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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 1 février 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 603) M. Dubus procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la précédente séance, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus présente l'analyse des pièces adressées à la chambre :

« Le sieur Arnauts, ancien militaire, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir un emploi ou une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les employés au commissariat de l'arrondissement d'Anvers présentent des observations contre la réduction des sommes accordées aux commissariats d'arrondissement, à titre de frais de bureau. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Le sieur Degoer prie la chambre de lui accorder une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi portant le budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1849

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. de Royer.

M. de Royer. - Messieurs, en procédant à l'examen du budget du département de l'intérieur pour l'exercice 1849, je fus frappé d'y voir que plusieurs fonctionnaires touchent des traitements énormes, par suite du cumul des fonctions qu'ils remplissent avec d'autres emplois pour lesquels ils reçoivent aussi des appointements du trésor.

J'ai aperçu des noms qui figurent sur d'autres budgets et réunissent ainsi plusieurs emplois, ressortissant à différents ministères, donnant tous de très gros émoluments.

J'ai entre autres remarqué deux fonctionnaires, il y en a peut-être un plus grand nombre, dont les noms se reproduisent sur quatre budgets différents et qui touchent, sans respect pour l'opinion publique, un traitement sur chacun de ces budgets. En sorte que le total de la somme payée par l'Etat à ces cumulards (passez-moi le mot) s'élève pour eux deux seulement, à l'énorme somme de fr. 41,709-10.

Ce cumul exorbitant, qui, j'aime à le croire, est ignoré de MM. les ministres, existait avant qu'ils soient arrivés aux affaires; il n'est pas le seul en ce genre, et constitue évidemment un abus grave sur lequel je dois attirer l'attention de la chambre et du pouvoir.

Lorsque nous fûmes envoyés dans cette enceinte, nous y arrivâmes, non seulement avec des idées d'ordre et d'économies, mais aussi avec des idées de justice, et bien résolus à signaler au cabinet tout ce qui peut intéresser le pays; notamment l'extirpation des abus, la cessation du favoritisme. Eh bien, messieurs, il est de notre devoir de dire au gouvernement, ce qu'il ne sait peut-être pas encore, c'est que tel et tel fonctionnaire est attaché à deux, trois et quatre départements administratifs, et se trouve par là partie prenante à quatre budgets différents... Cela paraîtra incroyable, extraordinaire, mais j'ai les preuves en mains, et le doute n'est pas permis.

Cet état de choses, messieurs, est d'autant plus affligeant que si ces emplois étaient confiés à des titulaires différents, ils seraient peut-être remplis avec plus de soins encore, et viendraient en aide à un plus grand nombre de pères de famille ; et ce serait justice.

Dans cette occurrence, l’on ne peut, messieurs, se dissimuler combien il est devenu urgent de prendre des mesures pour arrêter cette soif d'emplois qui dévore quelques fonctionnaires qui, s'imaginant être fort maltraités, se récrient contre l'ingratitude du ministère, alors qu'ils ne réunissent pas dans leurs mains, deux, trois ou quatre fonctions différentes, procurant toutes de bons émoluments ; un seul moyen existe pour calmer ces prétentions exorbitantes et donner au gouvernement un argument pour résister à certaines exigences : c'est une loi pour remédier aux abus du cumul.

Dans la séance de la chambre des représentants du 10 février 1838, M. le baron d'Huart, à cette époque ministre des finances, présenta, au nom du gouvernement, un projet de loi relatif au cumul. Ce projet, accompagné d'un exposé des motifs, n'a jamais été ni discuté, ni retiré, et se trouve encore maintenant dans les cartons de la chambre. Je prie le gouvernement d'examiner s'il ne conviendrait pas de s'occuper d'une loi sur le cumul immédiatement après l'examen des budgets, afin d'apporter très incessamment un terme à des abus qui, une fois connus, doivent nécessairement exciter un mécontentement général, et d'autant plus fondé que plusieurs des fonctionnaires ainsi favorisés, et auxquels je fais allusion, ne rendent au pays que des services d'une importance bien minime, en raison de la masse d'argent qu'ils emportent du trésor.

Je prie instamment le cabinet de vouloir bien ne pas perdre de vue que le cumul des emplois et surtout celui des traitements était au nombre des griefs que l'on reprochait avec tant d'amertume au gouvernement hollandais. Il se gardera, j'en suis certain, de tomber dans la même faute ; son patriotisme nous en est un sûr garant.

Les électeurs en nous confiant leurs intérêts les plus chers, les deniers du contribuable, ont voulu, messieurs, que nous examinions scrupuleusement tous les rouages de la machine gouvernementale, et que nous ayons le courage de démontrer les irrégularités, les fautes, et d'en solliciter le redressement.

Eh bien, messieurs, en présence des événements politiques qui ont occupé et occupent encore les pays qui nous environnent; en présence des préoccupations que cette situation a occasionnées au gouvernement, nous devons convenir que le ministère a fait tout ce qu'il lui était possible de faire pour l'exécution de son programme ; et loin de partager les craintes de quelques-uns de nos honorables collègues, j'ai l'espoir, la conviction même que le cabinet, soutenu par les chambres, marchera résolument dans la voie des améliorations; mais, messieurs, l'on ne peut tout entamera la fois, ayons confiance en l'avenir, ne récriminons pas, bornons-nous pour le moment à signaler les fautes, le pouvoir s'empressera de les réparer, ses antécédents nous répondent de l'avenir. Et pour ce qui me concerne, je ne puis méconnaître tout ce que le cabinet actuel a fait pour la Belgique depuis son avènement au pouvoir.

Je l'appuierai, parce qu'il a répondu à ce que le pays attendait de lui, et parce que je suis convaincu que le précieux accord de tous les pouvoirs doit avoir d'heureux résultats dans les circonstances graves où nous nous trouvons ; l’union est indispensable, pour que la session de 1848-1849 soit fertile en améliorations utiles, en un commencement de notables économies tant désirées, et auxquelles le gouvernement s'associera en se mettant u la hauteur des besoins généraux du pays.

Je terminerai, messieurs, en demandant au cabinet de comprendre au nombre des lois vivement réclamées, celle pour parer aux abus du cumul, et de nous la présenter dans le cours de la présente session.

M. Schumacher. - Messieurs, dans la séance du 8 décembre, lors de la discussion du budget des affaires étrangères, j'ai eu l'honneur de dire à la chambre :

« Il manque au commerce et à l'industrie belge une haute direction forte et capable. L'établissement de cette direction devient de plus en plus urgent, pour mettre fin à ces oscillations qui, depuis bien des années, se rencontrent dans la marche du gouvernement, lorsqu'il s'agit de mesures à prendre dans l'intérêt de l'industrie et du commerce, oscillations qui proviennent de ce qu'il y a absence d'un système commercial bien arrêté, par suite manque de garantie et de stabilité. »

(page 604) Le rapport de la section centrale sur le budget du ministère de l'intérieur, présentement en discussion, m'apprend que mon opinion est partagée.

Cette section signale à son tour l'indispensable nécessité d'entourer la direction de notre industrie cl de notre commerce de plus de garantie et de stabilité.

Elle aussi convient qu'il y a absence d'un système commercial bien arrêté, et cela n'est pas bien difficile à démontrer.

Il suffit de jeter un regard sur notre tarif des douanes pour y voir que certaines de nos industries jouissent de droits protecteurs démesurés, et que pour d'autres il y a ou absence ou insuffisance de protection.

Je vais citer. La filature du coton est protégée par un droit de 93 fr. 28 c. additionnels compris, pour 100 kil., ce qui équivaut à 50 p. c. et plus de la valeur, et la filature de la laine n'est protégée que par un droit de 116 francs pour les fils de provenance anglaise et de 69 fr. 80 c. pour ceux de provenance française, environ 15 à 20 p. c. de la valeur, protection qui lui est enlevée par la prime de sortie payée par nos voisins du midi. Pourquoi cette différence ?

Les ouvriers que ces industries font vivre ne méritent-ils pas une égale protection? Les ressources que l'industrie lainière peut offrir aux bras inoccupés, sont-elles donc tant à dédaigner?

En 1843, l'on fait droit aux justes réclamations de l'industrie lainière; des droits protecteurs lui sont accordés; en 1846, pour satisfaire aux exigences imposées par le malencontreux traité du 13 décembre, l'on détruit ce qui avait été fait en 1843. En 1848 des primes nouvelles sont accordées par la France à ses tissus de laine, en même temps qu'à ses tissus de colon et à ses tissus de lin.

Le gouvernement accorde un équivalent à ces deux dernières branches d'industrie ; mais il refuse de faire quoique ce soit pour l'industrie de la laine.

De pareils oublis, de telles inégalités sont désastreuses pour l'industrie; les capitaux engagés sont compromis ou découragés.

Confiant dans la protection qui lui est accordée, l'industriel crée des usines, des établissements; mais la protection une fois détruite, sa propre ruine et celle de ses ouvriers, tel est le fruit qu'il retire de son travail.

L'industrie de la laine avait fait une conquête précieuse pour le pays, en y introduisant la fabrication de tissus connus sous la dénomination d'orléans, paramallas et autres.

Les filatures du pays ne lui fournissant point en qualité, en quantité et au prix voulus, les fils de coton chaînes retors n°80 à 130, nécessaires pour la confection de ces tissus, le gouvernement permit l'entrée de ces fils, au droit de 8 francs les 100 kil. Survient une réclamation, et sans enquête préalable, la loi du 10 mars 1848 frappe ces mêmes fils d'un droit de 128 francs les 100 kil.

Cette déplorable mesure eut pour résultat de paralyser l'industrie nouvellement importée.

Le prix de revient nécessairement plus élevé de ces tissus mit obstacle à leur vente, tant dans le pays qu'au dehors, bon nombre de métiers se désorganisent, et maints ouvriers vont se trouver sans travail et sans pain.

Ce qui vient encore prouver l'absence d'un système commercial bien arrêté, c'est le remaniement continuel de la législation qui régit les sucres; les changements apportés à la législation pour les tabacs, les bois, les cafés, etc.

Depuis près de dix ans, la question linière est à l'étude ; chacun se la passe de main en main et nous ne pouvons arriver à un système d'ensemble.

On a créé commission sur commission ; on a instruit enquête sur enquête, et en ce moment encore on ne peut dire si nous aurons ou si nous n'aurons pas une société de commerce d'exportation.

Parlerai-je de la loi sur le bétail? Le droit a été élevé en 1824, sup primé en 1847 ; il vient d'être provisoirement rétabli; mais ce n'est ni le système de 1824, ni celui de 1847 qui prévaut, c'est un système mixte, auquel nul ne songeait.

Depuis 1830 nous avons à dix reprises introduit des changements dans notre législation sur les céréales. Ces changements ont toujours été improvisés.

En 1834, la loi principale a été votée malgré le ministère. A la fin de 1848 le ministère a subi un régime qu'il n'avait pas proposé, en même temps la chambre a abandonné au ministère le soin de régler par arrêté beaucoup de faits secondaires qui se rattachent à la législation des céréales.

Tout est donc provisoire, et cependant il s'agit d'un des plus grands intérêts du pays.

Enfin quelle n'est pas l'incertitude qui règne dans cette autre question importante des droits différentiels ? Que de tâtonnements sur la seule question de la relâche de navires à Cowes, sans que l'on puisse arriver à une solution définitive?

Tout cela n'atteste-t-il pas un vice organique dans la direction de notre politique commerciale?

Je pourrais citer bien d'autres faits, mais j'en ai dit assez pour prouver que, dans l'intérêt général, il est urgent d'apporter un changement à la manière de faire jusqu'à présent suivie.

Une haute administration commerciale et industrielle, fortement constituée, toujours la même, et marchant avec un système bien arrêté, telle que, dans la séance du 8 décembre, j'ai proposé de l'établir; une pareille administration obviera aux inconvénients signalés, et ne pourra qu'exercer une grande influence sur la prospérité du pays.

Depuis 1830 chaque changement de ministère nous a apporté un changement de manière de voir, un changement de système, un changement de direction.

Comme il est dans la nature des choses que l'on prétende toujours mieux faire que celui auquel on succède, il ne pouvait en être autrement. De là cette absence de stabilité et de garantie, dont le commerce et l'industrie ont si grand besoin, et sans lesquels tout grand développement devient impossible. Comment veut-on que le commerce et l'industrie engagent leurs capitaux, lorsqu'à défaut d'un système commercial bien arrêté, tout industriel doit craindre de voir ses calculs trompés par un régime nouveau?

Dans ma manière de voir la position géographique du pays indique suffisamment le système commercial qui doit le régir. Système simple, que l'on peut résumer ainsi :

Protection modérée pour son marché intérieur, et déversement des produits de la main-d'œuvre à l'étranger.

En mettant en parallèle la superficie de la France et ses frontières, la superficie de la Belgique et ses frontières, on trouve que cette dernière a dix fois plus de frontières, proportion gardée, que la première.

Il y a disproportion évidente entre les frontières de la Belgique et sa superficie.

Cette position, à laquelle il n'y a pas de remède, présente trop de facilité au commerce interlope, pour que l'on puisse le réprimer avec efficacité.

Il en résulte que des droits modérément protecteurs, présentant peu d'appâts à la fraude, sont ceux que l'intérêt du pays réclame.

Je ne crois pas avoir besoin de faire ressortir tout l'avantage que présente le déversement des produits de la main-d'œuvre à l'étranger. Il est trop généralement reconnu que c'est le travail qui est la véritable richesse d'un Etat.

Je serais heureux de voir la chambre partager mes convictions.

Un conseil supérieur du commerce et de l'industrie manque au pays. On fera, en l'instituant, un grand pas vers sa prospérité.

Quelques mois maintenant sur la question des Flandres.

M. le ministre a rendu compte à la chambre de toutes les mesures qui ont été prises pour venir en aide aux Flandres. Le gouvernement, avec les faibles moyens mis à sa disposition .ne pouvait faire mieux.

Des industries nouvelles ont été introduites dans plusieurs localités. Des ateliers d'apprentissage ont instruit l'ouvrier et lui ont appris à confectionner avec succès des tissus qui ne se fabriquaient point encore dans le pays, tels que le velours de coton, le châle de Nîmes, la mousseline et autres.

Ces conquêtes sont utiles, mais la tâche n'est point terminée, et il reste encore beaucoup à faire.

Toutefois je n'entends point partager l'opinion de l'honorable M. Coomans, qui est de l'avis que la Belgique doit tout produire, qu'elle doit le plus possible exploiter les pays étrangers, et ne rien accepter d'eux. C'est méconnaître un avis sage que la nature nous donne.

La nature a placé ses divers produits sur différents points du globe, pour que les hommes aient besoin les uns des autres et qu'il y ait échange entre eux. L'homme, par l'invention fiscale des douanes, n'y a déjà mis que trop d'entraves.

J'ai une fâcheuse conviction, et je donnerais beaucoup pour n'être qu'un faux prophète. Je crois qu'il en sera de la fabrication de la toile à la main, comme il en a été de la fabrication du calicot à la main.

Plusieurs contrées de l'Asie , et plus particulièrement l'Indoustan, pratiquaient depuis bien des siècles la fabrication des tissus de coton, il n'y a pas 45 ans que l'Europe entière était encore, pour ces tissus, tributaire de l'Asie.

Le bon marché de la main-d'œuvre dans l'Indoustan, l'habileté extraordinaire de l'ouvrier dans ce pays, la possession de la matière première, tout se trouvait réuni pour faire croire qu'à tout jamais une prépondérance incontestable pour ses tissus était acquise à cette contrée,

Qu’arriva-t-il ?

Le génie de la mécanique en décida autrement.

Richard Arkwright pour la filature, Carlwright pour le tissage, créèrent des machines, et une lutte s'établit entre la fabrication à la main et la fabrication à la mécanique.

Elle ne fut pas longue, peu d'années suffirent pour changer entièrement la face des choses.

Le triomphe resta à la mécanique, et l'Asie devint à son tour tributaire de l'Europe.

La lutte qui a existé pour la fabrication du tissu de coton, existe actuellement pour la fabrication de la toile. Il n'y a que peu d'années qu'elle est commencée, et déjà la fabrication à la mécanique a paralysé e:i partie la fabrication de la toile à la main.

Peu de progrès lui restent encore à faire, progrès qui évidemment seront faits, et la chute sera complète!

S'obstiner à vouloir soutenir la lutte, c'est, dans ma manière de voir, prolonger l'agonie. Pour venir en aide aux Flandres, il faut remplacer le travail qui lui échappe, par un travail nouveau.

Je vois dans ces deux provinces un peuple de tisserands dont les métiers sont vides. Parvenir à mettre quelque chose sur ces métiers, voilà, me semble-t-il, toute la question.

La mécanique s'est emparée de la fabrication du calicot et de la toile; beaucoup d'autres tissus restent encore qu'elle n'a pas jusqu'à présent su atteindre.

La mécanique n'est parvenue à produire avec avantage que les tissus qui n'exigent pour leur confection qu'une seule navette.

(page 605) Les tissus pour la fabrication desquels plusieurs navettes sont nécessaires ne sont point encore de son domaine.

La difficulté à vaincre est grande, et il n'est pas à croire qu'elle sera vaincue de sitôt.

Plus grand sera le nombre de navettes nécessaires au tisserand pour confectionner son étoffe, moins il aura à redouter la concurrence de la mécanique.

Pour cette raison, ce sont les tissus pour la fabrication desquels plusieurs navettes sont indispensables, qui doivent être portés sur les métiers des Flandres, et ces genres de tissus ne manquent point.

Les mouchoirs de couleurs, genre Madras, sont d'une consommation universelle. Ce seul article suffirait pour occuper utilement tous les tisserands des Flandres, mais il en existe encore bien d'autres tels que les sarrans, les salimbangs, les sarrasses, les cambaya, les guingans, etc., tous tissus similaires et de grande consommation. Introduire la fabrication de ces tissus dans les Flandres, ce sera leur venir en aide puissamment, tout en enrichissant le pays, ces tissus étant tous de véritables articles d'exportation.

Ici se fait sentir la nécessité de créer une grande et véritable société d'exportation.

Tout est à faire ; le producteur aura à s'éclairer sur ce qu'il devra produire, et pour l'écoulement de ses produits il s'agit d'arriver sur des marchés lointains.

La nécessité d'ouvrir des débouchés larges à l'industrie n'a plus besoin d'être démontrée, elle est palpitante.

Qui, mieux qu'une société forte et bien organisée, peut satisfaire à tous les besoins? Qui, mieux qu'elle, peut renseigner le pays sur ce qu'il aura à produire? Qui, mieux qu'elle, saura atteindre les lieux de consommation ?

Ce qu'il serait encore utile d'introduire dans les Flandres, ce sont des industries de localité. Je citerai pour exemple le Tyrol. Chaque village y a son industrie.L 'un fabrique des chapeaux de paille, un autre des jouets, un autre un objet de mercerie. Pourquoi cela n'existerait-il pas chez nous ? Tous les moments qui ne sont point réclamés par la culture des champs, seraient ainsi utilement employés. Ce serait enrichir le pays au moyen de l'emploi utile du temps.

M. Dechamps. - Messieurs, mon intention, est de ne m'occuper que de la question des Flandres. J'avais cru pouvoir traiter en passant la question dont l'honorable préopinant vient de parler, la concentration dans un même département des affaires commerciales, industrielles et agricoles, et l'institution d'un conseil supérieur d'industrie et de commerce. J'aurais pu et dû peut-être aussi entretenir la chambre de la situation générale de l'industrie, dont la plupart des branches ont été atteintes par la crise actuelle. Mais j'ai craint de jeter de la confusion dans le débat qui paraît devoir se concentrer dans l'importante question des Flandres.

On a reproché au gouvernement de n'avoir rien compris à la question des Flandres, et surtout de n'avoir rien fait pour la résoudre.

Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur, dans le discours prononcé hier, nous a déjà montré ce que valait cette accusation relativement au ministère actuel, et j'ajoute relativement aux administrations précédentes, dont il a loyalement pris la défense. Je tâcherai, de mon côté, de faire voir ce que vaut cette accusation, en ce qui concerne le gouvernement belge, sous les diverses administrations qui se sont succédé.

Mais d'abord j'ai besoin de protester, à mon tour, contre cette erreur, cette hérésie économique qui tend à rendre le gouvernement responsable de tout malaise industriel dont les causes sont souvent lointaines, diverses, quelquefois fatales, et échappent ainsi à l'action de l'Etat ; contre cette erreur qui tend à n'attribuer jamais au gouvernement le bien, à lui attribuer toujours le mal ; le bien, lorsque le succès couronne ses efforts; le mal, en cas d'insuccès ou d'insuffisance des mesures qu'il a adoptées.

Je demanderai à la chambre la permission de lui relire quelques-unes des paroles que j'ai prononcées comme ministre du Roi, et au nom du cabinet dont je faisais partie, lorsque j'ai présenté à la chambre le projet de loi sur la société de commerce d'exportation ; voici comment le cabinet s'exprimait :

« C'est une erreur fatale et qu'il ne faut pas propager, de croire que le gouvernement a dans les mains des remèdes assez puissants pour guérir immédiatement des plaies industrielles et sociales qu'ont produites le temps, la transformation des industries et de l'agriculture, la concurrence du travail et mille circonstances hors de la portée des prévision humaines. Faire remonter la responsabilité de ces faits au gouvernement, c'est une injustice ; se reposer entièrement sur lui pour les faire disparaître, c'est une illusion dangereuse, qui tend à anéantir l'énergie individuelle, les efforts des provinces, des communes, des associations et des particuliers. L'action du gouvernement peut être utile, nécessaire, mais elle est limitée; elle est surtout une action d'impulsion, destinée à provoquer les efforts de tous. »

Voilà quelle était la déclaration du gouvernement en 1846, et cette déclaration n'avait pas pour but de couvrir notre insuffisance et notre inactivité; nous la faisions au moment où nous présentions à la chambre une idée qu'on a considérée comme hardie, c'est-à-dire le projet de loi destiné à créer une société de commerce d'exportation.

Croyez-le, messieurs, nous ferons preuve de plus de patriotisme, d'une sympathie plus vraie envers les populations qui souffrent, en ne nous laissant pas aller à des plaintes exagérées qui trouvent leur excuse dans une grande misère, sans doute, mais qui nuisent au fond aux intérêts qu'on veut défendre. Nous les servirons mieux en leur disant la vérité qu'en entretenant des illusions ; nous devons leur faire comprendre que le gouvernement peut aider, peut encourager, peut donner une impulsion utile ; qu'il peut agir dans certaines limites ; mais c'est à la condition que l'action individuelle vienne en aide à l'action de l'Etat.

Ce remède, comme l'a dit mon honorable ami M. Coomans, est avant tout dans les mains de la société, qui doit elle-même se sauver.

Il ne faut jamais que le gouvernement promette ou qu'il ait l'air de promettre plus qu'il ne peut tenir, mais il ne faut pas que les chambres demandent au gouvernement plus qu'il ne peut promettre.

Le gouvernement, dit-on, n'a pas compris la question des Flandres. Messieurs, il n'est pas de question qui ait été plus longuement, plus profondément étudiée que celle-là. Si les discussions parlementaires, sans cesse renouvelées, si les enquêtes administratives, les enquêtes parlementaires, les avis donnés par les conseils provinciaux, les tentatives et les efforts faits par les communes, par les provinces et par le gouvernement, si tout cela avait pu sauver les Flandres, à coup sûr, depuis longtemps les Flandres seraient sauvées.

Mais voici ce qui arrive : Chacun a son système et ce système est presque toujours exclusif de tous les autres ; le dernier venu s'imagine de la meilleure foi du monde, avec la plus entière et la plus naïve conviction, que tout ce qu'on a imaginé, pensé, fait avant lui, n'a été qu'une accumulation de bévues et de fautes. On parle de tous les faits posés antérieurement avec le plus superbe dédain ; on est impitoyable dans sa critique qui ne fait grâce à rien ; mais quand on arrive aux conclusions, quand il faut présenter son remède, sa panacée, le ton baisse, on hésite, on devient plus modeste, et le plus souvent on n'a à nous offrir que d'assez malheureuses conceptions et des projets incomplets ou irréalisables.

J'ai dit tout à l'heure que la question des Flandres était celle qui avait été le plus sérieusement étudiée. En effet, depuis 1834, il ne s'est pas passé une session parlementaire sans que le gouvernement et les chambres se soient vivement préoccupées de la question linière, au sort de laquelle l'avenir des Flandres est attaché.

De 1834 à 1840 la position industrielle a été relativement bonne ; c'est vers 1839 que les premiers symptômes du mal que nous cherchons à conjurer se sont manifestés ; c'est aussi à cette époque que les causes de la crise linière ont commencé à se produire.

C'est en 1840 et 1841 que la France a adopté des mesures funestes à notre industrie, l'ordonnance de septembre 1840 et la loi du 6 mai 1841; c'est en 1841 que l'Espagne a adopté un tarif de 60 à 100 p. c; c'est vers ce temps aussi que l'industrie nouvelle, la filature à la mécanique, a commencé à faire sentir sa concurrence, ainsi que les autres tissus légers de coton et de laine qui s'adressent aux mêmes consommateurs.

Messieurs, voyons si l'intérêt de l'industrie linière a été à cette époque négligé? En 1840 l'honorable comte de Theux institue l'enquête linière, dont le travail s'est prolongé jusqu'à la fin de 1841 ; la commission a présenté au gouvernement et au pays un rapport qu'il serait bien désirable que chacun eût lu et dans lequel sont consignées et discutées beaucoup d'idées que l'on a la prétention de croire neuves aujourd'hui. En 1840 l'enquête parlementaire a été nommée, et vous savez que l'enquête parlementaire s'est occupée spécialement de l'industrie linière. En 1841 : enquête administrative dirigée par l'honorable M. Liedts.

En 1841, une enquête administrative dirigée par l'honorable M. Nothomb.

En 1845 et en 1846, j'ai réuni sous ma présidence les délégués de toutes les chambres de commerce du pays, afin de discuter le projet d'une société d'exportation qui est et qui restera le pivot de toutes les mesures que l'on pourra adopter pour sauver les Flandres du paupérisme qui y sévit. En novembre 1846, la commission instituée au ministère de la justice pour rechercher les causes du paupérisme, présentait un travail sur la même question. Les conseils provinciaux des Flandres, qui avaient déjà à plusieurs reprises fait connaître leurs vœux, ont été de nouveau consultés par l'honorable ministre de l'intérieur, qui a institué, pour couronner tout cet ensemble de renseignements déjà obtenus, un comité consultatif des Flandres, près de son département.

Ce comité est présidé par un de nos honorables collègues qui, par le talent qui le distingue, par la position qu'il occupe dans les Flandres, l'étude qu'il a faite de la matière, a dû apporter beaucoup.de lumières sur cette importante question.

Ainsi, messieurs, conseils provinciaux, comités consultatifs, chambres de commerce, enquêtes administratives, enquêtes parlementaires, discussions parlementaires, rien n'a été oublié, tous les avis ont été recueillis, l'étude peut être considéré comme complète ; je désire que le débat actuel y ajoute quelque chose, mais j'y compte peu.

Cette étude est complète, puisque tout le monde est d'accord, comme je le démontrerai tout à l'heure, d'accord sur les causes du mal et sur les remèdes à employer.

Mais ces avis, ces enquêtes, ces renseignements, le gouvernement ne s'en est-il donc pas servi? Le gouvernement n'a-t-il rien proposé, n'a-t-il rien fait? Est-il vrai que les mesures admises par le gouvernement étaient des mesures inintelligentes et infructueuses ?

Je ne veux pas dire assurément, messieurs, que tout a été fait, que toutes les mesures prises étaient efficaces; qu'on n'a plus rien laissé à faire; je ne tomberai pas dans cette exagération ; mais je combats cette autre exagération qui consiste à blâmer tout et à dire qu'on a tout laissé à faire.

(page 606) Le gouvernement, messieurs, est en butte à une double accusation : les uns prétendent qu'il est resté inactif devant cette plaie du paupérisme qui grandissait; les autres lui reprochent d'avoir agi, d'avoir trop agi peut-être, mais de n'avoir encouragé qu'un travail stérile, que la routine, c'est-à-dire, pour parler plus clairement, de n'avoir favorisé que l'ancienne industrie linière, que les anciens procédés.

Voyons comment les faits répondent à cette double accusation.

Je n'aurai pas de peine à démontrer à la chambre que ceux qui adressent ce double reproche au gouvernement font preuve d'une complète ignorance des faits.

De 1831 à 1834, à cause de l'interruption de nos rapports avec la Hollande, une crise très profonde affecta toutes les industries, et particulièrement les industries des Flandres, l'industrie cotonnière et l'industrie linière.

La décadence de l'industrie linière de 1831 à 1834 était presque aussi alarmante que celle que nous avons à déplorer aujourd'hui. Eh bien, messieurs, que fait le gouvernement? Et c'est ici son premier acte d'intervention dans la question des Flandres. Notre grande industrie des fils et des toiles de lin n'était protégée, avant 1834, que par un droit de balance de 1 p. c. Le principe du libre-échange était appliqué hardiment à l'industrie linière. Au milieu des difficultés où nous nous trouvions, la concurrence de l'Angleterre, et surtout celle de l'Allemagne, se faisaient vivement sentir; les chambres adoptèrent, en 1834, un tarif protecteur de l'industrie linière, et en 1841, le gouvernement fit adopter un tarif protecteur de la filature.

Ceux qui accusent aujourd'hui le gouvernement de n'avoir encouragé que la routine, et ce qu'ils appellent un travail stérile, ceux-là se sont vivement opposés à l'établissement de ce tarif protecteur de notre industrie toilière.

Ce qu'on demandait en 1834 au gouvernement et aux chambres, c'était, non pas d'agir, c'était de laisser faire et d'abandonner l'industrie linière à ses propres forces dans la lutte engagée contre la concurrence étrangère sans autre protection qu'un droit nul de 1 p. c. Voyons de quel côté étaient les prévisions justes ? Qu'est-il arrivé?

Je disais que de 1831 à 1834 le mouvement de nos exportations était tombé a un chiffre peu important; par l'adoption du tarif de 1834, notre exportation en tissus de lin fut portée tout à coup à 30 millions de francs, et ces exportations se sont successivement élevé d'année en année, jusqu’à la somme de 37 millions de francs en 1838.

Je le demande encore une fois : De quel côté étaient les prévisions justes? Ce résultat, ce grand développement donne à nos exportations linières, précisément après l'adoption du tarif de 1834, ne prouve-t-il pas que cette mesure a été une mesure sage et intelligente?

Si cette mesure n'avait pas été adoptée, savez-vous ce qui serait arrivé? L'industrie ancienne serait morte ; nous n'aurions plus à nous en occuper aujourd'hui ; et l'industrie nouvelle ne serait pas née.

L'industrie ancienne serait morte, et je viens de le démontrer par sa situation avant 1834, dont elle n'a été relevée que par la mesure prise par le gouvernement.

L'industrie nouvelle ne serait pas née, parce qu'elle n'aurait pas trouvé dans le tissage, qui n'aurait pris aucun développement, l'aliment nécessaire à sa propre existence.

Ainsi, messieurs, voilà le premier acte d'intervention du gouvernement, et j'attends qu'on me prouve que cet acte engageait l'industrie linière dans une voie fausse et funeste.

Le second acte du gouvernement, c'est la négociation avec la France, qui a amené les lois bilatérales de 1836 et de 1838. Or, personne, messieurs, n'ignore l'importance de cette loi de 1836, au point de vue de notre intérêt linier.

Je n'en veux pour preuve que les regrets universels, dans les Flandres, qui ont accueilli les mesures prises par le gouvernement français en 1840 et< 1841, et qui ont altéré ce que nous avions considéré et ce que le gouvernement français considérait lui-même, à cette époque, comme un contrat bilatéral entre les deux nations.

Si la loi de 1836, résultat d'une négociation commencée par le gouvernement belge, avait pu être conservée, il est évident que le marché français ne se serait pas fermé pour nous aussi rapidement, et que la transformation par laquelle doit passer l'industrie linière n'aurait pas amené des souffrances aussi douloureuses.

Les traités de 1842 et de 1845 ont coûté sans doute de grands sacrifices au pays. Mais ces traités, n'est-ce pas pour conserver à l'industrie linière une place privilégiée sur le marché français, que ces traités ont été conclus et que ces sacrifices ont été supportés, et sans ces traités,t M. d'Elhoungne l'a prouvé en 1845, l'industrie linière ancienne et la nouvelle ne se seraient-elles pas englouties dans une catastrophe immédiate ?

La convention du 16 juillet 1842, qu'on a beaucoup trop calomniée, était parvenue pourtant à arrêter un moment le mouvement de décadence dans nos exportations linières, qui avait commencé en 1840.

Ainsi nos exportations vers la France étaient descendues, en 1840, au chiffre de 9,100,000 fr.; par la convention du 16 juillet, ce chiffre est monté, en 1844, à 12,150,000 fr.

Vous voyez donc, messieurs, que non seulement le mouvement de décadence s'est trouvé arrêté, mais qu'il y a eu reprise momentanée dans nos exportations.

N'oublions pas qu'en 1847, malgré l'état de souffrance dans lequel cette industrie se trouve, nous avons encore exporté en France pour près de 11 millions de francs; et je le dis sans hésiter, sans le traité du 13 décembre, nos exportations vers la France auraient complétement cessé.

Mais la crise alimentaire de 1845, la crise financière et commerciale de 1846, la crise politique de 1848, les maladies épidémiques qui ont frappé les populations; toutes ces causes fatales ont développé les germes de ce mal contre lequel nous luttons aujourd'hui, et qui exige des efforts persévérants de la part du gouvernement, de la patience de la part des populations qui en ont tant montré déjà, et surtout du temps.

Je vais énumérer rapidement les autres mesures qui ont été adoptées successivement par le gouvernement. Les faits que je rappellerai répondront directement à cette accusation, que le gouvernement n'a encouragé que l'industrie ancienne et des tendances rétrogrades et funestes.

Messieurs, je n'ai pas à examiner l'avenir réservé aux deux industries, cela m'entraînerait trop loin; mais je ne puis partager l'opinion trop absolue de l'honorable préopinant ; je crois sans doute, comme lui, que l'avenir le plus certain est réservé à l'industrie nouvelle ; mais je crois qu'une clientèle de consommateurs sera longtemps encore réservée à l'industrie ancienne; que, sur notre marché intérieur comme sur les marchés européens, cette industrie conservera une place qui peut devenir encore assez belle. A l'industrie nouvelle me paraît réservée surtout l'exploitation des grands marchés transatlantiques.

Mais je ne veux pas examiner cette question ; je me borne, à prouver qu'on est dans une erreur profonde, quand on croit que le gouvernement a protégé trop exclusivement l'ancienne fabrication.

Lorsqu'en 1838 et en 1839, le gouvernement autorisa la constitution des grandes filatures en société anonyme, cette mesure fut accueillie par un cri de réprobation dans une grande partie des Flandres, On accusa le gouvernement d'encourager une industrie qui devait tuer le travail de 300,000 fileuses. Le gouvernement a résisté : il autorisa la création, des grandes filatures et il fit bien.

A la même époque, et en 1841, le gouvernement n'a-t-il pas présent une loi protectrice de la filature? Et en 1842, la convention du 16 juillet n'a-t-elle pas consacré un tarif qui mettait le fil mécanique à l'abri de la concurrence de l'Angleterre?

Les subsides, annuellement renouvelés et votés pour la propagation des nouvelles méthodes, pour la distribution des métiers perfectionnés, des navettes volantes, des temples à pression, n'ont-ils pas été exclusivement dépensés pour le tissage? Or, le tissage, c'est tout autant l'intérêt du fil mécanique que du fil à la main. Aussi, la quantité de fils mécaniques appliqués à la confection des toiles dans le pays, a été sans cesse en augmentant ; en 1840, cette quantité est de 500,000 kil. ; en 1844, de, 1,200,000 kil. ; en 1846, de 2,000,000 de kil.

Depuis longtemps déjà des ateliers d'apprentissage et de perfectionnement ont été créés; je considère ces ateliers comme une des mesures les plus efficaces qu'on ait adoptées. Or, n'est-ce pas autour de ces ateliers que le tissage nouveau s'est organisé? M. le ministre de l'intérieur citait hier l'atelier de Roulers comme l'atelier modèle à côté de celui de Courtray. Eh bien, l'atelier de Roulers n'emploie presque exclusivement que du fil mécanique, et il est le centre de la tisseranderie à façon qui propage le tissage des toiles mixtes et des fabricats nouveaux.

Je vous le demande, messieurs, ces moyens employés l'ont-ils été, en faveur de la routine, et ne sont-ils pas ceux auxquels le ministère actuel a donné la préférence ?

Il me reste un dernier fait à citer :

Les partisans exclusifs de l'ancienne industrie avaient insisté, dès le principe, sur l'application d'une mesure à laquelle ils rattachaient le salut de l'industrie linière, mesure, à mon sens, qui aurait été désastreuse, parce qu'elle aurait ruiné la culture du lin qui est la base sur laquelle repose l'avenir de l'industrie linière, je veux parler de la prohibition du lin à la sortie.

Vous savez que, depuis 1831 jusqu'aujourd'hui, les partisans trop exclusifs de l'ancienne industrie, ont insisté de toutes les manières auprès du gouvernement et des chambres, pour obtenir ce qu'ils regardent comme leur delenda Carthago : la prohibition du lin à la sortie. Eh bien, le gouvernement n'a pas obéi à ces réclamations, il a résisté, il s'est montré courageux et éclairé.

Ainsi, les lois protectrices de 1834 et de 1841, la négociation qui a produit la loi française de 1856, l'encouragement donné aux filatures mécaniques ; la convention du 15 juillet dont le traité de 1845 n'a été que le renouvellement, la propagation de méthodes perfectionnées, de meilleurs procédés de tissage, la distribution de métiers, la création d'ateliers d'apprentissage et de perfectionnement; voilà ce que le gouvernement a fait jusqu'en 1845; et si ce plan présente des imperfections, des lacunes, ce que je ne veux pas contester, il y aurait la plus souveraine injustice à ne pas reconnaître ce qu'il a eu d'utile.

Telle est la situation que le ministère dont j'ai fait partie a trouvée, en arrivant aux affaires.

Voyons ce que ce ministère a fait. Vous savez qu'en 1845, le malaise industriel des Flandres, qui avait frappé l'industrie linière, est venu se compliquer malheureusement de l'excessive cherté des subsistances et de la crise industrielle et commerciale qui s'en est suivie. Je ne parlerai (page 607) pas des mesures d'exception, des mesures d'urgence qui ont été prises pour parer aux difficultés des circonstances, pour remédier à des souffrances aussi temporaires, c'est la libre entrée des céréales et des autres denrées alimentaires décrétée en Belgique avant qu'elle ne le fût ailleurs.

Le gouvernement belge a pris la glorieuse initiative de ces mesures. Ce sont les travaux publics décrétés pour occuper les bras inactifs, ce sont les subsides accordés pour la voirie vicinale, et ceux, bien peu nombreux partiellement employés en secours directs à des communes ou bureaux de bienfaisance, quand les circonstances l'exigeaient impérieusement. Je ne veux pas m'arrêter sur les mesures temporaires. Qu'il me suffise de rappeler que ces sommes allouées ont été presque en totalité employées en travail et non en aumône, comme on l'a dit par erreur.

Je désire n'entretenir la chambre que des mesures d'un caractère permanent et qui devaient exercer une action sur l'avenir.

Ces mesures, que le ministère précédent a proposées, sont de trois genres ; elles correspondent aux trois genres de souffrances qui affectent les populations flamandes, souffrance agricole, souffrance industrielle et souffrance commerciale.

Pour l'agriculture, l'acte du ministère a été la loi des défrichements, condition nécessaire de toutes les améliorations qui pourront être introduites.

A l'aide de cette loi, on voulait amener le défrichement des landes des Flandres, des bruyères de la Campine et des Ardennes, créer de nouveaux centres de population, mieux répartir la population des Flandres, enfin jeter les bases de ce qu'on a appelé la colonisation intérieure.

Pour l'industrie, outre la continuation des subsides et, en particulier, de ce fonds roulant de 350,000 francs, voté par la législature, dans le but de propager les meilleures méthodes et les moyens de hâter la réforme linière, l'honorable M. de Theux présenta à la signature du Roi l'arrêté du 26 janvier 1847, pour réorganiser, d'après un plan d'ensemble, les comités industriels et surtout les ateliers d'apprentissage et de perfectionnement, de manière à doter d'un de ces ateliers modèles, chacun des centres de fabrication linière.

Qu'on me permette de le faire remarquer en passant : dans l'ordre des intérêts industriels, les mesures nombreuses exécutées par le cabinet actuel, et que l'honorable M. Rogier a énumérées hier, n'ont été que l'exécution de l'arrêté royal du 26 janvier 1847.

Messieurs, la troisième mesure proposée par l'administration précédente, qui forme, comme je l'ai dit, le pivot de toutes les autres, et sans laquelle les autres ne produiront que peu d'effets, c'est la création d'une société d'exportation combinée avec des agences, des comptoirs à l'extérieur.

La direction de la société d'exportation, que je suppose composée d'hommes actifs, intelligents et dévoués, aurait une action incessante sur ces ateliers de perfectionnement, sur les fabricants avec lesquels elle aurait été mise en relation journalière; elle aurait présidé à cette réforme de la fabrication linière sans laquelle aucun but ne peut être atteint.

En définitive, savez-vous ce que doit être la société d'exportation ? C'est la direction industrielle, l'impulsion commerciale substituée à la direction et à l'impulsion purement administratives.

La société d'exportation devra, d'une main, agir sur la fabrication linière, par son influence éclairée et directe; de l'autre, organiser par ses comptoirs la vente sur les marchés de consommation. Elle devra recueillir d'une manière régulière les renseignements sur les conditions et les époques de vente, les fluctuations opérées dans les caprices de la mode, la situation, en un mot, de ces marchés que nous ne connaissons aujourd'hui que par des renseignements incomplets et fournis à de trop grands intervalles. Ces renseignements, elle les communiquera rapidement à la fabrication et aux ateliers par les moyens mêmes que son organisation lui donnera.

Sans la réforme linière, la société d'exportation est impossible, elle n'aurait pas assez de produits exportables, et sans la société d'exportation la réforme linière ne se fera pas, parce qu'il lui manquera deux choses, les relations et surtout le capital d'exportation.

Messieurs, là est la question. Regardez bien dans le pays et à l'étranger : Quels sont les industries qui exportent? Les industries qui exportent sont celles qui sont organisées, qui sont constituées de manière à avoir un capital disponible pour l'exportation.

Les grandes maisons de commerce de Verviers, nos fabriques de glaces, d'armes et de machines, nos verreries exportent, parce qu'elles possèdent des capitaux assez considérables pour en appliquer une partie à des exportations, à des essais qui doivent être renouvelés avec persistance pour réussir.

Ce capital, vous le savez, messieurs, manque totalement à l'industrie linière qui s'est individualisée, qui vit isolée dans la chaumière du tisserand. Sans le concours de l'association, l'industrie linière ne trouvera jamais ces capitaux, et les débouchés que nous cherchons à ouvrir pour remplacer ceux qui se perdent, resteront fermés, comme ils l'ont été depuis 18 ans.

Messieurs, pour acquérir la preuve que le système que je viens de présenter, ou plutôt que je viens de rappeler, est bien le meilleur remède à appliquer aux maux des Flandres, il suffit d'examiner attentivement quelle est la situation réelle de ces provinces, quelles sont les causes vraies du mal qui y a pris malheureusement de profondes racines.

Il faut le dire d'abord, cette question ne doit plus être discutée ; elle est résolue.

J'ai dit tantôt que tout le monde est d'accord sur la nature et sur les causes du malaise et sur les remèdes à y apporter. En effet, l'enquête linière de 1841, les enquêtes administratives dirigées sous les diverses administrations, celle que j'ai dirigée moi-même, les conseils provinciaux récemment consultés par l'honorable M. Rogier, et, si je ne me trompe, le comité consultatif des Flandres, tout le monde s'accorde sur les mesures à prendre : améliorations agricoles par le défrichement, réforme de la fabrication linière par les moyens mis en usage; introduction du tissage des fabricats nouveaux, et surtout débouchés à conquérir par l'organisation de la société d'exportation.

Vous le voyez, on est bien près de s'entendre ; les dissentiments dans le passé me paraissent avoir été plus factices que réels, et que font quelques dissidences individuelles en présence d'un tel concours de témoignages ?

Je crois que ce n'est pas autant de mesures nouvelles, d'idées nouvelles que nous devons nous préoccuper, mais que c'est surtout d'idées anciennes qu'il faut provoquer la persévérante application.

Pour connaître si les moyens indiqués sont les meilleurs, rendons-nous bien compte de la situation réelle des Flandres, des faits qui ont amené la crise actuelle.

D'après l'enquête linière de 1841, les 350,000 ouvriers des Flandres employés à l'industrie linière (fileuses et tisserands) réprésentaient environ, en 1840, 110 millions de journées de travail par an.

Ce qu'il fallait donc pouvoir maintenir, sous peine de crise, c'était ces 110 millions de salaires dont vivait une grande partie de la population industrielle des Flandres.

Savez-vous, messieurs, ce qu'il a été possible de conserver de ces 110 millions de salaires? Ils étaient réduits, en 1846, à 80 millions. Je crois qu'aujourd'hui le chiffre ne dépasse pas 60 millions. Voilà le déficit qu'il est nécessaire de combler, si vous voulez ramener l’industrie linière aux heureuses époques de sa prospérité.

Mais, non seulement la production a diminué de moitié, les salaires ont baissé dans la même proportion. La moitié de la population ne trouve plus aucune ressource dans le travail linier ; l'autre moitié, qui a conservé ce travail, n'a plus qu'un salaire insuffisant. Voilà en deux mots toute la situation.

Examinons maintenant, en peu de mots, quelle est la situation en ce qui concerne l'exportation.

L'industrie linière (cela est constaté dans toutes les enquêtes) est dans cette position particulière qu'elle ne peut prospérer qu'à la condition d'exporter au moins la moitié de ses produits. Elle a exporté la moitié de ses produits jusqu'en 1838 et 1839. Qu'est-il arrivé depuis? D'un côté la consommation intérieure a été restreinte ; elle l'a été par toutes les causes que j'ai énumérées. Mais en même temps, les marchés européens se sont successivement fermés devant elle. Aussi, du côté de la France, la décroissance est rapide, et ne paraît pas devoir s'arrêter.

De 4 millions de kilog. qu'était notre exportation linière, en 1838 et 1839, nous sommes descendus au chiffre de 1,500,000 en 1843 ! En 1841, l'Espagne prohibe nos produits.

Le tarif de 1847, adopté par le Zollverein, a repoussé du marché allemand le peu de toiles de lin que nous y envoyions. Il n'y a d'augmentation que sur le marché des Pays-Bas, grâce au traité du 29 juillet ; mais, ce débouché n'a pas encore acquis une grande importance.

Quant à nos exportations lointaines, vous savez qu'elles sont à peu près nulles. Notre exportation totale de tissus de lin en 1847 a été de 2,127,000 kilog.; sur ces 2,127,000 kilog., l'Europe en a reçu 2,074,000, et nous n'avons vendu sur les trois grands marchés de l'Amérique, du Levant et des Indes que 54,000 kilog. de tissus de lin; ce qui représente une somme de 300 et quelques mille francs.

L'Angleterre exporte en tissus de lin pour 80 millions de francs et la France a exporté en 1847, en grande partie, sur ces marchés où nous n'envoyons rien, pour 20 millions de francs en produits liniers.

Messieurs, le comprenez-vous? La France a besoin de se protéger par un tarif de 15 à 20 p. c. contre notre industrie linière; au milieu de la crise actuelle de cette industrie, nous lui envoyons encore pour 11 millions de francs, et la France vend sur les marchés neutres ou nous pouvons parvenir comme elle, pour 26 millions de francs, là où nous n'envoyons que 54,000 kilog. de toiles.

Ces 54,000 kilog. vendus sur tous les marchés transatlantiques, voilà, messieurs, le résultat obtenu par 18 années d'efforts. Voilà le résultat que veulent au fond maintenir ceux qui repoussent la création d'une société d'exportation, la condition essentielle de l'ouverture de ces débouchés, et qui veulent s'en remettre, pour les acquérir, aux efforts individuels.

Messieurs, comment espérer que des efforts individuels pourront conquérir des débouches nouveaux, lorsqu'ils n'ont pas su conserver les débouchés anciens, lorsqu'ils n'ont pas su conserver le marché français surtout, où nous jouissions de privilèges importants, de privilèges auxquels ne participaient ni l'Angleterre, ni l'Allemagne, des privilèges de 15 à 20 p. c ?

Là, messieurs, où les efforts individuels sont insuffisants, il faut l'association ; et lorsque l'association ne peut être formée que par le concours de l'Etat, il faut le concours de l'Etat.

Comment croire que cette association se formera seule, que les comptoirs transatlantiques s'établiront seuls, que les établissements d'apprêt (page 608) et de blanchiment, qui sont une des conditions de la réforme linière, s'élèveront seuls, que la réforme linière s'opérera seule, que les capitaux arriveront seuls? Mais évidemment l'expérience de ces dix-huit années d'essais et d'efforts que je viens de rappeler démontre que nous ne pouvons pas nous en rapporter à des efforts individuels, qui ont été et qui continueront à être complètement impuissants.

Messieurs, dans l'étude de la situation des Flandres, un fait m'a surtout frappé.

L'avenir des Flandres, c'est l'avenir de la fabrication des tissus : des tissus de lin, de coton et de laine.

Eh bien, messieurs, chez les autres peuples manufacturiers, lorsqu'on examine leur mouvement commercial, on est frappé de ce fait, c'est que, dans leur exportation totale, les tissus figurent pour la plus grande part. Le contraire a lieu en Belgique. Ailleurs, en Angleterre, en France, en Allemagne, en Suisse, partout, ce sont les tissus qui forment la grande masse des exportations. Le reste est accessoire. En Belgique, l'exportation des tissus n'est qu'un insignifiant appoint de nos insignifiantes exportations.

En 1848, au parlement anglais, sir Graham disait que, sur 120 millions de francs auxquels s'élève l'exportation totale de l'Angleterre, les tissus figurent pour 800 millions, c'est-à-dire les trois quarts.

En France, en 1837, sur 890,000,000 de fr. qui forment la somme des exportations de la France, en commerce spécial, les tissus figurent pour 450,000,000, c'est-à-dire pour plus de la moitié.

En Belgique, sur 180,000,000 qui forment le chiffre de toutes nos exportations, nous n'exportons que pour 46 millions, c'est-à-dire le quart; et encore faut-il remarquer que les autres peuples manufacturiers exportent la plupart de leurs tissus sur les marchés qui nous sont ouverts, mais où nous n'exportons rien.

Messieurs, sur les 180 millions de francs que nous exportons, savez-vous pour quelle somme nous avons vendu des tissus sur les grands marchés de l'Amérique, des Indes et du Levant? Nous avons vendu pour 3,500,000 fr. Or, sur ces trois marchés où nous n'avons pu placer que pour 3,500,000 fr. l'Angleterre a importé la plus grande partie de ses 800 millions de tissus qu'elle a vendus.

La France, en 1847, a placé en tissus de coton, de lin et de laine (j'en excepte les tissus de soie pour rendre la comparaison plus exacte), a placé dans le Levant pour 8 millions de francs ; au Brésil, aux Etats-Unis et sur d'autres points, pour environ 90 millions; dans les Indes pourprés de 4 millions, c'est-à-dire pour 100,000 de francs.

En présence de ces faits, messieurs, il faut reconnaître qu'il y a, dans notre organisation commerciale, un vice profond, et tous les efforts, ceux du gouvernement comme les nôtres, doivent être dirigés de manière à le combattre.

Je sais qu'on me dira ce qu'on a déjà dit souvent, que cet état de choses doit être attribué à l'infériorité de notre fabrication.

Messieurs, c'est là une erreur. Nous ne sommes pas, même pour les tissus, dans un état d'infériorité de fabrication, relativement aux autres peuples qui sont en concurrence avec nous. Je vais vous citer quelques faits généraux qui démontreront à l'évidence que notre fabrication en elle-même est très avancée.

Ainsi, messieurs, pour les tissus de lin, je vous ai dit que malgré l'état de décadence dans lequel l'industrie linière se trouve, et malgré l'obstacle de droits protecteurs, nous avons encore envoyé, en 1848, en France, pour 11 millions de fr. Cependant, la France exporte sur ces marchés neutres où nous nous sommes condamnés à ne rien vendre, pour près de 26 millions en tissus de lin. Ce fait vous prouve à toute évidence que ce n'est pas à nos procédés de fabrication qu'on doit attribuer le défaut d'exportation sur ces marchés.

Mais, il est un autre fait plus significatif, c'est que chaque fois qu'il s'est agi de négociations commerciales avec la France, relativement, soit à ce qu'on a appelé l'union douanière, soit à un traité élargi, les intérêts français se sont ameutés, se sont effrayés ; et ils se sont effrayés précisément à cause de l'état de progrès dans lequel on supposait que notre fabrication se trouvait. L'opposition la plus vive dans ces négociations n'est-elle pas toujours venue d'EIbœuf et de Sedan, qui avaient peur de Verviers, de Rouen et de Mulhouse, qui avaient peur de Gand ?

Ainsi, relativement aux tissus de lin , de coton et de laine, il n'est pas vrai que nous soyons dans un état d'infériorité de fabrication vis-à-vis de la France.

Il est un autre fait, messieurs, qui détruit l'erreur dont je parle d'une manière plus complète encore ; c'est notre position sur les marchés des Pays-Bas. Sur les marchés des Pays-Bas , nous sommes admis, à peu près aux mêmes conditions de concurrence non seulement que la France et l'Allemagne, mais que l'Angleterre ; eh bien, messieurs, ouvrez les tableaux statistiques et vous verrez qu'en Hollande, nous supportons avec avantage non seulement la concurrence de la France et de l'Allemagne, mais même celle de l'Angleterre, pour nos tissus de lin, de coton et de laine. Du reste, messieurs, nos tissus de laine , il faut le dire, forment une pareille exception ; la draperie belge est parvenue à se faire une belle place sur les marchés de New-York, du Levant, et même sur celui de la Chine.

Ce n'est donc pas, messieurs, à notre fabrication qu'il faut nous en prendre de l'absence de nos exportations ; mais c'est dans l'insuffisance de nos relations, d'abord, et surtout dans le manque de capitaux destinés à l'exportation. Je l'ai dit tout à l'heure, les industries et les maisons qui exportent sont les industries et les maisons qui ont non seulement des capitaux pour la fabrication, mais qui en ont de disponibles pour l'exportation.

N'oublions pas que, pour exporter dans ces parages lointains, il faut non pas un capital, mais deux, trois et même quelquefois quatre capitaux.

Messieurs, les fabricants belges, on l'a dit souvent, ne confectionnent pas leurs tissus d'une manière parfaitement conforme au goût des consommateurs lointains.

Cela est vrai, mais c'est parce qu'ils ne connaissent pas les conditions de vente, les exigences de ces marchés, et ils ne les connaissent pas parce que les relations manquent. Ces relations, on a cherché à les ouvrir, mais on a dû se borner presque toujours à des entreprises tentées à l'aventure, avec des produits fabriqués pour l'intérieur; ces essais ont dû avorter et produire des pertes ; on ne les a pas renouvelés, parce qu'on était impuissant à le faire ; on s'est découragé.

Messieurs, ces relations suivies et régulières, ces capitaux qui manquent à la fabrication de nos tissus, et surtout de nos tissus de lin, la société d'exportation nous les apporte. En attendant qu'on nous ait révélé un moyen nouveau, je persiste donc à croire que la société d'exportation est le remède le plus efficace qui ait été proposé.

Messieurs, le ministère actuel a mis du zèle, je me plais à le reconnaître, à lutter contre le paupérisme qui envahissait les Flandres, et ceux qui l'accusent ont, jusqu'à présent au moins, oublié une chose, c'est de nous dire ce qu'ils auraient fait à sa place ; mais, messieurs, deux choses ont manqué au ministère ; il n'a pas trouvé le capital pour le défrichement et le capital pour former la société d'exportation. Je soumettrai à la chambre quelques idées sur les moyens de trouver ce double capital, mais je dois d'abord appeler son attention et celle du gouvernement sur un point essentiel que j'allais omettre; je veux parler de la libre introduction des fils étrangers à la condition de réexporter les fabricats confectionnés avec ces fils.

L'honorable ministre de l'intérieur nous a dit hier que des essais ont été faits à la prison de Saint-Bernard, et que ces essais ont parfaitement réussi. Je crois, messieurs, que nous devons, quant aux fils, imiter l'Allemagne qui est parvenue, en permettant l'introduction non seulement des fils.de lin, mais aussi des fils de coton, à donner aux fabriques d'Elberfeld et de Crefeld un immense développement d'exportation.

Je pense que le gouvernement pourrait, sans danger, sans froisser aucun intérêt, admettre et les fils de lin et les fils de coton de certains numéros, ceux surtout qui ne se fabriquent pas en Belgique ou qui ne s'y fabriquent qu'à des conditions onéreuses.

J'ai la conviction que cette mesure donnerait un développement immédiat et important à l'industrie linière, et que les manufactures de Saint-Nicolas étendraient bientôt leurs exportations qui déjà ont reçu une première impulsion.

Messieurs, sans cette mesure, une société d'exportation est presque impossible, et vous allez en comprendre la raison. Les toiles destinées à l'exportation, les toiles légères, apparentes, à bas prix, qui se vendent sur les marchés américains, par exemple, sont des toiles confectionnées avec du fil qu'en général nous ne confectionnons pas ou que nous ne fabriquons qu'à des prix plus élevés de 15, 20 et 25 p. c.

Comment voulez-vous que nos exportations puissent se développer, si elles n'ont pour aliment que des fabricats confectionnés avec du fil d'un prix aussi élevé? Comment pouvoir soutenir la concurrence de l'Irlande et d'autres nations qui emploient du fil dont le prix est de 20 ou 25 p. c. plus bas?

Je regarde donc cette mesure comme préalable et j'engage le gouvernement à faire une étude approfondie de cette question.

Maintenant je me permettrai de soumettre à la chambre et au gouvernement quelques idées d'application. Je ne veux pas les considérer comme un remède nouveau et infaillible. Je les présente très modestement comme utiles peut-être, ou plutôt comme un objet d'examen et de discussion.

Ainsi que je le disais, la difficulté, pour le ministère, c'est de trouver le capital pour le défrichement et le capital pour former la société d'exportation. Je reconnais toutes les difficultés dont la solution de ce problème est entourée ; je suis loin de croire que je vais les résoudre ; j'espère seulement y aider.

M. le ministre de l'intérieur a dit hier que, pour le défrichement de nos landes et de nos bruyères, on s'était borné jusqu'à présent à donner des subsides, à faire quelques avances remboursables.

C'est le système qui a été admis en Angleterre, mais qui depuis quelque temps y a été abandonné. Mais comme ces subsides, ces avances doivent être faites dans les limites de notre budget qui est fort restreint, chacun comprendra que, si le gouvernement n'a pas d'autre moyen d'opérer le défrichement, le défrichement ne se fera pas d'ici à longtemps.

Il faut donc tâcher de trouver maintenant le capital du défrichement, et pour moi je ne vois ce capital que dans le crédit agricole, le crédit foncier.

Ne vous effrayez pas trop, messieurs, de ce mot de « crédit foncier » qui, aux yeux d'un grand nombre, appartient à la langue socialiste. Mais vous verrez, par les explications que je vais donner, que ma proposition n'entraîne aucun des inconvénients qu'on regarde comme attachés à l’établissement du crédit foncier.

Récemment cette question, longuement discutée à l'assemblée (page 609) nationale de France, a été repoussée, et je crois que c'est avec raison ; mais ce qu'on a repoussé, en réalité, c'est l'application du crédit foncier pour une somme de plusieurs milliards et avec le cours forcé. Relisez la discussion, et vous vous convaincrez que M. Thiers, par exemple, qui a été pour beaucoup dans le rejet de la proposition, admettait l'institution du crédit foncier, tel qu'il existe en Allemagne.

Messieurs, cette institution existe en Allemagne depuis un siècle, et savez-vous quel résultat elle y a produit?

D'abord, elle a fait baisser le taux de l'argent, de 10 p. c. qu'il était d'abord à 3 et 4 p. c. Voilà une des causes de notre infériorité sous le rapport industriel. Lorsque le taux de l'argent n'est que de 2 1/2 à 3 p. c. en Angleterre, de 4 p. c. en Hollande, et de 4 à 5 p. c. en Allemagne, comment voulez-vous que la Belgique, où l'intérêt industriel est à 5, 6, 8 et même 10 p. c, soutienne la concurrence sur les marchés neutres avec les nations où le taux de l'intérêt est beaucoup moins élevé !

Le deuxième résultat que le crédit foncier a produit en Allemagne, c'a été de dégrever la propriété foncière de la lourde charge hypothécaire qui pesait sur elle.

Le troisième résultat, c'est l'impulsion qui a été donnée par cette institution à toutes les améliorations agricoles.

L'institution en elle-même, je la crois bonne; mais je ne viens pas demander ce que le congrès agricole a proposé en Belgique; je ne veux pas accorder des lettres de gage pour une somme de 200 à 300 millions ; dans le moment actuel, il y aurait à cela de graves dangers ; mais je me permets d'indiquer au gouvernement la possibilité d'appliquer le crédit agricole, exclusivement d'abord au défrichement, et cela pour une somme de 5 à 10 millions au plus; avec cette somme on pourrait donner aux défrichements une fécondante activité.

Ainsi, j'accorderais des lettres de crédit à tout propriétaire, à toute association qui donnerai au gouvernement en garantie, non pas les bruyères qu'il s'agit de défricher, mais d'autres propriétés que ces individus ou ces associations posséderaient; je leur accorderais ces lettres de gage à un intérêt très minime, avec un amortissement destiné au remboursement du capital en 20, 30 ou 40 ans, comme cela se fait en Prusse.

Messieurs, j'arrive maintenant au moyen possible de trouver le capital pour la société d'exportation. Cela est plus difficile, je le reconnais.

Le gouvernement est d'accord avec nous sur ce point, que la société d'exportation est la base de toutes les mesures à prendre. Je vais plus loin : sans la société d'exportation, j'ai la conviction que les mesures prises pour exciter à la fabrication de l'industrie linière d'une manière artificielle, seront un mal au lieu d'être un bien.

On ne peut exciter la fabrication qu'à condition de lui ouvrir en même temps de plus larges débouchés. Or, je ne connais pas pour cela de mesure plus efficace que la création d'une société d'exportation dont il faudrait agrandir le cadre.

Les circonstances sont tout autres que celles où nous nous trouvions, lorsque j'ai présenté le projet de loi. Ce projet était relatif à l'industrie linière et aux tissus, le capital était restreint. Je crois qu'aujourd'hui toutes les industries qui souffrent doivent participer aux bienfaits de cette institution ; je crois dès lors, qu'il faut la généraliser.

Comment donc trouver le capital pour former la société d'exportation? J'ai commencé par dire que la difficulté était grande ; est-elle insurmontable? Je ne le pense pas.

Le capital définitif de cette société doit être obtenu par un appel à l'intérêt particulier. Cet appel, y répondra-t-on maintenant? Je ne puis l'affirmer, mais peut-être en donnant plus de sécurité aux capitaux privés, obtiendrait-on leur concours. En attendant, le gouvernement pourrait trouver un capital provisoire qui formerait le premier fonds de la société, auquel ne tarderaient pas de se joindre les capitaux de l'industrie.

La chambre n'a pas oublié que, l'année dernière, elle a autorisé la Société Générale à émettre 20 millions de francs de billets ayant cours forcé, pour les remboursements de la caisse d'épargne.

Si je ne me trompe, la Société Générale n'a pas eu à employer le capital mis à sa disposition pour le remboursement des caisses d'épargne. Je pense qu'il reste disponible de 6 millions et demi à 7 millions de francs.

D'un autre côté la chambre se souvient que par la loi du 20 mars elle a accordé au gouvernement quatre millions destinés à la création de comptoirs d'escompte et pour favoriser les exportations. Je ne sais si mes renseignements sont exacts, mais je crois que ce capital n'a pas été dépensé par le gouvernement, qu'il y a à peu près 2 millions, qui restent inactifs.

Voilà un capital de 8 à 9 millions de francs qui a été confié au gouvernement et à la Société Générale dans l'intérêt de notre crédit et de notre industrie.

Je demande quelles seraient les difficultés sérieuses d'employer ce capital improductif aujourd'hui à l'un des grands intérêts industriels du pays, soit pour venir en aide aux Flandres, soit pour venir en aide aux provinces métallurgiques. Peut-être cette somme pourrait-elle satisfaire à ces deux exigences.

Je termine. J'ai rappelé les actes du gouvernement, sous les diverses administrations qui se sont succédé ; j'ai tâché d'en apprécier l'ensemble et l'importance. J'ai dit quel avait été le plan adopté par le ministère précèdent, dont il avait commencé la réalisation, et dont le cabinet actuel a poursuivi l'exécution avec une louable activité, dans les limites du possible créé par de fâcheuses circonstances. J'ai enseigné, sous la forme d'un doute, quelques moyens d'application que je crois possibles et utiles. J'ai l'espoir que cette discussion n'aura pas été infructueuse pour les Flandres et je serai heureux d'y avoir pris une faible part.

M. d'Elhoungne. - Messieurs, je crois que la discussion qui occupe la chambre depuis plusieurs jours était nécessaire. Je pense aussi que cette discussion aura une haute utilité pour le pays. Elle fera justice des erreurs, des illusions, des exagérations ; elle permettra de dégager d'une manière nette et simple les quelques idées pratiques, les principes qui doivent désormais diriger la conduite du gouvernement et des chambres dans tous les actes relatifs aux Flandres.

Déjà le discours de l'honorable préopinant démontre qu'à l'égard de ces principes et de ces idées pratiques, on est bien près de s'entendre ; seulement je dois déclarer que je ne partage pas les opinions exprimées par l'honorable préopinant, dans la partie rétrospective et la plus considérable de son discours. Je n'accepte pas non plus la solidarité qu'il veut établir entre le cabinet actuel et ceux qui l’ont précédé. Je ne pense pas que le cabinet actuel n'ait pas autre chose à faire que de se prosterner devant le cabinet précédent et de suivre scrupuleusement ses exemples.

N'en déplaise à l'honorable M. Coomans, qui a parlé avant-hier, je pense que la première cause du paupérisme dans les Flandres est le développement excessif de la population.

Cette première cause a eu pour résultat l'élévation des fermages, l'avilissement des salaires, l'abaissement des conditions matérielles de l'existence aux dernières limites. Plusieurs circonstances ont encore accéléré ce mouvement. D'abord cette population exubérante n'exerçait qu'une seule industrie, l'industrie linière ; de plus cette population était exclusivement agricole. L'accélération de ce mouvement a eu encore une autre cause que l'honorable préopinant a oublié d'indiquer : la loi des céréales de 1834, qui, dans une mesure assez sensible, a contribué à une élévation trop rapide du taux des fermages.

Quand une population en est là, et qu'elle n'exerce qu'une seule industrie, la moindre crise industrielle engendre le paupérisme. En Flandre, ce n'est pas une crise industrielle qui a surgi, c'est une révolution industrielle qui s'est opérée tout à coup. Elle était d'autant plus terrible que l'industrie linière était mal organisée pour soutenir la lutte; son organisation pouvait peut-être sourire aux idées patriarcales de l'honorable M. Sinave, mais elle n'était pas propre à affronter la concurrence d'une industrie rivale : il n'y avait pas de division du travail; les capitaux étaient éparpillés et insuffisants; cette révolution d'ailleurs se compliquait encore des mesures prises à l'étranger que vient de rappeler l'honorable M. Dechamps ; des restrictions que nos produits rencontraient successivement sur les marchés français et espagnol.

Mais, à ce sujet, l'honorable membre a eu tort de glorifier la loi de 1834, qui a établi un tarif élevé en Belgique sur les tissus de lin. Cette mesure, prise en même temps que la loi sur les céréales, a été un des arguments que la France n'a cessé de vous opposer, quand vous avez réclamé contre l'élévation des droits sur nos toiles en France.

S’il a fallu vous mettre à la discrétion de la France, dans la convention du 16 juillet et dans celle du 13 décembre, vous le devez à la malencontreuse idée que vous avez eue de prendre l'initiative des mesures de protection exagérée en cette matière.

Messieurs, non seulement l'industrie linière était mal organisée pour soutenir la lutte, mais au lieu de plier on a voulu se roidir contre la crise.

La plupart des mesures qu'on a prises, et je viens déjà d'en indiquer une, ont au contraire tendu à maintenir la population des Flandres dans des illusions, sous le joug des préjugés. On lui a crié qu'elle produisait mieux que tout le monde ; qu'avec des mesures douanières on la sauverait; qu'il suffirait d'élever les tarifs pour faire refleurir son ancienne industrie. Jamais on ne lui a dit la vérité. Jamais on ne lui a montré la route du progrès et de l'avenir.

Nous avons, dit l'honorable M. Dechamps, protégé la filature. Non, nous n'avons pas, j'aime à le croire, ce grief encore contre vous. Lorsque vous avez élevé le tarif sur les fils de lin, vous l’avez fait par suite d'une nécessité qui résultait de la convention avec la France; vous l'avez fait parce que, par cette convention, on vous a forcé à établir sur vos frontières le tarif prohibitif de la France. Or, c'est là une mesure qui a aggravé la crise de l'industrie linière.

Vous prétendez qu'il fallait un tarif protecteur aux filatures belges? Mais pourquoi s'étaient-elles établies en l'absence de ces tarifs? Vous prétendez qu'il fallait un tarif prohibitif en faveur des filatures belges ? Et pourquoi venez-vous indiquer maintenant comme un remède efficace, urgent la libre entrée des fils anglais pour la fabrication des toiles dites « Russias » et autres, destinées à l'exportation, et à l'égard desquelles le gouvernement n'a pas attendu vos conseils pour prendre l'initiative?

M. Dechamps. - C'est pour l'exportation !

M. d'Elhoungne. - Vous avez dit vous-même que l'industrie linière mourrait, si elle n'avait pas l'exportation : ainsi c'était un moyen héroïque pour arriver à exporter qu'on lui refusait par un tarif prohibitif sur les fils !

J'ai dit, messieurs, qu'au lieu d'aider à la transformation de l'industrie linière, on l'a continuellement entravée. Si l'on veut se rappeler de quelle manière la plupart des mesures ont été exécutées, de quelle (page 610) manière la plupart des subsides, des encouragements ont été distribués, tout le monde doit être convaincu qu'en effet on s'est toujours efforcé plutôt de maintenir l'ancienne industrie linière que de pousser à sa transformation.

Il y a, il faut le dire, dans cette glorification posthume du cabinet auquel l'honorable M. Dechamps a appartenu, quelque chose d'étrange.

L'honorable membre vient faire une longue énumération de toutes les mesures qui ont été prises dans l'ordre agricole, dans l'ordre industriel, dans l'ordre commercial, et puis il couronne son discours par un éloquent et habile plaidoyer en faveur de la création immédiate d'une société d'exportation. Il vient vous dire que cette société d'exportation était le pivot de toutes les mesures qu'on avait prises et qu'on devait prendre en faveur des Flandres, que c'était la base sur laquelle l'ancien cabinet avait voulu reconstruire l'édifice de leur prospérité.

Mais, que ne faisiez-vous ce plaidoyer quelques mois plus tôt; quand vous étiez au pouvoir; quand les circonstances étaient plus propices; quand nos finances étaient dans un état beaucoup plus florissant qu'aujourd'hui? Que ne dépensiez-vous alors la centième partie de l'éloquence, de l'habileté, de l'énergie que vous mettez aujourd'hui à défendre cette idée?

M. Dechamps. - Oubliez-vous que j'ai présenté le projet?

M. d'Elhoungne. - Je le sais, vous avez présenté un projet de loi précédé d'un excellent exposé des motifs. Mais d'abord, le projet ne valait pas l'exposé. Ce projet était incomplet. Il se bornait à créer une société partielle, devant exclusivement s'occuper de l'industrie linière, c'est-à-dire d'une industrie qui devait nécessairement entraîner, pendant longtemps, des pertes, qui n'était pas de nature, par conséquent à rallier les capitaux.

Ensuite, ce projet, vous l'avez présenté, mais vous n'avez jamais insisté pour qu'il fût discuté. Ah! vous eussiez fait comme ministre ce plaidoyer chaleureux que nous venons d'entendre, si vous aviez voulu amener l'exécution de votre projet et si, pour me servir d'une expression de l'honorable M. Rogier, sa présentation n'avait été, de la part du précédent cabinet, une sorte de charlatanisme politique, quelle que soit la prédilection de l'honorable membre pour ce projet.

M. Dechamps. - C'est la section centrale qui a retardé la discussion : vous savez que ce n'est pas moi.

M. d'Elhoungne. - Je regrette, messieurs, d'avoir dû donner cette courte réponse à l'honorable membre. Mais comme j'ai plus d'une fois accusé le précédent cabinet de ne pas comprendre sa mission au point de vue des Flandres, en répondant aux attaques de l'honorable préopinant qui, pour avoir revêtu une forme très adoucie; n'en était pas moins poignantes, je ne pouvais garder le silence; je devais mettre quelque vivacité dans ma réponse.

Je reprends la question en elle-même.

La crise des Flandres, comme je l'ai dit, se présentait sous l'aspect d'une révolution industrielle.

C'est alors que deux années de disette survinrent qui donnèrent au paupérisme, déjà très développé, des proportions effrayantes.

Les mesures qui furent prises ne firent qu'accélérer le développement du paupérisme, parce qu'on se borna le plus souvent à des aumônes. Or, l'aumône crée nécessairement, fatalement le paupérisme.

Je sais que l'honorable M. Dechamps a invoqué les travaux publics qu'on a fait exécuter, les mesures industrielles qui ont été prises.

Mais qu'on relise les discussions d'il y a deux ans ; qu'on relise les accusations incessantes contre le cabinet dont l'honorable M. Dechamps faisait partie, et l'on verra que le reproche que nous adressions légitimement au précédent cabinet, c'était précisément d'avilir, de dégrader les populations avec l'aumône, au lieu de faire un sacrifice plus fécond et plus intelligent en créant de grands travaux publics. (Interruption.) Vous venez de déclarer vous-mêmes qu'une partie des subsides destinés à la voirie vicinale, un des meilleurs moyens pour soulager par un travail local la population des campagnes, ont été employés en secours directs!

Ainsi, messieurs, après deux années de disette, le paupérisme ayant pris des proportions plus considérables que jamais, le paupérisme s'étant rapidement développé, et une crise commerciale très intense étant près d'éclater, voilà quelle était la situation, quand le cabinet actuel a pris en main la direction des affaires du pays.

Dans cette situation, si je ne me trompe, l'on peut dire que le problème à résoudre se formule dans les termes suivants : En premier lieu, il fallait relever la condition matérielle et morale de la partie valide de cette énorme population d'indigents qui s'était formée dans les Flandres; il fallait, en second lieu, arrêter la décadence de la couche supérieure, de celle qui touche le plus près au prolétariat, et qui doit cette position plus à sa moralité qu'à ce qu'elle possède de capital. Il fallait, en troisième lieu, empêcher, par le déplacement des populations et une législation libérale en matière de denrées alimentaires, une hausse trop rapide des fermages pour l'avenir.

Messieurs, puisqu'on a parlé du comité des Flandres, dans lequel j'ai modestement fourni mon contingent, je ne dirai pas d'idées, mais de travail ; car des comités de ce genre ont beaucoup plus à faire pour repousser les idées fausses que pour mettre au jour des inventions nouvelles, je dirai que le comité s'est dirigé constamment par ces idées; et c'est en quelque sorte le reflet de ses délibérations que je présente, en les énonçant.

Eh bien ! le comité n'a pas hésité à admettre, avec le gouvernement, que le premier de ces buts, c'est-à-dire de relever autant que possible la condition matérielle et morale des indigents dans les Flandres, pouvait être atteint par les moyens suivants : d'abord par un vaste ensemble de travaux publics à exécuter dans les Flandres; en second lieu par l'augmentation de la somme du travail agricole, en dotant l'agriculture de travaux d'utilité publique ou locale, en réformant la législation sur la propriété territoriale, en répandant les notions et le goût de l'agriculture; troisièmement, par la répression énergique de la mendicité, et, comme moyen préventif pour l'avenir, par l'enseignement.

Le second but, celui d'arrêter sur la pente du paupérisme, au seuil de l'indigence, la couche supérieure de la population rurale dans les Flandres, le comité a pensé avec le gouvernement, et en particulier avec M. le ministre de l'intérieur, qu'on pouvait l'atteindre par les moyens suivants : par l'enseignement pratique de l'agriculture, par l'enseignement industriel; et, comme moyen de transition, pour abréger la crise, par la fondation d'une société d'exportation sur une base beaucoup plus large que celle que l'honorable M. Dechamps a proposée lorsqu'il était ministre des affaires étrangères.

Le troisième but, messieurs, à savoir le déplacement de la population, on croyait pouvoir l'obtenir par le défrichement; et pour pousser au défrichement, on songeait à étendre le système de la loi du 25 mars 1847, à émanciper le crédit foncier que notre législation a véritablement entravé; à pousser autant que possible, à stimuler le crédit agricole, et encore une fois, à recourir à la ressource des travaux publics.

Quant aux fermages, comme on ne voulait plus de hausse artificielle, on devait adopter le régime d'une législation libérale en matière de subsistances.

Vous le voyez, dans ce système tout repose sur quelques idées fort simples ; on y cherche surtout à concentrer l'action du gouvernement sur les objets dont il peut utilement s'occuper.

D'abord vous avez les travaux publics. Jusqu'à présent il n'y a que l'honorable M. Coomans (encore n'est-ce que dans les prémisses de son discours) qui ait contesté au gouvernement son initiative, son intervention par ses capitaux dans les travaux d'utilité générale.

Il y a ensuite la répression de la mendicité qui aura assurément l'assentiment de tout le monde. C'est là une plaie qui est bien grande, bien triste dans les Flandres.

Il y a enfin l’enseignement sous toutes les formes, la réforme du crédit, une législation libérale sur les denrées alimentaires ; et, comme je viens de le dire, pour sauver la transition, la société d'exportation.

Voilà dans quels termes le cabinet a posé la question, lorsqu'il a pris la direction des affaires du pays; voilà dans quels termes le gouvernement a porté la question devant les chambres lorsqu'il a présenté le grand projet de loi par lequel il demandait l'autorisation de contracter un emprunt. Je ne sache pas que le projet du gouvernement ait été critiqué par qui que ce soit.

Mais à peine avait-on présenté ce projet de loi aux chambres, à peine le gouvernement avait-il précisé ses vues dans la question des Flandres, et formulé en projet de loi les idées que M. le ministre de l'intérieur avait avec le plus grand succès développées devant les chambres en décembre 1847 ; à peine en était-on là, qu'éclata la révolution de février. Qui niera que, par cet événement, la position n'ait changé du tout au tout? Ce n'était plus des Flandres seules qu'il s'agissait; la crise était générale : toutes les provinces souffraient. Il n'y avait plus à penser aux besoins des populations de telles ou telles communes; il fallait s'occuper des besoins des classes laborieuses de la Belgique entière. C'est ce qu'a fait le gouvernement, et je dois rendre cette justice à l'honorable M. Rogier, qu'au milieu de tous les embarras d'une situation inouïe, il n'a pas cessé un seul instant, un seul jour, de se préoccuper des Flandres.

Lorsqu'en Angleterre on secouait, comme un fardeau trop lourd, la question de l'Irlande, le gouvernement belge a continué à s'occuper de mesures dont le détail ne vous est pas connu, messieurs, même après le discours étendu prononcé hier par le M. ministre de l'intérieur, discours qui est loin d'offrir une énumération complète, quant à toutes les mesures qui ont été prises, instruites, examinées par le gouvernement.

En présence cependant de complications aussi graves que les événements de février, n'était-il point permis de se dire, messieurs, qu'il faut être sobre de l'intervention et des ressources du gouvernement ? Qu'il faut bannir les remèdes trop hasardeux dans lesquels l'intervention et les ressources du gouvernement seraient imprudemment compromises? Ne faut-il pas porter sérieusement l'attention sur le danger qu'il y a, pour le gouvernement, à s'immiscer dans une foule d'intérêts qu'il ne peut, et qu'il ne doit pas connaître; qu'il ne peut ni ne doit diriger, et qui doivent être abandonnés à l'activité privée? Et il ne suffit pas, comme l'honorable M. Coomans, de professer ces principes en théorie, pour demander aussitôt en pratique le contraire de ce qu'on a préconisé. Il faut s'y rattacher fermement, sévèrement.

C'est précisément, messieurs, la pensée qui a présidé aux modifications que le projet du gouvernement a dû subir. Les travaux publics! Mais, à la suite de la révolution de février, pouvait-on immobiliser d'énormes capitaux dans des travaux publics? Où aurait-on d'ailleurs trouvé ces capitaux? Il a donc fallu abandonner le vaste ensemble de travaux publics qui était comme la base du projet du gouvernement. Il a fallu restreindre ces travaux à l'encouragement de la voirie vicinale, à des travaux de routes, aux travaux de canalisation les plus indispensables. C'est ce que le gouvernement a fait.

(page 611) Pouvait-on après les événements de février donner une large extension à la loi du 25 mars 1847 sur les défrichements ? Encore une fois c'était impossible. Il était impossible, l'honorable M. Dechamps vient de le dire, de consacrer des sommes considérables aux défrichements. Tout ce qu'on pouvait faire, c'était quelques essais dans la limite des crédits votés antérieurement.

La répression de la mendicité. Le gouvernement a présenté une loi relative à la réforme des dépôts de mendicité, à la création de dépôts de mendicité nouveaux pour la jeunesse indigente. Cette loi a été adoptée.

La législation sur la répression de la mendicité pourra donc s'exécuter plus sévèrement, bien qu'on ait supprimé les subsides aux communes pour secours directs. En effet, dans la situation du marché des denrées alimentaires, toutes les communes doivent pouvoir, avec leurs ressources et celles de la bienfaisance privée, pourvoir aux besoins de leurs pauvres.

M. Rodenbach. - C'est une grande erreur.

M. d’Elhoungne. - Je ne conteste pas, je dois le dire à l'honorable M. Rodenbach, que vers le mois d'avril, quand la partie la plus pauvre de la population aura épuisé sa provision de pommes de terre, les communes n'aient besoin de quelques subsides ; mais jusque-là, les communes peuvent pourvoir à tout.

Ce n'est pas quand les denrées alimentaires sont à bas prix, quand la charité privée est si facile, que le gouvernement doit accorder des subsides pour secours directs, aux communes aux dépens du trésor. Si je cherchais à me rendre populaire dans les Flandres, je n'aurais qu'à faire des traites continuelles sur le trésor ; mais je crois que ce qu'il faut aux Flandres, c'est la vérité avant tout, je veux la leur dire.

M. Rodenbach. - Je la leur dirai.

M. le président. - Vous aurez votre tour, M. Rodenbach, mais je vous prie de ne pas interrompre.

M. d'Elhoungne. - J'indiquais ce qu'il était possible de faire pour les Flandres, en fait de répression de la mendicité, et je disais qu'il ne faut pas donner de secours aux communes tant que de nouveaux besoins ne se feront pas sentir. J'ajouterai que j'espère que de nouveaux besoins ne se feront pas sentir.

La réforme du crédit est une chose essentielle. Le gouvernement a-t-il hésité? Il a présenté le projet le plus important, le projet de réforme hypothécaire.

Croyez-vous que ce ne soit rien que cette mesure? On a calculé, en France, que la réforme hypothécaire équivaudrait au dégrèvement de la plus grande partie, sinon de la totalité de la contribution foncière. Là cependant vous êtes, messieurs, dans votre rôle de législateurs ; vous n'intervenez pas dans la sphère de l'activité individuelle.

Il vous suffit de dégager le crédit foncier de ses entraves; de lui ôter les lisières qu'on lui a imprudemment imposées ; de le laisser marcher dans sa liberté et dans sa force. Cette réforme du crédit foncier, le gouvernement l'a présentée. Il a également annoncé qu'il ne laisserait pas le crédit industriel et commercial dans l'état provisoire et précaire où il se trouve. En opérant cette réforme du crédit, le gouvernement ne fera-t-il pas quelque chose pour le crédit agricole? Ne favorisera-t-il pas l'introduction des lettres de gage dont a parlé l'honorable M. Dechamps ? Il est difficile de ne pas le croire. C'est là une question sur laquelle on ne peut engager un débat immédiat; mais cette question sera vidée, la chambre en sera saisie par le gouvernement. C'est le complément des mesures qui ont été ou présentées déjà ou annoncées. Les lettres de gage ne sont qu'un rouage, et un rouage accessoire de la réorganisation du crédit foncier et de la réorganisation du crédit industriel, commercial et agricole.

Quant à la législation libérale en matière de denrées alimentaires, le gouvernement l'a présentée, la chambre l'a votée. Nous n'avons plus aujourd'hui à craindre le retour de la loi de 1834. A cet égard, je répondrai tantôt à ce qu'a dit l'honorable M. Coomans ; je prouverai ce qu'il y a au fond de sa proposition en faveur des classes laborieuses.

M. Coomans. - Oui, ma proposition est en faveur des classes laborieuses.

M. d'Elhoungne. - D'une étrange façon ! Un impôt sur le pain.

M. Coomans. - Quoi que vous en disiez, il n'est pas libéral de dépouiller les ouvriers des campagnes, au profit des ouvriers des villes.

M. d'Elhoungne. - Je répondrai d'une manière catégorique ; je citerai des chiffres : un peu de patience, je vous prie.

Reste la société d'exportation. Doit-on la faire ? Peut-on, doit-on la faire aujourd'hui? Messieurs, il y aurait beaucoup de choses à dire sur le fond même de la question; mais l'honorable M. Dechamps a si bien démontré qu'une société d'exportation est nécessaire; il a si clairement prouvé combien il est regrettable que la faiblesse des cabinets précédents ait empêché de doter le pays d'une institution de ce genre, qu'il me restera peu de chose à ajouter; je n'aurai qu'à redresser quelques erreurs échappées à l'honorable membre.

Une société d'exportation, le gouvernement la veut comme nous. La seule chose qu'il conteste, c'est qu'il soit possible, qu'il soit opportun de la faire actuellement.

Je reconnais, pour ma part, tout le danger qu'il y aurait à échouer. Mais si le gouvernement veut sérieusement presser cette grande mesure, s'il multiplie ses efforts, s'il met toute son énergie à la faire réussir, faut-il désespérer du succès ?

Si l'on offre plus de garanties, si l'on présente plus d'avantages aux capitaux; si l'on échelonne les versements à de longs intervalles, pour répondre aux craintes que l'état de l'Europe inspire; je ne désespérerais pas de la fondation d'une société d'exportation; j'espérerais, messieurs, qu'on pourra faire affluer les capitaux privés dans cette entreprise. Je dis: j'espère que le gouvernement y parviendra. J'ajouterai que c'est, pour moi, la condition sine qua non pour qu'il se fasse une société d'exportation. C'est-à-dire que je ne veux pas, comme l'honorable M. Dechamps, d'une société provisoire, avec un capital provisoire, pas plus qu'avec un capital de papier. Je veux que si le gouvernement engage quelques millions dans la société d'exportation, les capitaux privés s'y engagent aussi. Je veux, messieurs, que le pays ait la garantie que si le gouvernement engage ses fonds, la spéculation privée engage les siens à côté. Je veux, messieurs, que ce soit l'intelligence, l'économie, l'activité de l'intérêt privé qui dirige l'entreprise. Je ne veux pas que tout se borne à quelques millions, puisés dans la caisse de l'Etat et jetés en pâture à des spéculations dont aucun intérêt privé ne soit solidaire. Je ne veux pas d'une institution au sort de laquelle aucun de ceux qui la dirigent n'attache une partie de sa fortune.

Quant à la part contributive du gouvernement dans la société d'exportation, il sera facile de trouver quelques millions. On pourrait, par exemple, dans la loi d'organisation du notariat, imposer le cautionnement aux notaires. De la sorte, le gouvernement ne devrait pas employer la réserve destinée aux caisses d'épargne, dans une éventualité qui, j'espère, ne se représentera pas; mais dont la possibilité suffit pour ne pas nous exposer à faire de nouveau des sacrifices de cette nature-là.

Messieurs, j'insisterai d'autant plus pour que le gouvernement fasse tous ses efforts afin que la société d'exportation puisse s'établir, que la société d'exportation, une fois établie, pourra faire avec unité, et à l'aide de l'intérêt privé, tout ce que le gouvernement est obligé de faire aujourd'hui. Vous avez vu le gouvernement obligé, par une nécessité impérieuse, de donner des primes; d'établir des ateliers d'apprentissage; de faire des avances, c'est-à-dire de commanditer l'industrie privée , d'introduire des industries nouvelles ; tout cela par l'entremise d'agents salariés ou subsidiés, tout cela par l'action administrative. Pour ma part, je préférerais de voir faire ces essais par une société, c'est-à-dire par l'intérêt privé. Je regrette profondément que le gouvernement, sous le coup des circonstances, doive s'imposer une tâche si compliquée, si difficile, et plus difficile pour lui que pour l'intérêt privé.

Je n'entends nullement, messieurs, blâmer par ces paroles les mesures que le gouvernement a adoptées. Je sais qu'elles étaient nécessaires. Je sais qu'elles sont justifiées que par la crise non moins par leurs résultats. Des primes d'exportation, des avances par l'Etat, des entreprises commerciales directement soutenues par l'Etat, tout cela, est mauvais comme système, sans doute; mais quand la paix publique, quand l'ordre et quand l'existence des classes laborieuses sont brusquement mis en question par une crise inouïe, tout cela peut être utile, tout cela peut être nécessaire. Quand il est question d'être ou de n'être pas, les vérités économiques doivent fléchir.

Je le répète donc, messieurs, je désire voir le gouvernement parvenir à créer une société d'exportation, précisément parce que je veux voir le gouvernement simplifier sa tâche, se renfermer dans ses attributions, ne pas perdre sa force et dépenser son énergie dans une foule de détails, de mesures, d'intérêts qui finiraient par absorber toutes les forces d'une administration et par la déborder.

Je voudrais que le gouvernement pût, quant à la question des Flandres, s'attacher à quelques mesures essentielles, fondamentales. Je voudrais qu'il fût dit bien haut que tout ce que le gouvernement peut et doit faire pour l'industrie et le commerce, c'est de créer une société d'exportation. Que le gouvernement ne fasse pas autre chose; qu'à cela se borne son concours. Et s'il est des intérêts privés qui ne peuvent s'appuyer sur la société d'exportation, qu'ils ne songent plus à s'appuyer sur le gouvernement, à solliciter son intervention, à réclamer son concours.

En même temps que cette grande mesure commerciale et industrielle, je voudrais que le gouvernement concentrât ses efforts sur un intérêt d'un autre ordre, mais non moins grave : sur l'enseignement.

L'enseignement primaire pour les classes pauvres des Flandres devra faire l'objet des mesures spéciales de la part du gouvernement. Il n'est que trop vrai que le bienfait de l'instruction primaire n'existe pas pour ainsi dire, pour l'enfance indigente dans les Flandres. Si l'on citait le chiffre des enfants pauvres qui ne reçoivent pas l'instruction primaire, on n'y croirait pas.

Tout conspire contre ce grand intérêt moral; les locaux des écoles sont insuffisants; les communes sont ou indifférentes ou hostiles; elles font le plus souvent tout ce qu'elles peuvent pour entraver l'instruction des enfants indigents. D'un autre côté, les instituteurs ne sont pas suffisamment rétribués, suffisamment encouragés. On ne saurait trop engager le gouvernement à porter toute son attention, toute sa sollicitude dans cette direction. Si dans cette population flottante d'indigents et de mendiants des Flandres, il y a un élément qu'il faut dégager, qu'il faut isoler, c'est sans contredit l'enfance, c'est la jeunesse. Là doivent se diriger sans retard les efforts du gouvernement parce qu'il y a là un immense intérêt d'avenir, et les plus grandes chances de succès.

L'enseignement agricole, industriel, professionnel se rattache absolument aux mêmes idées. Il faut que le gouvernement en fasse le complément de f instruction primaire. Dans cette voie-là, il peut sans danger (page 612) s'avancer avec énergie. Ce n'est pas là qu'on doit craindre de faire trop.

J'ai dit en commençant que la discussion actuelle aurait une double utilité; d'abord qu'elle fixerait l'attention du pays, des chambres, des Flandres elles-mêmes sur ce que le gouvernement peut et doit faire en leur faveur, sur ce qu'il ne peut ni ne doit faire. Ensuite, qu'on reconnaîtrait aussi qu'il y a des erreurs, des illusions qui, sous les apparences les plus décevantes, cachent quelquefois un grave danger pour le pays. Eh bien, je suis fâché de le dire, je trouve beaucoup de danger dans les idées émises par l'honorable M. Coomans.

Ainsi l'honorable député de Turnhout regarde la protection agricole comme la panacée universelle. Or, si je me reporte à la proposition que l'honorable membre a faite dans une de nos précédentes séances, et que la chambre a très sagement rejetée, je trouve que l'honorable membre proposait tout simplement un impôt de 14,685,208 fr. sur les denrées alimentaires, sur le pain.

Il est vrai que l'honorable membre se préoccupait aussi de l'intérêt dH trésor ; il disait que la mesure fournirait une ressource pour le trésor public; cela est exact ; le gouvernement percevrait, dans ce système, les droits de douane sur la quantité de céréales que nous devons introduire chaque année pour compléter l'approvisionnement du pays ; mais qu'est-ce à dire? Que le gouvernement, dans ces 14,685,208 francs aurait reçu 886,400 francs, tandis qu'il y aurait une taxe de 13,796,808 fr. en faveur des propriétaires.

L'honorable membre parlait du budget comme d'un gâteau ; il ne se défendait point du désir d'y mordre ; vous voyez, messieurs, que l'appétit vient singulièrement en mangeant.

Il est vrai que l'honorable membre invoque à l'appui de sa proposition l'intérêt du cultivateur. Mais il est parfaitement reconnu que les lois sur les céréales agissent surtout en faveur des propriétaires en faisant monter le taux des fermages.

Maintenant, pour justifier cet impôt, l'honorable membre a tenté de prouver que les propriétaires de terres en Belgique sont dans une position défavorable, et ne sont pas dans une position privilégiée.

Eh bien, je soutiens, moi, que ces propriétaires sont dans une position privilégiée; ils le sont et par la nature des choses et par nos lois d'impôts.

Ils sont privilégiés par la nature des choses, parce que les produits agricoles augmentent de prix par l'accroissement de la population et des capitaux, tandis que les autres produits baissent de prix par ces mêmes causes.

Ils sont privilégiés par l'impôt. En effet, quel impôt payent vos biens-fonds? Ils payent l'impôt foncier ; eh bien, cet impôt, lorsqu'il a été décrété, a été un véritable dégrèvement pour les terres ; car on a en même temps supprimé la dîme qui était un impôt bien autrement considérable, bien autrement lourd et vexatoire que celui-là.

Ce n'est pas tout : la propriété non bâtie ne supporte pas les charges qui grèvent la propriété bâtie. En effet, quelles sont les charges dont est frappée la propriété bâtie? Indépendamment de l'impôt foncier, la propriété bâtie paye encore la taxe sur la valeur locative, la taxe sur les portes et fenêtres, la taxe sur les foyers. Voilà donc la propriété bâtie atteinte d'une triple taxe à laquelle échappe la propriété non bâtie.

J'aborde maintenant une autre idée de l'honorable membre; celle-là est relative à un compromis à former entre les classes aisées pour la consommation des produits indigènes. Au premier abord, cette proposition a un air de candeur et d'innocence, j'en conviens; au fond, elle est dangereuse. Croyez-vous qu'il n'y ait aucun péril à égarer les classes laborieuses par ce paradoxe, que l'amélioration immédiate et héroïque de leur sort dépend du caprice des classes aisées, de ceux qui possèdent? L'honorable M. Coomans veut remédier à cela par un compromis; qui vous dit qu'à défaut de ce compromis qui ne se fera pas, on ne vous demandera pas un jour une loi ?

L'honorable membre veut l'estampille! Mais qui empêche les producteurs d'estampiller, de marquer eux-mêmes leurs produits ? Les garanties d'une bonne et loyale fabrication ne peuvent-elles procéder que de la loi? Est-ce donc à l'absence de l'estampille que tient l'infériorité de nos produits sur les marchés étrangers ? Non, la cause du mal n'est pas là, et lorsqu'on dit aux populations qu'avec l'estampille, l'industrie refleurira, la prospérité renaîtra, et qu'il n'y aura plus de paupérisme, je dis qu'on les berce d'une chimère dangereuse.

Une idée moins dangereuse, mais qui n'en est pas plus juste, c'est celle qu'a émise l'honorable M. de Haerne au sujet des comités industriels. Ces comités ont rendu quelques services en distribuant des secours ; mais si vous prenez en somme ce que ces comités ont fait, il faut se rendre à l'évidence : ils n'ont fait que du mal. Il y a eu certainement d'honorables exceptions; il y a des comités qui ont bien fonctionné, qui ont poussé au progrès industriel; mais cela prouve qu'entre les mains d'hommes actifs et dévoués, un mauvais instrument peut rendre de bons services. Mais puisque ce sont là de rares, de très rares exceptions, cela ne prouve-t-il pas que le système entier était déplorable?

Je ne pousserai pas plus loin ces considérations ; je me réserve de reprendre la parole dans le cours de ce débat ; l'heure avancée déjà me force à me résumer en quelques mots.

Les uns ont reproché au gouvernement d'avoir fait trop peu ; d'autres lui ont reproché d'avoir fait trop : pour moi, je dis que le gouvernement a fait tout ce qui était possible.

Il lui reste à poser des actes décisifs dans les deux voies qu'il s'est lui-même tracées : pour le développement de l'enseignement populaire, pour la création d'une société d'exportation. Quand il aura concentré ses efforts dans ces voies irréprochables et où il ne peut s'égarer, je pense qu'il pourra se dispenser d'une foule d'essais, de mesures de détail, dans lesquelles véritablement je l'admire d'avoir osé s'engager aussi résolument, aussi activement.

Quant au reproche de n'avoir pas tenu ses promesses, le ministère est en droit de dire aux Flandres : « Les promesses que je vous ai faites, je les ai tenues. Mais les promesses que mes ennemis vous ont faites en mon nom, ces promesses-là je ne devais pas les tenir. »

- La chambre remet la suite de la discussion à demain.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.