(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 898) M. de Villegas procède à l'appel nominal à 2 heures 1/4.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est adoptée.
M. de Villegas présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs électeurs communaux de Chimay prient la chambre d'augmenter le nombre des conseillers communaux de cette ville. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les demoiselles Vandebeursche, fermières à Warneton, réclament l'intervention de la chambre pour obtenir une indemnité du chef de bestiaux perdus par suite de maladies contagieuses.»
- Même renvoi.
« L'administration communale de Beeringen demande le rétablissement du droit d'entrée sur le bétail. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Les secrétaires communaux de l'arrondissement d'Ypres demandent une augmentation de traitement. »
- Renvoi au ministre de l'intérieur.
M. le ministre des finances (M. Veydt) dépose un projet de loi relatif à l'exécution de travaux publics et autres mesures d'intérêt général. Il donne lecture de l'exposé des motifs et du projet de loi qui sont ainsi conçus : (Nous publierons ce document.)
M. le ministre des finances (M. Veydt). présente ensuite un projet de loi ayant pour objet d'accorder au gouvernement un crédit supplémentaire de 3,640,000 fr. pour l'achèvement du canal latéral à la Meuse.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces deux projets de loi et les renvoie à l'examen des sections.
M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, je dépose le budget de la dette publique pour l'exercice de 1849. Les autres budgets du même exercice vous seront soumis en quelque sorte, de jour en jour, et de manière qu'ils soient tous présentés avant la fin du mois.
- La chambre ordonne également l'impression et la distribution de ce budget et le renvoi à l'examen des sections.
M. d'Elhoungne. - Je demanderai au gouvernement s'il verrait quelque inconvénient à faire un projet de loi séparé des deux premiers articles du projet général qui vient d'être présenté, articles qui se rapportent au canal de Schipdonck et au canal de Zelzaete. Ces deux canaux sont déjà votés par la législature, et l'exécution en est aussi urgente que celle du canal latéral à la Meuse. Or, comme le projet que M. le ministre vient de nous soumettre est très étendu et très développé, je voudrais soustraire l'exécution des canaux dont il s'agit aux retards que le projet général pourrait éprouver.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je crois que l'observation de l'honorable M. d'Elhoungne est de nature à être reproduite en sections. M. le ministre des travaux publics n'étant pas présent, il ne peut pas répondre à l'honorable membre. L'interpellation, du reste, pourra être renouvelée. Rien d'ailleurs ne doit entraver l'examen du projet en sections.
M. le président. - Le premier amendement introduit dans le projet consiste dans la suppression du premier paragraphe de l'article premier, qui était ainsi conçu :
« L'article 5 de la loi du 9 avril 1842 est abrogé et remplacé par la disposition suivante. »
Ensuite on a substitué aux mots : « Dorénavant seront exemptés, etc.» ceux-ci : « sont exemptés, etc.»
M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, j'ai demandé la parole pour répondre à une interpellation qui a été faite en mon absence, lors de la première discussion, par l'honorable M. T'Kint de Naeyer. L'honorable membre a témoigné le désir de savoir si les conseils de prud'hommes pêcheurs institués par les arrêtés du 23 messidor an IX et du 26 prairial an XI, à Ostende et à Blankenberghe, ont été maintenus. Je répondrai à l'honorable membre que de ces conseils de prud'hommes pêcheurs institués à Ostende et à Blankenberghe, il ne reste plus, en quelque sorte, aucun souvenir ; les seuls conseils de prud'hommes que l'empire ait légués à la Belgique sont ceux de Gand et de Bruges. Lors de la discussion de la loi de 1842, sur les conseils de prud'hommes de gouvernement avait proposé d'y insérer une disposition tendant à autoriser l'institution de conseils de prud'hommes pêcheurs à Ostende et à Anvers.
Cette proposition fut fortement combattue par la section centrale et la chambre n'accorde point l'autorisation demandée. On trouve dans le rapport de la section centrale sur cette question les considérations assez nombreuses qui ont fait repousser la proposition du gouvernement.
Dans l'état actuel des choses, le gouvernement ne pourrait donc instituer de conseils de prud'hommes pêcheurs, comme l'honorable M. de Naeyer semblait le demander ; il lui faudrait pour cela une nouvelle disposition législative.
- La suppression de la première partie de l'article premier, adoptée provisoirement au premier vote, est définitivement adoptée.
M. le président. - A l'art. 2 la chambre a ajouté les deux paragraphes suivants :
« Ces certificats seront enregistrés gratis. »
« Le droit de trois francs pour le procès-verbal de dépôt des marques et dessins au conseil de prud'hommes est supprimé. »
- Ces deux paragraphes sont définitivement adoptés.
On passe à l'appel nominal.
74 membres ont répondu à l'appel.
72 membres ont répondu oui.
1 membre (M. de Tornaco) a répondu non.
1 membre (M. Bricourt) s'est abstenu. En conséquence le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM. Dechamps, de Chimay, de Clippele, de Corswarem, de Denterghem, de Haerne, de La Coste, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Muelenaere, de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, d'Hane, d'Hoffschmidt, Dubus (aîné), Eenens, Eloy de Burdinne, Fallon, Henot, Herry-Vispoel, Jonet, Lange, Lebeau, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Moreau, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Raikem, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Sigart, Simons, Thienpont, Tielemans, T’Kint de Naeyer, Tremouroux, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Van Renynghe, Veydt, Wallaert, Zoude, Anspach, Biebuyck, Bruneau, Castiau, Clep, Cogels, Dautrebande, David, de Bonne, de Breyne, de Brouckere et Liedts.
M. le président. - M. Bricourt, qui s'est abstenu, est invité à faire connaître les motifs de son abstention.
M. Bricourt. - Je n'ai pas voulu voter pour le projet parce qu'il consacre un privilège en faveur des fabricants ; je n'ai pas voulu voter contre, parce qu'il pose un acte de justice envers les ouvriers.
« Article unique. Les dispositions de la loi du 30 juin 1842, relative à la nomination du bourgmestre hors du conseil, sont modifiées comme suit :
« Les mots : « le bourgmestre et », retranchés par cette loi du deuxième paragraphe de l'article 2 de la loi communale du 30 mars 1836, y sont rétablis, et, par suite ce paragraphe est ainsi conçu :
« Le Roi nomme le bourgmestre et les échevins dans le sein du conseil. »
(page 899) Le paragraphe 3, ajouté au même article par ladite loi du 30 juin 1842, est remplacé par la disposition suivante :
« Néanmoins, le Roi peut, de l'avis conforme de la députation permanente nommer le bourgmestre hors du conseil, parmi les électeurs de la commune âgés de 25 ans accomplis. »
M. Delfosse. - Messieurs, le bourgmestre a deux espèces d'attributions. Il est chargé des intérêts communaux ; il est chargé de l'exécution des lois. Au premier point de vue, il doit surtout avoir la confiance des habitants de la commune ; au deuxième point de vue, au point de vue de l'exécution des lois, il doit surtout avoir la confiance du gouvernement.
La nomination du bourgmestre par le Roi, mais dans le sein du conseil, était une transaction acceptable entre divers principes, entre divers intérêts ; c'était une combinaison destinée à les concilier.
Ils ont donc été bien mal inspirés ceux qui en 1842 ont donné au Roi le droit de nommer le bourgmestre en dehors du conseil ; ils ont porté par là une grave atteinte aux droits des communes ; ils ont froissé un des sentiments les plus vifs du pays. Les Belges, nous Liégeois surtout, ont toujours attaché un grand prix au maintien de leurs franchises communales.
Nous avons soutenu en 1842 que cette modification à la loi communale, qui n'avait en apparence, et d'après les protestations du gouvernement d'alors, qu'un but administratif, serait dans la pratique une arme politique au moyen de laquelle on chercherait à influencer les élections. Nos prédictions se sont réalisées ; bien des bourgmestres, mus par la crainte de se voir plus tard retirer leurs fonctions, ont dû appuyer ou tout au moins faire semblant d'appuyer les candidats du gouvernement. Vous pouvez, messieurs, juger si cette crainte était fondée, par le fait qu'aux portes de Liège seulement, dans trois communes voisines, on a nommé le bourgmestre en dehors du conseil malgré les vives réclamations des habitants.
Je n'ai plus guère du reste le courage d'adresser des reproches aux hommes de l'ancienne politique ; ils sont assez punis de leurs fautes, des mesures violentes auxquelles ils ont eu recours, par la réaction qui s'est opérée dans les esprits et qui a puissamment contribué à leur chute ; mais je félicite le gouvernement d'avoir rejeté loin de lui une arme dangereuse, une arme qui blesse souvent ceux qui s'en servent.
Le projet de loi n'est pas, à la vérité, un retour pur et simple à la loi communale de 1836. Il permet encore de nommer le bourgmestre en dehors du conseil, de l'avis conforme de la députation permanente ; mais cette dernière condition nous donne la garantie qu'on n'usera de la faculté de nommer le bourgmestre en dehors du conseil, que dans des cas extrêmement rares, que dans le cas où il n'y aurait pas moyen de trouver dans le conseil un seul homme pouvant ou voulant accepter les fonctions de bourgmestre.
Il peut y avoir, dans le conseil, des membres exclus des fonctions de bourgmestre à raison de certaines fonctions qu'ils exercent. D'autres membres du conseil peuvent refuser les fonctions de bourgmestre, parce qu'ils ne se croiraient pas capables de les remplir, d'autres encore parce qu'ils n'auraient pas assez de temps à consacrer à la chose publique. Ce cas se présentera rarement, mais il peut se présenter ; s'il se présente, il faut bien qu'il y ait possibilité de nommer un bourgmestre. L'intervention obligée de la députation permanente, corps électif, digne de confiance, doit nous rassurer tous contre l'abus qu'on pourrait faire de cette disposition. Je donne donc mon adhésion au projet du gouvernement.
Mais ce projet est incomplet, en ce qu'il laisse subsister l'ordre de choses, créé en 1842, quant à la révocation du bourgmestre. D'après la loi de 1836, le Roi n'avait pas le droit pur et simple de révoquer le bourgmestre. Ce droit de révocation était subordonné à certaines conditions ; on ne pouvait l'exercer que de l'avis conforme de la députation permanente. La loi de 1842, ayant donné au Roi le droit de nommer le bourgmestre en dehors du conseil, était conséquente en lui donnant également le droit de révoquer ce fonctionnaire. Mais aujourd'hui que nous révisons la loi de 1842 en ce qui concerne la nomination du bourgmestre, il me semble que, pour être conséquents, nous devons la modifier aussi en ce qui concerne la révocation ; nous devrions rendre à cette catégorie de fonctionnaires les garanties qui leur étaient données par la loi de 1836 et qui subsistent encore en faveur des échevins. Aux termes de la loi de 1836, les échevins et le bourgmestre ne pouvaient être révoqués que de l'avis conforme de la députation permanente. La loi de 1842 a modifié cette disposition, quant aux bourgmestres, et l'a laissée subsister quant aux échevins. Je demande le rétablissement pour le bourgmestre de cette disposition, qui existe encore pour les échevins. C'est le but de l'amendement suivant que j'ai soumis à la section centrale et que j'ai l'honneur de soumettre à la chambre :
(L'honorable membre donne lecture de l'amendement.)
Cet amendement, que j'avais soumis à la section centrale, n'a pas été adopté. Cinq membres seulement étaient présents ; 3 membres se sont prononcés contre mon amendement ; 1 membre s'est abstenu, et naturellement je me suis prononcé pour.
Le rapport de l'honorable M. Lebeau indique quelles sont les raisons qui ont engagé la majorité de la section centrale à rejeter mon amendement. Il y en a deux.
Voici la première :
« Cette proposition a été combattue. On a dit que ce n'était pas contre cette partie de la loi de 1842, transférant du gouverneur au Roi ce droit de révocation et n'exigeant plus le concours de la députation provinciale, que l'opinion publique avait réclamé. On a ajouté que, plus en contact par ses relations et par son mandat avec les personnes, la députation pourrait être moins libre d'exprimer, au moins officiellement, son avis dans cette circonstance. » ; Arrêtons-nous à cette première raison.
On dit que l'opinion publique n'a pas réclamé contre cette modification à la loi communale.
Messieurs, l'opinion publique n'avait pas à réclamer. Aussitôt qu'on donnait au Roi le droit pur et simple de nommer le bourgmestre, on ne pouvait, sans être inconséquent, réclamer contre le droit donné au Roi de le révoquer. Mais si l'on fait disparaître l'un de ces changements à la loi communale, l'autre modification doit également disparaître. Les deux dispositions sont corrélatives. Lorsque le Roi a le droit pur et simple de nommer le bourgmestre, il doit avoir le droit pur et simple de le révoquer. Si la nomination est subordonnée à certaines conditions, si elle est renfermée dans certaines limites, il est sage, il est convenable de poser aussi une limite au droit de révocation, limite qu'on peut admettre sans inconvénient ; c'est l'avis conforme de la députation permanente.
L'honorable rapporteur dit que la députation, plus en contact par ses relations et par son mandat avec les personnes, pourrait être moins libre d'exprimer, au moins officiellement, son avis dans cette circonstance. J'ai meilleure opinion des députations permanentes. Je crois que lorsqu'il se présentera des motifs graves de révoquer un bourgmestre, les membres de la députation permanente ne reculeront pas devant l'accomplissement de leur devoir.
Les craintes que l'on manifeste sont d'ailleurs imaginaires. Les séances des députations permanentes ne sont pas publiques. Les membres d'une députation permanente peuvent se prononcer sans le moindre danger sur des questions de personnes. La responsabilité qui porte sur un corps entier est moins lourde pour chacun, rien n'empêche alors d'exprimer librement son opinion. Je ne puis partager les craintes exprimées par l'honorable rapporteur que les membres des députations permanentes ne seraient pas libres, n'auraient pas une liberté suffisante pour l'expression de leur opinion sur les questions de personnes qui seraient soulevées.
Si les raisons données par l'honorable rapporteur étaient vraies, elles s'appliqueraient également aux échevins. Si les membres des députations permanentes n'ont pas assez de liberté pour exprimer leur opinion sur des questions personnelles, pourquoi laissez-vous subsister la disposition qui exige l'avis conforme de la députation permanente pour la révocation des échevins ? Vous ne proposez pas d'abroger cette disposition. C'est ce qui prouve que vos craintes ne sont pas sérieuses, qu'elles ne peuvent pas l'être.
Passons à la deuxième raison donnée par M. le rapporteur contre mon amendement.
« On a opposé aussi la disposition de la loi de 1842, qui remet au bourgmestre seul l'exécution des lois et règlements de police, disposition qui n'est point attaquée. En cas de négligence grave dans cette partie de ses attributions, qui se lie si intimement au maintien de la tranquillité publique, la révocation immédiate de ce fonctionnaire peut devenir une impérieuse nécessité. Or, la députation provinciale ne siège pas d'une manière permanente et ne peut pas toujours être immédiatement réunie. »
Voici l'objection : Il pourrait y avoir des cas d'urgence, des cas où l'on n'aurait pas le temps de réunir la députation permanente, où il y aurait nécessité de révoquer le bourgmestre à l'instant même. Permettez-moi d'abord une observation. Vous savez, messieurs, que lorsque le bourgmestre est malade ou absent, il est remplacé par un échevin, c'est alors un échevin qui est chargé de l'exécution des lois de police. Et cependant la loi en vigueur exige l'avis conforme de la députation permanente pour la révocation de cet échevin Je n'admets pas, du reste, avec M. le rapporteur qu'il n'y aurait pas moyen de réunir la députation permanente en temps utile ; il y a presque toujours au chef-lieu un nombre suffisant de membres de la députation permanente pour qu'on puisse la réunir en cas d'urgence. Si l'objection était fondée, elle prouverait contre l'avis de M. le rapporteur.
D'après la loi de 1836 le gouverneur décide, après avoir pris l'avis de la députation permanente ; d'après la loi de 1842, on ne prendra sans doute pas un arrêté royal sans avoir consulté le gouverneur. C'est une cause de retard. M. le rapporteur fait valoir l'urgence, et tout en donnant ce motif à l'appui de son opinion, il préfère un système qui donne lieu à bien plus de lenteurs : il faudra l'avis du gouverneur, il faudra que le ministère délibère, il faudra un arrêté royal. Je soutiens qu'on peut arriver à un résultat bien plus prompt en remettant la loi de 1836 en vigueur.
Si le gouverneur peut révoquer, de l'avis conforme de la députation permanente, on ira bien plus vite que s'il faut une décision du ministre, précédée d'un avis du gouverneur et ensuite un arrêté royal. C'est justement en entrant dans les idées de M. le rapporteur et en reconnaissant avec lui qu'il est des cas où il faut pouvoir agir promptement, que l'on doit désirer le retour à la loi de 1836.
Il y a encore, messieurs, à l'appui de mon amendement, des considérations très fortes et sur lesquelles j'appelle toute votre attention. Remarquez bien qu'en règle générale les bourgmestres seront pris dans le conseil ; ils ne seront nommés en dehors du conseil que dans des cas extrêmement rares.
(page 900) C'est un acte très grave que de révoquer un bourgmestre, membre du conseil, probablement investi de la confiance de ses collègues, et plus probablement encore de la confiance du corps électoral ; un acte semblable ne saurait être entouré de trop de garanties dans l'intérêt du gouvernement lui-même.
Lorsque le gouvernement voudra révoquer un bourgmestre, membre du conseil, je dis qu'il devra se compter heureux d'avoir l'appui d'un corps électif, d'un corps composé d'hommes jouissant de la confiance de leurs concitoyens. Le gouvernement trouvera dans cet appui une force qu'il doit être le premier à désirer. Ce n'est donc pas seulement pour que les bourgmestres ne soient pas livrés à l'arbitraire ministériel, c'est dans l'intérêt du gouvernement lui-même qu'il faut exiger l'avis conforme de la députation permanente pour la révocation des bourgmestres aussi bien que pour le droit de nomination en dehors du conseil.
Il est encore une considération sur laquelle j'appelle l'attention toute particulière de M. le ministre de l'intérieur et de la chambre, et qui prouve que le gouvernement pourrait se trouver compromis si sa prérogative n'était pas subordonnée à l'avis conforme de la députation permanente.
Je suppose un bourgmestre choisi dans le conseil ; le gouvernement à tort ou à raison (MM. les ministres peuvent se tromper avec les meilleures intentions ), le gouvernement à tort ou à raison, révoque ce bourgmestre sans prendre l'avis de la députation permanente ; le gouvernement peut croire de très bonne foi qu'il y a des motifs suffisants de révoquer ce bourgmestre ; mais il peut arriver que ce bourgmestre révoqué jouisse de la confiance de ses collègues, et qu'aucun d'eux ne veuille le remplacer. Qu'arrivera-t-il dans ce cas ? Le gouvernement sera obligé de nommer un bourgmestre en dehors du conseil ; mais il ne pourra pas faire cette nomination sans l'avis conforme de la députation permanente, et si la députation permanente, mécontente de ce que l'on se serait passé d'elle pour révoquer le bourgmestre, convaincue qu'il n'y avait pas de motifs suffisants pour le révoquer, refusait un avis conforme pour la nomination en dehors du conseil, le gouvernement se trouvera ainsi dans l'impossibilité de nommer.
Le gouvernement se trouverait dans une impasse ; il ne pourrait pas nommer un bourgmestre dans le conseil, puisque aucun membre du conseil ne voudrait accepter ; il ne pourrait pas nommer en dehors du conseil, puisque la députation permanente refuserait de donner un avis conforme. Vous voyez, messieurs, combien la position du gouvernement serait fausse, combien la prérogative royale serait compromise.
Je le répète, messieurs, il serait sage de rétablir, en ce qui concerne la révocation du bourgmestre, la disposition de la loi de 1836, qui n'a été abrogée en 1842 que parce qu'on donnait au gouvernement le droit de nommer le bourgmestre en dehors du conseil. Il faut quelquefois, dans l'intérêt même du gouvernement, se garder de trop étendre ses prérogatives. Il arrive qu'on l'affaiblit en croyant le fortifier.
M. Castiau. - Messieurs, j'imiterai la modération de langage de mon honorable ami M. Delfosse. Si les auteurs des lois réactionnaires de 1842 étaient encore au pouvoir, certes mes attaques tomberaient tout à la fois et sur les personnes, et sur les mesures que j'ai eu cent fois déjà à critiquer. Mais maintenant, que l'opinion publique a fait justice des hommes qui étaient venus imposer à la chambre les mesures impopulaires dont on propose l'abrogation, je crois, messieurs, devoir épargner les personnes et réserver toutes mes attaques pour les mesures dont on ne saurait trop fortement flétrir le caractère et les tendances.
Ces lois de 1842 vous permettent d'apprécier le terrain que les institutions libérales ont perdu en Belgique depuis 1830.
En 1830, c'était l'ère de l'émancipation et du libéralisme ; alors la nomination des bourgmestres était abandonnée aux électeurs, et l'usage qu'ils avaient fait de cette prérogative prouvait qu'ils en étaient dignes.
En 1836, le pouvoir annonçait déjà ses projets d'envahissement et le désir de partager avec les électeurs ce droit de nomination. Alors fut portée une première atteinte au droit des électeurs. On décréta que le pouvoir central nommerait les bourgmestres et les échevins dans le sein du conseil.
Enfin, en 1842, la réaction marche la tête haute ; elle ne se contente plus de cette nomination au sein du conseil communal, elle réclame l'arbitraire et le droit d'imposer aux communes des administrateurs qu'elles repoussent. En même temps elle usurpe le droit de destituer, qu'elle ne pouvait exercer que conjointement avec les députations permanentes.
Ainsi la loi de 1842 a porté une double et grave atteinte à la loi de 1836 ; d'abord, quant au droit de nomination, puisque le pouvoir a été investi de la faculté de faire cette nomination en dehors du conseil ; ensuite, pour les révocations des bourgmestres, puisque, d'après la loi de 1836, les révocations ne pouvaient avoir lieu que de l'avis conforme de la députation permanente.
Que fait le projet de loi en discussion ? A-t-il pour effet de faire tomber cette double atteinte à nos institutions municipales et de donner à l'opinion la satisfaction qu'elle réclame ?
L'honorable M. Delfosse vient de traiter la question de révocation ; il a montré que, sous ce rapport, le projet de loi ne faisait rien et respectait l'œuvre réactionnaire de 1842. Ainsi la garantie que la loi de 1836 avait stipulée et qui consistait à demander l'avis conforme de la députation, cette garantie réclamée par l'intérêt public et le droit de commune est également repoussée et ne se rencontre pas dans les propositions du gouvernement.
S'est-on montré plus libéral pour le droit de nomination ?
Ici, je le reconnais avec mon honorable ami, une garantie est stipulée ; on conserve bien encore au pouvoir le droit de faire les nominations en dehors du conseil communal, mais c'est à la condition de l'avis conforme de la députation permanente.
Mon honorable ami a donné son assentiment à cette mesure, il la croit suffisante ; eh bien, je regrette de me trouver en dissentiment avec lui sur ce point ; j'appuie de toutes mes forces l'amendement qu'il a présenté, quant à la révocation qui tend à se replacer sous l'empire de la loi de 1836 ; mais il me semble que, pour être conséquent, il eût dû appuyer l'amendement que je compte vous présenter à mon tour et qui a pour but de remettre également en vigueur la loi de 1836, pour ce qui concerne les nominations des bourgmestres.
En effet, pour vous prouver qu'il faut en revenir purement et simplement à la loi de 1836, que mon honorable ami a considérée comme une loi de transaction, pour prouver qu'il faut nécessairement que le gouvernement choisisse et choisisse d'une manière absolue le bourgmestre au sein du conseil communal, je m'emparerai des paroles mêmes de mon honorable ami. Il vous a dit que le bourgmestre avait un double caractère, qu'il était à la fois le représentant du pouvoir central et le représentant du pouvoir municipal.
Eh bien, si le bourgmestre a ce double caractère, il faut donc aussi que ce double caractère se retrouve dans son mandat ; il faut donc que ce mandat émane à la fois et des électeurs et du pouvoir central. Ainsi, c'est une nécessité logique, autant qu'une nécessité patriotique pour mon honorable ami de reconnaître dans cette circonstance que, même avec la modification proposée par le gouvernement, on anéantit ce double caractère que le bourgmestre doit nécessairement conserver, car ce n'est point parce qu'on aura stipulé l'intervention de la députation permanente, que le bourgmestre conservera son caractère d'agent municipal. Choisi en dehors du conseil, même avec l'assentiment de la députation, ce ne sera plus, quoi qu'on fasse, qu'un commissaire royal.
Evidemment, je ne reconnais plus là la logique toujours si juste et si sévère de mon honorable ami. Pourquoi donc a-t-il cru devoir faire fléchir ici la rigueur de son principe ? Pourquoi admet-il un système qui a pour effet de briser ce caractère d'agent communal pour faire du bourgmestre le représentant exécutif du pouvoir central ?
C'est parce que, dit-il, il peut y avoir refus d'accepter ces fonctions, et que le refus unanime des conseillers communaux rendrait l'administration impossible.
Mais je vous le demande en conscience, de telles hypothèses peuvent-elles se réaliser ? Mon honorable ami lui-même a déclaré que les cas qu'il prévoyait étaient des cas irréalisables. Ce mot tranche la question. Faisons-nous des lois pour des cas irréalisables, pour des fictions, pour des chimères ?
Mais loin de partager les craintes de mon honorable ami, loin de croire que des espèces de coalitions de refus s'organiseront au sein des conseils communaux, je crains bien plutôt d'autres tendances et un entraînement tout opposé.
Tout le monde sait, en effet, comment on se dispute aujourd'hui dans les communes la possession des fonctions municipales. Que d'ambitions ne soulèvent-elles pas de toutes parts !
Ainsi, les craintes de mon honorable ami me paraissent exister uniquement dans son imagination, ainsi que les cas irréalisables dont il parlait tout à l'heure.
Du reste, si, par impossible, une pareille coalition existait de la part de tout un conseil communal, il y aurait moyen d'y pourvoir, sans blesser les droits des communes, sans renoncer à l'obligation que nous voulons imposer au gouvernement de choisir son délégué au sein des élus de la commune.
Ce moyen, c'est de déclarer que ceux qui refusent les fonctions publiques et surtout les fonctions électives, se frappent volontairement d'une sorte de dégradation civique et de les frapper de la privation permanente ou momentanée de leurs droits politiques. Cette pénalité serait-elle trop rigoureuse pour ceux qui, élus par la confiance de leurs concitoyens à des fonctions électives, répondraient par des refus à des marques de confiance et de sympathie ?
C'est là, ce me semble, une lacune qui existe dans nos institutions représentatives ; elles manquent de sanction. Si les devoirs civiques étaient rendus obligatoires, on n'aurait pas à redouter les refus purement hypothétiques que l'honorable membre paraît craindre.
Sans me préoccuper davantage de craintes chimériques, je pense donc qu'il faut en revenir purement et simplement à la loi de 1836 ; je crois que cette loi n'a donné déjà que trop de latitude, de force et d'omnipotence au pouvoir central, et qu'il faut lui imposer l'obligation de faire ses choix au sein du conseil communal sans compromettre en rien les exigences du service administratif.
Rappelez-vous, en effet, messieurs, quelles sont toutes les prérogatives réservées dans la loi de 1836 en faveur du pouvoir central. D'abord le droit de nommer les bourgmestres et échevins au sein du conseil communal ; or, vous savez que le conseil communal se compose d'un nombre assez considérable de membres, puisque dans certaines communes, le nombre des membres du conseil est de 31. Il y règne donc assez de latitude pour le choix. Puis, le droit de révocation des bourgmestres et échevins, dont mon honorable ami vous signalait l’importance il n'y a qu'un instant.
Indépendamment de ce droit de nomination et de révocation, à l'aide duquel il domine les administrations communales, le pouvoir exerce (page 901) encore une véritable tutelle, une tutelle exorbitante parfois, sur les actes ; des administrations communales. Ne sont-elles pas placées souvent dans un état d'asservissement vis-à-vis du pouvoir central ? Tous leurs actes importants ne sont-ils pas soumis à son assentiment ? Elles n'ont pas même le droit de destituer un pauvre secrétaire communal, leur agent immédiat, l'homme de leur confiance, celui des faits duquel elles doivent répondre. L'inférieur peut se mettre en révolte contre ses chefs, dont et il ne peut être destitué par eux ! Voilà ce terrible pouvoir municipal on se fait un épouvantail et contre lequel on réclame des mesures exceptionnelles !
Soyons justes, messieurs, et reconnaissons que le pouvoir central n'a déjà que trop de moyens d'action sur les administrations communales. Elles ne peuvent faire un pas ou un mouvement sans son autorisation spéciale.
On a donc là toutes les garanties contre la possibilité d'actes contraires à l'intérêt général.
Dira-t-on qu'on peut craindre la négligence des bourgmestres, et leur refus de concours ? Un refus de concours ! c'est impossible en présence de l'article 88 de la loi communale qui confère au gouverneur ou à la députation en cas de négligence des fonctionnaires municipaux, le droit d'envoyer des commissaires spéciaux remplacer en quelque sorte l'administration, s'emparer du pouvoir et faire ce que l'autorité municipale aurait dû faire elle-même.
Vous avez donc des garanties de toute espèce pour faire tomber les mesures imprudentes et fâcheuses que pourraient prendre les administrations communales ; et vous avez encore la garantie la plus énergique contre la négligence des autorités communales ; que vous faut-il donc de plus et qu'avez-vous besoin de ce droit de nomination des bourgmestres en dehors des conseils communaux ? Il n'y a donc, en réalité, aucun motif sérieux pour conserver aujourd'hui, même avec la restriction qu'on impose, l'œuvre réactionnaire de 1842.
C'est avec une sorte de honte, je l'avouerai, que je vois nos administrations municipales traitées avec moins de faveur que les conseils municipaux de France. Ce droit de nomination, qu'on persiste à réclamer au profil du pouvoir central, n'existe pas en France. Là, le pouvoir exécutif ne peut, dans aucun cas, faire ses choix en dehors du conseil. Cependant la France, vous le savez, est le pays de la centralisation par excellence ; c'est là qu'on exagère le plus les prétendues nécessités d'un pouvoir fort ; c'est là que tous les pouvoirs se sont successivement brisés par l'abus de la force ; c'est le pays qui, après avoir servi d'exemple au monde, a vu s'évanouir toutes ses libertés et ses droits. Il ne lui en restait plus qu'un seul, le droit inviolable des réunions, et, à l'heure où je parle, ce dernier des droits va tomber et disparaître dans le sang qui coule. Voilà où en est aujourd'hui la grande et noble France !
Eh bien, irez-vous placer aujourd'hui nos institutions municipales au-dessous même et à la queue des institutions municipales de la France ?
Je ne puis le croire. La Belgique dans tous les temps s'est placée, surtout pour les franchises communales, à la tête des autres peuples ; il faut qu'elle conserve cette place d'honneur. C'est donc pour effacer de nos institutions la trace des mutilations qu'y ont portées les mesures réactionnaires de 1842 que j'engage la chambre à adopter l'amendement que j'ai l'honneur de présenter pour rétablir dans toute sa pureté la disposition de la loi de 1836, relative à la nomination des bourgmestres.
M. le président. - Un amendement vient d'être déposé par M. Castiau. Il est ainsi conçu :
« Les dispositions de la loi de 1842, relatives à la nomination et à la révocation des bourgmestres, sont révoquées, et les articles 2 et 56 de la loi du 30 mars 1836 sont remis en vigueur dans les termes suivant : »
(Suit le texte de ces articles.)
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je commence par déclarer aux honorables auteurs des amendements, que je me propose de les repousser. Nous croyons, messieurs, être restés dans des limites sages, en nous bornant à demander pour le gouvernement le droit de nommer le bourgmestre en dehors du conseil pour des raisons administratives et par conséquent avec l'avis conforme de la députation. Voilà dans quelles limites le projet de loi a été présenté. Voilà dans quelles limites il avait été annoncé aux chambres dans le programme ministériel qui a reçu la sanction de la grande majorité de cette chambre.
A l'occasion de ce projet de loi, comme à l'occasion des autres projets, nous tenons à faire dès le principe de la discussion cette déclaration que i nous n'irons pas au-delà des propositions du gouvernement.
L'on dit que l'extension qu'on veut donner aux propositions du gouvernement, relativement à la nomination du bourgmestre, est réclamée par l'opinion publique.
C'est l'honorable M. Castiau qui a mis en avant (un ou deux mots illisibles) voir son opinion réfléchir en quelque sorte l'opinion publique. L'honorable membre, suivant moi, est dans l'erreur. L'opinion publique ne réclame pas ce que l'honorable membre croit devoir réclamer, la chambre ne le réclame pas davantage ; dans les sections aucune proposition n'a été faite ayant pour objet de refuser au gouvernement, dans tous les cas, la nomination en dehors du conseil.
M. Castiau. - C'est une erreur ; j'en ai fait la proposition dans la section où je me trouvais avec l'honorable M. Rogier.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je n'étais pas présent ; et, dans tous les cas, je constate que cette opinion est restée isolée et qu'il n'y a été donné aucune suite.
M. Castiau. - Elle a été rejetée ; mais elle n'est pas restée isolée.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je n'aperçois donc pas les symptômes de l'opinion publique ou d'une opinion favorable, qui se serait formée dans cette chambre pour une pareille proposition.
Messieurs, jusqu'ici deux orateurs seulement ont critiqué le projet du gouvernement, en disant que nous faisions trop peu. Je vois avec plaisir que d'autres orateurs ne viennent pas soutenir que nous faisons trop. Sous ce rapport, je ne puis que me féliciter du progrès et du calme qu'on peut remarquer dans l'opinion publique.
Je ne blâme pas l'honorable M. Castiau d'exprimer ici son opinion. Qu'elle soit ce qu'on veut bien appeler plus avancée que la mienne, plus avancée même que celle de l'honorable M. Delfosse, il n'y a rien à redire à cela ; l'honorable M. Castiau reste parfaitement conséquent avec ses principes, avec ses antécédents. Je ne lui demande pas de changer de position ; il voudra me permettre de garder la mienne.
Je dois combattre l'amendement de l'honorable M. Delfosse qui a pour but de soumettre la révocation des bourgmestres à l'avis conforme de la députation.
Je fais observer à cet égard (et cette observation s'applique également à l'amendement de l'honorable M- Castiau) que l'opinion publique qu'on a invoquée ne réclame pas ces modifications à la loi communale de 1842. Nulle part, je n'ai entendu réclamer ces modifications. La proposition n'a pas été faite par les sections. Je regrette qu'elle ail tout à coup surgi dans la chambre.
M. Delfosse. - Je l'ai proposée à la section centrale.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Il n'en a pas été question dans les sections. Si elle a été produite à la section centrale, c'est par l'auteur même de la proposition. Le cas est le même pour l'honorable M. Castiau.
On trouve une sorte d'analogie, de connexité entre la disposition qui donnerait au gouvernement le droit de nommer en dehors du conseil, de l'avis conforme de la députation, et celle qui ne lui accorderait le droit de révoquer le bourgmestre que sous la même réserve.
Mais il n'y a pas la moindre analogie entre l'un et l'autre cas. Dans le cas de nomination en dehors du conseil, sur quelle circonstance la députation est-elle consultée ? Ce n'est pas sur la question de savoir si telle ou telle personne a les qualités nécessaires pour être bourgmestre. Elle est consultée sur la question de savoir si les nécessités administratives exigent que le bourgmestre ne soit point choisi dans le sein du conseil. Voilà sur quels faits la députation est consultée et non sur un nom propre,
La situation est tout autre, quand il s'agit de prononcer sur une question de convenance administrative ou sur un nom propre. et ici l'observation de la section centrale ne porte pas à faux, comme on l'a dit. Il est difficile à des corps électifs, plus ou moins dépendants des électeurs, et d'électeurs influents comme les bourgmestres des communes, de donner une opinion impartiale sur la révocation de tels fonctionnaires.
Quant à l'abus que le gouvernement pourrait faire de ce droit de révocation, on semble perdre de vue que ce droit n'est pas illimité, qu'il est subordonné à des conditions très précises, tellement précises, tellement étroites que la plupart du temps le gouvernement, sous l'empire de la législation actuelle, est dans l'impossibilité de débarrasser une commune d'un bourgmestre qui ne lui convient pas.
Pour que le gouvernement puisse exercer le droit de révocation vis-à-vis d'un bourgmestre, il faut que ce bourgmestre se soit rendu coupable d'inconduite notoire, ou de négligence grave. Hors ce cas, le gouvernement est tout à fait impuissant pour révoquer un bourgmestre qui ne suffit pas à la bonne direction des affaires de la commune. Ainsi, qu'un bourgmestre soit arrivé à l'âge de la décrépitude, qu'il soit physiquement incapable d'administrer la commune, il continuera de garder la place de bourgmestre (ce cas s'est présenté), et le gouvernement, malgré le vœu des électeurs, sera impuissant pour lui substituer un bourgmestre plus capable.
Si l'on consultait le tableau des révocations qui ont eu lieu, on verrait qu'il n'a pas été fait abus du droit de révocation ; et limité d'une manière sévère, comme il l'est par l'article 56, il n'est pas possible qu'il en soit fait abus.
On dit (on a donné cet argument comme le plus considérable de ceux qu'on a fait valoir) qu'il y aurait un grand danger pour le gouvernement à révoquer le bourgmestre sans l'avis conforme de la députation, et voici à quelles suppositions on s'est livré. Ou a dit : le gouvernement révoquera légèrement.
M. Delfosse. - Je n'ai pas dit légèrement. J'ai dit à tort ou à raison.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - C'est dire à tort ou à travers ou, comme je disais ; légèrement. Si c'est à bon droit, l'hypothèse tombe. Quand donc le gouvernement aura révoqué légèrement un bourgmestre, la députation sera offensée et lorsque le gouvernement lui demandera de nommer le nouveau bourgmestre hors du conseil, elle donnera par esprit de vengeance une réponse négative. D'abord il faut supposer que quand le gouvernement aura révoqué un bourgmestre, il ne trouvera dans le conseil personne capable de le remplacer.
C'est une supposition qui le plus souvent ne se réalisera pas. Le gouvernement révoquera un bourgmestre pour inconduite notoire ou pour négligence grave ; il trouvera dans le conseil des personnes capables de le remplacer et dès lors la députation n'aura pas à intervenir. S'il révoque légèrement et qu'il en résulte un blâme ou des embarras pour lui il subira les conséquences de sa faute.
(page 902) Cet inconvénient même engagera le gouvernement à se conduire avec circonspection.
Du reste qu'on ne fasse pas le gouvernement plus sévère, plus despote qu'il ne l'est en réalité. Quand il s'agit de procéder à des révocations, le gouvernement, en général, est toujours beaucoup plus disposé à l'indulgence qu'à la sévérité.
Le gouvernement est en général ami du statu quo en ce qui concerne les personnes. Il faudrait qu'arrivé par une réaction tout à fait violente, il fut entraîné lui-même dans des voies violentes pour qu'on eût à craindre qu'il fût fait abus d'un pareil droit.
Je dois donc, messieurs, finir comme j'ai commencé, en déclarant que je ne me rallie pas aux amendements proposés par l'honorable M. Delfosse et par l'honorable M. Castiau. Si des amendements dans un sens contraire étaient proposés, je les combattrais également. Le gouvernement, je le répète, se renferme dans les limites qu'il a posées dans son programme, et qu'il a reproduites dans son projet de loi.
M. de Brouckere. - Messieurs, l'opposition que fait l'honorable M. Castiau au projet du gouvernement est fondée sur cette considération que, dans tous les conseils communaux, on trouvera toujours au moins un homme capable d'être bourgmestre et disposé à accepter ces fonctions. Il est donc complètement inutile, d'après l'honorable membre, de prévoir le cas où, dans l'intérêt du bien public, il faudrait prendre le bourgmestre en dehors du conseil. Messieurs, je puis déclarer à la chambre que, dans ma carrière administrative, j'ai rencontré des cas où il y avait impossibilité absolue de trouver, parmi les conseillers communaux, un bourgmestre, ou capable, ou qui voulût accepter ; et si l'honorable M. Castiau veut en avoir la preuve, je le prie de relire l'enquête qui a été publiée en 1842 ; il y trouvera une lettre du gouverneur de la province d'Anvers, datée de 1841, et par laquelle il signalait au gouvernement une commune où le conseil communal était au complet et où aucun membre de ce conseil ne voulait accepter les fonctions de bourgmestre. « Aucun de ces membres, dit cette lettre, ne veut accepter les fonctions de bourgmestre, et cela sans qu'ils donnent, pour les refuser, d'autres motifs que leur éloignement pour les affaires publiques ou leur prétendue incapacité. »
Et remarquez-le bien, messieurs, le gouverneur s'était lui-même rendu dans la commune ; il avait fait des instances près des membres du conseil individuellement, et chacun avait persisté dans sa résolution. Il y avait donc impossibilité à donner à cette commune un chef définitif, un chef tel que la loi veut qu'il y ait dans chaque commune.
Je pourrais, messieurs, citer d'autres cas encore, non moins réels, et qui prouveraient à l'honorable M. Castiau que l'impossibilité dont on a parlé n'est pas une fiction.
La loi du 30 mars 1836 présentait donc évidemment une lacune en ce qui concerne la nomination des bourgmestres. C'est, messieurs, ce qui a amené la modification votée en 1842. Mais, dans la majorité qui a voté cette modification, il se trouvait, j'en suis certain, un grand nombre de membres qui ne voulaient adopter qu'une mesure administrative. Or, qu'est-il arrivé ? C'est que le gouvernement a abusé de cette mesure purement administrative ; c'est qu'il en a fait une mesure politique ; c'est qu'il y a puisé des moyens d'influence dont il a profité à l'occasion des élections ; et voilà, messieurs, ce qui a amené les récriminations contre cette modification à la loi de 1836 ; et voilà ce qui a mis en quelque sorte le gouvernement dans la nécessité de revenir à une législation plus sage.
Selon moi, messieurs, le projet du gouvernement répond à toutes les nécessités et prévient tous les abus.
Il répond à toutes les nécessités ; car il est certain que lorsqu'il sera impossible de trouver dans une commune un bourgmestre convenable, la députation permanente du conseil provincial n'hésitera pas à émettre l'avis qu'il y a lieu à prendre le bourgmestre en dehors du conseil.
Il préviendra les abus, parce qu'aucune députation permanente dans le royaume ne consentira à ce qu'on prenne un bourgmestre en dehors du conseil dans des vues politiques, dans des vues d'influence.
Elle ne consentira pas à ce que, comme cela est arrivé dans le passé, au lieu de prendre un bourgmestre en dehors du conseil dans l'intérêt de la commune, on le fasse contre l'intérêt de la commune.
Messieurs, l'honorable M. Castiau, revenant un peu sur ses pas, a cependant prévu le cas où le refus de tous les membres du conseil communal d'accepter les fonctions de bourgmestre, rendrait la position du gouvernement difficile. Quel remède propose-t-il ? Il vous propose d'insérer dans la loi...
M. Castiau. - Je n'ai pas proposé.
M. de Brouckere. - L'honorable M. Castiau, bien qu'il ne le propose pas, indique comme remède au mal qu'il signale lui-même, l'insertion dans la loi de l'obligation pour tous les conseillers communaux d'accepter les fonctions de bourgmestre lorsqu'ils en seront requis, et tout récalcitrant serait condamné à la privation de ses droits civils, ou au moins privé de sa place de conseiller communal.
Messieurs, je dis d'abord qu'un semblable système porterait atteinte à notre système électoral. Car il dépendrait du gouvernement d'éloigner ainsi du conseil communal certains conseillers qui lui déplairaient.
M. Castiau. - Comment ?
M. de Brouckere. - En les nommant bourgmestres.
Je suppose, et ce cas se réaliserait plus d'une fois, que dans un conseil communal, il se trouve un conseiller qui ne soit pas en position de pouvoir accepter les fonctions de bourgmestre, et dont il conviendrait au gouvernement de se défaire. Le moyen serait très simple. Il l'appellerait aux fonctions de bourgmestre et force serait au conseiller récalcitrant, à celui qui ne voudrait pas accepter, de renoncer à son mandat de conseiller. On éloignerait ainsi du conseil un élu de la commune.
Mais le système de l'honorable M. Castiau aurait bien un autre inconvénient ; ce serait celui d'éloigner des conseils communaux un grand nombre d'hommes capables, d'hommes jouissant de la confiance des habitants. En effet, combien ne se trouve-t-il pas de citoyens honorables qui ambitionnent l'honneur de représenter la commune comme conseillers, et qui ne se sentent ni les dispositions ni les talents nécessaires pour être le chef de la commune ?
Combien ne se trouve-t-il pas de ces citoyens qui peuvent consacrer quelques jours par mois aux intérêts de la commune et qui ne peuvent pas y donner le temps de chaque jour ! Eh bien, tous ces hommes, vous les éloignerez nécessairement du conseil communal, et je n'hésite pas à dire que ce serait là un très grand mal.
D'après ces considérations, je déclare que, fidèle aux opinions que je professais en 1842, je voterai pour le projet présenté par le gouvernement.
M. de La Coste. - Messieurs, je pense que nous sentons tout l'intérêt de ne pas faire aujourd'hui une loi qui puisse devenir une arme de parti, une arme électorale. Aucun de nous ne peut prévoir quelle sera sa position à une époque plus ou moins éloignée, et si l'arme qu'il aurait forgée ne serait pas employée à le combattre lui-même et ses principes.
Messieurs, le projet suppose trois propositions : d'abord qu'il est certains cas où il est indispensable que le gouvernement puisse nommer en dehors du conseil ; en second lieu, que cette faculté doit être accompagnée de garanties qui en préviennent l'abus, surtout au point de vue politique ; enfin que la garantie proposée par le gouvernement est celle qui atteint le mieux ce but. Je crois, messieurs, que si l'on n'admet pas ces trois propositions, on ne peut admettre le projet de loi.
Messieurs, de ces trois propositions, les deux premières, je dois le dire, sont assez conformes à mon opinion ; mes doutes se rapportent à la troisième.
Avant néanmoins d'en venir, messieurs, aux observations que je désire vous soumettre, quant au point principal, quant à la proposition du gouvernement, je dirai un mot de celle de l'honorable M. Delfosse. Je pense que, dans l'état actuel, la garantie pour les bourgmestres est plus grande que si l'amendement de M. Delfosse était adopté. M. le ministre de l'intérieur, en annonçant, avec une franchise et une fermeté à laquelle je rends hommage, en annonçant, dis-je, qu'il repousserait cet amendement, a déclaré qu'il trouvait des garanties complètes dans la loi actuelle. Je crois les garanties de la loi actuelle sinon aussi complètes qu'on pourrait le désirer, plus complètes au moins qu'elles ne le seraient si la députation intervenait, si son concours était non seulement consultatif, mais obligatoire. Messieurs, je vous prie de croire que mon intention n'est pas de jeter le moindre soupçon, le moindre doute sur le patriotisme et l'esprit de justice qui caractérisent les députations, mais je les considère à un point de vue abstrait, je considère leur position dans notre organisation politique, et je dois dire qu'en me plaçant à ce point de vue, je craindrais que leur concours ne diminuât les garanties des bourgmestres au lieu de les augmenter.
Je craindrais, messieurs, que les entraînements de la politique n'agissent davantage sur les députations qu'ils ne peuvent agir sur le ministère, et que celui-ci, trouvant sa responsabilité couverte par la députation, ne fût plus disposé à admettre les révocations, que s'il était laissé à son propre arbitre, s'il devait porter toute la responsabilité de ces actes.
L'honorable M. Delfosse a dit : Mais quand vous aurez révoqué un bourgmestre et que vous viendrez après cela, ne trouvant personne pour le remplacer, dans le conseil, que vous viendrez demander le concours de la députation pour procéder à son remplacement, en dehors du conseil, dans quelle position vous trouverez-vous ?
Eh bien, messieurs, ici je donne parfaitement raison à l'honorable M. Delfosse. Le gouvernement se trouvera dans une position fausse, dans une position où je ne crois pas que nous devons le placer ; car, messieurs, quelle que soit la forme du gouvernement sous laquelle nous vivions, le gouvernement sera toujours l'expression de l'unité nationale, qui se trouve ici en face des représentants d'une province, des représentants d'une circonscription limitée. Eh bien, messieurs, ces mêmes motifs combattent, selon moi, la proposition du gouvernement. L'exemple en est dans l'amendement de M. Delfosse que M. le ministre repousse avec raison, mais dans lequel M. Delfosse, à son tour, a raison contre M. le ministre, quand il en tire les conséquences. Les mêmes motifs qui me font craindre les entraînements d'opinion dans le concours obligé de la députation pour les révocations, me les font craindre aussi, lorsqu'il s'agira de nominations en dehors du conseil.
Je ne vous le cache pas, messieurs, je vous dirai ma pensée tout entière, je crains que tantôt le gouvernement ne se trouve paralysé dans l'exercice de la prérogative que vous lui conserveriez, et que tantôt, au contraire, ayant sa responsabilité couverte par un corps irresponsable et pouvant ainsi faire plus qu'il ne devrait faire, il ne se trouve pour ainsi dire forcé à le faire.
(page 903) Puisque l’on assure qu'il y a des abus, j'aimerais mieux, messieurs, que ces abus fussent prévenus en augmentant, en renforçant la responsabilité ministérielle qu'en la déplaçant. Ce n'est pas à moi, messieurs ; ce serait au gouvernement à indiquer les moyens d'atteindre ce but ; mais je n'y vois aucune impossibilité.
On pourrait, par exemple, imiter ce qui se fait dans d'autres pays en certaines occasions, savoir exiger le contreseing de tous les ministres. On pourrait encore, et je crois que cela existe en France, accorder seulement au gouvernement la faculté de nommer à la commune un administrateur provisoire pour un temps limité. Enfin, messieurs, il y a différents moyens qui pourraient être recherchés et trouvés sans qu'on dût avoir recours à celui qui est proposé.
Ainsi, messieurs, lorsque nous aurons à voter sur l'amendement de l'honorable M. Castiau, je me trouverai, je l'avoue, dans un certain embarras, car je me trouverai entre une proportion que je condamne en principe et une proposition qui ne me satisfait pas complétement parce que dans la pratique elle ne pourvoit pas à tout.
Voilà, messieurs, les observations que je crois devoir soumettre à la chambre, et je vous avoue que si les explications qui me seront données ne lèvent point ces objections, elles auront une grande influence sur mon vote.
M. Castiau. - L'honorable ministre de l'intérieur a bien voulu reconnaître la franchise et l'indépendance de mes opinions. Il vous a dit qu'en proposant mon amendement, je restais parfaitement conséquent avec tous mes antécédents et les opinions que j'ai exprimées dans toutes les circonstances et à vingt reprises différentes dans cette enceinte. Je le remercie de cet aveu et, à mon tour ; je suis prêt à rendre hommage à la franchise, à l'indépendance et à la loyauté des convictions de l'honorable ministre. Malheureusement, sur ce point encore, il y a entre nous un dissentiment profond, et la chambre me permettra de faire un nouvel effort en faveur d'une opinion qu'on veut bien reconnaître être l'expression d'une conviction consciencieuse.
M. le ministre de l'intérieur commence par déclarer qu'il avait renfermé la proposition du gouvernement dans les limites de la modération et de la sagesse, et que, dans aucun cas, il n'irait au-delà.
Il me semble que je ne suis pas sorti de ces limites, vous proposant mon modeste amendement.
De quoi s'agit-il donc, en définitive ? Ai-je demandé une disposition nouvelle, une disposition bien effrayante, le retour à la nomination directe des bourgmestres par les électeurs ? Mais, non, vraiment ; j'ai demandé bien humblement, bien timidement, le rétablissement de la disposition de la loi de 1836. Viendra-t-on dire que la loi de 1836 avait un caractère d'exagération et de danger ? Mais tous l'ont proclamée une loi de transaction, dans laquelle on n'avait que trop accordé aux exigences de la centralisation.
Il me semble donc que la critique indirecte que m'a adressée M. le ministre de l'intérieur, si elle était fondée, au lieu de frapper mon amendement, retomberait sur la législation de 1836, sur cette législation qui, quand elle a été attaquée en 1842, a trouvé d'énergiques et de chaleureux défenseurs dans cette enceinte et sur tous les bans de l'opposition libérale.
Il m'était arrivé de prétendre que l'opinion publique réclamait la modification que j'avais l'honneur de soumettre à la chambre. M. le ministre de l'intérieur m'a contesté le droit de parler, dans cette circonstance, au nom de l'opinion publique ; Je n'en ai pas le mandat ; soit.
Mais M. le ministre ne me contestera pas, du moins, le droit de parler au nom de l'opposition libérale tout entière. C'est cette opposition tout entière qui s'est soulevée en 1842 dans cette enceinte contre les modifications qu'on a proposées alors à la loi communale, et surtout celle relative à la nomination du bourgmestre en dehors du conseil communal. On m'interrompt pour me dire qu'elle a voté la disposition que le gouvernement propose. Oui, elle l'a votée ; mais c'est après avoir échoué sur la question de principe. Elle l'a votée, mais avec répugnance, en désespoir de cause, et comme pis-aller.
Ainsi donc je suis autorisé à soutenir que toute l'opposition libérale, en 1842, a protesté contre la nomination des bourgmestres eu dehors des conseils. C'est donc au nom de cette majorité que je parle en ce moment, et l'on ne me contestera pas ce droit. J'avais, du reste, également le droit, ce me semble, d'invoquer le jugement du pays et de parler au nom de l'opinion publique ; car l'opinion publique, qu'on ne l'oublie pas, a frappé d'une réprobation générale, absolue, unanime toutes ces lois réactionnaires, sans exception ; elle a frappé d'un véritable anathème national toutes ces modifications où elle ne pouvait voir qu'une pensée de réaction, de colère et de haine contre nos principales institutions, contre nos institutions libérales.
Et puisque M. le ministre de l'intérieur a eu la franchise de déclarer qu'il n'irait pas au-delà des propositions du gouvernement, jdelui dirai avec la même franchise que dans toutes les dispositions qui seront soumises à la chambre et qui seront relatives à l'œuvre réactionnaire de 1842, je me ferai un devoir de proposer le retour pur et simple à la loi de 1836. C'est une expiation que nous voulons infliger à nos adversaires. Depuis 1842, l'opinion du pays attend une réparation énergique et décisive. Qu'on ne s'y trompe pas, ce sont ces lois réactionnaires qui ont comblé la mesure, et qui ont si vivement agité le pays. Ce sont ces lois, c'est l'émotion qu'elles ont produite, ce sont les répugnances qu'elles ont inspirées qui ont soulevé la majorité des électeurs et amené la chute de l'ancien ministère.
Les élections du 8 juin n'étaient qu'une protestation contre les mesures réactionnaires que nous poursuivons aujourd'hui. J'avais donc le droit de parler au nom de l'opinion publique. Mes paroles n'étaient que l'écho affaibli de la protestation énergique qui a renversé la vieille politique et ses représentants.
Du reste, M. le ministre de l'intérieur n'a pas poussé plus loin sa réfutation en ce qui me concerne ; il s'est borné à ces quelques considérations générales ; mais qu'il me permette de le lui rappeler, il n'a pas répondu aux objections que j'avais eu l'honneur de soumettre à la chambre à l'appui de mon amendement.
J'avais dit que la proposition du gouvernement, tendant à faire nommer le bourgmestre en dehors du conseil, même avec l'avis conforme de la députation permanente, était à la fois inutile et dangereuse ; - j’ai dit que cette prérogative exceptionnelle était inutile, parce que le gouvernement était armé d'attributions assez nombreuses pour diriger, contenir et, au besoin, dominer les administrations communales : droit de nomination, droit de révocation, droit d'approbation et droit d'annulation. N'eût-il pas toutes ces attributions, qu'il lui suffirait de recourir, en cas de négligence ou de mauvais vouloir, au droit exorbitant que lui confère l'article 88 de la loi communale, et d'envoyer aux frais personnels des administrateurs, dans les communes récalcitrantes, des espèces de proconsuls ministériels qui se mettent en lieu et place des administrations communales ? Que faut-il craindre encore, armé d'une prérogative aussi exorbitante ?
J'ai dit que la disposition était dangereuse ; en effet, l'assentiment de la députation permanente fera-t-il cesser l'hostilité qui existera nécessairement entre ce bourgmestre, ce commissaire royal, nommé en dehors des éléments du conseil communal, et le conseil communal lui-même ? L'intervention de la députation permanente donnera-t-elle la consécration populaire à ce bourgmestre ? Le choix fait en dehors du conseil communal, ne sera-t-il pas en définitive une espèce d'injure et au conseil communal lui-même et au corps électoral, et à toute la population de la commune ?
Eh bien, un pouvoir qui se présente ainsi déconsidéré, ainsi flétri d'avance, ce pouvoir est impuissant pour faire le bien et pour administrer ; l'homme qui est frappé dans la commune d'un tel discrédit qu'il n'a pu arriver aux modestes fonctions de conseiller communal, verra s'affaiblir et s'avilir dans ses mains l'autorité dont vous allez le revêtir. Il y aura là un conflit perpétuel, un principe permanent de lutté et de déchirement.
L'avis conforme de la députation permanente n'empêchera pas ces conflits de naître entre ce bourgmestre imposé à la commune par le gouvernement et le conseil communal appuyé sur les électeurs et souvent sur la population entière.
On n'a pu invoquer contre cette opinion qu'un exemple, qu'un exemple unique ; c'est celui qui a été cité par l'honorable M. de Brouckere. L'honorable membre a feuilleté le Moniteur qui paraît être devenu sa lecture habituelle, car il le parcourt encore en ce moment, et il a trouvé que, dans je ne sais quel coin de la province d'Anvers, il y avait eu une commune où les conseillers municipaux avaient refusé, avec une unanimité embarrassante, le mandat de bourgmestre. Et c'est pour ce fait unique, qui n'a pas de précédents et qui ne peut guère se reproduire, qu'on persiste à réclamer l'adoption d'une loi exceptionnelle !
Répondant à l'honorable M. Delfosse, qui avait produit la même hypothèse, je disais que, dans ce cas, il y aurait lieu peut-être de déclarer que ceux qui se coalisent pour refuser des fonctions publiques et rendre l'administration impossible méritaient d'être frappés d'une sorte de dégradation civique et dépouillés de leur mandat de conseiller municipal.
Que me répond l'honorable M. de Brouckere ? « Le gouvernement pourrait ainsi exclure du conseil communal un membre qui ne lui conviendrait pas, en l'appelant aux fonctions de bourgmestre. »
Ainsi, il y a dans le conseil communal un membre qui ne convient pas au gouvernement ; il est hostile ou incapable ; et le gouvernement, se vengeant avec une abnégation toute chrétienne, irait confier à cet adversaire la plus haute des fonctions municipales et tripler son influence ! Cette argumentation n'est pas sérieuse.
Il y a là une contradiction tellement choquante que j'ai peine à comprendre qu'elle se soit trouvée dans la bouche de l'honorable membre.
Mais prenez garde, a-t-il ajouté ; si vous allez frapper d'une espèce de dégradation civique le conseiller communal qui refusera les fonctions de bourgmestre, personne ne voudra plus accepter les fonctions de conseiller communal.
Mais je ferai remarquer à l'honorable membre que d'abord je n'ai pas fait de proposition à la chambre de ce chef ; c'est simplement une idée générale que j'ai soumise aux méditations de la chambre, en appelant son attention sur la nécessité de rendre obligatoire l'accomplissement des devoirs civiques.
Quand j'ai exprimé l'opinion qu'il y aurait peut-être lieu de priver de l'exercice de leurs droits politiques ceux qui, sans motifs légitimes, refuseraient d'accomplir leurs devoirs civiques, j'entendais que cette mesure s'appliquât au mandat de conseillers communaux et surtout à toutes les fonctions électives. L'objection de l'honorable membre n'a donc pas l'ombre de fondement.
(page 904) On a traité, ce me semble, avec un peu trop de légèreté les observations que j'avais eu l'honneur de vous soumettre sur la nécessité d'attacher une sanction à l'exercice des droits et à l'accomplissement des devoirs civiques.
J'ai dit qu'il y avait là une lacune dans nos institutions représentatives. Elles sont faites pour des citoyens zélés et supposent partout l'abnégation le dévouement et le patriotisme. Malheureusement, dans notre siècle si positif, l'on a tort de compter sur un tel mobile, et quand le patriotisme fait défaut, il faut bien recourir aux moyens coercitifs pour le réveiller. Puisque vous ne pouvez pas compter uniquement sur le dévouement, il ne vous reste que la contrainte et la sanction la plus énergique que vous puissiez donner à nos institutions électives, c'est l'interdiction des droits civiques pour ceux qui les abdiquent volontairement et sans motifs. Cependant je n'ai pas eu la pensée de faire de cette sanction l'objet d'une proposition formelle ; c'est un sujet d'étude que j'ai voulu soumettre à la chambre. Cette idée, je l'ai dit tout le premier, doit être mûri ; un jour peut-être elle pourra prendre place dans nos institutions, pour en assurer l'exécution.
Si l'honorable membre la repousse d'avance, s'il pense qu'il lui faut d'autres garanties contre le danger passablement hypothétique dont il vous a parlé, je préférerais donner au gouvernement le droit de dissoudre les conseils communaux plutôt que la nomination des bourgmestres en dehors du conseil. La dissolution, ce n'est, après tout, qu'un appel à la prérogative populaire, c'est le renvoi du bourgmestre et des conseillers devant leurs juges naturels, les électeurs. Ce droit ne m'épouvante pas. Car plus les élections sont fréquentes et mieux les intérêts et les droits populaires sont défendus.
A tout prendre, donc, je le répète, je préférerais donner au gouvernement le droit de dissolution, le droit d'en appeler aux électeurs, que de lui conserver le droit de nommer le bourgmestre en dehors du conseil, parce que ce droit, même soumis à l'approbation des députations permanentes, sera toujours, pour toutes les communes où l'on en ferait usage, un principe de lutte, de désordre et d'anarchie.
M. de Theux. - J'éprouve un véritable embarras de prendre part à cette discussion, parce que je la trouve sans portée réelle, ni politique, ni administrative. Cependant je ne puis me dispenser de dire quelques mots. Le projet en discussion qui concerne la nomination des bourgmestres en dehors du conseil, non plus que celui concernant le fractionnement des collèges, ne portent aucune espèce de préjudice aux opinions politiques défendues par la minorité de cette chambre. J'en trouve une preuve.
M. le ministre de l'intérieur en 1833 a soutenu devant cette chambre un article en ce qui concerne la nomination des bourgmestres, qui était entièrement conforme à la disposition de l'article 2 de la loi communale actuellement en vigueur qu'il propose de révoquer. De plus, dans le projet de 1833 on trouva le droit absolu de révoquer le bourgmestre, sans en donner aucune espèce de motif.
Il est constant que quand M. le ministre de l'intérieur en 1833 a soutenu cette thèse, quand l'honorable M. Nothomb et une fraction de la minorité actuelle ont défendu la même thèse en 1842, il ne s'agissait pas de faire prévaloir les intérêts spéciaux de la politique représentée par cette minorité actuelle.
On a regardé comme réactionnaire la loi de 1842 ; si cette loi était réactionnaire, le projet de 1833 l'était davantage encore, puisqu'il allait beaucoup plus loin. En ce qui concerne la nomination des bourgmestres, on veut par le nouveau projet empêcher qu'une considération politique puisse dominer le choix en dehors du conseil ; on vous propose à cet effet de dire qu'il ne pourra l'être que de l'avis conforme de la députation permanente du conseil provincial. La députation, dit-on, n'émettra jamais que des avis fondés sur des considérations administratives.
Pour moi, je considère cela comme une assertion, et en aucune manière comme un principe ou comme une vérité. La députation est un corps électif. L'expérience de 1836 à 1848 a prouvé que dans plus d'une circonstance ces corps électifs se sont élevés à des positions politiques. Or la politique ne dominera-t-elle jamais une députation quand elle émettra un avis sur l'utilité de nommer le bourgmestre en dehors du conseil ? Pour moi, je n'oserais pas l'affirmer. Si je le faisais, je manquerais à mes convictions.
Que conclure de là ? C'est que la prétendue amélioration qu'on vous présente n'en est pas une, qu'au contraire la nouvelle loi sera moins en harmonie avec les principes que la loi de 1842 ; car veuillez bien le remarquer, la grande considération qui a dominé la discussion de 1842, c'est qu'au Roi appartient le pouvoir exécutif, que ce pouvoir est exercé par des ministres responsables avec le consentement et la signature du Roi. Or, messieurs, peut-on assurer qu'il y aura partout exécution réelle des lois, quand le pouvoir pourra se retrancher derrière un avis négatif de la députation permanente du conseil provincial ?
Il pourra toujours dire : Les députations ne sont pas disposées à accorder au gouvernement la faculté de nommer le bourgmestre en dehors du conseil, le gouvernement n'est pas responsable des abus de pouvoir ou de l'inexécution des lois dans telle ou telle circonstance.
Dans d'autres cas, le gouvernement après avoir fait un choix politique en dehors du conseil, si on le lui reproche, répondra : « Mais je suis à couvert, la députation a donné, un avis conforme ; elle a été d'avis qu'il y avait lieu de nommer en dehors du conseil. » Ainsi, au point de vue des libertés communales, le résultat le plus clair de la loi sera de mettre le ministre à couvert de toute responsabilité. Aujourd'hui, si on fait un choix en dehors du conseil, si ce choix soulève des difficultés administratives, on reproche au ministre la nomination qu'il a proposée au Roi.
A l'avenir, quand il le fera de l'avis conforme des députations, il se lavera les mains, il dira : Ce sont les députations qui sont responsables. La responsabilité collective ne tombe sur personne, on ne saura pas si l'avis a été donné à l'unanimité ou à la majorité. Comme il arrive toujours en pareil cas, chacun tâchera de garder le secret le mieux qu'il pourra. La députation étant un corps électif, tout corps électif désirant perpétuer son mandat, chacun craindra toujours de faire connaître l'opinion qu'il a émise, soit qu'il ait été sollicité par quelqu'un qui désirait être nommé bourgmestre, soit qu'il craigne le ressentiment des conseillers communaux qui auront vu, contre leur gré, introduire un bourgmestre étranger.
Je dis donc que la disposition qu'on vous propose n'est réellement pas une amélioration, et qu'elle ne préviendra en aucune manière les inconvénients politiques qu'on a signalés et qu'on pourrait craindre.
Quant à moi, en aucune circonstance, quoique nous ayons aujourd'hui une administration qui s'est posée en opposition avec nos principes, je n'aurais pris l'initiative du rappel de cette loi. C'est avec regret que je l'ai vu proposer.
J'attendrai le cours ultérieur des débats pour me prononcer.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - L'honorable M. de Theux ne paraît pas encore avoir pris son parti sur le rôle qu'il compte jouer au moment du vote. Après avoir combattu la proposition à la fois comme insignifiante, et comme présentant certains dangers, l’honorable préopinant finit en déclarant qu'il ne sait pas encore quelle sera en définitive son opinion au moment du vote.
Je regrette que l'honorable préopinant, qui depuis si longtemps occupe un rang distingué dans le parlement, qui a joué un rôle si important dans les affaires, ne puisse dès maintenant nous donner son opinion définitive sur la portée de cette loi.
L'honorable préopinant, cependant, fait ses efforts (je dois le reconnaître) pour rapetisser, pour amoindrir autant que possible ce projet. Serait-ce qu'en définitive il se croira peut-être dans l'obligation de devoir voter avec nous, à la fin de cette discussion ? Eh bien, je dois le déclarer, la proposition n'a, il est vrai, rien d'exorbitant, mais elle n'est pas non plus aussi petite que voudrait la faire l'honorable préopinant ; il faudrait au moins que les dispositions d’esprit de l’honorable préopinant et de ses amis politiques fussent singulièrement changées, car, si j’ai bonne mémoire, il n’y a pas un an que l’idée de voir de pareilles propositions faites à la chambre faisait jeter des cris de frayeur à plusieurs amis de M. de Theux, et, je pense, à l'honorable M. de Theux lui-même.
Mais enfin je veux bien permettre à l'honorable M. de Theux d'employer ce moyen de se rallier à la proposition.
L'honorable M. de Theux qui, peut-être par plusieurs motifs, devrait être sobre de revues rétrospectives.....
M. de Theux. - Je n'ai aucun motif de les craindre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Pardon, vous en avez plusieurs et de très graves.
L'honorable M. de Theux est venu me rappeler 1833. Il s'étonne qu'en 1848 je vienne faire une proposition que je n'avais pas faite dans un projet de loi de 1833. D'abord je pourrais dire qu'entre 1833 et 1848 il s'est passé 15 ans. Quelque bon conservateur que je sois, j'entends des bonnes institutions, je n'ai pas pris l'engagement de rester à quinze ans d'intervalle parfaitement conséquent avec toutes mes opinions.
Mais je ne puis accepter l'espèce de récrimination qu'a voulu m'infliger l'honorable M. de Theux. Il est vrai que dans le projet de 1833, la nomination du bourgmestre sans limite était proposée, mais il est vrai aussi qu'en 1836, sous l'administration de l'honorable M. de Theux, de son aveu, avec son assentiment il y a eu une réaction qui a passé dans la loi communale. L'honorable M. de Theux l'a acceptée.
Pourquoi en 1842, n'y est-il pas resté fidèle ? Pourquoi d'une loi de transaction a-t-il fait une véritable loi de transaction ? En 1842, nous avons combattu la proposition soutenue alors par M. de Theux, en nous appuyant sur la transaction de 1836. Nous avons pu avoir en 1833 des défiances sur les effets du système, système qui a prévalu en 1836, mais ce système a fonctionné jusqu'en 1842 sans aucun embarras grave pour l'administration supérieure. Aucun intérêt gouvernemental ne nécessitait ce changement relatif à la nomination du bourgmestre, pas plus que les autres changements apportés à la loi communale. Mais la suite l'a bien prouvé, on a voulu alors trouver dans la loi communale une arme de parti, une arme politique, voilà l'origine de la loi que nous avons combattue en 1842.
Cela est tellement vrai qu'à peine en possession de cette loi, le gouvernement en a fait abus, non pour pourvoir à la bonne administration des communes, mais pour introduire dans les conseils communaux des bourgmestres, hommes politiques, agents électoraux. Ainsi, s'il y a ici quelque inconséquence à signaler, ce n'est pas de 1833 à 1848, mais de 1836 à 1842.
Je n'en fais pas un reproche à l'honorable préopinant, je voudrais qu'on s'épargnât ces récriminations, ces sortes de retours vers le passé. Du reste, je les accepte sans peine pour mon compte ; je n'ai rien à regretter de mon passé, ni rien à en retrancher.
On dit que l'avis conforme de la députation n'offrira aucune garantie à la commune, je crois le contraire.
(page 905) L'honorable M. de Theux me permettra de prendre mes preuves non dans de simples hypothèses, mais dans des faits réels. Plusieurs communes d'une province libérale ont eu à subir les conséquences politiques de la loi de 1842 : sans qu'il y eût des motifs autres que des motifs purement politiques, leur bourgmestre fut nommé hors du conseil. Si à cette époque le gouvernement avait dû prendre l'avis conforme de la députation, pour décider si, au point de vue administratif, il y avait lieu de nommer les bourgmestres hors du conseil dans ces communes, bien certainement, messieurs, cet avis conforme n'aurait pas été donné, et le gouvernement aurait été arrêté dans cette voie réactionnaire, dans cette voie toute politique, vis-à-vis des communes où il espérait gagner de l'influence à l'aide de ce moyen, moyen qui ne lui a pas réussi.
Voilà donc, messieurs, des circonstances où la députation peut servir de barrière utile aux entraînements du pouvoir, et peut parfaitement garantir la commune contre des actes arbitraires.
Sans doute, la députation est un corps électif ; sans doute, la politique entrera aussi pour quelque chose dans les décisions des députations ; mais de tous nos corps électifs, la députation est certainement celui où la politique est appelée à jouer le moindre rôle. L'intérêt politique est l'intérêt secondaire dans la députation ; l'intérêt administratif est, au contraire, son intérêt de tous les jours.
La députation a tous les jours affaire avec les communes ; elle est la première intéressée à ce que les administrations communales marchent régulièrement, soient dirigées par de bons bourgmestres. Voilà l'intérêt permanent, l'intérêt quotidien de la députation, et je ne crois pas que cet intérêt puisse jamais être effacé dans l'esprit de ses membres par un intérêt politique.
J'ai peut-être tort, messieurs, d'insister aussi longtemps pour défendre une proposition qui, à vrai dire, n'est pas très fortement attaquée par nos honorables adversaires.
Je dots maintenant répondre un mot à notre honorable ami M. Castiau.
L'honorable M. Castiau trouve, comme l'honorable M. de Theux, la proposition inutile ; il la trouve également, à certain point de vue, dangereuse. Le choix, dit-il, en dehors du conseil sera une injure, un outrage par les communes ; de là de grands embarras pour le gouvernement ; de là peut-être des perturbations continuelles.
Avec les réserves introduites dans la loi, le choix du bourgmestre en dehors du conseil ne sera jamais considéré comme une injure ou comme un outrage pour des habitants de la commune. Ce sera lorsque la nécessité administrative aura été constatée, ce sera souvent à la demande des habitants de la commune eux-mêmes, à la demande des conseillers communaux que le bourgmestre sera choisi en dehors du conseil. Quelquefois la commune a grandement à souffrir de l'absence d'un bourgmestre convenable ; il arrive quelquefois que le conseil lui-même verrait avec plaisir un bourgmestre choisi en dehors de son sein ; et sous ce rapport, loin d'être un outrage à la commune, la nomination du bourgmestre en dehors du conseil pour des motifs administratifs, sera presque toujours reçue avec reconnaissance par la commune.
La proposition, dit-on, est inutile, parce que le gouvernement a en mains d'autres moyens de pourvoir à la direction des affaires de la commune, si un bourgmestre venait à lui manquer : et voici les trois moyens qui sont mis à la disposition du gouvernement par l'honorable M. Castiau. Je vais faire juge l'honorable M. Castiau lui-même de la libéralité de ces moyens. Pour ma part, je les repousse comme par trop violents, trop énergiques, excepté cependant le dernier.
Avec l'interdiction de choisir les bourgmestres en dehors du conseil, si aucun conseiller ne veut accepter les fonctions de bourgmestre, que fera le gouvernement ?Le gouvernement, dit-on, enverra un commissaire spécial à demeure dans la commune, aux frais des administrateurs, une espèce de proconsul au petit pied qui viendra, au nom du gouvernement, administrer cette commune et l'administrer à ses frais jusqu'à ce qu'il lui plaise de fournir au gouvernement un bourgmestre.
M. Castiau. - C'est la disposition de la loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Le gouvernement envoie des commissaires spéciaux, lorsque des conseils communaux sont en retard de fournir quelque renseignement sur une affaire. Mais ce n'est pas du tout ici le cas. Il faudrait faire un étrange abus de la loi pour appliquer cet article au cas où un bourgmestre viendrait à faire défaut dans une commune. Ce moyen serait extrêmement violent, il serait ultra-gouvernemental, et je m'étonne que l'honorable membre ait cru devoir l'indiquer.
On ne veut pas que le gouvernement, dans certains cas et de l'avis conforme de la députation permanente, puisse choisir un bourgmestre en dehors du conseil ; et en même temps on reconnaîtrait au gouvernement le droit d'envoyer, sans avis quelconque et à perpétuité, dans la commune, un commissaire spéciale faisant les fonctions de bourgmestre ! Vraiment ce raisonnement ne tient pas.
Un second moyen est indiqué par l'honorable M. Castiau, c'est de nommer des bourgmestres malgré eux sous peine d'être destitué comme conseillers communaux. Eh bien, je vais lui poser une hypothèse. Je suppose que les honorables ministres qui nous ont précédés sur ce banc trouvant que l'honorable M. Castiau, dans un conseil communal, leur faisait une opposition désagréable, aient pensé à lui confier le titre de bourgmestre. L'honorable M. Castiau, fidèle à ses principes, aurait repoussé de pareilles fonctions venant de pareilles mains. Voilà l'honorable M. Castiau destitué de sa place de conseiller communal.
Le second moyen ne vaut pas mieux que le premier, et pour ma part, je ne pourrais l'accepter.
Vient le troisième moyen, et j'avoue qu'ici je suis heureux de me trouver d'accord avec l'honorable M. Castiau. Du reste, j'espère que nous serons souvent d'accord, tout en nous réservant sur .certaines questions.
L'honorable M. Castiau dit : Un troisième moyen, c'est là dissolution. Eh bien, l'honorable M. Castiau veut-il de ce troisième moyen ? Veut-il le proposer à la chambre ?
M. Castiau. - Si vous voulez renoncer au projet du gouvernement, je fais de ce moyen l'objet d'une proposition formelle.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Ceci nous jetterait dans un tout autre ordre d'idées. Mais je reconnais qu'avec le droit de dissolution, la proposition du gouvernement perdrait beaucoup de sa nécessité.
M. de Mérode. - Cela ne changerait rien.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Mais en 1833 j'ai soutenu dans cette enceinte qu'il fallait accorder au gouvernement le droit de dissoudre les conseils provinciaux. Ce droit, j'ai été presque seul à le soutenir, très peu de membres de la minorité d'aujourd'hui ont donné leur adhésion à l'opinion que j'exprimais alors au nom du gouvernement.
Ce droit de dissolution était consacré aussi dans le projet de loi communal. L'honorable M. de Theux y a renoncé. Il ne l’avait pas trouvé convenable dans la loi provinciale ; il ne l'a pas soutenu dans la loi communale.
Veut-on aujourd'hui introduire cet élément nouveau dans notre législation ? En principe je n'y suis pas contraire. Mais ce serait une modification extrêmement grave et peu attendue dans ce moment. Je ne la repousse pas en principe, je le répète ; je l'ai soutenue. Mais je pense qu'à propos delà loi en discussion nous ne pouvons pas improviser tout un nouveau système.
Je crois, messieurs, avoir répondu aux observations et de l'honorable M. de Theux et de l'honorable M. Castiau, et je persiste à maintenir la proposition du gouvernement.
M. Delfosse commence un discours qui sera continué demain. Nous donnerons demain ce discours en entier.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.