(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1091) M. T'Kint de Naeyer fait l'appel nominal à midi et un quart.
M. Troye lit le procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est approuvée.
La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs prisonniers pour dettes demandent l'abrogation, on du moins la révision de la loi du 15 germinal an VI. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Eggerickx demande que le gouvernement fasse activer l’exécution des chemins de fer concédés, afin de procurer du travail à la classe ouvrière. »
- Même renvoi.
« Le sieur Fabry, ancien messager-piéton, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir le remboursement de ce qu'il a versé à la caisse des pensions, ou pour être réintégré dans ses fonctions. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de Fresin demandent le rétablissement des droits d'entrée sur les céréales et sur le bétail, le retrait du projet de loi relatif au droit de succession, une loi sur les assurances par l'Etat et des modifications dans le budget des voies et moyens. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants du canton de Lens demandent qu'il soit fait des économies dans les dépenses de l'Etat. »
- Dépôt sur le bureau, pendant la discussion du rapport sur les demandes de même nature.
« Le sieur Van Swygenhoven demande que les médecins de la garde civique soient élus par les docteurs en médecine. »
- Renvoi à la section chargée d'examiner le projet de loi sur la garde civique.
« Le sieur Charles Duquesne à Bruxelles, né à Lille (France), demande, la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministère de la justice.
« Le sieur Peemans propose diverses mesures financières en remplacement du projet de loi d'emprunt. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet.
M. David, rappelé pour affaires, demande un congé de quelques jours.
- Accordé.
M. le président. donne lecture des propositions faites par la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet du gouvernement ; ces propositions sont ainsi conçues :
« Art. 1. Le cens électoral pour la nomination des conseils communaux est réduit à fr. 42-52 (20 fl.) dans les communes où il excède ce taux en vertu de l'article 7 de la loi du 30 mars 1836.
« Art. 2. Dans ces communes, les listes électorales formées pour l'élection à la chambre des représentants serviront pour l'élection au conseil communal.
« Néanmoins tout habitant qui ne figurerait pas sur ces listes et qui aurait droit à être électeur communal, en vertu des articles 7, 8 et 10 de la loi du 30 mars 1836, pourra, en adressant sa réclamation dans le délai fixé par cette loi, se faire porter sur une liste supplémentaire.
« Art. 3. L'article 47 de la loi du 30 mars 1836 est abrogé et remplacé par la disposition suivante :
« Pour être éligible, il faut :
« 1° Etre Belge par la naissance ou la naturalisation ;
« 2° Etre âgé de vingt-cinq ans accomplis ;
(page 1092) 3° Avoir son domicile réel dans la commune, au moins depuis le janvier de l'année dans laquelle se fait l'élection.
« Dans les communes ayant moins de mille habitants, un tiers au plus des membres du conseil peut être pris parmi les citoyens domiciliés dans une autre commune, pourvu qu'ils satisfassent aux deux premières conditions d'éligibilités.
« Nul ne peut être membre de deux conseils communaux. »
- La discussion générale est ouverte.
M. Castiau. - Messieurs, le projet de loi qui vous est soumis en ce moment, et qui est relatif à l'abaissement du cens électoral pour la commune, est le corollaire obligé de la loi du 12 mars 1848 qui a eu pour effet de réduire le cens pour les chambres au taux de 20 florins. Evidemment, après avoir adopté cette réduction il y aurait eu un contre-sens monstrueux, on peut le dire, à laisser subsister pour les élections communales un cens qui, pour certaines villes, s'élevait à la somme de 100 fr. On vient donc, messieurs, vous demander aujourd'hui d'abaisser le cens électoral communal au niveau du cens électoral pour les chambres.
Cependant, malgré cette modification, il n'en reste pas moins une assez grave anomalie dans le projet de loi que nous discutons. Ce projet est destiné à établir l'uniformité entre deux cens qui jusqu'ici avaient eu un caractère différent et l'on vient ainsi rompre l'économie de tout votre système électoral. Suivant ce système, une distinction existait et semblait imposée par la raison et par la nature même et l'importance des opérations électorales, entre le cens pour les chambres et le cens pour les communes ; cette distinction, je le répète, résultait, de la différence même du mandat conféré par la loi à ces deux catégories d'électeurs, et aujourd'hui, messieurs, on l'efface et on vient établir l'uniformité entre des opérations électorales qui, sous le rapport de l'importance, n'ont entre elles aucune similitude. C'est là, il faut en convenir, une assez grave anomalie qui vient rompre, ainsi que je le disais il n'y a qu'un instant, toute l'économie de nos lois électorales.
A côté de cette anomalie vient se placer une injustice. On propose l'abaissement du cens électoral dans quelques villes seulement où le cens sera réduit de 100 fr. à 40 francs ; mais à ces villes s'arrête la libéralité du projet ; il ne va pas au-delà. C'est un privilège qu'on réclame en faveur d'un petit nombre de villes ; les autres localités et les communes rurales sont toutes exclues du bénéfice de cette extension des droits électoraux.
La section centrale a reconnu elle-même qu'il y avait là une véritable anomalie et que le projet était incomplet ; elle a pressenti qu'il faudrait nécessairement élargir le cercle de la capacité électorale dans les communes. Je lis, en effet, dans le rapport de la section centrale que le moment n'est peut-être pas éloigné où d'autres changements pourraient être apportés à la loi de 1836, en ce qui concerne l'élection des conseils communaux. Le moment n'est peut-être pas éloigné, dit-on.
Je crois que non seulement ce moment n'était pas éloigné, mais que ce moment était arrivé et que puisqu'on abordait la question de l'abaissement du cens électoral, il fallait résoudre largement la question et appliquer à toutes les communes du pays le bienfait de cet abaissement.
La section centrale ajoute qu'il est prudent d'user de certaine réserve en cette matière et d'attendre que l'expérience vienne nous fournir de nouveaux enseignements.
Messieurs, j'aurais compris que la section centrale vînt invoquer ces motifs de réserve et de prudence, quand il s'agissait de la loi du 12 mars 1848 et de la réduction du cens électoral pour les chambres au minimum de la Constitution. On marchait alors au milieu de l'inconnu ; on ne connaissait pas même le nombre d'électeurs que la réforme devait produire ; j'aurais compris alors, je le répète, qu'on invoquât les considérations de prudence développées si minutieusement dans le rapport de la section centrale. Néanmoins, on a alors passé outre ; personne n'a fait valoir ces considérations de réserve et de prudence ; personne n'a parlé alors de la nécessité d'une réforme progressive, de la nécessité de consulter les enseignements de l'expérience ; la réforme a été votée sans examen, sans discussion, par acclamation, en quelque sorte. Je suis donc très étonné devoir se réfugier aujourd'hui derrière de timides fins de non-recevoir, quand il s'agit d'une réforme cent fois moins importante et qui se borne la composition de quelques conseils communaux. Pour justifier son immobilité, la section centrale ajoute que peu de réclamations se sont produites contre le système électoral des communes.
Il y a eu peu de réclamations ! Mais qui donc jusqu'à présent aurait conçu l'espoir de voir introduire dans la législation électorale des réformes aussi larges que celles que vous aurez votées de confiance ? Personne n'a songé jusqu'ici à réclamer l'extension du système électoral pour les communes. Non certes, en présence de ce qui se passait depuis 18 ans dans cette enceinte, qui donc se serait avisé de réclamer l'extension des droits politiques ? Mais loin de marcher au développement de nos libertés, nous étions débordés de toutes parts par le triomphe des idées réactionnaires qui, pendant 15 ans, ont dominé le pays. Loin de pouvoir réclamer le développement de nos droits, nous avions à les défendre ; chaque jour nous devions être sur la brèche, pour tâcher de conserver quelques derniers lambeaux de nos institutions libérales qui tombaient successivement sous les coups de la réaction.
C’était la réaction qui triomphait ; c'était la réaction qu'on combattait : personne ne songeait à demander des extensions de droits politiques en matière électorale ; car ces réclamations alors auraient ressemblé à une mauvaise plaisanterie. Aujourd'hui les choses ont changé de face ; les opinions se sont modifiées tout à coup ; d'étranges conversions ont eu lieu, et l'on s'est empressé de nous accorder en quelques heures des réformes que l'on eût vainement sollicitées pendant un siècle peut-être. Il fallait achever l'œuvre, et appliquer également aux institutions communales le bienfait de ces nouvelles réformes. On pouvait le faire avec d'autant plus de sécurité, que les élections communales n'ont pas la haute importance des élections aux chambres. Il ne s'y agit, en effet, que d'intérêts restreints et de questions administratives et locales.
On pouvait montrer dans l'intelligence et la modération des populations cette confiance que vous leur aviez témoignée quand il s'est agi de doubler et de tripler le nombre des électeurs pour les chambres.
Cet abaissement du cens dans toutes les communes eût été un acheminement à de nouveaux progrès politiques, c'eût été une espèce de noviciat constitutionnel imposé à nos populations pour les conduire à l'émancipation.
Les électeurs communaux, par l'exercice de leurs droits, auraient acquis rapidement l'indépendance et l'intelligence nécessaire pour être admis à l'exercice des droits politiques qui doivent appartenir aux majorités. C’était, en un mot, la meilleure des transitions pour arriver à réaliser des réformes plus larges que celles que vous avez réalisées et qui sont loin d'atteindre le dernier terme de nos progrès politiques.
Il ne faut pas croire en effet qu'on ne pouvait pas aller au-delà des réformes proposées sans briser la Constitution. Il ne faut pas croire qu'au-delà ce n'était plus une question de réforme, mais une question de révolution, comme on l'a dit encore dernièrement dans cette enceinte. Si les honorables membres qui ont tenu ce langage avaient pris la peine de jeter les yeux sur l'article 131 de la Constitution, ils auraient vu que la révision de ses dispositions était un droit parfaitement légitime et constitutionnel. Tout le monde ici et, en dehors de cette enceinte, tous les citoyens peuvent réclamer la révision des articles de la Constitution. Ce droit est le droit le plus précieux du pays et la meilleure garantie du respect des citoyens pour la Constitution. Son plus grand mérite, c'est de pouvoir se prêter à tous les changements politiques et à toutes les améliorations sociales.
Notre Constitution, grâce au ciel, n'a pas eu la ridicule prétention de limiter le projet et d'enchaîner l'avenir ; elle nous offre au contraire le moyen de résoudre pacifiquement ici des problèmes qui ailleurs ne pourraient se résoudre qu'à l'aide de révolutions.
C'était donc pour arriver à es réformes plus décisives que j'aurais voulu qu'on procédât par l'extension des droits électoraux dans les communes et qu'on accoutumât ainsi les citoyens à l'exercice de leur souveraineté.
Mon intention était de proposer aujourd'hui une réduction du cens qui pût profiter à toutes les localités du pays. Mais avant de faire cette proposition, je voudrais connaître les dispositions du gouvernement ; car s'il la combattait, je n'aurais pas l'espoir de la faire admettre par la chambre. Je ne la présenterai pas pour épargner les moments de la chambre et éviter le désagrément d'une défaite ; mais je ferai mes réserves pour l'avenir. Mon intention, dans ce cas, est de m'abstenir ; car tout en reconnaissant que le projet est une amélioration pour quelques localités, je pense qu'il fallait ici encore des réformes plus larges pour satisfaire aux nécessités du moment et rattacher de nouvelles classes de citoyens à nos institutions politiques.
(page 1097) M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, l'opinion publique, à aucune époque, n'a réclamé l'abaissement du cens électoral pour la commune. On l'avait réclamé, à la vérité, pour la formation des chambres ; mais personne, à ma connaissance, dans le pays, je ne parle pas d'opinions tout à fait isolées, mais du moins aucune opinion de quelque poids n'avait réclamé l'abaissement du cens pour la formation des conseils communaux. Aussi lorsque je suis venu proposer cette nouvelle réforme, j'ai peut-être été déterminé moins par le désir de donner en ceci satisfaction à l'opinion publique que par la convenance de faire cesser une anomalie qui se serait produite entre le cens électoral réduit pour les chambres et le cens électoral maintenu pour la formation des conseils communaux. En effet, si nous avions laissé subsister le cens actuellement exigé pour la formation des conseils communaux de beaucoup de nos villes, il serait arrivé que les conditions pour l'électeur communal dans ces villes auraient été plus rigoureuses que pour l'électeur des chambres. Il a fallu faire cesser cette anomalie et ramener le cens communal au maximum de 42 francs. Le gouvernement n'a pas cru devoir aller au-delà. Faut-il abaisser le cens électoral dans une proportion plus forte ? En ce moment-ci, je ne le pense pas.
L'honorable M. Castiau ne peut pas non plus lui-même avoir une opinion très arrêtée sur ce point, car il n'indique pas le chiffre auquel, il voudrait voir descendre le cens électoral.
M. Castiau. - Je voudrais qu'il fût fixé provisoirement à 20 fr. pour les villes et à 10 fr. pour les communes rurales.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Ce ne serait point là de l'égalité. Vous proposez pour les communes rurales d'abaisser le cens de 15 à 10 francs. Mais si l'on n'étend pas à toutes les communes du royaume le chiffre de 10 fr., un grand nombre d'habitants ne profiteront pas de cette réduction.
D'un autre côté, dans l'état actuel de la civilisation et de l'instruction politique du pays, je crois que ce serait descendre beaucoup trop bas que d'admettre le cens de 10 fr. pour toutes les communes du royaume. Dans quel but d'ailleurs se ferait une telle réforme ? L'opinion qui, aujourd'hui, éclate sur tous les points de l'Europe, ce n'est pas dans les communes belges qu'elle a besoin de triompher. Depuis longtemps elle domine dans la plupart de nos communes belges.
L'ordre public, l'administration des communes n'ont pas eu à souffrir. Loin de là. Nos communes sont en général bien administrées et dans un sens très populaire. On ne peut pas dire qu'elles soient représentées par une opinion rétrograde ou même ultra-conservatrice. Il n'est donc pas urgent de les soumettre à l'épreuve d'une réforme profonde.
Nous venons de faire un pas.
Je demande que, sans rien préjuger pour l'avenir, on se borne à la proposition du gouvernement, qui est déjà assez large, puisqu'elle a pour but de réduire de plus de moitié le cens pour les villes de 50,000 âmes et au-dessus ; de le réduire de moitié pour les villes de 40 à 50,000 âmes ; de le réduire enfin dans une certaine proportion dans toutes les communes du royaume dont la population excède 15,000 âmes.
M. Castiau. - Quel est le nombre des communes ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je ne puis en donner en ce moment le nombre exact ; l'ordre de la discussion ayant été changé, je n'ai pas les documents administratifs sous les yeux ; mais il ne suffit pas seulement de compter le nombre des communes auquel s'applique la mesure ; il faut voir le nombre d'électeurs que nous allons créer, le nombre de citoyens nouveaux que nous allons appeler à exercer les droits politiques.
Voilà le calcul qu'il faudrait faire pour apprécier la portée de la mesure. Je crois que ce nombre sera très considérable. Je sais que le nombre des communes auxquelles la loi s'appliquera n'est pas très grand ; mais dans ces communes, par cela même qu'elles sont peuplées, le nombre des électeurs nouveaux sera très considérable.
(page 1098) Messieurs. Je demande à l'honorable M. Castiau lui-même, si la réforme actuelle ne paraît pas suffisante dans les circonstances où nous sommes. Le pays est entré dans une voie nouvelle ; pour longtemps l'opinion publique n'a pas à craindre de résistance aveugle ou hostile de la part du pouvoir.
Le triomphe des idées libérales est assuré pour longtemps. Il n’y a donc aucune nécessité pressante de nous précipiter tout d'un coup jusqu'aux dernières limites de ce que peut espérer le progrès de l'opinion libérale.
Je n'ai accusé personne de vouloir faire ici de la révolution. L’honorable M. Castiau ne m'a pas bien compris, lorsque j'ai dit qu'en abaissant le cens électoral pour les chambres à 42 fr., nous restions dans les limites de la Constitution ; que vouloir aller au-delà, ce ne serait plus de la réforme, ce serait de la révolution. J'ai, messieurs, raisonné d'après les circonstances où nous nous trouvons et dans les limites des pouvoirs actuels ; et certes, si la chambre, si le pouvoir parlementaire tel qu'il est constitué aujourd'hui venait à proclamer la réduction du cens au-dessous du taux fixé par la Constitution, il ne poserait plus un acte de réforme, il poserait un acte révolutionnaire. Voilà ce que j'ai voulu dire ; voilà comment j'ai exprimé qu'aller au-delà dans les circonstances actuelles, ce serait faire un acte révolutionnaire et non plus un acte réformateur. Personne n'a pu se méprendre sur mes intentions.
La loi actuelle introduit en outre une réforme qui n'avait non plus été réclamée que dans ces derniers temps. Elle supprime le cens d'éligibilité établi exceptionnellement pour les conseillers communaux, et qui n'existait pas pour les chambres et pour le conseil provincial. C'est encore un pas en avant dans la voie de la réforme.
M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, le Roi nous a chargés de vous présenter un projet de loi que j'aurai l'honneur de vous faire connaître, après la lecture d'un court exposé des motifs et d'une lettre que la Société générale pour favoriser l'industrie nationale a adressée au gouvernement.
La lettre en date du 18 de ce mois est ainsi conçue :
« Messieurs,
« Depuis que des événements en dehors de toutes les prévisions humaines ont changé la forme du gouvernement en France, et ont occasionné une perturbation profonde dans la situation financière de ce pays, la direction vous a fréquemment entretenus de la funeste influence que cette crise, inouïe jusqu'à ce jour, exerce sur la Belgique, et en particulier sur les affaires de la Société Générale.
« La direction a fait tout ce qui a dépendu d'elle pour soutenir le crédit public si fortement ébranlé ; elle a échangé les billets de cette Société contre espèces, à bureau ouvert, et elle a accepté le papier de Commerce autant et au-delà peut-être de ce que permettaient ses ressources du moment.
« Mais aujourd'hui, messieurs, que le gouvernement provisoire de France vient de donner un cours forcé aux billets de la Banque de France, il n'est plus permis d'espérer que la Société Générale puisse continuer d'échanger ses billets qui vont sans doute lui être présentés pour des sommes considérables.
« Les mesures que le gouvernement français vient de prendre doivent avoir pour résultat inévitable l'enlèvement d'une partie de l'argent flottant en Belgique, tandis que, d'un autre côté, les espèces monnayées ne pourront plus sortir de France, en sorte qu'il est d’une haute importance de conserver, pour les besoins de l'industrie et du commerce, celles que pourront rentrer successivement dans les caisses de la Société Générale.
(page 1093) « Dans cette situation imminente, la direction a l'honneur de vous soumettre quelques idées relativement aux moyens qui lui semblent les plus propres à préserver le crédit public du désastre dont il est menacé et à assurer, par l'établissement d'un comptoir commercial, à Bruxelles, la reprise des affaires industrielles et commerciales.
« D'après le désir que vous avez exprimé, messieurs, à M. le gouverneur, la Société Générale affecterait à la garantie des seize millions dont se composait sa circulation en billets, les valeurs suivantes :
« 1° Des immeubles consistants principalement dans les forêts de Couvin et de Harre, ainsi que dans les bâtiments que la Société Générale possédée Bruxelles, 5,000,000 fr.
« 2° Sept mille actions du canal de jonction de Sambre à l'Oise, qui a produit l'année dernière 4 1/2 p. c, dont 4 ont été distribués aux actionnaires, 7,000,000 fr.
« 3° En obligations de l'emprunt belge, à 4 1/2 p. c., 2,200,000 fr.
« 4° En obligations de l'emprunt belge à 2 1/2 p. c. valeur nominale 2,200,000 fr. à 3 p. c, 1,100,000 fr.
« 5° En obligations de l'emprunt belge à 3 p. c... 2,700,000 fr.
« Ensemble, 18,000,000 fr.
« Quant aux quatre millions qui seraient remis par la Société Générale au comptoir d'escompte, ils se trouveraient naturellement garantis par les effets que le comptoir accepterait.
« La direction vous prie, messieurs, de recevoir l'assurance de sa haute considération.
« Le secrétaire, Greban
« Le gouverneur, Comte F. Meeus. »
En présence de cette déclaration, en présence des événements financiers qui se sont produits à l'extérieur et de la situation du crédit à l'intérieur, il ne restait au gouvernement qu'à prendre les mesures extraordinaires que les circonstances commandent.
Le capital circulant est paralysé. Pour suppléer à l'insuffisance de la circulation, pour permettre aux établissements de crédit de venir en aide à l'industrie et au commerce, en reprenant et étendant les opérations d'escompte, il a paru indispensable de donner temporairement un cours légal à un nombre limité de billets de banque, à l'instar de ce qui vient de se passer dans un pays voisin et de ce qui s'est fait, à une autre époque, dans d'autre pays.
Après avoir reconnu la pénible et impérieuse nécessité de cette mesure temporaire, le devoir du gouvernement était d'assurer par des valeurs réelles, tant pour les particuliers que pour l'Etat, le remboursement des billets, quand le moment en sera venu. C'était de plus une occasion opportune pour faciliter et étendre les opérations de l'escompte par la création d'un comptoir si vivement réclamé. D'autres mesures d'intérêt public, faisant l'objet d'une convention spéciale qui sera communiquée aux chambres, sont venues se rattacher au projet de loi que nous venons leur présenter.
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, Salut.
« Sur la proposition de Notre conseil des Ministres, nous avons arrêté et arrêtons :
« Le projet de loi dont la teneur suit sera présenté, en Notre nom, à la chambre des représentants par Notre Ministre des finances.
« Art. 1er. A dater de ce jour, les billets de banque de la Société Générale pour favoriser l'industrie nationale et ceux de la Banque de Belgique seront reçus comme monnaie légale dans les caisses publiques et par les particuliers.
« Ces deux établissements seront provisoirement dispensés de l'obligation de rembourser leurs billets avec des espèces.
« Néanmoins, les coupures de cinquante francs (fr. 50) et au-dessous seront toujours remboursables en numéraire.
« Art. 2. La somme des billets à émettre par ces deux établissements ne pourra excéder trente millions de francs, dont vingt millions pour la Société Générale et dix millions pour la Banque de Belgique. Ces billets sont garantis par l'Etat.
« Art. 3. Ces deux établissements affecteront, à titre de garantie des billets actuellement en circulation et de ceux qu'ils émettront à l'avenir, des immeubles, des fonds belges ou autres valeurs, pour une somme au moins équivalente au montant des billets dont l'émission est autorisée par l'article 2.
« Les valeurs mobilières seront déposées à la trésorerie de l'Etat et confiées à la surveillance de la commission de la caisse d'amortissement, instituée par la loi du 18 novembre 1847.
« Une convention fixera les objets soumis à cette garantie ; les immeubles et valeurs qu'elle comprendra seront affectés, les premiers par hypothèque, les secondes par privilège à la garantie stipulée.
« Tous actes relatifs à cette convention seront dispensés des droits et des formalités de timbre et d'enregistrement.
« Art. 4. Le gouvernement pourra réduire le maximum des émissions, lorsque les circonstances le permettront, et faire cesser, en tout ou en partie, les effets de la présente mesure.
« Art. 5. Il sera institué à Bruxelles un comptoir d'escompte ou de commerce dont la direction sera confiée à cinq administrateurs, l'un désigné par le gouvernement, le second par la Société Générale, le troisième par la banque de Belgique et les deux derniers par la chambre de commerce de Bruxelles.
« Ce comptoir prendra les mesures nécessaires pour établir des relations suivies avec les principaux centres industriels et commerciaux du pays.
« Art. 6. Le fonds de ce comptoir d'escompte est fixé à la somme de huit millions ; il sera fourni sans intérêt quatre millions par la Société Générale et quatre millions par la Banque de Belgique.
« Art. 7. Si le gouvernement jugeait nécessaire de venir en aide à d'autres établissements de crédit, moyennant des garanties sur dépôt de fonds belge ou autres valeurs, il pourra augmenter le chiffre d'émission desdits billets fixé par l'article 2 jusqu'à concurrence de quatre millions, qui seront mis à sa disposition, moitié par la Société Générale et moitié par la Banque de Belgique.
« Art. 8. Le chiffre total des billets en circulation de chacune des deux Banques, ainsi que le relevé de leurs escomptes et de ceux du comptoir, seront publiés au moins chaque quinzaine dans le Moniteur.
« Art. 9. Le gouvernement nommera deux commissaires, l'un près la Société Générale, l'autre près la Banque de Belgique, à l'effet de surveiller et de contrôler leurs opérations d'escompte, et de s'assurer que le maximum d'émission de leurs billets n'est pas dépassé.
« Ces deux commissaires surveilleront également les opérations du comptoir d'escompte.
« Art. 10. La présente loi sera obligatoire le jour même de sa publication au Moniteur.
« Donné à Bruxelles, le 20 mars 1848.
« Léopold.
« Par le Roi : Le ministre des finances, Veydt. »
Messieurs, il n'y a pas encore de convention conclue avec la Banque de Belgique, mais M. le directeur de cet établissement m'a déclaré qu’il me remettrait des valeurs représentant les 10 millions qui formeraient sa part. Les articles de la convention arrêtée avec la Société Générale, relatifs au dépôt des valeurs et à la surveillance, seront les mêmes dans la convention avec la Banque de Belgique.
Vous apprécierez tous, messieurs, combien ce projet de loi présente un caractère d'urgence ; un examen immédiat dans les sections est nécessaire. Je n'ai pas eu le temps de le faire imprimer, mais j'en ai fait faire 6 copies qui pourront être distribuées aux sections.
M. le président. - Je propose à la chambre de se réunir immédiatement en sections pour examiner ce projet.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est suspendue à 2 heures.
MM. les membres de la chambre se retirent dans leurs sections respectives.
A 4 heures et 1 /2 la séance est reprise.
M. Malou. - Messieurs, la section centrale qui a examiné le projet de loi présenté au début de cette séance m'a chargé de vous présenter immédiatement le résumé des observations des sections et le résultat de l'examen auquel elle vient de se livrer.
Toutes les sections la plupart à l'unanimité ont adopté le principe d'u projet de loi. Une section, la 6ème, a fait remarquer que cette mesure présente un caractère d'urgence, que, d'un autre côté, le projet de loi contient plusieurs dispositions très importantes ; elle conclut de ces deux faits qu'il peut être utile d'assigner à la loi, abstraction faite de toute autre considération de crédit, un caractère temporaire de poser dès à présent le principe d'une révision par la législature. Elle propose d'en limiter les effets, sauf prorogation éventuelle, au 31 décembre 1848 La section centrale, à l'unanimité, s'est ralliée sur ce point aux observations de la 6ème section. Elle vous propose en conséquence un article additionnel ainsi conçu s :
« Le cours forcé des billets de banque établi par la présente loi cessera de plein droit au 31 décembre 1848, à moins qu'il ne soit ultérieurement prorogé. »
La même section, à la majorité de 9 voix contre 4, a proposé d'ajouter l'article premier du projet de loi une disposition d'après laquelle on excepterait en donnant cours forcé à certains papiers le payement des rentes perpétuelles et le payement par anticipation de tous autres capitaux. La section centrale a examiné également cette proposition. Elle n'a pas cru pouvoir s'y rallier. L'expérience de la circulation du papier démontre que lorsque (page 1094) les émissions sont restreintes dans les limites des besoins réels, aucune dépréciation n'existe et ne peut raisonnablement exister ; en d'autres termes lorsque la circulation n'est pas fictive, qu'elle est nécessitée par les besoins réels, le papier a, dès le principe, et conserve la valeur de l'argent, surtout lorsque, comme dans le cas actuel, les garanties équivalent au double du capital que le papier représente, dès lors, messieurs, le motif que la sixième section supposait n'existera pas.
Le motif que la sixième section supposait n'existera pas.
On ne doit pas se dissimuler d'ailleurs, qu'en l'absence d'autres motifs péremptoires, il faut s'abstenir de consacrer la mesura, par cette raison qu'on détruirait en quelque sorte d'avance, en créant des exceptions, la juste et légitime confiance que le public doit avoir et conserver dans cette nouvelle espèce de monnaie nationale que le pays adopterait.
Ces considérations ont déterminé la section centrale à vous proposer, à la majorité de 6 voix contre une, le maintien pur et simple, sous ce rapport, de l'article premier du projet de loi.
Une autre section, la quatrième, a émis le vœu de voir multiplier les coupures, les petits billets. La deuxième section a émis le vœu que le gouvernement prît toutes les mesures administratives qui seraient de nature à faciliter le placement et l'échange des billets ainsi mis en circulation. La section centrale s'est associée aux vœux de ces deux sections.
A l’unanimité, la sixième section soumet à l'examen de la section centrale la disposition suivante : « Nul n'est tenu de recevoir un billet excédant la somme due avec obligation de remettre le surplus. »
La section centrale, considérant ce principe comme étant de droit, n'admet point la proposition ;
Quant à l'article 2, une première observation a été faite. Il résulte de l'exposé des motifs et de l'objet même de cette mesure que des billets actuellement en circulation sont compris dans la somme fixée par le projet de loi ; mais pour éviter toute incertitude, une section a proposé, au lieu de : « La somme des billets à émettre, » de dire : « La somme des billets émis ou à émettre, » La section centrale, à l'unanimité, s'est également ralliée à cette observation.
Une discussion s'est élevée dans plusieurs sections sur la fixation du chiffre maximum de l'émission à autoriser. Plusieurs sections ont demandé que la loi à intervenir accordât au gouvernement la faculté d'augmenter l'émission, afin de rendre éventuellement possible la réduction d'une somme égale au chiffre de l'emprunt, sous des formes diverses, que je crois inutile d'analyser. Cette idée s'est fait jour dans les première, troisième, quatrième et cinquième sections.
La section centrale a adopté à cet égard et à l'unanimité la rédaction proposée par la cinquième section, on ajouterait à l'article 2 le paragraphe suivant :
« Toutefois le gouvernement pourra autoriser une émission supplémentaire de billets à concurrence de 10 millions à verser dans les caisses de l'Etat contre dépôt de bons du trésor qui seront retirés de la circulation et remis à celui des établissements qui aura opéré le versement. »
Il résulterait de là qu'une partie de notre dette flottante, celle dont le remboursement est le plus prochain, pourrait être en quelque sorte consolidée temporairement, pendant la durée de la loi, et ne mettrait plus aucune dépense à la charge de l'Etat
Une raison décisive a paru à la section centrale exiger que ce fût une simple faculté. Il est nécessaire, en effet, que la circulation du papier, si nous voulons qu'il conserve sa valeur réelle, qu'il ne se discrédite pas, soit proportionnée aux besoins ; le gouvernement, si la loi lui donne une simple faculté, pourra juger si l'émission de cette somme supplémentaire est possible, sans qu'il en résulte une dépréciation quelconque.
La réaction que cette mesure peut exercer éventuellement sur le chiffre de l'emprunt, soumis à l'examen de la chambre, est évidente ; toute la somme nécessaire au remboursement de la dette flottante qui pourrait être ainsi momentanément consolidée, pourrait être déduite du chiffre de l'emprunt forcé.
Plusieurs sections, en ce qui concerne l'article 3, se sont préoccupées des garanties. L'opinion a été émise, que des garanties indiquées dans la convention n’étaient pas suffisantes ; que le gouvernement, pour ne pas engager sa propre responsabilité, devait, quand des émissions auraient lieu, stipuler des garanties qui fussent de nature à couvrir, en toute éventualité, le payement des billets dont l'émission, au cours forcé, serait momentanément autorisé.
La section centrale partage la même opinion, elle engage le gouvernement à s'assurer des garanties plus fortes.
L'article 4 n'a donné lieu à aucune observation.
L'institution du comptoir d'escompte et le principe même de son organisation, tels qu’ils sont posés par le projet de loi, n'ont donné lieu à aucune observation générale ou de principe, ni dans les sections, ni au sein de la section centrale. Il a été fait deux observations.de détail. L'on a pensé, dans une section, que la chambre de commerce de Bruxelles ne devait pas, à raison du caractère et du but de cette institution, avoir la nomination de deux membres de l'administration du comptoir d'escompte. La section centrale, ayant délibéré sur cette question, a pensé qu'il ne fallait confier la nomination de ces deux membres, ni au gouvernement qui déjà nomme un administrateur, ni à la chambre de commerce,, ni même au tribunal de commerce de Bruxelles ; mais que ce choix devait être déféré à la députation permanente. Elle vous propose à l’unanimité de modifier en ce sens sous le premier paragraphe de l'article 5.
La cinquième section proposait de dire expressément dans la loi que le gouvernement arrêterait les statuts du comptoir. Cette mention a paru inutile à la section centrale. Du moment que l'on constitue le comptoir dans les termes du projet de loi, la législation, d'après le droit commun, donne au gouvernement seul le pouvoir d'en approuver les statuts.
L'article 6 est adopté sans observations par les sections et par la section centrale.
L'article 7 suppose une extension facultative du chiffre de l'émission. Deux observations ont été faites. La deuxième section demande si par les mots « autres valeurs » on devait entendre aussi les garanties immobilières. La quatrième section demande que les garanties immobilières soient substituées aux mots « autres valeurs » ; que le gouvernement soit placé dans cette alternative, ou d'accepter soit des fonds belges, soit des garanties immobilières, à l'exclusion de toute valeur industrielle ou autre.
La section centrale estime que l'opinion émise par la quatrième section, telle que je viens de l'analyser, doit être consacrée par la loi et qu'il y a lieu de modifier dans ce sens l'article 7 du projet de loi portant :
« Si le gouvernement jugeait nécessaire de venir en aide à d'autres établissements de crédit, moyennant des garanties sur dépôt de fonds belges ou autres valeurs, etc. » comme au projet.
On dirait : « moyennant des garanties immobilières ou sur dépôt de fonds belges, » etc.
La cinquième section propose à l'article 8 un amendement ayant pour objet de décider que la publication des opérations du comptoir et des banques, en ce qui concerne l'escompte, serait faite tous les huit jours.
Il nous a paru qu'il suffisait, pour les opérations de cette nature, d'une publicité par quinzaine, que la confiance qui naît de la publicité devait être suffisamment garantie si, à des époques aussi rapprochées, on faisait connaître quelles avaient été les opérations du comptoir et des banques en matière d'escompte. Des publications plus rapprochées auraient peut-être un résultat contraire, parce qu'elles ne signaleraient pas au public un ensemble de faits, sur lequel la confiance put se fonder.
Dans l'examen de l'article 9, l'on s'est demandé si les deux commissaires que le gouvernement pourra nommer seraient rétribués par les établissements auxquels ils seraient attachés.
La section centrale pense que de cette surveillance il ne peut résulter aucune charge pour l'Etat, que de deux choses l'une : ou ces fonctions seraient remplies gratuitement, ou, s'il y avait une indemnité ou rétribution à y attacher, elle devait tomber à charge des établissements eux-mêmes. Il a paru inutile, du reste, de faire mention de cet objet accessoire dans la loi.
En résumé, les amendements se rapportent en premier lieu à un article additionnel qui borne la durée de la loi à l'année courante, sauf prorogation éventuelle à intercaler à l'article 2 les mots : « billets émis ou à émettre » ; à substituer dans l'article 5' la nomination de deux membres de l'administration du comptoir par la députation à la nomination à faire par la chambre de commerce ; d'après le projet du gouvernement à l'article 7 à substituer les mots : « garanties immobilières ou sur dépôts de fonds belges » à ceux-ci : « garantis sur dépôts de fonds belges ou autres valeurs’.
Tel est, messieurs, le résumé rapide, aussi complet qu'il m'est possible de le faire en ce moment, des observations présentées dans les sections, et des délibérations de votre section centrale.
M. le président. - Vous venez d'entendre le rapport de la section centrale ; veut-on procéder immédiatement à la discussion ?
Plusieurs voix. - Oui ! oui !
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - J'engagerai les honorables membres à présenter les observations qu'ils auraient à faire, au fur et à mesure que nous arriverons aux articles, pour ne pas perdre de temps dans une discussion générale : cependant je déclare la discussion générale ouverte.
- Personne ne demandant la parole, il est procédé à la discussion des articles.
M. le président. - Nous commencerons par l'article transitoire proposé par la section centrale, sauf à le classer plus tard.
Cet article serait ainsi conçu : (M. le président donne lecture de cet article.)
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Je demandé la permission de présenter une observation sur cette disposition nouvelle. Il me paraît, sauf meilleur avis, qu'elle présente un danger réel, et d'un autre côté, qu'elle est inutile. Il y a danger, selon moi, à fixer le terme du cours forcé, puisque dans l'incertitude où se trouveraient les. établissements sur le sort de la prolongation du délai après l'époque du 31 décembre, ils seraient obligés bien longtemps à l'avance de se prémunir contre cette éventualité, d'accumuler du numéraire dans leurs caisses, et d'empêcher ainsi tous les effets de la loi. Remarquez que la circulation que vous autorisez ne s'élève pas à une somme minime ; elle peut éventuellement s'élever à 34 millions.
Par conséquent, avant l’époque de 1848, ils devraient avoir si pas 34 millions en caisse, du moins la somme nécessaire pour faire face à tous les remboursements qui pourraient être demandés. C'est une chose qui me paraît impossible. J'ai dit que la mesure est d'un autre côté inutile. En effet, le projet de loi contient une disposition en vertu de laquelle le gouvernement peut restreindre l'émission des billets, et même faire cesser en totalité la mesure que vous allez décréter. Armer le gouvernement de ce pouvoir, c'est l'obliger de s’en servir d’une manière utile à la société, c’est-à-dire au pays.
(page 1095) Le gouvernement ne restreindra l’émission que quand il y aura certitude que les Banques sont en mesure de faire face à tous les besoins ; il ne fera cesser l'obligation de recevoir les billets d'une manière forcée que lorsque les Banques seront en mesure de faire face à leurs obligations, quand la confiance serait telle qu'à l'aide d'une somme de numéraire proportionnée à la circulation, la Banque ne serait pas dans un grand embarras. Ainsi il y a danger dans l'incertitude qui existerait sur les résolutions qui seront prises au 31 décembre. On ne pourrait, pas recourir au gouvernement qui ne pourrait rien promettre. Il y aurait inutilité puisque la loi contient une faculté pour le gouvernement qui présente toute garantie sous ce rapport.
M. Malou. - Comme cette discussion doit être rapide, je ne dirai que deux mots. La circulation forcée des billets de banque peut présenter des dangers, si cette circulation est illimitée ; elle n'en présente pas si, comme la prudence le commande, on assigne un caractère temporaire à la mesure, et ce caractère temporaire on doit le lui donner, non seulement pour l'effet moral qui en résultera, mais pour laisser la question entière devant la législature nouvelle qui doit surgir bientôt. Nous discutons d'urgence ; avouons que, malgré le soin que nous avons mis à examiner le projet, il a pu se glisser des erreurs, et qu'il est prudent de soumettre la mesure à un examen ultérieur.
Nous stipulons le droit de révision, ce droit se cumule avec celui du gouvernement. Le gouvernement est armé du droit de restreindre le maximum des émissions ou de suspendre la mesure, en tout ou en partie ; c'est une garantie de plus.
- L'article transitoire est mis aux voix et adopté.
« Art. 1er, A dater de ce jour, les billets de banque de la Société Générale pour favoriser l'industrie nationale et ceux de la Banque de Belgique seront reçus comme monnaie légale dans les caisses publiques et par les particuliers.
« Ces deux établissements seront provisoirement dispensés de l'obligation de rembourser leurs billets avec espèces.
« Néanmoins, les coupures de cinquante francs (fr. 50) et au-dessous seront toujours remboursables en numéraire. »
- Adopté.
« Art. 2 ; La somme des billets à émettre par ces deux établissements ne pourra excéder trente millions de francs, dont vingt millions pour la Société Générale et dix millions pour la Banque de Belgique. Ces billets sont garantis par l'Etat. »
Puis .vient l'addition proposée par la section centrale, ainsi conçue :
« Toutefois le gouvernement pourra autoriser une émission supplémentaire de billets à concurrence de 10 millions à verser dans les caisses de l'Etat contre dépôt de bons du trésor qui seront retirés de la circulation et remis à celui des établissements qui aura opéré le versement. »
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - J'ai aussi quelques scrupules à l'égard de cette disposition. Vous autorisez également le cours forcé du papier à concurrence de 34 millions, vous allez y ajouter une nouvelle émission facultative de 10 millions, qui portera la circulation totale à 44 millions. Or qui peut dire que le pays peut supporter une circulation de papier-monnaie aussi forte ?
M. Malou. - Vous en ferez l'expérience.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Ah ! vous en ferez l'expérience ! Voilà la réponse de M. Malou !
Quelle est la destination, selon vous, de cette somme ? C'est d'éteindre, à due concurrence, dix millions de bons du trésor. Cela est évident. Mais vous êtes incertains sur le sort de votre émission, et par la résolution que vous adoptez, vous réduisez dès à présent le projet d'emprunt d'une somme égale. Mais vous ne sauriez déterminer l'heure à laquelle le pays pourra supporter 44 millions de circulation de papier.
S'il ne pouvait en réalité la supporter et que vous ayez réduit l'emprunt d'autant, vous auriez placé le gouvernement dans l'impossibilité de marcher ; ou par une trop grande émission de papier, vous l'aurez avili ; il subira une perte énorme ; le contraire n'est pas soutenable. C'est de la marchandise en trop, ces billets n'étant plus en rapport avec les besoins ne conserveront plus leur valeur. Vous ne pouvez donc les faire servir à l'extinction des bons du trésor.
Je signale là ce que je considère comme un véritable danger : c'est la mise en circulation de l'idée qu'il est possible de réduire de dix millions la somme demandée par le gouvernement. Ce qui est plus que problématique. Je dirai même qu'il est certain que cela ne peut pas être. Voici pourquoi. Que peut supporter de billets de banque le pays en temps de paix ? De 20 à 23 million, pas au-delà. Ce qui le prouve, c'est que les banques, malgré le droit dont elles sont armées, malgré la faculté qu'elles ont, d'émettre une quantité de papier bien plus considérable, n'ont jamais réussi à mettre en circulation une somme plus forte.
Dès qu'une somme plus forte était émise, les billets étaient présentés, on en demandait le remboursement. L'émission actuelle va être doublée. Il est vrai que le capital circulant est arrêté ; il n'est pas fondu ; mais il ne circule plus. Pouvez-vous dire qu'il s'est arrêté à concurrence de cette somme énorme, de plus du double de la circulation que le pays supportait auparavant ? C'est ce que je ne pense pas. C'est une expérience à faire. Je ne puis escompter cette éventualité très chimérique pour acquitter la dette sérieuse, positive, exigible de l'Etat.
M. Malou, rapporteur. - S'il s'agissait de décider, en ce moment, que l'emprunt projeté serait réduit à 40 millions, je comprendrais la plupart des objections qui viennent d'être présentées. Mais de quoi s'agissait-il ? Nous vous proposons de consacrer par la loi actuelle le principe d'une faculté pour le gouvernement dont il usera ou dont il n'usera pas. Je ne comprends pas que le gouvernement puisse repousser une simple faculté.
On doute si le pays peut supporter une circulation de 44 millions de papier-monnaie, mais il suffit de consulter les faits pour être convaincu que cette circulation serait insuffisante pour les besoins. De quoi s'agit-il ? De laisser faire une expérience, de laisser le gouvernement juge des faits, de voir dans quelle mesure aura lieu cette émission.
Avant la crise, on évaluait à 150 ou 200 millions la circulation du numéraire, à 20 ou 25 millions celle en billets de banque. Interrogeons les faits qui se passent sous nos yeux. Je demande si par suite de cette malheureuse panique, qui s'augmente tous les jours, ou ne doit pas disposer d'une somme beaucoup plus forte que la différence entre la circulation du papier et ce que nous proposons, non comme une nécessité, mais, j'insiste sur ce point, comme une simple faculté ?
M. de Brouckere. - Je n'ai qu'une observation à faire à l'appui de ce que vient de dire l'honorable rapporteur. Il est vrai que, dans les temps ordinaires, la circulation des billets de banque s'est bornée à la somme déterminée dans le projet du gouvernement. Mais il est à remarquer que ces valeurs circulaient seulement à Bruxelles. Or, par l'effet de la loi, elles s'étendront dans toute la Belgique.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je dois appuyer les observations de M. le ministre des travaux publics.
Le fait financier nouveau que nous posons ne se justifie que par les circonstances extraordinaires que nous n'avons pas créées et qui ont surgi autour de nous.
Plus d'une voix s'est élevée, en d'autres circonstances, contre le danger de multiplier, outre mesure, les bons du trésor. Nous éprouvons, en ce moment, les inconvénients qui résultent pour le pays d'une émission trop facile de bons du trésor.
Cependant, ce papier-monnaie renferme une restriction en lui-même, consistant en ce que le gouvernement doit payer les intérêts et le rembourser à échéance fixe.
Le papier qu'il s'agit de créer sous la garantie de l'Etat n'offre pas cette restriction. Il n'est pas remboursable à échéance fixe ; il ne porte pas d'intérêt. Il faut donc, à plus forte raison que pour les bons du trésor, nous garantir contre la trop grande facilité d'émettre et de multiplier ce genre de papier-monnaie. Il ne faut pas, dès nos premiers pas dans cette carrière nouvelle et très ardue, nous laisser entraîner trop loin.
Je conviens qu'il serait excessivement commode pour le gouvernement de substituer à un papier-monnaie, exigible à échéance et portant intérêt, un papier-monnaie ne payant pas intérêt et non remboursable. Mais cette facilité même de créer de telles valeurs doit nous tenir en garde contre l'abus. Et lorsque tout à coup on institue dans le pays un papier-monnaie jusqu'à concurrence de 34 millions, dont 4 millions d'une émission facultative, je crois que c'est aller assez loin.
J'engage la chambre à ne pas aller au-delà, en donnant au gouvernement cette faculté, dont il ne peut accepter la responsabilité.
Si, lorsqu'une première expérience aura été faite, on reconnaît que le pays peut supporter, sans inconvénients, ce système de circulation, on pourra peut-être accroître cette faculté d'émission.
Mais en ce moment ne serait-ce pas jeter une sorte de discrédit sur l'institution nouvelle, que de lui donner, même d'une manière facultative pour le gouvernement, l'extension que la section centrale vous propose ?
Je dois donc aussi, pour mon compte, repousser cette partie de la proposition de la section centrale.
M. Malou. - Il n'y a aucune analogie entre ce qui se fait aujourd'hui et les bons du trésor. C'était tout autre chose. Mais je passe rapidement sur ce point.
On dit que plus tard, si le pays se trouve bien de cette mesure, on proposera des mesures nouvelles. Cette éventualité m'effraye. Il faut, et cela est de l'intérêt même de la circulation, que nous fassions aujourd'hui tout ce qui doit être fait, et qu'il soit entendu que nous ne nous laisserons entraîner, à aucun prix, à faire un pas de plus.
C'est là qu'est l'avenir même, l'utilité, la vertu en quelque sorte de la mesure que l'on vous propose. Je proteste donc, dans l'intérêt même de cette mesure, contre l'opinion que l'on pourrait, dans un temps quelconque, y ajouter une émission nouvelle ; et parce que tel est le seul moyen de salut de la mesure, je donne au gouvernement cette faculté dont il ne paraît d'ailleurs guère disposé à profiter.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Nous devons aller très vite. Je serai aussi bref que possible. Mais j'ai encore une observation à vous soumettre. Je considère les observations que j'ai déjà présentées continuent à subsister.
Vous aurez, par la faculté qu'on vous propose, et à supposer qu'on en use, deux papiers dans la circulation. (Non ! non !) Celui que vous créez en principe par l'article premier, à concurrence de 34 millions, aura des garanties que ne peuvent pas présenter les autres dix millions. Ces autres dix millions ne sont pas couverts de la même façon que les autres billets.
Les billets dont on décrète le cours forcé, et c'est là une immense garantie pour ces billets, on peut dire que ce sont des bonnes valeurs, ces billets sont garantis par la Société Générale ou par la banque de (page 1096) Belgique qui en restent débitrices ; ils sont garantis par les valeurs données en nantissement à l'Etat ; ils sont garantis par l'Etat. Voilà la triple garantie qui les concerne.
Les 10 millions que vous auriez à émettre ne seraient pas couverts par une garantie spéciale.
Il y aurait encore la responsabilité de l'Etat ; mais vous n'auriez pas cette garantie spéciale résultant de l'hypothèque ou des nantissements que vous donnent les banques pour assurer le remboursement de leurs billets. Il me semble que cela même devrait déprécier les billets émis dans la circulation, et que cela seul serait un motif pour rejeter la faculté dont on veut investir le gouvernement.
M. Mercier. - Messieurs, je concevrais ces objections, si la disposition était obligatoire ; mais elle est purement facultative. Si, après quelque temps d'expérience, le gouvernement reconnaît que le papier émis jusqu'à concurrence de 34 millions ne subit aucune dépréciation, pourquoi donc ne pas s'emparer du moyen qui s'offrirait d'alléger les charges si dures, si écrasantes qui pèsent en ce moment sur les contribuables, en amortissant en quelque sorte dix millions de bons du trésor ? Il me semble que le gouvernement doit accepter avec empressement une disposition qui ne serait appliquée que pour produire le bien. S'il y a danger, si les billets émis éprouvent la moindre dépréciation, le gouvernement n'usera pas de la faculté qu'il trouve dans la loi.
Quant aux garanties dont a parlé M. le ministre des travaux publics, elles sont absolument les mêmes pour les 10 millions que pour les 34 millions dont il propose l'émission. La Société Générale ou la Banque de Belgique remettent en dépôt, dans les mains du gouvernement, quoi ? Des fonds belges. Eh bien, de même des fonds belges, des bons du trésor, serviront de garantie à cette partie de l'émission ; quant à la responsabilité des banques, elle existera aussi complète dans un cas que dans l'autre.
Une autre objection a été faite par le gouvernement ; elle porte sur la réduction immédiate que l'on ferait de 10 millions de l'emprunt, dans la pensée que 10 millions de bons du trésor ne devraient pas être remboursés. C'est un point qu'on ne préjuge pas, qu'on n'aura à examiner que lorsqu'on discutera la loi d'emprunt. La question reste intacte. En attendant, plaçons le gouvernement dans la possibilité de diminuer les charges qui doivent peser sur le peuple dans ces moments difficiles.
M. Cogels. - Cette circulation n'est pas une charge que l'on impose au pays, c'est un secours qu'on lui prête et dès lors ce secours se renfermera naturellement dans les limites des besoins.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, si nous n'écoutions que les facilités qui peuvent se présenter pour la marche de l'administration, nous serions reconnaissants à la chambre de la faculté qu'elle veut bien nous octroyer. Que la chambre soit donc bien convaincue que si nous faisons résistance sur ce point, c’est que nous croyons que la faculté dont on veut nous investir renferme en elle-même certains dangers que nous devons chercher à conjurer. Je ne reviendrai pas, messieurs, sur ce que j'ai eu l'honneur de dire à la chambre. Mais voici encore, et je demande que les auteurs de la proposition veuillent s'en expliquer, voici encore une objection.
Nous avons demandé à la chambre, dans une loi récente, de nouvelles ressources pour faire face aux besoins de la situation. Entend-on réduire le montant des ressources nouvelles que nous croyons indispensables aux besoins actuels ? Entend-on les réduire dans la proportion de la faculté qui nous est offerte, en ce sens que l'on nous dira : Vous avez demandé 40 millions, nous allons vous accorder 30 millions, plus la faculté d'émettre 10 millions en papier monnaie ? Eh bien, messieurs, nous ne pouvons accepter cette faculté dans de pareilles limites. Nous aimerions mieux prendre l'engagement de réduire directement, si les circonstances venaient à changer, l'emprunt lui-même ou les dépenses qu'il est destiné à couvrir.
Il me semble qu'en cette occurrence, la résistance du gouvernement, résistance qu'il ne motive que sur une prévoyance que lui impose sa position, doit suffire pour engager la chambre à ne pas aller au-delà des limites que le gouvernement, dans les circonstances actuelles, a cru devoir s'imposer à lui-même.
M. Mercier. - Messieurs, je suis l'auteur de l'amendement ; je vais répondre nettement à la demande que fait l'honorable ministre de l'intérieur en ce qui concerne l'emprunt. Une question préalable doit être examinée dans les sections et sera discutée dans la chambre. cette question est celle-ci : Faut-il, dès à présent, et en supposant que l'on vote que les 40 millions peuvent être nécessaires, pour suffire à toutes les dépenses de cette année, faut-il les voter intégralement dès à présent ?
Si cette question est résolue affirmativement, je déclare que, quant à moi, l'amendement dont nous nous occupons et dont l'effet est éventuel ne me déterminera pas à voter une réduction de l'emprunt. Mais, comme il se peut que la question soit résolue dans un autre sens, comme il se peut que la chambre juge convenable de n'accorder maintenant qu'une partie de cette dépense, 20 ou 25 millions par exemple, la faculté que nous voulons donner au gouvernement le mettrait à même de ne pas devoir réclamer plus tard 10 nouveaux millions, et ce serait un grand soulagement pour les contribuables ; telle est la portée de l'amendement qui fait l'objet de nos délibérations.
M. Malou. - On ne préjuge rien quant au chiffre de l'emprunt, mais on laisse ouverte une possibilité sur les résultats de laquelle on discutera à loisir quand on examinera le projet d'emprunt forcé. Après cette déclaration, je demande au ministère s'il a encore un seul motif pour refuser la faculté que nous proposons de lui accorder. Rien n'est préjugé. Quand nous examinerons le chiffre de l'emprunt, nous verrons ce que nous aurons à décider.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Je demande bien pardon à la chambre de prendre de nouveau la parole, mais la question est très grave. Nous avons la conviction que l'amendement nuit à l'opération que l'on veut faire.
Pour user de la faculté, il faudra s'assurer que le pays peut supporter l'émission de ces 10 millions en plus. Eh bien, comment s'en assurera-t-on ? comment le reconnaîtra-t-on ?comment le constatera-t-on ? (Interruption). Vous nous reprocherez de ne pas avoir usé de la faculté. Nous aurons l'odieux de ne pas en avoir usé, car le cours étant forcé, nous pouvions faire l'émission ; on nous dira : Vous deviez la faire et l'emprunt aurait été réduit d'autant ! Que l'on réponde à cela. Qu'on dise si on ne nous accusera pas de ne pas avoir usé de la faculté puisque, le cours étant forcé, nous pouvions nécessairement faire l'émission.
Eh bien, messieurs, à quel signe reconnaîtra-t-on si le pays peut supporter cette nouvelle émission ?
M. Mercier. - Vous verrez s'il y a dépréciation.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Ainsi on ne le connaîtra que lorsque l'émission aura eu lieu et on le reconnaîtra par la dépréciation ou l'absence de dépréciation !
Cela, messieurs, est évidemment inexécutable. La chose ne pourrait se constater que dans un temps fort long. De l'aveu de M. Mercier lui-même, ce ne sera que dans un mois, six semaines ; est-ce que vous serez arrêtés jusque-là pour l'examen et le vote de la loi d'emprunt qui vous est proposée ?
M. de Mérode. - Messieurs, la Société Générale ne présentant pas en garantie de ses billets assez de valeurs spéciales, distinctes des fonds publics qu'elle possède, il me paraît très prudent de ne pas aller au-delà de la proposition du gouvernement, et puisque celui-ci s'oppose à la faculté qu'on veut lui accorder et s'y oppose par des motifs très sérieux, je ne voudrais pas donner un cours obligatoire aux billets de banque au-delà des sommes fixées dans le projet de loi. (Aux voix ! aux voix !)
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Comme la disposition est extrêmement grave, nous demandons l'appel nominal.
M. le président. - La première partie de l'article n'a pas rencontré d'opposition ; la discussion n'a porté que sur la disposition additionnelle proposée par la section centrale. Je vais donc mettre d'abord aux voix cette première partie, qui est l'article du projet du gouvernement.
- L'article 2 du projet du gouvernement est mis aux voix et adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur la disposition additionnelle proposée par la section centrale.
79 membres sont présents.
37 adoptent.
42 rejettent.
En conséquence la proposition n'est pas adoptée.
Ont voté l'adoption : MM. Eenens, Faignart, Henot, Huveners, Lejeune, Lys, Malou, Mast de Vries, Mercier, Moreau, Orban, Raikem, Rodenbach, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vandensteen, Van Huffel, Van Renynghe, Vilain XIIII, Wallaert, Biebuyck, Broquel-Goblet, Cogels, d'Anethan, Dechamps, de Chimay, de Clippele, de Corswarem, Dedecker, de Denterghem, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Roo, Desaive, de Theux et de T'Serclaes.
Ont voté le rejet : MM. d'Hane, d'Hoffschmidt, Dolez, Dumont, Duroy de Blicquy, Eloy de Burdinne, Frère-Orban, Gilson, Jonet, Lange, Le Hon, Lesoinne, Loos, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rogier, Rousselle, Sigart, Tielemans, Troye, Van Cleemputte, Vanden Eynde, Verhaegen, Veydt, Zoude, Anspach, Bruneau, Cans, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, de Brouckere, de Foere, de la Coste, de Mérode, Destriveaux, de Terbecq, de Tornaco et Liedts.
« Art. 3. Ces deux établissements affecteront, à titre de garantie des billets actuellement en circulation et de ceux qu'ils émettront à l'avenir, des immeubles, des fonds belges ou autres valeurs, pour une somme an moins équivalente au montant des billets dont l'émission est autorisée par l'article 2.
« Les valeurs mobilières seront déposées à la trésorerie de l'Etat et confiées à la surveillance de la commission de la caisse d'amortissement, instituée par la loi du 15 novembre 1847.
« Une convention fixera les objets soumis à cette garantie ; les immeubles et valeurs qu'elle comprendra seront affectés, les premiers par hypothèque, les secondes par privilège à la garantie stipulée.
« Tous actes relatifs à cette convention seront dispensées des droits et des formalités de timbre et d'enregistrement. »
- Adopté.
« Art. 4. Le gouvernement pourra réduire le maximum des émissions, lorsque les circonstances le permettront, et faire cesser, en tout ou en partie, les effets de la présente loi. »
- Adopté.
« Art. 5. Il sera institué à Bruxelles un comptoir d'escompte ou de (page 1097) commerce dont la direction sera confiée à cinq administrateurs, l'un désigné par le gouvernement, le second par la Société Générale, le troisième par la Banque de Belgique et les deux derniers par la députation permanente du conseil provincial du Brabant.
« Ce comptoir prendra les mesures nécessaires pour établir des relations suivies arec les principaux centres industriels et commerciaux du pays. »
- Adopté
« Art. 6. Le fonds de ce comptoir d'escompte est fixé à la somme de huit millions ; il sera fourni sans intérêt quatre millions par la Société Générale et quatre millions par la Banque de Belgique. »
- Adopté.
« Art. 7. Si le gouvernement jugeait nécessaire de venir en aide à d'autres établissements de crédit, moyennant des garanties immobilières ou sur dépôt de fonds belges, il pourra augmenter le chiffre d'émission desdits billets fixé par l'article 2 jusqu'à concurrence de quatre millions, qui seront mis à sa disposition, moitié par la Société Générale et moitié par la Banque de Belgique. »
- Adopté.
« Art. 8. Le chiffre total des billets en circulation de chacune des deux Banques, ainsi que le relevé de leurs escomptes et de ceux du comptoir, seront publiés au moins chaque quinzaine dans le Moniteur. »
- Adopté.
« Art. 9. Le gouvernement nommera deux commissaires, l'un près la Société Générale, l'autre près la Banque de Belgique, à l'effet de surveiller et de contrôler leurs opérations d'escompte, et de s'assurer que le maximum d'émission de leurs billets n'est pas dépassé.
« Ces deux commissaires surveilleront également les opérations du comptoir d'escompte. »
- Adopté.
« Art. 10. La présente loi sera obligatoire le jour même de sa publication au Moniteur. »
- Adopté.
La chambre décide qu'elle procédera immédiatement au vote définitif du projet de loi.
L'article premier est remis en délibération comme ayant été amendé.
M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, je suis obligé de demander la parole. L'amendement à l'article premier, que M. le président vient de lire, a été admis au premier vote à une très grande majorité. Je ne me dissimule pas tout le désavantage que cette position pour moi, quand je viens le combattre.
Les motifs que mon honorable collègue M. le ministre des travaux publics a fait valoir pour écarter l'insertion d'une date fixe, à laquelle la loi cessera brusquement d'avoir effet, m'avaient paru si déterminants, ils étaient si conformes à mon opinion, que j'avais toute confiance que la chambre les aurait approuvés. Le contraire a eu lieu.
Je vous l'avoue, messieurs, le mention d'une date fixe est, à mon avis, une chose inadmissible. Neuf mois nous séparent du 31 décembre prochain. Cet intervalle sera bientôt franchi, et plusieurs mois d'avance il faudra se mettre en garde contre l'éventualité de la cessation de la loi. Cette incertitude, ces préoccupations anticipées doivent en paralyser complètement l'effet. Jamais je n'ai conçu la loi possible avec la fixation d'une date précise ; cette idée jusqu'à ce moment ne s'était pas présentée à mon esprit, et je suis certain qu'il eût suffi d'en supposer la possibilité pour empêcher la conclusion de la convention qui est une annexe du projet de loi.
Messieurs, ma position est devenue fort difficile. Une loi comme celle-ci, dès qu'elle a été proposée, ne peut plus être retirée. Et cependant, je le déclare avec une entière franchise, sans la nécessité de la faire voter, je n'hésiterais pas à proposer à mes collègues de la retirer plutôt que d'admettre l’amendement de la section centrale.
M. Malou, rapporteur. - Messieurs, pour quiconque réfléchira, quand on aura le temps de la réflexion, il sera évident que, pour donner plus de confiance à ces billets, la date fixe est la disposition la plus efficace, la plus énergique, Supposez l'hypothèse inverse ; supposez une décision portant que ces billets seront maintenus pendant très longtemps dans la circulation, vous leur ôtez la confiance ; mais plus vous rapprochez le jour où un signe de convention peut être échangé contre des espèces, plus vous donnez de valeur d'opinion et de confiance à ce signe représentatif de la valeur monétaire réelle.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, c'est pour utiliser ce papier que vous le créez, et vous ne donnez pas un temps suffisant pour l'utiliser. Sans doute, la confiance dans les billets peut s'accroître, si l'on certain du terme du remboursement, mais on ne démontre pas que les banques ne seront pas obligées, à une époque rapprochée, de se garantir contre l'éventualité de la non-prorogation et dans ce cas, la mesure proposée deviendrait inefficace.
M. Dolez. - Messieurs, il y a une raison déterminante pour ne pas maintenir l'amendement : c'est qu'il est subversif de la convention qui a été faite. La loi que nous votons est une loi en harmonie avec la convention. Si nous voulons la voter en dehors de cette convention, nous ne la voterons pas. Voilà où aboutit l'amendement. A cette objection, j'en ajouterai une autre : de deux choses l'une : ou bien les établissements devront accumuler le capital nécessaire pour rembourser le montant de l'émission à la fin de l'année ; ou bien trois mois d'avancé, les opérations se paralyseront.
L'amendement est donc subversif de l'effet que nous voulons produire. La proposition produirait les résultats les plus désastreux. Je demande donc à la prudence de la chambre de revenir sur le premier vote ; je demande à mon tour, que par appel nominal la chambre se prononce sur cette proposition.
M. Orban. - (Nous donnerons son discours.) (Note du webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé dans les Annales parlementaires.)
(page 1097) - Il est procédé à l'appel nominal, en voici le résultat :
70 membres répondent à l'appel.
69 membres répondent oui.
7 membres répondent non.
En conséquence, la proposition n'est pas admise.
Ont répondu non : MM. Biebuyck, Cogels, de La Coste, de T'Serclaes, Malou, Orban et Raikem.
Les amendements introduits aux divers articles sont successivement confirmés.
Il est procédé ensuite au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté par 62 voix contre 2.
MM. Van Renynghe et Biebuyck ont voté contre.
La séance est levée à 5 heures trois quarts.