(Annales parlementaires de Belgique, session 1848-1849)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 127) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à une heure.
- La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.
M. de Luesemans fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« L'administration communale de Marckeghem demande que le commissaire des arrondissements de Thielt et Roulers continue de résider à Thielt. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
« Plusieurs cultivateurs à Heusies demandent une augmentation des droits d'entrée sur les tabacs. »
- Renvoi à la commission permanente d'industrie.
« L'administration communale de Saint-Laurent présente des observations contre le projet de supprimer l'arrondissement administratif d'Eecloo. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
« Plusieurs membres du conseil communal de Villers-sur-Semois réclament contre la nomination du bourgmestre de cette commune. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Fafchamps, ingénieur civil, demande la révision de la loi sur les brevets d'invention. »
M. Rodenbach. - Il nous arrive journellement des pétitions demandant une modification à la loi sur les brevets d'invention, je demande que la commission des pétitions soit invitées nous faire un prompt rapport sur cette requête.
- Cette proposition est adoptée.
« Quelques habitants de Heer réclament contre la nomination du bourgmestre de cette commune. »
- Même renvoi.
« Le sieur Charrier prie la chambre de faire cesser les poursuites qui sont dirigées contre lui pour le contraindre au payement d'une patente qu'on lui aurait abusivement imposée. »
- Même renvoi.
« Le sieur Rogister Schneider, négociant expéditeur, demande que le transport des malles soit adjugé avec publicité et concurrence, qu’il soit veillé à la stricte exécution du cahier des charges et qu'il soit interdit de cumuler les fonctions de maître des postes. »
- Même renvoi.
« L'administration communale de Lichttert demande que cette commune soit exemptée de contribuer dans les dépenses de la canalisation de la Campine. »
« Même demande de l'administration communale de Casterlé. »
M. Dubus. - Les pétitions dont M. le secrétaire vient de donner l'analyse sont adressées à la chambre par les conseils de deux importantes communes. Elles se rapportent à deux objets distincts: les charges imposées aux habitants par suite de la construction des canaux dans cette contrée, charges devenues bien lourdes depuis l'abaissement du prix des céréales, et les inondations continuelles des prairies.
Dans l'intérêt de l'agriculture et du défrichement des terrains incultes, il devra être fait droit aux demandes des pétitionnaires. Elles méritent toute la sollicitude des chambres et du gouvernement.
Je me borne, pour le moment, à demander le renvoi de ces pièces à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
Vote de l’article unique
L'article unique est ainsi conçu :
« Article unique. La limite séparative entre les communes de Seny, d'Ellemelle et de Warzée, province de Liège, au lieu dit Coinehez, est fixée conformément à la ligne bleue tracée sur le plan annexé à la présente loi. »
Personne ne demandant la parole, il est procédé par appel nominal sur le projet qui est adopté par 69 voix contre 1 (M. Toussaint).
Ont voté l'adoption : MM. Dumortier, Faignart, Frère-Orban, Gilson, Jacques, Jouret, Jullien, Lange, le Bailly de Tilleghem, Le Hon, Lesoinne, Loos, Mascart, Moreau, Moxhon, Osy, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Rogier, Rolin, Rousselle, Schumacher, Sinave, Tesch, Thibaut, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vanden Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Iseghem, Veydt, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Boulez, Cans, Clep, Cools, Coomans, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Brouckere (Henri), de Brouwer de Hogendorp, Debroux, Dechamps, Dedecker, de Haerne, Delehaye, Delescluse, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Mérode, de Perceval, de Pitteurs, de Pouhon, de Royer, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dubus et Verhaegen.
M. le président. - M. le ministre des affaires étrangères se rallie-t-il aux propositions de la section centrale?
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - M. le président, je m'expliquerai sur les réductions proposées par la section centrale, à mesure que les articles seront mis en discussion.
M. le président. - Ainsi la discussion portera sur le projet du gouvernement.
La discussion générale est ouverte.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Avant que la chambre aborde la discussion du budget des affaires étrangères, je crois qu'il ne sera pas inutile que j'entre dans quelques développements sur l'ensemble de ce budget et sur les considérations qui m'ont dirigé dans les propositions que j'ai eu l'honneur de lui soumettre.
Le budget de 1848 s'élève à une somme de 2,698,774 fr.; celui qui est proposé ne présente que le chiffre de 2,198,772 fr. ; il y a donc une réduction sur le total du budget, de 500,002 fr., c'est-à-dire du cinquième du chiffre de 1848, et, messieurs, si l'on fait attention que le département des affaires étrangères comprend différentes branches d'administration qui constituent des services productifs pour le trésor, on s'aperçoit que la diminution est encore plus considérable en réalité qu'elle ne paraît l'être au premier abord. Ainsi vous avez le service du pilotage, le service des paquebots à vapeur, les phares et fanaux, les commissariats maritimes et les passages d'eau, qui ont produit, en 1847, un revenu de 791 923 fr. 70 c, et n'ont coûté que 690.576 fr. 41 c, de sorte qu'il en est résulté un excédant de 101,347 fr. 20 c.
Si l'on déduit du total du budget la dépense qui a été occasionnée par ces services productifs, le budget ne présente plus comme charge pour le trésor qu'une somme de 1,579,204 fr., et nous arrivons en réalité à une économie qui s'élève à peu près au tiers du budget.
Si nous passons au chapitre relatif aux traitements des agents diplomatiques, nous trouvons que le budget de 1848 présentait une somme totale de 558,500 fr., tandis que le budget que nous avons eu l'honneur de soumettre à la chambre ne monte qu'à 317,000 fr. ; par conséquent, réduction de 241,500 fr., c'est-à-dire d’environ 43 p. c.
Nous avons opéré une réduction de 39,000 fr. sur les missions d'Allemagne; de 25,000 sur la légation belge en France; de 28,000 fr. sur celle de Grande-Bretagne ; de 25,000 fr. sur celle d'Italie; de 18,000 fr. sur celle des Pays-Bas; de 18,000 sur celle de Prusse; de 17,000 fr. sur celle de la Turquie, et de 25,000 fr. sur celle des Etats-Unis, sans tenir compte de la suppression de plusieurs légations.
Eh bien, je crois qu'en présence de diminutions si fortes, nous sommes en droit de dire qu'à aucune époque, aucun budget n'a subi en une fois une réduction aussi notable.
La chambre reconnaîtra donc, je l'espère, que le gouvernement est entré largement dans cette voie d’économie que la chambre avait tracée dans la session de juin dernier, et que le gouvernement avait lui-même indiquée dans le discours de la couronne.
Ce n'est pas une tâche facile, messieurs, que celle d'opérer de fortes économies; il faut avoir du courage pour l'aborder, lorsqu'elle s'applique surtout à des fonctionnaires qui ont bien mérité du pays ; on est sûr de soulever beaucoup de réclamations et de ne recueillir d'un côté que du mécontentement et de l'autre fort peu de reconnaissance.
Eh bien, mes collègues et moi nous n'avons pas hésité à aborder franchement, résolument, la question des économies, à examiner dans tous les budgets les diminutions qu'on pourrait y opérer. Nous n'avons été arrêtés par aucune difficulté ; toutes les économies ont été longuement étudiées, discutées, mûries ; nous ne nous sommes arrêtés que quand il nous a paru que nous ne pouvions plus faire un pas sans désorganiser les services publics.
Voyons comment ces principes ont été appliqués au budget des affaires étrangères.
Notre attention s'est portée sur deux chapitres qui ont toujours été signalés comme susceptibles des plus fortes économies, sur le chapitre concernant les agents diplomatiques et sur le chapitre relatif à la marine; vous savez, en effet, que des pétitions ont été adressées sur cet objet.
Quant à la marine, je demanderai d'ajourner mes explications au moment où nous serons arrivés au chapitre qui y est relatif ; je crois que ce sera le moyen de simplifier la discussion générale. Je ferai seulement (page 128) remarquer, en passant, que nous avons opéré une forte économie, puisqu'elle s'élève à 258,501 fr.
Quant au chapitre qui concerne les agents politiques, le système que nous avons adopté consiste d'abord dans la suppression de certaines légations lorsque cette suppression pouvait être faite sans compromettre es relations internationales et l'intérêt du pays; nous avons ensuite opéré de très fortes diminutions sur le traitement de nos agents de première classe, et de nos ministres plénipotentiaires. Quant aux légations qui ont été supprimées, vous avez déjà pu voir dans les développements à l'appui du budget et dans le rapport de la section centrale les considérations qui nous ont dirigés; ainsi pour la légation de la Grèce, jamais il n'y a eu réciprocité établie entre les deux pays, parce que nous n'avons jamais eu d'agent du gouvernement grec accrédité en Belgique; quant aux intérêts commerciaux, ils pouvaient être gérés par un consul très capable que nous avons à Athènes.
Pour les légations de Stockholm et de Hambourg, nous avons cru pouvoir les réunir à d'autres légations. Je pense qu'il importe à un haut degré que nous ayons un agent dans le Nord ; nous n'en avons pas en Russie; d'ailleurs nos légations dé Danemark et de Suède ont été autrefois déjà réunies. La raison impérieuse des économies nous a déterminés à n'avoir qu'une seule mission pour l'Italie.
Quant à la réduction très forte, énorme, je pourrais dire, que nous avons opérée sur les traitements des agents diplomatiques de première classe, je ne serais pas venu, messieurs, vous les présenter dans des circonstances ordinaires ; mais en présence des circonstances que nous subissons en ce moment et de la crise industrielle et financière, quand chacun doit, en quelque sorte, restreindre ses dépenses, s'imposer des sacrifices, il nous a semblé que nous pouvions faire disparaître des traitements de nos ministres plénipotentiaires tout ce qui pouvait être considéré comme destiné aux frais de représentation. Je dis, messieurs, que nous ne serions pas venus vous proposer ces réductions dans des temps ordinaires, car maintenant nos agents diplomatiques sont encore les moins rétribués de la diplomatie européenne.
D'ailleurs, déjà plusieurs des Etats du continent sont entrés dans la voie des réductions, en ce qui concerne les dépenses de la diplomatie. Vous avez vu qu'en France on a opéré une réduction très forte, de 50 p. c, sur certains traitements; cependant la réduction totale opérée sur le budget des affaires étrangères en France n'est pas aussi forte que celle que nous opérons nous-mêmes; elle est, en France, d'environ 30 p. c, tandis que celle que nous proposons est de 43 p. c Dans les Pays-Bas, le projet de réduction que le gouvernement veut appliquer aux différentes branches d'administration publique vient d'être arrêté et publié. En ce qui concerne les traitements des agents diplomatiques, il équivaut au dixième et, malgré cette réduction, le budget des affaires étrangères de cette puissance est encore de 300 mille florins environ.
En Autriche, avant les événements dont Vienne vient d'être le théâtre, on avait réduit le budget des affaires étrangères d'une somme d'environ 700,000 florins, c'est-à-dire environ 1,600,000 francs. Je crois que plusieurs Etats du continent sont disposés aussi, à cause des difficultés financières, à diminuer les dépenses de la diplomatie ; eh bien, nous sommes allés plus loin que tous ces Etats. Aussi, messieurs, je dois faire une réserve. Dans des temps meilleurs, quand la crise sera complètement passée, il y aura lieu d'examiner sérieusement, pour le gouvernement d'abord, et pour la chambre ensuite, s'il ne faut pas rétablir les chiffres actuels ou du moins les élever dans certaines proportions.
L'honorable M. Delfosse lui-même disait dans un de ses discours, à propos de la cour ces comptes, que dans des circonstances meilleures il serait disposé à rétablir l'ancien traitement.
M. Delfosse. - Je n'ai pas dit cela ; j'ai dit qu'on pourrait peut-être le rétablir.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Soit ; je n'affirme rien non plus; je fais seulement une réserve nécessaire; je dis qu'il y aura lieu d'examiner s'il ne convient pas de rétablir les traitements actuels de nos agents diplomatiques, précisément parce que nous les réduisons à un chiffre à peine suffisant.
Messieurs, une opinion a été exprimée dans différentes sections, qui, si elle était admise, affaiblirait bien autrement la diplomatie que les réductions de traitement. C'est celle qui tend à faire remplacer nos agents diplomatiques de première classe par de simples chargés d'affaires.
Cette question s'est déjà présentée dans cette enceinte, et toujours, à une forte majorité, on a maintenu les ministres plénipotentiaires. Maintenant cette question n'a plus la même importance, au point de vue de l'économie. Quand elle s'agitait, c'est quand les ministres plénipotentiaires avaient un traitement très élevé, alors leur remplacement par de simples chargés d'affaires aurait amené une notable économie. Maintenant que leur traitement, pour la plupart, est réduit à 25 mille fr., l'économie qui résulterait du remplacement des ministres par de simples chargés d'affaires, sérail insignifiante, car, en réalité, ils n’ont plus que le traitement de simples chargés d'affaires.
Les chargés d'affaires des Etats-Unis ont un traitement de 25,000 fr. environ, et 25,000 fr. de frais d'établissement pour la première année. Il y a dans ce pays deux classes d'agents diplomatiques, des ministres plénipotentiaires et des chargés d'affaires; on y a déjà souvent exprimé l'opinion de n'avoir plus que des ministres plénipotentiaires dont le traitement est de 50,000 fr.
Dans la hiérarchie diplomatique, le ministre plénipotentiaire à un rang plus élevé que le chargé d'affaires; il est entouré de plus de considération, il peut exercer plus d'influence ; je sais qu'il est, sans doute, des chargés d'affaires jouissant de la plus haute considération, mais en général, cependant, le ministre plénipotentiaire, d'après les usages diplomatiques, ayant un rang plus élevé, jouit de plus de considération et peut en user pour exercer plus d'influence.
De sorte que si nous n'avions plus que de simples chargés d'affaires, nous nous trouverions dans un rang d'infériorité vis-à-vis même des Etats de deuxième et de troisième ordre.
Je crois, messieurs, que c'est une position que nous ne devons pas prendre. La Belgique est un pays assez important et trop considéré pour que nous allions, dans notre représentation à l'étranger, nous mettre dans une position inférieure à celle d'autres pays qui n'ont pas plus ou qui ont moins d'importance que le nôtre.
Il est une autre opinion qui a été aussi formulée dans les sections, c'est celle que nous ne devrions même être représentés à l'étranger que par des consuls. Cette opinion se fonde sur ce que les intérêts ite la Belgique sont principalement commerciaux, que la Belgique est un pays neutre; qu'elle n'a, par conséquent, pas à s'ingérer dans la politique européenne; qu'elle ne doit s'occuper que des intérêts commerciaux.
Messieurs, je crois que c'est là une grave erreur. Je pense que notre diplomatie doit être à la fois politique et commerciale.
D'abord, messieurs, la neutralité, ce n'est ni l’inertie, ni l'impuissance. Ensuite cette neutralité politique qui se base sur les traités, nos agents diplomatiques doivent précisément la rappeler sans cesse aux gouvernements étrangers. Ils doivent faire valoir l'intérêt européen de maintenir cette neutralité politique; ils doivent rappeler que les cinq grandes puissances l'ont garantie, qu'il est nécessaire pour l'équilibre européen que la Belgique soit forte et indépendante.
Voilà, messieurs, ce que nos agents diplomatiques doivent rappeler sans cesse aux pays étrangers. D'ailleurs qui, surtout dans les circonstances actuelles, voudrait prétendre que la Belgique ne doit pas veiller avec la plus grande attention à toutes les perturbations qui pourraient menacer son existence?
Il importe donc au plus haut degré que nous ayons constamment près de tous les gouvernements étrangers, dans tous les grands centres politiques, des hommes actifs, zélés, éclairés, qui fassent connaître et les desseins qu'on pourrait méditer et tout ce qui pourrait menacer l'existence de la Belgique, et qui cherchent surtout à éviter, à prévenir les dangers par tous les moyens de persuasion et d'influence possibles.
On se figure, messieurs, que l'action de la diplomatie n'est utile que dans un temps donné, par exemple lorsqu'il s'agit de la conclusion d'un traité; qu'ensuite l'agent diplomatique devient inutile.
Messieurs, c'est encore là une erreur.
L'action de la diplomatie est de tous les instants. Pour qu'elle soit efficace, il faut qu'il y ait de la persévérance, de la continuité dans cette action.
Le diplomate doit se mettre en rapport non seulement avec les gouvernements étrangers, mais aussi avec tous les hommes importants d'un pays. Il ne doit jamais perdre l'occasion de défendre les intérêts du pays, de prédisposer tous les hommes politiques importants en faveur du gouvernement qu'il représente. Eh bien, ce n'est que par une continuité de relations avec les gouvernements étrangers et avec toutes les influences d'une nation qu'il peut parvenir à ce résultat.
Si, au contraire, le diplomate n'arrivait qu'au moment de la conclusion d'un traité, il serait évidemment dépaysé; il ne connaîtrait ni les hommes ni les choses; il ne pourrait exercer aucune influence.
Messieurs, pour les intérêts commerciaux également, l'agent politique présente beaucoup plus d'avantages qu'un agent purement commercial; il a plus de facilités près des gouvernements étrangers; il peut traiter beaucoup mieux que ne le ferait un simple consul. Il jouit de plus d'influence.
Il n'est nullement défendu à un diplomate de s'occuper des intérêts commerciaux. Au contraire, les trois quarts des instructions qui sont données à nos agents politiques concernent les relations commerciales; c'est même leur plus grande occupation.
Il est aussi, messieurs, d'autres genres de services que rend encore la diplomatie à l'étranger : ce sont des services en quelque sorte individuels. Les Belges ont des relations continuelles et multipliées avec tous les pays étrangers, surtout avec les grands pays qui nous avoisinent. Eh bien ! ils trouvent dans l'agent du gouvernement un défenseur constant, un protecteur, un intermédiaire près des gouvernements étrangers. Quand ils ont des réclamations à faire, ils trouvent par cet intermédiaire les plus grandes facilités pour obtenir ce qu'ils désirent. C'est même la besogne administrative journalière de nos agents diplomatiques. Nous recevons chaque jour huit ou dix lettres concernant des intérêts individuels de la part de nos grandes légations. C'est là, messieurs, une immense facilité pour les Belges qui ont des rapports à l'étranger, des renseignements à demander ou des réclamations à adresser; je pourrais vous en citer une foule d'exemples.
Ainsi, messieurs, la diplomatie est indispensable pour tous les pays civilisés, et surtout pour la Belgique qui, par sa position géographique au milieu de l’Europe, entourée de voisins puissants, est exposée à toutes les chances que présentent les grandes perturbations européennes.
(page 129) La Belgique a toujours été, à cause des avantages qu'elle possède, un objet de convoitise pour les grandes puissances. Certainement des sentiments pareils n'existent pas en ce moment chez les pays voisins ; nous en avons l'assurance. Mais à différentes époques de notre histoire nous avons vu que la Belgique a été envahie et qu'elle est devenue le principal théâtre de la guerre. Dans une semblable situation, il est indispensable d'avoir constamment une diplomatie active veillant sans cesse à la conservation de l'indépendance nationale.
Messieurs, le gouvernement, malgré les fortes réductions qu'il a cru devoir faire subir, dans les circonstances actuelles, aux traitements de notre diplomatie, a la confiance cependant de conserver une diplomatie respectable. Nos agents diplomatiques connaissent parfaitement les circonstances impérieuses qui obligent le gouvernement à réaliser des économies. Ils n'en serviront pas moins avec zèle, avec dévouement les intérêts du pays.
Mais, messieurs, si l'on allait plus loin encore, si la chambre, par ses votes, obligeait le gouvernement à remanier sa diplomatie, à opérer de nouveaux changements, à faire de nouvelles réductions, je crains bien qu'alors notre diplomatie serait tellement affaiblie qu'elle ne pourrait plus rendre de véritables services.
J'ai donc vu avec peine que la section centrale, en présence des grandes économies que nous avions déjà opérées, a cru devoir aller plus loin encore que le gouvernement.
Je combattrai, messieurs, avec force, avec conviction, les réductions proposées sur le chapitre II par la section centrale. Je ne le ferai nullement dans un intérêt d'amour-propre, je n'en veux pas mettre dans cette question de budget; mais je le ferai dans l'intérêt véritable du pays. Je combattrai ces réductions parce que je suis profondément convaincu qu'elles affaibliraient réellement notre action diplomatique à l'étranger.
En France, messieurs, il y a, comme vous savez, un budget de 1,800,000,000 de fr., je crois que les recettes probables de l'année prochaine sont évaluées à 1,300,000,000 de fr.; ainsi la nécessité impérieuse des économies est bien plus grande encore en France qu'en Belgique. Eh bien, en France, on n'a opéré sur le budget que vient de discuter l'assemblée nationale, qu'une diminution, si je ne me trompe, de 7 à 8 millions, tandis que nous avons proposé sur notre budget de 118 millions, maintenant de 111 millions, une réduction de 4,200,000 francs. Pour le budget des affaires étrangères, l'assemblée nationale a adopté les chiffres qui lui ont été proposés par le gouvernement, et qui ne constituent cependant qu'une réduction de 30 p. c. sur l'ensemble des traitements.
J'ai donc l'espoir que la chambre, tenant compte des fortes réductions que nous avons l'honneur de lui présenter, ne croira pas devoir aller plus loin. Je crois qu'elle reconnaîtra que le gouvernement, dont les relations diplomatiques sont de tous les jours, peut mieux que tout autre apprécier les nécessités qui se présentent dans les pays étrangers. J'espère que la chambre écoutera en cela la voix d'un gouvernement qui a pris l'initiative d'aussi fortes économies et qu'elle ne croira pas devoir aller au-delà des chiffres qui lui sont proposés.
Voilà, messieurs, les considérations, en quelque sorte préliminaires, à présenter à la chambre. J'attendrai maintenant que d'honorables orateurs aient présenté des objections, pour y répondre.
M. Jullien. - M. le ministre des affaires étrangères a compris la nécessité de réduire les dépenses de son département.
Je le félicite d'être entré dans cette voie; je viens néanmoins d'entendre avec peine qu'il se refuse à compléter son œuvre et à donner un apaisement plus ample aux réclamations du pays. Selon moi il devrait accepter franchement les modifications proposées à son budget par la section centrale, modifications formulées de manière à rassurer ce haut fonctionnaire sur les intentions à coup sûr peu hostiles de la chambre, et de manière aussi à garantir une bonne organisation des services diplomatiques. En rendant hommage à l'esprit d'économie qui a présidé à la demande de diverses allocations du budget, j'exprime, messieurs, le regret que M. le ministre des affaires étrangères ait apporté un empressement peu justifiable à pourvoir, sans une urgence bien démontrée, à l'envoi d'un ambassadeur à Rome, avant que les chambres n'aient fixé le rang, le traitement qui devaient être attachés à celle mission.
J'exprime aussi le regret que des mutations trop fréquentes ont eu lieu dans certains postes diplomatiques, ce qui n'a pas peu contribué à affaiblir les résultats que l'on devait attendre des services des titulaires.
Là, messieurs, ne se bornent pas mes regrets.
Je voudrais pouvoir dire au chef du département des affaires étrangères : « Le commerce et l'industrie vous doivent de la reconnaissance pour la protection dont vous les avez environnés. »
Mais ce langage, je ne puis le tenir en présence de l'état d'abandon déplorable dans lequel se trouvent les diverses branches d'industrie et de commerce de la province à laquelle j'appartiens.
L'industrie ardoisière, l'industrie métallurgique y sont aux abois.
Les exploitants d'ardoisières se demandent avec raison comment M. le ministre des affaires étrangères, qui a le commerce dans ses attributions, a pu ne pas être frappé de l'absorption de leur industrie par la concurrence accablante que lui font sur les marchés intérieurs et extérieurs les ardoisières françaises des rives de la Meuse sous le régime des faveurs dont elles jouissent.
Quelques chiffres suffiront, messieurs, pour justifier les plaintes de l'industrie ardoisière du Luxembourg, industrie digne de tout votre intérêt à cause de son importance et du grand nombre d'ouvriers qu'elle emploie.
Vous n'ignorez pas, messieurs, que les ardoises françaises ne sont frappées à l'entrée dans notre pays que d'un droit de cinq francs par 1,000 ardoises.
Il a été reconnu que, sous le rapport de la solidité et de la durée, elles sont inférieures en qualité aux ardoises provenant des carrières du Luxembourg.
Eh bien, messieurs, le croiriez-vous ? elles l'emportent dans la lutte avec ces dernières sur les marchés de l'intérieur de la Belgique.
Il en est de même sur les marchés des Pays-Bas, et sur les marchés des départements français, limitrophes du Luxembourg et plus rapprochés des carrières de cette province que des carrières de Fumay. Témoin les chiffres que nous extrayons du tableau général du commerce avec les pays étrangers pour l'année 1847.
Il résulte de ce document que la France a, en 1817, importé en Belgique, pour la consommation intérieure, 16,210,678 ardoises et qu'elle en a expédié par transit, pour ses propres marchés, 27,521,850 , et pour les Pays-Bas, 2,488,700.
Ces chiffres, mis en regard de la stagnation des ardoisières du Luxembourg, témoignent que celles-ci sont placées dans des conditions tout à fait défavorables, puisqu'en 1847, outre la faible consommation h l'intérieur, elles n'ont exporté que 69,800 ardoises pour les Pays-Bas, et 3,104,160 pour la France, en sorte que, dans l'état actuel des choses, grâce à la faveur du droit peu élevé d'importation, grâce aux facilités qu'elle trouve dans les moyens et les prix des transports, grâce aussi au droit en quelque sorte nul de transit, la France fait aux ardoisières du Luxembourg une concurrence écrasante sur les marchés intérieurs, dont ces ardoisières pourraient remplir les besoins et bien au-delà, en même temps qu'elle paralyse toute concurrence de ces mêmes ardoisières sur ses propres marchés et sur ceux des Pays-Bas.
L'industrie métallurgique de la province de Luxembourg est dans une condition non moins désespérée.
Privée d'encouragements que d'autres industries trouvent dans des primes, souvent imméritées, elle s'est épuisée dans les efforts qu'elle a faits pour maintenir la fabrication du fer au charbon de bois, et pour soutenir la concurrence avec les usines des bassins houillers qui marchent au coke, et qui ont l'immense avantage d'employer du combustible à bas prix, de fabriquer à un prix de revient plus avantageux, d'écouler leurs produits à des prix faibles par les chemins de fer, et sans payer aucun droit de barrière, tandis que ces droits pèsent de tout leur poids sur toutes les industries du Luxembourg avec des frais énormes de transport occasionnés par les longues distances et les difficultés de parcours sur des routes où l'on rencontre des côtes rapides et nombreuses.
La situation des usines métallurgiques du Luxembourg est d'autant moins tenable, si le gouvernement ne prend des mesures efficaces pour les protéger, que les droits élevés à l'importation en France leur ferment les marchés français, et qu'elles ne trouvent plus aujourd'hui qu'un écoulement peu important pour leurs fontes vers le Zollverein.
L'industrie agricole du Luxembourg a aussi ses souffrances.
La liberté d'importation des laines étrangères, avec affranchissement de tout droit, a anéanti le commerce des laines dans cette province; elle a tari l'une des ressources principales du cultivateur, et elle aura pour inévitable conséquence, si aucun droit n'est frappé sur les laines étrangères, l'abandon de l'élève de la race ovine dans une province où jadis cette branche de l'industrie agricole était florissante.
Enfin, messieurs, le Luxembourg attend, depuis nombre d'années, un traité de commerce avec la France, assis sur des bases favorables à la vente et à l'écoulement de son bétail.
La situation pénible de l'industrie et du commerce dans cette province mérite d'attirer toute la sollicitude de M. le ministre des affaires étrangères.
Je me plais à croire que, pénétré de la réalité de cette situation que je n'ai fait qu'esquisser, il s'empressera d'y porter remède, autant qu'il est en lui ; je me plais à croire que je n'aurai pas en vain appelé son attention sur les justes doléances d'une province d'autant plus malheureuse qu'elle est privée d'un chemin de fer auquel elle a des droits incontestables, et que par cela même elle est placée dans un état d'infériorité vis-à-vis des autres parties du pays dotées de cette voie de communication dont la construction serait pour elle un acte réparateur en même temps qu'un élément vivace de prospérité.
M. de Liedekerke. - Messieurs, je me lève avec le regret d'avoir à combattre le budget tel qu'il est présenté par le gouvernement, et de me trouver ainsi, à bien plus forte raison, en contradiction ouverte avec presque toutes les modifications qu'y apporte la section centrale. Je dis avec regret, messieurs, car je voudrais pouvoir donner un cordial appui aux mesures de réformes que vous propose le ministère, et il ne faut rien moins qu'une conviction profonde, consciencieuse, mûrement réfléchie pour ne point m'y rallier ; il me faut pour cela le sentiment non équivoque des mauvaises conséquences qui en résulteraient.
Le mot d'économie porte avec lui, je le sais, une séduction naturelle et puissante. Réduire les dépenses, diminuer les charges et économiser les deniers publies, offre des perspectives trop flatteuses pour ne point, au premier abord, exciter des sympathies presque universelles. Cependant l'Etat, messieurs, ne saurait se conduire comme un particulier. Celui-ci est maître, en effet, de réduire, selon ses caprices, ses goûts ou ses nécessités, les dépenses qui lui paraîtraient les plus irrévocables! Toute sa préoccupation peut consister à dépenser le moins possible, (page 130) à accumuler des économies, à réserver pour d'autres moments sa générosité. Mais le gouvernement d'un Etat sagement constitué ne peut réduire pour réduire, ni supprimer une dépense dans l'unique but d'arriver à une suppression. Sa prévoyance doit être plus haute, et il ne peut, sans s'exposer au reproche d'un dangereux entraînement, porter ainsi atteinte à des intérêts éminents dans le présent comme pour l'avenir.
Car rien ne s'isole dans la vaste organisation d'un pays, tout s'y enchaîne, tout s'y meut par une répercussion immense et continue, et tandis qu'on se berce de l'espoir de n'avoir, après tout, fait qu'une simple économie de quelques mille francs, on a souvent porté un coup fatal et durable à une branche essentielle d'administration et aux bienfaits qui en découlaient.
Aussi, qu'il me soit permis de le dire, avant d'affaiblir ou de décapiter, pour ainsi dire, certaines carrières, procédons-y avec une sage réflexion; car si nous ne cachions, en fin de compte, sous certaines économies que des retranchements contraires à la dignité, à la prospérité, à la grandeur croissante de la Belgique, si nous nous préparions, pour une époque plus ou moins éloignée, un retour inévitable sur nous-mêmes, je pense que ces restrictions si ardemment poursuivies ne constitueraient qu’une faiblesse ou un danger.
Messieurs, les abus, disons-le bien, n'ont pas pu s'accumuler au point où on semble parfois les porter. Les abus! Mais il y a dix-huit ans que les budgets se discutent, qu'ils passent au creuset d'une analyse incessante, et que tous les hommes distingués qui ont figuré et qui figurent encore dans cette chambre ou qui ont géré les affaires comme ministres, ont pris à tâche glorieuse d'effectuer toutes les réformes possibles ! Et comment en serait-il autrement?
Qui donc, dans ce régime de libre discussion, discussion parlementaire, discussion par voie de la presse, discussion par les mille moyens de publicité, qui donc n'éprouverait pas l'utile et nécessaire ambition de réduire les dépenses publiques aux plus stricts besoins et de dégrever ainsi les contribuables? Personne, que je sache, messieurs, car les réformateurs d'impôts sont ceux qui s'attirent les bénédictions publiques, et auxquels s'attache la reconnaissance la plus sincère et la plus durable.
Défendons-nous donc de cette prévention exagérée, que les abus se seraient si étonnamment accrus, qu'ils autoriseraient des réformes prodigieuses, qu'il y aurait tant de branches parasites à retrancher ; défendons-nous de cette pensée, je crois qu'elle ne serait ni juste, ni parfaitement fondée. Je vais plus loin, je dis qu'elle constituerait une critique amère de tout notre passé parlementaire, qu'on peut, dans cette enceinte, comme hors de cette enceinte, contempler avec le sentiment d'une légitime fierté.
Ce qui est vrai, c'est que de nos jours, sous l'empire de nos institutions démocratiques, où tout le monde est appelé à la vie politique, où le pouvoir social est distribué entre des mains très nombreuses, où les besoins, les intérêts, les relations politiques, commerciales, industrielles, sont si compliquées, il faut nécessairement une administration plus vaste et plus détaillée, et qu'ainsi les besoins gouvernementaux augmentent naturellement.
Ce qui est encore vrai, c'est que notre centralisation fait affluer vers le pouvoir central, comme vers un réservoir immense et unique, une foule de dépenses, dont les chiffres grossissent le budget et l'enflent dans des proportions presque effrayantes, parce qu'il est tout à la fois le receveur et le dispensateur universel.
Aucun budget, messieurs, n'a subi des réformes, des retranchements plus rudes que celui du budget des affaires étrangères. La partie qui concerne notre diplomatie a reçu de telles atteintes que je n'hésite pas à déclarer que je la considère comme presque supprimée.
Car, entre certaines places que l'on vous propose d'effacer, et d'autres pour lesquelles on vous demande une réduction de traitement très considérable, je n'entrevois plus dans l'avenir une carrière possible pour personne ! Est-ce bien là, messieurs, le résultat que vous poursuivez? Est-ce bien celui qu'il peut être désirable d'atteindre? Quoi ! lorsque après dix-huit années votre diplomatie a servi à établir vos relations internationales, à inaugurer pour ainsi dire notre pays au sein de la grande famille européenne, vous iriez d'un seul coup l'anéantir?
Je crois vraiment, messieurs, qu'on fait erreur sur la valeur et l'importance de la diplomatie en général.
Elle est une institution plus sociale, qu'on ne le pense. Elle a eu constamment une influence marquée sur le repos, la tranquillité, le bien-être et la prospérité de tous les pays.
Sans doute, dans les premiers temps de la barbarie, il n'y avait pas de négociateurs. Les peuples concentrés dans leur individualité vivaient inconnus et indifférents les uns aux autres. Mais lorsque des guerres survinrent, lorsque des révolutions politiques et commerciales agitèrent le monde, des rapports nouveaux se développèrent, et avec eux des besoins et des perspectives inconnues jusqu'alors. Les peuples eurent besoin d'intermédiaires pour les rapprocher, faire des traités, apaiser ou prévenir leurs querelles, ou pour concilier leurs divers intérêts et fonder leur prospérité.
La diplomatie est contemporaine, messieurs, des premiers essais d'organisation sociale, de l'établissement des armées permanentes, de la régularisation de la justice, de la naissance du droit public, enfin de ces hommes illustres qui fondèrent avec le droit des gens le droit de l'humanité. Consultez l’histoire. Après tous les grands conflits qui ont ensanglanté le monde, qui donc intervient pour rétablir l'équilibre, pour concilier les différends, pour discuter les droits de chacun, pour provoquer des concessions ? qui? sinon ces agents pacifiques qui constituent la diplomatie ? Oui, messieurs, c'est elle qui, après les luttes religieuses du XVIème siècle, amène enfin la paix de Westphalie ; après les guerres de Louis XIV, la paix d'Utrecht, après celles de l'empire, les traités de Vienne.
Et ces dix-huit années qui viennent de s'écouler n'ont-elles été exposées à aucun orage, à aucun péril? Si nous les avons traversées paisiblement, si la richesse, la fortune, la prospérité publique avaient pris un essor si prodigieux, si nous les avons enfin parcourues sans oscillations trop fortes, jusqu'au jour d'une funeste tourmente, qui donc, pendant ce long espace de temps, a prévenu tant de luttes imminentes, par des débats pacifiques? C'est la diplomatie!
Messieurs, je quitte ces considérations un peu générales pour en aborder de plus particulières.
Deux grands intérêts doivent nous dicter la conservation d'une diplomatie suffisante, l'une est l'intérêt politique, l'autre l'intérêt commercial.
Les agents politiques, que les gouvernements envoient à l'étranger, ne servent plus seulement à un simple échange de courtoisie entre souverains. Leurs devoirs sont plus solides, plus sérieux. Ils ont plus que jamais à entretenir les relations entre les peuples eux-mêmes, à les développer, à les cimenter ; ils rapprochent et unissent les intérêts identiques, ils entretiennent les sympathies nationales. Notre pays commence, messieurs, à être connu de tous les Etats qui divisent l'univers. Ne croyez pas que ce résultat, pour un Etat nouveau, sont si prompt, ni si facile à atteindre. Il faut, pour y arriver, une succession suivie, constante d'actes divers, une continuité et une réciprocité non interrompues de bons rapports. C'est ainsi que se fondent les amitiés politiques, et c'est dans ces amitiés, lentement mais solidement développées, qu'un peuple puise sa force et son avenir.
C'est le seul sentiment qui a inspiré les divers ministres des affaires étrangères qui se sont succédé, et qui leur a fait tenir comme une politique bonne et assurée d'étendre nos rapports internationaux en multipliant nos missions.
Serait-ce maintenant, après dix-huit années d'efforts laborieux, mais fructueux, que vous renverseriez tout votre ouvrage, qu'en u:i instant vous décomposeriez une si excellente organisation ?
Mais au sein du grand mouvement qui soulève l'Europe entière, pendant l'explosion de tant de passions, quand une transformation ardente s'opère de toutes parts, que les débris du vieux monde s'ébranlent et disparaissent, quand les traités anciens sont attaqués, détruits ou méconnus, quand tout est remis en question et comme suspendu aux secrets du hasard, dans un moment si important, si solennel pour ce pays comme pour tous les autres, vous supprimeriez, ou, ce qui n'est pas moins fatal, vous amoindririez vos agents à l'étranger ! Mais la puissance, l'influence n'est-elle plus où elle était? Ah! messieurs, détrompez-vous. Elle est encore, quoique modifiée dans son exercice, quoique affaiblie peut-être pour un temps, mais elle est entre les mêmes mains. Eh bien, si cela est, et pour moi cela ne forme aucun doute, il ne faut pas rester étrangers à ces grands centres où s'agitent les affaires du monde, où elles se concertent et se décident. Il faut que vous y conserviez votre part d'influence, votre voix, et qu'elle soit entendue lors de ces résolutions importantes auxquelles vous ne pouvez, pour votre salut même, rester étrangers.
Vous me direz peut-être, et je crois que c'est la pensée de quelques honorables membres, que tout est irrégulier dans la situation des autres Etats, et que le mouvement des affaires a quitté la sphère des cabinets pour descendre sur la place publique. Messieurs, cela fût-il absolument vrai, quoique je ne l'admette pas ainsi, ce ne serait là qu'une situation transitoire : les faits peuvent certes intervertir, pour quelques instants, les grands principes d'ordre qui régissent les sociétés ; ils ne sauraient les anéantir à jamais. Ne calculons donc pas sur des effets passagers, mais sur ce qui est durable et fondamental. Et puis il serait téméraire de se fier absolument, pour sa propre sécurité, à cette situation extraordinaire. Ces passions si vives, si brûlantes, qui paraissent concentrer tous les peuples chez eux, mais en un moment, par un simple accident, elles peuvent changer de but, de poursuite et d'objet; et aux combats pour la liberté qui peut affirmer que ne succéderont pas des combats pour des conquêtes? Il y a quelques semaines à peine qu'un rien, un blocus prolongé, un coup de canon tiré sur Trieste pouvait jeter l'Allemagne dans les plaines de la Lombardie, et si un soldat de l’armée française eût franchi un défilé des Alpes, la confédération germanique, élevant, dans sa fierté nationale, drapeau contre drapeau, fût accourue sur les bords de l'Adige pour soutenir, au nom de la Germanie, l'aigle autrichienne contre les envahissements de la France.
Messieurs, les conséquences qui eussent pu en naître sont immenses, elles doivent frapper vos esprits, et chacun de vous comprendra que la lutte au midi pouvait aussi s'engager sur d'autres frontières.
Messieurs, vous me concéderez que notre force internationale, que notre importance politique pour l'étranger, reposent sur notre neutralité. Qu'est-ce que la neutralité? Est-ce une situation passive, ou n'est-ce pas plutôt un état essentiellement artificiel, tout conventionnel, qui réclame, pour être maintenu, des soins, des précautions infinies, et qui doit être sans cesse rappelé, invoqué et défendu auprès de ceux qui pourraient éprouver la tentation de l'enfreindre ! La neutralité pour nous en (page 131) temps de guerre et de troubles, mais c'est une négociation de tous les moments, sérieuse compliquée et difficile. Et c'est lorsque vous êtes parvenus à le préparer si solidement, c'est lorsqu'il s'agit d'en faire éclater le mérite et l'utilité à tous les yeux, vous placés au confluent de tant de grands peuples divisés d'intérêts et d'ambition, c'est alors que vous rétréciriez votre influence au dehors! C'est une conséquence devant laquelle, je le confesse, je ne puis que reculer.
Que si dès à présent je jette un regard vers l'avenir, je me sens entraîné à une autre pensée.
Messieurs, il n'est pas possible, mon intelligence, mon cœur se refusent à le croire, que l'ébranlement qui secoue la société dans ses plus intimes fondements, que ces scènes horribles qui déshonorent la civilisation puissent se perpétuer ou se renouveler.
Non, non, les lueurs incendiaires qui troublent l'horizon céderont enfin à l'aube douce et sereine d'un jour nouveau. Les vrais principes de la liberté, de la fraternité, si tristement obscurcis, succéderont aux lamentables excès d'une démagogie aveugle, égarée, impuissante et ruineuse. L'ordre, la légalité refleuriront. Eh bien, il faudra alors reconstituer le monde civilisé, définir ses rapports, et fonder un droit public nouveau. C'est ainsi qu'au XVIIème siècle la paix de Westphalie mit un terme aux guerres religieuses, et à une époque que je ne désigne pas, mais que je hâte de mes vœux, il faudra mettre un terme, pour sauver la société toute entière, à la guerre des idées et des systèmes politiques.
Serait-il prudent dans une telle éventualité, messieurs, serait-il désirable d'avoir une diplomatie éclaircie, diminuée, affaiblie ou seulement découragée? Voudriez-vous être devenus étrangers à la connaissance des faits, et aux hommes qui y sont mêlés? Serait-il bien sage d'avoir laissé tomber notre influence, d'avoir abandonné la haute position morale que notre pays occupe si dignement vis-à-vis de l'étranger, j'en atteste le calme magnifique que presque seuls nous avons conservé au milieu du conflit qui dévore l'Europe, et d'avoir méconnu le parti immense que nous pouvons en tirer pour nous-mêmes? Je crois fermement qu'il y aurait là une faute immense, une erreur dangereuse.
Mais, me répondra-t-on, nous conservons nos agents, nous n'en supprimons que quelques-uns ! Notre principal effort se porte sur les réductions des traitements ! Oui, messieurs, mais permettez-moi de vous dire que les réductions équivalent presque à des suppressions, et que d'ailleurs celles directes, qu'on vous propose, je ne saurais toutes les approuver.
Je prends l'Allemagne. Eh bien, il est possible que plus tard un seul agent puisse y suffire si le pouvoir central est constitué, si surtout il parvient à se faire reconnaître. Mais c'est là une question indécise, éventuelle; car, soit dit en passant, la cohésion de l'Allemagne s'accomplit par les contraires. Alors vos envoyés en Prusse et en Autriche pourront à la rigueur devenir superflus. Un seul agent à Francfort serait suffisant, mais qui peut sérieusement nier qu'il ne soit indispensable jusque-là d'être efficacement représentés à Berlin, Francfort et Vienne?
Nous y conservons nos agents. Oui, mais comment? Vous flattez-vous de leur accorder un traitement qui soit en rapport avec leur position? Je réponds hardiment que non.
Messieurs, les représentants d'un gouvernement à l'étranger n'accomplissent pas leur mission aussi simplement qu'on pourrait le croire. Il ne s'agit pas pour eux d'aller traiter directement toutes les affaires, comme l'avocat, permettez-moi la comparaison, qui endosse sa robe et qui va plaider à la barre d'un tribunal. Leur rôle est bien autrement complexe. Ils trouvent leurs moyens d'action, leurs ressources, leur force, ils puisent les éléments de leur prévoyance dans leurs relations et leurs influences sociales.
Celles-ci sont plus difficiles à nouer pour eux, par cela seul qu'ils sont étrangers, et ils se trouvent inévitablement entraînés à des frais nombreux, car en fin de compte, vous le savez, tout aboutit à une question d'argent.
Dès lors, si leur traitement est insuffisant, leur rôle et leur influence en sont amoindris. Ils sont des agents politiques, mais des agents beaucoup moins utiles.
Je vais plus loin; vous leur imposez, messieurs, une souffrance morale très grande. En leur donnant une position tellement inférieure à d'autres collègues, vous les exposez à une humiliation inévitable. Car, lorsqu'on a l'honneur de représenter son pays, on le prise fort haut, et ce n'est pas sans une louable amertume qu'on sent son infériorité vis-à-vis de ceux qui ont une position identique. Ceux qui obtiendront ces missions et qui auront de la fortune, combleront cette lacune? Messieurs, cela peut-il être votre but? Voulez-vous fonder un privilège en fait de places pour ceux que le hasard a dotés du bienfait de la richesse? Un tel sentiment serait-il en rapport avec l'esprit de nos lois? Non, messieurs, mettez, pour être fidèles au génie de la Constitution, mettez tous les doyens en état d'aborder les carrières, où ils peuvent le plus utilement servir leur patrie. Ne leur en fermez aucune, en les exposant à une sorte de pauvreté, et croyez qu'il est à la fois juste et digne de rétribuer suffisamment les services rendus au pays.
Mais les titulaires actuels n'ont pas fait parvenir au ministère leur démission. Berlin, Francfort, Vienne, Paris sont réduits, et cependant tous ces postes sont occupés. Leur sort n'est donc pas à plaindre?
Je ne scrute pas les motifs qui ont fait accepter par ces honorables fonctionnaires les réductions si sensibles dont leurs traitements sont frappés; j'ignore s'ils accepteront le nouvel abaissement que vous propose, pour les légations d'Allemagne, la section centrale, et dont j'ai en vain cherché les raisons plausibles. Car, à cet égard, son rapport participe par trop des mystères de la diplomatie! Cependant il est facile à concevoir qu'on n'abandonne pas aisément une carrière commencée, et qu'il n'est pas donné à tout le monde, malgré les sacrifices qu'on lui impose, de rebrousser son chemin aussi subitement. D'ailleurs, dans les circonstances graves où se trouve l'Europe, le patriotisme élève au-dessus des considérations pécuniaires, et on peut, avant tout, vouloir continuer à servir son pays à travers ces mauvais jours.
Mais laissez arriver des vacances, et alors les difficultés naîtront. Personne ne songera à adopter comme carrière ce qui n'en sera plus une; personne ne voudra consentir à s'expatrier, à s'éloigner de son pays, et à y sacrifier ainsi une partie des liens d'amitié qu'on y peut nouer utilement pour l'avenir. Vous n'aurez plus d'école diplomatique; vous cesserez d'avoir une pépinière de jeunes gens qui, par leur éducation, leurs études, puissent rendre à l'Etat des services réels. Et, de nos jours, l'esprit ne suffit plus. Il faut des études sérieuses, variées, profondes, afin de pouvoir être à la hauteur des exigences si nombreuses, si compliquées de la situation.
Les choix deviendront difficiles, incertains, quelquefois impossibles, et votre ministre des affaires étrangères sera ballotté entre la fortune ambitieuse et le talent trop pauvre.
Consultez, du reste, les budgets des autres pays, et l'on ne saurait en citer un seul où des réductions si rigoureuses aient eu lieu ; car on a senti que cette époque de transition, de lutte, de conflit, d'imprévu nécessitait une sorte d'investigation constante, afin d'éviter les surprises politiques toujours si périlleuses.
Voyez la Hollande; je la cite, car elle est notre voisine, et sa situation financière n'est pas si brillante qu'elle ait à dédaigner aucune économie possible. Eh bien, elle ne supprime que deux agents, ceux de Bade et de Wurtemberg, et sa seule réduction importante est celle qui atteint son envoyé à Paris qui, tout maltraité qu'il est, pourra s'estimer plus heureux que son collègue de Belgique ; car il conserve un chiffre supérieur au sien de 27,000 francs.
L'autre intérêt que j'ai indiqué, et qui milite si énergiquement en faveur du maintien d'une diplomatie efficace, nationale et suffisante: c'est l'intérêt commercial. Il n'y a pas, dans cette enceinte, j'ose le croire, un seul esprit qui diffère d'opinion sur l'avantage de développer et d'étendre nos relations commerciales, et de ne point nous laisser distancer par d'autres peuples.
Douée de richesses naturelles si grandes, la Belgique, avec ses habitants laborieux, leur esprit d'application, leur intelligence industrielle, constitue une vaste mine qui ne demande qu'à produire. N'est-il donc pas avantageux pour elle d'avoir des intermédiaires qui servent ses intérêts en révélant à l'étranger ses ressources, et en les faisant reconnaître et apprécier ? Qui donc aura une meilleure initiative que nos agents diplomatiques pour amener ce résultat, eux qui, en voyant les divers marchés de l'univers, les produits des autres peuples, en étudiant, en approfondissant leurs besoins, pourront aussi découvrir et nous indiquer îles débouchés nouveaux ?
Que si vous n'êtes qu'obscurément représentés, si ces agents ne sont pas assez nombreux, s'ils n'ont qu'une importance toute secondaire, d'autres nations en profiteront pour contracter des traités dont vous serez les victimes, et qui frapperont vos produits, qui réduiront vos débouchés. Le tort, le préjudice qui serait ainsi déversé sur le pays, ne serait-il pas bien autrement considérable que la minime dépense que vous auriez consentie, et dont le résultat aurait eu pour effet de prévenir des pertes désastreuses. N’oublions pas, messieurs, que le système commercial subit aussi de puissantes réformes, de profondes modifications. Cette secousse remonte à quelques années déjà.
L'Angleterre, vous le savez, guidée par le génie d'un grand ministre, et il faut ajouter par la rigoureuse logique de ses intérêts, l'Angleterre a inauguré la liberté commerciale, le principe du libre-échange. Elle a compris qu'avec des capitaux abondants, qu'avec des manufactures admirables de perfection, ayant racheté leur capital primitif, prêtes à fournir aux demandes les plus .excessives, qu'avec des colonies immenses, nombreuses, solidement défendues, qu'avec un tonnage maritime supérieur à celui des autres peuples, et dans quelles proportions, elle pouvait enfin ouvrir son marché intérieur, et concevoir ainsi l'espoir de pénétrer à son tour partout.
Quoiqu'elle ait gardé quelques mesures protectrices pour elle, avec sa circonspection habituelle, elle n'en a pas moins donné une vive impulsion à la lutte entre les réformateurs progressifs, mais prudents, qu'on désigne un peu violemment du terme absolu de prohibitionnistes, et les libres échangistes que je trouve aussi un peu aventureux. De ce choc, de cet antagonisme des deux principes, des deux écoles, de ce combat surgiront des changements incessants, des rapports nouveaux, des affinités commerciales tout autres que celles du passé. N'est-il pas d'une saine, d'une bonne politique de suivre attentivement ces changements, ces innovations? N'est-il pas d'une incontestable utilité que la mère-patrie soit sans cesse avertie et renseignée, afin qu'elle puisse réfléchir et méditer sur ses intérêts, afin que le gouvernement puisse y veiller avec une infatigable sollicitude, et ne perdre de vue aucune de ces graves transformations. El c'est dans ce moment que vous réduisez aux proportions les plus mesquines tout votre établissement diplomatique !
Mais voyons si les motifs sur lesquels quelques esprits se fondent pour poursuivre ces réductions ont une très grande valeur.
(page 132) En Espagne, messieurs, on reproche à notre diplomatie de n'avoir pu obtenir l'abaissement des droits qui frappent nos produits! Mais, messieurs, l'Espagne se meut péniblement dans une sorte d'enfantement politique, elle passe encore sans cesse des coups d'Etat aux soulèvements, l’action du gouvernement n'a point tout le calme, ni la suite désirables. Les hommes qui occupent le pouvoir changent souvent, et les partis y ont des fortunes diverses. Est-ce pour cela qu'il faut désespérer, faut-il nous décourager, et ce marché magnifique nous sera-t-il toujours hostile? Ne vaut-il pas de longs, de constants efforts ? Voyez l'Angleterre. Elle, si puissante, poursuit aussi un traité sans avoir pu l'obtenir, mais elle ne commettrait jamais la faute, soyez-en sûrs, d'en désespérer. Messieurs, votre section centrale propose, pour cette mission, un chiffre de 15,000 fr., et j'ai la conviction qu'il est tout à fait insuffisant.
Il en est de même du Portugal. Ce royaume est encore tout meurtri par des guerres civiles; il se remet insensiblement de trop longues commotions.
Comment eût-il été possible de songer à négocier, lorsque le gouvernement n'avait qu'à s'occuper de sa propre conservation !
Mais ce pays si riche, si fertile, se relèvera; il a d'ailleurs des colonies importantes, et vous aurez, n'en doutez pas, bien des chances, parce que les sympathies qui attirent les deux pays, se réalisent en avantages réciproques.
Si j'examine la réduction proposée pour Constantinople, je reste également pénétré de son inadmissibilité.
Constantinople est un point d'une haute importance; c'est là que vous aurez votre seul agent pour l'Orient. Les intérêts les plus divers se débattent sur les bords du Bosphore; plus loin, l'Egypte peut subir des changements profonds ; tout ce qui peut nous maintenir en harmonie avec ces pays lointains est d'une bonne politique; notre commerce y a des débouches nombreux, ils peuvent s'accroître, et cependant, malgré les explications si précises, si catégoriques de M. le ministre des affaires étrangères, on vous propose une réduction qui rendra impossible l'existence d'un chargé d'affaires à Constantinople, ou qui l'obligerait à s'effacer entièrement. Tous ceux qui ont visité ces contrées peuvent l'attester ; il y a pour un agent diplomatique en Orient, des frais inévitables, obligatoires, nécessités par les mœurs, les habitudes de ces peuples, auxquels il est impossible d'échapper.
Je ne comprends pas davantage le chiffre réduit que la section centrale vous propose pour la légation de Rome. Ce sera la seule qui restera en Italie. Son chef devra donc être accrédité auprès de ses divers gouvernements, il devra souvent changer de résidence, du moins temporairement, et vous songeriez à lui accorder un traitement de 15,000 fr. Mais, messieurs, autant le rayer des cadres de la diplomatie. Et dans quel moment laisseriez-vous ainsi éteindre votre influence? Lorsque l'Italie tout entière s'élance vers des destinées nouvelles, politiques et commerciales, quand déjà, ne l'oublions pas, le principe d'une ligue commerciale a été jeté sous les auspices du noble et malheureux pontife, dont l'âme sublime avait conçu pour son pays un sort meilleur, et quand vous avez un si pressant intérêt à ne pas vous laisser repousser de ces nombreux marchés qui s'ouvrent à vos fabricats !
Mais, messieurs, vos manufactures ont des relations fructueuses avec le Piémont, avec les Etats romains, avec Naples. J'en appelle directement à mes collègues de Verviers. Dans le premier de ces royaumes, où la création des chemins de fer reçoit une impulsion vivace, vous avez déjà fourni des locomotives, vous fournissez des rails. N'est-ce pas là un débouché enviable? et si vous quittez la partie, ne serez-vous pas insensiblement écartés par d'autres antagonistes supérieurs en puissance, en moyens d'action, et qui travailleront incessamment contre vous? Je sais que M. le ministre déclare qu'un secrétaire continuera à résider à Turin. Mais quelle part d'influence obtiendra un simple secrétaire qui se trouve en rivalité avec des ambassadeurs, des ministres, et qui obtiendra à peine accès auprès du ministre des affaires étrangères? Il faut, pour compléter son action, qu'il soit appuyé à certains moments, dans des circonstances particulières et décisives, par un agent supérieur.
Mais cet agent qui aurait dû, pour l'Italie tout entière, avoir au moins le caractère d'un minutie, cet agent, vous l'attachez invariablement, fatalement à la même résidence ; car enfin ce n'est point avec ce chiffre de 11,000 fr. à peine suffisant pour une existence précaire à l'étranger, qu'il pourra songer à parcourir ce grand pays. Car les voyages y sont excessivement coûteux; je puis vous l'attester par expérience personnelle, pour y avoir souvent voyagé. Ainsi, il se trouvera réduit à une véritable inefficacité, privé de tout moyen d'aller exercer une influence si nécessaire, si précieuse.
Si du Midi je vais au Nord, je rentrerai dans une série de pensées analogues. Votre section centrale propose pour Hambourg, Copenhague et Stockholm, un simple chargé d'affaires dont le choix de la résidence sera abandonné à M. le ministre des affaires étrangères. Eh bien, ici encore il sera réduit à l'impuissance par l'infériorité de son traitement. Cependant, nos intérêts y sont majeurs. Car Hambourg ne fait pas partie du Zollverein, il est important pour nous que cette ville hanséatique ne s'y rallie pas, malgré les nombreuses démarches faites pour cela dans les dernières années par l'Allemagne entière. Il ne faut pas nous laisser oublier à Copenhague, qui domine la Baltique; il est utile que nous ayons quelques relations avec la Suède. Puis, messieurs, le grand empire du Nord peut nous fournir des débouchés réguliers, officiellement établis. Notre attitude même vaincra les influences, les causes qui jusqu'ici ont pu empêcher les relations de cabinet à cabinet.
Il y a deux ans, je pense, que la Russie a conclu avec la France un traité dont on s'est applaudi dans ce dernier pays. Pourquoi ne pourrions-nous pas espérer le même avantage et le poursuivre par une sage et prévoyante action?
Messieurs, après avoir si longuement expliqué mon dissentiment avec la section centrale, je me rapprocherai d'elle pour reconnaître l’utile initiative qu'elle a prise en insistant pour le rétablissement, ou plutôt le maintien d'un chargé d'affaires aux Etats-Unis. Mais, si j'ai bien saisi sa pensée, il en résulterait la suppression du consulat à New-York, ce qui modifierait beaucoup le mérite de la proposition.
New-York, au nord, messieurs, est, en effet, comme la Nouvelle-Orléans, au sud de l'Union, le plus grand centre commercial de l'Amérique du Nord, et l'Etat de New-York, par sa richesse, sa prépondérance, son organisation, a mérité le nom d'Ètat-Empire.
Il est du plus haut intérêt d'y avoir un agent commercial, tandis que la résidence de l'agent diplomatique est tout naturellement là où doit s'exercer l'influence politique, dans la capitale des Etats-Unis, à Washington. La république américaine, avec ses vingt millions d'habitants, avec des richesses intérieures sans cesse croissantes, et je n'en citerai qu'un seul exemple c'est que, produisant en 1791 189,316 livres de coton, elle avait poussé la production au chiffre de 560,000 ballots en 1824. et en 1842, au chiffre prodigieux de 2,171,875 ; assise sur les deux grandes mers du monde, peut-elle nous être indifférente? Ne faut-il pas veiller avec un infatigable zèle à maintenir, à agrandir toutes nos relations avec elle? Et sur ce vaste continent deux agents, l'un politique, l'autre commercial, seraient-ils de trop? Pour moi, messieurs, ma conviction est si profonde que je regarderai comme un véritable malheur que le maintien du chargé d'affaires à Washington fût la cause de la suppression de l'agent consulaire à New-York, et je supplie la chambre de ne pas rendre la conservation d'un de ses agents le corollaire de la suppression de l'autre. Ce résultat serait bien regrettable.
J'arrive, messieurs, au terme de cet examen trop détaillé, trop prolongé pour la bienveillante bonté que la chambre a mise à l'écouter.
Mais mon opinion est si vive, mes impressions si fortes à l'endroit des mauvais fruits que peut produire, pour le pays, le rétrécissement, l'affaiblissement de sa représentation à l'extérieur, que j'aurais cru manquer à tous mes devoirs de loyal député, si je n'avais pas exprimé sans détour les craintes sérieuses qui m'agitent.
Je le répète, j'y vois un grand danger pour notre importance politique et commerciale, et comme il m'est impossible de concourir par mon vote à la décomposition d'une des branches les plus importantes de notre organisation politique, comme les motifs sur lesquels on s'appuie pour les provoquer ne me paraissent pas justifiés, que loin d'y voir une compensation réelle, je tremble qu'il n'en résulte un détriment sérieux pour la prospérité du pays ; mais comme je n'ai, dans cette occasion, nulle envie d'émettre un vote hostile au cabinet, que je rends, d'ailleurs, un hommage sincère à la loyauté, aux intentions excellentes de M. le ministre des affaires étrangères; tout en ne pouvant approuver son système, je m'abstiendrai de voter sur le budget tel qu'il vous est présenté par le gouvernement et tel qu'il est amendé par la section centrale.
M. de Pouhon. - Messieurs, je sens le besoin de vous faire connaître le sentiment qui dictera mes votes sur les budgets de dépenses. Comme mes motifs sont dans le système des économies adoptées par le gouvernement et qu'ils se rapportent aux budgets de tous les ministères, je vous demande, messieurs, de vouloir bien me permettre de les traiter en général, avant d'aborder spécialement le budget des affaires étrangères et de la marine.
L'économie est une vertu de tous les temps ; elle est surtout commandée à ceux qui gèrent la fortune de l'Etat lorsqu'elle se présente comme une nécessité pour équilibrer les budgets des dépenses et des recettes.
Il est toutefois un besoin plus élevé que celui des économies ; c'est le devoir qu'imposent l'équité et la justice; c'est celui de remplir loyalement toutes les obligations qui dérivent des droits légitimement acquis.
A mes yeux, il y a contrat, au moins tacite, entre l'Etat et les fonctionnaires appelés à le servir, dès leur entrée dans la carrière. Ceux-ci lui consacrent leur aptitude, leur existence à l'exclusion de toute autre occupation propre à assurer leur avenir. L'Etat, de son côté, s'engage à rémunérer ces services dans une proportion juste et convenable, et à les garantir contre le besoin lorsque l'âge ou les infirmités les auront rendus incapables.
Si des économies ne se présentent qu'au prix d'une grande perturbation dans des existences qui étaient autorisées à s'en croire à l'abri, rejetez-les, messieurs, et élevez vos recettes pour établir la balance dans vos budgets.
Le ministère nous propose de notables réductions dans les dépenses de l'Etat. Je voudrais pouvoir l'en louer sans réserve, car c'est une tâche bien pénible que de consacrer des réformes qui ne peuvent être obtenues qu'en froissant de nombreux intérêt, la plupart dignes de votre sollicitude.
Cette résolution présentait un écueil dans la limite au-delà de laquelle l'économie cesse d’être juste et un bon calcul.
Le gouvernement a-t-il su l'éviter? Le désir de satisfaire à des exigences si généralement exprimées dans le pays et dans cette enceinte, ne va-t-il pas porté à exagérer l'application de son système? La difficulté était grande, je le reconnais, et il ne l'a pas vaincue. Je le remercie néanmoins de ses efforts, mais je voterai contre toutes les réductions qui ne me paraîtront ni sages ni équitables.
(page 133) La bonne économie, suivant moi, consiste à supprimer les institutions parasites s'il en existe; à réformer celles qui sont susceptibles de simplification ; à restreindre ou retrancher des dépenses qui n'ont pas une utilité équivalente; à réduire le nombre des fonctionnaires au fur et à mesure des extinctions par démission ou décès; à prévenir certains cumuls.
Le ministère a voulu consacrer plusieurs de ces réformes, mais dans son impatiente ardeur à présenter immédiatement un gros chiffre d'économies, il a franchi les bornes du juste et de l'utile. Il n'a pas craint d'adopter un système dont le premier effet est de répandre l'inquiétude et la désolation dans des milliers de familles toutes menacées dans leur chef.
Il n'est pas d'employé de l'Etat qui ne se demande aujourd'hui à quel titre il sera voué à ce génie économique qui s'est emparé du public. Payera-t-il son tribut immédiatement par une réduction de traitement, par une mise à la retraite ou en disponibilité? Où ne sera-t-il atteint que dans ses vieux jours par une réduction de sa pension ou par un surcroît de 5 ans de travail ?
Je vous l'avoue, messieurs, je redoute davantage la désaffection que ce système répand dans 7 à 8,000 familles, que les inconvénients de ne pas satisfaire en entier la clameur publique. L'opinion a été faussée par les exagérations toujours trop facilement accueillies et auxquelles l'envie, qui a tant de prise dans un petit pays, et l'action des partis extraconstitutionnels ne sont pas étrangères.
L'injustice aigrit ses victimes, tandis que l'opinion publique revient de ses erreurs ; en l'éclairant on la ramène aux sentiments du vrai et de l'équité. Ne laissons pas consommer l'holocauste offerte par le ministère et parlons à la raison publique par laquelle s'épurera l'opinion publique.
Il s'est introduit des abus dans la distribution des emplois, dans la liquidation de quelques pensions, dans des mises en disponibilité et en retraite prématurées. Il y a eu aussi des abus dans certaines promotions militaires et civiles. Cherchons, messieurs, le moyen d'en prévenir le retour, mais évitons, je vous en conjure, que le désir de corriger le mal consommé ne nous entraine à en faire pâtir des fonctionnaires qui en sont innocents. Evitons de désorganiser les services publics, craignons surtout de porter atteinte à des droits légitimement acquis.
Celui qui entre dans les administrations publiques renonce par le fait aux illusions de la fortune ; le plus grand nombre débutent dans les emplois infimes, beaucoup n'en sortent pas. Ceux qui se sentent de l'intelligence et de la bonne volonté au travail, voient la perspective d'atteindre au bout de leur carrière un grade dans lequel ils trouveront une honnête aisance et pour leurs vieux jours une pension qui les mettra à l'abri du besoin.
L'employé compte chaque pas qu'il fait dans sa voie et chaque année qui rapproche ses droits à un avancement. Ces calculs forment tout le sujet de ses préoccupations personnelles.
Daignez-vous représenter, messieurs, l'effet que doit produire sur ces fonctionnaires une mesure qui les surprend après 10, 15, 20 ans de service, pour avertir les plus élevés que leur traitement sera réduit, et tous, petits et grands, qu'ils doivent ajourner de 5 ans leurs rêves de repos.
Ne sont-ils pas autorisés à trouver injuste que l'on change ainsi les conditions sous lesquelles ils sont entrés dans la carrière, et alors que n'étant plus aptes à en embrasser une autre, ils ne peuvent que se soumettre?
Je le reconnais ; l'engagement de l'Etat vis-à-vis de ces fonctionnaires n'est que tacite et moral ; ils n'ont pas, comme les pensionnaires, un titre formel à opposer; mais on n'empêchera pas de se croire victimes d'une violation de droit, ceux qui ont rempli fidèlement leurs devoirs. Quant à moi, je serai de leur avis, et je dirai que si le gouvernement use à leur égard de son droit rigoureux, il fera un très mauvais calcul.
En effet, messieurs, faire subir à des fonctionnaires, qui sont en jouissance depuis nombre d'années d'un traitement sur lequel ils ont réglé leur manière de vivre, des réductions qui en commanderaient dans l'économie de leur ménage, c'est le moyen de les décourager, de les aigrir, c'est en faire de très mauvais serviteurs de l'Etat. Ils vous reprendront en travail, en idées utiles, plus que vous ne leur aurez retenu en salaires. A leurs yeux, ce sera une compensation très légitime, ce sera peut-être une revanche de votre injustice.
Les arguments que je fais valoir s'appliquent au budget de tous les ministères; mais je me réserve de démontrer, lors de la discussion du j budget des finances, que ces considérations, indépendamment de la question d'équité, pourront exercer une fâcheuse influence sur les recettes de l'Etat.
J'aborde maintenant l'examen du budget des affaires étrangères.
Les traitements diplomatiques sont depuis longtemps en butte aux attaques les moins raisonnables et indiqués quand même aux rognures économiques. Aussi le gouvernement n'y est-il pas allé de main morte. Cela ne m'empêchera pas de blâmer et de voter contre plusieurs réductions.
Je parlerai plus particulièrement des légations de Paris, Londres et Berlin, parce que je me rends mieux compte de l'importance de ces postes.
Les agents belges à l'étranger ont la mission de suivre les rapports de leur gouvernement avec ceux près desquels ils sont accrédités, de veiller au dehors sur les intérêts politiques et commerciaux du pays, d'éclairer sur le développement des débouchés offerts à nos produits, de leur faciliter les conditions les plus favorables d'admission sur le marché, de faire valoir les avantages de notre organisation industrielle, de protéger les citoyens belges soit pendant leur séjour, soit dans leurs relations ou leurs intérêts.
Je pense que si ces agents se bornaient à des relations officielles avec les gouvernements, ils seraient peu au courant de leurs intentions. Des visites renouvelées deviendraient sans effet et importunes. La plupart des questions à traiter dépendent des chefs des administrations qui rassortissent aux départements ministériels. N'est-il pas utile que nos envoyés aient de fréquentes occasions de les rencontrer, de se les rendre favorables? Les relations sociales qui sont d'un si grand secours aux agents diplomatiques entraînent des obligations coûteuses ; ne pas les remplir, c'est se condamner à l'isolement et à l'impuissance de bien servir le pays.
La Belgique a eu à Paris deux agents à qui leur fortune permettait de la représenter utilement et noblement. Notre honorable collègue M. le comte Le Hon ne vous dira pas combien lui et son digne successeur ont facilité les rapports dans des circonstances importantes, entre la France et la Belgique, et combien ils aplanissaient à nos compatriotes, industriels, propriétaires, négociants, artistes et littérateurs, les difficultés d'atteindre le but qui les amenait à Paris; mais aujourd'hui que sa position personnelle n'exige plus l'abstention, il pourra sans craindre de vouloir paraîtra exalter des services rendus, en dire assez pour vous détourner, dans l'intérêt de la chose publique, de tenter l'expérience d'un traitement de 25,000 fr. pour nos ministres plénipotentiaires.
La légation de Londres est occupée par un homme qui servirait son pays gratuitement. Il ne résignera pas ses fonctions parce qu'elles ne seront plus rétribuées qu'à raison de 40,000 fr. Mais qui prétendrait que cette somme suffise dans un pays où les exigences des positions officielles sont si grandes? Qui contestera l'immense intérêt qu'il y a pour la Belgique, surtout depuis la révolution de février, à être représentée en Angleterre par un ministre qui y jouit d'une considération acquise dans toutes les classes de la société par son rare talent et son caractère, qui a une longue expérience des moyens d'influence à employer et de la politique du pays, expérience qui l'a mis à même de contribuer, avec d'autres causes puissantes, à nous poser fortement et à nous rendre des services éminents dans des circonstances passées et toutes récentes.
Dans le Royaume-Uni, le pouvoir est principalement le partage de la haute aristocratie. Pour entretenir avec elle des relations faciles, il faut, dans une certaine mesure, se prêter à ses usages, et vos 40,000. fr. sont insuffisants pour cela. Vous ne voudriez pas toujours exiger des sacrifices personnels de la part de ceux qui vous servent. Dès l'instant que l'intervention du titulaire est reconnue hautement utile au pays par sa capacité et sa valeur, le pays doit la rétribuer convenablement et ne pas ouvrir en quelque sorte un concours au rabais par un appel aux médiocrités et aux satisfactions de l'amour-propre, on imposer la résignation aux titulaires actuels.
Ces réflexions s'appliquent d'une manière relative à Paris, Vienne et Berlin. Ce dernier poste est occupé par un homme d'un mérite incontestable ; tous nos compatriotes qui ont visité la capitale de la Prusse s'empressent, sans distinction d'opinion, de reconnaître et de proclamer que le représentant de la Belgique a posé le nom belge on ne peut plus honorablement dans cette partie prédominante de l'Allemagne, dont les sympathies nous intéressent à un haut degré. N'est-ce rien, messieurs, que d'avoir ajouté un nouveau lustre à celui que nous donne notre admirable altitude, par l'adhésion spontanée qui éclate pour nos institutions, par le penchant qui porte les peuples et les gouvernements à se les approprier? C'est que l'expérience leur est acquise depuis les événements de février; c'est que nous avons eu à l'étranger des hommes qui, ayant concouru à l'œuvre de notre indépendance, ont su faire valoir la solidité des bases sur lesquelles elle a été assise, l'intelligence du pays et de la couronne dans le fractionnement de nos libertés; c'est que ces hommes ont pu aider les personnages politiques des nouveaux pays constitutionnels de leurs conseils, de leur expérience, en sachant se tenir en dehors des partis, comme il convient à un diplomate étranger qui n'a en vue que les intérêts confiés à son patriotisme et à sa sagesse.
Et croyez-vous, messieurs, que les services dus à cette valeur personnelle soient stériles pour la Belgique, pour ses intérêts industriels et commerciaux, à une époque peu éloignée de l'expiration du traité de 1844, dans un moment où il lui importe si éminemment encore de pouvoir, dans des éventualités politiques, tirer parti de ce qu'elle a su être? - Ne perdons pas de vue cette considération, à mon avis majeure : L'imprévu a le plus grand rôle dans la tourmente que nous traversons, et que nous avons le bonheur, nous, de traverser au milieu du plus grand calme. - Nul ne peut, à l'heure qu'il est, asseoir des idées exactes sur l'avenir; mais toujours est-il qu'un grand travail s'opère, que des centralisations peuvent donner une nouvelle face à l'Europe où ces questions n'ont plus été agitées depuis 33 ans. - Ne convient-il pas d'agir dans un sage esprit de prévision? N'est-ce pas dangereux d'abord d'amoindrir ou de désorganiser notre représentation à l'étranger? J'en appelle à votre patriotisme, messieurs, avant le vote des divers articles des budgets.
Je me montre très opposé aux réductions qui doivent atteindre les positions acquises. - On dira peut-être que je fais bon marché des intérêts des contribuables et surtout des petits contribuables. - A cet égard, messieurs, je me permettrai de vous dire toute ma pensée. A côté du besoin des économies, se place aussi pour le pays le besoin (page 134) d'une bonne administration ; d'une armée pour défendre sa neutralité et l'ordre public; d'une diplomatie pour veiller au dehors à ses intérêts politiques et commerciaux ; d'une petite marine pour protéger la pêche et encourager les entreprises, trop rares malheureusement, que quelques-uns de nos négociants tentent dans les parages lointains. Le pays a besoin de soutenir l'éclat des cultes, et la considération de notre belle magistrature, cette arrière-garde des libertés d'une nation.
Ces besoins sont ceux de tous les citoyens, riches et pauvres.
C'est au nom de ces derniers que l'on réclame des économies exagérées. Ce sont ceux-là, messieurs, ce sont les contribuables pauvres qui ont le moins d'intérêt à les désirer.
Je vous parlerai des plus pauvres, des prolétaires. Veuillez croire, messieurs, que j'éprouve pour eux d'aussi vives sympathies que les plus fervents promoteurs d'économies. Et ce n'est pas une protestation banale de ma part, car je ne croirai pas que la société fasse assez pour les classes pauvres aussi longtemps qu'un refuge et une nourriture saine ne seront pas assurés à ceux atteints d'infirmités, de maladie et de vieillesse. Ce vœu n'est pas un rêve irréalisable, et si j'avais assez de consistance parmi vous, messieurs, je ferais la proposition formelle d'imposer aux communes l'entretien des catégories de pauvres que je viens d'indiquer et d'y faire face au moyen d'un impôt sur le revenu présumé.
Pour en revenir à mon sujet, je dirai que les plus pauvres contribuables ne payent pas d'impôts directs, et s'ils en payent, c'est un abus qu'il faut redresser. Ils contribuent aux charges publiques par l'impôt indirect; mais, messieurs, dans les économies que le ministère est parvenu à réunir, et qui, quoique trop radicales, ne donnent pas, à beaucoup près, un franc par membre de la population, à combien de centimes estimez-vous la part d'économies des plus pauvres contribuables ? Il faudrait peut-être descendre à la division du centime pour l'exprimer.
La part du pauvre est plus saisissable dans le fâcheux effet du système des économies; il est le plus intéressé à ce qu'il ne soit point adopté. Le plus petit traitement laisse dans notre pays de moralité une part pour la bienfaisance; réduire le traitement, c'est retrancher cette part, c'est peut-être faire un pauvre de plus.
Diminuerez-vous les gros traitements? le dommage n'est pas moindre. Les rognures opérées sur l'épiscopat comme sur le clergé inférieur sont généralement, je le crois, des rognures sur le budget des pauvres. Frapperez-vous les chefs d'administration, les membres de la magistrature? Mais ceux-ci en prendront prétexte, si ce n'est un motif, pour renvoyer un domestique, pour ne plus souscrire à des actes de bienfaisance, pour réduire leurs dépenses de luxe.
La classe des petits commerçants et industriels, sur laquelle l'impôt pèse le plus durement, a le plus grand intérêt à ce que les consommations, la circulation et le mouvement régulier des affaires ne se ralentissent point. Des discours comme j'en ai déjà entendu ici depuis le peu de temps que j'ai l'honneur d'y siéger, sur la détresse de l'industrie et des artisans ont plus de mal à cette classe de contribuables que l'allégement que vous pourrez apporter à leurs charges ne leur fera de bien. Les circonstances politiques, celles du dehors seulement, grâce à Dieu, ne paralysent que trop les capitaux. Ce n'est pas le moyen de les ramener, de les faire rentrer dans la circulation, que d'étaler les misères publiques, de représenter nos industries aux abois et les populations pauvres prêtes à s’insurger.
Je me résume, messieurs, et en appliquant mes observations à tous les ministères, je dirai au gouvernement: Attachez-vous à simplifier les divers rouages de l'administration publique ; concentrez son action ; diminuez s'il est possible le nombre des emplois en rétribuant efficacement ceux à qui ils sont confiés en proportion de leur travail ; supprimez les sinécures, le personnel des états-majors d'administration qui amènent des conflits d'amour-propre et nuisent à la prompte expédition des affaires; que la solution des questions à résoudre, des points à décider ne dépende plus d'une interminable correspondance qui a souvent lieu dans le même département, dans le même local, d'une division à l'autre et de la division à qui elle aboutit au cabinet du ministre, sans compter les nombreuses lettres dont elle est l'objet depuis le directeur de province jusqu'à l'inspecteur, au contrôleur et au receveur à qui on en réfère tour à tour ; évitez les écritures inutiles qui ne tendent qu'à embrouiller et souvent à fausser la vérité ; simplifiez les moyens de perception et de contrôle en excitant, par l'amélioration de position, le zèle des agents percepteurs ; diminuez en un mot, le nombre de vos délégués pour les mieux indemniser et en exiger une plus grande somme de travail. Pour arriver à ces résultats, abstenez-vous de nommer aux emplois devenus et qui deviendront vacants par décès ou par retraite; suivez le même système dans l'armée, et surtout ne vous laissez plus aller à des promotions inutiles dans les grades supérieurs.
Quanta la magistrature, là où il vous sera démontré, soit dans le personnel de la cour de cassation, des cours d'appel et des tribunaux qu'il y a exubérance comparativement aux besoins des services, faites ajourner les présentations ou gardez-vous de nommer jusqu'à ce que vous puissiez préparer des modifications aux lois organiques.
C'est parce que j'ai une entière confiance dans le ministère, que je me borne à lui exposer ces vues, persuadé qu'animé, comme il est, du désir d'alléger les charges publiques, il saura concilier cette nécessité avec les nécessités que réclame une bonne administration du pays.
M. Schumacher. - Messieurs, il y a deux manières de balancer les budgets de l'Etat. L'une consiste à réduire les dépenses pour ne point dépasser les recettes. L'autre à élever les recettes à la hauteur des dépenses. Cette dernière est la plus logique; les dépenses, lorsqu'elles sont reconnues nécessaires, devant être soldées.
La réduction dans les dépenses est le système adopté par le gouvernement, il paraît être celui vers lequel incline la chambre; reste à examiner si les réductions que le gouvernement propose sont des économies sagement calculées.
En même temps il y a lieu de se demander si l'impôt, sur les bases actuelles, produit tout ce qu'il devrait produire, et s'il n'y aurait aucune mesure à prendre pour accroître le revenu public, sans faire peser de nouvelles charges sur le contribuable ?
Le budget des affaires étrangères présente en première ligne une réduction entre autres de fr. 195,800, pris sur le personnel de la diplomatie. Cette réduction est-elle une économie sagement calculée? Je ne crois pas que l'on puisse la considérer ainsi. - La question qui se présente est celle-ci.
Est-il de l'intérêt du pays d'avoir une forte et intelligente représentation au dehors?
L'on ne peut contester que cet intérêt soit évident. Il importe à la Belgique, ce pays si éminemment industriel et commercial, d'avoir à l'étranger des agents qui la représentent dignement.
Mettre de la parcimonie dans les rétributions qu'on alloue, c'est écarter les hommes capables.
Exiger que l'on épouse les intérêts du pays, tandis qu'on lèse les intérêts privés, c'est faire un faux calcul. Avant tout l'on doit pouvoir vivre honorablement.
Les intérêts du pays étant mal représentés, il ne peut en résulter que préjudice, et les quelques mille francs économisés mal à propos, seront cause d'inévitables pertes là n'est pas une économie.
Pour ce qui concerne les fonctionnaires à l'intérieur du pays, je ne puis également admettre que des économies opérées par des suppressions d'emploi soient sagement calculées.
Remplacer les traitements actifs par des traitements d'attente, c'est donner de l'argent en pure perte, au lieu d'en donner en échange de services journalièrement rendus.
S'il y a un trop grand nombre d'employés, ce qui n'est pas encore prouvé, il dépend des ministres et des chefs de service de donner une besogne utile, qui maintiendra le zèle dans l'administration, et développera la capacité de tous : mieux cela, que de grossir le nombre des désœuvrés.
Réduire les traitements, c'est toucher à des droits acquis, c'est bien souvent méconnaître des services rendus, détruire des carrières, augmenter le nombre des mécontents. Ce n'est pas là non plus (que nous trouverons la véritable intelligente économie. Ce n'est pas ainsi que nous améliorerons le sort des contribuables, que nous élèverons le bien-être du pays.
Le fonctionnaire qui se trouve privé d'une partie de son traitement doit à son tour imposer des privations. Comme conséquence inévitable, j'aperçois le découragement et la misère.
Et rien ne tarit autant les sources des revenus de l'Etat que la misère des particuliers.
D'année en année l'impôt produira moins. En 1850 on trouvera plus de difficulté à balancer les budgets qu'en 1849.
Pour 1851, la difficulté sera plus grande encore, et ainsi de suite. Si chaque année c'est le traitement du fonctionnaire qui doit combler le déficit, où cela nous conduira-t-il?
Est-on venu nous dire que nos employés sont plus nombreux ou sont mieux payés que dans les Etats voisins? On n'allègue rien de pareil. Chez nous, les ministres ont 21,000 fr.; tous les employés des administrations ont des émoluments calculés sur cette base.
En bonne comptabilité lorsqu'il y a insuffisance de revenu, il faut se créer des ressources nouvelles. L'on ne peut appeler une réduction de traitement une ressource, par deux raisons :
La première, c'est que l'on ne peut annuellement y recourir.
La seconde raison, parce que toute réduction de traitement correspondra presque inévitablement à une réduction de revenu pour l'Etat.
En prenant l'ensemble des budgets des dépenses de l'exercice actuel, et en calculant les charges par tête d'habitant, soit en divisant les 118,600,000 de francs, somme à laquelle s'élèveront nos dépenses ordinaires en 1848, par 4,400,000, nombre approximatif des habitants, l'on obtient par tête le chiffre de 26 fr. 96 c.
En faisant le même calcul pour l'exercice prochain, l'on obtient 25 fr. 99 c, ou 7, 12/00 de centime par jour, égal à une réduction de 97 c. pour l'année.
Ce résultat, en apparence satisfaisant, l'est-il en réalité ? Il est vrai que l'on pourra dire qu'il y a équilibre entre les dépenses et les recettes, et que l'on marche à la tête des gouvernements à bon marche.
Mais cela suffit-il ?
La question que je me fais est celle-ci :
Le contribuable se trouvera-t-il dans la position de payer plus facilement les 25-99 .me les 26-90?
Je ne le pense point; par la raison que c'est la misère qui de toute part a fait crier à l'économie, et que nulle part je ne vois prendre de mesures vraiment grandes, larges et efficaces, pour faire disparaître cette misère. Bien au contraire, l'on en propose qui opéreront en sens inverse.
Pour moi les gouvernements à bon marché ne sont pas ceux dont le (page 135) budget des dépenses, réparti par tête d'habitants, présente le chiffre le plus minime.
Les gouvernements à bon marché sont à mes yeux ceux, qui en retour de ce que paye le contribuable, donnent au pays le plus de sécurité, aux personnes le plus de garantie à l'ordre public, l'éducation la plus parfaite et autant que possible gratuite, le plus de voies de communication utiles, le plus de moyens de développer le travail, tout en procurant le plus de débouchés possible à ses produits.
Personne en Belgique ne trouverait le gouvernement trop cher, si le chiffre de l'impôt de 25-99 était porté à 30 francs et plus, si en même temps l'on donnait plus d'aisance et de facilité pour payer la quote-part de l'impôt.
Le gouvernement anglais, dont le budget des dépenses, réparti par tête, présente près de 52 francs, est moins cher que le gouvernement espagnol, qui n'atteint pas à plus de 20 francs. Et, en effet, il emploie les 52 francs avec intelligence, de manière à faire jouir le contribuable d'une aisance et d'une prospérité qui rendent facile à chacun le payement de sa quote-part de l'impôt, tandis que le gouvernement espagnol ne sait pas même payer l'intérêt de sa dette.
C'est en procurant l'aisance au moyen du travail qu'il y aura accroissement de l'impôt, et que l'on trouvera l'équilibre dans les budgets. Ce moyen est sûr. Le moyen des économies ne l'est pas, car les économies réduisent le capital circulant, c'est-à-dire l'activité des affaires, et enlèvent au pays les moyens nécessaires pour se développer.
Dans mon système je n'entends nullement faire peser de nouvelles charges sur le contribuable, j'entends lui donner l'aisance au moyen du travail, et au moyen de l'aisance lui rendre facile le payement de 1 impôt.
Je veux prendre comme exemple ce qu'il y aurait d'utile à faire pour l'ouvrier des Flandres.
Que l'on adopte une mesure qui ait pour résultat de procurer à cet ouvrier un salaire d'un franc a un franc cinquante centimes par jour (ce qui n'est pas très difficile), cet individu, auquel le pays doit aujourd'hui venir en aide, deviendra contribuable et payera journellement sa quote-part de 1 à 2 centimes à l'impôt. Plus le salaire s'élèvera plus, il payera.
Que l'on opère ainsi dans le pays entier, que par des mesures intelligentes on développe le travail, et l'on verra les recettes, sans peser lourdement sur le contribuable, s'élever de manière à porter la Belgique à un haut degré de prospérité.
Messieurs, la Belgique a une situation géographique admirable, un fleuve majestueux, et un port de premier ordre. Son sol est riche au-dessus et en dessous, et elle possède aussi une population nombreuse, intelligente, laborieuse et économe.
Avec de tels éléments, si l'on savait en tirer parti, le pays devrait se trouver dans une prospérité constante; mais au lieu d'en tirer parti l'on gémit sur ses richesses, l'on se plaint d'avoir une population trop nombreuse.
Ce qui fait la richesse du pays n'est plus qu'un embarras. Des bras nombreux pour un pays sont une richesse, lorsque l'on sait les employer utilement.
Toute la question de la prospérité de la Belgique est là : dans un emploi utile de tous tes bras. Alors l'aisance sera générale, et les coffres de l'Etat se rempliront sans efforts.
Le sol de la Belgique, année commune, ne produit plus assez pour nourrir ses habitants. Nous devons aller au-dehors chercher le surplus de nos besoins. De là un déficit qui s'accroît tous les jours, et de là aussi les progrès du paupérisme. Pour parer au déficit, et à ses fâcheuses conséquences, il faut produire, il faut battre monnaie avec le travail, afin de payer les denrées dont le pays a besoin.
Une ruche cherche son miel au-dehors; un pays populeux et éclairé doit chercher ses richesses à l'étranger.
Chaque ouvrier doit contribuer, suivant la mesure de ses facultés, à soutirer de l'étranger le suc dont le pays a besoin pour subsister. C'est par conséquent la mesure des facultés de l'ouvrier que nous devons nous efforcer d'accroître.
Si chaque ouvrier, présentement inactif, pouvait mettre l'étranger à contribution, ne fût-ce que pour une valeur de 50 à 100 fr., quelle aisance le pays n'en retirerait-il pas !
L'ouvrier vivant bien fait vivre à son tour le boulanger, le boucher, le brasseur, et tous les autres fournisseurs, qui à leur tour font vivre le cultivateur et le fermier ; ceux-ci font vivre le propriétaire. Tout le monde trouvant à vivre, l'impôt, sans froisser personne, produirait largement et se payerait avec facilité.
Pour arriver à cet état d'aisance et de prospérité, plusieurs mesures sont à prendre.
Il manque au commerce et à l'industrie belge, une direction forte et intelligente, entourée des lumières nécessaires pour tirer tout le parti que présentent ces deux branches vitales de la prospérité publique. Nous devons d'abord créer cette direction.
Une seconde mesure urgente et utile tout à la fois, c'est la révision du tarif des douanes; non pas dans le but d'ajouter de nouveaux droits protecteurs à ceux qui existent déjà, mais bien pour faire disparaître toutes les protections exagérées qui n'ont d'autre résultat que de faire obstacle au progrès, en paralysant l'intelligence, et de placer le pays dans un état d'infériorité relative à l'égard de ses voisins.
Le pays mis en position de produire à aussi bon marché que ses voisins, reste son éducation à faire, pour ce qu'il doit produire. Pour arriver à ce but, je conseille une troisième mesure : celle qui consisterait dans la création, pour quelque temps, d'un intermédiaire intelligent entre les producteurs et les consommateurs étrangers, indiquant aux uns les besoins des autres et facilitant l'écoulement des produits.
Le monde est grand, et la Belgique est petite, et le nombre de ses ouvriers est bien petit en le mettant en parallèle avec le nombre des consommateurs étrangers.
La Chine, les Indes britanniques et leurs dépendances, l'archipel Malais, les Philippines, Siam, la Cochinchine, les colonies hollandaises, la côte occidentale de l'Amérique, le Mexique, le Brésil, la Colombie, les Etats-Unis sont autant de contrées ouvertes au commerce belge.
L'ensemble de leurs populations présente pour le moins le chiffre de 430,000,000 d'habitants.
Et la Belgique n'a pas quatre cent cinquante mille ouvriers inactifs.
Entrer dans la voie que j'indique, ce ne sera, messieurs, que suivre l'exemple de l'Angleterre, qui n'est parvenue à son immense richesse, et à la grande prospérité dont elle jouit, qu'en protégeant et en développant le travail, et en utilisant les bras au profil du pays.
Point de prodigalités, point de dépenses inutiles, accroissement de richesse au moyen du travail. C'est ainsi que l'on parviendra, sans pressurer le contribuable, à balancer les budgets.
Le personnel de la diplomatie, convenablement rétribué, pourra continuer à représenter dignement la Belgique au dehors.
La marine militaire belge pourra encore venir en aide au commerce et faire respecter le pavillon national dans de lointains parages.
Et finalement, je demande que le fonctionnaire puisse en toute sécurité donner à l'Etat son travail, et qu'il sache bien, qu'au lieu de payer par l'oubli et l'ingratitude le temps qu'on lui a consacré, le gouvernement est assez riche pour récompenser largement les services qu'on lui rend.
M. Cans. - Je n'ai pas la prétention de suivre un honorable préopinant dans les considérations qu'il a fait valoir avec tant de talent en faveur de la diplomatie ; je me bornerai à dire que je les crois plus applicables à une puissance de premier rang qu'à notre pays. Chacun doit mesurer ses efforts à ses moyens, et si je ne craignais d'être trivial, je citerais un apologue que vous savez tous. M. le ministre, en commençant cette discussion, a émis l'opinion que l'intérêt du pays réclamait la nomination d'agents diplomatiques d'un rang élevé. Il ne serait pas difficile d'invoquer, dans un sens opposé, des autorités très respectables.
Un auteur célèbre qui a été ambassadeur et ministre des affaires étrangères, M. de Chateaubriand, écrivait, il y a déjà quelques années : « Que le temps des ambassadeurs était passé et celui des consulats revenu, conséquemment que les ambassadeurs devaient être diminués de nombre et les consuls multipliés et mieux payés.»
Je laisse à ceux qui s'occupent de politique générale et de diplomatie, le soin d'apprécier jusqu'à quel point ce conseil de M. de Chateaubriand pouvait ou devait être mis en pratique par la France et les autres puissances de l'Europe, et quels résultats auraient suivi son adoption; mais il me semble que ce système est surtout, et d'une manière très particulière, applicable à la Belgique.
Notre position vis-à-vis de l'Europe doit être envisagée sous deux points de vue différents. D'abord pendant la période qui s'est écoulée depuis notre révolution jusqu'en 1839; puis de cette dernière époque, jusqu'à ce jour.
Je conçois sans difficulté que, pendant la première période, pour parvenir à assurer notre indépendance complète et à nous faire admettre dans la grande famille des peuples de I Europe, nous ayons dû recourir à la diplomatie et employer des diplomates, comme le font les autres nations. Du moment où nous avions fait un pas dans la voie des médiations, des conférences et des protocoles, nous devions subir toutes les nécessités, toutes les conséquences de notre nouvelle position et, d'ailleurs, le maintien de la paix générale valait bien quelques sacrifices. La première époque de notre histoire politique justifie donc les sommes allouées pour notre diplomatie.
Mais, lorsque le traité conclu avec les Pays-Bas eut reçu, en 1839, une solution définitive, la Belgique, dont la neutralité était proclamée et reconnue, n'avait plus besoin d'entretenir, à grands frais, près des puissances étrangères, des agents purement publics. Dès ce moment nos missions auraient dû avoir principalement pour objet l'étude des moyens propres à étendre nos rapports commerciaux et à procurer à notre industrie, par des débouchés nouveaux, tout le développement dont elle est susceptible; elles auraient dû revêtir un autre caractère afin que nos représentants à l'étranger fussent bien pénétrés de la nécessité de se mettre en rapport immédiat avec les commerçants et les industriels; ce qui, il faut le dire, n'a pas toujours été compris.
Il eût donc été à désirer que l'adjonction de la division du commerce au ministère des affaires étrangères, qui ne date que de 1845, eût eu lieu dès 1840, et pour indiquer d'une manière plus spéciale l'impulsion nouvelle à donner dès lors à notre diplomatie, ce ministère aurait pu prendre le nom de ministère des affaires étrangères et du commerce.
Ce double titre aurait été un avertissement à tous les employés de ce ministère que ces deux branches des services publics ont une connexion (page 136) intime, et que l'un n'est qu'un moyen, tandis que l'autre doit être le but direct et immédiat de notre diplomatie. Cette réunion du mot « commerce » à ceux « affaires étrangères » rappellerait à nos agents que pour nous, notion neutre, la diplomatie et les relations extérieures sont, avant tout, le moyen de nous mettre en rapport avec les autres peuples, afin de connaître leurs besoins, leurs goûts, les débouchés qu'ils peuvent nous offrir, les échanges qu'ils peuvent nous proposer, en même temps que nous porterions à leur connaissance les ressources que nous possédons, les moyens que nous avons de satisfaire à leurs demandes et les produits que nous pouvons donner en retour de ceux que nous leur achèterons.
Qu'il y ait nécessité de donner à notre diplomatie une direction plus commerciale, c'est ce qui résulte des observations de plusieurs sections.
Ces idées, émises il y a quelques années, n'auraient peut-être pas trouvé d'écho: on les traitera sans doute encore d'utopies, d'impossibilités: cependant elles se sont fait jour et, le besoin des économies aidant, il est possible qu'elles portent fruit. A parties circonstances politiques où se trouve l'Europe, circonstances assez graves pour nous défendre de modifier en ce moment l'état de nos légations dans les pays voisins, la Belgique serait partout suffisamment et convenablement représentée par des chargés d'affaires.
En pareille matière, les exemples valent mieux que les raisonnements. Je citerai donc les Etats-Unis, qui ne nomment pas d'ambassadeurs, mais préfèrent des agents d'un grade inférieur; je citerai encore l'exemple de la Suisse, qui n'a que deux chargés d'affaires, l'un à Vienne et l'autre à Paris et dont toute la diplomatie ne doit guère coûter plus de 30,000 à 40,000 fr. Cependant ce pays sait se faire respecter par toutes les puissances : plusieurs d'entre elles ont des agents accrédités près de la Confédération helvétique, quoique celle-ci, réservant son droit entier sans en user, n'ait pas d'agents diplomatiques près de tous les souverains qui lui envoient des représentants.
La Suisse par sa longue expérience a su comprendre quelle était sa mission au milieu des autres peuples; elle a borné son ambition à accroître sa puissance commerciale et elle est parvenue à étendre ses conquêtes pacifiques sur tout le globe. - La Belgique, dont la neutralité est reconnue comme celle de la Suisse, peut prétendre au même rôle et avec non moins de succès, malgré quelques différences entre les deux pays : il suffit d'adopter, par rapport à nos agents à l'extérieur, les principes qui doivent conduire à ce but.
C'est dans cette voie nouvelle que nous devons désirer voir M. le ministre entrer résolurent. Une partie des réductions effectuées sur la diplomatie pourra être utilement appliquée aux consulats; l'agrandissement de notre commerce extérieur amènera une augmentation du revenu national et, comme conséquence nécessaire, plus de facilités de payer les taxes publiques, ce qui équivaut bien à la réduction des impôts que nous poursuivons de tous nos efforts.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy) présente divers projets de lois : 1° sur la révision des tarifs en matière civile ;
2° sur la révision du tarif criminel de 1811;
3° sur la compétence en matière civile et commerciale ;
4° sur la compétence en matière criminelle ;
5° sur la réduction du personnel de certaines cours et tribunaux.
La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces projets et les renvoie à l'examen des sections.
- La séance est levée à 4 heures 1/4.