(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1083) M. T'Kint de Naeyer fait l'appel nominal à deux heures et un quart ; il lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée ; il présente l'analyse des pièces qui ont été présentées à la chambre.
« Le sieur Smets prie la chambre d'exempter de l'avance des 8/12 de la contribution foncière, les propriétés qui ne sont pas occupées faute de locataires. «
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Victor Faider, avocat à Bruxelles, transmet une copie de sa réclamation contre la note publiée par le Moniteur, relativement à l'arrestation de son client, le sieur Marx et sa femme, et prie la chambre d'en ordonner l'insertion dans ce journal. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Castiau. - Messieurs, la chambre vient d'ordonner le renvoi de la pétition du sieur Faider à la commission des pétitions. Cette pétition est d'une nature assez urgente : il y a eu dernièrement, dans la chambre, une interpellation sur l'expulsion et l’arrestation du sieur Marx. A la suite de celle interpellation, un article a paru au Moniteur ; il s'agit maintenant de quelques observations, en réponse à cet article. Ces observations ont été adressées à ce journal depuis deux jours, mais jusqu'ici elles n'ont pas été insérées. Je désire savoir si M. le ministre de la justice, qui a le Moniteur dans ses attributions, s'est opposé à l'insertion de ces observations.
Je demande, en outre, que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, M. le ministre de la justice n'étant pas présent, je répondrai à l'honorable M. Castiau que l'intention du gouvernement n'est pas d'autoriser l'insertion de cette lettre au Moniteur. J’ignore si M. le ministre de la justice s'est opposé à cette insertion ; mais, pour ma part, le directeur du Moniteur m'ayant demandé s'il devait insérer la lettre, je lui ai répondu que non. Ce serait poser un antécédent qui pourrait mener le gouvernement fort loin. La voie légale est ouverte d'ailleurs à toutes les personnes qui croient avoir à se plaindre d'un article de journal.
M. Delfosse. - Nous n'avons pas à nous occuper maintenant de la pétition ; nous n'en connaissons pas le contenu ; nous ne le connaîtrons que lorsque la commission des pétitions aura fait son rapport ; alors, nous pourrons examiner ce qu'il y a lieu de faire.
- La chambre décide que la commission des pétitions sera invitée à faire un prompt rapport sur la pétition.
« Plusieurs habitants de Liège demandent la réforme parlementaire et la suppression du cens d'éligibilité aux fonctions communales et appellent l'attention de la chambre sur plusieurs questions de l'ordre moral et de l'ordre matériel. »
M. Castiau. - Je demande que la pétition soit renvoyée à la section centrale, chargée de l'examen du projet de loi concernant le cens pour les élections communales.
M. Delfosse. - Messieurs, il y a un point pour lequel la pétition doit être renvoyée à la section centrale, comme l'honorable M. Castiau le propose ; mais pour les autres points, la pétition doit être renvoyée à la commission des pétitions, et je demanderai que la commission fasse un rapport sur cette pétition en même temps que sur celle du conseil communal de Louvain, qui est de la même nature.
M. de Brouckere. - Il est inutile de renvoyer à la section centrale ; je vais déposer son rapport sur le bureau ; il suffit que la pétition reste déposée sur le bureau.
- Ce dépôt est ordonné.
En outre, la pétition sera ensuite renvoyée à la commission des pétitions.
M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre le rapport triennal sur l'instruction primaire.
- Dépôt à la bibliothèque.
M. de Lescluse adresse à la chambre 120 exemplaires de sa brochure sur la question financière.
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
M. de Haerne informe la chambre qu'une indisposition l'empêche d'assister à la séance.
M. de Brouckere. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale, qui a été chargée primitivement d'examiner le projet de loi concernant le cens électoral des communes, sur la suppression du cens d'éligibilité.
M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué. La chambre jugera probablement qu'il y a lieu de le mettre à l'ordre du jour en même temps que projet de loi relatif au cens électoral.
M. de Brouckere. - Je crois devoir faire observer qu'il y a urgence que la chambre s'occupe de ces deux rapports qui se résumeront en un seul projet de loi.
Il est à remarquer que la formation des listes électorales dans les communes commence le 1er avril, et nous sommes déjà fort avancés dans le mois de mars.
M. le président. - D'après l'observation qui vient d'être faite, je proposerai de mettre ce projet de loi en tête de l'ordre du jour de lundi.
- Cette proposition est adoptée.
M. Verhaegen. _ Il y a quelques jours, nous avons fait une loi donnant un cours légal à quelques monnaies étrangères, entre autres aux souverains anglais dont le taux a été fixé à 25 fr. 50 c. On vient de me dire que dans des stations du chemin de fer de l'Etat on a refusé à des voyageurs des souverains anglais. Sur les observations des voyageurs que ces monnaies devaient être reçues, les receveurs ont répondu qu'ils n'avaient pas d'ordre pour les recevoir. On leur a répliqué que la loi leur en faisait un devoir ; ils ont persisté à dire qu'ils n'avaient pas d'ordre et qu'ils ne les recevraient pas. Je prie M. le ministre de prendre des mesures pour que force reste à la loi et que les agents de l'Etat reçoivent les monnaies auxquelles cours légal a été donné.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - De pareils faits ne peuvent être que le résultat d'une erreur. La loi doit être exécutée par tout le monde, et ceux qui doivent le plus s'empresser de le faire, ce sont les agents de l'Etat. Il ne peut y avoir aucune difficulté à cet égard ; les monnaies étrangères auxquelles la loi a donné cours en Belgique seront reçues dans les caisses publiques.
M. Orban. - Pendant le courant de cette session, il a été présenté à la chambre, par un de ses membres, un projet de loi ayant pour objet de modifier la législation sur les sucres. Ce projet a été présenté alors que le pays était prospère, et que le trésor n'avait pas de besoins extraordinaires. Il était fondé sur cette considération qu'il était juste que le sucre, objet de consommation pour la classe riche, concourût dans une équitable proportion à fournir des ressources à l'Etat, alors que les objets de consommation pour la classe pauvre sont fortement imposés.
Maintenant que les circonstances sont graves, que le trésor a des besoins urgents auxquels il faut faire face par des moyens extrêmes, que l'on est obligé de frapper coup sur coup sur les contribuables qui déjà supportent dans les temps ordinaires toutes les charges publiques, tout le monde doit reconnaître qu'il y a urgence à s'occuper de ce projet de loi. Il le faut sous un triple rapport : d'abord pour que l'impôt sur les sucres participe dans de justes proportions aux charges extraordinaires que nous sommes obligés de créer ; en second lieu, pour pourvoir au déficit que nous devons prévoir dans les prévisions du budget des voies et moyens, et notamment en ce qui concerne la recette du chemin de fer. Enfin, messieurs, pour pourvoir aux intérêts de l'emprunt que nous avons voté et de celui que nous serons probablement obligés de voter encore.
Je prie donc M. le président de faire connaître où en est l'examen de ce projet en section centrale. Toutes les sections ont terminé leur tâche, toutes ont nommé leur rapporteur, et je crois être bien informé en affirmant que toutes sont favorables au projet de l'honorable M. Mercier.
M. le président. - La section centrale ne s'en est pas encore occupée, tous ses membres ayant été absorbés par l'examen des projets de loi politiques. Je convoquerai alternativement cette section centrale et les autres, de manière que l'examen des divers projets de loi puisse marcher simultanément. Je la convoquerai aussitôt que les sections dont ses membres font partie auront terminé l'examen du projet de loi d'emprunt.
M. le président. - La section centrale a pris, sur le projet de loi présenté par le gouvernement, les conclusions suivantes.
La section centrale, tout en déplorant de voir le crédit alloué dépassé d'une manière aussi exorbitante, pense néanmoins qu'il est de notre loyauté de remplir les engagements qui ont été contractés pour compte de notre gouvernement sur un territoire étranger, et, vu l’urgence, propose d'accorder comme à-compte un crédit de 2,000,000 de francs, à prendre sur les fonds mis à la disposition du gouvernement par la loi du 20 février 1848. La section reste saisie du projet et attend pour se prononcer sur le surplus du crédit demandé, et sur les autres points soulevés dans la section centrale, que M. le ministre lui ait fourni les pièces justificatives promises.
En conséquence, elle propose le projet de loi suivant :
« Art. 1er. Le crédit de 3,500,000 francs, ouvert par la loi du 16 mai 1845, pour la construction d'un canal de navigation, latéral à la Meuse, de Liège vers le canal de Maestricht à Bois-le-Duc, est augmenté de 2,000.000 de francs. »
« Art. 2. Cette augmentation de crédit sera prélevée sur les fonds mis à la disposition du gouvernement par la loi du 26 février 1848. »
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). déclare se rallier à ce projet dé loi, sur lequel la discussion est ouverte.
M. Bricourt. - Messieurs, lors de la discussion de la loi du 20 mai 1845, qui alloue un crédit de 3,500,000 francs pour la construction du canal latéral à la Meuse, plusieurs membres de cette assemblée ont prétendu, et avec raison, que l'Etat ne devait pas prendre cette entreprise à sa charge ; qu'elle devait être abandonnée à l'industrie privée. C'est, en effet, ce qui a toujours été pratiqué à l'égard du Hainaut.
La canalisation de la Sambre, le canal de Charleroy à Bruxelles, celui de Mons à Condé, les divers chemins de fer autorisés depuis quelques années par la législature, toutes ces voies de communication ont été ou devaient être exécutées sans la participation du trésor public et au, moyen de concessions de péages. Ce mode de procéder a eu pour résultat de soumettre les charbonnages du Hainaut à des droits de péage qui devaient couvrir les intérêts du capital dépensé et amortir ce capital lui-même, et devenaient extrêmement onéreux.
Pour être juste et logique tout à la fois, il fallait suivre le même système à l’égard du bassin houiller de Liège. Mais on a prétendu que le chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse et le canal de Mons à Alost ouvrant aux charbonnages de Charleroy et à ceux de Mons les marchés des Ardennes françaises et de la Hollande dont les charbonnages de Liège étaient en possession, l'Etat devait leur accorder une compensation pour le préjudice qu'ils en éprouveraient et, en conséquence, se charger lui-même de la construction du canal latéral à la Meuse. Voici, en effet, en quels termes s'exprimait M. le ministre des travaux publics à cette époque :
« Si le canal latéral n’était pas voté par la chambre, je le déclare, l’équilibre entre les grands centres industriels du pays serait complètement rompu. Le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse a été accepté par la chambre. Je pense qu’il n’y a plus de doute sur l’exécution du canal de Jemmapes à Alost qui est concédé et dont le capital n’avait pas encore été fait ; mais je pense qu’à l’heure qu’il est, ce capital est formé et que l’exécution du canal va avoir lieu. Or, le canal de Jemappes à Alost doit ouvrir le marché de la Hollande au bassin de Mons. Le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse doit ouvrir le marché des Ardennes françaises et de la Marne aux houilles du bassin de Charleroy. Je ne dis pas que le bassin de Liége en sera exclu ; mais enfin il y rencontrera la concurrence du bassin de Charleroy qu’il n’y rencontrait plus déjà depuis quelques années.
« J’ai dit, messieurs, que si la construction du canal n’est pas accueillie par la chambre, il y aura défaut de compensation. L’équilibre commercial qui existe entre les trois grands bassins houillers de la Belgique sera rompu. Or, la chambre n’a aucune raison de le rompre. Ce serait un mal véritable, une injustice flagrante, selon moi, et cette injustice, vous pouvez ne pas la commettre à l’aide d’une dépense minime, d’une dépense qui doit rapporter beaucoup à l’Etat et qui doit produire au bassin de Liége un avenir commercial brillant. »
Trois années se sont écoulées depuis l'époque où M. le ministre des travaux publias s'exprimait ainsi, et les éventualités qu'il invoquait, et les craintes qu'il avait conçues pour les charbonnages de Liège ne se sont pas réalisées. Le canal de Mons à Alost est toujours à l'état de projet et n'aura probablement jamais de suite. Le chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse est en construction, il est vrai, sur la section de Charleroy à Walcourt ; mais, si mes souvenirs sont fidèles, la section de Walcourt à la Meuse qui est la partie la plus considérable et qui seule doit ouvrir aux houilles de Charleroy le marché des Ardennes françaises, est ajournée indéfiniment.
Cependant de bassin houiller de Liège va jouir du canal latéral à la Meuse qui devait être la compensation d'un préjudice qui ne s'est pas réalisé.
D'un autre côté, l'équilibre que l'on voulait maintenir entre les différents bassins charbonniers du pays est rompu au détriment du Hainaut. La plupart des marchés de la Hollande fréquentés aujourd'hui par les charbonnages du Centre, tels que ceux de Rotterdam, Zierickzée, Dordrecht, Gorinchem, Schiedam, Delft, Breda, etc., etc., vont être perdus pour eux. Au moyen du canal latéral à la Meuse et par suite du droit minime de péages auquel il est soumis, le bassin houiller de Liège les en évincera facilement, ou au moins leur fera une concurrence d'autant plus ruineuse que déjà aujourd’hui ils ne peuvent s'y soutenir qu'en faisant les plus grands sacrifices sur les prix de leurs charbons et en se bornant, pour ainsi dire, à couvrir leurs frais d'exploitation.
En présence d'un semblable état de choses, les charbonnages du Centre seraient en droit de venir, à leur tour, réclamer le maintien de l'équilibre. Invoquant les antécédents du gouvernement ils pourraient lui demander de faire dans leur intérêt ce qui at été fait et ce qui existe encore dans l’intérêt du bassin de Charleroy. Ils pourraient lui dire. : C'est dans le but de nous placer sur un pied d'égalité avec ces charbonnages que vous nous avez soumis à des droits de navigation sur le canal de Charleroy, comme si nous le parcourions dans toute son étendue. Eh bien, partant du même principe, vous devez fixer les droits de péages du canal latéral à la Meuse de manière que nous puissions conserver les marchés de la Hollande dont nous sommes en possession. Et ils seraient d'autant plus fondés à tenir ce langage, que le canal latéral à la Meuse, dont la construction n'avait été primitivement estimée qu'à 3,500,000 francs et qui devait, disait-on, donner des produits considérables, coûtera plus de 7 millions, et peut-être même davantage ; car, s’il faut juger du nouveau devis par le premier, il est bien à craindre qu'on ne vienne encore dans la suite solliciter de nouveaux crédits.
Mais, messieurs, je dois le dire, bien que l'arrondissement qui m'a honoré de son mandat aurait avantage à raisonner de cette manière dans cette circonstance, l'équilibre entre les différents bassins charbonniers du pays, est, selon moi, nuisible aux intérêts des consommateurs, il est contraire au développement de la richesse nationale, il est un obstacle à ce que nos différentes industries qui font usage de. houille puissent soutenir la concurrence des pays étrangers ; il est destructif de toute émulation entre les producteurs : c'est, en un mot, le sacrifice de l'intérêt de tous à l'intérêt de quelques-uns ; c'est, en outre, une idée qui, belle en théorie, ne pourra jamais être réalisée, quelque chose que l'on fasse.
Je ne viendrai donc pas chercher à entraver, sous ce prétexte, la construction du canal latéral à la Meuse.
Mais je dirai au gouvernement : Il vous a été démontré à différentes reprises de la manière la plus évidente que, bien que l'Etat soit complètement remboursé des frais d'acquisition du canal de Charleroy, la navigation y est encore soumise à des droits exorbitants et en dehors de toute proportion avec ceux établis sur les autres canaux du pays. Il vous a surtout été démontré que la disposition du tarif de ce canal qui soumet les charbons du Centre aux mêmes droits que s'ils partaient de Charleroy, constitue une injustice criante.
Eh bien ! que le jour de la justice luise aussi pour nous. Ecoutez nos griefs, débarrassez-nous des entraves qui arrêtent l'essor de nos industries, réduisez les droits de péages sur le canal de Charleroy au niveau de ceux établis sur les autres canaux, et remplacez le péage uniforme existant par un péage en raison de la distance parcourue.
Cependant je reconnais que, dans les circonstances où nous nous trouvons, le gouvernement ne peut se priver de cette branche de ressource. Je n'insisterai donc point pour que cette mesure soit adoptée immédiatement. Mais je prendrai acte de l'avantage conféré aux charbonnages de Liège et du préjudice causé à ceux du Centre, et je demanderai que M. le ministre des travaux publics veuille au moins nous donner la promesse d'étudier cette question et de présenter un projet de loi qui déclare en principe que, pour le jour de l'ouverture du canal latéral à la Meuse, les droits de péages sur le canal de Charleroy seront payés en raison de la distance parcourue et réduits au quart du taux actuel. La réponse qu'il donnera à cet égard déterminera de vote que j'ai à émettre.
M. Castiau. - Messieurs, je ne viens pas examiner la question traitée par l’honorable préopinant, celle de l'équilibre des divers bassins houillers. Il nous a présenté sur cette question des observations très sages et très justes, qui sans doute seront appréciées par le gouvernement. Mais enfin, ces considérations me paraissent se rattacher d'une manière par trop incidente au projet de loi. Je m'en tiendrai donc aux seules questions qui me paraissent découler directement du projet de loi.
Suivant M. le ministre des travaux publics, il n'y aurait en quelque sorte pas de question ni de débats. Il y aurait nécessité de voter de crédit, sauf à ajourner les observations critiques qu'on aurait à présenter plus tard sur l'irrégularité de cette dépense. Eh bien, je ne suis pas de cette opinion. Je crois qu'il y a ici une grave question, une question de responsabilité ministérielle, que nous devons examiner dès à présent, car ce sont là des questions qui ne comportent pas d'ajournement. M. le ministre vous disait que vous étiez débiteurs, que l'Etat devait payer et ne pouvait se soustraire à cette obligation.
Mais il me semble, messieurs, qu'il faut connaître avant tout quelle est cette dette, son origine et son caractère. Le pays est tenu : oui, si la dette est régulière et légale ; non, s'il s'agit d'une dette irrégulière, illégale, contractée en dehors des promesses faites et du mandat qui avait été donné à l'un des prédécesseurs de M. le ministre actuel. De quoi s'agit-il donc, messieurs, dans cette occurrence ? Le canal latéral à la Meuse est décrété dans la session de 1845. C'était l'honorable M. Dechamps qui était alors ministre des travaux publics. La dépense du canal était estimés alors à une somme de 3,500,000 fr. et l'on nous annonçait formellement qu'elle ne dépasserait pas ce chiffre. Qu'arrive-t-il aujourd'hui ? Que cette somme de 3,500,000 fr. est dépensée ; que l'on a contracté de nouveaux engagements pour une somme de 2 millions ; que ces deux sommes réunies ne suffiront pas ; qu'il faudra (page 1085) arriver à de nouveaux crédits et à une dépense de 7 millions pour payer ce canal dont l'évaluation avait été fixée arec tant d'assurance dans cette enceinte.
Messieurs, il s'agit donc encore ici d'un de ces crédits supplémentaires qui sont le fléau, la lèpre de notre état financier ; d'un de ces crédits supplémentaires que l'on a toujours eu le tort d'admettre jusqu'ici si légèrement et qui, chaque année, ont rompu l'équilibre entre les recettes et les dépenses, et créent un déficit qu'on ne sait maintenant combler que par des moyens que je n'ai pas à caractériser aujourd'hui.
Comment donc, messieurs, entend-on expliquer cette augmentation criante d'une dépense portée au double des devis primitifs ? Voici la justification qu'on a tentée dans l'exposé des motifs :
« En ce qui concerne la partie du canal en cours d’exécution sur le territoire néerlandais, l'excédant de dépenses est le résultat de trois causes principales :
« 1° Exécution d'après des directions partielles plus dispendieuses que celles de l'avant-projet et que celles du projet de l'ingénieur Goudriaan, dressé en 1829, en demeurant toutefois dans la direction générale de ce dernier projet, conformément aux stipulations de la convention internationale du 12 juillet 1845.
« 2° Impossibilité où l'on s'est trouvé d'effectuer des opérations préalables sur le territoire néerlandais, et de se rendre ainsi suffisamment compte de l'importance des ouvrages à exécuter ;
« 3° Prix élevé des bâtiments et des terrains compris dans le tracé du canal. »
Que résulte-t-il, messieurs, de cet exposé des motifs ? Que, quand la question a été soumise à la chambre en 1845, elle n'était pas étudiée ; que c'était un projet incomplet, que les questions principales n'étaient pas résolues et qu'il y avait impossibilité d'assurer les bases de l'estimation.
Aussi quelle était alors l'opinion d'une partie de la chambre et entre autres d'un des anciens collègues de M. Dechamps, de l'honorable M. Malou ? Cet honorable membre protestait avec force et raison contre ce projet incomplet et qui laissait en suspens les principales questions. Il vous signalait les lacunes du travail et insistait surtout sur la nécessité de conclure préalablement la convention internationale, dont dépendait l'exécution du canal. Enfin il prétendait que la somme réclamée serait insuffisante et demandait l'ajournement à la session de 1846.
Que devait faire en pareil cas l'honorable M. Dechamps ? Il devait se rendre aux observations présentes par son ancien collègue ; reconnaître qu'en effet les bases d'évaluation n'étaient pas fixées, que tout dépendait de la convention à conclure et qu'il était impossible, dans l'état de l'instruction de l'affaire, qu'elle fût soumise au vote de l'assemblée.
Eh bien, messieurs, qu'a-t-il fait, au contraire ? L'honorable M. Dechamps, dans son inexplicable impatience, ne s'est pas voulu rendre à tous ces motifs d'ajournement. Il voulait en finir, en finir à tout prix. Voici en quels termes il repoussait l'ajournement, auquel il aurait dû se soumettre, lui ministre des travaux publics, au lieu de presser imprudemment l'adoption du projet, comme il l'a fait, en déclarant, à diverses reprises, que la dépense n'excéderait pas le chiffre de 3,500,000 francs.
« M. Dechamps, ministre des travaux publics. Messieurs, je viens combattre la motion d’ajournement que vous a proposée l’honorable M. Malou. L’honorable membre propose l’ajournement, afin qu’il y ait plus ample informé. Il a supposé que la question n’était pas suffisamment instruite.
« Messieurs, le projet d’un canal latéral entre Liége et Maestricht est l’un des projets les plus anciens, les plus étudiés de tous les projets de canaux dont le gouvernement ait à s’occuper. Ce projet complet a été traité, dès 1829, par M. Goudriaan. Le projet de M. l’ingénieur Kummer n’est que le projet de M. Goudriaan, amendé et rectifié. Ainsi, il est impossible d’avoir un projet plus complet, et la chambre aurait beau prononcer l’ajournement l’année prochaine le gouvernement serait dans l’impossibilité de lui présenter un projet plus complètement étudié et mieux mûri.
« Il y a quelques jours, lorsque nous discutions des projets de chemins de fer concédés, les membres qui combattaient le projet avaient une confiance complète dans les calculs présentés par les ingénieurs.
« Aujourd’hui, messieurs, la thèse change. M. l’ingénieur Kummer, dans ses calculs positifs, évalue la dépense à 3,500,000 fr. Cette dépense, on n’y compte pas, elle doit s’élever à je ne sais quel chiffre. Les produits qui sont évalués au minimum, il faut le dire, lorsqu’on se rend compte du mouvement commercial qui doit avoir lieu entre Liége et la Hollande, et entre Liége et la campine anversoise, les produits, dis-je, sont contestés.
« M. L’ingénieur Kummer évalue au minimum les revenus directs du canal à 150,000 fr., ce qui forme un bien bel intérêt du capital à dépenser. En défalquant 72,000 fr. de frais d'entretien, il restera plus de 150,000 fr. pour couvrir les intérêts du capital employés. » (Moniteur 1541, 1542.)
Voilà, messieurs, les promesses qui ont été faites alors hautement, solennellement dans cette enceinte, et c'est à la suite de ces assurances et de ces promesses que l’on a surpris, qu'on me permette l'expression, un vote de confiance. La majorité a eu foi aux promesses et aux déclarations de M. Dechamps, elle a suivi l'entraînement qu'il lui imprimait et voté imprudemment la dépense qu'on réclamait.
Ce n'est pas tout, le succès de M. Dechamps dans cette enceinte a eu du retentissement à l'extérieur. Vous savez, messieurs, que, pour la première fois de sa vie peut-être, l'honorable M. Dechamps a été entouré pendant quelques heures de l'auréole de la popularité ; l'industrie liégeoise s'est émue à la suite du succès qu'il avait obtenu, elle lui a décerné une magnifique ovation pour lui témoigner sa reconnaissance ; il y a eu un grand banquet, des discours apologétiques, et enfin une médaille d'or. On n'aurait pas fait davantage s'il avait sauvé le pays.
C'était très flatteur pour l'amour-propre de M. le ministre ; malheureusement cette fois encore ce seront les contribuables qui vont faire les frais de ce beau triomphe.
M. le ministre des travaux publics, je le répète, a donc eu dans cette circonstance les honneurs d'un véritable triomphe. (Interruption.)
Je sais qu'il y a eu des dissidents qui n'ont pas voulu s'associer à ces démonstrations triomphales. (Nouvelle interruption.) Je le sais et je les en félicite.
Quoi qu'il en soit, l'ovation n'en a pas moins été décernée ; mais ainsi qu'on l’a dit souvent, il n'y a qu'un pas du Capitole à la roche Tarpéienne ; le Capitole était la fête de Liège, le triomphe de Liège, les discours et la médaille. La roche Tarpéienne c'est ce qui arrive maintenant : C'est le déficit, c'est le démenti donné à toutes les prévisions de M. Dechamps, à toutes les promesses qu'il a faites pour déterminer la chambre à voter l'exécution du canal latéral à la Meuse.
Et cependant ce sont ces promesses et ces assurances si positives qui ont déterminé le vote de la chambre. M. Dechamps s'est porté fort en cette matière en s'appropriant le travail des ingénieurs et en répétant à satiété que les questions étaient suffisamment étudiées et les études complètes. Il a protesté de toutes ses forces contre l'ajournement de la discussion ; il a déclaré et garanti que le revenu du canal en couvrirait les frais.
Tout cet échafaudage de promesses et d'espérances, ces engagements et ces promesses, tout cela s'est évanoui ; et à la place des fictions ministérielles apparaît la triste réalité. Le canal coûtera deux fois le prix d'estimation, et ses revenus n'en couvriront jamais les frais. Eh bien, messieurs, je pense qu'en induisant, comme il l'a fait, la chambre en erreur, M. Dechamps a commis la plus grave des fautes et engagé sa responsabilité.
Je sais que l’honorable membre est accoutumé à traiter assez cavalièrement les questions de responsabilité personnelle ; je sais que, dans une autre occasion, M. Dechamps a mis la chambre au défi de la lui appliquer en repoussant un crédit supplémentaire scandaleux, et malheureusement la chambre n'a pas osé répondre à son défi et elle a eu l'impardonnable faiblesse de voter ce crédit contre lequel elle aurait dû se soulever tout entière.
Il en serait de même sans doute de la proposition que je ferais de rejeter le crédit pour en laisser une partie à la charge du ministre qui a violé la loi en outrepassant son pouvoir et le crédit voté. Aussi, sans m'inquiéter de la décision de la majorité, je n'en crois pas moins remplir un devoir en cette circonstance, en déclarant que l'honorable M. Dechamps a engagé de la manière la plus grave sa responsabilité, en trompant la chambre par ses déclarations et en obtenant le vote de la majorité à l'aide d'une véritable surprise.
Ce n'est pas, du reste, la seule question de responsabilité ministérielle qui se rattache à ce projet de loi que nous examinons. La chambre avait été induite en erreur par les calculs et les promesses de M. Dechamps ; eh bien, maintenant encore, vous allez voir que la pensée imprudente qui avait emporté, sans examen, le vote du canal de la Meuse, a continué à planer sur cette entreprise, et a produit d'autres résultats non moins fâcheux que ceux dont nous avons à nous plaindre aujourd'hui.
Avant de construire le canal, il y avait une convention à conclure avec la Hollande. Cette convention aurait dû précéder l'adoption du projet de loi ; on a trouvé bon de voter le canal, sans même savoir quelle serait la négociation et quel était notre négociateur ! Il suffit de connaître les résultats pour dire que ce négociateur était encore M. Dechamps. Cette négociation, s'il faut croire ce qu'on m'en a dit, a été également une négociation de malheur, car il aurait encore, dans cette circonstance, oublié et sacrifié les intérêts du pays.
Il s'agissait d'un canal qui intéressait également la Hollande et la Belgique ; si la négociation avait été conduite avec habileté, la Hollande aurait facilement consenti à se charger de la construction du canal qui devait traverser son territoire.
Quel a été, au contraire, le résultat de la négociation ? C'est que la Belgique a pris l'engagement de payer les travaux qui se feraient sur le territoire hollandais, et que les travaux ont été abandonnés entièrement à l'arbitraire du gouvernement hollandais. Aucune garantie n'a été stipulée. Le gouvernement belge a été placé dans une position plus fâcheuse qu'un concessionnaire ordinaire ; un concessionnaire ordinaire aurait suivi la continuation des travaux, il les aurait exécutés ; il aurait eu recours, dans tous les cas, à la garantie de l'adjudication et aux autres garanties dont nous environnons l'exécution des travaux publics.
Eh bien, le gouvernement belge a été repoussé complètement et de l'exécution et même de la surveillance des travaux. Les travaux ont été confiés à un entrepreneur choisi par le gouvernement hollandais ; tout s'est fait dans l'ombre Ces travaux n'ont été l'objet d'aucune adjudication ; aucun contrôle sérieux n'y a présidé, il a fallu tout abandonner à l'arbitraire de l'entrepreneur hollandais. Toutes les questions d'expropriation et la question si grave de la direction du canal dans Maestricht, toutes les questions enfin ont été résolues contre la Belgique ; et c'est là précisément la source du déficit dont on vient nous demander de combler une partie envolant un crédit provisoire de deux millions.
(page 1086) N'est-il pas évident que l'honorable M. Dechamps, par cette négociation maladroite, a compromis de nouveau les intérêts du pays et engagé gravement sa responsabilité ?
Je n'en ai pas fini encore. Les irrégularités et les illégalités se multiplient à mesure qu'on avance dans l'examen des faits, et je ne puis passer sous silence une dernière question de responsabilité que le projet de loi soulève. C'est celle relative aux engagements qui ont été pris en dehors du crédit alloué par la chambre ; la chambre avait voté 3,500,000 fr., cette somme épuisée, que fallait-il faire ? Avant de prendre de nouveaux engagements, il fallait en référer immédiatement à la chambre et obtenir son adhésion. C'était le moins qu'on lui devait, après l'avoir trompée aussi gravement. Ici encore, on a traité la chambre avec le sans-gêne dont les ministres ont contracté la douce habitude ; on l'a considérée comme n'existant pas et l'on a commencé par prendre des engagements jusqu'à concurrence de deux millions, sans même la consulter.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - C'est le résultat des adjudications publiques ; les fonds se trouvaient engages en totalité.
M. Castiau. - Alors mes reproches n'en retombent qu'avec plus de force sur l'ancien ministre des travaux publics. D'ailleurs je dois dire que mes observations n'avaient rien de personnel à M. Frère, qui est resté étranger aux actes que j'attaque ; toutes mes critiques s'adressent directement et justement à l'honorable M. Dechamps, et je pense que sur ce point il ne peut y avoir de malentendu. L'observation de l'honorable M. Frère vient aggraver encore toutes les fautes qui ont été commises en cette circonstance par M. Dechamps. Toutes les adjudications ont eu lieu en même temps, nous dit-on. Mais à quelle époque ont-elles eu lieu ? En 1845 ou 1846 sans doute.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Permettez-moi de vous interrompre un moment. On a mis en adjudication les travaux à exécuter pour le creusement du canal et les travaux d'art. Je parle de la partie s'étendant sur le territoire belge. Ces travaux étaient estimés, d'après les devis, à une somme de 1,900,000 fr., je pense ; ils ont été adjugés pour une somme de 1,700,000 fr., ainsi pour une somme inférieure à l'estimation qui avait été faite par l'ingénieur. On ne pouvait pas scinder cette partie.
On a ensuite procédé aux expropriations, pour livrer les terrains à l'entrepreneur, au fur et à mesure de l'exécution ; sur les expropriations il y a eu de très grands mécomptes ; ce qui avait été estimé à 3, 4, 5,000 francs a dû être payé, d'après les décisions des tribunaux, 12,15 ou 18,000 francs.
Voilà, pour la partie du canal exécutée sur notre territoire, la cause de la différence entre les prix d'estimation et la dépense réelle. C'est en ce sens que j'ai dit qu'on n'avait pas pu venir ultérieurement demander à la chambre de compléter les crédits alloués ; le tout s'est trouvé engagé ; cela devait être, d'après le mode d'opérer qu'on a suivi, et il n'était guère possible qu'on en suivit un autre.
M. Castiau. - Eh bien, soit ; je suis fatigué de mon rôle d'accusateur, et j'ai eu malheureusement à produire tant d'accusations à charge de l'honorable M. Dechamps, que je puis bien ne pas m'arrêter à celle que j'allais développer.
En présence de tels abus, messieurs, il m'est impossible d'allouer le nouveau crédit demandé, car ce crédit est en quelque sorte un bill d'indemnité pour l'honorable M. Dechamps ; je ne puis lui accorder ce bill d'indemnité, après les faits graves que j'ai révélés, après le préjudice qui en est résulté pour le pays ; et s'il est vrai que la responsabilité des ministres ne puisse être appliquée dans cette chambre, et qu'elle continue à être aujourd'hui comme toujours un mensonge, je ne veux pas, du moins, accepter en quelque sorte la complicité des faits graves que j'ai produits à charge de l'ancien ministre des travaux publics, en votant même partiellement le crédit destiné à les sanctionner et à les absoudre.
M. Dechamps. - J'en demande pardon à l'honorable M. Castiau qui semble s'être attribué la mission de donner des leçons à ses collègues qui ne partagent pas son opinion ; je lui en demande pardon, mais il a tellement prodigué ses blâmes, ses remontrances et ses reproches aux ministres passés, aux ministres présents, se réservant de les prodiguer aux ministres futurs, à moins qu'il ne soit lui-même plus tard un de ces ministres, que ses reproches ont singulièrement perdu de la valeur qu'il voudrait leur attribuer. Il a cru, par les observations critiques un peu amères qu'il vient de m'adresser, faire une espèce de compensation aux témoignages de gratitude que le commerce et la ville de Liège ont bien voulu me donner à l'occasion du canal latéral à la Meuse, et aux éloges que les amis de l'honorable membre m'ont décernés l'année dernière, pour avoir fait triompher ce projet d'utilité publique.
Il a voulu me montrer le revers de la médaille dont il a parlé tout à l'heure. (Interruption.)
Il me permettra de le lui dire, ses reproches très peu fondés, comme je vais le démontrer, ne forment nullement à mes yeux la compensation de ces témoignages qui n'étaient pas une flatterie adressée par des amis politiques à un ministre, puisqu'ils émanaient d'adversaires politiques qui ont eu la loyauté de séparer l'administrateur de l'homme politique, en rendant justice aux efforts que j'avais faits, comme c'était du reste mon devoir.
Je m'étonne que l'honorable membre s'élève avec tant de vivacité contre la construction du canal latéral à la Meuse : lui qui tient beaucoup à être toujours conséquent avec lui-même, tombe ici dans une complète contradiction.
L'année dernière, tous ses amis politiques, auxquels il s'est associé par son vote, reprochaient au ministère dont je faisais partie précisément son hésitation à admettre le principe de ce qu'on appelait la dérivation de la Meuse, c'est-à-dire la continuation du canal latéral à travers Liège jusqu'à Chokier, ce qui doit coûter, non 7 millions, mais peut-être 18 à 20 millions. Eh bien, les honorables amis politiques de M. Castiau, auxquels il s'est uni par son vote, m'ont fait baisser plus d'une fois la tête sous les éloges exagérés qu'ils me prodiguaient pour l'énergie que j'avais mise à défendre ce canal contre les efforts qu'on avait faits pour s'y opposer.
On accusait M. de Bavay, parce qu'il ne voulait pas admettre immédiatement le principe de cette dépense considérable ; l'honorable membre s'associait à ce blâme que ses amis adressaient au gouvernement en paroles véhémentes, parce que nous ne voulions pas qu'on votât sans aucune étude préalable, sans devis ni projets quelconques, le principe de la prolongation de ce canal latéral, au prix de 15 à 20 millions ; et aujourd'hui l'honorable M. Castiau nous jette un blâme immérité, parce que des mécomptes ont eu lieu dans les devis, il lance l'anathème contre ce canal latéral, dont l'année dernière il voulait l'extension au-delà de Liège ! Il est impossible de donner un exemple de contradiction plus éclatant que celui-là.
L'honorable membre me reproche d'avoir combattu la motion d'ajournement qui avait été faite par mon honorable ami M. Malou, qui n'était pas alors mon collègue au ministère.
Je viens de relire la discussion de 1845. Les motifs d'ajournement présentés par MM. Malou, Osy et David, étaient puisés en dehors des faits relatifs aux évaluations.
Les motifs que faisait valoir M. Malou étaient en premier lieu la situation du trésor public. En second lieu, il combattait l'utilité du canal, il donnait la préférence aux passes artificielles, à l'amélioration dans le lit même de la Meuse ; il combattait le principe du projet ; en troisième lieu, mon honorable ami, avec MM. David et Osy, apportait pour motif de la demande d'ajournement la convention qu'ils auraient voulu que l'on négociât préalablement avec le gouvernement hollandais.
Personne ne songeait à prétendre que l'on pût exiger que le gouvernement hollandais exécutât le canal à ses frais, sur son territoire ; jamais pareille pensée n'est vernie à l'un de nous en 1845. MM. Osy et Malou craignaient seulement que le gouvernement des Pays-Bas n'imposât au gouvernement belge des compensations dans l'ordre commercial. Voilà ce que les honorables membres craignaient ; voilà les motifs d'ajournement qui ont été présentés.
Je maintiens que les raisons par lesquelles je combattais cette demande d'ajournement sont aussi vraies aujourd’hui qu'alors. Je crois aujourd'hui comme alors que le canal latéral est un des travaux d'utilité publique les plus importants qui aient été décrétés depuis 1830. C'est la tête d'une grand système de navigation qui doit rattacher Liège au marché hollandais et l'aider à reconquérir la partie de ce marché que l'Allemagne et l'Angleterre lui avaient enlevée, d'un système de navigation qui complète les canaux de la Campine et forme la véritable jonction de la Meuse à l'Escaut, de Liège à Anvers, qui n'existerait pas sans ce complément, c'est la condition indispensable du défrichement de la Campine, car sans ce canal il y a impossibilité de transporter en toute saison les chaux de Liège et de Namur dans la Campine pour fertiliser ses bruyères.
Je connais peu de canaux en Belgique qui aient une utilité plus haute que celui-là, et je m'honore d'avoir contribué à faire triompher le système qui a prévalu.
On voulait qu'on abandonnât ce travail à l'entreprise particulière ; j'ai soutenu que ce canal n'était pas concessible, parce qu'il forme une voie internationale ; l'expérience a prouvé que si ce système de concession avait triomphé, ce canal ne serait pas fait.
La chambre n'a pas voté en faveur du canal latéral parce que la dépense avait été évaluée à 3,500,000 francs, mais parce qu'elle a reconnu qu'il constituait un travail utile, indépendamment de la somme nécessaire pour l'établir.
L'honorable M. Castiau prétend que j'ai trompé la chambre, que j'ai trahi les intérêts du pays.
Je viens de prouver que je n'ai pas trahi les intérêts du pays, que je les ai, au contraire, servis. Si les ingénieurs m'avaient présenté un devis de sept millions, j'aurais proposé le projet et j'espère que je l'aurais fait admettre à raison de son importance industrielle, commerciale et agricole.
Les deux chambres étaient tellement peu sous l'empire de l'évaluation plus ou moins approximative de la dépense, qu'au sénat, presque tous les membres qui ont pris part à la discussion ont soutenu que le gouvernement devait faire exécuter le canal latéral tout entier sur le territoire belge, en contournant Maestricht. MM. de Rouillé, Desmanet de Biesme, de Ribaucourt, de Renesse, Cassiers, ont soutenu cette opinion, nonobstant les sommes énormes qu'il eût fallu consacrer à une exécution aussi dispendieuse.
Ainsi donc les chambres n'ont pas voté en faveur du canal latéral parcs qu'il ne devait coûter que 3,500,000 fr., mais parce qu'il est utile. L'utilité du canal, voilà l'objet de la responsabilité du ministre ; il est impossible que l'on puisse raisonnablement reprocher à un ministre d'avoir été induit en erreur par les calculs de ses ingénieurs ; ces calculs, il les (page 1087) présente à la chambre, non pour la tromper, mais pour l'éclairer ; mais ce qui tombe directement sous sa responsabilité, c'est la conception du projet, c'est son utilité, ce sont ses résultats pour le pays ; or, cette responsabilité-là je l'accepte tout entière.-
Si l'on veut me blâmer d'avoir ouvert la Hollande au bassin de Liège et d'avoir posé la condition de sa prospérité, d'avoir complété le système des canaux de la Campine et d'avoir aidé puissamment aux défrichements de cette contrée, j'accepte ce blâme comme un des éloges auxquels je tiens le plus.
Mais le devis n'était-il pas sincère ? Aurais-je trompé la chambre ? L'honorable M. Castiau vient de rappeler mes paroles de 1845, dont je m'empare pour ma justification.
Le projet du canal latéral à la Meuse date de 1819. L'ingénieur en chef du waterstaat, M. Goudriaan, après plusieurs années d'études, a proposé au gouvernement des Pays-Bas, en 1829, un projet complet dans tous ses détails.
Un autre ingénieur distingué, M. Kummer, était chargé, depuis 1842, d'études spéciales sur la Meuse, de Liège à Maestricht. Après ces deux années d'études, il est venu me proposer d'adopter le projet de M. Goudriaan, c'est-à-dire le projet de canal latéral à la Meuse.
Lorsque je me suis décidé à présenter ce projet, que je considère comme la seule solution possible à donner à la question de l'amélioration de la navigation de la Meuse, j'avais les études de MM. Goudriaan et Kummer, auxquelles ces deux ingénieurs avaient consacré cinq années de travail, et l'honorable M. Castiau viendrait dire que j'ai présenté un projet non étudié et que je ne devais pas considérer comme sérieux ! Je le demande à lui-même, quel ministre des travaux publics pourrait avoir la prétention de présenter un projet sérieux, si celui-là ne devait pas être considéré comme tel par le gouvernement ?
L'honorable membre a semblé vouloir me menacer d'un cas de responsabilité personnelle. Je me permettrai de lui répondre que si tous les ministres des travaux publics devaient encourir une responsabilité pareille pour les projets de chemins de fer ou de canaux, pour lesquels les devis ont été de beaucoup dépassés, tous seraient condamnés à supporter des sommes beaucoup plus considérables que celle dont l'honorable membre voudrait me rendre responsable.
Vous paierai-je des chemins de fer de l'Etat, et notamment du chemin de fer de l'Est, pour lequel le devis primitif des ingénieurs a été cinq fois dépassé ? Une seule des sections du chemin de fer de l'Etat n'a pas offert d'incroyables mécomptes, c'est celle de Namur à Braine-le-Comte.
Je crois que M. le ministre des travaux publics doit présenter à cette séance même des projets de loi de crédit complémentaire pour l'exécution de travaux publics. Je ne citerai eu passant que le canal de Zelzaete. La chambre avait voté 4 millions pour la construction de es canal de Zelzaete à la mer. Si mes renseignements sont exacts, ces 4 millions seront absorbés, lorsque deux sections seulement seront construites, c'est-à-dire la moitié à peu près du canal entier.
L'augmentation de moitié de la dépense signalée pour le canal latéral à la Meuse va se reproduire relativement au canal de Zelzaete. Faut-il, pour cela, accuser le ministre qui a présenté le projet du canal de Zelzaete, d'avoir trompé la chambre et d'avoir fait un acte de mauvaise administration ?
Non, pas plus qu'on ne m'accusera d'avoir fait un acte de mauvaise administration en présentant le projet de loi relatif au canal latéral à la Meuse, dont l'importance, du reste, est autrement grande que celle du canal de Zelzaete.
Mais avant d'accuser le gouvernement et les ingénieurs d'inexactitude coupable, il aurait fallu connaître un peu plus les faits pour mieux les apprécier. Pour moi, j'aurais désiré que l'on attendît les communications que M. le minière des travaux publics doit faire à la section centrale, comme réponse à ses nombreuses demandes de renseignements ; car, pas plus que l’honorable M.. Castiau et qu'aucun membre de la chambre, je ne suis en mesure de pouvoir apprécier exactement les faits. Mais en me rapportant à l'exposé des motifs du projet de loi, il est évident que l'augmentation principale de la dépense provient de causes en dehors des prévisions possibles du gouvernement.
Quelle est la cause principale du mécompte dont on se plaint ? C'est la valeur exorbitante à laquelle les expropriations des terrains se sont élevées.
Je te demande à tous les membres de la chambre : lorsqu'on a discuté le projet de loi, est-ce que personne a pu supposer que la valeur des terrains se serait élevée à 15 ou 20 mille francs par hectare ? Je conviens que l'évaluation a été trop faible. Mais je me souviens que lorsque l'honorable M. de Garcia est venu nous dire, en 1845, qu'il ne serait pas surpris qu'une partie des terrains pût être expropriée à 10,000 fr. par hectare, tous nous avons considéré cette somme comme une exagération. Mais un ingénieur peut-il être responsable de ce que les expropriations ont monté au chiffre de 20,000 par hectare, par suite de décisions judiciaires ?
Dans tous les travaux exécutés en Belgique, il n'y avait aucun exemple qui pût faire croire à une évaluation aussi démesurée.
Voilà donc la première cause du déficit. Car, veuillez le remarquer, M. le ministre des travaux publics vient de le dire, l'ingénieur ne s'est pas trompé dans l'évaluation des travaux du canal, qui sont surtout de sa compétence. Là il est resté en dessous de la réalité. Mais l'insuffisance provient de l'évaluation exorbitante attribuée aux terrains et aux propriétés bâties, en vertu de décisions judiciaires, dont l'ingénieur, pas plus que le gouvernement, ne peut être responsable.
Il y a une deuxième cause de l'élévation des dépenses qui est en dehors des prévisions de l'ingénieur et du gouvernement. Il ne faut pas oublier que tout en adoptant, en général, le plan de l'ingénieur Goudriaan, on a choisi pour l'entrée dans Maestricht des directions nouvelles, en dehors des prévisions du premier projet, directions beaucoup plus dispendieuses que celles qui avaient été primitivement adoptées.
Ainsi, une erreur de nivellement existait, dit-on, dans le projet de M. Goudriaan ; cette erreur a nécessité l'établissement d'une écluse nouvelle, laquelle a coûté 200,000 fr. La chambre comprendra que quand j'ai présenté le projet de loi, M. Kummer n'avait pu faire les opérations préalables sur le terrain hollandais ; il ne le pouvait pas. Il a donc dû s'en rapporter au projet de l'ingénieur du waterstaat M. Goudriaan, projet sérieusement étudié en 1829.
Messieurs, il y a un autre fait qui m'a frappé dans l'exposé des motifs.
D'après le projet que j'ai présenté à la chambre, on croyait pouvoir utiliser l'arche du pont de la Meuse à Maestricht et éviter ainsi l'emprise des maisons de la rue du Bouc. Or, par des raisons que je ne connais pas (car quoi qu'en ait dit l'honorable M. Castiau, je n'ai pas été chargé de l'exécution du canal, je l'ai seulement fait décréter], on a renoncé au projet primitif.
Mais il en est résulté que, par suite de l'adoption de la direction nouvelle, on a dû effectuer une dépense de 622,000 fr. que je n'avais pu prévoir, et que M. Kummer n'avait pu prévoir plus que moi-même.
Une troisième dépense n'a pu être prévue en 1845 ; c'est celle de 440,000 fr. destinée à mettre le canal latéral à la Meuse en corrélation avec la future dérivation de la Meuse. Ce projet concerne, je crois, le ministère actuel. Je ne le critique pas ; l'honorable M. Castiau probablement le critiquera encore moins, puisqu'il a voté l'an dernier pour la dérivation de la Meuse. Mais enfin, c'est une dépense de près de 500,000 fr. que je n'avais pas prévue, puisqu'elle n'est pas relative directement au projet de canal latéral à la Meuse.
Il y a aussi des travaux imprévus résultant des exigences militaires en Hollande. Le génie militaire a exigé des travaux, des dépenses qu'on ne pouvait prévoir et qui montent à une somme de près de 500,000 fr.
Ainsi d'une part, la première cause de l'augmentation des dépenses doit être attribuée à la valeur exorbitante des terrains, valeur décrétée par les jugements des tribunaux qui sont en dehors des prévisions et de l'influence du gouvernement.
En second lieu, on a exécuté des travaux nouveaux, en dehors des plans primitifs, pour une somme qui, si je ne me trompe, s'élève à près de 1,500,000 fr.
Il est facile, messieurs, par ces considérations très simples, d'apprécier les causes de l'augmentation de la dépense, et la chambre reconnaîtra qu'aucun grief ne peut m'être adressé avec quelque raison. Certainement le ministre qui avait droit d'avoir confiance dans les études qu'on lui présentait et qui avaient demandé cinq années de travaux à deux ingénieurs, ne peut être responsable, d'aucune manière, des erreurs commises dans le devis.
Voilà ma réponse au premier grief articulé par l'honorable M. Castiau. Je persiste à soutenir que le canal latéral à la Meuse est un travail de haute utilité publique, commerciale, agricole et industrielle ; que ce canal, dût-il coûter 7 millions, est un ouvrage public que la chambre a bien fait de voter ; et je me réjouis d'avoir fait triompher l'opinion que j'ai défendue à cette époque.
J'ajoute en passant qu'avec la dépense même de 7 millions, le canal reste encore un travail d'utilité publique avantageux au point de vue de ses revenus. La chambre sait que si les ingénieurs en général se sont presque toujours trompés dans leurs prévisions relativement au coût des travaux publics, en Belgique comme en France et ailleurs, ils se sont presque toujours trompés aussi relativement aux produits de ces mêmes travaux. Pour le chemin de fer comme pour les canaux, toujours les produits ont dépassé et de beaucoup les prévisions des ingénieurs.
Je suis convaincu que les prévisions des ingénieurs relativement aux produits du canal latéral seront beaucoup dépassées, lorsqu'on réfléchit à l'immense mouvement commercial que le canal latéral doit amener entre Liège et la Hollande d'une part, et la Campine et Anvers de l'autre.
Mais j'admets les prévisions des ingénieurs en ce qui concerne le calcul des produits du canal.
Quelles sont ces prévisions ? Le revenu du canal serait de 222,000 fr. ; l'entretien étant de 23,000 fr., reste 200,000 fr. de revenu. C'est un revenu de 3 p. c.
Eh bien, je le demande à l'honorable M. Castiau, si j'excepte le canal de Charleroy, qui rapporte des revenus que je pourrais appeler usuraires, quel est le canal en Belgique qui rapporte 3 p. c. de revenu ?
L'honorable M. Castiau a soulevé un autre grief, et vous allez voir, messieurs, qu'il n'est pas plus fondé que le premier.
Il vous a dit qu'il blâmait avec la même énergie la convention faite avec la Hollande, pour amener le consentement des Pays-Bas à l'exécution du canal latéral. Il a appelé cette négociation une négociation de malheur. Et pourquoi cette négociation est-elle une négociation de malheur ? Parce que la Belgique exécute à ses frais, sur le territoire hollandais, les travaux du canal latéral à la Meuse.
Messieurs, déjà lors de la discussion en 1845, j'avais indiqué l'exécution aux frais de la Belgique du canal sur le territoire hollandais, comme étant la condition pour la Belgique de rester maîtresse des péages. La (page 1088) chambre l'avait parfaitement compris. L'honorable M. Castiau ignore probablement que la Hollande a renoncé au droit de percevoir aucun péage sur la partie du canal qui se trouve sur son territoire. C'est le seul moyen de nous rendre maîtres des péages et d'avoir un canal belge sur le territoire hollandais.
Ainsi la clause que critique l'honorable M. Castiau est celle précisément dont nous devons le plus nous féliciter.
On doit se rappeler que, dans la discussion, une des graves objections que l'on produisait était celle-ci. On disait : Vous allez construire le canal ; mais la Hollande restera libre de le grever de droits onéreux ; elle pourra, suivant les caprices que les circonstances lui dicteront, entraver, annuler le résultat que vous attendez de votre canal. Eh bien ! par la convention, nous sommes restés maîtres des péages, parce que nous avons exécuté les travaux à nos frais. C'était la condition de notre indépendance.
Vous voyez que cette objection tombe au premier examen.
L'honorable M. Castiau a cru que ces travaux étaient exécutés sans surveillance, sans aucun contrôle de la part du gouvernement belge. C'est une erreur. D'après la convention il est établi une commission mixte, composée d'un ingénieur hollandais, d'un ingénieur belge et d'un représentant du génie militaire ; tous les plans d'exécution sont soumis à cette commission, et nonobstant cette garantie première, tous les plans d'exécution sont encore transmis au gouvernement beige pour être approuvés. Ainsi, rien ne peut se faire sans l'assentiment d'une commission dans laquelle l'intérêt belge est représenté et sans l'assentiment définitif du gouvernement belge.
M. Castiau. – Les Belges n'ont pas la majorité dans cette commission.
M. Dechamps. - Ce n'est pas la question, le gouvernement belge est représenté par un ingénieur ; le gouvernement hollandais, par un ingénieur ; et le génie militaire, par un membre de ce corps. Mais, je le répète, les plans sont toujours soumis à l'assentiment définitif du gouvernement belge.
Le troisième grief de l'honorable M. Castiau se rapporte à l'exécution du canal. Je répondrai que, presque immédiatement après le vote du projet, j'ai quitté le ministère, et que je ne puis être responsable de l'exécution du canal. Mes successeurs n'ont du reste aucune raison de craindre cette responsabilité.
Je crois, messieurs, avoir rencontré les différentes objections de l'honorable M. Castiau. J'aurais désiré appuyer quelques-unes des observations de M. Bricourt en ce qui concerne l'équilibre que j'avais voulu établir en 1845, et que les circonstances ont en partie rompu entre les divers bassins ; mais ces considérations trouveront mieux leur place plus tard et à propos d'autres projets présentés.
M. de Mérode. - Messieurs, je félicite le pays de la discussion qui vient d'avoir lieu, parce qu'elle tend à préserver enfin, s'il est possible, les contribuables de ces magnificences faites aux dépens de tous, au profit particulier, de quelques-uns.
Ceux-ci ne manquent pas de récompenser par des ovations plus ou moins magnifiques les ministres qui leur procurent, n'importe à quel prix, ces avantages spéciaux.
Mais il est bon que la censure vienne à son tour, .quand les sommes indiquées dans les prévisions ministérielles, auxquelles les chambres s'abandonnent avec trop de confiance, sont dépassées outre mesure.
Seulement, messieurs, il faut en convenir, l'honorable M. Dechamps a trouvé tant de coupables à s'associer, qu'il est impossible de lui attribuer une responsabilité exceptionnelle.
La leçon à tirer de ce débat comme des fatales émissions des bons du trésor que j’ai tant et si souvent combattues, et qui pèsent maintenant si péniblement et si mal à propos sur les contribuables, c'est de ménager à l’avenir les véritables intérêts généraux, c'est de ne pas se lancer légèrement et facilement désormais dans toutes les entreprises auxquelles les intérêts locaux poussent constamment les ministères si peu stables aujourd'hui, et dont l'amour-propre et l'envie de se distinguer par des œuvres brillantes ont besoin d'être plutôt modérés que surexcités.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, je crois qu'on aurait bien fait d'attendre que le gouvernement eût fourni les renseignements demandés par la section centrale, avant de se livrer à la discussion qui vient d'avoir lieu, et qu'on est obligé d'interrompre ; sans qu'elle puisse amener aucune espèce de solution. Je pense, messieurs, que le gouvernement remettra à la section centrale des renseignements propres à faire disparaître la plupart des griefs qui ont été articulés à l'occasion de l'exécution du canal latéral.
Je ne veux pas entrer dans le fond de cette discussion ; je persiste à croire qu'elle est inopportune. Mais je dois rappeler un point essentiel, pour ne pas laisser peser des insinuations injustes sur l'ingénieur qui a été chargé de la rédaction des projets relatifs au canal. Ces projets se divisent en deux parties : les uns concernent les travaux à exécuter sur le territoire belge ; les autres, les travaux à exécuter sur le territoire hollandais.
Pour les travaux à exécuter sur le territoire belge, et pour ce qui regarde la partie qui est réellement de la compétence de l'ingénieur, les travaux d'art, les choses qu'il peut estimer, qu'il doit savoir apprécier d'une manière exacte, pour cette partie, l'ingénieur chargé de la rédaction des projets est entièrement disculpé. Les évaluations qu'il avait fournies n'ont pas été dépassées dans l'adjudication ; au contraire, les travaux ont été adjugés pour des sommes inférieures aux chiffres des estimations.
L'acquisition des terrains nécessaires pour le canal a exigé des sommes beaucoup plus considérables que ce qui avait été prévu ; mars de bonne foi, peut-on en faire un grief à l'ingénieur ? Un ingénieur n'est pas plus appelé, par son état, à connaître la valeur des propriétés, la valeur de jardins, la valeur de terres, que le premier venu ; en pareille matière un notaire est tout aussi compétent et peut-être même beaucoup plus compétent qu'un ingénieur. L'ingénieur a donné des évaluations qu'il a crues bonnes, qu'il a crues exactes ; il a pensé qu'au moyen des sommes qu'il indiquait, on pouvait acquérir les propriétés nécessaires. L'ingénieur s'est trompé, mais personne ne saurait-lui en faire un grief, à moins de supposer qu'il a été de mauvaise foi dans les indications qu'il a données. Or, c'est ce que personne ne prétend.
Quant aux travaux à exécuter sur le territoire hollandais, ils n'ont pas pu être préalablement examinés ; l'ingénieur a dû s'en rapporter à ce qui avait été fait depuis plusieurs années avant lui ; il n’a pu rien vérifier, rien contrôler. Mais c’est ce que personne n’ignorait ; on n’a point prétendu qu’il s’était rendu sur le territoire hollandais pour étudier le projet ; tout le monde savait qu'il avait dû se borner à reproduire les indications qui n'avaient pas été vérifiées.
Dans l'exécution, ces indications ont dû être entièrement modifiées ; il y avait des erreurs matérielles commises ; il a fallu faire des dépenses tout à fait imprévues ; la direction qu'on avait supposé devoir être suivie a dû être entièrement changée ; il a fallu traverser Maestricht, enlever toute une rue ; il a fallu faire des dépenses en dehors de toutes les prévisions.
L'ingénieur, encore une fois, ne peut pas être rendu responsable de ce qui avait été fait avant lui, des indications qui avaient été données et qui renfermaient des erreurs matérielles, très graves dans leurs conséquences.
Quoi qu'il en soit, ces considérations ne peuvent retarder le payement de la somme qui est actuellement demandée ; cette somme est due, elle est due légitimement. On ne peut pas différer davantage le payement du prix des terrains qui ont été expropriés et des travaux exécutés, et alors je demande s'il n'est pas sage de suivre le conseil que j'ai donné hier, de voter ce crédit provisoire, qui est urgent, indispensable, et d'ajourner la discussion jusqu'à ce que le gouvernement ait produit les documents qu'il a promis et jusqu'à ce que la section centrale ait fait le rapport qui est annoncé. Ce rapport sera présenté dans un bref délai ; mais, en attendant, rien n'empêche la chambre de voter le crédit proposé et qui est parfaitement justifié.
- La discussion générale est close et la chambre passe à l'examen des articles.
« Art. 1er. Le crédit de 3,500,000 fr. ouvert par la loi du 16 mai 1845, pour la construction d'un canal de navigation latéral à la Meuse, de Liège vers le canal de Maestricht à Bois-le-Duc, est augmenté de 2,000,000 de francs. »
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour développer un amendement qui tendrait à mettre obstacle à ce que le gouvernement pût disposer, pour le payement des traitements dei ingénieurs et surveillants, des sommes allouées pour les travaux. Je pense que le gouvernement ne s'opposera pas à cet amendement ; car dans la discussion du dernier budget des travaux publics, les articles relatifs aux traitements des ingénieurs, conducteurs et surveillants ont été augmentés d'une manière notable, et si l’on veut relire au tableau du budget la note qui accompagne cette augmentation, on verra que l'intention du gouvernement était de concentrer aux articles 33 et 34 du budget tous les traitements et indemnités qui se trouvaient épars et rattachés à une multitude de crédits spéciaux destinés à des travaux.
Voici mon amendement :
« Les traitements ou indemnités du personnel chargé de la direction ou de la surveillance ne pourront être prélevés sur des allocations destinées aux travaux.»
- L’amendement est appuyé.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable préopinant a perdu de vue ce qui s'est passé dans cette chambre lors de la discussion de mon budget. J'ai donné, à cette époque, des explications complètes à l'occasion d'un amendement de même nature qui avait été présenté par l'honorable membre. J'ai demandé que son amendement fût rattaché aux articles du chemin de fer. La chambre l'a décidé ainsi.,
Quant au personnel des ponts et chaussées, j'ai fait une distinction : il y a des traitements et des indemnités relatifs au personnel définitif du corps des ponts et chaussées, et que j'ai portés intégralement au budget de 1848. J'ai également fait observer qu'il y avait un personnel temporaire qui devait continuer à être payé sur des fonds spéciaux. Je n'ai pas de fonds au budget pour payer ce personnel. Si on appliquait le principe à toute espèce de personnel, il me serait impossible de faire face à cette dépense. Je ne puis donc pas adopter l'amendement de l’honorable M. de Man.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, je suis étonné de l'accueil que le gouvernement fait à mon amendement. Lors de la discussion du budget des travaux publics, il avait été entendu que tous les traitements, imputés sur des fonds spéciaux destinés à des travaux, figureraient dorénavant au budget. Voici la note dans laquelle le ministre explique l’augmentation portée de ce chef au budget de 1848 : « Ces augmentations ne sont que fictives, puisqu'elles proviennent de la réunion en deux articles globaux de toutes les allocations et imputations (page 1089) sur les fonds spéciaux destinés à rétribuer le personnel du service des ponts et chaussées. »
Vous conviendrez, messieurs, qu'après une note explicative aussi claire, j'étais fondé à présenter mon amendement et à espérer que le gouvernement s'y rallierait. Si je recours au cahier de développements qui accompagne le budget, je trouve qu'après avoir jugé fondée une observation de M. le rapporteur de la section centrale du budget de 1847 (M. Brabant), qui avait qualifié de chaos la manière dont nos allocations destinées à faire face aux traitements du personnel étaient réparties au budget, M. le ministre des travaux publics s'est exprimé en ces termes pour motiver la réunion en deux articles de tous les traitements :
« Frappé de la justesse de ces observations, et tenant avant tout à faire connaître aux chambres la vérité en toutes choses, j'ai voulu que le projet de budget de l'exercice 1848 présentât dans ses allocations, pour le service des ponts et chaussées, une division bien tranchée entre les dépenses destinées aux travaux, et celles du personnel ; j'ai voulu que l'on sût pertinemment quelle charge incombe au trésor de chef du personnel de ce service, sans qu'il pût rester à personne une arrière-pensée sur l'imputation des dépenses du personnel sur d'autres allocations que celles qui y seront spécialement affectées par la loi du budget. »
Plus loin, M. le ministre indique en détail les allocations qui ont été détachées de divers services pour composer les articles 33 et 34.
C'est ainsi qu'au n°16 je lis que la dépense du personnel attaché au service spécial du canal latéral à la Meuse, soit 26,950 fr., ont été transférés à l'article 33.
C'est ainsi qu'au n°30 je trouve que l'article 34 du budget a été augmenté de la dépense résultant des traitements des surveillants attachés au service spécial du canal latéral à la Meuse, soit 7,640 fr. ; voir page 88 et suivantes des développements nouveaux à l'appui du budget de 1848.
Il me semble, messieurs, qu'après avoir voté ces sommes destinées au payement des traitements des ingénieurs et des surveillants chargés du service spécial de la Meuse, la chambre n'hésitera pas à adopter mon amendement.
Nous avons voté les augmentations proposées par le gouvernement aux articles 33 et 34 du budget parce qu'on nous les a fait envisager comme des transferts destinés à régulariser nos tableaux de dépenses, à les rendre intelligibles, à séparer les dépenses du personnel des dépenses du matériel. Et voilà que maintenant on nous déclare que les sommes votées au budget pour le personnel ne sont pas suffisantes ! Je ne puis résister à un sentiment pénible, à un sentiment de surprise, que M. le ministre des travaux publics dissipera, je l'espère.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai rappelé le débat que, lors de la discussion du budget de 1848, un amendement de la même nature avait soulevé dans cette enceinte. Je faisais remarquer qu'à cette occasion j'avais déclaré qu'on pouvait adopter cet amendement quant au chemin de fer, que je ne pouvais consentir à ce qu'il fût appliqué au personnel des ponts et chaussées. Après mes explications, ma distinction a été admise ; l'honorable M. de Man a appliqué son amendement exclusivement an personnel du chemin de fer. Quant au personnel des ponts et chaussées, je disais que les traitements et indemnités du personnel définitif se trouvaient, en effet, intégralement portés au budget, mais qu'il y avait encore certaines dépenses de personnel qui devaient être imputées sur des crédits spéciaux ; et combattant l'amendement de l'honorable M. de Man, je faisais un appel, comme je fais un appel aujourd'hui, aux développements de mon budget.
L'honorable membre vient de lire un passage de ces développements ; mais il s'arrête à mi-chemin ; il s'arrête aux phrases qui signalent les transferts.
Il aurait dû lire aussi ce qui suit : « Quant aux aides temporaires, chaîneurs porte-mire, etc., etc., qui sont de véritables ouvriers payés à la journée et congédiés dès que leur service n'est plus nécessaire, leur salaire sera payé, comme par le passé, sur les fonds affectés aux études des projets ou aux travaux spéciaux. »
J'ai donc déclaré, à cette époque, qu'il en devait être ainsi.
Mais il y a ici un motif particulier pour ne pas adopter l'amendement. Il s'agit d'un crédit destiné à acquitter des obligations préexistantes, et dans ces obligations se trouvent compris les traitements et indemnités du personnel même définitif. Si l'amendement de l'honorable M. de Man était adopté, il en résulterait que ces traitements et ces indemnités ne seraient pas payés.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, je n'ai pas donné lecture de la phrase qu'a citée M. le ministre des travaux publics, parce qu'elle s'applique à des chaîneurs, porte-mire, qui ont droit, non pas à des traitements, mais à des salaires ; or, mon amendement ne concerne que les traitements.
Nous nous sommes plaints souvent de l'abus grave qui consistait à nous voiler une partie des traitements du corps des ponts et chaussées ; M. le ministre des travaux publics, lors de la discussion de son budget, a déclaré formellement qu'il voulait faire cesser cet abus. Maintenant voilà qu'il a l'air de revenir sur ses pas, et qu'il déclare que nous n'avons pas encore voté toutes les sommes nécessaires aux traitements, en votant au budget au-delà d'un million pour les traitements du personnel des ponts et chaussées, j’avoue que je n'y comprends réellement plus rien.
En effet la lecture attentive des notes du gouvernement, dont je viens de donner lecture, le souvenir des discussions intervenues lors de l'examen du budget, tout doit vous rappeler, messieurs, que l'intention manifestée clairement par le ministre des travaux publics était de réunir sans exception en deux articles portés au budget tous les traitements du personnel des ponts et chaussées, c'est cette intention qui a fait adopter en quelque sorte sans opposition l'augmentation si considérable proposée au budget de la présente année.
Nous avons voté cette augmentation, afin d'avoir sous les yeux et réunis en deux articles tous les traitements, afin de pouvoir en contrôler le mouvement.
La chambre ne peut vouloir le retour d'un abus, qui a soulevé tant de réclamations et condamné par le gouvernement lui-même.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - L'honorable membre confond deux choses distinctes ; il veut appliquer au passé la règle adoptée pour l'avenir. Il s'agit ici de dépenses faites, de sommes dues, qui sont à payer. Pour l'avenir l'honorable membre a parfaitement raison ; les allocations pour tout le personnel ayant été transférées an budget, on ne pourra plus faire d'imputation sur les fonds spéciaux pour le personnel définitif des ponts et chaussées. J'ajoute cependant qu'il y aura encore sur les fonds spéciaux, même pour l'avenir, certaines dépenses de personnel, comme celles que j'ai indiquées tout à l'heure, qui sont nécessairement à prélever sur les fonds spéciaux.
L'amendement de l'honorable membre est donc sans objet, il ne peut être adopté sans mettre le gouvernement dans l'impossibilité de payer ses dettes.
M. de Man d’Attenrode. - Puisqu'il s'agit du passé, je retire mon amendement. Mais il bien entendu que les traitements de la campagne qui va s'ouvrir ne pourront être imputés sur les fonds que la chambre va allouer.
- L'article premier est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Cette augmentation de crédit sera prélevée sur les fonds mis à la disposition du gouvernement par la loi du 26 février 1848. »
M. Orban. - Les considérations si vraies qu'a fait valoir l'honorable M. Castiau, et que je me proposais de présenter s'il ne l'avait pas fait lui-même, suffiraient pour déterminer mon vote négatif sur le projet qui vous est soumis. Je dois dire cependant, qu'indépendamment de ces motifs, je ne pourrais dans aucun cas donner mon vote à l'article 2, qui impute sur l'emprunt forcé de 12 millions, voté le 26 février 1848, les deux millions que l'on veut consacrer au canal latéral â. la Meuse.
Il faut que la section centrale, auteur de cette proposition, ait bien perdu de vue l'origine, le caractère et la destination de cet emprunt, pour l'affecter à un semblable usage.
Il est évident que quand nous avons voté à l'unanimité et sans discussion cet emprunt forcé, nous lui assignions dans notre pensée une destination spéciale, dont en aucun cas elle ne pouvait être détournée.
Au surplus, les explications données dans les sections excluaient, de la manière la plus positive, la pensée de consacrer toute une partie de ces fonds à des travaux publics. Le patriotique empressement que le pays a mis à payer cet emprunt extraordinaire prenait sa source dans la même conviction, dans la pensée que ces sommes devaient être exclusivement employées au maintien de notre indépendance et de notre nationalité.
De pareils sentiments devaient être respectés. Il y avait vis-à-vis du pays, vis-à-vis de nous-mêmes, une question de bonne foi. L'on n'eût point dû vous proposer un pareil détournement d'une ressource en quelque sorte sacrée.
Nous sommes à la veille de demander au pays de s'imposer de nouveaux et plus lourds sacrifices. Le gouvernement vous propose un nouvel emprunt de 45 millions. Craignez, messieurs, que l'usage que vous allez faire de l'emprunt de 12 millions n'attiédisse cet empressement patriotique que vous avez rencontré une première fois chez les contribuables.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Je ne comprends pas la chaleur de l’honorable membre à propos de l'article 2 du projet. La section centrale a dit que le crédit sera prélevé sur les fonds qui viennent d'être mis à la disposition du gouvernement ; là-dessus l'honorable membre s’indigne : il prétend que c'est un détournement de fonds ! Il me semble que si on a mis des fonds à la disposition du gouvernement, c'est pour payer ses dettes, c'est pour satisfaire aux diverses obligations qui pèsent à sa charge. Si l'honorable préopinant a un tel effroi de l'article 2, eh ! mon Dieu, qu'on l’efface. Qu'en résultera-t-il ? Que le gouvernement payera avec les fonds qui sont mis à sa disposition. C'est une simple formule, une chose banale. Qu'on dise cela ou qu'on ne le dise pas, du moment que la chambre vote deux millions, il faut qu'ils soient prélevés quelque part, et comme on ne peut les prélever que sur les fonds mis à la disposition du gouvernement, il faut bien les prélever sur les 12 millions.
M. Lesoinne. - Messieurs, il y a des engagements pris pour des travaux faits sur le territoire étranger qu'on ne peut pas laisser plus longtemps en souffrance ; il y a des maisons démolies qui ne sont pas payées ; Maestricht, place de premier rang, a une brèche ouverte ; il est de la loyauté nu gouvernement de remplir des engagements aussi sacrés. La chambre n’hésitera pas à accorder, n'importe sur quels fonds, de quoi satisfaire à ces engagements.
M. Orban. – M. le ministre des travaux publics et, après lui, M. Lesoinne, (page 1090) vous ont dit qu'il y avait des engagements sacrés et qu'il était de toute nécessité que le gouvernement les remplit n'importe avec quels fonds.
Je me permettrai de leur demander à mon tour, s'ils auraient osé proposer à la chambre de voter un emprunt forcé pour satisfaire à ces engagements, pour payer des dépenses auxquelles la chambre n'avait point donné son assentiment et qui, ayant été contractées irrégulièrement, ne peuvent nous lier ; s'ils auraient osé proposer de soumettre le pays à un emprunt forcé « destiné à payer les travaux du canal latéral à la Meuse ». Eh bien, s'il est vrai qu'un pareil motif n'aurait pu être donné au projet sans en compromettre l'adoption, il est tout aussi vrai que vous ne pouvez, après que la chambre a voté de bonne foi, après que le pays a payé de même, lui donner cette destination.
Je dois au surplus relever une erreur grave qui a été commise. Toute la discussion a roulé sur la supposition que les 2 millions demandés étaient destinés à acquitter des obligations auxquelles on ne pouvait pas se soustraire.
Je vais lire l'exposé des motifs et vous verrez que les sommes dépensées et les engagements pris ne s'élèvent qu'à 1,662,391 fr. et non à 2 millions.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - La date ?
M. Orban. - Je suppose que depuis la présentation du projet, en présence des embarras financiers du pays, on n'a pas aggravé la première faute commise en outrepassant de nouveau les crédits votés par la chambre. C'est une supposition que je fais, et j'aime à croire, pour le gouvernement, que c'est une réalité.
Voici au surplus ce que dit l'exposé des motifs :
« Le tableau publié à la suite du présent exposé des motifs (annexe n° 1) établit quelles sont, à la date de ce jour, les sommes payées et les engagements pris, tant en ce qui concerne la partie belge qu’en ce qui concerne la partie néerlandaise du canal latéral à la Meuse.
« Il résulte de ce tableau que les sommes dépensées et les engagements pris dépassent de 1,662,391 fr. 55 c. le montant du crédit de 3,500,000 francs alloué par la loi du 16 mai 1845. »
Il est évident, messieurs, que le motif tiré de la nécessité d'acquitter des engagements pris n'existe pas du moins pour la somme totale portée dans le projet de loi.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - L'honorable membre tombe d'erreur en erreur. Vous avez vu tout à l'heure son indignation mal placée qui maintenant s'est évanouie ; il ne s'agit plus de l'article 2, mais du crédit lui-même ; on ne devrait pas voter deux millions, mais une somme moindre. C'est à la date du 9 juillet 1847 que le tableau a été dressé ; depuis lors on a un peu travaillé, j'imagine, et rien que cela légitimerait la demande d'une somme de deux millions. L'exposé des motifs renvoie au tableau qui y est annexé et qui porte la date du 9 juillet 1847.
Il y a un autre motif : tout est dû ; tout est engagé ; la totalité des travaux est mise en adjudication ; tout n'est pas achevé ; mais il y a obligation d'achever les travaux, d'exécuter le contrat. Les terrains qui devaient être expropriés le sont tous ou à peu près ; il faut également les payer.
Ainsi, ce n'est pas une somme de 2 millions qui pourrait suffire, c'est la totalité du crédit s'élevant à 3,640,000 fr., non pas que ce doive être immédiatement payé, mais au fur et à mesure de l'exécution des travaux.
Quant à présent, une somme de 2 millions n'est trop élevée pour faire face aux obligations.
M. Orban. - J'avais énoncé qu'à la date du 23 février 1848, c'est-à-dire de la présentation du projet de loi, les dépenses faites, les engagements pris s'élevaient non pas à 2 millions, mais à 1,662,000 fr. M. le ministre des travaux publics vient de me répondre que j'avais commis erreur sur erreur.
El il affirme que les dépenses renseignées remonteraient à la présentation de l'état qui est à la suite de l'exposé des motifs, c'est-à-dire au 9 juillet 1847.
Je ne puis que répéter une chose, c'est que l'erreur que m'attribue M. le ministre, c'est lui qui la commet, et pour le prouver je n'ai qu'à vous citer de nouveau l'exposé des motifs présenté par lui-même, et j'y vois : Le tableau publié à la suite du présent exposé des motifs établit qu'elles sont à la date de ce jour les sommes payées et les engagements pris.
Or, la date de ce jour est bien la date de l'exposé des motifs, c'est-à-dire le 23 février 1848. C'est donc évidemment M. le ministre qui se trouve ici dans l'erreur.
M. Malou. - Je crois que l'on peut supprimer l'article 2. Il est inutile dans les circonstances actuelles.
La dépense sera faite avec les fonds qui sont à la disposition du gouvernement, sans qu'il soit nécessaire de les spécifier. Mais je crois utile de faire une réserve contre la doctrine émise par M. le ministre des travaux publics. Parce qu'une adjudication a été faite, il ne s'ensuit pas que le gouvernement ne puisse ralentir ou interrompre les travaux.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Le gouvernement peut rompre le marché en payant à l'entrepreneur le bénéfice qu'il aurait réalisé s'il avait fait l'opération. Personne ne conteste cela. C'est une règle consacrée par le droit civil. Mais la question est de savoir s'il peut être utile de rompre le marché, et si dans un moment où l'on fait de grands efforts pour donner du travail à la classe ouvrière, il convient d'interrompre des travaux commencés.
M. Mercier. - On ne peut supprimer l'article. La loi sur la comptabilité exige que les voies et moyens soient indiqués. Il faut imputer la dépense sur le fonds de 12 millions, ou sur tout autre ; mais il faut indiquer les voies et moyens.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - On peut mettre : « les fonds qui ont été, ou qui seront mis à la disposition du gouvernement ». Cela n'a aucune importance.
- L'article 2 est mis aux voix et adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi ; en voici le résultat :
60 membres sont présents.
5 s'abstiennent.
55 prennent part au vote.
40 votent pour l'adoption.
15 votent contre.
La chambre adopte.
Ont voté pour l'adoption : MM. Lesoinne, Lys, Malou, Mercier, Moreau, Osy, Pirmez, Rousselle, Sigart, Vanden Eynde, Van Huffel, Veydt, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Anspach, Cans, d'Anethan, Dautrebande, David, de Breyne, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de La Coste, Delfosse, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de T'Serclaes, Dolez, Dumont, Fallon, Frère-Orban, Gilson, Huveners, Lange, Lejeune et Liedts.
Ont voté contre : MM. Orban, Thienpont, Tielemans, Van Renynghe, Verhaegen, Biebuyck, Bricourt, Castiau, Clep, de Bonne, de Clippele, de Liedekerke, de Meester, Desaive et Jonet.
Se sont abstenus : MM. T'Kint de Naeyer, de Garcia, de Roo, de Mérode et Eloy de Burdinne.
M. le président. invite les membres qui se sont abstenus à en énoncer les motifs.
M. T'Kint de Naeyer. - Le rejet de la loi serait une injustice ; mais je n'ai pas cru devoir m’associer à ceux qui ont rendu le crédit nécessaire. C'est par ce motif que je me suis abstenu.
M. de Garcia. - J'ai voté pour le projet de loi qui a décrété la construction du canal latéral à la Meuse. Mais je n'y aurais pas donné mon assentiment, si j'avais cru qu'il dût entraîner une dépense de 7 millions. Cependant, je n'ai pas voulu, en refusant le crédit, empêcher le gouvernement de remplir les obligations qu'il a contractées.
M. de Mérode. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs.
M. de Roo. - Je n'ai pas voulu voler pour le projet de loi pour ne pas voter des fonds pour l'exécution de travaux à faire à l'étranger, par l'étranger, à des prix exorbitants, tandis que nos ouvriers manquent d'ouvrage. Je n'ai pas voté contre, parce qu'il y a engagement pris et que le blâme ne peut retomber sur l'entrepreneur, mais sur l'ingénieur qui a fait un devis trompeur.
M. Eloy de Burdinne. - Je me suis abstenu, lors du vote du projet de loi qui a décrété ce canal. J'en ai indiqué les motifs. Je m'abstiens aujourd’hui par les mêmes motifs.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer :
1° Un projet de loi ayant pour objet d'ouvrir au département des travaux publics des crédits complémentaires 1° pour la première section du canal de Zelzaete ; 2° pour le canal de la Campine ; 3° pour le réendiguement du polder de Lillo. Ces trois crédits s'élèvent à 266,000 fr. ;
2° Un projet de loi ayant pour objet d'ouvrir au département des travaux publics un crédit supplémentaire de 1,252,775 fr. 75 c, pour solder les dépenses arriérées de l'exercice 1847 et années antérieures ;
3° Un projet de loi ayant pour objet d'ouvrir au département des travaux publics un crédit de 1,668,000 fr., pour continuation des travaux de construction du canal de Deynze à Schipdonck et de la deuxième section du canal de Zelzaete à la mer du Nord ; »
4° Un projet ayant pour objet d'allouer au département des travaux publics :
B. Un crédit complémentaire de 1,564,544 fr. 87 c, pour insuffisance de fonds spéciaux mis à la disposition du département des travaux publics ;
A . D'autoriser le département des travaux publics à mettre en adjudication divers travaux et fournitures pour le chemin de fer, s'élevant à une somme de 7,012,846 fr. 10 c, afin de venir en aide aux industries et aux ouvriers qui sont sans travail.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi.
La chambre en ordonne l'impression, la distribution et le renvoi aux sections.
La séance est levée à 4 heures et demie.