(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session extraordinaire 1848)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 17) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à 2 heures.
M. T'Kint de Naeyer. lit le procès-verbal de la séance de vendredi ; la rédaction en est adoptée.
M. de Luesemans présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs entrepreneurs de messageries et loueurs de voitures demandent exemption du payement de l'emprunt sur les chevaux qui servent à leurs exploitations. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs maîtres tonneliers à Anvers demandent l'établissement d'un droit d'octroi sur les objets de tonnellerie fabriqués extra muros ou provenant de l'étranger, qui sont importés dans cette ville. »
- Même renvoi.
« Le sieur Vanderhoost demande l'abolition de l'impôt patente sur les professions ou les industries qui sont d'une utilité générale. »
- Même renvoi.
« La demoiselle Dufour réclame l'intervention de la chambre pour qu'un employé des douanes, qui désire l’épouser, obtienne à cet effet l’autorisation nécessaire. »
- Même renvoi.
« M. Jacques transmet des explications en réponse à la protestation qui a été adressée à la chambre contre l'élection de Marche. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« Par dépêche du 29 juin, M. le ministre des finances transmet à la chambre les explications demandées sur la pétition de l'administration communale de la ville d'Ath, tendant à obtenir le remboursement de ses déboursés et frais de différentes instances qu'elle prétend avoir soutenues pour l'État. »
- Même dépôt.
« Il est fait hommage à la chambre, par M. Jobard, de 110 livraisons de son rapport sur la dernière exposition des produits de l'industrie, nationale. »
- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.
M. Faignart demande un congé.
- Ce congé est accordé.
M. Devaux, admis dans une séance précédente, prête serment.
M. le président. - La discussion générale est ouverte.
M. Lelièvre - Le discours du Trône donne lieu naturellement à l'examen de la politique ministérielle. Le vote de l'adresse est un vote de confiance en faveur du cabinet. Le projet qui vous est soumis renferme l'approbation la plus explicite de sa marche, il lui garantit notre concours sans réserve. Subordonnant le mien à certaines explications catégoriques, je proposerai quelques considérations qui motiveront mon suffrage en cette occurrence. Je prie la chambre de vouloir les écouler avec l'indulgence dont a besoin celui qui, peu versé dans les débats parlementaires, a pour la première fois l'honneur de prendre la parole devant elle.
Le parti catholique a, comme on le sait, pesé longtemps sur les destinées de la Belgique. Ses prétentions sur l'enseignement de l'État, les atteintes portées par lui aux libertés communales, sa marche rétrograde, l'ont fait réprouver généralement. Au lieu de se borner à maintenir les libertés religieuses garanties par notre constitution modèle, il visait à l'absolutisme sous un masque religieux. Dès qu'il s'agissait de quelque mesure restrictive de nos libertés, on était certain de la voir appuyée de son patronage.
Son règne est passé, le» hommes les plus dévoués aux principes catholiques se sont séparés de lui et les dernières élections ont démontré qu'il ne formait plus dans le pays qu'une imperceptible minorité.
L'opinion libérale a pris les rênes du pouvoir; mais sous peine de subir le sort de celle qui l'a précédée, elle doit décidément obéir à la loi du progrès qui en définitive est la loi suprême de l'humanité. Ce progrès doit être signalé par des actes éclatants et non par de vaines paroles.
Dans cette voie nouvelle, il faut à la fois se défendre d'une exagération qui tendrait à anéantir nos institutions et d'un système qui ne serait pas suffisamment progressif, d'une politique qui ne satisferait pas aux justes exigences de l'opinion.
Certains précédents de l'administration actuelle m'ont fait craindre certaine hésitation de sa part à entrer largement dans le progrès. Ainsi la déclaration faite dans cette enceinte qu'on reverrait avec plaisir la chambre telle qu'elle existait avant la dissolution a donné lieu à faire croire que le ministère aurait volontiers adhéré à certaines combinaisons transactionnelles qui eussent favorisé l'élection de quelques membres appartenant au parti vaincu le 8 juin 1847.
D'un autre côté dans plusieurs localités, l'ancien système est resté debout avec toutes ses influences, et même dans notre arrondissement plusieurs nominations postérieures à l'avènement du ministère du 12 août n'ont été ni très heureuses ni très favorablement accueillies. On croyait remarquer de la part de l'administration une marche plus ou moins incertaine, circonstance qui à Namur plaçait l'opinion libérale lors des dernières élections dans une position assez difficile. Aussi, tandis que le ministère s'effaçait dans la lutte, nous ne l'emportions que par l'énergie du jeune libéralisme. C'est à ses efforts persévérants, c'est à son altitude ferme et digne, c'est à la force de ses principes, que l'on doit de ne pas avoir vu arriver à la chambre l'ancienne représentation rétrograde, même renforcée.
À Namur le libéralisme ministériel n'aurait pas même risqué le combat. Pour lui la position des coryphées du parti clérical était inexpugnable. La victoire n'a été remportée que sous la bannière de l'opinion qui veut la Constitution, mais avec ses développements les plus étendus et sincèrement démocratiques.
D'un autre côté, lorsqu'il fut question du retrait des lois réactionnaires et de rétablir nos libertés communales violées par le parti rétrograde, on s'attendait que le cabinet actuel, rentrant nettement dans la vérité des principes, ne voulût pas attribuer au gouvernement la faculté de choisir les bourgmestres en dehors du conseil. Mais il ne proposa qu'un simple palliatif qui, eu égard à l'influence immense qu'exerce sur les députations permanentes des conseils provinciaux le président commissaire du gouvernement, réduisait pour ainsi dire à rien la mesure si énergiquement réclamée par l'opinion.
La réforme électorale ne fut pleinement obtenue qu'à la faveur des événements de France du 24 février. On avait déclaré positivement, quelques jours auparavant, qu'il y avait un point d'arrêt qui ne serait pas dépassé.
Dans la discussion de la loi concernant la réforme parlementaire, le ministère, nous sommes forcé de le dire, adopta des bases moins larges; il se montra moins partisan d'une réformé réelle, sérieuse, radicale que les chefs de l'opinion dite catholique, et encore, ne vit-il la loi adoptée par la chambre des représentants, qu'avec un regret qu'il ne put dissimuler.
Le discours de la Couronne permet-il d'espérer que le cabinet adoptera un système plus tranché, plus décidément progressif ? On est de suite frappé du vague du programme et de sa pâleur. Il est dénué de précision. On nous promet des économies, rien de mieux; le pays les attend avec impatience; mais puisqu'on sollicite un vote de confiance, on voudra bien, j'espère, nous dire-en quoi elles consisteront, quel en sera le chiffre au moins approximatif lors du premier budget, quels articles seront atteints par les réductions.
La loi sur les pensions sera-t-elle immédiatement révisée et le ministère s'engage-l-il à proposer de suite un projet à cet égard?
Les traitements alloués aux agents diplomatiques sont-ils convenablement réduits? Les vœux unanimes du pays réclament énergiquement ces réformes.
Pour opérer des économies efficaces, il faut réduire considérablement tous les budgets sans distinction.
Les économies, du reste, ne sont qu'un vain mot si elles n'atteignent pas les principaux articles des dépenses. Il est donc indispensable que le ministère nous donne à cet égard des explications précises et catégoriques. Lorsqu'on parle d'une manière vague d'économies à introduire, on ne fait qu'énoncer une nécessité sur laquelle tout le monde est d'accord; mais la divergence commence lorsqu'on arrive à l'exécution, lorsqu'il s'agit de la réalisation de la mesure. Nous ne pouvons donc promettre notre concours au ministère avant de connaître la nature et l'importance des économies projetées.
Du reste le chambre aura remarqué qu'on ne nous annonce des économies que successivement.
Or, dans l’état où se trouve le pays, cette promesse n'est pas suffisante. Nous avons besoin d’économies sérieuses, radicales, qui améliorent de suite et d'une manière notable notre position financière. Un changement complet et immédiat est indispensable.
Si nous passons à un autre ordre de choses, l’on a droit de s'étonner que le discours de la couronne garde le silence sur des points (page 18) importants. Il ne dit mot du projet de loi sur l'instruction publique. Or, à cet égard le pays réclame depuis longtemps un enseignement de l'État, sérieux et fortement organisé à tous les degrés, de manière à soutenir la concurrence avec les établissements privés.
Il est aussi indispensable de réviser la loi sur l'instruction primaire, afin que toutes traces de l'intervention à titre d'autorité des ministres des cultes dans les écoles du gouvernement disparaissent de nos lois.
Enfin des mesures sauvegardant la liberté individuelle, la fortune et l'honneur des citoyens qui ne doivent plus être laissés à la merci d'un juge d'instruction, sont devenues une nécessité qui ne peut plus se faire attendre.
Les considérations que je viens de présenter démontrent que le projet d'adresse, tel qu'il est conçu, ne peut recevoir mon approbation. Des généralités sans aucun caractère de précision ne sauraient satisfaire le pays, qui a besoin de connaître d'une manière exacte les vues de ceux qui président à ses destinées. Il lui tarde aussi de s'assurer que les améliorations qu'on lui promet ne sont pas un leurre, et qu'une ère nouvelle s'ouvre enfin pour lui.
Il reste un dernier point sur lequel je dois faire une interpellation à M. le ministre de la justice. Tout récemment a paru un arrêté ordonnant l'expulsion d'un sieur Deleau, rédacteur du journal l'Avenir à Charleroy, établi depuis plusieurs années en Belgique, ayant épousé une femme belge, ayant des enfants nés sur notre sol.
L'arrêté a d'abord, à mon avis, un tort réel : celui de ne pas être motivé. Des mesures de cette espèce, odieuses par leur nature, ont besoin de considérations spéciales et extraordinaires que les justifient aux yeux de l'opinion publique. Se dispenser de déduire des motifs, c'est donner lieu à croire qu'on n'en a pas de fondés. Je ne saurais du reste penser que l'expulsion fût fondée sur la couleur du journal dont l'expulsé était rédacteur.
Le libéralisme doit savoir respecter les opinions, les crût-il même exagérées. Il ne doit les combattre que par la raison et la conviction. Celui qui opprime désespère de convaincre, et qui désespère de convaincre confesse que la vérité n'est pas de son côté. Vos ordonnances d'expulsion n'arrêteront pas les idées si elles sont vraies ; et si elles ne le sont pas, sachez les combattre par la libre discussion. En agissant autrement vous faites des victimes. Or le cœur de l'homme s'intéresse naturellement aux opprimés, et c'est souvent à la persécution que ceux-ci doivent l'avantage de devenir la majorité.
Le libéralisme doit être noble et élevé, il doit réfuter des adversaires et non pas les frapper d'ostracisme.
J'espère avoir donné à M. le ministre de la justice l'occasion de protester contre des inculpations qui ont eu de l'écho dans la presse et qu'il est de son devoir de détruire si elles ne sont pas fondées.
La presse française elle-même a cru devoir s'en occuper et considérer l'arrêté en question comme un indice de dispositions peu bienveillantes de notre gouvernement envers la nation française et l'ordre de choses fondé en février.
Si j'obtiens des explications satisfaisantes sur les points que j'ai signalés, si elles me prouvent que le ministère prend la position élevée que l'on doit attendre du libéralisme parvenu au pouvoir, si le cabinet démontre par des actes qu'il est décidé à entrer d'un pas ferme dans la voie des améliorations si vivement réclamées, mon concours lui est acquis. Sans cela, je ne pourrais sanctionner par mon vote une politique qui ne serait pas à la hauteur de ce que réclament impérieusement les intérêts du pays.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je répondrai de suite à l'interpellation qui m'a été faite par l'honorable préopinant en ce qui concerne le fait qu'il a signalé à l'attention de la chambre.
Le sieur Deleau a été expulsé non pour ses opinions démocratiques, ni comme rédacteur d'un journal républicain, mais parce qu'il est résulté d'une instruction qui a été faite à sa charge, qu'il avait réuni les ouvriers des environs de Charleroy et qu'il cherchait à les exciter à la révolte.
En effet, le 11 juin dernier, l'avant-veille des élections, le sieur Deleau avait réuni au faubourg de Charleroy dans un lieu public quatre ou cinq cents ouvriers qu'il a harangués et au milieu desquels il a prononcé un discours provocateur, discours dont je crois inutile de donner ici les détails à la chambre, mais dans lequel il représentait aux ouvriers qui l'entouraient qu'ils étaient vis-à-vis de la classe aisée dans une condition d'infériorité dont ils devaient sortir et qu'ils devaient se coaliser pour secouer l'oppression sous laquelle ils gémissaient.
Tel était le sens du discours qui a été prononcé par le sieur Deleau et qui m'a été signalé par toutes les autorités judiciaires, administratives et militaires, et j'ajouterai que toutes ces autorités ont été d'avis qu'il y avait une mesure à prendre contre le sieur Deleau.
Tels sont les motifs qui ont amené l'expulsion du sieur Deleau. Elle n'a eu lieu, je le répète, que parce qu'il compromettait, par sa conduite, la tranquillité publique. Tant qu'il a vécu en Belgique en citoyen paisible, tant qu'il n'a fait qu'énoncer des opinions inoffensives dans son journal, le sieur Deleau a été respecté et a joui de la protection à laquelle a droit tout étranger. Mais au moment où il a voulu ameuter nos ouvriers pour les pousser au désordre, le gouvernement ne pouvait leur rester inactif, et jamais, je puis le dire, l'application de la loi du 22 septembre 1835 n'a été faite à plus juste titre que contre le sieur Deleau.
M. le Bailly de Tilleghem. - Messieurs, je croyais devoir prendre la parole pour faire remarquer que le projet d'adresse ne dit pas un mot sur la situation désastreuse des Flandres, pour demander si cette question avait disparu du programme politique.
Mais je vois, en lisant le Moniteur, que dans la séance du sénat, du 29 juin dernier, M. le ministre, en répondant à une question à peu près de même forme, a donné l'assurance que le gouvernement, qui, en effet, a déjà prêté avec sollicitude toute sa pensée à la question des Flandres, continue de s'en occuper activement.
J'accueille cette réponse avec satisfaction.
Je remercie en outre M. le ministre d'avoir dit en même temps, que le gouvernement est disposé à agir, même avec une nouvelle énergie, en faveur des populations de ces provinces.
Toutefois, messieurs, qu'il me soit permis d'exprimer des vœux pour que cette question des Flandres puisse trouver bientôt une solution aussi complète que possible.
Que, pour y parvenir, M. le ministre me permette de lui demander s'il pourrait nous dire quelles mesures le gouvernement a ou peut avoir en vue.
M. le ministre, en nous apprenant sur quels moyens il compte pour sauver les Flandres, donnerait une déclaration bien éloquente.
Les assurances que M. le ministre a bien voulu nous donner auraient alors cette portée, qui dans mes convictions semble leur manquer pour rendre à nos espérances une sécurité parfaite.
Je pense qu'il serait désirable que M. le ministre de l'intérieur pût consentir à formuler à la chambre, ne fût-ce qu'en substance, ses intentions, ses idées, ses vues pratiques relativement à la solution de cette immense question de l'amélioration de la condition des classes laborieuses.
A cet égard, et pour ce qui me concerne, j'accepterais avec reconnaissance et comme un document infiniment précieux la réponse affirmative de M. le ministre de l'intérieur.
Dans quelle proportion le ministère compte-t-il pouvoir améliorer le sort de la classe ouvrière ?
Espère-t-il pouvoir en finir avec la question des Flandres ?
Peut-il prendre quelque engagement plus ou moins positif, qui permette de prévoir, de présumer ce que le gouvernement se propose de faire pour dompter la situation ?
Les Flandres comptent plus de 300,000 indigents.
Les arrondissements liniers de la Flandre occidentale, à eux seuls, non compris les villes, sur une population de 240,000 âmes, comptent plus de 80,000 indigents.
La population y est partout durement frappée dans ses divers éléments.
Sa décadence suit avec une proportion cruelle le degré toujours croissant de la misère.
Parmi les effets malheureux de cette situation on ne peut rien attendre des communes ni des bureaux de bienfaisance !
Partout les ressources locales sont épuisées, les charges communales sont élevées au dernier point.
Les communes ont été obligées d'engager l'avenir en recourant au moyen ruineux de l'emprunt pour secourir les pauvres.
Il me paraît donc qu'il serait réellement utile que le gouvernement puisse dès à présent déclarer jusqu'à quel point il est préparé ; s'il compte pouvoir obtenir sur les économies promises des fonds pour les employer à des remèdes efficaces.
M. Jullien - Messieurs, en convoquant les chambres, le ministère a satisfait à une prescription expresse de la Constitution.
Des doutes sérieux peuvent être soulevés sur le caractère de cette session.
Quelle que soit l'opinion que l'on se forme à cet égard, soit qu'on la considère comme session extraordinaire, soit qu'on l'envisage comme session ordinaire, en ce qu'elle serait obligatoire dans les deux mois qui suivent la dissolution, toujours est-il qu'elle aurait dû offrir des résultats utiles au pays, alors qu'elle sera en quelque sorte stérile si le ministère, comme tout porte à le croire, a l'intention de la clore dans quelques jours.
Je fais, messieurs, cette observation à regret, mais je ne puis la passer sous silence, parce que j'ai la conviction que le ministère, en nous saisissant, pendant cette session, des budgets, eût répondu à la fois et au vœu de la loi de comptabilité, et au vœu de nos commettants, qui, il faut bien le reconnaître, ne nous ont point envoyés dans cette enceinte pour y faire un simple acte de présence, et n'y voter qu'une adresse en réponse au discours du Trône.
Le pays a prouvé qu'il est sincèrement attaché à la dynastie et aux institutions libérales et constitutionnelles dont l'a doté le congrès.
L'attitude calme qu'il a gardée au milieu des événements qui ont ébranlé l'Europe, le courage et la résignation avec lesquels il a supporté les charges lourdes et extraordinaires qui lui ont été imposées, la répulsion qu'il a témoignée contre toute tentative révolutionnaire, tous ces faits, rappelés avec vérité dans le projet d'adresse, sont autant de gages des sympathies de la nation pour notre régime politique.
C'est vous dire, messieurs, que je m'associerai à l'adresse, comme renfermant une exacte manifestation du sentiment national; mais encore une fois je ne saurais trop exprimer le regret que notre cession doive se borner à cette manifestation isolée de tous autres travaux.
Le vague dans lequel s'est renfermé le discours du Trône, le silence que le cabinet a garde sur les projets de loi qu'il se, propose d'apporter aux chambres me placent dans la nécessité de lui adresser quelques (page 19) questions auxquelles je serais charmé de recevoir une réponse nette et précise.
Un cri général d'économies et de réformes administratives sérieuses, est, ainsi que vous l'a fait observer l'honorable M. Lelièvre, parti de tous les points du royaume.
Donnera-t-on, sous ce rapport, au pays un apaisement large et complet?
Il serait vivement à désirer, messieurs, que le ministère voulût nous faire connaître les principales réformes administratives qu'il projette d'introduire dans les branches des différents départements ministériels, ainsi que le chiffre présumé des économies que chaque département compte réaliser sur son budget.
Le budget normal du département de la guerre ne subira-t-il notamment qu'une réduction de moins d'un million, comme l'a fait pressentir M. le ministre de la guerre au sein de la commission d'adresse, ou bien le pays doit-il compter sur un retranchement beaucoup plus important?
Pour ma part, en attendant que le cabinet se soit expliqué, j'ai pris acte des paroles de M. le ministre de l'intérieur, qui déclarait, il y a quelques jours, au sénat, que le budget de la guerre aurait à subir des réductions relativement plus fortes que les autres budgets, attendu qu'en lui-même il était beaucoup plus considérable.
Nous devons d'autant plus compter sur de fortes réductions, que l'organisation prochaine de la garde civique permettra en temps normal de diminuer les dépenses de l'armée.
Il importe que nous sachions aussi si la loi générale des pensions qui, pour ne dater que de 1844, n'en est pas moins une loi ruineuse, sera soumise à une révision radicale, ou si au contraire le gouvernement ne veut se borner qu'à atténuer les abus auxquels elle donne lieu dans son exécution.
La loi des pensions des ministres, cette autre plaie du trésor, continuera-t-elle de peser sur le budget? Ou bien en restreindra-t-on les effets aux seuls ministres qui, par une loi spéciale du parlement, seront reconnus avoir rendu des services éminents à la nation?
Le personnel et les appointements des fonctionnaires seront-ils révisés de manière à proscrire les sinécures, les abus du cumul, et de manière à ramènera de justes limites ces gros traitements dont le chiffre est hors de toute proportion avec les services qu'ils rémunèrent?
En un mot, le cabinet a-t-il franchement la volonté de doter le pays des avantages d'un gouvernement à bon marché? Car, on l'a dit avec raison dans une autre enceinte, le pays ne vit pas seulement de libertés politiques.
Le ministère nous a aussi laissé ignorer quelles sont ses vues relativement aux modifications à introduire dans le système de nos impôts. Voudrait-il ou est-il dès maintenant en situation de nous révéler ses projets sur ce point ?
La province à laquelle j'appartiens attend avec une légitime impatience des renseignements sur les diverses questions dont j'ai eu l'honneur d'entretenir la chambre, et qui sont d'un intérêt non moins palpitant pour les autres parties du royaume.
Je me plais à croire que le ministère ira au-devant des désirs du pays en donnant autant qu'il est en lui les explications que j'ai demandées, non par un sentiment hostile au pouvoir, mais en acquit d'un devoir rigoureux.
De ces explications dépendra la mesure du concours que je prêterai ultérieurement au ministère.
M. Toussaint. - Messieurs, tandis qu'à nos côtés la Fiance s'agite à travers les phases d'une révolution plus sociale que politique, que l'Allemagne cherche à concilier son unité avec la souveraineté de ses divers États, que l'Autriche voit les différentes races qu'elle renferme se livrer une guerre incessante, que l'Italie cherche une patrie en même temps que l'unité, que la Russie attend et observe, que la Pologne, toujours si turbulente, semble en ce moment hésiter devant un avenir mystérieux, que l'Angleterre recueille avec le plus grand soin tout ce qui se passe sur le continent, la Belgique reste calme dans le sentiment unanime de ses enfants en faveur de sa nationalité.
Dans cette situation, la nation tout entière apporte spontanément au gouvernement le concours et de ses forces et de ses aspirations. Je ne conçois donc pas que l'on doute que la législature, qui est la représentation de la nation , puisse ne pas accorder son concours dévoué au gouvernement.
Mais s'il n'y a pas lieu de douter du concours de la législature, si ce concours est hors de question, il me semble que le gouvernement doit accepter largement les divergences et les discussions qui peuvent s'établir sur les moyens : je crois que le concours des opinions libres dans cette enceinte est indispensable au gouvernement pour réaliser des réformes. J'ai fait partie de l'organisation administrative, et depuis longtemps je sais combien, malgré la haute instruction des fonctionnaires, on rencontre dans les rangs des meilleurs administrateurs une force d'inertie capable de faire échouer les ministres les plus fermes dans leurs desseins. C'est pour cela que la pression extérieure, la pression de la législature et de l'opinion publique est indispensable au gouvernement pour réaliser les réformes qu'il a en vue.
Pour ma part, je crois que si vous voulez faire quelques réformes efficace, en vue des économies réclamées de toutes parts, vous ne pourrez pas vus borner à renvoyer quelques malheureux employés, à réduire même des traitements élevés; il faudra une réorganisation radicale, et le gouvernement aura besoin pour la réaliser de toute la force que lui donne l'opinion de la législature, jointe à l'opinion du pays.
J'espère donc, messieurs, que le gouvernement acceptera avec plaisir ce concours de nos opinions et de nos travaux dans cette enceinte.
Messieurs, je suis obligé de rappeler, ainsi que l'a fait mon honorable collègue envoyé par l'arrondissement de Thielt, l'oubli qui se remarque dans l'adresse, à l'égard de la question des Flandres. Suivant moi cette question n'est pas uniquement locale, c'est une question d'intérêt national. Outre que les deux Flandres contiennent le tiers de la population du pays, les Flandres dans l'état où elles sont et dans l'état vers lequel elles marchent, sont un débouché important perdu, et un débouché d'autant plus important que notre législation douanière, nous renfermant de plus en plus dans notre cercle, nous borne à notre propre consommation. À ce point de vue il est donc intéressant pour le pays de relever la force de production des Flandres, pour que sa force de consommation s'étende en même temps.
Les honorables représentants du district de Gand doivent savoir, par expérience, combien la décadence de la population flamande influe sur la consommation des produits de Gand. Cet état de choses influe également d'une manière considérable sur la production de nos draps, de la houille, etc. La question flamande est donc une question réellement nationale.
Or, dans ce moment, il meurt en Flandre quatre personnes pour une qui vient au monde. Cet état de choses existe depuis deux ou trois ans, et va en s'aggravant. S'il doit continuer, non seulement le capital du pays en population diminuera, mais le capital du pays en numéraire diminuera aussi, parce que le décaissement de la population se fait par la même loi et dans la même proportion que le décroissement du numéraire.
Ce fait est plus significatif que ce qui se passe en Irlande ou dans tout autre pays, et je crois qu'à une législature comme la nôtre, une législature douée de sentiments généreux, et ayant l'intelligence des intérêts du pays, il appartient, sans nous montrer hostile au cabinet, d'insérer au besoin, dans l'adresse, un paragraphe spéciale en faveur des Flandres, qu'il appartient à cette législature d'appeler l'attention du gouvernement sur ce point, afin que plus tard des mesures législatives soient prises, pour relever cette portion de notre pays.
J'ai un autre oubli à signaler dans l'adresse. Il a été question, à une session précédente, de l'établissement d'une société d'exportation. Il n'en a plus été parlé depuis ; et pour ma part, je m'en désole, moins encore pour la chose elle-même peut-être, que parce qu'on s'habituerait ainsi à regarder les promesses des discours du trône comme de simples promesses. Dans un pays comme le nôtre, où l'on pratique les affaires avec vérité, il ne faut pas que cette opinion puisse s'établir.
Je désire que le gouvernement puisse nous donner des renseignements sur les moyens de résoudre cette question. Quelque importante que soit à mes yeux la question des économies, je regarde la question du travail, de la production, comme dominant toutes les autres.
En effet, notre travail peut s'évaluer en moyenne à un milliard et demi, dans d'autres années à deux milliards; vous sentez que deux ou trois millions sont une charge peu onéreuse, quand le travail ne chôme pas.
Messieurs, après la question de la réorganisation des services publics, en vue de les rendre non seulement plus économiques, mais encore plus efficaces (je crois qu'on peut arriver à ce résultat), à part la question flamande dont je viens de vous signaler la gravité, à part la question du travail au sujet de laquelle il y a beaucoup à faire, une autre question me tient infiniment à cœur, c'est celle de l'équilibre financier; car tant que cet équilibre n'est pas établi dans le présent ou avec une certaine certitude dans l'avenir, il n'y a pas de confiance dans les valeurs de l'État; cette même confiance cesse d'exister pour les valeurs des particuliers, et petit à petit on arrive à un état de non-confiance qui est le pire de tous les états.
À ce point de vue, je prierai M. le ministre des finances de bien vouloir nous dire dans quel état se trouve l'étude de certain projet sur les assurances par l'État. Je lui demanderai jusqu'à quel point l'étude de cette question a été poussée, quels sont les obstacles qui sont survenus, quels sont, suivant le gouvernement, les moyens qu'on pourrait employer pour lever ces obstacles.
Je fais cette question sans me lier aucunement sur la solution même de la question. Mon opinion n'est pas complètement formée sur la création de ce revenu. Mais je serais heureux d'apprendre à quel état la question se trouve parvenue, afin que nous puissions, mes amis et moi, en faire l'objet de nos éludes.
Je demanderai encore à M. le ministre des finances quel doit être, dans ses prévisions, le sort du projet de loi sur les successions, s’il compte faire sien ce projet et en demander le vote dans cette session ou dans la prochaine session.
Je ne lui demanderai pas de détails sur ce qui concerne les successions en ligne collatérale ou sur les successions en ligne directe; je lui demande seulement s'il croit qu'il sera nécessaire de joindre ce produit aux produits déjà existants pour rétablir l'équilibre financier auquel j'attache une immense importance; parce que, sans cet équilibre, rien n'est stable, rien n'est ferme et notre établissement politique tremble sur sa base.
(page 20) Je me résume.
J'accorderai au gouvernement le concours le plus complet, le concours dont il a besoin et qui lui sera accordé par la nation tout entière. Mais je l'adjure d'admettre de son côté le secours de toutes les opinions, des opinions chaleureuses qui existent, pour l'aider à réorganiser les crédits publics. Je l'adjure de porter une attention sérieuse, une attention réelle sur la question flamande, sur la question du travail et sur la question de l'équilibre financier.
Si le gouvernement, sur ces quatre points, prend des mesures efficaces, il rendra un immense service à la chose publique, il aura bien mérité du pays et de la législature.
M. Rodenbach - Messieurs, depuis plusieurs années, les députés des Flandres se sont fait un devoir de parler de la question des Flandres et de l'extrême misère qui règne dans ces deux provinces. Je dois dire et répéter avec les honorables préopinants que la mortalité est encore effrayante. Je citerai des chiffres. Depuis deux ou trois ans. il y a, par année, sur 25 à 30 individus, un décès, tandis que dans les autres parties du royaume, il n'y a qu'un décès sur 46 individus. Il est donc certain que dans les Flandres on meurt de faim.
Je sais, et je dois rendre justice à M. le ministre de l'intérieur et au cabinet, ils ont fait des efforts, des tentatives; mais leurs moyens n'ont pas suffi. Je sais que la question présente beaucoup de difficultés. Mais j'ose espérer que le ministère ne nous fera pas défaut et qu'il persévérera dans tous les moyens pour sauver nos malheureux concitoyens.
Messieurs, je dirai quelques mots sur la question cotonnière et sur la question linière. Ces questions ont été également traitées ici depuis bien des années, elles ne sont pas neuves. On s'en est occupé sérieusement.
Je crois la création d'une société d'exportation nécessaire, si l'on veut diminuer la misère et donner de l'ouvrage à nos Flamands.
Messieurs, la république française est déjà entrée dans la voie des primes, elle vient d'accorder 4 1/2 p. c. aux fils et toiles à la sortie de France ; elle a également accordé des primes de sortie de 50 p. c. à l'industrie linière. La Belgique elle-même y est entrée, puisque vous accordez à l'industrie cotonnière une prime d'exportation de 10 p. c. Je sais que par suite de la crise actuelle il y a peu ou point d'exportations, que l'industrie cotonnière profite peu de l'avantage qui lui est fait. Cependant la loi existe, et si les affaires s'améliorent, cette industrie jouira d'une prime d'exportation de 10 p. c.
Pourquoi, messieurs, n'accorderait-on pas les mêmes avantages à l'industrie linière qui souffle plus que l'industrie cotonnière? Pourquoi ne lui accorderait-on pas aussi une prime d'exportation de 10 p. c.? Je sais que l'industrie linière ne profitera pas non plus dans les circonstances actuelles de cet avantage, mais dans des temps meilleurs elle saurait en jouir. Le gouvernement ne doit pas avoir deux poids et deux mesures, il ne faut pas refuser à une industrie ce qu'on accorde à l'autre.
Je me bornerai à ce peu de mots ; j'attendrai la réponse de M. le ministre pour savoir si je dois ajouter quelques nouvelles observations.
M. d'Hondt. - Messieurs, je n'avais aucunement l'intention de prendre la parole. J'ai cependant cru pouvoir profiter de l'occasion qu'ont fournie les honorables préopinants en parlant en faveur des Flandres, pour me permettre quelques observations. Comme eux, je ne viens point combattre le projet n'adresse ni vous annoncer positivement un amendement. Je viens uniquement vous exprimer un regret, en quelque sorte un désir, à propos des Flandres.
Je vous dirai donc qu'à mes yeux aussi, il est un point que j'eusse voulu rappeler en termes exprès dans le projet d'adresse, c'est la sollicitude du gouvernement pour ces malheureuses provinces.
Puisque les Flandres se trouvent dans une position exceptionnelle de misère et de souffrances, il me semble qu'elles étaient bien dignes de rencontrer une mention spéciale dans les paroles que nous allons porter au pied du trône.
Quand les représentants de la nation s'adressent au chef de l'État, leur langage, en même temps qu'il doit être solennel et respectueux, ne peut être assez vrai, assez sincère, assez franc, assez naïf.
S'il est donc vrai, messieurs, ce que personne ne s'avisera de contester, que les Flandres sont malheureuses, que les Flandres souffrent, qu'elles soufflent cruellement, qu'elles souffrent plus que toutes les autres provinces, ne pouvions-nous pas appeler sur leur détresse l'attention, les sympathies particulières du gouvernement ? Point d'équivoque, point de détours. Oui, la voix des mandataires du peuple qui communiquent avec le trône, doit être empreinte de l'accent de la vérité, de l'accent de la franchise. Car la franchise n'est qu'un titre de plus à la confiance du Roi.
C'est sous ce rapport que j'aurais désiré que les Flandres eussent été spécialement mentionnées dans le projet d'adresse.
Quant aux économies, messieurs, je me plais à croire que le gouvernement est sincère dans ses promesses. À cette condition je lui promets mon concours et mon appui le plus loyal, c'est-à-dire à la condition qu'il parvienne à réaliser les économies les plus promptes, les plus sévères que possible, dans toutes les branches du service public. C'est assez vous dire, messieurs, que je ne pousse pas l'exigence jusqu'aux économies qui tendraient à la désorganisation.
Ce n'est que sous cette réserve que je pourrai donner mon assentiment au projet d'adresse.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, le grand nombre de questions soulevées par les discours des honorables préopinants, n'est pas venu nous surprendre. Nous nous attendions à voir la chambre, renouvelée d'une manière presque complète dans les éléments qui la composaient, reproduire avec plus ou moins de vivacité et d'énergie les opinions qui avaient présidé aux élections.
La chambre n'attend pas de nous sans doute que nous apportions d'une manière complète, immédiate, une solution satisfaisante à toutes les questions qui nous ont été posées. Il y aurait plus que de la présomption même à promettre une telle solution.
Je comprends l'impatience des honorables membres. Mais ces honorables membres à leur tour voudront bien comprendre que, pour un gouvernement comme pour les particuliers, la première loi de succès c'est d'agir avec ordre, avec réflexion, avec maturité. Le meilleur moyen d'embrouiller et de faire avorter toutes les questions, ce serait de les aborder toutes ensemble et d'en chercher la solution générale, immédiate. Aucune des questions qui ont été soulevées ne nous surprend et ne nous effraye. Nous prenons volontiers l'engagement de les aborder toutes. Mais nous ne prenons pas l'engagement de les aborder immédiatement , de les résoudre complètement. Dans le programme des honorables orateurs, il y aurait de quoi occuper le gouvernement et les chambres, je ne dirai pas pendant une session, mais pendant sept à huit sessions.
Et d'abord, pour commencer par une des questions les plus brûlantes, par la question des Flandres, je dirai qu'à aucune époque le gouvernement n'a annoncé qu'il avait le secret de guérir radicalement immédiatement les Flandres de la situation malheureuse où elles se trouvent. Ce que le gouvernement a fait, c'est d'élever cette question à la hauteur d'une question d'intérêt public, d'intérêt national, c'est d'attirer la sollicitude des chambres et du pays tout entier sur cette partie si intéressante de la nation.
Il faut, dit-on, sauver les Flandres par le travail. Eh bien, c'est par là que nous avons commencé à chercher la guérison de cette partie du pays. Nous l'avons dit dans une autre circonstance, à une époque où nous avons fait connaître nos vues d'ensemble sur la question des Flandres. Nous avons dit que c'était par le travail et non par l'aumône qu'il fallait entreprendre cette grande difficulté.
Grâce à l'initiative du gouvernement, un très grand nombre d'industries nouvelles ont été introduites dans les Flandres, grâce à l'initiative du gouvernement, secondée par le concours des communes, un très grand nombre de travaux, concernant surtout la voirie vicinale, ont été entrepris et exécutés dans les Flandres.
Voilà, messieurs, les premiers pas faits dans cette question. Je néglige un assez grand nombre de mesures de détails ; je m'attache seulement à ces traits généraux : nous avons introduit dans les Flandres un grand nombre d'industries nouvelles, un grand nombre de travaux publics, relatifs surtout à la voirie vicinale ont été exécutés ou entrepris.
C'est peu, dira-t-on; ce n'est pas assez. Non, messieurs, ce n'est pas assez; c'est peu, en présence de ce que réclame d'efforts la question des Flandres, mais c'est un commencement; nous entendons poursuivre cette marche, nous entendons prendre toutes les mesures utiles qu'on nous suggérerait ou que nos études constantes nous feraient découvrir. Mais, pour ces mesures, comme pour toutes les autres , il faut tenir compte des circonstances. Nos efforts, il faut le reconnaître, ont été, je ne dirai point paralysés, mais suspendus par des circonstances imprévues et supérieures à tous les efforts humains. C'est à ces circonstances nouvelles, imprévues, supérieures par leur importance à la situation des Flandres, c'est à ces circonstances que le gouvernement a dû pourvoir, c'est à celles-là qu'il s'est particulièrement attaché, et c'est, je pense, aussi grâce à son altitude ferme et confiante dans le pays, que le pays jouit aujourd'hui de ce calme qui le fait estimer et respecter en Europe.
Le principal devoir, le premier devoir, je dirai presque l'unique devoir du gouvernement, dans les circonstances que nous avons traversées, c'était de s'attacher principalement à maintenir le pays dans la bonne situation que nous lui avons faite. Voilà, messieurs, l'acte suprême du gouvernement, un acte qui le caractérise et qui lui mérite, je n'hésite pas à le dire, votre confiance et vos sympathies.
Pour la question des Flandres, messieurs, vous ne pouvez la séparer d'une autre question qui s'y rattache d'une manière essentielle. On veut venir d'une manière efficace au secours de populations malheureuses, auxquelles le travail manque. Disons-le tout de suite, que faut-il pour apporter un secours efficace à ces populations? Il faut dépenser de l'argent et beaucoup d'argent.
C'est là, messieurs, la première de toutes les conditions.
Or si, d'une part, vous demandez au gouvernement beaucoup d'économies, de fortes réductions d'impôts, et que, d'autre part, pour les questions essentielles, comme celle des Flandres, vous lui demandiez ce que vous devez lui demander, c'est-à-dire, beaucoup d'argent, vous placez le gouvernement dans une position dont il lui serait bien difficile de sortir.
(page 21) Les économies, messieurs, les économies que nous avons promises, nous les ferons; mais, prenez-y garde, pourquoi les économies sont-elles nécessaires? Pour rétablir dans nos finances l'équilibre qui leur manque jusqu'ici. Ce n'est point à l'aide de ces économies que vous pourrez faire beaucoup de dépenses nouvelles. Si vous voulez faire beaucoup de dépenses nouvelles, il faudra des impôts nouveaux, des ressources nouvelles. Les économies devront être consacrées, je le répète, à introduire dans nos finances l'équilibre qu'elles n'avaient point atteint à la fin de l'année dernière et que les circonstances sont venues rompre de plus en plus.
Avez-vous renoncé, nous dit-on, à l'établissement d'une société de commerce? C'est là un des moyens principaux indiqués pour la question des Flandres. Non, messieurs, nous n'avons point renoncé à l'établissement d'une société de commerce. La veille du jour où éclatait dans un pays voisin, ce grand mouvement qui est venu paralyser les efforts du gouvernement belge, la veille même de ce jour nous déposions sur le bureau de la chambre un projet de loi renfermant, parmi un ensemble de mesures, la création d'une société d'exportation. (Interruption.) La formation d'une société d'exportation était surtout indiquée comme remède en vue de la question des Flandres.
On nous a demandé de préciser d'une manière exacte et catégorique en quoi devaient consister les économies à introduire dans les budgets. Messieurs, nous ne discutons pas en ce moment les budgets; lorsque les budgets vous seront présentés, vous aurez à examiner si les économies promises seront suffisantes pour répondre à vos vues, pour répondre aux vœux du pays. Vous n'avez pas, dira-t-on, de principes définitivement arrêtés sur l'étendue des économies. Eh bien, messieurs, l'on a voulu de la sincérité, je vous répondrai sincèrement : Non le gouvernement n'est pas encore entièrement fixé sur l'étendue des économies à faire.
Le gouvernement, messieurs, dans ces sortes de matières, ne peut point procéder avec précipitation: il ne peut point toucher légèrement à un état de choses qui existe depuis des années, auquel se rattachent un grand nombre d'existences, un grand nombre d'intérêts. Si vous voulez des économies populaires, qui ne portent point en elles la trace de la précipitation, de l'injustice, de la désorganisation, il faut laisser au gouvernement le temps de méditer sur celles qui peuvent se faire sans entraîner avec elles ces inconvénients.
Il ne suffit pas de réduire toutes choses, il faut prendre garde de ne pas détruire. Et pour commencer par la plus importante de toutes nos institutions, par celle vers laquelle se sont dirigés principalement les efforts de ceux qui veulent des économies à tout prix, pour commencer par notre armée, car là, messieurs, on ne peut se le dissimuler, est le grand but des attaques de la plupart des partisans des économies; pour commencer par notre armée, je répéterai les déclarations que j'ai eu l'occasion de faire dans une autre enceinte.
Nous considérons l'institution de l'armée comme le ressort le plus indispensable, je dirai, non pas du gouvernement, mais du pays, de la nationalité ; nous ne consentirons pas à des réductions qui pourraient avoir pour effet de détruire, d'amoindrir même cette grande force nationale.
Que si d'autres envisagent la question à un autre point de vue, que si d'autres sur cette question nationale de l'armée professent d'autres opinions, croient que, dans les circonstances actuelles, il est possible d'apporter dans le budget de la guerre des réductions qui auraient pour effet de fixer ce budget à 20 millions par exemple qu'ils viennent prendre notre place, qu'ils viennent exercer le gouvernement à cette condition; quant à nous, nous n'y consentirons pas; nous ne pouvons pas gouverner à une pareille condition ; nous voulons maintenir notre armée sur le pied défensif respectable qui a fait et qui continue à faire la sécurité du pays. Voilà, je l'espèce, une explication nette et franche.
Maintenant est-ce à dire que les circonstances venant à s'améliorer, que, si des gages réels de sécurité nationale à l'extérieur ou à l'intérieur peuvent nous être fournis, est-ce à dire qu'alors nous serons immuablement attachés au chiffre exigé pour les dépenses de l'armée, telle qu'elle est aujourd'hui constituée ? Non, messieurs, nous l'avons déjà dit; nous avons fait plus, nous avons déjà introduit dans le budget de la guerre de notables économies. Notre honorable collègue, M. le ministre de la guerre, a réduit son budget pour l'exercice 1848; loin de réclamer de la chambre (ce qui s'était fait sans exception chaque année) des crédits supplémentaires, il a épargné une partie des allocations votées à son budget.
Pour l'exercice 1849, le budget normal présentera aussi des réductions notables. Je parle d'un budget normal, parce que je suppose aussi des circonstances normales. Si les circonstances ne sont pas normales, il faudra, messieurs, que le pays comprenne qu'il n'est pas possible d'apporter, dans les dépenses relatives à l'armée, des réductions qui pourraient compromettre cette sécurité, cette sauvegarde de la nationalité.
L'on veut des économies immédiates, radicales. C'est la bannière qui a été déployée aujourd'hui. Nous ne pouvons vouloir ni pour l'armée, ni pour aucune grande branche des services publics, ces économies immédiates, radicales, dont on parle; nous voulons des économies sérieuses, mais successives, des économies faites avec prudence et opportunité.
Messieurs, il faut tenir compte des circonstances que nous traversons, il faut tenir compte de l'accroissement progressif du pays lui-même; et l'on reconnaîtra que ce serait déjà beaucoup pour le gouvernement que ne pas venir demander des dépenses nouvelles à la nation, que de continuer à diriger les affaires dans les limites des budgets antérieurs ; car, ainsi qu'on a pu le remarquer, et nous n'entendons en tirer aucun blâme contre qui que ce soit, d'année en année les budgets de la Belgique ont été en grossissant, et en cela ils n'ont fait nue suivre la marche de tous les budgets des nations les plus prospères et les plus civilisées. Il y a eu une halte, et cette halte, nous tenons à le rappeler, à commencer en 1848. Nous ne viendrons pas pour 1849 proposer de dépenses nouvelles; nous viendrons vous proposer des réductions sages, efficaces, successives.
En quoi consisteront ces réductions? Sur quelles parties du service, sur quelle classe d'employés porteront-elles? C'est là, messieurs, ce que nous nous réservons de vous exposer, lorsque nous vous présenterons les budgets; nous ne pouvons pas mêler à cette discussion, à laquelle se rattachent déjà tant de questions, nous ne pouvons pas y mêler la discussion anticipée de nos budgets de recettes et de dépenses.
Mais, dit-on, si vous n'aviez rien à présenter aux chambres, à quoi bon les convoquer? C'est une perte de temps inutile.
Messieurs, nous avons convoqué les chambres; pourquoi? D'abord parce que la Constitution nous en faisait un devoir; en second lieu, parce que, dans les circonstances actuelles, il est utile que le gouvernement puisse se trouver en quelque sorte, du jour au lendemain, en contact avec la représentation nationale. Les chambres sont constituées; elles sont en position d'agir; cela suffit au gouvernement. Voilà pourquoi le gouvernement vous aurait convoqués, alors même que la Constitution ne lui en eût pas fait un devoir.
Mais, messieurs, mesurez l'intervalle qui sépare l'époque de la dissolution des chambres, de celle à laquelle vous avez été réunis, et dites si c'est dans un tel intervalle que le gouvernement aurait pu préparer les nombreux et importants projets qu'il a l'intention de vous proposer.
Quelques mois, messieurs, ne sont pas de trop pour apporter la maturité nécessaire dans la préparation de ces divers projets. Le moyen d'arriver à de bonnes solutions, c'est de ne présenter aux chambres que des projets suffisamment mûris.
Quant à toutes les questions qui nous ont été posées, quant aux questions nouvelles qui pourraient nous être posées, nous sommes en mesure de nous prononcer en principe, mais nous ne pouvons livrer à une discussion immédiate tous les moyens de solution qui conviennent à chacune de ces questions.
Je ne sais si on appellera cela de la stérilité, si l'on qualifiera notre réserve d'impuissance. Mais, je le déclare, dans la situation actuelle, nous ne pouvons accepter une discussion qui aurait pour effet de nous amener à exposer dans tous leurs détails les plans qui répondraient à toutes les questions qui nous seraient adressées dans cette discussion.
Nous n'avons pas à nous le dissimuler ; les chambres telles qu'elles se trouvent constituées demanderont beaucoup au gouvernement ; elles seront exigeantes; elles en ont le droit. Nous ne leur demandons pas leur indulgence ; nous leur demandons leur justice ; nous leur demandons ensuite quelque patience.
Le concours que nous réclamons aujourd'hui, c'est d'abord un encouragement dans la voie où nous sommes entrés. C'est ensuite, j'ose le dire, la reconnaissance de quelques efforts heureux que nous sommes parvenus à faire conjointement avec les chambres pour maintenir le pays dans la situation où nous vous l'offrons-en ce moment.
M. Toussaint. - M. le ministre de l'intérieur a établi, je pense, avec succès, que le gouvernement, dans la limite des crédits qui lui étaient accordés, a fait son devoir dans la question flamande. J'aime à lui rendre ce témoignage, non seulement pour l'intervention générale du gouvernement, mais encore pour beaucoup de détails dont j'ai été le témoin particulier. Mais j'éprouve le besoin de dire que si le gouvernement a fait son devoir, les Flandres aussi ont fait leur devoir.
Émule de cette garde impériale qui savait mourir sur les champs de bataille, le Flamand meurt et ne se plaint pas. C'est pour cela que, tant au nom des Flandres qu'au nom des intérêts généraux du pays, je viens avec confiance réclamer justice pour ces provinces.
M. Sinave. - Je tiens à faire observer à M. le ministre de l'intérieur qu'il n’est pas dans le vrai lorsqu'il dit que les Flandres demandent beaucoup d'argent. Ceci est absolument inexact. Les Flandres ne demandent pas à être à charge aux autres provinces. Ce qui manque aux Flandres, c'est un établissement de crédit.
La société d'exportation dont on parle n'est pas un moyen suffisant. Il ne sera efficace que quand les Flandres seront dans leur état normal.
Il est urgent que le gouvernement s'occupe de la fondation d'un établissement national en remplacement de l'établissement financier existant en ce moment. Sans cela, il sera impossible de sortir d'embarras. Vous pourrez donner beaucoup d'argent; mais ce sera en pure perte. Je demanderai donc si M. le ministre de l'intérieur s'opposerait à l'adoption du paragraphe suivant qui pourrait être intercalé dans l'adresse, entre le neuvième et le dixième paragraphes :
« Par les événements imprévus et la situation précaire de la plupart de nos établissements financiers, le besoin se fait sentir plus que jamais de réaliser sans retard le projet d'un établissement national, qui manque au pays, renfermant dans son ensemble un nouveau et large système de crédit commercial et agricole. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je pense que l'honorable préopinant ne m'a pas compris. Je n'ai pas reproché aux Flandres de demander beaucoup d'argent. J'ai dit que l'état des Flandres exigeait (page 22) beaucoup d'argent. Je n'ai pas fait allusion aux demandes des Flandres.
M. Sinave. - Les Flandres n'exigent pas d'argent.
M. le ministre pense que la tranquillité des Flandres est l'œuvre du ministère. Je pense que le ministère n'y a contribué, ni directement, ni indirectement. La tranquillité des Flandres est due uniquement au bon sens des habitants. Ce qui le prouve, c'est que quand l’émeute s'est présentée aux frontières de la Flandre occidentale, par un seul individu ne s'est joint aux insurgés. La tranquillité des Flandres est due aux hommes honorables qui habitent la campagne, et qui, par leur contact avec les masses, ont de l'influence sur elles; elle est due au clergé qui ne cesse d'exhorter les populations à la tranquillité.
Là on meurt de misère ; mais on ne se révolte pas. J'engage M. le ministre à y penser sérieusement. Il est temps encore. Peut-être un jour sera-t-il trop tard : Le jour où la révolte commencerait, toute l'armée suffirait à peine pour la dompter.
Je persiste à croire que le seul remède efficace serait la fondation immédiate d'un établissement de crédit.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je tiens à déclarer que je répondrai aux questions qui ont trait aux finances, lorsque la chambre s'occupera du paragraphe qui y est relatif.
- La discussion générale est close.
La chambre passe à la délibération sur les paragraphes.
« Sire ,
« La chambre des représentants vient renouveler à Votre Majesté l'expression de la vive et respectueuse sympathie dont la représentation nationale entourait le chef de l'État, au moment où il présidait à l'ouverture de nos travaux. »
- Adopté.
« Nous le savons, si en présence des agitations qui remuent profondément l'Europe, le calme et la confiance n'ont pas été troublés en Belgique, on le doit, Sire, non moins à la sagesse du Roi, à son intelligence de nos institutions, qu'à l'attachement profond du peuple belge pour sa nationalité et pour ses libertés constitutionnelles. »
- Adopté.
« Nous sommes heureux d'apprendre que les changements survenus dans l'état politique de divers pays n'ont aucunement altéré nos bonnes relations avec eux, et que nos rapports officiels avec la République française se trouvent établis dans, les termes d'une bienveillance mutuelle. Les témoignages de sympathie et d'estime que Votre Majesté nous annonce, sont pour la Belgique un nouveau motif de persévérer dans cette ligne de modération, d'ordre et de progrès, qui, en assurant au pays la considération extérieure, lui garantit déplus en plus la prospérité intérieure. »
M. de Haerne. - Messieurs, je ne doute aucunement que les relations politiques de la Belgique avec les autres pays ne soient dans les termes dans lesquels nous pouvons les désirer. Mais je désire adresser une demande au gouvernement en ce qui concerne nos relations commerciales avec certains pays, savoir avec l'Espagne et avec la France.
D'après ce que les journaux nous ont annoncé, un fait fâcheux s'est présenté il y a quelque temps en Espagne. Je voudrais savoir, pour autant que les convenances diplomatiques le permettent, si ce fait peut avoir altéré nos relations avec ce pays, et s'il peut avoir mis un obstacle à la conclusion d'un traité de commerce, qui depuis longtemps est dans les vœux de tout le pays.
Quant à la France, pays avec lequel nous devons entretenir les relations les plus amicales au point de vue de nos intérêts et au point de vue de la politique générale, vous savez sans doute que depuis quelque temps une mesure assez importante y a été prise relativement au commerce, mesure qui est de nature à nuire aux relations établies entre la Belgique et la France, et à dénaturer les stipulations du traité international. Je fais allusion à un nouveau système de primes qui a été décrété dernièrement en France. Il y a une augmentation de primes, si je suis bien informé, de 50 p. c. sur les laines fabriquées, et une prime nouvelle de 4 1/2 p. c. sur les produits liniers.
Ce n'est pas ici le moment de demander quels seront les moyens que le gouvernement croira devoir employer pour obvier à cet inconvénient.
Peut-être ne conviendrait-il pas que le gouvernement expliquât toute sa pensée à cet égard. Mais je voudrais savoir si cette circonstance n'a pas plus ou moins altéré les relations qui existent entre la Belgique et la France, et si nous pouvons espérer qu'à l'avenir nous n'aurons pas à souffrir de cette mesure, ou si le gouvernement adoptera de son côté une mesure analogue, c'est-à-dire s'il accordera aussi une prime à l'exportation de nos produits.
Mon opinion est que, pour ne pas brusquer et pour ne s'exposer à aucun danger, il conviendrait d'établir pour le moment une prime égale à celle dont les produits français similaires sont favorisés, à moins qu'on ne trouve, par suite des négociations qui ont probablement eu lieu sur cet important objet, un autre moyen, et qu'on ne puisse atteindre le même but sans recourir à ce sacrifice pécuniaire.
La prime que je demande est indépendante de celles que , dans la crise actuelle, il convient d'accorder pour favoriser l'exportation de nos produits sur d'autres marchés, notamment sur les marchés lointains.
MaedH. - Messieurs, l'honorable préopinant m'a posé deux questions.
La première est relative à l'incident qui se serait produit à propos de notre chargé d'affaires en Espagne. Je suis heureux de pouvoir lui déclarer que cet incident n'a nullement l'importance ni la gravité que certains journaux étrangers avaient bien voulu lui donner et que nos relations avec le gouvernement espagnol sont, dans ce moment, aussi amicales, aussi bonnes qu'elles l'aient jamais été. En effet, je viens de recevoir à l'instant même un rapport de notre ministre à Madrid, de M. de Jaegher, qui m'annonce qu'il a été reçu par le gouvernement espagnol et par S. M. la reine d'Espagne de la manière la plus bienveillante. Ainsi l'incident auquel l'honorable préopinant a fait allusion n'est nullement de nature à pouvoir exercer la moindre influence sur nos relations avec l'Espagne ni sur la conclusion à espérer dans l'avenir d'un traité de commerce.
Je profiterai de l'occasion qui m'est offerte, pour dire quelques mots sur les négociations qui ont été entamées relativement à ce traité.
S'il n'avait fallu que les efforts, que la persévérance du gouvernement pour en obtenir la conclusion, certes elle aurait déjà eu lieu.
Mais vous savez tous qu'en Espagne il y a eu pendant un temps assez long beaucoup d'instabilité ministérielle. Les négociations qui avaient été entamées avec un cabinet étaient souvent interrompues par l'avénement d'un nouveau ministère.
Cependant dans les derniers temps (car dès mon arrivée aux affaires, je m'étais préoccupé de cette question), nos agents étaient parvenus, en donnant des renseignements sur la valeur exacte de nos toiles, à faire introduire quelques dispositions dans un décret destiné à réviser le tarif qui devait être soumis aux cortès. Ce décret devait être présenté aux cortès dans le commencement de mars. Mais les événements que vous connaissez, les troubles qui ont éclaté à Madrid et qui ont amené la dissolution des cortès, ont empêché cette présentation.
Or, avant que ce décret, qui est destiné à apporter des réductions dans le tarif des douanes, ait été adopté, on conçoit qu'il ne serait pas utile d'entamer une négociation pour un traité de commerce sur le tarif, tel qui existe actuellement. C'est sur le tarif que plusieurs ministères successifs eu Espagne se sont montrés intentionnés de réduire, notamment pour les articles qui nous concernent, qu'il sera important d'ouvrir des négociations, pour amener des relations commerciales plus suivies avec un pays qui offrait autrefois un débouché si important aux produits de l'industrie linière.
Je passe à la seconde question qui m'a été adressée.
Le gouvernement français a en effet pris, dans le courant du mois dernier, un décret qui accorde des primes à l'exportation de certains produits de son industrie et particulièrement aux produits de l'industrie lainière.
Messieurs, cette mesure a attiré immédiatement toute notre attention; des pourparlers ont été ouverts avec le gouvernement français, mais ils ont été bientôt interrompus, comme vous pouvez le penser, par les grands événements, par la lutte qui a malheureusement ensanglanté la capitale de la France. Depuis peu ces pourparlers ont été repris; mais je crois, comme l'a fort bien fait observer l'honorable M. de Haerne lui-même, que, dans cet état de la question, il importe pour le moment de ne point entrer dans d'autres explications. Ce n'est pas pour ma facilité personnelle, mais au point de vue des intérêts qui préoccupent l'honorable préopinant, que je pense qu'il ne faut pas entrer maintenant dans des explications plus étendues.
- Le paragraphe 3 est adopté.
« En rappelant les lois importantes votées dans la dernière session, Votre Majesté déclare que la première application de la réforme électorale a fourni une nouvelle preuve de la sagesse de la nation. La chambre des représentants s'efforcera de justifier cette appréciation, en marchant d'un pas de plus en plus ferme dans la voie libérale ouverte, l'année dernière, par le patriotisme des électeurs et la sagesse de Votre Majesté. »
M. Dumortier - Messieurs, je voulais faire une observation sur ce paragraphe. Il me semble qu'il renferme deux mots qu'il conviendrait de faire disparaître. Il semblerait, d'après ces mots, que les électeurs n'ont montré du patriotisme et Sa Majesté, de la sagesse, que l'année dernière. Je pense que ce n'est là l'intention de personne et qu'il faudrait dès lors retrancher du paragraphe en discussion les mots : « l'année dernière », qui sont d'ailleurs complètement inutiles.
M. Lebeau, rapporteur. - L'intention de la commission comme la mienne n'a certainement été d'éveiller aucune susceptibilité, et si l'on peut en faire cesser une seule par la suppression que demande l'honorable M. Dumortier, et qui, du reste, n'altère pas le sens de ce passage de l'adresse, je crois n'avoir pas besoin de consulter la commission d'adresse pour être sûr qu'elle serait la première à donner les mains à une pareille modification. Quant à moi, je n'y fais pas la moindre objection.
- La suppression des mots « l'année dernière » est mise aux voix et adoptée.
Le paragraphe ainsi modifié est mis aux voix et adopté.
M. Lebeau, rapporteur. - Je n'ai pas voulu arrêter la chambre pour quelques défauts de rédaction, résultant de la précipitation que j'ai mise dans mon travail, pour ne pas faire perdre de temps à la chambre. À la fin de la séance je pourrais indiquer quelques-unes de ces négligences de style. Ainsi, par exemple, je m'aperçois, en relisant le projet, que les mots : « de plus en plus », ont été l'objet de ma sollicitude toute (page 23) particulière. J'appellerai l'attention du bureau sur ce point, et je pense qu'avec l'adhésion de la chambre, il sera facile de faire disparaître ces négligences de rédaction.
« § 5. Nous nous félicitons d'apprendre que l'organisation de la garde civique se poursuit avec activité et succès. Nous espérons trouver dans cette institution une nouvelle garantie pour le maintien de l’ordre public. »
M. Orts. - Messieurs, dans les paroles prononcées tout à l'heure par l'honorable ministre de l'intérieur, pour répondre à plusieurs observations qui avaient été présentées dans la discussion générale, j'ai été assez étonné de ne rien trouver qui se rapportât à une interpellation très importante, faite par un honorable député du Luxembourg. Cet honorable membre avait demandé à M. le ministre de l'intérieur s'il ne croyait pas pouvoir trouver dans la réorganisation de la garde civique un moyen de réduire peut-être, dans un avenir plus ou moins éloigné de nous, les dépenses que nécessite le maintien de notre état militaire.
L'organisation de la garde civique a donné au pays, je dois le dire, une force qu'il ignorait complètement. L'organisation de la garde civique, jusqu'à l'époque où des circonstances récentes en ont fait comprendre à la nation toute l'importance, cette organisation n'était estimée par personne à sa juste valeur. Jusqu'à l'année dernière la représentation nationale et le gouvernement lui-même doutaient de la possibilité d'obtenir une bonne organisation de la garde civique. Aujourd'hui, par suite des événements qui se sont passés depuis le 24 février, les citoyens ont compris que la garde civique est une garantie d'ordre intérieur et en même temps une force qui doit contribuer à assurer la défense nationale.
En présence de ce changement, que j'appellerai radical, je crois pouvoir attirer l'attention de la chambre sur le point de savoir s'il ne serait pas utile d'exprimer dans l'adresse la pensée que la garde civique peut contribuer, par sa bonne organisation, à diminuer les dépenses de l'état militaire dans le pays. Il est bien entendu que cette observation ne porte point sur l'état militaire commandé par les circonstances exceptionnelles dont nous devons espérer que nous verrons bientôt la fin. Lorsque nous en serons venus à un état normal, régulier, ne pourrait-on pas trouver alors dans la garde civique un moyen de diminuer, non pas l'armée, mais l'effectif des hommes présents sous les armes ? Du reste, messieurs, je ne fais ici que reproduire des paroles qui ont été prononcées dans cette enceinte, de l'assentiment de tout le monde, par l'honorable rapporteur de la loi sur l'organisation de la garde civique au mois d'avril dernier.
« Il est d'ailleurs une opinion qui tend à se généraliser, c'est que le gouvernement peut trouver dans la garde civique le concours gratuit d'une force qui lui permette de diminuer les dépenses considérables nécessitées par l'état militaire. »
Ces paroles ont été prononcées, au nom de la chambre entière, par la section centrale, qui est l'expression la plus nette, la plus vraie de la pensée du parlement. Ces paroles étaient donc l'expression fidèle de la pensée de la chambre, telle qu'elle était constituée au mois d'avril; elles n'ont pas trouvé de contradicteur alors, ni au banc ministériel, ni ailleurs.
M. le ministre de la guerre, qui est le mieux à même de juger la question, l'homme en qui la chambre doit avoir toute confiance, au point de vue des questions militaires, M. le ministre de la guerre a fait plus qu'apporter à cette opinion l'appui de son silence; il a émis dans la discussion la pensée que la garde civique bien organisée pouvait fournir à l'armée un concours efficace.
Je tiens à la main les paroles textuelles de M. le ministre de la guerre, dont j'ai donné le sens.
Je demanderai donc au gouvernement, non pas en vue d'embarrasser sa marche, niais pour obtenir quelques-unes de ces paroles d'espoir, si propres à inspirer au pays la patience à laquelle M. le ministre de l'intérieur faisait appel, je lui demanderai s'il verrait de l'inconvénient à ce qu'on ajoutât au paragraphe en discussion cette phrase finale :
« Et une source d'économies dans les dépenses que nécessite notre état militaire. »
Je dépose en conséquence cet amendement sur le bureau sous réserve, si la discussion ultérieure m'en démontrait la nécessité, de prendre à son égard un parti définitif.
M. Coomans. - Messieurs, je demanderai la permission d'ajouter quelques mots aux observations que l'honorable M. Orts vient de présenter. Je réclame votre bienveillance. C'est la première fois que je parle devant cette assemblée, et c'est même la première fois que j'improvise devant une assemblée quelconque.
Il me semble aussi, messieurs, que l'organisation sérieuse de la garde civique peut être une source d'économies. L'armée nous coûte environ 30 millions, et avec les pensions militaires 31 millions ; c'est à peu près le tiers du budget général de l'État. C'est évidemment trop.
La garde civique n'a pas été assez populaire en Belgique jusqu'à présent : c'est un fait qui ne peut être nié. Mais, d'après les derniers événements qui ont ébranlé l'Europe, il y a eu une sorte de réaction favorable à cette institution qui n'est pas nouvelle, qui est ancienne, qui a rendu d'immenses services, qui peut en rendre de plus grands encore.
Je suis très persuadé que si la garde civique était organisée aujourd'hui d'une manière sérieuse, il en résulterait, d'une part, de nouvelles garanties pour le maintien de l'ordre public, et d'autre part des économies réelles, notables, que l'on pourrait réaliser sur le budget de l'armée.
À propos de l'armée, j'ai besoin de le dire : le gouvernement ne peut pas se considérer comme le seul défenseur de l'armée en Belgique s’il n'a pas cette intention, j'en suis sûr ; mais, pour ma part, je dois déclarer hautement que la Belgique entière comprend la nécessité d'un établissement militaire fort, très fort, et que toutes les sympathies du pays sont acquises à l'armée.
L'armée a rendu des services; elle a déployé un patriotisme désintéressé dans bien des circonstances, et tous nous lui en tenons compte ; mais il est certain qu'en Belgique, nation neutre, nation amie de l'ordre, comme elle l'a prouvé, une armée qui absorbe le tiers de ses ressources annuelles, est trop dispendieuse, surtout depuis que le libéralisme, ce vrai libéralisme dont je fais partie, aussi, règne et gouverne.
Qu'est-ce que le libéralisme? C'est évidemment le développement du bien-être, de l'instruction et des lumières. Je crois, que plus le libéralisme se développera, moins il sera nécessaire de recourir à la violence pour maintenir les populations dans les voies de l'ordre ; car en définitive, une armée, quelque nobles que soient les sentiments de ceux qui la dirigent et la composent, n'est que l'emploi de la force brutale, et j'espère bien que plus les lumières s'étendront, moins il sera nécessaire d'entretenir des troupes nombreuses.
J'insisterai sur ce point, moins cependant pour réaliser des économies (quoique cette considération ne soit certainement pas à dédaigner) que pour préparer, au retour de la paix générale, une réforme libérale, très libérale que je médite depuis longtemps. C'est l'abolition de la conscription. Voilà une réforme chrétienne et véritablement libérale, et je pense que nous parviendrons à l'exécuter avec une bonne garde civique et une armée de volontaires de 25,000 hommes environ. La Belgique serait ainsi suffisamment défendue; elle n'est pas menacée extérieurement, elle l'est encore bien moins intérieurement. Je crois que cette force militaire suffirait.
Mais, dira-t-on, que ferons-nous de nos officiers? L'objection est sérieuse. Il faut respecter tous les droits acquis. Il faut considérer deux choses dans la réalisation du projet que j'énonce : respecter les droits acquis et fortifier l'armée; et je pense qu'on y parviendrait avec de la bonne volonté, tout en diminuant les dépenses publiques.
La Constitution exige que les commandements dans la garde civique soient donnés par l'élection jusqu'au grade de capitaine inclusivement; mais rien n'empêche de confier les autres grades à l'armée, de les accorder aux officiers supérieurs. Je le voudrais, pour atteindre un double but; d'abord pour ne pas devoir mettre de côté des officiers qui ont bien mérité de la patrie, et ensuite pour fortifier la garde civique.
Sans faire injure à la bourgeoisie, on peut dire qu'elle est moins apte que les officiers diplômés à agir militairement et à donner à la garde civique l'instruction et la discipline qui lui sont nécessaires.
La combinaison que j'indique consoliderait notre garde nationale, en ferait des troupes respectables, et maintiendrait les officiers de l'armée régulière dans l'exercice de tous leurs droits.
Du reste, j'émets ces idées surtout pour arriver à l'abolition de la conscription. Je reconnais que nous ne sommes pas dans un état normal; aussi n'ai-je aucunement l'intention de formuler un projet dans ce sens. Je sais qu'il faut attendre encore ; mais je pose la question dès à présent; car dès que la paix sera solidement établie, je voterai contre tout budget de la guerre dans lequel se trouvera inscrit le principe tyrannique de la conscription.
Pendant des siècles on a maintenu en Belgique un ordre sévère, un ordre parfait avec de la garde civique et des volontaires; c'est avec des volontaires que la France a soutenu des guerres qui ont eu des résultats magnifiques. (Interruption.) Oui, messieurs, des résultats magnifiques ! Louis XIV a gagné toutes ses batailles avec des volontaires; ce sont des volontaires qui ont fait triompher Louis XV à Fontenoy; pour accomplir de grandes choses, pour soumettre l'Inde et peser sur le monde entier, l'Angleterre n'a eu que des volontaires; pourquoi ne pourrions-nous, avec des volontaires, maintenir l'ordre chez nous ?
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, quelques orateurs ont demandé si l'organisation de la garde civique n'amènerait pas une réduction dans l'armée et par conséquent une diminution dans les dépenses du budget de la guerre. Pour répondre à ces questions, je vais avoir l'honneur de donner à la chambre quelques explications sur l'organisation de l'armée.
Personne ne peut méconnaître les services que la garde civique est appelée à rendre au pays dans certaines circonstances. Cette institution sert puissamment à assurer la conservation de l'ordre public ; elle pourrait également, en temps de guerre, concourir avec l'armée, dans certaines limites, à défendre l'intégrité du territoire.
Mais tout en admettant son utilité à ce double point de vue, il est impossible d'admettre qu'elle pourrait au besoin rendre les mêmes services que l'armée permanente, et ainsi la remplacer au besoin.
Ceux qui préconisent ce système sont aveuglés par d'étranges illusions; ils ne se rendent sans doute pas compte des principes sur lesquels repose l'organisation des armées, et ils perdent de vue les leçons sévères de l'histoire.
Ce système n'est pas nouveau. Il a été souvent expérimenté et toujours abandonné.
Dans les temps de barbarie tout le monde était soldat. Pendant plusieurs siècles les armées furent composées presque exclusivement de la milice des communes, et les levées des communes, au moyen-âge, se faisaient par paroisse. Les armées permanentes ne reçurent de développement qu'à mesure des progrès de la civilisation et lorsqu'on eut (page 24) reconnu qu'on ne pouvait tirer aucun parti de ces attroupements, de ces masses sans instruction militaire. Cependant à cette époque, le courage individuel était presque tout à la guerre; on n'avait aucune notion des opérations stratégiques; la tactique était dans son enfance; tandis que d'après le système des guerres modernes, le succès repose principalement sur l'ordre, l'instruction des troupes, la précision et la rapidité des manœuvres.
Ces qualités ne s'acquièrent que par des exercices continuels et sous le commandement d'officiers habiles. On ne forme de bons officiers et de bons cadres que lorsqu'il y a un assez grand nombre de soldats sous les armes pour que les officiers et les sous-officiers puissent s'entretenir dans l'habitude du commandement et se former par la pratique journalière des manœuvres.
Il est facile de prouver par l'histoire que les résistances populaires n'ont jamais eu de succès que lorsqu'elles s'appuyaient sur des armées permanentes bien organisées. Quelques bataillons ont conquis le Tyrol malgré la défense héroïque de sa population ; une armée plus faible encore a soumis les cantons suisses dont on se plait aujourd'hui à vanter le système d'organisation militaire; le soulèvement des Espagnols n'aurait certes pas sauvé l'Espagne, sans le secours de l'excellente armée permanente anglaise ; les Etats-Unis ne sont parvenus à s'affranchir ou joug de l'Angleterre qu'à l'aide des armées et des flottes françaises; enfin de nos jours, l'insurrection de la Lombardie aurait facilement été comprimée par l'armée autrichienne sans les troupes régulières du roi de Sardaigne, si renommées par leur excellente organisation.
Cette armée piémontaise qui joue un si grand rôle, qui a la gloire de lutter victorieusement contre les forces d'une des plus grandes puissances militaires de l’Europe, est une armée presque identiquement organisée comme la nôtre, de la même force que l'armée belge mise sur le pied de guerre.
Le Piémont, qui conquiert un si considérable accroissement de territoire au moyen de son excellente armée, est un pays de 4 millions de population comme la Belgique.
Je vous disais, messieurs, que les corps qui n'ont pas une organisation militaire complète étaient plus nuisibles qu'utiles à la guerre, quel que soit le courage et l'enthousiasme qui les anime, parce que rien ne doit remplacer l'instruction et la discipline. Cela est si vrai que nous venons de voir le chef de l'armée piémontaise, le roi Charles-Albert, inviter les corps irréguliers, les milices citoyennes, à ne plus se rendre sur les lignes d'opération où leur présence est plus nuisible qu'utile.
Cette dernière guerre est donc encore une nouvelle preuve que les efforts des populations ne peuvent avoir de résultat favorable, que lorsqu'ils se combinent avec ceux d'armées bien exercées, et que rien ne peut remplacer une armée régulière et permanente.
Le désavantage de l'organisation des milices citoyennes qui constituent la principale force aux Etats-Unis a été si bien senti dans ce pays, que cette institution y est devenue très impopulaire et est presque abandonnée. Il me suffira, pour le prouver, de citer le passage suivant d'un célèbre économiste français qui ne peut certainement pas être taxé de partialité, puisqu'il s'est toujours montré l'adversaire des armées permanentes :
Voici comment s'exprime Michel Chevalier :
« En ce moment la durée des exercices prescrits par la loi, est de trois jours ; on ne saurait croire combien même, ainsi réduits, ces exercices soulèvent de répugnances. Il y a un haro universel contre la loi des trois jours ; ce sont trois journées de travail que vous enlevez à chaque père de famille, disent le négociant, le boutiquier et l'ouvrier.
« Le nombre de citoyens qui s'exposent à l'amende plutôt que d'aller courir les rues, le mousquet sur l'épaule, sans ordre ni tenue, à la suite d'un tambour et d'un fifre criard, est si considérable, que sur beaucoup de points, l'amende est tombée en désuétude. »
Le système qu'on veut faire prévaloir aujourd'hui en Belgique ne tarderait pas à devenir très impopulaire, comme en Amérique, par la gêne et les corvées qu'il imposerait à chaque citoyen, et l'on aurait désorganisé une excellente armée qui est la garantie la plus solide de notre indépendance et de notre nationalité, pour la remplacer par une armée inhabile, malgré son courage et son patriotisme, à résister à l’agression d'une armée régulière dans un pays qui n'offre aucun obstacle sérieux à l'ennemi.
Je le répète, messieurs, je crois que dans certaines limites la garde civique est extrêmement utile, mais je crois qu'il faut plutôt considérer la garde civique comme une forte morale que comme une force matérielle. Lorsque la garde civique est organisée et animée comme en Belgique des plus nobles sentiments, l'armée a plus de confiance en elle-même, sa tâche est plus facile et elle sent augmenter sa puissance d'action.
Personne plus que moi ne rend hommage au patriotisme et au courage de la garde civique, et cependant j'ai la conviction profonde que jamais elle ne pourra remplacer l'armée.
Après la révolution de 1830, nous crûmes ainsi qu'on n'avait pas besoin d'armée permanente; que nos volontaires et la garde civique suffiraient pour maintenir l'ordre dans le pays et défendre le territoire. Rappelez-vous, messieurs, combien nous avons payé chèrement cette erreur.
Est-ce le courage, le dévouement qui manquèrent à nos volontaires et à notre garde civique? Non, messieurs, c'est l'organisation, c'est l'instruction.
L'instruction et l'organisation d'une armée ne s'improvisent pas.
J'ai eu l'honneur de dire à la chambre dans la dernière discussion du budget de la guerre, et je lui répéterai que rien n'est plus long, plus difficile, plus dispendieux à créer, à organiser, à instruire, qu'une année; et que rien n'est plus promptement désorganisé.
Voilà pourquoi je vous demande, messieurs, surtout dans les circonstances actuelles, de ne pas porter la main sur l'organisation de notre armée. Depuis dix-sept ans vous avez fait des sacrifices, des efforts généreux pour constituer une bonne armée; vous avez réussi dans cette œuvre.
L'armée, par son instruction, sa discipline qui ne s'est jamais démentie, par son patriotisme fait honneur au pays ; elle est prête à le défendre, à se dévouer pour la conservation de notre indépendance et de nos institutions; et au nom de l'intérêt et du salut commun, je vous demande de maintenir et de conserver l'armée sur un pied convenable.
M. Lebeau, rapporteur. - Messieurs, je désire mettre la chambre au courant de ce qui s'est passé au sein de la commission d'adresse.
La proposition d'une mention analogue à celle que renferme l'amendement de l'honorable M. Orts a été très sérieusement agitée dans le sein de la commission. On a, messieurs, repoussé l'insertion d'une proposition de ce genre par plusieurs considérations que je crois utile de rappeler sommairement.
Et d'abord, la bonne organisation de la garde civique en Belgique, qu'il me soit permis de le dire sans faire injure à personne, est encore un problème. Il n'est pas encore possible d'affirmer que l'institution de la garde civique est destinée à se développer dans notre pays avec un succès égal, par exemple, à celui de la garde nationale française.
Nous avons, pour appuyer ce doute, l'expérience de ce qui se passe depuis dix-sept ans. Il ne faut pas croire que la législation sur la garde civique soit nouvelle. Parce que les chambres ont procédé à une révision des lois organiques sur la garde civique dans la dernière session, il ne faut pas qu'on croie qu'il n'y avait rien dans notre législation sur l'organisation de la garde civique. Cette organisation a été décrétée par le congrès national lui-même; et vous avez vu que malgré le concours de toutes les autorités, de l'autorité centrale comme des autorités secondaires, sauf quelques localités parmi lesquelles je crois qu'en première ligne il faut, pour être juste, citer la capitale, la garde civique est restée, pour ainsi dire, à l'état de lettre morte.
Il se peut que, grâce à de nouveaux efforts et grâce surtout au progrès du sentiment national, cette institution parvienne à se développer. Mais je crois qu'il y aurait un optimisme imprudent à affirmer le succès complet et rapide de cette organisation.
Il y aurait donc, sous ce rapport seul, selon moi, une grave imprudence à émettre l'idée que la garde civique peut concourir efficacement, non seulement au maintien de l'ordre à l'intérieur, mais à la défense extérieure du pays, avec l'armée de ligne, de manière à permettre une réduction quelque peu notable de celle-ci.
Mais j’y vois une bien plus grande imprudence en ce que de quelques précautions qu'on enveloppe une pareille assertion, de quelque commentaire qu'on l'entoure, il est impossible qu'elle n'exerce pas une fâcheuse influence sur l'esprit de l'armée. Il semblerait que l'armée, dans le moment où quelque effroi se propage dans l'esprit des citoyens, soit l'objet de nos cajoleries, et qu'à peine la sécurité est-elle rentrée dans les esprits, qu'on prévoit déjà, qu'on indique déjà en quelque sorte l'époque où l'on licenciera sinon l'armée, au moins une partie importante de l'armée. Eh bien, je dis que, surtout dans les circonstances actuelles, c'est une grave imprudence (et je sais qu'on s'en occupe dans l'armée), lorsqu'on peut avoir chaque jour à faire appel à son courage, à demander qu'elle verse son sang pour le pays, de lui inspirer des inquiétudes sur son existence, d'avoir l'air d'être pressé de se débarrasser d'elle.
Messieurs, ne nous laissons pas trop facilement effrayer; mais ne nous laissons pas non plus trop facilement rassurer. Je crois, et je ne veux pas insister plus longtemps sur cette considération, parce que je crains de dépasser la mesure, je crois qu'il y aurait la plus grande imprudence à insérer dans votre adresse une phrase, qui, contre la pensée évidente de ceux qui la proposent, pourrait exercer sur l'esprit de l'armée une très fâcheuse influence.
Voilà les raisons qui ont engagé la majorité de la commission de l'adresse à repousser l'insertion d’une phrase semblable à celle qui vous est proposée.
M. Orts. - Messieurs, j'ai d'abord à expliquer la portée de l'amendement, auquel j'avais cependant donné des développements qui me paraissaient devoir le faire comprendre d'un toute autre manière qu'il n'a été compris.
L'amendement que j'ai déposé n'a pas d'autre but que de traduire en un paragraphe de l'adresse une expression qui a tout à l'heure été employée par M. le ministre de la guerre lui-même, pour me répondre et pour combattre l'amendement.
M. le ministre de la guerre a dit qu'il reconnaissait l'utilité du concours de la garde civique pour coopérer avec l'armée à l'accomplissement de la mission commune dans une juste mesure. Eh bien ! dites cela au pays ; dites que dans la garde civique bien organisée vous trouverez pour l'avenir et dans une juste mesure un concours que vous n'avez pas encore trouvé.
Mais si l'armée peut compter dans une juste mesure sur le concours, de la garde civique, il faut aussi que la dépense de l'état militaire, (page 25) dans une juste et équitable mesure, soit diminuée en proportion de ce concours nouveau que l'armée va trouver. Le concours de la garde civique, si faible qu'il soit, étant un concours gratuit, doit entraîner, pour une partie si faible qu'elle puisse être (nous verrons quelle doit être cette partie lorsque nous nous occuperons du budget de la guerre) une diminution du concours non gratuit. Voilà toute la pensée de l'amendement.
Y a-t-il une idée quelconque dans cet amendement qui puisse faire supposer à l'armée qu'il ait été dicté par une pensée d'hostilité, par une pensée de désorganisation de la force militaire du pays? Il n'y a pas dans ma proposition un mot pareil ; et je m'accuserais moi-même, si par imprudence j'avais prononcé un mot pareil dans cette enceinte. Méconnaître les services qu'a rendus l'armée, ce serait un acte d'ingratitude dont personne dans le pays n'est coupable.
L'amendement n'implique pas la moindre réduction de l'armée. L'amendement implique la réduction dans les dépenses de la force militaire, mais non la réduction de la force elle-même. Or, tout le monde sait, quelque apparence de contradiction qu'il y ait dans ces paroles, que la force de l'armée et la dépense de l'armée sont deux choses différentes, en ce sens que l'une peut être réduite sans qu'on réduise l'autre.
Ainsi, comme je le disais tout à l'heure, pour rendre ma pensée plus claire et l'appliquer à un exemple, on peut, sans désorganiser les cadres de l'armée, sans porter atteinte à des positions justement et noblement acquises, on peut, dans un état normal, maintenir un moindre nombre d'hommes sous les armes, ou maintenir les soldats sous les armes pendant un temps moins long. C'est là une diminution de dépense que la garde civique peut arriver à produire sans qu'il soit porté la moindre atteinte à l'organisation de l'armée.
Je n'ai pas non plus eu la prétention, en proposant cet amendement, de dire que la garde civique pourrait remplacer l'armée. Ce n'est pas moi qui voudrais pousser la garde civique à la conquête du monde; ce n'est pas là le rôle qui appartient à la garde civique en général. Ce n'est pas le rôle surtout d'un garde civique belge. Il ne faut pas exagérer la pensée de ses adversaires, et chercher ainsi un moyen, facile sans doute, mais peu loyal, de les combattre.
On a cité, pour atténuer les bons effets qu'on peut attendre du concours de la garde civique dans la mission que je crois être sa mission véritable, ou a cité des exemples de gardes civiques, d'attroupements armés, de volontaires gênants, compromettants pour la défense nationale au lieu d'y aider. Mais , messieurs, ces exemples n'apportent aucune lumière dans la question que j'ai posée, ils s'appliquent à cet état de guerre, à cet état anormal dans lequel je reconnais que la garde civique ne peut pas remplacer l'armée. Je n'entends point parler d'attroupements armés qui se portent immédiatement sur un point quelconque dans un but d'agression, je parle d’une garde civique qui se prépare d'avance par des sacrifices de temps, par des exercices, au digne accomplissement de sa mission, d'une garde civique réellement et sérieusement organisée. Je ne veux pas d'une garde civique du genre des milices armées des États-Unis qui refusent d'aller trois jours par an à l'exercice, je veux d'une garde civique qui consente à s'instruire d'une manière complète, comme la garde civique belge, et cette garde pourra, certes, rendre les services dont parlait M. le ministre de la guerre.
Pour combattre mon amendement, on a été jusqu'à donner un démenti aux paroles que le ministère a placées dans le discours d'ouverture de la session. L'honorable rapporteur de la commission d'adresse a dit, en effet, que le succès de cette institution est un problème qui n'est pas encore résolu. Pourquoi le discours du trône a-t-il signalé ce succès comme un résultat acquis? Il y a contradiction évidente entre l'opinion exprimée par le rapporteur de la commission d'adresse et l'opinion exprimée dans le discours auquel l'adresse doit servir de réponse. Quant à moi, j'accepte la déclaration du gouvernement, je l'accepte avec bonheur, avec fierté pour le pays; je crois à la solidité de l'institution de la garde civique en Belgique.
Mon amendement, messieurs, a une autre portée que je dois signaler. Je le crois utile plutôt qu'embarrassant pour le gouvernement. Je crois qu'il est bon de dire au pays en présence de ce cri général d'économies, qui s'adresse plus particulièrement au budget de la guerre, je crois qu'il est bon de dire au pays : Vous voulez des économies, eh bien, les économies sont à un prix; c'est que si vous ne voulez pas payer de votre bourse, vous payerez de votre personne. Il faut que le pays sache à quoi s'en tenir sur les économies. Il faut que la vérité soit dite à tout le monde; il faut qu'elle le soit au gouvernement dans cette enceinte et qu'elle arrive aussi à l'oreille de la nation entière. Mais la du service personnel est lourde. Elle est lourde surtout pour ceux dont une journée de travail constitue une notable ressource. M. le ministre de la guerre l'a dit avec raison. Pour que pays supporte ce fardeau sans murmures et sans répugnance, il faut que l'on sache que cette charge de la garde civique trouve son corollaire dans un dégrèvement pour le budget de la guerre.
Je déclare de nouveau, messieurs, en terminant, que mes observations n'ont été dictées par aucune pensée hostile envers l'armée, qui mérite toute l'estime, toute la reconnaissance du pays. La pensée qui m'anime est une pensée de bon citoyen.
M. Coomans. - Je n'ai pas l'impardonnable prétention de donner des leçons à M. le ministre de la guerre; j'écouterai toujours très volontiers celles qu'il voudra me donner comme général ; nul mieux que lui, ici et au dehors, n'est en état de bien déterminer les conditions dans lesquelles une armée s'organise et se maintient. Mais si je n'ai pas les connaissances militaires , je sais fort bien deux choses; d'abord qu'il faut absolument des économies et ensuite, je le dis sans engager personne, je le dis en mon nom personnel, que la conscription est un impôt odieux, inique, qui doit disparaître. Voilà, messieurs, les deux motifs qui m'ont fait prendre la parole.
Je n'ajouterai rien à l'éloge si juste et si éloquent que l'honorable M. Orts a fait de la garde civique; je dirai seulement qu'il me semble que si vous maintenez l'armée sur le pied où elle se trouve, vous n'aurez jamais une bonne garde civique. Vous en avez une, pour le moment, parce que tout le monde en comprend la nécessité, et je voudrais que l'on profitât de ces excellentes dispositions de l'esprit public pour organiser cette institution sérieusement et définitivement: car lorsque les circonstances actuelles auront cessé d'inquiéter les bons citoyens, si vous avez une armée forte, on ne comprendra plus la nécessite de la garde civique; chacun se retirera chez soi; on dira : Nous avons une bonne armée très dévouée, très instruite, nous payons 31 millions pour elle, pourquoi nous déranger?
Je désirerais donc, comme l'honorable M. Orts, qu'on dit à la nation: « Vous voulez des économies, vous en aurez, mais chacun payera de sa personne. » Quand la garde civique saura qu'elle n'a plus l'année derrière elle, elle comprendra qu'elle a une mission sérieuse à remplir, et elle se fortifiera et se conduira de manière à pouvoir s'en acquitter convenablement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, nous sommes les premiers à reconnaître les services que la garde civique peut rendre au maintien de l'ordre et, dans des circonstances données au maintien de la nationalité. Nous reconnaissons aussi que la garde civique, parfaitement organisée dans nos villes principales, pourra dans une certaine mesure , suppléer au service de l'armée et entraîner la diminution du nombre des hommes appelés annuellement sous les armes. Il est évident que, si dans des circonstances récentes, la garde civique de Bruxelles n'avait pas existé, il aurait fallu nécessairement renforcer la garnison de la capitale. Sous ce rapport, nul de nous ne peut mettre en doute l’utilité de la garde civique ; nul ne peut mettre en doute que l'existence de la garde civique ne diminue le nombre de soldats retenus sous les armes. Cette vérité est tellement évidente, que nous ne voyons point la nécessité de l'introduire dans l'adresse. Que la garde civique, si elle continue à remplir le rôle qui lui est assigné, doive aider le gouvernement à faire des économies dans le budget de la guerre, cela n'est pas douteux; mais il est impossible de décider à quel moment ces résultats pourront être obtenus.
Dans les circonstances actuelles, par exemple, croit-on qu'une bonne organisation de la garde civique soit de trop, concurremment avec la bonne et complète organisation de l'armée, pour défendre l’établissement belge? Non, sans doute; et vous êtes trop bons citoyens, pour demander immédiatement la réduction de l'armée, alors même que l'organisation de la garde civique serait entièrement achevée; vous le voulez si peu, que bien que la garde civique de la capitale soit aujourd'hui parfaitement organisée, vous ne demandez pas la réduction de la garnison au sein de la capitale.
Si nous sommes d'accord en fait, à quoi bon dès lors déposer dans l'adresse une hypothèse qui ne se réalisera pas peut-être d'ici à quelques années? Si elle doit se réaliser bientôt, à quoi bon la poser? Si elle ne doit pas se réaliser, il y aurait un grand inconvénient à donner au pays des espérances dont la réalisation devrait encore se faire attendre.
Tout le monde, dans cette chambre, est convaincu de la nécessité de maintenir l'armée dans son organisation et dans sa force; tout le monde est convaincu du concours utile que la garde civique peut apporter à l'armée; mais je ne suis pas moins convaincu qu'une diminution des forces de l'armée, telle qu'elle est aujourd'hui constituée, serait elle-même un obstacle à la bonne organisation de la garde civique; car si l'armée compte et doit compter sur le concours de la garde civique; disons aussi que la garde civique compte, comme elle a droit de compter, sur le concours de l'armée; si vous voulez arriver à une bonne organisation de la garde civique, si vous voulez que la garde civique ait confiance en elle-même, il faut qu'elle ait l'armée à côté d'elle.
Après tout, pourquoi ici ces distinctions? L'armée et la garde civique sont animées des mêmes sentiments patriotiques. Nous sommes loin de nier l'efficacité des services que la garde civique peut-être appelée à rendre au pays; mais tenons compte aussi des antécédents. Ce n'est pas la première fois que le pays a montré un grand empressement pour l'organisation de la garde civique; nous avons été témoins du même zèle en 1830 et en 1831.
Mais par l'effet naturel de nos mœurs, de nos habitudes, de nos occupations, la garde civique, à mesure que le danger s'éloignait, la garde civique perdait de son zèle, et finalement nous l'avons vue réduite à rien dans la plupart de nos villes; et quant aux campagnes, elle n'y a pour ainsi dire jamais existé à l'état de corps organisé.
Nous demandons à l'honorable M. Orts de vouloir bien retirer son amendement. Nous ne le croyons pas utile, et nous pensons qu'il présente certains inconvénients; que son honorable auteur veuille bien prendre note de nos paroles; nous avons annoncé l'intention formelle d'introduire dans le budget de la guerre, pour l'état normal de l'armée, des économies sérieuses.
La présence d'une bonne garde civique dans le pays pourra contribuer sans doute à réduire le nombre de soldats présents sous les armes chaque année. D'autres faits pourront encore exercer de l'influence sur le budget de la guerre. Mais ne préjugeons rien, ne précipitons rien; (page 26) ne donnons pas à penser que nous voudrions dans ce moment même aller au-delà du but que chacun de nous veut atteindre.
La question se représentera à l'occasion de la discussion du budget de la guerre; c'est là qu'elle viendra se débattre d'une manière pratique; d'ici à trois ou quatre mois, les circonstances auront peut-être changé, les événements, espérons-le, nous permettront de substituer à de simples promesses des économies réelles; mais jusque-là maintenons les choses comme elles sont ; n'affaiblissons rien, n'alarmons personne, ne menaçons personne. L'armée est composée de citoyens qui comprennent leurs devoirs et les sacrifices qu'ils ont à faire. Je suis convaincu qu'aussitôt que l'état des circonstances le permettra, l'armée saura se résigner supporter une certaine somme de sacrifices.
Je demande à l'auteur de l'amendement de vouloir bien le retirer, de réserver cette question pour la discussion du budget de la guerre. Un budget de circonstances, si les circonstances l'exigent, sera présenté; mais en même temps qu'un budget de circonstance sera présenté, nous préférerons à la chambre un budget normal ; c'est en discutant ce budget normal qu'on jugera jusqu'à quel point l'organisation complète de la garde civique pourra permettre des réductions dans le budget de la guerre; mais jusque-là il y aurait des inconvénients à préjuger la question.
M. de Mérode - Messieurs, d'après les explications qu'a données M. Orts, je voterai volontiers pour son amendement parce qu'il ne tend point à réduire l'armée et surtout le corps d'officiers et de sous-officiers qui font de l'état militaire leur occupation constante et principale. M. le ministre de la guerre a trop bien démontré la nécessité de l'organisation militaire complète, pour qu'on puisse contester les motifs qu'il a fait valoir; mais puisque le gouvernement désire qu'on ne préjuge rien maintenant sur la question qui concerne le budget de l'armée, je pense qu'il convient de ne rien ajouter à l'adresse sur le sujet dont il s’agit.
M. Orts. - Messieurs, je regrette de ne pouvoir me rendre au désir qui m'a été exprimé en termes si bienveillants par M. le ministre de l'intérieur; mais, en retirant mon amendement, je reconnaîtrais réellement que cette disposition pourrait avoir quelque chose de dangereux ou de blessant pour l'armée. Je crois donc devoir maintenir l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer.
Mon amendement n'a pas cette regrettable portée, d'après moi. Ma conviction sur sa valeur est demeurée entière. Si je me trompe, le vote de la chambre condamnera sans atteindre ma pensée mes expressions, mais je ne puis en conscience les condamner moi-même lorsque je persiste à les trouver justes.
Plusieurs voix. - A demain !
M. Le Hon - Messieurs, j'ai peu de chose à dire sur l'amendement. Mais ayant fait partie de la commission d'adresse, ayant exprimé une opinion dans son sein, je ne puis émettre mon vote sur cet amendement, sans en énoncer les motifs.
Je suis de ceux qui partagent les espérances de l'honorable M. Orts, telles qu'il les a développées. J'ai la confiance que la garde civique, lorsque son organisation lui permettra de fonctionner régulièrement dans tout le pays, pourra alléger le service d'une manière très notable, et la dépense de l'armée dans ses rapports avec la défense de l'ordre intérieur.
Ces espérances, je le répète, je les partage avec sincérité. Mais là n'est pas, pour moi, la question, et c'est en quoi consiste le principal inconvénient de l'amendement.
Comment se fait-il que je répugne à exprimer dans l'adresse, sous la forme d'un vœu solennel et pressant de la chambre, un désir que je forme et dont j'espère la réalisation dans un prochain avenir ?
C'est qu'au moment où nous parlons, des événements d'une extrême gravité agitent tous les États de l'Europe, et peuvent menacer un jour l'existence nationale ou la sécurité intérieure de notre pays, qu'il faut donc conserver, quant à présent, à l'armée non seulement les éléments de sa force matérielle, mais encore l'énergie de sa situation morale, et qu'il serait imprudent quand nous applaudissons tous à son patriotisme, à sa discipline, à son courage, de lui donner, par une manifestation solennelle, sans utilité immédiate, des motifs plus ou moins fondés d'inquiétude et de découragement.
Cette considération a profondément frappé la commission de l'adresse. Elle a pensé que le moment n'était pas bien choisi pour exprimer un vœu formel de réduction indéterminée, lorsque demain, après-demain peut-être vous pouvez avoir besoin du courage et des sacrifices de l'armée. Eh bien, je le déclare à l'honorable préopinant; son amendement serait interprété non d'après les commentaires dont il l'accompagne, mais d'après la rédaction qu'il lui donne. On jugera cet amendement par ses termes, et permettez-moi de parler en toute franchise, les explications données par l'honorable M. Orts, ne sont pas la traduction parfaitement exacte de l'adjonction qu'il propose. Le commentaire, c'est la pensée, c'est le sentiment de l’honorable membre. Mais l'amendement dit autre chose que ce que veut sa pensée. Relisez-le en effet : « Nous espérons trouver une source d'économies dans les dépenses de notre état militaire. »
Selon moi, il ne s'agit pas là simplement des dépenses du service ordinaire de l'armée, c'est-à-dire de la faculté de maintenir sous les armes un plus ou moins grand nombre de soldats, pendant un temps plus ou moins long; il ne s'agit pas de la réduction des gros traitements ou de la suppression des superfluités; j'y vois bien plutôt les dépenses de notre état militaire tel qu'il est constitué, c'est-à-dire les dépenses qui affectent son organisation légale, son effectif réel.
Or, veuillez-y réfléchir : si, au milieu de cette assemblée si unanime dans l'expression de ses sentiments sur la patriotique émulation de l'armée, et sur les encouragements qu'elle mérite, les doutes que j'exprime peuvent s'élever quant à la véritable portée de l'amendement, croyez-vous que ces doutes ne saisiront pas plus vivement encore des esprits plus préoccupés et plus inquiets? Je le crains sérieusement. Je reconnais qu'au point de vue des charges que fait peser sur nos finances le budget actuel du département de la guerre, le vœu d'une réduction notable de ce budget n'est qu'un écho de la voix du pays, des exigences de l'opinion publique; aussi ce vœu est-il compris dans le paragraphe relatif aux économies sérieuses, efficaces, réclamées dans les budgets de tous les départements ministériels ; mais le mettre en relief, le rendre plus étendu, plus indéfini et l'appliquer à notre état militaire en général à propos de l'organisation non encore achevée de la garde civique, quand on sait que le résultat utile ne peut être immédiat et qu'il en peut naître un fâcheux effet moral, je crois que ce serait faire sans nécessité une manifestation inopportune : et l'opportunité s'offrira d'elle-même; et utilement alors, dans l'examen et la discussion du budget de la guerre. Là, rien ne sera vague, susceptible d'exagération ou d'erreur ; nous serons en présence des questions et des chiffres. Je crois qu'il est du devoir de la chambre de s'arrêter devant les considérations que j'ai l'honneur de lui soumettre comme explication de mon vote.
Tout en partageant, je le répète, les vœux et les espérances de l'honorable M. Orts, je suis arrêté par cette conviction que le pays ne recueillerait pas, de l'adoption de l'amendement, les économies qu'il réclame et qu'il attend, et que nous pourrions avoir à regretter l'impression fâcheuse qu'en aurait éprouvée la partie la plus active de notre force nationale.
- La discussion est close.
L'amendement proposé par M. Orts est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
Le cinquième paragraphe est mis aux voix et adopté.
La séance est levée à cinq heures et quart.