Séance du 22 décembre 1848
(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Verhaegen.)
Appel nominal et lecture du procès-verbal
(page 329) M. Dubus procède à l'appel nominal à une heure et quart.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Dubus présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Les ouvriers du canton de Couvin demandent que le gouvernement oblige la société concessionnaire du chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse à exécuter pendant cet hiver une partie des travaux qu'elle doit terminer pour la fin de mars 1850. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Honoré, ancien vérificateur de l'administration des douanes, réclame les arriérés d'une pension qui lui a été accordée sous l'empire.»
- Même renvoi.
« Plusieurs cultivateurs du cinquième district agricole de la Flandre orientale présentent des observations contre le projet de loi sur les denrées alimentaires. »
M. Cumont. - Cette pétition ayant trait au projet de loi qui va être mis en discussion, et le rapport ne pouvant pas être fait aujourd'hui, je demanderai qu'elle reste déposée sur le bureau pendant la discussion.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur du Bourg demande que les intérêts des cautionnements soient payés à la date de l'échéance. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Cautille demande l'abrogation de la loi du 10 février 1843 relative à la canalisation de la Campine. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de Hasselt demandent que la garde civique soit divisée en deux bans et que le premier ban, qui serait composé de jeunes gens et de veufs sans enfants de 21 à 35 ans, soit seul astreint, en temps de paix, aux obligations imposées par la loi sur la garde civique. »
- Même renvoi.
« Même demande de plusieurs habitants de Gand. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de Handzaeme demandent que le chef-lieu de l'arrondissement administratif de Dixmude soit rétabli dans cette ville. »
- Sur la proposition de M. de Breyne, renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
« Le sieur Missu prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à ce que les étrangers cessent d'occuper des fonctions publiques et que la naturalisation ne leur soit pas accordée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
Par 21 messages, en date du 20 décembre, le sénat informe la chambre qu'il a donné son adhésion à autant de projets de naturalisation ordinaires.
- Pris pour notification.
Il est fait hommage à la chambre, par M. Moreau, de 100 exemplaires d'un opuscule sur l'assainissement des villes et la conservation des engrais qui s'y perdent.
- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.
M. M. T'Kint de Naeyer. - La section centrale qui a été chargée de l'examen du budget des finances, s'est occupée de l'examen du budget des dépenses pour ordre. Ce budget, qui n'est que la régularisation des recettes pour ordre, n'a donné lieu à aucune observation. La section centrale a l'honneur de vous proposer l'adoption du projet de loi.
M. le président. - Les sections ont autorisé la lecture de la proposition déposée par M. de Pouhon.
- Il est donné lecture de cette proposition.
M. le président. - M. de Pouhon a exprimé le désir de développer aujourd'hui sa proposition qui présente un certain degré d'urgence. Mais il n’est pas présent, la chambre statuera à cet égard ultérieurement.
Hier la chambre a mis à l'ordre du jour le budget des dépenses pour ordre dont on vient de faire le rapport.
Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, on passe à la discussion des articles.
« Art. 1er. Remboursement de cautionnements versés en numéraire dans les caisses du gouvernement, pour garantie de leur gestion, par des fonctionnaires comptables de l'Etat, par des receveurs communaux, des receveurs de bureaux de bienfaisance, des préposés de l'administration du chemin de fer, par des courtiers, des agents de change, etc., et par des contribuables, négociants ou commissionnaires, pour garantie du payement de droits de douanes, d'accises, etc. : fr. 1,200,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Remboursement de fonds perçus au profit de la caisse des veuves et orphelins des fonctionnaires civils : fr. 1,000,000. »
- Adopté.
« Art. 3. Remboursement de fonds perçus au profit de la caisse des veuves et orphelins des officiers de l'armée : fr. 160,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Remboursement de fonds perçus au profit de la caisse des pensions et de prévoyance des instituteurs primaires : fr. 150,000. »
- Adopté.
« Art. 5. Remboursement de fonds versés au profit de la masse d'habillement et d'équipement de la douane : fr. 250,000. »
- Adopté.
« Art. 6. Emploi des subsides offerts pour construction de routes : fr. 300,000. »
- Adopté.
« Art. 7. Attribution des parts des communes dans les frais de confection des allas des chemins vicinaux : fr. 20,000. »
- Adopté.
« Art. 8. Répartition des produits d'amendes, saisies et confiscations en matière de contributions directes, douanes et accises : fr. 120,000. »
- Adopté.
« Art. 9. Frais d'expertise de la contribution personnelle : fr. 30,000. »
- Adopté.
« Art. 10. Droits de magasin des entrepôts, perçus au profit des communes : fr. 40,000. »
- Adopté.
« Art. 11. Remboursement d'impôts recouvrés au profit des provinces : fr. 2,680,000. »
- Adopté.
« Art. 12. Remboursement d'impôts recouvrés au profit des communes : fr. 2,320,000. »
- Adopté.
« Art. 13. Remboursement de la taxe provinciale sur les chiens : fr. 260,000. »
- Adopté.
« Art. 14. Amendes diverses et autres recettes, soumises aux frais de régie : fr. 120,000. »
- Adopté.
« Art. 15. Amendes de consignations non soumises aux frais de régie : fr. 1,000,000. »
- Adopté.
« Art. 16. Remboursements de revenus perçus pour compte de provinces : fr. 470,000. »
- Adopté.
« Art. 17. Remboursement de consignations de toute nature : fr. 1,500,000. »
- Adopté.
« Article unique. Le budget des dépenses pour ordre est fixé, pour l'exercice 1849, à la somme de onze millions six cent vingt mille francs (fr. 11,620,000), conformément au tableau ci-annexé.»
- Adopté.
(page 330) Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi, qui est adopté à l'unanimité des 81 membres qui prennent part au vote.
Ce sont : MM. de Renesse, de Royer, Desoer, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, d'Hont, Dubus, Dumortier, Faignart, Jacques, Jouret, Jullien, Julliot, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Liefmans, Manilius, Mascart, Mercier, Moncheur, Moxhon, Osy, Peers, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Reyntjens, Rodenbach, Rogier, Rolin, Roussette, Sinave, Tesch, Thibaut, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Vermeire, Vilain XIIII, Allard, Boedt, Boulez, Cans, Christiaens, Clep, Cools, Coomans, Cumont, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe) , de Bocarmé, Debourdeaud’huy, de Breyne, de Brouckere (Henri), de Brouwer de Hogendorp, Debroux, Dedecker, de Denterghem, de Haerne, Delehaye, Delescluse, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Perceval, de Pitteurs et Verhaegen.
La discussion générale est ouverte.
M. Osy. - Dans toutes les sessions précédentes, j'avais demandé une nouvelle loi d'organisation de l'armée pour arriver finalement à une économie d'au moins3 millions, ce qui, d'après moi, peut se faire sans désorganiser et sans réduire fortement notre armée.
Aussi, je me suis toujours opposé à la demande d'un contingent annuel de 10,000 hommes et de mettre à la disposition du gouvernement 80 mille hommes : je suis persuadé qu'avec 60 mille hommes nous pourrions faire une très bonne organisation et adopter un meilleur système que celui que nous avons à présent.
Dans les circonstances où se trouve encore l'Europe et dans l'incertitude de tout ce qui pourrait arriver pendant l'année où nous allons entrer, je suis décidé à ne pas poursuivre, pour le moment, ma demande d'une nouvelle organisation, et je voterai le projet de loi qui nous est soumis, ne voulant pas assumer, dans ces moments difficiles, la moindre responsabilité; mais je fais toutes mes réserves pour l'avenir, et lorsque l'horizon politique me paraîtra tout à fait rassurant, je compte bien reprendre mon rôle et pousser à une forte économie sur le budget de la guerre.
- La discussion générale est close.
« Art. 1er. Par mesure transitoire, résultant de la loi du 8 mai 1847, le contingent de l'armée pour 1849 est fixé au maximum de soixante et dix mille hommes. »
M. Delfosse. - Je voterai pour la loi sur le contingent de l'armée ; mais je n'entends pas engager par là mon vote sur le budget de la guerre; je ne partage pas l'opinion de l'honorable M. Osy, qu'il y aurait une corrélation nécessaire entre ces deux votes. La question du budget de la guerre doit être entièrement réservée.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Cette question a été décidée l'année dernière. Le vote du contingent de l'armée n'implique nullement le vote du budget de la guerre. Ce vote ne lie personne.
- L'article est adopté.
« Art. 2. Le contingent de la levée de 1849 est fixé au maximum de dix mille hommes, qui sont mis à la disposition du gouvernement. »
- Adopté.
« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1849. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 75 membres présents.
Ce sont : MM. de Renesse, de Royer, Desoer, Destriveaux, de Theux, d'Hont, Dubus , Dumortier , Faignart, Jouret, Jullien , Julliot, Lange , le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Liefmans, Manilius, Mascart, Mercier, Moncheur , Moreau , Moxhon , Osy , Pierre, Pirmez , Reyntjens, Rodenbach, Rogier, Rolin, Rousselle, Sinave, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Vermeire, Vilain XIIII, Allard, Boedt, Boulez, Cans, Christiaens, Clep, Cools, Coomans, Cumont, Dautrebande, de Baillet (Hyacinthe), Debourdeaud'huy, de Breyne, de Brouckere (Henri), de Brouwer de Hogendorp, Debroux, Dedecker, de Denterghem, Delehaye, Delescluse, Delfosse, d'Elhoungne, Deliége, de Luesemans, de Meester, de Mérode, de Perceval, de Pitteurs et Verhaegen.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, notre honorable collègue M. Gilson avait été chargé de présenter le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à un crédit supplémentaire demandé par le département de la justice; il est retenu chez lui par une indisposition, et m'a envoyé son rapport, approuvé aujourd'hui par la section centrale. Je le dépose en son nom sur le bureau.
M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué. A quel jour la chambre veut-elle le mettre à l'ordre du jour?
M. H. de Brouckere. - Messieurs, c'est un objet urgent, parce qu'il est question d'imputations à faire sur le budget de 1846, et que ces imputations doivent nécessairement avoir lieu avant la fin de ce mois.
- La chambre décide qu'elle discutera ce projet à la suite de ceux, qui se trouvent déjà à l'ordre du jour.
M. le président. - Le troisième objet à l'ordre du jour est la discussion du projet de loi concernant les denrées alimentaires.
Le projet du gouvernement a été amendé par la section centrale et par M. Coomans.
Le gouvernement se rallie-t-il au projet de la section centrale?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, le gouvernement avait proposé de continuer, jusqu'au mois d'octobre prochain, le régime de la libre entrée absolue pour les céréales. Appelé au sein de la section centrale, dans le but d'éviter de longues discussions et dans le but aussi de procurer certaines ressources au trésor, tout en maintenant un régime libéral pour les denrées alimentaires, je me suis rallié à la proposition de la section centrale , proposition tendant à établir un droit de 5 fr. à l'entrée par 1,000 kil. sur les denrées reprises à l'art. premier, et réservant au gouvernement la faculté de rétablir ou de diminuer les droits sur les denrées comprises dans l'article 2.
Nous croyons que cette espèce de transaction, qui s'était opérée dans le sein de la section centrale pourrait se reproduire utilement dans le sein même de la chambre. Si cependant la chambre pense que le moment soit opportun de se livrer à une discussion sur cette question importante, le gouvernement est prêt à aborder la discussion : mais nous croyons que la proposition de la section centrale, à laquelle le gouvernement se rallie, devrait être adoptée par la chambre.
M. le président. - La discussion s'établit dès lors sur les propositions de la section centrale.
M. de Bocarmé, rapporteur. - Dans l'article premier, tel qu'il est imprimé, il est dit, au paragraphe 4 : « sur toutes les denrées alimentaires désignées au présent article » ; il faut : « non désignées ».
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Dans le projet manuscrit, il s'est glissé également une erreur de copie; le mot avoine a été « omis » après le mot « orge ».
M. le président. - Nous nous occuperons de ces détails quand nous serons aux articles.
M. Delfosse. - M. le ministre de l'intérieur vient de nous dire que c'est par transaction et pour éviter des débats qui pourraient nous conduire trop loin, qu'il s'est rallié à la proposition de la section centrale. Cela est vrai, messieurs; mais ce qui est vrai aussi, c'est que la transaction s'est opérée entre les membres de la section centrale eux-mêmes. Il y avait au sein de la section centrale plusieurs membres qui voulaient, pour une année encore, la continuation du système de libre entrée et qui approuvaient par conséquent le projet du gouvernement. D'autres membres demandaient un droit assez élevé. C'est par le motif que M. le ministre de l'intérieur a indiqué, c'est par transaction, par esprit de conciliation, que la section centrale a été unanime pour établir un droit fixe de 50 centimes. Je regrette que l'amendement de l'honorable M. Coomans vienne rompre l'accord qui s'était établi entre les deux opinions qui partagent la chambre sur la question des céréales. Cet accord, désirable en tout temps, l'est plus que jamais dans les circonstances actuelles.
M. Coomans. - Mon intention n'est nullement de parler contre le gré de la chambre. J'avais préparé quelques notes que je comptais vous lire, messieurs.([Interruption.) D'après ce qui vient d'être dit, j'ai lieu de croire que la chambre est disposée à se livrer à une discussion sérieuse du projet de loi qui lui est soumis en ce moment. Ayant discuté, pendant trois jours, sur les péages du canal de Charleroy, nous pouvons bien examiner avec attention la situation de l'agriculture ; celle-ci est souffrante, plus souffrante peut-être que toutes les autres industries.
Messieurs, il est difficile de ne pas faire de longs discours sur l'agriculture, quand l'occasion s'en présente, car aucun sujet n'y prête davantage. La confiance que j'ai dans votre équité et vos lumières me permettrait d'abréger le mien (n'ignorant pas; d'ailleurs que la concision est un hommage rendu par le plaideur à ses juges), si je n'avais à cœur de combattre des préjugés fâcheux en dehors de cette enceinte.
Je vous prie donc de m'accorder cette fois une attention plus longue que je n'oserais la solliciter dans une circonstance moins grave.
On a beaucoup loué l'agriculture, dans les livres et au sein des Académies. Tout le monde en a parlé avec intérêt, peu de gouvernements l'ont sérieusement aidée. Tandis qu'elle était chantée par la poésie, elle était exploitée par le fisc. Elle avait pour elle Hésiode et Virgile, mais Alexandre et Tibère la foulaient souvent. Dans l'antiquité comme dans le cours du moyen âge, elle fut la victime de toutes les combinaisons de, la politique, de tous les excès de la guerre, de toutes les ambitions, de toutes les avarices. Les famines qui décimèrent tant de fois l'humanité attestent assez les longs malheurs de l'agriculture. Cette industrie mère, sans laquelle aucune autre ne saurait exister, puise ses forces en elle-même; sa puissance réside dans le sentiment universel des bienfaits qu'elle répand sur le monde. Elle n'existe que parce qu'elle est indispensable,
Eh ! messieurs, elle serait morte depuis des siècles s'il avait dépendu des hommes de la détruire, car il n'est pas de fautes, il n'est pas d'injustices dont on ne l'accabla aveuglément, jusqu'au temps de notre archiduchesse Isabelle et du ministre Colbert.
Votre mémoire, messieurs, suppléera aux développements que je vous épargne ici.
(page 331) En posant cette date comme un point d’arrêt dans la persécution systématique dont l’agriculture s’est vue l’objet, je n’entends pas avouer qu’on lui ait rendu pleine justice dans le cours des deux cents dernières années. Je prétends, au contraire, que ses intérêts ont été méconnus maintes fois de la manière la plus dangereuse, en dépit des enseignements de l’histoire, des préceptes d'une saine économie politique et du sens commun. De nos jours même l'agriculture n'est pas traitée comme elle mérite de l'être. C'est ce que j'ai à vous prouver.
Je le prouverai, messieurs, sans méconnaître les services que le ministère actuel a rendus à l'agriculture. Je suis heureux, de pouvoir déclarer que l'action gouvernementale n'est pas étrangère à l'affaiblissement de certains préjugés qui pesaient sur l'agriculture et qui ont entravé les efforts faits par les administrations précédentes pour raffermir cette base de la prospérité nationale.
Les expositions et les comices agricoles, la création d'une bibliothèque rurale et surtout les distinctions honorifiques qu'on ne refuse pas à ceux qui cultivent avec succès le premier des arts, sont des mesures que j'approuve de tout cœur. Le fermier intelligent et laborieux a autant de titres à la reconnaissance nationale que le savant, l'artiste, le diplomate et le militaire. Malheur au pays qui n'estimerait pas le paysan et l'industriel, qui créent la richesse publique, à l'égal du législateur qui la distribue et du soldat qui la protège!
Nous voulons tous la prospérité agricole, personne ne désire que les champs restent en friche, rien n'est plus évident. Mais dans quelles voies diverses les uns et les autres se jettent pour atteindre ce but ! Quelle divergence d'idées et de systèmes ! Cependant si beaucoup de chemins conduisent à Rome, il n'y en a qu'un qui mène au progrès agricole. Traçons franchement ce chemin : c'est celui de la protection.
Il est de bon ton aujourd'hui de médire du système protecteur ; on le traite de vieillerie usée, de système rétrograde, et l'on exalte le libre-échange comme une des plus belles conceptions du siècle progressif où nous vivons. Laissez faire, nous crie-t-on, laissez passer, supprimez et tarifs et douaniers ; chaque peuple, chaque individu, affranchis des entraves actuelles, trouveront aisément place au soleil de la concurrence qui luira pour tout le monde, et ils s'enrichiront rapidement sans l'intervention gouvernementale. Voilà le langage dont on nous a étourdis depuis quelques années. La thèse est séduisante et surtout facile. Le « free trade » fait table rase de tout ce qui est. Son principe renverse tous les autres. Fi des statistiques, des comparaisons, des calculs, des ménagements, de tout qui préoccupe les économistes pratiques ! Le « free trade » est l'opinion favorite des esprits à la fois enthousiastes et paresseux qui reculent devant la peine d'étudier l'opinion contraire. Le « free trader » n'est embarrassé de rien ; à qui lui parle tarifs et transactions internationales, il répond invariablement par ces deux mots sacramentels, libre-échange, et il vous ferme la bouche. Le « free trade » c'est la fameuse tarte à la crème d’une comédie de Molière. Faut-il s'étonner que tant de gens embrassent un système économique d'une simplicité si décevante, une religion nouvelle qui impose si peu d'obligations à ses adeptes, et dont la pratique est si commode?
Je doute pourtant que le libre-échange, prêché naguère avec ardeur et avec un certain éclat dans la ville où j'ai l'honneur de vous adresser la parole, messieurs, ait conservé tous ses apôtres et tous ses néophytes. Des abjurations assez nombreuses semblent avoir eu lieu; du moins est-il certain que les prédicateurs du libre-échange ont perdu de leur zèle, car ils n'élèvent plus la voix nulle part, pas même en Angleterre, leur Jérusalem à eux. Peut-être aussi ne se sont-ils effacés qu'à cause de la disparition de leurs auditeurs. C'est une question à vider.
Quoi qu'il en soit, les douanes sont restées debout, et, n'en déplaise aux savants docteurs du « free trade », elles menacent de rester debout encore fort longtemps. Toutes les industries belges sont protégées, hormis une seule, la principale, la plus intéressante, celle qui a sauvé cent fois le pays, celle qui a rendu au trésor d'immenses services, celle qui tout récemment encore a maintenu l'honneur du nom belge, celle qui est la base essentielle de l'ordre public, celle qui occupe trois millions de nos compatriotes, celle qui a tant souffert pendant la disette de 1845 à 1847, celle qui souffre à cette heure même, celle qui, malgré sa détresse, entretient à ses dépens la moitié de nos pauvres, celle qui mérite plus que jamais d’être encouragée, parce qu’elle a encore de grands progrès à réaliser et parce qu’elle est un port pour les naufragés des manufactures ; en un mot, celle qui a créé des citoyens sages, des hommes courageux, de bons soldats : vous avez nommé l'agriculture. Elle seule est hors du droit commun, elle seule est abandonnée aux hasards de la concurrence étrangère, et, qui plus est, condamnée à faire les frais de la protection dont d'autres jouissent.
Je n'hésite pas à le reconnaître, messieurs, en défendant l'agriculture je me préoccupe surtout de l'agriculteur. Ce qui m'intéresse, c'est moins la terre, que l'homme qui la féconde par sa sueur. Je ne réclame pas pour lui la richesse, le superflu, les loisirs après de rudes travaux. Il ne demande pas tant, il est sobre par habitude, résigne par devoir. Mais il a le droit de compter sur votre justice et sur votre logique. Or, vous manqueriez à l'une et à l'autre si vous mainteniez un état de choses dans lequel le cultivateur paye des primes à toutes les applications du travail national sans recevoir la moindre compensation de ses sacrifices. Il paye la toile, le drap, le colon, la chaussure, le feutre, la soie, le sucre, la faïence, le fer, le cuivre, tous ses vêtements, tous ses ustensiles plus cher qu'il ne se les procurerait sous le régime du libre-échange; il acquitte de ce chef un véritable supplément de contributions; il le fait gratuitement car il n'est guère intéresse, lui, à la prospérité des industries nationales; il saurait, à la rigueur, se passer d'elles, tandis qu'elles ne peuvent se passer de lui, et vous le forceriez de payer encore une prime déguisée à l’agriculture étrangère ! Non, l’iniquité serait trop flagrante.
Vous sentez-vous le courage de proclamer la liberté du commerce ? Faites-le, le paysan ne s’en plaindra pas. Il ne vendra pas ses denrées moins cher qu’aujourd’hui, et il achètera à meilleur marché les produits dont il a besoin. Mais si vous conservez la douane, qu'elle lui serve de bouclier comme à ses compatriotes des villes. Il ne vous a1 pas donné la droit de le traiter plus durement qu'eux.
Messieurs, bien que je représente plus particulièrement dans cette enceinte un district agricole, mon langage ne saurait vous paraître suspect de partialité ni de flatterie électorale, car je le tiens depuis seize ans, depuis une époque où je ne m'attendais certes pas à l'honneur de parler un jour devant cette assemblée au nom de quarante mille campagnards. J'ai toujours dit de l'agriculture ce que j'en dis aujourd'hui. Ma sincérité doit vous sembler d'autant moins douteuse que je professe des idées tout à fait favorables au développement de nos fabriques, de nos manufactures, de nos usines, de nos constructions navales, de notre commerce, etc.
Ainsi, je consens à ce que le trésor accorde des avantages, quelque, coûteux qu'ils soient, à toutes les industries viables, à toutes les branches de commerce, qui sont appelées à fleurir. Lorsqu'on est personnellement aussi désintéressé que je le suis dans la rédaction des lois de douane et de finance, et lorsqu'on a le courage de prodiguer les primes aux sucres, à la marine marchande, aux toiles, aux laines, à une foule de produits purement industriels, on ne peut être soupçonné de nourrir un amour exclusif et envieux pour l'agriculture.
Je le déclare toutefois : si celle-ci n'obtenait pas justice, si toutes les faveurs du trésor étaient réservées au travail des villes, si cette malheureuse faute était commise, j'accueillerais avec beaucoup moins de répugnance les doctrines du « free trade », peut-être même me croirais-je obligé, un jour, pour sauver des intérêts dont rien, à mes yeux, na compenserait la perte, d'arborer le drapeau du libre-échange avec la même ardeur que je le repousse en ce moment.
Que ceux qui ne professent qu'à demi le libre-échange y prennent garde : s'ils persistaient à blesser l'agriculture au cœur, ils pourraient bien rencontrer des auxiliaires là où ils ne comptaient pas les trouver et où j'ai lieu de croire qu'il ne les cherchent pas, dans les rangs des travailleurs agricoles.
Mieux éclairés sur leurs intérêts méconnus, ces derniers ne manqueraient point d’interpréter à leur profit la doctrine de M. Cobden, et d’appliquer la peine du talion à l’industrie et au commerce. J’avoue que mes votes sur certains projets de loi dont nous aurons à nous occuper seront un peu influencés par la solution que la chambre donnera au problème économique qu'elle examine en ce moment.
C'est une remarque que j'adresse en particulier à ceux de mes honorables collègues qui considèrent l'agriculture comme le premier des intérêts nationaux.
Il ne faut pas se le dissimuler, messieurs, si le travail agricole fut toujours abandonné à ses propres ressources, c'est qu'il est modeste, patient, isolé, inoffensif. Il souffre en silence, loin des regards des gouvernants, des journalistes et de cette partie du public qui influe sur les décisions de la législature. Les malheurs qu'il éprouve sont les derniers qu'on songe à guérir, par la raison bien simple qu'ils éclatent seulement alors qu'ils sont devenus intolérables. L'agriculture ne forme pas des clubs bruyants, elle ne fait pas d'émeutes, elle ne connaît pas les barricades, elle respecte la force publique sans presque la connaître; ce n'est pas pour elle que les ateliers nationaux ont été inventés. Elle dépérit sans bruit, à peine entend-on ses murmures, elle est d'autant plus cruellement délaissée qu'elle mérite moins de l'être. Elle porte la peine de ses vertus. L'histoire l'atteste à chaque page.
Un préjugé, que je qualifierai de déplorable, s'est accrédité depuis un quart de siècle. On a dit, on a cru que l'agriculteur était personnellement désintéressé dans la valeur vénale de ses produits, et que les grands propriétaires profitent seuls de l'élévation du prix des céréales. Rien n'est plus faux, messieurs, le paysan ne vit dans l'aisance que lorsque le blé est cher ; il n’a que le strict nécessaire quand le blé est à bas prix, et il souffre quand le blé descend au taux où nous le voyons aujourd’hui. Le prix des céréales n’influe point ou guère sur les chiffres des baux. Ceux-ci peuvent s’élever en présence de l’avilissement des denrées agricoles, car ils sont réglés d’après la demande de la terre, c’est-à-dire d’après l’accroissement de la population, et la concurrence que les fermiers acquéreurs font aux acquéreurs rentiers. Les baux s'élèvent à mesure que la valeur des champs augmente, et celle-ci augmente à mesure que les fermiers deviennent propriétaires ruraux. L'élévation des baux est un signe de prospérité agricole, une seule cause peut les faire baisser, c'est l'appauvrissement des campagnes, c'est l'impossibilité où l'on mettrait les travailleurs courageux et honnêtes d'acquérir le champ qui est le but de toute leur ambition.
L'élévation des baux, objet de tant de doléances, ne m'a jamais inquiété, d'abord parce qu'il est impossible d'y mettre obstacle à moins de poser le pied sur le terrain des socialistes, ensuite parce .qu'elle est un indice certain de prospérité agricole. Loin de m'en effrayer, je l'accueille plutôt avec joie comme une preuve que les campagnes se peuplent, que la culture se perfectionne et que les fermiers deviennent peu à peu propriétaires.
Messieurs, avez-vous jamais entendu les villes se plaindre du haut prix des loyers ? Je ne le pense pas. Pour ma part, il ne m'est point encore arrivé de voir dépeinte comme un malheur public la cherté dos magasins et des maisons urbaines. Au contraire, quand les loyers s'avilissaient, quand les demeures restaient vides, on s'est toujours aperçu que la population (page 332) était dans la gêne, que le mouvement commercial et industriel diminuait.
Je gage que les habitants de notre bonne ville de Bruxelles, y compris les locataires, seraient désolés si le prix des loyers baissait de moitié. Ils auraient raison de l'être, car ce phénomène serait le signal de leur ruine.
S'il en est parmi nous, messieurs, qui font des vœux pour que les baux s'abaissent, qu'ils prennent patience; ils ne tarderont pas à être satisfaits pour peu que l'agriculture continue de décliner chez nous. Pour ma part; je ne forme pas ce vœu illibéral et anti-civilisateur. Sachant que le prix de la terre augmente à mesure que la civilisation se développe, et que les champs ne sont nulle part à meilleur marché que chez les sauvages, je souhaite de toute mon âme que la valeur du sol belge s'élève encore du double. Plus il sera cher, et plus la Belgique aura de crédit à l'étranger, plus elle aura de richesses. Un pays ne vaut que ce que vaut son sol. Je croirais émettre un vœu sacrilège, j'allais dire barbare, si je désirais un amoindrissement de la valeur du sol de ma patrie, en d'autres termes son appauvrissement. Que d'autres se plaignent que la terre belge soit cotée à trop haut prix. Moi, j'en suis fier.
Je viens de dire que nos institutions ne fournissent aucun moyen de réduire les baux, et que ce résultat, loin d'être désirable, serait accompagné de la ruine de l'agriculture, qui entraînerait la ruine générale. J'ajouterai qu'on a grandement tort de croire que le sol rural est possédé par un petit nombre de personnes. Les citoyens riches, c'est-à-dire ceux qui ont 10,000 francs de rente, n'en possèdent pas la dixième partie. Le reste appartient aux petits rentiers, aux industriels, aux commerçants, et aux établissements de bienfaisance et surtout aux agriculteurs. Ces derniers en ont déjà une large part qui s'agrandira infailliblement si le travail agricole est bien rémunéré.
Ainsi dans l'hypothèse où les propriétaires absorberaient tout le bénéfice résultant de la cherté des céréales (ce que je conteste, attendu que le travailleur en recueille sa part), les riches ne figureraient dans le partage que pour un dixième, et neuf dixièmes seraient réservés aux autres catégories de propriétaires qu'on n'a pas enviées jusqu'à présent. Or, messieurs, ne perdons pas de vue que le marché intérieur est et restera le principal débouché de notre industrie et de notre commerce ; que les villes manufacturières sont intéressées à ce que l'agriculture fleurisse, puisque celle-ci règle sa consommation sur ses bénéfices. Je n'hésite pas à dire que les mauvaises récoltes de 1845 et 1846, et le bas prix des céréales depuis la fin de 1847 jusqu'à ce jour, sont la cause principale des souffrances de l'industrie et du commerce belges.
En effet, nos exportations, d'ailleurs insignifiantes eu égard à notre consommation, n'ont pas assez diminué pour expliquer le ralentissement signalé dans le mouvement de la production manufacturière et des échanges. La pauvreté des campagnes a réagi sur les villes, tout le monde a restreint ses achats au strict nécessaire, et cette économie forcée a causé le malaise général.
Il importe donc que les travailleurs agricoles vivent dans l'aisance. L'équité l'ordonne, la politique le commande, les intérêts de la civilisation l'exigent. Qui ne sait que le progrès des lumières suit le progrès du bien-être matériel, et que le meilleur moyen de répandre l'instruction dans les campagnes est d'y rendre le travail productif et la vie facile? Les paysans anglais ne sont les paysans les plus éclairées du monde entier, que parce que des lois protectrices leurs assurèrent pendant des siècles le monopole de la consommation intérieure.
On m'objectera que l'Angleterre est à la veille d'exécuter un système libéral en ce qui concerne les denrées alimentaires, et que dans quelques semaines, elle les admettra à un taux fort modéré.
Je répondrai deux choses : d'abord que l'Angleterre est un pays plutôt industriel et commercial qu'agricole; qu'elle doit favoriser à tout prix ses fabriques et son négoce pour lutter avec avantage sur les marches d'Europe dont la production généralement privilégiée se développe sans cesse; ensuite que l’agriculture anglaise, déjà parvenue à la perfection relative, est notoirement insuffisante pour alimenter les Trois Royaumes.
Il en est autrement en Belgique ; nous sommes une nation agricole avant tout, et nous aurons encore longtemps ce caractère. Fasse le Ciel que nous ne le perdions jamais ! Au risque d'être qualifié de rétrograde, je dirai que l'industrie agricole est la plus solide et la plus morale des industries.
L'agriculture belge a encore de grands progrès à réaliser. Le droit qu'elle réclame sera réellement protecteur et non pas fiscal, comme il l'était devenu chez nos voisins d'outre-mer. Elle ne demande pas mieux que de se perfectionner.
Elle peut produire un quart de plus qu'elle ne rapporte aujourd'hui, par la seule amélioration des procédés en vigueur. Quant à nos bruyères, le revenu en serait cinq à huit fois plus grand que notre déficit annuel de grains si elles étaient fertilisées. Le seul district que je représente comblerait aisément ce déficit.
Je sais qu'il nous manque 300,000 à 400,000 hectolitres de grains par an; mais je ne conclus pas de cette circonstance malheureuse qu'il faille perpétuer cette contribution prélevée sur nous par la Russie et les Etats-Unis, et qui offre des inconvénients réels, dont le moindre n'est pas de nous dépouiller de notre numéraire. Vous n'ignorez pas, messieurs, que le commerce des céréales s'opère argent comptant, et qu'il ne favorise nullement les échanges. Les 180 millions de francs que nous y avons consacrés depuis 1830 ne nous ont peut-être pas fait vendre pour un million de produits manufacturés.
Le premier de nos intérêts est d'élever notre production agricole à la hauteur de notre consommation; il nous commande de nous affranchir du tribut que nous payons à l'étranger, et de ne devoir qu'à nous-mêmes nos moyens de subsistance. Cet intérêt sera satisfait le jour où une culture plus approfondie aura augmenté le revenu de nos terres déjà exploitées et où nos landes restées trop longtemps stériles auront absorbé la main-d'œuvre qui se gaspille honteusement aujourd'hui sur les grandes routes et au seuil de nos portes.
Quoi, messieurs, un million de nos compatriotes manquent de travail et vivent de la charité officielle et privée; nous possédons 200,000 hectares de bonnes bruyères qui peuvent nous fournir trois millions d'hectolitres de blé, et nous dépensons annuellement des sommes énormes pour acheter notre pain à des paysans étrangers ! Ne m'est-il pas permis de dire qu'en agissant ainsi nous méconnaissons les règles d'une saine économie politique?
Vous ne me verrez jamais caresser les préjugés populaires. Ainsi, je ne suis pas de ceux qui font la guerre aux budgets et aux impôts et qui croient sauver le pays en réalisant des économies. Les budgets, quelque gros qu'ils soient, ne m'inspirent aucune répugnance, pourvu qu'ils soient bien employés. Ils sont pour moi une question de dépenses plutôt que de recettes.
Je voterai des augmentations d'impôts chaque fois que l'Etat en aura besoin pour exécuter des projets utiles. En cela, comme en toutes choses; j'écouterai moins la voix de la foule que celle de ma conscience. L'Etat ne peut pas rendre gratuitement les services qu'on réclame de lui. Il n'a pas à sa disposition cette fameuse bourse de Fortunatus qui ne se vidait jamais. Je consentirai à des charges nouvelles parce que j'attends de lui des entreprises nouveIles, entre autres le défrichement de la Campine. Ceci dit, j'ai le droit de combattre un préjugé funeste à l'agriculture, et qui consiste à croire que la Belgique est intéressée à payer 15 fr. le blé étranger plutôt que 18 fr. le blé belge. J'ai ce droit, sauf à démontrer que j'ai raison. C'est ce que je vais essayer de faire en deux mots.
18 fr. de blé représentent 12 fr. de main-d'œuvre. Les 6 fr. restants appartiennent au capital, aux ustensiles et au fisc. Si vous achetez du blé étranger à 15 fr. vous réalisez une économie apparente de 3 fr., mais d'autre part vous perdez 12 fr., enlevés au travail national, dans l'hypothèse généralement vraie que la quantité de grains exotiques introduite dans le pays empêche la production d'une quantité égale de grains indigènes. La perte finale est donc de 9 fr.
Ce calcul ne porte que sur la main-d'œuvre. Il se renforcerait encore dans mon sens si je tenais compte de l'accroissement du capital, des instruments aratoires et du revenu fiscal. Ai-je besoin de prouver qu'il importe au pays de convertir ses bruyères en terres arables afin que la valeur du sol national augmente en même temps que la consommation industrielle et les contributions?
Savez-vous, messieurs, quand nous ferions bien d'acheter à l'étranger pour 15 francs le blé que nous ne saurions produire qu'au prix de 18? C'est quand toutes nos campagnes seraient bien cultivées et tous nos ouvriers occupés. Alors la spéculation serait bonne. Mais posséder 200,000 hectares de bruyères et 400,000 compatriotes valides et oisifs, qui sont encore plus stériles que nos landes; mais avoir nos villes pleines de mendiants et des terres incultes à quelques lieues de Bruxelles; mais prodiguer l'aumône alors que le travail s'offre de lui-même en abondance; mais acheter à la fois du blé et des colonies alors que la Campine est prête à se transformer en un nouveau pays de Waes ; mais fournir de l'occupation aux Cosaques de la mer Noire tandis que nos Flamands restent inoccupés, vraiment, messieurs, c'est là une aberration qui me blesse, me chagrine et m'épouvante !
Vous désirez que l'agriculture prospère, qu'elle emploie les bras disponibles tant à l'amélioration de nos terres fertilisées qu'au défrichement des bruyères ; vous souhaitez que le campagnard vive dans l'aisance afin qu'il puisse cultiver son esprit et participer plus largement à la consommation de nos produits industriels et des denrées coloniales; vous formez tous ce vœu patriotique et civilisateur, mais permettez-moi de vous le dire, messieurs, vous vous flattez en vain d'atteindre ce but sans effort, sans sacrifice.
L'agriculture restera stationnaire, ou plutôt elle reculera d'un demi-siècle si vous décrétez le libre commerce des grains ou la taxe dérisoire proposée par la section centrale. Ce qu'il faut avant tout à l'agriculture, comme à toutes les grandes industries, c'est le capital. Livrée à ses propres ressources, la main-d'œuvre est impuissante. Pour perfectionner son exploitation le fermier a besoin de bras, c'est-à-dire d'argent.
Les améliorations agricoles ne sont en réalité que l'application des bénéfices. En matière de défrichement surtout, le capital, les gros capitaux sont indispensables. Le fruit des bruyères est tardif; le pauvre ne saurait le cueillir; le riche seul peut le moissonner, parce que d'autres ressources lui permettent d'attendre la réalisation de ses espérances. Si les trois quarts de la Campine et des Ardennes offrent encore l'aspect d'un désert, c'est que la sueur de l'homme ne suffit pas pour les transformer en champs fertiles.
Distribuez demain toutes nos terres incultes, je ne dis pas aux pauvres, mais aux petits fermiers, et vous serez étonnés de voir, au bout de quelques années, que par un centiare n'aura été défriché. Le capital est dont indispensable, mais il ne se hasarde que là où les modestes bénéfices sont assurés ou les gros bénéfices probables. Or, l'agriculture est aujourd'hui dans une situation telle que les capitaux tendent à s'en éloigner loin de s'y porter. Que de faits je pourrais citer à l'appui de ma thèse si je ne craignais d'abuser de votre bienveillante attention.
D'après des calculs modérés, la Belgique pourrait employer encore plus (page 333) de 250,000 familles aux travaux agricoles, soit un million d'individus, soit le chiffre de nos pauvres. Ce serait la solution la plus favorable possible du problème du paupérisme. Chacun sent qu'un pareil développement de la première de nos industries augmenterait d'une manière très sensible les revenus du trésor, et agrandirait d'un tiers le débouché national.
Eh bien, messieurs, pour obtenir ce résultat, qui vous sourit sans doute, il suffirait d'élever un peu le prix du pain en limitant au strict nécessaire l'importation des denrées alimentaires, c'est-à-dire en la frappant d'un droit protecteur. L'ouvrier des villes payerait une prime légère à l'ouvrier des champs, mais celui-ci la lui rendrait avec usure. Cet échange de services profiterait à tous les deux.
Je viens de dire que la condition sine qua non du progrès agricole est un droit protecteur. J'ai hâte d'ajouter qu'à mes yeux le droit d'un franc cinquante centimes par hectolitre que je propose pour le froment, et d'un franc pour le seigle, n'offre pas ce caractère. C'est une taxe plutôt fiscale dont le campagnard ne profitera guère. Je la demande aujourd'hui moins en sa faveur qu'afin de venir en aide au trésor obéré. Je la demande aussi comme la consécration d'un principe que je serais fâché de voir méconnu.
Cette taxe modérée nuira-t-elle aux classes ouvrières? Si je le croyais, messieurs, je me garderais bien de la réclamer, car je ne permets à personne de se dire plus dévoué que moi au bien-être des masses. Ma préoccupation constante est de les servir.
On m'accordera que les paysans grands et petits, maîtres et ouvriers, sont intéressés à ce que le prix des céréales ne s'avilisse pas, à ce que le travail agricole soit bien rémunéré. Je mets donc de côté les deux tiers de la population belge qui désirent la cherté du pain, loin de la craindre. L'autre tiers se compose de familles aisées et de ménages laborieux qui achètent les produits de la terre. Voyons ce que leur coûterait l'adoption de mes chiffres.
Supposons qu'on importe l'an prochain en Belgique, 220,000 hectolitres de froment et 80,000 de seigle. Les droits à payer de ce chef s'élèveront à la somme de 330,000 fr., pour le froment et de 80,000 fr. pour le seigle, total 410,000, c'est-à-dire à dix centimes par individu et par an ! L'entendez-vous, messieurs? Dix centimes par an et par individu ! Pas un centime de plus, car ces droits modérés n'exerceraient pas d'influence sur les prix du blé belge. Ceux-ci ne hausseraient que dans l'hypothèse où le droit serait réellement protecteur, soit de 3 à 4 francs par hectolitre. (Interruption.)
Puisque quelques honorables membres m'interrompent sur ce point et marquent de l'incrédulité, je leur ferai observer que les prix des céréales peuvent rester très bas, quoique protégés d'une manière sérieuse. Ainsi, en France, où l'importation est suspendue depuis plusieurs mois, le froment et le seigle valent moins qu'en Belgique, où le « free trade » est en vigueur. Ainsi encore, des blés belges ont été expédiés celle année en Angleterre, quoique les droits perçus dans ce pays soient assez élevés. Sous le régime de notre loi de 1834, le prix du froment a rarement atteint le chiffre de 20 francs, et cependant l'entrée du froment étranger était interdite lorsque ce chiffre n'était pas dépassé. Vous le voyez, messieurs, pour que le pain soit à bon marché, il n'est pas absolument de rigueur que nous invoquions le secours des Cosaques. Les droits que je propose d'établir auraient tout au plus pour effet d'arrêter la baisse et de relever un peu le moral des cultivateurs. Eh bien, j'aurai encore le courage de le proclamer, cela ne serait pas un mal, car le blé se vend à trop bas prix en ce moment, eu égard aux impôts et à la valeur des produits industriels et coloniaux. Seize francs 65 centimes laissent le paysan en perte.
Le droit proposé par la section centrale représente pour l'ouvrier un sacrifice annuel de quatre centimes! Je me sers du mot sacrifice, parce qu'il a été prononcé, mais je vous le demande, n'a-t-il pas été employé abusivement?
Messieurs, je termine ce discours d'une longueur fatigante pour vous et pour moi, mais trop court pour la matière, en vous déclarant avec une conviction profonde que le principal remède au paupérisme git dans l'extension de notre agriculture, et que le travail industriel et commercial, quelques développements qu'il prenne grâce à vos efforts éclaires et à vos généreux sacrifices, ne saurait jamais fermer la plaie honteuse dont nos provinces souffrent. Or, dans l'état actuel des choses, loin de pouvoir secourir la partie inoccupée de la population manufacturière, l'agriculture découragée voit, elle aussi, augmenter le nombre de ses pauvres. Elle vit de privations, elle qui a sauvé le pays par le don d'une belle récolte dans cette fatale année de 1848, et de toutes nos industries elle est la seule qui n'ait pas profité de ce bienfait providentiel. Je vous en conjure, messieurs, ne lui donnez pas le coup de grâce par la proclamation du libre-échange, pur ou déguisé.
M. Delehaye. - Ce n'est pas à l'occasion d'une loi transitoire que je répondrai aux considérations que vient de développer l'honorable préopinant. Comme lui, je suis partisan de la protection que peut réclamer l'agriculture. Ce n'est pas, je pense, quand, de toutes parts, vous avez applaudi à la sollicitude manifestée par tous les corps délibérants en faveur de toutes les branches d'industrie quelconque, que vous pourriez repousser la protection que réclame l'agriculture. Je suis heureux de me joindre à l'honorable préopinant dans le développement de sa proposition, que je repousse cependant.
Je reconnais que l'administration actuelle est entrée dans une voie qui, dans quelque temps, sera très fertile pour le pays. Les institutions favorables à l'agriculture, qu'il a créées, lui rendront de plus grands services que ne pourrait le faire un tarif quelconque; mais une protection semblable accordée par le gouvernement peut-elle suffire à l'industrie agricole? Quand vous accordez une protection en argent à toutes les branches de la richesse publique, vous devez accorder une protection analogue à celle qui exerce une influence immense sur toutes les autres industries.
La chambre sait qu'on aurait beau accorder protection à toutes les autres industries, si l'agriculture est en souffrance toutes les autres le seront également. Nier que les campagnes étant dans la misère, les grands centres de population ne peuvent pas être dans l'aisance, serait la plus grave erreur.
Si l'agriculture souffre, toutes les autres industries souffrent également. Est-ce à dire qu'il faille immédiatement accorder à l'industrie agricole la protection que demande pour elle l'honorable préopinant?
Si je veux qu'on la protège, je proteste contre la manière dont cet honorable membre veut le faire.
Ne perdez pas de vue que pendant deux années la Belgique s'est trouvée dans une position très fâcheuse. On venait de toutes parts réclamer de subsides», de l'argent pour venir au secours de toutes les souffrances. Dans les villes comme dans les campagnes, partout les épargnes ont été épuisées ; quand toutes ces ressources ont été absorbées, que les plaies sont à peine cicatrisées, est-ce le moment d'imposer de nouveaux sacrifices aux populations ? Ne faut-il pas ajourner la question que soulève l'agriculture, pour un moment plus opportun ? Ce n'est pas au sortir d'une crise qui a duré deux années, que nous pourrions sérieusement songer à augmenter le prix des denrées alimentaires.
J'ai dit que j'étais partisan de l'agriculture, que je réclamais pour elle une protection, aussi ai-je vu avec bonheur que la section centrale, d'accord avec le gouvernement, proposait un droit de 30 centimes. Ce droit n’est que de quelques centimes moindre que celui qui existe en Hollande, et supérieur de quelques centimes à celui établi en Angleterre; mais il n'est pas comparable à celui de la France où existe toujours l'échelle mobile pour l'entrée et la sortie. Toujours est-il que ce droit, supérieur au droit anglais, inférieur au droit hollandais, n'est pas à dédaigner. Même ce droit fut-il moindre, que je l'aurais encore accueilli avec bonheur ; comme je l'ai dit, tôt ou tard la conséquence forcée de rétablissement de ce droit sera d'accorder une protection plus efficace à l'agriculture ; car c'est un principe que vous proclamez. Vous ne vous bornez plus à proclamer votre sollicitude pour l'agriculture, vous lui en donnez une preuve, vous admettez au banquet de la protection l'agriculture qui jusqu'ici en était exclue.
C'est la reconnaissance d'un principe qui sera fécond plus tard, quand il ne restera plus de trace des souffrances occasionnées par la crise que nous venons de traverser. C'est alors qu'invoquant la résolution d'aujourd'hui vous pourrez demander une protection plus efficace. Comme je l'ai dit en commençant, je regrette que mes paroles ne rencontrent pas l'assentiment de tous mes voisins. La protection accordée à l'industrie agricole exercera la plus heureuse influence sur toutes les autres industries, car pour elles les consommateurs les plus importants sont les consommateurs des campagnes. Si vous leur accordez une protection raisonnable, vous leur donnez les moyens de consommer les produits des autres industries.
Je n'en dirai pas davantage pour justifier mon opinion et le vote que j'émettrai. Qu'il me soit permis pourtant d'invoquer une dernière considération, qui a déjà été présentée par l'honorable membre qui a pris la parole.
De toutes parts on réclame des subsides, dans l'intérêt de l'industrie agricole, pour venir au secours de quelques provinces qui contiennent un grand nombre d'hectares de landes et de marais. La dixième partie environ de notre sol reste à défricher. Mais le défrichement n'en est possible qu'avec une protection efficace ; car on ne se livrera à cette opération que si un certain bénéfice y est assuré.
Ces considérations suffisent pour justifier mon vote.
Je regrette qu'un honorable membre soit entré dans des développements très étendus ; car cette discussion ne comporte pas des considérations générales sur l'agriculture.
Cette matière est trop vaste pour être discutée incidemment. Pour que la chambre s'en occupe, il faut qu'elle soit à l'ordre du jour et que chaque membre de la chambre ait pu l'étudier. Le moment n'est pas venu de s'occuper de cette question. Nous avons à discuter un projet de loi qui a l'avantage, sinon d'avoir été présenté par le gouvernement, au moins d'avoir obtenu son adhésion. La section centrale proclame le principe de la protection pour l'agriculture. Le gouvernement, en s'y ralliant, a acquis de nouveaux titres à la reconnaissance du pays.
M. de Mérode. - Je viens m'opposer à l'ajournement proposé contre l'amendement de M. Coomans par l'honorable M. Delehaye, qui s'est montré plein de bienveillance pour l'agriculture, mais en remettant les effets de sa bonne volonté à une époque indéfinie. Malgré le prix excessivement bas auquel sont descendues les céréales, le gouvernement vous demande la prorogation de la loi qui permet la libre entrée de toutes les substances alimentaires jusqu'à ce qu'on vote une loi définitive sur la matière. Or ces espèces de lois ne sont jamais définitives. Elles changent avec les idées qui prévalent successivement dans la société et qui sont variables, parce que les circonstances le sont aussi. Y a-t-il maintenant un motif réel de ne tirer aucune recette des grains produits sur le sol étranger et mis en consommation en Belgique; tandis que les blés produits sur le sol belge payent leur tribut à l'Etat par la contribution foncière? Ce motif existait il y a deux ans lorsque les substances (page 334) alimentaires atteignaient un prix très élevé C'était un appauvrissement pour le pays que cette dépense énorme faite au profit de l'agriculture étrangère, laquelle était loin de se payer avec des produits manufacturés de nos industries; mais la nécessité l'emporte sur toute autre considération. Heureusement elle n'était que temporaire. Elle n'existe évidemment plus aujourd'hui Procurer à l'ouvrier belge des aliments à bon compte, serait sans doute un avantage très grand pour lui si ce bon marché venait exclusivement de l'abondance des récoltes en Belgique; mais si nous y permettons même dans les époques d'abondance et sans taxes convenables l'introduction permanente des substances alimentaires venant du dehors, nous priverons l'ouvrier belge de tout le travail que lui procurerait l'argent « dépensable » en Belgique (passez-moi le barbarisme), et qui en est exporté au profit de l'ouvrier étranger pour acquérir les objets qui sont le fruit du travail de celui-ci. Donnez, en effet, au peuple, en Belgique, du pain à un centime la livre, s'il n'a pu gagner ce centime il jeûnera devant le bon marché, tandis que s'il a gagné cent centimes il, vivra même en payant ce même pain 20 centimes.
Il est triste et fastidieux de devoir répéter sans cesse des vérités si simples; mais c'est la corvée que doit subir avec patience et dévouement tout homme qui accepte le mandat de représentant et qui veut le remplir en conscience. Un esprit éminent, M. Thiers, ne s'est-il pas condamné à prouver l’abc de la civilisation, le droit de la famille et de la propriété ?
Un pays pris dans son ensemble a intérêt à consommer ce que produit son sol autant que faire se peut, lorsqu'il est surchargé d'une nombreuse population à laquelle il importe de procurer ainsi de nombreux moyens de travail et de rémunération par le travail ; c'est ainsi que je comprends le droit au travail, mot dont on abusait ailleurs en portant ses conséquences à l'impossible, mais que l'Etat doit reconnaître en faisant tous ses efforts pour l'assurer dans les limites du possible.
Ainsi nos campagnes produisent du froment et du seigle, et certaines terres ne sont susceptibles de fournir que la seconde de ces graines alimentaires, à laquelle la première est généralement préférée. Or, si vous admettez toujours en libre entrée le froment étranger, il arrivera que certaines années de grandes récoltes, soit en Europe, soit en Amérique, le seigle ne se vendra pas en Belgique ce qu'il coûte à produire, et l'argent belge qu'eût obtenu le cultivateur belge, ira dans les mains du cultivateur russe ou américain, et certes celui-ci ne fera pas bâtir en Belgique et n'y fera pas faire ses habits ou ses meubles, employant nos maçons, charpentiers, tailleurs et autres; il ne viendra pas davantage acheter dans nos boutiques; il achètera dans les siennes. Ainsi seront diminués chez nous les moyens de travail d'une manière infaillible.
Les partisans du libre-échange nient ce résultat, je le sais; parce qu'ils supposent qu'ayant tout au plus bas prix, vous fabriquerez à bas prix et vendrez en conséquence vos produits au-dehors plus aisément, à cause de leur bon marché.
Malheureusement, ce dehors ne dépend pas de nous ; on y fait des lois de douanes bon gré, malgré nos combinaisons, et contre les hypothèses du système grandiose qui court après les débouchés de l'univers en perdant de vue notre propre terrain.
Mais si l’on voulait absolument agir avec équité dans ce système, il faudrait admettre la libre entrée du charbon, du fer et de tous les tissus, pour que chacun pût aussi se chauffer, pût construire, enfin se vêtir au plus bas prix possible. Or, tel n'est pas le principe de notre législation. Les douanes forment une branche de revenus pour le trésor, et sont un moyen de soutenir la concurrence dans l'intérieur, contre les fabriques de l'extérieur.
Il est donc de toute justice que l'agriculture belge ne soit pas traitée plus mal que les autres industries, il est de toute justice que les substances alimentaires venant d'Amérique ou d'autres pays, où l'impôt foncier n'est point perçu comme en Belgique, payent à notre budget un tribut au moins égal à celui qu'on exige de notre sol. Aussi je distingue volontiers les pays de provenance sur cette question. Le blé en France, et même en Allemagne, est produit à peu près aux mêmes conditions que le nôtre, il peut y avoir réciprocité entre ces pays voisins dans l'affranchissement de tout impôt sur les céréales, parce qu'il y a égalité approximative de charge pour les agriculteurs respectifs de ces contrées. Mais il n'en est plus de même pour les arrivages par voie de mer; là le concurrent n'offre plus cette égalité, cette réciprocité qui rendent l'échange mutuel. De longtemps, je pense, nous n’enverrons nos céréales en Amérique, à Odessa ou à Dantzig. Je lis dans un journal de ce matin, grand partisan du libre-échange, les lignes qui suivent : « Le seigle est à si bas prix, que beaucoup de campagnards le substituent aujourd'hui à la pomme de terre pour l'engraissement de certains animaux », et plus bas : « Les cultivateurs se plaignent du bas prix auquel est tombé le bétail, aussi bien le gras que le maigre. » Eh bien, l'avilissement du prix n'amène point l'exportation du seigle ; on le donne aux bœufs ou aux porcs.
Ainsi donc, bas prix de toutes parts pour les produits agricoles dépourvus de toute protection, sous prétexte qu'il faut donner les vivres à bon compte à l'ouvrier. Puis surexcitation de la production industrielle à l'aide de moyens factices, comme la création et l'exploitation à perte par l'Etat de voies de communication fastueuses, qui enlèvent au trésor public, chaque année, cinq, six et sept millions, au lieu de produire des recettes considérables, qui, selon les promesses de 1834, devaient remplir le même trésor à la décharge des contribuables.
Le gouvernement a offert aux agriculteurs l'occasion solennelle de montrer ce qu'ils savent extraire de notre sol. Mais à quoi servirait aux fabricants belges de montrer à nos expositions les objets qu'ils produisent si, devant payer à l'Etat des patentes, des impôts de portes et fenêtres et du fonds qu'occupent leurs établissements, ils voyaient les produits similaires de l'étranger exemptés de toute redevance quelconque en Belgique? Que diraient les exploitants des houillères belges si on les frappait d'un impôt assez élevé et qu'on admît en franchise de droits l'introduction des charbons anglais? Que diraient les carrossiers de Bruxelles, dont les voitures sont prohibées en France, en attendant l'Eldorado universel du libre-échange, si le gouvernement ouvrait ses bras sympathiques aux voitures de Paris, que certains préfèrent comme plus parfaites, et permettait aux carrossiers de manger le blé russe ou américain à bon compte, quand toutefois il leur resterait en poche quelque chose pour le payer, bien entendu ?
Hier j'entendais un représentant de Liège se plaindre de ce qu'on n'accordait pas assez à sa ville, qu'un honorable ex-ministre des travaux a pourtant dotée récemment d'un canal latéral à la Meuse qui coûtera 7 à 8 millions. J'ai entendu cet honorable membre se plaindre de ce qu'on ne canalisait pas toute la Meuse, de ce qu'on ne faisait pas encore une station au centre de la cité dont il est mandataire; si je pouvais conduire cet honorable membre dans nos villages, aux portes mêmes de Bruxelles, je lui montrerais les bourbiers à travers lesquels nos cultivateurs arrachent les fumiers pour porter ces engrais sur leurs terres ou même leurs denrées sur les marchés. Je lui montrerais les montées rapides et sablonneuses des environs de Wavre et ailleurs où le découragement s'empare du conducteur des meilleurs attelages, lorsqu'il est obligé de les franchir avec une charge des plus médiocres. Mais ces villageois moins habiles, disséminés et surtout moins favorisés dans notre système électoral qui leur impose une large contribution de temps et de frais de transport et leur permet bien plus difficilement de s'entendre, leur ôte toute égalité réelle et sincère vis-à-vis du commerce des grandes villes, qui se concerte, au contraire, avec toute facilité, et se fait craindre des ministres, lesquels consultent souvent les chambres de commerce, mais jamais l'agriculture. Et lorsque je dis les ministres, je ne parle pas seulement du ministère actuel, mais, en général, et en faisant peu d'exceptions au passé comme au présent ; et quant à celui-ci, la loi qu'on nous présente prouve surabondamment mon affirmation.
Cependant, messieurs, ce n'est pas faute de besoins de recettes que l'on ouvre les bras gratis aux subsistances venant du dehors, puisque des impôts nouveaux, accompagnés de formes inusitées depuis 1830, sont proposés. Pourquoi donc renoncer encore à des recettes établies par les lois existantes et qui n'ont été suspendues qu'en raison des circonstances spéciales, lesquelles n'existent heureusement plus ?
J'admire toujours avec quelle aisance on enjambe les intérêts financiers de l'Etat, avec quelle légèreté on traite les ressources qui servent pour chacun et pour tous à la garantie de ce qu'ils possèdent ; j'admirais aussi, ou je déplorais plutôt, quand j'allais en France, l'insouciance avec laquelle on y considérait les atteintes portées au respect dû à l'autorité supérieure, respect qui, dans un gouvernement libre, ne s'oppose point au contrôle, mais à l'injure factieuse, au systématique dénigrement. On en parlait comme si dans cette autorité ne reposait pas la sécurité, la fortune publique et privée. Ici, grâce à Dieu, rien de semblable à regretter pour l'autorité de la part du grand nombre. Mais à l'égard du nerf matériel de l'ordre social, la bonne gestion des finances, on n'en prend nul souci; le gouvernement en première ligne donne l'exemple de l'abandon des voies et moyens auxquels le pays est accoutumé, et qui se perçoivent, comme les droits de douane sur les arrivages maritimes, sans aucune vexation pour les contribuables, comme les péages qui sont la juste rémunération de services rendus, on le produit d'un domaine public; il les abandonne en cherchant des contributions qui ne se perçoivent qu'avec la plus grande répugnance de la part des imposés et avec des formalités inévitablement tracassières et qui, de plus, enlevant au particulier qu'elles atteignent des sommes considérables en un seul jour, affectent péniblement sa fortune.
Le gouvernement oublie, en outre, et cependant l'expérience le démontre suffisamment, combien il est difficile de mettre d'accord une majorité sur une taxe nouvelle. Chacun a la sienne en poche qu'il préfère, s'imaginant que sa préférence prévaudra.
De ce que je viens de dire, la conclusion est simple : c'est qu'au profit du trésor, si ce n'est pour la protection justement due à l'agriculture puisqu'elle est accordée aux autres industries, il ne faut point proroger la suspension de la loi encore en vigueur sur les droits applicables aux substances alimentaires, venant par voie maritime de l'étranger. Et n'espérant pas obtenir entièrement cette suspension, je voterai au moins pour les propositions de l'honorable M. Coomans.
M. Cans. - Messieurs, la loi qui nous est soumise n'étant qu'une loi transitoire, il pourrait sembler superflu de discuter actuellement le principe sur lequel elle repose; mais la section centrale ayant cru devoir modifier le projet du gouvernement, et un honorable membre ayant encore enchéri sur la proposition de la section centrale par l'amendement qu'il a présenté, je viens combattre l'un et l'autre.
L'établissement d'un droit d'entrée, quelque faible qu'il soit, n'est qu'un premier pas rétrograde vers une voie dangereuse dont quelques années de disette nous avaient fait sortir. La section centrale veut encourager le travail agricole, mais elle n'a pas foi elle-même dans le remède qu'elle propose ; elle limite la durée de la loi à un an ; ce n'est en quelque sorte qu'un essai. Lorsque l'essai aura été tenté, on ne tardera pas à s'apercevoir qu'il (page 335) ne produit pas les effets que ses auteurs s'en promettent : par les mêmes raisons que l'on fait valoir maintenant, on attribuera la non-réussite à l'insuffisance du droit et on viendra tout naturellement proposer de l'augmenter.
Une fois engagés dans ce prétendu système de protection, nous marcherons rapidement d'élévation de tarif en élévation plus grande, comme l'expérience du passé nous l’a fait voir, jusqu'à ce qu'une nouvelle calamité oblige à revenir à l'abolition des droits.
Il ne s'agit donc pas seulement ici de la proposition de la section centrale ou de l'amendement de l'honorable M. Coomans; les principes mêmes sur lesquels se basent les conditions du bas prix des subsistances sont mis en question.
Je suis partisan d'un encouragement sage à accorder à l'agriculture, pour faciliter sa marche, quelquefois trop lente, vers les perfectionnements successifs qu'elle peut atteindre ; mais je ne crois pas que le moyen à adopter pour parvenir sûrement à ce but soit de grever les produits étrangers, en établissant des droits protecteurs de nos grains.
L'effet immédiat de ces droits est d'élever le prix des denrées, non seulement des denrées importées après avoir acquitté les droits, mais encore de toutes celles qui proviennent de la récolte du pays.
C'est de ce résultat, superficiellement observé, que naît l'erreur de ceux qui pensent que l'établissement des droits d'entrée sur les céréales protège l'agriculture.
Les produits de l'agriculture comme ceux de toutes les autres industries doivent servir à rétribuer le travail de l'homme, la jouissance du capital nécessaire et de plus la rente territoriale.
En première ligne ils fournissent la rémunération du salaire des travailleurs, le service du capital d'exploitation, le renouvellement du matériel, le payement de l'impôt foncier. Si ces débours n'étaient pas couverts, l'exploitation deviendrait impossible.
En seconde ligne, viennent les profits du cultivateur et le fermage.
Si, par l'établissement de droits d'entrée sur les produits similaires, on amène une hausse forcée des prix de vente, il ne sera pas, pour cela, affecté une somme plus forte ni au salaire ni à l'intérêt: ces éléments ne varient guère, et l'impôt restant le même, les profits du cultivateur seront seuls augmentés de la différence.
Voilà pourquoi les droits d'entrée sur les céréales sont populaires dans nos campagnes; le cultivateur ne prévoit pas ce qui doit suivre, il sent une amélioration qu'il croit devoir être durable; au bout de quelques années le malaise recommence.
C'est que l'augmentation des profits du cultivateur due à l'établissement des droits disparaît bientôt, car à l'expiration de son bail, la hausse du prix étant continue et l'accroissement constant de la population déterminant une demande plus vive des terres, le bénéfice passera du cultivateur au propriétaire, comme je le démontrerai tout à l'heure.
Je demande maintenant quelle part de ce bénéfice recueilli d'abord, pendant peu de temps, par le locataire, ensuite par le propriétaire, sera affectée à l'amélioration de l'agriculture ; car il ne faut pas le perdre de vue, c'est là le but des deux propositions qui nous sont faites. Je n'hésite pas à répondre que cette part sera nulle ou presque nulle, et voici pourquoi.
Le locataire qui voit approcher la fin de sa jouissance, se garde bien de faire des débours extraordinaires dont il n'est pas sûr de recueillir les fruits; les améliorations qu'il pourrait apporter à sa culture dans la dernière période qui précède le renouvellement de son bail, rendraient le propriétaire plus exigeant; il n'applique donc pas à la terre le bénéfice dû à la hausse des prix.
Les propriétaires qui ont vu depuis un demi-siècle le taux des fermages aller en augmentant à chaque renouvellement de bail, croient en général que c'est une chose toute naturelle. Un grand nombre d'entre eux ignorent peut-être qu'il puisse y avoir quelque chose à faire avec l'aide de leurs fermiers pour améliorer les terres, les prés, et accroître par là les produits. Il y a, je le sais, d'honorables exceptions, qui font ressortir davantage la vérité de ce que j'avance ; il ne manque aux autres que d'être mieux instruits de leurs véritables intérêts.
Entre ces derniers et le cultivateur qui n'est que locataire, il y a une classe de propriétaires qui exploitent par eux-mêmes : ceux-ci tirent, à la vérité, profit de la hausse des prix qui se fait sentir du moment où le droit est introduit, et il leur serait avantageux de l'appliquer à leur exploitation; mais la plupart de nos cultivateurs thésaurisent ces bénéfices, jusqu'à ce que, dans leur voisinage, une occasion se présente d'ajouter quelques parcelles à leurs propriétés.
Une vérité qui n'est pas assez comprise dans notre pays , où le capital agricole est presque partout insuffisant, c'est que le cultivateur trouverait beaucoup plus d'avantages à appliquer ses économies à l'exploitation qu'à l'agrandissement de son domaine. Là, est la véritable cause des progrès de l'agriculture en l'Angleterre.
Par la constitution de la propriété dans ce pays , le cultivateur pouvant difficilement devenir propriétaire, a dû employer en améliorations les épargnes qu'il faisait sur ses bénéfices; ces améliorations sont devenues pour lui une source de bénéfices nouveaux.
Ce système, suivi avec intelligence, a ensuite convaincu d'une autre vérité, c'est que le secret pour réussir en agriculture comme dans l'industrie, n'est pas de compter sur des prix élevés pour vendre cher une récolte ordinaire, mais de travailler à récolter davantage sur une même étendue de terrain pour obtenir un résultat équivalent, en se contentant de prix modérés. Aussi, en Angleterre, l'abolition du régime protecteur, considéré comme indispensable aussi longtemps qu'il a été debout, s'est-elle effectuée sons secousse et sans difficultés. Le droit fixe, conservé momentanément pour calmer quelques craintes peu fondées, ne lardera pas & disparaître également.
La véritable protection ne consiste pas à procurer;, par des moyens factices, des prix élevés, mais à amener l'augmentation du capital employé à l'agriculture; les droits d'entrée, tout en élevant le prix des denrées, ne peuvent pas avoir pour conséquence de créer ce capital ou d'y suppléer.
Et remarquez, messieurs, qu'indépendamment des droits d'entrée qui peuvent être établis, le prix des denrées alimentaires doit toujours tendre à s'élever progressivement dans un pays comme le nôtre, où la population s'accroît rapidement, tandis que toutes les terres fertiles et une grande quantité de terres médiocres sont déjà cultivées.
La population plus serrée sur le sol donne une activité continue à la demande des terres, soumises, comme toutes les autres valeurs, à la loi de l'offre et de la demande.
Le locataire, poussé par la concurrence au moment du renouvellement d'un bail, a devant lui deux éventualités également fâcheuses; il ne lui reste qu'à choisir entre la perte certaine qu'il éprouverait sur la vente de son matériel d'exploitation s'il devait abandonner la ferme, ou la perte incertaine que l'avenir peut lui réserver s'il s'engage à payer un fermage trop élevé. Entre ces deux chances, il se laissera souvent aller à la plus éloignée des deux et il s'exposera à devoir compléter le prix de son fermage, par la part de profits qu'il aurait dû recueillir.
C'est la véritable cause du malaise qu'éprouvent les cultivateurs lorsqu'après plusieurs années de prix élevés, pendant lesquelles des baux ont été conclus, surviennent des années d'abondance. Cette explication me semble devoir diminuer l'importance que le rapport de la section centrale donne à une remarque historique qu'il aurait fallu d'ailleurs appuyer par des chiffres pour qu'elle eût quelque valeur.
L'élévation du prix des denrées alimentaires, qu'elle soit due aux effets de la concurrence ou aux droits d'entrée présente deux autres inconvénients.
Elle force le locataire à donner un fermage plus élevé et à augmenter d'autant ses chances de perte, sans lui offrir des chances équivalentes à ce profit ; il est donc placé dans une position comparativement moins bonne.
L'augmentation du fermage agit immédiatement sur la valeur du sol, et sous ce rapport elle est un mal pour l'agriculture, à qui elle enlève des capitaux qui s'immobilisent dans le sol au lieu d'être appliqués à l'exploitation.
Cette augmentation de la valeur du sol est avantageuse à celui qui était propriétaire avant la hausse ; pour l'acquéreur qui ne devient propriétaire qu'après l'augmentation réalisée elle n'est plus rien, puisque le revenu de la terre est toujours en proportion de celui des autres capitaux.
Je crois avoir démontré que les droits d'entrée sur les substances alimentaires ne sont pas un bien, mais plutôt un mal pour l'agriculture. Il n'est pas besoin de prouver, je pense, qu'ils sont un mal pour la société tout entière, parce qu'ils entraînent une augmentation du prix des salaires, des vêtements et de toutes les denrées nécessaires à l'existence de la classe ouvrière. C'est sur les consommateurs qu'ils retombent de tout leur poids et non, comme le dit le rapport de la section centrale, sur la production étrangère.
On a parlé des besoins du trésor pour qui le produit des droits ne sera pas sans importance ; mais y a-t-on bien réfléchi? De deux choses l'une, ou la récolte est assez abondante pour suffire à la consommation du pays, et alors il n'entrera pas de céréales et le trésor ne recevra rien : ou la récolte sera insuffisante et, dans ce cas, lorsque le pain deviendra plus cher, il faudra encore le faire renchérir. Je ne puis m'associer à ce moyen de pourvoir aux nécessités du trésor.
Il rappelle le souvenir de la mouture, qui frappait au moins d'une manière uniforme dans tous les temps, tandis que les droits d'entrée proposés ne commenceront à agir que lorsqu'il y aura, sinon disette, au moine insuffisance de denrées alimentaires.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'aurais désiré, ainsi que je l'ai dit à l'ouverture de la séance, que la chambre suivît l'exemple donné par MM. les membres de la section centrale, et ne se livrât pas à une longue discussion, à propos du tarif des denrées alimentaires.
Est-ce à dire pour cela que je méconnais l'importance de la question ? Certainement non. Cette question, comme toutes celles qui se rattachent à l'agriculture, mérite au plus haut point l'intérêt, l'attention du gouvernement et des chambres.
L'honorable auteur de la proposition ne l'a pas défendue directement dans le discours qu'il a prononcé à l'ouverture de la séance, mais il n'y a pas renoncé.
L'honorable M. de Mérode a cru devoir l'appuyer.
Je pense que la chambre fera bien de s'en tenir à la proposition de la section centrale. Cette proposition a pour but de substituer un léger droit d'entrée, mais un droit fixe, au régime de pleine et entière liberté sous lequel nous vivons depuis deux ans,.
Ce droit fixe a été accepté par le gouvernement, qui, dans l'exposé des motifs du projet de loi, avait donné à entendre qu’il ne serait pas contraire, en principe, a un droit fixe modéré. Nous avons donc adhéré à la proposition de la section centrale. Nous y avons vu une légère protection pour l'agriculture. Nous y avons vu surtout une ressource pour le trésor public. Cette ressource ne serait pas peu importante, si les importations de 1849 se rapportaient seulement à celles de l'année 1848.
L'expérience qui a été faite, durant ces deux dernières années, d'un (page 336) système libéral en matière de denrées alimentaires n'a pas donné tort à ceux qui soutenaient que des prix convenablement rémunérateurs peuvent être assurés aux produits agricoles, concurremment avec un régime libéral de douanes.
Je n'ai pas besoin de vous rappeler quelle a été l'élévation du prix des céréales belges, alors même que l'importation des denrées étrangères était si considérable.
Le même phénomène s'est produit en 1830. A l'époque de la révolution, la libre entrée des céréales fut proclamée. Il y a plus, avec cette liberté entière d'importation, il y avait prohibition à la sortie. C'était une nécessité, en quelque sorte imposée par les circonstances.
Ce régime qui permettait à toutes les denrées d'entrer, qui défendait à toutes de sortir, n'a pas amené dans le prix des denrées l'avilissement qu' on aurait cru devoir en attendre.
En effet, nous voyons qu'en 1830, 1831 et 1832, le prix moyen du froment est resté entre 20 et 22 fr.
Il a été en 1830 de 20 fr. 27 c., en 1831 de 22 fr. 71 c. et en 1832 de 20 fr. 97 c.
Et cela, je le répète, pendant ces trois années de libre entrée des céréales étrangères, combinée avec la prohibition à la sortie.
Sous le régime de l'échelle mobile, qu'on a tant préconisé, comme devant apporter les plus grands bienfaits à l'agriculture. comme devant être le salut de l'agriculture, les prix ont-ils été meilleurs? Non. Il y a eu une grande inégalité, il y a eu hausse et baisse successives; mais, en moyenne, les prix n'ont pas été meilleurs.
Le fisc même a-t-il été mieux traité? Les sommes qui devaient être versées au trésor, par suite de l'échelle mobile, ont-elles été considérables? Non. Voici un résultat qui va peut-être vous étonner ; c'est que le léger droit de 50 c. par 100 appliqué à l'importation, sans échelle mobile, aurait produit une somme égale à ce qu'a produit l'échelle mobile.
Ainsi ne nous faisons pas illusion sur l'influence que la protection douanière accordée à l'agriculture peut exercer sur les prix.
Dans mon opinion, l'agriculture a droit à toute la protection du gouvernement. Mais il faut qu'elle s'habitue à la chercher ailleurs que dans des droits prohibitifs des produits similaires. Il y a beaucoup à faire en dehors de cette voie. Certes, nous ne refuserons pas à l'agriculture des droits modérés; nous les désirons même au point de vue fiscal.
Mais nous pensons que c'est dans une autre voie qu'on doit se diriger, si l'on veut appliquer à l'agriculture des secours efficaces et puissants.
Cette voie, on a eu la bonté de bien vouloir nous le dire, le gouvernement y est entré et il continuera d'y marcher avec persévérance. Nous ne pensons pas, messieurs, que les partisans d'un droit élevé à l'entrée des denrées alimentaires, veuillent aller jusqu'à interdire entièrement l'entrée des denrées alimentaires.
M. de Mérode. - On n'en a pas parlé.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il est facile de constater que l'agriculture, telle qu'elle est organisée aujourd'hui, ne suffit pas aux besoins du pays ; que chaque année il y a pour la consommation, la consommation de ceux qui peuvent consommer des céréales, car malheureusement les céréales ne sont pas encore à la portée de tout le inonde ; il y a chaque année une insuffisance de près de 500,000 hectolitres.
Je parle d'une année ordinaire, car si nous comprenions dans notre moyenne les dernières années où la disette a été si grande, ce n'est pas 500,000 hectolitres, c'est 1,000,000 d'hectolitres que notre agriculture devrait produire en plus.
On a parlé, messieurs, de la mortalité croissante. Pendant les deux années 1846 et 1847, la mortalité a, en effet, été très grande, comparativement aux années antérieures. La mortalité, qui avait été de 97,000 âmes en 1845, a été, en 1846, de 107,000 âmes; en 1847, elle a été de 120,000 âmes.
Il y a amélioration pour 1848. Dernièrement on a avancé, trop légèrement, suivant moi, dans cette enceinte, que la mortalité allait toujours croissant. Je suis heureux de saisir cette occasion de rectifier cette erreur. Non, messieurs, la mortalité ne va plus en croisant; la moralité, au contraire, suit aujourd'hui une marche décroissante.
Dans le mois de mars 1847, la mortalité a été de 13,118.
Dans le mois de mars 1848, elle n'a plus été que de 11,322.
En avril 1847, la mortalité a été de 12,657 ; en avril 1848 de 9,925
En mai 1847 de 14,285 ; en mai 1848 de 9,702.
Dans les trois mois de 1847, la mortalité a été de 40,060 individus ; dans les trois mois de 1848, elle a été de 30,949. Vous .voyez donc qu'il y a eu décroissance dans la mortalité.
Je le répète, je suis heureux de saisir cette occasion de rectifier une erreur et je supplierais, si ce n'était pas trop contrarier d'honorables collègues, je les supplierais de ne pas lancer dans le public, avec l'autorité qui doit s'attacher à la parole d'un représentant de la nation, de semblables faits sans s'assurer de leur exactitude.
M. Rodenbach. - On n'a parlé que d'une localité, du centre de la Flandre occidentale.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La décroissance se manifeste partout, même dans les Flandres. Il y a donc, je le répète, amélioration. Mais sommes-nous si éloignés de la crise qu'il faille songer à élever par des moyens factices le prix de céréales et à restreindre leur importation?
On représente l'agriculture, messieurs, comme dépérissant, comme n'en pouvant pour ainsi dire plus, comme ayant besoin d'un secours immédiat; et ce secours on veut le trouver dans les droits protecteurs. Mais est-ce que le prix des céréales est aujourd'hui tellement bas qu'il en résulte une calamité pour l'agriculture? (Interruption.) Vous ne pouvez établir la législation des céréales sur les données d'un seul mois. Rappelez-vous quels étaient les prix des céréales en 1846 et en 1847. En 1846, le prix a été en moyenne de fr. 24-06. En 1847, il a été de 31 fr.
Dans les premiers mois de 1848, le prix de l'hectolitre de froment est descendu à 18 fr., aujourd'hui il est un peu moins élevé. Mais ce prix peut encore se relever. Tout ce que nous demandons, c'est que pendant un an on continue l'expérience dans laquelle on entre. Je suppose que par impossible l'état de nos récoltes soit tel que nos prix subissent un avilissement considérable. Eh bien, pour peu que cet avilissement des prix se prolonge, la chambre et le gouvernement sont toujours là pour substituer à la législation existante une législation nouvelle : mais, répétons-le, messieurs ; ce n'est pas sur l'expérience d'un mois que nous pourrions nous baser pour venir bouleverser la législation.
Messieurs, il n'est pas exact de dire que l'agriculture belge n'ait rien à gagner à un système libéral en ce qui concerne les denrées alimentaires.
La Belgique commence à profiter singulièrement de la grande révolution, qui, sous ce rapport, s’est opérée en Angleterre. Là, vous savez, messieurs, que les hommes d'Etat, tous, presque tous sans exception, sont revenus de ce qu'ils ont appelé leurs anciennes erreurs en ce qui concerne les tarifs protecteurs des denrées alimentaires. Vous connaissez la belle confession que sir Robert Peel a faite à cet égard. Donc, l'Angleterre a aujourd'hui affranchi de presque tous droits les denrées alimentaires des pays étrangers. Le droit sur l'hectolitre de froment est de 43 centimes à partir du 1er février prochain. Le droit sur le bétail et sur beaucoup d'autres denrées est entièrement aboli; et vous allez voir ce que la Belgique y a gagné.
La Hollande, qui avait aussi voulu faire l'expérience de l'échelle mobile, est retenue à un droit fixe modéré, à peu près équivalent à celui que nous proposons. C'est en présence de ces deux marchés où les denrées alimentaires se porteront évidemment avec abondance que nous pensons qu'il est utile que l'accès au marché belge soit aussi facile que possible.
Je dis, messieurs, que tout n'est point perte pour l'agriculture dans l'introduction d'un régime libéral. Nous avons longtemps reçu de l'Angleterre des quantités considérables de froment ; aujourd'hui, messieurs, la balance , pour me servir d'une expression consacrée, est en notre faveur. Dans l'année 1848 nous avons exporté vers l'Angleterre 34,627,697 kil. de froment, tandis que nous n'en avons reçu que 434,389 kil.
Dans les années antérieures, nous n'avions rien exporté, ou presque rien, en pommes de terre ni en bétail. En 1848 nous avons exporté vers l'Angleterre 14.912,000 kilogrammes de pommes de terre; 433 têtes de taureaux et de bœufs, 1,100 veaux, 4,740 moutons; 565 chevaux. Nous n'en avions exporté que 114 en 1846, 45 en 1845,44 en 1844.
Messieurs, lorsque nos pommes de terre étaient exportées vers l'Angleterre, lorsque notre froment était exporté vers l'Angleterre, le gouvernement fut assailli de réclamations, je dirai presque de menaces : il fallait à tout prix empêcher nos denrées alimentaires d'aller nourrir les ouvriers anglais tandis que nos ouvriers mouraient de faim, suivant une expression exagérée dont on se sert malheureusement si souvent.
Le gouvernement, messieurs, résista; et je pense qu'il eut raison de résister. L'agriculture commença à comprendre que tout n'était pas perte dans la liberté des transactions commerciales, que tout ne serait pas profit dans un système qui consisterait à produire et consommer tout chez soi, sans n'avoir aucune espèce de relations avec les nations étrangères. L'agriculture a compris, elle commence à comprendre qu'elle aussi peut trouver de grands avantages dans la liberté des transactions commerciales.
Ce n'est pas sans intention, messieurs, que j'ai choisi l'exemple de l'Angleterre; je l'ai choisi à cause de l'importance des relations commerciales que nous avons aujourd'hui avec ce pays, pour les denrées alimentaires, et non pas seulement pour le froment et le seigle, car ce serait bien à tort que l'on voudrait concentrer dans le froment et le seigle toutes les opérations de l'agriculture. L'agriculture, grâce à Dieu, a des ressources infinies ; elle répand ses bienfaits par mille canaux différents.
Je demande pardon à la chambre des détails dans lesquels je vais encore entrer; les objets dont je vais parler, bien qu'ils semblent quelquefois minimes par le nom, prennent par le nombre une très grande importance; vous en jugerez par les chiffres que je vais vous faire connaître.
(page 337) Nous avons exporté vers l'Angleterre, dans les onze premiers mois de cette année :
Beurre. 551,000 kilogrammes.
Œufs. Nous en avons exporté pour 208.000 francs.
Légumes, verts et secs. Près de 100,000 francs.
Fruits. 224,000 francs.
Gibier, volaille et, pourquoi ne le dirais-je pas? d'humbles lapins. D'une part, 73,000 francs; d'autre part, 523,000 francs.
Voilà, messieurs, des faits qui seront confirmés par tous ceux qui habitent les Flandres.
Enfin, messieurs, j'ai voulu faire réduire en valeurs sonnantes le montant de toutes ces exportations, et savez-vous à quelle somme nous arrivons? Nous arrivons à une somme de 9,640,000 fr.
Voilà, messieurs, en simples produits de l'agriculture exportés pendant les onze premiers mois de l'année, voilà le résultat financier que nous obtenons! Près de 10 millions de francs. Et nous ne faisons, messieurs, que commencer, parce que si l'on compare à ces exportations considérables celles de toutes les années antérieures, nous n'avons pour ainsi dire rien exporté par l'Angleterre, et vous voyez à quelle somme, en une année, nous sommes arrivés.
M. Van Iseghem. - Cette grande exportation d'œufs, beurre et volaille dure déjà depuis plus de dix ans.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Non pas sur une telle échelle. Et il faut tenir compte de toutes les espèces de produits et vous voyez qu'ils sont très variés.
Messieurs, je crois qu'au lieu de répandre, ce que je considère comme une erreur, de répandre ces doctrines qui consistent à faire croire aux campagnards que plus on restreindra nos relations commerciales, plus l'agriculture fleurira, je crois que l'on doit s'attacher à démontrer que plus s'étendront nos relations commerciales, plus l'agriculture fleurira.
Il y a pour l'agriculture d'autres faveurs , d'autres encouragements, beaucoup plus efficaces que ces soi-disant droits protecteurs qui ne protègent rien.
Je dis, messieurs, que si le gouvernement ne se montre pas partisan de droits élevés, ce n’est pas du tout par dédain, par indifférence pour l'agriculture. Je le déclare tout de suite : l'agriculture est l'intérêt essentiel, supérieur du pays, et s'il m'était démontré qu'avec un tarif de droits élevés, on pût donner une impulsion forte à l'agriculture, je viendrais proposer immédiatement à la chambre d'accorder à l'agriculture ce genre de protection, car le gouvernement est pénétré de cette idée, que l'agriculture est l'industrie vivifiante du pays.
Nous avons prouvé que, sous ce rapport, le gouvernement n'est pas resté indifférent.
Messieurs, l'on a parlé tout à l'heure de voies de communication. Eh bien, une grande et forte impulsion a été donnée à l'agriculture par la création de nombreuses voies de communication et par l'extension de la voirie vicinale. Ici, messieurs, tout est perte pour le trésor, au point de vue d'un honorable préopinant, les routes vicinales se construisent sans aucune espèce de péages ; le gouvernement ne recouvre pas un centime de toutes les sommes qu'il affecte à la voirie vicinale. On ne viendra pas soutenir, je pense, que la voirie vicinale ruine le pays. La voirie vicinale ne rapporte directement rien au trésor public, mais elle profite grandement à l'agriculture, et elle est, dès lors, use source indirecte de revenus pour le trésor public.
Des sommes considérables ont été dépensées depuis la révolution pour les routes pavées, non pas seulement dans l'intérêt industriel, mais aussi dans l’intérêt de l'agriculture. Sur les routes pavées, on perçut un péage; mais quand on compare le péage à l'intérêt des capitaux que ces routes ont coûtés, on voit qu'ici encore le gouvernement ferait des pertes énormes chaque année. Si ces routes ne rendent pas l'intérêt des capitaux qu'elles ont coûtés, dira-t-on que les routes pavées sont une cause de désastres pour le trésor public ? Non, messieurs, elles sont une cause de prospérité, de richesse pour le pays.
J'en dirai autant du chemin de fer. C'est à tort qu'on veut brouiller le chemin de fer avec l'agriculture. Il est fort injuste de reprocher au chemin de fer de dévorer en quelque sorte la meilleure substance des populations agricoles, sans leur rien rapporter.
Messieurs, si nous faisions le compte des services rendus par le chemin de fer à la population, soit des villes, soit des campagnes, je pose en fait qu'il résulterait de cette comparaison, que les populations des campagnes profitent encore plus du chemin de fer, que les populations des villes; elles en profitent pour le transport de leurs personnes: elles en profitent, et en profiteront chaque jour davantage pour le transport de leurs denrées.
il n'est pas indifférent pour les campagnes d'être éloignées de 20 lieues ou de 2 lieues d'un grand marché. Or, les chemins de fer ont eu pour résultat de réduire à une distance de 2 lieues ce qui était auparavant une distance de 20 lieues. A mesure que le chemin de fer sera rendu plus accessible, vous verrez combien les habitants des campagnes mettront à profit cette grande vitesse des chemins de fer pour le transport de leurs personnes et de leurs produits.
Ce n'est pas seulement vers l'Angleterre ou vers la France que nos produits agricoles peuvent trouver successivement un plus grand débouché, mais c'est encore dans l'intérieur du pays. Les grandes villes doivent être rendues plus accessibles aux produits des campagnes, et c'est à l'aide du chemin de fer et de tarifs très modérés que personnes et choses pourront se rendre dans ces grands marchés.
Depuis que nous avons proclamé qu'à nos yeux l'agriculture devait recevoir une protection efficace, que cette protection, elle ne devait pas la chercher dans l'échelle mobile, nous avons pu porter un assez grand nombre d'actes dont les effets bienfaisants, nous ne le mettons pas en doute, se feront sentir dans un avenir assez rapproché.
Nous avons, dans la mesure de nos ressources, dans la limite de nos droits, commencé une organisation de l'enseignement agricole. Nous avons adjoint certains cours spéciaux à des établissements existants. Nous sommes entrés en relations avec un grand nombre de propriétaires, à l'effet d'établir dans les différents districts du royaume des écoles d'agriculture pratique, où l'on recevra un certain nombre de fils de laboureurs, pour les rendre à leurs familles plus instruits dans la science agricole. Nous espérons arriver par là et sans beaucoup de frais à d'heureux résultats, dans l'intérêt du progrès agricole.
Nous avons encouragé la publication de livres populaires agricoles en français et en flamand. Sous ce rapport, le pays a encore beaucoup de progrès à faire.
Nous poursuivons dans toutes les directions le progrès agricole. Je ne dis pas que ce sont des innovations, encore moins des inventions; nous ne faisons que recueillir ce que la voix publique nous enseigne, nous tâchons d'en faire l'application avec zèle. Non, nous ne voulons pas nous poser en inventeurs de procédés agricoles; nous apportons à la propagation des progrès que peut faire partout l'agriculture beaucoup de zèle, beaucoup de bonne volonté, pour ne pas dire une certaine passion. Nous avons multiplié les engrais dans une de nos provinces où l'absence de la chaux se faisait sentir ; nous avons mis cet engrais à la portée d'un grand nombre de cultivateurs, qui déjà en ont obtenu les meilleurs résultats, et nous avons reçu plusieurs témoignages de satisfaction de la part de ces contrées ; nous avons adressé aux villes des instructions afin d'utiliser des quantités énormes d'engrais qui se perdent, alors que tant de richesses résident dans cet objet du mépris des hommes. Nous avons créé dans diverses provinces des comités qui s'occupent de toutes les questions relatives au reboisement. Nous avons commencé d'autre part une instruction pour arriver au déboisement de certaines contrées. Les effets d'une loi que nous devons à l'administration de M. de Theux sur les irrigations continuent d'être des plus satisfaisants.
Nous poussons avec la plus grande activité au défrichement des bruyères au moyen des irrigations. Déjà, nous sommes arrivés, du 1er janvier 1847 au 1er novembre 1848, au défrichement de 13 mille hectares de bruyères ; si vous rapprochez ce chiffre des 168 mille hectares que possèdent les communes, vous voyez qu'il ne faudra pas un grand nombre d'années pour arriver au défrichement total des bruyères communales.
Les communes qui sont souvent en retard de donner l'exemple seront imitées cette fois. Des sociétés s'organisent pour opérer des défrichements sur une large échelle.
Je ne pousserai pas plus loin l'énumération des mesures que le gouvernement a prises ; elles sont nombreuses, un grand nombre sont efficaces. La chambre voudra bien ne pas voir dans cette énumération un vain désir d'étaler devant elle les actes de notre administration. Mais on nous a reproché d'avoir du dédain ou peu de sympathie pour l'agriculture....
M. Coomans. - Ce n'est pas moi.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je remercie l’honorable M. Coomans, mais ses amis nous ont reproché de ne pas venir au secours de l'agriculture dépérissante, en ne proposant pas un droit plus élevé. Nous tâchons de lui venir en aide, mais par des moyens autres qu'un tarif élevé.
J'ai, messieurs, omis de rappeler, parmi nos moyens de protection efficace , les expositions agricoles. Il faut bien que vous me permettiez d'en dire un mot. Nous pensons que les expositions organisées par nos soins seront seules d'une plus grande utilité que les effets très incertains d'un droit élevé à l'entrée.
Les expositions nationales, combinées avec les expositions locales et les comices agricoles, sont appelées à jouer un grand rôle dans les progrès de l'agriculture. Comme autant d'yeux et de bras étendus sur toute la surface du pays , ces comices feront en petit ce que la nation sera appelée à faire en grand, dans les circonstances solennelles. Ils récompenseront ceux qui auront obtenu les meilleurs produits, ils feront des visites à domicile et propageront les bons livres, les idées saines et les bonnes méthodes. Ces comices, bien organisés, bien dirigés, seront des sources (page 338) de bienfaits et |de progrès pour l'agriculture. Je ne puis trop recommander aux membres de cette chambre qui attachent beaucoup de prix aux progrès de l'agriculture, de faire partie de ces comices, d'y jouer un rôle actif, et de donner encore là des preuves de leur dévouement au pays.
Après ces considérations, je pense n'avoir plus à insister sur les vues qui dominent le gouvernement vis-à-vis de l'agriculture. On m'a demandé quel usage le gouvernement entendait faire de la faculté qui lui est laissée de prohiber les denrées à la sortie. A cet égard, je dois une explication catégorique à la chambre. Le gouvernement ne se résoudra à faire usage de cette faculté qu'à la dernière extrémité. Si on laisse entrer les denrées alimentaires, il doit être permis à l'agriculteur belge de chercher pour les produits de son travail un marché plus avantageux; ce serait avec le plus grand regret que nous nous résoudrions à les prohiber à la sortie. Nous voulons la liberté pour tout le monde, nous voulons que nos agriculteurs trouvent ailleurs que dans le pays le prix de leurs peines.
En ce qui concerne le bétail, nous allons substituer à la liberté le rétablissement d'un droit. Ce droit sera-t-il égal au droit actuel? Je ne le pense pas. Mais au moins nous prenons l'engagement de rétablir un droit sur le bétail. Nous le ferons surtout au point de vue du trésor. Mais ce droit sera très modéré, il sera basé sur les données que nous avons annoncées pour les céréales.
Outre le bétail, nous avons d'autres matières qui ne font, en aucune manière, concurrence à l'industrie du pays : le riz et le vermicelle, par exemple, qui ont été exemptés de tout droit, dans un moment où une pression extraordinaire du dehors se faisait sentir dans la chambre.
Nous croyons qu'il y a lieu de rétablir l'ancien droit, sinon en totalité, du moins avec une certaine mesure.
Nous croyons que le régime de la liberté absolue sur les denrées alimentaires a fait perdre au trésor plus de cent mille francs fort inutilement.
Si nous abordons la discussion des articles, j'aurai une ou deux observations de détail à faire.
- Plusieurs membres. - La clôture!
M. le président. - Il y a huit orateurs inscris.
M. de Brouwer de Hogendorp. - Je- suis inscrit le premier. Mais si l'on désire clore la discussion générale, je renoncerai à la parole. J'aurai d'ailleurs l'occasion de me prononcer dans la discussion sur les articles.
M. Christiaens. - Je ne m'oppose pas à la clôture, pourvu que je puisse émettre mon opinion dans la discussion des articles.
- La chambre, consultée, prononce la clôture de la discussion générale, en réservant, sur sa demande, la parole à M. le rapporteur.
M. de Bocarmé, rapporteur. - Messieurs, comme rapporteur de la section centrale, j'ai un devoir à remplir, plus puissant même que mes convictions personnelles.
L'honorable M. Coomans, dans son remarquable discours, vient de dire que la section centrale et le gouvernement proposeraient pour les céréales une taxe dont le chiffre était dérisoire. Si l’on considère les circonstances, messieurs, si l'on tient compte aussi des résultats pécuniaires prévus par la section centrale, je ne puis partager l'avis du préopinant, puisque un des grands moteurs de la proposition, c'est la création d'une recette qui n'est pas sans importance.
En y comprenant le riz, le bétail et d'autres articles, sur lesquels le principe de la loi doit réagir, on peut évaluer cette ressource à six ou sept cent mille francs pour l'année 1849. Cette loi temporaire sera d'ailleurs la mesure la plus exacte possible pour l'appréciation et de son principe et de ses résultats financiers.
Je pense aussi que l'honorable M. Delehaye n'a pas fait une appréciation exacte, en disant que le droit serait supérieur à celui qui sera appliqué, en Angleterre, à dater du 1er février 1849; ce droit sera, par hectolitre, de 43 centimes; or le nôtre ne sera que de 38 centimes.
Il faut encore tenir compte qu'en Angleterre, le même droit atteindra, par hectolitre, toutes les céréales ; ainsi un hectolitre d'avoine, bien que de moitié plus léger, payera, comme le froment, 43 centimes ; tandis qu'ici ce sera un poids de cent kilogrammes pour le froment, le seigle.
Le disions de l'honorable M. Cans tend à faire ressortir les avantages du libre-échange ; il paraît conclure en engageant la chambre à en faire l’essai par l'agriculture belge.
Je viens, en son nom, messieurs, le remercier de l'honneur de la préférence qu'il lui octroie. Mais, en vérité, cet honneur elle ne peut l'accepter ; cette industrie si laborieuse, messieurs, est, en général, peu rétribuée; elle a besoin de toutes ses ressources, de toute son intelligence, pour faire honneur à ses affaires.
Voilà le genre d'honneur dont elle est avide et qu'elle est obligée de revendiquer avant les autres.
Si, plus ou moins, les moyens pour l'atteindre viennent à lui manquer, elle se voit forcée de faire des économies, dont les résultats sont mauvais et pour elle et pour la chose publique ; alors le cultivateur doit restreindre la main-d'œuvre, les ouvriers souffrent, le paupérisme augmente, les terres sont moins bien cultivées, le froment se récolte sur une échelle moins étendue ; et quand viennent des accidents climatoriaux ou commerciaux, les disettes sont d'autant plus calamiteuses.
Je termine, messieurs, en déclarant que la section centrale, en face des avis divergents qui viennent de surgir, en face surtout des nombreuses complications du moment, maintient sa proposition et n'admet aucun amendement.
- La discussion générale est close.
La discussion est ouverte sur l'article premier et sur l'amendement de M. Coomans. Ces dispositions sont ainsi conçues :
« Art. 1er. A partir du 1er janvier 1849, jusques et y compris le 1er décembre de la même année, le froment, le seigle, l'orge, le sarrasin, l'avoine, le maïs, les fèves, les vesces et les pois seront soumis, à l'entrée, à un droit de cinquante centimes les 100 kilogrammes.
« Le gouvernement pourra accorder, pour le même terme, la remise totale ou partielle des droits d'entrée sur les pommes de terre, les farines et les gruaux, les fécules de pommes de terre et autres substances amylacées, le bétail, les viandes séchées, salées ou fumées, et sur toutes les denrées alimentaires non désignées au présent article. »
Amendement présenté par M. Coomans.
« Art. 1er. Les droits établis par le tarif de la loi du 21 juillet 1844 sur les denrées alimentaires importées en Belgique, seront perçus de nouveau à partir du 1er janvier 1849 jusqu'au 31 décembre 1850. Les! denrées suivantes payeront, quelle qu'en soit la provenance :
« Froment : fr. 20 par 1,000 kilog.
« Seigle : fr. 14 par 1,000 kilog.
« Orge ou escourgeon : fr. 10 par 1,000 kilog.
« Blé noir ou sarrasin : fr. 13 par 1,000 kilog.
« Avoine : fr. 11 par 1,000 kilog.
« Le pavillon national jouira d'une restitution de 10 p. c
« Un droit de balance de 10 centimes par mille kilogrammes sera perçu à la sortie de toutes les denrées alimentaires. »
M. le président. - M. Coomans retire-t-il son amendement ?'
M. Coomans. - Je dirai d'abord que les riz se trouvent compris dans mon amendement, attendu que les droits sur cette denrée sont fixé par la loi des droits différentiels qui est formellement maintenue par ma proposition.
M. le ministre de l'intérieur a dit avec raison que le riz est une denrée qui doit être imposée. J'ajouterai que M. le ministre aurait grand tort de renoncer au produit considérable qu'on peut en attendre. Le trésor n'est pas trop riche pour faire des libéralités superflues. Du reste, je me hâte de prendre note de la promesse de M. le ministre de prélever un droit sur les riz.
Loin qu'il soit entré dans ma pensée de présenter le ministère comme ne s'intéressant pas à l'agriculture, j'ai rendu justice à ses intentions, et même à ses actes. Je suis convaincu que toutes les administrations qui se sont succédé, en Belgique, ont toujours considéré comme un devoir de protéger l’agriculture. Plusieurs ministres l'ont rempli autant qu'il leur fut possible, je crois tout bonnement que M. le ministre de l'intérieur se trompe aujourd'hui; voilà tout.
Loin de penser que le gouvernement n'ait pas les meilleures intentions, je place dans celles-ci une confiance si entière que je propose à l'article premier, un paragraphe additionnel ainsi conçu :
« Si les circonstances paraissent l'exiger, le gouvernement pourra réduire de 50 p. c. les droits fixés par le présent article. »
Je m'en rapporte donc pleinement au gouvernement pour l'application des droits que je propose.
Je dois maintenir mon amendement, parce que je le crois juste et utile et parce qu'il établit une échelle. Il me paraît arbitraire de frapper du même droit indistinctement toutes les céréales.
Je prie la chambre de faire attention que si le gouvernement croyait devoir user de la faculté qui, d'après ma proposition, lui serait laissée, certaines céréales payeraient très peu, notamment l'orge et l'avoine. Le droit se rapprocherait alors de celui qu'il admet lui-même.
M. le président. - La parole est à M. de Brouwer.
- Plusieurs membres. - A demain !
- D'autres membres . - La clôture !
M. Coomans. - J'aurais encore beaucoup de choses à dire en réponse aux objections parfois assez vives qui m'ont été faites. Mais je renoncerais volontiers à la parole, pour que nous pussions voter la loi aujourd'hui. J'engage mes honorables collègues à en faire autant, car il serait peut-être convenable de ne pas ajourner le vote.
M. de Brouwer Van Hogendorp. - C'est ce que je ne puis admettre. Un langage imprudent a été tenu, les erreurs graves ont été proférées; je tiens à ce qu'il y soit répondu. Je demande que la discussion continue, soit demain, soit dans une séance du soir.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai nullement la prétention de diriger les travaux de la chambre, encore moins de lui imposer une marche qu'elle ne serait pas disposée à suivre. Je dois cependant, dans l'intérêt de nos travaux, faire observer que nous avons un ordre du jour chargé de projets urgents, dont plusieurs appellent nécessairement un vote avant le 1er janvier.
Nous sommes à la veille de jours de fête. La chambre entend-elle, cette année, prendre des vacances, comme les années précédentes? Je (page 339) pense qu'il n'est pas possible de songer à s'absenter dès après-demain. (Non ! non ! ) Si nous n'imprimons pas une marche plus active à nos discussions, au 31 décembre nous n'aurons pas épuise l'ordre du jour.
Il y a donc deux partis à prendre : ou abréger les discussions, ou multiplier les séances. Je ne vois pas de troisième terme. Sans doute, la discussion qui nous occupe pourrait très utilement remplir plusieurs séances encore. L'honorable préopinant qui a parlé deux fois, a dit qu'il avait encore beaucoup de choses à dire. De mon côté, je suis à peine entré en matière. Le sujet est tellement vaste que je me fais fort d'en entretenir la chambre pendant trois séances consécutives. Mais pour aujourd'hui, si l'amendement de l'honorable M. Coomans n'était pas accepté (ce dont nous pourrions décider de suite), que resterait-il à voter ? La proposition de la section centrale. Elle renferme deux articles ; ce serait l'affaire de cinq minutes.
J'en demande pardon à l'honorable représentant de Malines, qui, je pense, se préparait à soutenir la proposition du gouvernement. Ses droits comme ceux de tous resteront saufs pour traiter la question.
- Plusieurs membres. - La clôture!
M. H. de Brouckere. - Je voterai pour la clôture. Mais je demande qu'il soit bien entendu que les orateurs qui le désireront pourront faire insérer leur discours dans le Moniteur. (Adhésion.) Je connais plusieurs membres à qui ce sera très agréable.
M. Christiaens. - Je ne puis accepter cette proposition. Je n'ai pas fait de discours; je ne puis en faire insérer au Moniteur. Cependant mon intention est de présenter quelques observations qui appartiennent réellement à la matière.
M. Mercier. - Je comprends qu'on abrège la discussion, mais la fermer avant qu'elle ne soit commencée; cela ne s'est jamais fait. On pourrait ouvrir la discussion, en engageant les orateurs à abréger leurs discours.
M. Rodenbach. - Je m'oppose à la clôture. Il y a encore sept ou huit orateurs inscrits. La question est très sérieuse. La discussion générale a été très courte; on n'a entendu que trois orateurs. Il n'y a pas d'exemple qu'il y ait jamais eu une discussion aussi étranglée sur des matières aussi sérieuses. On ne veut pas entamer la discussion sur les articles. On veut donc tout étouffer!
M. de Man d'Attenrode. - Je propose une séance du soir.
M. Thibaut. - Appuyé ! Nous terminerons, dans cette séance, la discussion du projet de loi.
M. Liefmans. - Il me semble que dans la discussion générale, on a rencontré presque tous les arguments qu'on a pu faire valoir pour ou contre la proposition de M. Coomans, ou contre celle du gouvernement. Si le projet avait une certaine étendue, je concevrais qu'il pût être imprudent de prononcer la clôture, qu'il dût y avoir une discussion particulière sur chaque article. Mais toutes les questions qui peuvent être soulevées à l'occasion de ces articles sont purement théoriques. Or, la discussion de ces questions ne peut avoir lieu utilement dans la chambre. Ce peut être l'objet d'études dans le cabinet. La chambre doit seulement faire l'application de ces études théoriques. Il s'agit d'appliquer au système actuel tout ce que chacun de nous a acquis, en étudiant ces matières. Ainsi vous laisserez intactes toutes les questions qui se rattachent au système protecteur. Il me semble donc que l'on peut prononcer la clôture et passer immédiatement au vote sur les articles.
M. Christiaens. - Si je n'avais rien à dire que de théorique, je renoncerais à l’instant à la parole; mais c'est précisément sur une question qui se place au milieu des deux systèmes produits devant la chambre que je voudrais faire une observation pratique.
M. le président. - M. Faignart vient de déposer un amendement ayant pour objet de porter le droit de 50 c. à 1 fr.
Je. reçois à l'instant un amendement dans le même sens signé par MM. Tremouroux, Thibaut et Jullien.
M. Dumortier. - Permettez-moi, messieurs, comme rapporteur de la section centrale, de dire deux mots. Ce que la section centrale a désiré, c'est que l'on fît une loi de transaction qui pût être acceptée par la chambre entière, quelles que soient les opinions sur cette grave question. Si la chambre est du même avis, on pourrait ne pas prolonger la discussion et passer au vote sur les amendements et sur les articles. Nous marcherions ainsi très rapidement.
- La discussion est close.
M. Coomans déclare retirer son amendement et se rallier à celui de MM. Faignart, Tremouroux, Thibaut et Jullien.
L'amendement de MM. Faignart, Tremouroux, Thibaut et Jullien est mis aux voix par appel nominal. Voici le résultat du vote :
89 membres sont présents.
1 (.M. de Bocarmé) s'abstient;
88 prennent part au vote.
27 votent pour l'adoption.
61 votent contre.
La chambre n'adopte pas.
Ont voté pour l'adoption : MM. de Renesse, de Royer, de Theux, Dumont, Faignart, Jacques, Jullien, Julliot, le Bailly de Tilleghem, Mascart, Mercier, Moncheur, Peers, Rodenbach, Thibaut, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Ansiau, Boulez, Christiaens, Clep, Coomans, Cumont, de Denterghem, de Liedekerke, de Man d'Attenrode et de Mérode.
Ont voté contre : MM. Desoer, Destriveaux, de T'Serclaes, Devaux. d'Hoffschmidt, d'Hondt, Dolez, Dubus, Dumortier, Frère-Orban, Lange, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Liefmans, Manilius, Moreau, Moxhon, Osy, Pirmez, Prévinaire, Reyntjens, Rogier, Rousselle. Schumacher, Sinave, Tesch, (erratum, p. 360), T’Kint de Naeyer, Troye, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse), Van Grootven, Van Iseghem , Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Allard , Anspach, Boedt , Bruneau, Cans, Cools, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouckere (Charles), de Brouckere (Henri), de Brouwer de Hogendorp , Debroux, Dedecker, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, Deliége, de Meester, de Perceval, de Pitteurs, de Pouhon, et Verhaegen.
M. de Bocarmé. -Messieurs, je me suis abstenu par la raison que j'étais placé entre ma conviction personnelle et mon devoir, comme rapporteur de la section centrale.
M. le président. - Je mets aux voix l'article premier du projet de la section centrale auquel le gouvernement s'est rallié. Cet article est ainsi conçu :
« Art. 1er. A partir du 1er janvier 1849, jusques et y compris le 31 décembre de la même année, le froment, le seigle, l'orge, le sarrasin, le maïs, les fèves, les vesces et les pois seront soumis, à l'entrée, à un droit de cinquante centimes les cent kilogrammes.
« Le gouvernement pourra accorder, pour le même terme; la remise totale ou partielle des droits d'entrée sur les pommes de terre, les farines et gruaux, les fécules de pommes de terre et autres substances amylacées; le bétail, les viandes séchées, salées ou fumées, et sur toutes les denrées alimentaires désignées au présent article. »
Il faut ajouter dans le premier paragraphe, les mots « l’avoine » avant ceux-ci : « l’orge », et dans le second paragraphe, le mot « non » avant le mot « désignées ».
- L’article premier, ainsi rectifié, est adopté.
« Art. 2. Les dispositions de l'article précédent seront applicables à tout navire belge ou étranger dont les papiers d'expédition constateront que le chargement en grains ou autres denrées, comprises dans la présente loi, aura été complété et le départ effectué d'un port étranger quelconque un mois avant la date de l'expiration de la présente loi, même dans le cas où il n'entrerait dans un port belge qu'à une époque postérieure à cette date. »
- Adopté.
« Art. 3. Le gouvernement pourra, pendant le terme fixé à l'article premier, interdire la sortie du froment, du seigle, de l'orge, du sarrasin, de l'avoine, des fèves et vesces, des pois, des pommes de terre et de leurs fécules, des farines, son et moulure de toute espèce, du pain, du biscuit et des gruaux. »
M. Lesoinne. - On ferait bien de supprimer cet article. Ce n'est qu'une satisfaction donnée aux préjugés; cela est très bien exprimé dans l'exposé des motifs.
M. Dumortier. - Le gouvernement s'est rallié à la proposition de la section centrale.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pardon! c'est le gouvernement lui-même qui a proposé l'article ; la section centrale s’est ralliée à cette proposition ; le gouvernement a expliqué dans quel sens il comprenait l'article et dans quelles circonstances il entendait l'appliquer.
- L'article est mis aux voix et adopté.
On passe à l'appel nommai pour le vote sur l'ensemble du projet de loi.
77 membres sont présents.
2 (MM. David et de Brouwer de Hogendorp) s'abstiennent.
75 répondent oui.
En conséquence, le projet de loi est adapté. Il sera transmis au sénat.
M. David. - Messieurs, en présence de l'immense protection dont jouit déjà l'agriculture, par les frais de transport pour la mer Noire, qui montent à 12 fr. par hectolitre, et à 6 fr. pour la Baltique, je ne puis pas admettre les 50 c. D'un autre côté, je n'ai pas voulu compromettre le vote de la loi qui moins mauvaise que ce qu'on voulait y substituer.
M. de Brouwer de Hogendorp. - J'adopte la loi en ce qui concerne l’entrée des denrées alimentaires. J'ai été heureux de voir la grande majorité avec laquelle elle a été adoptée, ce que je considère comme une protestation contre la malencontreuse proposition que nous avons discutée. Mais je la repousse en ce qui concerne la prohibition à la sortie, parte que je trouve dans cette disposition une violation des vrais principes économiques, et j'oserais dire une espèce d'atteinte portée au droit de propriété.
M. le président. - J'ai reçu de M. de Luesemans une lettre qui m'informe qu'il a dû immédiatement quitter Bruxelles pour affaires urgentes ; notre collègue demande un congé d'un jour.
- Accordé.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi portant révision de la législation sur les faillites et sursis.
- Un grand nombre de membres. - Très bien !
- La chambre ordonne l'impression, la distribution et le renvoi aux sections de ce projet.
La séance est levée à 5 1/2 heures.