Séance du 16 décembre 1848
(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 265) M. Dubus procède à l'appel nominal à une heure et quart.
La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.
M. Dubus fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Le sieur Renier, greffier du tribunal de commerce de Liège, présente des observations contre la proposition de réduire le traitement des greffiers des tribunaux de commerce, et demande que ce traitement soit augmenté proportionnellement à la décroissance du casuel, et le sien porte à 2,000 francs, si la connaissance des affaires commerciales était déférée aux juges de paix. »
- Renvoi aux sections centrales chargées d'examiner les projets de loi sur la réduction du personnel des cours et tribunaux et sur la compétence en matière civile et commerciale.
« Le sieur Descauranes demande que le projet de loi modifiant la loi sur les pensions contienne une disposition en faveur des anciens fonctionnaires publics qui ont perçu leur emploi par suite des événements de la révolution. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le conseil communal de Moll demande l'abrogation, des dispositions de la loi du 10 février 1843, qui mettent à charge des riverains une partie des frais de construction du canal de la Campine. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Wandre prie la chambre de rejet la demande qui a pour objet le démembrement de cette commune. »
- Même renvoi.
« Le sieur Gendebien, père, rectifie une erreur de chiffre qui s'est glissée dans sa pétition en date du 12 de ce mois, concernant la réduction des péages sur le canal de Charleroy à Bruxelles. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant la réduction des péages sur les canaux et rivières de l’Etat.
M. Cools, rapporteur. - Avant la reprise de la discussion, je crois pour sa régularité devoir donner quelques explications.
Dans le compte rendu de la dernière séance, je vois que M. le ministre des finances a exprimé le désir que je lui fisse connaître les postes que la section centrale a trouvés exagérés. Je crois que pour l'ordre de la discussion il vaut mieux qu'elle commence par des explications .sur ce point.
M. le président. - Nous avons achevé la discussion des articles du budget des voies et moyens, sauf ceux qui ont été spécialement réservés; ils sont au nombre de sept, plus le chapitre des péages. Le premier article réservé est celui des hypothèques. Les explications que se propose de donner M. le rapporteur rentrent dans la discussion générale, qui a été close La chambre veut-elle, avant de reprendre les articles réservés, ouvrir une discussion pour entendre les explications de M. le rapporteur.
(page 266) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Lors de la discussion de l'article relatif aux sucres, l'honorable rapporteur ayant signalé d'une manière générale, ainsi que le faisait d’ailleurs le rapport de la section centrale, certains articles du budget des voies et moyens qui, bien qu'approuvés et maintenus, auraient paru présenter cependant une certaine exagération, j'ai demandé qu'on voulût bien préciser à quels articles on entendait faire allusion. Je supposais que l'observation, dans l'opinion personnelle de l'honorable M. Cools, s'appliquait particulièrement aux sucres. Il a été entendu qu'il expliquerait quelles étaient les autres évaluations que la section centrale avait trouvé un peu trop élevée. Ces explications n'ont pas été données. Il est possible qu'elles portent sur des articles non encore votés; dans ce cas elles pourront trouver leur place dans la discussion qui va avoir lieu.
M. Cools, rapporteur. - Le premier article qui a frappé la section centrale est celui du chemin de fer. Le gouvernement évalue la recette pour 1849 à 15,500,000 fr. Pour arriver à ce chiffre, nous voyons par la note à l'appui que le gouvernement suppose que le chemin de fer reprendra un mouvement ascendant, que le mois prochain ne présentera plus qu'une réduction de 15 p. c, que le mois de février ne présentera plus qu'une réduction de 10 p. c. et que le 1er avril il se sera relevé à son ancien niveau. La section centrale a pensé que cette date était fixée arbitrairement à une époque très rapprochée. A partir du 1er avril reprendra-t-il son ancien mouvement ascendant? C'est une question douteuse qui dépend des événements. Il y a un autre motif de doute; c'est que des changements ont été introduits dans les tarifs, notamment en ce qui concerne les matières pondéreuses.
Ces changements n'auront peut-être pas pour résultat direct de faire diminuer la recette, mais dans l'opinion de la section centrale, d'augmenter la dépense des frais de traction journaliers. Je n'entrerai pas dans plus de détails, car il va s'établir une discussion sur ces points.
Quoi qu'il en soit, la section centrale a pensé que lorsque le chemin de fer, en 1848, avait rapporté 12,700,000 fr., il est très hasardeux de supposer que ce produit sera, en 1849, de 15,800,000 fr.
Voilà un des articles sur lesquels porte l'observation de la section centrale. Elle portait également sur les articles, sucres, eau-de-vie indigènes, enregistrement et domaines. Mais ces articles étant votés je m'abstiendrai d’en entretenir la chambre. '
M. le président. - La chambre ne jugera-t-elle pas convenable de joindre cette discussion à celle de l'article Chemin de fer? Sans cela il y aurait en quelque sorte double emploi. (Adhésion.)
La chambre passe à la discussion de l'article : « Hypothèques (26 c. additionnels) : fr. 1,600,000. »
M. Lebeau. - Malgré mon désir de laisser suivre au débat actuel un cours assez rapide, vu l'époque où nous sommes arrivés, je crois ne pouvoir me dispenser d'appeler l'attention de la chambre sur l'exécution, que je crois erronée et en même temps dommageable au trésor public, d'une de nos lois fiscales.
La loi du 21 ventôse an VII, organique des conservations des hypothèques, loi spécialement fiscale, s'exprime ainsi, dans son article 25 :
« Le droit sur la transcription des actes emportant mutation de propriétés immobilières sera d'un et demi pour cent du prix intégral desdites mutations, suivant qu'il aura été réglé à l'enregistrement. »
On sait (au moins les honorables jurisconsultes qui font partie de cette chambre savent très bien) que la transcription des actes emportant mutation de propriétés immobilières était alors purement facultative. Mais lorsqu'il a été présenté volontairement à la transcription certains actes pour garantir les droits que la transcription a pour mission de conserver, par exemple des partages emportant soulte, la pratique constamment observée a été de faire payer le droit de transcription sur la soulte de ces partages.
Je crois que jusqu'à une loi de 1824, la loi du 21 ventôse an VII a été constamment exécutée en ce sens pour les partages avec soulte. Le droit de 1 et 1/2 p. c. fixé par la loi du 21 ventôse an VII était perçu sur les soultes, qui étaient considérées avec raison comme des mutations de propriété.
Le doute était en effet assez difficile en présence des dispositions d'une autre loi toute récente. Quelques mois auparavant, la loi du 22 frimaire an VII, loi encore en vigueur dans la plupart de ses dispositions, venait d'être promulguée.
Cette loi établit, comme vous le savez, messieurs, des droits fixes et des droits proportionnels. Il y a deux manières d'atteindre les partages dans la loi sur l’enregistrement. Ils sont atteints par les droits fixes, quand il y a simplement partage; ils sont atteints par les droits proportionnels quand il y a soulte.
L'article 68, paragraphe 3 de la loi du 22 frimaire an vu indique d'abord les actes sujets à un droit fixe de 3 fr.
« 1° (…)
« 2° Les partages des biens meubles et immeubles entre copartageants à quelque titre que ce soit. »
Voilà pour le droit fixe. Voici pour le droit proportionnel :
« S'il y a retour, le droit sera perçu au taux réglé pour les ventes. »
Donc, dans l'opinion de l'auteur de la loi du 22 frimaire an VII, la soulte inscrite dans un partage emporte nécessairement mutation de propriété, en d'autres termes une véritable vente.
Arrivons maintenant à la rubrique des droits proportionnels. C'est l'article 69 de cette loi qui les énumère.
Le paragraphe 5 établit 2 fr. par 100 fr. pour mutation mobilière; et une autre division de ce paragraphe est conçue en ces termes : « droits proportionnels : les retours de partages des biens meubles. »
Donc les retours dans les partages des biens meubles, aux termes de la loi du 22 frimaire an VII, constituent bien une véritable mutation, une véritable vente.
Le paragraphe 7 du même article établit un droit de 4 fr. par 100 fr. pour le droit de mutation d'immeubles, et le paragraphe 5 s'exprime en ces termes : « Les retours d'échange de partages de biens immeubles. » Donc pour les biens immobiliers comme pour les biens mobiliers, quand il y a soulte à l'occasion d'un partage, il y a, aux yeux de la loi du 22 frimaire an VII, une véritable mutation, une véritable vente, sur laquelle le droit proportionnel se perçoit.
Pour l'enregistrement il ne peut y avoir de doute. La loi du 22 frimaire an VII est textuelle. Aussi ce n'est pas à propos de l'enregistrement des actes contenant mutation d'immeubles, que la controverse s'est établie entre le fisc et les particuliers.
Mais y avait-il doute possible pour la transcription ? Je ne crois pas que ce doute se soit élevé une seule fois sous l'empire de la loi du 21 ventôse an VII. D'après mes recherches au moins, pour lesquelles, il est vrai, le temps m'a manqué, j'ai lieu de penser que le doute n'a été soulevé qu'après une loi beaucoup plus récente, qui a transformé en obligation formelle la faculté de faire transcrire, lorsqu'il y a mutation de propriété immobilière.
Je répète le texte de la loi de ventôse an VII ;
« Art. 25. Le droit sur la transcription des actes emportant mutation de propriétés immobilières sera d'un et demi p. c. du prix intégral desdites mutations, suivant qu'il aura été réglé à l'enregistrement. »
Quand donc, messieurs, un tel partage était offert à la transcription,, sous l'empire de la loi du 21 ventôse an VII, on percevait le droit d'un et demi p. c. ?
L'article 883 du Code civil, qui déclare que le partage (il ne faut en cela que répéter un vieux principe de droit) n'est pas translatif, mais seulement déclaratif de propriété, a-t-il changé quelque chose à cette législation purement fiscale? Je ne le crois pas.
Il est arrivé, en 1824, comme je l'ai dit, un changement assez important dans le régime des transcriptions. Une loi purement fiscale, et la date seule fait voir que c'est là son principal caractère; une loi du 3 janvier 1824, qui se bise sur la loi du 12 juillet 1821, organique d'un nouveau système de l'impôt, s'exprime ainsi :
« Ayant pris en considération que, d'après la loi du 12 juillet 1821, il convient d'apporter des modifications dans les dispositions existantes à l'égard du droit d'hypothèque, etc. :
« Art. 3. Tous actes passés après l'introduction de la présente loi, et qui emportent mutations entre vifs de biens immeubles devront être transcrits au bureau de la conservation des hypothèques dans la circonscription duquel le bien est située, etc. »
En même temps qu'on transforme en obligation la faculté existante jusque-là, de faire transcrire les contrats emportant mutation de propriété, on réduit le droit de 1 1/2 p.c. à 1/2. Quelques doutes s'élevèrent à l'attention publique ayant été beaucoup plus appelée sur une loi qui convertissait en obligation ce qui n'était jusque-là qu'une simple faculté, des doutes s'élevèrent et des procès furent intentés à l'administration de l'enregistrement.
Ces procès, messieurs, ont abouti à un arrêt de la cour supérieure de justice de Bruxelles siégeant comme cour de cassation, et je demande la permission de vous donner seulement lecture du dispositif :
« L'adjudication sur licitation entre cohéritiers, est-elle sujette à la transcription en vertu de la loi du 3 janvier 1824, quant aux parties qui excèdent les parts héréditaires respectives. Résolu affirmativement. Loi du 5 avril 1824. Code civil, art. 883. »
Je passe l'exposé des faits qu'on peut voir au recueil ; je me borne aux considérants.
(Ici l'orateur lit les motifs de l'arrêt du 14 mars 1828.)
L'arrêt dont je viens de donner lecture a été porté à la connaissance des employés de l'administration de l'enregistrement, par une circulaire de l'administrateur général sous la date du 27 mai 1828, avec l'invitation la plus expresse de s'y conformer dans les rapports qu'ils pourraient avoir avec les particuliers.
L'exécution de la loi, messieurs, si mes renseignements sont exacts, et je les ai puisés à bonne source, l'exécution de la loi s'est poursuivie sans interruption dans le sens de l'arrêt de 1828 et de la circulaire de l'administrateur général, jusqu'en 1832. Alors, sans tenir compte de tous les précédents, par une simple instruction émanée d'un chef d'administration, on a mis entièrement de côté la jurisprudence établie et maintenue jusque-là par la cour de justice de Bruxelles, jugeant comme cour de cassation. Voici en quels termes on a cru pouvoir s'en écarter.
(L'orateur donne lecture de ce document portant la date du 6 février 1832.)
Eh bien, messieurs, malgré cette circulaire dont l'argumentation, vous en conviendrez, n'est pas extrêmement puissante, je persiste à croire que cette interprétation de la loi est très contestable, je le soutiens à la faveur, d’abord, d'une pratique constante jusqu'en 1832; puis à la faveur de l'arrêt de la cour de cassation que j'ai eu l'honneur de mettre sous vos yeux, arrêt auquel on paraît s'être religieusement conformé pendant huit années.
J'ignore si, depuis, la jurisprudence a varié, le temps m'a manqué pour compléter mes recherches.
(page 267) Messieurs, nous sommes à la recherche de ressources nouvelles pour le trésor public; quelques-uns d'entre nous voudraient les demander à de nouveaux impôts; je crois qu'avant cela, il est utile de faire rapporter aux impôts actuellement existants tout ce que loyalement ils peuvent produire.
J'ai entendu parler d'un million à peu près perdu pour 16 à 17 ans d'exécution erronée de la loi du 3 janvier 1824; je l'ai oui dire ainsi par des hommes pratiques. La perte qui résulte de l'exécution de la loi pendant près de 17 ans serait, selon eux, assez considérable. Quoi qu'il en soit, c'est assez pour que l'attention et de la chambre et du gouvernement doive être appelée sur cette question.
Je ne puis pas proposer un chiffre ; je crois que M. le ministre des finances doit, de son côté, avoir le temps d'examiner la question. Je m'en rapporte entièrement à sa sollicitude, pour que la loi soit exécutée conformément à son texte et à son esprit, s'il est reconnu que l'interprétation qui lui a été donnée n'est pas fondée.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je ne pense pas que la question soulevée par l'honorable M. Lebeau, puisse avoir, quelle que soit la solution qu'on lui donne, ou des résultats aussi avantageux ou des résultats aussi préjudiciables pour le trésor, qu'il vient de le supposer. Je dois d'abord préciser ce premier point.
Le produit des droits de transcription des mutations immobilières pendant l'année 1847, a été de 1,275,334 fr. 68 c, non compris les additionnels. Quelle pourrait être la perte du chef de l'omission de la perception des droits de transcription des actes de partage présentant une soulte dont s'est occupé l'honorable préopinant ? Vous comprenez qu'il est très difficile, sinon impossible de l'établir ; mais en présence de ce produit de 1,275,334 fr. 68 c., pour tous droits de transcription de tous les actes de mutation, nous sommes amenés à conclure très rationnellement que le produit de transcription des actes de partage avec soulte, si le droit était reconnu exigible, ne pourrait s'élever qu'à une trentaine de mille francs par an.
En effet, le produit de la totalité des droits de mutation s'élevant à 1,275,334 fr., on ne peut estimer à plus du quarantième les partages avec soulte, ce qui représenterait environ 30,00.0 fr.; cette supposition est même peut-être exagérée. Ainsi le préjudice ou l'avantage ne peut pas être considérable.
Mais le droit est-il dû? Je ne le crois pas. L'honorable M. Lebeau ayant bien voulu me dire hier au soir l'objet de son interpellation, j'ai pu examiner cette question et j'ai acquis la conviction que le droit ne pouvait pas être réclamé. Aux termes de la loi du 3 janvier 1824, les mutations immobilières entre-vifs sont soumises au droit de transcription. Sous l'empire de la loi ne ventôse an VII, la transcription était facultative, la loi du 3 janvier l'a rendue obligatoire.
La question s'est bientôt élevée de savoir si le partage avec soulte devait être transcrit et partant si le droit devait être perçu. Ce point a été fortement controversé. La .cour de Bruxelles a décidé, en 1828, que le droit était dû. En 1832, l'administration a pensé que c'était par une fausse interprétation de la loi que la cour avait adopté cette opinion. Dès lors on a donné pour instruction aux agents du fisc de ne plus exiger ce droit. En 1837, l'administration a modifié cette première décision. La circulaire de 1832 émanait, comme on l'a fait observer, d'un employé supérieur de l'administration, mais je dois dire qu'elle a été implicitement approuvée par la circulaire du 24 juin 1847, qui la mentionne et qui est signée de M. d'Huart, alors ministre des finances. La circulaire de 1832 statuait que les partages avec soulte ne devaient pas être transcrits et que, en tous cas, aucun droit de transcription ne pouvait être perçu.
On a demandé s'il ne fallait pas faire une distinction, on a demandé si les partages avec soulte devaient être nécessairement transcrits; et en admettant qu'ils ne dussent pas l'être, si on ne devait pas percevoir le droit quand volontairement on les présentait à la transcription. On a dit la transcription n'est pas obligatoire, mais si l'on présente volontairement l'acte à la transcription, le conservateur percevra le droit.
On s'est fondé, pour décider ainsi sur la jurisprudence française, applicable à une législation analogue à la nôtre. La cour de cassation de France avait jugé, en effet, en s'appuyant sur la loi de ventôse an VII, et l'article 2199 du Code civil, que dans cette hypothèse de la présentation volontaire de l'acte, il y avait lieu de percevoir le droit.
Ce système a été soutenu pendant plusieurs années par l'administration ; mais la résistance a commencé, et la difficulté a été soumise aux tribunaux. Saisi d'une opposition à une contrainte décernée par l'administration en payement des droits de transcription, le tribunal d'Anvers a décidé que l'article 2 de la loi du 3 janvier 1824 qui assujettit à la transcription les actes portant mutation entre-vifs de biens immeubles, n'est pas applicable à l'acte de licitation, par lequel deux ou plusieurs, des cohéritiers sont déclarés adjudicataires de l'immeuble licite. Il en est de même, on le comprend et à plus forte raison, du partage avec soulte. Dans les deux cas, si les observations de l'honorable M. Lebeau étaient vraies, il aurait fallu appliquer la loi du 3 janvier 1824. Dans les deux cas, et c'est là l'argument principal de l'honorable préopinant, on perçoit le droit d'enregistrement sur tout ce qui excède la part de l'héritier dans l'immeuble licite ou sur la soulte, s'il s'agit d'un partage, conformément à la loi de frimaire an VII.
Mais la licitation ou le partage étant déclaratif de propriété, la loi, par une fiction, considérant le colicitant acquéreur sur licitation ou le copartageant, quant aux objets compris dans son lot, comme ayant toujours eu la propriété de l'objet acquis par licitation ou qui lui est échu en part, on doit reconnaître, qu’à moins d'une exception formelle qui existe dans la loi de frimaire, et qui n'existe plus dans la loi du 3 janvier 1824, une licitation ou un partage exclut, par la force de la fiction légale, toute idée de mutation entre-vifs. La prétention de l'administration a donc été repoussée. Mais l'administration n'a abandonné, ni facilement, ni volontairement, le système qu'elle avait soutenu en dernier lieu et qui est défendu par l'honorable M. Lebeau. Elle s'est pourvue en cassation, et la cour, par un arrêt fortement motivé, rendu, sur les conclusions conformes du ministère public, a décidé, le 5 août 1841, que la transcription ne devait pas être faite, et, par conséquent, que le droit n'était pas dû. Il est inutile que je lise cet arrêt.
L'administration à qui l'on reproche d'ordinaire de défendre avec trop d'ardeur les intérêts du trésor, et qui est accusée en cette circonstance d'avoir abandonné légèrement un droit parfaitement établi, n'a pas cru devoir céder devant un premier arrêt ; elle a soutenu de nouveau sa prétention ; et, en 1847, un deuxième arrêt est venu confirmer la doctrine admise par l'arrêt du 5 août 1841. C'est par application de ces deux décisions de la cour régulatrice, que l'administration a fait connaître à ses agents, par une circulaire du 17 février 1847, que les actes de partage en licitation qui opèrent soulte ou augmentation de la part virile d'un colicitant ne sont assujettis ni à la formalité, ni au droit de transcription.
Il est donc constaté, sans que nous ayons besoin d'approfondir l'examen de la question soulevée par l’honorable M. Lebeau, que l'administration n'a rien négligé pour faire prévaloir les intérêts du trésor, et qu'elle a dû s'arrêter devant des décisions judiciaires.
M. Lebeau. - Comme je l'ai dit à la chambre, la rapidité avec laquelle ont été votés les articles du budget des voies et moyens ne m'a pas permis d'étudier cette question comme je l'aurais désiré. Je regrette de n'avoir pas eu le temps de rechercher et de méditer les arrêts dont vient de parler M. le ministre des finances. Mon respect pour les arrêts de la cour de cassation comme pour tous les monuments de la jurisprudence belge est très grand; je m'en suis appuyé moi-même. Mais avant tout, je pense qu'il faut faire usage de sa raison, même en présence des arrêts les plus imposants.
J'ai peine à croire que ce soit erronément que, pendant plus de20 ans, la loi de ventôse au VII ait été exécutée exactement, comme je l'ai dit à la chambre.
J'ai dit que lorsqu'on présentait, en France, à l'enregistrement, puis à la transcription un partage avec soulte, non seulement le droit proportionnel d'enregistrement se payait sur la soulte, qui évidemment, est fiscalement parlant, une mutation de propriété, mais le droit de transcription.
La loi de 1824 dit en termes exprès que chaque fois qu'il y a mutation de propriété, il y a obligation de transcrire. Comment cela est-il possible» dans le cas, par exemple, où deux frères, héritiers de leur oncle, dont la succession consisterait en une maison d'une valeur de 50,000 fr. feraient l'arrangement suivant ? L'un d'eux a quelques épargnes, l'autre n'en a pas. Celui qui a des épargnes prend à lui seul la maison et donne à l'autre 25,000 fr. en argent. Je demande si c'est là un partage pur et simple, ou si ce n'est pas une vente au profit d'un des frères, exactement comme cela serait si la vente était faite au profit d'un étranger? Dans ce cas, il y a tellement mutation, que la loi du 22 frimaire an VII exige, on le reconnaît, la perception pour le fait de mutation. Or, s'il y a mutation pour le droit d'enregistrement, comment n'y aurait-il pas mutation pour la transcription ? La loi du 22 frimaire an VII ne pourrait, s'il n'y avait pas mutation, s'appliquer même pour l'enregistrement.
Je n'insiste pas sur ce point. Je m'en rapporte à la sollicitude du gouvernement. Mais je crois, sans avoir eu le temps d'examiner les arrêts, auxquels M. le ministre s'est rapporté, que s'il y a erreur dans ces arrêts, elle serait dans les effets qu'on attribue à l'article 883 du Code civil. Cet article peut avoir des effets purement civils quant à la nature des partages et des droits qu'il confèrent; mais cela ne peut, semble-t-il, avoir la même influence sur des lois purement fiscales.
J'ai appelé l'attention du gouvernement sur ce point. Si cette discussion ne m'avait pris, comme vous tous, au dépourvu, peut-être n'aurais-je pas fait perdre ce temps à la chambre dans l'état de la discussion; ma conviction pourtant reste entière.
M. de Mérode. - Je n'ai qu'un mot à dire ; car je n'essayerai pas de traiter la question au point de vue du droit, n'ayant pas de connaissances en cette matière. Je n'examinerai la question qu'au point de vue de l'équité.
L'opinion de l'honorable M. Lebeau ne me paraît pas conforme à l'équité. En effet, quand deux frères recueillent la succession d’un oncle, se composant d'une maison, ils ne peuvent la couper en deux. L'un des deux est donc obligé de prendre la maison : il ne peut l'avoir sans donner une compensation à son copartageant.
On a dit que j'avais proposé un impôt sur les successions en ligne directe : je trouve ici l'occasion d'expliquer de quelle manière j'ai présenté cette loi; je l'ai présentée seulement pour l'héritier unique, parce qu'il n'a jamais l'embarras qu'ont les héritiers dont on vient de parler. Dans le système de l’honorable M. Lebeau, ces héritiers devraient payer, indépendamment du droit de succession, le droit d'inscription. Je trouve que la cour de cassation a eu bien raison de les ménager; car il n'est pas juste de surcharger celui qui a toutes sortes d'embarras, que n'a pas l'héritier unique pour recueillir, non pas une partie d'une succession, mais une succession entière.
(page 268) - L'article « Hypothèques » est adopté avec le chiffre de 1,600,000 fr.
La chambre passe à l'article : « Timbre (sans additionnels) : fr. 3,000,000. »
M. Toussaint. — Messieurs, je ne serai pas long à cause des explications qui ont été données à l'avant-dernière séance.
Je dépose sur le bureau un amendement dont le but est d'élever le chiffre de cet article de 3,000,000 de fr. à 3,200,000 fr.
J’avais d'abord proposé d'augmenter de 10 p. c. le timbre en général, tant proportionnel que de dimension. Mais on m'a fait remarquer, avec quelque justice, que tout récemment on a réduit le timbre sur les effets de commerce, mais en s'assurant une perception qu'on ne faisait pas auparavant; et qu'une augmentation opérée aujourd'hui pourrait être une surtaxe très gênante pour le commerce.
Le timbre proportionnel ne forme guère que le quart de l'ensemble des droits de timbre; les trois quarts appartiennent au timbre de dimension. En appliquant les 10 p. c. au timbre de dimension on aurait un accroissement de produit de plus de 200,000 fr.
Quant à ce timbre, il n'y a aucun inconvénient à l'augmenter, parce qu'il reste toujours limité dans de petites proportions. Ce n'est pas un timbre proportionnel, aux valeurs qui figurent dans l'écrit, c'est un timbre à raison de la surface, qui ne peut jamais dépasser 50 centimes pour le papier de la plus petite dimension, 1 fr. 76, pour le papier de la plus grande dimension, y compris l'augmentation de 10 pour cent.
Voici quel était originairement le prix du papier timbré, avec l'indication du prix actuel :
Papier de la plus petite dimension (feuille simple) : prix ancien, 25 c. ; prix actuel, 45 c.
Papier de la plus petite dimension (feuille double) : prix ancien, 50 c. ; prix actuel, 90 c.
Papier de dimension moyenne : prix ancien, 75 c. ; prix actuel : 1 fr. 20 c.
Papier de grande dimension : prix ancien, 1 fr. ; prix actuel, 1 fr. 60 c.
Les droits d'enregistrement ont fait le même chemin. L'unité, le droit minimum qui était fixé à un franc par la loi de frimaire an VII, revient aujourd'hui, avec additionnels, à 2 fr. 21, et on n'a trouvé aucun inconvénient à augmenter successivement ce droit à mesure de la diminution de la valeur de l'argent.
Pour être logique, il faudrait qu'aujourd'hui le droit des petits timbres s'élevât à plus du double de ce qu'il était en l'an VII. En l'augmentant de 10 p. c. ou ne le porte qu'à 49 centimes, c'est-à-dire pas encore au double du chiffre de 25 centimes qui existait en l'an VII.
Je crois ne pas avoir besoin d'entrer dans plus de détails pour justifier ma proposition. Mais pour éviter les difficultés de perception dont on a parlé dans une précédente séance, pour éviter aussi qu'il y ait des bénéfices illicites faits par les receveurs a raison de la fraction, je propose dans mon amendement de porter le timbre de 45 c, à 50 c; celui de 90 c. à 1 fr., et celui de 1 fr. 20 à 1 fr. 30. C'est un peu plus de 10 p. c. sur les petits timbres et les timbres moyens, et un peu moins de 10 p. c. sur les grands timbres qui s'emploient le moins.
Quant au matériel existant, on ne rencontrera pas plus de difficultés qu'on n'en a rencontré lors des nombreuses variations qu'on a fait subir au droit de timbre précédemment.
Comme je l'ai dit, il s'agit d'une somme de 200 et des mille francs. Nous sommes livrés à une recherche assez pénible d'impôts nouveaux ; d'autre part nous devons nous attendre à des diminutions de recettes sur plusieurs articles. Ainsi le droit sur la poste donnera un déficit ; le projet de loi sur les successions ne sera probablement pas voté tel qu'il a été proposé. Cependant on demande des dépenses nouvelles. On parle de l'établissement d'une société de commerce et d'autres dépenses.
Je pense donc qu'il y a lieu pour la chambre d'adopter l'augmentation que je propose, qui constitue non un impôt nouveau, mais une simple amélioration d'un impôt existant, et qui n'a rien d'odieux ni de vexatoire.
M. le président. - Voici l'amendement proposé par M. Toussaint :
« Timbre, 3,200,000 fr. »
« Les timbres de dimension de 45 centimes, 90 centimes et 1 franc sont portés respectivement à 50 centimes, 1 franc et 1 franc 30 centimes. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je ne puis me rallier à la proposition de l'honorable M. Toussaint.il estime à 200,000 francs le produit de l'augmentation de 10 p. c. qu'il propose sur les timbres de dimension. Je pense que cette évaluation est un peu exagérée. Le produit du timbre a été, l'an dernier, de 1,900,000 fr. L'augmentation serait donc au plus de 190,000 fr.
Les motifs qui ne me permettent pas d'adopter cette augmentation sont d'abord que cet impôt du timbre est déjà fort élevé. Comme vous l'avez appris, le droit principal qui existe aujourd'hui est composé d'un droit principal ancien et d'un assez grand nombre d'additionnels qui y ont été successivement ajoutés. Il me semble qu'il n'y a pas lieu d'augmenter aujourd'hui cet impôt que l'on tend, au contraire, à réduire; car tel a été l’esprit manifeste par l'administration et par la chambre, dans plus d'une circonstance.
L'honorable membre renonce, par suite de l'objection que je lui ai faite, à accroître les droits de timbre proportionnel. Mais pourquoi augmenter les droits de timbre de dimension, en laissant en dehors des impôts de la même catégorie, et cela pour faire une recette qui, e définitive, n'est pas considérable ?
Je ne puis me rallier à la proposition de l'honorable M. Toussaint, par un autre motif : c'est que dans le système de l'honorable membre, il faudra créer de nouveaux timbres. Il en résulterait une nouvelle dépense, et la perte du matériel qui existe actuellement en magasin. Car, l'honorable M. Toussaint vient de le dire, il faudrait faire des timbres de nouvelle dimension. Ce serait une dépense assez considérable. Je ne puis dire en ce moment à combien elle s'élèverait.
Si l'on voulait renoncer à faire fabriquer de nouveaux timbres et ajouter les additionnels au principal, comme on l'a fait diverses fois, je pense qu'il en résulterait des inconvénients. Le droit de timbre est perçu sans que le receveur en donne quittance. Il importe donc, et c'est par ce motif que les additionnels ont été autrefois fondus avec le principal, que le timbre porte l'indication de la quotité du droit à percevoir.
Ainsi, dans la dernière hypothèse, l'addition de 10 pour cent purement, simplement, afin de conserver les timbres actuellement en magasin, occasionnerait une dépense dont il faut tenir compte. S'il s'agit au contraire de substituer aux timbres anciens des timbres nouveaux, il y aura évidemment une dépenses et une perte de matériel. Ces motifs et la considération surtout que le droit sur le timbre est suffisamment élevé ne me permettent pas de me rallier à la proposition de l'honorable préopinant.
M. Toussaint. - Chaque fois qu'il s'est agi de changer la valeur des timbres, soit par des additionnels, soit même par l'altération du timbre primitif, on n'a pas perdu ce qui se trouvait en magasin, on a seulement eu à changer le timbre. Tantôt les receveurs ont visé, tantôt ils ont renvoyé les timbres qu'ils possédaient au magasin pour qu'on y appliquât un timbre de transition. Mais il n'y a pas eu perte du matériel.
Dans un temps où beaucoup de modifications de cette espèce ont été opérées, sous le régime hollandais, j'ai vu deux ou trois timbres de transition à la suite les uns des autres; ce qui prouvait que deux ou trois fois on avait changé le matériel sans, pour cela, faire faire aucune perte.
Je ferai en même teints une autre proposition : C'est de porter le timbre sur les permis de chasse de 30 fr. à 32 fr. Il en résultera encore une légère augmentation de recettes.
Je persiste dans ma première proposition.
M. le président. - Voici le second amendement de M. Toussaint :
« Le droit de timbre sur les permis de chasse est porté à 32 fr. »
M. Rousselle. - Il serait difficile d'augmenter ainsi incidemment et par voie d'amendement au budget, le droit sur le timbre.
Je demande donc la disjonction de cette proposition et son renvoi à l'examen des sections. Je suis partisan d'une augmentation du droit sur le timbre, mais je veux que la chambre examine attentivement la question.
M. Toussaint. — Je. m'oppose à la disjonction. Comme elle nous conduirait trop loin pour que ma proposition entrât dans la rédaction du budget; si l'on insistait, je reviendrais à ma proposition primitive qui était l'adjonction au droit sur le timbre du décime. L'augmentation des additionnels s'est toujours faite par la voie du budget. Je ne pense pas qu'il y ait lieu de retarder l'examen et le vote de ma proposition. Du reste, elle n'engage aucun principe pour l'avenir ; elle n'est que la traduction en fait de la proposition que je vous avais indiquée, de modifier le droit par additionnels.
Or, les membres de cette chambre qui faisaient partie des législatures précédentes, savent que toujours les centimes additionnels ont été modifiés par la loi de budget.
M. Tesch. - Messieurs, la proposition de l'honorable M. Toussaint tend à établir un nouvel impôt; or, il ne faut pas établir facilement des impôts; il ne faut pas surtout en établir à la légère. Je demanderai dans tous les cas le renvoi de la proposition à la section centrale, afin qu'elle l'examine, qu'elle fasse un rapport et que nous puissions ensuite la discuter en connaissance de cause. Quant à moi, il ne me convient pas de discuter une affaire de cette importance sans avoir pu y réfléchir.
M. Toussaint. - Je ne m'oppose pas au renvoi à la section centrale.
M. Rousselle. - Je me rallie à la proposition de M. Tesch.
M. le président. - Il s'agit des deux amendements de M. Toussaint.
M. Tesch. - Oui, M. le président.
- La proposition de M. Tesch est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - En conséquence, l'article Timbre est tenu en suspens.
M. le président. - Nous arrivons au chapitre des Péages.
M. Dumortier. - Je crois, messieurs, qu'il est impossible de commencer aujourd'hui une discussion de cette importance. Nous pourrions, sans aucun inconvénient, tenir en suspens jusqu'à lundi prochain les articles relatifs aux péages des canaux et au chemin de fer. Nous avons encore assez de matières à examiner pour continuer la discussion du budget jusqu'à ce soir. Ce que je propose ne pourra donc en aucune manière retarder l'examen du budget.
M. Delfosse. - Je m'oppose à la proposition de l'honorable M. Dumortier, et je demande que l'on suive l'ordre indiqué par le budget.
(page 269) L'honorable M. Dumortier ne veut pas que l'on aborde l'article péages aujourd'hui, parce qu'il doit donner lieu à une discussion importante.
Mais d'autres articles donneront aussi lieu à une discussion importante; par exemple, l'article chemin de fer, sur lequel l'honorable M. Dumortier paraît disposé à prendre la parole; l'article relatif au salaire des conservateurs, à la Société Générale, à la retenue sur les traitements.
Si l'article péages était ajourné à lundi pour le motif indiqué par l'honorable M. Dumortier, il faudrait remettre tout à lundi.
M. Dumortier. - Je n'insiste pas.
M. le président. - Ainsi, la discussion est ouverte sur le chapitre relatif aux péages. La parole est à M. Pirmez.
M. Pirmez. - Messieurs, je ne puis laisser passer ce chapitre sans faire observer encore quelle énorme différence il y a entre les péages qui existent sur les différentes voies navigables du pays. Je dois d'autant plus insister sur ce point que la chambre ayant été en grande partie renouvelée, un grand nombre de membres n'ont pas entendu ce qui a été dit à ce sujet dans les sessions précédentes.
Il s'est élevé contre cette énorme disproportion une multitude de réclamations depuis plusieurs années, et on peut dire qu'elles étaient en très grande partie légitimes. Vous pouvez, messieurs, à l'instant même, sans chiffres, sans calculs, et par le simple examen du résultat fiscal, vous assurer de la légitimité de ces réclamations. Il suffit, pour cela, d'examiner le produit de chaque péage en particulier.
En effet, messieurs, le résultat paraîtra incroyable, car vous verrez que le canal de Charleroy donne à lui seul une recette de 14 à 15 cent mille francs ; si vous ce comptez pas la Sambre canalisée, qui sert aussi à exporter les produits du bassin de Charleroy, c'est 65 p. c. du produit total des canaux et rivières, des droits d'écluse, de pont et de navigation pour tout le royaume. Or, le canal de Charleroy a une longueur de 14 lieues, et toutes les autres voies de navigation, canaux et rivières du royaume ont une longueur de 260 lieues. On pourrait croire que le fait si extraordinaire, si prodigieux que je viens de citer est le résultat d'une très grande navigation, qu'il provient de ce que le canal de Charleroy serait plus parcouru, relativement, que les autres votes navigables ; qu’il est la conséquence d'un grand commerce; il n'en est rien; ce résultat n'est réellement que la suite d'un péage exagéré.
En effet, messieurs, d'après les documents officiels produits l'année dernière par les réclamants et qu'il n'est pas possible de contester, le mouvement du canal de Charleroy est de 736,667 tonneaux, tandis que le canal de Mons à Condé, le canal d'Antoing et l'Escaut jusqu'à Tournay donnent un mouvement de 3,073,917 tonneaux. Il est donc impossible de nier (et on ne le tentera même pas) que ce résultat si extraordinaire d'une recette de 14 à 15 cent mille francs donnée par le canal de Charleroy, provient d'un péage exagéré.
D'ailleurs, le montant des péages pour chaque canal vous est connu. Il en est dont les droits sont quatre fois moins élevés pour le même poids transporté, que sur le canal de Charleroy ; dans ce cas se trouve le canal de Mons à Condé; il en est dont les péages sont huit fois moins élevés; par exemple, le canal de Terneuzen.
Dira-t-on que cette exagération dans les péages est rachetée par une navigation plus facile? Dira-t-on que le canal de Charleroy aurait été construit de manière à rendre les frais des transports moins coûteux? Il n'en est rien. C'est le contraire. Le canal de Charleroy a été construit d'une manière malheureuse et dans des proportions qui n'existent en Belgique pour aucun canal et tellement que la moyenne du tonnage des bateaux sur le canal de Charleroy n'est que de 66 tonneaux. La moyenne du tonnage sur le canal de Mons, qui sert aussi principalement à transporter de la houille, est de 220 tonneaux.
Ainsi, on dirait que les péages ont été en quelque sorte élevés en proportion de la difficulté de la navigation.
Au moyen des choses ainsi établies, il arrive que .Mons peut envoyer son charbon à Bruxelles, en faisant pourtant un immense circuit par Tournay et par Gand.
Dira-t-on encore cette année-ci, comme on l'a dit dans les sessions précédentes, qu'avant de faire un changement quant aux péages, il faut attendre que l’Etat, qui a acheté le canal de Charleroy, soit remboursé du capital et des intérêts ?
Je ferai remarquer que cet argument, on l'applique seulement au canal de Charleroy. Pour le chemin de fer, on a des idées toutes différentes. Je crois même que, dans un rapport qui nous a été présenté tout récemment, on admet que les péages sur les chemins de fer peuvent être abaissés jusqu'au point où ils balancent les frais de traction et l'usure du matériel; c'est bien loin de vouloir faire rembourser l'intérêt et le capital.
Cependant l'augmentation de la navigation sur un canal résultant d'une diminution de péages ne peut occasionner à l'Etat que des frais insignifiants ; il n'est en aucune manière chargé du transport tandis que sur le chemin de fer, il en est entièrement chargé.
Au reste, qu'on se rassure sur ce remboursement. L'Etat est rentré complètement dans Ses fonds. Dès l'année dernière il a été prouvé par des calculs contre lesquels il n'a été présenté aucune objection, qu'il avait reçu capital et intérêts. Son bénéfice est donc immense, sa recette est de 1,465 mille francs et sa dépense de 80 mille.
Après ce court exposé, qu'il me soit permis de faire un appel à la justice de la chambre et du gouvernement.
M. le président. - Messieurs, la chambre ne jugerait-elle pas à propos d'ajourner cette discussion jusqu'à celle du projet de loi sur les péages (Oui! oui !)
M. Dechamps. - Messieurs, j'appuie cette observation. Nous ne pouvons pour le moment arriver à aucune conclusion. Lorsque nous aborderons la loi sur les péages, on pourra peut-être aboutir à une conclusion. La section centrale a émis le vœu que les péages, en général, ne fussent fixés qu'en vertu d'une loi. Dès lors, la question dont nous nous occupons trouvera beaucoup mieux sa place lorsque nous discuterons le projet de prorogation de la loi des péages.
M. Delfosse. - C'est une section, et non la section centrale, qui a émis le vœu que les péages fussent actuellement fixés par une loi, vœu auquel la section centrale n'a pas adhéré.
M. Coomans. — Messieurs, c'est moi qui viens de dire à l'honorable M. Dechamps que la section centrale, à l'unanimité ou au moins à une grande majorité, avait émis le vœu que les péages fussent désormais réglés par la loi. Mes souvenirs sont très exacts sur ce point. Je ne puis qu'attribuer à un oubli tout à fait involontaire de la part de l'honorable rapporteur l'omission de ce vœu dans son rapport.
M. Cools, rapporteur. - Messieurs, vous savez avec quelle rapidité j'ai dû rédiger le rapport sur des notes recueillies pendant la discussion. Lorsque le rapport a été achevé, j'en ai donné lecture à la section-centrale, et ce n'est qu'après son approbation qu'il vous a été communiqué. Maintenant je crois me rappeler que la section centrale a décidé, au moins à la majorité, d'exprimer le vœu que les tarifs du chemin de fer fussent réglés par la loi.
M. Coomans. - Ainsi que les péages.
M. Cools, rapporteur. - Cette décision ne s'est-elle-pas trouvée mentionnée dans les procès-verbaux, qui m'ont guidé, ou est-ce une inadvertance de ma part de ne pas en avoir fait mention?
Mais je crois me rappeler que la section centrale avait décidé que les tarifs du chemin de fer et les péages seraient réglés par une loi. Je reconnais que je ne vois pas trace de cette décision élans mon rapport.
M. Delfosse. - Mon observation s'appliquait, non à la section centrale du budget des voies et moyens, mais à la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi sur les péages.
- La discussion est renvoyée à la loi spéciale.
« Produits des canaux et rivières, appartenant au domaine, droits d'écluse, ponts et navigation : fr. 850,000. »
- Adopté.
« Produits de la Sambre canalisée : fr. 620,000. »
- Adopté.
« Produits du canal de Charleroy : fr. 1,465,000. »
- Adopté.
« Produits du canal de Mons à Condé : fr. 120,000. »
- Adopté.
« Produits des droits de bacs et passages d'eau : fr. 90,000. »
- Adopté.
« Produits des barrières sur les routes de première et de deuxième classe : fr. 1,850,000. »
- Adopté.
« Chemin de fer : fr. 15,500,000. »
M. Mercier. - Je désire savoir si le gouvernement n'a pas l'intention de soumettre à la chambre un projet de loi destiné à régler les tarifs du chemin de fer. Il me semble que l'expérience a été assez longue pour que les chambres puissent être saisies de cet objet. Nous avons un très grand intérêt à augmenter les ressources de l'État, tout en ne perdant pas de vue les convenances du commerce. Les chambres, après avoir examiné avec maturité la question des tarifs du chemin de fer, jugeront s'ils n'est pas possible d'en obtenir un produit plus considérable en conciliant les divers intérêts qui sont en cause. Je demande donc que le gouvernement présente le plus tôt possible un projet de loi pour établir les tarifs du chemin de fer.
(page 272) M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je répondrai à l'honorable préopinant que l'intention du gouvernement n'est pas de soumettre, en ce moment, à la chambre, un projet de loi réglant le tarif des chemins de fer. J'en exprimerai les motifs. La chambre sait que les tarifs ont été profondément modifiés, à partir du 1er septembre dernier. C'est une expérience nouvelle, dont je suis prêt à faire connaître la nature et les résultats.
La réduction qui a été opérée par le tarif du 1er septembre et qui a (page 273) porté ombrage à plusieurs membres, a été calculée, selon ma conviction, sur les véritables besoins du pays et sur les véritables intérêts du commerce.
Le projet en avait été élaboré avant mon arrivée au département des travaux publics; je l'ai adopté, et je l'ai mis en vigueur en pleine connaissance de cause : j'en accepte toute la responsabilité. Que ce tarif a été calculé sur les véritables besoins du commerce, c'est ce que j'ai à peine besoin de justifier; car les délégués de toutes les chambres de commerce du pays, convoqués par mon honorable prédécesseur pour délibérer sur le système proposé, ont été unanimes à y applaudir; à cet égard, il n'y a pas eu le moindre dissentiment.
Les changements peuvent se rapporter à l'une ou à l'autre de ces catégories; on a eu pour but, en premier lieu, d'apporter dans les tarifs antérieurement existants une très grande simplification.
Jusqu'alors il y avait régné une complication considérable; c'était, en quelque sorte, un problème non seulement pour les commerçants, mais même pour les employés du chemin de fer, de savoir à laquelle les nombreuses catégories établies par l'ancien tarif il fallait rapporter les diverses marchandises présentées au transport. De là des doutes sérieux, des embarras de tous les instants. On a voulu couper court à ces doutes, à ces embarras, en diminuant considérablement le nombre des catégories. A mes yeux, ce premier but a été atteint de la manière la plus heureuse, la plus complète.
En second lieu, on a eu pour but d'appeler au chemin de fer une foule de marchandises que de choquantes anomalies, des conditions d'admission inacceptables en avaient détournées jusqu'alors.
Ainsi, pour les transports à grande vitesse, il a été adopté une base régulière et uniforme de 1 centime par kilogramme et par lieue pour les frais variables et 50 centimes pour les frais fixes. Ainsi encore, on a exclu les locations de waggons qui n'étaient propres qu'à procurer des profits considérables à des entrepreneurs particuliers, au préjudice et des particuliers et du trésor. On s'est dirigé en cela par la pensée que le chemin de fer doit être traité d'après les mêmes règles qu'une exploitation commerciale ordinaire. Cette pensée est la mienne ; c'est le seul moyen, à mes yeux, d'en tirer profit. Partant de cette idée, on s'est dit qu'il fallait appeler, autant que possible, directement au chemin de fer les marchandises qui n'y venaient auparavant que par des agents intermédiaires et s'approprier ainsi le bénéfice du détail dont on s'était gratuitement privé jusqu'alors.
Ainsi encore pour les transports à petite vitesse, le minimum du poids d'admission a été réduit de 500 kilog. à 100, et la condition des charges complètes a été entièrement supprimée, excepté pour les marchandises appartenant au tarif de faveur n°3.
Ainsi enfin toutes les modérations accordées jusqu'alors et qui mettaient le comble à la confusion ont été remplacées par un seul tarif de faveur, le tarif n°3, dans lequel on a rangé : 1° tous les produits en exportation ou en transit; 2° toutes les marchandises pondéreuses susceptibles d'être chargées en vrac ; 3° les denrées alimentaires et les engrais.
La chambre comprend tout d'abord le sentiment, je puis dire paternel, qui a guidé l'administration dans l'établissement de ce tarif; faveur pour le commerce et l'industrie; faveur pour l’agriculture; faveur pour l'alimentation du peuple.
On croit assez généralement que ce tarif est préjudiciable pour le trésor, qu'au prix du tarif n°3 les transports se font à perte. C'est un préjugé qu'il faut détruire. Il est facile d'établir, au contraire, que ces transports mêmes procurent un bénéfice notable.
Mais, avant de fournir cette démonstration, il ne sera pas hors de propos de comparer le prix de notre tarif, pour le transport des houilles, à celui des tarifs des chemins de fer étrangers qui nous entourent. J'ai, à cet égard, à fournir à la chambre quelques renseignements qui seront, je crois, de nature à la satisfaire. En voici qui concernent l'Angleterre. Chaque fois qu'il s'agit de spéculations commerciales ou industrielles (et, je le répète, il faut s'habituer à considérer l'exploitation de nos chemins de fer comme une spéculation de cette nature), on ne peut mieux faire que de suivre l'exemple des Anglais qui sont nos maîtres en fait de commerce et d'industrie.
De Londres à Birmingham, le prix du transport de la houille par tonne et par lieue est de fr. 0-31, avec le matériel ou waggon de l’expéditeur.
M. Dumortier. - C'est bien différent!
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - C'est bien différent, en effet; mais si l'honorable M. Dumortier avait eu un peu plus de patience, il aurait connu le prix du même transport avec les waggons de la compagnie. Ce prix est de fr. 0,34,875 soit 55 centimes. Je parle d'après des données de 1845. Or, ce chemin de fer (c'est une considération qu'il ne faut pas négliger) a coûté 4 1/2 millions par lieue, sur une longueur de 37 lieues, pour établissement de la voie et achat du matériel, c'est-à-dire trois fois autant, proportion gardée, que le nôtre. Trop souvent on se fait illusion sur le coût de notre railway. Comme il a coûté beaucoup de millions, on se plaît souvent à en exagérer le nombre ou à se livrer, à cet égard, aux doutes les plus extraordinaires. On oublie qu'il ne peut se dépenser un centime sans un vote spécial de la chambre. Or, en récapitulant les crédits votés, on voit que nos 113 lieues de chemin de fer ont coûté 162 millions, c'est-à-dire 1,430 mille francs environ par lieue.
De York à Northhmidland, avec ses extensions, le prix de transport du charbon et du coke est de fr. 0,155 avec le matériel ou les waggons de l'expéditeur, et de fr. 0,19375 avec les waggons de la compagnie, c'est-à-dire environ de la moitié du prix de notre railway.
Enfin, sur la plupart des chemins de fer du Nord de l'Angleterre, le prix du transport pour les matières dont nous nous occupons est de fr. 0,155 à 0,232 avec le matériel ou les waggons de l'expéditeur, et de fr. 0,19575 à 0,27075 avec les waggons de la compagnie.
J'ai dit que je parle d'après des données de 1845 ; mais, si je suis bien informé, ces prix sont encore diminués depuis. J'en viens au chemin de fer du Nord.
Ici le prix change d'après la distance. A une distance de 10 lieues, la houille se transporte à fr. 0,38 par tonne et par lieue; à une distance de 20 lieues, le prix n'est que de 30 centimes. Il y a plus : un des employés supérieurs de cette administration qui se trouvait, il y a quelque temps, à Bruxelles, a dit à un de nos ingénieurs que la compagnie entre quelquefois en composition avec les expéditeurs, et transporte la houille même au prix réduit de 25 centimes.
Mais je ne veux pas tenir compte de ce renseignement particulier, et je pose le haut prix, le prix normal. Eh bien, messieurs, à la distance de dix lieues, ce prix est inférieur de 2 centimes à celui de nos tarifs ; à la distance de vingt lieues, il y est inférieur de 5 centimes. Et voyez, cependant, la différence des conditions d'exploitation ! La compagnie du Nord doit venir chercher en Belgique le charbon et le coke dont elle a besoin pour l'alimentation de ses locomotives, et elle n'achète pas, comme nous, les rails à 190 francs le tonneau. Ajoutez que ses waggons pèsent cinq tonneaux de tare, tandis que les nôtres ne pèsent que deux tonneaux et demi. Par conséquent, sous tous ces rapports, l'avantage est de notre côté.
Quant au chemin de fer rhénan, le tarif pour le transport de la houille y est à la vérité supérieur au nôtre ; mais la différence est très légère et mérite à peine d'être mentionnée»
En effet, c'est une erreur de croire que le prix du transport sur nos chemins de fer, selon le tarif n°3, n'est pas de plus de 30 centimes. Les 30 centimes par tonneau constituent les frais variables. Mais indépendamment de ces frais variables, il y a les frais fixes qui sont d'un franc par tonneau, quelle que soit la distance. Or ce franc, réparti sur une distance de dix lieues, ajoute 10 centimes au prix du transport par lieue et par tonneau.
M. Dumortier. - Nos houilles ne payent pas de frais fixes.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - L'honorable membre est, à cet égard, dans la plus grande erreur. Il méconnaît complètement notre tarif. Je déclare que si un chef de station avait omis de faire payer les frais fixes pour un transport de houille, je serais prêt à le faire forcer immédiatement en recette. Les tarifs sont là ; c'est la loi d'application pour les chefs de station. Or il serait impossible d'y trouver une exception quelconque à la règle des frais fixes pour ce qui regarde les frais fixes.
M. Dumortier. - Ce que M. le ministre des travaux publics appelle les frais fixes, ce sont les frais de chargement et de déchargement.
M. le ministre des travaux publics (M. Rolin). - C'est une nouvelle erreur. Les frais fixes n'ont rien de commun avec les frais de chargement et de déchargement. Les frais fixes sont destinés à indemniser l'Etat du pesage, de la réception et de l'inscription de la marchandise, et de la décharge à l'arrivée. Que l'honorable M. Dumortier veuille ouvrir, à la première page venue, le tarif qu'il a sous les yeux. Il y verra le tarif n°3 divisé en trois colonnes : avec remise à domicile; chargement et déchargement compris; et chargement et déchargement non compris. Or, en prenant au hasard un chiffre de cette dernière colonne, il verra que ce chiffre représente le prix du transport de 100 kilogrammes, soit 3 centimes, multiplié par la distance légale, plus 10 centimes pour frais fixes, c'est-à-dire 1 franc par tonneau.
Or, à ce prix, transportons-nous à perte? C'est la seconde question que je me suis posée. Il est bien certain, en effet, que si, sur le pied du nouveau tarif, les transports s'effectuent à perte, il faut immédiatement en changer la base. Mais à cet égard je crois encore une fois pouvoir rassurer la chambre; et il suffira, pour cela, de la prier de consulter le compte rendu de l'administration du chemin de fer pour l'année écoulée. Les éléments du calcul dans lequel je vais entrer s'y trouvent à la vérité épars, mais il sera facile de les y retrouver.
La section centrale m'a demandé, il y a quelques jours, quel était le prix du transport de la houille de Liège à Verviers. J'ai demandé aussitôt, d'une part à l'administration centrale et, d'une autre part, à la direction du chemin de fer, des renseignements sur ce point, et on a eu beaucoup de peine à me les fournir. Ces renseignements ne sont pas même concordants, et la chambre en comprendra facilement la cause.
Le chemin de fer ne transporte pas seulement des houilles, mais des marchandises de toute nature, et sur des plans très différents, les uns presque à niveau, les autres plus ou moins inclinés.
Il ne transporte pas seulement des marchandises, mais encore des voyageurs. Déterminer les frais du traction d'un convoi donné de houille sur une ligne donnée est déjà chose difficile. Mais c'est la moindre difficulté. Car pour déterminer le prix de revient du transport, il est évident qu'il faut tenir compte en outre de l'usure de la locomotive et «les waggons, de l'usure des rails, des frais d'entretien de la route, et des frais généraux d’administration.
En un mot, pour être juste, pour ne pas s'exposer à faire un faux calcul, commercialement et industriellement parlant, il faut reporter sur chaque transport de marchandises une partie des frais généraux. Mais (page 274) dans quelle proportion ? Là naît le doute, et ce doute se complique de ce que les marchandises voyagent souvent de compagnie avec les voyageurs.
Cependant, messieurs, pour éviter toute erreur, toute illusion, je mettrai les choses au pis. et j'assimilerai en quelque sorte les marchandises aux voyageurs mêmes, quoiqu'elles voyagent à moins de frais que ces derniers. Eh bien, consultez le compte rendu de l'année dernière. Vous y verrez qu'un convoi de 15 voitures transportant des voyageurs de première, de deuxième et de troisième classe et des marchandises, a coûté 12 fr. 93 c. par lieue. En considérant toutes les voitures indistinctement comme autant de waggons de marchandises, et chaque waggon comme traînant un poids de 4 tonneaux seulement, cela fait 20 centimes par tonneau et par lieue.
Augmentez de 25 p. c, et supposez le prix de revient égal à 25 c, vous aurez encore un avantage de 5 centimes sur les frais variables seulement, sans compter les frais fixes qui sont, comme on l'a vu, de un franc par tonneau, quelle que soit la distance.
Or l'exagération de toutes ces suppositions doit sauter aux yeux. Il est évident qu'en comptant de cette manière, on se trompe; mais on se trompe volontairement, on se trompe au profit du trésor.
Ce n'est pas tout, messieurs, il y a encore d'autres considérations qui doivent vous porter à considérer le tarif comme étant bien et très bien établi, tant sous le rapport social, si je puis m'exprimer ainsi, que sous le rapport financier.
Je dis que le tarif est bien établi sous le rapport financier. Car vous comprenez que si le tarif est de nature à faire augmenter le transport du charbon, à le faire augmenter, par exemple, de moitié dans un temps donné, les frais de transport diminueront considérablement. En effet, une vérité élémentaire en matière de commerce et d'industrie, c'est que les frais généraux restant les mêmes, plus vous augmentez la quantité des produits, plus les produits reviennent à bon compte; et, par conséquent, plus vous augmenterez les transports, plus vos transports seront profitables au trésor.
Sous le rapport social, vous y gagnerez considérablement encore ; car un point qu'il ne faut jamais perdre de vue, c'est que le service que l'Etat rend au commerce et à l'industrie, en transportant les marchandises à bon compte, est le plus magnifique et le plus équitable subside, la plus puissante et la plus égale protection qu'il puisse donner au commerce et à l'industrie. Ne perdons jamais de vue ce point important, messieurs. Soyez persuadés que le commerce et l'industrie vous en tiendront bon compte. (Interruption).
J'entends dire près de moi que si cela fait le compte du commerce, il n'en est pas de même du contribuable. Je croyais avoir répondu d'avance à cette objection ; puisque je n'ai pas réussi à convaincre l'interrupteur, j'y reviens. J'ai commencé par tâcher d'établir que l'affaire est financièrement bonne. J'ai à cet égard la plus profonde conviction ; et lorsqu'il faudra entrer dans des détails plus grands, je serai prêt à les fournir de la manière la plus complète. Que si l'affaire est financièrement bonne, il est prouvé par cela même que, dans la fixation du tarif, on n'a pas perdu de vue les intérêts des contribuables.
On n'a pas perdu de vue leurs intérêts sous un autre rapport. Car soyez persuadés, messieurs, que chaque fois que vous rendrez un service, mais un service réel, sérieux, au commerce et à l'industrie, vous rendrez par cela même service aux contribuables. Qu'on ne s'habitue donc pas à considérer les contribuables d'une part, et les commerçants et les industriels d'autre part, comme formant deux classes distinctes, opposées l'une à l'autre, et ne pourront s'appauvrir ou s'enrichir qu'au profit ou au détriment l'une de l'autre. Non, messieurs, il n'en est point ainsi. Lorsque vous aurez fait l'affaire du commerce et de l'industrie, j'aurai, quant à moi, la conscience parfaitement tranquille sur le sort des contribuables. Soyez-en bien convaincus, le jour où vous aurez fait fleurir le commerce et l'industrie, vous aurez soulagé la misère du contribuable, vous aurez fait descendre la bénédiction et l'aisance dans la chaumière du pauvre.
Messieurs, je dois compléter ce que j'ai à vous dire en vous exposant en très peu de mots quels ont été les résultats de l'introduction du nouveau tarif.
On a dit, non seulement que nous descendions beaucoup trop bas, mais encore que nous nous verrions singulièrement trompés dans nos calculs. Laissez arriver vos tarifs à l'application, a-t-on annoncé, et vous verrez s'opérer une diminution considérable dans vos recettes. Ces prévisions, nous sommes heureux de vous dire qu'elles ne se sont pas réalisées, et je crois pouvoir ajouter que ma foi dans la bonté du nouveau système était telle que, lorsqu'on vint m'annoncer que le mois de septembre dernier avait donné, comparativement au mois précédent, une diminution de recette de 100,000 fr., elle n'en a pas été un instant ébranlée. Je me suis expliqué cette diminution considérable par la difficulté qui résulte nécessairement de toute transition d'un tarif à un autre. Mais cette première indication était le résultat d'une erreur; ce n'est pas une diminution, mais une augmentation qui avait eu lieu.
La recette sur le transport des marchandises, de 461,944 fr. qu'elle était au mois d'août dernier, s'est élevée en septembre, premier mois de l'introduction du tarif, à 466,772 fr.; en octobre, à 506,156 fr. ; en novembre, à 521,329 fr. Le moindre produit des mêmes transports qui était encore au mois d'août dernier, comparativement au mois correspondant de l'année précédente, de 97,003 fr., n'a plus été, pendant le mois de novembre, que de 66,688. Que si l'on compare les résultats généraux de l'exploitation pendant les neuf derniers mois, c'est-à-dire depuis le mois qui a suivi la révolution de février, jusqu'à la fin de novembre, avec les résultats des mois correspondants de l'année 1847, on arrive à une conclusion plus consolante encore. En effet, la différence en moins, qui au mois d'août était encore de près de 395,000 fr., est descendue en septembre à 326,000, en octobre à 223,000, en novembre à 174,000 fr.
Je ne dis pas que ce résultat est brillant ; mais il ne faut pas demander des résultats brillants aux temps où nous vivons; je dis que ce résultat est de nature à nous consoler, à nous rassurer pour l'avenir.
Je dirai maintenant un mot sur la motion qui m'a fait prendre la parole.
On a demandé que le gouvernement présentât un projet de loi ayant pour objet de régler définitivement les tarifs du chemin de fer; je conjure la chambre de ne pas insister sur ce point : l'expérience que nous faisons est toute récente; je viens de démontrer, je pense, qu'il n'y a point péril en la demeure, puisqu'il y a amélioration dans les recettes. Peut-on considérer comme faite une expérience qui ne date que de trois mois ? C'est ici le moment de parler de la versatilité qu'on a reprochée à l'administration, et qui a fait introduire de nouvelles modifications dans le tarif à peine modifié. Ce reproche n'est pas mérité.
L'administration, en décrétant les modifications qui ont été appliquées depuis le 11 novembre, n'a pas été infidèle au principe qu'elle avait posé, mais l'a développé, au contraire, d'une manière parfaitement conséquente : ces modifications ne sont autre chose que l'application de l'esprit du nouveau tarif.
Que la chambre laisse au moins se continuer pendant quelque temps l'expérience commencée; le jour viendra, et il n'est pas éloigné, où un projet de loi pourra lui être présenté, qui remplira le vœu de l'honorable membre auquel je viens de répondre; il serait imprudent, je crois, d'immobiliser, en quelque sorte, en ce moment, le prix et les conditions du transport.
(page 269) M. Vermeire. - Messieurs, M. le ministre dit que le chemin de fer ne transporte pas à perte les matières pondéreuses du tarif n°3. Je ne contesterai pas cette assertion, je n'ai pas des notions suffisantes. Je demanderai seulement à M. le ministre des travaux publics s'il a un matériel suffisant pour transporter toutes les marchandises qui afflueront au chemin de fer; car, dans la position actuelle, le chemin de fer devra transporter toutes les marchandises qui se transportent par le canal de Charleroy, celui-ci étant dans une position inférieure vis-à-vis lu chemin de fer.
Messieurs, une requête qui a été récemment adressée à M. le ministre des travaux publics, par quelques négociants de charbons et par des propriétaires de bateaux, contient des chiffres assez exacts, selon moi.
De ces chiffres, qui sont d'ailleurs basés sur un prix de revient spécifiquement détaillé, il résulte que le tonneau de marchandises, transporté (erratum, page 306) par le canal de Charleroy partant du Centre jusqu’à Bruxelles, coûte 6 fr. 80 c, et que transportée jusqu'à Bruxelles par le chemin de fer, la même tonne coûte 4 fr. 50 c, de manière qu'il y a pour la navigation un préjudice de 2 fr. 30 c. par tonneau. Il en est de même pour quelques autres localités. Ainsi, la différence jusqu'à Vilvorde est de 1 fr. 35 c., jusqu'à Malines de 1 fr. 77, jusqu'à Termonde de 1 fr. 60, jusqu'à Louvain de 1 fr. 70.
(page 270) Cette différence bien établie, il faudra forcément diminuer les droits sur le canal de Charleroy, et je demanderai à M. le ministre quelle est l'intention du gouvernement à cet égard ; car il est certain que si le canal est déserté, il y a là une perte réelle pour le trésor de fr. 1,800,000.
Si vous diminuez le péage sur le canal de Charleroy au niveau de celui du chemin de fer, la navigation continuera, et moins de marchandises afflueront au chemin de fer, et certes la progression du transport manque.
Si le contraire arrive que ferez-vous du canal et de la nombreuse navigation qui y a lieu?
Maintenant quelle doit être l'influence qu’exerce une pareille perturbation dans nos moyens de transport, sur nos diverses industries? Car les unes sont à proximité des chemins de fer, les autres en sont assez éloignées. Poser cette question, c'est, je crois, reconnaître la difficulté de la résoudre.
M. Mercier. - Messieurs, en adressant tout à l'heure une interpellation à M. le ministre des travaux publics, mon intention n'a pas été de rien préjuger à l'égard des tarifs décrétés par son honorable prédécesseur. Je n'ai pas fait une étude assez approfondie de ces tarifs, pour porter un jugement sur cette question en parfaite connaissance de cause. Mais je dois faire observer qu'il y a pour les tarifs du chemin de fer toujours des expériences en cours d'exécution; que les motifs allégués par M. le ministre, pour ajourner la présentation d'une loi, subsisteront toujours; que le tarif du 1er septembre, ainsi qu'il vient de nous l'apprendre, a déjà subi lui-même certaines modifications.
J'ajouterai qu'il me semble que la chambre pourra, aussi bien que le gouvernement, apprécier les motifs qui le déterminent à arrêter tels ou tels tarifs ; qu'après une expérience de 14 ans, il est bien temps que la chambre puisse se livrer à l'examen d'un projet de loi sur les tarifs du chemin de fer.
Le gouvernement a des raisons de conviction, eh bien, qu'il les présentera la chambre dans un document que la chambre appréciera.
Les motifs exposés dans le discours qui vient d'être prononcé par M. le ministre des travaux publics, ne peuvent pas être appréciés à une simple audition; nous ne pouvons pas nous former de conviction d'après ce discours ; il me paraît d'une nécessité absolue que la chambre soit saisie d'une question qui intéresse si gravement le commerce et l'industrie, j'en conviens, mais aussi nos finances et les contribuables en général dont il importe aussi de chercher à alléger les charges.
M. Tesch. - Messieurs, je ne viens pas critiquer les tarifs qui ont été établis récemment. Il faut bien que l'expérience s'en fasse. Cependant, je ne puis accepter qu'avec une certaine restriction ce que vient de dire M. le ministre des travaux publics, à savoir que lorsqu'il faisait les affaires du commerce et de l'industrie, au moyen du chemin de fer, il faisait les affaires du pays entier.
Je dis que cela ne peut être accepté que sous certaines réserves. Je comprends parfaitement que par là M. le ministre des travaux publics fasse les affaires des localités traversées par le chemin de fer, mais il ne fait pas les affaires des contribuables qui ne profitent pas de cet avantage; le chemin de fer leur cause un tort des plus réels, car il les place dans des conditions de production plus défavorables que celles où ces contribuables se trouvaient auparavant.
Un fait incontestable, c'est que les moyens de transport sont un des grands éléments de prospérité et de développement pour l'industrie, le commerce et l'agriculture.
Il serait fastidieux, ridicule en quelque sorte, de venir démontrer que celui-là qui, toutes conditions étant d'ailleurs égales, transporte à meilleur marché, se trouve dans des conditions de production plus favorables que celui qui ne peut transporter qu'à des prix plus élevés.
S'il en est ainsi, tous les tarifs, tous les péages doivent évidemment être mis en rapport les uns avec les autres, Ainsi le tarif du chemin de fer doivent être mis en rapport avec les péages sur les canaux ; les péages sur le chemin de fer et sur les canaux doivent être mis en rapport avec le péage des barrières. Or, cela ne s'est pas fait jusqu'ici. La loi des barrières, si mes souvenirs sont exacts, date de 1833. Eh bien, depuis 1833, vous avez fait le chemin de fer, depuis 1833 vous avez réduit les péages sur les différents canaux; mais il n'a pas été question jusqu'ici des barrières.
Je répète ce que j'ai dit en commençant, que loin de faire les affaires de tous les contribuables, vous les avez placés dans une position beaucoup plus défavorable que celle où ils se trouvaient auparavant. Je sais parfaitement qu'on ne peut pas faire des canaux et des chemins de fer de village à village; je sais bien que le chemin de fer ne pourra jamais remplacer partout les chemins de grande communication; mais je sais aussi qu'il faut être juste envers tout le monde dans les limites du possible. Or, ce qui est possible, c'est de mettre en rapport les tarifs les uns avec les autres.
Permettez-moi de rendre ma pensée plus saillante par un exemple que je choisirai dans ma province. Les provinces de Liège, de Namur et du Hainaut font des fontes qu'elles expédient vers l'Allemagne par le chemin de fer ou des voies d'eau sur lesquelles on perçoit des péages. Le Luxembourg fabrique aussi de la fonte.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Au bois !
M. Tesch. - Les fontes au bois, que je sache, ne transportent pas en ballon, tandis que les foules au coke se transportent en chemin de fer. C'est ici une question de transport; je sais que quand les fontes au bois se transporteraient par chemin de fer, il y aurait toujours une différence dans les prix ; mais cette différence, vous l'augmentez encore par la facilité que vous donnez pour le transport de la fonte au coke, car vous la transportez à raison de 30 centimes par tonneau et par lieue, tandis que pour la fonte au bois vous exigez 15 centimes de droit de barrière par tonneau et par lieue. Voilà le calcul. Vous transportez par chemin de fer, en fournissant les moyens de transport à raison de 30 centimes par, tonneau et par lieue. Une voiture à un cheval, pour laquelle vous prenez 15 centimes de droit de barrière par lieue, ne peut pas transporter au-delà d'un tonneau de marchandises.
Par la manière dont vous avez établi vos barrières, vous me forcez de payer pour ce droit seul la moitié du prix total du transport par chemin de fer. Suis-je encore dans des conditions de protection semblables à celles où vous placez les autres parties du pays? Je borne là mes observations. J'appelle sur ce point l'attention de la chambre et de M. le ministre. Le moment n'est pas venu de demander des réductions d'impôt, mais j'espère que des temps meilleurs viendront où l'on pourra dégrever les parties du pays qui ne jouissent pas des avantages du chemin de fer ; ce sera un acte de stricte justice.
M. de Theux. - Plusieurs honorables membres ont demandé que le gouvernement présentât un projet de loi réglant les tarifs du chemin de fer. Pour moi, je ne m'oppose pas à ce qu'il continue l'expérience qu'il a commencée ; mais avec les études et l'expérience faites quelles qu'elles soient, il doit pouvoir mettre la chambre à même de statuer sur un projet de loi dans le courant de cette session. Je ne crains pas de le dire, il n'est pas de loi plus importante que celle qui détermine des bases fixes pour les tarifs des chemins de fer, aussi bien dans l'intérêt des finances de l'Etat que dans l'intérêt de l'industrie, de l'agriculture et du commerce. Que diriez-vous si l'on venait vous dire, par les mêmes motifs, que le tarif des douanes doit être déterminé par des arrêtés royaux, attendu que les variations de l'agriculture, de l'industrie et du commerce en Belgique ou dans les Etats voisins, exigent qu'on y fasse des changements fréquents, dans l'intérêt du pays ou du trésor ? A coup sûr vous ne consentiriez à abandonner les tarifs des douanes à des arrêtés royaux.
Le chemin de fer ne peut pas davantage être abandonné plus longtemps pour ses tarifs au régime administratif. Il faut que la loi les détermine. Qu'on ne dise pas que des changements seront nécessaires, j'en conviens; mais la législature peut toujours y apporter les modifications dont le gouvernement aura démontré la nécessité. Au reste, il n'y a rien de nouveau dans cette demande. Un projet de loi relatif au tarif du chemin de fer a été présenté, il est tombé avec la dissolution des chambres. Tout ce que nous demandons, c'est que le gouvernement mette la chambre à même de statuer sur un projet de loi avant la fin de la session.
M. le ministre a donné des renseignements extrêmement intéressants sur les essais qu'il vient de tenter; mais il en a omis un, c'est l'influence du tarif sur la navigation du canal de Charleroy. S'il était vrai que cette navigation fût considérablement diminuée, ce serait assurément un grand préjudice pour l'Etat, surtout que l'usure du matériel par le transport de matières aussi pondéreuses doit être considérable. Je ne me prononce pas, c'est un renseignement que je demande.
Je parlai tout à l'heure de l'influence du chemin de fer sur les finances. Il est vrai que les pertes éprouvées sur les capitaux empruntés pour la construction des chemins de fer ont grandement contribué au déficit. D'autre part, il est certain que si, dans la présente année, nous avons éprouvé une diminution considérable, nous en éprouverions une bien plus considérable, si une guerre européenne venait à éclater; ce serait alors que le pays serait entraîné nans des dépenses considérables, qu'il éprouverait une perte immense dans les revenus du chemin de fer.
Il faut donc qu'on arrive au résultat stipulé par la loi du 1er mai 1834, à l'amortissement successif des capitaux employés à la construction des chemins de fer. Jusqu'à ce qu'au moins la moitié du capital dépensé soit récupérée, cette entreprise sera toujours onéreuse au point de vue financier, et laissera le trésor dans une situation critique. Ce fait est incontestable; l'expérience de cette année a donné une preuve que personne ne peut récuser. Je n'entends pas me prononcer sur la hauteur des tarifs, c'est là une question d'expérience.
Ma conclusion est que nous soyons mis à même de voter un projet de loi sur les tarifs du chemin de fer.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le gouvernement ne voit pas d'inconvénient à soumettre à la chambre, en temps opportun, un projet de loi de tarif pour le chemin de fer, comme il en a déjà été présenté un dans une session précédente. Soit que la chambre ait trouvé que le règlement de cette matière par voie législative présentât de grandes difficultés, soit pour d'autres raisons, elle ne l'a pas discuté, il n'y a pas même eu de rapport de la section centrale.
L'honorable M. de Theux a trop d’expérience des affaires, il a lui-même trop longtemps pratiqué le chemin de fer pour ne pas savoir qu'il sera très difficile de régler législativement les tarifs du chemin de fer si la loi est autre chose qu’une loi de principe. L'honorable membre a administré le chemin de fer pendant plusieurs années, il n’a pas trouvé qu'il y eût nécessité de présenter un projet de loi qui réglât les tarifs.
M. de Theux. - Il n’était pas terminé.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Beaucoup de sections étaient exploitées ; au reste, ce n'est pas un reproche que je fais à l’honorable membre, mais je ne veux pas non plus qu’il se montre aujourd'hui (page 271) trop pressé. Je répète au surplus que nous ne voyons aucun inconvénient à présenter un projet de loi en temps utile.
M. le ministre des travaux publics vous a demandé seulement de vouloir bien laisser pendant un certain temps expérimenter les nouveaux tarifs. Il vous a démontré qu'il n'y a point péril en la demeure.
En fait, en supposant que le gouvernement présentât, dès à présent, un projet de loi, vous reconnaîtrez qu'il serait impossible à la chambre de s'en occuper immédiatement.
Vous pourrez avoir ce projet avant la fin de la session; mais je vous prédis que, dans le cours de cette session, il ne sera pas voté.
M. Dumortier. - Si fait !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je le désire beaucoup. Mais vous avez beaucoup de projets de loi; vous en aurez beaucoup encore. Je doute donc que ce projet soit voté avant la fin de la session.
Il m'a paru aussi que l'honorable M. de Theux se montrait bien rigoureux vis-à-vis du chemin de fer : il lui attribue la mauvaise situation du trésor; il l'en rend responsable.
Le trésor a éprouvé des secousses; il a éprouvé des déficits ; ce n'est pas seulement dans les recettes du chemin de fer; les canaux, les douanes, la plupart des articles du budget ont rapporté moins que les années précédentes. Ce n'est donc pas le chemin de fer seul qui est coupable.
Le chemin de fer, est-il besoin de le dire, quoique frappé dans ses recettes, n'en a pas moins continué à rendre de grands services ; il est venu en aide aux industries; il a entretenu l'activité dans le pays, et sous ce rapport, c'est un des articles du budget qui devrait soulever le moins d'objections.
La discussion sur le chemin de fer trouvera encore sa place lors de l'examen du budget de mon honorable collègue des travaux publics. Je crois que, pour le moment, les explications dans lesquelles il vient d'entrer sont de nature à rassurer la chambre sur les effets des nouveaux tarifs.
Je ne sais si la chambre a l'intention de continuer cette discussion. Je dois lui faire observer, dans ce cas, que cette discussion, qui a eu son côté utile et qui l'a éclairée sur certains points, ne peut pas plus aboutir que celle qui avait commencé sur l'article Péages, et qu'on est convenu de renvoyer à l'examen de la loi sur les péages.
La discussion ne peut-elle exercer une influence sur le chiffre ? A-t-on déposé quelque proposition de réduction?
M. le président. - Aucune.
M. Mercier. - Cette discussion est dans les usages de la chambre; elle a quelquefois duré trois jours.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si la chambre veut discuter encore, libre à elle. Nous n'avons plus que quelques jours avant le 1er janvier. Le sénat, à partir de lundi, attend le budget des voies et moyens. Il faut qu'il ait le temps de l'examiner.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je désire répondre le plus brièvement possible aux différentes observations qui ont été présentées par les honorables membres qui ont successivement pris la parole.
Un d'entre eux a éveillé l'attention de la chambre sur la possibilité de l'insuffisance du matériel pour transporter les marchandises qui viendront au chemin de fer. Je désire de tout mon cœur que ces craintes soient fondées. Jusqu'à présent, ce malheur ne s'est pas réalisé ; mais j'espère qu'il se réalisera bientôt. Nous ferons alors ce qui a été fait constamment depuis plusieurs années : nous augmenterons le matériel en proportion des transports.
Comme on l'a dit, il y a eu des réclamations de la part du bassin de Centre; mais, vérification faite, ce n'était pas notre matériel qui était en défaut, c'était celui de la compagnie de Manage, et nous sommes intervenus pour fournir les waggons qui manquaient.
La deuxième objection de l'honorable membre porte sur la différence entre le prix du transport par le chemin de fer et celui du transport par le canal de Charleroy. On a dit que, depuis l'introduction du tarif, le transport par chemin de fer, depuis le bassin du centre jusqu'à Bruxelles, offre sur le transport par eau un avantage de 2 francs, et on a dit que le canal de Charleroy ne pouvait soutenir la concurrence contre le chemin de fer dans de telles conditions. On a ajouté que cette concurrence était d'autant moins rationnelle que les deux voies de transport appartiennent également à l'Etat et qu'il ne pouvait ainsi s'enrichir d'un côté sans s'appauvrir de l'autre.
Je crois d'abord, messieurs, que la différence du prix de transport par les deux voies a été exagérée. Elle n'est pas en réalité de 2 fr. et en voici la preuve.
Le prix du transport par chemin de fer depuis Manage jusqu'à Bruxelles est de fr. 3-70; si l'on y ajoute 80 centimes pour le transport sur le chemin de fer de Mons à Manage, on trouve fr. 4-80; c'est un des termes de la comparaison.
L'autre a été à tort évalué à fr. 6-80. 11 n'est au maximum, d'après tous les renseignements dont j'ai eu soin de m'entourer. que de fr. 5-85.
- Un membre. - Il est de plus que cela.
M. le ministre des travaux publics (M. Rolin). - C'est une erreur, j'en ai eu la preuve sous les yeux. Je n'ai rien négligé pour m'éclairer. Je me suis procuré des factures, non de cette année, mais d'années antérieures, de houilles expédiées de Mariemont à des consommateurs de Bruxelles; et le fret depuis le lieu d'expédition jusqu'à Bruxelles n'y est porté qu'à 5 fr. Or ce chiffre comprend tout à la fois le péage sur les canaux d'embranchement, le péage sur le canal de l'Etat, le salaire du batelier, l'usure du bateau, etc. Admettons, ce qui est vrai, que le fret soit un peu plus élevé par l'embranchement de Houdeng, et qu'il soit susceptible d'éprouver une légère hausse dans des moments où il y a grande affluence de transports, et portons-le, de ce double chef, en moyenne, à 5 fr. 25 c. Admettons encore, par hypothèse, qu'il faille ajouter au fret qui vient d'être dit, le coût du transport par les petites voies ferrées qui conduisent des bassins des canaux d'embranchement jusqu'au carreau des houilles ; reportons de ce chef 60 c. Nous trouverons en totalité, comme j'ai eu l'honneur de le dire, 5 fr. 85 c, c’est-à-dire 1 fr. 35 c. de plus que par les chemins de fer de la compagnie de Manage et de l'Etat.
En faisant cette concession, je crois aller au-delà du vrai. Or, cette différence, si elle existait, serait compensée par les frais de transport de la houille depuis la station du Midi jusqu'au magasin, et par le déchet que ce transport entraîne. Tout le monde sait en effet que les négociants de Bruxelles ont le long des quais du canal de Charleroy de vastes magasins dans lesquels les bateaux se déchargent directement.
M. Prévinaire. - Cela se fait aussi pour le chemin de fer.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Jusqu'ici cela ne se fait pas. Ces facilités n'existent pas pour la station du Midi.
Cependant, je l'avoue, on s'est très vivement alarmé. Les pétitions parvenues au département, de même que celles qui ont été adressées à la chambre, ont représenté la ruine du canal et du batelage comme imminente. Il y a mieux. Un honorable membre d'une section de la chambre l'a représentée comme déjà consommée. On lit en effet dans le rapport de la section centrale sur le projet de loi relatif aux péages ce qui suit: « Enfin le rapporteur de la 5ème section a communiqué à la section centrale la demande faite par un de ses membres de fixer par une loi les péages du chemin de fer; péages que le gouvernement a établis, suivant l'opinion de cet honorable membre, de manière à rendre le transport des marchandises pondéreuses (et entre autres celui de la houille) à si bon marche, qu'il en résulte un chômage notable pour certains canaux, et entre autres une stagnation complète de la navigation sur le canal de Charleroy. »
C'est là, je le reconnais, un fait très alarmant, et l'honorable comte de Theux a bien eu raison de m'interpeller sur sa réalité. Je suis bien aise de pouvoir, en lui répondant, le rassurer de la manière la plus complète. Voici les faits :
En septembre 1487, le nombre des bateaux qui ont descendu le canal de Charleroy a été de 729. En septembre 1848 il a été de 743. Différence en plus, 14.
Sur 129,000 fr. il y a eu une diminution de recette de 2.002 fr. ; mais cette diminution a été plus que compensée par les consignations pour l'exportation.
- Un membre. - Oui, mais en octobre ?
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - En octobre? Je reconnais que, dans ce mois, le nouveau tarif aurait pu produire son effet de stagnation sur le mouvement du canal plutôt qu'en septembre. Mais je puis encore rassurer à cet égard l'honorable membre. Le mouvement du mois d'octobre a été tout aussi important que celui de septembre, et même que celui du mois correspondant de l'année 1847. Le nombre des bateaux en octobre 1848 a été de 869. Il avait été en octobre 1847 de 888. Il n'y a donc eu qu'une différence en moins tout à fait insignifiante de 19 bateaux.
La diminution de recette a été en apparence de fr. 26,000 ; mais elle a été compensée, encore une fois, par une augmentation de consignations pour l'exportation.
Enfin en novembre 1847 le nombre des bateaux descendants a été de 872. Pendant le même mois de 1848 il a été de 910. Différence en plus, 38.
Donc, en compensant entre eux les résultats des trois mois, la différence en plus a été de 33 bateaux, d'où je me crois autorisé à conclure que la navigation du canal de Charleroy n'est encore ni morte ni mourante.
Je dois encore répondre à d'autres observations qui ont été présentées. L'honorable M. Tesch, en répondant à ce que j'avais énoncé, que, lorsqu'un gouvernement fait l’affaire des commerçants et des industriels, il fait par cela même l'affaire des contribuables, a dit qu'il ne pouvait accepter cette observation qu'avec quelque restriction. Cette proposition, a-t-il ajouté, n'est vraie que dans de certaines limites. Cela est vrai ; aussi n'ai-je pas entendu l'énoncer d'une manière absolue.
En effet, si le gouvernement, pour faire chose agréable au commerce et à l'industrie, abolissait généralement tous les péages de l'Etat, soit par routes, soit par canaux, soit par chemin de fer, je doute que les contribuables, qui ne seraient ni commerçants ni industriels, en éprouvant un grand soulagement.
M. de Mérode. — C'est proportionnel.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - C'est proportionnel, me dit l'honorable M. de Mérode; c'est-à-dire que si la suppression (page 272) générale et absolue de tous les péages serait désastreuse pour le contribuable, la réduction le serait également, quoique à un moindre degré. C'est ce que je ne saurais admettre, et M. Tesch était à mon avis plus dans le vrai, en disant qu'il ne pouvait adhérer à mon observation qu'avec une certaine restriction. Voyons si cette restriction se légitime dans l'espèce.
Pourquoi donc, a-t-il demandé, établir les tarifs du chemin de fer si bas, alors que la taxe des barrières continue de peser de tout son poids sur le transport par les routes? Il y a là une choquante inégalité. Ce n'est pas favoriser le commerce et l'industrie. C'est favoriser certain commerce et certaine industrie au préjudice d'autres.
A cet égard il y a une réponse générale. Le progrès de la civilisation nous a dotés d'un moyen de communication et de transport plus facile, plus rapide et moins onéreux que ceux qui existaient auparavant. Faut-il que nous le répudiions de peur de nuire à ceux-ci? Or, c'est le répudier que de le rendre inaccessible par le prix, au commerce et à l'industrie en vue desquels il a été créé.(Interruption.) J'entends dire ici : Il faut harmoniser entre eux les transports par le chemin de fer et ceux des routes pavées. Eh bien, messieurs, je défie le plus habile d'y parvenir. (Interruption.) Je dis que je mets le plus habile au défi d'y parvenir. En effet, il n'y a que deux moyens de parvenir à établir cette harmonie : ou de réduire la taxe des barrières, ou d'élever le tarif du chemin de fer. Vous ne pouvez pas élever le tarif du chemin de fer, sans le rendre moins productif pour le trésor, et par conséquent sans en faire une charge plus lourde pour l'Etat. Vous ne pouvez pas abaisser la taxe des barrières, sans nuire à leur entretien et à leur développement; et vous aurez beau élever l'un et abaisser l'autre, vous ne parviendrez pas à réaliser cette harmonie qu'on a en vue.
On compare incessamment entre eux le produit des barrières et celui du chemin de fer; mais c'est donner complètement gain de cause à cette dernière voie de transport. Qu'on dise donc ce que rapportent les barrières comparativement à ce que les routes ont coûté, on ne trouvera assurément jamais 1 p. c. Or, malgré tout ce qu'on a pu dire, il est impossible de contester que le chemin de fer a produit, même dans les mauvaises années, au-delà du double. (Interruption.)
M. de Man d'Attenrode. - Il est en perte tous les jours.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Les interruptions se croisent autour de moi. Je tâcherai de répondre à celles de droite comme à celles de gauche. L'honorable M. de Man d'Attenrode dit que le chemin de fer est en perte tous les jours. Je demanderai d'abord s'il serait juste de prendre pour base de comparaison d'une part les résultats de l'exploitation du chemin de fer en 1848, Mais alors il faudrait aussi accepter, comme terme de comparaison d'autre part, les produits de 1848 en ce qui concerne les routes et les canaux.
Mais il y a plus. Même en 1848, malgré les circonstances difficiles que nous avons traversées et qui ont nécessairement affecté les sources du crédit et du travail, je doute que le chemin de fer soit en perte. Je me réserve de vous exposer, messieurs, lorsque nous arriverons au budget de mon département, que si les recettes ont subi une très forte dépression, les dépenses d'exploitation ont aussi été beaucoup moindres. Or on est très libéral dans le calcul de ces dépenses, et c'est ici l'occasion de répondre à une observation qui a été présentée, si je ne me trompe, par l'honorable comte de Theux. Cet honorable membre a pensé que, pour ne point s'exposer à des déceptions, il faudrait créer pour le chemin de fer un fonds d'amortissement. Je ne sais si ce n'est pas plutôt un fonds de réserve qu'il a voulu dire.
M. de Theux. - Oui.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je pense, en effet, que l'expression fonds de réserve rend plus exactement sa pensée. Il ne s'agit pas d'un fonds destiné à amortir, à éteindre les capitaux que le chemin de fer a coûtés, mais bien d'un fonds au moyen duquel il serait pourvu à ses besoins imprévus, notamment aux dépenses de renouvellement.
Je répondrai que c'est inutile, et j'appelle ici l'attention de la chambre sur le volume du compte rendu, dont je promets de diminuer les dimensions pour l'année prochaine. On y verra que si, au chemin de fer, on n'a pas, comme dans toute exploitation privée, un fonds de réserve destiné à couvrir le dépérissement du mobilier industriel, on ne doit pas s'en alarmer. Car c'est sur le compte même des frais d'exploitation qu'on renouvelle billes, rails, voitures, waggons, locomotives, en un mot tout le mobilier dont l'exploitation se compose. Il y a, si je ne me trompe, de ce seul chef, plus de trois millions de dépenses comptés comme frais d'exploitation en 1847. La conclusion que j'en tire, c'est que pour notre chemin de fer, la création d’un fonds de réserve serait inutile, parce que, à quelque époque qu'on le prenne, il vaut ce qu'il a coûté, il vaut le montant des frais de premier établissement. Il vaut même mieux, parce que, en le renouvelant, on l'améliore. On remplace, par exemple, successivement des rails du poids de 18 et de 24 kilogrammes par des rails de 34. J'en tire une seconde conclusion : c'est que si, déduction faite de toutes ces dépenses d'exploitation, d'amélioration et de renouvellement, les recettes nous laissent un excédant, il serait difficile de dire comment le chemin de fer est en perte, à moins qu'on n'entende par là qu'il rapporte un intérêt moindre que celui que nous coûtent les emprunts qui ont été contractés pour sa création.
L'honorable comte de Theux a exprimé le vœu que le projet de loi ayant pour objet la fixation définitive des péages du chemin de fer fût présenté, non pas immédiatement, mais avant la fin de la présente session. J'ai le plus grand espoir de pouvoir le satisfaire sur ce point; mais Je ne puis en prendre l'engagement. Je vais en expliquer la raison, et je pense que la chambre trouvera, dans cette explication, une nouvelle justification de nos tarifs.
En effet, si le nouveau tarif était établi trop bas, s'il constituait l'exploitation en perte, croyez-vous, messieurs, que nous serions parvenus à le faire accepter par les sociétés particulières, auxquelles, par les lois de concession, vous aviez permis d'établir des tarifs plus élevés?
Eh bien, messieurs, nous sommes parvenus à ce point que toutes les compagnies de notre pays, compagnies de la Flandre occidentale, de Mons à Manage, de Landen à Hasselt, de Tournay à Jurbise, d'Entre-Sambre-et-Meuse, ont indistinctement adopté notre tarif pour tous les transports mixtes, c'est-à-dire pour tous les transports qui se continuent d'une ligne à une autre; c'est là le sens des conventions qui ont paru au Moniteur, il y a quelques jours : et ces compagnies ont adopté notre tarif dans des conditions beaucoup plus défavorables que celles où nous nous trouvons placés; car tout le monde sait que plus un chemin de fer a de longueur, moins les frais de transport sont considérables.
Nous poursuivons en ce moment une autre œuvre. Nous sommes en négociations avec la compagnie du Nord et la compagnie rhénane, et nous espérons pouvoir bientôt vous apporter bientôt des conventions qui réaliseront la même idée. Dès à présent nous avons, dans toute l'étendue de la Belgique, pour tous les transports par voies ferrées, unité de prix de transport, comme nous avons unité de poids et mesures, et je considère ce fait, je le répète, comme un immense bienfait pour le commerce et l'industrie.
Maintenant ne faut-il pas laisser au gouvernement le temps de négocier ces conventions, de les présenter à votre sanction, et de vous soumettre ensuite le projet de tarif, fort de l'expérience qu'il aura faite? Celle que nous avons faite depuis trois mois nous a été favorable ; voyons si les mois qui suivront ne donneront pas un démenti à nos prévisions. La loi ne peut donc être présentée ni aujourd'hui, ni demain; et, tous les jours, dès qu'il y aura péril, vous pourrez mettre le gouvernement en demeure de réaliser sa promesse.
- Des membres. - A lundi !
M. Dumortier. - Comme on paraît disposé à remettre la séance à lundi, je ne traiterai pas la question des tarifs en ce moment, mais je me réserve mon tour de parole pour lundi. Je dirai seulement que, pour l'ordinaire, le Moniteur donnait chaque mois le produit du chemin de fer pendant le mois précédent; depuis quelque temps, ces documents ont manqué. Je désirerais beaucoup que M. le ministre des travaux publics pût faire imprimer d'ici à lundi les tableaux que nous n'avons pas. Je suis surtout curieux de savoir si l'augmentation dont nous a parlé M. le ministre n'est pas due principalement à une modification que nous avions appelée de tous nos vœux pendant plusieurs années, et qui avait pour but de faire transporter les petites marchandises, non par des personnes qui louent des waggons, mais par l'Etat lui-même. Je désire savoir aussi si, sur les marchandises pondéreuses, une pareille amélioration s'est fait sentir.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je n'ai qu'un mot à dire, c'est pour déclarer à l'honorable M. Dumortier qu'il se trompe complètement; les petites marchandises nous ont jusqu'à présent constitués en perte ; c'est sur les grosses marchandises que l'augmentation s'est établie.
M. Faignart. - M. le ministre de l'intérieur a déclaré qu'il ne s'opposait pas à ce qu'un projet de loi soit présenté à la chambre pour régler les tarifs des chemins de fer; j'engage le ministère à présenter en même temps un projet de loi réglant les péages sur les canaux, afin de faire disparaître les anomalies nombreuses que l'on rencontre dans les différents tarifs actuellement en vigueur.
M. Cools, rapporteur. - Messieurs, l'honorable ministre des travaux publics nous a donné des renseignements très curieux sur les tarifs anglais, mais je crois que la chambre a intérêt à savoir si, en Angleterre, il n'existe pas de motifs particuliers pour lesquels les tarifs ont été fixés à un taux si bas. Je demanderai à M. le ministre des travaux publics si, avant lundi, il ne pourrait pas nous faire connaître le montant des péages sur les canaux anglais qui font concurrence au chemin de fer. En Angleterre, il y a lutte entre les chemins de fer et les canaux. Les sociétés des chemins de fer peuvent avoir été forcés de baisser les tarifs jusqu'à une limite extrême pour conserver des produits quelconques. La position n'est pas la même en Belgique. L'opinion de la section centrale a été que le gouvernement s'occupe du chemin de fer à un point de vue trop exclusif.
- La suite de la discussion est remise à lundi.
La séance est levée à 5 heures.