose favorable au pays le bas prix des denrées alimentaires, et le motif principal pour lequel j'ai repoussé la proposition de l'honorable M. Coomans, c'est qu'il fallait, après deux années de disette, lorsque toutes les ressources étaient épuisées, que les denrées alimentaires fussent à bas prix, fussent à la portée de l'ouvrier. Il y avait là un bienfait de la Providence. Il importait qu'après deux années calamiteuses, qu'après que les classes pauvres avaient tout sacrifié pour suffire aux plus pressants besoins, les denrées alimentaires fussent à bas prix. L'abaissement excessif des fermages aurait pour conséquence d'entraver toutes les industries qui reçoivent le contrecoup des souffrances de l'industrie agricole.
L'honorable M. de Brouckere a fait une autre objection. Il m'a dit : Je ne veux pas de la société d'exportation de l'honorable M. Delehaye, parce que cet honorable membre reconnaît que les Belges ne sont pas commerçants, et que par conséquent la société serait un mort-né.
J'attache, messieurs, peu de prix à cette observation, d'autant plus que je suis heureux d'avoir l'appui de l'honorable M. de Brouckere, appui que l'éloquence et l'expérience de l'honorable membre rendent très puissant dans cette question. Les motifs m'importent peu ; il me suffit que l'honorable M. de Brouckere ne combatte pas l'établissement d'une société d'exportation.
Mais que l'honorable membre ne s'y trompe pas : la société d'exportation de l'honorable d'Elhoungne, la société d'exportation de l'honorable M. Dechamps, comme celle que j'ai proposée, ne constituent qu'une seule et même société d'exportation.
Je comprends toutefois que le projet présenté par l'honorable M. Dechamps n'ait pas pu convenir à l'honorable M. de Brouckere. Une société d'exportation constituée comme l'avait primitivement proposé l'honorable M. Dechamps ne pouvait pas atteindre la vaste étendue dont elle avait besoin ; cette société n'aurait pas été constituée sur une assez large échelle pour répondre à tous les besoins.
Me suis-je trompé, messieurs, en disant que le Belge n'a pas ce caractère commerçant qu'ont d'autres peuples ? Mais si je me suis trompé à cet égard, la Hollande s'est aussi trompée en 1825. Lorsqu'on a organisé la Société Générale, dans les considérants qui ont été soumis à l'appui de cette mesure, on dit qu'une grande partie du pays est dominée par l'esprit de prudence, par l'esprit d'économie, qu'en général le caractère privé du Belge n'est pas commerçant.
Et ce fait est vrai, messieurs, le Belge est doué d'une grande prudence. Il ne se hasarde pas facilement; il rétrécit ses opérations dans des limites très étroites. Voilà ce que j'ai voulu dire; mais on ne peut conclure de mes paroles que la société d'exportation sera une société mort-née.
Il reste une troisième observation à laquelle je dois répondre. Quoique la qualité qu'on m'ait attribuée, je ne puis se l'invoquer dans cette enceinte, cependant puisque le reproche m'a été fait, vous me permettrez d'y répondre un mot.
L'honorable M. de Brouckere a dit qu'on concevait difficilement que moi qui ai indiqué comme une mesure utile pour la prospérité de l'industrie l'abaissement des péages, j'eusse, comme conseiller communal de la ville de Gand, voté pour le maintien d'un droit d'octroi sur la bouille.
Messieurs, il est vrai que, comme conseiller communal de la ville de Gand, j'ai donné mon assentiment à un budget qui portait en principe un droit d'octroi sur la houille. Mais remarquez-le, sur ma proposition le conseil communal de Gand, à l'unanimité, a déclaré que si le système des octrois est bon en principe , il est susceptible de modifications utiles.
On pourrait donc croire que l'octroi, quant à la houille, pourrait subir une modification, dans l'opinion du conseil dont j'ai l'honneur d'être l'un des membres.
Mais j'irai plus loin, et je suis heureux d'avoir l'occasion de rendre ici un témoignage public au désintéressement des industriels de Gand, à leur attachement patriotique à leur ville natale.
Mu pas le désir d'écarter toutes les charges qui pèsent sur la matière première, le conseil a consulté les industriels membres du conseil; ceux-ci ont déclaré que la suppression de 64 centimes aux mille kil. ne pouvait exercer aucune influence sur les frais de production, ne pouvait en rien augmenter le salaire de l'ouvrier, tout en portant atteinte aux ressources de la ville, et que, dès lors, il valait mieux le maintenir.
(erratum, page 686) Voilà, messieurs, une déclaration d'autant plus honorable qu'elle est plus désintéressée et qu'il en est peu d'exemples. Elle prouve de nouveau qu'il existe à Gand des hommes qui savent oublier leurs intérêts, quand il s'agit des intérêts généraux. Que l'honorable député auquel je réponds se rassure ; d'accord avec tous mes collègues du conseil communal de Gand, je ferai des efforts pour alléger tout ce qui pèse sur les moyens de production, de quelque nature qu'ils soient. Mais qu'il ne s'y trompe pas, la charge chez nous est à 64 centimes, là où Bruxelles, le consommateur paye un droit de 4 francs. Les principes de M. de Brouckere permettent aux habitants de la capitale d'espérer que bientôt ils seront dégrevés de cette énorme charge.
Il vous prouvera de nouveau qu'il existe à Gand des hommes qui savent oublier leurs intérêts, quand il s'agit des intérêts généraux.
M. Cumont. - A la séance de samedi dernier, M. Dumontier a attaqué mon honorable ami, M. Gilson, d'une manière que vous tous, messieurs, vous trouverez sans doute, comme moi, inconvenante. Il s'est laissé aller à des insinuations qui sont de nature à porter atteinte au noble caractère de mon ami.
Une indisposition grave le mettant dans l'impossibilité de venir répondre aux attaques de M. Dumortier, la bonne amitié que je porte à l'honorable M. Gilson me fait un devoir de ne pas laisser peser sur lui l'injurieux soupçon dont les paroles de M. Dumortier pourraient le couvrir hors de cette enceinte.
J'avais quitté cette chambre lorsque l'honorable M. Dumortier a prononcé les paroles outrageantes lancées contre mon honorable ami, et je n'en ai eu connaissance que par le Moniteur. Je ne puis vous dire le sentiment pénible que j'ai éprouvé en lisant les phrases que je vais avoir l'honneur de vous citer textuellement.
« J'ai dit qu'aussi longtemps qu'il y aurait une différence, pour la valeur vénale, entre la toile faite avec du fil à la main et celle faite avec du fil à la mécanique, il fallait favoriser la distinction de la toile de fil à la main afin de donner du travail aux ouvriers et aux petits fabricants que le préopinant voudrait réduire au rôle d'ouvriers de fabrique pour les faire d'autant mieux exploiter par certains grands fabricants. C'est cette exploitation de l'homme par l'homme que je veux empêcher autant que je le pourrai. »
Il ajoute ensuite : « Libre à l'honorable préopinant de se présenter ici comme le satisfait de l'industrie, de venir provoquer la ruine des petits fabricants. »
Et il termine en disant : « Cessez donc d'insulter à leurs souffrances, alors surtout que vous n'avez à leur proposer pour remède que l'outrage, la ruine et le désespoir ! »
Je vous le demande, messieurs, pour ceux qui, comme la plupart d'entre vous, ne connaissent pas et la droiture, et le noble désintéressement de M. Gilson , de semblables paroles ne doivent-elles pas le faire considérer comme un homme vil et rapace qui ne cherche qu'à ruiner les petits fabricants pour s'enrichir de leurs dépouilles ? De semblables paroles ne doivent-elles pas surtout produire l'effet le plus fâcheux lorsqu'elles sortent de la bouche d'un compatriote de l'honorable M. Gilson ?
Eh bien, j'en appelle au témoignage des nombreux amis que M. Gilson a dans la chambre. J'en appelle au témoignage impartial de M. Dumortier lui-même. Y eut-il jamais dans la ville de Tournay un homme qui fut plus généralement estimé par tous ses concurrents, grands et petits fabricants? Y eut-il jamais un homme qui, à juste titre, jouit de plus de considération à cause de sa loyauté et de la générosité de son caractère? Les paroles regrettables qui pourraient tendre à flétrir l'honneur d'un homme si généralement estimé n'ont pu, j'en suis sûr, échapper à l'honorable M. Dumortier que, dans un moment d'irritation, et elles ne trouvent leur excuse que dans l'improvisation faite sous l'influence de ce moment d'irritation. On m'a assuré que ces paroles ont été reproduites au Moniteur d'une manière encore plus directe et plus personnelles qu'elles ne l'ont déjà été, lorsqu'on les a prononcées.
Je viens donc inviter l'honorable M. Dumortier à les retirer, et j'espère qu'aujourd'hui, de sang-froid, il n'hésitera pas à reconnaître les torts qu'il a eu en se laissant aller, samedi dernier, à un mouvement de. vivacité regrettable.
M. Dumortier. - Je suis fort surpris, étrangement surpris du discours que vous venez d'entendre. Au reste, je suis charmé qu'il ait été prononcé pour bien dessiner ici ma position dans la discussion. Sans doute, si vous preniez le Moniteur, vous pourriez vous demander à propos de quoi la réplique que j'ai eu l'honneur d'adresser à l'honorable :membre, dont le député d'Alost se porte le défenseur, a pu être faite, car le discours du député de Tournay est tellement modifié dans le compte rendu de nos séances qu'il ne reste plus rien de l'attaque qui était dirigée contre moi. J'ai en main les notes que j'ai tenues pendant le discours du député de Tournay et sur lesquelles j'ai répondu, et de toutes les choses sur lesquelles se fondait ma réponse, rien ne se trouve dans le Moniteur.
Messieurs, j'en appelle aux souvenirs de toute la chambre, n'est-il pas vrai que l'honorable membre, après avoir commencé par dire qu'il allait me répondre, a prétendu que j'avais représenté les fabricants belges comme des falsificateurs de leurs produits, qu'il ne fallait pas les présenter ainsi aux yeux de l'étranger, marquer l'industrie belge du sceau de l'infamie?
M. Rodenbach. - Oui ! Oui !
M. de Haerne. - Je l'ai entendu.
M. Dumortier. - Pouvais-je laisser passer sous silence, ne devais-je pas repousser une pareille accusation?
Si des paroles regrettables ont été prononcées, ce ne sont pas les miennes, mais celles auxquelles je répondais. Comme président de la chambre de commerce encore, disait l'honorable membre, j'ai soutenu, il y a 12ans, que la décadence de l'industrie des Flandres provenait de ce qu'elle était routinière, stationnaire, et que pour la faire changer désormais, il fallait qu'on introduisît le fil mécanique et que tout le monde devînt ouvrier sous de grands fabricants.
Voilà le système qui a été soutenu. C'est le système que je ne veux pas, parce que c'est l'avilissement de la race humaine. Vous avez aujourd'hui dans les Flandres une quantité considérable des petits fabricants qui vivent de leur famille en honnêtes pères de famille, et l'on veut les réduire à la condition de simples ouvriers ; c'est un cri de désespoir qu'on fait naître dans leurs cœurs. Or, aussi longtemps qu'il y a un remède aux souffrances des Flandres, le devoir du gouvernement et le nôtre n’est pas de jeter le désespoir dans l'âme des populations, mais bien de relever leur moral, en leur faisant entrevoir la possibilité de revenir à leur ancienne position.
(page 648) Messieurs, il n'y a donc, dans ce que j'ai eu l'honneur de dire, rien qui puisse porter atteinte à la considération de qui que ce soit. J'ai repoussé des attaques excessivement vives avec une vivacité égale. Maintenant, si l'honorable membre était présent, il serait forcé de reconnaître que le Moniteur rend un compte exact de la réplique que je lui ai faite.
Au reste, c'est un système et non une personne que j'ai voulu incriminer.
M. Cumont. - Messieurs, j'ai voulu montrer que le discours de l'honorable M. Dumortier, tel qu'il a été reproduit dans le Moniteur, établissait des faits extrêmement blessants, de nature à porter atteinte à l'honneur de mon ami. J'ai demandé à l'honorable M. Dumortier qu'il voulût bien retirer ses paroles...
M. Dumortier. - Je n'en retirerai pas une.
M. Cumont. - J'ai demandé qu'il voulût bien déclarer qu'il n'a pas voulu offenser mon ami...
M. Dumortier. - Je n'ai rien à déclarer, je ne reconnais à personne le droit de m'interpeller.
M. le président. - Je crois que ce débat ne doit pas se prolonger davantage, car l'honorable M. Dumortier vient de nous dire que ses paroles attaquaient un système et non la personne de celui qui l'avait présenté.
M. Cumont. - M. le président, cette déclaration me suffirait, mais je voudrais qu'elle fût faite par l'honorable M. Dumortier.
M. Dumortier. - Vous ne l'aurez pas.
M. le président. - Je dois répéter que M. Dumortier vient de nous dire, en terminant son discours, qu'il incriminait non pas une personne, mais un système.
M. Dumortier. - M. le président, tout cela me touche, en définitive, fort peu ; j'ai été attaqué, je me suis borné à me défendre, à repousser des accusations malveillantes. On m'a accusé de vouloir des choses que, pour mon compte, je désapprouve formellement, j'ai répondu. Je laisse à celui qui m'a lancé cette attaque, le soin d'estimer ce qu'il doit penser de ma réponse.
M. le président. - La position où se trouve en ce moment notre honorable collègue M. Gilson est un motif de plus pour mettre fin au débat.
M. Dumortier. - Je le regrette, pour ma part; j'avais engagé l'honorable membre à ne pas prendre la parole.
M. le président. - Je crois que l'incident doit être considéré comme terminé. (Oui ! oui !)
La parole est à M. le ministre des travaux publics.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, si je viens au dernier jour, et pour ainsi dire à la dernière heure, prendre part à un débat qu'on doit regarder comme épuisé, ce n'est pas , croyez-le bien, dans l'espoir d'y jeter quelques lumières nouvelles, mais bien plutôt parce que j'éprouve le besoin d'expliquer aux Flandres, que je représente doublement et parmi vous et dans le sein du cabinet, la raison du silence que j'ai gardé jusqu'ici.
Messieurs, lorsqu'au mois de juillet dernier j'ai cédé, après une longue lutte, aux instances qui avaient été faites auprès de moi pour me déterminer à accepter le pouvoir, je ne me suis pas dissimulé qu'une des principales difficultés de ma position serait d'être regardé comme le répondant du gouvernement vis-à-vis des Flandres ; et cependant, messieurs, j'ai volontairement et sciemment accepté ce rôle.
Malgré toutes ses difficultés et malgré le sentiment de mon insuffisance, je l'ai accepté parce que je savais ce que mes collègues avaient promis à leur avènement, ce qu'ils avaient réalisé dans le passé, et ce qu'ils se proposaient de réaliser dans l'avenir, et que je n'avais aucune répugnance à partager la solidarité de leurs promesses, de leurs actes et de leurs intentions.
J'ai accepté ce rôle tout en déclarant en toute circonstance et à qui a voulu l'entendre, à mes compatriotes de Gand aussi bien qu'à ceux de Courtray, que je ne me flattais nullement d'apporter au pouvoir l'idée de quelque remède nouveau pour soulager la misère des Flandres, et que mon seul désir était d'encourager, d'aider de tous mes efforts mes collègues à persévérer dans les voies dans lesquelles ils étaient entrés avant moi.
Je l'ai accepté sans condition aucune, parce que la vivacité même des instances de mes collègues témoignait assez de leur ferme résolution de réaliser, dans la limite du possible, toutes les mesures qui seraient jugées utiles aux Flandres; parce qu'enfin, qu'ils me permettent de le leur déclarer, comme je le déclare aux chambres, j'avais assez la conscience de la signification de mon entrée au pouvoir, pour avoir la conviction intime, que, s'il se présentait une occasion de prendre dans l'intérêt des Flandres quelque mesure vigoureuse, décisive, mes collègues se seraient trouvés vis-à-vis de moi, dans l'impossibilité d'y refuser leur adhésion, leur concours.
Si quelque chose, au reste, a pu me rassurer, c'est l'accueil qui avait été fait, et par cette chambre et par le pays tout entier, au discours dans lequel mon honorable collègue de l'intérieur avait déroulé l'ensemble des mesures qu'il se proposait de prendre dans l'intérêt de nos malheureuses provinces ; c'est la présence d'un comité composé des hommes les plus initiés à leur situation, les mieux placés à tous égards pour éclairer le gouvernement sur les moyens d'y porter remède ; c'est enfin l'accueil fait à mes propres paroles, et par la ville de Courtray, et par le conseil provincial de la Flandre orientale.
Il ne manquait plus à ces sanctions nombreuses, que l'approbation des organes légaux des Flandres et l'épreuve de la discussion publique. Ni l'une ni l'autre ne lui ont fait défaut. Vous le savez, messieurs, les conseils provinciaux des deux Flandres ont donné à la ligne de conduite du gouvernement une approbation sans réserve; et vous avez entendu,, dans le cours de cette discussion, l'honorable président de comité des Flandres, un homme dont l'indépendance ne peut pas plus être mise en question que le talent, joindre son adhésion à toutes les autres.
Vous l'avez entendu dans un discours que, pour ma part, je n'ai pas seulement admiré comme une œuvre de talent. Mais encore et surtout comme un acte de saine et bonne politique, comme un acte de loyauté et de courage, vous déclarer que les seules promesses que le gouvernement n'ait point tenues vis-à-vis des Flandres, ce sont celles que les circonstances l'ont mis dans l'impossibilité de tenir ou celles qui avaient été contractées en son nom, et qu'il ne devait pas tenir.
J'ai dit, messieurs, que la discussion publique a été favorable au système du gouvernement. En effet, si l'on fait abstraction des théories qui ont été successivement développées dans cette enceinte, théories économiques, philosophiques, religieuses, quelle est la mesure pratique, véritablement utile que le gouvernement puisse être accusé d'avoir négligée jusqu'ici ?
A la vérité, l'honorable membre qui vient de prendre la parole, a manifesté l'opinion que les mesures que le gouvernement avait prises ne sont pas celles qu'il convenait de prendre, que ce ne sont que des mesures de détail, qui peuvent avoir un certain degré d'utilité, mais qui ne sont pas propres à guérir le mal; que le remède a été posé à côté de la plaie.
« Les précédents du ministère, vous a-t-il dit, comme ceux qui sont aujourd'hui au banc ministériel, n'ont pas fait ce qu'il fallait faire, en ce sens qu'on s'est occupé de mesures accessoires, de mesures temporaires et qui n'apportaient au mal qu'un remède momentané, tandis qu'on ne s'est pas occupé de la question principale, de l'industrie linière ou qu'on s'en est très peu occupé.
« Tout ce qu'on a fait a été fait dans les intentions les plus louables et a amené une amélioration momentanée; mais rien n'a été fait pour ramener l'industrie linière à son ancienne prospérité. »
Ainsi, messieurs, l'honorable membre est d'avis que le gouvernement a pris les mesures qu'il ne fallait pas prendre.
M. Dumortier. - Nullement.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Si vous le niez, je suis obligé de relire mes paroles. (Après cette lecture M. le ministre reprend :)
Eh bien ! messieurs, je crois que c'est là une erreur capitale. Je crois qu'il ne sera pas malaisé de démontrer non seulement que le gouvernement a pris des mesures convenables, mais encore que les remèdes promis par l'honorable membre sont de ceux qui ne conviennent nullement.
Le gouvernement aurait-il dû, comme M. Dumortier semble le croire, borner sa sollicitude à l'industrie linière? Loin de là, messieurs. Nous croyons au contraire, et la chambre croit sans doute avec nous, qu'une des principales causes de la détresse des Flandres consiste en ce que leur activité s'est presque exclusivement bornée jusqu'ici à un seul genre d'industrie ; et qu'il importe de lui donner un essor plus varié. C'est pour cette raison que le gouvernement s'est appliqué à introduire dans ces provinces un grand nombre d'industries nouvelles, et je pense qu'en cela il a très bien compris son devoir.
Ce sont des mesures accessoires, dit M. Dumortier, qui ne peuvent procurer qu'un soulagement momentané. Selon nous au contraire, messieurs, ce sont des mesures essentielles, et qui porteront les plus heureux fruits dans l'avenir. A cet égard je ne crains pas d'invoquer le témoignage de mes compatriotes.
M. Dumortier. - Ce sont des particuliers qui ont pris ces mesures.
M. le ministre des travaux publics. — L'honorable membre se trompe; à Roulers, dont il est le représentant, à Courtray, à Thielt et dans une foule d'autres localités des deux provinces, c'est au gouvernement que ces ateliers doivent leur existence.
Sans doute, en thèse générale, le gouvernement ne doit pas se faire entrepreneur d'industrie. Il doit abandonner l'activité industrielle à elle-même. Mais il y a des exceptions à cette règle. Une première exception, c'est lorsque l'entreprise est d'une telle importance que la puissance individuelle ne saurait y suffire : telle est la société d'exportation dont la chambre a paru assez disposée à reconnaître la nécessité. Une deuxième exception qui légitime l'intervention du gouvernement, c'est lorsque l'intérêt public commande de tenter des essais dans lesquels l'intérêt privé ne pourrait s'engager sans s'exposer à des chances de perte trop grandes.
Une troisième exception, c'est lorsque l'intervention du gouvernement sert en quelque sorte à développer l'éducation professionnelle. A mon sens, c'est là le principal avantage des ateliers créés par le gouvernement dans les Flandres. C'est par l'introduction de métiers nouveaux, de productions nouvelles qu'il travaille à améliorer la position de la classe ouvrière, en l'initiant A des industries, auxquelles elle était restée jusqu'à présent complètement étrangère.
Quelques-uns de ces ateliers ont déjà produit les plus heureux fruits. Dès à présent, il y en a quelques-uns qui n'ont plus besoin de secours, et dont les produits sont acclimatés dans le pays. N'en eût-on retiré que ce seul succès, il y aurait lieu de s'en applaudir.
(page 649) Est-il vrai, toutefois, comme M. Dumortier l'a prétendu, que le gouvernement n'a rien fait pour ramener l'industrie linière à son ancienne prospérité? Les nombreux actes dont le tableau a été déroulé à vos yeux suffisent pour démentir cette assertion ; mais ce qu'il est vrai de dire, c'est que le gouvernement n'a pas cru devoir recourir aux moyens que l'honorable membre a indiqués. Il n'a pas pensé, comme lui, qu'il faut maintenir l'ancienne industrie linière dans son état d'isolement, que si l'on songeait à la centraliser, au lieu d'améliorer la position des tisserands, on la diminuerait ; que ce serait une dégradation…
Si vous parvenez à introduire dans l'industrie linière l'organisation qui lui a fait défaut jusqu'à ce jour ; si vous procurez au tisserand le lin dont il a besoin ; si vous lui enseignez à varier sa fabrication d'après la qualité du lin qu'il emploie, d'après la demande des acheteurs ; si vous lui assurez un salaire déterminé, en vivra-t-il moins de la vie de famille, de cette vie morale que vous avez avec raison estimée si haut? En sera-t-il moins digne, moins libre qu'il ne l'est aujourd'hui?
Un second moyen qui a été préconisé par l'honorable M. Dumortier, c'est de multiplier les sociétés d'exportation, et d'en créer successivement dix au capital d'un million chacune, plutôt qu'une seule au capital de dix millions.
Cette idée, messieurs, ne me paraît pas plus heureuse que la première. Ce n'est que par l'unité d'action, par la puissance des capitaux que vous pouvez espérer d'établir des relations utiles dans toutes les parties du monde, de proportionner les expéditions des toiles aux besoins de chaque pays vers lesquels vous exporterez. Dix sociétés d'exportation au lieu d'une, trop faibles d'ailleurs pour se soutenir, se combattraient et se ruineraient infailliblement les unes les autres.
La troisième mesure indiquée par notre collègue, et dans l'emploi de laquelle il voit un moyen certain de conserver à l'ancienne industrie linière sa réputation à l'étranger, c'est l'estampille.
Le gouvernement a pensé que cette mesure ne doit point être adoptée, et le conseil provincial de la Flandre occidentale a partagé sa manière de voir.
En effet, en établissant l'estampille, on obtiendrait ce double résultat : le premier d'inspirer à l'ancienne industrie linière une aveugle confiance, qui l'empêcherait de suivre la loi du progrès ; le second de discréditer les produits de l'industrie nouvelle sur les marchés étrangers, sans compter que la contrefaçon ne tarderait pas à rendre la mesure complètement inefficace ou même destructive de la renommée de nos toiles qu'elle serait destinée à garantir.
En quatrième lieu, notre honorable collègue a recommandé au gouvernement, comme une mesure indispensable, de chercher le moyen d'arriver au numérotage de la toile, ou plutôt, je pense, au numérotage, au classement du fil,
M. Dumortier. - J'ai dit : le numérotage de la toile.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je ne sais ce que l'honorable membre entend par cette expression.
M. Dumortier. - Allez à Gand; on vous dira ce que c'est que des calicots 2,400.
- Plusieurs membres. - Nous ne savons pas ce qu'on veut dire par numérotage de la toile.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - J'entends autour de moi qu'on ne comprend pas mieux l'expression employée par M. Dumortier que moi-même. Je répète au surplus, que si M. Dumortier entend par là le numérotage, le classement des fils, c'est une mesure que le gouvernement n'a pas négligée; mais je suis loin d'y attacher une importance décisive.
Enfin notre honorable collègue a émis le vœu que le gouvernement établisse des moyens de crédits locaux, en faisant des avances aux tisserands par l'intermédiaire des communes, et qu'il accorde des primes d'exportation.
Je pense, messieurs, que la première de ces mesures serait éminemment dangereuse et que la seconde ne peut être appliquée que très passagèrement, et avec de grands ménagements. Je comprends que, dans des nécessités extrêmes, dans des moments de crise, le gouvernement déroge aux règles ordinaires de la prudence, et qu'il fasse des avances d'argent ou qu'il accorde des primes qui ne sont que des subsides déguisés, pour venir exceptionnellement en aide au travail. Mais comme mesures de salut, comme secours permanents en faveur d'une industrie, je n'hésite pas à dire qu'on doit y renoncer.
Fonder le crédit agricole, c'est là une mesure qui est dans le vœu de tous; et je désire que mon honorable collègue des finances trouve, dans ce débat même, l'occasion de vous développer les idées qu'il a mûries depuis longtemps, pour arriver à la réalisation de ce but et pour féconder ainsi, par des sources nouvelles, l'agriculture, le commerce et l'industrie ; mais il fallait avant toutes choses réformer le régime hypothécaire ; et vous savez, messieurs, qu'un projet de loi vous est soumis à cet effet.
Messieurs, en passant en revue les divers remèdes que l'honorable M. Dumortier a proposés pour soulager l'industrie linière, j'ai eu en vue de démontrer qu'il ‘:en est pas un seul qui n'ait déjà été appliqué, ou dont l'application puisse être regardée comme prudente ou utile. Sans doute, malgré les efforts que le gouvernement a tentés jusqu'ici, les Flandres n'ont pas cessé d'être en proie aux maladies et à la misère; mais je ne crains pas de me tromper en disant que leur situation est améliorée.
Dans le district même de Roulers, que l'honorable préopinant représente, de même que dans le district de Courtray et dans plusieurs autres localités des deux provinces, des industries nouvelles ont pris de rapides développements, Les populations flamandes semblent renaître à la vie ; partout les efforts individuels et l'infatigable charité du clergé secondent l'action du gouvernement. Gardons-nous, messieurs, par des cris incessants de détresse, de réprimer cet élan ; mais efforçons-nous, au contraire, de le soutenir et de le stimuler; et nous aurons bien mérité du pays.
M. David. - Messieurs, je ne viens pas faire de discours; vous le savez, je n'y entends rien ; j'accomplis consciencieusement un devoir en cherchant un soulagement aux souffrances des Flandres. Je serai très court et je ne m'occuperai que de la question linière.
J'ai suivi, messieurs, les différents discours qui ont été prononcés, avec une attention soutenue. Je ne rentrerai pas dans les théories, je me bornerai à soumettre à la chambre deux idées, l'une puisée dans mon expérience en industrie drapière ; l'autre dans une pétition que vous avez renvoyée à la commission d'industrie et sur laquelle je suis chargé de vous présenter un rapport.
Messieurs, les souffrances des Flandres ne sont que trop réelles; mais que ces belles provinces ne se découragent point, qu'elles aient confiance dans les efforts du gouvernement et du pays, surtout qu'elles aient foi dans leur propre force et elles seront bien près de la résurrection ; qu'elles jettent un regard en arrière sur la marche, le développement et le progrès de Verviers, leur sœur en industrie. Elles verront que, naguère encore, Verviers se servait de la filature à la main, que Verviers a été menacé à maintes reprises d'un bouleversement, d'un anéantissement complet, à chaque révolution manufacturière, et notamment lors de l'invention de la filature mécanique, des tondeuses, des fouleries, des laineries. Verviers eût nécessairement péri s'il avait désespéré de lui, il eût succombé dans la lutte contre les Anglais et les autres nations, ses formidables rivaux ; mais au lieu de perdre courage il est hardiment entré dans la voie du progrès et Verviers a triomphé.
Qu'il me soit permis, messieurs, de faire une courte digression avant d'entrer au fond de la question. Les honorables MM. Dechamps et Dedecker ont accusé les Belges, en général, d'apathie, d'inertie commerciale. Je viens ici, au nom de Verviers et de Liège, protester contre cette incrimination. A Verviers, messieurs, nos parents, nos amis, nos concurrents ont visité et visitent les principaux points du globe où peuvent se vendre nos produits ; à Liège, il en est de même. Aujourd'hui encore une quantité de nos concitoyens se trouvent à l'étranger et y font les affaires de leurs compatriotes. Aussitôt qu'il paraît un échantillon nouveau, soit, en Angleterre, soit en France, nos fabricants de Verviers courent pour aller le voir, le copier, l'imiter à leur tour. S'agit-il d'une machine nouvelle, les constructeurs et fabricants vont sur les lieux, prennent des dessins, des modèles et dotent leur pays d'un nouveau moyen de production. Nous avons des industriels qui n'ont pas reculé devant la dépense, la gêne et, je dirai, les dangers mêmes d'aller s'engager comme simples ouvriers dans des fabriques où ils pouvaient apprendre quelque-chose; ils ont réussi chaque fais à enrichir le pays d'une industrie nouvelle et lucrative.
J'aborde maintenant, messieurs, le fond de la question.
Nous avons à Verviers trois catégories de fabrications. La première possède des ateliers assez complets pour tout faire. Chez eux la laine entre brute dans leurs usines et le drap en sort parfaitement achevé. La deuxième catégorie ne travaille qu'à demi-façon, c'est-à-dire qu'elle n'opère qu'une partie de la manipulation, et les établissements à façon pour le public sont chargés du reste des apprêts pour lesquels le fabricant ne possède pas les ustensiles nécessaires. La troisième catégorie se compose d'individus qui n'ont aucune espèce d'établissement, qui n'ont, que quelques lames comme ustensiles; leurs capitaux sont assez restreints. C'est de cette catégorie que je veux entretenir la chambre, parce que son industrie me paraît assez semblable à celle des Flandres.
Les ateliers qui travaillent à la façon pour le public, sont des établissements de filature, de foulage, de tonderies, de laineries et de presseries. Un ouvrier qui économise 600 ou 700 fr. devient fabricant ; il porte la laine brute chez le filateur, qui lui rend des écheveaux aussi parfaitement filés que ceux que peuvent produire les ateliers les mieux montés de nos premiers fabricants. Au bout de six mois ce petit industriel paye son compte à son filateur, à son foulon, etc., mais pendant ces six mois son capital a fait trois ou quatre fois le tour et chaque fois il a réalisé un bénéfice minime, à la vérité, mais qui, réitéré de la suite, permet souvent à ces petits manufacturiers d'atteindre assez promptement au rang de fabricant de la seconde catégorie.
D'après tout ce que je puis déduire des différents discours prononcés dans cette discussion, je pense que c'est principalement la filature perfectionnée qui manque aux Flandres.
Ne serait-il pas possible d'avoir des établissements filant pour le public? Le cultivateur qui aurait récolté 100 ou 200 kilog. de lin, par exemple, pourrait le faire filer dans un de ces établissements, qui lui rendraient un fil de lin parfait et capable de produire une bonne et belle toile.
Ces filatures seraient à même d'apporter toute espèce de perfectionnements dans leur outillage; elles concourraient jusqu'à un certain point à l'exportation de la toile à l'étranger ; elles pourraient donner des conseils aux cultivateurs et aux tisserands qui viendraient réclamer leur intervention pour la filature.
Pour les établir, je ne pense pas qu'il faille de grands capitaux. Le patriotisme des Flandres pourrait y subvenir immédiatement. Il ne faudrait pour ainsi dire aucun capital aux tisserands; les fermiers, les cultivateurs qui, au bout de six mois, par exemple, ne pourraient pas payer en argent le prix de la façon de la filature, s'acquitteraient au moyen de l'une des pièces de toile qu'ils auraient tissées.
(page 650) Cependant si, malgré les avantages pécuniaires qui doivent résulter de la création de semblables établissements pour leurs fondateurs, les capitaux particuliers restaient sourds à cet appel, le gouvernement ne pourrait-il pas garantir un minimum de 4 p. c. d'intérêt aux personnes qui seraient disposées à faire des essais dans ce genre-là? Toutes les filatures de lin en France font d'énormes bénéfices, et je ne pense pas que le gouvernement fût jamais appelé à bonifier ce minimum d'intérêt.
Maintenant, messieurs, j'arriverai à la seconde idée que j'ai puisée dans les pétitions qui ont été renvoyées à la commission d'industrie.
Il y a d'abord 49 pétitionnaires des Flandres qui se plaignent que certains objets, indispensables à leur industrie, soient frappés d'un droit énorme à leur entrée dans le pays. Ce sont ensuite des blanchisseurs qui s'adressent à vous, et qui prétendent (ce qui a déjà été vérifié) que le sel de soude, par exemple, qui est un alcali indispensable au blanchiment des toiles, paye un droit d'entrée de 20 p. c.
Il y a donc bien des moyens de venir sous ce rapport au secours des Flandres. La révision du tarif des douanes, pour ce qui concerne les matières premières, serait un moyen immédiatement applicable. J'engage donc le gouvernement à procéder le plus tôt possible à la révision du tarif des douanes sur toutes les matières premières nécessaires à nos diverses industries.
M. de Brouwer de Hogendorp. - J'arrive bien tard dans ce débat ; mais j'espère que vous voudrez bien me prêter encore pour quelques instants votre attention par le même motif qui m'a engagé à braver l'émotion de la tribune. Il m'a semblé que la question qui depuis quatre jours se traite devant vous est le problème le plus difficile, le plus compliqué de tous ceux que les chambres auront à résoudre, et que chacun de nous a le devoir d'apporter à sa solution le concours loyal et énergique de toutes ses facultés.
Oui, messieurs, la question doit être épuisée. On a dit à cette tribune que le gouvernement n'a pas rempli son devoir envers les Flandres, qu'il n'a pas guéri les maux qu'il était en son pouvoir de guérir. Un pareil langage est dangereux : il ne faut pas que les masses croient qu'il y a quelque part un remède à leurs souffrances et que les hommes qui siègent au banc ministériel se plaisent à refuser de le leur appliquer.
Il y a là un grand danger dans des temps comme ceux-ci où tant de passions s'attaquent à l'existence de l'ordre social ; il ne faut pas que l'on vienne par un langage irréfléchi prêter la main à ces passions.
La question doit être vidée : si l'on connaît un remède pour guérir immédiatement les maux qui désolent les Flandres qu'on l'indique, qu'on l'apporte à cette tribune; nous l'accepterons avec joie, car nous aussi nous sommes émus du sort d'une partie de nos concitoyens, et nous nous sommes fait le devoir de travailler à son amélioration. Mais jusqu'ici vous vous êtes bornés à accuser; vous n'en avez pas indiqué de remède pratique. Je suis donc forcé de croire que vous n'en connaissez point.
Messieurs, quant à moi, je crois que le gouvernement a fait pour les Flandres tout ce qu'il était possible de faire, et si je me permettais un reproche, ce serait alors non point de ne pas avoir fait assez, mais d'avoir trop étendu les limites de ses devoirs.
Le gouvernement a trop compté sur la puissance de son action ; il a cru qu'il pouvait par des mesures administratives, non seulement relever le moral des populations, mais exercer sur leur bien-être un effet immédiat ; il a cru qu'il avait en lui le principe générateur du travail et de l'industrie, que l'Etat est une espèce de providence légale chargée de veiller à ce que tous les bras désœuvrés aient de l'occupation, et il a pensé qu'il était capable de remplir cette mission.
C'est cette trop grande confiance dans sa puissance pour guérir les maux des populations flamandes que, pour ma part, je reproche au gouvernement.
Je lui reproche de ne pas s'être assez effacé, d'avoir trop agrandi son rôle, et ce reproche , je ne le lui fais pas seulement à propos de la question des Flandres; je le lui fais sur plusieurs autres points : la main du gouvernement se fait trop sentir en Belgique. On habitue trop les individus à compter sur l'appui de la force publique. Il y a là un mal réel, j'oserais dire presque un danger pour la société.
Vous le voyez, messieurs, je n'hésite pas à me proclamer le partisan de la formule de Quesnay : Laissez faire, laissez passer, malgré la critique amère qu'en a faite, il y a quelque temps, un orateur qui, dans la discussion précédente, est venu prêcher sagement l'abstention de l'Etat dans une foule de choses que les particuliers font beaucoup mieux que lui sous l'aiguillon de l'intérêt privé et de la libre concurrence.
Je regrette vivement que l’honorable M. Coomans n'ait fait qu'une demi-conversion et que, par un défaut de logique inconcevable, il soit venu réclamer pour le gouvernement ce qui, d'après moi, sort le plus de ses attributions, la dictature de l'industrie et des échanges, c'est-à-dire le pouvoir de faire ce qu'il fait le plus mal. Oui, je crois que chez un peuple libre les attributions du gouvernement doivent être très limitées ; je crois que, sous ce régime de vraie liberté, le gouvernement ne doit pas intervenir dans les moyens d'occupation et de subsistance du peuple.
L'intervention du gouvernement dans de pareilles matières ne produit généralement aucun bien et fait presque toujours le plus grand mal. Un peuple tombé dans l'indigence ne peut s'en relever que par sa propre énergie; c'est la confiance en soi-même qui fait vaincre les obstacles. Or, l'action du gouvernement a pour effet infaillible de paralyser les efforts individuels; elle provoque l'abandon des ressources utiles auxquelles, laissée à elle-même la population se rattacherait ; elle éteint le souci du lendemain, ce sentiment si utile, si fécond ; elle engendre des vices de toutes espèces et finit par plonger ses populations dans la démoralisation la plus profonde.
Est-ce à dire, messieurs, que je repousse l'intervention du gouvernement d'une manière absolue? que je voudrais que la législature abandonnât les Flandres à leur propre sort? Non, il faudrait être bien barbare et bien cruel pour ne pas vouloir que des soulagements soient portés à des souffrances réelles. J'accepte l'intervention du gouvernement dans de certaines bornes et dans des circonstances bien définies.
Ces circonstances existent-elles ? Oui, messieurs, le mal qui ronge les Flandres a jeté de trop profondes racines, les populations y sont réduites à une extrémité trop cruelle pour qu'on puisse se dispenser d'employer des mesures d'assistance sociale. Les Flandres ont trop souffert pour qu'on puisse espérer qu'elles se relèvent par leur seule énergie sans que l'Etat vienne leur prêter une main secourable. Pour triompher du paupérisme flamand, l'intervention directe du gouvernement est nécessaire. Je vous dirai tout à l'heure dans quelles limites je crois que cette action doit se faire sentir.
J'ai entendu, dans les séances précédentes, faire l'apologie des mesures que les différents ministères qui se sont succédé ont prises dès l'origine, pour combattre l'invasion du paupérisme. J'ai entendu glorifier les actes des comités industriels et même ceux de l'association pour l'encouragement de l'industrie linière. Je ne puis m'associer d'aucune façon à ces éloges.
L'association pour l'encouragement de l'industrie linière porte dans cette question une grande responsabilité. Il y a de grands reproches à lui faire.
Reportez-vous, messieurs, au temps où les effets de la révolution mécanique subie par la filature du lin commençaient à se faire sentir avec violence; c'était en 1839; plusieurs débouchés pour nos toiles se fermaient entièrement, et le marché français, qui était notre principal débouché, perdait de son importance; nos produits y étaient supplantés par les produits de la Grande-Bretagne : de 524 kilogr. en 1829, l'importation du fil anglais en France s'éleva en 1839 à plus de 6 millions 100 mille kilogrammes, et celle de toiles, qui, quatre ans auparavant, était nulle, dépassa, en 1839, un million de kilogrammes. Qu'est-ce que la prudence la plus ordinaire commandait de faire en présence de ces faits? Celait d'accepter les conséquences de la révolution, de se mettre en mesure d'en tirer parti, de conserver le travail du tisserand et d'entrer pour le tissage, en ménageant la transition, dans la voie nouvelle.
Que fit-on au contraire? On s'aveugla, on entretint les préjugés des tisserands, on déprécia le fil mécanique; la filature mécanique n'était, disait-on, qu'un engouement dont on ne tarderait guère de voir l'exagération; engouement étrange, qui, à cette époque, avait déjà mis en mouvement dans le royaume uni 392 filatures. Le fil mécanique était mauvais, disait-on, cotonneux, point durable, bon tout au plus pour la trame et ne prenant point la teinture. Voilà les erreurs que répandit l'association pour l'encouragement de l'industrie linière. Voilà comment elle a entretenu de fausses espérances, voilà comment elle a fait que le travailleur n'a plus trouvé de salaire, mais une aumône qui dégrade et démoralise ; voilà comment le paupérisme est né.
Messieurs, je donne la part principale de la responsabilité dans la situation malheureuse des Flandres à l'association pour favoriser l'industrie linière, mais cependant elle n'est pas seule coupable: gouvernement, chambre, particuliers, gouvernement surtout ont une part de responsabilité à porter.
Si le gouvernement, je ne parle pas du ministère actuel, ni des actes du ministère précédent dans les dernières années, avait eu une meilleure intelligence de ses devoirs, s'il avait mieux compris les limites de ses attributions, nous n'aurions pas de si grands malheurs à déplorer.
Voyons quels sont les reproches que nous avons à lui faire : nos griefs se formulent en ce peu de mots : le gouvernement a eu tort de croire à la possibilité du maintien de la filature à la main, et le tort plus grand de vouloir la maintenir par des moyens artificiels.
J'ai été surpris d'entendre des membres qui ont longtemps occupé le pouvoir vanter comme intelligentes et fructueuses les mesures prises par les divers ministères depuis 1834 pour protéger l'industrie linière. Il me semblait qu'il n'y avait point d'exemple plus frappant que les conséquences finales de toutes ces mesures, que leur insuccès complet, pour démontrer combien il est dangereux pour un gouvernement d'intervenir dans le commerce, l'industrie, le travail d'un peuple, quelque plausibles ou spécieuses que puissent être les raisons de cette intervention.
Il faut rendre cette justice au gouvernement et aux chambres, ils n'ont reculé devant aucune mesure protectionniste en faveur de l'industrie linière; quelques tissus de lin spéciaux arrivaient d'Allemagne; la loi du 31 juillet 1834 a été faite pour les repousser; nos fabriques de fil à coudre employaient quelques fils mécaniques anglais, un arrêté royal du 26 juillet 1841 leur a appliqué le tarif prohibitif français.
Les fabricants d'étoffes à pantalon employaient des fils de lin dans leurs mélanges, la loi du 25 février 1842 a frappé ces tissus d'exclusion; la convention avec la France a doublé le droit sur ces toiles et imposé au trésor un sacrifice d'un million sur l'accise des vins. Eh bien, à quoi toutes ces mesures, cet impôt levé sur le corps social, cet achat d'un marché privilégié ont-ils servi ?
A quoi a servi l'enquête linière, dont le mandat portait essentiellement sur la question de savoir s'il ne convenait pas de frapper le lin d'un droit à la sortie ? A quoi ont servi la formation des comités industriels et l'établissement de magasins de prévoyance, les sommes portées au (page 651) budget pour être distribuées eu secours ? A maintenir parmi les populations des illusions funestes, à les faire persévérer dans des conditions de concurrence impossibles, à tuer enfin l’industrie linière.
Non, messieurs, il n'y a pas d'exemple plus frappant que celui-là des effets inutiles et nuisibles du système protectionniste. Il n'y a pas d'exemple qui prouve mieux que celui-là combien ce système est inefficace pour soutenir une grande industrie dont les produits sont destinés, pour une grande partie, à trouver un débouché à l'étranger. Je comprends que l'on puisse vouloir de la protection pour une industrie à laquelle le marché intérieur suffit, parce que, pour une pareille industrie, des droits protecteurs peuvent atteindre le but qu'on se propose, c'est-à-dire un renchérissement de ses produits ; mais pour une grande industrie qui exporte, quels que soient les droits protecteurs qu'on lui accorde, la protection reste illusoire, même pour la partie de ses produits qu'elle vend sur le marché intérieur.
Il n'y a pas d'exemple qui prouve mieux, que ce qui s'est passé sous nos yeux, à propos de l'industrie linière, comment le système protectionniste conduit fatalement à l'avilissement du salaire et à la misère des travailleurs.
Le gouvernement était de bonne foi quand il prenait ces mesures, je n'élève aucun doute à cet égard ; il croyait travailler au bien-être des populations, il faisait preuve de sollicitude en faveur des classes ouvrières; mais sa sollicitude n'était pas intelligente, elle était aveugle.
J'arrive à l'appréciation des moyens employés par le cabinet actuel.
Si la situation était encore aujourd'hui ce qu'elle était il y a dix ans, si le ressort moral n'était pas si complètement brisé dans les Flandres, je dirais au gouvernement: Abstenez-vous, laissez les populations se guider par leurs propres efforts, et vous, ne faites que ce qui rentre strictement dans vos attributions; souvenez-vous de ce qu'un grand ministre de la Grande-Bretagne disait il y a peu de temps : « Ce qui n'est pas possible pour un gouvernement, les efforts individuels peuvent l'accomplir. »
Oui, si le mal n'avait pas jeté de si profondes racines, si le paupérisme n'était pas passé à l'état de maladie endémique, je ne désespérerais pas de voir les Flandres se sauver par elles-mêmes. Le peuple flamand n'a pas moins d'intelligence, de force physique, de patience que d'autres populations qui sont sorties de crises non moins cruelles que la crise qu'a subie l'industrie linière, et qui en sont sorties par les efforts de leur énergie, par la confiance en elles-mêmes.
Voyez, messieurs, par quelles crises ont passé nos travailleurs de Verviers à l'époque de la transformation de l'industrie de la laine ! Voyez celles qui ont désolé en Angleterre une partie du Lancashire et du Yorkshire, et voyez l'état de bien-être auquel ces populations sont parvenues à s'élever par leur propre courage et sans l'assistance des gouvernements.
Malheureusement les Flandres sont tombées trop bas, leur découragement, leur apathie sont trop grands, pour que nous espérions de les voir sortir de l'abîme par leurs propres efforts.
Mais quel doit être le mode de l'intervention de l'Etat dans cette terrible occurrence? La question présente une difficulté si extrême que des hommes d'Etat éminents ont reculé devant sa solution. L'Angleterre, après avoir dépensé des centaines de millions pour guérir le paupérisme de l'Irlande, a reconnu l'impuissance de la plupart des moyens qu'elle avait employés. Il est bon de faire connaître ici quelle a été la nature des mesures décrétées par le parlement britannique dans cette circonstance ; il est bon de les faire connaître, car elles donnent la preuve que ce n'est pas en employant des ressources énormes pour l'application des moyens matériels, qu'on parvient à guérir des maux qui sont surtout d'une nature morale.
Les mesures décrétées par le gouvernement anglais étaient les suivantes : la famine se joignant en 1846 au paupérisme, qui depuis longtemps affligeait l'Irlande, il fit faire des distributions d'aliments et ordonna en même temps l'exécution de travaux publics sur une échelle énorme. La population entière afflua vers ces travaux et négligea complètement ses ressources ordinaires. Il fallut donc avoir recours à un autre système. En 1847, de nouvelles mesures furent sanctionnées par le parlement : au lieu du système des travaux publics, on adopta celui de fournir à la population une occupation agricole : on vota une somme d'un million de livres sterling pour le rachat de terrains en friche, on ordonna des travaux d'assèchement, on fit une avance de fonds aux propriétaires pour les aider à améliorer leurs domaines, ou distribuer des graines aux cultivateurs pour l'ensemencement de leurs terres; on vota des subsides considérables pour pousser au développement de la pêche; on organisa des comités de secours pour ceux qui ne pourraient point trouver une occupation productive.
Toutes ces mesures avaient été décrétées sur l'échelle la plus vaste et avec une magnificence digne d'une grande nation. Eh bien, messieurs, toutes sont restées sans effet; je me trompe, elles ont détruit le reste de moralité qu'il y avait encore dans le cœur des malheureuses populations d'Irlande ; l'indolence, l'oisiveté et tous les vices qui en sont les conséquences, voilà quels ont été les résultats de cet essai tenté par le ministère anglais.
En présence de pareils faits, messieurs, gardons-nous de blâmer le ministère de ne pas encore avoir transformé les Flandres; soyons justes et disons qu'il a mieux réussi qu'il n'aurait été possible de l'espérer.
Il y a des symptômes d'amélioration dans les Flandres, nous avons entendu à cet égard des témoignages irrécusables. Ces symptômes, je les attribue surtout aux remèdes moraux que le gouvernement a employés.
C'est l'épidémie morale qui est la plus funeste ; aussi longtemps qu'elle régnera, l'amélioration matérielle est impossible. C'est donc de ce côté que doivent tendre tous les efforts de l'Etat. Le gouvernement a bien fait de s'arrêter dans le système des secours, de remplacer l'aumône par le salaire, en suscitant par des travaux extraordinaires, dans des limites qui n'étaient pas trop étendues, des occupations productives. Le gouvernement a bien fait d'établir des ateliers d'apprentissage, de distribuer des outils perfectionnés ; il fera bien de répandre l'instruction sous toutes ses formes; c'est à préparer une génération plus morale, plus intelligente, plus forte que doit tendre toute son activité, et il ne peut mettre assez d'énergie à accomplir cette œuvre.
Mais quant aux moyens matériels à employer, le gouvernement ne saurait être assez réservé. L'insuccès complet du cabinet anglais, insuccès dont je viens de parler, doit lui servir de leçon, et, sous ce point de vue, je suis presque heureux que les événements de février soient venus l'arrêter dans ses projets de faire exécuter des travaux publics sur une trop vaste échelle. Quelques travaux publics, c'était utile ; mais point ce vaste ensemble qu'on s'était proposé, et qui était, comme l'a dit l'honorable M. d'Elhoungne, la base du projet du gouvernement. Des travaux publics, plutôt comme moyen moral que comme moyen matériel.
Je ne repousse point les moyens matériels ; mais, je le répète, elles ne doivent être employées par le gouvernement que dans des mesures très restreintes et avec une prudence extrême ; car sur cette voie il est bien facile pour un gouvernement de s'égarer. Qu'il se garde surtout de pousser imprudemment à l'introduction d'industries nouvelles. Que l'on acclimate dans les Flandres de nouvelles branches de travail, rien de mieux ; mais que l'on s'assure, avant tout, si ces branches peuvent pousser des racines vigoureuses sans avoir besoin d'être placées à l'ombre de la protection, car elles deviendraient bientôt une nouvelle source d'embarras.
Un mot encore, messieurs, et je termine; un mot sur un moyen qui a été prôné comme une sorte d'infaillible panacée. Je parle du défrichement des terres incultes. Que le cabinet se garde de pousser à l'exploitation de terrain qui ne rendraient point les frais de culture et les fruits du capital qui y sera enfoui. Encourager les capitaux et le travail à se jeter dans un sol dont les produits ne rendraient point les bénéfices ordinaires, ce serait gaspiller les forces du pays.
Oui, il est possible de mettre en culture le sol le plus stérile et de rendre productif le capital qui y aura été jeté ; mais cela ne peut se faire qu'en opérant sur le prix des produits agricoles par des lois de protection ou de prohibitions. Sous l'empire de l'ancienne législation anglaise, qui assurait une protection de 50 schellings par quarter à l'intérêt agricole, on a vu mettre en culture des terres de qualités inférieures et rendre, dans les années où la récolte ne suffisait pas à la consommation, profit au capital et rémunération au travail. Il n'en était pas de même dans les années d'abondance; il y avait alors d'effroyables crises agricoles. Dans les temps de déficit cependant, le prix élevé des grains laissait un bénéfice suffisant à l'exploitation de ces mauvaises terres. Il est vrai que pour qu'il en fût ainsi le prix du pain devait être excessif; mais messieurs les protectionnistes étaient satisfaits ; ils disaient comme un honorable membre, dans la dernière séance, qu'il ne faut pas exporter ses capitaux pour aller chercher ailleurs des produits que l'on peut créer sur son propre sol.
Quant à moi je trouve et vous trouverez probablement avec moi que nous ne devons pas à ce prix chercher à donner du travail à quelques bras. Ce serait payer trop cher leur emploi.
Je termine, messieurs. Que le gouvernement continue à faire largement usage, pour la guérison du paupérisme dans les Flandres, des moyens moraux ; qu'il soit sobre de moyens matériels, et la promesse que l'on reproche au cabinet d'avoir faite et de ne pas avoir tenue s'accomplira.
M. Toussaint. - Messieurs, je le dis sans feinte oratoire, je n'avais nullement l'intention de prendre part à cette discussion. Je voulais m'en abstenir au risque de voir mon silence mal interprété par mes commettants : car après l'exposé que M. le ministre de l'intérieur a fait, des mesures prises par le gouvernement dans les Flandres et de celles qu'il se propose de prendre, je croyais qu'il ne me restait rien de nécessaire à dire.
Mais, messieurs, dans le cours de la discussion, les faits relatifs à la Flandre ont été profondément altérés, et d'autre part j'ai entendu développer des principes que je dois combattre. Je veux parler de cette doctrine du laissez faire laissez passer, que vient encore de développer l'honorable préopinant. J'ai cru devoir appeler l'attention de la chambre sur cette doctrine, après qu'elle avait eu pour interprète un orateur au langage vif et acéré qui siège à un banc un peu éloigné du mien et un autre orateur au langage tout militaire portant épaulettes et sabre au côté, qui se trouve plus près de moi.
Messieurs, je dois commencer par remercier le gouvernement de ce qu'il a fait pour mon pays, mais en même temps je dois prendre acte des promesses qu'il a faites, c'est-à-dire, de ce qu'il a promis de continuer de faire. J'en prends acte pour m'en prévaloir contre les tentatives faites par ces mêmes organes du laissez faire laissez passer pour empêcher que le gouvernement persiste dans la voie féconde où il est entré. Les honorables MM. de Brouckere et d'Elhoungne, que j'ai désignés tout à l'heure sans les nommer, ont dit, en approuvant les mesures prises par le gouvernement, qu'ils admiraient le cabinet d'être entré dans de si nombreux détails, d'avoir appliqué tant de sollicitude à la recherche de (page 652) les menus moyens propres à soulager les Flandres, mais dans la profondeur de leur conviction, il leur a été impossible de l'approuver complètement et de ne pas lui faire sentir qu'en réalité il aurait mieux fait de s'abstenir.
Les idées que ces messieurs ont émises sur la population me confirment dans ma pensée. Ainsi, d'après l'honorable M. de Brouckere, la population des deux Flandres est excessive, et en tant qu'excessive elle constitue un mal ; et pourtant, messieurs, l'honorable député de Bruxelles ne veut pas qu'on fasse rien pour guérir ce mal. Le gouvernement ne peut intervenir dans la question flamande même par la voie des ateliers; et l’autre jour, lorsque je suis venu, devant vous, faire rapport sur une pétition de pauvres Flamands qui demandaient à être transportés sur n'importe quel point du littoral américain, il s'est levé contre le renvoi de .cette pétition au gouvernement que demandait la commission, pour éclairer l'administration dans l’examen de la question de l'émigration. L'honorable membre a voté pour l'ordre du jour proposé par un autre député de Bruxelles, M. Cans, dans le but de faire cesser les demandes de l'espèce.
Quant à la population future, l'honorable M. de Brouckere vous a dit qu'elle devait être calculée, en quelque sorte, sur la demande et que la physiologie devait y pourvoir. Ici je voile à dessein d'obscurité la pensée précise de mon honorable collègue.
D’autre part, M. le comte de Mérode a établi également qu'il faut aider à la fois par les lois et les mœurs à ce que la population ne se multiplie pas trop sur notre étroit territoire.
L'honorable M. de Brouckere n'avait nommé que la physiologie et la volonté de l'homme; l'honorable M. de Mérode a nommé les monastères. En effet, messieurs, il n'y a pas de milieu; vous devez choisir, entre les vices de l'Orient et les macérations du cloître, si vous renoncez à l'intervention bienfaisante du gouvernement, pour éclairer les populations, d’une part et d'autre part pour faciliter leur transplantation. Il est évident que la population de la Flandre est excessive en présence de l'état de son industrie ; il est évident que cette population doit en partie se déplacer, mais il est évident aussi que cette population est parfaitement impuissante à se déplacer si on ne veut pas l'y aider.
Eh bien, messieurs, dire qu'il ne faut intervenir ni pour l'éducation industrielle de la population, ni pour le développement de son travail, ni pour aider les communes à supporter le poids incroyable des dépenses de la charité publique ; dire ensuite qu'il ne faut rien faire pour permettre à cette population d'émigrer, c'est la condamner froidement, sèchement à la mort. Quant à moi, jamais je ne donnerai les mains à une politique qui mène à de tels résultats.
Cette politique, messieurs, n'est point nouvelle. Depuis longtemps la doctrine du laissez faire laissez passer se rattache à cette économie politique qui décrit parfaitement les faits, qui explique très bien la manière dont se créent les richesses, mais qui n'apprend rien à l'homme d'Etat sur ses devoirs ; ce n'est point là, messieurs, la science du gouvernement. C'est une science orgueilleuse et vaine; elle n'est bonne, elle s'est exacte, elle n'est utile que pour l'explication des faits matériels. (Interruption.)
Messieurs, vous avez voté et peut-être avez-vous bien fait, à cause des circonstances extraordinaires dans lesquelles nous nous trouvons, vous avez voté une prime d'exportation de 10 p. c. sur les cotons de la ville de Garni et sur les toiles de la Flandre.
Quant aux toiles, je dirai volontiers que cela ne nous a guère servi: mais en ce qui concerne la ville de Gand, cette ville toujours murmurante, qui est comme une mer en courroux, prête à vous engloutir, mais très habile à exploiter ce courroux même, pour la ville de Gand vous ne pouviez guère vous dispenser de prendre cette mesure. Eh bien, si vous avez cru pouvoir imposer un notable sacrifice au trésor pour faciliter l'exportation de quelques paquets de coton, vous devriez bien avoir assez de charité pour l'homme, votre semblable, ne fût-ce que pendant quelque temps, pour créer et établir deux ou trois centres d'émigration dans l'Amérique du nord et du midi, où la population excessive puisse se transporter, sous l'œil et avec l'intervention sage, modérée du gouvernement. (Interruption.)
Messieurs, la doctrine que ces honorables membres ont professée sur la population, est logique dans leur pensée ; elle est conforme à leur système de non-intervention absolue du gouvernement dans les faits sociaux et industriels: mais les nations ne se guident point par cette doctrine : Toutes les nations civilisées se mettent plus ou moins sous la protection des douanes et d'autres règles législatives qu'elles créent ; il n'y a, en réalité, que les sauvages chez lesquels il n'y a pas de protection législative pour les intérêts et les choses de la communauté; on l'a dit dans un3e autre discussion et je crois qu'on peut le dire encore ici.
M. Lesoinne. - Et la Suisse.
M. Toussaint. - La Constitution fédérale et la configuration du sol rendent la protection douanière impossible en Suisse. Je poursuis et je dis que, chez toutes les nations civilisées, l'Etat intervient d'une manière ou d'une autre dans la production des richesses. Il y a chez chacune d'elles des différences qui résultent des traditions, des antécédents, et des ressources que le territoire recèle; il y a des différences, quant aux chances inégales de succès résultant de ces traditions, de ces faits, des ressources qui vous entourent, et chaque nation, pour peu qu'elle soit prévoyante, tient compte de tout cela.
C'est ainsi que depuis 1830, ainsi que l'honorable comte de Theux en a fait en très bons termes la très convenable énumération, la Belgique a voté successivement des lois pour protéger son industrie, placée tout à coup dans des conditions complètement nouvelles et qui la mettaient en face de l'inconnu. Séparée de la Hollande, en inimitié avec une partie de l'Europe, la Belgique devait prendre certaines précautions et je crois que nous avons recueilli le fruit des mesures que nous avons prises. Sous l'empire de ces lois, notre industrie s'est perfectionnée et, grâce à elles, le moment viendra, j'espère, bientôt, où nous pourrons accepter plus complètement la lutte industrielle avec les pays étrangers. Je suis bien près sur ce point de donner la main à mon honorable ami Lesoinne.
Je dis que la Belgique, comme les autres nations, a tenu compte des faits, en portant des lois protectrices de son industrie.
Sous cette inspiration, la Belgique a accordé à notre noble métropole flamande une protection très sérieuse et encore pleinement debout pour ses cotons; une prime d'exportation de 10 p., sur la valeur de tous les cotons exportés hors d'Europe ; et de plus, l'Etat paye au fabricant gantois une prime de 10 p. c. sur la valeur de tout l'outillage nouveau qu'il consent à introduire dans ses fabriques et dont la propriété lui reste.
C'est très bien ; mais que la ville de Gand oubliant, abandonnant son rôle de généreuse protectrice pour les intérêts et les populations qui aimaient à se grouper sous son aile, que la ville de Gand ne dise donc pas qu'il ne faut pas que le gouvernement, alors même que le remboursement serait assuré, fasse aucune avance à ces communes de la Flandre centrale, dont les administrations, si courageuses, n'ont pas failli à l'accomplissement de leur pénible, de leur courageuse mission. Il y a quelques mois, dans le fort de la disette, certaines communes avaient dû elle-même créer des obligations, à concurrence de 50 à 60,000 fr. ; eh bien, les personnes qui sont à la tête des administrations, ont accepté la responsabilité de ce fait, fait né de la disette, de l'épidémie, d'une situation qu'il était impossible de déserter; ils ont accepté cette responsabilité, et je ne pense pas que le gouvernement doive leur refuser le moyen de vider la situation financière qui a été le résultat de ces douloureuses circonstances, si surtout le trésor de l'Etat peut et doit rester entièrement indemne.
Je crois que le gouvernement est moralement obligé, par le sentiment du devoir qu'il a comme gouvernement, d'aider ces communes.
Les défenseurs du laissez faire laissez passer ont semblé n'accorder qu'un bill d'indemnité au gouvernement pour les actes qu'il a posés ; pour ma part, je lui donne une approbation pleine et entière du chef de ces actes.
A force de vouloir, avec ces messieurs, que le gouvernement n'intervienne pas dans les faits sociaux, il faudrait dire que l'Etat ne devrait intervenir ni dans les travaux publics, ni dans l'enseignement des arts, ni dans les frais du culte, ni pour aucune des choses qui font la gloire de la civilisation. Le gouvernement de la société devrait volontairement renoncer à tirer du génie national les innombrables ressources qu'il recèle !...
Messieurs, on a critiqué l'existence des ateliers de tissage dans les Flandres. Mais ces ateliers ne sont que des écoles de travail. Vous encouragez des écoles de musique, des écoles de dessin, et vous faites bien ; vous enseignez à jouer de la clarinette comme on n'en joue nulle part, et vous vous refuseriez à encourager le travail qui doit donner du pain à des populations souffrantes ; vous enseignez à danser, à chanter, comme on doit chanter au théâtre, et vous trouveriez mauvais que le gouvernement, sachant que, dans une partie du pays, le travail n'est pas à la hauteur de ce qu'il est dans les pays voisins, que le gouvernement envoyât un contremaître dans ces localités, pour enseigner aux populations ce qu'elles ont à faire pour sortir de cet état d'infériorité.
Avec des idées aussi étroites les plus hautes questions gouvernementales se simplifient merveilleusement, car avec elle il n'y a plus de gouvernement.
Messieurs, ne gênez ni la liberté morale, ni la liberté industrielle ; mais ces deux libertés étant laissées entières, user avec mesure des forces précieuses que l'existence même du gouvernement a mises entre vos mains et le pays vous bénira. (Interruption.)
Je conviens, messieurs, que les gouvernements ne doivent pas s'immiscer directement dans l'exploitation industrielle proprement dite ; mais il n'est ni juste ni convenable, à mon avis, que le gouvernement national reste étranger à tout ce qui développe, encourage et favorise l'expansion du génie national. Je dis plus : je dis que l'intervention d'encouragement indirect, d'initiative et de progrès doit grandir en proportion de la réduction de l'intervention directe et de la protection extérieure. Je dis qu'à mesure que le pays acceptera davantage le libre commerce et la libre navigation, à mesure aussi il est du devoir du gouvernement de veiller avec plus de soin à aider le pays, à soutenir cette lutte, cette-guerre véritable.
On ne tient pas assez compte d'un fait : c'est que successivement la guerre réelle, la guerre à coups de canon disparaît, et que la guerre des canons est remplacée par la guerre industrielle.
Eh ! messieurs, cette guerre n'est point un vain mot. La guerre des industries est peut-être plus mortelle que la guerre des canons, et elle engendre de plus grandes souffrances. La mortalité particulière, exceptionnelle des pays tisseurs de l'Europe, la Flandre, l'Irlande et la Silésie, a probablement plus enlevé de monde depuis dix ans, que les guerres du monde entier pendant le même espace de temps.
(page 653) L'invasion de la misère en Irlande a certainement plus occasionné de souffrances que n'en produisit dans le temps l'invasion saxonne et normande en ce pays. Dans l'Inde anglaise, selon Edward Warren, les désastres industriels nés de la conquête sont encore plus grands et plus irréparables pour la race indoue que les désastres militaires. (Interruption.)
Si la guerre des industries est sérieuse de pays à pays, elle l'est bien plus encore relativement aux rapports des diverses classes de la société et à leur expansion sur l'étendue du territoire. Il est évident pour tous les hommes un peu clairvoyants que les progrès actuels de l'industrie se font surtout dans le sens de remplacer de plus en plus le travail de l'homme par le travail des machines, et de faire primer les petits capitaux par les grands. Dans l'ensemble, ce progrès tourne au bénéfice de la société entière, mais dans ses effets particuliers il tend à faire déserter les campagnes pour les villes, - danger pour la sécurité et la moralité publiques; il tend à augmenter le paupérisme, loin de le réduire, et de plus par la variabilité et les changements incessants auxquels l'industrie est désormais condamnée, les populations ainsi accumulées dans les villes y sont exposées à des changements instantanés et profonds dans les conditions de leur travail, par conséquent à tout instant menacées dans leur existence même. (Interruption.)
Or, par les communications aujourd'hui infiniment faciles sur terre et sur mer, et par la lumière qui se fait à toute heure et en tout lieu, la concurrence, la guerre industrielle qui se faisait autrefois sur un territoire circonscrit à raison de la difficulté et la lenteur des transports, la guerre se fait aujourd'hui entre les pays producteurs les plus éloignés les uns des autres, et est par eux portée aux extrémités du monde, du Kamtschatka au cap Horn, en Europe, en Asie, en Amérique et jusque sur le littoral africain.
On ne remarque pas assez que la supériorité d'un peuple consiste dans le travail, dans les sciences qui élèvent le travail et qui le rendent productif; et qu'en réalité un peuple qui, pendant deux générations, se serait, comme aptitude au travail, montré supérieur aux nations qui l'avoisinent, aurait nécessairement fait affluer chez lui les richesses de ses voisins et leur deviendrait supérieur. Si cela est ainsi sous la forme active, on subit le même résultat sous la forme passive, si l'on n'y prend garde.
Dans un pays à frontières étendues, entouré de barrières difficiles à surveiller, nous avons une lutte terrible à soutenir contre les pays qui nous entourent. Nous avons à soutenir cette lutte contre l'Angleterre, l'Angleterre si forte de ses capitaux, de l'énergie soutenue de cette race saxonne à laquelle aucune race humaine n'est à comparer; si forte de sa marine et de ses relations. Nous avons à lutter contre l'Allemagne, si forte de l'esprit de modération de ses habitants, de la faible consommation à laquelle se résigne sa population, du peu de bénéfices qu'elle consent à prendre sur ses fabricats : situation qui lui permet de lancer sur les marchés étrangers, dans la guerre que je viens de qualifier, d'y jeter avec avantage ses canons à elle, ses cotonnades, ses produits industriels de toute espèce.
Le gouvernement a donc un immense devoir à remplir sous le rapport de l'enseignement. Je crois que le gouvernement remplit, outre mesure, ses obligations relativement à l’enseignement supérieur, parce que, dans un petit pays comme le nôtre, l'enseignement supérieur répond à des spécialités qui exigent un personnel peu nombreux, et qui sont arrivées à un point où l'esprit humain trouve facilement à se compléter. Mais il y a immensément à faire sous le rapport de l'enseignement moyen et de l'enseignement primaire, en rattachant à l'enseignement moyen et à l'enseignement primaire tout ce qui concerne l'exercice des professions, et tout ce qui rend une nation supérieure aux autres nations. Je ne cesserai d'appeler l'attention du gouvernement sur ce point. Il faut que notre pays se montre supérieur aux nations voisines, non seulement sous le rapport des institutions, sous le rapport du bon sens et du caractère, mais encore sous le rapport de l'aptitude au travail qui est la plus belle de toutes les aptitudes, celle qui a été donnée à l'espèce humaine à peine née, celle qui fait sa gloire et sa moralité.
Heureusement que, dans l'ordre moral, le gouvernement n'a guère besoin d'intervenir et que la constitution du clergé lui vient fortement en aide sous ce rapport
Mais le gouvernement peut et doit néanmoins, au moyen de l'enseignement primaire et moyen, propager de plus en plus les sentiments de prudence, de prévoyance, de moralité, tous les sentiments qui rattachent l'homme à la famille : car la nation qui est supérieure aux autres sous le rapport de la moralité, de la prudence, de la prévoyance, est maîtresse des autres, ou du moins elle est capable de lutter contre elles avec avantage. Il y a un autre résultat de la guerre industrielle. Etablie de nation à nation, elle se propage de classe à classe, du grand capital au petit, de l'industriel aux ressources puissantes à l'industriel aux ressources restreintes. Si vous ne voulez pas que la désaffection naisse et se propage entre les classes de la société, il faut la prévenir dans sa source, autant que possible, au moyen d'une institution nationale qui, dans des limites, avec les réserves et les précautions convenables, mette le crédit à la disposition des producteurs pourvus d'aptitude au travail, mais insuffisamment pourvus de capital: ce qui augmentera presque indéfiniment la production et la richesse du pays.
L'intervention du gouvernement dans les choses industrielles, toujours convenablement limitée, sans aller au point d'encourir les reproches (dont on a été assez prodigue dans cette discussion) de marcher vers le communisme, cette intervention est un des devoirs, une des nécessités sous lesquelles nous nous trouvons courbés. Cette nécessité est la conséquence de l'imperfection de notre ordre social. Tout principe humain est imparfait et amène à quelques conséquences fâcheuses. Il faut que le gouvernement, le génie national, représente par la collection des pouvoirs publics, intervienne autant que possible pour corriger ces imperfections.
J'en reviens à la question des Flandres. Je crois que le gouvernement doit continuer son intervention active dans l'enseignement industriel. Dans les petites villes de la Flandre, il fera bien d’y joindre l’enseignement moyen, c’est-à-dire l’enseignement de la physique, de la mécanique, appliquée aux arts. C’est une chose qui manque à Thielt, à Roulers et dans les petites villes de la Flandre. Il ne suffit pas que l'ouvrier apprenne à faire son travail mécanique; il faut que le bourgeois développe aussi son intelligence afin de tirer parti de l'active population ouvrière qu'il a sous la main et afin de tirer de son travail tout le parti possible pour le pays.
Il y a une autre chose qui appelle de nouveau la sollicitude du gouvernement et dont la négligence pourrait aggraver la situation des Flandres ; je veux parler de la question médicale.
Vous savez tous que dans les Flandres, le typhus a été la conséquence de la disette; il a sévi particulièrement en 1846, il a sévi moins en 1847 et moins encore en 1848. Néanmoins il y a une trentaine de communes qui, en trois années, ont perdu huit mille âmes de leur population.
A Thielt, à Roulers, et dans certaines parties limitrophes des arrondissements de Bruges et de Courtray, la maladie continue à régner, non plus par suite de la disette, mais en vertu de sa propre contagion ; elle s'attaque non seulement à la population pauvre qui est dans le besoin, mais à la population qui est convenablement logée et nourrie. C'est ainsi que les prêtres et les médecins ont payé au fléau un si large tribut.
Je crois qu'il y a là quelque chose qui appelle l'action la plus énergique du gouvernement.
Il y a un an, M. le ministre de l'intérieur a envoyé dans nos localités le chef du service de santé et quelques médecins militaires qui ont pris un petit nombre de mesures pour améliorer le régime des hôpitaux; mais le typhus a continué de régner d'une manière énergique.
Dans la famille du sénateur de Thielt, huit personnes, je pense, sont atteintes du typhus. Un de mes enfants d'une santé magnifique que j'ai eu le malheur de conduire dans le pays de Thielt pendant trois jours seulement, est tombé malade peu après son retour et a succombé. Je vous cite ces faits, messieurs, pour vous démontrer qu'il est urgent de prendre des mesures énergiques pour tâcher d'améliorer la situation sanitaire de cette partie du pays. (Interruption.)
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La situation s'est améliorée, je le prouverai tout à l'heure.
M. Toussaint. - Indépendamment de la question médicale à examiner, il est indispensable d'aider les communes et les bureaux de bienfaisance qui dans ce moment peuvent et doivent faire des efforts extrêmes pour détruire le mal, lequel n'est plus, comme je le disais, l’effet immédiat de la disette, mais une de ses conséquences qui se perpétue. (Interruption.)
On a semblé blâmer le gouvernement d'être intervenu dans la question du numérotage du fil. C'est qu'on ne connaît pas les faits. Le fil à la main coûte aujourd'hui moins que le fil à la mécanique; et si le gouvernement parvient, comme je le désire et je l'espère, à faire prévaloir et à généraliser le numérotage du fil à la main, ce fil forcera le fil à la mécanique à baisser ses prix. C'est ce fil à la main qui forcera dans certains numéros les filatures indigènes à baisser pavillon.
Il est temps de dire la vérité: c'est l'ancienne industrie linière qui est la victime de tous les systèmes. Elle l'est particulièrement du système protectionniste français qui prélève 20 à 25 p. c. à l’entrée de de nos toiles. En présence de cette barrière on lui dit : Exportez !.. D'un autre côté ou lui crie : Sortez de votre routine! et on frappe les fils mécaniques étrangers de 20 à 25 p. c. de droit : ce qui met nos filatures à l'abri de la concurrence.
C'est ainsi qu'on dit à la population pauvre : Emigrés comme si l'on émigrait sans argent, comme si l'on pouvait payer la traversée et s'établir outre-mer sans une petite somme.
La population flamande est victime de son bonheur passé. Toujours il en a été ainsi. Toute population qui a joui d'une grande prospérité éprouve un jour l'effet d'un retour inévitable. Sur la foi de cette prospérité, la population se développe, et elle a raison de se développer, car l'existence est un bienfait, quoi qu'en disent les économistes; mais la population s'étant multipliée, il arrive toujours un temps d'arrêt, des circonstances contraires qui non seulement arrêtent la population dans son essor, mais la menacent et l'attaquent bientôt dans son existence même.
Ces populations subissent le contrecoup du bonheur dont elles ont joui.
C'est ainsi que, dans l'antiquité, ou a vu des nations entières disparaître, non point par le fait de la guerre, mais, parce que les conditions, les causes de leur prospérité matérielle avaient disparu.
Avec la constitution actuelle de l'industrie, ces circonstances ne se présenteront que trop souvent. Il suffit du changement dans le rouage d'une mécanique, d'un changement de mode, comme la suppression des (page 654) pamélas dont parlait l'honorable M. de Brouckere, pour apporter un changement profond, radical dans une industrie.
Ce n'est pas en face de telles éventualités qu'on peut dire au gouvernement : Renoncez à toute intervention, même convenable, même modérée, c'est-à-dire à l'action des pouvoirs réunis d'une nation, qui prend des résolutions, et qui les exécute, parce qu'elle les trouve bonnes.
Dans cette discussion, la Flandre rurale s'est trouvée victime même de la prospérité renaissante de Gand. Je suis fâché de le dire. Il a suffi qu'à Gand, il n'y eût plus la mortalité de 1846, pour qu'un honorable député de cette ville se crût autorisé à répondre à mon honorable collègue de Thielt que les Flandres étaient parfaitement heureuses, que tout allait bien dans les Flandres.
M. Delehaye. - Je n'ai pas dit cela. Je n'ai jamais dit que les Flandres étaient parfaitement heureuses.
M. Toussaint. - L'honorable M. Delehaye a dit qu'il y avait une grande amélioration. En cela il s'est naturellement laissé impressionner par la situation de la ville qu'il habite. Mais il ne faut pas , lorsqu'on parle d'un centre urbain, juger par ce centre de ce qui se passe assez loin de là et dans des conditions radicalement différentes. Il ne faut pas que légèrement les puissants abandonnent les petits et les faibles.
Messieurs, je me résume pour ne pas prolonger la discussion. Je désire, pour ma part, que le gouvernement continue à faire et à faire énergiquement, pour les Flandres, ce qu'il a commencé de faire : qu'il intervienne au moyen de l'apprentissage des modes perfectionnés de travail, au moyen de l'instruction, primaire, moyenne et agricole (comme on l'a annoncé) et qu'il ne craigne pas, en présence du sentiment général et généreux du pays, d'aider quelques communes, au moyen de prêts garantis, à sortir de leur fâcheuse position.
Pour l'ensemble, je vous engage tous, messieurs, à vous prémunir contre les doctrines, suivant moi, antisociales, antinationales de la non-intervention du gouvernement dans les faits sociaux qu'il lui appartient de diriger dans la mesure de la convenance et de la nécessité.
M. d'Elhoungne. - Messieurs, je ne viendrais pas prolonger quelques instants encore cette discussion, ni solliciter de nouveau l'attention de la chambre, si je n'avais une courte réponse à faire à quelques-unes des considérations développées par plusieurs des honorables orateurs qui ont parlé après moi.
Qu'il me soit permis de signaler à la chambre la tournure imprévue qu'a prise ce grand débat. Au début, il semblait que les reproches allaient s'accumuler sur le gouvernement. Un honorable député de Courtray, qui s'était posé dans cette enceinte comme l'expression des sentiments unanimes des Flandres, a affirmé que le gouvernement n'avait pas fait tout ce qui était en son pouvoir, tout ce qu'il était de son devoir de faire, tout ce que les Flandres étaient en droit d'attendre de lui. Depuis lors, le langage des orateurs qui ont pris part à cette discussion a changé.
On en est venu à ce point que l'honorable M. Toussaint, qui a voulu se donner le plaisir de prêter au gouvernement l'appui de sa parole, a dû supposer bien gratuitement qu'il n'était question en ce moment d'accorder au gouvernement qu'un simple bill d'indemnité, au lieu de l'approbation complète qui s'est formulée dans la plupart des discours. Pour moi, la portée du débat est tout autre, et je pense, qu'elle est tout autre aussi pour les membres qui ont pris la parole. Il ne s'agit pas en effet d'accorder au gouvernement un bill d'indemnité. Il s'agit d'examiner, au point de vue du présent et au point de vue de l'avenir, les idées pratiques, les principes qui doivent présider aux diverses mesures prises et à prendre dans l'intérêt des Flandres par le gouvernement et par les chambres.
Voilà la portée de la discussion ; elle n'en a pas d'autre; que l'honorable M. Toussaint me permette de le lui dire.
Messieurs, si la discussion a changé de caractère, cela tient à deux causes. En premier lieu, on a tenu plus sérieusement compte des événements dans l'appréciation des actes posés par le gouvernement. On a compris qu'il y avait dans les circonstances une limite à ses efforts, que ses intentions avaient dû se modifier sous la pression des faits, sous l'empire d'une impérieuse nécessité.
En second lieu, ce qui n'a pas moins influé sur la discussion, c'est la difficulté qu'on a éprouvée à opposer au système du gouvernement un système différent. C'est la difficulté qu'ont ressentie les honorables membres à formuler en idées pratiques les espérances, les promesses, les illusions que l'on n'a que trop prodiguées aux Flandres.
Aussi la discussion aujourd'hui se réduit-elle à des termes très simples.
En fait de moyens proposés pour sauver les Flandres et qui n'ont pas été admis par le gouvernement, on ne peut guère citer que les couvents, l'estampille, la résurrection des comités industriels, le système préconisé par l'honorable M. Toussaint et qui consisterait à faire des prêts aux communes obérées, et enfin le compromis entre les consommateurs de la classe aisée d'accorder la préférence aux produits nationaux, compromis dont l'idée appartient à l'honorable M. Coomans.
Je ne crois devoir m'occuper ni des couvents, ni de l'estampille, dont il a été fait déjà justice.
Quant aux comités que j'ai condamnés comme instrument de progrès pour l'avenir, on a méconnu ma pensée. J'ai distingué entre la mission de bienfaisance et la mission industrielle des comités. La mission de bienfaisance des comités, qui consistait à répartir les secours, je ne l'ai point blâmée. Mais il en est autrement pour leur mission industrielle ; celle-là, je pense que les comités ne l'ont pas remplie, qu'ils n'ont pu la remplir; et que, loin de blâmer le gouvernement d'avoir laissé se dissoudre les comités, il y aurait des reproches fondés à lui adresser s'il les avait maintenus et encouragés.
M. de Haerne. - Je demande la parole.
M. d'Elhoungne. - Je ne sais si l'honorable M. de Haerne demande la parole pour nous démontrer que les comités eussent servi à merveille pour propager le rouet à deux mains dont l'honorable membre est l'inventeur?
M. de Haerne. - Je prétends que les comités sont utiles pour propager toute espèce de perfectionnements en matière d'industrie.
M. d'Elhoungne. - L'opinion de l'honorable membre sur ce point étant isolée, je pense que mes précédentes observations et celles des honorables orateurs qui ont pris la parole avant moi, notamment de l'honorable M. Ch. de Brouckere, ont réfuté, par avance, ce que pourrait dire l'honorable membre.
Quant au système présenté par l'honorable M. Toussaint et qui a pour but de faire prêter par l'Etat de l'argent aux communes qui se sont obérées avant et pendant la crise alimentaire, je ne pense pas qu'il puisse être admis.
Ce système, je n'hésite pas à le dire, serait d'une haute imprudence. Il répugne évidemment à l'esprit, à la saine intelligence de nos institutions.
S'il était admis, il n'est plus une commune qui hésiterait à l'avenir à s'endetter.
C'est un dangereux encouragement que vous donneriez à l'imprévoyance, au gaspillage, à l'imprudence. C'est un frein salutaire que vous ôteriez aux administrations communales.
Ensuite, je dis que c'est là un système qui est en complète opposition avec nos institutions. Nous vivons, messieurs, sous un régime de liberté communale ; les communes ont une entière liberté d'action, elles échappent pour ainsi dire complètement à toute espèce de contrôle, à toute espèce de tutelle du gouvernement. Eh bien, si elles ont les avantages de la liberté, il faut leur en laisser la responsabilité. Si les communes peuvent diriger leurs finances comme elles l'entendent, sans que le gouvernement ait rien à y voir, il faut qu'elles supportent les conséquences fâcheuses d'une mauvaise gestion. C'est le seul moyen de rester dans le vrai, de rester dans l'esprit de nos institutions ; laisser à chacun la responsabilité de ses actes, telle est la règle dont il importe de ne jamais s'écarter.
En Angleterre il existe aussi un système de liberté communale. Eh bien, non seulement l'Etat n'y paye pas les dettes des communes, non seulement il laisse à la charge des communes l’enseignement primaire et l'entretien des pauvres, mais il leur impose encore l'entretien des prisons, ce qui est, en effet, une chose corrélative à l'enseignement et à l'indigence.
Messieurs, il est vrai, sans doute, qu'il y a dans les Flandres quelques communes très malheureuses, dont les finances sont exceptionnellement obérées. Mais je ferai remarquer aux honorables membres qui se préoccupent de ces communes, que le gouvernement a, pour leur venir en aide, des ressources à sa disposition, soit dans le crédit pour la voirie vicinale, soit dans l'excédant des crédits spéciaux votés antérieurement. Rien n'empêchera que pour ces communes exceptionnelles qui peuvent se présenter dans les Flandres, le gouvernement n'accorde des subsides assez élevés soit pour des travaux de la voirie vicinale, soit pour soutenir le travail industriel ou agricole.
Il est si vrai, messieurs, que le gouvernement ne peut intervenir pour payer les dettes des communes, que si les communes des Flandres sont obérées, il faut en partie l'attribuer au système de liberté qui a prévalu. Dans le principe, lorsque les communes ont récupéré une entière indépendance, elles se sont empressées de ramener aux dernières limites la capitation personnelle que payaient leurs habitants. Depuis lors, quand il y avait quelque travail extraordinaire à exécuter, elles se sont empressées de recourir à la voie de l'emprunt plutôt qu'à la voie de l'impôt, c'est-à-dire la capitation. Si vous en voulez une preuve, je vous dirai qu'en 1838, la moyenne de la capitation payée dans les deux Flandres pour les communes ne s'élevait qu'à 74 centimes par tête.
M. Rodenbach. - Elle s'élève à 3 et 4 fr. dans les communes où il y a le plus de misère.
M. d'Elhoungne. - La misère a certainement fait des progrès dans les Flandres. Personne ne conteste l'état de ces provinces. Ce que nous demandons, c'est que vos paroles soient conformes à la vérité, et se dépouillent d'une exagération toujours nuisible. Il ne faut pas contester, par exemple, que le bas prix des denrées alimentaires n'ait considérablement diminué les souffrances de la classe indigente. Il est évident aujourd'hui que la charité privée est devenue beaucoup plus facile, qu'elle est infiniment plus abondante. Il est évident que, quelque restreintes que soient les ressources des bureaux de bienfaisance, ils peuvent distribué des secours plus nombreux, plus efficaces que les années antérieures où les denrées alimentaires étaient à un prix élevé.
Il n'est pas contestable que la crise industrielle des Flandres, aggravée par suite de la révolution de février, parce que le débouché de la France échappe presque complètement à leurs exportations, est moins intense cependant qu'on ne devait le craindre, précisément parce que l'ouvrier peut se procurer à très bas prix le pain qui lui est nécessaire pour nourrir sa famille.
Ce sont là des faits qu'on ne peut pas méconnaître. Sans doute, ce ne (page 655) sont pas des bienfaits du ministère, ce sont des bienfaits de la Providence, mais ils n'en existent pas moins ; et c'est un motif d'encourager, de relever les populations au lieu de les déprimer sans cesse par des paroles de désespoir. (Interruption.)
L'honorable M. Toussaint s'est aussi préoccupé de l'état sanitaire des Flandres. Eh bien, l'année dernière, au mois de janvier, lorsque les communes restaient pour la plupart indifférentes aux ravages du typhus qui régnait avec intensité, c'est le gouvernement qui a pris l'initiative des mesures destinées à secourir les indigents malades. C'est lui qui a ouvert spontanément un crédit considérable au gouverneur de la Flandre orientale et au gouverneur de la Flandre occidentale, afin de l'appliquer spécialement à des secours à donner aux personnes indigentes atteintes du typhus, ainsi qu'aux convalescents, et pour créer des hôpitaux partout où on le jugerait nécessaire. C'est encore le gouvernement qui a pris l'initiative d'envoyer des médecins civils et des médecins militaires dans les localités qui en avaient besoin. On ne peut donc accuser le gouvernement d'indifférence pour le passé, ni le soupçonner d'indifférence pour l'avenir.
L'honorable M. Toussaint nous dit qu'il y a encore aujourd'hui des cas de typhus. Cela est possible. Dans l'état où est la Flandre, cette maladie doit reparaître de temps à autre. Mais elle reparait dans des limites si restreintes, les cas qu'on a à signaler sont si exceptionnels, qu'en vérité on ne peut demander au gouvernement de prendre des mesures immédiates et générales. Du reste il y a au budget un crédit pour le service sanitaire. Si des mesures spéciales sont nécessaires pour telle ou telle localité, ce n'est donc pas une raison pour généraliser, pour jeter des cris d'alarme. Il suffirait de demander simplement au gouvernement qu'il agisse dans les limites des besoins, et à l'aide des ressources ordinaires du budget.
M. Toussaint. - Je n'ai pas accusé le gouvernement.
M. d'Elhoungne. - D'après l'honorable M. Toussaint, l'Etat serait moralement obligé de venir au secours des communes obérées, d'aider ces communes à payer leurs dettes. Je demande si l'on peut professer de pareilles théories au sein de la représentation nationale. Comment ! ce serait le gouvernement, qui n'a aucune action sur les communes, qui devrait payer leurs dettes ! Et si toutes les communes s'adressaient à lui, que devrait faire le gouvernement?
Nous ne sommes pas seulement ici, messieurs, pour examiner toutes les questions au point de vue des Flandres; nous sommes ici pour poser les principes, pour poser les règles de conduite qui doivent diriger le gouvernement pour une province comme pour l'autre. Eh bien ! je dis que les principes que professe, je dis que le précédent que veut faire poser M. Toussaint sont en contradiction avec l'esprit de nos institutions, avec les devoirs du gouvernement et des chambres.
Avant ce système d'emprunts à contracter par les communes aux dépens du trésor public, on était également revenu sur la nécessité d'un tarif protecteur pour les céréales. J'avais indiqué un régime libéral en matière de céréales, comme une des mesures les plus fécondes, les plus incontestablement utiles qu'on pût prendre pour extirper le paupérisme, pour venir au secours des classes laborieuses. C'est cette opinion qu'on s'efforce de combattre. L'honorable M. Coomans, à qui je suis forcé de répondre en ce moment, s'est indigné de ce que je l'eusse accusé d'avoir voulu établir un impôt sur le pain. Mais sa proposition d'établir un droit assez élevé sur les céréales devait nécessairement avoir pour résultat un impôt sur le pain, ou bien il faut soutenir que la proposition n'avait rien de sérieux et ne pouvait être efficace.
Maintenant ai-je fait tort à l'honorable M. Coomans en supposant que sa proposition était sérieuse, en disant que sa proposition avait pour but d'agir sur le prix des céréales? C'est ce qu'il n'oserait soutenir. Eh bien! si sa proposition était sérieuse, si elle avait pour but d'agir sur le prix des céréales, n'est-il pas évident que c'était un impôt sur le pain?
Puisque l'honorable M. Coomans a invoqué ses discours, qu'il me permette d'invoquer aussi une de ses brochures, qui ressemble bien un peu à ses discours, j'entends par les idées ; je ne parle pas de la dimension. (Interruption.)
Vous verrez que l'honorable M. Coomans a dû considérer le droit de 20 fr. par 1,000 kilogrammes, qu'il proposait, comme formant évidemment un droit protecteur. Et en savez-vous le motif? C'est que l'honorable M. Coomans, dans sa brochure, considère un droit de 15 francs par 1,000 kilogrammes, c'est-à-dire un droit inférieur de 5 fr. à celui qu'il proposait comme étant efficacement protecteur, c'est-à-dire comme capable d'agir efficacement sur les prix, de faire hausser les prix des céréales, de renchérir le pain.
Voici comment l'honorable M. Coomans s'exprime dans sa brochure, page 46 : (Ici l'orateur donne lecture d'un passage de la brochure de M. Coomans où il considère comme efficacement protecteur un droit de 15 fr. par 1,000 kil. pour le froment et de 10 fr. pour le seigle.)
Vous voyez donc bien, messieurs, que lorsque l’honorable M. Coomans, en me répondant à la séance de samedi, est venu dire : « Vous supposez que la mesure que j'avais proposée était protectrice, elle était exclusivement fiscale, » l'honorable M. Coomans se trompait ! Dans sa pensée, sa proposition était protectrice, tellement protectrice qu'un droit inférieur à celui qu'il nous avait présenté, lui paraissait déjà efficacement protecteur.
M. Coomans. - C'est contre le chiffre de quatorze millions que j'ai protesté.
M. d'Elhoungne. - Ah ! l'impôt existe donc, c'est sa quotité seule que vous contestez.
D'ailleurs, s'il fallait mieux encore prouver que la proposition de M. Coomans avait pour objet d'accorder une protection plus forte aux céréales, j'invoquerais l'opinion de mon honorable ami M. Delehaye. On ne dira pas que mon honorable ami ne professe pas les doctrines protectionnistes dans toute leur pureté, dans toute leur ardeur; eh bien, savez-vous comment mon honorable ami a qualifié la proposition de M. Coomans? Il l'appelle une « protection exagérée » !
On me demande si, dans ma pensée, tout le tarif, qui constitue bien une protection pour l'industrie et le commerce, n'est pas aussi un impôt? Je n'hésite pas à reconnaître que, dans une certaine limite, tout le tarif est en définitive un impôt sur te consommateur, je n'ai pas l'habitude de nier l'évidence. Lorsqu'on met un droit sur un produit, il est évident que cela tend à en faire hausser le prix ; mais il est vrai aussi que l'affluence des capitaux, dans cette voie favorisée, augmente la concurrence intérieure et que celle-ci fait bientôt retomber le prix à son niveau naturel.
Or il y a cette différence que ce résultat se produit très vite quand il s'agit de produits industriels et qu'il se produit très insensiblement quand il s'agit de produits agricoles. La raison en est simple ; c'est que dans l'industrie le champ de la concurrence est illimité, tandis que pour l'agriculture il est rigoureusement limité. Ensuite les produits industriels ne sont jamais d'une nécessité aussi urgente que les produits agricoles. En troisième lieu, il y a dans les produits industriels, une tendance à baisser par le double effet de l'augmentation de la population et de l'accroissement des capitaux, tandis que ces deux faits ont pour effet de faire subir aux produits de la terre une hausse continue, qui n'est contrebalancée que par le perfectionnement successif des procédés agricoles.
Ces considérations, messieurs, démontreront à l'honorable M. Coomans, que je n'ai pas commis précisément autant d'hérésies économiques qu'il a bien voulu m'en attribuer. Et par exemple, si le prix des céréales, sous l'empire de la prohibition, n'a pas atteint un taux fabuleux, cela s'explique parfaitement par la durée de la loi de 1834 , et par l'empressement des détenteurs de céréales à profiter de l'existence toute temporaire de la prohibition; mais ce qui n'est pas démontré, c'est l'inefficacité de la proposition de l'honorable membre.
Je vous le demande, messieurs, si le droit proposé par M. Coomans était établi demain, cela ne surexciterait-il pas les espérances des cultivateurs? Les cultivateurs ne retiendraient-ils pas leurs céréales dans leurs greniers comptant bien de les vendre plus cher ? N'en résulterait-il pas une hausse considérable? Voilà ce qui n'est pas démontré, et dès lors, je ne me suis pas trompé en considérant la proposition de l'honorable membre comme devant produire nécessairement une hausse sur le prix du pain, comme constituant un véritable impôt sur le pain.
Mais, dit l'honorable comte de Theux, vous voulez donc l'abolition des tarifs.
M. de Theux. - C'est à propos de la loi de 1834, sur les tissus de lin.
M. d'Elhoungne. - L'honorable comte de Theux avait aussi parlé des prétentions des fabricants de coton ?
M. de Theux. - Oui.
M. d'Elhoungne. - Je répondrai en même temps aux deux objections, et par des autorités, dont l'une au moins ne vous paraîtra pas récusable.
L'honorable M. Dechamps, si j'ai bonne mémoire, a déclaré, en 1846, que le système protecteur était arrivé chez nous à son apogée, c'est-à-dire qu'on ne pouvait plus songer à augmenter les droits de douane ; c'est-à-dire qu'il fallait peu à peu, prudemment, dans, de sages limites, tendre plutôt à les baisser. Telle était la pensée de M. Dechamps, alors ministre et le collègue de M. de Theux. Or, telle est précisément aussi la pensée du cabinet actuel, et dont le programme a été approuvé par la chambre tout entière. Dans ce programme, il a déclaré en principe qu'on n'aggraverait plus les tarifs; qu'on prendrait plutôt des mesures libérales que des mesures prohibitives; mais sans jeter brusquement la perturbation dans les grandes industries qui ont pris racine dans le pays à l'ombre du système protecteur.
Eh bien, ce programme, je m'y rallie. Autre chose est d'établir un droit protecteur, autre chose est de l'abroger. Lorsqu'il s'agit de l'établir, il faut interroger les principes; lorsqu'il s'agit de l'abolir, il faut tenir compte des faits qui se sont produits, des intérêts qui se sont développés sous le régime de la protection. A cette occasion je répondrai avec franchise à une objection que l'honorable comte de Theux a considérée sans doute comme embarrassante pour moi. Il a rappelé des mesures vainement sollicitées dans le temps par l'industrie cotonnière. Eh bien ! je lui dirai que si la ville que j'ai l'honneur de représenter dans cette enceinte demandait ou des aggravations de tarif, ou l'estampille, ou la prohibition, ou toute autre mesure de ce genre, je ne lui prêterais pas mon appui. Et l'honorable comte peut être certain qu'il y a un moyen très facile pour le représentant d'être toujours d'accord avec ses commettants ; et que ce moyen, je le connais trop pour hésiter à l'employer le cas échéant.
M. Coomans. - Gand est très satisfait.
M. d'Elhoungne. - Puisque vous y tenez, voyons donc quelle est la position de Gand, et tout ce qu'on a fait de si prodigieux pour la satisfaire.
L'honorable comte de Theux a rappelé avec raison qu'en 1830, lors de (page 656) la séparation de la Belgique et de la Hollande, plusieurs industries considérables furent brusquement privées des marchés où jusqu'à cette époque elles avaient été privilégiées. C'est à cet état de choses que l'honorable membre a attribué les mesures prises en faveur du fer, de la houille, qu'on protégea par des droits prohibitifs; et, si j'ai bonne mémoire en faveur des draps et tissus de laine qu'on protégea même par la prohibition en transit des produits similaires de l'étranger.
Eh bien, messieurs, si une industrie a souffert par suite de la révolution de 1830, c'est sans contredit l'industrie cotonnière. Sous le royaume des Pays-Bas, l'industrie cotonnière a été constamment stimulée à s'étendre; dans ce but on lui avait assuré le monopole des colonies; la révolution de 1830 est venue lui enlever tout à coup ce magnifique marché. Or qu'a-t-on fait pour l'industrie cotonnière? Alors qu'on prodiguait les aggravations de tarif à l'industrie des laines, aux houilles, aux fers, au bétail, on a refusé constamment à l'industrie cotonnière la protection qu'elle demandait pour substituer la consommation de l'intérieur au marché des colonies. C'est là l'insigne faveur qu'on lui accorda jusqu'en 1844. L'arrêté du 13 octobre de cette année changea sa position ; mais n'avait-on pas accordé beaucoup plus par l'arrêté du 14 juillet 1843 à l'industrie lainière? L'arrêté du 13 octobre, en effet, n'excepte-t-il pas la France et l'Allemagne ? Et n'est-ce pas à dire, M. Coomans, que lorsqu'on a partagé le gâteau de la protection, pour me servir de votre expression pittoresque, l'industrie cotonnière a eu la moindre part ? Qu'on ne vienne donc point attribuer à l'industrie cotonnière un appétit démesuré; qu'on cesse de comparer la ville de Gand à une mer en courroux et toujours murmurante, qui menace de submerger le gouvernement, à moins qu'on ne l'apaise par d'incessantes largesses.
S'il fallait la preuve, messieurs, des progrès de l'industrie cotonnière, je vous citerais un fait qui s'est passé dans la dernière session, il s'agissait de l'abaissement des droits sur les fils étrangers du n°140 et au-dessus. L'industrie de Saint-Nicolas en avait constamment demandé la libre entrée. Eh bien, Saint-Nicolas a déclaré par l'organe de ses honorables représentants dans cette chambre qu'il était désormais désintéressé dan; cette question, que l'industrie gantoise produisait cette espèce de fils à aussi bas prix que les fabriques de la Grande-Bretagne. Et comment en serait-il autrement, messieurs, lorsque déjà en 1846 nos produits cotonniers s'exportaient même en Angleterre, et qu'en Allemagne notre industrie cotonnière lutte pour les fils avec la Grande-Bretagne elle-même ?
L'honorable M. de Theux vient de rappeler la loi de 1834, sur les tissus de fils de lin. Il soutient que la protection établie par cette loi a été favorable à l'industrie linière, et il ajoute : « Si vous trouvez que cette loi a fait du mal, pourquoi n'en demandez-vous pas l'abrogation ? » J'ai dit, messieurs, dans mon premier discours, que la loi de 1834 a été l'argument qu'on a invoqué en France pour faire décréter une aggravation de tarif mortelle pour notre industrie linière.
M. de Theux. - Je ne l'ai jamais entendu invoquer.
M. d'Elhoungne. - Je vais le prouver, M. le comte.
En 1841, quand il s'est agi de l'aggravation de tarif qui a donné lieu au traité si chèrement acheté du 16 juillet, la commission, qui avait été nommée en France pour la révision du tarif sur les fils et tissus de lin et de chanvre motiva cette aggravation par la loi belge de 1844.
Voici comment le rapporteur de ta commission s'exprimait, dans son rapport à la chambre des députés.
« Quant au tarif, votre commission a adopté celui que la Belgique elle-même a établi sur ses frontières, etc. »
Voici ce que disait un orateur, M. Legentil, dans cette même discussion.
« Le ministre s'est vivement préoccupé des complications que les propositions de la commission apporteraient à nos relations avec l'étranger et particulièrement avec la Belgique. Mais le tarif proposé est celui que la Belgique elle-même applique aux produits similaires de la France. S'en plaindre serait, de la part de la Belgique, une prétention que la France ne saurait admettre. Rien n'est plus rationnel que d'appliquer le même tarif aux mêmes produits des deux pays, etc. »
C'est à la suite de ce rapport et de ce discours que l'aggravation de tarif a été votée ; c'est à la suite de cette déplorable mesure que la Belgique fut obligée de faire le traité du 16 juillet. (Interruption.)
Remarquez, messieurs, que je ne lis pas les débats dans le Moniteur français ; je n'en prends que l'abrégé. Il me suffit sans doute de citer l'opinion de la commission qui a proposé l'aggravation de tarif, et l'opinion de l'orateur qui l'a surtout appuyée; c'est le meilleur commentaire du vote de la chambre française. (Interruption.)
L'honorable M. de Theux m'a demandé ensuite pourquoi je ne propose pas l'abrogation de la loi de 1834? L’honorable membre connaît mieux que moi le motif qui m'en empêcherait. La loi de 1834, nous sommes désormais obligés de l'appliquer sur nos frontières, en vertu du traité du 13 décembre avec la France !
Au surplus, je répète à l'honorable M. de Theux ce que je disais tout à l'heure, autre chose est d'imposer un droit nouveau, et autre chose est d'abroger un droit existant, à l'ombre duquel des intérêts ont pu se -créer qui doivent dès lors être ménagés.
M. Toussaint. - Vous utilisez l'ombre....
M. d'Elhoungne. - Et vous en abusez, car votre discours n'est pas clair. (Interruption.)
Messieurs, en disant qu'un régime libéral pour les céréales était favorable aux classes laborieuses en général, et utile pour l'extinction du paupérisme, ai-je voulu la ruine des cultivateurs? Evidemment non, messieurs. Veuillez-le remarquer, il n'est personne qui, dans cette discussion, ait pu contester les heureux effets d'une récolte abondante. Déjà j'ai eu l'honneur de vous le dire, si le paupérisme est moins menaçant, si la crise industrielle est moins intense, à quoi le devez-vous ? Vous le devez à l'abondance de la récolte, au bas prix des céréales et de toutes les denrées alimentaires.
Maintenant, supposez que les appréhensions qu'on a pu concevoir au mois d'août se fussent malheureusement réalisées ; supposez qu'une partie de la révolte eût manqué ; que le prix des céréales fût remonté au taux où il était en 1846 et en 1847 : Vous auriez la disette en Belgique! Car le haut prix des céréales, c'est la disette, disette naturelle, quand c'est par l'effet des saisons que la récolte est peu abondante, disette artificielle, quand c'est la main du législateur qui vient en quelque sorte se placer entre les populations et la Providence, pour intercepter ses bienfaits, en provoquant une hausse dans le prix des céréales ! (Interruption.)
« Mais, dit-on, la cherté des céréales est favorable au cultivateur. »
Il faut distinguer. Sans doute, quand les céréales sont chères, il y a des cultivateurs qui en profitent. Mais ces innombrables ouvriers et prolétaires agricoles qui, eux aussi, doivent acheter leur pain, après l'avoir gagné à la sueur de leur front, pensez-vous qu'ils en profitent ?
Considérez la situation des Flandres ; si le pain y était aussi cher qu'en 1847, n'auriez-vous pas une épouvantable crise et dans les campagnes et hors des campagnes ? (Interruption.)
On ne veut pas changer ce qui est; on veut que les prix restent bas? Eh bien, pour qu'ils restent à ce taux, pour que le pain soit à bon marché, vous n'avez qu'à vous croiser les bras ; abstenez-vous de porter une loi plus protectrice des céréales ; ne demandez pas que l'action de la législature intervienne pour régler le prix des denrées alimentaires. Ah ! si c'est là ce que vous voulez, messieurs, nous sommes d'accord. Il est inutile de discuter davantage.
Messieurs, répondrai-je à cette allégation qu'il y a déjà un impôt sur le pain ? C'est encore une allégation de l'honorable M. Coomans. Cet impôt, dit-il, c'est l'impôt foncier.
Je suppose un instant que l'honorable membre ait aussi raison qu'il est dans l'erreur ; je dirai alors : « S'il y a déjà un impôt sur le pain, est-ce un motif pour en mettre un deuxième? » (Interruption.)
Mais l'impôt foncier n'est pas un impôt sur le pain; l'impôt foncier, je l'ai déjà dit, est une véritable rente à charge des propriétaires, au profit de l'Etat et qui a été déduite du prix d'achat.
M. de Mérode. - Vieux sophisme I
M. d'Elhoungne. - Vieux sophisme, me dit-on ; cela prouve que la vérité est vieille. J'attends la réfutation de ce sophisme. J'attends que l'honorable comte de Mérode se charge de cette réfutation. J'attends que l'honorable M. Coomans nous prouve que l'impôt foncier est un impôt sur le pain. L'honorable membre nous a dit, et il prouve qu'il a lu les économistes ; il n'en trouvera guère qui soient de son opinion.
L'impôt foncier n'est pas plus un impôt sur le pain que la dette hypothécaire qui grève la propriété foncière en Belgique n'est pas un impôt sur le pain. L'acquéreur d'une propriété grevée de l'impôt foncier en a déduit le capital sur son prix d'achat, absolument comme l'acquéreur d'une propriété grevée d'une rente hypothéquée qui réduit le capital de cette rente de son prix d'achat.
Du reste il en résulte que toute aggravation de l'impôt foncier serait un impôt sur le capital du propriétaire ; et l'impôt ne doit pas, en thèse générale, atteindre le capital.
Messieurs, pour combattre l'impôt que des droits sur les céréales établiraient en faveur et au profit des propriétaires de terres, j'avais fait une comparaison entre la situation des propriétés bàlies et des propriétés non bâties. L'honorable M. de Mérode est parti de là pour prétendre que j'avais représenté les propriétaires comme taillables à merci et miséricorde, que je provoquais un nouvel impôt sur la propriété. Non, M. de Mérode, je n'ai point cette pensée; jamais je ne l'ai exprimée ; jamais je ne vous ai autorisé à me la prêter. Je ne veux point d'impôt nouveau sur les propriétaires; ce que je veux, c'est que les propriétaires n'arrachent pas à la chambre des mesures qui équivaudraient à une taxe sur le pain.
La comparaison que j'ai faite entre les propriétés bâties et les propriétés non bâties n'avait pas non plus pour objet d'établir une sorte d'antagonisme entre la population des villes et celle des campagnes, comme l'honorable M. de Theux a paru le supposer. Je sais très bien que les propriétés bâties payent le même impôt dans les villes et dans les campagnes.
Mais ce que je sais aussi, et ce que j'ajouterai puisqu'on m'y force, c'est que l'impôt sur la valeur locative, sur les foyers, sur les portes et fenêtres, pèse plus lourdement sur l'habitant des villes que sur celui des campagnes. M. le ministre des finances a eu la bonté de me communiquer un document duquel il résulte que l'impôt sur les portes et fenêtres, sur les foyers, sur la valeur locative, pèse sur l'habitant des villes à raison de fr. 2,97 par âme, tandis que sur l'habitant de la campagne, elle est de 84 centimes par âme.
(page 657) Je répète que je n'avais pas établi ce parallèle; je m'étais borné à comparer entre elles les propriétés bâties et les propriétés non bâties, pour démontrer à la dernière évidence qu'on est mal fondé à se lamenter au nom des propriétaires de terres, à prétendre qu'ils sont surchargés par l'impôt, et qu'il leur faut un dédommagement.
D'autres objections cependant se sont produites dans le même ordre d'idées.
L'honorable M. de Theux a cité l'impôt de consommation assis sur les brasseries et les distilleries. Je comprends que cet impôt restreigne la consommation des produits de l'agriculture; mais tous les impôts restreignent les consommations. Plus vous prenez aux contribuables pour l'impôt, moins il peut affecter à sa consommation.
Je comprends encore que l'impôt sur les brasseries et distilleries, en restreignant la consommation de l'orge, empêche jusqu'à un certain point le cultivateur de faire entrer, autant qu'il voudrait, l'orge dans la rotation de ses cultures ; je sais tout cela ; mais je demanderai si le droit sur les céréales étrangères qu'on a établi au mois de décembre n'est pas une large compensation pour un préjudice si restreint, si peu appréciable?
On m'a objecté enfin les droits de mutation qui frappent la propriété foncière. Mais, encore une fois, dans le parallèle entre les propriétés bâties et les propriétés non bâties, l'objection n'a pas de portée ; car la propriété bâtie comme la propriété non bâtie paye les droits de mutation.
L'examen approfondi de cette question ne peut prendre place ici. Il se présentera mieux quand nous nous occuperons du droit de succession, qui est aussi un droit de mutation. Mais, je dois le dire, le droit de mutation perçu sur les aliénations d'immeubles n'est pas injuste, bien qu'il soit un legs du régime féodal. La chambre est saisie d'un projet de loi sur le régime hypothécaire qui rendra cet impôt plus juste encore.
En donnant plus de sécurité à l'état de la propriété, en rendant plus facile et plus sûre son aliénation, on exercera, sans contredit, une influence sensible sur sa valeur. Il en résultera que les droits de mutation ne seront plus que le prix d'un service rendu par l'Etat à la propriété elle-même, un juste équivalent des avantages et des garanties que l'accomplissement des formes légales lui assurera.
Je terminerai par un dernier mot en réponse à l'honorable M. Coomans. J'avais considéré le compromis proposé par l'honorable membre aux classes aisées, pour la consommation des produits nationaux, comme une idée qui pouvait être dangereuse ; je l'avais appelée une idée fausse, et fausse surtout au point de vue des Flandres.
L'honorable membre en effet prétend que si les classes aisées ne consommaient que des produits liniers du pays la crise pourrait cesser. C'est évidemment erroné. La fabrication de luxe dans les produits liniers ne forme pas la 25ème partie de la production totale. Ces produits de luxe, c'est exclusivement à l'industrie indigène que chacun de nous les demande. Il ne s'en importe pas. Ce n'est donc pas parce que les classes aisées ne consomment pas exclusivement des produits de luxe de cette industrie, qu'il y a crise, mais parce que la masse des produits, les produits communs ne trouvent plus de débouché.
Et ce ne sont pas les consommateurs du pays qui en sont la cause : c'est surtout l'étranger. Tout le monde est d'accord que le marché intérieur ne suffit pas à l'industrie linière; il lui faut l'exportation, c'est donc parce qu'en France on pratique le patriotisme à la façon de M. Coomans, c'est parce qu'on porte des toiles françaises plutôt que des toiles belges, que la crise existe chez nous, que nous avons le triste spectacle de la misère de Flandres.
Messieurs, je m'arrête. Ainsi que je l'ai dit, cette longue discussion portera ses fruits. Elle aura servi à fixer les chambres, le gouvernement, le pays et les Flandres elles-mêmes sur le véritable état de la question. Elle déterminera ce qu'on a pu faire, ce qui reste à faire. Elle empêchera qu'à l'avenir on n'ajoute à des misères trop réelles des exagérations qui ne peuvent qu'obscurcir et empirer la situation.
M. De Pouhon. - Dans la discussion actuelle, l'idée d'une société d'exportation a paru recevoir un assentiment unanime. Je désire cependant, messieurs, vous soumettre des doutes, des objections sérieuses sur l'efficacité de ce moyen de développer les débouchés de nos produits industriels; mais la discussion générale s'étant beaucoup prolongée, je crois pouvoir ajourner mes observations jusqu'au vote du chapitre industrie.
Je pense, messieurs, que je parviendrai à vous démontrer que pour rester fidèle aux principes vrais que l'honorable M. d'Elhoungne vous a si éloquemment exposés, il faut conclure différemment qu'il l'a fait et adopter un système qui s'appuie davantage sur les intérêts et les efforts individuels.
Ce que je vous proposerai, messieurs, n'est que le développement d'un système qui me paraît avoir présidé à quelques mesures prises par le gouvernement, système qui serait bien plus fécond en résultats utiles et durables, bien plus praticable qu'une société d'exportation.
Une autre idée s'est produite dans la discussion sans qu'elle ait rencontré de contradicteur, ce qui ne veut pas dire, j'espère, qu'elle soit admise dans l'esprit de la chambre. Cette idée est celle de constituer une banque nationale par la fusion des banques existantes. Celle conception serait des plus malheureuses, car ce serait ajourner pour 20 ou 25 ans les bienfaits qu'une banque nationale régulièrement constituée, serait appelée à répandre sur l'agricullure, le commerce et l'industrie. Je vous en donnerai la conviction, je l'espère, quand la question se présentera; elle doit forcément se produire et être résolue dans le cours de la session actuelle.
Si je m'oppose à la fusion des banques actuelles, ce n'est pas que je ne désire tout ce qui pourrait concilier leurs intérêts avec ceux d'un établissement nouveau. Dans des discussions récentes, vous avez jugé que j'exagérais le respect des positions acquises. Mais je crois qu'il y a telle combinaison qui pourrait déterminer les banques existantes à concourir elles-mêmes à l'érection d'une institution nouvelle.
En faisant ces réserves, je n'ai eu d'autre intention, messieurs, que de vous prémunir contre un préjugé qui pourrait peser sur vos méditations au sujet d'une banque nationale.
M. Bruneau. - Messieurs, voilà huit jours que la chambre est occupée de la discussion de la question des Flandres; elle ne considérera pas cela comme du temps perdu, car, comme l'a dit l'honorable M. d'Elhoungne, elle a dégagé la question des exagérations et des brouillards dont elle était enveloppée jusqu'ici. Je suis député des Flandres, je connais les souffrances qui pèsent sur elles, je sympathise autant que qui que ce soit, mais j'espère qu'à l'avenir on cessera de représenter la population des Flandres comme un tas de crétins, de rachitiques, de mendiants, qu'on cessera de la représenter comme étant, à l'exemple du paysan irlandais, abruti par le bigotisme, la paresse et l'ignorance.
La question des Flandres apparaît actuellement sous son véritable jour. Si je voulais rechercher dans cette occasion une satisfaction d'amour-propre, je dirais que depuis dix ans nous avons eu l'honneur de présenter au gouvernement les mesures pratiques aujourd'hui considérées comme les seules à appliquer aux Flandres, par la chambre entière. Depuis lors, nous n'avons cessé de signaler le mal que les comités liniers ont produit sur la situation des Flandres ; quoi qu'en dise l'honorable M. de Haerne, je ne puis considérer les comités des Flandres que comme des bureaux de bienfaisance destinés à venir au secours de la misère et à distribuer des aumônes ; comme conception économique industrielle, c'est la plus détestable de toutes les choses ; c'est la faillite en permanence.
Tous ceux qui connussent tous les rages de ces administrations, de ces ateliers, savent que tous les comités étaient en perte chaque année, qu'ils ne pouvaient subsister qu'avec les subsides du gouvernement, de la commune ou de la province ; ils vendaient à perte non seulement sur la main-d'œuvre, mais sur le lin brut; ils vendaient le fil au-dessous du prix du lin brut, pour vivre, pour continuer à donner du travail à leurs ouvriers. Je connais des négociants qui se procuraient leur fil au prix des comités, au prix de la matière première. On finissait ainsi par ravaler à l'état de mendiants, en les forçant à travailler avec les secours des ateliers de charité, les; petits artisans qui jusque-là avaient pu travailler avec leurs ressources mais que la concurrence des ateliers de chanté avait fini par ruiner.
Il n'en est pas de même des ateliers de perfectionnement et de l'introduction d'industries nouvelles, moyens que le gouvernement, le ministère actuel surtout a appliqués sur une assez large échelle. Rien de plus utile, en effet, que ces ateliers de perfectionnement, que ces efforts faits dans le but de remplacer par des fabricats nouveaux le travail qui manque dans l'industrie toilière.
Différents orateurs sont revenus sur l'efficacité de moyens que je croyais à jamais condamnés. Ainsi l'honorable M. de Mérode a fait la glorification des grands couvents. Je ne conteste pas l'utilité des corporations religieuses, dans le passé. Puisqu'elles ont existé, puisqu'elles se sont développées, elles avaient leur raison d'être. Je conçois les corporations à côté du rouet; mais je ne les conçois pas à côté des machines.
L'honorable M. Dumortier a prôné beaucoup comme mesure devant être utile à l'industrie linière l'usage de l'estampille. C'est une idée ancienne, que j'ai combattue souvent et que j'espérais ne pas voir reproduire dans cette enceinte. Je conçois l'estampille comme signe de propriété, c'est-à-dire comme signe d'origine d'un fabricat quelconque. Je la conçois encore comme constatant des fabrications qui pourraient s'introduire dans un produit quelconque et qui ne pourraient être appréciées par l'œil de l'acheteur. Mais je ne conçois pas l'estampille sur un tissu apparent que tout le monde peut apprécier et juger.
L'honorable M. Dumortier, en venant parler aussi de la société d'exportation, a critiqué le projet qui avait été soutenu, dans cette enceinte, par divers honorables membres ; il a dit qu'il préférait à une société d'exportation, fondée sur une grande échelle, vingt sociétés constituées au capital d'un million. Ce serait là, ainsi que l'a dit M. le ministre des travaux publics, retomber dans une faute que l'on doit éviter. Ce serait l'éparpillement des capitaux. C'est ce qui a fait le malheur de l'ancienne industrie linière dans les Flandres.
Du reste, l'honorable M. Dumortier est excusable plus qu'un autre de ne pas apprécier à sa juste valeur la situation des Flandres et les remèdes à y apporter. Il est trop jeune Flamand jusqu'à présent pour apprécier tous les détails de la situation de ces provinces,
Parmi les moyens dont il a été question dans cette enceinte, et qu'on ne peut considérer que comme des moyens d'une application plus ou moins éloignée, je citerai les questions relatives au crédit agricole. Ces questions seront traitées par la chambre, lorsqu'elle examinera le projet de réforme du système hypothécaire. Jusqu'à présent le système hypothécaire était combiné en faveur de la grande propriété. Toutes les précautions ont été prises en faveur du propriétaire contre le créancier : (page 658) C'est-à-dire qu'on avait pris le crédit au rebours. Le crédit ne sera réellement constitué que lorsque le créancier pourra avoir la certitude de rentrer dans ses fonds à une époque certaine et déterminée. La constitution du crédit agricole sera surtout utile dans les Flandres, où la propriété est divisée à l'infini, et où elle a par suite une valeur tellement minime qu'il est impossible qu'elle présente un gage au créancier.
Je connais beaucoup de propriétaires qui reçoivent des secours du bureau de bienfaisance. Ils ont un arpent ou deux de terres d'une valeur d'un ou deux mille francs ; ils ne tirent aucun revenu de ce capital. C'est là un côté particulier de la question du crédit agricole. On doit, d'une part, diminuer les frais d'expropriation; d'autre part, donner à ces petits propriétaires le moyen de tirer de leur propriété un parti qu'ils ne peuvent en tirer aujourd'hui.
L'instruction primaire a été signalée comme un des moyens à employer pour améliorer insensiblement la situation des Flandres. J'applaudis de toutes mes forces à l'application de ce moyen, comme l'entend M. le ministre de l'intérieur. Mais je crains qu'avec la loi actuelle on ne rencontre de grandes difficultés à son application par les communes. Malheureusement, ce n'est pas seulement de la négligence, c'est même de l'hostilité que rencontre dans les communes l'application de la loi. Elles considèrent l'application de la loi comme une ruine pour elles. Je la considère comme impossible tant que les frais de l'instruction primaire pèseront sur les communes. Il faudrait, par une mesure large, grande, généreuse, mettre les frais de l'instruction primaire à charge de l'Etat. De cette manière, les communes pauvres jouiraient, comme les communes riches, du bienfait de l'instruction primaire, tandis qu'elles en sont privées aujourd'hui. Ou bien, il serait pour elles une cause de ruine.
La chambre est fatiguée de cette discussion qui l'occupe depuis très longtemps. Je bornerai là mes observations. Je ne considère comme moyens actuellement praticables que les mesures qu'a prises le gouvernement, dans l'intérêt des ateliers de perfectionnement. J'appuie de tous mes vœux, comme le seul moyen de tirer l'industrie linière du marasme où elle est actuellement, la création d'une société d'exportation.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. de Haerne. - Si l'heure était très avancée, je n'insisterais pas pour avoir la parole. Mais l'heure n'étant pas très avancée, rien n'empêcherait d'entendre quelques orateurs.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je crois que l'honorable M. Sinave a aussi l'intention de parler. Quand la liste des orateurs sera épuisée, je demanderai à dire quelques mots. Je ne prolongerai pas, ou reste, la discussion. Je me bornerai, autant que possible, à des faits.
M. le président. - La clôture n'ayant pas été demandée par dix membres, la discussion continue. La parole est à M. de Haerne.
M. de Haerne. - J'ai demandé la parole lorsque j'ai été interpellé tout à l'heure par un honorable orateur, député de Gand. A la vérité, messieurs, j'éprouve un certain embarras pour lui répondre, embarras qui s'explique naturellement par l'ascendant que cet honorable membre a pris dans cette enceinte, et qui est dû à bon droit à son grand talent. Mais je pense que la chambre voudra bien m'accorder une indulgence dont j'ai, en cette circonstance, plus besoin que jamais.
Quel que soit le mérite que l'on doit reconnaître à l'orateur auquel je réponds, il lui est échappé une inexactitude que je tiens à rectifier dans l'intérêt de la vérité.
L'honorable député de Gand a semblé, dès le début de son discours, me faire une sorte de grief de ce que je n'avais pas donné une approbation pleine et entière à tous les actes posés par le gouvernement relativement à la question des Flandres.
Messieurs, je ne me suis pas exprimé dans un sens hostile au gouvernement; seulement j'ai pris la liberté de dire que tout en approuvant les mesures prises par le gouvernement dans cette grave, dans cette immense question, je croyais cependant qu'il aurait pu aller plus loin. Et à cet égard je crois que je ne suis pas le seul qui se soit exprimé de cette manière. Je ne pense d'ailleurs pas que le ministère puisse se formaliser de mes paroles. Car pourquoi sommes-nous ici? C'est pour nous éclairer ; c'est pour faire connaître les idées qu'on a conçues, qu'on a puisées quelquefois au milieu des populations flamandes et quelquefois un peu aussi dans la pratique des affaires, des hommes et des choses.
Je ne puis donc accepter cette idée île reproche qui m'a été attribuée par l'honorable membre.
L'honorable M. d'Elhoungne m'a particulièrement reproché de m'être fait l'apologiste d'une institution que j'ai toujours regardée comme bonne quant aux résultats généraux qu'elle a produits, et malgré certains abus auxquels nécessairement elle devait donner lieu. Je veux parler de l'institution des comités industriels qui étaient en même temps des comités de bienfaisance. Mais, messieurs, je crois qu’à cet égard je suis beaucoup plus près de m'entendre avec l'honorable M. d'Elhoungne qu'il ne l'a pensé lui-même. Car il vous a dit qu'il était le premier à rendre hommage à cette institution, en ce qui concerne son action de bienfaisance, mais qu'il la désapprouvait en ce qui concerne son action industrielle.
Messieurs, quant à moi, j'ai approuvé les comités. J'ai dit qu'ils avaient fait du bien et beaucoup de bien ; mais je n'ai pas dire que j'approuvais tout dans les comités. Je n'ai pas dit non plus pourquoi je leur accordais particulièrement mon approbation ; et si je dois déclarer toute la vérité, un des motifs principaux pour lesquels j'ai toujours pris la défense de cette institution dans cette enceinte, c'est à cause de sou action de bienfaisance. Mais tout n'est pas là.
Les comités avaient un double but : d'abord ils devaient venir au secours des populations souffrantes par le travail et en second lieu ils devaient introduire dans l'industrie linière et dans d'autres industries les améliorations dont elles étaient susceptibles.
Les comités en un mot étaient, d'un côté, des succursales, des bureaux de bienfaisance et de l'autre côté, de véritables ateliers modèles, ateliers d'apprentissage et de perfectionnement.
En ce qui concerne cette seconde qualité, j'avoue que beaucoup de comités ont été en défaut. Je suis loin d'approuver tout ce qui s'est fait. Je crois qu'il y a eu des abus et des abus réels. Mais je déclare que ces abus sont inséparables d'institutions pareilles, surtout au commencement ou dans des temps calamiteux.
Ces abus, messieurs, doivent aussi se rencontrer dans les ateliers d'apprentissage ; non pas tout à fait les mêmes abus, si vous voulez, mais des abus semblables, et je pourrais en signaler. L'honorable membre devrait remarquer que sa critique dirigée contre l'action industrielle des comités s'adresse également aux ateliers érigés par le ministère actuel.
Mais de ce que des abus se rencontrent dans une institution, ce n'est pas une raison pour la supprimer, c'est une raison pour l'améliorer, afin de la faire répondre à son but.
Permettez-moi, messieurs, de citer quelques chiffres, en réponse à un honorable député d'Alost, qui m'a attaqué sur le même point.
Ces chiffres sont officiels; ils sont empruntés aux exposés de la situation de la Flandre orientale, documents qui émanent de la députation permanente dont l'honorable M. Bruneau faisait partie, et dont le dernier est signé par le gouverneur M.de Cock. L'honorable représentant d'Alost vous a parlé des grandes pertes essuyées par les comités. Il vous a dit que parfois ces comités avaient vendu les produits en dessous du prix de la matière première.
Cela est vrai pour certains cas, messieurs; c'est là un abus que j'ai été le premier à signaler. Mais voulez-vous des chiffres positifs pour ce qui regarde les résultats généraux obtenus par les comités de la Flandre orientale? Je cite la Flandre orientale, parce que je réponds à deux honorables membres appartenant à cette province. Je laisserai de côté ma province, dont je me suis occupé dans mon premier discours.
Voici, messieurs, quels ont été les résultats, quant aux pertes essuyées par les comités de la Flandre orientale. Je parle ici, non de quelques comités particuliers, mais de tous les comités généralement institués dans la Flandre orientale.
D'après les documents officiels que j'ai eus sous les yeux et dont j'ai pris des extraits en 1845, pour cent onze comités de la Flandre orientale dans lesquels on comptait 22,087 travailleurs, il y a eu une perte de 2 fr. 49 c. par tête, fileuse ou tisserand.
En 1846, année de détresse, il y a eu pour 36,724 ouvriers, perte de 9 fr. 27 c. par tête. En 1847, la perte a été de 7 fr. 60 c. par tête. Ces comités ont travaillé avec des sommes qui montaient en 1845, par exemple, à 125,000 fr. et par le roulement à 586,832 fr. Voilà, messieurs, les énormes pertes qu'ont essuyées les comités, pertes qu'on vous représente comme un épouvantail devant lequel la chambre doit reculer à cause des immenses sacrifices qu'elle devrait faire en présence du gouffre du déficit qui s'ouvre sous ses pieds. Car c'est à peu près là le langage qu'on vous a tenu. Vous voyez, messieurs, à quoi se réduisent ces sacrifices faits envers de pauvres ouvriers sans travail, pour lesquels j'invoquerai de nouveau l'autorité de M. Thiers. Nourrir un indigent pendant une année au moyen de fr. 2.49; 9.27 ou 7.60, cela s'appelle une perte.
Messieurs, il faut bien le remarquer, l'action de la bienfaisance exercée par ces comités, se rattache à l'action industrielle même. Elle en est inséparable. C'est pour cela que j'ai toujours appuyé l'institution des comités, tout en en provoquant la réforme, non seulement depuis une année, mais dès leur existence, et sous tous les cabinets. Car, je dois le dire, je remarque dans cette discussion certaines allusions qui paraissent se rattacher à des questions politiques.
Or, je dois déclarer que mes observations sont étrangères à ces questions. J'ai dit sous tous les cabinets, et sous le précédent cabinet plus que sous celui-ci, ce qui manquait à cette institution des comités. Il n’y a donc ici rien d'hostile au ministère actuel. Il n'y a qu'une pensée de faire le plus de ben possible au moyen de cette institution.
Je dis donc que l'action de la bienfaisance est inséparable de l'action du travail dans l'œuvre des comités. Car, comment pourriez-vous assurer l'existence aux ouvriers, les soutenir en faisant des pertes aussi minimes que celles que j'ai signalées, si ce n'est en organisant le travail? Ne faut-il pas nécessairement recourir au travail pour pouvoir nourrir des populations aussi nombreuses avec des pertes aussi insignifiantes?
Sans doute vous pouvez nourrir les populations sans le travail ; mais de quelle manière? En faisant des sacrifices énormes par l'aumône. On nous reproche souvent l'aumône. Mais je ne veux pas de l'aumône, je veux le travail, je veux les secours par le travail et rien que cela, hors de là je ne vois pas de salut pour la classe indigente, je ne vois que le malheur et la mort.
C'est pour ce motif seul, messieurs, que j'ai approuvé l'institution des comités. Vous voyez qu'il y a dans le comité deux choses qui sont inséparables, la bienfaisance et le travail. Les comités s'attachaient à perfectionner le travail, comme le font les ateliers actuels.
On s'est étrangement trompé sur l'institution des comités. On a procédé par des préjugés, et on n'a jamais pénétré au fond des choses.
(page 659) Pour l'action industrielle, que l'on a seule critiquée, je ne puis assez le dire, les comités sont remplacés par les ateliers, avec cette différence cependant que les comités avaient pour tâche d'introduire les améliorations industrielles presque dans toutes les communes linières, soit à domicile, soit au moyen d'ateliers, tandis que maintenant les ateliers sont assez clairsemés.
Je trouve, messieurs, que les ateliers sont une très bonne institution. Je les approuve et j'ai même dit dans cette chambre que le gouvernement devait les multiplier davantage. Mais beaucoup de comités avaient aussi institué des ateliers, d'autres instruisent les ouvriers chez eux. Certainement on a profité de l'expérience, on a introduit des améliorations qui n'existaient pas dans les comités, mais l'institution était la même au fond, sous le rapport industriel.
Quant aux résultats obtenus par les comités, je me rappelle un fait que j'exposerai à la chambre. Vous connaissez, messieurs, les travaux de défrichement que l'on a faits dans le Vry-Geweyd, travaux excellents, que j'approuve entièrement: je me trouvais sur les lieux, il y a environ trois mois, j'y rencontrai un honorable bourgmestre qui me dit : « C'est une entreprise excellente ; le gouvernement dépensera une centaine de mille francs, pour défricher cette bruyère ; j'applaudirai à la mesure, mais enfin, on nourrit ici 80 ouvriers en faisant une dépense énorme... »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Deux cents.
M. de Haerne. - Il n'y en avait que 80, mais enfin je suppose qu'il y en ait 200 ; eh bien, ce bourgmestre me disait que dans la commune de Lichtervelde, qui touche à la bruyère, il existait un comité qui s'était maintenu parce que là il y avait plus de zèle, plus de courage qu'en d'autres endroits et que ce comité, avec un capital de 6 ou 7 mille francs, nourrissait 300 ouvriers. Le salaire était de 30 c. pour la fileuse et d'un franc pour le tisserand. Eh bien, que l'on critique les comités après des faits semblables !
Messieurs, je dois dire toute ma pensée à l'égard des comités industriels. Il y a, au fond des attaques dirigées contre les comités, une pensée que l'on n'explique pas assez et que je crois devoir signaler. Les comités s'occupaient avant tout de l'ancienne industrie linière, sans cependant s'opposer aux progrès de l'industrie nouvelle. Eh bien, messieurs, quand j'examine bien l'opinion des membres qui combattent les comités, j'y vois toujours le préjugé que l'on entretient contre l'ancienne industrie linière. Je ne suis pas contraire à la nouvelle industrie ; c'est une spécialité, et par cela seul que cette spécialité existe il faut la conserver; mais l'ancienne industrie est aussi une spécialité et une spécialité dont les produits sont voulus non seulement dans le pays, mais encore à l'étranger. Il faut donc aussi la conserver. Nous ne sommes pas exclusifs, ce défaut est celui de nos adversaires.
Si la chambre le permet, je répondrai quelques mots à l'honorable ministre des travaux publics. M. le ministre a fait des observations très judicieuses, très remarquables sur l'état des Flandres, observations auxquelles j'applaudis, car je dois le reconnaître, il s'est posé ici en défenseur des Flandres, et j'ai sous ce rapport la plus grande confiance et dans son caractère et dans sa loyauté et dans son talent éminent; mais, messieurs, permettez-moi de relever ou plutôt de rectifier quelques-unes de ses expressions qui ne m'ont point paru exactes, et je pense bien que, d'après les explications que j'aurai l'honneur de fournir à la chambre, M. le ministre des travaux publics sera le premier à se ranger à mon avis.
L'honorable ministre des travaux publics, en répondant à un député de Roulers, a dit : « Il faut centraliser l'ancienne industrie linière. » L'honorable M. Dumortier avait soutenu l'idée de la décentralisation ; je résume les deux systèmes en deux mots : l'organisation ancienne, l'organisation nouvelle. La question est de savoir s'il faut abandonner l'organisation ancienne pour adopter exclusivement l'organisation nouvelle. Et quand je dis l'organisation, remarquez bien que je la distingue de l'industrie même, car dans l'ancienne industrie vous pouvez avoir l'organisation ancienne et l'organisation nouvelle. L'organisation nouvelle, c'est l'industrie exercée en grand, d'après les idées modernes, avec des centres de fabrication. L'ancienne organisation, c'est ce qu'on appelle le travail en chambre ; là chaque ouvrier travaille au sein de sa famille, le plus souvent pour son compte, il n'y a pas de fabriques proprement dites. L'honorable ministre des travaux publics a soutenu qu'il fallait adopter la nouvelle organisation et abandonner l'ancienne. Eh bien, moi, messieurs, je pense qu'il faut maintenir l'une et l'autre. Il faut établir la centralisation dans l'ancienne industrie aussi bien que dans l'industrie nouvelle pour satisfaire aux besoins du commerce en grand, qui commande par centaines de pièces absolument égales. Là il faut adopter nécessairement l'organisation nouvelle. Mais l'organisation ancienne est nécessaire pour favoriser la culture du lin. Sans cette organisation, la culture du lin court les plus grands dangers. Comment se faisaient autrefois les travaux du lin ? La plupart des fermiers, dans une grande partie de la Flandre, vendaient le lin sur pied à crédit, aux tisserands; ceux-ci faisaient les manipulations dans leurs moments perdus et ne comptaient pas les journées de travail qu'ils y employaient. Ceci permettait aux fermiers de vendre leur lin avec un bénéfice plus grand que celui qui leur serait resté s'ils avaient dû supporter eux-mêmes les journées de travail que ces manipulations exigent. Aussi, messieurs, la culture du lin a-t-elle considérablement diminué depuis que ce crédit n'existe plus, depuis que les petits tisserands n'ont plus le crédit nécessaire pour acheter le lin sur pied et se charger ainsi des manipulations ? Je crois donc qu'il faudrait restituer le crédit aux tisserands afin de venir ainsi en aide à la culture, car ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire dans la séance du 30 janvier, les deux choses doivent marcher ensemble ; les tisserands doivent venir au secours de la culture comme le cultivateur doit venir au secours des tisserands.
Ainsi, messieurs, tout en admettant même pour l'ancienne industrie, la centralisation, la fabrication en grand, pour satisfaire aux demandes du commerce en grand, je dis qu'il faut aussi maintenir l'ancienne organisation dans l'intérêt de la culture et dans celui du plus grand nombre des tisserands.
J'appelle ici l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la grave question du crédit des tisserands auprès des cultivateurs. Le rétablissement de ce crédit serait le plus grand service que l'on pût rendre non seulement aux tisserands, mais en même temps aux cultivateurs; ce serait le plus grand encouragement qu'on pût donner à la culture dans les Flandres.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous l'avons essayé.
M. de Haerne. - M. le ministre de l'intérieur me fait l'honneur de me répondre qu'on l'a essayé. Permettez-moi de dire que c'est encore une de ces mesures que j'avais provoquées la première fois que j'ai eu l’honneur de prendre la parole devant vous. C'est en partie à cause de cette mesure que je croyais ne pas avoir été prise, que je disais qu'on n’avait pas fait tout ce qu'on devait faire. (Interruption.) Je dirai que cette mesure est excellente, et puisque M. le ministre de l'intérieur me dit qu'elle est déjà entrée dans l'ordre des faits, je l'en remercie au nom des cultivateurs et des tisserands flamands. Il est seulement à désirer que cette mesure soit généralisée par l'action du gouvernement, pour les communes qui la demandent, et elle peut l'être.
Beaucoup de communes la recherchent, et pour preuve, je dirai que dans certaines localités on a établi ce crédit sur les fonds communaux.
Toutes les communes ne sont pas à même de le faire, faute de ressources suffisantes, et c'est ici que le gouvernement devrait intervenir en prêtant son crédit pour la moitié ou au moins pour le tiers. Ce serait un grand service rendu aux campagnards, et la perte serait minime, attendu que le tisserand aurait le plus grand intérêt à payer son lin à l'époque fixée, pour ne pas être privé, à l'avenir, de cet avantage. L'expérience d'ailleurs vient à l'appui de mon assertion.
Messieurs, on a critiqué l'emploi de l'estampille. M. le ministre des travaux publics, entre autres, a dit qu'à son avis cette mesure était dangereuse, en ce qu'elle tendrait à discréditer l'industrie linière à la mécanique.
Telle n'a pas été mon intention, messieurs, quand j'ai parlé précédemment; je ne veux pas plus discréditer la nouvelle industrie linière que toute autre industrie ; mais je désire quelle ne se substitueras à l'ancienne frauduleusement et au détriment du pays et des classes ouvrières, en ruinant à l'intérieur et à l'étranger notre réputation de loyauté et de bonne foi. En apposant l'estampille sur les toiles faites, soit à la main, soit à la mécanique, vous faites connaître au consommateur la qualité qu'il veut acheter, sans rien discréditer. Voilà tout.
Encore un mot, messieurs, on nous dit sans cesse : Brisez vos rouets, remplacez-les par des broches ; imitez l'Angleterre avec ses centaines de filatures mécaniques. Je répondrai brièvement que l'Angleterre en 1841 occupait à la filature et au tissage du lin 19,148 ouvriers et l'Ecosse 48,600, ce qui fait en tout 67,748 travailleurs. Comparez ce chiffre à celui de nos 400,000 ouvriers liniers, et vous verrez quelle est la force de ce raisonnement. J'ai dit.
M. Toussaint. - Messieurs, si j'ai pris la parole tout à l'heure, c'a été pour rétablir le droit, le devoir et la responsabilité du gouvernement. C'est à cette occasion que, touchant la question flamande, j'ai été amené à parler de la gêne pécuniaire où se trouvaient certaines communes et de la nécessité de les aider à sortir de cette situation difficile dans l'intérêt même de la continuation de l'exercice de la charité publique. Mon intention était de m'occuper de cette question, lors de la discussion des articles. Mais comme l'honorable M. d'Elhoungne, à propos du mot de prêts prononcé par moi, a reproché aux communes dont j'ai parlé, d'avoir abaissé leur cotisation personnelle, à l'effet d'obtenir plus de secours du gouvernement, je dois rétablir la vérité des faits.
Au lieu de 75 centimes par tête dont a parlé l'honorable M. d'Elhoungne, se bornant toujours au petit rayon qui a le bonheur de le posséder; au lieu de 75 centimes par tête, on paye 3 ou 4 fr. par tête dans la Flandre centrale où la crise continue à sévir.
M. d'Elhoungne. - En moyenne?
M. Toussaint. - Oui.
M. d'Elhoungne. - Cela est inexact.
M. Toussaint. - Je vais le prouver.
La commune de Meulebeke n'a plus que 8,000 habitants ; elle paye 35,000 fr. de cotisation personnelle ; cela revient à un peu plus de 4 fr. par tête; la commune d'Oostroosebeke a 4,000 habitants et paye 15,000 fr., cela fait un peu moins de 4 francs par tête. Il en est ainsi d'autres communes.
Ces communes payent en cotisation personnelle et en charges directes pour la charité publique, une somme égale à la contribution foncière et à la contribution personnelle réunies. Ce fait ne se rencontre sur aucun point du pays. Ainsi la commune de Meulebeke paye 43,000 francs (page 660) pour la contribution foncière et pour la contribution personnelle; et ses cotisations communales sont de 35,000 francs.
Dans ces mêmes communes les propriétés bâties ont vu abaisser successivement leur pris, de telle sorte qu'il y a des propriétés qui se vendent pour 5 fois le revenu cadastral, tandis que, partout ailleurs, les biens se vendent 30 ou 40 fois la valeur cadastrale.
Il en résulte à la dernière évidence que cette partie du pays, où la fortune publique a si fortement diminué, continue à payer les contributions foncières, comme si ses facultés contributives étaient restées les mêmes. Par conséquent, en outre de ses énormes charges locales, elle subit une considérable surtaxe au profit du trésor et à la décharge des autres parties de la Belgique.
On ne peut pas réviser, je le sais, le cadastre tous les ans ; mas pour peu qu'on veuille y regarder de près, on verra que cette partie spéciale du pays flamand paye en impôt foncier le double de ce qu'elle devrait payer; et lorsqu'une contrée si fortement chargée, si courageuse, si résignée, vient faire un appel à l'intervention du gouvernement, il serait odieux de repousser ces communes par une fin de non-recevoir.
Je me réserve de répondre à cette question à l'article industrie du budget de l'intérieur. Je la rattacherai à l'article industrie, parce que, outre le caractère de simple avance à remboursement assuré, je veux encore que l'avance se rattache à la question de l'amélioration du travail; le travail moralise et ennoblit l'homme ; législateurs, nous ne saurions assez nous en souvenir.
M. Orts. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi sur la réduction du personnel des cours et tribunaux.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. le président. - A quel jour la chambre entend-elle fixer la discussion de ce rapport?
M. Cans. - La chambre n'a pas encore pris de décision quant à la mise à l'ordre du jour du projet de loi sur la réforme postale.
M. le président. - Pardon, le projet a été mis à l'ordre du jour.
M. Orts. - Je pense que la chambre ne peut pas fixer dès à présent la discussion du rapport que je viens de déposer. Cette discussion doit être nécessairement postérieure à celle du projet de loi relatif à la compétence criminelle.
M. Jullien. - Je déposerai demain ce rapport sur le bureau.
M. Cools. - La mise à l'ordre du jour du projet de loi sur la réforme postale ne préjuge rien sur les propositions qui pourraient être faites de mettre un autre projet avant.
M. le président. - La chambre est toujours maîtresse de changer son ordre du jour.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demanderai si la liste des orateurs inscrits pour parler dans la discussion générale du budget de l'intérieur est épuisée, car je désire ne prendre la parole que quand tout le monde aura parlé.
M. le président. - Il n'y a plus d'orateur inscrit.
M. Jullien. - Je demande la parole.
- Plusieurs voix. - A demain !
M. Jullien. - Je ne désire dire que quelques mots dans cette discussion, je prie la chambre de m'entendre aujourd'hui. (Parlez ! parlez!)
MiR. - Je demande que la chambre veuille bien m'entendre demain à l'ouverture de la séance.
M. Jullien. - Sans doute il y a, messieurs, beaucoup de misère dans les Flandres, mais il n'y a pas que les Flandres qui soient malheureuses.
Les Flandres ne sont pas les seules où l'industrie soit frappée de décadence.
D'autres provinces souffrent, et elles savent contenir leurs doléances.
Les populations y ont foi dans un meilleur avenir ; elles ont foi dans la sollicitude du gouvernement; elles font la part des circonstances difficiles, et de la crise que la Belgique, comme toutes les nations, a dû subir.
Député d'une province où toutes les industries sont paralysées, où la classe ouvrière est privée d'ouvrage, où les salaires de la main-d'œuvre sont tombés à un taux infime, qu'il me soit permis d'élever la voix pour engager le gouvernement à alléger l'état de malaise qui affecte les pauvres ouvriers du Luxembourg en même temps que le commerce et l'industrie de cette province.
Mais je reconnais que le gouvernement est impuissant pour garantir le droit au travail et les bénéfices du travail à tous les membres de la famille belge; je reconnais qu'il est impuissant pour répandre l'aisance dans tous les ménages.
Tout ce que peut le gouvernement, c'est de moraliser les masses par un enseignement solide, c'est de répandre dans les masses l'éducation professionnelle et industrielle, c'est d'accorder des secours au travail par de grands travaux d'utilité publique, c'est d'encourager le commerce, l'agriculture et l'industrie en créant à nos produits des débouchés à l'extérieur et en en favorisant l'écoulement sur les marchés intérieurs ; ce qu'il peut aussi et ce qu'il doit faire, c'est de s'abstenir de toute concurrence dans des entreprises industrielles et commerciales à l'industrie privée.
Le gouvernement peut faire beaucoup dans ce cercle, mais il doit le faire non pour les Flandres seulement, mais pour toutes les provinces.
En dehors de cette sphère, c'est aux populations à s'aider, à se sauver par leurs propres forces, par leur propre courage, par ce vieil et antique courage qui jamais n'a fait défaut à nos aïeux, et par un travail soutenu, joint à un genre de vie moral et sobre.
A ce point de vue, je dirai aux ouvriers flamands : Ne vous immobilisez pas, n'immobilisez pas vos enfants sur vos métiers de tisserand; appliques vos forces, votre intelligence à d'autres industries. Si le tissage à la mécanique a tué le tissage à la main, imitez des ouvriers peut-être aussi malheureux que vous; sachez vivre comme eux d'une manière frugale; vos besoins seront moins grands; ayez comme eux, s'il le faut, le courage d'aller utiliser vos bras sur le sol étranger, si le travail vous manque sur le sol national.
Il m'est resté, messieurs, de toute cette discussion la conviction que les sommes immenses dépensées jusqu'à ce jour par le gouvernement pour venir au secours des Flandres n'ont été que des palliatifs inefficaces.
Le gouvernement doit se montrer désormais sobre de toute dépense qui ne doit point amener de résultats fructueux; c'est principalement à de grands travaux d'utilité publique que les allocations de subsides mis à sa disposition par les chambres doivent recevoir leur affectation.
Je comprends, messieurs, ce qu'il peut y avoir d'utile dans une société d'exportation, non seulement pour l'industrie des Flandres, mais encore pour l'industrie des autres provinces.
Mais quoique partisan d'une semblable société, je ne l'appuierai jamais, si les capitaux particuliers ne la fondent pas sous le patronage du gouvernement.
J'ai pris acte des paroles de l'honorable M. d'Elhoungne lorsqu'il a dit qu'il fallait le concours des capitaux privés ; je me les rappellerai, et j'engage tous mes collègues à ne pas en perdre le souvenir lorsque nous serons saisis du projet de loi relatif à cette société.
A mes yeux une société d'exportation doit être avant tout l'œuvre de l'industrie privée ; je considérerais comme dangereux, comme imprudent, d'engager le trésor public pour des sommes considérables dans une entreprise aussi chanceuse, aussi aléatoire.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.