(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 942) M. de Villegas fait l'appel nominal à 2 heures 1/4 et lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée. Il présente ensuite l'analyse des pièces adressées à la chambre.
Par divers messages, en date du 28 février, le sénat informe la chambre qu'il a adopté :
1° le projet de loi ouvrant au département des travaux publics un crédit supplémentaire de l,300,000 fr. ;
2° le projet de loi ouvrant au même département un crédit complémentaire de 163,652 fr. 53 c. ;
3° le projet de loi ouvrant au même département un crédit complémentaire de 187,162 fr. 56 c ;
4° le projet de loi autorisant le gouvernement à rembourser à la compagnie concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg une partie de son cautionnement.
- Pris pour notification.
M. Maertens dépose divers projets de lois tendant à accorder la naturalisation ordinaire à des personnes dont les demandes ont été prises en considération par les deux chambres.
- Ces projets de lois seront imprimés et distribués. La chambre fixera ultérieurement le jour de la discussion.
M. le président. - M. le ministre ne s'étant pas rallié aux amendements de la section centrale, la discussion s'ouvrira sur le projet du gouvernement. Le nouveau projet du gouvernement a été distribué hier.
- Personne n'ayant demandé la parole sur l'ensemble du projet, la chambre passe à la discussion des articles.
« Art. 1er. Les dépôts de mendicité continueront à recevoir, conformément aux lois en vigueur, les individus condamnés du chef de mendicité ou de vagabondage, à l'expiration de leur peine.
« Quant aux individus non condamnés, qui se présenteraient volontairement aux dépôts, ils n'y seront admis à l'avenir que pour autant qu'ils soient munis de l'autorisation, soit du collège des bourgmestre et échevins du lieu de leur domicile, soit du collège des bourgmestre et échevins de la localité où ils se trouvent ou dans laquelle ils ont leur résidence.
« Les articles 14,15, 16 et 17 de la loi du 18 février 1845 sont applicables à cette catégorie d'indigents ; en cas de refus non fondé de l'administration communale, l'autorisation pourra être accordée par la députation permanente, et, s'il y a urgence, par le gouverneur de la province ou le commissaire de l'arrondissement, auquel ressortit le lieu du domicile de secours des indigents, celui de leur résidence ou la localité dans laquelle ils se trouvent.
« L'autorisation accordée d'urgence par le gouverneur ou par le commissaire d'arrondissement sera soumise à la députation permanente lors de sa première réunion. »
La section centrale avait proposé la disposition suivante :
« Article premier. Il sera créé par le gouvernement un établissement destiné à recevoir :
« 1° Les jeunes gens âgés de moins de 18 ans, condamnés, du chef de mendicité ou de vagabondage, à l'expiration de leur peine.
« 2° Les jeunes gens non condamnés, qui se présenteront volontairement, munis de l'autorisation, soit du collège des bourgmestre et échevins du lieu de leur domicile de secours, soit du collège des bourgmestre et échevins de la localité où ils se trouvent ou dans laquelle ils ont leur résidence.
« Les articles 14, 15, 16 et 17 de la loi du 18 février 1845 sont applicables à cette catégorie d'indigents. »
M. d'Anethan. - Messieurs, les amendements qui ont été présentés par le gouvernement reproduisent en grande partie le projet primitif. La section centrale avait modifié profondément ce qui avait été proposé. D'abord, la section centrale sans introduire des modifications dans le régime actuel des dépôts de mendicité, sauf en ce qui concerne les entrées et les sorties, voulait uniquement la création d'un dépôt spécial pour les jeunes gens âgés de moins de 18 ans. La section centrale laissait donc subsister ce qui existe maintenant et ce qui me paraît ne pas pouvoir être admis sans maintenir en même temps les graves inconvénients qui avaient engagé le gouvernement à proposer la réforme des dépôts de mendicité.
Les amendements du ministère actuel ont rendu, je le répète, en grande partie au projet primitif toute sa portée ; on va même plus loin, en ce sens qu'on propose dès maintenant la réforme des dépôts existants. Ainsi, d'après le projet primitif, le régime actuel des dépôts était maintenu, mais on se réservait d'organiser ultérieurement, et lorsque les circonstances l'auraient permis, les nouveaux dépôts, qui auraient été agricoles.
D'après le projet nouveau, le régime de tous les dépôts sera modifié ; mais la création des dépôts agricoles n'aura lieu que pour les jeunes gents.
J'ai vu avec plaisir que le ministre actuel de la justice avait apprécié, comme ses prédécesseurs, les inconvénients que produisait le régime actuel, et qu'il ait pensé que le moment était venu de les faire cesser.
Quant à la partie de la proposition primitive, concernant les dépôts agricoles, et qui est partiellement abandonnée par le gouvernement, je regrette peu cet abandon : l'expérience apprendra bientôt que ces dépôts doivent produire les plus heureux résultats, et je suis intimement convaincu que le gouvernement viendra proposer de modifier également le régime de ces dépôts en les rendant agricoles, et que la chambre n'hésitera pas alors à se ranger à l'avis du gouvernement.
Ainsi, d'une manière générale, sauf quelques observations de détail, je donne mon adhésion au projet du gouvernement.
Je présenterai maintenant quelques observations sur l'article premier.
Je commencerai par demander à M. le ministre de la justice s'il n'y a pas une omission dans le paragraphe 2 de cet article. Ce paragraphe porte :
(page 943) « Quant aux individu» non condamnés, qui se présenteraient volontairement aux dépôts, ils n'y seront admis à l'avenir, que pour autant qu'ils soient munis de l'autorisation, soit du collège des bourgmestre et échevins du lieu de leur domicile, soit du collège des bourgmestre et échevins de la localité où ils se trouvent ou dans laquelle ils ont leur résidence. »
Je pense qu'au lieu de leur domicile il fallait dire leur domicile de secours ; car si c'était leur domicile, il serait facile d'établir que c'est une base tout à fait fausse et qui n'est pas en concordance avec les autres dispositions de la loi. En effet il ne peut s'agir ici du domicile légal ; ce domicile, quant à la question, est parfaitement indifférent, il s'agit du domicile de secours qui seul impose des obligations aux communes.
Je pense que M. le ministre sera d'accord avec moi et qu'il reconnaître qu'il faut substituer au mot domicile les mots domicile de secours, et je proposerai ou M. le ministre proposera lui-même de rétablir les mots : domicile de secours.
L'article premier s'occupe d'abord des individus condamnés du chef de mendicité et de vagabondage ; le paragraphe premier porte : « Les dépôts de mendicité continueront à recevoir, conformément aux lois en vigueur, les individus condamnés du chef de mendicité ou de vagabondage, à l'expiration de leur peine. »
Je me demande pourquoi l'on n'a pas suivi dans l'article premier ce qui avait été proposé dans l'article premier du projet primiif ; cet article portait :
« Il sera créé par le gouvernement des établissements destinés à recevoir :
« 1° Les individus condamnés du chef de mendicité ou de vagabondage à l'expiration de leur peine ;
« 2° Les individus non condamnés qui se présenteront volontairement, munis de l'autorisation du collège. »
Il me semble que cette rédaction était meilleure, plus simple, n'avait pas recours à deux locutions différentes pour appliquer le même principe.
Pourquoi dire d'abord : « Les dépôts de mendicité continueront à recevoir, conformément aux lois en vigueur, les individus condamnés du chef de mendicité ou de vagabondage à l'expiration de leur peine » ; et, passant ensuite à une autre catégorie, se servir des termes suivants :
« Quant aux individus non condamnés qui se présenteraient volontairement aux dépôts, ils n'y seront admis à l'avenir que pour autant qu'ils soient munis de l'autorisation du collège. »
Il me semble que le langage légal aurait été mieux observé si l'article avait été conçu en ces termes : « Les dépôts recevront 10 tels individus ; 2° tels autres » ; c'est, du reste, une simple observation de rédaction, mais il me semble qu'on n'a pas été heureux eu changeant la rédaction primitive.
J'ai maintenant une autre question à adresser à M. le ministre de la justice ; elle concerne l'article premier. Cet article porte : « Les dépôts de mendicité continueront à recevoir tels et tels individus. » D'après le décret de 1808, l'arrêté organique des dépôts de mendicité de 1825, l'arrêté du régent de 1831, le gouvernement s'était toujours cru autorisé à supprimer les dépôts quand ils n'étaient plus nécessaires. Je me demande si, par l'article premier de la loi, nous ne consacrons pas d'une manière définitive l'existence légale des dépôts existants ; et si dès lors le gouvernement se croira encore en droit de supprimer des dépôts actuellement existants et qui plus tard ne seraient plus jugés nécessaires. Il est à espérer que la loi nouvelle aura pour effet de réduire la population des dépôts actuels.
Il est donc important de se fixer sur la question que je soulève et de décider si l'article premier de la loi qui nous est soumise ne sera pas un obstacle à la suppression des dépôts jugés inutiles.
J'ai une autre question sur laquelle je pense que c'est ici le lieu de dire un mot ; je veux parler de la qualité de personne civile des dépôts de mendicité.
Certains conseils d'inspection de dépôts de mendicité ont pensé que ces dépôts avaient la personnification civile et par suite le droit d'acquérir. D'autres autorités au contraire sont d'avis que ces institutions n'existent pas par elles-mêmes, qu'elles dépendent entièrement soit de la province, soit de l'Etat, et qu'ainsi elles ne peuvent rien acquérir en propre. Je désirerais savoir quelle est à cet égard l'opinion du gouvernement ; car cela peut avoir une grande importance relativement aux dispositions à faire en faveur de ces établissements. Je désirerais donc savoir si l'on considère les dépôts de mendicité comme des personnes civiles pouvant acquérir une propriété ne reposant pas sur le chef de la province ou de l'Etat.
J'ai une dernière observation à présenter. L'autorisation doit être accordée par les différentes administrations énumérées dans le paragraphe 2 de l'article premier.
Je ne pense pas que l'on contestera combien sont utiles ces autorisations.
Je ne pense pas que l'on contestera qu'il est important de laisser à la députation permanente et au gouverneur, en cas de nécessité, la faculté d'accorder de semblables autorisations, car si on ne leur accordait pas cette faculté, il en résulterait souvent que l'administration communale, dans l'espoir d'échapper à des frais souvent considérables, refuserait l'autorisation voulue, et par ce refus entretiendrait la mendicité dans la commune.
Cette faculté d'autorisation, proposée d'abord par le gouvernement et rejetée par la section centrale, me paraît indispensable pour assurer la bonne exécution de la loi. Mais dans les amendements qui ont été distribués, on accorde ce droit de donner l'autorisation, en cas de refus non fondé de l'administration communale, non seulement au gouverneur, mais encore au commissaire d'arrondissement ; j'avoue que j'aurai quelque peine à me rallier à cet amendement.
En effet, le commissaire d'arrondissement, dans beaucoup de localités, est et doit rester complètement étranger à l'administration locale. Or, un commissaire d'arrondissement, accordant une autorisation, parce que le refus de l'administration locale ne lui paraîtrait pas fondé, exercerait un contrôle sur une administration avec laquelle il n'a aucun rapport.
Je conçois que l'on puisse conférer ce droit au commissaire d'arrondissement à l'égard des communes placées sous sa surveillance ; mais dans les communes où le commissaire d'arrondissement n'a rien à faire, je ne conçois pas qu'on lui donnât le droit d'imposer à l'administration communale une charge malgré cette administration. Le droit accordé au gouverneur suffit ; jamais il n'y aura assez d'urgence pour qu'il soit nécessaire de recourir au commissaire d'arrondissement. Veuillez remarquer, messieurs, que comme il s'agit d'une charge à imposer à la commune, on doit être très prudent et très réservé. Que la députation permanente qui exerce une surveillance sur les administrations communales accorde l'autorisation, il n'en résultera aucun inconvénient. J'admets que dans les cas d'urgence sur lesquels la députation ne pourrait assez tôt statuer, on ait recours au gouvernement ; mais je n'admets pas qu'on permette au commissaire d'arrondissement d'imposer une charge souvent très lourde aux communes, du moins à celles sur lesquelles il n'exerce aucune surveillance.
Je pense donc, messieurs, à moins que le contraire ne me soit démontré par la discussion, qu'il y aurait lieu de s'en tenir au projet primitif et de supprimer la mention du commissaire d'arrondissement qui, dans tous les cas, et cela est bien évident, devrait être restreinte a certaines localités.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je reconnais d'abord avec l'honorable préopinant que dans le deuxième paragraphe.il faut remplacer le mot domicile par ceux de domicile de secours. Cela ne peut être entendu dans un sens différent.
Je ferai aussi observer qu'il y a, au troisième paragraphe, une faute d'impression, en ce que, après les mots : catégorie d'indigents, il faut aller à la ligne et commencer un nouveau paragraphe par les mots : en cas de refus, etc.
L'honorable M. d'Anethan a demandé si l'article premier du projet amendé ne serait pas un obstacle à ce que le gouvernement pût désormais supprimer les dépôts de mendicité, lorsqu'il jugerait que ces dépôts ne sont plus nécessaires. Messieurs, je ne le pense en aucune manière. L'article réglemente les dépôts de mendicité, mais pour autant que ces dépôts existent, pour autant que la nécessité de leur existence ait été reconnue par le gouvernement. Mais dès lors qu'il sera reconnu qu'ils ne sont plus nécessaires, le gouvernement conservera certainement le droit de les supprimer, droit qui lui appartient en vertu du décret de 1808. C'est, au surplus, l'opinion de l'honorable M. d'Anethan lui-même, et je crois que cela ne peut souffrir aucune difficulté.
L'honorable préopinant a demandé aussi si les dépôts de mendicité avaient la personnification civile et s'ils étaient habiles à acquérir ou recevoir par donation ou testament.
Je ne connais au moins aucune loi qui donne à ces établissements la personnification civile. Or, sous l'empire de notre législation, la personnification civile doit résulter de la loi. C'est un bénéfice, un privilège de la loi, et il n'en existe aucune qui accorde ce privilège aux dépôts de mendicité. Si quelque donation, quelque disposition testamentaire était faite au profit de ces établissements, ce seraient, sans doute, les administrations du bureau de bienfaisance ou les conseils généraux des hospices qui devraient accepter ces libéralités, sauf à en employer le revenu suivant l'intention des donateurs ou des testateurs.
L'honorable préopinant critique les dispositions de cet article qui autorisent les commissaires d'arrondissements, en cas d'urgence, à donner à l'indigent l'autorisation d'admission aux dépôts de mendicité.
Messieurs, il nous a paru que, par cela même que le gouverneur de la province était autorisé à donner cette autorisation, les commissaires d'arrondissement, qui sont ses délégués dans les arrondissements administratifs de la province, devaient avoir la même autorisation, et que l'on ne pouvait pas obliger un indigent qui aurait à se plaindre de la décision d'une administration communale, à se rendre au chef-lieu de la province, alors qu'il lui serait plus commode d'aller trouver le commissaire d'arrondissement.
Au surplus, vous voyez par le dernier paragraphe de cet article que cette autorisation ne préjuge rien, puisqu'elle doit être soumise à la députation lors de sa première réunion. Il nous semble donc qu'il n'y aucun inconvénient à autoriser le commissaire d'arrondissement, ainsi que le gouverneur, à accorder provisoirement de semblables autorisations.
Messieurs, le projet primitif du gouvernement présentait une réforme infiniment plus large, plus grandiose que celle que nous proposons aujourd'hui. Il créait différents dépôts de mendicité qui auraient été sous l'administration du gouvernement et qui devaient remplacer successivement les dépôts actuels. Nous n'abandonnons point ce projet ; nous espérons qu'il pourra se réaliser un jour ; nous espérons même que ce jour n'est pas éloigné ; mais, pour le moment, nous croyons qu'il est préférable de procéder graduellement, de ne faire qu'un essai, et nous (page 944) sommes persuadés que l'expérience que nous acquerrons par cet essai prouvera bientôt que nous pouvons nous avancer franchement dans cette voie de réforme de nos dépôts de .mendicité.
Sur ce point le gouvernement est d'accord avec la section centrale, qui propose de créer d'abord un établissement pour les jeunes gens du sexe masculin ; mais nous différons avec elle sur un point assez essentiel, c'est relativement à l'opportunité d'étendre la mesure aux jeunes filles ; à cet égard la section centrale s'est bornée à déclarer que cette idée n'a point prévalu, parce qu'il y a moins de facilité d'appliquer les filles aux travaux de l'agriculture et que, par conséquent, l'expérience que l'on désire acquérir, pour la réorganisation générale des dépôts, n'y aurait .rien gagné ; mais, messieurs, dans la pensée même de la section centrale, l'établissement qu'elle propose de créer pour les jeunes garçons n'aurait pas seulement pour but de faire une expérience mauvaise et avant tout de les soustraire aux abus et aux inconvénients du régime actuel des dépôts.
« Il est superflu, dit-elle, d'insister de nouveau sur l'urgence de soustraire, cette classe si intéressante de reclus aux influences délétères des dépôts actuels, dont le séjour leur est aussi funeste au physique qu'au moral. Perdus pour ainsi dire au milieu d'une population nombreuse, dont la surveillance est plus soignée à cause des dangers immédiats qu'elle tend à prévenir, ils sont loin d'obtenir la part de sollicitude qui leur revient. Ainsi, dans certains établissements, ils couchent deux dans le même lit, ce qui est formellement interdit par l'arrêté du 27 octobre 1808. Ainsi encore le scorbut et d'autres maladies causées par le régime font des ravages parmi eux.
« Leur séjour au dépôt ne peut rien pour leur amendement, à cause du contact des adultes. Il fait peu de chose pour qu'ils deviennent des citoyens utiles et de bons ouvriers, »
Messieurs, pour quiconque connaît le régime intérieur de nos dépôts de .mendicité, il est évident que ces motifs de la section centrale s'appliquent aux jeunes filles comme aux jeunes garçons, reclus dans ces établissements ; il est évident que la position et l'avenir des uns et des autres sont égarement compromis, on pourrait même affirmer que d'intérêt bien entendu des jeunes filles exige plus impérieusement encore l'application immédiate des réformes proposées. Que peuvent-elles devenir, que deviennent-elles ; en effet, à la sortie des dépôts ? Elles sont frappées d'une sorte de flétrissure et de réprobation ; presque toutes les voies de placement avantageux leur sont fermées et elles n'ont trop souvent pour unique ressource que la mendicité et la prostitution, ou bien de rentrer volontairement dans le dépôt de mendicité où se sont écoulées leurs premières années.
« Au point de vue de l’expérience nécessaire pour éclairer et préparer la voie aux réformes futures, il n'est pas moins utile d'essayer l'application des jeunes filles aux occupations rurales. On a reconnu depuis longtemps que leur emploi exclusif aux travaux manufacturiers présentait de graves inconvénients : beaucoup d'entre elles, qui appartiennent à la population des campagnes, deviennent impropres au genre de vie qui caractérise cette population ; vouées à des occupations exclusivement sédentaires, elles perdent la force d'activité, les habitudes qui peuvent seules plus tard faciliter leur placement avantageux ; accoutumées à l'air des champs, elle s'étiolent et voient s'altérer leur santé dans des ateliers où on les tient pressées, penchées depuis le matin jusqu'au .soir sur un ouvrage qui ne peut leur être d'aucune utilité à l'époque de leur sortie. C'est surtout en faveur de cette classe de jeunes filles, d'autant plus dignes de sollicitude que ses intérêts sont plus négligés, que le gouvernement avait proposé d'institution d'une école de réforme renfermant différents ateliers d’apprentissage de métiers ; appropriés à leur sexe et susceptibles d'être exercés dans les communes et les exploitations rurales, et où l'exercice de ces métiers aurait été combiné avec les travaux de campagne, la culture du potager, le sarclage, la fenaison, les soins de l'étable, de la laiterie et de la basse-cour. En insistant pour qu'on n'exclue pas les jeunes filles du bénéfice d'un essai qui seul peut les soustraire aux abus dont elles sont aujourd'hui victimes, le gouvernement croit remplir un devoir d'humanité et poser un acte de bonne administration. »
La législature doit d'autant moins reculer devant la dépense de la création de ce dépôt pour les jeunes filles que cette dépense sera fort peu élevée. En effet, des évaluations que nous avons lieu de croire exactes ne portent qu’à 150,000 fr. tous les frais d'établissement du dépôt des filles, et à 450,000 fr. ceux du dépôt des garçons, de sorte qu'avec une somma totale de 600,000 fr. les deux dépôts pourront complètement être établis.
Je ferai observer que la population des jeunes gens de moins de 18 ans, qui se trouvait dans nos dépôts de mendicité au 1er janvier dernier, était de 1,096 individus. Il y a une progression réellement effrayante dans le nombre des reclus de cette catégorie, et il importe, d'y remédier au plus tôt.
J'espère donc que la législature n'hésitera pas à accepter la proposition du gouvernement quant à l'établissement de ce deuxième dépôt. C'est, comme je l'ai dit, le seul point sur lequel nous différions avec la section centrale, car elle est d'accord avec nous pour ce qui concerne le dépôt de jeunes garçons. Elle a pensé qu'on pourrait tarder à créer celui pour les jeunes filles, parce que plus tard il serait possible de le placer dans l'un ou l'autre des dépôts actuels ; mais je ferai observer que, les établissements actuels, si uni jour nous pouvons les supprimer, ne pourront plus servir comme dépôt de mendicité parce que à l'exception de ceux de Hoogstraeten et de Reckheim, ils sont trop rapprochés des villes et qu'il est .généralement reconnu que ces sortes d'asiles doivent être éloignés des centres de population afin d'en rendre l'accès plus difficile qu'il ne l'est aujourd'hui.
M. Dedecker. - Messieurs, le rapporteur primitif de la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur les dépôts de mendicité, ne faisant plus partie de la chambre, le bureau m'a fait l'honneur de me charger de représenter cette section centrale dans la discussion. C'est à ce titre que je demande à présenter quelques observations sur le projet de loi soumis à vos débats.
Messieurs, le projet de loi que nous discutons contient deux parties essentiellement distinctes : d'abord la réforme des dépôts de mendicité actuellement existants, ensuite le complément de ce système par la création de dépôts agricoles pour enfants. La création des dépôts agricoles pour jeunes mendiants et vagabonds a été proposée successivement par les auteurs du projet primitif, par la section centrale et par le ministère actuel, et je ne pense pas qu'il puisse y avoir un instant de doute sur la nécessité d'admettre les vues des auteurs du projet relativement à ces dépôts ; ; je ne crains même pas de déclarer que c'est là la portée la plus efficace, si pas la seule efficace, pour la répression de la mendicité dans l'avenir. Il est évident, messieurs, que c'est de l'enfance qu'il faut surtout se préoccuper parce que là l'habitude de la mendicité n'a pas encore été prise, et qu'on peut la prévenir par une éducation morale et une instruction professionnelle.
J'approuve, messieurs, la proposition faite par le ministère d'établir deux dépôts plutôt qu'un seul, comme l'avait proposé la section centrale. La mesure ainsi complétée n'en sera que meilleure.
J'arrive à ce qui constitue l'essence de l'article premier, c'est-à-dire-à la réforme des dépôts de mendicité actuels.
L'ancien ministère, auteur du premier projet, avait proposé d'ajouter deux nouveaux dépôts aux cinq dépôts qui existent aujourd'hui. Je crois' avec M. le ministre de la justice que les circonstances ne permettent pas de songer à l'extension du système actuel des dépôts de mendicité. Je crois aussi qu'il convient de se borner aux cinq établissements existants, il peut y avoir de graves inconvénients à trop multiplier les institutions de ce genre. D'abord, il faut prendre garde de ne pas obérer l'Etat, surtout dans la situation actuelle de nos finances. Il faut éviter aussi de trop briser les liens de famille : aujourd'hui, les mendiants, dans les dépôts, sont séparés de leur famille ; c'est un grand inconvénient, au point de vue de l'esprit de famille. Enfin, il ne faut pas multiplier ces établissements outre mesure, parce qu'il ne faut pas trop étendre le travail industriel, le travail privilégié auquel on s'y livre. A ces divers égards, j'approuve le ministère actuel de s'être borné au maintien des établissements actuellement existants.
Mais je regrette que le ministère actuel, pas plus que celui de M. d'Anethan n'ait songé à faire disparaître ce que je considère comme le vice radical des dépôts qui existent aujourd'hui. Ce vice, c'est la confusion entre les mendiants condamnés et ceux qui se présentent volontairement ; Cette confusion, qui est déplorée par tous ceux qui se sont occupés de la matière, provient de ce qu'on n'a pas distingué les différentes catégories de mendiants. Et cependant cette distinction est essentielle.
En effet, parmi ces mendiants, il y en a qui ne le sont qu'accidentellement, par suite d'un malheur arrivé dans leur famille, par une interruption momentanée de travail. Il est évident qu'il ne faut pas confondre ces mendiants, bien intentionnés du reste, avec les mendiants par habitude, par fainéantise, que les tribunaux ont condamnés pour cause de vagabondage.
Eh bien, le tort de M. le ministre de la justice actuel, le tort de son prédécesseur, est de n'avoir pas fait cette distinction si naturelle entre ces deux sortes de mendiants. Je crois qu'il serait nécessaire de la faire ; et partant de là, il faudrait créer, pour ces deux sortes d'indigents, deux genres d'établissements ; d'abord, il faudrait créer dans les cantons ruraux des établissements que j'appellerai du premier degré, où les indigents momentanément inoccupés trouveraient un travail libre et volontaire ; il faudrait ensuite réserver exclusivement les dépôts actuels comme institutions de répression pour les mendiants condamnés.
Sans cette distinction, l'absence de caractère qu'on a remarquée jusqu'ici dans les dépôts de mendicité, se fera sentir encore à l'avenir. On ne sait pas s'ils constituent une faveur ou une punition. Eh bien, les établissements des deux degrés que j'ai en vue auraient un caractère distinct et un régime distinct ; ils seraient considérés, le premier, comme un bienfait, et l'autre, comme une punition.
Ces établissements du premier degré existent déjà dans la plupart des villes et surtout des villes industrielles. Là on a ouvert des ateliers de charité aux pauvres ouvrières momentanément sans ouvrage ; on n'est donc pas dès lors obligé de les envoyer de prime abord au dépôt de mendicité. Ces ateliers de charité répondent à un ordre de besoins qu'il ne faut pas confondre avec ceux auxquels il est pourvu par les dépôts de mendicité.
Je voudrais qu'on parvînt à créer dans les campagnes, et aux frais des communes, des établissements agricoles, semblables aux ateliers de travail industriel existant dans les villes. Cela pourrait se faire à peu de frais ; car dans la plupart des cantons ruraux, il existe des fermes qui sont la propriété des hospices ; on pourrait facilement consacrer ces fermes à créer des dépôts agricoles où les ouvriers indigents, (page 945) momentanément sans ouvrage, trouveraient du travail sans réclusion, sans séquestration de leurs familles ; de cette manière on ne serait obligé de les envoyer à l'un des dépôts actuellement existants qu'en cas de manque absolu de travail, ou de fainéantise invétérée.
Je reconnais qu'il est impossible de créer dans le moment actuel ces établissements agricoles du premier degré, et c'est uniquement à cause de cette impossibilité que je voterai pour l'article premier, qui consacre encore la confusion des mendiants volontaires avec les mendiants condamnés.
J'engage le gouvernement à créer ; dans l'avenir, deux espèces d’établissements sur les bases de cette distinction que je crois rationnelle et dont l’utilité est, d'ailleurs, reconnue par tous ceux qui se sont occupés de la matière du paupérisme.
M. d'Anethan. - Messieurs, la question que j'avais l'honneur de poser à M. le ministre de la justice, relativement à la personnification civile des dépôts de mendicité, doit recevoir une solution, à cause des difficultés qui se sont présentées, à diverses reprises, entre le gouvernement et les provinces. Cette difficulté a été soulevée à l'occasion de l'arrêté du 29 août 1833, arrêté sur lequel les dépôts de mendicité se fondent pour soutenir qu'ils ont la personnification civile et peuvent acquérir. L'article 13 de cet arrêté porte :
« Au profit du fonds à créer en vertu de l'article 10, pourra également être reçu, conformément aux articles 910 et 937 du Code civil, toute libéralité que des personnes charitables feraient, par acte entre-vifs ou de dernière volonté, dans le but de coopérer à l'extinction de la mendicité. »
Ainsi, dans l'arrêté du 29 août 1833, on semblait avoir déposé le principe de la personnification civile, puisqu'on considérait ces établissements comme pouvant invoquer les dispositions des articles 910 et 937 du Code civil. Il me semble donc que c'est le moment de se mettre d'accord sur la question. Du reste, je pense avec M. le ministre de la justice qu'elle doit être résolue dans le sens négatif.
Maintenant, je reviens à l'observation que j'avais faite relativement aux commissaires d'arrondissement. M. le ministre de la justice me répond que ces fonctionnaires étant placés dans l'ordre hiérarchique immédiatement après les gouverneurs,, il a paru naturel de laisser au commissaire d'arrondissement la même faculté qu'au gouverneur pour le cas où celui-ci n'en aurait pas usé.
Mais M. le ministre en répondant ainsi a négligé la partie la plus essentielle de mon argument, la partie relative aux relations qui existent entre le commissaire d'arrondissement et l'administration communale. J'avais dit que je ne pouvais pas admettre qu'un commissaire d'arrondissement qui n'avait rien à voir dans l'administration de certaines communes, qui n'avait aucun contrôle, aucune surveillance à exercer, pût de son autorité, même momentanément, imposer une charge à ces mêmes communes. Dans ces cas, comment le commissaire d'arrondissement peut-il connaître les ressources de la commune, les moyens et les relations de l'indigent auquel il faudrait appliquer la mesure. Pour ne pas déroger à la loi provinciale, il ne faudrait donc pas accorder sans limite au commissaire d'arrondissement la faculté que le gouvernement veut lui conférer. Mais si le gouvernement pense que cette faculté, bien que la section centrale l'ait refusée même au gouverneur, est nécessaire, je proposerai un amendement consistante rayer le mot commissaire d'arrondissement du paragraphe 3, et à ajouter un paragraphe spécial ainsi conçu :
Le commissaire d'arrondissement aura la même faculté pour les villes et communes rurales d'une population inférieure à 5 mille âmes.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - C'est ainsi entendu.
M. d'Anethan. - Je me félicite d'être d'accord avec M. le ministre de la justice.
Je réponds un mot à l'honorable M. Dedecker. L'honorable membre a reproché à l’organisation des dépôts, telle qu'elle avait été conçue par l’ancien cabinet, de détruire l'esprit de famille. Je ne comprends pas cette crainte de la part de l'honorable membre, quand, d'un autre côté, il appuie spécialement la disposition qui devrait surtout détruire cet esprit de famille, en séparant l'enfant de ses parents. L'honorable M. Dedecker reconnaît, en effet, la nécessité d'avoir des établissements distincts pour les jeunes gens et pour les enfants, où nécessairement ces jeunes gens et ces enfants seront éloignés de leur famille. Ainsi, ou la critique qu'a faite du projet primitif mon honorable ami n'est pas fondée, ou ii doit retirer l'approbation qu'il donne à la création de dépôts spéciaux pour les jeunes gens. En effet, que les parents restent aux dépôts primitifs ou soient placés dans des dépôts agricoles, c'est toujours la même séparation. Dès lors, je comprends difficilement la critique de mon honorable ami.
L'honorable M. Dedecker félicitait tout à l'heure le gouvernement d'avoir diminué la portée du projet primitif. Il disait que dans les circonstances actuelles, il était impossible d'aller aussi loin que le demandait l'année dernière le gouvernement. Pour prouver que nous allions trop loin, il vous lisait une partie de l'exposé des motifs, page 4. Je regrette qu'il se soit arrêté dans la lecture qu'il a faite, qu'il ne soit pas allé un peu plus loin ; en complétant sa lecture il aurait ajouté les paroles suivantes tirées du même exposé :
« Mais une réorganisation sur ce pied serait impossible à cause des dépenses qu'elle entraînerait pour les provinces et les communes. Le gouvernement ne pouvait donc s'y arrêter. »
M. le président. - Je prie M. d'Anethan de me permettre de donner un instant la parole à M. le ministre de l'intérieur pour une communication du gouvernement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, comme conséquence du projet de loi que j'ai eu l'honneur de déposer hier par ordre du Roi, j'ai l'honneur de déposer un nouveau projet de loi.
(M. le ministre donne lecture de ce projet de loi.)
Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du. projet dont il vient de donner lecture. Ce projet sera imprimé, distribué et renvoyé à l'examen des sections.
M. le président. - La parole est continuée à M. d'Anethan.
M. d'Anethan. - Ainsi, messieurs, d'après ce que je viens de vous lire, il ne s'agissait pas de neuf dépôts, comme l'a dit l'honorable M. Dedecker, mais seulement de quatre.
L'honorable membre a également dit qu'il déplorait la confusion qui existait dans les dépôts actuels entre les indigents entrés volontairement et les mendiants d'habitude condamnés du chef de mendicité.
Messieurs, je suis parfaitement d'accord avec l'honorable membre sur les inconvénients qui existent maintenant ; c'était pour les faire cesser que le projet de loi vous avait été présenté ; aussi l'article 2 du projet primitif portait-il : « Ces établissements seront, autant que possible, affectés chacun à une catégorie distincte d'indigents. »
Or, ces catégories étaient les catégories dont a parlé l’honorable M. Dedecker. Ainsi, si ‘on avait adopté le projet primitif avec l’extension qu’il aurait comportée, lorsque les circonstances l’auraient permis, nous aurions eu la classification que désire l'honorable membre.
L'intention du gouvernement est encore, je pense, d'opérer autant que possible cette classification, dont le germe existe déjà dans l'arrêté de 1835, contresigné par l'honorable M. Lebeau.
L'honorable membre voudrait quelque chose de plus, il voudrait des établissements de bienfaisance qui empêchassent les mendiants d'entrer de prime abord dans les dépôts, des établissements où l'on pût obtenir du travail sans réclusion. Il cite des grandes villes où il existe de semblables ateliers de travail ou de charité, messieurs, c'est une grande question que celle de savoir si des ateliers de travail, de charité sont un bien.
L'honorable membre me dit : Des établissements agricoles.
Quant à ces établissements, l'expérience n'a pas encore été faite. Toutefois je doute qu'ils ne présentent pas aussi des inconvénients sérieux. Mais l'honorable M. Dedecker a fait allusion à ce qui existe dans plusieurs de nos villes, qui renferment des ateliers de charité où les ouvriers sans ouvrage peuvent chercher du travail. Je crois qu'il y aurait un grand danger à ce que de tels établissements fussent fondés par l'Etat ; ils ôteraient à l'ouvrier toute prévoyance ; ils lui donneraient la conviction qu'il ne doit pas se préoccuper de son avenir, puisqu'il serait toujours sûr de trouver du travail et du pain dans ces établissements ; ce résultat serait évidemment contraire à celui que se propose l'honorable membre.
Du reste, cette idée n'est pas neuve ; déjà l'an II de la république française on a essayé de la mettre en pratique. A cette époque, on a créé des travaux de secours ; mais on a été forcé de recourir, très peu de temps après, aux dépôts de mendicité, parce qu'il est de ces natures rebelles, de ces natures paresseuses, auxquelles on offre en vain du travail et des moyens de gagner la vie.
On avait déjà si bien senti en l'an II qu'à côté du travail offert, il fallait une répression, que la menace de la prison accompagnait l'offre du travail. Au lieu d'avoir 4 ou 5 mille reclus dans les dépôts de mendicité, nous aurions le même nombre d'individus détenus dans les prisons. Je ne pense pas qu'il y eût à cela le moindre avantage. Je crois qu'il est plus sage de faire ce qui a été fait jusqu'à présent et d'améliorer autant que possible les institutions existantes.
M. Rodenbach. - Je donnerai mon assentiment à l'article premier de la loi que nous discutons. Le grand vice administratif des dépôts de mendicité consistait en ce que ces institutions étaient un élément de ruine pour les communes, surtout dans les Flandres, où la misère est extrême. C'est ainsi qu'un grand nombre de communes ont contracté envers les dépôts de mendicité des dettes s'élevant à 10, 15 et même 20 mille francs. Vous savez que la ville de Bruxelles porte annuellement, à ce titre, à son budget l'énorme somme de 250,000 fr.
On a déjà signalé dans cette chambre ce scandaleux abus que les dépôts de mendicité sont des espèces d'auberges où les vagabonds vont passer deux ou trois mois de la mauvaise saison, où ils ne peuvent gagner leur pain. Puis ils en sortent après s'être fait aussi héberger ; rentrés dons leurs communes, ils montrent vis-à-vis de l'administration communale une exigence dont on ne peut se faire une idée ; ils vont jusqu'à la menace, et s'ils n'obtiennent pas les secours qu'ils réclament, ils rentrent au dépôt de mendicité et occasionnent ainsi des dépenses considérables à leurs communes.
L'entretien de ces indigents dans la commune même coûterait la moitié de ce qu'il coûte au dépôt de mendicité. Lorsqu'on réclame aux communes le montant de ces frais d'entretien, très souvent on ne peut l'obtenir, parce qu'elles manquent de ressources. Je considère comme indispensable l'autorisation de la régence, du gouverneur ou du commissaire d'arrondissement exigée par l'article premier. De cette manière nous sommes certains que le nombre des reclus diminuera considérablement, car la plupart du temps on trouvera moyen d'entretenir les indigents dans la commune ; ce qui, comme je viens de le dire, coûtera moitié moins.
(page 946) Je ne vois pas d'inconvénient à ce que le commissaire d'arrondissement ait aussi bien que le gouverneur le droit d'accorder l'autorisation, même pour les communes de 5,000 âmes et au-delà. C'est vous dire que je n'admets pas l'amendement de l'honorable M. d'Anethan. La commune pourra toujours d'ailleurs réclamer et obtenir la sortie du reclus auquel elle pourra procurer de l'ouvrage.
Je le répète, l'article premier tend à remédier à un vice radical pour toutes les communes. J'y donne donc mon assentiment.
M. de Garcia. - Le projet de loi qui nous est soumis a pour objet d'obvier à la mendicité. Je désire qu'il atteigne le but qu'on se propose. Mais la réclusion dans les dépôts de mendicité devrait-elle être la conséquence d'une peine ? Je ne le crois pas, et selon moi, l'esprit d'une semblable loi devrait être incontestablement d'offrir aux citoyens dénués de toute ressource un moyen d'existence, sans besoin de se livrer à la mendicité, sans être dans la nécessité de commettre un délit. Nul ne peut contester, je crois, que dans toutes nations civilisées une loi ayant cette portée doit exister.
Le projet de loi actuel remplit-il le but qu'on doit atteindre ? Je ne puis le reconnaître, et ce, par le motif que le projet de loi confond celui qui a commis un délit avec celui à qui l'on ne peut reprocher que la misère ; à mes yeux, cet état de choses est injuste et immoral.
A ce point de vue, l'honorable M. Dedecker s'est aussi élevé contre le projet de loi qui nous est soumis. Si je partage son opinion au fond, je n'admets pas les idées qu'il a émises sur l'application des principes. Dès l'instant que l'Etat crée une institution pour donner du travail ou des secours, la mendicité constitue un véritable délit ; et pourtant il ne devrait être puni que de la peine de prison qui serait graduée suivant les circonstances, et notez-le bien, cette peine peut être portée à six mois pour les mendiants comme pour les vagabonds.
Je le demande, messieurs, n'est-ce pas confondre toutes les idées que de vouloir que les dépôts de mendicité établis pour recevoir les individus dont tout le crime est de n'avoir pas de moyens d'existence avec des vagabonds ou des fainéants ? Poser cette question, c'est la résoudre pour tout le monde.
Evidemment ce n'est commettre ni contravention ni délit que demander à entrer dans un dépôt de mendicité pour avoir du travail et du pain chez une nation qui a des institutions semblables, la mendicité constitue un délit qui doit être réprimé avec sévérité, et ceux qui s'en rendent coupables ne peuvent être confondus avec ceux qui ne demandent que du travail et du pain.
Sans adopter les idées d'application, présentées par l'honorable M. Dedecker, je pense qu'il serait juste et moral de ne pas confondre les condamnés pour mendicité avec les individus qui ne demandent que du travail.
En résumé, à l'un devrait être la prison, à l'autre un refuge honorable, ou au moins non dégradant.
D'après ces considérations, je regrette que le projet de loi n'ait pas fait une distinction entre ceux qui, usant du bénéfice de la loi, viennent chercher dans les dépôts de mendicité l'asile et le pain que toute société civilisée doit aux malheureux, et entre les mendiants et les vagabonds, qui, ne profitant pas de ces institutions, violent la loi et posent un délit répréhensible.
Je regrette que le projet de loi n'atteigne pas ce but, et dans l'esprit dans lequel il se trouve rédigé, je déclare que j'aurai de la peine à lui donner mon assentiment.
Une dernière observation me reste à faire.
L'honorable M. d'Antlhan a présenté un amendement sur lequel je demanderai un renseignement. L’article 132 de la loi communale cité par l'honorable membre à l'appui de son amendement porte ce qui suit :
« Pour autant que ces villes ne soient pas chefs-lieux d'arrondissement. » Mais lorsque ces villes seront chefs-lieux d'arrondissement, qu'arrivera-t-il ?
M. d'Anethan. - Mon amendement est basé sur l'article 132 ; il faut le compléter dans le sens de cet article.
M. d'Elhoungne. - Je ne présenterai à la chambre qu'une simple observation sur l'article premier en discussion.
Cet article introduit dans notre législation un principe nouveau. D'après la législation actuelle, la mendicité est un délit. Mais elle n'est un délit que pour autant que tout homme sans travail et sans ressources pourra trouver du travail et les ressources qui lui manquent, dans un dépôt institué par le gouvernement.
Malheureusement les dépôts de mendicité destinés à remplir cette fonctions dans notre organisation sociale ont, sous plus d'un rapport, manqué leur but. Les mendiants, les indigents, ceux qui sont coupables de fainéantise, plus encore que les autres, ont abusé des dépôts de mendicité. Ils pouvaient y entrer et en sortir à volonté.
De là il résultait que ces entrées, onéreuses aux communes, sont devenues un moyen de coercition pour les indigents contre les communes ; l'individu dont la commune ne voulait pas encourager la fainéantise se rend au dépôt de mendicité et il augmente ainsi la dépense pour la commune.
Le projet de loi obvie à cet inconvénient, en décidant que les entrées ne pourront plus se faire selon le caprice des individus qui demandent à être reçus au dépôt, et en exigeant l'autorisation de la commune, ce qui met à couvert l'intérêt de la commune qui se confond ici avec l'intérêt de la société tout entière.
Mais il y avait un autre intérêt à garantir, celui de l'indigent qui demande à entrer au dépôt et à qui la commune refuse cette entrée. C'est-à-dire qu'il y a ici deux intérêts enjeu : celui de l'indigent qui demande du pain et du travail et celui de la commune qui ne veut pas grever son budget. Or, il fallait un pouvoir modérateur qui vînt prononcer dans ce conflit.
Le projet accorde ce pouvoir à la députation permanente, c'est-à-dire à une autorité élective, ce qui est tout à fait dans l'esprit de nos institutions.
Cependant il peut y avoir urgence à ce qu'un individu qui demande accès dans un dépôt de mendicité, y soit immédiatement admis ; il peut se faire que cet individu se trouve dans un état de besoin tel qu'il doive sans aucun retard obtenir l'autorisation d'entrer au dépôt, s'il ne veut se livrer à la mendicité.
L'article premier du projet encore une fois obvie à cette nécessité en accordant, soit au commissaire d'arrondissement (et il me semble que cela doit être entendu dans les limites de sa compétence administrative ce qui rend l'amendement de l'honorable M. d'Anethan inutile) soit au gouverneur de la province le droit d'accorder une autorisation provisoire sauf ensuite à la députation à ratifier cette autorisation.
Il me semble que par là tous les intérêts sont conciliés ; l'intérêt financier des communes, l'intérêt social et l'intérêt des indigents qui n'est pas le moins important sans doute, mais auquel cependant il ne faut pas sacrifier tous les autres.
Je ne puis partager l'opinion d'un honorable député de Termonde qui conseille un nouveau genre de dépôts que, selon lui, il conviendrait d'instituer, et qui formeraient le premier degré des mesures à prendre contre la mendicité. Il voudrait l'organisation d'institutions agricoles de fermes dans lesquelles l'indigent pourrait trouver le travail sans réclusion, sans contrainte.
C'est là un système jugé, un système condamné. Il est démontré pour tout le monde que ce système dérive d'une philanthropie généreuse, sans doute, d'un système qui, je l'avoue, s'inspire des pensées les plus nobles, mais qui s'inspire très mal et va contre le but que ses partisans se proposent. Il est reconnu en effet que si l'on accorde des secours à l'indigence, il faut le faire avec une sage prudence, avec une sage sévérité. Il ne faut pas que le travailleur qui reçoit des secours de la charité publique, soit dans une situation aussi favorable que le travailleur qui vit de ses propres ressources, par l'effort de son énergie propre. Il faut enfin que le régime des dépôts de mendicité soit un régime rigoureux, sévère, rebutant, dans lequel l'indigent trouve ce qui lui est nécessaire pour vivre, mais dans lequel il ne puisse trouver que cela.
M. d'Anethan. - Dès l'instant où l'article doit être entendu dans le sens qu'indique l'honorable M. d'Elhoungne, je retire mon amendement.
- L'article premier est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Les dépenses d'acquisition de terrains et de bâtiments, de leur appropriation, de leur ameublement agricole et autre, y compris le capital roulant, ne pourront dépasser cinq cent mille francs (fr. 500,000).
« Cette dépense sera couverte par des bons du trésor.»
M. d'Anethan. Messieurs, d'après l'article 2, l'administration communale du domicile de secours des indigents admis aux dépôts de mendicité peut obtenir leur mise en liberté. La famille de ces indigents a la même faculté ; cette faculté accordée à la famille est une innovation proposée par le gouvernement.
Messieurs, d'après le projet primitif, lorsque l'administration communale faisait une déclaration et annonçait l'intention de soigner elle-même ses indigents, cette déclaration de l'autorité publique était suffisante pour obtenir la mise en liberté d'individus qui se trouvaient détenus. Il ne fallait pas alors d'intermédiaire. Mais le gouvernement ayant ajouté que cette faculté est également accordée à la famille de l'indigent, je désirerais savoir de quelle manière la famille fera valoir cette faculté. S'adressera-t-elle à l'administration du dépôt ? Devra-t-elle s'adresser à l'autorité communale ? Devra-t-elle s'adresser, comme semblerait l'indiquer le paragraphe 2, à la députation permanente ? Il me semble qu'à cet égard une explication est nécessaire.
Je ne dis pas qu'il faut écrire la marche dans la loi. Mais au moins il faut savoir de quelle manière l'article 2 doit être compris et exécuté.
J'aurai, relativement à cet article, une autre observation à faire valoir.
D'après l'article, il semble qu'à l'administration communale de la famille seule soit donnée la faculté d'obtenir la mise en liberté d'un reclus. Mais si un étranger, par exemple, si un individu, d'accord avec le détenu, fait connaître à l'autorité qui, en définitive, doit décider, qu'il veut entretenir et faire travailler le reclus ; si cette personne fait connaître qu'elle a des moyens d'existence à lui fournir, ne pourra-t-elle pas obtenir sa mise en liberté aussi bien que l'obtiendrait un membre de la famille ?
Je demanderai une autre explication : la famille d'un indigent peut le réclamer ; mais faudra-t-il que le reclus soit d'accord avec elle, ou bien suffira-t-il de la demande de la famille, et le reclus sera-t-il en quelque sorte mis à la merci peut-être de parents éloignés ? Ainsi une famille de campagnards a un arrière-cousin dans le dépôt de mendicité ; elle en rougit, elle dit : J'ai de l'aisance, je puis entretenir ce cousin ; mais des haines de famille auront existé, et elle imposera peut-être à ce malheureux des occupations tellement pénibles qu'il préférerait mille fois le dépôt de mendicité à la vie qu'il devrait mener en famille. (page 947) Je demanderai si dans ce cas on veut remettre le sort d'un tel individu entre les mains de sa famille et d'une famille peut-être très éloignée, car le projet n'indique aucun degré de parenté.
Je demanderai aussi à M. le ministre de la justice si l'article 2 s'applique à toutes les catégories de reclus, aux individus condamnés pour mendicité ou vagabondage comme aux indigents qui se sont rendus volontairement au dépôt de mendicité. Ainsi un individu dont la vie vagabonde est un danger permanent pour la société, se trouve en en vertu de l’article 272 du Code pénal, à la disposition du gouvernement ; la famille de cet individu, d’accord avec l’administration, pourra-t-elle obtenir de la députation sa mise en liberté malgré la volonté du gouvernement qui a peut-être un intérêt social, un intérêt de sécurité publique à garder cet individu dans le dépôt de mendicité ?
J'attendrai les explications de M. le ministre sur les différents points dont je viens d'entretenir la chambre.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'honorable préopinant, sans critiquer la disposition du projet du gouvernement, qui donne à la famille de l'indigent la même faculté qu'à l'administration communale d'obtenir sa mise en liberté en s'engageant à lui procurer du travail ou des secours suffisants, demande de quelle manière la famille fera valoir son droit. Il me semble que c'est à l'administration communale que la réclamation doit être d'abord adressée. C'est l'autorité communale qui a le plus grand intérêt à l'admettre puisque c'est elle qui est chargée de pourvoir à l'entretien des indigents dans les dépôts de mendicité. Si cependant cette autorité prenait à cet égard une décision qui fût contraire au droit de la famille, l'article a prévu le cas ; ce serait alors la députation permanente qui prononcerait et déciderait si les garanties offertes par la famille sont suffisantes, comme elle ferait également pour les garanties offertes par la commune.
L'honorable préopinant a demandé ensuite si un étranger, un maître ouvrier, par exemple, ne pourrait point jouir de la même faculté s'il offrait de fournir à l’indigent reclus du travail ou des secours suffisants. Il me semble, messieurs, que si une offre de cette espèce était faite, l'administration aurait toujours le droit, après l'avoir appréciée, de l'accepter et de mettre l'indigent en liberté. Je ne crois pas que ce cas doive être prévu par la loi, cela va de soi ; mais malheureusement la chose ne se présentera que trop rarement.
L'honorable préopinant a demandé encore s'il faudrait un accord parfait entre le reclus et la famille, lorsque celle-ci offrirait, de pourvoir à son entretien, et si celui-ci ne pourrait pas refuser ce secoure et demander à rester au dépôt de mendicité. Messieurs, je crois que si un reclus pouvait avoir (ce qu'il n'est presque pas possible de supposer) des motifs suffisants pour refuser les secours de sa famille, il pourrait faire valoir ces motifs, devant la députation permanente, et cette autorité déciderait s'ils sont tels qu'on puisse l'autoriser à refuser le bienfait qui lui est offert soit par un membre de sa famille, soit même par un étranger.
Enfin, messieurs, l'honorable M. d'Anethan a demandé si la disposition de cet article est générale, si elle doit être appliquée aux mendiants et vagabonds reclus par suite d'une condamnation, comme aux indigents qui sont entrés volontairement au dépôt. Messieurs, il me semble que la disposition est générale, et ne comporte pas de distinction.
Lorsqu'un individu, après, avoir ;subi sa peine, est mis à la disposition du gouvernement et envoyé dans un dépôt de mendicité, c'est parce qu'on suppose que si on le fait rentrer de nouveau dans, la société il pourra continuer à se livrer à la mendicité et au vagabondage ; mais lorsque la commune, lorsque la famille de ces individus ou même des étrangers se présenteront, et offriront de pourvoir à son entretien, alors le gouvernement, à la disposition duquel il se trouve, n'aura certainement plus aucun motif de le retenir au dépôt de mendicité et il pourra accorder son élargissement après avoir obtenu toutes les garanties que cet individu recevra du travail ou des secours suffisants.
M. de La Coste. - Messieurs, il arrive assez fréquemment, lorsqu'un individu a été condamné à être transféré dans un dépôt de mendicité, que même avant qu'il ne soit envoyé au dépôt de mendicité, sa famille le réclame. Alors, on s'adresse, non pas, comme le disait l'honorable ministre de la justice, à l'administration communale, mais au gouverneur de la province. Or si on l'envoyait immédiatement au dépôt de mendicité, ce transfert pourrait être inutile et il serait onéreux pour l'individu et onéreux pour la commune qui devrait payer les frais de transport. Que fait-on maintenant ? Le gouverneur consulte ordinairement la commune pour savoir si la réclamation est fondée, dans ce sens que ceux qui réclament l'individu ont les moyens de pourvoir à sa subsistance et d'empêcher qu'il ne se livre de nouveau à la mendicité. Il consulte en même temps le procureur du roi, parce que ce magistrat peut donner quelques renseignements sur les circonstances relatives à l'arrestation et sur la gravite du fait.
Cette instruction doit être faite très rapidement, attendu que l’individu, pendant ce temps, reste en prison, et qu'il est nécessaire d'abréger ce temps de prison, qui même, à strictement parlé, n'est pas très légal, mais qui est une nécessité, parce que, sans cela, il faudrait l'envoyer au dépôt de mendicité, qui est quelquefois fort éloigné, et quelques jours après l'en faire revenir.
Enfin, les députations ne siègent que deux jours par semaine ordinairement, et leurs séances se suivent immédiatement. Il se pourrait donc qu'en soumettant l'affaire à la députation, on fasse languir en prison pendant huit jours de plus un malheureux, parce que la réponse de la commune n'arrivera que le soir du jour où la députation aura tenu sa seconde séance.
Je pense donc qu'il est préférable que le gouverneur statue comme il a statué jusqu'ici, sauf ratification de la députation dans le cas où le gouverneur aurait ordonné l'envoi au dépôt, parce qu'alors dans l'intérêt de la liberté de l'individu, l'intervention de la députation serait utile.
Mais je crains que le mode adopté, si l'on n'y met pas l'exception que j'indique, n'ait un effet contraire au but qu'on vent atteindre.
Je soumets ces observations à M. le ministre de la justice.
M. de Garcia. - Messieurs à l'occasion de l'article que nous discutons, une explication a été demandée à M. le ministre de la justice ; c'était de savoir à quelle autorité serait adressée la demande de sortir d'un dépôt de mendicité. M. le ministre a répondu que, selon lui, c'était à l'autorité communale.
Je crois cette opinion juste et je la considère comme seule pratique.
En effet, si, comme a semblé le prétendre l'honorable M. de La Coste, on devait se pourvoir directement auprès du gouverneur ou de la députation, il y aurait inconvénient et circuit inutile.
M. de La Coste. - Cela se fait.
M. de Garcia. - Je le sais, mais la loi que nous discutons ne doit pas consacrer cette manière de procéder que je considère comme irrégulière.
D'après la loi, toute demande de sortie des dépôts de mendicité provoque une décision de la part de la députation ou du gouverneur, en cas d'urgence.
Toute demande de cette nature, et cela résulte de la disposition que nous discutons,, suppose une instruction quelconque, suppose l'accomplissement de certaines conditions.
Or, je le demande, où peuvent se prendre ces renseignements, si ce n'est auprès de l'administration communale du domicile du reclus dont la sortie du dépôt de mendicité est réclamée ?
Evidemment la députation ne peut prendre une résolution sage et prudente sur des réclamations de cette espèce, sans l'avis des administrations communales. Or si l'on reconnaissait que ces demandes dussent être adressées directement à la députation, l'on créerait un circuit vicieux, puisqu'ensuite elles devraient être envoyées à l'instruction dans les communes.
Dès lors, en vue surtout d'abréger la captivité des indigents admis au dépôt, il est utile et rationnel que les demandes de sortie soient adressées à l'autorité communale.
Ces considérations me portent même à regarder la disposition additionnelle de M. le ministre de la justice comme inutile ou comme incomplète. Cette disposition confère à la famille le droit de réclamer un reclus.
Elle est incomplète, puisque selon moi, et comme l'a soutenu l'honorable M. d'Anethan, ce droit, devrait appartenir à tout homme ou à tout chef d'atelier qui voudrait donner du travail à un indigent.
Mais je considère cette addition à l'article 2 comme tout à fait inutile. Lorsqu'une famille, un chef d'atelier ou un individu quelconque portera intérêt à un indigent reclus dans un dépôt, cette famille, ce chef d'atelier ou cet individu devrait, je pense, s'adresser à la commune, et lui exposer les moyens d'existence qu'il peut offrir au reclus.
L'administration communale, appréciant ces moyens, serait chargée de transmettre directement la demande de sortie à la députation qui statuerait en dernier ressort. L'on ne peut craindre que les communes négligent ce devoir. S'il leur était remis, toujours elles seront empressées à se libérer d'une charge qui leur incombe.
L'intervention de l'administration communale seule suffit donc pour atteindre le but qu'on se propose, et ce but sera atteint d'une manière beaucoup plus complète sans l'addition proposée par le gouvernement qu'avec cette addition. Il y a plus, si M. le ministre retirait .cette addition, toutes les objections soulevées par l'honorable M. d’Anethan tomberaient et seraient sans portée.
En résumé, la disposition additionnelle présentée par M. le ministre, doit être considérée non seulement comme inutile, mais encore comme compliquant la matière et comme entravant une facile et large application de la loi.
Je désire que cette disposition soit retirée, surtout en présence de la déclaration suivant laquelle les demandes de sortie des dépôts doivent être remises aux autorités communales, et ceci me paraît tout à fait rationnel puisque l'instruction de ces affaires ne peut guère se faire que par l'administration locale ; mais il me paraît également rationnel de lui conférer le droit de former ces demandes suivant les circonstances, dont l'application, dans tous les cas, restera toujours à la députation.
M. d'Anethan. - Messieurs, c'est la lecture de l'article 6 du nouveau projet qui m'avait principalement donné l'idée d'adresser à M. le ministre de la justice la question que j'ai eu l'honneur de lui faire relativement aux différentes catégories d'individus auxquels s'applique l'article 2.
L'article 6 parle d'abord des indigents proprement dits, ensuite des mendiants et des vagabonds ; or l'article 2 ne parle pas de mendiants, il ne mentionne que les indigents ; en conséquence, j'avais pensé que l'article 2 ne s'appliquait qu'aux indigents qui entraient volontairement dans un dépôt de mendicité.
En effet, si les dispositions du Code pénal n'établissent pas, comme peine, la mise à la disposition du gouvernement, il faut au moins avouer que cette disposition est véritablement d'ordre public ; dès lors je comprends difficilement qu'il puisse dépendre de la famille de dire : « Tel (page 948) individu a mendié, il a été condamné ; il est à la disposition du gouvernement ; mais je puis lui assurer maintenant quelques secours, et j'ai droit d'obtenir sa mise en liberté sans l'intervention du gouvernement. »
Il faudrait faire une distinction, il ne convient pas de ranger dans la même classe les mendiants et les indigents.
Il y a à examiner d'autres considérations pour mettre en liberté un mendiant condamné que celles qui ont motivé l'article 2. D'après l'article 2, on doit uniquement se préoccuper d'une seule chose : s'il y a des secours suffisants assurés pour l'indigent ; mais pour le mendiant condamné, il y a des considérations d'ordre public qui doivent l'emporter sur celles relatives à la suffisance des secours.
Je pense donc qu'il serait plus convenable, plus conforme aux véritables principes de n'appliquer l'article 2 qu'aux seuls indigents qui se seraient présentés volontairement dans les dépôts. Quant aux autres, qui sont à la disposition du gouvernement, le gouvernement les mettra en liberté quand il aura la certitude que la séquestration peut cesser sans danger pour l'intérêt public.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Ce que vient de dire en terminant l'honorable préopinant prouve que son observation n'a guère de portée. Puisque les individus condamnés pour mendicité ou vagabondage sont, à l'expiration de leur peine, mis à la disposition du gouvernement, le gouvernement a toujours la faculté de faire cesser la réclusion dans les dépôts quand il le juge opportun ; or, quand la commune s'engage à donner des secours ou du travail à ces mendiants ou vagabonds condamnés, ou quand leur famille ou des étrangers feront la même chose, le gouvernement pourra toujours les mettre en liberté.
Je ne vois donc pas d'inconvénient à ce que l'article 2 reste entendu dans le sens indiqué par l'honorable membre ; car le Code pénal suffit pour donner au gouvernement toute latitude à cet égard.
L'honorable M. de Garcia pense que la disposition qui donne à la famille de l'indigent le même droit qu'à la commune est inutile parce que la commune, dit-il, aura toujours le plus grand intérêt à aller au-devant des offres qui seront faites, devant être déchargée du fardeau qu'elle supporte comme domicile de secours. C'est justement par ce motif que la disposition me paraît devoir être maintenue. Il ne faut pas que dès qu'un individu se présente comme parent de l'indigent, il puisse être admis à en obtenir la mise en liberté ; les communes trouveraient trop facilement des parents de l'indigent qui, sans présenter des garanties suffisantes, voudraient offrir de lui fournir du travail ou des secours dans le but de le faire sortir du dépôt.
Il importe donc que le droit de la famille reste inscrit dans la loi, mais que la députation soit chargée de vérifier si les offres des parents de l'indigent donnent toute garantie qu'il lui sera procuré du travail ou qu'il sera pourvu entièrement à ses besoins.
M. d'Elhoungne. - Je pense avec M. d'Anethan, que la disposition de l'article 2 ne peut s'appliquer qu'aux indigents entrés volontairement au dépôt de mendicité. Sans cela on porterait atteinte au droit que le Code pénal accorde au gouvernement sur les mendiants qui ont subi une condamnation. On peut dire qu'ici le gouvernement a le droit d'infliger une double pénalité : l'une au mendiant, l'autre à la commune ; au mendiant, en le retenant au dépôt de mendicité ; à la commune, en lui imposant les frais d'entretien du mendiant pendant sa réclusion au dépôt. Il est évident que la commune ne pourra intervenir pour faire cesser cette pénalité infligée en vertu de la loi existante.
Mais il faudrait peut-être un changement de rédaction et dire que la députation ne sera consultée qu'en cas de contestation ; sans cela on surchargera les députations de besogne.
Un membre. - Mais aujourd'hui il faut un arrêté de la députation pour faire sortir du dépôt les indigents que réclame la commune.
M. d'Elhoungne. - Soit, je ne tiens pas à ce changement de rédaction.
M. Lebeau. - J'avais demandé la parole, mais puisqu'on n'insiste pas, j'y renonce.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Il y aurait de grands inconvénients à permettre la mise en liberté sur la simple demande des communes. Les dépôts seraient bientôt évacués.
- L'article 2 est mis aux voix et adopté.
La séance est levée à 4 heures et un quart.