(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Delfosse, vice-président.)
(page 1139) M. Troye fait l'appel nominal à deux heures et un quart ; il lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée : il présente ensuite l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs habitants de Sirault présentent des observations contre le projet de loi d'emprunt. »
« Mêmes observations de la part de plusieurs habitants de Bastogne. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la loi.
« Le sieur Van Dam présente des observations contre la proposition de faire une retenue sur les traitements des employés. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de Bastogne proposent des mesures pour améliorer la situation du pays et notamment celle du Luxembourg. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants du Luxembourg demandent que le gouvernement retire le projet de loi d'emprunt et proposent des mesures pour améliorer la situation du pays, et en particulier celle du Luxembourg. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi d'emprunt.
« Les membres du conseil communal de Brecht présentent des observations contre la demande tendant à transférer à Wuestwezel le chef-lieu du canton. »
- Renvoi à la commission des circonscriptions cantonales.
« Plusieurs habitants du canton de Deynze prient la chambre d'allouer au département des travaux publics le crédit complémentaire pour le canal de Deynze à Schipdonck. »
« Même demande de plusieurs habitants du canton de Nevele. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à ce crédit.
« Le sieur d'Henry prie la chambre de s'occuper du projet de loi sur le cumul. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Les exploitants de mines de houille du couchant de Mons présentent des observations contre la demande qui a pour objet une réduction de 75 p. c. sur les péages du canal de Charleroy à Bruxelles et sur la Sambre canalisée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Danhaive, sous-lieutenant des douanes, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir la décoration de l'ordre de Léopold ou la croix de fer. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. de Brouckere dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur le mode de nomination des jurys d'examen, pour les grades académiques.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et fixe la discussion du projet à la suite des objets à l'ordre du jour.
M. Eenens dépose le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi ayant pour objet la révision des lois sur la garde civique.
M. le président. - Le rapport sera imprimé et distribué. A quel jour la chambre veut-elle fixer la discussion ?
M. de Garcia. - Je crois, messieurs, qu'il serait utile que M. le ministre fût ici pour déclarer quel jour lui conviendrait, d'autant plus qu'il s'agit d'introduire dans la législation des modifications assez nombreuses.
M. le président. - Le jour de la discussion sera fixé ultérieurement.
M. le président. - « Article unique. Le terme de la loi du 3 janvier 1847 (Moniteur belge du 6 janvier 1847) est prorogé jusqu'au 31 mars 1850 inclusivement.
« La présente loi sera obligatoire le lendemain du jour de sa publication au Moniteur. »
La section centrale propose de modifier le projet de loi dans les termes suivants :
« Le droit de sortie sur les étoupes, y compris le déchet de lin, dit snuit, est fixé à 25 fr. les 100 kilog.
« La présente disposition sera obligatoire le lendemain du jour de sa publication au Moniteur.
« Elle cessera de plein droit ses effets au 31 mars 1849. »
M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il au projet de loi de la section centrale ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Non, M. le président.
M. Sigart. - Messieurs, j'avais l'intention de m'abstenir sur le projet du gouvernement, parce que, d'une part, le principe en est mauvais, que, d'autre part, on ne peut enlever une protection établie sans perturbation dans le travail et que le moment est peu opportun pour cela.
Mais la section centrale propose de donner de l'extension à la loi, je viens dire en deux mots pourquoi je m'y oppose.
A diverses reprises, nous avons voté des sommes considérables en faveur des malheureux des Flandres. Lorsque nous nous sommes donné les honneurs de la libéralité, c'étaient les contribuables qui avaient la charge, c'était la généralité qui devait payer.
Aujourd'hui on nous présente un nouveau moyen de venir en aide à la misère des Flandres ; mais ce n'est plus la généralité qui est chargée de faire les frais.
Cette fois c'est le cultivateur ou le marchand de lin qui sera frappé. Pourquoi veut-on un droit à la sortie du snuit ? Mais parce que les étrangers en offrent un prix élevé et que si l'on veut actuellement retenir en Belgique cette espèce d'étoupe, il faut payer au moins le même prix qu'eux. Gênez la sortie par un droit, la concurrence pour l'achat diminuera d'autant, mais aussi ce sera une perte d'autant pour le vendeur.
Voilà l'effet immédiat de la proposition de la section centrale. Mais l'an prochain, qu'arrivera-t-il ? Il arrivera l'an prochain que la culture du lin diminuera juste en raison de la perte que l'on aura fait essuyer au cultivateur. La loi est inutile, pour l'année prochaine, et pour cette année c'est une criante injustice.
C'est contraire, sinon à la lettre, du moins à l'esprit de la Constitution qui proscrit les privilèges en matière d'impôt.
C'est, dans des proportions exiguës, j'en conviens, la solidarité fouriériste, c'est un acheminement à la malheureuse idée qui menace de réduire à la misère la plus horrible un noble pays auquel nous attachons tant de sympathies et tant d'intérêts.
C'est une aumône forcée que l'on impose à une classe de citoyens, et on l'arrache par une sorte de guet-apens.
Quand une loi doit durer longtemps, la secousse que produit son premier effet se perd dans le grand nombre d'années pour lesquelles elle est faite.
Mais quand elle est à court terme, la loi est presque toute de surprise, c'est quelque chose qui ressemble au vol.
Je n'examine pas l'importance de la proposition, je ne veux voir que le principe, principe propre à troubler toute sécurité, principe pernicieux, principe immoral.
A ces considérations, j'en pourrais joindre d'autres bien plus puissantes qui se rattachent à la protection en général. Je les réserve pour une occasion plus solennelle. Avec les idées qui dominent certains membres de cette chambre, je suis sûr qu'elle ne me manquera pas.
M. Rodenbach. - Messieurs, il nous a été adressé plusieurs pétitions sur l'exportation des étoupes ; ces requêtes émanent notamment de marchands du district de Roulers. Ils prétendent qu'un grand nombre de commerçants et de colporteurs, qui sont dans la misère, se trouvent en grande partie privés de cette industrie.
Messieurs, j'aurais voulu qu'on fît un rapport sur ces requêtes ; j'avais demandé un prompt rapport, mais ce rapport n'a pas encore été déposé ; c'est pour cela que je me permets d'analyser ces pétitions ; je dirai que les pétitionnaires demandent plus de liberté pour les étoupes.
La section centrale demande que le snuit soit également frappé d'un droit de sortie de 25 fr. les 100 kil., mais le snuit ce n'est pas de l'étoupe, c'est du lin de dernière qualité, une espèce de lin court. C'est plus particulièrement dans la Flandre orientale qu'on réclame cette nouvelle mesure ; on n'a pas même besoin du snuit à Zele et dans l'arrondissement d'Audenarde.
Je comprends que l'on propose une mesure pour les étoupes ; mais une pareille proposition, faite en faveur du snuit, ne me paraît pas rationnelle. Dans ce moment-ci, le lin est à très bon marché. Or, comment songer à empêcher la sortie du snuit, quand le prix du lin a éprouvé une baisse considérable ?
Il ne faut pas aggraver la position de l'agriculture, qui, dans ce moment et surtout dans les Flandres, doit s'imposer des sacrifices par suite de la misère qui augmente de jour en jour dans cette contrée ; (page 1140) aujourd'hui, des milliers d'ouvriers y arrivent de France. Que deviendront les Flandres, si vous aller encore diminuer les ressources de l'agriculture ? Ces ressources sont très faibles aujourd'hui ; je pense donc qu'il n'y a pas lieu d'adopter la proposition de la section centrale quant au snuit.
Je me bornerai à voter la loi, pour proroger le droit de sortie sur les étoupes pour une année. Nous ne sommes plus ici que pour un temps, très court ; c'est à nos successeurs, élus par les censitaires à 20 florins, qu'il appartiendra de prendre une mesuré définitive à cet égard.
M. Manilius. - Messieurs, je suis d'avis de maintenir purement et simplement la loi pour un nouveau terme d'un an ; en ce sens je soutiens le gouvernement qui ne se rallie pas à l'amendement de la section centrale, concernant l'espèce de lin qu'on nomme vulgairement snuit ; on semble croire que le snuit est un déchet, il convient que la chambre se détrompe à cet égard.
Il n'y a d'autre déchet que ce qui se perd ; après ce déchet il se forme une catégorie d'étoupe ; l'étoupe c'est l'écorce du lin avec quelques filaments qui s'y mêlent lors du peignage, voilà ce qui s'appelle étoupes ; rien que cela ne s'appelle étoupes ; vous avez ensuite une qualité de lin qu'on appelle snuit, la qualification d'étoupe en serait inexacte, c'est du lin peigné court ; vouloir empêcher cette espèce de lin de sortir, en l'assimilant aux étoupes du lin, c'est ne pas faire ce que le législateur a eu en vue il y a un an. Nous ne voulons pas mettre obstacle à la sortie du lin, nous ne pensons pas que c'est dans ce moment qu'on peut songer à frapper de droits de sortie des matières premières, pas plus le lin court que les laines et autres filaments qu'emploie notre industrie. Par ces raisons je me suis élevé pour m'opposer au projet de la section centrale.
Si j'avais pu prévoir que des orateurs l'auraient défendu, j'aurais attendu, mais personne n'étant inscrit, j'ai cru devoir soulever la question pour voir quels arguments on présenterait pour appuyer ceux contenus dans le rapport de l'honorable M. Dedecker. J'en ai déjà renversé quelques-uns ; si l'honorable membre avait l'intention de les relever, je crois qu'il ne me serait pas difficile de les renverser de nouveau. J'attendrai pour en dire davantage que le projet de la section centrale ait trouvé des défenseurs.
Je finis par déclarer que j'ai demandé la prorogation pure et simple de la loi et seulement pour une année. Dans la situation où nous nous trouvons, nous ne pouvons pas la proroger pour un délai plus long.
M. de Haerne. - Quand, le 3 janvier 1847, le gouvernement vint présenter un projet de loi tendant à augmenter les droits à la sortie des étoupes, il s'éleva dans cette enceinte des réclamations contre cette proposition, elles furent dictées par l'intérêt de l'agriculture et les théories de liberté de commerce. Alors on nous annonça que par suite de la mesure projetée, si elle venait à être adoptée, les étoupes subiraient une grande baisse et qu'il en résulterait une perte plus ou moins considérable pour l'agriculture. C'était là l'argument sur lequel on s'appuyait pour repousser la loi et particulièrement l'amendement qui avait été proposé pour restreindre la sortie du déchet de lin qu'on appelle en flamand snuit.
Ces prédictions ne se sont pas réalisées, savez-vous quelle a été la conséquence du projet de loi ? C'est que les étoupes se sont vendues plus cher. L'augmentation a été d'environ 8 p. c. ; non seulement il y a eu hausse en 1847, mais les prix se sont soutenus encore en 1848, malgré l'abondance de cette matière textile.
Ainsi vous voyez que les théories ne sont pas toujours confirmées par les résultats. Il se passe dans la pratique des faits qui viennent donner un démenti aux opinions qu'on expose parfois dans cette enceinte.
J'ai examiné la question, et j'ai voulu me rendre compte de la raison qui paraît avoir influé sur cet état de choses, qui paraît avoir amené la hausse dans les étoupes, au lieu de la baisse qu'on nous avait annoncée. D'après les informations que j'ai prises et les études auxquelles je me suis livré, je suis arrivé à ce résultat que, par suite de l'augmentation du droit sur les étoupes, il a été donné un nouvel élan à la fabrication intérieure. C'est ce qui arrive ordinairement, cette augmentation de fabrication, qui est toute en faveur du pays, a amené dans l'intérieur du pays une concurrence qui précédemment se présentait à l'étranger ; de manière, que cette concurrence a été déplacée, mais qu'elle existe toujours. Malgré cette hausse, les fabricants ont gagné à la mesure, en ce que nos étoupes se sont vendues plus cher à l'étranger que dans l'intérieur du pays. C'est par suite de cette concurrence dans l'achat des étoupes à l'intérieur que les prix ont été en hausse, et que l'agriculture, au lieu d’éprouver une atteinte, comme on l'avait prédit, y a gagné. Cela est facile à concevoir ; car l'annonce seule du projet de loi de l'année dernière avait fait concevoir des espérances aux industriels qui n'ont pas tardé à étendre leurs opérations, et au moyen de nouveaux capitaux, ont augmenté leur fabrication. Une fois que cet élan est donné, que des capitaux plus considérables sont engagés dans une industrie, il faut qu'on suive l'impulsion donnée. On ne ralentit plus si facilement. L'industrie indigène a eu besoin d'une plus grande quantité de matière première. C'est ce qui explique que les prix des étoupes se sont soutenus et ont été même en hausse.
On vient de plaider de nouveau en faveur de l'agriculture. D'après les considérations que j'ai eu l'honneur de vous exposer, il est clair que cet intérêt ne peut être invoqué dans cette matière. Je ne me bornerai pas à des explications, à des raisonnements qui peut-être n'auraient pas aux yeux de la chambre la valeur que j'y attache moi-même. Mais je citerai des autorités irrécusables. Je ne parlerai pas des pétitions ; car souvent, on le sait, elles ne sont dictées que par l'intérêt privé. Mais j'appellerai l'attention de la chambre sur les documents qui ont été produits. Le gouvernement a procédé d'une manière très sage. Il a fait un appel aux hommes compétents dans la matière.
Il a donné l'ordre aux gouverneurs des Flandres de réunir en commissions les hommes les plus compétents faisant partie des chambres de commerce et des commissions d'agriculture. Ces commissions mixtes, qui représentaient l’agriculture, aussi bien que l’industrie, se sont prononcées à l’unanimité, non seulement en faveur du maintien du projet qui avait été adopté l’année dernière, mais encore à l’unanimité en faveur de l'extension qui est demandée pour le snuit. Voilà des autorités compétentes, irrécusables. En présence de ces autorités, les arguments qui viennent d'être allégués par quelques membres de la chambre doivent disparaître à vos yeux.
Dans ma manière de voir, loin que l'agriculture soit frappée par la mesure, il doit en résulter en sa faveur un avantage indirect. Pourquoi devons-nous admettre cette restriction pour la matière première dont il s'agit ? C'est en faveur de la classe indigente. C'est pour éviter le système tant blâmé des aumônes, et pour le remplacer par le travail, en établissant un avantage pour l'industrie indigène sur l'industrie étrangère.
Voilà pourquoi nous devons admettre l'extension proposée en faveur du snuit. Je dis qu'il doit en résulter une faveur indirecte pour l'agriculture.
Car vous savez, messieurs, que dans le moment actuel, à cause de la grande misère qui continue à sévir dans les Flandres, les cultivateurs sont très obérés ; les pauvres sont à leur charge. Si vous parvenez à donner du travail aux pauvres, vous soulagez l'agriculture ; c'est une faveur réelle que vous lui accordez. La mesure, loin d'être désavantageuse à l'agriculture, lui est donc très favorable et tout à fait conçue dans son intérêt bien entendu.
Quant au snuit, je ne puis adopter l'opinion qui a été émise par quelques honorables préopinants qui ont soutenu que le snuit est une espèce de lin. Je cite encore à cet égard les autorités que j'ai déjà invoquées, c'est-à-dire les deux commissions mixtes des Flandres réunies, il y a quelque temps, sur l'appel du ministère, dans les chefs-lieux des deux provinces. Ces commissions composées de membres des commissions d'agriculture et de membres des chambres de commerce, déclarent que le snuit est un véritable déchet, et c'est en effet l'idée qu'on attache au snuit.
J'avouerai qu'on n'est pas tout à fait d'accord sur ce qu'on doit appeler le snuit. Mais on est d'accord sur une chose ; c'est que le snuit n'est pas du véritable lin, c'est un déchet, mais un déchet qui a subi une seconde manipulation, une seconde épuration, c'est un déchet épuré, si vous voulez ; mais c'est un déchet ; ce n'est pas du lin. Voici le raisonnement qu'on doit faire à cet égard ; je crois l'avoir présenté l'année dernière ; pour avoir du lin, il faut séparer le snuit ; c'est ce qui vous prouve que le snuit n'est pas du lin. On peut l'appeler lin, et en effet dans quelques localités des Flandres, on l'appelle lin court ; mais il ne s'ensuit pas que ce soit du véritable lin.
Je crois pouvoir me borner à ces considérations qui me font insister pour l'adoption du projet de loi et en même temps pour l'extension que la section centrale propose de lui donner.
.Je crois devoir ajouter un mot : il me semble qu'il serait plus rationnel et plus clair de rédiger la proposition de la section centrale de la manière suivante : au lieu de dire « le droit de sortie sur les étoupes, y compris le déchet de lin, dit snuit, » je crois qu'il vaudrait mieux dire : « le droit de sortie sur les étoupes, y compris le snuit et tous autres déchets de lin. » De cette manière on comprend dans la loi les émonçures qui sont des déchets, et toute équivoque disparaît.
M. le président. - Faites-vous un amendement ?
M. de Haerne. - J'attendrai la suite de la discussion.
M. Lys. - Messieurs, le projet, tel qu'il était présenté par le gouvernement, ne me paraissait pas devoir supporter une longue discussion. Il me semblait que la mesure adoptée l'année dernière, pouvait être continuée encore, mais pour un an seulement.
Mais la modification proposée par la section centrale présente des difficultés beaucoup plus grandes. C'est une innovation complète. On veut atteindre non seulement les étoupes, mais ce qu'on appelle le déchet de lin, et ce qui est simplement un lin beaucoup plus court qui tombe lors du rouissage.
L'année dernière on nous disait, messieurs, que les quantités d'étoupes exportées étaient peu considérables, on invoquait le besoin d'assister de malheureux ouvriers, on disait qu'il fallait bien faire une déviation aux principes de l'économie politique dans de pareilles circonstances. Aujourd'hui, messieurs, on ne parle plus ainsi ; on dit : Cette assimilation est, en pratique, d'autant plus nécessaire, que les exportateurs d'étoupes ont trouvé le moyen d'éluder la loi et d'échapper au droit de 25 francs les 100 kilogrammes, en donnant à leurs étoupes la préparation et la forme extérieure du snuit, de manière à en rendre la distinction impossible aux agents de l'administration. Ainsi vous le voyez, messieurs, on veut non seulement empêcher les étoupes de sortir, mais on veut empêcher d'exporter une partie du lin ; c'est là, selon moi, une atteinte directe aux intérêts de l'agriculture.
Vous voulez protéger notre agriculture, chacun le déclare, et dans plusieurs séances chacun a fait à cet égard sa profession de foi.
Mais alors il me semble qu'il ne faut pas enlever à l'agriculture les (page 1141) ressources qu'elle trouve dans la culture du lin. C'est cependant ce qu'on ferait par le projet en discussion. Je demanderai si c'est bien le moment d'établir des droits à la sortie du lin, alors que l'agriculture doit subir la concurrence des grains étrangers, libres de tous droits. Remarquez que personne n'oserait penser à donner force d'exécution à la loi de 1834, car la libre entrée des céréales ne peut plus être contestée, c'est un besoin réel pour le peuple. Du reste les droits protecteurs ne profitent pas à l'agriculture, c'est le propriétaire seul qui en retire tous les avantages.
On sait, en effet, que la loi de 1834 a eu pour résultat de faire augmenter considérablement le prix des baux ; ce qui n'est certes pas au profit du cultivateur. De sorte que les prix des baux devront subir des réductions considérables, dans l'intérêt général. Ensuite les céréales indigènes sont toujours suffisamment protégées contre la concurrence du dehors, puisque les frais de transport des grains du nord de l'Europe coûtent au moins 30 à 40 p. c. du prix normal en Belgique, sans parler des avaries. Je n'en dirai pas davantage sur ce point, car ce n'est pas le moment de le discuter. Je reviens à la question qui nous occupe.
Ce qu'on veut appeler déchet du lin est ce que j'appellerai, moi, du lin de qualité plus médiocre.
Si vous obligez les autres nations à payer des droits sur cette matière première, ne pensez-vous pas, messieurs, qu'elles useront de réciprocité et qu'elles établiront, à leur tour, des droits de sortie ? Ne pourront-elles pas frapper les déchets de laine ? Or, cela ferait un mal immense à nos établissements d'étoffes de laine. Remarquez bien, messieurs, qu'en ce moment la Belgique tire des déchets de laine non seulement de la France, mais encore de l'Angleterre, de la Moravie, de l'Autriche, de la Russie, etc. ; tout cela alimente l'industrie nationale. Eh bien, si vous établissez des droits de sortie sur ce que vous appelez du déchet de lin, vous verrez, je le crains, les autres peuples établir des droits sur les déchets de laine, que l'on introduit en ce moment sans aucun droit, et qui tiennent dans un état d'activité bon nombre de nos fabriques, qui sans cela chômeraient, et par suite jetteraient sur le pavé une masse d'ouvriers, car ce n'est qu'en faisant bien et à bon marché que la fabrication des étoffes de laine peut se soutenir.
D'ailleurs, messieurs, il ne faut pas prendre de semblables mesures dans un moment où l'on cherche de toutes parts à abaisser les droits de douanes, où chaque pays va tenter des efforts pour les faire disparaître ; ce n'est pas dans un pareil moment qu'il convient de proposer un droit de 25 fr. par 100 kilog. sur une matière comme celle dont il s'agit. La Belgique doit maintenir provisoirement ses droits d'entrée et de sortie, mais nous sommes partisans du libre échange, et quand la France voudra faire disparaître ses douanes, nous nous empresserons d'user de réciprocité. Nous en agirons de même envers toutes les puissances qui nous avoisinent.
Depuis longtemps nous avons offert à la France l'union douanière, qu'elle n'a pas voulu accepter ; nous saisirons la première occasion de faire disparaître ces barrières si nuisibles à l'intérêt respectif des peuples.
Je ne crois pas, messieurs, qu'il soit nécessaire d'en dire davantage pour déterminer la chambre à rejeter la proposition de la section centrale.
M. Anspach. - Messieurs, le gouvernement a demandé la prorogation de la loi du 3 janvier 1847 qui établissait un droit de sortie de 25 fr. sur les étoupes. Je me suis élevé contre ce droit, et depuis lors je n'ai pas changé d'opinion. Cette mesure me semble encore contraire aux saines idées d'économie politique, elle me semble encore une injustice criante commise envers l'agriculture et, quoiqu'en ait dit l'honorable M.de Haerne, cette question de l'agriculture ne doit pas être mise de côté, car elle est très flagrante, surtout en ce moment-ci, où l'agriculture, en ce qui concerne le lin, se trouve dans une position assez critique, parce que les lins sont tombés à un prix extrêmement bas.
J'arrive ici, messieurs,, à ce que dit la section centrale et mes observations à cet égard serviront également de réponse aux considérations que l'honorable M. de Haerne a fait valoir.
« La vente de ce déchet, dit la section centrale, n'entre pour rien dans les calculs du cultivateur et n'exerce, par conséquent, presque pas d’influence positive sur les prix du lin. »
Mais, messieurs, cette façon de raisonner est singulière ; c'est juger la question par la question. Je vous parlerai de ce qui se passe en fait : lorsqu'une botte de lin est filée et qu'il en tombe 25 p. c. d'étoupes, il 'est certain que si, par une mesure quelconque, vous diminuez la valeur de ces étoupes, vous diminuez par cela même la valeur primitive de la botte de lin. L'honorable M. de Haerne a dit que cela est tout à fait en dehors de la question ; je crois, moi, que c'est là la question véritable.
On vous dit : « C'est une erreur de croire que toutes les étoupes sont consommées par les filatures mécaniques ; il est de notoriété publique, dans les Flandres, que la majeure partie des étoupes est mise en œuvre par les petits tisserands. » Messieurs, le contraire est prouvé ; les étoupes sont, pour les trois quarts, employées par les filatures mécaniques parce que les produits de ces étoupes sont ce qu'il y a de plus avantageux pour les établissements de cette nature. Lorsque les fils de lin ne se vendent pas, les fils d'étoupes sont toujours extrêmement demandés. Il est donc tout simple que dès qu'il y a des étoupes à vendre ce soient les sociétés des filatures mécaniques qui s'en emparent. Quand, au contraire, les étoupes sont filées à la main, le rendement n'est pas du tout avantageux ; il en résulte qu'on n'emploie pas une grande quantité d'étoupe de cette manière, ce sont les filatures mécaniques qui l'emploient.
Ailleurs la section centrale dit que la mesure n'a produit aucun effet sur les prix des étoupes.
Oui, les prix des étoupes étaient restés les mêmes et avaient même haussé, parce que les lins avaient atteint un prix extrêmement élevé ; mais il n'en est plus de même aujourd'hui ; les lins sont tombés à des prix très bas, à des prix auxquels les lins n'étaient jamais descendus pendant 25 ans. Empêcher le lin de sortir, c'est causer en ce moment un double tort à l'agriculture.
Cette mesure est d'une utilité si insignifiante, que je ne conçois pas qu'on veuille la proroger ; en 1845, les exportations ont été de 480,000 kilogrammes ; en 1846, elles sont tombées à 400,000 kilog ; je suis presque sûr que pour 1847, elles n'atteignent pas 300,000 kil. A quoi sert-il de prendre une mesure opposée à tous les principes de l'ancienne politique ? Pour ma part, je voterai contre.
J'oubliais de parler du snuit qui, quoiqu'en dise l'honorable M. de Haerne, n'est pas un déchet, mais du lin court ; vous ne feriez qu'augmenter les mauvais résultats de la mesure, en y comprenant le snuit ; c'est assez dire que je voterai contre l'amendement de la section centrale.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, je n'insisterai pas beaucoup sur la nécessité d'adopter le projet de loi. L’utilité d'une prorogation de la loi du 3 janvier 1847 a été reconnue à l'unanimité par les dix commissions mixtes des Flandres qui ont été consultées et dans lesquelles l’intérêt agricole était autant représenté que l’intérêt commercial ; toutes les sections ont voté en faveur de la prorogation ; la section centrale l’adopte également à l’unanimité moins un membre qui s'est abstenu, et jusqu'à présent, sauf l'honorable M. Anspach, l'utilité d'une prorogation n'a été contestée par personne dans cette enceinte.
Il est d'ailleurs démontré que l’intérêt agricole n’a pas souffert de la mesure qui a été adoptée l'année dernière. En effet, nous voyons que les étoupes, au lieu de baisser de prix, se sont vendues à un prix plus élevé en 1847, sous le régime de la loi dont il s'agit que pendant les années antérieures ; ce prix a été de 8 p. c. au plus. Ainsi, messieurs, l'intérêt agricole n'a subi aucune atteinte et cet intérêt ne doit donc pas trop nous préoccuper dans cette question.
Du reste, la chambre le sait, cette mesure a été prise dans l'intérêt de la classe ouvrière. Un grand nombre de fileurs et de tisserands emploient l'étoupe comme matière première. Dans le seul arrondissement de Termonde plus de 10,000 ouvriers ou ouvrières travaillent cette matière textile. Il y a donc là un intérêt réel pour la classe ouvrière.
Comme l'a dit l'honorable M. Sigart qui en général n'est pas favorable à des mesures restrictives, ce ne serait pas d'ailleurs le moment de jeter la perturbation dans des habitudes prises, en renversant ce que nous avons accordé l'année dernière.
Je ne doute donc pas que la chambre ne fasse un bon accueil à la proposition du gouvernement.
J'ai proposé de porter le terme de la prorogation à deux années. Dans l'exposé qui accompagne le projet, j'ai indiqué les motifs qui m'ont engagé à adopter plutôt ce terme que celui d'une année. Il m'a semblé qu'il était utile de donner un peu plus de latitude aux opérations qui pourraient se faire à l'abri de la loi.
Les étoupes servent principalement à la fabrication des toiles grossières pour emballages et pour les sacs.
Eh bien, n'est-il pas à regretter que nous n'approvisionnions pas encore une partie du grand marché des Etats-Unis où, comme on l'a dit souvent, on emploie plus de 20 millions de francs annuellement à l'achat de toiles à sac, destinées à l'emballage des cotons ? Il est à désirer que nos commerçants portent leur attention vers ce marché ; ce serait d'un très grand intérêt pour les Flandres.
On a dit que ce n'était pas à la législature actuelle qu'il appartient de s'occuper de cette question, ni surtout de porter le terme à deux années. J'avoue que je n'ai pas compris la force de cet argument.
Je crois que la législature actuelle est très compétente pour se prononcer sur ce point. D'ailleurs, en supposant que la législature qui succédera à celle-ci ait des principes tout à fait différents, rien ne l'empêcherait de proposer le retrait de cette loi.
J'arrive à la question du snuit. Je n'ai pas besoin de rappeler que, l'année dernière, cette question a déjà été soumise à la chambre ; la section centrale d'alors avait proposé de comprendre le snuit dans le droit de 25 p. c ; cette proposition fut assez longuement débattue dans cette enceinte, et elle fut rejetée.
Je ne sais si dans les circonstances actuelles il serait fort convenable de donner de l'extension à la loi du 3 janvier 1847 ; j'en doute.
Je m'aperçois que l'on n'est pas non plus fixé sur ce qu'on entend par snuit ; d'après ce que nous avons entendu tout à l'heure, les honorables députés des Flandres ne sont pas d'accord ; les uns prétendent que le snuit est du lin ; les autres soutiennent que c'est de l'étoupe. Voyons quelle est la définition du snuit telle que nous la trouvons dans le tarif officiel (page 324).
« Snuit. - Lorsque le lin a été roui et broyé, on le teille. Les déchets produits par cette opération constituent des étoupes. Ces étoupes de teillage peuvent être peignées ou sérancées pour en tirer le lin court qu'elles contiennent et auquel on donne le nom de snuit. Cette main-d'œuvre fournit de nouveaux déchets qui sont aussi des étoupes, mais d'une moindre valeur que les premières. Le snuit est, par conséquent, un lin plus court que le lin ordinaire, mais qui, comme celui-ci, est séparé des étoupes ; ce qui le distingue surtout de celles-ci, c'est que les filaments en (page 1142) sont beaucoup plus longs et qu'ils sont rangés parallèlement entre eux, tandis que, dans les étoupes, ils sont mêlés en tous sens. »
D'après le tarif, le snuit est donc du lin court ; ce n'est pas de l'étoupe. Je puis encore rappeler l'opinion qui a été exprimée par un honorable député de Gand, M. Delehaye, qui a aussi soutenu l'année dernière que le snuit est du lin. Il était d'accord avec l'honorable M. Lebeau qui a combattu avec beaucoup de vivacité la proposition de la section centrale.
« Le snuit, disait-il, n'est pas, comme on l'a prétendu, le déchet du déchet du lin. C'est au contraire ce qu'il y a de plus fin après le lin ; c'est le lin qui reste entre les aiguilles du peigne après que le lin le plus fin en a été retiré ; c'est enfin du lin, et du lin le plus fin ; seulement cette partie est désignée sous le nom de lin court. »
Telle est, messieurs, l'opinion qui a triomphé l'année dernière. Je ferai encore observer à l'honorable M. de Haerne que le snuit est d'un prix beaucoup plus élevé que les étoupes ; il est presque le double, il se rapproche beaucoup de celui du lin.
Messieurs, les deux commissions qui ont été consultées ont proposé, à la vérité, de comprendre le snuit dans le projet de loi ; mais, je dois le dire, je ne sais pas quelle serait la portée de cette disposition ; j'ai demandé des renseignements sur les quantités produites et les quantités exportées, et jusqu'à présent je n'ai pas pu le savoir. Les commissions ne donnent aucun détail sur cette question. La majorité de la section centrale qui propose la mesure ne dit pas quelle serait son importance. Nous ne savons pas au juste quelle est la quantité produite dans le pays, quelle est la quantité exportée à l'étranger. Nous agirions donc en aveugles si nous adoptions l'amendement qu'on nous propose.
Cette incertitude et cette considération qu'il ne s'agit pas d'étoupes, mais de lin, sont les motifs qui m'ont principalement déterminé à repousser la proposition de la section centrale.
Quand l'année dernière la législature a pris une résolution concernant le droit de sortie sur les étoupes, elle savait quelle était la quantité exportée ; nous connaissons par conséquent la portée de la disposition. Eh bien, nous ne pourrions pas la dire en ce qui concerne cette espèce de lin qu'on appelle snuit.
Il est à remarquer, d'ailleurs, qu'il n'y a pas eu de réclamation, avant la réunion des deux commissions.
Veuillez aussi remarquer que la mesure prise l'année dernière a eu un résultat très important, puisque les quantités d'étoupes exportées ont été beaucoup moins considérables.
En 1844 l'exportation avait été de 537,000 kil., en 1845 de 484,000 kil., en 1846 de 438,724 kil. et en 1847 sous l'empire de la loi, seulement de 53,000 kil. La loi a donc eu des effets très sensibles et très favorables à l'intérêt qu'on avait en vue, elle a arrêté l'exportation des étoupes.
Je crois donc devoir persister dans la proposition du gouvernement et repousser l'amendement de la section centrale.
M. Dedecker, rapporteur. - La chambre se tromperait gravement si elle pouvait croire que la question que nous agitons est sans importance. Je ne crains pas, pour ma part, de déclarer que nulle mesure ne peut produire plus de fruits, avoir des effets plus efficaces dans l'intérêt de la classe ouvrière des Flandres que celle dont il s'agit. Ce n'est pas seulement le district de Termonde qui est ici intéressé, cinq ou six des principaux districts des Flandres vivent du travail, de la manipulation des étoupes. Au point de vue industriel qui vient se confondre avec le point de vue de la bienfaisance, j'ose donc croire que la prorogation de la loi ne rencontrera pas de difficulté devant la chambre.
Cependant on oppose à la loi de prorogation de prétendus préjudices criants qu'elle porterait à l'agriculture. Si ce fait était vrai il devrait nous faire reculer devant l'adoption de la loi. Autant qu'un autre je respecte les intérêts majeurs de l'agriculture. Si ces intérêts étaient réellement en jeu, je serais d'avis que toute autre considération disparût devant la nécessité de maintenir cet intérêt vital du pays, l'intérêt de l'agriculture. Mais je ne puis que m'étonner de voir certains membres se porter défenseurs de l'agriculture dans un sens opposé à l'opinion émise par les provinces les plus essentiellement agricoles.
La prorogation de la loi sur les étoupes a été demandée par les commissions réunies à cet effet à Gand et à Bruges et qui toutes deux étaient composées des hommes les plus compétents en industrie et en agriculture. Je ne pense pas que nous puissions avoir la prétention de mieux comprendre les intérêts agricoles rattachés à la question actuelle que les représentants officiels des deux provinces de Flandres.
Je maintiens l'assertion du rapport, que le prix des étoupes n'exerce aucune influence sensible sur le prix des lins. Je regrette que l'honorable M. Anspach n'ait pas sous les yeux les résultats de l'enquête faite il y a cinq ans, dans le but de rechercher les moyens d'encourager l'industrie linière ; il aurait vu que dans toutes les parties des provinces flamandes les cultivateurs et les négociants ont affirmé qu'on vend le lin sans s'embarrasser du prix des étoupes. Cela est si vrai, que rarement le cultivateur manipule le lin lui-même et vend lui-même les étoupes. Le plus souvent il vend son lin, soit sur pied, soit roui et séché ; il ne sait pas ce que produira la vente des étoupes.
Il y a des industriels spéciaux qui achètent le lin, qui le manipulent, et l'exportent, ou le vendent aux établissements du pays ; ceux-là tâchent de tirer le meilleur prix de leurs étoupes.
Le cultivateur ne s'embarrasse donc pas de savoir ce que deviendront les étoupes ; en vendant son lin, il ne se préoccupe pas du prix des étoupes.
En fait, y a-t-il eu détriment pour l'agriculture ? On vous l'a dit, le prix des étoupes non seulement s'était maintenu, mais avait augmenté. Le véritable motif de cette augmentation est celui signalé par l'honorable M. de Haerne : que l'usage des étoupes a singulièrement augmenté depuis un an, et c'est là le résultat ordinaire des obstacles apportés à la sortie de la matière première.
Quand la matière première ne sort plus autant, la fabrication des produits auxquels elle sert augmente naturellement. N'est-ce pas là un bon résultat, celui de multiplier la main-d'œuvre dans le pays ? N'est-ce pas un résultat qu'on serait heureux d'obtenir, fût-ce au prix d'un léger sacrifice ? Ne vaut-il pas mieux voir diminuer un peu les avantages de la vente des étoupes à l'étranger que voir diminuer la production nationale et les avantages qui s'y rattachent ? Ce sacrifice n'a d'ailleurs pas été nécessaire ici, puisque le prix des étoupes n'a pas diminué.
Tous les arguments qu'on fait valoir s'appliqueraient parfaitement, si l'on vous demandait un droit à la sortie des lins. Je suis au nombre de ceux qui combattraient le plus énergiquement cette mesure, parce que vous exerceriez ainsi une influence directe, positive sur le sort de l'agriculture. Alors aussi, mais alors seulement, vous auriez le droit de craindre des représailles.
L'honorable M. Lys craint qu'en empêchant la sortie des étoupes, on n'engage les nations voisines à exercer des représailles sur les matières premières dont nous avons besoin pour nos diverses industries. S'il s'agissait d'obstacles à la sortie des lins, je concevrais ces craintes. Mais l'étranger ne se préoccupe pas des étoupes. Ce qui le prouve, c'est que nous avons voté la loi qu'il s'agit actuellement de proroger, même depuis notre convention avec la France, qui est le pays le plus intéressé dans la question. Or, je ne sache pas qu'il y ait eu la moindre réclamation de sa part.
Faut-il appliquer la loi à la catégorie d'étoupes, qu'on appelle snuit ? Ou faut-il continuer de l'exclure comme on l'a fait l'année dernière ? Remarquez que, l'année dernière, l'assimilation du snuit aux étoupes n'a été rejetée que par parité de voix.
Je crois, pour ma part, que la chambre a été surprise. Les opinions peuvent différer, et elles diffèrent, comme le prouve la discussion actuelle. Mais, par suite de connaissances spéciales, acquises dans la localité à laquelle j'appartiens et dans tout le district que j'ai l'honneur de représenter ici, j'ose affirme que le snuit n'est pas du lin proprement dit, mais du déchet de lin. Le snuit a toujours été compris sous la dénomination d'étoupes, mais c'en est la meilleure partie. C'est lorsque cette partie a été séparée du rebut proprement dit, de la partie inférieure des étoupes, c'est alors seulement qu'on obtient le snuit. Dans la première opération que subit le lin, le déchet comprend le snuit et l'étoupe.
Une deuxième opération consiste à séparer le snuit, ou meilleure partie connue sous le nom de snuit, du reste du déchet qui est plus particulièrement appelé étoupe. En d'autres termes on doit considérer la matière première connue sous le nom de snuit comme comprise sous la dénomination générique d'étoupes. Ce qui induit en erreur et ce qui fait croire à une distinction, c'est la préparation particulière et plus soignée que subit le snuit et que ne subit pas l'étoupe proprement dite. Le prix aussi en est plus élevé ; on le conçoit aisément ; puisque c'est la qualité supérieure des étoupes, elle doit différer de prix avec les qualités inférieures.
Quelle serait la portée de l'assimilation du snuit aux étoupes ordinaires ? Nous ne pouvons le dire, parce que le snuit est compris, dans le tarif, sous le nom générique de lins. Je suis porté à croire que la portée serait presque insignifiante, et que l'assimilation que la section centrale propose ne doit alarmer qui que ce soit.
Puis, il y a une difficulté pratique à lever. Il est reconnu qu'en faisant subir certains arrangements aux étoupes on peut les faire passer comme snuit. Ce qui le prouve, c'est que le gouvernement a été obligé de faire préparer à Gand, de séchantillons d'étoupes proprement dites et de snuit, et encore, malgré ces précautions, il a été impossible aux agents de l'administration de distinguer l'un de l'autre.
Messieurs, qu'on me comprenne donc bien.
Je ne voudrais pas, le moins du monde, même indirectement, contribuer à entraver la sortie des lins. Il n'y a pas dans la chambre un membre plus opposé que moi à l'établissement d'un droit de sortie sur les lins. Mais en demandant un droit à la sortie du snuit qui est, je le répète, une espèce d'étoupe, je veux, non pas étendre la loi, mais la rendre conséquente avec elle-même. Si vous n'appliquiez pas la loi au snuit, vous commettriez un non-sens.
M. Osy. - Je voterai contre l'amendement de la section centrale qui étend les dispositions du projet au déchet de lin appelé snuit. Mais je me rallierai aux termes qu'elle propose. Mais avant de vous donner mes renseignements, je dois réclamer contre le dernier paragraphe du rapport de l'honorable M. Dedecker, où il est dit que « les exportateurs d'étoupes ont trouvé le moyen d'éluder la loi et d'échapper au droit de 25 fr. les 100 kilogrammes, en donnant à leurs étoupes la préparation et la forme extérieure du snuit, de manière à en rendre la distinction impossible aux agents de l'administration. »
Je dois sur ce point une explication à la chambre.
Après l'adoption de la loi, l'année dernière, le gouvernement avait envoyé au bureau où l'on exporte dés étoupes, des types fournis par des industriels qui avaient des fabriques à la mécanique. Ils étaient de snuit.
On a saisi à Bruges et à Anvers différentes parties très considérables de snuit dont la sortie n'est frappée d'aucun droit. Au nom de plusieurs négociants, j'ai demandé au gouvernement de nommer des experts pour vérifier si ces types n'étaient pas contraires à la loi. Le gouvernement (page 1143) s'y est refusé. Les négociants ont dû intenter au gouvernement des procès qu'ils ont tous gagnés. De manière que ce n'est pas le commerce, c'est le gouvernement qui éludait la loi. Les tribunaux de Bruges et d'Anvers ont demandé la nomination d'experts. Ces experts ont déclaré que le snuit n'était pas de l'étoupe. Le gouvernement a dû restituer les ballots saisis.
L'année dernière, à l'occasion de la loi sur la sortie des étoupes, je me suis opposé à l'établissement d'un droit de sortie sur le snuit. Les raisons que j'ai données ont déterminé la chambre à refuser d'étendre le droit prohibitif à la sortie du snuit. Il y a un motif de plus aujourd'hui pour repousser cette proposition. Par suite des circonstances politiques, l'exportation des toiles et des fils n'a plus lieu du tout. Mais l'Angleterre continue de nous acheter le snuit. Dans les circonstances pénibles où nous sommes, je veux laisser au cultivateur la consolation de vendre le déchet du lin. Comme le snuit coûte le double des étoupes, c'est un avantage de pouvoir l'exporter. Ces exportations font rentrer dans le pays des espèces dont nous avons tant besoin.
Car, comme l'a très bien dit l'honorable M. Anspach, depuis 25 ans, on n'a jamais vu le lin à un prix aussi bas qu'il l'est aujourd'hui. Ce prix est tellement bas que je crois que nous devons laisser libre l'exportation du snuit.
Quant à la durée de la loi, je dois combattre la proposition du gouvernement.
M. le ministre des affaires étrangères propose de proroger la loi pour deux ans. Il est certain, messieurs, que d'ici au 31 mars 1849, il y aura de nouvelles chambres. Nous ne pouvons savoir quel sera l'esprit de la nouvelle chambre, et je ne veux pas la lier. M. le ministre des affaires étrangères dit qu'elle pourrait prononcer le retrait de la loi ; mais vous savez qu'il est beaucoup plus difficile d'abroger une loi qui doit encore avoir une année de durée, que de ne pas renouveler une loi dont les effets viennent à cesser.
Je crois donc qu'il ne faut proroger la loi que pour un an.
M. Gilson. - Messieurs, une des premières fois que j'ai pris la parole dans cette enceinte, j'ai émis l'opinion qu'une des mesures urgentes à prendre, même dans l'intérêt des Flandres, était de favoriser et d'étendre par tous les moyens possibles la culture du lin ; c'était assez dire que toute mesure restrictive à la sortie de ce riche produit de notre sol ne recevrait jamais mon assentiment. Mes opinions ne sont point modifiées depuis lors. Je conserve l'espoir qu'un jour viendra où notre production en lin sera beaucoup plus importante, alors aussi le marché des étoupes grandira et le vif intérêt que nous devons porter à l'agriculture doit nous déterminer à ménager à l'avance les acheteurs étrangère.
C'est du reste un principe non contesté en économie politique qu'il ne faut point entraver la sortie d'une matière première dont la production n'est pas limitée.
Nous nous décidons cependant à dévier de ce principe, dans les circonstances où nous nous trouvons. Les misères des Flandres sont trop réelles, pour que nous ne cherchions pas à aider quelques populations qui travaillent les étoupes. Devant ces considérations d'humanité il faut céder ; j'ai consenti à l'avantage que le gouvernement propose d'accorder à nos fileurs. Cependant j'ai déclaré dans la section centrale que je ne voulais de la loi que pour un an, et je regrette que M. le ministre des affaires étrangères n'ait pas cru pouvoir se rallier à l'amendement qui est proposé dans ce but.
Craignons, messieurs, en fait de mesures semblables, d'aller trop loin. Je pense, et cette conviction, j'espère, passera dans l'esprit de tout le monde, que la culture du lin peut être une de nos premières ressources agricoles sans nuire pour cela à l'industrie de la filature.
Le rapport de la section centrale contient une erreur de fait. Il n'a point été dit que la question n'avait d'importance qu'au point de vue du fil mécanique, mais seulement il a été fait la remarque que le fil à la main devant par la force des choses diminuer de jour, en jour le marché des étoupes ne peut manquer de décroître dans la même proportion.
En effet, que se passe-t-il en ce moment ? La plus grande quantité de nos lins est achetée pour la filature mécanique ; il est acheté brut, c'est-à-dire après le battage seulement. Or, il contient alors le lin, l'étoupe et même le snuit, et tout est traité dans le même établissement ; il n'est pas une seule filature mécanique qui ne fasse marcher de pair les deux genres de produits, et pas une seule qui songe jamais à vendre la moindre quantité d'étoupe. Il reste donc vrai qu'il ne peut plus être question que des déchets des fils à la main, et c'est la très petite quantité.
Maintenant je suis presque involontairement amené à me demander si, même au point de vue de l'intérêt de nos fileurs des Flandres, nous devons bien leur faciliter l'achat des étoupes. Je crains parfois d'entretenir des illusions que je considère comme funestes. La lutte, selon moi, n'est plus possible ; la mécanique a tiré le fil d'étoupe jusqu'au n°150 à 200. La main se borne aux qualités communes ; elle les fait d'une manière satisfaisante, sans doute, comme elle aborde parfois, non sans succès, les divers fils de lin ; mais là n'est pas la question. La question est de savoir si l'ouvrier se procure un salaire suffisant. Or, dans ma conviction, jamais la filature à la main ne donnera des ressources suffisantes.
L'ouvrier ne gagne pas assez ; il périt à la besogne ; et de là les grandes calamités que nous avons sous les yeux et auxquelles nous devons venir chaque jour en aide. La force et l'intelligence de nos populations pourraient être plus avantageusement utilisées.
Il me reste à dire quelques mots du snuit.
Qu'on tourne la difficulté comme on le voudra, il restera toujours certain que vous voulez étendre la mesure prohibitive ; que vous voulez empêcher une qualité de lin de sortir du pays.
Or, je le demande, dans les circonstances où nous nous trouvons, alors que de toutes parts on réclame, je ne dirai pas le libre échange, mais des mesures plus larges en matière de douanes, peut-on songer à restreindre l'exportation d'un produit aussi important ?
Or, le produit du snuit n'est autre que du lin peigné court, et ne ressemble en aucune manière aux étoupes. Je défie l'expert le plus consommé d'établir la distinction entre le lin coupé et peigné et le snuit proprement dit. J'en appelle à mes collègues ; pensent-ils qu'il y ait un douanier assez exercé pour distinguer ce que l'homme du métier aurait peine à reconnaître ?
Il résulte de ces considérations qu'on grossit les difficultés pour de petits avantages. N'entravons pas le service de la douane ; il n'est déjà que trop difficile.
Je me résume en disant que, dans les larges principes qui doivent nous guider, nous ne devons entraver la sortie d'aucun des produits de notre sol. Nous le faisons pourtant, mais pour une année seulement, et par égard aux misères que nous avons à soulager ; mais aussi nous ne voulons pas aggraver la mesure en l'étendant au-delà des proportions que la législature précédente lui avait données.
M. Sigart. - Tout à l'heure, messieurs, j'ai interrompu l'honorable M. de Haerne, et je lui en demande bien pardon, mais je n'ai pu m'empêcher d'être révolté devant son assertion, qui a, du reste, été reproduite par plusieurs membres de cette chambre. Que disent ces honorables membres ? Ils disent que le prix n'a pas été affecté par la loi. Je ne veux répondre qu'un mot à ces honorables membres : Alors, pourquoi veulent-ils la loi ? Voici un dilemme : de deux choses l'une, ou bien la loi a diminué et doit encore diminuer le prix du lin, et alors je la condamne comme mauvaise, ou bien elle ne doit pas produire cet effet, et alors elle est inutile.
M. Manilius. - Messieurs, il a été surabondamment prouvé que le snuit est bien du lin et non pas de l'étoupe. J'ai demandé la parole lorsque l'honorable rapporteur a voulu faire comprendre à la chambre que ce qu'on nommait snuit était la première qualité des étoupes, et je l'ai demandée pour renverser l'observation et pour dire que le snuit est un lin de qualité inférieure ; mais cela a déjà été dit, et je pense qu'il est inutile d'y insister.
Je ne ferai donc qu'une seule observation, c'est qu'il est constant que les étoupes ne sont que des filaments entortillés les uns dans les autres, tandis que le snuit se compose de filasses peignées, et si on parvient à donner aux étoupes le peignage et la longueur nécessaire, elles cessent d'être des étoupes ; mais ordinairement on ne le peut pas.
- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'amendement de la section centrale, qui tend à comprendre le snuit dans la disposition.
63 membres sont présents.
49 rejettent.
14 adoptent.
En conséquence l'amendement n'est pas adopté.
Ont voté le rejet : MM. Duroy de Blicquy, Eenens, Eloy de Burdinne, Faignart, Frère-Orban, Gilson, Huveners, Jonet, Lange, Le Hon, Lesoinne, Loos, Lys, Manilius, Mercier, Moreau, Orban, Orts. Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Sigart, Tremouroux, Troye, Vandensteen, Vilain XIIII, Anspach, Bricourt, Broquet-Goblet, Bruneau, Cans, Clep, David, de Baillet-Latour, de Bonne, de Garcia de la Vega, de La Coste, Delfosse, de Liedekerke, Desaive, de Sécus, Destriveaux, de Tornaco, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt et Dolez.
Ont voté l'adoption : MM. Lejeune, Malou, Thienpont, Van Cleemputte, Zoude, d'Anethan, Dechamps, de Clippele, Dedecker, de Foere, de Haerne, de Roo, de Terbecq et de Villegas.
- La chambre adopte l'amendement de la section centrale qui tend à substituer la date du 31 mars 1849 à celle du 31 mars 1850.
M. le président. - Il va être procédé au vote par appel nominal sur l'article unique du projet.
M. Osy (sur la position de la question). - Il me paraît, messieurs, que le dernier paragraphe du projet du gouvernement ne devrait plus se trouver dans la loi. On l'y avait inséré pour que le déchet du lin fût frappé du droit de sortie dès le lendemain de la publication de la loi ; mais puisque la disposition relative au déchet du lin a été rejetée, il me paraît que le paragraphe devient inutile. La loi sera de plein droit obligatoire le 31 avril prochain. Je propose donc le retranchement du dernier paragraphe.
M. Dedecker, rapporteur (sur la position de la question). - Il vaudrait mieux adopter le projet de loi du gouvernement, en substituant la date du 31 mars 1849 à celle du 31 mars 1850. (C'est cela.)
M. le président. - Ainsi l'appel nominal portera sur le projet ainsi rédigé :
« Article unique. Le terme de la loi du 3 janvier 1847 (Moniteur belge du 6 janvier 1847) est prorogé jusqu'au 31 mars 1849 inclusivement.
« La présente loi sera obligatoire le lendemain du jour de sa publication au Moniteur. »
(page 1144) On procède à l'appel nominal.
Voici le résultat de cette opération :
64 membres ont répondu à l'appel.
51 membres ont répondu oui.
12 membres ont répondu non.
1 membre (M. Sigart) s'est abstenu.
En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.
M. Sigart. - J'ai fait connaître tout à l'heure les motifs de mon abstention.
Ont répondu oui : MM. du Roy de Blicquy, Eenens, Eloy de Burdinne, Faignart, Frère, Orban, Gilson, Huveners, Lange, Le Hon, Lejeune, Loos, Lys, Malou, Manilius, Mercier, Moreau, Orban, Orts, Osy, Pirson, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Thienpont, Van Cleemputte, Vandensteen, Vilain XIIII, Zoude, Broquet-Goblet, Bruneau, Clep, Cogels, d'Anethan, David, de Baillet-Latour, Dechamps, de Clippele, Dedecker, de Foere, de Haerne, de La Coste, Delfosse, de Liedekerke, de Roo, de Sécus, de Terbecq, de Tornaco, de T'Serclaes, de Villegas, d'Hoffschmidt, d'Huart.
Ont répondu non : MM. Lesoinne, Pirmez, Tremouroux, Troye, Anspach, Bricourt, Cants, de Bonne, de Garcia de la Vega, Desaive, Destriveaux, Dolez.
- La séance est levée à 4 heures et un quart.