(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Delfosse, vice-président.)
(page 569) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la précédente séance, dont la rédaction est approuvée.
M. de Luesemans présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« L'administration communale de Warneton déclare que la pétition présentée à la chambre dans la séance du 24 janvier, comme émanant des échevins et conseillers communaux de cette ville, n'a été signée par aucun des membres du conseil communal de Warneton, et prie la chambre d'approuver le projet de délimitation communale entre Warneton et Ploegsteert, qui a été consenti le 29 mai 1845. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'érection de la commune de Ploegsteert.
« Plusieurs habitants d'Alveringhem présentent des observations contre la demande qui a pour objet de faire transférer à Dixmude le chef-lieu des arrondissements administratifs et judiciaires de Furnes.
« Mêmes observations de plusieurs habitants de Stavele, Furnes et des conseils communaux de Moeres, Houtem, Alveringhem, Pollinchove, Adinkerke, Wulveringhem, Bulscamp, Vinchem, Hoogstaede, Oostdunkerke, Isenberghe, Oeren, Steenkerke, Zoetenaey, Coxyde, Boitshoucke, Ave-Cappelle, Wulpen, Eggewaerts-Cappelle et Saint-Ricquiers. »
M. Clep. - Messieurs, ces 24 pétitions sont encore toujours le contre-pétitionnement et des protestations; aujourd'hui ce sont 21 conseils communaux et un grand nombre d'autres habitants qui réclament contre des pétitions adressées récemment à la chambre par des habitants de la ville et des environs de Dixmude, lesquelles avaient demandé le transfert audit Dixmude du chef-lieu des deux commissariats du district, réunis à Furnes.
Comme ces 24 pétitions réclament non seulement contre ledit transfert du chef-lieu des deux commissariats, mais qu'elles réclament aussi pour le maintien audit Furnes du chef-lieu du tribunal de première instance dont les pétitionnaires de Dixmude ont demandé également le transfert, je prie la chambre de bien vouloir ordonner :
1° Le dépôt sur le bureau de toutes ces pétitions pour renseignements, pendant la discussion du budget de l'intérieur, aujourd'hui à l'ordre du jour ;
2° Et leur renvoi, par après, à la commission des pétitions, pour la deuxième partie de ces 24 pétitions qui concerne le maintien à Furnes du tribunal de première instance de l'arrondissement judiciaire.
- Cette proposition est adoptée. En conséquence, la chambre ordonne le dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur, et ensuite le renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Jean-Guillaume Grube, employé à Anvers, né à Rotterdam, demande la naturalisation ordinaire, avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le conseil communal d'Achel demande le maintien de l'arrondissement administratif de Maeseyck. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
« Le conseil communal de Leysele demande que le commissariat de l'arrondissement de Furnes soit maintenu dans cette ville. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
« Le sieur Derive, instituteur communal à Spa, soumet à la chambre des considérations sur la nécessité de réformer le système d'inspection pour l'enseignement primaire. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les sieurs Hauzeur, Behr et autres membres du comité des charbonnages liégeois présentent des observations contre le projet de loi relatif à la suppression du conseil des mines. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le sieur Moïse Caleb Calloo, tailleur de diamants à Bruxelles, né à Amsterdam, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« M. Alphonse Leroy, secrétaire du comité permanent du congrès professoral, transmet à la chambre 110 exemplaires d'une brochure publiée par M. Moke, président de ce congrès, intitulée : « Des propositions du congrès professoral dans leur rapport avec l'enseignement supérieur. »
- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres.
M. de Meester, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé.
- Le congé est accordé.
M. Destriveaux, au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la suppression du conseil des mines, dépose le rapport sur ce projet de loi ;
La section conclut, par 5 voix contre 2, au rejet du projet de loi, et deux tableaux renvoyés à la section centrale par M. le ministre des travaux publics à l'appui des observations qu'il a présentées.
- La chambre ordonne l'impression de ces pièces et met le projet de loi à la suite de l'ordre du jour.
M. le président. M. le ministre de l'intérieur se rallie-t-il aux amendements présentés par la section centrale?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Lorsque les amendements seront mis en discussion, je déclarerai si je m'y rallie ou si je ne m'y rallie pas.
M. le président. - En conséquence la discussion s'établit sur le projet du gouvernement. La discussion générale est ouverte.
La parole est à M. de Perceval.
M. de Perceval. - Je demande l'indulgente attention de l'assemblée, non pas tant pour la personne qui parle, mais pour les questions qu'elle se propose de traiter devant la représentation nationale.
Lors de la discussion du budget des affaires étrangères, plusieurs orateurs ont cru devoir désigner et analyser l'action politique du gouvernement à l'étranger. Je viens à mon tour m'occuper de son action politique à l'intérieur, et communiquer à la chambre et en présence du ministère, de ce ministère libéral issu de nos élections de 1847, mes vues sur cette politique.
J'ouvre ce débat à l'occasion de l'examen du budget dont nous sommes saisis, parce que c'est ici qu'il doit, à mes yeux, trouver sa place. L'honorable chef du département de l'intérieur est l'âme du cabinet, personne n'en doute ; et s'il n'est pas de droit, il est au moins de fait le président du conseil des ministres.
Je passerai en revue les actes qu'il a posés depuis son entrée aux affaires; je discuterai sans passion comme sans faiblesse le système sur lequel il s'appuie pour gérer la chose publique, et ainsi je serai amené à juger ce système. Je lui désignerai la voie que je pense, en toute sincérité, qu'il doit, qu'il aurait dû suivre, et qui lui est tracée par la marche ascendante des idées, par les événements qui se passent dans les pays qui nous entourent, par de nouveaux besoins qui se sont fait jour, et qu'un pouvoir prudent ne saurait perdre de vue sans courir de sérieux dangers. Je lui indiquerai cette voie, dis-je, pour éviter à la Belgique ou des déceptions, ou des secousses. D'après les explications qu'il nous donnera dans le cours de cette discussion, j'accepterai ou je rejetterai le chiffre du budget.
Mais pour que mes paroles soient sainement appréciées et impartialement entendues, vous êtes, messieurs, en droit de nous demander qui nous sommes pour les prononcer, et ce que nous voulons.
Nous sommes des libéraux attachés au pays et aux institutions constitutionnelles qui le régissent, et qui ne perdons pas de vue le serment que nous avons prêté le jour où nous avons pris place sur ces bancs. Nous sommes, quoique jeunes encore, permettez-nous de vous le dire, de vieux athlètes qui avons combattu depuis dix ans pour le triomphe de notre opinion.
Nous n'avons évidemment pas la grande somme d'expérience que vous possédez de la pratique de cette politique dans les régions gouvernementales, et peut-être, ce mal, si c'en est un, est-il pour nous un bien ; car, vivre dans ces régions, l'expérience ne le prouve que trop, c'est souvent s'affaiblir et perdre de ses forces morales, c'est quelquefois céder aux dangereuses tentations que provoquent les positions que l'on y occupe.
Nous nous présentons donc devant vous, messieurs, avec toute l'énergie et la pureté de notre principe ; et après vous avoir dit ce que nous sommes, nous allons vous entretenir de ce que nous voulons.
Nous aurons la franchise de vous l'exposer en termes clairs et précis. L'ambiguïté est dangereuse en politique ; et sur la scène où la confiance du corps électoral nous a placés, il est bon, il est moral même de désigner le but vers lequel on marche, et de peser avec vous les moyens qu'on propose pour y arriver.
Nous voulons : l'indépendance réelle du pouvoir civil, enlever l'enseignement primaire à la domination de l'épiscopat aux mains duquel nos adversaires politiques l'ont livré, sauver les Flandres, soulager les classes laborieuses et améliorer le sort des travailleurs.
Deux questions principales se rattachent à la politique intérieure ; c'est l'indépendance du pouvoir civil d'un côté, c'est la question des Flandres de l'autre.
En appelant votre attention sur ces questions si importantes, je ne soulève pas un débat nouveau dans cette enceinte, je ne fais pas entendre des réclamations nouvelles; mais je viens demander l'exécution d'une promesse solennelle et rappeler le ministère au respect de ses engagements.
(page 570) Un programme ministériel est tout à la fois le drapeau du cabinet qui l'adopte et celui de l'opinion qu'il représente. Si le ministère abandonne ce drapeau, si, par faiblesse ou par calcul, il manque à la foi jurée, il est du devoir d'un représentant consciencieux de lui faire entendre la vérité, de l'avertir du danger qu'il court en se détournant du vrai chemin, et ce devoir je l'accomplis en ce moment.
Je lis dans le programme du 12 août :
« En tête de son programme politique, le ministère tient à poser, en termes explicites, le principe de l'indépendance du pouvoir civil à tous les degrés. L'Etat est laïque; il importe de lui conserver nettement ce caractère et de dégager, sous ce rapport, l'action du gouvernement partout où elle serait entravée. »
Or, qu'a fait le ministère pour donner suite à cette promesse ? Qu'a-t-il fait pour rétablir l'indépendance du pouvoir civil ? Qu'a-t-il fait pour la mise à exécution du grand principe qu'il a posé : « l’Etat est laïque »?
Oui, messieurs, l'Etat est laïque; mais il ne suffisait pas de l'inscrire dans un programme, il fallait le traduire en faits dans toutes les occasions qui se sont présentées depuis que le libéralisme est au pouvoir, et c'est ce que le ministère n'a pas entièrement compris.
Au lieu de marcher franchement dans une voie libérale, il prend déjà le sentier détourné qui conduit vers la politique mixte, cette politique si justement flétrie et condamnée sans appel par le pays, parce que la loyauté, la probité politique animent la plupart de nos collèges électoraux.
Je comprends la politique de conciliation. Je n'aime pas la réaction de quelque part qu'elle vienne, et c'est pour ce motif que j'applaudissais aux promesses si sages que je trouvais dans le programme ministériel; c'est pour cela aussi que je viens vous dire, au nom d'une partie de l'opinion libérale qui ne se déclare pas satisfaite (et qui n'a pas lieu de l'être) que vous n'avez pas exécuté vos promesses, et qu'aujourd'hui, loin d'aider, vous comprimez déjà le mouvement libéral dans les communes d'une importance secondaire.
Mais quant à la politique mixte, quant à la politique qui consiste à se concilier les hommes aux dépens des principes, je n'en veux point, et aucun homme digne du titre de libéral ne doit en vouloir.
Entrons dans des détails.
Dans quelques provinces, dans plusieurs arrondissements, vous conservez comme représentants de notre opinion, comme agents directs de votre politique, des hommes que nous avons toujours trouvés dans les rangs de nos adversaires, que nous avons combattus avec vous, alors que vous portiez notre drapeau. Pour de certaines fonctions élevées, qui sont plutôt d'une essence politique qu'administrative, vous devriez avoir, dans tout le pays et dans l'intérêt de nos principes, des fonctionnaires dévoués à l'opinion libérale, notoirement connus pour tels, et, sans toutefois récuser les libéraux du lendemain, faire tomber votre choix sur les libéraux de la veille.
Je vous le dis dans toute la sincérité de mon âme, vous courez un grand danger. Ce concours empressé et fictif que vous apportent vos nouveaux alliés, acceptez-le; mais ne vous y fiez point. J'y trouve un piège adroit qui vous est tendu. On veut que vous soyez le ministère du 24 février 1848; répondez-leur que vous entendez rester le cabinet du 12 août 1847. C'est une date assez glorieuse pour nous, libéraux, car ce jour nous avons opéré en Belgique une révolution pacifique! Vos adversaires, depuis cette époque, n'ont plus lutté ; ils étaient bien morts, lors que les événements qui se sont passés en France les ont fait revivre. Sous le prétexte que notre nationalité pouvait disparaître, ils ont grossi leur importance, et, se serrant autour de vous, ils vous ont demandé l'oubli de nos anciens dissentiments ; ils ont abaissé jusqu'à un malentendu la cause de nos luttes !...
Pourquoi ? Parce qu'ils voulaient vous endormir dans une fausse sécurité, vous éloigner de vos alliés naturels, mettre en suspicion notre patriotisme et notre conduite, briser la chaîne qui vous unissait à nous et qui nous unissait à vous. Ils y ont réussi en partie. Vous vous êtes laissé aveugler par leurs promesses, et vous avez cru à leurs protestations. Ils ont exploité habilement auprès de vous les événements du dehors, ils sont parvenus à vous inspirer, sinon de la méfiance, au moins de l'éloignement pour vos amis politiques.
Et pendant qu'ils tenaient ici cette conduite, ailleurs, dans quelques provinces ils marchaient au combat avec leur ardeur d'autrefois. Abandonnant les grandes villes parce que les chances de succès y ont entièrement disparu, ils se sont organisés dans les petits centres de populations, dans les campagnes. Nous les avons vus de nouveau à l'œuvre lors de nos élections communales de 1848.
Et vous avez, vous, ministre, dans plusieurs provinces sanctionné des listes échevinales qui ne répondent pas à l'attente que nous avions conçue de vous.
(S'adressant à M. le ministre de l'intérieur qui s'entretient à voix basse avec M. le ministre des finances) M. le ministre de l'intérieur, quand vous voudrez m'écouter, je continuerai!
M. Vilain XIIII. - Il n'y a pas d'article dans le règlement qui impose aux ministres l'obligation d'écouter les orateurs.
M. de Perceval. - Non ; il n'y en a pas, c'est vrai, mais quand on s'adresse aux ministres, les convenances exigent qu'ils écoutent l'orateur.
M. Dedecker. - On s'adresse à la chambre.
M. de Perceval. - On peut s'adresser au gouvernement.
- M. le président réclame le silence pour l'orateur.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans doute, on peut s'adresser an gouvernement. Mais le gouvernement est libre de répondre ou de ne pas répondre au discours qu'un membre trouve à propos de prononcer.
Lorsque l'ordre est troublé par les conversations particulières, lorsqu'on n'entend plus l'orateur, on peut se plaindre de ce qu'on n'écoute pas. Mais lorsque, comme en cette circonstance, il s'agit de quelques mots dits à voix basse, sans que le droit de l'orateur puisse être entravé, à voix si basse qu'on entendrait une mouche voler, vouloir commander, non le silence qui règne, mais l'attention que nul ne peut exiger, c'est en vérité passer toutes les bornes des plus incroyables prétentions.
M. de Perceval. - Vous aviez une occasion exceptionnelle d'asseoir définitivement l'opinion libérale dans le pays. Vous pouviez, par suite du renouvellement intégral des conseils communaux, faire flotter notre drapeau jusque dans les plus modestes communes. Vous avez laissé échapper cette occasion et ainsi, vous n'avez pas été dans cette circonstance à la hauteur de la mission que vous deviez remplir. Dans certains arrondissements de la Flandre occidentale, des provinces de Namur et d'Anvers, vous avez arrêté et adopté des combinaisons bâtardes à l'aide desquelles vous avez voulu caresser les deux opinions ; en ne prétendant déplaire à personne, vous y avez mécontenté tout le monde. On marie difficilement deux éléments hétérogènes qui se détruisent mutuellement.
Vous tentez là un jeu de bascule bien dangereux pour vous ministre, et très nuisible pour notre opinion. C'était aussi la politique de prédilection de l'honorable M. Nothomb, quand il était au pouvoir. Malgré son talent élevé et son activité incessante, il a succombé à la tâche, parce que le pays réprouve cette manière de gouverner !
Il ne faut avoir en politique que des alliés naturels.
Votre alliance avec nos adversaires se prépare, nous nous en apercevons. Je désire qu'elle ne soit pas encore conclue, car, dans ce cas, nous devrions recommencer nos luttes d'autrefois. Nous ne reculerions point devant cette perspective, et alors nous combattrions même d'anciens amis politiques.
Je dis que votre alliance se prépare avec nos adversaires. J'en ai la preuve quand je réunis en faisceau plusieurs faits administratifs dont il ne m'appartient pas d'entretenir la chambre, car, pris isolément, ils paraissent insignifiants, mais rassemblés, ils me donnent la tendance vers un système. J’en ai eu une preuve plus évidente encore le jour où la législature a été saisie des budgets. Vous nous avez présenté d'office des réductions plus ou moins notables sur les chiffres des dépenses pour chaque département ministériel. Vous avez demandé la diminution des traitements alloués à la plupart des fonctionnaires. La somme destinée au budget pour le clergé supérieur était seule restée intacte. Vous n'osiez pas la réduire !
Dans quel but ? Je l'ignore ! Peut-être pourrait-on le deviner.
Nous avons dû prendre l'initiative, et vous dire que nous ne faisions d'exceptions pour personne, et que les sacrifices que nous demandions à toutes les classes de la société pour sortir de la crise financière, nous les réclamions aussi du haut clergé.
Vous êtes venu donner un assentiment tardif à notre ligne de conduite parce que vous vous êtes aperçu que la grande majorité de la chambre allait la sanctionner par son vote.
Et ainsi s'expliquent ce dissentiment, cette espèce d'irritation vague qui règne déjà au milieu de nous dans cette enceinte et dont vous vous plaignez. Mais qu'on me dise qui lésa fait naître et qui les entretient !
Est-ce nous, qui, conséquents avec nos principes, en demandons l'application sincère et loyale ? Est-ce nous, qui, organes des volontés exprimées par le pays, y puisons la force de nos discours et le courage de nos votes ? Ou est-ce vous, que le moindre contrôle froisse, que la plus légère discussion irrite, qu'une vérité proclamée fait quelquefois même tomber dans une inqualifiable hilarité?
Nous ne voulons pas faire une guerre déloyale au cabinet, mais nous entendons rester libre et indépendant dans notre action. Chaque fois que le ministère sera fidèle à notre drapeau, nous le suivrons, et notre concours lui sera acquis ; mais, le jour où il transigera avec ses principes, où il s'appuiera sur des alliés qu'il a renversés avec nous, nous serions forcés de le combattre, parce qu'au-dessus des hommes plane, pour nous, le principe, et qu'en politique, nous ne nous dévouons pour les personnes que pour autant qu'elles servent notre cause.
J'entame la question de l'enseignement. Elle est à mes yeux d'une importance telle que je n'hésite pas à l'élever à la hauteur d'une question sociale. Celui-là qui est maître de l'éducation, a dit Leibnitz, peut changer la face du monde.
Voulez-vous, messieurs, réellement l'indépendance du pouvoir civil, et affranchir l'Etat de certaines influences qui gênent et gêneront encore longtemps ses allures? Organisez un enseignement national, organisez-le sur des bases telles qu'il appartienne à l'Etat, organisez-le de manière qu'il n'y ait à redouter aucune concurrence.
Et si vous trouvez sur votre chemin une loi arrachée à la représentation nationale dans un moment d'oubli, si vous trouvez que cette loi introduit le clergé à titre d'autorité, et autrement que pour donner l'instruction religieuse dans l'organisation de l'enseignement primaire, si vous reconnaissez, avec moi, que cette intervention blesse, de la manière la plus grave, le grand principe que vous avez posé : l'indépendance du pouvoir civil, eh bien! ayez le courage, vous, qui avez inscrit le (page 571) principe dans votre programme, de venir nous demander le retrait de cette loi.
Par une pareille conduite vous froisseriez peut-être quelques hommes qui sont venus se grouper autour de vous aujourd'hui; mais la volonté nationale ne doit-elle donc pas prévaloir dans vos calculs? Et devez-vous la sacrifier à quelques soutiens intéressés qui finiront tôt ou tard par vous faire défaut?
Un pouvoir qui cherche à se maintenir à l'aide de pareils moyens, se trompe; il se déconsidère aux yeux de ses amis politiques, il n'obtient pas même l'estime des adversaires qu'il cherche à rallier à lui par des concessions de principes.
J'ai dit et je répète qu'il faut enlever l'enseignement primaire à la domination de l'épiscopat; et, dans ce but, il est urgent, il est indispensable de réviser la loi votée par la législature en 1842. Car cette loi, vicieuse sous bien des rapports, est, de plus, exécutée d'une manière déplorable.
Et cependant, l'enseignement est la pierre angulaire de notre édifice social; c'est à l'aide de l'enseignement primaire, vous ne sauriez en douter, messieurs, que vous préparez l'avenir du peuple. Si vous tenez à faire respecter, à faire aimer l'ordre de choses actuellement établi, si vous voulez émanciper pacifiquement nos populations, si vous faites des vœux pour la diffusion des lumières, rendez à l'Etat les droits qu'il a abdiqués, pour qu'il accomplisse librement les devoirs sacrés qui lui incombent.
Il est d'autant plus dangereux pour nous, qui voulons la conservation par le progrès, de laisser entre les mains du haut clergé le soin d'instruire les masses, que jusqu'ici nous le voyons encore en Belgique vivre de la vie des partis, se mêler à nos luttes politiques, au lieu de circonscrire dans le temple son action évangélique. Je lui accorde la mission de moraliser, oui ; mais, celle du gouvernement est d'instruire.
Votre loi organique de 1842 fait siéger le clergé comme autorité, dans l'administration de l'instruction, à côté de l'Etat qui personnifie à lui seul la société, et qui, par conséquent, doit en avoir la direction suprême. C'est, à mes yeux, une anomalie des plus inconcevables et une abdication des prérogatives du gouvernement des plus funestes !
Je devrais passer ici en revue les règlements spéciaux qui ont fixé le cadre et l'exécution de cette loi organique. Je devrais analyser et commenter tous les articles qui les constituent. Le temps me ferait défaut, et peut-être aussi la patience de l'assemblée, si j'entreprenais en ce moment cette tâche.
Je me bornerai à signaler sommairement quelques points principaux qui suffiront, du reste, pour asseoir vos convictions, et qui feront ressortir à vos yeux ce que cette loi, mise en pratique depuis sept années, renferme d'anarchie et de désordre.
L'état dans lequel se trouvent la plupart de nos écoles primaires est loin d'être prospère. Les bonnes écoles sont en très petite minorité, quoi que disent les rapports et les tableaux statistiques. Le vice capital de cette loi, c'est d'avoir créé cette myriade d'inspecteurs généraux, provinciaux, cantonaux, diocésains qui finiront par tuer nos écoles. Comment voulez-vous que l'instituteur se livre à l'exercice consciencieux de sa profession, lorsque six inspecteurs, avoués et reconnus par la loi, peuvent se présenter à la fois dans l'établissement qui lui est confié ; savoir : l'autorité civile locale, le curé, deux inspecteurs civils, deux inspecteurs ecclésiastiques.
Mais, dans cette inspection (quand elle a lieu), l'un blâme ce que l'autre loue, un troisième murmure, celui-ci trouve détestable ce que celui-là élève aux nues! Et le directeur de l'école, tiraillé en tous sens, de qui pourra-t-il suivre le conseil? Sera-celui de l'inspecteur cantonal, ou celui de l'inspecteur provincial, ou celui de l'inspecteur diocésain? Sera-ce celui du bourgmestre ou du curé? Il faut l’avouer, messieurs, c'est pour l'instituteur une position très critique; aussi le corps professoral de cette branche de l'enseignement tombe-t-il dans un profond découragement. Il patienterait encore, s'il voyait les fonctions d'inspecteur confiées à des hommes d'élite dévoués à une si belle mission, passionnés pour le but qu'ils doivent atteindre, capables, en même temps, de comprendre et d'entourer d'égards cette humble existence de l'instituteur que la société doit respecter et bénir !
Mais, de tels hommes, me dira-t-on, ne se trouvent-ils pas à la tête de cette administration? N'avons-nous point, parmi les inspecteurs civils, des hommes lettrés, érudits, des poètes même, des docteurs en philosophie et lettres, des docteurs en droit? Aurait-on pu faire un choix plus heureux?
Ah! messieurs, ce n'est pas la grande érudition qui est indispensable pour occuper ces postes importants. Il vous faut, pour ces positions, des hommes pratiques qui possèdent une parfaite entente de la manière d'enseigner; il faudrait choisir ces inspecteurs dans les rangs mêmes des instituteurs primaires, parce qu'ils connaissent, bien mieux que celui qui vit dans le monde ou dans le silence de son cabinet, les besoins, les nécessités de l'éducation populaire.
Laissez donc le médecin au malade, l'avocat au barreau, le poète à sa lyre, le secrétaire communal à son travail administratif, le juge de paix à son tribunal..., et n'en faites plus des inspecteurs.
Vous servirez ainsi l'enseignement lui-même, et vous pourrez alors encourager, en l'élevant, l'instituteur qui déploie, dans ses fonctions, du talent, du courage et du dévouement.
C'est peut-être aussi parce que la plupart de vos inspecteurs sont totalement étrangers à l'enseignement et que partant ils sont peu dévoués au personnel qui le dirige, qu'ils laissent, dans quelques communes, les enfants se réunir, je ne dirai pas dans une école, mais dans un bouge infect. J'ai visité une école de ce genre, et c'est l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter dans cette chambre, qui a le triste avantage de la posséder.
A Calfort, près de Puers, j’ai trouvé, réunis dans une espèce de grenier où l'on m'a fait monter à l'aide d'un escalier qui n'est qu'une large échelle, 120 enfants entassés sur des bancs, sans pupitres devant eux pour écrire; pas un meuble décent, pas un siège pour s'asseoir; le papier collé aux fenêtres remplaçait les carreaux de vitre; une porte, qu'il était impossible de fermer, renouvelait l'air dans la classe, et du plafond, - croyez-moi, messieurs, je n'exagère pas, je n'oserais pas l'affirmer à cette tribune si le fait n'était pas arrivé, — les insectes, les vers me tombaient sur les épaules !
Je suis resté longtemps dans cette école, car j'admirais avec émotion le courageux dévouement et la résignation désintéressée de ce modeste et pauvre instituteur qui donnait aux enfants de la commune les bienfaits de l'instruction primaire.
Le directeur et l'école sont abandonnés, parce que l'instruction y est bonne et que l'homme qui la dirige est, sans contredit, un des meilleurs instituteurs du pays. Et cependant votre loi organique fait surgir une foule d'inspecteurs, évidemment dans le but d'inspecter ces établissements. De quoi s'occupent-ils donc? Signalent-ils au gouverneur, à l'inspecteur général ou supérieur, au ministre, à une autorité quelconque, de semblables positions ? S'acquittent-ils de leur devoir? En présence du fait que je viens de vous signaler, il doit m'être permis, je pense, d'en douter.
Voulez-vous maintenant assurer l'exécution des mesures que le gouvernement doit prendre dans l'intérêt de l'éducation? Faites-lui adopter l’unité dans son action, et qu'il la confie à un inspecteur capable ayant sous sa direction toutes les écoles primaires et normales. Il pourra les conduire comme si elles ne formaient qu'une seule et même école; il les animera toutes d'un même esprit; elles marcheront de la même manière et elles tendront ainsi, toutes, vers le même but. C'est à cette condition seule que l'Etat exercera une influence salutaire sur l'éducation de la jeunesse.
Adoptez aussi, dans tous vos établissements, une seule et même méthode pour enseigner ; c'est l'unique moyen de créer une instruction primaire forte.
Aujourd'hui chaque province, chaque ressort d'instruction cantonale a sa manière différente d'enseigner, et même, dans un grand nombre de ressorts, les écoles des communes diffèrent entre elles pour l'enseignement.
Il y a plus ; nous avons des écoles où l'on instruit la jeunesse d'après cinq méthodes différentes. Il est juste de dire aussi que si l'unité nous fait défaut pour le système et la méthode, nous la rencontrerons au moins une fois dans une collection d'images dont on se propose sans doute d'inonder les établissements primaires !
Les règlements et les programmes des différentes branches de cet enseignement sont trop surchargés ; un grand nombre des matières qui s'y trouvent désignées, sont plutôt du domaine de l'enseignement moyen.
Ceci m'amène à demander à M. le ministre de l'intérieur s'il saisira bientôt les chambres législatives du projet de loi organique de l'enseignement moyen donné aux frais de l'Etat.
Vous parlerai-je maintenant de nos deux écoles normales qui luttent péniblement, et sans aucun succès, contre sept établissements de ce genre, institués par le corps épiscopal? Que dis-je? lutter! La lutte leur est défendue, car vous avez, vous, Etat laïque, placé quatre ecclésiastiques, - deux directeurs et deux sous-directeurs - à la tête de ces écoles.
Je ne suis pas à même de juger du mérite de ce personnel sacerdotal ; j'aime à croire, pour le bon emploi des sommes qu'il dépense, qu'il laisse peu à désirer ! Mais pourquoi ne pas, de préférence, personnifier le gouvernement dans les laïques, et les appeler à diriger ces deux établissements qui appartiennent à un pouvoir civil? Ils se trouveraient plus à l'aise dans l'exercice de leur direction que ces chefs ecclésiastiques qui, avant de suivre les prescriptions du ministre, sont toujours et avant tout soumis aux ordres de leur évêque.
Quand l'élève sort de l'école normale, vous lui faites subir un examen sur des matières dont je ne puis entreprendre aujourd'hui l'analyse critique, car cela me mènerait trop loin. Votre jury se compose de cinq membres : trois ecclésiastiques et deux laïques. Où est l'élément, la prépondérance civile? L'un et l'autre sont sacrifiés et c'est l'Etat lui-même qui les fait disparaître.
Et avec de telles écoles normales, que je n'hésite pas de qualifier d'anormales, vous espérez de doter la Belgique de bons instituteurs, attachés à nos institutions essentiellement démocratiques!
Reformez sur de nouvelles bases, et en conservant intacts et debout, les droits qui vous appartiennent, ces précieuses créations d'où sortent les hommes auxquels vous confiez le lourd et important fardeau d'instruire les masses; car, on ne leur y inspire peut-être pas un amour très sincère des idées et des tendances de notre siècle.
Pour vos écoles primaires, révisez, sans plus tarder, la loi organique à laquelle elles doivent leur mode d'existence; réduisez immédiatement le nombreux et déplorable personnel de votre inspection; épurez-le ; donnez à cet enseignement ce qui lui manque : l'unité, la force, un caractère national, et pour y parvenir, adoptez dans toutes vos écoles les mêmes méthodes. Simplifiez, en un mot, les rouages compliqués de cette administration.
Je ne puis assez m'appesantir sur cette considération, que l'instruction (page 572) primaire est la partie la plus essentielle des devoirs qui incombent à un gouvernement. C'est par le degré de sollicitude que vous portez à cette branche de l'enseignement public, que vous donnez, messieurs, la mesure de votre dévouement aux intérêts moraux de la société.
Ne perdez pas de vue que, tôt ou tard, je ne sais a quelle époque, les droits et les devoirs électoraux seront aussi confiés aux classes qui ne les possèdent pas encore aujourd'hui. Un pouvoir sage et prévoyant doit, dans ce but, y préparer insensiblement les masses. C'est alors que l'Etat ne court aucun danger, parce que le jour où il devra subir le contrôle populaire, il verra affluer sur la place publique des hommes qui comprendront la dignité de leur mission, par suite de l'éducation nationale que, dans leur bas âge, ils auront reçue dans nos écoles.
J'aborde la question des Flandres, et en vous parlant de ces deux belles provinces, naguère si prospères, j'éprouve une émotion bien douloureuse, et qui sera, j'aime à le croire, partagée par l'assemblée. Comment songer à ces populations malheureuses sans avoir un serrement de cœur !...
Ici je ne me dissimule pas que je marche sur un terrain plus brûlant encore que celui que je viens de quitter. Je vous entretenais tantôt d'une fâcheuse tendance qui s'est fait jour, dans le cabinet, pour méconnaître un principe; je vous parle en ce moment de la détresse de deux provinces. Et, à cette occasion, je reprends le programme du ministère, et j'y lis :
« Il n'est pas possible d'envisager froidement la détresse où sont tombés plusieurs districts de ces provinces, jadis si florissantes. Il faut qu'ils soient relevés de cet état de décadence. Il y va de l'honneur des « Flandres, il y va de l'honneur du pays et du gouvernement. »
Je sais bien que, dans une de nos dernières séances, M. le ministre de l'intérieur a décliné en quelque sorte la responsabilité de ces paroles ; et je déplore à un double titre cette attitude du ministère, car elle me prouve ou bien que le cabinet a déjà perdu le souvenir de promesses qui datent du 12 août 1847, ou bien qu'il n'a aucun remède efficace à opposer au fléau qui décime les Flandres. Dans l'un ou dans l'autre cas, je ne saurais donner mon approbation à la conduite du ministère.
Quand l'opinion catholique était aux affaires, on disait aux Flandres : Cette opinion est impuissante pour vous sauver ; laissez venir l'opinion libérale au pouvoir, et elle vous apportera le remède au mal qui vous détruit.
Vous siégez au banc ministériel depuis seize mois, et vous n'avez pas encore appliqué le remède. Vous avez sommé, dans la séance du 18 de ce mois, un de nos honorables collègues, M. Sinave, d'indiquer au gouvernement des moyens de sauver les Flandres qui n'aient été employés par le ministère. L'honorable député de Bruges vous répondra dans le cours de cette discussion, parce qu'il a bien voulu en prendre l'engagement alors; mais je ne puis accepter, pour ma part, la position qu'une telle doctrine tendrait à nous faire dans cette chambre. En politique comme en logique, c'est un mode très vicieux de raisonner que celui qui consiste à répondre à une question par une autre question. C'était, et c'est encore au gouvernement, quand il marche avec un principe, une idée, et qu'il ne vit pas au jour le jour, c'est au gouvernement, dis-je, à rechercher les moyens de venir en aide à nos compatriotes malheureux. Il l'avait promis, lui, qui, dans son programme, avait placé le salut des Flandres sous la sauvegarde de l'honneur national et de celui du gouvernement !
Et quand nous lui demandons compte de ce qu'il a fait pour les Flandres, c'est par des actes et non par des interpellations qu'il est obligé de nous répondre; c'est en déroulant tout un système qu'il doit désarmer ceux qui l'attaquent.
Toutefois, et bien que je ne me croie pas forcé de suivre le ministère sur ce terrain, examinons si le gouvernement a bien employé tous les moyens possibles pour arracher les Flandres à l'agonie dans laquelle elles se débattent?
Et d'abord les remèdes que l'on a tentés étaient-ils bien proportionnés à la gravité du mal?
La misère des Flandres n'est pas un fait passager ou accidentel ; elle pourrait bien constituer, aussi, le mal économique de notre société, arrivé là à l'état chronique et à un degré d'intensité inouïe.
Mais enfin, cette misère sévit, elle exerce ses ravages, et, depuis bientôt quatre ans, la faim et le typhus y font de lugubres récoltes. Il y a quatre ans que ceux qui survivent s'étiolent et s'appauvrissent au souffle de la misère.
A de si grandes et cruelles souffrances il fallait opposer un remède héroïque, j'allais dire, financièrement parlant, révolutionnaire. Car, comme vous l'avez proclamé vous-même, il s'agit de sauver votre honneur et celui du pays. Il fallait employer, utiliser les bras au prix même des plus grands sacrifices ; il fallait désarmer la misère, qu'une déplorable administration avait laissée prendre racine dans ces contrées depuis dix à quinze ans ; il fallait porter toute votre sollicitude sur ceux qui ne peuvent pas pourvoir à leur propre existence; il fallait arracher les enfants aux mamelles desséchées de leur mère afin de les empêcher d'aspirer, avec le lait corrompu, les émanations fétides et méphitiques qu'exhale la cabane du pauvre; il fallait chercher à déplacer les hommes valides afin de diminuer le nombre de bras inoccupés ; il fallait introduire partout des industries nouvelles, afin d'exercer la génération qui s'élève à d'autres genres de production ; il fallait enfin dégrever de tout impôt tout ce qui sert à la consommation du pauvre.
On m'objectera peut-être que l'emploi de tous ces moyens aurait nécessité de grandes ressources. Je ne le nie point. Mais doit-on s'arrêter à de pareilles considérations, quand il s'agit de sauver la vie à plusieurs milliers d'enfants d'une même patrie !
Nous dépensons chaque année trente millions pour défendre et faire respecter nos frontières, et quand nous avons devant nous, au milieu de nous, un ennemi visible qui nous frappe, nous ne trouverions pas le moyen de le repousser et de lui arracher sa proie! Il faudrait livrer sans défense toute une population aux privations, au dénuement, aux maladies contagieuses !... Mais ce serait à désespérer de l'humanité et de l'avenir !
Que si l'on ne voulait pas imposer au pays des charges nouvelles, car le contribuable a été rudement, trop rudement éprouvé l'année dernière, que n'entrait-on sérieusement dans la voie des économies, au lieu de proposer les réformes éphémères qui ne changent que bien faiblement le chiffre de nos dépenses ?
Sauvons les Flandres ! La situation de ces provinces est telle qu'elle y inspire une tristesse mêlée de désespoir. Le chiffre de 1 indigent sur 3 habitants pour la Flandre occidentale, résume dans son affreux laconisme ce que les détails les plus minutieux pourraient révéler à l'imagination. Un sur trois c'est le chiffre le plus élevé auquel le paupérisme ait jamais atteint dans une province !...
J'ai sous les yeux une statistique qui me reporte à l'année 1848, et qui me donne le mouvement de la population dans huit communes du district de Thielt. J'y trouve 841 naissances et 2,083 décès.
Je ne veux point m'étendre davantage sur cette question des Flandres; je laisse aux représentants directs de ces provinces le soin de discuter d'une manière spéciale et dans tous ses détails le remède à opposer au mal.
Les observations que j'ai faites relativement aux Flandres s'appliquent aussi aux améliorations du sort des classes ouvrières. Le ministère disait dans son programme :
« Animé d'un sentiment de justice distributive pour tous les intérêts et toutes les classes de la société, le cabinet croit que l'action et l'attention du gouvernement doivent particulièrement se porter sur le bien-être matériel et moral des classes nécessiteuses et laborieuses. »
J'ai applaudi à ces paroles du programme du 12 août, paroles devenues d'une singulière actualité, depuis que des événements d'une haute gravité ont bouleversé de fond en comble notre vieille Europe.
Pensez-vous, messieurs, que ces révolutions qui ont éclaté partout comme la foudre, aient été uniquement provoquées par suite de dissentiments politiques ?
Il se peut que je me trompe, mais j'y vois, moi, les symptômes du malaise qu'éprouve la société, l’effet de besoins sociaux à satisfaire ; j'y découvre une plaie qui saigne, et il me paraît que c'est le cri d'une souffrance vive qui git au bas de l'échelle sociale.
Votre sollicitude est acquise, je n'oserais en douter, messieurs, à tout ce qui peut tendre à améliorer le sort des classes laborieuses; mais il est nécessaire d'en donner des preuves. La modification de la loi sur les patentes, votée récemment par la législature, est un acheminement vers ce but, et nous avons lieu d'espérer que vous continuerez votre tâche par l'abolition de l'impôt qui frappe le sel. J'espère que le cabinet nous présentera un projet de loi à cet effet.
Les réformes politiques ont fait leur temps; elles ne sauraient plus demander exclusivement nos veilles, nos études, nos sacrifices ; ce sont les réformes économiques qui, dans les circonstances actuelles et sous la pression des événements qui s'accomplissent autour de nous, et d'où nous devons tirer d'utiles enseignements, ce sont, dis-je, les réformes économiques qui réclament impérieusement tous nos soins.
Dans un avenir plus ou moins éloigné, nous aurons à résoudre de grands problèmes, d'épineuses questions, le paupérisme et l'amélioration des classes ouvrières doivent préoccuper la législature actuelle, si elle ne veut pas que le gouvernement soit pris au dépourvu dans la suite. Voyons, sans préjugé et sans faiblesse, jusqu'à quel point l'Etat pourrait donner une protection efficace à l'ouvrier ; occupons-nous de la création d'un crédit agricole, de banques hypothécaires et rurales, de comptoirs communaux ; exécutons la loi sur le défrichement et encourageons la colonisation à l'intérieur; proclamons le principe de la propriété intellectuelle et mettons-la sous l'égide des lois comme la propriété territoriale; organisons sur une vaste échelle les salles d'asile, les crèches, les écoles gardiennes ; et si vous voulez couronner votre œuvre, (page 573) ouvrez à l'ouvrier probe, usé au travail et quand il aura atteint un maximum de soixante années d'âge, l'asile que le soldat trouve en France, le marin en Angleterre, et écrivez sur le fronton de cet asile : Invalides civils.
La Belgique, en 1830, avec sa Constitution démocratique et cet immortel congrès qui nous en dota, formait l'avant-garde des nations émancipées. Elle continuera d'occuper cette position dont elle est digne, si la représentation nationale s'occupe des nouveaux besoins qui réclament protection et justice. Nous n'aurons pas alors à redouter, dans l'avenir, es secousses violentes ou les bouleversements, et la nation belge restera ainsi ce qu'elle a été jusqu'à ce jour, respectée et admirée.
M. le président. - N'y aurait-il pas de l'inconvénient à mêler la question des Flandres à d'autres questions qui se rapportent également au budget de l'intérieur ? Ne pourrait-on pas ajourner la discussion de la question des Flandres au chapitre Industrie? (Oui ! oui !)
Je n'entends pas limiter le droit des orateurs. C'est un conseil que je donne et que je crois utile.
La question des Flandres est digne d'une discussion spéciale et approfondie.
M. de Haerne. - J'avais l'intention de traiter la question des Flandres; je ne comptais traiter, qu'en passant, d'autres questions dans la discussion générale. Mais l'observation que vient de faire notre honorable président me paraît juste. Je ne vois pas pourquoi nous ne discuterions pas cette question à l'occasion de l'un ou l'autre chapitre. Il suffit de s'entendre à cet égard. Cependant je ferai remarquer que la question des Flandres embrasse des questions qui se rattachent à plusieurs chapitres du budget de l'intérieur ; elle se rattache autant à l'agriculture qu'à l'industrie et même à d'autres branches plus ou moins énoncées aux divers articles du budget. Mais il suffit de se mettre d'accord sur ce point.
Je me rallie donc, je le répète, à l'observation de M. le président.
M. Van Cleemputte. - Il y aura ainsi deux discussions au lieu d'une.
M. le président. - Je répète que je n'entends nullement limiter le droit des orateurs. Je n'ai eu d'autre but que de faciliter la marche de la discussion.
M. Bruneau. - Je dois cependant faire remarquer à la chambre que M. de Haerne a annoncé qu'à l'occasion de la question des Flandres, il a à traiter d'autres questions qui se rattachent au budget. S'il ne parle que lorsque nous arriverons au chapitre de l'industrie, il devra renouveler la discussion sur des questions qui auront été examinées dans la discussion générale.
Je crois qu'il vaut mieux laisser la discussion suivre son cours naturel. Chaque orateur appréciera les parties du budget qu'il doit embrasser dans son discours.
M. le président. - Si M. de Haerne veut parler de la question des Flandres dans la discussion générale, je lui accorderai la parole.
M. de Haerne. - J'avais, en effet, l'intention de traiter plusieurs questions dans mon discours, mais je puis scinder mes idées et les rattacher à chaque chapitre qu'elles concernent.
Je renonce pour le moment à la parole.
M. Lelièvre. - Messieurs , la question principale que fait naître la discussion du budget de l'intérieur, est celle concernant l'instruction publique. La Constitution a proclamé la liberté de l'enseignement ; mais le respect des droits de l'individu n'a jamais été, de la part de l'Etat, une abdication de son droit, et je dirai même de son devoir impérieux, d'organiser fortement, à tous les degrés, une instruction publique qui réponde aux besoins de l'époque et en état de soutenir la concurrence avec les établissements privés; une instruction nationale destinée à former de bons citoyens, animes de l'amour de la patrie et de nos institutions. A cette condition seule, la liberté de l'enseignement est un bienfait; sans elle ou ne rencontre partout que des abus déplorables qui doivent conduire bientôt à la suppression de la liberté elle-même; seule enfin, elle est de nature à stimuler le zèle des établissements particuliers, et à exciter en eux cette noble émulation, ce désir ardent de bien faire, sans lesquels dans le monde tout végète, tout dépérit.
Cependant, il faut en convenir, depuis 1830 cet objet important a été traité avec une incurie désolante. Les hommes du pouvoir se sont conduits de manière à ne considérer la liberté de l'instruction que comme devant avoir pour conséquence nécessaire l'indifférence complète du gouvernement pour l'éducation publique, méritant toutefois à tant de titres sa sollicitude. Les établissements de l'Etat traînaient la plus pénible existence, et on semblait n'avoir qu'un désir, celui de les voir tomber sans bruit pour les remplacer par d'autres. Le sort des professeurs consacrant leurs veilles à l'éducation de la jeunesse était mis en oubli; et on peut dire avec vérité que nous ne connaissions la liberté de l'enseignement, que par des abus qui ont certainement empêché nos voisins de l'inscrire dans leurs lois. Cet état de choses était justement reproché au ministère qui a précédé celui du 12 août. Vous laissez dépérir l'instruction publique! s'écriait l'opposition dans cette enceinte, et ces plaintes, dont le fondement ne pouvait être méconnu, n'ont pas peu contribué au résultat des élections de 1847.
Je vous avoue, messieurs, que l'un des premiers actes que j'attendais du libéralisme parvenu au pouvoir était la réparation de ce grief sérieux. Son redressement devait être l'un des principaux titres du cabinet libéral à la gratitude du pays. C'était ma pensée tellement intime, celle qui me touchait si profondément, que dès le premier jour où j'eus l'honneur de prendre la parole dans cette enceinte, j'appelai de mes vœux des dispositions législatives organisant l'enseignement moyen et apportant à l'instruction supérieure et primaire les modifications dont l'expérience a révélé la nécessité.
Cependant, M. le ministre de l'intérieur ne me donna aucune réponse, et ce silence me fil craindre qu'on n’eût décidé à reculer encore la discussion des projets réclamés avec tant d'instance par les véritables amis de nos institutions.
Le corps enseignant s'émut, et son zèle à poursuivre ce qui était certainement son droit et même son devoir put faire espérer un instant de voir enfin ses vœux légitimes écoutés et satisfaits. Mais lorsque je vis M. le préfet des études de l'Athénée de Bruxelles se retirer du congrès professoral qu'il avait lui-même provoqué par un magnifique discours, je déplorai que la fermeté de caractère ne fût pas alliée à un aussi beau talent, et je restai convaincu que le gouvernement, par des motifs de politique méticuleuse, était encore résolu à différer la présentation d'un projet qui à mes yeux aurait dû être l'un des premiers soumis à nos délibérations dès le début de la session.
Cependant, messieurs, sans une loi qui organise sérieusement l'instruction publique à tous les degrés, l'opinion libérale n'aura rien fait de mieux que celle qui l'a précédée au pouvoir, elle méritera les mêmes reproches, elle subira le même sort. Qu'on ne le perde pas de vue, on s'attache dans le monde à la réalité des choses; le libéralisme consiste dans des actes et non dans des paroles dénuées d'effet et d'exécution. L'opinion libérale a obtenu un triomphe éclatant, parce que le pays a eu foi en elle et dans ses promesses. Si celles-ci ne se réalisent pas, il y aura réaction inévitable contre notre système, car, on le sait, ce qu'un peuple libre pardonne le moins, c'est qu'on n'exécute pas ce qu'on lui a promis.
Le ministère est appelé à doter la Belgique des réformes indispensables, qui de toutes parts sont l'objet d'incessantes réclamations. Qu'il nous présente sans délai une loi qui organise l'instruction moyenne, qu'il nous propose en même temps des dispositions relatives à l'enseignement supérieur et primaire, de manière à imprimer à toutes les parties de l'instruction publique cet esprit d'ensemble et d'unité qui en forme la solidité.
Le ministère ne peut décliner ce devoir sans désavouer son programme, sans renier le principe auquel il doit son avènement. Au reste, notre impatience d'arriver enfin au résultat désiré paraîtra bien légitime, si l'on réfléchit que dans un pays placé par ses institutions libérales au premier rang des nations civilisées, il est pénible qu'on soit resté dix-huit ans sans établir sur des bases larges et solides l'enseignement public qui doit être l'objet particulier des soins d'un gouvernement libre.
Et certes, le moment actuel est bien favorable pour réaliser le vœu général. Le ministère se trouve devant une majorité imposante qui lui prête avec indépendance un concours éclairé pour toutes les mesures utiles aux intérêts du pays. Jamais on ne comprit mieux les principes sagement libéraux qui doivent présider à la rédaction des lois importantes que nous sollicitons. C'est donc le cas ou jamais de céder aux justes exigences de l'opinion et à une nécessité qu'on ne saurait désormais méconnaître. J'attendrai, messieurs, les explications de M. le ministre de l'intérieur; elles m'apprendront, j'espère, qu'il sera fait droit immédiatement à ma demande et que les vœux unanimes des hommes sérieux obtiendront sur ce point une légitime satisfaction.
Je dirai au ministère : Réalisez à tout prix dans la session actuelle les promesses que vous avez faites, et alors vous pourrez compter sur le concours des partisans sincères du vrai libéralisme; mais si vous hésitez encore, si le courage et l'énergie vous manquent pour répondre à l'attente du pays, ne soyez pas étonné si les hommes de cœur se séparent de vous et font une opposition de principes au système dont vous seriez l'organe.
Un objet qui mérite également toute votre attention, c'est le paupérisme des Flandres. Quoique cette question n'intéresse pas directement l'arrondissement qui m'a honoré de son mandat, nous ne saurions l'envisager avec indifférence. 11 n'y a plus de limites entre les provinces lorsqu'il s'agit d'arracher des compatriotes à la misère et à la mort. Je m'associerai donc avec bonheur à toutes les mesures qui pourraient être proposées par le gouvernement, et les représentants des districts en proie à de si cruelles épreuves, pour faire cesser un état de choses, que tout Belge digne de ce nom ne peut voir sans une profonde affliction.
Il me reste à dire quelques mots sur une question soulevée récemment. M. le ministre de l'intérieur a invité les représentants des diverses localités à exposer les griefs contre les nominations des bourgmestres et échevins qui ont été faites en octobre dernier.
Je sais, messieurs, que les organes de la presse libérale, dans notre arrondissement, ont formulé à cet égard des plaintes assez vives. Si M. le ministre de l'intérieur me demandait, en dehors de cette enceinte, mon opinion sur leur fondement, je la lui exposerais avec franchise et impartialité.
Mais un débat qui entraîne nécessairement une discussion de noms et d'individus, un débat qui ne saurait s'engager sans prendre de suite un caractère tout personnel, ne me paraît pas devoir être porté à la tribune, la dignité de la chambre ne le comporte pas. C'est ce qui explique la réserve dont je me fais une loi en cette occurrence et la circonspection que me commande la gravité qui doit toujours résider à vos délibérations.
(page 574) M. le président. - La parole est à M. Julliot.
M. Julliot. - J'y renonce.
M. Coomans. - Messieurs, la discussion générale du budget de l'intérieur me procure une occasion naturelle de vous exposer le résultat de mes études sur la situation du pays, sur les maux qu'il éprouve, sur les remèdes qu'il attend de votre sagesse. Dans les graves conjonctures où nous sommes, c'est notre devoir à tous d'examiner avec une vive sollicitude les diverses questions qui intéressent la prospérité publique, de sonder les profondeurs du problème social, afin de calmer le désespoir des uns, de vaincre l'indifférence coupable des autres, et d'indiquer à tous la voie de salut. Ce devoir, je l'ai rempli dans la mesure de mes forces. Vous accomplirez le vôtre, messieurs, en adhérant à mes vues, si elles vous semblent justes, en les réfutant si vous les trouvez inexactes ou fausses. L'importance de la matière est mon seul titre à votre attention, mais celui-là suffît à un homme convaincu, parlant devant des législateurs éclairés et probes. Peut-être cependant en ai-je encore un autre, à savoir l'impartialité rigoureuse avec laquelle je traiterai ce grave sujet. J'insulterais à l'infortune de mes compatriotes si je m'en faisais une arme contre un ministère. Je crois à la bonne foi de celui dont nous jugeons les actes, je ne doute pas de la loyauté de ses amis. Je ne serai jamais de ceux qui attribuent à des hommes politiques l'infernale pensée d'appauvrir systématiquement la nation. Une pareille accusation ne peut nuire qu'à l'accusateur.
Messieurs, depuis quelques années le paupérisme a envahi la Belgique, et déjà l'expérience fait croire à de bons esprits qu'il n'en disparaîtra plus. On peut différer d'opinion sur l'intensité du fléau, mais quels qu'en soient les ravages, chacun s'accorde à reconnaître qu'ils sont considérables. Près de onze cent mille Belges sont secourus par la charité officielle et privée, c'est-à-dire que le quart de la population ne vit pas comme doivent vivre des citoyens civilisés et libres, avec le produit de leurs biens ou de leur travail. Ne me contestez pas ce chiffre, ne vous fondez pas sur des rapports officiels pour prétendre que la Belgique compte seulement 700,000 pauvres et qu'au lieu de mourir de faim ils se bornent à traîner sur les grandes routes une santé languissante et des vices honteux; je me hâterais de faire à ce sujet toutes les concessions possibles, car je ne me sens pas le courage d'établir le compte mathématiquement exact des hommes qui dépérissent, des enfants qui se corrompent, des femmes qui se perdent, de toute une population qui est la plaie du présent, le danger de l'avenir.
Ne craignons pas de nous exagérer un peu l'importance de ce mal. Les cœurs généreux ne calculent point de si près. Ils s'émeuvent, ils s'enflamment en face de la souffrance, sauf à la mesurer ensuite. Disons plutôt que l'existence de tant de familles désœuvrées et nécessiteuses est une honte pour le XIXème siècle, et une menace sérieuse pour le XXème, laissons les chiffres sur le sable, où les tracent des mains froides et impuissantes, et élevons-nous à la hauteur de la question.
Il y a paupérisme, lorsque l'accroissement naturel et progressif de la population coïncide avec le manque de travail. Ce double phénomène se présente en Belgique. La recherche des causes doit précéder celle des remèdes. Permettez-moi d'y procéder.
On peut indiquer plusieurs causes de l'accroissement continu de la population.
La première est la liberté du travail, conquête des temps modernes. Depuis que tout ouvrier a la faculté d'exercer n'importe quel métier, n'importe où et comment, les mariages se sont singulièrement multipliés, et il s'est formé d'innombrables familles qui n'auraient pas pu exister sous l'ancien régime, alors que des obstacles légaux s'opposaient à l'éparpillement des métiers et à la création des foyers.
La seconde est le développement de l'industrie manufacturière des villes. Dès qu'un ouvrier a des moyens d'existence (et il les trouve sans peine dans les centres urbains, pour peu qu'il soit habile), il s'unit à une compagne qui se crée aussi quelques ressources. La facilité qu'ont les femmes de gagner leur vie dans les cités est le motif déterminant d'une foule de mariages. Rappelez-vous, messieurs, avec quelle étonnante rapidité la population de nos communes doubla, quintupla, décupla depuis le XIIème siècle jusqu'au XVème! Ce fait provient bien moins de l'émigration partielle des campagnards dans les villes, afin d'y jouir de la liberté et de la sécurité qui leur manquaient chez eux, que de l'extension rapide des manufactures de tout genre. Chaque navette, chaque ciseau, chaque roue, chaque marteau constitue une sorte de petit capital dont l'emploi nourrit une famille. Un instrument quelconque et une chambre lui suffisent. Les choses se passent autrement à la campagne. Le capital y est d'une acquisition assez difficile. Il y consiste en une maisonnette entourée d'une certaine étendue de terre. Ne l'obtient pas qui veut. Aussi la population des villages ne s'est-elle pas accrue dans la même proportion que celle des centres urbains. Si quelques localités paraissent faire exception à la règle, c'est que l’industrie proprement dite s'y est développée à côté de l'agriculture. Les provinces de Flandre, de Hainaut ou de Liège eu fournissent des exemples remarquables.
La division des héritages est encore une cause puissante de l'accroissement de la population. La famille semble être le complément de la propriété. L'une s'allie étroitement à l'autre. L'abolition du droit d'aînesse et de la mainmorte, le morcellement du sol, les ventes successives de domaines nationaux, la destruction des grandes fortunes nobiliaires et ecclésiastiques sont autant de mesures qui ont amené le résultat que nous constatons.
La quatrième cause est le maintien de la paix, joint à une exacte et sévère distribution de la justice.
La cinquième est la multiplication des établissements de bienfaisance, et des secours gratuits fournis par l'Etat, par les communes, par des institutions privées. Bien qu'ils se trouvent dans une position voisine de la misère, beaucoup d'ouvriers n'hésitent pas à contracter mariage, beaucoup de filles ne craignent pas les suites d'une faute, parce qu'ils comptent sur le tour, sur le bureau de bienfaisance, sur l'hospice de la Maternité, sur l'hôpital, sur les associations charitables, etc. Chose étrange ! la philanthropie la plus pure, toute dévouée au soulagement de l'infortune, alimente à son insu les sources du mal qu'elle s'efforce en vain de tarir !
Voilà, messieurs, les causes principales de l'accroissement de la population. Vous voyez qu'il est un résultat des progrès de la civilisation, et qu'on ne pourrait l'entraver qu'en supprimant les ressorts les plus actifs de notre organisation sociale. C'est un fait heureux en lui-même qui dénote que l'humanité se développe, que la production s'étend, que la liberté règne et qu'un plus grand nombre de citoyens participe aux honneurs et aux jouissances de la propriété et de la famille. Dieu voit avec satisfaction un pays se couvrir des êtres qu'il créa à son image, car il les aime, il a prodigué ses dons pour des générations sans nombre, et ce n'est pas lui qui leur fera jamais défaut.
D'ailleurs une grande population n'est pas plus une cause de misère qu'une population restreinte n'est une cause de prospérité. Nos Flandres florissaient il y a quatre siècles, quoiqu'elles ne fussent pas moins peuplées qu'aujourd'hui. L'Espagne a perdu à la fois ses habitants et ses richesses. Sur un sol qui ne suffit pas aux deux tiers de ses besoins alimentaires, la Hollande a su nourrir, avec honneur, une population serrée et prospère. L'agglomération des âmes n'est un inconvénient que lorsque le travail manque, c'est-à-dire lorsque le pays ne tire pas de sa position toutes les ressources qu'il peut y puiser.
Vouloir remédier au paupérisme en diminuant la population, en arrêtant son essor naturel, c'est agir contre les lois divines et humaines, c'est procéder à la façon des Barbares qui abandonnaient leur patrie au lieu de la cultiver, ou bien à celle des sauvages qui coupent l'arbre pour en recueillir les fruits ; c'est méconnaître les conditions du progrès humain, c'est confondre l'effet et la cause, c'est chercher le mal où il ne gît point, c'est négliger le remède au mal et créer le mal du remède.
La vérité est qu'il n'y a pas trop de Belges en Belgique, que ce pays, gouverné d'après les règles d'une saine économie politique, peut en renfermer six millions et davantage, et que nous commettrions une faute capitale si nous avions recours à l'émigration comme à un moyen d'atténuer les ravages de la misère.
D'ailleurs l'émigration ne diminuerait que d'une manière insensible le chiffre des habitants, car la place de l'émigrant serait bientôt prise par un nouveau venu qui s'emparerait de sa chaumière et de sa bêche, de sa mansarde et de son outil. Le mouvement de la population est réglé d'après la constitution politique et industrielle d'un peuple. A moins de bouleverser celle-ci de fond en comble, il n'est donné à aucun gouvernement de modifier le cours de l'état civil.
Aussi longtemps que nos institutions fondamentales resteront debout, nos législateurs s'efforceront en vain d'arrêter le développement de la population. Il s'effectuera progressivement, régulièrement, en dépit de toutes les entraves. D'ici à quelques années, d'ici à 1860 peut-être, la Belgique contiendra, quoi qu'on fasse, cinq millions d'habitants. Agissons en conséquence, et au lieu de nous révolter contre cet effet infaillible de causes que nous et nos pères avons créées, tâchons de ménager à nos futurs compatriotes les moyens de vivre sur un sol de jour en jour plus disputé.
Le problème de la population étant mis hors de cause, voyons quelle influence les systèmes politiques peuvent exercer au point de vue de la misère.
Beaucoup de gens se figurent que certaines formes politiques sont plus favorables que d'autres au bien-être des masses, et que telle institution pratiquée de telle manière contribuerait puissamment à soulager de nombreuses infortunes. C'est là une erreur déplorable, qui a causé bien des catastrophes et qui en causera encore, jusqu'à ce que l'expérience, cette logique des esprits fables, ait démontré que les révolutions ont toujours aggravé, jamais atténué les ravages du paupérisme. L'Europe entière, moins la Russie et la Turquie qui y appartiennent à peine, est dotée de plus de libertés politiques qu'elle ne peut en supporter eu égard à la moralité et aux lumières des peuples. La situation des intérêts matériels est si compliquée, si délicate, si tendue, que le moindre désordre tue le crédit, supprime le travail, augmente les besoins, multiplie et envenime les souffrances. Ce ne sont pas les droits civiques qui manquent aujourd'hui aux classes ouvrières, c'est le salaire et le pain. Or les commotions civiles, les réformes révolutionnaires, les guerres internationales rendent infailliblement plus rares le pain et le salaire.
Des démagogues reconnaissent, je le sais, que les changements politiques ne sauraient améliorer la situation du peuple ; aussi réclament-ils des innovations sociales, l'organisation du travail, par exemple. Ils ignorent ou ils s'abstiennent d'avouer que l'organisation du travail est impossible sur la double base de la propriété et de la liberté. La concurrence industrielle et la jouissance individuelle des biens, deux principes fondamentaux de la société présente, s'opposent à ce que la fameuse formule de l'organisation du travail soit jamais autre chose qu'un leurre, (page 576) un rêve impraticable, un mensonge, un piège tendu par des tribuns égoïstes à des malheureux trop crédules.
Il est au moins étrange que le mouvement libéral de 1789 , dirige contre un ordre de choses qui avait classé les citoyens et organisé le travail dans une certaine mesure , dégénère en une sorte de croisade populaire contre les principes sociaux proclamés à cette époque. Les libéraux les plus avancés de 1849 suppriment toutes les grandes libertés de 1789 , la liberté du travail, la liberté de jouir des bénéfices qu'il procure, la liberté religieuse, la liberté de l'enseignement, la liberté de la famille. Après avoir renversé des pouvoirs qu'ils croyaient trop forts , ils veulent reconstituer un véritable despotisme, sous le nom du gouvernement social et démocratique. Toutes leurs doctrines aboutissent à la tyrannie. Pour les convertir en lois ils devraient être investis d'une dictature sans limites, d'une dictature qui pèserait à la fois sur les fortunes privées, sur le foyer domestique et sur les consciences.
L'organisation qu'ils rêvent mènerait droit à l'anarchie, par conséquent à la misère générale, à l'abrutissement universel, car le travail, qui est déjà insuffisant aujourd'hui, cesserait partout, et l'on aurait ruiné ce qu'on appelle aujourd'hui les classes privilégiées sans profit pour les prolétaires. La paix publique et l'intérêt personnel sont les meilleurs stimulants du travail. Les détruire, c'est décréter l'oisiveté attendu que l'homme travaille moins pour lui et pour le présent que pour sa famille et pour l'avenir.
Ce qui pousse la société vers l'abîme, c'est cette croyance populaire qu'on peut la régénérer, la fortifier par des moyens purement mécaniques, par des changements matériels, par des combinaisons légales, par des institutions politiques et financières. Cette fatale idée troublera tout sans rien améliorer. Si la société ne reposait que sur des lois humaines, il y a longtemps qu'elle aurait succombé sous le poids de nos folies et de nos vices. Elle subsiste, elle se maintiendra, parce que le frêle édifice de nos Codes est cimenté par la morale religieuse, et que le prêtre et la conscience suppléent le gendarme et le Moniteur.
Reconnaissons-le, messieurs, sous le point de vue du paupérisme comme sous bien d'autres, les réformes politiques sont impuissantes, et les réformes radicales dangereuses ou impraticables. N'attribuons pas aux innovations législatives une vertu qu'elles n'ont point, qu'elles n'ont jamais eue, celle de guérir les plaies sociales. Ne croyons pas que le mal et le remède gisent dans notre constitution politique, et surtout ne commettons pas la faute grossière, irréparable, de mettre le pied dans la voie du socialisme. Persuadons-nous bien que la liberté et la propriété, la libre concurrence et la libre jouissance, sont les deux piliers de la société actuelle, et que la moindre atteinte portée à ces principes introduirait dans son sein des éléments de désordre dont l'action serait funeste à l'humanité.
Toute société doit, sous peine de ruine, agir selon les principes essentiels qui la constituent et repousser les principes contraires, afin qu'elle ne se prive pas des bénéfices qui découlent de son organisation. Or, la liberté, sous toutes les formes qu'elle peut revêtir, est le ressort, la vie, l'âme du monde moderne. Elle donne lieu à certains abus, elle soumet les nations à des épreuves difficiles, elle a ses inconvénients et ses dangers; mais elle produit aussi quelques bons effets qui corrigent les mauvaises influences.
Entraver la liberté industrielle par l'intervention compliquée, souvent arbitraire et partiale, du pouvoir politique, c'est contrarier la nature, c'est créer des luttes stériles, c'est renoncer aux bienfaits de la liberté sans recueillir les avantages du despotisme.
Pendant une longue série de siècles, les gouvernements ont paru n'exercer que des droits et n'avoir pas de devoirs à remplir ; ils étaient craints, respectés, puissants. On souhaitait qu'ils agissent le moins possible, car on savait qu'ils abusaient volontiers de leur force. Leur intervention, imposée quelquefois, n'était jamais réclamée. Aujourd'hui il n'y a pas de droits qu'on ne conteste à l'Etat, il n'y a pas de devoirs dont on ne le somme de s'acquitter. On exige de lui qu'il fournisse aux citoyens l'instruction primaire, moyenne et supérieure, des capitaux, du travail, des chalands; qu'il les préserve des maladies épidémiques, de la disette, du chômage; qu'il aide les grands spéculateurs, qu'il prête aux petits, qu'il nourrisse les pauvres, qu'il amuse les riches, qu'il entretienne des spectacles et des hôpitaux; qu'il soit industriel, commerçant, agriculteur; qu'il ait de l'esprit pour tous, des inventions pour tous; qu'il se mêle de tout sans se tromper jamais, qu'il se charge de toutes les dépenses avec de médiocres recettes; en un mot qu'il soit le précepteur, le valet, le banquier, le consommateur, l'avocat, le médecin, le voiturier de tout le monde. Voilà le programme qu'on lui trace, la tâche plus que providentielle dont on le charge, et cela au moment où on le discrédite, où on le bat en brèche, où on l'affaiblit, où on lui concède l'impôt d'une main avare!
L'importance imaginaire que l'on a accordée aux combinaisons politiques dans leurs rapports avec les intérêts moraux et matériels, a engagé les gouvernements et les peuples dans une impasse hérissée d'erreurs et de mécomptes. On s'est habitué à croire que tels hommes et telles lois feraient ce que d'autres n'avaient pu faire. On s'est nourri d'illusions, on s'est épris d'un fol enthousiasme pour certains noms, pour certaines formules, et l'on s'est imaginé que les pouvoirs politiques créeraient un jour la prospérité générale. Le zèle individuel s'est refroidi, chacun s'est fié un peu à la communauté du soin de ses affaires. Il faut le dire, messieurs, les chefs de parti se sont bien gardés de détruire cette opinion qui favorisait leurs vues. Ils ont laissé croire qu'en effet ils parviendraient à effacer leurs devanciers, à composer la fameuse panacée qu'on leur demandait. Arrivés au pouvoir, ils ont fait quelques essais, ils ont abattu à gauche, reconstruit à droite, rédigé des programmes pompeux, mis la main à tout, sans obtenir des succès appréciables.
Ne les voyant pas réussir, la foule les accuse de mauvais vouloir ou d'incapacité, tandis que l'un et l'autre de ces reproches est souvent injuste ; elle s'impatiente, et, au lieu de reconnaître qu'elle réclame une œuvre impossible, elle espère que des gouvernants plus zélés, plus habiles exécuteront bientôt ce qu'elle a rêvé.
Le jeu des gouvernements représentatifs est la cause première de toutes ces funestes déceptions. Des ambitieux ont caressé les préjugés du vulgaire pour s'en faire une arme, un piédestal, une échelle. Flatter le peuple, le bercer de chimères, sera toujours le meilleur moyen de parvenir.
Eh bien, toutes ces tentatives déréglées, faites pour arrêter les ravages du paupérisme, en ont précipité le débordement. A force d'innover, d'ébranler, de multiplier les mesures exceptionnelles, on a découragé les entreprises libres; on a effrayé les spéculateurs sérieux; on a créé la paresse ; ou a inspiré des espérances folles aux incapables ; on a fait du trésor le point de mire des faibles, des impuissants et des cupides; on a augmenté outre mesure les rouages de l'administration et les cadres des emplois; on a presque doublé les dépenses; on a mécontenté des milliers de personnes; on a suscité contre le pouvoir d'impitoyables rancunes; ou l'a déconsidéré, affaibli, et l'on n'a pas diminué la misère. Que dis-je! elle paraît s'être développée en raison même des vains efforts qu'on lui opposait.
Il convient que cette fausse politique soit sérieusement combattue. Il faut prouver à la nation que le rôle du gouvernement est de faire régner la paix, l'ordre, la justice, de protéger les droits légaux, d'assurer l'accomplissement des devoirs civiques, non d'intervenir dans les innombrables incidents qu'amènent la liberté du travail, la concurrence des capitaux et des bras. Il est urgent que la nation comprenne qu'elle est victime de ce pêle-mêle de théories de liberté et de socialisme; il ne l'est pas moins que le pouvoir se débarrasse d'une faute de petits soins qui le compromettent et l'absorbent. Proclamons très haut que le pouvoir le plus fort n'est pas celui qui exerce le plus d'attributions, mais celui qui rencontre le moins de résistances, et persuadons-nous que le remède au paupérisme doit venir d'en bas, non d'en haut, sortir de la société même et non du cerveau d'un inventeur officiel.
L'accroissement des charges publiques, que nécessite l'extension de la tutelle de l'Etat, coïncide avec un fait qui saute aux yeux de tous, avec l'appauvrissement du pays. Si cette progression dure, où aboutira-t-elle, je vous prie? Forcé de demander davantage à mesure que les contribuables peuvent moins donner, dans quelle situation critique l’Etat ne se trouverait-il pas d’ici à quelques années ? Je vous avoue que cette perspective m'épouvante.
Je voudrais donc que le pouvoir se simplifiât pour se renforcer ; qu'il se bornât aux grandes fonctions gouvernementales, et qu'il cessât de s'ingérer dans les détails infinis d'une administration inquisitoriale, vexatoire, personnelle, ruineuse et inutile. Je désirerais la suppression de toute espèce de subsides et de secours, de toute intervention financière au profit de quelques-uns et à la charge de tous. S'il en était temps encore, je demanderais qu'il n'exploitât ni des chemins de fer, ni des canaux, ni des mines, ni des haras, ni des usines, ni des fabriques; qu'il ne dirigeât pas d'écoles; qu'il ne s'intéressât ni dans des banques, ni dans des sociétés de commerce; en un mot, qu'il se retirât d'un grand nombre d'entreprises où il s'est engagé à son dam. Ces vœux ne pouvant se réaliser de sitôt, je lui conseille, pour l’avenir, d'y regarder à deux fois avant de se lier encore envers des intérêts particuliers. S'il ne peut reculer tout de suite, qu'il s'arrête au moins dans une voie sans issue, inextricable dédale où il épuise ses forces et ses ressources.
Cette politique véritablement nouvelle n'est pas d'une application aisée; il est même difficile de la pratiquer au milieu des circonstances où nous vivons et des habitudes prises. La Belgique et quelques nations voisines n'y sont pas encore préparées. Peut-être y aurait-il des inconvénients réels à les abandonner tout à coup à elles-mêmes, à les émanciper brusquement, à les sevrer, sans transition, du lait d'une administration dite maternelle, à les faire sortir sur l'heure de la serre chaude d'une protection mal entendue, pour les exposer à l'air vif de la liberté pure. Notre faible nature réclame des accommodements avec les meilleurs principes. J’admets donc que le gouvernement continue de se charger de certaines fonctions qu'il remplit aujourd'hui. J'approuve que, par des mesures transitoires et exceptionnelles, il vienne en aide à certaines branches de travail qui menacent de se dessécher. Je voterais sans répugnance des fonds destinés à soulager des infortunes qui ne sauraient attendre, à favoriser des progrès industriels et commerciaux qui ne pourraient pas se réaliser autrement. Mais je fais cette concession sous cette double réserve, que l'intervention de l'Etat, essentiellement provisoire, soit calculée de façon à pouvoir cesser dès qu'elle ne paraîtra plus indispensable: ensuite que cette intervention s'exerce d'une manière générale, sans intermédiaire d'intérêts personnels.
J'en appelle à vos souvenirs, à votre jugement, messieurs : n'est-il pas certain que nos embarras financiers; qui sont devenus de véritables embarras politiques, proviennent de l'intervention directe de l'Etat dans des entreprises qui auraient dû être abandonnées à l'industrie privée? Je ne vous citerai que deux exemples, parce qu'ils suffisant pour justifier mon (page 576) assertion, à savoir les banques et le chemin de fer. Si l'Etat n'avait pas engagé son crédit dans de grands établissements financiers, d'où j'ai bien peur qu'il ne sorte pas indemne; s'il n'avait pas perdu une trentaine de millions dans l'exploitation des voies ferrées, serait-il obligé aujourd'hui de grappiller dans les budgets, d'y glaner de petites économies dont des milliers de familles souffriront sans profit notable pour les citoyens imposés? Je compte ici sur l'assentiment de ceux de mes honorables collègues qui ont cité, non sans autorité, l'Angleterre et les Etats-Unis comme des pays modèles en matière d'économie politique. Les honorables MM. Lesoinne, de Brouwer de Hogendorp et Cans entre autres, qui ont posé un pied si hardi sur le terrain du libre-échange, confesseront sans doute que le « free trade » condamne les faits que je viens d'indiquer.
Messieurs, j'aborderai franchement ici une objection qu'on ne manquera pas de me faire. On me dira : De quel droit critiquez-vous la participation de l'Etat à des spéculations industrielles, commerciales et agricoles, vous qui l'invitez à favoriser, par des primes, l'exportation des produits perfectionnés, à créer un institut pour l'enseignement des arts industriels et de la science commerciale, à pousser au défrichement par la construction de canaux, de routes, etc.?
Voici ma réponse. Je demande une université commerciale et industrielle parce que le manque d'instruction spéciale est le plus grand défaut de nos négociants, de nos producteurs et de nos capitalistes. Rien de plus urgent, de plus utile n'est à fonder parmi nous. Une telle institution rendrait plus de services au pays et aurait un caractère encore plus général que les hautes écoles de Gand et de Liège. Toutes les classes de la société en profiteraient, et la dépense serait peu considérable.
En second lieu je propose que des primes de sortie soient accordées à certains fabricats conformes à certains types consommés dans les colonies, parce que j'y trouve un moyen prompt, efficace, de relever quelques industries souffrantes, la linière notamment. D'ailleurs je n'emploierai ce remède héroïque que pendant trois à quatre ans. Je vous prie de remarquer en outre que tous les producteurs seraient appelés à jouir de la prime, pourvu qu'ils remplissent les conditions décrétées. Cette protection semble bien moins dangereuse que celle qu'offrirait une société d'exportation, attendu que toute association de noms propres, soutenue par le gouvernement, dégénère en une spéculation étroite, plus ou moins personnelle, en une sorte de camaraderie anonyme d'où la masse du public est exclue.
Quant au défrichement par l'intermédiaire de l'Etat, je le conseille comme une mesure d'utilité générale, qui fournirait du travail à des milliers de familles, et qui augmenterait notre production agricole en même temps que les revenus du trésor.
Vous voyez, messieurs, que je distingue différents genres de protection. Pour formuler ma pensée, je dirai que j'accorde à l'Etat le droit d'entreprendre toutes les choses vraiment utiles, qui ne sont pas à la portée de l'industrie particulière.
Cependant (l'aveu ne sera pas suspect dans ma bouche), en principe, je repousse toute intervention de l'Etat dans le travail national, même celle qu'on serait tenté d'excepter comme bonne, ou du moins comme inoffensive. Je m'engage à ne plus réclamer aucune des dépenses que j'ai sollicitées, (si vous consentez à rayer du budget tous les services et subsides quelconques).
Messieurs, on peut comparer le budget à un immense gâteau, dont tous les contribuables ont fourni les éléments nutritifs, et où tous s'efforcent de mordre à belles dents, afin d'en rattraper le plus possible. Cela est tout naturel. Chacun agit pour soi ou pour ses proches.
Il n'y a pas d'industrie qui ne tâche d'avoir sa part du gâteau. Le voyant dépecé d'une main libérale, c'est mon droit, c'est mon devoir d'en exiger quelques bribes pour mes commettants et pour les intérêts que je considère comme dignes d'être admis au partage. Je me crois même obligé d'insister sur le mode de distribution qui me semble le moins défectueux, afin d'empêcher qu'on n'en suive une autre. Supprimez net demain les fonds qui figurent au budget à titre de secours et de subsides, je me garderai d'en proposer le rétablissement.
Vous daignerez donc le reconnaître, je ne suis pas inconséquent le moins du monde lorsque, tout en blâmant le principe de la protection directe, je demande que la Campine reçoive un million ou deux, elle qui en a donné plusieurs pour l'établissement du chemin de fer, et pour d'autres entreprises gouvernementales dont elle n'a pas recueilli des profils appréciables.
Voici, du reste, une nouvelle preuve de la sincérité qui m'anime. On connaît le vif intérêt que je porte à l'agriculture. Eh bien, j'accorde, je désire la suppression de toutes les sommes qui figurent au budget de l'intérieur à titre de protection agricole. Je ne trouverai pas mauvais que vous cessiez de faire des sacrifices pour l'école vétérinaire, pour les courses de chevaux, pour l'achat de bétail, pour des fermes modèles, pour les concours, les expositions, les inspections, les bibliothèques rurales; ce sont autant de dépenses dont je ne conteste pas l'utilité relative, mais dont il ne faut point qu'on se prévale pour refuser à l'agriculture belge des secours efficaces, à savoir un droit protecteur sur les céréales étrangères et la construction de routes et de canaux.
Je maintiens la douane pour diverses raisons dont je vous épargne le développement; je la maintiens jusqu'à ce que nos rivaux aient décrété le libre échange ou quelque chose qui mérite ce nom. Mais je souhaite que tout autre système de protection soit abandonné et qu'on s'abstienne surtout de faire de la protection intérieure. En un mot, je réclame la liberté en Belgique, sauf à la proclamer plus tard à la frontière quand nous pourrons le faire sans être dupes et victimes d'une généreuse théorie.
Résumant cette partie de mon discours, je conclus qu'au point de vue du paupérisme, l'accroissement de la population est un fait naturel, inévitable, résultant de nos mœurs et de nos institutions organiques, un fait pour ainsi dire providentiel, qui est un bien en lui-même, puisqu'il est l'effet de plusieurs causes heureuses, et auquel il ne dépend pas du gouvernement de mettre obstacle.
Les efforts qu'on ferait pour diminuer la population seraient contraires aux lois du christianisme, de la civilisation et de la saine politique. J'excepte l'émigration volontaire. Mais je prouverais aisément, si je ne craignais d'abuser de votre bienveillante attention, messieurs, que l'émigration ne diminue guère la population, attendu que le vide laissé par les émigrants est bientôt comblé par les citoyens qui restent. C'est une erreur déplorable de regarder l'émigration comme un remède contre la misère. Qui la commet se prépare d'amers mécomptes.
Je conclus ensuite que le nœud du paupérisme ne git pas dans les institutions politiques et sociales.
Quelque larges que soient les libertés d'un peuple, quelques réformes qu'on introduise dans les lois, quelques révolutions qu'on exécute, le malaise des classes pauvres ne sera pas le moins du monde soulagé. Cette vérité est d'une extrême importance et l'on ne saurait assez la propager, aujourd'hui que tant d'esprits passionnés tournent dans le cercle vicieux des tentatives révolutionnaires. N'hésitons pas à reconnaître que la paix et l'ordre, même en présence des imperfections sociales inhérentes à la nature humaine, sont plus salutaires aux masses que les catastrophes les plus brillantes et les plus radicales.
Je conclus en troisième lieu que le principe de la société actuelle étant la liberté du travail, la libre concurrence, la responsabilité individuelle, il est dangereux d'introduire dans la législation un principe différent, hostile, celui de la protection gouvernementale.
J'ajoute que cette protection (je ne parle pas de celle qui s'exerce par la douane contre l'étranger et au profil du trésor), loin d'être un remède au paupérisme, envenime le malaise public en ce qu'elle est artificielle, qu'elle ruine l'Etat, qu'elle complique d'une manière fâcheuse les rouages de l'administration, et qu'elle décourage presque autant de travailleurs qu'elle en favorise.
L'unité de principes est indispensable dans un pays bien gouverné. Il importe de la respecter quoi qu'il advienne. Là où règne la liberté, il importe d'en subir les inconvénients sous peine de ne pas en recueillir les avantages. Si la solidarité démocratique venait à prévaloir, si l'Etat était chargé de pourvoir à la subsistance de ce qu'on appelle les classes déshéritées, je voudrais que ce principe nouveau fût appliqué avec une sévérité rigoureuse, et que toute propriété privée fût abolie. Il n'y a de salut que dans la logique, et il n'y a de gouvernements rationnels que celui que nous possédons et le communiste. En matière de travail, l'Etat doit faire tout ou rien ; la liberté de chacun ou l'esclavage de tous ; des milliers de familles ou une seule famille ; la responsabilité stricte ou la solidarité absolue; Thiers ou Cabet, pas de milieu.
Ayant écarté les faux remèdes et les remèdes impossibles, il me reste à indiquer ceux qui me semblent pratiques et efficaces.
Mais je dirai d'abord un mot de l'aumône, à laquelle des esprits généreux attachent trop d'importance au point de vue du paupérisme.
Certes, l'aumône est une grande vertu chrétienne et sociale, Dieu me garde de l'amoindrir, de nier l’influence salutaire qu'elle exerce sur la moralité des citoyens, sur les relations civiles et même sur le mouvement politique! Elle domine l'édifie de la société moderne comme un paratonnerre qui étouffe la foudre des vengeances populaires. La supprimer, ce serait déchirer les derniers liens qui unissent les hommes. Mais elle doit être réservée aux infortunes exceptionnelles, aux grandes douleurs que causent des crises momentanées. Elle console sans guérir, elle soulage la pauvreté sans détruire le paupérisme. Supposez-la dix fois plus abondante qu'elle ne l'a été depuis quelques années, vous ne ferez jamais qu'elle suffise à toutes les misères. Je craindrais plutôt, chose pénible à dire, que des aumônes, répandues avec profusion, ne tarissent la source de la prospérité publique, tout en augmentant le nombre des désœuvrés. En effet, les richesses sont limitées, les besoins ne le sont pas ; ce que la charité donne est souvent enlevé au travail ; il n'y a déjà que trop de malheureux qui consomment sans produire, et il faut éviter que la fortune publique se gaspille sur les grandes routes et dans les rues des cités.
Le citoyen qui distribue à des compatriotes désœuvrés l'argent qu'il ne dépense pas à son profit, fait un acte éminemment louable, mais il ne combat pas le paupérisme, ou du moins il n'y apporte qu'un soulagement éphémère dans la personne de quelques-unes de ses victimes, puisque les producteurs sont privés de ce que les oisifs reçoivent.
Au point de vue de l'économie politique, ce n'est pas l'aumône du pain qu'il faut solliciter, c'est celle d'une instruction solide, c'est celle qui ouvre les sources du travail, qui fonde des écoles, des ateliers modèles, des institutions de prévoyance, c’est celle, en un mot, qui maintient les classes laborieuses dans la voie du devoir et du sacrifice, hors de laquelle il n'y a pas de vrai progrès.
Le chômage, voilà le mal ; l'accroissement de la production, provoqué par l'extension naturelle des débouchés, voilà le remède. Nous sommes unanimes à cet égard. Notre but est le même, mais nous différons sur les moyens. Permettez-moi, messieurs, d'appeler sur ce point toute votre attention.
Tout git dans la création des débouchés. Ce problème résolu, les (page 577) autres ne tarderaient pas à l'être, car le travail s'élèverait bientôt au niveau des besoins qui lui feraient appel.
Je crois à la possibilité d'étendre nos relations commerciales avec les pays lointains, notamment avec l'Orient et les colonies d'Amérique. Mais pour en venir là, il faut se résigner à quelques sacrifices.
Ainsi verrais-je avec plaisir fonder une université commerciale et industrielle, des primes pour certains produits perfectionnés et une banque de prêts sur marchandises. Exécutées avec l'unité de vues que produirait un ministère spécial, ces diverses mesures, d'un caractère à la fois général et provisoire, satisferaient des besoins réels. J'en dis autant de nouveaux traités à conclure sur la base de la loi du 21 juillet 1844.
Toutefois, ne nous le dissimulons pas, messieurs, l'établissement de relations plus étroites avec les contrées d'outre-mer sera lent, pénible, précaire.
Nous y rencontrerons des obstacles, dont l'influence séculaire et la concurrence infatigable de nos rivaux ne sont pas les moindres.
Il faudrait découvrir un remède plus immédiat au fléau qui nous désole. Cherchez-le, messieurs, vous ne le trouverez que dans l'agrandissement du marché intérieur.
Cet agrandissement, il ne faut l'obtenir, ni par un accroissement factice de la consommation (le pays n'est pas assez riche pour employer ce remède héroïque et dangereux), ni par une élévation de droits de douanes, toute protection artificielle étant mauvaise de sa nature.
Loin de proposer une aggravation des tarifs, je suis prêt à diminuer certains droits et à en supprimer d'autres, si la situation du trésor semble le permettre.
Je voudrais étendre le débouché intérieur par une sorte de compromis entre les classes aisées qui s'engageraient à consommer surtout les produits nationaux. Je voudrais qu'elles préférassent les fabricats belges aux fabricats étrangers, qu'elles ne fournissent plus à des peuples voisins le bénéfice du travail qui manque au nôtre. Je voudrais que la main-d'œuvre exotique ne fût mise à contribution que lorsque la nôtre serait suffisamment approvisionnée. Pour citer un exemple, je voudrais que nos tissus liniers et autres prissent autant que possible la place que les divers tissus de nos rivaux occupent dans notre consommation.
Messieurs, j'entre ici au cœur de l'économie politique. Cette science ne m'est pas étrangère. J'ai lu la plupart des livres qui en traitent. Je n'ignore pas les objections qu'on pourra m'adresser ; j'en préviendrai quelques-unes, si vous daignez m'accorder encore cinq minutes d'attention.
Cet axiome, que les produits s'achètent avec des produits, ne doit pas être pris à la lettre et en ce sens qu'il soit indifférent à une nation qu'elle use de ses capitaux de telle façon plutôt que de telle autre, pourvu que l'échange s'opère aux cours du jour. Entendu de la sorte, le prétendu axiome est une contre-vérité manifeste, car l'expérience prouve que les nations se ruinent par un mouvement commercial mal dirigé. Si tous les produits qu'on échange avaient une égale valeur au point de vue de la fortune publique, aucune nation ne se serait jamais enrichie au détriment d'une autre. Il ne faut pas confondre la valeur commerciale avec la valeur réelle que le produit a pour celui qui le consomme. Ce sont là deux choses très différentes dont la confusion a causé la ruine de l'Espagne, du Portugal, de l'Italie, et menace de causer celle de la Belgique.
La vérité est que, chez les peuples civilisés, les produits du travail s'achètent avec des capitaux. Les objets ne s'échangent plus en nature que chez les sauvages. Nous vendons à la France beaucoup plus qu'elle ne nous achète, et l'Angleterre importe chez nous beaucoup plus que nous n'exportons chez elle. Les économistes ne tiennent pas compte de ce phénomène, parce qu'ils n'admettent pas de distinction entre la marchandise et le numéraire, et que, d'ailleurs, ils s'occupent de l'humanité considérée en général, plutôt que des sociétés politiques.
Le commerce des objets de luxe est d'une nature particulièrement délicate dans ses rapports avec le paupérisme. Je ne dis pas qu'il faille entraver la consommation de ces objets, au contraire, mais il convient de la diriger avec patriotisme. Le luxe enrichit une nation, quand il est produit par elle ; il l'appauvrit, quand il est fourni par l'étranger. Le mécompte est surtout sensible lorsque le chômage sévit.
La Belgique se procure annuellement des tissus étrangers pour un capital de seize à dix-neuf millions. Au bout d'un certain temps les tissus sont usés et le capital perdu pour elle. Si ce même capital avait été dépensé à l'intérieur en tissus belges, il se serait reproduit plusieurs fois, il aurait agi et réagi sur la fortune nationale, il aurait créé du travail dont l'absence est la cause du paupérisme. Tout objet de luxe, qu'un pays achète aux travailleurs étrangers alors qu'il pourrait le créer lui-même ou du moins en fournir l'équivalent, occasionne à ce pays une perte égale à la somme de main-d'œuvre que le produit renferme.
Dira-t-on que nos ventes à l'étranger sont déterminées par les achats que nous y faisons? On a soutenu cette thèse, mais elle tombe devant l'expérience et le raisonnement. Nos voisins consomment nos fabricats dans la mesure de leurs besoins, non dans celle des nôtres. Nous vendons nos tissus à la France parce qu'ils lui conviennent, non parce que nous prenons les siens. Quand même nous ne lui achèterions plus ni ses satins, ni ses cotons, ni sa mercerie, ni ses modes, elle n'en continuerait pas moins de se procurer chez nous tout ce que son intérêt lui commanderait.
Pourquoi la France a-t-elle restreint, par des droits presque prohibitifs, l'importation de nos toiles? Est-ce dans un but fiscal? Evidemment non, puisque sa douane reçoit moins de ce chef depuis 1843 qu'avant cette époque. Cette mesure lui a été dictée par le désir d'achalander ses propres fabriques, de fournir de l'ouvrage à ses tisserands et à ses fileuses. La Belgique ne lui a pas déclaré une guerre de représaille, et elle a bien fait, car elle aurait fini par succomber dans cette lutte. Mais au lieu de se résigner à de grands sacrifices pour obtenir la convention de décembre, dont une interprétation judaïque lui a enlevé les bénéfices précaires, elle eût plus sagement agi si elle avait dit à la France : « Vous repoussez mes tissus liniers, vous en avez le droit; je cède à la force; je ne suivrai pas votre exemple, je n'élèverai pas ma barrière de douane; mais comme la prospérité de l'industrie linière intéresse ma politique et mon honneur, je vous déclare que vous m'obligez à consommer moi-même les produits que vous excluez de votre marché. Je puiserai, dans le patriotisme de mes enfants, des ressources que je ne trouve pas dans ma diplomatie et dans mon tarif de puissance du deuxième ou du troisième ordre. »
Puis, sans rien changer aux relations officielles, la demande de certains produits français se serait ralentie tout à coup par suite d'une sorte de vœu national qu'auraient fait nos familles les plus riches ; d'autres familles auraient bientôt suivi cet exemple, et pour peu que cette espèce de vengeance pacifique se fût prolongée, la France se serait empressée de revenir sur ses pas, car notre débouché pour ses vins, sa mercerie, ses tissus et ses modes est un des plus considérables qu'elle possède.
Pour réaliser un tel projet il faut du patriotisme, je l'avoue. Mais croit-on que les Flandres puissent être sauvées et le paupérisme détruit, sans courage, sans persévérance, sans sacrifices, sans beaucoup de patriotisme Quels que soient les remèdes auxquels vous ayez recours, messieurs, persuadez-vous bien qu'ils coûteront énormément, surtout si vous voulez qu'ils soient efficaces. Celui que je propose n'imposerait pas la moindre charge ni aux contribuables, ni au trésor, et j'ai la conviction profonde qu'en six mois de temps il aurait résolu le douloureux problème du chômage.
Il paraît donc souverainement désirable que les classes éclairées de notre pays comprennent que le meilleur moyen et le plus prompt d'éteindre le paupérisme, serait de ne pas alimenter le travail étranger quand le nôtre languit, de ne pas occuper des milliers d'ouvriers par de là nos frontières lorsque nous comptons tant de citoyens forcément désœuvrés. L'espèce de privilège qu'elles donneraient à nos compatriotes, n'amènerait pas le monopole et la cherté ; car la concurrence intérieure maintiendrait les prix à un taux raisonnable. Que si, contre toute vraisemblance, elles devaient, pour accomplir un grand acte de patriotisme, sacrifier quelques-uns de leurs goûts, de leurs habitudes et un peu d'argent à la renaissance du travail national, combien elles en seraient récompensées par la reconnaissance des masses et par le plaisir que donne un devoir accompli !
Pour amener les résultats souhaités, je ne demande pas une élévation des droits de douane, je suis convaincu, au contraire, que cette sorte de violence aurait de mauvais effets. Nous ne devons pas fournir à nos rivaux un prétexte d'aggraver leur tarif, ni encourager la fraude, ni recourir à des moyens factices que l'expérience et la science condamnent. Un accord extra-légal, observé dans les limites du possible, suffirait pour atteindre le but.
Appliquant ces principes aux trois sources du travail national, il faut agir en conséquence, il faut vouloir avec fermeté que notre agriculture produise les 500,000 hectolitres de blé qui nous manquent annuellement ; que notre industrie emploie tous les bras dont elle dispose, au moyen de la préférence que nous lui donnerions pour tous les produits qu'elle sait confectionner; enfin que le bénéfice des relations directes, des commandes et des expéditions, soit assuré à notre commerce, tant par des lois intelligentes que par le développement du crédit et de l'instruction du négociant. Dans ce système, nous consacrerions au défrichement de nos landes les sommes prélevées sur l'importation des céréales étrangères ; nous compléterions notre système commercial, et, au moyen de combinaisons qui protégeraient l'estampille des fabricats belges, nous mettrions les consommateurs à même de les distinguer toujours des autres.
Serait-il impossible, messieurs, d'engager les dames belges, quelques-unes par l'attrait de la nouveauté et par esprit d'imitation, le plus grand nombre par patriotisme, à porter plus de tissus de lin qu'elles n'en usent aujourd'hui? Est-ce qu'une robe de toile blanche unie, ou damassée ou peinte aurait moins d'élégance que des jaconas et cotons fins fabriqués à l'étranger?
Je suis peu versé dans l'art des modes, mais je m’imagine que notre étoffe nationale ne messiérait pas à notre beau sexe. Si une auguste compatriote, que nous entourons tous de notre respect et de notre amour, portait, la première, ce vêtement qui n'exclurait pas le luxe, puisqu'on pourrait l'orner de broderies pour en élever la valeur, un si généreux exemple serait imité par des milliers de dames, qui voudraient acquérir des titres à la reconnaissance des Flandres; cette piquante nouveauté descendrait du palais dans les salons, dans les concerts, dans les salles de spectacle ; bientôt elle se répandrait dans les rues et dans les champs. Qui sait, messieurs, l'étranger nous emprunterait peut-être cette mode, et ce n'est pas faire une hypothèse absurde que de croire qu'un jour nous livrerions des robes de toile fine aux dames de Paris, de Londres, de Vienne, de Madrid, de New-York, de Rio, et de Mexico. Une province de la Hollande ne s'est-elle pas enrichie en créant le commerce des tulipes? L'engouement pour cette fleur lui valut une centaine de (page 578) millions. Celui que je prévois serait plus rationnel étant moins ruineux pour les consommateurs. (Interruption.)
Ce que je viens d'avoir l'honneur de vous dire est interprété de diverses manières. Je rencontre des incrédules, des rieurs même; je m'y attendais; je m'en consolerai facilement par la pensée que je formule un conseil que je crois bon. J'ajouterai deux mots seulement, c'est que si les Flandres avaient à confectionner annuellement 300,000 robes de toile, à raison de deux francs, prix moyen, par aune carrée, elles recevraient pour près de neuf millions de francs de travail, c'est-à-dire, qu'elles occuperaient toutes leurs fileuses, tous leurs tisserands. Que serait-ce si elles avaient à fournir 600,000 robes à nos 600,000 femmes de la classe aisée, si l'étranger nous faisait des commandes, et si le coutil et la toile venaient à être employés par les hommes en guise de pantalons, de gilets et de cravates?
Les fabriques d'autres tissus belges ne souffriraient guère de cette innovation, car il va sans dire que la toile ne formerait jamais qu'un accessoire de l'habillement.
D'ailleurs, toutes nos fabriques indistinctement profiteraient de l'application du système que je vous expose, car les personnes qui y donneraient leur adhésion toute volontaire, s'engageraient à n'acheter que des produits belges, à moins que le travail national ne fournît point les produits demandés. Chacune de nos manufactures se ressentirait de cette protection puissante, qui leur donnerait une vigoureuse impulsion. Rien n'empêcherait nos Flamands de tendre sur leurs métiers des fils de soie et des poils de chèvre au lieu de lin. L'industrieuse activité de nos populations est connue. Vous n'ignorez pas, messieurs, que des établissements de la province d'Anvers expédient des soieries en Angleterre, en France, et jusque dans le Levant.
Si le mouvement était donné, si une ligue nationale se formait, si une généreuse croisade était prêchée contre le paupérisme, si l'aumône, toujours abondante en Belgique, se transformait en commandes industrielles, si l’association que j’ai en vue s’organisait avec entraînement, un grand nombre de fabricants se mettraient immédiatement l’œuvre, un comité supérieur établirait un mode de marques de fabrique et d'estampille; et il prendrait toutes les mesures convenables pour que la spéculation étrangère n'enlevât pas à nos compatriotes des avantages réservés à eux seuls.
Rappelez-vous, messieurs, que les Anglais nous ont devancés dans cette voie. Chaque fois qu'une de leurs grandes industries menaçait de mourir d'inanition, ils surent la relever par la résolution héroïque que je vous conseille de prendre. Souvenez-vous aussi des immenses résultats obtenus par un économiste chrétien, le père Matthew, qui rallie en ce moment un million de personnes autour d'un drapeau auquel il est difficile de rester fidèle.
Quand l'honorable M. Rogier, se préoccupant du sort des Flandres avec une sollicitude à laquelle je rends sincèrement hommage, parla de l'élève des lapins et de l'exportation des volailles vers l'Angleterre comme d'un remède partiel au paupérisme, il fit remarquer, avec raison, qu'aucun moyen sérieux, quelque étrange ou quelque petit qu'il paraisse, n'est à dédaigner dès qu'il s'agit de soulager de respectables misères. Je place les idées que je viens d'émettre sous le patronage du vif intérêt que vous témoignez à nos compatriotes des bords de l'Escaut et de la Lys.
La plupart des remèdes qu'on a essayés jusqu'à présent ont constaté le mal plutôt qu'ils ne l'ont guéri. Il y a urgence d'en trouver d'autres, car, je le proclame avec une conviction profonde, le paupérisme, cette place qui nous désole, qui nous affaiblit et nous humilie, menace de devenir un péril pour l'ordre public, pour l'indépendance nationale. Si je me trompe, prouvez, soyez plus heureux que moi, messieurs, extirpez le fléau en me couvrant de confusion, et je vous rendrai mille grâces.
M. le président. - La parole est à M. Vermeire.
M. Vermeire. - Comme je me propose de parler principalement de la question des Flandres sous te rapport industriel et commercial, je crois qu'il est convenable que je cède la parole à d'autres orateurs et que je rattache mes observations au chapitre de l'industrie.
M. le président. - La parole est à M. Sinave.
M. Sinave. - Je puis aussi remettre mes observations jusqu'à la discussion du chapitre de l'industrie ; cependant, si la chambre n'est pas fatiguée et si elle le permet, je prendrai immédiatement la parole.
M. de Haerne. - Je crois que l'honorable M. Sinave va traiter la question des Flandres. Si l'on veut s'occuper de cette question dans la discussion générale, je crois qu'il faut reprendre l'ordre des inscriptions. Sans cela on aura deux discussions sur la même question.
M. Sinave. - Je consens à présenter mes observations à l'occasion du chapitre de l'industrie.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je crains qu'en voulant simplifier et abréger les débats, nous ne les compliquions et ne les allongions. Il sera impossible, quoi que l'on fasse, que, dans la discussion générale, on ne parle pas de la question des Flandres. C'est une des premières questions qui se présentent à l'esprit de l'orateur. Si, lorsque nous arriverons au chapitre de l'industrie, la discussion sur la question des Flandres recommence, nous aurons deux débats.
Je ferai observer d'ailleurs que la question des Flandres n'est pas toute industrielle; elle a un côté agricole très important. On pourrait donc aussi bien la réserver pour le chapitre de l'agriculture que pour le chapitre de l'industrie.
Comme nous sommes dans la discussion générale, je crois que le plus simple est de laisser chaque orateur se livrer à l'appréciation de la marche générale du cabinet et énoncer librement son opinion sur les Flandres comme sur toutes les autres questions soit administratives, soit politiques, qui se rattachent au budget de l'intérieur ou qu'on croit devoir y rattacher.
M. le président. - J'avais accordé la parole à M. de Haerne, c'est lui qui y a renoncé. Si l'on croit utile de traiter la question des Flandres dans la discussion générale, M. de Haerne aura la parole.
M. de Haerne. - Messieurs, le budget de l'intérieur soulève les principales questions relatives au bien-être et à l'existence des classes laborieuses de la société. Dans l'examen de ce budget, la pensée se porte naturellement vers les parties du pays le plus éprouvées par le chômage, ces parties autrefois si florissantes et si heureuses par la prospérité de l'industrie linière ; ce sont les deux Flandres, une partie du Hainaut et quelques cantons du Brabant et de la province d'Anvers.
On se demande depuis quelque temps, et je ne puis m'empêcher de me demander ici à mon tour, si le ministère a fait pour ces populations malheureuses tout ce qu'il pouvait faire, tout ce qu'on était en droit d'attendre de lui. Si je consulte l'opinion publique, si j'interroge les organes de cette opinion dans les Flandres, je dois reconnaître qu'on est presque unanime à répondre négativement. Les journaux de ces provinces, à peu d'exceptions près, soutiennent que la question des Flandres n'a pas reçu de solution satisfaisante, et que le paupérisme et la mortalité effrayante qui en est la suite, sont restés presque stationnaires, malgré l'abondance des dernières récoltes et la cessation de l'épidémie qui précédemment avait décimé la population. Tel est le langage que nous tiennent tous les jours nos journaux, langage que je voudrais pouvoir contredire, si je le pouvais, mais je ne le puis.
Est-ce à dire, messieurs, que le ministère n'a rien fait pour sauver les Flandres, et qu'il a contemplé nos malheurs d'un œil indifférent? Non, sans doute, et je n'oserais pas plus en conscience soutenir cette thèse que je n'oserais soutenir la précédente. Personne n'est plus convaincu que moi que l'extirpation complète et immédiate du paupérisme n'est pas seulement au-dessus des forces du ministère, mais j'oserais dire au-dessus de toute force humaine.
Si la Belgique seule était ravagée par ce fléau qu'on a appelé le paupérisme, pour caractériser ce que la misère des temps modernes semble avoir de systématiquement fatal et d'incurable, si la Belgique seule était rongée par cette lèpre, ah! messieurs, alors nous pourrions nous accuser mutuellement d'incapacité et de mauvais vouloir, alors la nation tout entière imprimerait sur nos fronts le cachet indélébile de la honte.
Mais si nous jetons un coup d'œil sur ce qui se passe dans d'autres pays, dans les pays industriels avant tout, et notamment dans l'opulente Angleterre, que voyons-nous? Nous y voyons, à côté d'immenses et de fabuleuses fortunes, des masses d'ouvriers exténués par les privations et la misère, nous y voyons le paupérisme dans toute sa hideuse puissance, nous le voyons dans les villes ainsi qu'au milieu des champs, nous le voyons s'accroître en quelque sorte à mesure que les capitaux s'accumulent, au moins dans une proportion égale. La Grande-Bretagne, cette puissance colossale qui par ses machines et ses flottes semble dominer l'univers, éprouve elle aussi, et plus que toute autre nation, les terribles étreintes de cette épidémie sociale.
L'Angleterre, qui par les perfectionnements industriels, dont elle a le secret, par ses capitaux, par des moyens loyaux ou frauduleux, a su s'approprier les industries de tant d'autres nations, qui a su nous enlever à nous une partie assez notable de notre industrie linière, pour entretenir au moyen de cette manutention à peu près la moitié des ouvriers que le travail du lin occupait autrefois cher nous, l'Angleterre au milieu de ses richesses manufacturières, au milieu des richesses de son agriculture à laquelle elle a apporté tous les perfectionnements que comporte la science, l'Angleterre avec le pays de Galles, compte, sur une population de 16 millions d'habitants, 1,530,490 personnes inscrites aux bureaux des secours publics. Les charges pour le soutien de ces indigents montaient d'après les tableaux statistiques de 1843 que j'ai eus sous les yeux, à 5,208,027 livres sterling, c'est-à-dire à plus de 130 millions de francs. Je ne parlerai pas de l'Irlande qui est, comme chacun sait, la terre classique du paupérisme.
Après cela, messieurs, si le cœur nous saigne à la vue de la misère qui nous désole, nous ne devons pas rougir de ne pas y avoir jusqu'ici trouvé de remède efficace.
Mais il n'en est pas moins vrai que la situation est alarmante, surtout à la vue des terribles problèmes qu'on soulève partout, au nom du peuple souffrant, et par lesquels on ébranle la société jusque dans ses fondements.
Quand je considère ce mouvement, qui emporte aujourd'hui et les hommes et les choses vers un avenir inconnu, que la science économique me paraît peu de chose, en présence des effrayantes réalités qui s'offrent partout à nos regards!
Que n'a-t-on pas dit de la question des salaires que l'on a voulu résoudre par la théorie de la concurrence? Ouvrez tous les auteurs d'économie politique et vous y verrez que les salaires doivent répondre non seulement aux besoins actuels de l'ouvrier, mais encore à ceux de ses enfants en bas âge et à ceux de sa vieillesse en offrant une réserve pour les cas de malheur et de maladie. Et tout cela par l'effet de la libre concurrence ! Les faits qui se passent partout en Europe, depuis que l'industrialisme y règne, démontrent que c'est là une cruelle illusion, On (page 579) prétendait trouver dans la libre concurrence un travail assuré, une espèce de droit au travail; et au lieu de cela on y a rencontré des vicissitudes qui placent l'ouvrier dans un état qui, sous le rapport matériel, leur ferait envier l'esclavage.
A Dieu ne plaise que j'accuse ici quelques classes de la société au profit d'autres classes! Toutes ont été fatalement entraînées vers l'abîme. Des fautes ont été commises sans doute ; mais on n'en a pas compris d'abord la gravité, et ces fautes, semblables au germe secret d'une maladie mortelle, se sont lentement insinuées dans les veines du corps social, et l'on ne s'est aperçu du danger que lorsqu'il n'était plus temps d'arrêter les progrès du mal.
La cause de la désorganisation, comme celle de la plupart des maladies, n'est pas purement matérielle, elle est surtout morale. On a beaucoup trop parlé de droit et par là on a exalté toutes les passions de l'homme et surtout la convoitise. On a négligé la notion chrétienne du devoir. C'était le devoir qu'il fallait prêcher avant tout, le devoir de la générosité d'un côté, le devoir du travail et de la tempérance de l'autre.
C'était cette notion des devoirs réciproques qui présidait autrefois à l'organisation du travail agricole et industriel dans les Flandres, et qui avait rendu le nom de pauvre presque inconnu dans ces provinces. Les fermes de bienfaisance, dirigées par des corporations religieuses, et dont il en est resté encore quelques-unes, servaient de modèles non seulement pour le travail, mais, ce qui est bien plus essentiel, pour l'organisation morale et chrétienne du travail; les grands fermiers formaient avec les petits une espèce de communauté dans laquelle on se prêtait d'un côté les capitaux, les instruments, les chevaux; de l'autre les bras. Il en était de même quant à l'industrie linière, la plus belle, la plus morale, la plus saine qui ait jamais existé. Il y avait là aussi association morale et souvent même matérielle entre le maître et l'ouvrier. Puis l'industrie linière s'alliait de la manière la plus étroite avec l'agriculture. Les cultivateurs donnaient du crédit aux tisserands et aux fileuses pour le payement du lin, et ceux-ci s'adonnaient par intervalles aux travaux des champs, et surtout aux manipulations nombreuses qu'exige le lin. Cette connexion étroite entre l'agriculture et les manutentions linières, qui de deux industries n'en faisait pour ainsi dire qu'une, donne le secret et la perfection qu'a atteinte la culture du lin dans la plus grande partie de la Flandre et de la renommée de notre ancienne industrie linière.
Peut-on rétablir cet ancien état de choses? Non pas immédiatement, non pas peut-être entièrement. Mais on peut obtenir des résultats partiels et l'on doit y tendre, aussi longtemps que l'on n'a pas pu remplacer cette admirable organisation par quelque chose d'analogue, ou du moins par quelque chose de satisfaisant et qui réponde aux besoins de notre nombreuse classe ouvrière.
C'est surtout dans ce but, messieurs, qu'on ne saurait proclamer trop haut les devoirs nouveaux et impérieux qu'ont à remplir, dans l'état actuel de l'Europe et de notre pays, les classes supérieures envers les populations indigentes : riches, nobles, prêtres, industriels, fermiers, tous doivent se donner la main, tous doivent rivaliser de zèle, tous doivent donner des preuves de dévouement, tous doivent concourir à cette grande œuvre de conservation ou plutôt de réédification, par leur intelligence, leur activité, et souvent par des sacrifices pécuniaires. Le gouvernement qui est la représentation de la société, qui est l'expression de ses besoins, doit surtout y mettre une main habile et assurée. C'est à lui à donner l'impulsion, à prendre l'initiative et quant aux entreprises à faire et quant aux secours à donner.
Mais ici j'entends des voix s'élever contre mes allégations et protester contre l'intervention du gouvernement dans l'industrie , contre l'aumône! Je sais, messieurs, qu'il existe de grands préjugés à cet égard, surtout depuis que le socialisme a levé la tête et a organisé la fainéantise sous le nom d'ateliers nationaux. Mais permettez-moi de citer à cet égard l'autorité d'un homme d'Etat qui ne vous paraîtra pas suspecte en cette matière. Voici ce que dit M. Thiers dans son ouvrage sur la propriété : « Où cela nous conduit-il? A dire qu'il y a lieu, non pas de proclamer un droit, mais d'invoquer fortement la bienfaisance de l'Etat, de lui imposer le devoir d'employer tous ses moyens pour venir au secours des ouvriers sans travail. Et si on répète, continue-t-il, que c'est l'aumône qu'on offre, je répondrai toujours que ce n'est pas l'aumône, mais la bienfaisance, laquelle ne fut jamais une offense, quand elle est accordée par quelqu'un qui est presque aussi au-dessus de nous que la Providence elle-même, c'est-à-dire par l’Etat, et accordée à des hommes vraiment malheureux, non par leur faute, mais par celle des événements. Je répondrai que saint Vincent de Paul ne passa jamais pour avoir outragé l’humanité. » Telle est l'opinion de M. Thiers sur cette question.
J'ajouterai à ces belles paroles que l'aumône discrète et sagement donnée, loin de dégrader celui qui la reçoit, l'honore au contraire à ses propres yeux et aux yeux des autres, en ce qu'elle révèle son mérite et le degré de confiance qu'il a su inspirer.
« L'Etat, dit encore le célèbre écrivain que je viens de citer, devra s'ingénier pour trouver les moyens afin de parer à ces cruels chômages. »
M. Thiers va jusqu'à admettre que l'Etat, dans un but de bienfaisance, et non pas pour répondre à un droit absolu, pût se charger de faire exécuter des travaux de tout genre et se livrer à certaines fabrications, telles que machines, armes, voitures, draps, toiles, etc. Je ci Le textuellement.
Ces idées, d'un des hommes d'Etat les plus distingués de l'époque, s'appliquent à la France, mais elles semblent avoir été énoncées pour la Flandre, tellement les besoins d'un côté et les devoirs de l'autre s'y trouvent exposés d'une manière conforme à la situation de cette partie de la Belgique.
Le dévouement, l'esprit de sacrifice produisent peu de chose, aussi longtemps qu'ils sont isolés et individuels; mais lorsque ces sentiments se réunissent, se concentrent et se soutiennent sous l'égide de l'association, alors ils font naître des merveilles. Aussi, je le dis avec une fierté patriotique, de tous les pays il n'y en a pas qui, grâce à nos institutions et au caractère religieux de la nation, offrent à cet égard plus de ressources que le nôtre. Nulle part l'esprit de bienfaisance ne peut prendre un élan plus libre et se multiplier sous des formes plus différentes, mieux s'allier au travail, le soutenir et l'éclairer qu'en Belgique où la liberté d'association existe dans toute sa plénitude, et où la liberté même de réunion en plein air n'éprouve d'entrave que lorsqu'elle recourt à la violence et devient attentatoire à l'ordre public. C'est ici que le gouvernement qui, après tout, est la première des associations nationales, peut et doit faire sentir toute l'utilité de son intervention, dans l'intérêt des ouvriers sans travail.
Me sera-t-il permis, messieurs, de dire deux mots, à ce sujet, d'une institution qui a rendu d'immenses services, et qui, quoiqu'elle ait été malheureusement abandonnée, porte encore d'excellents fruits aujourd'hui? Je veux parler des comités industriels qui étaient chargés non seulement d'introduire les améliorations en fait de fabrication, mais encore de procurer aux ouvriers sans travail la matière première à crédit, de faire filer et même quelquefois de faire lisser de la toile. Ces foyers de bienfaisance et d'industrie, déjà érigés dès 1840, ont réussi partout où il s'est rencontré des hommes éclairés et dévoués pour se placer à la tête de cette œuvre philanthropique et y donner une bonne direction. Le but n'était pas, comme on l'a vu dans un pays voisin, d'assurer d'avance un salaire à l'ouvrier, quelle que fût la valeur de son ouvrage, mais de proportionner la rémunération à la qualité et à la quantité du travail. Si l'on s'est quelquefois écarté de cette ligne, c'a été par exception et dans une proportion exiguë, et vu que par humanité on voulut accepter les plus mauvais ouvriers, pour les sauver du vagabondage. Mais alors même qu'on leur accordait un salaire trop élevé, encore était-il moindre que celui que recevaient les bons ouvriers. Les pertes, du reste, ont été minimes; elles n'ont pas excédé en moyenne 6 p. c. sur la somme des opérations. C'est ainsi qu'en 1845, dans le village de Sweveghem, arrondissement de Courtray, on a fait de la toile pour une valeur de 70,000 francs, et l'on n'a essuyé sur cette somme qu'une perte de 5 p. c, sacrifice au moyen duquel on a entretenu pendant 8 mois plus de 1,200 ouvriers, fileuses et tisserands.
Il est à regretter qu'on ait abandonné ces précieuses institutions en ne leur donnant plus de subside. On pouvait les améliorer, les réformer dans ce qu'elles présentaient de défectueux, on aurait pu borner par exemple, dans la plupart des localités, les opérations au filage ou même à l'avance de la matière première, en laissant travailler le tisserand pour son compte, afin d'empêcher une concurrence trop vive avec le travail de l'industrie privée. On aurait pu se charger de l'achat de la bonne graine, du crédit à accorder au tisserand, crédit qui est indispensable autant dans l'intérêt de la culture du lin que dans celui du tisserand, et qui permet à celui-ci d'acheter le lin sur pied, de lui faire subir, dans ses moments perdus, les manipulations nécessaires, auxquelles souvent le fermier ne peut pas se livrer sans se constituer en perte. C'est depuis que ce crédit fait défaut que la culture du lin a diminué considérablement, de même que le filage et le tissage.
Ces centres d'opérations industrielles et philanthropiques, établis pour chaque village ou pour plusieurs villages à la fois, auraient pu varier et diversifier les travaux industriels et même y donner, petit à petit, une direction agricole. Mais, je dois le dire, les mesures agricoles, quelque efficaces qu'elles soient, ne sont, en général, que des mesures d'avenir, comme beaucoup d'autres, dont on parle tous les jours. En un mot, ces comités pouvaient devenir le noyau pour toutes les entreprises à faire en faveur des pauvres, pour toutes les œuvres qui exigent que la bienfaisance vienne s'incarner dans le travail.
Quoique les comités industriels aient été virtuellement supprimés, par le refus de subsides, cependant ils ont laissé presque partout des traces de bien-être moral et matériel.
Par l'heureuse impulsion qu'ils ont donnée, on a compris presque' partout l'urgence et la possibilité de soustraire l'ouvrier à l'immoralité, à la faim et à la mort. Mais hélas! en général, les moyens ont été insuffisants. Des efforts inouïs ont été tentés et le sont encore tous les jours pour atteindre ce noble but. Je ne citerai pas de noms de personnes, je ne nommerai même pas de localités de l'arrondissement auquel j'appartiens, dans la crainte que mes paroles ne vous paraissent suspectes ; mais je vous nommerai Lichtervelde et Ardoye dans le district de Roulers, Cortemarck, dans celui de Dixmude, Langemarck dans celui d'Ypres, Meulebeke dans celui de Thielt, où l'on peut dire que l'esprit qui animait les comités industriels subsiste toujours et se manifeste sous vingt formes différentes.
A Meulebeke par exemple, outre l'atelier d'apprentissage qui y existe depuis plusieurs années et où l'on tisse la toile mécanique aussi bien que la toile en fil à la main et la toile mixte, plusieurs particuliers se sont chargés d'un certain nombre d'ouvriers qu'ils font travailler pour leur compte, et dont ils ont soin de vendre les produits. Il est à remarquer, messieurs, que ces commissions, loin d'être animées d'un esprit exclusif en faveur du fil à la main, comme on se l'imagine généralement, ne songent au contraire qu'à une chose, c'est de faire exécuter les ouvrages les plus utiles à la classe ouvrière, et de faire fabriquer ce qui se place le plus facilement.
On aurait tort de croire que c'est par préjugé que l'on tient généralement à la toile qui est faite en fil à la main. Non, c'est uniquement parce que cette toile est spécialement demandée, non seulement dans le pays (page 580) mais encore en France, en Espagne et dans d'autres pays. Souvent même l'acheteur ne paraît indifférent à cet égard que parce qu'il croit que la distinction est impossible. Je n'ai pas à examiner, messieurs, si cette opinion est fondée, si la toile en fil à la main doit être abandonnée, à cause de la concurrence que lui fait la toile mécanique, pas plus que je n'ai à me demander si celle-ci doit céder le terrain à la toile de coton qui lui fait aussi concurrence et une concurrence d'autant plus forte et qui s'accroît tous les jours d'autant plus, que la différence entre le fil de coton et le fil de lin mécanique est moins grande qu'elle ne l'est entre le fil de coton et le fil de lin fait à la main.
Il suffit que la demande existe et se soutienne par continuation pour la spécialité de l'ancienne toile de Flandre.
Je vous disais tout à l'heure que la distinction entre la toile en fil à la main et celle qui est faite en fil mécanique paraît souvent difficile à établir, et que c'est à cette cause que l'on doit attribuer en grande partie la décadence de l'ancienne industrie linière. Il n'est que trop vrai que souvent dans le pays et à l'étranger on vend de la toile mécanique pour de la toile faite d'après les anciens procédés. C'est là un mal réel; car certes, si la fraude peut favoriser les intérêts de celui qui la commet, elle est préjudiciable à la fabrication en général, à la renommée de la toile de Flandre, et à la réputation de loyauté que le fabricant flamand s'était acquise à l'étranger. La fraude, la sophistication, la déception jouent malheureusement un grand rôle dans l'industrialisme. On peut dire en général que les machines, dont l'invention est due au génie de l'homme, qui est un rayon de la lumière divine et un agent qui, dans ses grandes créations, est conduit par la Providence, ne sont généralement pas nuisibles par elles-mêmes, mais seulement par les abus que l'homme en fait; et parmi ces abus on doit placer en première ligne la fraude et la falsification des produits que les perfectionnements mécaniques ont rendues évidemment beaucoup plus faciles.
Sans ces abus, il est certain que le travail manuel aurait moins souffert par suite des inventions modernes, que les crises industrielles et sociales auraient été moins à craindre, et que le paupérisme aurait pris moins d'extension.
Depuis longtemps on s'est occupé des moyens d'obvier aux inconvénients de la fabrication frauduleuse et de donner au consommateur des garanties contre la déception dont il est si souvent dupe. Un écrivain éclairé et spirituel de notre pays a plusieurs fois saisi la chambre de cette importante question, et dans ses nombreux écrits il a fait voir tous les avantages de la marque de fabrication. Dernièrement la commission de l'atelier d'apprentissage d'Ath a demandé l'application de cette mesure à la toile.
La même demande a été faite dans une brochure publiée par un négociant d'Anvers. La commission de l'enquête linière a exprimé le même vœu. Et dernièrement le ministère a fait mettre cette question à l'étude. Je sais bien qu'on m'objectera que l'estampille pouvant être contrefaite, ce serait donner lieu à une nouvelle fraude et manquer le but que l'on veut atteindre. Je répondrai d'abord que la possibilité de la fraude n'empêche pas qu'il y ait des douanes, que le faux monnayage ne fait pas abandonner la fabrication de la monnaie et que la contrefaçon des billets de banque ne fait pas renoncer à l'émission des bons billets. Pourquoi donc n'imprimerait-on pas une marque de loyauté et de vérité aux produits dont la falsification est la plus facile ? Pourquoi ne l'appliquerait-on pas à la toile à la main, an moins comme mesure facultative?
Quelques particuliers sont déjà entrés dans cette voie; mais ils sont trop peu nombreux et ils n'ont pas assez d'ascendant moral pour faire sensation. C'est au gouvernement, qui doit toujours se constituer le protecteur de la justice et de la bonne foi, à prêter la main à cette mesure salutaire. On objectera encore que l'estampille pourra toujours être contrefaite à l'étranger; je ne sais si par la voie diplomatique et consulaire on ne pourrait pas obtenir de garantie suffisante à cet égard. Mais, dans tous les cas, je ne crains pas de dire que si la mesure existait pour l'intérieur du pays, le but serait atteint, d'abord pour ce qui regarde la consommation intérieure, et puis aussi en grande partie pour la consommation extérieure, en ce que les étrangers sauraient que l'article auquel ils s'attachent existe dans le pays, que la distinction peut s'en faire d'avec le produit similaire, qui leur convient moins, et que, pour l'obtenir, ils n'ont qu'à s'adresser à des maisons de confiance contre lesquelles en cas de fraude ils pourraient avoir recours devant les tribunaux belges. Aujourd'hui le consommateur, vu l'état d'anarchie qui existe à cet égard, ne sait à qui s'adresser, et cela est tellement vrai que je connais une foule de personnes qui, pour ne pas être trompées dans leurs achats, font filer elles-mêmes le lin et tisser la toile par des personnes de confiance.
Je recommande à M. le ministre de l'intérieur l'exécution de la mesure dont je viens de parler et de celles dont je me suis occupé en premier lieu. Il en est d'autres encore qui méritent toute son attention et que même il aurait déjà dû avoir mises à exécution pour répondre au vœu général des Flandres. Mais avant de traiter ces questions, je dois parler de ce que le gouvernement a fait en faveur des contrées affligées par la crise linière; car, comme j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, messieurs, je ne suis pas du nombre de ceux qui prétendent que le gouvernent m n'a rien fait pour sauver les Flandres.
Oui, le ministère a fait du bien : il a exécuté des travaux publics et en particulier des chemins vicinaux ; il a établi des ateliers modèles et d'apprentissage ; il a soutenu et développé ceux qui avaient été établis par l'administration précédente.
Il a favorisé par des subsides et par d'autres moyens l'introduction ou l'invention d'industries nouvelles, telles que les velours, les dentelles de Gènes, les dentelles de soie. Il a encouragé des industries, récentes telles que la batiste, les toiles mixtes qui peuvent prendre une grande extension. Il a fait de louables efforts en faveur de l'agriculture, par les expositions, les distributions de prix, la distribution d'instruments aratoires perfectionnés, la création de comices et d'associations agricoles. Il a poussé au défrichement de nos bruyères, notamment dans la Campine, les Ardennes et dans la Flandre occidentale. Il a donné des primes d'exportation qui ont produit un excellent effet pour désencombrer nos marchés et nos magasins.
Mais il ne faut rien exagérer, la plupart de ces moyens, quoique excellents, ne sont pas d'une nature assez prompte pour arrêter l'effrayante mortalité qui, quoi qu'on en dise, continue à désoler la Flandre centrale. Ce que je trouve de plus efficace, pour le moment, ce sont les primes et les ateliers d'apprentissage ; encore ces moyens n'ont-ils opéré que dans une bien petite mesure, eu égard à l'étendue du mal, et, comme si le ministère regrettait d'avoir trop fait, il vient nous proposer, pour raviver l'industrie linière, une somme de 150,000 francs ! Et cependant il a déclaré qu'il y allait de l'honneur de la Belgique de sauver les Flandres et qu'il n'était pas permis, dans un pays comme le nôtre, qu'on laissât mourir quelqu'un de faim. Je sais bien que le ministère n'a pas promis de sauver les Flandres, quoique d'autres l'aient promis pour lui ; mais, au nom du Ciel, si vous ne voulez pas qu'on vous fasse ce reproche, ne venez pas nous proposer, pour la principale industrie flamande, une somme aussi insignifiante que celle qui se trouve portée au budget.
Messieurs, sous le ministère précédent, j'ai franchement exprimé mon opinion sur l'insuffisance des mesures prises en faveur des Flandres. Je me croirais coupable de faiblesse si je ne m'exprimais aujourd'hui avec la même franchise. Outre le reproche que j'adresse au cabinet actuel de rapetisser l'immense question des Flandres, par l'exiguïté du subside proposé en faveur de l'industrie linière, je ne puis m'empêcher de le blâmer de n'avoir pas encore mis la main au projet de l'établissement des comptoirs de commerce et d'une société d'exportation.
Ces deux mesures promises depuis longtemps devaient créer l'élément commercial qui nous manque en ce qui concerne nos relations avec les pays transatlantiques.
Depuis longtemps on aurait dû faire un effort héroïque pour atteindre ce but. Si les comptoirs de la société d'exportation vers les marchés transatlantiques avaient existé, nous eussions pu, dans l'année calamiteuse qui vient de s'écouler, réparer les pertes que nous avons essuyées sur la plupart des marchés d'Europe, par suite des événements politiques, et nous eussions pu parer aux éventualités de l'avenir. La crise européenne n'est pas encore passée, et il est plus que temps que nous saisissions l'occasion qui se présente pour gagner sur les marchés éloignés la place qu'y perdront nécessairement d'autres nations par l'agitation à laquelle elles sont en proie. Si vous attendez plus longtemps, il sera peut-être trop tard. Il est grand temps de faire une tentative sérieuse dans ce sens.
Quant à la colonisation, c'est là encore une mesure qui ne doit porter des fruits que dans l'avenir. On n'improvise pas des colonies. Néanmoins, on devrait en faire l'essai, et d'abord dans l'intérieur du pays. Pour y réussir, on devrait, selon moi, recourir à cette organisation dont je parlais tout à l'heure et qui repose sur l'esprit de l'association chrétienne : chaque chef de colons devrait pour ainsi dire rassembler en une seule famille les pauvres destinés à se grouper autour de lui, il devrait se les rattacher d'avance par les liens moraux et matériels.
Les colons devraient être enrégimentés, disciplinés, moralisés avant d'être transportés sur les lieux de leur exploitation. Sans ces conditions, vous pourrez faire des colonies ; mais à coup sûr vous n'y utiliserez pas des pauvres ; vous n'y transporterez que des hommes valides et habitués au travail, et au lieu d'avoir rendu service à nos contrées appauvries par l'excès de la population, vous les aurez appauvries davantage en leur enlevant des bras utiles.
Messieurs, je me résume en disant que j'approuve la plupart des mesures prises et proposées en faveur des Flandres.
Mais je soutiens que les Flandres sont en droit d'attendre et que le pays doit tenir à honneur d'employer des moyens plus énergiques, plus généralement efficaces, que ceux que l'on a employés jusqu'aujourd'hui. En attendant que ces mesures soient prises, je demanderai que la chambre et que le ministère donnent autant d'extension que possible aux améliorations de fabrication et notamment à l'introduction de la navette volante, dont l'adoption a pour effet immédiat de doubler les salaires et par conséquent de rendre la lutte plus facile contre les droits exorbitants que nous rencontrons à l'étranger.
Si l'année dernière on ne s'était pas attendu à des mesures décisives en faveur des Flandres, on aurait demandé sans aucun doute un chiffre plus élevé que celui de 150,000 fr.
La misère des Flandres a coûté au pays une somme d'environ cinq millions, dont plus de moitié consiste en prêt, et à laquelle les Flandres ont contribué pour plus du tiers. Je dirai à ceux qui croient que ce sacrifice est trop grand, que les Flandres, par suite de la surtaxe territoriale dont elles ont été frappées à partir du régime français, ont payé plus de 40 millions au-delà de ce qu'elles devaient.
La somme de 150,000 fr. suffit à peine pour fournir à 1,500 tisserands les perfectionnements devenus indispensables et les mettre à même de s'en servir.
Si l'état du trésor le permettait, je ne balancerais pas à proposer 500,000 fr. Je pense qu'on doit au moins doubler le chiffre ministériel. J'en ferai la proposition au chapitre de l’industrie.
- La séance est levée à 4 heures 1/2.