(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1203) M. Troye. procède à l'appel nominal à deux heures un quart. La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer. donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.
M. Troye. fait connaître l'analyse des pétitions suivantes.
« Le bourgmestre de la commune de Heusy demande la nomination des bourgmestres et des échevins par les électeurs. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Gouy-lez-Piéton demande que le propriétaire dont l'impôt foncier est inférieur à 500 fr. soit exempté de l'emprunt qui a pour base la contribution foncière. »
- Renvoi à la section centrale du projet de loi d'emprunt.
« Le sieur André réclame l'intervention de la chambre pour obtenir que son fils Guibert-Désiré soit exempté du service militaire. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les chasseurs-éclaireurs de la garde civique de Bruges demandent que le projet de loi sur la garde civique maintienne les corps d'élite. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.
- Personne ne demandant la parole sur l'ensemble du projet, la chambre passe à la discussion des articles.
« Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre un crédit supplémentaire de cinquante mille cent-soixante-trois francs (50,163 francs), pour le budget des dépenses de l'exercice 1847 dudit département, dont il formera l'article premier du chapitre IX.»
- Adopté.
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, est adopté à l'unanimité des 62 membres présents.
Ce sont : MM. Desaive, de Sécus, de Terbecq, de Tornaco, d'Hoffschmidt, Dolez, Dumont, du Roy de Blicquy, Eenens, Eloy de Burdinne, Faignart, Gilson, Henot, Jonet, Lange, Lejeune, Lesoinne, Loos, Malou, Manilius, Mercier, bureau, Orban, Osy, Pirmez, Rogier, Rousselle, Sigart, Tielemans, T'Kint de Naeyer, Troye, Van Cleemputte, Vanden Eynde, Veydt, Vilain XIIII, Zoude, Anspach, Biebuyck, Brabant, Bruneau, Cans, Clep, Cogels, d'Anethan, Dautrebande, David, de Bonne, de Brouckere, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, de La Coste, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode et Liedts.
M. le président. - Nous sommes arrivés à l'article 6 du projet du gouvernement. Cet article est ainsi conçu :
« Art. 6. Les citoyens ne peuvent prendre les armes ni se réunir en état de gardes civiques sans l'ordre de leurs chefs. »
La section centrale, dans l'article 5 de son projet, propose de modifier cette disposition ainsi qu’il suit :
« Art. 5. Les gardes civiques ne peuvent se réunir en cette qualité ni prendre les armes, sans l’ordre ou l'autorisation de leurs chefs. »
M. le président. - M. le ministre de l'intérieur se rallie-t-il à la rédaction de la section centrale ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - J'aurai à proposer un amendement et un article additionnel.
Messieurs, cet article a de l'importance, il consacre une innovation dans la législation belge ; les lois antérieures se taisaient à cet égard. L'article du projet a été emprunté aux lois françaises ; mais on n'a fait qu'un emprunt partiel ; les lois françaises portent que les citoyens ne peuvent prendre les armes ni se réunir en état de gardes nationales sans l'ordre de leurs chefs ; mais elles ajoutent : « légalement requis ». Les chefs ne peuvent donner l’ordre qu'après réquisition de l'autorité civile.
Il y aurait donc d'abord une première addition à faire à l'article. Je ne puis considérer cette lacune que comme un oubli de m. Nothomb, qui est l'auteur du projet de loi que nous discutons. Il faudra ajouter, dans l'article 6 du projet du gouvernement, après les mots : « sans l'ordre de leurs chefs, ceux-ci : « ni ceux-ci donner cet ordre sans une réquisition de l'autorité civile ».
Pour tout ce qui concerne le service de détail, nous concevons que le chef puisse convoquer la garde civique sans réquisition de l'autorité civile ; mais il faudra pour cela un article qui se trouve dans les lois françaises : « Pourront cependant les chefs sans réquisition particulière faire toutes les dispositions et donner tous les ordres relatifs au service ordinaire et journalier ».
Maintenant, quant à l'addition proposée par la section centrale, qui consiste dans les mots : « sans l'autorisation de leurs chefs », cette proposition de la section centrale ne se trouve pas motivée dans son rapport. Quand j'ai demandé à quelles circonstances pourrait s'appliquer cette convocation de la garde civique sur simple autorisation des chefs, on a cité le cas de funérailles, de cérémonies publiques. Je pense qu'il faut réserver cette sorte de convocation officieuse des gardes civiques, pour les règlements de service ; mais l'on ne pourrait pas comme principe admettre que sur une simple autorisation du commandant d'un chef de corps, la garde civique pourrait se réunir eu état de garde.
Si la loi défend que le chef puisse la convoquer comme garde sans l'autorisation de l'autorité civile, il ne faudrait pas permettre d'éluder la loi en autorisant ce qu'on n'aurait pas le droit d'ordonner. Je suppose que l'autorité légale ne juge pas à propos de réunir la garde ; le chef de la garde, qui doit obéissance à l'autorité civile, ne donnera pas d'ordre de réunion ; mais sous le prétexte que certains gardes le demanderont, pourra-t-il autoriser une réunion ? S'agit-il d'une autorisation pour cérémonies ou autres réunions non officielles, il faut réserver ces cas pour les règlements de service.
Ces règlements de service seront approuvés par l'autorité, ils pourraient prévoir ces cas particuliers dont la loi ne se serait pas occupé. Quant aux modifications que je propose, on pourrait en ordonner le renvoi à la section centrale et passer à la discussion des articles suivants.
M. Delfosse. - Il convient d'imprimer cet amendement et de le renvoyer à la section centrale. Mais je ferai remarquer que l'article 83 du projet du gouvernement (80 du projet de la section centrale), prévoit le cas que M. le ministre de l'intérieur veut régler par son amendement ; la lacune que M. le ministre de l'intérieur semble trouver dans le projet n'existe donc pas.
Les gardes civiques ne peuvent se réunir, d'après l'article 6, sans l'ordre de leurs chefs. Mais les chefs ne peuvent donner l'ordre qu'en venu d'une réquisition et l'article 80 dit quelles sont les autorités qui ont le droit de faire la réquisition ; c'est le bourgmestre dans la commune et lorsqu'il s'agit de plusieurs communes, c'est le gouverneur ou le commissaire d'arrondissement.
La section centrale a cru qu'il était bon que la garde civique pût se réunir, lorsqu'elle y serait autorisée. Si M. le ministre de l'intérieur trouve préférable que l'autorisation soit donnée par le bourgmestre au lieu de l'être par le chef de la garde, je ne m'y oppose pas.
On dit que des règlements de service pourront statuer sur ce point. Mais les règlements de service ne peuvent être contraires à la loi. Si la (page 1204) lot dit qu'on ne peut se réunir qu'en vertu d'ordres, les règlements de service ne pourraient pas autoriser les gardes à se réunir dans d'autres Cas.
M. Manilius. - Puisque l'amendement de M. le ministre sera renvoyée la section centrale, et eu égard à ce que vient de dire l'honorable M. Delfosse, je proposerai de réduire l'article à ces simples expressions : « Les gardes civiques ne peuvent prendre les armes sans l'ordre de leurs chefs. »
Je demande que cette proposition soit aussi renvoyée à l'appréciation de la section centrale.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, mon amendement n’est pas inutile ; le droit de requérir la garde civique appartient dit-on, au bourgmestre, en vertu de l'article 83. Mais ce droit est limité aux cas prévus par les articles 80 et 81. L'article 83 ne défend pas aux chefs de convoquer la garde civique sans réquisition dans d'autres cas. (Interruption.)
L'article 6, rédigé comme il l'est, autorise d'une manière générale les rassemblements de la garde civique sur l'ordre de leurs chefs.
Mon amendement n’est donc pas sans objet et fût-il surabondant, ce qui n'est pas, il sera toujours très utile que l'article soit éclairé et complété par cette disposition.
M. Delfosse. - Je .persiste à croire que l'amendement est inutile. Si l'on veut avoir égard à l'observation de M. le ministre de l'intérieur, il suffit d'ajouter un mot à l'article 80 ; au lieu de dire : « le droit de requérir la garde civique appartient au bourgmestre, etc., » dites : « le droit de requérir la garde civique n'appartient qu'au bourgmestre, etc. ».
M. le président. - Il est inutile de continuer la discussion, puisqu'il semble convenu de renvoyer les amendements à la section centrale.
- Le renvoi des amendements à la section centrale est ordonné.
M. le président. - « Art. 7. Le Roi peut, pour des motifs graves, dissoudre ou suspendre tout ou partie des gardes civiques d'une ou de plusieurs communes.
« Lors d'une dissolution, il sera procédé dans l'année à de nouvelles élections.
« La suspension ne pourra excéder une année.
« Toute dissolution entrainera le désarmement de la garde civique.
« Il en sera de même en cas de suspension, si l'arrêté royal l'ordonne.
La section centrale propose la rédaction suivante :
« Art. 6. Le Roi peut, pour des motifs graves, dissoudre les cadres de tout ou partie de la garde civique d'une ou de plusieurs communes. »
« Dans ce cas, il est procédé à de nouvelles élections dans le mois. »
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il à la rédaction de la section centrale ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Non, M. le président.
Messieurs, l'article 7 a pour but de conférer au Roi, pour des motifs graves, la faculté de dissoudre ou de suspendre tout ou partie des gardes civiques d'une ou de plusieurs communes. Je ne crois pas que l'utilité d'une pareille mesure puisse être contestée. Aussi la section centrale ne combat pas l'utilité de la mesure en elle-même. Il paraît que ce qui l'a engagée à modifier l'article, c'est un doute sur la constitutionnalité du droit de dissoudre.
M. Delfosse. - Non ! non !
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Pardonnez-moi. Voici ce que dit la section centrale :
« Un doute s'est élevé dans la section centrale. Le droit de dissolution est-il ou n'est-il pas constitutionnel ? La suppression pure et simple de l'article qui accorde ce droit au gouvernement est mise aux voix et rejetée par 3contre 3. »
Il semble que cette décision est la suite du doute qui s'est élevé dans la section centrale, de savoir si le droit de dissolution est ou n'est pas constitutionnel.
On a été plus loin dans la section centrale. On a pensé que le gouvernement lui-même, que l'honorable M. Nothomb, auteur du projet, considérait le droit de dissoudre appliqué à la garde civique comme peu constitutionnel, puisque, dit-on, dans son exposé des motifs, le gouvernement s'exprime ainsi : « La permanence et la perpétuité de la garde civique ont été érigées en principe, par l'article 122 de la Constitution. »
Cela est vrai, messieurs, la permanence de la garde civique a été érigée en principe par la Constitution, comme la permanence des chambres législatives a été érigée en principe par la Constitution.
Lorsque vous accordez au. gouvernement le droit de dissoudre les chambres, vous ne lui accordez pas le droit de faire disparaître l'institution elle-même. L’institution continue d'exister, alors même que le Roi a fait usage du droit de dissoudre les chambres, il en sera de même de l’institution de la garde civique, qui continuera d’être permanente et constitutionnelle, alors même qu'on aura, dans certains cas, suspendu et dissous, pour quelques temps certains corps de la garde civique.
Sous ce rapport je ne crois pas que les doutes qui se sont élevés dans la section centrale relativement à la constitutionnalité du droit de dissolution appliqué à la garde civique aient le moindre fondement.
La section centrale accorde quelque chose. Elle accorde la faculté de dissoudre les cadres. Il est évident, messieurs, que cette faculté donne trop ou trop peu.
Si l'on considère le droit de dissoudre comme inconstitutionnel, il ne faut pas l'accorder du tout. Mais si on le regarde comme constitutionnel, il faut l'accorder tout entier.
Je ne comprends pas le droit de dissolution appliqué aux cadres. Je suppose qu’une compagnie, qu’un bataillon, par quelque acte d'indiscipline grave mettre le désordre dans la commune. Comment pourvoira-t-on au rétablissement de la discipline ? En dissolvant les cadres ? Ainsi on frappera les officiers et on maintiendra le corps lui-même, auteur du désordre ; cela n'est pas admissible.
J'avoue que je ne puis pas m'expliquer l'efficacité d'un pareil remède.
Dans le deuxième paragraphe, messieurs, l'on demande qu'en cas de dissolution, il soit procédé dans l'année à de nouvelles élections. La section centrale veut que ce soit dans le mois. Ce délai me paraît beaucoup trop rapproché de l'époque où il a été nécessaire de dissoudre.
Il faut, messieurs, laisser s'écouler un certain temps avant que les passions s'apaisent, avant que l'on ait perdu de vue les circonstances qui ont provoqué et nécessité la mesure, d'ailleurs toujours exceptionnelle, de la dissolution.
Je crois que ce n'est pas donner un délai trop étendu que d’aller jusqu'à un an après l'époque de la dissolution.
Veut-on cependant une concession, nous pourrions réduire le délai à 6 mois.
Ainsi, messieurs, je maintiens l'article 7, je repousse l'amendement qui consiste à ne permettre que la dissolution des cadres, et je réduis à 6 mois le délai d'un an stipulé dans le paragraphe 2.
M. Delfosse. - Messieurs, d'après la Constitution, il doit y avoir une garde civique. L'existence de cette garde peut-elle dépendre d'un arrêté royal, le Roi peut-il faire, qu'il n'y ait pas, pendant une année entière de garde civique dans le royaume ? Telle est la question qui a été posée dans la section centrale et sur laquelle il y a eu partage de voix.
M. le ministre de l'intérieur justifie le droit de dissolution donné au Roi par le projet, en disant qu'il y a aussi, d'après la Constitution, des chambre législatives et que cependant le Roi peut les dissoudre. Je ferai remarquer que te droit de dissoudre les chambres est accordé au Roi par la Constitution même et que dans ce cas le Roi doit convoquer les nouvelles chambres dans un délai très court. Il n'y a donc aucune comparaison à établir entre la dissolution des chambres et la dissolution de la garde civique.
Je mets de côté, messieurs, cette question constitutionnelle. Je veux bien admettre avec M. le ministre de l'intérieur que le droit de dissoudre la garde civique accordé au Roi, ne serait pas inconstitutionnel, mais je dirai à M. le ministre de l'intérieur qui veut le droit de dissolution, que ce droit n'était pas en réalité établi par l'article 7 du projet du gouvernement. D'après cet article on donnait bien nominalement au Roi le droit de dissoudre la garde civique, mais en réalité ce droit n'existait pas. Je vais le prouver à M. le ministre de l'intérieur.
« Le Roi, disait l'article 7, peut, pour des motifs graves, dissoudre tout ou partie des gardes civiques d'une ou de plusieurs communes. »
« Lors d'une dissolution, il sera procédé, dans l'année, à de nouvelles élections. »
On voit bien, d'après cet article, que les cadres peuvent être frappés de dissolution, mais les compagnies restent formées telles qu'elles l’étaient dans le principe, puisqu'elles doivent être convoquées dans l'année pour procéder à de nouvelles élections. La dissolution accordée en apparence contre la garde tout entière, ne portait donc en réalité que sur les cadres.
C'est pour que la disposition soit plus rationnelle que nous proposons d'autoriser le gouvernement à dissoudre les cadres ; nous lui accordons aussi le droit qu'il aurait eu d'après le projet primitif ; seulement, la rédaction de la section centrale est plus conforme à la nature des choses et à la réalité.
M. le ministre de l'intérieur dit : Mais si les gardes civiques commettent des actes d'indiscipline, s'ils se livrent à des manifestations hostiles à l'ordre, est-ce que le gouvernement ne pourra pas les dissoudre ? Je réponds : D'après votre projet, vous-ne pouviez pas les dissoudre; vous pouviez seulement les priver pendant une année, de leurs officiers.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Et de leurs armes.
M. Delfosse. - C’est là une autre question. Ne compliquons pas les questions. Je parle en ce moment de la dissolution ; je parlerai tantôt du désarmement.
Si des gardes civiques commettent des actes d'indiscipline, s'ils se livrent à des manifestations hostiles à l'ordre ; je dis que votre article ne donne pas un moyen de répression plus efficace que l'article 6 de la section centrale. D'après votre article, comme d'après celui de la section centrale la dissolution ne frappe, en réalité, que les cadres, elle laisse la garde civique debout. Vous ne parez, par l'article 7, ni aux actes d'indiscipline, ni aux manifestations contraires à l'ordre dont, les gardes pourraient se rendre coupables. Mais il y a dans le projet de loi d'autres dispositions qui répriment les faits de cette nature. Nous examinerons plus tard ces dispositions et si M. le ministre de l'intérieur trouve qu'elles ne sont pas assez sévères, libre à lui de présenter des amendements pour les rendre plus efficaces.
Il y a aussi des dispositions qui permettent de désarmer les gardes, ce droit est donné dans certains cas aux officiers, dans d'autres, aux conseils de discipline. Si M. le ministre de l'intérieur pense que les conseils de discipline institués par la loi ne présentent pas assez de garanties, qu'il demande d'autres garanties, mais qu'il ne réclame pas pour le gouvernement une attribution qui me paraît exorbitante.
(page 1205) L'article 6 de la section centrale répond à tous les besoins d'ordre pour lesquels la garde civique est instituée. L'article 7 du gouvernement, que M. le ministre de l'intérieur soutient, est irrationnel, en ce qu'il accorde en apparence au gouvernement un droit dont le gouvernement ne peut pas user en réalité.
M. de Brouckere. - Je crois, messieurs, que le droit de dissolution est parfaitement constitutionnel. On objecte que ce droit n'est pas inscrit dans la Constitution, mais je demanderai si le droit de dissoudre les conseils communaux ou les conseils provinciaux s'y trouve ? Non, sans doute. Eh bien, le législateur ne pourrait-il pas accorder au gouvernement le droit de dissoudre ces corps ? Il le pourrait, sans doute, et la loi peut si bien statuer sur la dissolution, sans que la Constitution ait prévu le cas, que nous allons, dans peu de jours, ordonner vraisemblablement la dissolution et des conseils communaux et des conseils provinciaux.
Ainsi, messieurs, le silence de la Constitution ne saurait être invoqué, et le droit de dissolution peut très bien être établi constitutionnellement par la loi.
On fait une autre objection, qui au premier abord, peut paraître assez grave, mais qui ne résiste pas à l'examen. On dit que la Constitution a décrété non seulement l'existence de la garde civique, mais encore la permanence de cette garde, et qu'accorder au gouvernement le droit absolu de dissolution, c'est lui donner la faculté d'amener ce résultat, qu'à certaine époque il n'y ait pas de garde civique dans le royaume.
Je prierai la chambre de remarquer que l'article de la loi est conçu de telle manière que la dissolution ne peut être prononcée que pour des motifs graves. Or il est impossible d'admettre qu'il puisse se présenter des motifs graves de dissolution pour la garde civique de tout le pays ; des motifs graves ne peuvent se présenter que dans certaines localités ; ce n'est donc que dans certaines localités, et comme mesure d'exception, que la dissolution pourra être prononcée, en vertu de l'article proposé par le gouvernement.
Ceci étant établi, il restera à voir quel est celui des deux articles auquel il faut donner la préférence, de celui qui a été formulé par le gouvernement, ou de celui qu'a rédigé la section centrale. Il y a entre ces deux articles plusieurs différences et des différences très notables.
La première différence, c'est que, tandis que le gouvernement demande le droit de dissolution pour tout ou partie de la garde civique d'une ou de plusieurs communes, la section centrale ne lui accorde que le droit de dissoudre les cadres.
La seconde différence, c'est que la section centrale n'admet pas le droit de suspension que réclame le gouvernement.
La troisième différence, c'est que, dans le projet du gouvernement, on a stipulé le terme d'une année pour les élections nouvelles à faire, tandis que la section centrale veut qu'elles aient lieu dans le mois.
Enfin, la section centrale se tait sur le désarmement des gardes dont la dissolution a été prononcée, désarmement prévu et autorisé par le projet du gouvernement.
D'abord, messieurs, j'avoue que je préfère beaucoup l'article du gouvernement, en ce qui concerne la dissolution. C'est celle des gardes civiques, non celle des cadres qu'il faut permettre. Dissoudre simplement les cadrés, ce serait décider que les simples gardes conserveront leur position, leur qualité, sans avoir d'officiers, et je dois dire que je ne conçois pas une troupe à laquelle vous reconnaîtriez l'existence légale, alors que vous lui auriez ôté tous ses officiers. La dissolution des cadres doit nécessairement, selon moi, entraîner la dissolution de la garde.
Quant au second point, celui qui concerne le droit de suspension, il me semble qu'il n'y a aucun inconvénient, quand on accorde le plus, à accorder le moins. La suspension est une mesure moins sévère que la dissolution. La suspension consiste à laisser chacun dans sa position, mais à lui interdire pendant un certain temps l'exercice de ses droits ; eh bien, cette mesure est moins sévère que celle de la dissolution, et quand on accorde la dissolution, je ne vois pas de motifs, je le répète, pour refuser la suspension.
Relativement au terme pour lequel la dissolution pourra avoir lieu, je suis disposé à adopter la proposition faite aujourd'hui par le gouvernement qui le réduit d'une année à six mois. Un mois était évidemment trop court. Lorsque, dans une localité, il y a des motifs graves pour dissoudre tout ou partie de la garde civique, ce serait sans aucun doute se montrer imprévoyant que d'ordonner que la réorganisation de cette garde ait lieu dans le délai d'un mois ; et si celui d'un an pouvait par contre être considéré comme un peu long, je crois que nous sommes arrivés à un moyen terme convenable, en admettant le délai de six mois.
Maintenant reste la question du désarmement.
Les armes sont données à la garde civique par le gouvernement ; les citoyens ne sont armés qu'en leur seule qualité de gardes ; eh bien, du jour où vous ôtez à ces citoyens la qualité en vertu de laquelle ils sont dépositaires des armes du gouvernement, il est fort logique qu'on leur enjoigne de restituer les armes qu'ils n'ont plus droit de conserver.
Je me vois dans cette mesure rien dont on puisse se plaindre ni s'alarmer. Quand vous accordez au gouvernement un droit, il faut bien le lui accorder arec toutes ses conséquences : or, ne serait-ce pas un contre-sens que de dire au gouvernement qu'il peut dissoudre tout ou partie de la garde civique d'une commune, et de ne pas lui permettre d'ordonner le désarmement des gardes qui font partie du corps dissous, et qui, par cela même sont cessé de conserver la position de gardes civiques ?
D'après ces motifs, je donnerai la préférence au projet du gouvernement sur celui de la section centrale.
M. Delfosse. - Messieurs, l'honorable préopinant vient de dire qu'il préfère la dissolution de la garde civique à la dissolution des cadres. Je voudrais bien savoir comment il opérerait cette dissolution de la garde civique. Est-ce que les gardes, après la dissolution qui aurait été prononcée, cesseraient d'être gardes civiques ? Mais, messieurs, puisqu'ils doivent être convoqués dans l’année pour procéder à la nomination de leurs officiers, il n'y a rien de changé ni dans les compagnies ni dans les bataillons. Vous aurez beau inscrire dans la loi que la garde civique est dissoute, elle ne l'est pas en réalité. La garde civique reste garde civique ; la seule modification qu'elle subit, c'est que les officiers sont soumis à une réélection.
L'honorable M. de Brouckere me dit : Comment la garde civique existerait-elle encore, puisqu'elle n'aurait plus d'officiers ? Je demanderai à l'honorable membre comment la garde civique existerait, si tous les officiers venaient à donner leur démission ? N'y aurait-il pas pendant le temps qui s'écoulerait entre la démission de ces officiers et l'élection de leurs successeurs, n'y aurait-il pas de garde civique ? Si dans ce cas, il y a une garde civique, il peut y en avoir une dans le cas d'une dissolution des cadres.
Messieurs, il importe que la garde civique ne puisse être dissoute ; on peut avoir besoin d'elle dans un moment de crise. Le bourgmestre doit pouvoir la requérir en tout temps ; c'est déjà une chose fâcheuse que la garde civique puisse se trouver pendant quelque temps sans officiers, aussi proposons-nous d'abréger le délai dans lequel les nouveaux officiers devront être nommés. En attendant, si elle était requise par le bourgmestre, il faudrait bien qu'elle se donnât des chefs provisoires. Si l'on inscrivait dans la loi que la garde civique peut être dissoute, ce serait un grand danger pour l’ordre public.
Je comprends le droit de dissoudre les cadres ; les officiers sont élus pour cinq ans ; ils peuvent ne pas remplir convenablement leurs fonctions ; il peut arriver que les gardes se repentent des choix qu'ils ont faits. Il serait dans ce cas très pénible pour les gardes de rester sous les ordres de ces officiers pendant cinq ans. C'est dans leur intérêt, c'est pour que le gouvernement puisse avoir égard à leurs vœux qu'on admet le droit de dissoudre les cadres ; si le gouvernement se trompe sur l'opinion des gardes civiques, les anciens officiers seront réélus, personne n'aura à se plaindre.
Le droit de dissoudre les cadres ne peut nuire à personne. Le droit de dissoudre la garde civique pourrait être pernicieux. Je proteste au nom de l'ordre, contre l'idée de conférer ce droit.
M. de Brouckere ne comprend pas qu'on admette le droit de dissolution et qu'on refuse le droit de suspension. Qui peut le plus, dit-il, peut le moins ; si on accorde au gouvernement le droit de dissolution on doit à plus forte raison lui donner le droit de suspension. Que l'honorable membre veuille bien jeter les yeux sur l'article 55 du projet, probablement il n'a pas eu le temps de le lire en entier, il verra que le droit de suspension des cadres est attribué à la députation permanente.
Reste maintenant la question de désarmement. L'honorable M. de Brouckere veut que le gouvernement puisse reprendre les armes, puisque c'est lui qui les donne ; mais avec quel argent les donne-t-il ? avec l'argent des contribuables. Dans quel but les donne-t-il ? c'est afin que les gardes s'en servent pour le maintien de l'ordre. Si les gardes manquent à leur devoir, ils font un mauvais usage de leurs armes. Le conseil de discipline et au besoin d'autres tribunaux sont là pour les punir. Autre chose est une peine prononcée par un tribunal compétent, autre chose une mesure arbitraire peut-être qui serait prisé par un ministre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je regrette de me trouver en désaccord aussi complet avec l'honorable préopinant. Il me semble qu'il met à la fois dans la discussion de cet article, qu'il me permette de le lui dire, trop de subtilité d'une part et trop de chaleur d'autre part. Nous avons, je pense, un but commun, c'est le maintien de nos institutions, c'est le maintien de l'ordre librement pratiqué. Ainsi j'engage l'honorable préopinant à ne pas s'alarmer aussi vivement qu'il le fait pour le maintien de l’ordre public, en présence d'une disposition que je considère, moi, comme essentiellement liée au maintien de l’ordre public.
Je dis que mon honorable ami M. Delfosse met trop de subtilité dans l'interprétation de la disposition proposée par le gouvernement. Le gouvernement, dit-il, aura beau prononcer la dissolution de la garde civique, elle ne sera pas dissoute. C'est une erreur ; quand le gouvernement aura prononcé la dissolution de la garde civique, il aura destitué de fait les membres composant la garde, officiers et gardes ; ils ne pourront plus exercer à aucun titre les fonctions de garde civique, ils seront provisoirement privés de cette qualité ; elle renaîtra le jour où le gouvernement les convoquera pour procéder aux élections, il leur rendra alors la qualité qu'il leur aura enlevée par la dissolution.
Ils cesseront à tel point d'être gardes qu'on leur enlèvera leurs armes ; preuve que la dissolution ne sera pas chose vaine, car elle aura pour effet de leur enlever ce qui fait leur force, leur caractère.
La section centrale n'admet que la dissolution des cadres ; mais si vous autorisez la dissolution des cadres, vous laissez alors une garde civique sans officiers ? Que répond M. Delfosse à cette objection ? Les gardes en nommeront provisoirement d'autres. Cette hypothèse, c'est l’insurrection, car les gardes n'auront pas ce droit.
(page 1206) M. Delfosse. - Ne me faites pat dire ce que je n'ai pas dit. J'ai dit sur la réquisition du bourgmestre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Le bourgmestre commettrait un acte illégal s'il ordonnait pour une garde dissoute la constitution de nouveaux cadres ; ce serait aussi une insurrection.
Dans l'intérêt de l’ordre, il ne faut pas que l'institution de la garde civique tourne contre son objet même. Je suppose que dans une commune de 3 ou 4 mille âmes, il convienne à la garde civique d'arborer un drapeau étranger, le gouvernement qu'a-t-il à faire ? Il dissout la garde civique. Je demande si dans cette circonstance, on trouve que le gouvernement aura fait un abus de son droit. Dans l'hypothèse de la section centrale, qu'arrivera-t-il ? cette garde soi-disant nationale restera organisée. Si elle maintient le drapeau étranger, au lieu du moyen pacifique que nous proposons, ferez-vous intervenir la force année pour procéder à la dissolution de cette garde qui se sera constituée à l'état de garde insurrectionnelle ? C'est l'honneur de notre Constitution et sa force de permettre de maintenir l'ordre en restant toujours dans les moyens légaux.
Messieurs, le droit de dissoudre la garde civique existe dans la législation française, et personne n'a imaginé de combattre ce droit par les arguments que l'honorable M. Delfosse a mis en avant.
J'engage beaucoup mon honorable ami à discuter cette loi très importante, surtout dans les circonstances actuelles, avec le plus de sang-froid possible. Il doit savoir que je ne suis pas plus partisan que lui de mesures qui tendraient à armer inutilement le gouvernement de droits, dont il pourrait abuser.
On dit que si la garde civique se livre à des actes gravement répréhensibles, il y aura un remède en dehors de la dissolution. et où cherche-t-on ce remède ? Dans les conseils de discipline. Mais je demande si dans les circonstances données, si dans l'hypothèse que tout à l'heure j'ai mise en avant, les conseils de discipline pourraient exercer la moindre influence sur les manifestations de la garde civique. Je demande ce que pourrait faire contre des manifestations collectives, un conseil de discipline pouvant condamner un individu récalcitrant à 10 ou 15 francs d'amende ?
Et puis comment est compose le conseil de discipline ? Il est composé de gardes.
M. Delfosse. - C'est une erreur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je sais que le juge de paix le préside, mais les membres du conseil sont des gardes. En les supposant parfaitement impartiaux, je demande si, dans des circonstances données, on pourrait supposer un malheureux petit conseil de discipline assez puissant pour réprimer les excès de tout un corps.
Je considère, messieurs, cet article comme étant un des articles essentiels de la loi, et si une pareille disposition n'était pas maintenue, je considérerais la suite de la discussion comme inutile.
M. Rousselle. - Messieurs, je crois qu'il faut maintenir au gouvernement le droit de dissoudre non pas les cadres seulement, mais la garde civique elle-même ; car l'intérêt public peut commander, non pas de changer les officiers et les sous-officiers de la garde civique, mais la composition de cette garde telle qu'elle est formée en compagnies, en bataillions et subdivisions de compagnies. Comment, si l’on ne change que les cadres, si l’on ne fait pas une nouvelle distribution des hommes qui composent la garde, pourrait-on en améliorer l'esprit, obtenir une combinaison plus favorable à l’ordre public ?
Je crois donc que les honorables membres qui soutiennent que la garde civique ne peut pas être dissoute se trompent sur le sens du mot. C'est la composition, l'organisation de la garde civique que l'on donne au gouvernement le droit de modifier par le droit de dissoudre.
Une nouvelle classification des hommes appelés à ce service peut se faire s'il y a dissolution, et le chef du corps les distribue autrement qu'ils n'étaient auparavant, en exécution de l'article 24, qui porte que les compagnies sont formées par les chefs de la garde sur un contrôle qui lui est remis par l'administration communale. Cela pourrait-il se faire si on ne changeait que les cadres ? Si une compagnie ou un bataillon se trouvait donc animé d'un mauvais esprit, s'il commettait des fautes graves que l'intérêt public commanderait de réprimer, le changement des cadres ne suffirait pas. Je persiste à croire que le gouvernement doit avoir le droit de dissoudre la garde civique, c'est-à-dire, je le répète, d'en changer la composition. On ne peut laisser ensemble tous les hommes de la compagnie ou du bataillon qui a fait la faute, et les appeler seulement à nommer ou à réélire leurs officiers ou sous-officiers. Il faut les disperser dans la garde civique et les mettre en contact avec d'autres camarades.
M. de Brouckere. - Messieurs, je maintiens l'opinion que j'ai défendue tout à l'heure, que ce n'est pas pour les cadres de la garde civique qu'il faut donner au gouvernement le droit de dissolution, mais peur la garde civique elle-même.
L'honorable M. Delfosse me répond : Mais vous aurez beau donner, de par la loi, au gouvernement le droit de dissoudre la garde civique ; malgré la dissolution, les citoyens composant cette garde resteront gardes civiques ; nul ne peut leur ôter un droit que la loi leur a conféré.
Messieurs, c'est une erreur complète. La dissolution enlèvera aux gardes civiques leur qualité et les replacera dans la position des simples citoyens.
Mais, dit-on, vous prétendez qu'ils n'ont plus qualité de garde civique et quelque temps après ils procéderont à l'élection de leurs officiers
Ils procéderont à l'élection de leurs officiers, soit en vertu d'un arrêté du gouvernement, soit en vertu de la loi, après que le délai qu'elle a fixé sera expiré et lorsque ainsi ils auront récupéré la qualité de garde civique qui leur avait été momentanément enlevée. Mais il n'en est pas moins vrai que pendant tout le temps que la dissolution aura légalement produit ses effets, les anciens gardes civiques auront perdu leur qualité.
L'honorable membre reconnaît si bien qu'il y a possibilité d'ôter aux gardes civiques leur position, qu'il voudrait que ce droit fût donné aux conseils de discipline.
M. Delfosse. - Il leur est donné par la loi.
M. de Brouckere. - Vous reconnaissez donc, puisqu'il leur est donné par la loi, qu'il y a possibilité d'ôter, en vertu de la loi, à ceux qui en sont revêtus la qualité de garde civique !
Mais on insiste, et comme j'avais dit que je ne pouvais pas concevoir une troupe sans aucun officier et sans possibilité d'en avoir, on me répond : Que faites-vous en cas de décès ou en cas de démission de plusieurs officiers ? Ce que je fais, j'ordonne l'élection immédiate d'officiers nouveaux. J'ordonne la recomposition des cadres et jusqu'au moment où cette recomposition peut avoir lieu, il se fait dans la garde civique ce qui se fait dans tout corps bien organisé ; les personnes revêtues des grades immédiatement inférieurs à ceux qui sont vacants remplissent les fonctions de celles qui occupaient ces derniers.
On prétend que l’on ne pourrait pas, dans certaines circonstances, mettre sans danger l'autorité locale d'une commune dans l'impossibilité de convoquer la garde civique. Mais lorsque le gouvernement aura recours à la mesure de la dissolution, c'est qu'il aura lieu de croire que la garde civique, comme elle était composée, ne pouvait pas contribuer au maintien de l’ordre. Il n'y a donc aucun inconvénient à ce que, dans une commune où les gardes civiques se seront exposés à une mesure semblable, ils ne puissent être convoqués en cas de trouble ; car leur convocation pourrait être un nouvel élément de désordre.
On a fini par une phrase dont j'avoue que je n'ai pas compris le sens ni la portée. On me dit : Vous voulez que le gouvernement puisse ôter aux gardes civiques les armes qu'il leur a confiées ! Mais vous oubliez probablement que si le gouvernement leur a remis des armes, c'est à l'aide de l'argent des contribuables qu'il les leur a procurées !
Il est évident que le gouvernement ne peut se livrer à aucune dépense qu'avec l'argent des contribuables. Mais lorsque la loi accorde un droit au gouvernement, il n'en fait ou n'en doit faire usage que dans l'intérêt de ces mêmes contribuables, c'est-à-dire de la nation. Or, tout comme c'est dans l'intérêt de la nation, et en son nom, qu'il aura remis des armes à la garde civique, ce ne sera que dans sou intérêt et en son nom qu'il devra lui faire restituer ces mêmes armes alors qu'elles ne pourront plus lui être laissées convenablement.
J'avais aussi dit quelques mots du droit de suspension et j'avais cherché à démontrer qu'il fallait laisser ce droit au gouvernement. L'honorable M. Delfosse me répond que probablement je n'ai pas lu les articles qui suivent, et il me renvoie à l'article 53, d'après lequel il serait, selon lui, inutile de parler du droit de suspension à l'article 7.
L'article 53 a un tout autre but que l'article 7. Dans l'article 53 il s'agît d'un ou de plusieurs officiers qui auraient manqué à leurs devoirs. Dans ce cas, y est-il dit, la députation permanente pourra les suspendre. Mais il ne s'agit pas ici d'un ou de plusieurs officiers qui ont manqué à leurs devoirs. Il s'agit de corps entiers ou de fractions de corps auxquels on aurait des torts graves et sérieux à reprocher ; et veuillez le remarquer, il pourra se présenter tels cas où les officiers auront très bien rempli toutes leurs obligations et où ce seront les gardes qui seront en faute, que feriez-vous donc pour punir les gardes ? Vous dissoudriez les cadres ; ou vous suspendriez les officiers ! c'est-à-dire que vous renverriez chez eux ceux qui se seraient bien conduits et que vous laisseriez dans la position honorable qu'ils occupaient, ceux qui auraient eu des torts graves.
Ce serait là, il faut le reconnaître, une singulière justice, elle ne saurait rencontrer ici beaucoup de partisans.
M. Manilius. - Messieurs, il résultera de l'article que nous avons renvoyé à la section centrale, que la garde civique ne pourra jamais prendre les armes sans l'autorisation de ses chefs. Si nous adoptons l'amendement de la section centrale, il en résulte que la dissolution a réellement lieu du moment où vous dissolvez les cadres. Car sans cadres, il est impossible que les gardes prennent les armes.
Pour concilier le vœu de M. le ministre et la disposition que la section centrale a cru devoir prendre, je serais tout disposé à ajouter à l'amendement de la section centrale, qui demande la dissolution des cadres, que cette dissolution pourra être de six mois, et que dans ce cas le désarmement pourra avoir lieu.
Il peut arriver, messieurs, que ce ne soient pas des faits posés par les gardes qui amènent la dissolution, mais que ce soient des faits posés par les officiers. Pourquoi, dans ce cas, faudrait-il désarmer les gardes qui ne seraient pas la cause de la dissolution ?
Laissons le gouvernement juge des cas qui se présenteront, et selon la nature de ces cas, il ordonnera ou n'ordonnera pas le désarmement.
Je pense que de cette manière tout peut se concilier. Je crois, du reste, messieurs, que nous ferons bien de ne pas prendre une décision sur cet article avant d'avoir voté sur l'article précédent. Car, vous voyez que les deux dispositions se lient. Si l'article précédent (page 1207) décide qu’en aucun cas la garde civique ne pourra prendre les armes que sur l'ordre des chefs, vous craindrez moins de diminuer un peu la rigueur de l'article 7.
Je ferai remarquer, messieurs, qu'il s'agit d'une disposition toute nouvelle. Voilà dix-sept ans que la garde civique existe. Jamais le gouvernement n'a eu le droit de dissolution ; jamais il ne s'est présenté de cas où le besoin d'un pareil droit se soit fait sentir. C'est donc aller bien loin que d'introduire dans la loi une disposition aussi sévère.
Je crois, messieurs, qu'il est prudent de ne pas se montrer trop sévère envers les citoyens, surtout envers les citoyens qu'on veut armer et qui ne se composeront que d'électeurs. Car d'après les dispositions de la loi, on ne laisse pas prendre les armes à tous les habitants du pays dès qu'ils atteignent l'âge de 21 ans. Ils doivent être électeurs et encore on fait un choix parmi les électeurs. Car d'après la loi il y aura un dénombrement et les compagnies ne se composeront que des électeurs les plus élevés.
Il ne faut pas se montrer trop inquiet. Cependant je ne recule pas devant une disposition qui donne au gouvernement le droit éventuel de désarmer la garde civique en cas de dissolution des cadres. Mais il ne faut pas qu'une garde civique soit désarmée, parce que ses chefs auront posé des actes répréhensibles. Le gouvernement doit être juge des faits et agir d'après les circonstances.
Je crois, du reste, que nous ferons bien de ne pas voter aujourd'hui cet article.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je n'ai invoqué tout à l'heure que des motifs politiques à l'appui de la dissolution des corps de la garde civique. Je l’ai fait parce que j'aimais à me placer tout de suite en présence de la principale objection. Mais il y a d'autres raisons que des raisons politiques en faveur de la proposition. Il y a des raisons purement administratives à faire valoir, et j'en viens ici à un des amendements de l'honorable M. Manilius.
Il peut arriver que la garde civique se trouve organisée de telle sorte qu'elle ne puisse marcher convenablement, que les compagnies, les bataillons aient le besoin d'un remaniement et que la garde civique elle-même soit la première à demander une organisation nouvelle. Vous pouvez appeler cette opération une réorganisation, mais pour réorganiser il faut dissoudre ce qui est organisé.
Je crois, messieurs, que le droit de dissoudre s'appliquera beaucoup plus souvent dans de pareilles circonstances que dans le cas extrême que j'ai signalé, le cas d'insurrection, le cas d'insubordination grave de la part de la garde civique. Mais je pense aussi que nous devons, en législateurs prudents, tenir compte de pareilles éventualités. Cela n'a rien d'offensant pour les bons citoyens.
Cette disposition existe dans la loi française qui a été faite immédiatement après 1830.
Dans le cas de réorganisation pour motifs administratifs, je conçois que le désarmement ne doive pas suivre absolument la dissolution. Sous ce rapport, je ne verrai pas d'inconvénient à me rallier à la proposition de l'honorable M. Manilius qui aurait pour effet de rendre le désarmement facultatif.
Je crois que c'est enlever ce que l'honorable M. Manilius a appelé une des duretés de la loi ; et, de fait, s'il s'agit seulement d'un remaniement des compagnies ou des bataillons, le désarmement ne doit pas nécessairement s'ensuivre. .
A part, messieurs, cet amendement, je dois maintenir la disposition telle qu'elle est et je ne comprends pas même pourquoi on l'ajournerait à cause de l'article 6. Que dit l'article 6, et que dira-t-il si l'amendement que je propose est adopté ? Que les gardes civiques ne peuvent se réunir que sur la convocation de leurs chefs, dûment requis par l'autorité compétente. L'honorable M. Manilius voit dans cette disposition le remède à tout danger éventuel. Voici une question que je vais lui poser. L'article 6 dira bien que les gardes civiques ne peuvent se réunir que sur la convocation de leurs chefs dûment requis par l'autorité compétente, mais si les gardes civiques, malgré l'article 6, se réunissent, que ferez-vous ?
M. Manilius. - Si, malgré la dissolution, ils se réunissent que ferez-vous ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Dans ce cas, j'aurai pour moi la loi, et j'agirai avec toute la force que me donnera le texte formel de la loi.
Je dis, messieurs, que, quelle que soit la décision que vous preniez sur l'article 6, il ne peut avoir aucune conséquence pour l'article 7. Je ne vois donc aucun motif pour ajourner l'article 7, à moins que nous ne prenions pour règle d'ajourner tous les articles qui donneront lieu à discussion.
M. Delfosse. - M. le ministre de l'intérieur a cru devoir me donner une espèce de leçon...
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - C'est un conseil d'ami.
M. Delfosse. - Il a cru devoir m'engager à discuter avec plus de calme, avec moins de vivacité. Je croyais être resté calme. Il est possible que j'aie mis quelque vivacité dans mes paroles, je discute comme je sens ; sans art, sans préparation. Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur s'il ne lui arrive jamais de discuter avec vivacité, avec beaucoup de vivacité, et je l'engagerai à prendre pour lui les conseils qu'il donne aux autres. C'est aussi un conseil d'ami que je lui donne.
J'engagerai également M. le ministre de l'intérieur à parler de la garde civique en termes plus convenables qu'il ne l'a fait. Les conseils de discipline, dont M. le ministre de l'intérieur a parlé avec dédain, se composent du juge de paix, d'officiers, de sous-officiers et de gardes ; on peut avoir quelque confiance dans leurs décisions.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - J'ai placé le conseil de discipline en présence d'une garde insurgée, et c'est alors que j'ai demandé ce que pourrait faire un malheureux petit conseil de discipline.
M. Delfosse. - Je ne sais pas si un ministre offre plus de garanties qu'un conseil de discipline.
M. de Mérode. - Un ministre représente le pays.
M. Delfosse. - Le pays est souvent très mal représenté ! Ceci soit dit sans allusion au ministère actuel.
M. de Brouckere disait tantôt que le gouvernement ne fera rien que dans l'intérêt du pays ; j'admire l'optimisme de l'honorable membre après tous les abus dont nous avons été témoins. (Interruption).
N'avez-vous pas émis l'opinion que le gouvernement n'abuserait pas de la prérogative qui lui serait donnée ? Je prie la chambre de remarquer que cette prérogative exorbitante serait une innovation en Belgique.
M. le ministre de l'intérieur invoque la législation française à l'appui du droit de dissolution. Je vous le demande, messieurs, l'exemple est-il bien choisi ? On a fait en France un détestable usage du droit de dissolution. Le gouvernement français en a été cruellement puni. C'est un présent funeste qu'on voudrait faire au nôtre.
Je persiste à croire qu'il y a des garanties suffisantes dans la loi contre tout désordre, indépendamment du droit de dissolution qui serait donné au Roi. S'agit-il d'officiers qui manqueraient à leurs devoirs ? Nous accordons au gouvernement le droit de faire un appel à la garde civique, de soumettre les officiers à une réélection. Voilà une garantie. Nous accordons en outre à la députation permanente le droit de suspendre les officiers pour trois mois, voilà une deuxième garantie. Les conseils de discipline, dans lesquels on peut avoir quelque confiance, et au besoin d'autres tribunaux offrent une troisième garantie. Si un officier commet une infraction aux dispositions de la loi, il peut être traduit devant le conseil de discipline et, dans les cas graves, devant les tribunaux criminels.
L'honorable M. de Brouckere a dit tout à l'heure : mais si les gardes manquent à leurs devoirs et si vous n'admettez que le droit de dissoudre les cadres, il vous sera impossible d'atteindre les gardes. Messieurs, si les gardes manquent à leurs devoirs, ils peuvent être punis de la réprimande, de l'amende, de l'emprisonnement ; ils peuvent être désarmés en vertu d'un jugement ; ils peuvent même être renvoyés de la garde, et quand un garde est renvoyé il doit payer une contribution annuelle pendant tout le temps qu'il aurait dû faire le service.
Qu'arriverait-il, dit M. le ministre de l’intérieur, si une garde civique s'insurgeait, si elle arborait le drapeau de la révolte ? Dans ce cas, messieurs, le droit de dissolution et de désarmement que l'on veut attribuer au gouvernement serait sans utilité ; les lois répressives de l'insurrection ne manquent pas dans nos codes.
M. de Mérode. - Messieurs, pour que des institutions libres puissent se maintenir, il faut éviter de les exagérer, rien n'étant plus propre à les ruiner entièrement. Or, la facilité de dissoudre une garde civique particulière n'est certainement pas de trop dans une loi aussi libérale que celle qui est présentée ; car il ne s'agira jamais de dissoudre la garde civique en général, mais une fraction qui peut manquer à ses devoirs.
Messieurs, je ne suis et je n'ai pas été flatteur des ministres, même de ceux que j'ai appuyés successivement ; mais s'il ne faut pas être courtisan des ministres, il ne faut pas croire non plus à l'infaillibilité de toute partie quelconque de la garde civique, fraction qui pourrait nuire aux intérêts de la généralité ; il me semble donc à propos de garantir ces intérêts en laissant au gouvernement le moyen de réprimer les abus particuliers et locaux dont les conséquences seraient peut-être très nuisibles au pays.
M. le président. - Personne ne demandant plus la parole, je déclare la discussion close.
- La séance est levée à 4 heures un quart.