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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 18 décembre 1848

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 275) M. Dubus procède à l'appel nominal à une heure et quart. La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Le sieur Claude-Charles-Louis Clasquin, maître de pension à Auffé, né à Bazoïlle-lez-Menille (France), demande la naturalisation ordinaire.»

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Jean-Lucien Janssens, gendarme à cheval à Santhoven, prie la chambre de statuer sur sa demande en naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le sieur Meynders, ancien curé-aumônier, demande la révision de sa pension. »


- Renvoi à la commission des pétitions.

« Le sieur Thibeu prie la chambre d'ordonner une enquête sur des faits graves qui se seraient passés au régiment des guides. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal d'Overpelt demande l'abrogation de la loi du 10 février 1843, relative à la canalisation de la Campine. »


« Même demande des conseils communaux de Lille-Saint-Hubert, Neerpelt et Achel. »

- Même renvoi.


« Les instituteurs des cantons d'Uccle, d'Anderlecht et d'Assche, et plusieurs instituteurs de la Flandre orientale demandent que leur traitement soit à la charge de l'Etat. »

- Même renvoi.


« Le sieur de Chênedollé déclare être étranger à la pétition signée d'un nom semblable au sien et qui a été analysée dans la séance du 15 décembre. »

- Même renvoi.


« Les instituteurs primaires du canton de Beaumont proposent des modifications à la loi sur l'enseignement primaire, dans le but d'améliorer la position et l'avenir des instituteurs. »

- Même renvoi.


« Le sieur Lemoir prie la chambre de soumettre à la patente la profession d'avocat, au lieu d'établir une retenue de 5 p. c sur les traitements des fonctionnaires publics.»

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens.


« Les membres du conseil communal de Rumbeke demandent que la ville de Roulers demeure le chef-lieu de l'arrondissement administratif de ce nom. »

M. Rodenbach. - Je demande qu'à l'exemple de ce qui a été fait pour les autres pétitions du même genre, la chambre ordonne le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.

- Adopté.


« Le conseil communal d'Érezée prie la chambre d'allouer au budget une somme de 10,000 fr. pour la construction de la route de Loy à Manhay. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.


« Plusieurs cultivateurs de Fouleng, Gondregnies et Gages, demandent le rétablissement de la loi de 1834 sur les céréales. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.


« La chambre de commerce des arrondissements d'Ypres et de Dixmude, présentant des observations contre le projet de loi sur les denrées alimentaires, demande un droit d'entrée de 20 fr. par 1,000 kilog. sur le froment, de 15 fr. sur le seigle et de 10 fr. sur l'avoine, le sarrasin, les fèves, l'orge, les pois et les vesces. »

- Même dépôt.


« Le sieur Fétis, maître de chapelle du Roi, directeur du Conservatoire royal de musique de Bruxelles, prie la chambre d'introduire dans le projet de loi qui modifie la loi des pensions une disposition relative aux droits à la retraite des professeurs et employés des écoles d'arts notamment des conservatoires royaux de musique, et demande que par exception ses années de services en France puissent lui être comptées, si des motifs de sauté l'obligeaient à se retirer avant le temps voulu dans la situation normale. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les pensions.


Il est fait hommage à la chambre, par M. le docteur Crommelynck, de 115 exemplaires du Nouvelliste médical belge, qui, tout en publiant une pétition de quelques médecins, relative à l'abolition de la patente, a émis quelques considérations contraires à la manière de voir des pétitionnaires. »

- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1849

Discussion du tableau des recettes (I. Impôts)

Contributions directes, cadastre, douanes et accises, etc.

M. Cools, au nom de la section centrale, donne lecture du rapport suivant :

« La section centrale a examiné les amendements proposés par M. Toussaint.

« Elle pense que le gouvernement pourrait tirer des droits de timbre des produits plus considérables. Aussi, à la majorité de quatre voix contre deux, ne s'est-elle pas prononcée contre la proposition d'une manière absolue. Seulement elle croit que le système proposé demande à être étudié avec plus de maturité et que c'est au gouvernement à en faire l'objet de son examen. Le motif qui la détermine à émettre cet avis, c'est que, dans sa manière de voir, l'augmentation ne devrait pas avoir lieu d'une manière proportionnelle pour tous les timbres d'après leur dimension, quoique uniforme pour chaque catégorie, comme l'honorable M. Toussaint le propose.

« Elle croit que l'augmentation de produits qu'elle a en vue, pourrait être prise sur de certaines catégories de timbre, de préférence à d'autres.

« Ainsi, par exemple, dans son opinion, il n'y aurait pas d'inconvénient réel à augmenter en ce moment légèrement les timbres servant aux actes judiciaires, par la raison que les plaideurs trouveront une compensation dans la réduction que le projet de loi dont la chambre est saisie introduira dans les frais de justice en matière civile.

« D'autres idées ont encore été émises au sein de la section centrale, mais ces propositions n'ayant pas réuni la majorité des voix, elles n'ont eu que le caractère de propositions individuelles, et il paraît, dès lors, inutile d'en faire connaître la portée dans ce rapport. Ces propositions, qui n'ont pas été adoptées par trois voix contre trois, avaient trait aux affiches et annonces par voie; des journaux. »

Discussion du tableau des crédits (III. Chemin de fer)

Travaux publics

M. le président. - Nous sommes arrivés au chapitre du chemin de fer. Je reproduis l'observation que j'ai faite samedi, à savoir s'il ne conviendrait pas de renvoyer la discussion qui concerne le chemin de fer, à la discussion du projet de loi spécial, relatif aux péages.

M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, sans approfondir maintenant la discussion, je crois qu'il faudrait au moins permettre à l'opinion contraire à celle qu'a exprimée le gouvernement, de se prononcer. Une discussion comme celle-là amène toujours des émotions dans le pays. L'on a dit dernièrement qu'il y avait une différence, mais que cette différence ne faisait rien. Eh bien, puisque la discussion doit se représenter dans quelques jours, nous éclairerons le gouvernement par le débat qui va avoir lieu.

M. de Mérode. - Messieurs, j'appuie cette observation. Il s'agît d'un objet extrêmement important pour nos finances. Il ne peut pas y avoir perte de temps à s'en occuper à plusieurs reprises et d'une manière sérieuse.

M. le président. - Je n'ai pas fait de proposition ; je n'ai fait qu'une simple observation. Je vais, en conséquence, donner la parole aux orateurs inscrits pour cette discussion spéciale.

La parole est à M. Ch. de Brouckere.

M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, je n'ai que quelques courtes observations à soumettre sur les péages. L'honorable M. de Theux demandait dernièrement au gouvernement de vouloir bien le rassurer sur le mouvement du canal de Charleroy. Tout le monde aurait pu lui donner la réponse à cette demande; il n'est pas besoin de documents ni de chiffres. Il est certain que lorsque vous changez les conditions commerciales ou les conditions industrielles, le déplacement ne s'opérera pas instantanément ; cela ne se fait pas comme une révolution.

Les uns ont leurs capitaux engagés, les autres ont leurs habitudes; il faut un temps moral pour que le déplacement ait lieu. M. le ministre l'a eu bien facile quand on lui a fait une interpellation ; il est venu avec des chiffres. J'admets qu'il en soit ainsi un mois, deux mois. Je le concevrais si le gouvernement était comme un entrepreneur concessionnaire, n'ayant pas à s'occuper des intérêts moraux, du déplacement des capitaux, de la perturbation, n'ayant jusqu'au dernier moment d'autre mesure, d'autre échelle que sa recette. Un concessionnaire de canal, que veut-il ? Un revenu. Dès qu’il a son revenu, il est satisfait; quand cette voie est (page 276) délaissée, il est temps d'abaisser le péage. Le gouvernement ne se trouve pas dans la même position ; il est à la fois entrepreneur de canaux et de chemins de fer. Quand il abaisse les péages sur une des deux voies, il se fait concurrence à lui-même, et, après tout, il peut se dire : Ce que le canal ne donnerait plus, le chemin de fer pourrait le donner. M. le ministre a avoué qu'il y avait une différence de 1 fr. 38 c.; mais 1 fr. 35 c. sur 5 fr., c’est 27 p.c. Or, je vous le demande, faut-il des chiffres pour arriver à la conclusion qu'avec 27 p. c. de différence on abandonnera le canal, on se servira exclusivement du chemin de fer?

Maintenant on se sert encore du canal ; et pourquoi? Parce que de toutes parts des pétitions ont été adressées au gouvernement et que, des pétitions antérieures ayant eu du succès, on espère que les nouvelles pétitions en auront encore; dans cette attente on se résout à une perte momentanée pour n'avoir pas de chômage ; le propriétaire de bateaux ne veut pas les laisser chômer parce qu'il a des bateliers qu'il veut conserver quelque temps, pour les retrouver dans des temps meilleurs. Et quand le propriétaire de bateaux est, en. même temps, propriétaire de charbonnages, il surtaxe le charbon qu'il envoie par chemin de fer. Le charbon envoyé par chemin de fer est envoyé à un prix différent de celui expédié par le canal. Ici il n'agit pas comme un industriel qui a des charbons, mais comme un industriel qui a des bateaux et des charbonnages. Le chemin de fer pour lui est un antagoniste, il lui fait autant de mal qu'il peut. 1 fr. 35 c, dit M. le ministre, c'est peu de chose, parce qu'il y a des magasins le long du canal et qu'il n'y en a pas le long du chemin de fer.

Comme je le disais tout à l'heure, pendant deux mois il en sera ainsi; il y a une masse de capitaux immobilisés le long du canal ; mais j'ai signé déjà deux ou trois autorisations d'établir des magasins le long de la station du chemin de fer du Midi ; j'aurais refusé de les signer si la loi me l'avait permis, parce que les gens qui vont se placer là font une folie, ils vont immobiliser des capitaux qui seront perdus, quand on reviendra à un système d'égalité; et il aurait fallu y revenir avant qu'on ait immobilisé des capitaux qui seront bientôt engloutis.

En attendant, le commerce se déplacera ; les bateliers chômeront, ce ne sera que quand ils auront chômé, c'est-à-dire quand ils seront malheureux, qu'on songera à rétablir le système d'égalité.

On va déplacer non seulement les capitaux, mais détruire la fortune du travailleur : son industrie.

L'industrie du batelier sera momentanément remplacée par celle du débardeur. Il ne faut pas de science pour faire des débardeurs; il ne faut que des membres. La place des bateliers sera prise par des manouvriers qui arriveront de la campagne ; puis si l'on rétablit l'équilibre, adieu les débardeurs ! Ce seront eux qui seront réduits à la misère. Triste système de bascule !

Avant de prendre de telles mesures, le gouvernement aurait dû, non pas se faire donner des renseignements statistiques. mais faire ce raisonnement tout simple : c'est que toutes les fois que vous détruisez des conditions d'équilibre entre deux voies conduisant ca même but, vous détruisez fatalement l'une des deux.

Le gouvernement doit donc réviser au plus vite le tarif sur le chemin de fer ou celui sur les péages. Il faut que l'équilibre soit rétabli, puisqu'il est entrepreneur des deux voies.

Je saisirai cette occasion pour demander, avec mes honorables collègues, qu'il y ait le plus tôt possible une loi pour les tarifs du chemin de fer. On pourra vous dire, aussi bien dans un an qu'aujourd'hui, qu'il faut une expérience nouvelle. C'est la dixième ou la douzième que l'on a fait. J'ai été un grand exploitant, ou, du moins, j'ai fait un très grand usage du chemin de fer. Pendant cinq ans que je m'en suis servi (j'étais, je crois, celui qui en faisais le plus usage), les expériences ne m'ont paru ni concluantes, ni bonnes.

Je crois qu'on ferait bien de s'éclairer par la législature, pour arriver non pas à un tarif invariable, mais à un tarif qui ne puisse varier qu'après examen de la législature. Il y a plus de lumières en cent dix membres de cette chambre qu'en une seule personne; ici il se rencontrera toujours quelqu'un qui trouvera le côté faible du tarif. Le gouvernement s'éclairera des lumières de nos discussions; le sort du commerce sera moins précaire. Gouvernement et chambres, nous ne devons vouloir qu'une seule et même chose : le développement de la prospérité commerciale du pays.

(page 283) M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je suis bien loin de méconnaître tout ce qu'a d'important la question qui s'agite en ce moment. Les intérêts engagés dans la navigation du canal de Charleroy et dans le commerce de charbons de la capitale ont droit à toute notre sollicitude. Mais je ne puis perdre de vue la loi que la chambre m'a tracée. Elle a commencé par déclarer qu'elle ne traiterait pas à présent la question relative aux péages. C'est pour cette raison que je ne crois pas devoir la traiter aujourd'hui sous toutes ses faces.

Qu'ai-je dit, messieurs, à votre dernière séance? J'ai dit simplement que jusqu'à présent il n'y a pas péril en la demeure. Je crois avoir eu le droit de m'exprimer ainsi.

Je pense qu'on se fait illusion, en attribuant aux sacrifices que s'imposent le commerce de Bruxelles et les propriétaires des charbonnages que le mouvement de la navigation ne s'est pas ralenti jusqu'à présent. Je ne puis le croire de la part des propriétaires des charbonnages, car eux-mêmes sont les premiers à résister à l'idée de rétablir le tarif du chemin de fer sur l'ancien pied. Or, quel serait le commerçant qui pourrait, je ne dis pas à la longue, indéfiniment, mais pendant deux ou trois mois, supporter un sacrifice aussi important que celui qu'on vous signale?

On dit que le gouvernement a reconnu qu'il existait, entre le prix des transports par eau et le prix des transports par le chemin de fer, une différence de 1 fr. 35. J'ai rayonné par pure hypothèse, en acceptant les données qui m'avaient été fournies et que je crois exagérées.

Sur quels motifs, messieurs, est-ce donc que je me fonde pour croire qu'il y a exagération dans cette différence de 1 fr. 35? Mes motifs, les voici : avant le nouveau tarif le prix des transports par le chemin de fer était de 4 fr. 57 par tonneau. Ajoutez-y les 80 c. pour le transport par le chemin de fer de Mons à Manage et vous arriverez au chiffre de fr. 5-37. Entre fr. 5-37 et le prix actuel de fr. 4 50 la différence n'est pas de fr. 1-35, mais de fr. 0-87 seulement. Or, ce qui est remarquable, c'est qu'aussi longtemps que l'ancien tarif a été en vigueur, jamais on ne s'est plaint de la concurrence que le chemin de fer faisait à la navigation. On reconnaissait au contraire que la navigation se trouvait dans des conditions fort bonnes, et ce qui le prouve, c'est sa progression constante.

J'ai dit qu'il fallait tenir compte aussi de ce que le long du chemin de fer il n'existait pas, comme le long des quais du canal, des magasins. Cette différence, dit-on, ne tardera pas à disparaître.

Il est possible, messieurs, que cela se fasse. Mais aussi je me suis donné de garde d'engager l'avenir. Je tiens à rester dans les limites dans lesquelles je me suis tenu jusqu'ici. J'ai dit, qu'à mes yeux, la question élan digne de l'examen le plus sérieux, le plus attentif; je me suis fortifié dans cette opinion, alors que j'ai vu qu'elle était partagée par les sections, que la section centrale s'y était ralliée et avait signalé au gouvernement le danger qu'il y aurait à toucher dès à présent aux péages du canal de Charleroy. (Interruption.)

Je répondrai tout à l'heure à l'honorable M. Dumortier. Mais je répète que, dans l'état actuel de notre situation financière, il serait dangereux de toucher aux péages du canal de Charleroy.

Le premier danger, celui qui saute à tous les yeux, c'est celui de diminuer les ressources dont le gouvernement a besoin pour tous les services du pays. Une simple réduction de 15 p. c. comporterait une somme qui n'est pas à dédaigner, une somme de 220,000 à 230,000 fr. Il me semble que cela vaut bien la peine qu'on y songe.

Indépendamment de ce danger, il en est un autre que personne de vous n'ignore : c'est que lorsqu'on touche aux péages d'une seule des voies navigables, de toutes les parties du pays surgissent à l'instant même les réclamations les plus vives.

Qu'on réduise les péages du canal de Charleroy, qu'arrivera-t-il? Nous le savons dès à présent : une protestation nous est déjà adressée par le bassin de Liège. Quant aux propriétaires du bassin de Mons, ils n'ont pas protesté. Il y a plus, ils ne dissimulent pas qu'ils vous verraient avec plaisir céder aux demandes qui vous sont faites ; mais pourquoi? Parce qu'ils se persuadent que du moment où vous accorderez une réduction de péages au bassin de Charleroy, il faudra bien aussi que vous accordiez une réduction équivalente au canal de Mons à Condé, au canal d'Antoing à Pommerœul. Voilà, messieurs, les réclamations auxquelles vous devez vous attendre.

On vous a signalé un autre moyen de vous tirer d'affaire, c'est le moyen vulgaire de modifier de nouveau le tarif du chemin de fer et de l'élever.

- Des membres. - C'est ce qu'il faut faire.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Elever de nouveau les péages du chemin de fer? Mais qu'on aborde donc sérieusement la question de savoir si par cela même qu'on élèvera le tarif du chemin de fer, on ne diminuera pas la recette. Quant à moi, mon opinion à cet égard est parfaitement établie. Messieurs, ce n'est pas à priori, ce n'est point par des formules algébriques, ni par la logique pure que cette question peut se résoudre, c'est par les faits; ceux qui répudieront les conséquences des faits établis, courront toujours risque de se tromper. Eh bien, messieurs, est-il vrai, oui ou non, que chaque fois qu'on a élevé le tarif du chemin de fer, on a diminué les recettes ? Est-il vrai, oui ou non, que chaque fois qu'on a baissé le tarif du chemin de fer, on a rendu le chemin de fer plus fécond?

Si l'on dit : oui, alors qu'on soit logique et que l'on dise: Puisque telles ont été les conséquences de chaque élévation et de chaque abaissement du tarif dans le passé, regardons comme certain que telles en seront également les conséquences dans l'avenir. Or, cela étant, il y aurait double inconséquence à élever les tarifs : première inconséquence en ce que , voulant créer des ressources nouvelles, nous diminuerions celles que nous possédons; deuxième inconséquence, en ce que, voulant soulager une branche de commerce, nous porterions atteinte à toutes les autres, en leur rendant de nouveau l'accès du chemin de fer plus difficile.

Je le sais, messieurs, cette nouvelle voie de communication, comme tout progrès de la civilisation, n'a pu s'établir sans froisser des intérêts privés.

Mais ce n'est pas une raison pour en entraver les développements. La tâche du gouvernement, celle de la législature c'est de soulager les souffrances, les intérêts déplacés.

La guerre que le canal de Charleroy fait aujourd'hui au chemin de fer, c'est le renouvellement de la guerre des chemins vicinaux contre les routes pavées; de la guerre des routes pavées contre les canaux. Vous rappellerai-je que, lorsqu'on a creusé ce canal auquel nous nous intéressons en ce moment, l'ingénieur qui avait imaginé ce nouveau moyen de féconder le commerce et l'industrie, fut menacé de mort? Le canal, disait-on, était destiné à ruiner les nombreuses populations intéressées dans le transport des routes? Eh bien, qu'est-il arrive? le canal a fait vivre les populations qu'il devait faire mourir.

Messieurs, l'intérêt de la navigation du canal de Charleroy, l'intérêt du commerce de Bruxelles ont droit, je le répète, à toute notre sollicitude ; mais au-dessus de cet intérêt, il y a l'intérêt général du pays qu'il ne faut point perdre de vue. Qu'on démontre que la recette du chemin de fer sera d'autant plus fructueuse que le tarif sera plus élevé, et je suis prêt à me rendre. Mais c'est à cette démonstration seule que je céderai. J'attends mes contradicteurs à la discussion de la loi sur les péages des canaux et rivières où la question sera traitée à fond.

(page 276) M. Dumortier. - Messieurs, la question des tarifs du chemin de fer, qui se lie intimement à celle des péages des canaux, est une des plus importantes que nous ayons à examiner au point île vue et du trésor public et des intérêt de la nation. Je désire, pour mon compte, que les tarifs du chemin de fer soient enfin réglés par une loi; et lorsque la section centrale a émis ce vœu, elle ne vous a rien demandé de nouveau, elle n'a fait que réclamer l'exécution d'un article de la loi sur la création du chemin de fer.

En effet, l'article 5 de la loi du 1er mai 1834, qui établit le chemin de fer, porte ce qui suit :

« Les produits de la route, provenant des péages qui devront être annuellement réglés par la loi, serviront à couvrir les intérêts et l'amortissement de l'emprunt, ainsi que les dépenses annuelles d'entretien et d'administration de la nouvelle voie. »

Ainsi, dès le jour où la chambre a voté la création du chemin de fer, elle a voté en même temps cette disposition , que la loi devait régler annuellement les péages du chemin de fer.

Je n'ai pas ici à examiner si, dans cette disposition annuelle, la chambre a entendu apporter, oui ou non, des modifications chaque année; mais je pense qu'elle a voulu se réserver par là le moyen de faire droit, chaque année, aux réclamations fondées qui pourraient surgir du chef de la tarification des péages. Dans tous les cas, il demeure constant que la concession, accordée au gouvernement, de faire des chemins de fer aux frais de l'Etat, n'a eu lieu qu'à cette condition que le tarif des péages serait fait par la législature. Ainsi, la section centrale du budget des voies et moyens n'a fait autre chose que de demander au gouvernement l'exécution pure et simple d'un article de la loi sur la création du chemin de fer.

Comment se fait-il que, depuis 1834, les péages du chemin de fer n'aient pas été réglés par une loi ? Vous le savez, messieurs, le chemin de fer n'a été livré à l'exploitation que par sections successives. La première d'entre elles était celle de Bruxelles à Malines. Lorsqu'il fut question de mettre cette section en exploitation, nous n'avions aucune donnée sur les tarifs qu'il fallait établir; nous avons donc autorisé provisoirement le gouvernement à régler les tarifs du chemin de fer par arrêté royal. Chose étrange, cette disposition, qui dans l'intention du législateur devait être bornée à une seule expérience, régit encore aujourd'hui les choses, et laisse au gouvernement le soin de régler, à sa manière, les tarifs du chemin de fer. C'est ainsi qu'il se fait que, tandis que le gouvernement ne peut ordonner seul le plus petit impôt, il règle en maître souverain et sans contrôle les recettes des chemins de fer.

Loin de moi, messieurs, la pensée de déverser le moindre blâme sur les divers ministres qui se sont succédé dans l'administration du chemin de fer, ni surtout sur M. le ministre actuel dont j'admire, autant que sa personne, le talent et le noble caractère. Mais vous conviendrez avec l'honorable M. Charles de Brouckere qu'une assemblée de 108 députés jettera dans la discussion de la tarification du chemin de fer, des lumières que n'obtiendra jamais le ministre lui-même. Car le ministre sera toujours obligé de s'en rapporter à quelques employés qui verront la chose uniquement à un point de vue, sans qu'aucun d'entre eux les voie peut-être au point de vue du trésor public; et vous arriverez à des tarifications qui se succèdent et qui en définitive sont combattues par les ministres qui se succèdent eux-mêmes.

En effet, si vous examinez les divers comptes rendus présentés par les ministres qui se sont succédé depuis la création du chemin de fer, vous serez surpris, messieurs, de ce résultat singulier : c'est que chaque ministre a fait un compte rendu qui au fond était destiné à combattre les conclusions de son prédécesseur, de manière que chaque compte rendu du chemin trouve sa condamnation dans celui qui lui succède. Depuis que le chemin de fer est en exploitation, cela est ainsi en beaucoup de points. de même que dans la tarification de notre voie ferrée. Si la loi avait fixé les bases de la tarification, nous n'aurions pas eu toutes ces vicissitudes qu'a éprouvées celle grande et magnifique entreprise.

Le chemin de fer est une des plus belles conceptions de l'époque moderne ; mais il importe pour nous, législateurs, qui devons avant tout soigner les intérêts du trésor, que cette entreprise,s i favorable aux développements de la civilisation, ne soit pas onéreuse au trésor public.

Quelle est la situation du trésor vis-à-vis du chemin de fer?

La chambre a souvent demandé, nous avons souvent désiré savoir quelle était cette situation ; jusqu'ici on ne l'a jamais exposée d'une manière claire. Il faut un travail très long, lire et étudier les divers rapports qui nous ont été distribués, pour se faire une idée, même imparfaite, de ce que les chemins de fer ont coûté et coûtent chaque année. En voulez-vous la preuve? La section centrale a voulu savoir ce qu'avaient coûté les chemins de fer. Elle a reçu de M. le ministre des travaux publics une réponse qu'elle a insérée à la page 15 du rapport, et de laquelle il résulte que le chemin de fer aurait coûté 157,017,718 fr. 17 centimes. Voilà le chiffre indiqué par M. le ministre.

Si j'examine le rapport présenté en juillet par l'honorable M. Frère, dernier ministre des travaux publics, je vois un chiffre tout à fait différent; selon lui il a coûté non pas 157 millions, mais 102,207,325-73. Voilà cinq millions de différence. Les ministres ne sont pas d'accord entre eux sur le coût du chemin de fer. Page 5 du rapport de M. Frère, je trouve ce coût porté à 162,237,323-75. Voilà une différence de 5 millions. Mais ni l'un ni l'autre chiffre n'est rigoureusement exact, c'est-à-dire ne représente pas la situation actuelle. J'ai voulu savoir exactement ce qu’a coûté le chemin de fer au trésor public; à cet effet, je me suis adressé à la source la plus infaillible, à la cour des comptes; là j'ai eu des documents assez différents de ceux qui nous ont été présentés par le gouvernement et certainement plus exacts.

En effet, il résulte du tableau qui m'a été remis par la cour des comptes que les chemins de fer ont coûté pour frais de premier établissement, au compte de la dette publique, la somme de 169,242,635 fr. 13 c, voilà ce qu'ont coûté les chemins de fer pour frais de premier établissement; mais à ces 169 millions il faut, pour procéder rigoureusement, ajouter les lois de crédit supplémentaire, je pourrais en donner le détail, mais je veux en épargner l’ennui à la chambre ; je ne parlerai que des sommes. Il y a 1,872,493 fr. 01 c. pour construction de matériel; les frais de premier établissement portés aux budgets de 1846 et 1847 montent ensemble à 1,227,000 fr.; ensemble 3,099,493 fr. 01 c.

De manière que le chemin de fer coûtait au 1er janvier à la Belgique, (page 277) pour frais de premier établissement, un total de fr. 172,342,128-14. Je me hâte de dire que les capitaux sont comptés à la valeur nominale des emprunts, car je n'ai fait ce compte que pour savoir ce que le chemin de fer nous coûte annuellement, ce qu'il nous rapporte annuellement, afin de voir s'il y a bénéfice ou perte. Pour connaître notre situation annuelle, j'ai pris la somme à payer chaque année par le chemin de fer. du budget de la dette publique. Le chemin de fer figure donc au chapitre de la dette publique pour 172 millions. Cette somme s'augmenterait considérablement si vous deviez y ajouter les déficits successifs de chaque année, car dans toute opération, les capitaux engagés qui ne rapportent pas leurs intérêts, augmentent d'autant la dépense totale.

D'après la donnée qui m'est transmise par la cour des comptes, si on ajoutait à la dépense de premier établissement du chemin de fer, les intérêts payés non couverts et les frais faits jusqu'au 1er janvier 1848, la .dépense s'élèverait à 229,734,660 fr. 14 c, en chiffre rond 230 millions, et avec les prédits supplémentaires et les sommes de premier établissement portés aux budgets, un chiffre définitif de 233,861,183-15. Voilà en réalité ce que nous coûte aujourd'hui le chemin de fer, d'après la cour des comptes.

Maintenant pour qu'on ne me taxe pas d'exagération dans les calculs, je consens volontiers à faire le sacrifice des 50 millions d'intérêts non couverts, je les considère comme de l'argent perdu à tout jamais. Cependant vous ne pouvez pas vous dissimuler que ce sont ces déficits annuels qui ont engendré les bons du trésor, lesquels ont dû, à leur tour, se convertir en emprunts forcés. Mais pour rester dans les chiffres les plus modérés, abandonnons cette somme qui s'élève à 50 millions et arrêtons-nous au chiffre des frais de premier établissement s'élevant à 172 millions.

Examinons en nous basant sur ce chiffre, ce que nous coûte le chemin de fer au budget de l'Etat, et ce qu'il nous produit ; par là nous tirerons des conséquences qui pourront être de quelque utilité, soit dans la fixation du budget, soit dans la question qui nous occupe depuis quelques jours de la tarification des chemins de fer. J'ai dit, messieurs, que le chiffre que j'ai eu l'honneur de vous indiquer est celui qui figure au budget de la dette publique dans la somme générale des emprunts.

Eh bien, au budget de la dette publique, voici la partie afférente au chemin de fer, dans les emprunts ci-après :

Emprunt de 30,000,000 de fr., autorisé par la loi du 18 juin 1836, 26,886,438 fr. 74 c.

Emprunt de 50,850,000 de fr., autorisé par la loi du 25 mai 1838, 45,860,953 fr. 17 c.

Emprunt de 86,940,000 de fr., autorisé par la loi du 26 juin 1840, 73,657,046 fr. 78 c.

Emprunt de 28,621,718 fr. 40 c, autorisé par la loi du 29 septembre 1842, 23,484,486 fr. 89 c.

Lois du 15 avril 1845 et du 19 août 1846 sur les bons du trésor, 11,972,960 fr.

Lois du 21 avril et du 21 mai dernier, relatives aux deux emprunts forcés, 7,005,61! fr. 58c.

Tout cela fournit, en 1848, une charge de 9,969,683 fr. 40 c.

Voilà pour quelle somme figure au budget de la dette publique la grande entreprise du chemin de fer.

Mais à cela il faut ajouter encore les sommes votées pour crédits supplémentaires de 1846, 1847 et 1848, ainsi que celles portées aux budgets de 1846 et de 1847 pour augmentation et renouvellement du matériel, sommes transformées en bons du trésor, et pour lesquelles il y a un intérêt annuel de 5 p. c. Cela donne une charge annuelle de 154,974 fr. 65 centimes. De manière que la dépense réelle occasionnée par l'intérêt et l'amortissement des fonds de premier établissement du chemin de fer dans les charges de la dette publique est de 10,124,658 fr. 65 c.

Voilà, chiffre pour chiffre, d'après les données qui se trouvent dans les documents du gouvernement et dans les documents fournis par la cour des comptes, ce que nous payons au budget de la dette publique, pour l'entreprise du chemin de fer. Remarquez que je parle toujours pour 1848.

Si maintenant nous joignons à l'intérêt et au service des emprunts que nous coûte ce premier établissement la dépense annuelle du chemin de fer, nous aurons le compte de ce que le chemin de fer nous coûte en 1848. Or. il a été voté pour le chemin de fer (exercice 1848), une somme de 9,787,003 fr. 50 c. Si vous additionnez ce chiffre avec l'intérêt des frais de premier établissement, vous arriverez à ce résultat qu'en 1848 l'entreprise du chemin de fer a coûté en Belgique 19,911,761 francs 65 centimes.

Je sais que M. le ministre viendra me dire qu'en 1848 il a fait des économies sur les dépenses. Mais il m'est impossible de le constater. M. le ministre le sait; nous l'ignorons. Je ne puis que le louer, et le louer beaucoup des économies qu'il a pu faire. Mais, quant à moi, je ne puis calculer que d'après les documents officiels. D'ailleurs le chiffre auquel vous avez évalué les dépenses était si peu exagéré que vous avez dû demander pour l'an dernier un crédit supplémentaire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y en a pas eu.

M. Dumortier. - Pardon, il y en a eu, et il s'élève à 1,027,000 fr.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est juste ; mais c'était le fait de l'administration précédente.

M. Dumortier. - Je ne veux déverser le blâme sur personne, ni sur le présent ni sur le passé; mais je crois pouvoir examiner la question en elle-même, sans préoccupation aucune de personnes.

Pour compléter la justification de ses prévisions, M. le ministre des travaux publics nous a dit : Nous avons fait, en 1848, des économies sur le chemin de fer. Par exemple, nous avons suspendu le renouvellement des rails et du matériel.

Une pareille économie n'est en réalité qu'un transfert de dépense. Si le discours de M. le ministre des travaux publics avait paru dans le Moniteur, je serais peut-être plus exact. Mais ni le discours de M. le ministre des travaux publics, ni les renseignements qu'il avait promis ne sont au Moniteur. Je vous prie donc d'être indulgents; car je ne puis ici m'en rapporter qu'à ma mémoire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - En l'absence de mon collègue des travaux publics qui vient de quitter la salle, permettez-moi de vous faire remarquer qu'il n'a pas prononcé les paroles que vous lui attribuez. Voici sa pensée :

Si l'on a reçu moins, les dépenses ont été moindres; si l'on a fait moins de transports, les frais de traction ont été réduits dans la même proportion. Toutes les dépenses prévues n'ont pas été opérées. J'ajoute maintenant, quant au raisonnement que nous venons de faire, qu'il ne faut pas argumenter des dépenses supposées dans le budget lorsque, d'autre part, vous ne comptez que les recettes amoindries de 1848.

M. Dumortier. - Ma réponse sera extrêmement facile. Examinons ce qui se fait de transports; nous verrons alors quelle peut être l'économie. Mais au reste, vous déduirez cette économie de la balance du compte.

M. le ministre des travaux publics voudrait que je m'occupasse des dépenses réelles. Il m'est impossible de suivre le gouvernement sur ce terrain. On a demandé à la chambre un vote qu'elle a émis. Il faut bien que j'admette comme réelle l'hypothèse dans laquelle ce vote a été demandé et émis, sans cela je serais dans l'arbitraire des chiffres. Je veux rester dans les chiffres officiels. Au surplus, je ne puis que le répéter, déduisez vos économies de la balance du compte et le résultat sera encore effrayant.

Je viens de dire quelles ont été, en 1848, les dépenses du chemin de fer autorisées par la loi du budget : fr. 19,911,761-55. Je passe maintenant aux recettes. Je trouve dans le budget des voies et moyens, à la page 55, que, dans les 9 premiers mois de l'année 4848, le chemin de fer a rapporté 9,085,000 fr. On ne saurait contester ce chiffre, c'est un chiffre officiel, c'est un chiffre indiqué par M. le ministre des travaux publics lui-même. Si le chemin de fer a produit 9,085,000 fr. pour les 9 premiers mois de l'année, cela fait un million par mois.

Nous voyons par les documents qui nous sont présentés par M. le ministre des travaux publics (remarquez que le mois de septembre est compris dans les neuf premiers mois).

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le mois de février aussi.

M. Dumortier. - Nous sommes d'accord. Il est le second. C'est parce qu'il a 28 jours seulement que vous faites mention de ce mois?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non, c'est parce qu'il comprend le 24 février.

M. Dumortier. - Je sais qu'il y a des personnes qui trouvent mauvais que j'examine à fond la question des tarifs. Mais nous avons un devoir à remplir. Je prie les membres qui voudront me combattre de me répondre. Mais j'attends de leur indulgence qu'ils veulent bien m'écouter.

Messieurs, je viens donc de vous dire qu'au budget des voies et moyens, M. le ministre des finances nous annonce que le chemin de fer a rapporté, pour les neuf premiers mois de cette année, une somme de 9,085,000 fr. Nous avons demandé à M. le ministre quels avaient été les produits du mois d'octobre; il nous les a donnés. Ces produits ont été de 1,131,000 fr.; en novembre ils ont été de 982 000 fr. Le mois de décembre a toujours produit moins que le mois de novembre. On peut donc, sans commettre une erreur probable, apprécier que chacun de ces trois mois rapportera, comme les précédents, un million. Nous arrivons donc, pour l'année entière, au chiffre de 12 millions, et ce chiffre, personne n'en contestera la probabilité.

Si nous défalquons ces 12 millions en recette de la somme des dépenses évaluées à 19,911,761 fr. 53 c, nous avons, pour 1848, un déficit de 7,911,761 fr. 55 c.

Ce déficit sera peut-être diminué de quelques centaines de mille francs, si le mois de décembre est plus fructueux que ceux qui l'ont précédé. Mais c'est une lettre complètement close, et je crois qu'en appliquant au mois de décembre la moyenne des autres mois, nous faisons tout ce qu'il est possible de faire, attendu que nous ne pouvons prévoir quel sera le produit de la fin de l'année.

Toujours est-il, messieurs, et je prie la chambre de fixer son attention sur ce point, car on ne peut contester l'exactitude de ces chiffres, ils sont tous puisés dans des renseignements officiels ou dans les documents de la cour des comptes; toujours est-il, dis-je, qu'à la fin de 1848 il y aura un déficit de 7,911,761 fr. 55 c, moins ces économies qui ont pu être apportées dans les dépenses de l'année.

Qu'est-ce donc, messieurs, qu'un déficit de 7,911,000.fr. ? C'est, messieurs, plus de moitié du principal de l'impôt foncier de tout le royaume ; car l'impôt foncier rapporte en principal 15 1/2 millions. La moitié de ce produit, c'est 7,750,000 fr. chiffre inférieur au déficit du chemin de fer en 1848. Ainsi, messieurs, lorsqu'un contribuable va payer la moitié (page 278) de son impôt foncier chez le receveur, il n'y a rien pour l'administration, rien pour l'année, rien pour soulager les misères du peuple, rien pour tout ce qui tient au budget. Il a seulement payé sa quote-part dans le déficit du chemin de fer en 1848.

Je signale ces résultats à votre méditation. Vous comprendrez tous qu'en présence de pareils faits, il importe d'apporter un remède à un préjudice aussi grave occasionné au trésor public, et ce remède, vous ne le trouverez que dans une seule mesure, dans l'exécution de la loi de 1834, en exigeant que ce soient vous-mêmes qui à l'avenir fassiez la tarification du chemin de fer.

Je sais bien, messieurs que l'année 1848 est une année hors ligne. Je conçois fort bien les objections qu'on va me présenter de ce chef. Je sais, comme le disait un honorable interrupteur, qu'il y a eu un 24 février.

Mais quelle est l'année dans laquelle le chemin de fer a le plus rapporté? C'est l'année 1847. Or, voyons quelle a été la différence entre les recettes et les dépenses en 1847?

En 1847, le chemin de fer nous a rapporté 14,789,000 fr. Si, messieurs, vous comparez ce chiffre à celui de la dépense en la supposant la même qu'en 1848, vous verrez que vous êtes encore en déficit de 5 millions de francs.

L'année la plus favorable, mise en présence de nos dépenses actuelles, vous mettrait encore en déficit de 5 millions.

La somme de 15,500,000 fr. portée au budget que nous examinons serait-elle reçue, ce qui est peu probable, il y aurait encore un déficit d'environ 4 millions de francs. Est-ce là, messieurs, quelque chose de bien consolant pour le trésor? Je dis, moi, que ce résultat est effrayant pour le trésor public. Car lorsque chaque année nous marchons avec de tels déficits, nous appelons la création de nouveaux impôts pour les couvrir.

Et ici je m'arrêterai en passant sur le chiffre posé au budget. Le budget actuel nous indique que les recettes du chemin de fer s'élèveront, en 1849, à la somme de 15 1/2 millions, et nous voyons qu'en 1848, elles n'auront rapporté que 12 millions de fr. Je demanderai sur quoi se base le gouvernement pour supposer qu'en 1849 nous aurons non seulement 3 1/2 millions de recette de plus que cette année, mais un million de plus que l'année la plus favorable depuis l'existence du chemin de fer. J'avoue que, pour mon compte, si je vote le chiffre présenté par M. le ministre, et je déclare que je le voterai, c'est que j'entends, en émettant ce vote, que la chambre règle les tarifs et ne donne pas un vote frustratoire. Car si la chambre laisse les choses dans l'état où elles se trouvent, je suis certain qu'elle vote, pour les produits du chemin de fer, plusieurs millions au-delà de ce qu'ils rapporteront, à moins d'un retour de prospérité continentale qu'd est impossible de prévoir.

Messieurs, chacun se demandera d'où viennent ces déficits successifs, d'où vient que l'année dernière, les recettes comparées aux dépenses actuelles, présentent un déficit de 5 millions, que cette année nous aurons un déficit de 7 à 8 millions de francs. La réponse est excessivement simple. Ces déficits sont dus à la tarification du chemin de fer. Il ne faut pas. messieurs, chercher la solution de la question ailleurs qu'où elle se trouve. J'irai plus loin, et je le dis avec la plus profonde conviction, la tarification du chemin de fer est le chancre des finances de la Belgique.

Comment! nous nous ingénions du matin au soir pour faire quelques économies : à chaque instant nous nous disons : Ne pouvons-nous pas réduire quelques milliers de francs sur le traitement de tel ou tel fonctionnaire, ne pouvons-nous pas opérer telle ou telle économie légère? et tandis que nous nous efforçons ainsi à créer des ressources par des moyens qui nous font saigner le cœur, dans un pareil moment nous voyons que le trésor subit une perte aussi effrayante par le vice de la tarification du chemin de fer! Il est évident, messieurs, que là est le chancre de nos finances et qu'il est temps que la chambre mette enfin le doigt sur la plaie, que le pays soit éclairé sur cette situation.

Comparons, je vous prie, messieurs, le revenu de notre chemin de fer avec le revenu des chemins de fer voisins.

Lorsqu'en 1834 on vota la loi sur la création du chemin de fer, comme je le disais tout à l'heure, on était encore à la première expérience, on n'avait aucune donnée sur ce qu'on devait faire. Lorsqu'en 1839, en 1841, en 1842, de nouvelles modifications furent apportées au tarif, nous étions encore dans le vague, dans l'incertitude. La question de la tarification du chemin de fer était alors une question excessivement ardue, excessivement difficile, que nous ne pouvions résoudre que par notre propre expérience, que par des essais successifs.

Aujourd'hui ce qui était une question ardue, il n'y a que peu d'années encore, n'est plus même une question, c'est tout simplement une comparaison à faire. Comparez les tarifs et les produits de votre chemin de fer aux tarifs et aux produits des chemins de fer qui vous environnent, et vous verrez où est le mal qui occasionne un si énorme déficit dans le trésor.

Messieurs, le chemin de fer de la Belgique a une étendue de 120 lieues, le chemin de fer du Nord a une étendue de 60 lieues; c'est en chiffre rond la moitié du nôtre. Eh bien, d'après les chiffres que le gouvernement nous a fournis, le chemin de fer français du Nord, qui est la continuation du nôtre, a rapporté, en 1817, 15,667,434 fr. Sur cette base, notre chemin de fer devrait donc nous rapporter 30 millions de francs. Or que nous a-t-il donné dans l'année la plus favorisée? 14,700,000 fr., un million de moins qu'un chemin de fer qui n'a que la moitié de l'étendue du nôtre.

Voilà, messieurs, une comparaison qui doit frapper tout homme non prévenu, tout esprit impartial. Il est évident que lorsqu'un chemin de fer de 60 lieues rapporte 15 millions, notre chemin de fer, qui a 120 lieues, doit rapporter plus de 14,700,000 fr. Je sais bien qu'on viendra m'objecter que Paris est un centre qui attire beaucoup de produits, beaucoup de voyageurs. C'est sur cette base que repose principalement le travail d'un ingénieur infiniment subtil, qui prêche la réduction des péages, tellement subtil même qu'il prouverait sans peine que la 1/2 de 10 est 20. Mais, messieurs, cet argument ne prouve qu'une chose, c'est qu'il doit y avoir moins de voyageurs en Belgique qu'en France. Quant au produit proportionnel, cela ne prouve rien, car une lieue parcourue sur un chemin de fer, c'est une lieue parcourue quelque part que ce soit.

Il est donc vrai qu'un pareil argument n'a aucune espèce de valeur. Eh bien, messieurs, si vous comparez vos tarifs avec ceux des chemins de fer qui nous environnent vous verrez que vos tarifs sont abaissés d'une manière vraiment incroyable et que c'est à ces tarifs qu'il faut attribuer le déficit de notre chemin de fer.

J'ai fait, messieurs, cette comparaison et voici comment j'ai procédé : J'ai pris trois routes principales, de Paris à Rouen, celle de Paris à Orléans, et le chemin de fer du Nord; j'ai pris les distances les plus grandes qui pouvaient coïncider avec des distances égales dans notre pays en ligne droite.

De Paris au Havre il y a 229 kilomètres, d'Ostende à Pepinster il y a 237 kilomètres, c'est 8 kilomètres de plus sur le chemin de fer belge. Eh bien, messieurs, de Paris au Havre on paye : par diligence fr. 26-50; d'Ostende à Pepinster, pour 8 kilomètre de plus ,on ne paye que fr. 15-30 différence en moins pour la Belgique 11 francs.

En char à bancs, on paye sur la route française fr. 20-50; sur la route belge, fr. 12-25; différence au préjudice de notre chemin de fer fr. 8-25.

En waggons, on payait autrefois sur la ligne française, 15 fr. 50 c; c'est encore aujourd'hui le prix pour tout le parcours, excepté pour le seul point de Paris au Havre ; maintenant c'est 12 fr. ; sur la ligne belge le prix est de 7 fr. 75 ; différence au détriment du chemin de fer belge, 4 fr. 25.

Veuillez remarquer, messieurs, qu'en France on paye en waggons ce qu'on paie en Belgique en diligence, 15 fr. 50, pour toutes les autres distances que celle de Paris au Havre. Ainsi le prix le plus élevé sur notre ligne est le même que le prix le moins élevé du chemin de fer français ; nos diligences payent comme leurs waggons.

Voyons maintenant le chemin de fer de Paris à Orléans.

La distance de Paris à Orléans est de 122 kilomètres ; d'Ostende à Matines, il y a 123 kilomètres, i kilomètre de plus pour la ligne belge.

D'abord en Franc il y a des coupés pour lesquels on paye 15 fr.; ces voitures n'ont pas d'analogues en Belgique.

Pour les voilures qui correspondent à nos voilures de première classe on paye 12 fr. 60 c; en Belgique les diligences payent 7 fr.; différence en moins pour notre chemin de fer, 5 fr. 60 c.

Voilures de deuxième classe en France 9 fr. 30 c; en Belgique 5 fr. 25 ; différence à notre détriment 4 fr. 25 c.

Waggons : en France, 6 fr. 55; Belgique, 3 fr. 25; différence au préjudice de la Belgique, 3 fr. 30.

Ici encore, messieurs, pour les mêmes distances, les waggons se payent en France 6 fr. 55, tandis qu'en Belgique les diligences ne se payent que 7 fr., de manière que notre première classe est également au niveau de la dernière classe en France.

Mais, messieurs, on vient nous dire que plus vous abaisserez le tarif plus vous recevrez ; eh bien, s'il en est ainsi, le moyen d'obtenir les produits les plus élevés, c'est de faire le transport pour rien; je me trompe, il y a moyen de recevoir encore plus, c'est de donner une prime à ceux qui veulent bien faire usage du chemin de fer.

L'absurdité de la conséquence démontre l'absurdité du principe. (Interruption.)

Un de mes honorables amis me dit : « Mais si vous augmentez le tarif indéfiniment ? » Certainement, il ne faut pas augmenter le tarif d'une manière indéfinie; il faut savoir trouver le juste milieu, le point où l'on obtient les produits les plus élevés et certes, nous n'y sommes pas puisque nous perdons annuellement 5 millions au minimum, et 8 millions au maximum.

Voyons maintenant le chemin de fer de Paris à la frontière belge.

De Paris à Douai, il y a 241 kilom.; d'Ostende à Verviers il y a 243 kil.; ainsi 2 kilom. de plus en Belgique qu'en France. En France, la première classe est payée à raison de 24 fr. 90 en Belgique, 16 fr. 50 c. différence, au détriment du trésor public belge 8 fr. 40 c.

En France, la seconde classe est payée 18 fr. 75; en Belgique, 13 fr. différence, au détriment de notre trésor, 5 fr. 75.

Dans les waggons. on paye, en France, 13 fr. 90; en Belgique, on ne paye que 8 fr. 25; différence, au détriment du trésor belge, 5 fr. 65.

Si cette comparaison ne démontre pas à l'évidence où est le vice de notre tarification, véritablement il faut dire que les leçons de l'expérience ne sont pas faites pour les hommes.

Voyez, messieurs, ce qu'a produit le chemin de fer du Nord avec son tarif. J'ai en mains le rapport qui a été présenté, au nom du conseil d'administration du chemin de fer du Nord, sur les produits de l'année 1847, et j'y vois que, pour 1847, il y a eu un excédant de recettes de (page 279) 10,221,923 fr. 38 c; ainsi, tandis qu'avec notre chemin de fer, nous ayons un déficit d'environ 5 millions, la France, avec un tarif différent, réalise un bénéfice de 10 millions, en sorte que toutes les dépenses effectuées, tous les intérêts des capitaux de premier établissement desservis, il reste un dividende de 3,980,000 fr., et pour réserve 2,000,000 de fr., par conséquent, bénéfice net près de 6,000.000 de fr.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et le taux des actions !

M. Dumortier. - Nous savons maintenant que les fonds publics eux-mêmes ne sont pas à leur valeur, mais ils étaient à 70 avant les événements de février ; mais ce que je puis assurer c'est qu'en 1848, le chemin de fer français payera ses intérêts, tandis que le nôtre présentera sept millions de déficit.

Nous sommes donc dans une voie infiniment vicieuse, quant à la tarification du chemin de fer, dans une voie ruineuse pour le trésor public. Je n'en conclus pas cependant qu'il faille adopter d'emblée tel ou tel tarif ; je laisse ce point à la sagesse de la chambre ; mais j'en reviens toujours à ma proposition, que, lorsque la chambre examinera le tarif, elle aura à voir avec soin ce que produisent les tarifs sur les autres ligne parallèles, et qu'alors elle doit arrêter une tarification qui mette le trésor public à l'abri des pertes successives. Car si le chemin de fer, comme l'a dit avec raison M. le ministre, est une entreprise, il faut que cette entreprise couvre ses dépenses.

Voilà donc un déficit énorme en présence duquel nous nous trouvons chaque année; et pour le combler, quel moyen va-t-on proposer?

Je ne sais si réellement j'ai bien entendu, mais vous arriveriez à ce résultat, qu'il faudra encore réduire les péages des canaux, c'est-à-dire que pour combler le déficit de 7,800,000 fr., résultant du chemin de fer, vous diminuiez d'un millions et demi le revenu de vos canaux. C'est par trop fort! Accumuler les déficits pour couvrir un autre déficit! Mais où veut-on conduire le trésor public avec un pareil système ? Comment ! on a fixé pour les marchandises un tarif tel qu'aujourd'hui on transporte au chemin de fer le tonneau de houille à fr. 2-50 de moins que par le canal de Charleroy! On ruine le canal, on ruine une foule de citoyens, on bouleverse l'équilibre des bassins houillère, et tout cela sans que les chambres soient consultées, au détriment du trésor public!

Les chiffres qui ont été indiqués par M. le ministre des travaux publics sont, je le sais, contestés par les industriels. Je tiens en mains une note adressée à la chambre dans laquelle ceux-ci affirment que M. le ministre a été mal informé. Permettez-moi de lire le passage qui concerne ce point.:

« Constatons un fait. Selon M. le ministre des travaux publics la différence entre le transport par waggons et celui par bateaux est de 1 fr. 35 par 1,000 kilog. au préjudice de la navigation. Nous, messieurs, nous affirmons que cette différence est déjà de 2 fr. 30 c. pour le transport depuis les charbonnages du centre jusqu'à Bruxelles seulement. Nous avons justifié ce chiffre dans notre requête adressée à M. le ministre des travaux publics et spécialement dans un état comparatif dressé le 6 octobre, où notre calcul est justifié dans ses moindres détails. Ce tableau a été certifié bon et véritable par nos trois délégués. Ils ont offert à M. le ministre des travaux publics de lui produire leurs livres, leurs contrats passés avec les bateliers qui établissent l'exactitude de leurs évaluations. Le gouvernement n'a pris auprès d'eux aucun renseignement, n'a fait procéder à aucun examen dans leurs bureaux, et cependant M. le ministre des travaux publics ose donner du haut de la tribune un démenti à d'honorables négociants qui se seraient empressés de satisfaire à la première demande de vérification qui leur eût été adressée. »

Voilà donc des négociants qui offrent d'ouvrir leurs bureaux pour faire constater l'exactitude de leurs allégations; si leurs données n'étaient pas exactes, ils ne feraient certes pas cette offre. (Interruption.)

On me dit que les chiffres contestes sont exacts; mais n’y eût-il que la différence de 1 fr. 30 c. par tonneau, comment qualifier cet acte administratif qui met un mode d'exploitation de l'Etat, en concurrence avec un autre mode d'exploitation de l'Etat qui ruine l'un au détriment .de l'autre? Le jour où l’Etat a voulu que par son chemin de fer on transportât un tonneau de bouille à 1 fr. 30 c. de moins qu'il ne peut le faire sur le canal de Charleroy, il se fait concurrence à lui-même.(Interruption.)

On me dit que le batelage n'est pas diminué ; sans doute : aussi longtemps que les industriels auront leurs magasins le long du canal, ils seront forcés de transporter par le canal ; mais, comme l'a dit avec raison l'honorable M. de Brouckere, d'autres magasins s'établiront aux abords des stations, et alors vous aurez ruiné les industriels qui, sur la foi de votre législation, auront fondé le long du canal des établissements pour le commerce des houilles, comme vous avez, par cette funeste mesure, brisé la pondération si longtemps respectée par la chambre entre les divers bassins houillers.

Messieurs, je ne suis pas du tout convaincu par les chiffres qu'a présentés avant-hier M. le ministre des travaux publics sur le prix, si exorbitamment bas, du transport des houilles dans certaines localités de l'Angleterre; je suis certain qu'il existe là des motifs tout particuliers qui ont amené ce résultat.

Mais ce que je vois très clairement chez nous, c'est que le gouvernement commet une faute énorme, lorsqu'il considère le chemin de fer comme se composant de deux chemins, dont l'un transporte les marchandises et l’autre les voyageurs.

Si vous voulez augmenter le bas prix du transport des marchandises, on vous dit : « Il ne faut pas tenir compte des frais de l'état-major du chemin de fer; il ne faut pas tenir compte du renouvellement du matériel; tout cela doit être payé par les voyageurs. » C'est ce qu'on nous disait avant-hier. Si ensuite on s'avise de demander l'augmentation du tarif des voyageurs, oh! alors, on invoque des motifs d'un autre genre; c'est, dit-on, une grande gloire pour la Belgique d'avoir créé le chemin de fer, et la Belgique ne peut pas payer assez cher la gloire de cette création.

Voilà, messieurs, le double argument au moyen duquel on ruine l’Etat. Je dis, moi, qu'il n'y a qu'un seul chemin de fer; il faut examiner les revenus au point de vue définitif et fiscal; en les examinant ainsi, vous avez pour résultat un déficit annuel de plusieurs millions ; c'est ce déficit qu'il faut faire cesser si vous ne voulez pas établir de nouveaux impôts sur le peuple.

Je vous ai dit que déjà nous arrivions à des réclamations pour l'abaissement des péages sur le canal de Charleroy. Ne vous y trompez pas, vous allez être saisis de réclamations semblables de la part du bassin du couchant de Mons; quand vous aurez rompu l'équilibre entre le couchant et le levant vous aurez fait des avantages à une industrie au détriment d'une autre, vous aurez opéré une réduction sur le tarif des chemins de fer, pour avoir le plaisir de rompre l'équilibre entre deux industries, celles de Liège et du Hainaut ; vous rompez par là encore l'équilibre dans cette dernière province, et de réduction en réduction, vous finirez par perdre sur les canaux une somme de deux millions de francs. Voilà où l'on arrive quand on touche à la légère à une tarification aussi importante que celle du chemin de fer.

Je sais que plusieurs villes du Hainaut sont sur le point d'adresser des réclamations à la chambre pour obtenir l'abaissement des péages sur les canaux du couchant; si la chambre abaisse ceux du canal de Charleroy, elle sera obligée de le faire pour maintenir l'équilibre entre des industries parallèles.

M. le ministre des travaux publics vient de dire qu'il n'y avait pas péril en la demeure que la chambre avait tout de temps d'examiner la question de la tarification des chemins de fer. Messieurs, les résultats que je viens d'indiquer, tous puisés dans des documents officiels, prouvent à l'évidence qu'il y a urgence, grande urgence de porter remède au préjudice que la tarification actuelle cause au trésor public et aux diverses industries. Cela doit fixer l'attention de la législature; il importe que la chambre, qui veut combler les déficits sans créer de nouveaux impôts, fasse produire aux moyens existants ce qu'ils peuvent produire. Rien de plus juste que de faire rapporter au chemin de fer en proportion de sa dépense; c'est une entreprise industrielle, elle doit balancer ses dépenses.

M. le ministre est venu dire : Chaque fois qu'on a élevé les tarifs du chemin de fer le nombre des voyageurs a diminué, chaque fois qu'on les a abaissés, le nombre des voyageurs a augmenté, et la recette du trésor a été s'améliorant. Je sais qu'il y a en pareille matière un moyen terme., un juste milieu qu'il importe de conserver. Permettez-moi de citer un expérience nouvelle qui est très concluante.

On vient d'ouvrir le chemin de fer de Jurbise à Tournay. Avant, il y avait une diligence qui faisait le service de Leuze à Ath et de Tournay à Mons. Souvent elle marchait à moitié vide. On ouvre le chemin de fer de Tournay à Jurbise, il se fait payer plus cher que les diligences ; de Tournay à Leuze par diligence on payait fr. 1-50, par le chemin de fer on paye fr. 2-25. Quelle est la conséquence?

A peine le chemin de fer est ouvert que déjà il transporte chaque jour 6 à 700 voyageurs qui payent beaucoup plus cher qu'on ne payait par les anciennes diligences. La raison en est que la question, est dans la rapidité du transport. L'homme tient beaucoup plus à gagner du temps que de l'argent, pour lui la question de vitesse est plus grande que celle d'économie. Cet exemple, que je signale à l'attention de la chambre, est digne de ses réflexions.

Quand on voit, malgré une augmentation de prix, par jour 650 voyageurs de plus sur une ligne, il est évident que la question de tarif n'est que secondaire pour les chemins de fer, que la célérité est la dominante. D'après cela, il est incontestable que la chambre pourrait élever modérément les tarifs de manière à avoir un revenu certain qui lui permettrait de combler le déficit sans nuire en aucune façon à la circulation. C'est dans ce sens que je voterai le chiffre porté au budget pour l'évaluation du produit du chemin de fer. Si on ne présente pas une loi pour régler les tarifs, il est certain qu'il y aura un déficit considérable. Comptant que la chambre voudra amener l'exécution de la loi de 1834, je voterai le chiffre proposé par le gouvernement.

(page 283) M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - La chambre n'attend pas de moi que je réponde aux chiffres infiniment nombreux, produits par l'honorable préopinant. Je crois pouvoir me placer à un autre point de vue.

En définitive qu'y a-t-il en discussion ? c'est le budget des voies et moyens : c'est le chiffre auquel les prévisions du gouvernement ont évalué les recettes du chemin de fer pour le prochain exercice. A cette occasion, on a demandé que le gouvernement présentât un projet de loi fixant le tarif du chemin de fer. Cette demande a été produite avec beaucoup de convenance par l'honorable comte de Theux, il a prévu qu'avec la meilleure volonté du monde, ce ne serait pas du jour au lendemain qu'un pareil projet de loi pourrait être présenté et discuté; il l'a demandé dans les limites du possible, il a demandé qu'il fût présenté (page 284) dans le cours de la présente session. Je n'ai pu en prendre l'engagement ; mais j'ai promis de faire tous mes efforts pour satisfaire à ce désir.

Tout ce que la chambre a donc à voir, c'est si elle peut avoir confiance dans cette promesse.

L'honorable M. Dumortier vous a dit que les neuf premiers mois de cette année avaient produit 9 millions et quelques mille francs. Prenons un million pour chacun des derniers mois, et nous atteindrons un chiffre total de 12 millions.

Mais fallait-il baser sur les résultats de cette année les prévisions de l'année prochaine? Fallait-il les baser sur la prévision d'une perturbation constante des affaires? Nous ne l'avons pas pensé, messieurs; nous avons pensé au contraire que nous devions nous placer dans l'hypothèse d'une reprise d'affaires.

Nous avons eu, cette année, des mois dont le produit a été inférieur de plus de 400,000 fr. à celui des mois correspondants de l'année dernière. Mais depuis le mois d'août, il y a eu amélioration constante, et la différence du mois dernier n'a plus été que de 174 mille fr. Il est donc évident que nous suivons une progression ascendante, que les transports reprennent un nouveau développement.

Depuis 1841, il y a eu dans les recettes un mouvement progressif, constant, régulier qui n'a été arrêté que par les événements de février. Ces événements ont cessé leur funeste influence. Les faits sont là pour le démontrer. Nous avons donc toutes raisons de croire que le mouvement des affaires redeviendra ce qu'il était précédemment.

L'honorable M. Dumortier prétend que la situation du chemin de fer pendant le premier exercice accuse un déficit de 10 millions.

M. Dumortier. - 8 millions.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Soit! mais rappelez-vous de quels éléments ce prétendu déficit se compose. M. Dumortier a d'abord établi le calcul des intérêts que le chemin de fer doit produire, en ajoutant au coût de son établissement ce qu'il appelle les déficits annuels de son exploitation.

On commence par dire : le coût de premier établissement n'est pas de 162 millions mais de 229,734,000 fr.

M. Dumortier. - Y compris les déficits annuels. Mais j'admets le chiffre de 172 millions comme coût du premier établissement du chemin de fer,

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - C'est là ce que je crois pouvoir appeler une première erreur de l'honorable membre. (Interruption de la part de M. Dumortier.) Je comprends fort bien que l'honorable M. Dumortier éprouve de la répugnance à reconnaître qu'il s'est trompé. Mais l'erreur n'en est moins réelle.

Deuxième erreur de l'honorable préopinant : II ajoute aux intérêts des capitaux de premier établissement du chemin de fer les sommes annuellement consacrées à l'amortissement.

En troisième lieu, quel a été le système que l'honorable M. Dumortier a suivi pour comparer entre elles les recettes et les dépenses. Il a pris, d'une part, les recettes réelles, et d'une autre part les dépenses prévues, quoique non réalisées.

M. Dumortier. - Je ne pouvais faire autrement.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Il n'y a pas là égalité de balance. On ne peut mettre d'un côté la réalité, et d'un autre côté les prévisions.

J'ai dit qu'il y a économie dans les dépenses, et je me hâte d'ajouter que cette économie ne résulte pas du non-renouvellement des billes et rails, ou du défaut d'entretien de la voie; ce serait la plus folle et la plus absurde des économies.

L'économie est réelle, sérieuse; elle résulte de la diminution du personnel et des frais de traction. De ce double chef nous économiserons, cette année, près d'un million. C'est, je pense, un élément qui ne peut être négligé pour l'appréciation des résultats de l'exploitation.

Tout cela cependant, messieurs, ne doit peser en aucune façon sur vos convictions, s'il est vrai de dire, comme le pense l'honorable préopinant, que pour augmenter vos recettes, vous n'avez qu'à augmenter les chiffres du tarif; mais, je le répète, c'est là une erreur.

Vainement vous écririez dans une loi : Je veux que le chemin de fer produise quinze millions au lieu de dix ; votre loi serait impuissante contre les faits. Le commerce et l'industrie n'obéiraient pas à vos lois; ils obéiraient à leurs propres intérêts, à leurs besoins. Dans un pays doté d'aussi nombreuses voies de communication que le nôtre, on ne peut arbitrairement, capricieusement rendre une voie de transport plus onéreuse, sans la faire déserter au profit d'une voie rivale.

Pour établir que le tarif du chemin de fer pouvait être élevé sans danger pour les recettes, l’honorable préopinant a choisi deux points de comparaison: le chemin de fer du Nord et la ligne de Tournay à Jurbise. Je pense que cette comparaison est doublement fautive.

En citant comme exemple les résultats de l'exploitation sur le chemin de fer du Nord, l'honorable membre a négligé de tenir compte d'une circonstance essentielle, savoir qu'au bout de cette ligne se trouve Paris, c'est-à-dire tout un monde, qui détermine et qui appelle à lui le mouvement le plus considérable. Devez-vous vous étonner que cette ligne conduise chaque jour des voyageurs plus nombreux, bien que le prix du parcours soit plus élevé? Devez-vous vous étonner que ce grand monde politique, financier, commercial, industriel, civilisateur, détermine des mouvements prodigieux qu'il n'est pas en notre pouvoir de produire.

L'honorable préopinant s'est d'ailleurs trompé, je pense, dans les chiffres qu'il a invoqués.

Il a dit que l'ensemble de nos chemins de fer est d'une longueur double, du chemin de fer du Nord. Nous avons, a-t-il dit, 120 lieues de parcours et le chemin de fer du Nord n'en compte que 60. Je crois qu'il y a erreur des deux côtés. Notre chemin de fer ne compte que 113 lieues.

M. Dumortier. - Il y en a 120.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je dois croire que l'honorable membre se trompe : car on lit dans le compte rendu de 1847, qu'il a été exploité, cette année, 113 7/10 lieues.

M. Dumortier. - Cela ne fait que 7 lieues de différence.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - C'est une différence qui ne doit pas être négligée.

Il n'est pas plus exact de dire que la longueur du chemin de fer du Nord est de 60 lieues. Elle est d'une longueur plus considérable par la raison que le chemin se bifurque à Douai, pour se diriger d'un côté sur Valenciennes, de l'autre sur Lille.

Il y a une troisième raison qui fait que la comparaison est tout à fait fautive.

Dans notre pays on n'a pas choisi une ligne donnée, la meilleure possible au point de vue financier, sans égard aux intérêts des populations qu'il s'agissait de desservir.

Le gouvernement a compris que les chemins de fer avaient une autre destination qui ne devait point être perdue de vue, celle de développer la prospérité publique; et il a voulu faire participer à ce bienfait un grand nombre de localités qui ne pouvaient procurer qu'un faible accroissement de recettes.

Sous aucun de ces rapports le chemin de fer du Nord ne saurait être comparé au nôtre.

Je dirai un mot de la deuxième comparaison qui a été choisie, pour prouver qu'une tarification plus forte amènerait une recette plus importante, sans exercer une influence fâcheuse sur les transports.

On a dit : Avant l'ouverture du chemin de fer de Tournay à Jurbise, il y avait des diligences qui transportaient à peine quelques individus, six ou sept. Aujourd'hui on en transporte cinquante fois davantage, et cependant le prix du voyage par chemin de fer est plus élevé que le prix du voyage par diligence.

Je répondrai que pour calculer l'influence des tarifs sur les mouvements, on ne peut prendre comme termes de comparaison deux moyens de transport de nature complètement différente. Comme l'a très bien dit l'honorable préopinant lui-même, ce qui détermine surtout le grand mouvement de voyageurs par chemin de fer, c'est la facilité et la rapidité du voyage. On ne peut donc trouver dans l'accroissement du nombre des voyageurs entre Tournay et Jurbise, depuis l'ouverture de la voie ferrée, une raison pour prétendre qu'une plus grande élévation du tarif n'influerait pas défavorablement sur le nombre des voyageurs.

Au surplus les faits ont parlé ; ils sont irréfutables. Chaque fois qu'on a diminué les tarifs, on a augmenté la recette, et chaque fois qu'on a augmenté les tarifs, on a diminué la recette. (Interruption.) On dit que les tarifs n'ont jamais été augmentés. Ils l'ont été sur la proposition d'une commission dont l'honorable M. Dumortier faisait partie, et lorsqu'on est arrivé à l'expérience, elle s'est trouvée tellement désastreuse, qu'on a dû s'empresser de revenir sur la mesure qui avait été prise. (Nouvelle interruption.)

M. le président. - Si ces interruptions continuent, je serai obligé de prendre des mesures pour y mettre un terme.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, la discussion à laquelle nous nous livrons aujourd'hui se présentera de nouveau, et d'une manière plus sérieuse, à l'occasion du budget de mon département. Lorsque ce moment sera venu, qu'on produise des faits contraires à ceux que nous avons invoqués, et je serai le premier à condamner le système que le tarif du 1er septembre a inauguré.

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. le président. - M. Cools est inscrit avant vous.

M. Dumortier. - Je demande à répondre quelques mots à M. le ministre des travaux publics.

M. le président. - Je ne puis pas intervertir l'ordre des inscriptions.

M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. le président. - Il n'y a rien de personnel dans ce qu'a dit M. le ministre.

M. Dumortier. - J'expliquerai ce qu'il y a de personnel dans les paroles de M. le ministre. J'ai le droit d'être entendu pour un fait personnel.

M. le président. - Je vous accorde la parole; mais c'est exclusivement pour un fait personnel.

M. Dumortier. - M. le ministre vient de dire que je ne vois pas avec plaisir qu'on condamne mes erreurs; eh bien, je démontrerai à la dernière évidence que toutes les erreurs sont de son côté.

M. le président. - Ce n'est pas là un fait personnel.

M. Dumortier. - Je ne puis laisser dire que je ne fais que des erreurs.

M. le président. - Ce n'est pas là un fait personnel.

La parole est à M. Cools.

M. Cools. - J'y renonce.

(page 279) M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, mon intention n'est pas de discuter la question des tarifs; cette discussion me semble inopportune pour le moment. Je ne ferai pas tomber sur vous une pluie de chiffres, de nature à vous étourdir plutôt qu'à vous éclairer. Je me-renfermerai donc autant que possible dans la discussion qui est à l'ordre du jour.

Le gouvernement porte au budget îles voies et moyens, comme recette présumée du chemin de fer en 1849, la somme de 15,500,000 fr. Si je ne consulte que des prévisions basées sur les faits qui m'entourent, je ne puis m'empêcher de déclarer que cette évaluation me paraît exagérée.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Proposez une réduction.

M. de Man d'Attenrode. - Je me garderai bien de proposer un-, réduction ; je veux laisser au gouvernement la responsabilité (page 280) entière de l'évaluation qu'il vous a soumise. Le châtiment sera là l'année prochaine lorsqu'on reconnaîtra qu'il y a eu déception. D'ailleurs ce s'est pas à moi d'indiquer le chiffre des revenus réalisables, je n'ai pas les moyens nécessaires pour rien préciser à cet égard. C'est au gouvernement qu'appartient ce soin; mon rôle à moi c'est de critiquer ce qui me semble devoir l'être pour remplir mon mandat.

Quand il s'agit, comme dans cette circonstance, d'accepter ou de rejeter les chiffres des recettes présumées qu'on nous propose, qu'avons-nous à faire ? Il ne nous reste pour la plupart du temps qu'à émettre un acte de confiance.

J'ai pour ma part, je tiens à le déclarer, confiance dans le caractère plein de loyauté, dans la capacité du ministre qui est chargé depuis peu de mois du département des travaux publics. Mais cette confiance s'affaiblit un peu lorsque je songe que les intérêts qui lui sont confiés concernant des matières entièrement neuves pour lui.

En effet, messieurs, pourquoi cette discussion inusitée dans cette enceinte à propos du chiffre de la recette présumée des chemins de fer en 1849 ? Pourquoi cette discussion si laborieuse? J'ai lieu de croire qu'il faut l'attribuer à la défiance qu'inspire la publication de ce nouveau tarif, qui paraît devoir atteindre d'une manière si désastreuse le produit de nos voies navigables, et même du chemin de fer.

Voilà la cause de l'insistance que l'on met à demander que les tarifs de nos péages soient réglés par la loi, comme le veut, d'ailleurs, celle du 1er mai 1834. Voilà ce qui donne tant d'animation à cette discussion.

En effet avec quelle confiance pouvons-nous fixer les recettes présumées, que porte le budget des voies et moyens, si un ministre peut renverser ces prévisions en bouleversant les tarifs, en y introduisant des modifications qui tendent à déplacer des intérêts, à porter de graves atteintes aux uns pour accorder des faveurs à d'autres, en faisant des essais, des expériences qui doivent avoir pour résultats de couler les recettes si productives du canal de Charleroy et de bien d'autres encore. Voilà, je le répète, pourquoi je m'adjoins à mes honorables collègues pour insister vivement pour que le produit de nos péages soit abrité par une loi après une mûre discussion dans cette enceinte.

Notre défiance n'est-elle pas justifiée, messieurs, quand on songe que l'effet des nouveaux tarifs est d'attirer sur les chemins de fer le transport des matières pondéreuses et de l'enlever aux voies navigables, auxquelles une économie bien entendue devrait les abandonner?

Ce système est injustifiable, contraire à tous les principes développés par les hommes les plus compétents dans ces matières. Voici ce que je trouve dans un livre très remarquable, intitulé : Des dépenses d'exploitation, publié par un des ingénieurs de l'Etat.

« Tous ces articles, dit-il (les matières pondéreuses), ne tirent des chemins de fer qu'une utilité restreinte, et l’on aurait tort de faire de grands efforts pour les y amener. Ce serait s'engager dans une lutte inégale, d'où ne pourrait résulter aucun avantage ni pour l'exploitation ni pour le public...

« Les chemins de fer doivent transporter les marchandises pour lesquelles la célérité et l'exactitude sont de quelque intérêt.

« Quant aux autres articles, ils ne doivent pas les enlever aux voies navigables partout où celles-ci sont en état de leur faire concurrence, c'est-à-dire de faire le transport à des prix auxquels les chemins de fer ne couvriraient pas convenablement leurs frais. »

Les chemins de fer doivent être un auxiliaire pour les canaux et ne doivent pas leur faire concurrence ; voilà un principe incontestable, facile à saisir.

En effet, pourquoi irait-on, quand on peut disposer d'une voie navigable sur laquelle les transports se font à peu de frais, attirer ces mêmes transports sur un chemin de fer, dont les transports sont fort coûteux? Pourquoi user d'une voie ferrée et d'instruments qui ont coûté des sommes immenses et précipiter leur détérioration, quand on peut faire usage d’une voie navigable, qui se répare d'elle-même après le passage d'un matériel qui a peu de valeur et qui éprouve peu d'avaries par suite du service qu'il rend? Cette préférence, je le répète, est injustifiable.

J’insiste, messieurs, pour qu'un projet de loi soit présenté le plus tôt passible sur la question des tarifs. M. le ministre n'a point pris à en égard un engagement absolu; il a déclaré qu'il espérait pouvoir présenter un projet de loi avant la fin de la session actuelle; je vous avoue que cette déclaration ne me satisfait pas. Les pouvoirs, en vertu desquels le gouvernement fixe les tarifs, expirent le 1er mars prochain ; la question sera donc examinée lorsqu'on nous demandera de proroger ces pouvoirs, et le seul moyen d'obliger le gouvernement à déposer une loi de tarifs, c'est de le prévenir qu'on ne lui accordera plus douze mois, comme l’année précédente, pour continuer à faire des expériences, qui tendent à affecter les ressources du trésor et ne donnent pas au commerce la stabilité dont il a besoin pour faire des opérations fructueuses.

Messieurs, je termine en faisant la déclaration suivante : D'après moi, ce qui a nui le plus aux intérêts des chemins de fer, c'est l'instabilité des ministres qui sont chargés de les diriger.

Je reconnais que la plupart des hommes qui ont été appelés à ces fonctions importantes étaient doués de beaucoup d’intelligence, de beaucoup d’habilité, mais tous étaient complètement étrangers aux affaires qu’ils étaient appelés à diriger. Iol a fallu qu’il fissent leur apprentissage, le tout à nos dépens. Puis quand ils avaient acquis les connaissances nécessaires, quand ils étaient en état d’être utiles au pays, un remaniement ministériel, un événement politique les faisait passer à d'autres fonctions ou les renversait, au bout de 2 ou 3 ans. Je trouve que ces apprentissages nous coûtent cher, trop cher. N'avons-nous pas vu l'année dernière l'honorable M. Frère-Orban quitter le département des travaux publics, quand il était à même de faire profiler le pays de son expérience, et cela pour occuper une autre position restée vacante par la démission de l'honorable M. Veydt, une position plus brillante?

Eh bien, messieurs, je suis si convaincu du tort que ces changements font éprouver aux intérêts que nous représentons, que je consentirais volontiers à ajourner mes réclamations pour faire discuter et arrêter les tarifs du chemin de fer, si l'honorable ministre des travaux publics pouvait s'engager à conserver son portefeuille au moins pendant six ans. Si j'avais cette assurance, je me prêterais encore à des expériences nouvelles.

(page 285) M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, il y a, dans les paroles dont l'honorable membre vient de se servir quelque chose de très bienveillant pour moi; je l'accepte avec reconnaissance. Il a dit que si je m'engageais à rester 5 ou 6 ans au département des travaux publics, il me connaissait assez de dispositions naturelles pour espérer que ce temps suffirait à mon éducation, à mon initiation aux affaires, et qu'au bout de cet apprentissage, je ne compromettrais plus, par mon inexpérience, la fortune publique.

M. de Man d'Attenrode. - Je n'ai pas dit cela.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je traduis la pensée, je ne reproduis pas les paroles.

Je n'en fais pas un reproche à l'honorable préopinant. Je dis que j'accepte sa déclaration avec reconnaissance; car j'y vois du moins un témoignage de confiance dans ma loyauté.

Mais si j'accueille cette déclaration avec reconnaissance, je dois protester cependant avec toute l'énergie de ma conviction contre le reproche adressé à mon inexpérience. Il semble, en vérité, que j'ai porté une main téméraire sur l'arche sainte, et que, pour le plaisir de prendre part à la gestion de la chose publique, j'ai follement exposé son avenir.

Messieurs, je ne veux pas parler du sentiment qui m'a poussé aux affaires ; mais ce que je puis dire cependant, c'est qu'à cet endroit, ma conscience est parfaitement tranquille; mon inexpérience, nul plus que moi n'est disposé à la reconnaître ; je déplore qu'il ne se soit pas rencontré un homme plus capable que moi, disposé à accepter des fonctions que j'occupe et dont je me déclare indigne.

Mais tout en faisant cette concession avec franchise, je ne puis cependant m'empêcher de demander quelle est cette expérience que l'on demande à un ministre des travaux publics. Entend-on par hasard qu'il faille à la tête de ce département un ingénieur, un fonctionnaire d'une des administrations qui en dépendent ? Que si l'on se borne à déplorer la courte durée du passage des ministres aux affaires, je m'associe à cette pensée; mais ce n'est pas à dire que l'expérience d'un ministre soit perdue pour son successeur.

Messieurs, le tarif qu'on accuse depuis quelques jours dans cette chambre, qu'on a appelé tantôt le fruit de mes œuvres, tantôt mon enfant d'adoption; ce tarif a été élaboré par des hommes d'expérience ; par des hommes que le vent de la politique n'a pas emportés avec les ministres qu'ils ont servis. Ces hommes dont l'habileté m'a étonné, ont établi leurs calculs, leur système, sur des faits avérés, reconnus. C'est le fruit de leurs recherches, et non de mon inexpérience que vous êtes appelés à juger.

On veut que le tarif soit soumis à l'approbation de la chambre.

Eh bien, sans vous faire injure, ne puis-je pas dire, messieurs, qu'un très grand nombre d'entre vous n'ont pas plus d'expérience en fait de travaux publics que moi-même. (Interruption.)

Ils seront 100, me dit l'honorable M. de Mérode ; je répondrai que la garantie de la bonne décision des affaires n'est pas plus en proportion du nombre, que la recette du chemin de fer n'est en proportion de l'élévation du tarif.

(page 280) M. Tesch. - Comme cette discussion doit se renouveler à propos de la loi sur les péages, je déclare renoncer à la parole. Toutefois, je dois protester contre l'interprétation donnée par M. le ministre des travaux publics aux observations que j'ai émises à la séance de samedi. Je suis loin de vouloir condamner la construction des chemins de fer, par cela seul que ma province en serait déshéritée. C'est là une idée tellement étroite, tellement égoïste, que je ne pensais pas qu'on put me la supposer.

M. de Mérode. -Messieurs, le gouvernement est composé d'hommes, et les hommes sont soumis à des influences dont ils ne se rendent pas toujours compte, parce qu'elles les poussent en quelque sorte à leur insu. L'abaissement de tous les péages sera constamment sollicité par les intérêts privés du commerce de quelques grandes villes où aboutissent les têtes des chemins de fer; et si le gouvernement est sous la direction de représentants de ces localités, sa tendance, sa pente naturelle sera de fléchir devant les instances continuelles et réitérées dont ils seront fatigués. En effet, des spéculateurs adroits et actifs dont la pensée, et je ne leur en fais pas un crime, se trouve constamment dirigée vers le gain, ne manquent point de présenter constamment leurs bénéfices comme un bien-être général, tandis qu'il ne concerne que des avantages privés, plus ou moins étendus, mais qui sont bien loin d'être partagés par la généralité des habitants du pays; car un grand nombre d'entre eux ont été et sont victimes de la création des chemins de fer; et de grandes routes aujourd'hui désertes démontrent suffisamment l'impossibilité pour les établissements éloignés des chemins de fer de soutenir la concurrence avec égalité contre ceux que sont venues rencontrer ces voies si coûteuses que l'on a essayé de comparer aux routes ordinaires. Oui, messieurs, on vous a dit quelque fois que les routes ordinaires ne se soldaient point par leurs recettes. Certes , cela est vrai, mais ces routes sont susceptibles d'être accordées presque aux moindres communes, leur action est extraordinairement favorable à l'agriculture, c'est-à-dire à l'alimentation, la plus pressante des nécessités. Elles ont ainsi un caractère d'égale justice distributive que les chemins de fer n'auront jamais.

Les chemins de fer sont certainement une très belle découverte. Je suis d'accord avec tous les membres de cette chambre et le cabinet, que la Belgique doit profiter d'une invention qui s'est répandue dans toute l'Europe ; mais je me demande pourquoi les budgets des autres nations ne sont pas chargés de plusieurs millions pour l'entretien des chemins de fer, tandis que le nôtre en est écrasé? Les calculs de l'honorable M. Dumortier ont été contredits par M. le ministre des travail publics, mais il n'a fait que modifier quelque peu les distances soit en Belgique, soit dans les pays cités par M. Dumortier. Mais quant à l’ensemble des observations de cet honorable membre, elles n'ont pas été contredites ; il a prouvé qu'avec des tarifs plus élevés, des compagnies faisaient ses bénéfices, tandis que nous, avec des tarifs moins élevés, nous étions obligés de subvenir par l'impôt à l'entretien de notre chemin de fer.

Cet état de choses est préjudiciable au gouvernement, car le gouvernement n'a pas seulement à transporter des marchandises ou des voyageurs. Nous avons à entretenir des relations à l'extérieur. Lorsqu'on s'est occupé du budget des affaires étrangères, on a encore réduit les allocations malgré les réductions que le ministre avait faites lui-même, et c'est grâce à l'éloquence de M. le ministre des travaux publics que nous avons conservé une mission en Allemagne réduite au strict nécessaire. D'où vient cette nécessité de rogner sans cesse les traitements des fonctionnaires, d'attaquer leur existence? Elle vient du déficit causé en grande partie par l'exploitation du chemin de fer.

Nous aurons à examiner le budget de la guerre après celui-ci ; quand il s'agira de ce budget si important pour la sécurité du psys on demandera des réductions au-delà de celles qu'a proposées M. le ministre; qu'arrivera-t-il? Que l'armée sera considérablement affaiblie, et que si un événement survient, nous serons pris au dépourvu. Tout cela parce qu'on veut transporter des voyageurs et des marchandises à perte.

Je crois que si on augmentait le prix ou transport des voyageurs il y en aurait un peu moins. Mais si l'on diminuait le prix des courses de fiacre à Bruxelles, si au lieu d'un franc on ne faisait plus payer que 50 centimes, il y aurait plus de personnes qui iraient en voiture; cependant le pays en serait-il plus riche? Transporté à très bas prix, on se permet une course peu utile, qu’on ne ferait pas sans cela, parce que le (page 281) trajet à parcourir coûte peu ; ce n’est pas là un accroissement de fortune. Depuis que des chemins de fer ont été créés dans les Flandres, je n’entends pas moins crier à la misère de ce pays ; je m’afflige de la position dans laquelle il est ; j'y compatis ; et si je voyais les populations plus heureuses par les chemins de fer, je serais extrêmement satisfait. Or je ne vois pas ce résultat; la richesse du pays n'est pas augmentée par cette extension si grande des chemins de fer. Je prie donc le gouvernement d'imiter ce qui se fait dans les pays voisins et de ne pas persister dans un régime qui n'est appliqué nulle part.

Si ma demande est déraisonnable, j'y renonce.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il paraît que, pour un certain nombre de membres de cette chambre, les péages ne sont pas des impôts, car en même temps qu'ils protestent contre tout accroissement d'impôt, ils demandent à grands cris l'augmentation des tarifs du chemin de fer...

M. de Mérode. - C'est le prix d'un service rendu !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais les impôts de toute espèce, de toute catégorie, sont-ils autre chose que le prix de services rendus? (Interruption.) Ecoutez-moi, je vous prie.

Je suis convaincu que vous êtes dans des idées très erronées; permettez-moi de vous expliquer toute ma pensée.

L'impôt sert à payer la magistrature, pourquoi? Pour rendre la justice aux contribuables, à tous les citoyens. N'est-ce pas là un service public rémunéré par l'impôt? Voulez-vous le supprimer et obliger ceux qui ont des contestations judiciaires à rétribuer les magistrats? Voulez-vous revenir au système des épices ?

L'impôt sert à payer l'armée ; c'est pour vous donner la sécurité, pour faire respecter vos personnes et vos propriétés ; ne sont-ce pas là des services qui valent ce que coûte l'impôt?

L'impôt sert à payer l'administration générale du pays qui procure une bonne police, des routes, des canaux. L'impôt est le prix des frais du culte, de l'instruction publique ! Ne sont-ce pas là des services rendus? Quel est l'objet du tarif du chemin de fer ? De fixer le prix du service qu'on vous rend en transportant vous et vos marchandises. Les honorables membres ont fait du contribuable et du voyageur deux personnes distinctes. Le contribuable est l'objet de toutes leurs préoccupations apparentes ; ils déplorent sa position, ils veulent l'améliorer, et c'est très bien. Mais, quant au voyageur, qu'il aille à pied ou en voiture, peu leur importe ; qu'il soit transporté d'un lieu à un autre à un prix très élevé, au risque de n'avoir pas assez d'argent pour payer la voiture, c'est ce qu'ils désirent, c'est ce qu'ils regardent comme un bienfait ; car, à leur avis, tout ce que l'on pourra prélever sur le voyageur, voire même sur la marchandise, sera un bénéfice net pour le contribuable. Mais, en vérité, contribuable et voyageur, contribuable et industriel, contribuable et commerçant, c'est une seule et même personne. Le mal que l'on fait au voyageur est un mal que l'on fait au contribuable.

Quelle satisfaction me donnez-vous, à moi contribuable, si vous augmentez le tarif du chemin de fer ? Si vous me faites payer le double de ce que je paye pour aller de Bruxelles à Ostende, si vous me faites payer le double pour la marchandise que j'expédie d'Anvers vers tous les points du pays, quel bénéfice m'avez-vous procuré comme contribuable?

M. de Mérode. - Ainsi, du moins, ceux qui ne voyagent pas par le chemin de fer n'ont pas à le payer.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais n'en est-il pas ainsi pour tous les services que j'énumérais tantôt , quand j'ai encore été interrompu ? Quand vous n'avez pas de procès, vous, homme paisible, qui ne troublez pas vos voisins et qui n'êtes pas troublé par eux, en payez-vous moins la justice pour ceux qui sont processifs? Demandez donc comme contribuable, la suppression de cette magistrature devant laquelle vous ne vous présentez jamais, demandez donc tout au moins qu'elle soit payée par ceux qui réclament son secours !

Vous ne sauriez dire qu'une chose contre le tarif, c'est qu'il profite aux étrangers. Ils ont, en effet, l'avantage de voyager pour un prix un peu moindre en Belgique que sur les chemins de fer des autres pays. Mais avouez que la présence des étrangers offre aussi des compensations au pays. Quant aux industriels, aux commerçants, aux ouvriers également, pour qui le voyage en voiture est un bienfait; quant à tous les contribuables, en un mot, des péages modérés opèrent en réalité en leur faveur le même résultat qu'un dégrèvement d'impôt. Quel bien, hélas ! voulez-vous leur faire, en augmentant le tarif, s'il était même prouvé, ce qui n'est pas, qu'une élévation du tarif fût de nature à augmenter les recettes? Croyez-vous faire autre chose que si vous augmentiez l'impôt? Ce sont des illusions, ce sont des erreurs ; je ne conçois pas qu'on cherche à les propager.

M. de Mérode. -Il n'y a pas de chemins de fer dans mon arrondissement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y a pas de chemins de fer dans votre arrondissement ! Mais y a-t-il partout, dans toutes les localités, des routes également bonnes, également sûres, également commodes? Tous les points du territoire jouissent-ils absolument, identiquement, au même degré, des avantages de la vie commune? Au nom du contribuable de votre arrondissement qui n'a pas de chemin de fer, vous récriminez contre le chemin de fer ; demain, celui dont le champ est bordé par un chemin vicinal, récriminera contre celui dont la propriété est continue à une grande route; celui qui touche à la grande route se prétendra victime parce qu'il n'aboutit pas au chemin de fer.

Sera-ce une raison de décider que le chemin de fer ne doit exister nulle part parce qu'il ne peut exister partout? Est-il vrai de dire, d'ailleurs, que la généralité ne profite pas, si ce n'est directement, au moins indirectement, des nouvelles voies de communication plus promptes, plus économiques qui sont livrées à la circulation?

Les tarifs ont été critiqués tout à l'heure par l'honorable M. de Man, homme d'expérience apparemment, qui a passé plus de temps peut-être que moi au département des travaux publics où j'ai consacré tant de soins à élaborer, à préparer, à discuter, à décréter un tarif déclaré désastreux par l'honorable M. de Man. Où donc l'honorable M. de Man a-t-il acquis cette expérience qui l'autorise à me donner des leçons ? Où a-t-il fait son apprentissage pour en savoir plus en matière de tarification des chemins de fer que les hommes les plus compétents, qui se sont occupés de cette matière? car ce n'est pas moi, après tout, qui ai fait le tarif; je me suis appliqué à l'étudier; j'ai mis toute mon ardeur à m'identifier avec les principes sur lesquels il devait reposer. Mais il est l'œuvre de quelques hommes qui ont vieilli au département des travaux publics, qui se sont occupés de cette question, constamment, ardemment, pendant toute leur vie! Ces hommes ont exposé leurs idées dans un mémoire, œuvre remarquable qui a été rendue publique et livrée à la discussion. Ce mémoire a été soumis à la délibération de toutes les chambres de commerce du pays; et toutes les chambres de commerce du pays ont, à l'unanimité, approuvé ce tarif!

M. de Man d'Attenrode. - Les chambres de commerce ne s'occupent pas des intérêts du trésor public.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai établi tout à l'heure quelle était la valeur de la distinction que l'on fait entre le contribuable et le voyageur, ou celui qui fait transporter des marchandises par le chemin de fer. Je ne puis me répéter sans cesse. Je me bornerai à répondre à l'honorable interrupteur que le tarif a été élaboré par des hommes qui, pour toutes les personnes de bonne foi, ne peuvent être suspects, pas plus que moi, de vouloir sacrifier les intérêts du trésor, qui ont reconnu que le système de tarification adopté était le plus sage, le plus rationnel, le plus avantageux au pays.

Vous avez répété à chaque instant que le tarif est plus bas que le tarif ancien. Le tarif est plus élevé que le tarif ancien pour les petites distances ! Voilà une première et grave erreur, dans laquelle sont tombés tous les honorables préopinants. Il est moins élevé pour les grandes distances. Pourquoi? Parce qu'on a appliqué un principe de justice et d'équité, en distinguant les frais fixes des frais variables et en faisant payer en raison de la distance parcourue.

M. Dumortier. - C'est le contraire...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Dumortier aime beaucoup à interrompre; il faudra bien que je lui réponde.

M. Dumortier. - C'est le contraire qu'il fallait faire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Comment! je viens d'énoncer qu'on avait appliqué un principe de justice et d'équité ; vous dites qu'il fallait faire le contraire ! il fallait donc appliquer un principe d'injustice et d'iniquité.

Veuillez remarquer que tout le système se résume en quelques mots, que je vais avoir l'honneur de dire à la chambre. Les frais de traction varient naturellement en raison de la distance parcourue ; on dépense d'autant plus que l'on va plus loin ; c'est là un premier élément du prix de transport; mais il y a des frais qui sont toujours les mêmes, soit qu'on transporte les marchandises à dix lieues ou à vingt lieues. C'est là un deuxième élément du prix. Autrefois ils étaient confondus. Or, il était souverainement injuste de faire croître, en raison de la distance, des frais invariables de leur nature.

Le nouveau tarif a dégagé les frais fixes des frais variables; il a distingué les deux éléments : les frais fixes qui restent les mêmes quelle que soit la distance, et les frais variables qui différent suivant la distance. Voilà les bases de ce tarif, calculé de telle sorte (lisez le mémoire qui est imprimé et vous vous en convaincrez), calculé de telle sorte qu'en supposant le même mouvement de marchandises depuis l'application du tarif que celui qui existait auparavant, les recettes devront être les mêmes, sinon supérieures.

Nous sommes aux premiers jours de l'expérience. Ces premiers jours sont favorables. L'expérience faite depuis le mois de septembre donne gain de cause à ce tarif. Que demande le gouvernement ? D'attendre que l'expérience soit complète, d'attendre trois mois, six mois. N'avez-vous pas le droit de demander, pendant le cours de la session, chaque semaine, chaque mois, l'état des produits du chemin de fer? N'avez-vous pas le droit de constater ainsi si les tarifs donnent de fâcheux résultats? Nous ne prétendons sans être infaillibles, nous demandons seulement d'attendre que l'expérience soit achevée.

Maintenant un mot sur une parole malheureuse échappée à M. de Man. Cet honorable membre, faisant allusion à mon entrée au département des finances, a dit que, trouvant une meilleure place ouverte, je l'avais prise.....(Interruption.)

M. de Man d'Attenrode. - Je m'étonne réellement de l'effet qu'ont produit sur M. le ministre des finances les paroles que je viens de prononcer. Mon intention n'a pas été de l'offenser. Cela n'entre pas d'ailleurs dans mes habitudes J'ai déclaré que j'avais regretté qu'il cessai de diriger les travaux publics, et cela dans l’intérêt du pays. Y a-t-il là rien de désobligeant ? C'est, au contraire, rendre hommage à son talent, à l'expérience qu’il a acquise pendant son administration au département (page 282) des travaux publics. J'ai ajoute ensuite qu'il avait préféré remplacer M. Veydt; c'est là un fait que je me suis borné à rappeler ; cette préférence n'avait, au reste, rien que de très légitime.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne l'ai pas même préféré... J'ai accepté ce que d'autres n'acceptaient pas... J'ai accepté comme un soldat doit accepter un poste périlleux, sans s'inquiéter du danger.

Messieurs, un seul mot relativement à l'objet en discussion, l'évaluation des recettes.

Il est très désirable que l'évaluation des recettes du budget des voies et moyens ne soient pas exagérées. Il ne peut pas entrer dans la pensée du gouvernement de faire figurer dans les prévisions, des recettes qui, selon toutes les probabilités, ne pourraient pas se réaliser. On dépense généralement tout ce qu'on prévoit en recette ; c'est là le côté fâcheux d'un budget mal établi. Il faut donc, si quelqu'un dans cette chambre a la conviction qu'une évaluation quelconque du budget des voies et moyens est trop élevée, qu'il fasse une proposition de réduction et que cette proposition soit examinée. De vagues restrictions, des réserves générales n'ont aucune valeur ; nul ne peut les apprécier.

Le budget des voies et moyens a été soumis aux sections; les sections ont, à l'unanimité, approuvé toutes les évaluations du gouvernement. La section centrale les a également maintenues intégralement. Cependant dans le rapport de la section centrale on a signalé d'une manière vague et générale quelques articles dont l'évaluation paraissait être un peu trop élevée. J'ai interpellé formellement l'honorable rapporteur; je lui ai demandé de déclarer à la chambre quels étaient ces articles. Il s'est trouvé que, d'après la section centrale, quatre articles ont paru susceptibles de discussion : les sucres, les eaux-de-vie indigènes, l'enregistrement, le chemin de fer. Mais nulle part les raisons de la critique n'ont été données. La chambre a approuvé les évaluations pour les sucres, les eaux-de-vie indigènes, l'enregistrement, et je suis autorisé à en conclure qu'aux yeux de l'assemblée, il n'y avait aucun motif de les réduire. Je suis heureux de constater que, de l'aveu de la section centrale, ce sont les seuls articles qui ont autorisé de sa part des doutes qu'elle n'a pas jugé à propos de justifier. Reste donc la recette présumée pour le chemin de fer.

Messieurs, l'évaluation de 15,500,000 fr. qui figure de ce chef au budget des voies et moyens est-elle déraisonnable? Examinons-la. Veut-on introduire une réduction de 500,000 fr., d'un million? Je n'insisterai pas. Mais qu'on m'en donne les raisons. Qu'on explique comment cette évaluation de 15,500,000 fr. se trouverait exagérée.

Veuillez remarquer qu'au budget de 1848, on avait fait figurer 16,000,000 de fr., comme produit probable du chemin de fer, et qu'on a eu grand peine à faire maintenir ce chiffre de 16 millions qu'on voulait porter à une somme plus élevée.

Sur quoi se basait cette recette de 16 millions ? Elle se basait sur la progression constante des produits du chemin de fer. La progression étant de 1,200,000 fr. au moins d’une année sur l'autre, depuis 1843, on avait accoutumé, depuis cette époque, de répéter à chaque budget une augmentation proportionnelle-

Suivant ce même système pour 1419, si nous n'avions pas en les événements de février, on aurait dû porter au budget une somme minimum de 17 millions. Que fait le gouvernement? Il propose 15.550,000 fr. Ainsi bien loin de supposer une progression, la progression habituelle, il supposé une réduction très notable. Il supprime pour ainsi dire une année du développement naturel des recettes du chemin de fer ; c'est assurément tenir compte des événements en de justes limites; au lieu de 17 millions, il ne fait figurer au budget que 15,500,000 fr. et son raisonnement établi dans la note préliminaire me paraît, quant à moi, concluant.

On a supposé que les produits du chemin de fer qui, depuis le mois de mars dernier, ont fléchi dans la proportion de 20 p. c. comparativement à ceux de 1847, se relèveraient à partir de 1849; que cette proportion serait réduite à 15 p. c. pour le mois de janvier; à 10 p. c. pour le mois de février; à 5 p. c. pour le mois de mars; et qu'à partir du mois d'avril, les recettes reprendraient leur développement graduel, mais remarquez-le bien, leur développement graduel comme si l'année 1848 n'avait pas dû, en temps normal, présenter un accroissement de recettes ; que la recette offrirait sur le produit de 1847 une augmentation de 10 p. c , qui correspond cette fois, à l'augmentation annuelle que les produits ont éprouvée depuis 1843.

Un tableau formé d'après ce raisonnement qui semble assez plausible et qui établit que, dans cette hypothèse, on aurait une recette de 15,559,000 fr. est annexé au budget. Nous avons donc porté nos prévisions à 15,500,000 fr.

Mais, je le répète encore, nous n'entendons pas insister sur les évaluations du budget des voies et moyens. Si la chambre a le moindre soupçon que ces évaluations seraient trop élevées, il faudrait les réduire ; personne n'a intérêt à se tromper ici. Les sommes qui figurent au budget des voies et moyens sont de simples prévisions, mais il importe de ne pas faire figurer au budget des sommes trop considérables, car dans le cours de l'année, en présence des dépenses nécessaires, en est trop facilement porté, quant aux recettes, à prendre des espérances pour des réalités.

M. le président. - Messieurs, comme quelques membres pourraient se retirer, je crois devoir, avant d'accorder la parole à un autre orateur, vous proposer de nouveau d'avoir une séance du soir.

Au commencement de cette séance, j'espérais pouvoir éviter la discussion dans laquelle on s’est engagé. On a jugé propos qu'elle eût lieu.

Le sénat est réuni ; il attend le budget des voies et moyens. La discussion peut être encore fort longue; vous avez à examiner l'amendement de M. Delfosse, et un autre amendement que vient de déposer M. de Pouhon. Si nous n'avons pas quelques séances du soir nous n'en finirons pas.

Je soumets ces observations à l'appréciation de la chambre.

M. Delfosse. - Je ne m'opposerais pas à ce qu'il y eût séance du soir, s'il m'était démontré que l'on peut voter le budget aujourd'hui. Mais dans aucun cas la discussion ne peut être terminée aujourd'hui.

Demain je proposerai d'avoir une séance du soir, si une première séance ne suffit pas pour terminer le budget. Le sénat en serait saisi mercredi.

J'amende donc la proposition de M. le président, en ce sens que nous aurions demain une seconde séance, si le budget n'était pas voté dans la première. Il est bon que la chambre soit prévenue, quand il doit y avoir séance du soir. Il y a peut-être des membres qui s'ont partis et qui ne pourraient être convoqués pour ce soir.

M. Delehaye. - On a beaucoup parlé d'expériences dans cette séance. Eh bien, l'expérience a prouvé que les séances du soir, loin de hâter les travaux de la chambre, ne servaient qu'à les retarder.

Je comprends le but que s'est proposé notre honorable président. Il veut que nous avancions dans nos travaux. Mais je crois que le moyen de mettre promptement un terme à ce débat, c'est de fixer la séance de demain à 10 ou à 11 heures. Il est certain que la chambre fera plus de besogne en se réunissant demain à 10 ou 11 heures, qu'en ayant aujourd'hui une séance du soir.

M. le président. - Il y a des sections centrales.

M. Delehaye. - Dans ce cas il vaut mieux que les sections centrales se réunissent le soir plutôt que la chambre entière. Veuillez ne pas perdre de vue que les séances du soir ont presque toujours servi à prolonger les débats.

Je fais donc la proposition formelle que demain la séance commence à onze heures.

M. Mercier. - Il me semble que l’attention de la chambre ne peut pas se soutenir pendant six heures consécutives. Je pense que si la séance commençait à midi, heure fixée par le règlement, elle serait assez longue; la prolonger davantage ce serait s'exposer à ne pas examiner avec assez de soin les questions importantes dont nous avons à nous occuper.

M. Dolez.- Il y aurait peut-être un moyen de marcher plus sûrement vers le but qu'on se propose, et ce moyen nous pourrons y concourir tous, autant que nous sommes : ce serait de se montrer plus sobre de longs discours. Je crois que, dans l'intérêt du pays, nous devrions nous faire une loi de parler brièvement, alors surtout que la matière ne comporte pas des développements énormément étendus. Nous avons eu aujourd'hui, à l'occasion du budget des voies et moyens, des débats qui, de l'aveu de tous, doivent se reproduire à l'occasion du budget des travaux publies et à l'occasion de la prorogation de la loi des péages. Eh bien, entendons-nous tous pour concourir au but si désirable d'abréger les discussions et d'arriver ainsi à examiner convenablement les projets dont nous sommes saisis.

Je crois, messieurs, que de cette manière, nous pourrions, en fixant la séance de demain à midi, terminer demain le budget des voies 'et moyens.

Je prie mes honorables collègues d'être bien convaincus qu’il n'y a pas d'épigramme dans ce que je viens dédire; je suis uniquement animé de l'ardent désir de voir traiter les affaires du pays comme il est à désirer qu'elles le soient.

M. le président. - Je crains bien que, même en abrégeant la discussion, nous ne puissions pas finir demain le budget des voies et moyens sans avoir une séance du soir. Nous avons à discuter l'amendement de M. Delfosse, et voici un antre amendement qui vient d'être déposé par M. de Pouhon :

« J'ai l'honneur de proposer l'article additionnel suivant au budget des voies et moyens, api ès le troisième article du chapitre Trésor public :

« Le gouvernement est autorisé à disposer :

« 1° Des 13,458 obligations de l'emprunt belge à 4 p. c. , représentant l'encaisse de l'ancien caissier général de l'Etat ;

« 2° Des capitaux provenant du boni sur la liquidation des créances mentionnées à l'article 64 du traité conclu entre la Belgique et le royaume des Pays-Bas, du 5 novembre 1842.

« Le gouvernement pourra même réaliser les fonds ci-dessus désignés, à l'époque, au taux et d'après le mode qu'il jugera convenable.

« Le ministre des finances rendra compte aux chambres législatives de la disposition donnée à ces capitaux dans la session la plus rapprochée de l'époque où elle aura été consommée soit en tout soit en partie. »

M. de Theux. - Il me semble que cet amendement devrait faire l'objet d'une loi spéciale. Cela pourrait trop différer le vote du budget des voies et moyens.

M. de Pouhon. - Messieurs, c'est la lecture de la situation du trésor qui m'a engagé à présenter cet amendement. J'ai remarqué que des retards dans la rentrée des impôts pourraient causer au gouvernement les embarras momentanés. Or, en pareil cas, ou en cas d’événements extraordinaires, il me semble que ma proposition pourrait procurer au trésor des ressources qui lui seraient très utiles.

(page 283) Je crois avec l'honorable M. de Theux que M. de Pouhon ferait bien de convertir son amendement en une proposition spéciale. Cette proposition est très importante. Elle tend d'abord à autoriser le gouvernement à disposer de l'encaisse de l'ancien caissier de l'Etat. Cela revient à décréter incidemment l'équivalent d'un nouvel emprunt. Sa proposition aurait ensuite pour effet de déclarer acquis au trésor le reliquat de la liquidation faite avec la Hollande. Il se présente ici une question d'équité. Il faut examiner si l'équité permet de prendre une pareille décision. Je pourrais présenter à cet égard de nombreuses considérations.

Maintenant j'aurais un mot à dire pour ramener la discussion sur son véritable terrain, dont elle s'écarte énormément depuis quelque temps. Je voudrais pouvoir le faire surtout pour prendre acte d'une déclaration de M. le ministre des travaux publics, qui a passé presque inaperçue et qui rentre complètement dans les vues de la section centrale. La chambre veut-elle que je parle maintenant ?

- Plusieurs membres. - Vidons l'incident.

M. de Pouhon.- Je retire ma proposition, et j'en ferai un projet de loi spécial.

M. Osy. - Messieurs, pour abréger autant que possible la discussion, je proposerai de renvoyer la proposition de l'honorable M. Delfosse à la section centrale. On demandera ce renvoi lorsque nous en viendrons à discuter la proposition, et il vaudrait mieux l'ordonner dès à présent.

M. Delfosse. - Je ne m'oppose pas au renvoi, si la section centrale peut faire son rapport avant que nous en soyons à l'article où ma proposition doit trouver sa place.

M. le président. - Décidons d'abord à quelle heure s'ouvrira la séance de demain.

M. Dumortier. - Messieurs, le budget des voies et moyens est la discussion principale de la session ; nous devons à notre mandat d'examiner ce budget sous toutes ses faces; je ne suis donc pas de l'avis de ceux qui veulent écourter cette discussion ; mais je pense que nous avancerons beaucoup nos travaux en ayant quelques séances du soir.

- La chambre, consultée, fixe sa prochaine séance publique à demain à 11 heures.

La séance est levée à 5 heures.