(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 468) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à midi et demi.
- La séance est ouverte.
M. Troye donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.
M. A. Dubus fait connaître l'analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur Dubois, cultivateur à Seneffe, demande que, dans certains cas, il soit permis de faire usage de bricoles pour la destruction des lièvres, ou que le gouvernement soit autorisé à prendre des mesures pour protéger les productions agricoles contre les lièvres comme il peut le faire contre les lapins. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« L'administration communale de Cappellen prie la chambre de ne pas adopter la proposition qui lui serait faite d'interdire l'entrée et la sortie de marchandises par la route de Bergen-op-Zoom, bureau de Putte, Stabroeck. »
- Même renvoi.
« Le sieur Alexandre-Joseph Deswelles, domestique à Bruxelles, né à Noeux (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Augustin Lemaire, médecin-vétérinaire à Hyon, né à Boiry Becquerelle (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Dujardin et Vander Elst, président et secrétaire du Cercle de commerce et de l'industrie à Bruges, prient la chambre de s'occuper du projet de loi sur l'enseignement agricole et demandent que l'institut agricole soit établi à Bruges. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Plusieurs habitants des communes du canton sud de Namur prient la chambre de rejeter le projet de loi relatif au droit de succession. »
« Même demande de plusieurs habitants de la commune de Chastre-Villeroux-Blaumont. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de Bruxelles demandent qu'il soit fait des économies dans les dépenses de l'Etat. »
- Renvoi à la commission des pétitions et dépôt sur le bureau pendant la discussion des budgets.
M. Zoude, au nom de la commission de circonscription cantonale, dépose le rapport sur un projet de loi tendant à transférer à Eghezée le chef-lieu de la justice de paix établi à Dhuy.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.
M. Zoude, rapporteur de la commission des pétitions. - « Les administrations communales de Durbuy, Tohogne, Borlon, Barvaux et autres demandent que la route de grande communication de Sainré à Durbuy soit déclarée route de l'Etat. »
Les pétitionnaires font valoir à l'appui de leur demande plusieurs considérations qui méritent d'être appréciées ; c'est par ce motif que votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition au département des travaux publics.
- Ces conclusions sont adoptées.
« Article unique. Liste civile ( Mémoire ) : fr. 2,751,322 75
- Cet article n'est pas mis aux voix.
« Article unique. Sénat : fr. 40,000. »
- Adopté.
« Article unique. Chambre des représentants : fr. 438,650. »
- Adopté.
« Art.1er. Membres de la cour : fr. 58,000. »
- Adopté.
Art. 2. Personnel des bureaux : fr. 87,000. »
La section centrale propose de réduire le chiffre de cet article à 81,000 fr.
M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, suivant le projet de budget présenté au mois d'avril dernier, le crédit pour le personnel des bureaux de la cour des comptes était de 87,000 fr.
La cour, ayant' eu connaissance des motifs qui ont engagé la section centrale à ne pas accueillir l'augmentation de 16,000 fr., s'est empressée de compléter ses premières explications et de démontrer que le supplément de crédit qu'elle réduit à présent à dix mille francs, est devenu nécessaire pour assurer l'exécution de la loi sur la comptabilité de l'Etat qui augmenterai le travail des bureaux.
Ces nouveaux développements à l'appui ont paru satisfaisants à la section centrale, qui a admis, à l'unanimité, moins la voix d'un membre qui s'est abstenu, la somme de dix mille francs.
Mais en se prononçant en sa faveur, la section centrale a fait une double réserve : la première qu'il sera pourvu à toute l'organisation définitive des bureaux au moyen du complément de dix mille francs. Je puis donner l'assurance à la chambre, car j'ai eu l'occasion de m'en entretenir avec M. le président de la cour, que l'intention bien arrêtée de ce collège est de déférer à cette invitation ; il en prendrait l'engagement s'il pouvait dès à présent apprécier avec une entière exactitude tout ce qui résultera de surcroît de besogne de l'exécution complète de la loi de comptabilité.
La seconde réserve consiste en ceci que la nouvelle allocation sera affectée aux traitements des employés à nommer pour les nouveaux services qui devront être créés, sauf une seule exception, que la cour semble avoir indiquée elle-même. Ici la cour demande plus de latitude. Elle désire que la chambre s'en rapporte à elle et elle croit qu'elle peut le faire en toute sûreté, tant à cause des principes d'économie bien connus de la cour que parce qu'elle entend, elle-même, être très réservée dans l'emploi d'une partie du crédit pour des augmentations de traitements ; cette augmentation n'aura lieu qu'exceptionnellement et dans des proportions fort modérées. Je pense, messieurs, que ces explications paraîtront suffisantes à la chambre et que le vote du crédit, ainsi entendu, ne rencontrera pas d'opposition.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, je me lève pour prêter mon appui à la déclaration, que vient de faire l'honorable ministre des finances, et qui tend à autoriser la cour des comptes à disposer de l'augmentation de crédit destinée au personnel de ses bureaux, d'une manière plus large que ne l'entend la section centrale ; car je pense que cette augmentation ne rencontrera pas de contradicteurs dans cette enceinte.
Je pense qu'il est opportun, pour légitimer cette disposition plus large du crédit en question, de vous apprendre quelle est la position du personnel des bureaux de la cour.
Je ne puis vous dissimuler, messieurs, que j'éprouve quelque répugnance à venir appuyer des augmentations pour des bureaux ; il me faut une conviction bien profonde pour m'y déterminer dans les circonstances présentes. Car personne n'est plus convaincu que moi, que la bureaucratie, qui est destinée à formuler par des écritures les actes de l'administration, est montée avec trop de luxe, sur une échelle trop large dans les départements ministériels ; que c'est là qu'il y a des économies à opérer. Mais ces économies ne sont réalisables que sur la proposition des chefs des départements eux-mêmes, car eux seuls sont à même de connaître, d'indiquer celles qui sont réalisables sans nuire au service.
Mais, messieurs, le taux des traitements des bureaux de la cour n'a aucune analogie avec ceux des départements ministériels, et je me hâte de vous le dire, mon intention n'est pas de demander que les traitements de la cour soient mis au niveau de ceux des ministères. La cause de cette disproportion est facile à indiquer ; la voici : c'est que le personnel des départements a toujours eu dans cette chambre les ministres pour soutenir ses intérêts, le personnel de la cour n'a pas eu le même avantage, il n'a pas eu des organes aussi éloquents pour plaider sa cause. Aussi ses traitements sont-ils restés ce qu'ils étaient en 1831 ; j'ajoute qu'il eût été désirable peut-être qu'il en aurait été de même pour le personnel des ministères.
Mais il n'en a pas été ainsi, et il en est résulté une disproportion tellement grande, qu'elle est de nature à nuire au service des bureaux de la cour. Eh bien, messieurs, malgré cette disproportion, la préoccupation delà section centrale a été surtout de mettre obstacle à ce que la cour profite de l'augmentation de crédit qui vous est proposée pour améliorer la position de son personnel.
Voici quelle est cette disproportion.
Les chefs de division dans les départements ministériels jouissent en moyenne d'un traitement de 6,000 fr. ; les chefs de division à la cour ont un traitement de 3,500 fr. environ ; ils sont places au-dessous du niveau des chefs de bureau des départements, qui ont en moyenne un traitement de 4,200 fr., et, je le déclare, tout ce que je désire c'est que les chefs de division de la cour soient traités comme les chefs de bureau de l'administration, ce n'est pas trop en demander, je pense que vous en conviendrez.
(page 469) Je passe à un autre ordre d'employés, à un ordre d'employés dont les fonctions sont d'une haute importance. Je veux parler des vérificateurs qui sont, sans exagérer, la cheville ouvrière des importants travaux auxquels on se livre à la cour.
En effet, messieurs, ces employés sont chargés d'examiner ces milliers, je pourrais dire ces millions de pièces résultant des actes de dépenses du gouvernement. Si les erreurs qui peuvent se trouver dans ces pièces ne sont pas relevées par eux, il est à craindre qu'elles ne le seront pas, car les conseillers, les chefs de division ne peuvent suffire à cette besogne. C'est ainsi que le travail de ces employés sert, en grande partie, de point de départ aux travaux, aux délibérations, aux jugements de la cour.. Eh bien, messieurs, ces employés ont un traitement de 1,500 à 2,000 francs, c'est-à-dire, un traitement inférieur à celui des deuxièmes commis des ministères, et ils se livrent à un travail, qui se fait à Paris par des conseillers référendaires dont le traitement est de 6,000 fr., traitement auquel on ajoute encore des gratifications considérables, en raison des erreurs qu'ils relèvent, des rectifications qu'ils indiquent ; une somme de 400,000 fr. est allouée à cet effet, et leur traitement peut ainsi être porté jusqu'à 11,000 fr.
Je pense, messieurs, que si les vérificateurs à la cour des comptes avaient un traitement égal à celui des premiers commis des ministères, ce ne serait rien de trop.
Ce ne serait qu'assurer rigoureusement le service de la cour ; ce ne serait que lui donner les moyens de conserver ses meilleurs collaborateurs, et la mettre en mesure de se procurer des sujets capables.
Quoi qu'il en soit, messieurs, je ne demande aucune augmentation de crédit ; je demande seulement qu'il soit permis à la cour des comptes d'user du crédit que la section centrale a alloué dans les termes que vient d'indiquer M. le ministre des finances.
J'espère que cette demande aura l'adhésion de la chambre.
M. Osy. - Vous savez, messieurs, que je suis très avare des deniers publics, mais la proposition de M. le ministre des finances est parfaitement justifiée. D'après la nouvelle loi sur la comptabilité, il est certain qu'il y aura une surveillance sérieuse de toutes les dépenses des ministères, des caisses d'amortissement et de la collation des pensions.
Eh bien, je suis persuadé qu'en augmentant le personnel de la cour des comptes, nous ferons indirectement beaucoup d'économies, parce que la surveillance pourra être beaucoup plus active. Pour ma part, j'appuie donc la proposition qui est faite par M. le ministre des finances, et je crois que ce sera de l'argent bien employé.
M. Mercier, rapporteur. - Messieurs, la section centrale, craignant que la cour des comptes n'employât la plus grande partie de l'augmentation qu'elle demande, à porter le traitement de ses employés à un taux plus élevé, a inséré dans son rapport les réserves dont vient de parler M. le ministre des finances ; elle a eu en vue de faire connaître ses intentions, elle n'a pas compris ces réserves dans la loi elle-même ; du reste, elle n'a pas voulu tellement limiter l'action de la cour des comptes, qu'alors même qu'il y aurait des titres fondés, aucun employé, autre que celui auquel on a fait allusion, ne pût obtenir une augmentation de traitement ; quant à moi, je suis persuadé que ce collège agira avec économie et circonspection dans l'emploi de ce complément de crédit.
Je dois cependant relever quelques assertions de l'honorable M. de Man. L'honorable membre a fait observer que la cour des comptes ne proposait pas l'assimilation de ses employés à ceux des ministères ; que l'honorable préopinant veuille bien lire la première note de ce collège, et. il y verra, dès la première ligne de cette note, que l'opinion y est émise que ses employés doivent être mis au niveau des employés des ministères ; dans la seconde note, la cour fait connaître que le traitement des chefs de division sera porté à 4,200 fr., et non à 3,400, comme l'allègue l'honorable M. de Man. C'est parce que l’assimilation ne lui a pas paru juste que la section centrale, à l'unanimité, avait d'abord rejeté l'augmentation de 16,000,fr. que la cour des comptes pétitionnait. Mais, en présence des nouvelles observations de la cour et de la déclaration qu'elle a faite, que telle n'est pas son intention, la section centrale n'a plus hésité à proposer à la chambre d'accueillir l'augmentation de 10,000 fr., à laquelle la cour a réduit sa demande.
J'ai cru devoir donner ces quelques explications pour qu'on n'envisageât pas d'une manière trop absolue la seconde réserve de la section centrale, et, d'un autre côté, pour que la chambre pût bien apprécier les motifs qui nous ont guidés.
- La discussion est close.
Le chiffre de 81,000 fr. (personnel des bureaux de la cour des comptes) est mis aux voix et adopté.
« Art. 3. Matériel, dépenses diverses, loyer du local provisoire : fr. 18,900. »
- Adopté.
« Art. 4. Pensions : fr. 4,000. »
- Adopté.
« Article unique. Le budget des dotations est fixé, pour l'exercice 1848, à la somme de 3,391,872 fr. 75 c, conformément au tableau ci-annexé. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du budget ; il est adopté à l'unanimité des 69 membres présents.
Ces membres sont : MM. Manilius, Mercier, Moreau, Orban, Osy, Pirmez, Pirson, Raikem, Rodenbach, Scheyven, Sigart, Simons, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Troye, Van Cleemputte, Van Cutsem, Vandensteen, Van Huffel, Van Renynghe, Veydt, Anspach, Brabant, Bruneau, Clep, Cogels, Dautrebande, David, de Bonne, Dechamps. de Corswarem, Dedecker, de Denterghem, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode, de Muelenaere, Desaive, de Sécus, de Terbecq, du Tornaco, de T'Serclaes, de Villegas, d'Hane, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Eenens, Eloy de Burdinne, Faignart, Henot, Herry-Vispoel, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys et Malou.
M. Lejeune. - J'ai pris part à la discussion du budget de la guerre de 1847, j'ai parlé alors de l'état des esprits au sujet de la défense du pays. au sujet de l'armée. J'ai dit que, selon moi, l'opinion publique était en quelque sorte égarée, et je m'en suis alarmé. Les opinions, les convictions que j'ai exprimées alors sont restées les mêmes ; elles viennent plus particulièrement à propos aujourd'hui ; j'ai donné alors avec une profonde conviction un avertissement au gouvernement. Je répéterai succinctement les opinions que j'ai exprimées alors.
D'où vient, messieurs, cette espèce de guerre financière que l'on fait à l'armée ?
On ne doit pas s'y tromper ; je pense que l'honorable député de Liège, en disant hier que cette opposition reposait sur l'opinion publique, je crains, dis-je, qu'il n'ait raison. Si cette opposition se prépare menaçante, c'est selon moi la faute du pouvoir ; c'est le gouvernement qui peut et qui doit donner une meilleure direction à l'opinion publique ; plus cette faute se prolongera et plus il sera difficile de la réparer. Si l'opinion publique reste dans la direction qui lui est imprimée maintenant, on fera non seulement les réductions dont on parle aujourd'hui, mais des réductions beaucoup plus fortes et plus compromettantes.
Si un jour la Belgique est envahie par des forces beaucoup supérieures à celles dont elle dispose elle-même, quel plan de défense suivrait-on pour sauvegarder les droits et l'honneur du pays ? Messieurs, c'est le défaut de réponse claire, précise, saisissable pour tous, qui est la cause, à mon avis, de l'opposition qui se prépare depuis longtemps contre le budget de la guerre, contre l'existence de l'armée elle-même.
J'ai signalé précédemment cette opposition naissante ; depuis lors, il paraît, que le flot monte avec une telle force que la loi sur l'organisation militaire n'est pas une digue suffisante pour l'arrêter. Pour être plus, court, je vous demanderai la permission de citer quelques passages de ce que j'ai dit dans la séance du 3 février dernier.
« Je regrette que dans cette chambre et au dehors on ne se préoccupe pas d'un plan de défense pour la Belgique, pour le cas d'une guerre générale. L'esprit public, l'opinion publique n'est pas ce qu'elle doit être en Belgique, au sujet de la défense du pays. Il règne d'un côté un optimisme que l'on pousse trop loin.
« Rendons-nous compte des idées qui frappent d'abord, lorsqu'on parle de l'armée : une des pensées qui viennent tout d'abord, c'est que nos soldats sont très braves, que l'armée belge donne annuellement la preuve qu'elle sait manœuvrer aussi bien que toute autre armée, elle se distingue même sous ce rapport.
« Mais on dit immédiatement que cela coûte fort cher ; on se fait cette question : Que ferait le gouvernement en cas de guerre ?
« A cette question, messieurs, on tombe de suite dans le vague le plus désolant. Et qu'y a-t-il, en effet, à répondre dans ce moment ? Comment faut-il rassurer l'opinion publique ?
« L'armée, dit-on, que ferait-elle contre nos puissants voisins, s'ils venaient envahir notre pays ? Toute valeureuse qu'elle est, que peut-elle contre une armée trois fois, quatre fois plus forte qu'elle ? On ne trouve pas de réponse satisfaisante à cette question.
« Je viens, messieurs, de rappeler une discussion où j'ai trouvé l'expression d'une espèce de quiétisme, qui devrait presque nous faire regretter tout ce que nous dépensons actuellement pour l'armée.
« On a exprimé l'opinion qu'il fallait se reposer sur la paix générale, sur notre neutralité, et, ce qui est infiniment regrettable, sur la prétendue impossibilité de nous défendre dans certaines circonstances.
« Messieurs, il me paraît qu'il est désirable de donner une autre direction à l'esprit public.
« La grande affaire pour la Belgique, messieurs, c'est de prévoir une conflagration générale. Nous sommes un pays neutre. Nous n'aurons jamais à songer à la guerre offensive ; mais nous pouvons avoir à nous défendre, et quel plan de défense suivrons-nous en cas d'invasion par des forces infiniment supérieures aux nôtres ?
« Je ne sais, messieurs, si l'on regarde la discussion d'une pareille question comme une chose qu'il serait nuisible de produire en public. Messieurs, je pense tout le contraire. Je pense que la publicité serait non seulement favorable, mais qu'elle est nécessaire. Car un plan de défense quelconque doit être préparé de très longue main ; il exigera des travaux et des dépenses qui ne peuvent pas se faire au dernier moment, qui ne peuvent pas se faire en peu de temps. Je conçois que certains moyens d'exécution doivent rester secrets, doivent être gardés dans le cœur du chef de l'armée.
Je disais en finissant :
« Je crois sincèrement que si l'on ne se hâte d'adopter un plan de défense, de fixer ainsi les esprits tant dans l'armée que dans le pays entier, il est à craindre que la discussion du budget de la guerre ne consiste à l'avenir, comme aujourd'hui, à marchander en quelque sorte des diminutions plus ou moins fortes sur les allocations réclamées. »
(page 470) Que m'a-t-on répondu, alors, sur ce que je disais concernant la défense du pays ? On m'a dit que le ministère s'occupait beaucoup plus qu'on ne pense de la défense du pays, que la question s'étudiait en secret. Messieurs, on peut étudier beaucoup de choses en secret. Mais lorsqu'il s'agit d'une chose qui doit se produire un jour en public, il serait temps de savoir à quoi s'en tenir. Voilà dix-sept ans qu'on a commencé à étudier en secret.
Du reste, en examinant attentivement tout ce que le gouvernement a répondu au sujet de la défense du pays, il en résulte à l'évidence qu'il n'existe pas de plan général de défense.
Messieurs, le thème qui se développe aujourd'hui n'est pas nouveau. Je l'ai signalé dans une autre discussion qui a eu lieu après celle du budget de la guerre. J'ai signalé à la chambre que ce thème : que l'armée est impuissante contre l'étranger et écrasante, pour le contribuable était souvent développé dans la presse.
Voici ce que j'ai dit dans la séance du 8 février, à l'occasion de la discussion relative au défrichement :
« A la question du défrichement pourrait se joindre peut-être très avantageusement une autre question sociale, celle de l'utilisation de l'armée pour les travaux publics. Cette question a été souvent agitée et n'est pas résolue.
« Le défrichement est sans doute le travail où l'on peut le plus convenablement essayer l'emploi de l'armée.
« Quant à l'armée, s'il était possible de l'employer aux travaux publics, on irait au-devant d'objections que j'ai rappelées récemment, qu'on n'a pas contestées et que j'ai retrouvées depuis dans des journaux de différentes couleurs. On dit de l'armée qu'elle est impuissante contre l'étranger, ou écrasante pour le contribuable ; voilà le thème que l'on développe.
« L'armée est impuissante contre l'étranger !... Ce n'est pas mon opinion ; j'ai développé la mienne dans une autre séance ; je n'y reviendrai pas aujourd'hui. Je me bornerai à dire que l'on doit s'attacher à démontrer que l'armée peut ne pas être impuissante contre l'étranger, même supérieur en force.
« L'armée est écrasante pour le contribuable !... N'est-il pas désirable que cette opinion n'acquière pas de force ? Comment peut-on empêcher que l'armée ne soit écrasante pour le contribuable ? Il y a deux moyens. L'un est indiqué par ceux qui prétendent que l'armée est impuissante contre l'étranger ; ce moyen est de réduire nos forces à 10,000 hommes, comme moyen de police intérieure. Il est un autre moyen : c'est celui d'utiliser une partie de l'armée aux travaux publics ; alors on pourra maintenir le chiffre actuel de l'armée ; elle serait moins onéreuse au pays. »
Dans les circonstances qui se manifestent, il est plus que jamais du devoir du gouvernement de tranquilliser en quelque sorte l'opinion publique, de faire connaître comment l'armée serait utile, nécessaire en toute circonstance, de se fixer sur un plan général de défense. Alors toutes les dépenses que nous voterons au budget de la guerre pourront être dirigées vers ce but. Les dépenses faites sont déjà considérables. Une fois le plan de défense arrêté, on verra peut-être qu'on a fait beaucoup inutilement. Alors on saura positivement quels services immenses l'armée peut rendre au pays, en cas d'invasion par des forces supérieures. Alors aussi il sera plus facile de calculer quelle armée la Belgique doit tenir sur pied. On saura quelles économies sont possibles sans compromettre la défense du pays, ou quels sacrifices la nation doit s'imposer encore pour défendre sa nationalité, ses droits, son honneur, contre les attaques de l'étranger.
Cette opinion que la neutralité garantie par les traités peut servir de force défensive, peut remplacer, en quelque sorte, une armée, cette opinion est sans contredit des plus nuisibles, des plus déplorables.
En effet, messieurs, !a neutralité ne m'apparaît que comme un droit qu'on doit savoir défendre et dont on perd tous les bénéfices du moment qu'on l'abandonne soi-même sans défense.
C'est ce que nous enseigne l'histoire ; plusieurs honorables membres nous l'ont démontré : l'honorable ministre de la guerre, l'honorable M. Lebeau, l'honorable M. Pirson lui ont assigné sa juste valeur.
Pour moi, messieurs, je ne pourrais pas me fier à ces garanties. La neutralité non armée n’est, comme on l'a dit, qu'un chiffon de papier. La Belgique serait envahie, vaincue, méprisée et probablement partagée.
Messieurs, l'année dernière, en parlant de la défense du pays, j'ai signalé à votre attention un ouvrage dont je n'ai plus à m'occuper. L'auteur de cet ouvrage remarquable siège dans cette enceinte ; il pourra, beaucoup mieux que moi, en développer dans l'occasion tout le mérite.
Messieurs, la question d'économie a été posée sur un autre terrain. Les motifs de l'opposition me paraissent être tels que je les ai signalés ; l’impuissance de l'armée contre l'étranger et la garantie de la neutralité. Mais la question a une autre phase : on a demandé si ce serait affaiblir l'armée que de faire des réductions sur le budget de la guerre, on a soutenu la négative.
Sur ce terrain la discussion sera toujours ouverte. Si l'on démontre que des économies sont possibles sans affaiblir l'année, sans compromettre la défense du pays, mais qui donc ne saisirait pas avec empressement, avec bonheur, ce moyen de dégrever notre budget ?
Mon honorable collègue et ami, M. le colonel Eenens a fait à ce sujet, sinon des propositions, du moins des observations qui doivent être étudiées.
Je regrette que l'honorable membre, en prêtant l'autorité de sa parole, de son expérience, l'autorité qui doit s'attacher à la parole d'un officier supérieur distingué, d'un homme expérimenté, aux réductions réclamées, ait passé sous silence les motifs qui donnent lieu à cette demande dans l'esprit de beaucoup de personnes. Il semble laisser croire que ces motifs, que la neutralité peut suffisamment nous garantir et que l'armée est impuissante contre l'étranger, que ces motifs, dis-je, seraient fondés. Or, messieurs, je connais trop l'opinion de mon honorable ami, pour lui attribuer cette pensée. Cependant, comme il a proposé lui-même des économies, il est désirable, il est nécessaire qu'il combatte ces motifs d'économie qui, selon lui aussi, sont des erreurs funestes.
En résumé, messieurs, d'après moi, le devoir du gouvernement est d'éclairer l'opinion publique et de faire les économies compatibles avec les besoins du service, avec la défense du pays. Si le premier point fait défaut, si l'opinion publique n'est pas mieux éclairée, le gouvernement sera entraîné à des économies compromettantes pour notre indépendance, à des réductions qui remettront en question l'existence de l'armée et en conséquence aussi la défense du pays.
M. Delehaye. - Messieurs, j'ai applaudi beaucoup aux sentiments de patriotisme si éloquemment exprimés hier par M. le ministre de la guerre. Je m'associe à l'éloge qu'il a fait de l'armée. J'ai la persuasion intime que l'armée continuera à répondre à la confiance du pays.
Mais, messieurs, ce n'est pas dans des inspirations de cette nature que je cherche les motifs de mon vote. Quand je suis appelé à me prononcer dans une question aussi importante, je n'ai recours qu'aux arguments de la raison. J'examine quelle doit être la portée de mon vote dans toutes ses conséquences.
Jusqu'ici, messieurs, j'ai constamment voté contre le budget de la guerre ; j'ai voté aussi contre le projet d'organisation de l'armée ; parce que d'une part je me demandais quelle devait être la mission de l'armée et que d'autre part je consultais les ressources du pays.
Il ne faut pas perdre de vue, messieurs, que vous avez accepté la neutralité. Cette neutralité vous impose des devoirs et vous assure certains avantages. Je faisais partie de la législature quand la neutralité a été adoptée. Je me rappelle parfaitement bien que les partisans de cette neutralité n'ont pas manqué alors d'insister beaucoup sur ce point que, si la neutralité pouvait nous être défavorable sous certains rapports, elle pouvait aussi nous donner de très grands avantages, surtout des avantages pécuniaires.
Ne perdez pas de vue non plus que votre neutralité ne vous importe pas seulement à vous seuls. Ce n'est pas parce que la neutralité est avantageuse à la Belgique qu'elle lui a été imposée, mais parce qu'elle est aussi favorable à nos voisins qu'à nous-mêmes. La France, l'Angleterre et la Prusse ont autant, et plus que vous, intérêt à ce que votre neutralité soit respectée. Dès lors je ne comprends plus cette comparaison qui a été faite entre la Belgique et les grandes puissances de l'Europe. La France doit sauvegarder son indépendance ; l'Angleterre doit assurer les moyens de sa défense. Mais la Belgique, qu'a-t-elle à faire ? Est-ce que la Belgique sera obligée de se défendre seule contre les attaques d'une grande puissance ? Mais incontestablement, non. Si votre neutralité, si votre indépendance étaient menacées, immédiatement une des grandes puissances viendrait à votre secours, ou plutôt viendrait à son propre secours ; car ce serait elle-même qui serait menacée.
On nous a dit que la neutralité de Venise n'avait pas été respectée. Mais cet argument n'a absolument aucune valeur à nos yeux. Il ne fallait pas prouver que la neutralité de Venise n'avait pas été respectée, parcs que Venise n'avait pas d'armée. Mais il fallait nous faire voir que la neutralité de Venise eût été respectée si elle avait eu une armée. Ce n'était pas un argument négatif qu'il fallait présenter ; il fallait nous soumettre un argument affirmatif. Si vous étiez venu nous dire : Voyez Venise ; elle avait une armée semblable à la vôtre, elle a été menacée d'une invasion française et elle a prévenu cette invasion avec son armée ; oh ! alors, je me serais rendu à cet exemple, j'aurais dit : Il y a là un antécédent puissant qui peut nous guider. Mais cet antécédent n'existe pas.
Admettons d'ailleurs pour un moment que cet exemple existe. Mais encore alors, il y a une différence notable dont il faut tenir compte. C'est que la neutralité de Venise n'importait pas à la France comme lui importe la neutralité de la Belgique.
La neutralité de la Belgique importe bien autrement à la France que ne pouvait lui importer la neutralité de Venise.
Ainsi, messieurs, la France et l'Angleterre ont un intérêt trop direct au maintien de la neutralité de la Belgique, pour que cette neutralité puisse jamais être compromise par les attaques de l'une ou de l'autre puissance. M. le ministre de la guerre a si bien senti cette vérité, qu'il n'a pas parlé de la situation des grandes puissances ; il nous a parlé surtout de la force de la Hollande, et ici je vous exprimerai les craintes que j'ai entendu émettre, sans toutefois les partager. On dit que la Belgique pourrait avoir à craindre quelque attaque de la part de la Hollande ; cette crainte est chimérique, sans doute ; en l'admettant fondée, une attaque de ce côté ne saurait avoir des conséquences durables ; vous pourriez être momentanément affaiblis, mais jamais la Hollande ne pourrait venir établir sa domination en Belgique.
Cette vérité est incontestable, des craintes existent aussi en Hollande de la part de la Belgique, et voici ce qui arrive : lorsque les ministres (page 471) hollandais viennent proposer le budget de la guerre, les orateurs de l'opposition demandent également des réductions et les ministres hollandais répondent à ces demandes comme le font les ministres belges ; les ministres belges disent : « Mais voyez donc ce qui se passe en Hollande, » et les ministres hollandais disent à leur tour : « Voyez ce qui se passe en Belgique ». Il en résulte que la Hollande maintient une grande armée par crainte de la Belgique et que la Belgique maintient la sienne par crainte de la Hollande. Que la diplomatie intervienne, et en attendant, soyons les plus sages, messieurs, désarmons en partie. Réduisons notre armée, ou en tout cas diminuons les dépenses.
Je tiens d'officiers très distingués que nous pourrions économiser plusieurs millions sans réduire l'effectif de l'armée d'un seul homme.
Un honorable membre disait hier : « Qu'importe une économie de 4 millions ? Ce n'est qu'un franc par tête. » Mais faites donc la dérivation de la Meuse, ce ne sera qu'un franc ou un franc 59 c. par tête ; mais faites donc le chemin de fer de Bruxelles à Gand par Alost, ce ne sera qu'un franc par tête : faites tous les travaux de routes qui sont si vivement réclamés, ce ne sera que quelques centimes par tête.
Mais, messieurs, un franc par tête, payé par un père de famille qui a un grand nombre d'enfants, c'est la valeur de 12 ou 14 journées de travail. Mais si depuis 1839, époque depuis laquelle j'ai constamment demandé des réductions sur le budget de la guerre, si depuis cette époque on avait admis une économie de 4 millions, vous eussiez doté le pays d'une foule de travaux de la plus grande utilité, et vous eussiez effacé de notre budget cette dette flottante que vous ne savez comment éteindre.
« Mais, a ajouté l'honorable membre, notre position financière est tout au moins aussi favorable que celle d'autres puissances ». Cet honorable membre a complètement perdu de vue que dans la plupart des communes les charges locales sont trois fois aussi élevées que la contribution personnelle. L'honorable membre appartient à une ville dont le budget s'élève à 5 millions, ce qui fait à peu près 50 fr. par tête. Voilà une considération que l'honorable membre a complètement perdu de vue.
Je répéterai aujourd'hui ce que j'ai dit dans d'autres circonstances ; militairement parlant, la Belgique fera sagement de s'effacer autant que possible, Résulte-t-il de là, messieurs, qu'il faille réduire l'année à 10 ou 12,000 hommes ? Je ne le pense pas. La Belgique aura toujours besoin d'une armée assez forte pour maintenir l'ordre intérieur.
La Belgique est une nation éminemment industrielle et comme ayant une forte population ouvrière, il lui faut donc une armée qui puisse, à toutes les époques, assurer le maintien de l'ordre. Mais, messieurs, faut-il pour cela s'imposer une dépense annuelle de 29 à 30 millions ? C'est ce que je ne puis admettre ; je pense que nous serons forcément amenés à introduire dans nos dépenses de grandes économies. Ces économies s'opéreront quoi que vous fassiez. Le pays sent le besoin de les faire, précisément parce que le fardeau des charges publiques est aujourd'hui beaucoup plus lourd qu'il ne l'a jamais été. Ce n'est pas la dernière goutte d'eau qui fait déborder le vase, mais il déborde à cause de la réunion de toutes les gouttes d'eau qui y sont successivement tombées. Ces économies se feront malgré vous si vous n'avez pas le bon esprit de les faire vous-mêmes ; elles se feront avec vous et vous pourrez les diriger si vous savez comprendre les besoins du pays.
Je l'ai déjà dit, le pays attend de l'opinion libérale plus que des mesures politiques ; il attend non seulement toutes les réformes politiques qui lui ont été promises, mais aussi l'introduction dans les dépenses de l'Etat de toutes les économies compatibles avec la bonne administration des affaires.
Messieurs, mon vote, comme je viens de le dire, sera négatif ; mais, en présence d'un ministre ami, il m'importe de faire connaître la portée de ce vote. Je suppose que la majorité partage l'opinion que les dépenses de l'armée doivent être réduites et qu'elle rejette le budget, quelle sera alors la position du gouvernement ? Certainement, de notre part ce ne sera pas un vote hostile au cabinet ; notre vote ne sera dicté que par la volonté bien ferme de faire entrer le gouvernement dans la voie des économies. Eh bien, le gouvernement nous soumettra un projet de loi apportant des modifications à la loi sur l'organisation de l'armée, s'il pense qu'on ne peut réduire les dépenses de l'armée sans modifier cette loi ; s'il pense, au contraire, comme j'en ai la conviction, que l'on peut faire des économies notables sans rien changer à l'organisation de l'armée, alors il nous proposera un budget nouveau présentant un chiffre global considérablement réduit.
Je dis, messieurs, que j'ai la conviction qu'on peut réduire notablement les dépenses de l'armée sans changer la loi d'organisation. Si cependant le gouvernement ne partageait pas cette opinion, s'il croyait que le rejet du budget actuel par la majorité de la chambre dût nécessairement avoir pour conséquence une réduction de l'armée ; eh bien, alors on pourrait encore indemniser les officiers qu'il faudrait mettre à la retraite, en leur conférant les emplois qui deviendraient vacants et qu'ils seraient à même de remplir. Il y a dans l'armée une foule d'hommes instruits, d'hommes capables, à qui l'on pourrait parfaitement confier des emplois civils.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Et les titulaires actuels ?
M. Delehaye. - Quand vous aurez partagé ma manière de voir, relativement à la réduction que je propose, je vous répondrai, je vous démontrerai alors qu'il est très facile d'en faire l'application.
Messieurs, ma santé ne me permet pas d'en dire davantage. Je ne tenais qu'à expliquer mon vote négatif. Je le répète, ce vote n'est pas hostile au ministère, c'est un vote dicté par la nécessité de mettre des économies dans les dépenses. C'est un vote tout à fait consciencieux. Dès le principe de la révolution, j'ai pensé que du moment que la Belgique se soumettait à l'arbitrage de la conférence de Londres, elle devait subir toutes les conséquences de cet arbitrage. Nous avons accepté la neutralité ; que ce soit un bien ou un mal, il importe peu : il faut la respecter, et c'est en la respectant que nous trouverons l'occasion de réduire considérablement les charges qui pèsent si lourdement sur le pays.
M. Eenens. - L'honorable ministre de la guerre a dit hier, et j'espérais lui répondre, lorsque la séance a été levée, il a dit qu'il allait citer des faits pour faire justice de toutes, les idées émises.
Cependant, il n'a cité que des opinions au lieu de citer des faits.
L'opinion du général Rogniat est au moins contestable. Le général Marbot l'a réfuté, victorieusement dans l'ouvrage remarquable qu'il publia, en réponse à celui dont M. le ministre de la guerre vous a lu hier un extrait.
La réfutation du général Marbot, de 638 pages in 8°, riche de faits, est restée sans réplique.
Le maréchal Soult n'a rien publié jusqu'à ce jour. La citation de ce qu'il a pu dire à la chambre des députés de France n'est rien moins que concluante pour moi. Un ministre de la guerre avance parfois, non les arguments qu'il sait être les plus vrais, mais ceux qu'il croit les plus propres à captiver la chambre. Il ne faut donc pas attacher à cette opinion du maréchal Soult l'importance qu'elle aurait, si elle était consignée dans un ouvrage militaire.
Je vais vous donner une preuve à l'appui de ce que j'avance une preuve bien récente :
Ouvrons nps Annales parlementaires de 1847, à la page 348. L'honorable général Chazal dit au sénat, à la séance au 20 de ce mois, que, « tels que les cadres existent aujourd'hui, tout ce qu'on pourrait faire serait de mettre 40.000 hommes sur pied. »
Le général Chazal a dit, dans cette enceinte, le 27 du même mois de décembre (voir nos Annales parlementaires, page 437), que l’organisation militaire dont la Belgique est dotée lui permet de mettre promptement sur pied, au premier cri d'alarme, une armée de 80,000 hommes.
Il ne faut donc pas, messieurs, l'expérience nous le prouve, prendre à la lettre ce que le maréchal Soult peut avoir avancé, comme ministre du la guerre.
Je citerai à mon tour, mais je citerai ce qui se professe dans une école militaire de France.
Le professeur d'art et d'histoire militaire à l'école de Saumur, M. Jacquinet de Presle, dit dans son cours, page 52, en traitant du recrutement.
« Il n'est pas sans intérêt de savoir quel est à peu près le temps qu'exige l'opération d'une levée d'hommes, et celui qu'on emploiera pour la mettre en état de combattre, en supposant des circonstances pressantes.
« L'expédition des ordres relatifs à la levée, et à leur exécution sur tous les points du royaume, exige au moins un mois, en y mettant toute la rapidité possible.
« Les recrues mettront un mots, terme moyen, pour se rendre à leurs dépôts. Il faut environ quatre mois à l'infanterie pour habiller ces hommes et les dresser de minière à les faire combattre passablement en ligne, enchâssés dans de bons cadres et avec d'anciens soldats. »
On lit plus loin : « Remarquons qu'il importe moins d'avoir dans l'infanterie des soldats très habiles à manier leurs armes que des hommes capables de supporter de longues fatigues et des privations. »
L'expérience vient démontrer à l'appui de mon opinion que des jeunes soldats versés dans de bons cadres et soutenus par une nombreuse artillerie, peuvent obtenir des succès à la guerre, sans passer par un long apprentissage.
Dans la campagne de 1813, plusieurs victoires, celles de Lutzen et de Baulzen, furent remportées par une armée de recrues.
Et puisque M. le ministre a cité des opinions, je me permettrai de citer à mon tour un fait bien concluant, un des plus beaux faits d'armes dont l'histoire militaire fasse mention.
La garnison de Berg-op-Zoom, en 1814, lors de la mémorable surprise de cette place, ne comptait pour ainsi dire que des recrues dans l'infanterie, à l'exception de six compagnies de vétérans (300 hommes).
Les recrues se battirent très bien, mais on n'en put dire autant des vétérans.
Les conscrits appartenaient pour la plupart à la Flandre et au Brabant. Ils arrivèrent successivement d'Anvers dans les derniers jours de décembre 1813, et les premiers de janvier 1814. Au moment de leur départ de cette ville, on leur avait endossé des uniformes et mis en main des fusils que pas un ne savait charger.
Dès le 13 février le commandant supérieur avait passé une revue générale. L'infanterie avait fait des progrès surprenants. Cependant ce ne fut qu'à dater du 14 février que ces jeunes conscrits, qui composaient les trois quarts a une garnison de 2,700 hommes, avaient commencé à faire l'exercice à feu.
Messieurs, pour vous convaincre que je ne propose rien d'étrange, rien qui ne s'appuie sur de bonnes preuves, il me reste à vous faire connaître que, le 8 mars 1814, ces conscrits qui ne comptaient que deux mois et quelques jours de services, surpris dans la place par d'excellentes troupes anglaises qui s'étaient emparées du port et de 11 bastions sur les 16 que comptait la place, ces conscrits parvinrent à les vaincre, en leur tuant 800 hommes, leur prenant 4 drapeaux parmi lesquels était celui du (page 472) premier régiment des gardes anglaises, et en leur faisant, en outre, 2,077 prisonniers.
Les faits que je viens de rapporter m'empêchent d'admettre comme suffisamment valables les arguments que m'oppose M. le ministre de la guerre.
Ces arguments quels sont-ils ?
M. le ministre trouve trois mois insuffisants pour l'instruction du milicien d'infanterie. Il s'appuie d'autorités qui envisageaient l'instruction pratique à la guerre, tandis que nous ne pouvons donner que l'instruction de la paix.
Et, même pour l'instruction de la guerre, j'ai pris textuellement dans la relation de la prise de Berg-op-Zoom, publiée en 1816, le fait si concluant qu'après deux mois et quelques jours d'instruction, des conscrits peuvent combattre et vaincre, et combattre mieux que des compagnies de vétérans qu'un séjour trop prolongé dans les casernes avait peut-être énervés.
On professe dans une école militaire de France qu'il faut quatre mois pour dresser les recrues d'infanterie, de manière à les faire combattre passablement en ligne.
Ma proposition est donc parfaitement fondée et les arguments dont je l'appuie restent debout. M. le ministre pourra s'en convaincre, lorsqu'il voudra bien descendre des considérations générales où il s'est tenu jusqu'ici, pour voir et juger ce que je lui propose.
Je le prie de me faire connaître la grande différence qu'il y aurait dans un séjour de quelques mois de plus à la caserne. Il ne faut pas confondre l'instruction du vieux soldat formé par la guerre, et, c'est sans doute celle-là qu’entend M. le ministre ; il ne faut pas confondre cette instruction que nous ne pouvons acquérir sans la guerre, avec l'instruction donnée à la caserne. Cette dernière ne manquait sans doute pas, en 1814, aux 300 vétérans de Berg-op-Zoom.
Je propose de garder les miliciens d’infanterie trois mois sous les armes. Or, dès que la situation financière du pays sera améliorée, et que le budget de la guerre pourra être reporté au chiffre normal, rien n'empêchera M. le ministre de conserver les miliciens, comme aujourd'hui, quelques mois de plus.
Je m'étonne grandement que ma proposition soit, en quelque sorte, interprétée comme tendante à porter la perturbation dans l'organisation de l'armée. Il est vrai que ce qu'on en a dit est bien vague. De mon côté je tâcherai d'être bien clair.
Quel pourrait être le résultat de mon système ?
En supposant que M. le ministre l'admette, pendant 2 ans, et que l'armée fût mise sur pied de guerre, des 8 levées du contingent, 6 seront instruites comme elles l'ont toujours été. Quant aux 2 autres, je ne crois pas qu'elles le soient moins, lors du rappel sous les drapeaux.
Je sers depuis 24 ans, et toujours avec la troupe ; ce n'est donc pas à la légère que j’énoncerais des propositions douteuses.
M. le ministre me reproche de proposer une économie sur l'habillement. C'est encore une erreur de sa part, il n'y point là d'économie réalisable. Mes nombreuses années de service, comme officier de troupe, m'empêcheront toujours de me tromper sur ce point. Ma proposition de restreindre à 3 mois la présence du milicien au corps me semblait devoir soulever l'objection qu'il ne pourrait, dans un si bref délai, apurer sa dette à la masse. J'ai voulu aller au-devant de cette objection.
M. le ministre trouve qu'il faut un pantalon de drap aux hommes, pendant l'été, pour les empêcher d’encombrer les hôpitaux.
Mais ces hommes, avant leur arrivée au corps, et, après leur retour au logis, portent-ils des pantalons de drap ou des pantalons de toile ?
Lors de la rentrée du contingent, l'immense majorité des miliciens ne sont vêtus que de pantalons d'étoffe de colon. Les pantalons de laine sont une rare exception.
Pourquoi donc les miliciens que l'honorable ministre de la guerre nous a dépeints, dans son premier discours, comme entrant aux corps, couverts de haillons qu'on y remplace par des uniformes chauds, pourquoi ces miliciens ne pourraient-ils pendant leurs 3 mois de service, en été, conserver la santé, vêtus du pantalon de l'étoffe qu'ils ont portée toute leur vie, et qu'ils reprendront dès leur rentrée dans leurs loyers ?
C'est en vain que M. le ministre s'ingénie à combattre le système que je propose et dont j'ai suffisamment indique les bases. Il faudra bien, si on veut diminuer les dépenser, en venir à ce/système ou à tout autre, qui concilie l'économie avec la sécurité.
Si l'on conserve la loi d'organisation de l'armée, M. le ministre doit convenir, avec moi, que les conditions économiques ne peuvent se réaliser amplement, sans une réforme notable dans le système suivi jusqu'à ce jour.
En conservant la loi d'organisation de l'armée, on conserve l'avantage de disposer immédiatement, en cas de guerre, d'une force considérable d'infanterie et d'entretenir sur un pied solide la cavalerie et les armes de l'artillerie et du génie où la science a besoin d'un exercice continuel.
Mais pour alléger le budget, tout en conservant les forces efficaces, dont je demande le maintien, il ne faut pas, je le répète, et la chambre le comprendra comme moi, que le ministre se contente de rejeter les moyens d'économie indiqués, sans lui-même en présenter d'autres qui puissent se réaliser.
Ne pas admettre les propositions de la chambre, refuser soi-même d'en énoncer de nouvelles, c'est rendre impossible toute réforme du budget de la guerre, et M. le ministre oublie ainsi qu'il a exprimé à la section centrale le désir de prendre bonne note des observations faites par les membres de la législature.
Messieurs, quant à l'application des troupes aux travaux d'utilité publique, elle est d'une trop haute importance pour que je n'insiste pas.
L'opinion de M. le général Schneider, membre de la chambre des députés de France, chargé du commandement supérieur des troupes employées aux travaux des fortifications de Paris, au nombre de 26,000 hommes environ, fait autorité dans la question qui nous occupe.
Pour réfuter complètement ceux qui pensent que l'emploi de l'armée aux grands travaux d'utilité publique, porterait atteinte à sa constitution, à sa force et à sa discipline, je me contente de citer textuellement les paroles de ce général.
« Certes, dit-il, cette objection serait la plus grave, si elle avait le moindre fondement, s'il pouvait rester le moindre doute dans les esprits. Mais nous avons, dès longtemps, une conviction contraire que l'expérience n'a fait que confirmer complètement, j'affirme que la force de discipline n'a fait que gagner chez nos travailleurs animés d'un même esprit, concourant au même but, et souvent entourés d'exemples dont ils voyaient les dangers. »
C'est méconnaître étrangement le caractère du soldat que de croire qu'il serait disposé à refuser le travail ou à l'exécuter avec dégoût. Pour juger à quel point celle opinion est fausse, écoutons encore le général Schneider.
« Le travail est évidemment dans les goûts du soldat : ce goût est encore excité chez lui par l'oisiveté des garnisons et l'ennui des exercices inutiles à son instruction,
« Pendant la durée de nos travaux sous Paris, ajoute l'honorable général, je n'ai rencontré que deux ou trois velléités de refus de travail. Je me suis bien gardé d'y attacher la moindre importance ou de recourir à une pénalité exagérée ; et plus tard nous en sommes venus à priver de travail les soldats qui avaient manqué d'ardeur ou de bonne volonté. »
Le général Schneider, après avoir fait connaître que l'instruction théorique et pratique, et la discipline n'ont nullement souffert, dit que le taux moyen des malades de la division des travailleurs forte de 26,000 hommes avait été de 1 sur 30 et même de 1 sur i40, au lieu de 1 sur 19 qui est la proportion moyenne des garnisons. »
Si nous consultons une autre autorité officielle nous verrons que M. le ministre de la guerre de France, dans son compte rendu de l'exercice de 1845 s'exprime en ces termes au sujet de la discipline et du zèle des soldats travailleurs :
« On a constaté, en 1843, comme dans les 2 années précédentes, que non seulement le travail avait été salutaire à ces utiles auxiliaires (les soldats), et que la troupe n'avait aucune répugnance pour le travail lorsque ses chefs s'y montrent favorables, ainsi que cela a eu lieu à Paris, Ce qui le prouve évidemment, c'est le sage esprit dont elle n'a cessé d'être animée, c'est la gaieté qu'on a généralement remarquée sur les ateliers, c'est enfin le zèle qu'elle a déployé, et qui s'est révélé dans l'augmentation graduelle de la quantité de travail qu'elle a fourni. »
Je pense, messieurs, qu'après la citation de telles autorités on ne peut plus signaler comme un obstacle la répugnance du soldat pour le travail.
Je ne pousserai pas plus loin ces considérations.
J'en ai dit assez pour faire comprendre à la chambre et a l'honorable ministre de la guerre, comment je propose de satisfaire à la volonté du pays et au vœu de ceux de nos collègues qui exigent des économies.
Mais tout en faisant les sacrifices que la situation du pays commande, j'offre cet avantage de ne pas détruire les cadres, de ne pas désorganiser les moyens qui permettent de réunir promptement une force considérable, dont l'emploi judicieux et énergique suffise pour sauver l'indépendance de la Belgique. C'est ainsi que le gouvernement belge pourra, sans succomber, résister aux épreuves d'une guerre et stipuler, au moment de la paix, des compensations proportionnées à l'efficacité de sa coopération militaire.
Je livre ces données à l'appréciation de mes collègues et de mes concitoyens ; elles me paraissent renfermer assez de chances de succès pour qu'on les essaye ; elles sont toutes d'actualité, car les armées permanentes elles-mêmes semblent être sur le point de subir une transformation, au milieu des tendances économiques du siècle.
Il faudra bien qu'elles finissent, pour ce qui tient à la question financière du moins, par se mettre en harmonie avec les idées de l'époque qui aboutissent toutes à un calcul d'intérêt matériel.
Cette question a été traitée par un officier des plus distingués de l'artillerie française, attaché à Son Altesse Royale monseigneur le duc de Montpensier. Voici comment il s'exprime :
« Ce que demande avant tout la société, c'est d'avoir une armée dont les institutions soient la conséquence des institutions qui la régissent elle-même, et dont les besoins, les intérêts réels, les vœux même soient d'accord avec ceux de la nation entière. C'est une vérité incontestable, que, chez tous les peuples qui ont eu quelque durée, l'institution militaire a toujours varié avec la nature du gouvernement. La liberté ne saurait s'appuyer sur une armée organisée pour le despotisme. »
Messieurs, il importe de méditer ces graves paroles du savant chef d'escadron, choisi par Louis-Philippe pour être attaché à la personne de son fils.
La tendance du gouvernement belge doit incliner à la production et à l'économie. Que l'armée suive donc, elle aussi, cette tendance.
(page 473) Ce qui me parait certain, c'est que nous pouvons difficilement la maintenir sur le pied actuel, pour les troupes à cheval surtout, dont l'entretien est par trop coûteux, si on n'utilise pas le travail des chevaux et leur fumier pour produire les fourrages nécessaires à leur entretien.
J'ai dit qu'il serait avantageux, sous le double rapport de la force militaire et de l'économie, de raser toutes les fortifications qui ne sont pas indispensables à un bon système de défense.
Posons-nous d'abord cette question :
Dans quel but et comment la guerre défensive doit-elle être préparée en Belgique ?
Le but, c'est d'empêcher que l'indépendance de la Belgique ne succombe si les opérations d'une guerre continentale venaient à l'atteindre.
C'est de donner à son gouvernement une attitude respectable qui lui permette d'attendre jusqu'au moment décisif pour agir contre la puissance qui aurait violé sa neutralité, tandis qu'il serait entraîné à la merci des événements après avoir vu briser ses forces militaires, s'il devait les engager dès le début, sans pouvoir choisir l'opportunité du temps et du lieu.
C'est de le mettre ainsi à même d'obtenir, à la paix, des dédommagements proportionnés au poids qu'il aura jeté dans la balance.
Si tel est pour nous le but de la guerre, nous ne saurions l'atteindre, en cherchant à défendre les frontières par le cordon de nos forteresses.
Les places fortes seules n'arrêtent plus l'ennemi. Pour la Belgique elles seraient un danger et une cause d'affaiblissement.
Lorsque ces places sont en grand nombre, nous ne pouvons les pourvoir que de moyens insuffisants et dès lors nous ne sommes pas bien assurés d'en rester maîtres. Si l'ennemi s'empare de l'une d'elles, il y trouve un armement considérable qu'il tourne contre nous.
Faiblement gardées, nous ne saurions empêcher nos forteresses de tomber successivement entre les mains de l'ennemi qui nous combattra avec notre propre matériel.
Gardées d'une manière respectable, elles nous affaiblissent et paralysent nos forces en nous obligeant à les éparpiller dans une multitude de garnisons qui diminuent outre mesure notre force mobile et ne peuvent que par exception, se rallier à la combinaison des opérations de l'armée.
La défensive fait présumer l'infériorité numérique pour lutter contre l'ennemi. cette infériorité s'accroît encore si l'on diminue ces forces en les éparpillant.
Je maintiens donc que le grand nombre de nos forteresses à la frontière épuiseront notre budget, en nous obligeant à les pourvoir, et qu'en définitive elles seront plus utiles à l'ennemi qu'à nous-mêmes.
Envisageons maintenant la question sous son rapport économique.
Etreinte par une ceinture de fortifications, de larges fossés, de hautes murailles, plusieurs de nos villes n'ont pu prendre l'essor que comportaient l'augmentation progressive et le développement de leur industrie, depuis bientôt trente ans que date la construction de leur enceinte.
Il en résulte que des faubourgs populeux se sont établis dans le rayon de diverses forteresses.
Lors d'une guerre, la mise en état de défense obligera de raser en partie ces faubourgs, ainsi que les bâtiments et les arbres fruitiers qui abondent dans le rayon, et cela par simple mesure de précaution contre des attaques très éventuelles. Cette destruction amènerait la perte d'une valeur considérable, dont pâtirait le capital national, et peut être ceux de nos concitoyens, qui essuieraient directement cette perte, ne pourraient-ils plus contribuer aux charges de la guerre ; de sorte que leur quote-part irait encore aggraver celle des autres.
En rasant nos forteresses frontières, nous vendrions probablement à un prix élevé les terrains formant la zone de fortifications, comprise entre les faubourgs et les villes, nous éviterions les frais d'entretien de ces fortifications et des bâtiments militaires, et préserverions les propriétés situées dans le rayon de défense, d'une ruine presque inévitable en temps de guerre.
Je dois le répéter ici, je ne suis nullement partisan de l'opinion qui veut prolonger le séjour du contingent sous les armes, pour lui faire monter la garde.
A quoi bon des garnisons presque partout ? Diest, avant ses fortifications, Tirlemont et Saint-Trond, avant leurs casernes de cavalerie, Courtray, avant son chemin de fer, se passaient bien de garnisons ; et voyons-nous plus de désordres qu'ailleurs, à Lokeren, Grammont, Ninove, Saint-Nicolas, villes qui n'en ont jamais ?
Il faut aboutir à la suppression de toutes celles qui, loin d'être absolument indispensables, ne sont pour ainsi dire que des simulacres, et étendre cette suppression aux forteresses qu'on pourrait prétendre devoir être gardées, mais qui ne le sont guère aujourd'hui, témoin Menin, Ypres, Nieuport et d'autres encore.
Il est d'ailleurs un moyen de parer à la suppression ou à l'insuffisance des garnisons ; la garde civique nous le fournit. Pourquoi ne pas profiter de son concours gratuit, en l'organisant de manière qu'elle soit suffisamment ployée aux habitudes militaires, si sa coopération devenait nécessaire ? Son rôle naturel n'est-il pas d'être l'auxiliaire de l'armée ?
Organisons-la cette garde civique, car on peut s'appuyer utilement sur elle en temps de guerre, et elle se montre indispensable au sein même de la paix. Il a suffi récemment de sa présence, à Bruxelles, pour maintenir la tranquillité menacée, à l'occasion de la cherté exorbitante des denrées alimentaires.
Dans les villes où le service de la garde civique gênerait trop les citoyens, il leur serait facile d'y substituer une garde municipale, un corps de pompiers, par exemple, qui, soldé aux frais de la cité, suffirait à la police et soulagerait les bourgeois de la partie la plus rude du service personnel.
Le système militaire actuel est incompatible avec les économies pendant la paix et avec de bons moyens de défense pendant la guerre. Or, comme le système des garnisons multipliées, quelque minime qu'en soit la force, vient à la traverse du système des économies, on se trouve forcément conduit à choisir entre l'un ou l'autre.
Je propose le maintien complet de la cavalerie, qui est éminemment propre à la compression dont on nous a parlé hier, parce que le cheval exécute tout ce qu'on exige de lui.
S'il y a désaccord entre les idées que je professe et celles que met en avant M. le ministre de la guerre, il importe qu'elles soient nettement établies, de chaque côté ; il convient que les motifs qui forment notre conviction respective soient résumés dans une exposition qui ne laisse rien de vague, rien d'incertain. De cette manière la chambre pourra voir dans la question de la défense du pays et en juger avec connaissance de cause, après y avoir apporté le tribut de ses propres lumières.
La loi d'organisation n'a trait qu'à l'armée ; mais n'oublions pas que c'est l'emploi de l'armée et non l'armée elle-même qui doit sauver le pays.
J'explique ma pensée : l'armée, fût-elle excellente, parfaite sous tous les rapports, serait empêchée d'agir efficacement pour la défense du pays, si elle était mal commandée, si la capacité de celui auquel la direction en serait confiée, pendant la guerre, n'était pas à la hauteur d'une telle mission.
L'armée, dans une semblable occurrence, ne serait plus qu'un instrument plus ou moins parfait remis à des mains inhabiles.
Mais supposons que l'armée soit apte à remplir sa destination, supposons même qu'elle soit bien commandée, j'affirme qu'on ne pourra pas mener la guerre à bonne fin, réussir en un mot, sans une troisième et dernière condition, intimement liée aux deux autres ; cette condition c'est un plan de défense qui, sagement prescrit au commandant ou sagement choisi par lui, soit basé sur les vrais principes de la guerre, reconnus, posés et suivis comme tels par Napoléon, Wellington, Frédéric II.
Pénétrons-nous bien de cette idée : qu'une campagne défensive est une œuvre d'art, d'art de la guerre ; que cette œuvre est subordonnée à trois conditions, qu'elle est plus ou moins parfaite, d'après le plus ou moins de perfection de chacun de ces trois éléments :
La bonté du plan ou la conception de l'œuvre ;
La capacité du commandant qui s'emploie l'armée à l'exécution de l'œuvre ;
La perfection des instruments et des matériaux dont le principal réside dans l'armée même.
Messieurs, je crains d'abuser de votre temps. (Non ! non !) Cependant si vous me le permettez (de toutes parts : Oui ! oui !), j'ajouterai quelques mots pour vous dire comment les bases du pays doivent être posées et vous expliquer pourquoi il faut une armée de 80,000 hommes pour bien assurer cette défense et peser de quelque poids dans la balance politique.
Messieurs, notre neutralité ne durera qu'autant que durera la paix entre les cinq puissances, signataires du traité qui constitue, à la fois, et notre indépendance et notre neutralité.
Mais si le lien qui unit les grandes puissances vient à se rompre, le traité qui constitue notre nationalité ne sera plus respecté, dès que l'une ou l'autre de ces puissances jugera convenable à ses intérêts de porter atteinte à notre neutralité.
Lors d'une agression, la Belgique ne resterait pas longtemps abandonnée à ses propres forces. Les puissances venant à se fractionner en deux partis hostiles, l'une des deux devra, dans son propre intérêt, s'opposer à l'occupation de la Belgique par les forces de l'autre.
Je ne partage point l'opinion que c'est du Nord que viendra le danger. Si un danger menace notre indépendance, c'est au Sud bien plutôt qu'il se présente à mes yeux. L'histoire nous prouve que c'est de ce côté que viennent les tendances envahissantes.
Messieurs, une armée bien supérieure en nombre aux 80,000 hommes que la Belgique pourrait lui opposer, une armée de 150,000 hommes peut envahir notre sol, et ce chiffre de 150,000 hommes n'a rien d'exagéré, quoique l'honorable ministre de la guerre nous ait dit hier que « dans les plus mémorables batailles de la république et de l'empire, il n'y avait jamais eu plus de 80,000 hommes engagés de part et d'autre. »
C'est là une grande erreur de M. le ministre de la guerre. A la bataille de la Moskowa, chacune des deux armées comptait environ 130,000 hommes. (Dénégation du ministre de la guerre.) Oui, environ 130,000 hommes. (Nouvelle dénégation. Mais tous n'étaient pas présents sur le champ de bataille. )
Oui 130,000 hommes, car Napoléon n'était pas de ceux qui disséminent leurs forces, lorsqu'elles ont à agir sur un point décisif. Ce n'est pas lui qui eût adopté un système pareil à celui qu'on semble préférer ici, en éparpillant nos forces dans des forteresses inutiles.
A la bataille de Leipzig, l'armée française, forte de 136,000 combattants, fut attaquée par l'armée alliée, qui en comptait 230,000. La bataille dura trois jours ; le second jour, les alliés reçurent un renfort de 100 mille hommes. Ainsi, 136,000 Français eurent à lutter contre 350,000 ennemis.
Il y a bien loin de là au chiffre de 80,000 hommes que M. le ministre de la guerre pose comme limite extrême.
Oui, messieurs, le grand Etat qui nous borne au Sud, peut envahir la Belgique avec 150,000 hommes... Irons-nous, cherchant à défendre notre territoire, faite écraser l'armée belge par une semblable masse ? Non, messieurs, tel n'est pas le rôle qu'on doit lui faire remplir.
(page 474) Il faut que le gouvernement belge, appuyé de son armée, puisse se soustraire à l'action des forces envahissantes, quelle que soit leur supériorité, et se maintenir inébranlable sur un point donné. Il y attendra le concours des forces anglaises et allemandes qui, l'histoire nous le prouve, ne font jamais défaut pour défendre l'indépendance de la Belgique.
Cette position existe, messieurs, c'est le coude que forme l'Escaut, devant Anvers.
Les deux flancs couverts par l'Escaut, l'armée belge pourra facilement se maintenir dans cette position et y briser le choc de l'assaillant, quelle que soit sa supériorité.
Il ne s'ensuit pas, messieurs, que l'armée belge doive toujours rester immobile dans ce camp retranché. Non, lorsque la masse envahissante marchera compacte sur nous, c'est là, là seulement que nous devrons combattre, mais y combattre à outrance, parce que tous les moyens de succès, fortifications, artillerie, vivres, tout aura été de longue main préparé et accumulé sur ce point, pour le rendre inexpugnable.
Dès que les forces de l'ennemi diminuent ou prennent une autre direction, notre armée s'étend de nouveau d'Anvers à Gand, le long de l'Escaut, sa base d'opérations, pour opérer, par Termonde, sur Bruxelles et le Brabant.
Enfin, ne lutter vigoureusement contre la masse ennemie que là où nous avons tout préparé pour assurer la victoire et reprendre nos positions plus avancées, chaque fois que l'occasion le permet, tel est, messieurs, le système que je propose. Je le maintiens comme bon et suis prêt à le défendre contre tous ceux qui voudront le discuter avec moi.
Nous n'aurions pas à nous maintenir longtemps dans la position que j'indique ; nous serions dégagés par les opérations de la puissance opposée à celle qui aurait envahi notre territoire ; car la supériorité et l'initiative sur le Rhin y appartiendront à celui des deux partis qui, à forces égales, n'en aura pas détaché une portion notable pour envahir la Belgique.
Dans cette altitude, l'importance politique du gouvernement belge sera vraiment grande. Par son concours au moment opportun, il pourra trancher le sort de la guerre, et obtenir, pour son intervention décisive, des avantages proportionnés au poids des forces militaires qu'il aura jetées dans la balance.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, au début de la séance, l'honorable M. Lejeune s'est plaint de ce que le gouvernement ne faisait pas connaître le plan de défense du royaume. Ce n'est pas la première fois que cet honorable membre émet la même opinion. Comme elle pourrait se reproduire encore dans cette enceinte, et que je veux donner toute espèce de satisfaction à l'honorable M. Lejeune et aux membres de la chambre qui pensent comme lui, je lui dirai qu'on s'est occupé depuis plusieurs années du plan général de défense du royaume. En arrivant au ministère, j'ai nommé une commission composée des hommes les plus compétents, pour examiner les nombreux documents qui existent au département de la guerre à ce sujet. Beaucoup d'officiers.se sont livrés à l'étude de cette question ; le gouvernement, de son côté, a fait faire un grand nombre de recherches, et plusieurs travaux sur cette matière.
On s'occupe à réunir et à classer ces document. Si j'avais eu les fonds nécessaires pour payer les frais de route aux membres de la commission que j'ai nommée, je l'aurais déjà convoquée ; j'attends le vote du budget pour mettre la commission à l'œuvre. Tous les documents sont prêts, et je ne perdrai pas un seul instant pour faire traiter la question à fond.
Quant à vous communiquer tout le travail de la commission, cela m'est impossible : des documents de cette nature ne se publient nulle part, et il pourrait y avoir un grand danger à le faire, et cela est si vrai que si l'honorable M. Lejeune veut jeter un coup d'œil sur le code pénal militaire, il y verra qu'il y a peine de mort pour l'officier qui fait connaître un point quelconque du plan de défense du royaume.
M. Lejeune. - Je demande la parole.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, après l'honorable M. Lejeune, l'honorable M. Delehaye a fait remarquer qu'on n'avait pas cité l'exemple d'une seule neutralité qui ait été respectée. Si je n'ai parlé que des puissances dont la neutralité avait été violée parce qu'elles n'étaient pas armées, j'aurai pu en citer d'autres aussi qui ont été respectées à cause de leur état militaire. J'aurais pu citer la Bavière, par exemple, qui, en 1744, sut faire maintenir sa neutralité. L'empereur Charles VI ayant réclamé un secours de la France, le général Maillebois se présenta avec un corps d'armée à la frontière de Bavière ; l'électeur lui fit aussitôt savoir qu'il s'opposait à son passage en vertu de la position neutre qu'il avait prise, et qu'en cas de violation du territoire il joindrait ses forces à celles de ses adversaires ; le général français, par suite de cette déclaration, respecta la neutralité de la Bavière.
En 1805, quand l'armée russe voulut traverser la Silésie pour attaquer l'armée française, la Prusse, qui avait pris la position de neutralité, dit à la Russie : Vous ne passerez pas, et si vous teniez de le faire, je m'y opposerai avec mon armée. L'armée russe prit une autre direction. Ce qui est arrivé dans ces circonstances se présenterait pour la Belgique si elle avait à opposer à ceux qui tenteraient de violer sa neutralité, une armée de 80 mille hommes, mais non de 80 mille conscrits n'ayant passé que trois mois sous les armées.
L'honorable colonel Eenens a opposé à l'opinion du général Rogniat celle du général Marbot qu'il s'est abstenu de citer textuellement, et celle du capitaine de cavalerie Jacquinot de Presle, qui a publié un ouvrage dont je reconnais le mérite, à l'opinion du maréchal Soult et de Napoléon. J'aurais pu m'appuyer sur une foule d'autres noms ; j'aurais pu vous apporter l'autorité du général Lamarque et celle du maréchal Wellington qui, en 1815, quand le gouvernement anglais voulut, à la paix, réduire son armée, demanda dans la discussion qui eut lieu au parlement, que si on voulait réduire immédiatement l'armée, bien que l'opportunité ne lui en fût pas démontrée, demanda, dis-je, comme une faveur spéciale, qu'on ne touchât pas à l'infanterie, qu'on avait eu tant de peine à former et qu'on fît porter plutôt les réductions sur l'artillerie et la cavalerie.
Voilà l'opinion du maréchal Wellington ; je ne l'ai pas citée hier parce que je craignais d'abuser des moments de la chambre.
Quant à la question de l'emploi de l'armée à des travaux d'utilité publique, je n'ai pas cru devoir soulever cette question ; sans être en dissidence sur ce point avec le colonel Eenens, je ne partage cependant pas son opinion sur les moyens à employer pour réaliser ce système.
Depuis longtemps je me suis occupé de cette question, et je ne puis admettre les moyens que veut faire prévaloir cet honorable officier. C'est une très vieille question que celle de l'emploi de l'armée aux travaux d'utilité publique. Il y a fort longtemps qu'on s'en est occupé dans plusieurs pays.
Déjà les armées françaises, sous Henri IV, ont fait de grands travaux d'utilité publique. Sous Louis XIV, Vauban avait fait des règlements pour l'application de ce système, et les troupes exécutèrent à cette époque le canal de Briare, celui de Dunkerque et travailleront même à la construction du palais de Versailles.
Mais alors les armées ne se composaient pas, comme aujourd'hui, de miliciens, elles étaient formées de volontaires engagés pour la vie ; quand la paix arrivait, il fallait bien les occuper, sans cela leur entretien eût été trop onéreux, on leur faisait donc exécuter des travaux publics. Avec la composition actuelle des armées, il est difficile d'employer les soldats à ces travaux sans modifier la loi de recrutement, il faudrait même apporter de grands changements à l'organisation de nos armées.
Des expériences ont été faites en France : à la suite de la révolution de juillet, ces idées étant revenues à l'ordre du jour, le gouvernement voulut savoir quel parti on pourrait tirer de l'emploi de l'armée à des travaux d'utilité publique ; en 1835, quelques corps de l'armée furent envoyés dans les départements de l'Ouest pour faire des routes militaires, des routes stratégiques. On a obtenu pour résultat que ces travaux ont coûté 35 p. c. de plus que si on les avait fait exécuter par des ouvriers civils. On a essayé encore récemment de réaliser cette théorie, en France. Ainsi, les fortifications de Paris, sur certains points, ont été faites par l'armée française ; eh bien, la partie exécutée par les troupes a coûté au-delà de cinq millions de plus que si elle avait été faite par des ouvriers civils. Mais on a obtenu cet avantage d'empêcher les coalitions d'ouvriers civils et de ne pas faire affluer sur Paris un trop grand nombre d'ouvriers qui seraient accourus des provinces. La position de la France, sous ce rapport n'est pas la même que la nôtre ; dans beaucoup de localités les bras manquent, tandis que chez nous il y a surabondance de population.
En Algérie on a fait des travaux qui ont parfaitement réussi. Cela se conçoit : il y a en Algérie une armée de 100,000 hommes qui n'ont pas toujours à combattre, mais qui doivent toujours être prêts à le faire ; cette armée devait se suffire à elle-même ; elle devait tout créer, car tout. manquait dans ce pays.
Ainsi la main-d'œuvre y étant hors de prix parce qu'on était forcé, pour avoir des ouvriers civils, de les faire venir de France, d'Espagne, de Malte ou d'Italie, on a employé l'armée à la construction de routes, de ponts, de bâtiments qui ont été parfaitement exécutés, car les armées, en général, s'acquittent bien des travaux dont ou les charge ; seulement ils coûtent plus cher.
En Autriche, le conseil aulique a voulu faire l'épreuve de ce système.
Quelques corps de l'année autrichienne ont donc été chargés d'exécuter le chemin de fer de Vienne à Brunn ; mais on a été bientôt obligé de retirer les troupes, de renoncer à ce projet parce qu'on a reconnu que ce système était plus onéreux et qu'il présentait, au point de vue de la discipline et de l'instruction, d'assez graves inconvénients.
Ce n'est pas à dire pour cela qu'il faille abandonner cette idée, je ne le crois pas ; je crois, au contraire, qu'il faut l'examiner avec soin. Je pense que, dans la session qui va s'ouvrir en France, il y aura une discussion très intéressante, très instructive sur cette question. M. le maréchal Bugeaud a annoncé qu'il se proposait d'en saisir la chambre. Il aura pour adversaires des hommes de grande valeur, car le général Oudinot a déjà publié un ouvrage contre l'emploi de l'armée à des travaux publics ; le général Lamoricière s'est aussi opposé au système du maréchal Bugeaud. Nous suivrons avec attention cette discussion. Si le système de l'illustre maréchal nous paraît réalisable, de nature à pouvoir être introduit en Belgique, si je le reconnais, je serai le premier à en faire l'essai.
Au reste, nous avons posé le germe de ces essais ; nous avons une compagnie au camp de Beverloo, qui défriche et construit ; le projet de modification au code pénal militaire porte la création de compagnies de pionniers qui seront employés à des travaux d'utilité publique. J'ai donné ordre que les travaux d'entretien de forteresses, tels que les terrassements, l'entretien des herbages, les plantations, tous travaux qu'on peut faire faire par des soldats, fussent exécutés en partie par la garnison ; (page 475) mais je ne puis de prime abord adopter le système dans son ensemble, car il exigerait de grands frais ;il faudrait maintenir plus longtemps les miliciens sous les armes : il faudrait augmenter l'effectif, faire la dépense d'un outillage, d'un équipement de travail et autres dépenses accessoires, dépenses que nous ne pouvons pas faire en ce moment. Il faudrait attendre ensuite trop longtemps pour que les produits de ces travaux nous indemnisassent des frais qu'ils occasionneraient. Voilà pourquoi je n'entreprendrai rien à présent ; j'attendrai pour le faire que des expériences faites ailleurs me démontrent que c'est un bon et utile système.
M. Manilius, rapporteur. - Messieurs, comme organe de la section centrale, je commence par déclarer qu'elle n'a pas entendu engager la chambre dans la voie d'une modification à la loi d'organisation ; qu'elle n'a pas entendu non plus envisager cette loi comme une loi perpétuelle. Elle a considéré cette loi comme une loi d'actualité, comme une loi que l’on avait faite d'après la situation du moment.
Par ces considérations, je me permettrai de faire quelques observations qui s'appliqueront immédiatement à la discussion qui vient d'avoir lieu entre l'honorable colonel Eenens et l'honorable général Chazal.
Messieurs, on a parlé de la question d'un plan de défense du pays. Il faut à cet égard se rendre compte de la réalité de la position.
La réalité de notre position, messieurs, c'est qu'elle est dans un état de mixture, dans un statu quo mixte. Voilà quelle est la cause du résultat de l'organisation d'aujourd'hui.
Il faut, messieurs, que je vous rappelle ce qui s'est passé, lorsqu'on a exigé du gouvernement une loi d'organisation, avant de voter un nouveau budget. Nous avons obligé le gouvernement à présenter une loi d'organisation, et qu'a fait le gouvernement ? Il a tracé notre organisation des cadres sur le budget, et il a déposé son projet. Mais il me semble que le moment est venu de tout expliquer, afin que l'on ne prolonge pas inutilement ce débat.
Le gouvernement, à cette époque, a été invité par la section centrale chargée d'examiner le projet d'organisation, à déposer dans son sein la combinaison adoptée pour la défense du pays. Il s'y est refusé. La section centrale a insisté. Le gouvernement s'est exécuté ; et savez-vous comment ? Le gouvernement tout entier, les ministres réunis sont venus déclarer qu'il y avait impossibilité de se fixer sur un plan de défense pour le pays. Et cette impossibilité, savez-vous où elle résidait ? Elle résidait dans un lien étranger.
Je regrette vivement de devoir revenir sur cette question. Mais jamais le moment ne s'est mieux présenté. Je le saisis, pour qu'on sache bien à quoi s'en tenir.
M. le ministre de la guerre vient aussi nous parler du système de défense du pays. Il a nommé une commission pour examiner cette grande question, pour examiner quel sera le véritable moyen de défendre le pays, pour examiner quelles sont les forteresses qui pourront rester debout, quelles sont celles qu'on devra encore établir.
Voilà, messieurs, la véritable appréciation du moment. Noire position est réellement précaire ; elle est, comme je le disais en commençant, dans le statu quo. Et savez-vous, messieurs, comment, après la déclaration faite par le gouvernement à la section centrale, on a procédé à l'organisation de l'armée ? On y a procédé, en acceptant l'organisation actuelle, non comme une organisation définitive, mais comme une organisation mixte, une organisation d'actualité ; c'est-à-dire, comme l'organisation d'une armée qui pourrait, le cas échéant, si les forteresses n'étaient pas maintenues, tenir la campagne : qui pourrait, le cas échéant, si les forteresses étaient maintenues, s'y retirer.
Voilà la véritable situation du moment.
Messieurs, je répète que cette discussion ne peut guère aller plus loin. Nous devons, tous reconnaître que l'organisation de l'armée, telle qu'elle existe aujourd'hui, est encore à l'état d'embryon. Car nous n'avons encore que l'organisation des officiers ; mais, avec cela, rien n'est fait, avec cela nous n'avons pas un système de défense. Il me semble que nous pouvons remettre cette discussion à des temps meilleurs.
A propos de cet embryon d'organisation, je dirai que j'ai voté contre la loi à laquelle nous le devons ; et j'ai voté contre cette loi, non pas parce que la dépense qui devait en résulter serait trop considérable ; car les chiffres étaient combinés de telle manière que l'armée ne pouvait coûter que 25 millions ; et une armée de 25 millions, était alors ce que tout le monde réclamait. A cette époque, elle nous coûtait encore 29 à 30 millions. On avait diminué lentement le chiffre ; mais il y avait dans le pays un cri général, comme il y en a encore un, parait-il, aujourd'hui ; 5 millions était le maximum du chiffre qu'on voulait consacrer à l'armée. Mais j'ai voté contre cette loi, parce que je ne l'envisageais pas comme assez complète ; : je m'en expliquerai.
Messieurs, vous avez voté la loi d'organisation. Aussi, sans les dépenses, extraordinaires que nous devons encore faire pour les officiers que nous avons en trop, sans les dépenses extraordinaires résultant de l'augmentation de la gendarmerie, sans les dépenses exceptionnelles dues à la cherté des fourrages et à la cherté des vivres, qui a été telle que le prix du pain, qui était au moment de la discussion de la loi d'organisation, à 16 centimes, a dû être porté, pour le budget de 1847, à 20 centimes, c'est-à-dire sans une augmentation de 25 p. c, sur un article très important ; sans le chiffre d'un demi-million qu'on nous demande encore pour la forteresse de Diest, et qui est dû, en quelque sorte, à un vote de confiance, ainsi, sans ces extraordinaires, vous arriveriez à votre budget normal ; vous auriez un chiffre de 25 millions, non compris, la gendarmerie.
Messieurs, j'ai été extrêmement surpris de voir M. le ministre de la guerre,, en ouvrant le débat, nous déclarer qu'il maintiendrait les chose telles qu'elles étaient. Il nous a dit avec beaucoup de douceur, mais eu même temps avec, beaucoup de fermeté, qu'il ne réduirait rien. Messieurs, c'est là un langage qui n'est pas nouveau pour nous. Tous les ministres de la guerre que nous avons vus à l'œuvre, sont venus nous, dire : Je ne puis faire aucune réduction ; c'est impossible. Nous avons vu cela surtout après la conclusion de la paix. Car ce n'est qu'alors que la chambre s'est montrée plus difficile, qu'elle a voulu que l'armée fût mise sur le pied de paix. Elle en avait le droit ; et elle avait de bonnes raisons pour cela, c'est que le pays le voulait.
Eh bien, le général Buzen qui a repris le premier les affaires, après la chute du général Willmar, a dit : Si vous me donnez un chiffre global, je réduirai les dépenses. On le lui a donné et il a réduit le budget de 31 à 29 millions, soit de 2 millions, après avoir positivement déclaré en section centrale, qu'il n'y avait absolument rien à faire.
Après, est venu le général de Liem qui a dit : Je ne consens à aucune réduction ; j'en fais une affaire de portefeuille. Eh bien, nous lui avons dit : Déposez votre portefeuille, et il l'a déposé.
Après, est venu le général Dupont qui a présenté une loi d'organisation que nous avons adoptée et qui a réduit le budget a 28 millions. Ainsi il y a eu diminution d'un million. Cependant il n'y avait rien à faire, d'après le général de Liem. Croyez-vous que la loi d'organisation qui a fait réduire à 28 millions les dépenses de la guerre ait entraîné la suppression d'un seul officier ? Non, pas un seul n'a été supprimé. On a changé la position de quelques officiers, mais pas d'une manière notablement gênante. On leur a donné une position convenable. Presque tous les officiers supérieurs et des armes spéciales ont trouvé à se caser, il n'y a pas eu la moindre plainte ni perturbation. Après cela le général Dupont a trouvé bon de se retirer. Le général Crisse, qui lui a succédé, n'a pas eu le temps de discuter avec nous la question des réductions. Il a été surpris par les élections du 8 juin, mais je ne sais si, s'il était resté en place, il n'aurait pas consenti la réduction d'un million.
L'honorable général Chazal, qui siège maintenant comme ministre de la guerre, a promis à la section centrale de faire toutes les économies qu'il serait humainement possible de faire sans compromettre la sûreté de l'Etat.
Mais il ne s'agit pas d'autre chose. La section centrale propose des réductions raisonnables qui ne bouleversent la sûreté de personne, qui ne compromettent pas la sûreté de l'Etat, qui ne dérangent pas la combinaison d'une armée de quatre-vingt mille hommes avec les cadres actuels. C'est tout ce que demande le général, et nous le lui accordons. Nous voulons le maintien de l'armée telle qu'elle est organisée. Nous voulons l'exécution et le maintien de la loi d'organisation. Nous voulons le maintien de tous les officiers spéciaux avec leurs gros traitements ; mais ce que nous ne voulons pas, ce sont les exceptions au-dessus des exceptions. Pour cela je serai inflexible. Je prouverai à la chambre qu'il y a des économies à faire. Si maintenant l'honorable général veut des économies, il le peut, car il ne s'agit que de vouloir ; il ne s'agit que de sortir des errements où l'on s’est traîné jusqu'ici.
Ainsi nous avons un corps d'état-major qui est spécialement destiné à faire le service de l'arme de l'état-major. Que fait ce corps ? Il est employé souvent là où il ne devrait pas l'être ; et pour remplacer ces officiers spéciaux qui ne font pas leur service, que fait-on ? On prend des officiers de troupe, et on leur fait faire le service d'officiers d'état-major. On me dira : Ce sont des détails de service intérieur qui ne regardent pas la chambre. Je dis que cela la regarde, parce qu'ainsi vous dépensez de l'argent. En effet vous augmentez la solde des officiers de troupe que vous placez comme aides de camp près des généraux, vous doublez leurs traitements au moyen de suppléments et de rations de fourrages. Vous leur faites une position de petits seigneurs parce qu'ils sont les amis d'un général qui les réclame. Savez-vous la position d'un sous-lieutenant qui peut se soustraire au service assez dur d'un régiment et l'endosser à un camarade pour aller remplir les fonctions d’aide de camp auprès d'un général quand il n'est pas son père ou son oncle ? Ce sous-lieutenant, qui aurait 1,600 francs au régiment, reçoit la solde d'officier d'état-major, 2,500 francs. Deux jeunes gens sortent en même temps de l'école militaire ; l'un reste au régiment, se frotte à la troupe comme nous a dit un général, apprend son métier, se fatigue : il reçoit 1,600 francs
L'autre qui est réclamé par un général, son ami, pour faire un service qu'il ne devrait pas faire, en temps de paix surtout, reçoit un supplément de traitement de 900 fr., et des rations pour 2 chevaux, évaluées à 900 tr. (Réclamation.) (Après avoir vérifié les annexes du budget de la guerre.) Messieurs, il y a dans l'infanterie détachés au corps d'état-major trois capitaines de première classe qui reçoivent chacun un supplément de 1,350 fr., deux capitaines de seconde classe qui reçoivent chacun un supplément de 900 fr., trois lieutenants qui reçoivent chacun un supplément de solde de 1,050 fr.
Quant aux sous-lieutenants, il y en a deux qui sont détachés ; ils ont chacun 900 fr. et des rations chacun pour 2 chevaux.
Je dis donc que les officiers dont le service est fait par d'autres que ces officiers ont, en quelque sorte, un traitement double, et cela, parce que ce sont des sinécuristes. C'est là ce que je ne veux pas. Il faut que chacun fasse son service.
Voici, messieurs, une autre dépense complètement inutile. On nous demande 15,000 fr., pour faire des plans cadastraux. Mais de grâce, M. le (page 476) ministre, adressez-vous aux province ; ; elles vous donneront ces plans cadastraux avec tous les détails que vous pouvez désirer. (Interruption.) Cela existe dans toutes les provinces, et si cela n'existait pas, vous n'auriez qu'à vous rendre à l'établissement Vandermaelen, on vous y ferait ces plans avec la plus grande minutie, dédoublés et parcellaires, à telle échelle qu'on l'exigerait, et cela ne coûterait pas 15,000 fr. par an, j'aime à le croire. (Interruption.)
Je demande que M. le ministre de la guerre examine mes observations avec maturité, et il verra qu'il est très possible de faire des économies.
Dans l'arme de l'infanterie on fait encore des dépenses extraordinaires. Or je le demande, pourquoi des dépenses extraordinaires, alors que nous sommes dans un état normal ? Mais faut-il conserver des suppléments de traitement qui ont été accordés dans le temps ? Il y a des officiers d'infanterie qui ont reçu autrefois 600 francs, parce qu'ils avaient besoin d'un cheval, et on leur continue ces 600 francs. Mais, messieurs, je dis que ceux qui avaient 600 francs lorsqu'ils étaient tenus d'avoir un cheval ne doivent plus avoir 600 francs maintenant qu'ils n'ont plus besoin de ce cheval et qu'ils ne l'ont plus. Aussi, je dois le dire, le gouvernement n'accorde plus de rations de fourrages à MM. les adjudants-majors. Je crois que ces officiers méritent très bien un supplément de solde, mais il ne faut pas établir de distinction ; sur pied de paix ils n'ont droit qu'à 400 fr. de supplément.
Vous avez des officiers de cavalerie qui portent le nom d'adjudants-majors et d'autres qui portent le nom d'instructeurs. Les prédécesseurs de M. le ministre actuel ont donné aux instructeurs capitaines en second le même traitement qu'aux adjudants-majors capitaines eu second, pour les rapprocher du traitement que reçoivent les capitaines en premier ; mais, s'ils ne sont que capitaines en second ils ne doivent pas toucher le traitement rapproché du capitaine en premier. S'il y avait des motifs de les favoriser il fallait leur donner une promotion, il fallait user à leur égard du droit de donner une partie de l'avancement au choix, mais il ne fallait pas améliorer leur position aux dépens du trésor, aux dépens des contribuables.
Messieurs, les fourrages se donnent avec une complaisance tellement extraordinaire que je n'ose presque pas aborder cette question. Cependant je dois dire tout ; rien ne peut m'arrêter quand il s'agit de l'accomplissement de mon devoir. Je n'éprouve certainement aucun sentiment hostile à l'honorable général qui se trouve maintenant à la tête du ministère de la guerre et cependant je suis obligé de commencer par lui. Déjà depuis nombre d'années on s'est plaint de cette prodigalité avec laquelle on donne des rations aux officiers qui ont déjà un supplément de solde, et qui touchent en outre ces rations, sans avoir même de chevaux, sans en avoir besoin pour le service, sans que personne les réclame, sans qu'aucun inspecteur aux revues leur fasse exhiber ces chevaux. Ces officiers ne reçoivent pas les rations en nature ; ils les reçoivent en espèces. On a intercalé dans le tableau du budget une petite colonne portant pour en tête : « Indemnité en numéraire pour rations de fourrages.» La cour des comptes, ayant vu cette colonne qui a furtivement passé à la chambre, n'a pas pu refuser l'indemnité dont il s'agit.
Et ces messieurs qui n'ont pas besoin de fourrages, parce qu'ils n'ont pas de chevaux, vont tranquillement recevoir à la banque leur mandat pour le fourrage, et cela parce que la cour des comptes ne peut pas se refuser à liquider et qu'elle est tenue d'exécuter ce que le budget commande, et nous ne votons le budget que sur les indications données par M. le ministre de la guerre.
Maintenant, M. le ministre de la guerre a promis à la section centrale de faire cesser ces manœuvres, et de ne plus permettre qu'un officier qui n'a pas de chevaux, et qui ne doit pas en avoir, touche une seule ration de fourrage.
M. le ministre de la guerre n'a pas hésité à faire observer tout à l'heure que le Code pénal militaire commine la peine de mort contre l'officier qui fait connaître un point quelconque du plan de défense du royaume. Je rappellerai à M. le ministre de la guerre que le militaire prévaricateur est aussi condamnable.
M. le général Chazal lui-même a témoigné son étonnement des abus qui existent sous ce rapport ; il m'a dit que ces abus ne s'étaient pas pratiqués sous son commandement ; il m'en a tant dit, sur la sévérité qu'il mettait à avoir le nombre des chevaux qu'il en avait même, à l'heure présente, cinq tandis qu'il n'avait que des rations pour quatre chevaux, que j'ai été porté à lui demander si MM. les ministres recevaient des rations des fourrages. « J'en reçois, m'a-t-il répondu, non comme ministre, mais comme général. » M. le ministre m'a appris, que comme général, le ministre de la guerre reçoit quatre rations de fourrages ; ce sont des rations en espèces qui vont à 1 fr. 40 c, et quand on les multiplie, cela fait 2,000 fr. par an. Il en résulte que MM. les ministres de la guerre ne sont pas des ministres à 31,000 fr., comme le porte le budget, mais à 25,000 fr. (Exclamations).
Il n'y a pas de oh ! oh ! puisque c'est M. le ministre lui-même qui m'a appris ce que je viens de révéler ; s'ils touchent des rations de fourrage, ce n'est pas comme ministre, mais comme général.
Eh bien, moi je crois qu'une fois ministre, l'on n'a pas plus le droit de recevoir des rations de fourrage, qu'il n'est permis de recevoir la solde de lieutenant-général.
Messieurs, il ne faut pas qu'où laisse subsister des choses pareilles ; je suis bien au regret de devoir signaler ces abus ; j'ai le ferme espoir que l'honorable général qui est assis au banc ministériel les fera disparaître ; mais il faut se prémunir contre la possibilité du retour de pareils abus.
Les intendants sont aussi de ceux qui reçoivent des rations de fourrages ; eh bien, si des hommes aussi haut placés ne profitaient pas eux-mêmes de l'abus, ils ne souffriraient pas qu'il se glissât dans l'armée.
Je le répète, il m'en coûte d'entrer dans ces détails ; mais aucune considération ne m'arrête, quand il s'agit de défendre la vérité, quand il s'agit de mon devoir. (Interruption.)
On me demande si c'est au sein de la section que les explications que j'ai rapportées nous ont été données. Je dois dire à l'honorable interrupteur oui et non ; c’était au sein de la section centrale, mais c'était avant que l'honorable président, M. Verhaegen, fût entré : l'honorable membre doit se rappeler que le jour où le général Chazal s'est rendu dans notre sein, lui (l'honorable M. Verhaegen), auquel je rends d'ailleurs hommage pour le zèle et l'activité qu'il déploie ordinairement, je dirai toujours, est arrivé ce jour-là après le général.
M. Verhaegen. - Je demande la parole.
M. Manilius. - Messieurs, je pourrais encore vous entretenir longtemps de tous ces détails fâcheux ; je ne le ferai pas ; je me bornerai seulement encore à exprimer le désir de voir cesser ces abus ; si l'on recourait à des obstacles trop sérieux, de nature à détruire l'effet que la révélation de pareils abus a dû produire sur la chambre, je proposerais un amendement qui aurait pour conséquence l'obligation de n'accorder des rations de fourrage qu'aux chevaux et pas aux hommes.
Comme il y a une série d'économies à faire, il y a encore des fonctionnaires de toute nature que je pourrais passer en revue ; mais je ne veux pas entrer dans ces nombreux détails ; d'ailleurs, je le répète, j'ai espoir dans l'honorable général qui dirige le département de la guerre, pour le redressement de tous ces abus.
Maintenant je passe à un autre ordre d'idées.
Nous avons, dans la section centrale, chargée de l'organisation, autant que faire s’est pu, cherché le moyen d'alléger le fardeau des contribuables, en diminuant le budget et en le portant à son état normal, c'est-à-dire à 25 millions ; si l'honorable général nous aide un peu, nous pourrons arriver à ce résultat.
Mais il y a d'autres contribuables qui sont aussi dans une position très fâcheuse, devant la loi d'organisation dont le complément manque. En effet nous n'avons pas de loi d'organisation de l'année, nous avons une loi d'organisation des cadres de l'armée, et rien de plus. J'ai émis un vote négatif sur la loi concernant l'organisation des cadres ; ce vote ne portait pas sur le chiffre même de la dépense ; mais mon opposition était dictée par cette considération que la loi n'était pas complète, qu'on avait négligé les recrues.
A l'heure qu'il est, vous n'avez pas de loi de recrutement, et vous êtes dans la plus grande difficulté pour exécuter la loi que nous venons de voter pour le contingent ; car enfin quand nous avons déclaré qu'il fallait 80,000 In w, nous n'avons pas déclaré qu'il fallait 80,000 miliciens ; ce que nous avons dit, c'est que l'armée serait composée de 80,000 militaires.
Maintenant, pour l'exécution que fait-on ? On recourt à la loi sur la milice qui se réfère à la loi de 1817. C'est là l'unique source où l'on va puiser les militaires ; ce n'est pas une bonne source. La loi de 1817 sur la milice, quoique modifiée, n'est et ne sera jamais qu'une loi de milice et non une loi de recrutement militaire. Les milices, dans l'esprit du législateur de 1817, ne devaient servir qu'en deuxième ligne, comme réserve de l'armée de ligne ; l'armée de ligne devait se recruter par des moyens directs ou indirects, mais elle avait des conditions particulières qui la différenciaient de la milice.
Jetez les yeux sur l'ancienne loi fondamentale, vous verrez que l'avant-garde, l'armée permanente devait se recruter et qu'à la suite viendrait, une milice nationale dont la loi devait stipuler les conditions d'existence, les obligations.
Etait-ce un service permanent que devait faire la milice nationale ? Non, c'était un service momentané, c'était un service de 5 ans qui se réduisait en fait à une année d'activité, car on ne faisait pas non plus des fantassins en trois mois, on prenait un temps plus long ; ils restaient d'abord six ou sept mois sous les drapeaux et pendant les autres quatre années ils revenaient un mois chaque année, ce qui faisait en tout une année de service qui incombait aux miliciens, soldats de seconde ligne, qui étaient autre chose que le noyau, le corps de l'armée permanente ; car le milicien n'a jamais eu le caractère de soldat permanent, et ne l'a pas encore malgré la dernière loi modificative que vous avez faite.
En effet vous avez bien dit qu'au lieu de cinq ans il en servirait huit, mais vous n'avez pas changé le caractère de la loi en vertu de laquelle vous lui demandez son service. Cependant votre Constitution vous impose l'obligation de faire une loi d'organisation de l'armée. Dans la loi que vous avez faite, vous vous êtes occupés des généraux et des officiers, mais vous n'avez rien fait quant au recrutement ; vous avez fait une loi d'organisation des cadres, mais non une loi telle que la Constitution l'exige. Il est inouï qu'après un temps aussi long on se serve encore d'une loi dont on a dû fausser notablement la portée pour l'appliquer. En France, toujours on a eu des lois de recrutement de l'armée ; suivant les époques on a changé les lois de recrutement, pour les mettre en harmonie avec les convenances du peuple français.
En 1844, je crois, nous avons voté une loi de réforme dans le but de conserver les miliciens pendant huit ans au lieu de cinq, celle loi a été calquée sur la loi française projetée.
Le gouvernement français avait présenté aux chambres une loi qui maintenait les conscrits pendant huit ans dans les rangs de l'armée ; la chambre a repoussé cette disposition ; elle n'a pas voulu qu'on maintînt aussi longtemps les jeunes gens dans l'état militaire ; elle a réduit le (page 477) service à sept ans ; cette réduction n'a pas passé à la chambre des pairs. La chambre des pairs a rétabli la durée du service de 8 ans comme le proposait le gouvernement et a renvoyé le projet à la chambre des députés. Croyez-vous que la chambre des députés se soit ralliée à cet amendement ? Non, elle a de nouveau fixé la durée du service à sept ans ; et ce temps a été maintenu, non pour des miliciens, non pour des soldats de second ordre, mais pour les soldats permanents. Savez-vous, messieurs, ce qui se passe pour notre armée où les miliciens sont considérés comme des soldats permanents ? Voici ce qu'on fait : il existe dans notre armée encore une mixture : il y a des engagés volontaires, des réengagés qui forment un noyau pour les armes spéciales.
M. le ministre reconnaîtra que les guides, les lanciers et d'autres corps, se composent en grande partie de volontaires, mais il faut compléter ces armes spéciales, savez-vous comment on les complète ? Avec de malheureux miliciens qui, au lieu de servir six à huit mois et de revenir tous les ans pendant un mois, sont tenus là en permanence, pendant un temps très long, parce qu'ils sont dans une arme spéciale à laquelle ils conviennent et qu'ils en sont les sujets principaux. J'en ai la preuve.
Plusieurs de ces miliciens ouvriers de nos fabriques sont venus se plaindre de cette espèce de passe-droit, de ce refus de se conformer à la loi ; je les ai consolés, je leur ai promis d'en parler à la chambre, j'en parle et j'en parlerai encore longtemps, j'en parlerai tant que vous ne proposerez pas la révision de la loi de recrutement. cette révision pourrait avoir des résultats heureux. Déjà les honorables MM. Nothomb, de La Coste et d'autres, qui ne font plus partie de la chambre, ont proposé un moyen qui procurerait un revenu à l'Etat, au moyen duquel on donnerait une indemnité à ceux qui remplaceraient, à ceux qui serviraient volontairement. Ce principe est inscrit dans la loi française.
De plus, d'après la loi française, les volontaires peuvent s'engager pour deux ans ou cinq ans, et ceux qui se rengagent ont une haute paie. Voilà comment font nos voisins. Nous qui nous modelons souvent sur eux, nous ne prenons que le mauvais côté. Ainsi on a pris les huit ans de service proposés d'abord par le gouvernement français, mais on n'a pas pris les dispositions qui avaient pour objet d'adoucir les rigueurs de la loi pour le recrutement.
Messieurs, toute ma démonstration, je le répète, n'a d'autre but que d'amener des économies dans le budget de la guerre, d'apporter des économies autant que possible dans la contribution du sang.
Je tends aussi à amener M. le ministre de la guerre à faire des réflexions et avant de maintenir ce qu'il a dit : qu'il n'y avait rien à réduire, je le convie à examiner mes observations. Qu'il ne me réponde pas à l'instant s'il le désire, qu'il prenne son temps, qu'il attende jusqu'à demain, afin de ne nous présenter que des raisons péremptoires ; sans cela nous devrons recommencer la discussion. Je suis, quant à moi, résolu à maintenir mes observations, parce qu'avant de les faire j'avais écarté tout ce qui ne m'avait pas paru avoir un caractère d'évidence complète.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, l'honorable M. Manilius a débuté par attaquer la position de certains fonctionnaires militaires qui sont dans une situation spéciale : ce sont les officiers faisant fonctions d'aide de camp. L'honorable membre prétend que ces officiers sont des sinécuristes qui vivent comme de petits princes, n'ont rien à faire et touchent des suppléments de solde et des rations de fourrage.
Je suppose que l'honorable M. Manilius ne s'est jamais rendu compte des fonctions d'un aide de camp et de sa position.
Les généraux prennent pour aides de camp les officiers qui leur inspirent le plus de confiance. C'est naturel. Puisque ceux-ci doivent vivre avec eux, partager leurs travaux, qui souvent doivent être secrets, il faut que ce soient des hommes capables qui leur présentent toutes les garanties sous le rapport du talent et du caractère.
Mais les travaux que doivent exécuter les aides de camp ne sont-ils pas plus difficiles, plus pénibles que ceux dont les officiers de troupes sont chargés ? Indépendamment du service d'officiers de troupe, il faut qu'ils soient capables de faire des travaux spéciaux : des mémoires, des reconnaissances, des rapports de toute nature. Si vous voyiez ce qu'on exige aujourd'hui des généraux, les rapports, les plans qu'on leur demande, vous reconnaîtriez que jamais ils ne pourraient en venir à bout s'ils n'étaient aidés et secondés par des officiers capables.
Si l'on accorde aux aides de camp un supplément de solde, c'est parce qu'ils sont dans une position particulière, qu'ils n'ont pas l'avantage de la communauté, qu'ils sont obligés de vivre isolément. On leur accorde deux rations parce qu'ils doivent accompagner les généraux, les seconder dans les manœuvres, porter les ordres, veiller à leur exécution, et qu'ils ne peuvent suivre ; le général à pied quand le général est à cheval.
On a critiqué l'emploi de quelques officiers d'état-major au dépôt de la guerre. Mais c'est précisément au dépôt de la guerre que les officiers d'état-major sont indispensables. Donnez-vous la peine de vous rendre au dépôt de la guerre, les portes en sont ouvertes à tous les membres de la chambre. Allez dans les salles des bâtiments de la rue Ducale appropriées pour leurs travaux. Voyez-les s'occuper de la carte du royaume, et vous me direz si l'on pourrait faire de tels travaux sans eux ; si d'autres qu'eux seraient en état de faire ce qu'ils font. Toutes les petites puissances, la Suisse, la Bavière, la Sardaigne possèdent une carte du pays. Nous sommes les seuls qui soyons en arrière.
L’honorable rapporteur a encore critiqué un supplément de 200 fr.. qui figure au budget pour une certaine catégorie d'adjudants-majors Voici le fait : En 1846, l'honorable général Dupont, dans le désir de faire des économies, sans y être provoqué sur ce point, résolut que les adjudants-majors nommés à l'avenir recevraient un supplément de solde de 400 fr., au lieu de 600. Mais il ne voulut pas enlever aux adjudants-majors en fonction, les 600 fr. dont ils jouissaient, pour ne pas donner d'effet rétroactif à la mesure qu'il prenait. Ceux qui ont été nommés depuis n'ont que 400 fr. Voilà d'où vient qu'une certaine catégorie d’adjudants-majors, dont le nombre diminue graduellement par les promotions, reçoit encore 200 fr. de plus que l'autre. Cela est juste, car les mesures de ce genre, je le répète, n'ont en général jamais d'effet rétroactif.
Quant aux rations de fourrages, j'ai dit à l'honorable M. Manilius que tous les officiers qui avaient droit à ces rations et qui n'avaient pas de chevaux, ne toucheraient pas de rations, que je serais à cet égard d'une grande sévérité. J'en ai donné la preuve dans ma circulaire par laquelle j'ai demandé qu'on me signalât les officiers qui recevaient des fourrages ou des indemnités pour rations de fourrages et qui n'avaient pas de chevaux. Je veux qu'il n'y ait de rations que pour les chevaux que les officiers possèdent.
On a critiqué l'indemnité en numéraire que quelque officiers reçoivent pour rations de fourrages. Ce sont des officiers sans troupes. Si je ne maintenais pas ces indemnités, je serais obligé d'exiger des entrepreneurs de fourrages qu'ils établissent de petits dépôts dans les localités où il n'y a pas assez de troupes pour avoir un magasin. Si les entrepreneurs devaient avoir des magasins dans toutes les villes où il y a de faibles garnisons, ils seraient entraînés à des frais énormes.
Les officiers sans troupes ont une indemnité en numéraire ; mais ils sont obligés de posséder des chevaux. Il y a des officiers généraux d'infanterie qui sont dans des localités où il n'y a pas de garnison de cavalerie. Ceux-là reçoivent l'indemnité en numéraire. Il en est de même des officiers montés de l'infanterie et de tous les officiers sans troupes. Autrement ces officiers n'auraient que le rebut du fourrage, ainsi que cela avait lieu avant qu'on eût pris cette mesure. Leurs chevaux dépérissaient parce qu'ils ne pouvaient pas surveiller les distributions comme le font les officiers de cavalerie et qu'ils n'ont pas d'ailleurs les connaissances qu'ont ces derniers en matière de fourrages. Ils n'ont pas, du reste, des vétérinaires sous la main pour faire surveiller la qualité des fourrages. Voilà pourquoi l'on donne à cette catégorie d'officiers une indemnité en numéraire.
Quant aux rations de fourrages du ministre de la guerre, j'éprouve une répugnance extrême à toucher cette question. Mais je ne veux pas laisser cette espèce d'accusation portée contre moi, sans la repousser complètement, bien qu'elle ne puisse pas m'atteindre. Voici comment les choses sont établies :
Sous le ministère du général Evain, le ministre de la guerre touchait encore un nombre considérable de rations de fourrages, en vertu des anciens règlements. On trouva que c'était un abus. Alors il fut décidé que le ministre de la guerre, quel que fût son grade, toucherait les indemnités pour fourrages comme lieutenant-général. Un arrêté royal a consacré cette mesure. Cela figure d'ailleurs au budget. Il y a 9 lieutenants généraux parmi lesquels je suis compris. Ainsi c'est en vertu d'un arrêté royal et en vertu du budget que je touche l'indemnité pour rations de fourrages, indemnité à laquelle j'ai droit comme général et comme ministre.
J'ai d'ailleurs et j'ai toujours eu plus de chevaux que ceux pour lesquels je reçois des fourrages, parce que j'ai toujours tenu à faire mon service comme un militaire doit le faire.
Un grand nombre de membres. - Très bien !
M. Malou. - Après la discussion à laquelle la chambre assiste depuis plusieurs jours, et surtout après les paroles si éloquentes et si patriotiques par lesquelles M. le ministre de la guerre a défendu la cause de l'armée, je crois que cette cause est gagnée dans l'opinion de la chambre. Je crois aussi, parce que la tribune doit exercer de l'influence au dehors, que cette cause a fait de grands progrès si elle n'est pas complètement gagnée dans l'opinion du pays.
Je ne viens donc pas ajouter un discours à ceux que vous avez entendus ; je viens faire, en peu de mots, acte d'adhésion et de sympathie pour la cause de l'armée.
A toutes les époques, quels que fussent nos dissentiments politiques, l'armée a trouvé dans tous les rangs de cette chambre un véritable, un sincère appui. On croit quelquefois, en interprétant mal un fait, que cet appui lui a fait défaut lors du ministère du général de Liem. Pour détruire cette erreur, il suffira de dire quelle était alors la question.
Il s'agissait entre la majorité de la chambre et le ministre de la guerre d'une question de prérogative et d'un chiffre.
La question de prérogative consistait en ce que la chambre croyait de son droit et de son devoir envers le pays et envers l'armée d'organiser l'armée par une loi, tandis que le chef du département de la guerre, par une conviction à laquelle je rends hommage quoique je ne le partage pas, soutenait en principe, qu'il appartenait au pouvoir exécutif seul d'organiser l'armée. Sur cette question de principe une forte majorité s'est prononcée contre le ministre de la guerre.
Il y avait un dissentiment sur une question de chiffre. En effet, ceux qui faisaient partie de la chambre à cette époque peuvent se rappeler que le ministre de la guerre soutenait comme budget normal auquel on ne pouvait apporter aucune réduction, un budget de 29 millions et 5 ou 6 cent mille francs.
Ce n'est pas la sympathie qui a fait défaut à l'armée en cette circonstance. Je faisais partie de cette majorité, et je crois pouvoir dire que (page 478) notre opinion était que, dans l'intérêt bien entendu de l’armée, l’organisation devait avoir lieu par une loi.
Cette organisation a eu lieu ; elle a été large, complète. et quel en était le but ? C'était principalement d'éviter que, chaque année, le sort de l'armée, le sort des cadres qui forment en quelque sorte le nerf de l'armée, ne fût mis en question dans la discussion du budget. On voulait faire pour l'armée, dans son intérêt bien entendu, ce qui existe pour la magistrature, dont on ne vient pas chaque année contester les traitements, dont on ne vient pas chaque année débattre le budget. On voulait, par une loi de principe, donner de la fixité à cette grande institution nationale.
La majorité qui a adopté cette loi était prise dans les deux parties de cette chambre. La loi d'organisation de l'armée a du reste cela de commun avec toutes les grandes mesures qui ont été adoptées depuis la révolution ; ce fait prouve, pour le dire en passant, l'inanité de nos querelles de parti.
Je regrette vivement, messieurs, qu'à une époque si rapprochée du vote de cette loi, le principe qui lui sert de base soit déjà contesté d'une manière implicite. Il faut bien le dire, trop souvent nous ne voulons pas laisser à une loi le temps de produire les effets que le pays peut en attendre. L'instabilité de toutes nos lois organiques, dans l'ordre administratif, dans l'ordre des intérêts matériels, dans l'ordre politique, est, je crois, l'un des plus grands dangers que le pays puisse courir. Reportez, en effet, vos souvenirs et sur ce qui s'est passé et sur ce qui se prépare ; et vous verrez que dans aucun ordre d'intérêts publics on n'a eu la patience d'attendre qu'une expérience fût complètement acquise sur les résultats d'une loi.
Si cette instabilité est fatale en toute matière, elle l'est surtout lorsqu'une loi d'organisation s'applique à des personnes. Elle l'est à plus de titres encore, lorsqu'il s'agit de l'armée ; parce que la confiance dans sa fixité, parce que la certitude que son organisation ne sera plus changée, fait, selon moi, en très grande partie, la force et l'avenir de l'armée.
Je voudrais, messieurs, que la discussion actuelle fût suivie d'un vote définitif, qu'elle eût une conclusion, un résultat formel ; parce qu'alors du moins on pourrait espérer que, pendant plusieurs années, la stabilité serait assurée à cette institution. Si, au contraire, les honorables membres qui attaquent le budget de la guerre se bornent à des discours ou à des réserves, il est à craindre que cette confiance qui fait la force de l'armée, que cette stabilité qui seule peut perfectionner son organisation, n'existeront pas, parce que chaque année, malgré le vœu, malgré le but évident de la loi d'organisation, son existence, son organisation seront mises en question.
Je me demande, messieurs, s'il est nécessaire à la Belgique, au point de vue de ses intérêts extérieurs, d'avoir une armée fortement organisée, de maintenir, en un mot, la loi que les chambres ont votée il y a à peine trois ans.
On croit avoir tout dit lorsqu'on a proclamé que la Belgique est neutre. Mais, messieurs, reportons-nous aux motifs pour lesquels notre neutralité a été établie. Sans doute, elle est de l'intérêt des puissances, comme elle est de notre intérêt ; mais elle impose à la Belgique, comme on l'a dit dans le conseil des puissances, sa part des devoirs européens, et cette part des devoirs européens, la Belgique, si elle comprend bien sa situation, si elle comprend bien ses intérêts d'avenir, elle doit les remplir en ayant une neutralité sérieuse, une neutralité armée.
Je ne puis pas, messieurs, le caractère spécial de mes études m'en éloigne, je ne puis et ne veux discuter ni des plans de défense, ni des plans d'attaque. En étudiant l'histoire, surtout celle de nos provinces, je suis demeuré convaincu que, dans certaines hypothèses, la neutralité armée de la Belgique peut détourner d'elle de très grandes calamités ; tandis que le pays est presque certain qu'à la première collision, si sa neutralité n'est qu'un mot, si elle n'est pas appuyée par une force réelle, cette neutralité cessera d'exister. En consultant les enseignements de l'histoire, on voit que les traités sont souvent violés dans les guerres, quand il n'y a pas un intérêt supérieur. Or, cet intérêt supérieur, cette garantie que nous nous créons, consistent surtout dans la force dont notre neutralité sera accompagnée.
Il faut, messieurs, que nous nous défendions de céder, pour d'aussi grands intérêts nationaux, à des impressions du moment.
Avant 1839, lorsque nous avions à nos portes un danger sensible pour tout le monde, le ministre de la guerre n'essuyait pas d'attaques de la nature de celles qu'il subit aujourd'hui. Les attaques venaient en sens contraire. On se plaignait que le gouvernement ne vînt pas demander assez d'hommes, assez d'argent.
En 1840, lorsque la paix générale a paru plus directement compromise, le sentiment national s'est encore réveillé de la même manière ; vous avez encore vu ces mêmes manifestations.
Messieurs, faut-il donc attendre le jour du danger pour comprendre qu'on a besoin d'une armée ?-N'est-ce pas avant ce jour, n'est-ce pas en vue de ces éventualités qu'il faut maintenir une force militaire respectable, puisqu'on ne peut improviser une armée bien organisée ?
Je ne partage pas non plus l'opinion de quelques honorables préopinants, qui croient à la paix perpétuelle. Sans doute, messieurs, la politique générale de l'Europe est entrée dans une phase nouvelle. Il est permis d'espérer que les guerres seront plus rares, mieux motivées qu'elles ne l'ont été autrefois. Mais on se ferait une étrange illusion si on croyait que, dans des. circonstances données, les intérêts, les passions, même les passions des peuples se substituant. peut-être à celles des rois, ne viendront plus un jour donner lieu à des luttes sanglantes entre les nations.
Messieurs, pour le maintien de l'ordre intérieur, le pays doit aussi savoir se défendre de ces préoccupations du moment, il doit savoir que, dans son existence, il y a des vicissitudes fatales, inévitables.
Déjà, dans la crise que le pays a traversée, l'armée a été appelée à rendre au gouvernement de grands services ; et je dois le dire, si les circonstances étaient devenues plus graves encore, l'effectif au moyen duquel on a fait face aux événements, n'aurait probablement pas suffi. Vous le voyez, messieurs, l'expérience même nous démontre qu’au point de vue de l'ordre intérieur, une armée fortement organisée nous est indispensable.
Vainement espérerait-on, messieurs, et l'expérience a encore prononcé sur ce point, remplacer l'armée ou une partie de l'armée par la garde civique.
Si cette question était sérieusement posée devant, l'opinion publique, si l'on demandait aux populations ce qu'elles préfèrent, ou de ne pas avoir une réduction de quelques millions sur le budget de la guerre, ou de contracter pour une très grande partie de leur existence des obligations et des habitudes militaires, d'être distraites de toutes leurs occupations, chacun préférerait, sans nul doute, supporter sa légère part du budget de la guerre et être exempt du service personnel de la garde civique.
Est-ce au moins, comme l'a dit un honorable député dans la séance d'hier, est-ce parce que le jour se serait fait subitement dans notre situation financière, qu'on voudrait aujourd'hui réduire le budget de l'armée ?
Mais, messieurs, notre situation financière, à toutes les époques, a été exposée dans toute sa vérité aux chambres législatives, et je crois pouvoir considérer comme acquis par les débats antérieurs que l'exposé fait par le gouvernement, cette année, ne diffère en rien d'essentiel de ceux que nous avons faits les années précédentes.
Ces exposés se réduisent à ceci : nous avons l'équilibre, sauf peut-être, dans une circonstance donnée, quelques centaines de mille francs en plus ou en moins, nous avons l'équilibre entre les recettes et les dépenses ordinaires, y compris les dépenses de la guerre même augmentées par suite de la crise des subsistances. Nous avons l'emprunt non consolidé des travaux publics, mais en conclure que la situation financière est déplorable, ce serait ne point vouloir comprendre la réalité des faits.
Je regrette, messieurs, que la politique du cabinet, quant à la question financière, ne se soit pas bornée à l'exposé que le gouvernement en a officiellement fait. Comme d'autres honorables membres, je pense que si le ministère, imprudemment selon moi, n'avait pas annoncé, sans les définir, des augmentations d'impôts, ce mouvement contre lequel nous luttons pour éclairer l'opinion, ne se serait pas produit.
Mais, messieurs, j'admettrai un moment que la situation financière soit mauvaise, j'admettrai gratuitement la nécessité de recourir à des impôts nouveaux. Dans cette hypothèse, même, tant qu'il ne sera pas prouvé que l'armée n'est pas nécessaire avec les développements que la loi lui a donnés, il faudra avant tout créer des ressources pour faire face aux dépenses de la guerre.
En effet, messieurs, pour un peuple comme pour un particulier, il y a plusieurs ordres de dépenses, les dépenses nécessaires, celles qui tiennent à l'existence même, doivent avoir la préférence sur les dépenses utiles ou de luxe ; or, je le répète, on s'abstient de prouver que l'armée n'est pas nécessaire et on devrait faire cette preuve pour établir, même en supposant que la situation financière soit reconnue mauvaise, qu'il y a lieu de réduire l'armée.
Est-ce à dire, messieurs, qu'en posant la question sur ce terrain, j'entends exclure les économies faites par le gouvernement ? En aucune manière. Déjà, messieurs, vous avez vu le budget de la guerre, par les propositions mêmes du gouvernement, décroître successivement. C'est ainsi qu'avant la crise des subsistances, il avait été réduit à 28,010,000 fr. ; vous avez entendu tout à l'heure l'honorable rapporteur de la section centrale déclarer que, d'après la loi d'organisation, lorsqu'elle aura produit tous ses effets, ce budget se trouverait réduit à 25 millions.
M. Manilius., rapporteur. - Sans la gendarmerie.
M. Malou. - Sans la gendarmerie, c'est entendu.
Ce n'est pas que je veuille engager M. le ministre de la guerre à se lancer dans la voie des économies auxquelles paraissait le convier l'honorable rapporteur de la section centrale, économies qu'on ne réaliserait qu'au préjudice de positions acquises, que par la loi d'organisation, nous avons, au contraire, toujours voulu respecter. Je ne pense pas non plus que ce soit une économie à introduire que de vouloir supprimer les rations des chevaux du ministre de la guerre. L'honorable ministre, par un sentiment que chacun de vous a apprécié, n'a point traité la question de principe. Eh bien ; pour moi, je dis que si le ministre de la guerre n'avait pas, en vertu d'un arrêté royal, des rations pour quatre chevaux, il faudrait les lui donner, parce qu'il ne peut pas remplir les devoirs inhérents à sa position, sans avoir ces quatre chevaux. (Interruption.) Cela est dans le budget. L'honorable général Chazal vient de dire où cela se trouve au budget.
Les honorables prédécesseurs de M. le ministre de la guerre ont réalisé eux-mêmes ce que j'appellerai des économies administratives. Ainsi, pour les deux années 1844 et 1845 (l’honorable général a bien (page 479) voulu me communiquer les chiffres), les économies faites spontanément par les ministres de la guerre s'élèvent à 1,435,000 fr. C'est dans cette voie que j'engage l'honorable ministre de la guerre à marcher ; qu'il fasse des économies administratives, mais gardons-nous, car le pays pourrait s'en repentir un jour, gardons-nous de lui imposer des économies par la loi. Il ne faut pas oublier que la Belgique, dans un avenir prochain, peut avoir besoin de soutenir l'œuvre de 1830 par une force qu'elle a si laborieusement créée. Il ne faut pas oublier que, comme on l'a dit, l'armée n'est autre chose dans nos sociétés modernes que le patriotisme organisé.
M. de Tornaco. - L'honorable membre qui vient de se rasseoir a invoqué à son début le principe de la stabilité des lois en faveur du statu quo du budget de la guerre ; il a beaucoup vanté ce principe, il l'a reconnu comme un principe salutaire. Si je ne me trompe, messieurs, cet honorable membre n'a pas toujours professé pour le principe de la stabilité des lois, le respect profond qu'il vient d'exprimer. Si je ne me trompe, cet honorable membre ne professait pas ce respect, quand il s'agissait de lacérer nos lois communales. Autres temps, autre langage, à ce qu'il me paraît.
De ce que les ministères qui ont précédé celui-ci et la majorité qui les a soutenus, nous ont légué de mauvaises lois, suit-il, messieurs, que nous devions maintenir, conserver ces lois ? Telle n'est pas, messieurs, mon opinion. Tout en reconnaissant, ce que la stabilité de la législation a de respectable, je crois que quand une loi est mauvaise on doit la modifier, on doit la corriger, on doit tout ou moins en atténuer les résultats.
L'honorable membre nous a dit que la loi sur l'organisation de l'armée est une loi complète.
C'est là, messieurs, une erreur dans laquelle l'honorable membre est tombé, et peut-être qu'aujourd'hui la discussion ne serait pas aussi vive si le gouvernement et la majorité de 1845 avaient permis qu'on discutât largement la loi d'organisation. Alors, messieurs, il s'est trouvé des membres de l'opposition qui disaient que la discussion n'était pas assez étendue, assez large, qu'il fallait comprendre dans la discussion la question des forteresses. Qui, messieurs, a repoussé cette demande ? Le ministère, la majorité d'alors.
Une discussion qui n'embrassait pas la question des forteresses n'était pas une discussion générale, complète ; une loi d'organisation qui ne comprenait pas la question des forteresses n'est pas une loi d'organisation complète.
La chose est tellement sensible qu'aujourd'hui encore on reconnaît qu'il n'existe pas d'organisation complète, qu'il n'existe pas de système de défense pour le pays.
L'honorable M. Lejeune en a fait un reproche au gouvernement ; il lui a rappelé, au début de la séance, le grief qu'il a articulé précédemment. M. le ministre de la guerre lui-même avoue que le système n'est pas complet, puisqu'il a nommé une commission, pour examiner quelles sont les forteresses qui seront maintenues, quelles sont celles qui seront démolies.
Il y a donc erreur à penser et à dire que la loi d'organisation est une loi complète ; c'est au contraire une loi tout à fait incomplète et à laquelle on sera obligé de toucher lorsque le système de défense sera adopté.
En effet, suivant qu'il sera reconnu que nous devons avoir plus ou moins de forteresses, il faudra que nous ayons aussi plus ou moins de soldats pour les garder.
A cause même de cette situation provisoire de notre système de défense, j'espérais que le gouvernement ne s'avancerait pas, ne s'engagerait pas dans cette discussion comme il l'a fait. Aussi, lorsqu'elle commerça, je comptais voter pour le budget ou tout au moins m'abstenir. J'espérais que le gouvernement, guidé par la prudence, viendrait nous dire qu'il n'avait pas eu le temps d'examiner toutes les graves questions qui se rattachent à la défense du pays ; qu'il avait nommé une commission pour rechercher quelles seraient les forteresses qu'il nous serait utile de conserver ; que par conséquent il ne pouvait pas s'engager. J'espérais que le gouvernement viendrait nous promettre des économies au moins dans les limites du possible.
A mon avis, les règles de la prudence commandaient au gouvernement d'agir de la sorte ; il ne l'a pas fait, et je le regrette. Après les discours qu'a prononcés l'honorable ministre de la guerre, après les discours de mes honorables collègues qui ont parlé dans le même sens, l'opinion qui s'est arrêtée dans mon esprit, est que nous ne pouvons pas obtenir d'économies, que c'est un parti pris chez le gouvernement et chez une partie des membres de cette chambre de maintenir le statu quo dans les dépenses de l'armée.
Eh bien, messieurs, en présence d'une volonté absolue, je me vois dans la nécessité d'exprimer aussi une volonté absolue et d'opposer un vote négatif aux dépenses exagérées qui nous sont proposées.
Je le répète, c'est à regret que je prends cette détermination, j'espérais pouvoir en prendre une autre.
Messieurs, en agissant de la sort, je ne suis nullement hostile à l'armée. On a défendu l'armée dans cette enceinte, on s'est donné beaucoup de peine pour défendre cette armée. Je crois que cette peine était parfaitement inutile.
Chacun de nous est favorable à l'armée, chacun éprouve de bons sentiments pour l'armée ; et quant à moi, je suis charmé n'avoir l'occasion de le déclarer : j'éprouve une grande sympathie pour l'armée. Si je ne voyais même dans l'armée que la gardienne fidèle des sentiments généreux dont l'honorable ministre de la guerre a parlé dans son premier discours, je serais encore plein de sympathie pour l'armée. Je tiens à ce que la franchise, la loyauté, la bravoure, le dévouement, l'honneur soient conservés dans notre pays ; et je suis convaincu que si, par malheur, ces sentiments généreux désertaient d'autres parties de la nation, ils trouveront une retraite assurée dans l'armée.
On ne conteste pas non plus l'utilité de l'armée, l'honorable M. Malou l'a rappelé tout à l'heure, personne ne conteste l'utilité de l'année. Je reconnais avec mes honorables collègues qu'il nous faut une armée pour la défense du territoire, pour le maintien de l'ordre dans le pays. Mais, messieurs, pour que l'armée remplisse cette double destination, faut-il qu'elle nous coûte aussi cher qu'elle nous coûte ? Voilà la question sur laquelle il existe une divergence d'opinion parmi nous.
Messieurs, n'attendez pas de moi que j'entre dans un examen détaillé en quelque sorte de tactique, sur l'organisation de l'armée. Un plan stratégique comme celui-là serait mal choisi par moi, en présence des spécialités distinguées que nous avons le bonheur de compter parmi nous. Mon but principal étant de motiver mon vote, je me contenterai de faire encore quelques observations, de citer quelques faits.
Si ma mémoire est fidèle, il y a plusieurs années, des hommes éclairés spéciaux ont soutenu que notre armée ne devait pas coûter au pays plus de 25 millions. Je crois que cette opinion a été défendue par deux généraux, deux ministres de la guerre fort compétents, dont la compétence ne pourrait pas plus être déclinée que ne peut l'être la compétence de l'honorable général qui se trouve à la tête du département, de la guerre.
Vingt-cinq millions suffisent donc à notre armée, d'après cette opinion qui a été exprimée si souvent.
Mais, messieurs, où en sommes-nous ? Nous sommes bien loin de 25 millions. Car si je ne me trompe, nous faisons une dépense de 31 millions pour notre état militaire. Il y a sans doute bien loin de 25 à 31 millions. Six millions, qui seraient épargnés tous les ans, pourraient procurer un grand bien-être à notre pays.
Sans doute que si l'on suivait le système de l'honorable M. Manilius, on arriverait à 25 millions, en supprimant les pensions, la gendarmerie, etc. Nous n'en sommes pas à des calculs conditionnels, le fait est que notre état militaire nous coûte environ 31 millions. Tandis que d'après l'avis d'hommes fort compétents il ne devrait coûter que vingt-cinq millions.
Si ma mémoire est fidèle, la dépense de l'armée de terre du royaume des Pays-Bas, de la Belgique et de la Hollande réunies, ne s'élevait pas à un chiffre beaucoup plus élevé que ne l'est aujourd'hui celui de notre budget de la guerre.
Cependant, messieurs, l'ordre régnait dans les Pays-Bas et ce royaume avait une importance politique et militaire incontestable.
En rappelant ce fait, je veux prouver, messieurs, combien peu sont concluants les exemples dont on s'est servi dans cette enceinte. On s'est appuyé sur l'exemple de la Hollande, on a dit : Elle dépense presque autant que nous. Savez-vous ce que cela prouve ? C'est que la Hollande fait comme nous ; elle dépense trop. De ce que la Hollande dépense à peu près autant que nous pour son état militaire, de ce que nous dépensons un peu plus qu'elle, il n'y a pas d'autre conclusion à tirer que celle-ci : les deux pays font la même faute, et l'histoire de leur passé très rapproché est là pour confirmer cette conclusion. Quelle est la cause de cette faute commune aux deux pays ? Il faut bien le dire : ce sont des préventions, des préjugés que je regrette vivement de voir partager par un honorable collègue qui siège à côté de moi, l'honorable M. Delehaye, la défiance et la crainte réciproques entre les deux pays, mais surtout, je crois, entre leurs gouvernements, sont fatales aux deux pays.
Je crois que le gouvernement, au lieu de céder à cette défiance, devrait s'attacher à l'affaiblir, à la détruire. Notre diplomatie devrait s'employer à rendre ce service aux deux pays. Il serait à désirer que l'on en revînt de part et d'autre à la vérité, à cette vérité frappante qu'a exprimée l'honorable M. Lebeau, à savoir : que les deux pays sont faits pour s'entendre, qu'ils devraient compter l'un sur l'autre, que ce qui est danger pour l'un est danger pour l'autre, qu'ils ont besoin l'un de l'autre, qu'ils sont, en un mot, alliés naturels. Si cette vérité pouvait prévaloir, ils éviteraient de s'épuiser en dépenses inutiles, la confiance réciproque leur vaudrait plus qu'une armée, nous ne jetterions plus dès lors notre argent, ou, ce qui est la même chose, nous ne l'emploierions plus à des dépenses improductives, à la construction de bicoques de forteresses qui coûtent des 5 et 6 millions. Je pense que le gouvernement doit tendre à établir cette confiance entre les deux peuples ; alors il pourra réaliser de grandes économies dans notre état militaire.
Messieurs, pour défendre le système dispendieux qui dévore aujourd'hui l'argent du contribuable on a eu recours à toute espèce de moyens. Il en est parmi nous qui ont entassé des chiffres les uns sur les autres et les ont groupés le plus adroitement possible. Mais à quoi sont-ils arrivés ? A prouver peut-être le contraire de ce qu'ils voulaient prouver.
Un honorable représentant de Bruxelles qui tient beaucoup à ce que l'armée coûte cher, à ce qu'il paraît, a établi un parallèle entre la dépense qu'occasionne pour chaque citoyen l'entretien de l'armée dans divers pays de l'Europe. Je cite ce calcul dont on s'est servi, pour vous faire bien comprendre que ces chiffres groupés artistement ne peuvent, ne doivent exercer aucune influence sur la chambre ni sur le pays. Cet honorable membre vous a dit : En Belgique on paye tant pour le (page 480) maintien de l'armée, en Autriche on paye tant, en France on paye tant, et ainsi de suite. Il est arrivé à un terme moyen pour la Belgique. Eh bien, ce calcul est complètement faux ; cet honorable membre n'a pas tenu compte des habitants qui ne payent rien, il n'a pas tenu compte des habitants qui au lieu de supporter leur part dans les charges publiques, occasionnent une dépensé à leurs concitoyens, sont à charge à leurs concitoyens directement ou indirectement.
Il en est de même, me dit-on, en tous pays ; je défie l’honorable membre qui m'interrompt de me citer des pays où il y ait autant de pauvres que dans le nôtre ; il n'y en a pas, si j'excepte l'Irlande.
Or, en tenant compte de ceux qui ne prennent pas part aux charges publiques ou dont les contributions sont indirectement supportées par ceux qui leur font l'aumône, on tombe dans une erreur complète, on arrive à un résultat erroné. Car si au lieu de 4 millions de contribuables il n'y en a que 2, la quote-part de chacun, au lieu d'être de 6 à 7 francs, est de 12 à 14 fr.
Ce sont donc là des chiffres qui ne prouvent rien, ou qui prouvent le contraire de ce que l'on veut prouver.
On est allé jusqu'à mettre en avant des hérésies économiques. On a dit : Mais cette dépense qu'occasionne l'armée n'est pas une dépense perdue, une dépense improductive. Je ne comprends pas qu'on avance des opinions comme celle-là. Sans doute, la dépense n'est pas improductive pour les fournisseurs. Les fournisseurs trouvent là un bénéfice ; ils le réalisent ; mais pour la masse des contribuables qui ne reçoivent d'ordinaire d'autre compensation de leurs sacrifices que des ophtalmiques ou des boiteux, pour ceux-là c'est une dépense improductive et une dépense très onéreuse.
Je ne comprends pas, quant à moi, qu'une dépense soit productive à moins qu'elle ne contribue à l'accroissement de la richesse nationale. De ce nombre n'est pas la dépense qu'occasionne une armée.
Messieurs, je crois avoir prouvé à la chambre que les exemples cités ne sont pas très probants, non plus que les chiffres, non plus que les faux raisonnements ; ce que nous comprenons tous, ce que le pays comprend beaucoup mieux que les chiffres groupés artistement et que les hérésies économiques, c'est que nous ne pouvons pas marcher comme nous marchons, que nous ne pouvons pas conduire de front un déficit annuel avec des impôts toujours croissants. Un système semblable suivi avec persévérance nous mènerait droit à notre ruine. Ce que le pays comprend, ce que chacun sent, c'est qu'il existe des plaies béantes, qu'il faut cicatriser.
Ce que chacun comprend, c'est que la première mesure à prendre pour guérir ces plaies est d'employer en dépenses productives les sommes énormes qui sont aujourd'hui employées en dépenses inutiles.
Je regrette de devoir voter contre le budget de la guerre, je regrette de devoir poser un acte d'opposition au ministère ; je le regrette d'autant plus que j'ai plus longtemps désiré son avènement, mais l'habitude de n'obéir qu'à mes convictions est trop ancienne chez moi pour que je m'en dépouille. Je regrette de devoir voter contre un budget défendu avec tant de dignité et de talent par M. le ministre de la guerre.
Mais, messieurs, je pense qu'il appartient à des amis politiques, sincères et loyaux, de prémunir contre de funestes illusions les ministres qui ont leurs sympathies.
Le ministère se ferait illusion s'il persistait à croire que les dépenses de l'Etat, les dépenses inutiles surtout, ne seront pas forcément réduites ; il se ferait illusion s'il croyait qu'il n'y aurait pas plus de danger à augmenter les impôts, ou à créer de nouveaux impôts qu'à réduire les dépenses.
M. Lys. - J'étais, comme l'honorable préopinant, disposé à voter en faveur du budget de la guerre ; je m'étais persuadé que le ministère était depuis trop peu de temps aux affaires pour avoir eu le temps d'arrêter, de proposer la révision de la loi d'organisation de l'armée ou de grandes économies dans le budget de la guerre. J'avoue que M. le ministre de la guerre n'a point fortifié chez moi cette opinion par ses discours éloquents d'hier et d'avant-hier. Vous sentez que je ne veux nullement entrer dans un débat spécial avec un général aussi instruit, aussi distingué que M. le ministre de la guerre. A cet égard, je sens toute mon insuffisance. Quoi qu'il en soit, je me permettrai de lui dire que je ne partage pas son opinion : qu'une réduction nouvelle de l'armée équivaudrait à sa destruction. Je crois au contraire que l'armée, telle qu'elle est organisée, avec ses cadres pour 80 mille hommes, si vous en aviez besoin, ne serait pas suffisante pour défendre la Belgique ; car vous devriez d'abord mettre la plus grande partie de l'armée dans les forteresses pour les défendre ; il ne vous resterait donc pas assez d'hommes de guerre pour composer l'armée qui devrait entrer en campagne. Je vous rappellerai comment vos forteresses ont été construites. Ce sont les puissances alliées qui les ont fait construire.
M. le ministre des affaires étrangères vous l'a dit, il y a deux ans, lors de la discussion de la loi de l'organisation de l'armée. Elles n'avaient pas confié la défense des forteresses aux Pays-Bas, c'est-à-dire à la Hollande et à la Belgique réunies ; elles s'étaient réservées par un traité secret de former une armée auxiliaire pour défendre ces forteresses construites comme boulevards contre la France, comme une barrière que la France ne pût jamais franchir. Aujourd'hui que la Belgique est seule pour défendre ces forteresses, comment voudriez-vous que ce qu'elle n'a pu faire avec la Hollande, elle pût le faire seule efficacement ?
Je crois donc, comme je l'ai dit en 1845, que la Belgique ne peut subvenir à une dépense annuelle de 28 millions. Ensuite, si vous aviez la guerre, ce ne serait plus avec 28 millions que vous pourriez pourvoir à votre budget ; il vous faudrait de 80 à 100 millions. Et cela pourrait durer plusieurs années ; car il est possible que la guerre ne finît pas en un an.
Il est contraire à tous les principes de faire des dépenses énormes lorsque ces dépenses sont insuffisantes pour atteindre le but qu'on se propose. D'après moi, nous dépensons une somme considérable pour garder inutilement depuis plusieurs années des forteresses dont on avait depuis longtemps décidé la démolition. Le gouvernement devrait faire cesser cette dépense, car nous entretenons des choses reconnues inutiles. Si, depuis plusieurs années, nous avions économisé annuellement quelques millions sur les dépenses de la guerre, nous aurions ainsi fait disparaître notre dette flottante, et même créé des économies. D'ailleurs, vous devez vous rappeler que l'honorable général Goblet vous a dit il y a quelques années, dans cette chambre : Vous votez annuellement le budget de la guerre ; vous le trouvez trop élevé ; eh bien, votre matériel nécessite une dépense de 15 à 20 millions que l'on ne propose pas de combler. Comme inspecteur général du génie, il avait une connaissance parfaite de ce qu'il avançait. Vous voyez donc que votre budget ne suffit même pas pour vos dépenses annuelles. Si on trouve vos dépenses trop considérables pendant la paix, que sera-ce si vous avez la guerre ? Car vous aurez alors une dépense de 80 à 100 millions ! Souvenez-vous de ce qui s’est passé en 1839. Vous avez dépensé 60 à 70 millions pour former une armée ; au moment où elle était prête, on l'a empêchée d'entrer en campagne. On a fait une dépense bien considérable en 1839, fort inutilement. Je crains, bien que notre dépense actuelle, pour maintenir des cadres pour quatre-vingt mille hommes, n'ait le même résultat. J'attends donc la discussion des articles pour me fixer sur mon vote ; mais s'il n'y a pas des réductions considérables, et si l'on n'en fait pas espérer d'autres pour le budget de 1849, je voterai contre le budget.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je crois que mes paroles d'hier n'ont pas été comprises par quelques membres de cette assemblée. le ne me suis jamais refusé à faire les économies compatibles avec une bonne organisation. J'ai dit, au contraire, que je serais heureux de faire des économies. Mais je n'ai pas voulu faire de fausses promesses, je n'ai pas voulu annoncer 4 millions d'économie, parce que j'aurais avancé un fait faux, qu'aucun ministre ne peut avancer sans tromper le pays. Mais, je le répète, toutes les économies compatibles avec le bien du service et qui ne compromettraient pas l'avenir et l'indépendance du pays, je les ferais, et je serais heureux de les faire.
M. Osy. - Je n'ai demandé la parole que pour répondre quelques mots à M. le ministre de la guerre. Hier, répondant au parallèle que j'avais fait entre la Bavière et la Hollande, il a dit : que la Hollande pouvait avoir une petite armée parce qu'elle avait des limites naturelles et des forteresses ; mais nous avons également beaucoup de forteresses ; j'en tire la conclusion que nous avons une armée trop forte ou qu'il faut diminuer le nombre de nos forteresses.
Car, comme nous en avons aussi beaucoup, nous pouvons également réduire notre armée ; et si nous ne diminuons pas notre armée, il faut réduire le nombre de nos forteresses.
L'honorable ministre a également parlé de la Bavière. Je ne m'occupe pas de la question de savoir si l'argent vaut plus en Bavière qu'ici. Je ne m'occupe que du nombre des troupes sous les armes, et c'est sur ce point seul que je veux établir une comparaison.
M. le ministre nous a dit que la Bavière avait des frontières naturelles, qu'entre autres elle avait le Rhin. Il s'est complètement trompé. Car la Bavière a des provinces sur la rive gauche du Rhin, contre la France ; et sous ce rapport elle est peut-être plus vulnérable que nous. Cependant, nonobstant les réclamations que peut faire la confédération, la Bavière résiste ; les chambres bavaroises ne veulent pas augmenter l'armée.
L'armée bavaroise, sur le pied de paix, se monte à 21,000 hommes. Je propose de maintenir la nôtre à 26,000 hommes, ainsi je me montre très libéral.
La Bavière a une armée de réserve de 34,000 hommes. Comme je veux un contingent de 60,000 hommes, je demande également une réserve de 34,000 hommes.
Je persiste donc à croire, messieurs, que nous pourrions réduire considérablement notre contingent et faire de ce chef une économie considérable. Beaucoup de mes amis ont trouvé que dans le plan que j'ai indiqué par le tableau qui vous a été soumis, je m'étais encore montré trop large. Mais je n'ai rien voulu désorganiser ; j'ai voulu maintenir une armée forte, une armée capable d'assurer la tranquillité intérieure du pays.
Ce que nous a dit M. le ministre de la guerre, la discussion qui s'est élevée entre lui et l'honorable député de Bruxelles me prouvent que j'ai raison.
M. le ministre nous a dit que c'est surtout pour l'organisation de l'infanterie qu'il faut beaucoup de temps. Il nous a rappelé les paroles de Wellington : « Ne réduisez pas mon infanterie, réduisez plutôt ma cavalerie et mon artillerie. >» Messieurs, c'est ce que je propose. Je propose de conserver le même nombre de soldats d'infanterie et de réduire les armes spéciales.
M. le ministre de la guerre n'a rien répondu à ce que j'ai dit relativement à l'artillerie. Lorsqu'en 1839 et 1840, nous avions sous les armes une armée de 110,000 hommes, vous n'aviez que 3 régiments d'artillerie. (page 481) Aujourd'hui avec une armée de 80,000 hommes, vous en avez 4. Je ne conçois pas cette augmentation que je trouve tout à fait inutile. Si 3 régiments d'artillerie suffisaient lorsque vous aviez 110,000 hommes sous les armes, il est évident que pour 80,000 hommes, 2 régiments d'artillerie devraient suffire.
Je citerai encore l'exemple de la Bavière. Ce pays n'a que 96 pièces de campagne attelées ; nous en avons 152. Pourquoi cette différence entre deux pays qui offrent tan d'analogie ?
Il me reste quelques mots à dire sur les fourrages.
Je commence par déclarer que je ne partage nullement l'opinion de l'honorable M. Manilius. Je trouve que tous les généraux en activité de service doivent avoir les fourrages pour le nombre de chevaux que les règlements leur assignent, M. le ministre de la guerre aussi bien que les autres. Mais ce que je demande, c'est qu'on n'accorde plus de fourrages pour des chevaux qui n'existent pas. Je connais beaucoup d'officiers, depuis les plus hauts grades jusqu'aux plus bas, à qui on paye des fourrages pour des chevaux qu'ils n'ont jamais eus. Je compte que M. le ministre de la guerre mettra un terme à cet abus. Il nous a parlé d'une circulaire qu'il a publiée depuis peu pour défendre qu'on paye des fourrages pour des chevaux qu'on ne tient pas. Si M. le ministre de la guerre n'avait pas fait cette déclaration, je vous avoue que j'aurais, à l'article fourrages, proposé une légère réduction, uniquement dans le but de faire prononcer la chambre sur le principe. Mais M. le ministre nous ayant dit qu'il tiendrait à l'exécution de sa circulaire, je me contente de cette déclaration ; seulement, je demande que M. le ministre la fasse exécuter pour les grades les plus élevés comme pour les plus infirmes. Soyez persuadés que vous pourrez réaliser ainsi sur l'article fourrages, une économie de 100,000 fr. Mais il faut pour cela que la mesure soit strictement exécutée, et que les inspections soient faites d'après les règlements existants ; c'est-à-dire, que le signalement des chevaux doit se trouver chez l'inspecteur cl au département de la guerre.
Messieurs, en conservant une armée, pour le pied de paix, de 26,000 hommes, et en réduisant les armes spéciales, nous pourrions faire une économie de 5 millions. Avec ces 3 millions nous remettrions complétement nos finances à flot. Car nous aurons certainement à contracter un emprunt de 50 millions qui nécessitera des voies et moyens pour 3 millions. Avec la mesure que je vous propose, M. le ministre des finances n'aura pas besoin de chercher de nouvelles matières imposables, de demander de nouveaux impôts qui rencontreraient une très forte opposition et dans le pays et dans cette chambre.
Je crois donc devoir en conscience repousser le budget de la guerre. Je le fais avec beaucoup de répugnance ; car j'ai la plus grande confiance en M. le ministre de la guerre ; je suis même persuadé qu'il fera toutes les économies possibles avec l'organisation actuelle ; mais je crois que nous devons aller plus loin.
M. de Corswarem. - Messieurs, l'année dernière lors de la discussion du budget de la guerre, j'ai exprimé mes regrets de ce que l'honorable général Prisse, qui était alors à la tête du département de la guerre, eût privé l'armée, sans motifs suffisants à mon avis, des services de divers officiers supérieurs qui, pendant plusieurs années encore, auraient pu utilement servir le pays. Cette année, je dois exprimer les mêmes regrets, et les exprimer avec d'autant plus de vivacité que l'honorable baron Chazal a privé le pays des services d'un plus grand nombre de ces officiers supérieurs, qui, sous le rapport de la pratique et de l'expérience, ne seront pas, d'ici à longtemps, remplacés dans notre armée.
Je vous disais l'année dernière que nous ne pouvions assez longtemps conserver dans les rangs de notre armée les officiers supérieurs qui avaient fait la guerre sous l'empire, qui avaient acquis de l'expérience sur les champs de bataille. Cette opinion, je la renouvelle aujourd'hui.
Pour mettre ces officiers généraux à la pension, M. le ministre de la guerre a invoqué une proposition faite par la section centrale lors de la discussion de la loi d'organisation de l'armée. Une proposition de section centrale est sans doute quelque chose, tant que cette proposition est debout. Mais celle qu'a invoquée M. le ministre de la guerre a été écartée même sans examen par la chambre ; elle a été enterrée dans ses cartons d'oubli.
Ce n'est donc pas à bon droit que l'honorable ministre de la guerre est venu invoquer cette autorité, puisque la chambre en avait déjà fait justice.
M. le ministre a également invoqué l'exemple de ce qui se passe en France. Mais, messieurs, la France est dans des conditions tout autres. La France a à soutenir en Afrique une guerre acharnée contre des ennemis insaisissables, dans un pays sans limites ; il faut dès lors qu'une grande partie de son armée soit plus agile que la nôtre.
Mais encore la France ne destine-t-elle pas toute son armée à un service pareil, car nous venons de voir tout récemment l'honorable général comte Reille, bien qu'il fût âgé de 72 ans, être promu au grade de maréchal de France. Ainsi, loin de le mettre à la retraite, on lui a donné de l'avancement.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Il y a une loi d'exception.
M. de Corswarem. - Je sais bien qu'il y a une loi d'exception en faveur des généraux qui ont commandé en chef des corps d'armée composés de plusieurs divisions d'armes différentes ; mais si ces officiers sont capables de commander une armée entière, il me paraît qu'ils sont encore plus capables de commander une brigade ou une division. Cette manière de vouloir toujours tout faire ici comme on le fait en France, ne me plaît pas du tout. Ce n'est pas l'honorable baron Chazal qui l'a introduite chez nous, elle y existe depuis longtemps et déjà lors de la discussion de la loi sur l'organisation de l'armée, l'honorable M. Verhaegen l'avait critiquée d'une manière assez vive. Voici ce qu'il disait alors :
« J'ai hâle d'en finir avec cette objection qu'on est allé chercher dans la loi française. Je vois avec peine, et je le dis tout d'abord, que chaque fois que nous avons à discuter une question importante, on aille chercher des exemples en France. Ne pouvons-nous donc rien faire de bien chez nous sans que nous soyons obligés d'aller chercher ailleurs le système que nous devons adopter ? Ce n'est pas trop présumer de notre pays que de croire que nous ne pouvons faire en Belgique tout aussi bien qu'on fait en France. »
Voilà, messieurs, des sentiments patriotiques que je partage entièrement et que j'approuve, alors même qu'ils seraient empreints de quelque présomption nationale.
Messieurs, nous avons des exemples de généraux parvenus à un grand âge et possédant encore une très grande activité, une très grande énergie. Si cette proposition qui a été faite par la section centrale, et sur laquelle se base aujourd'hui M. le ministre de la guerre, avait existé comme loi dans le royaume de Prusse, son plus célèbre général, Blucher, aurait été mis à la retraite en 1797 ou, au plus tard, en 1799. Eh bien, on a vu qu'en 1815 à Ligny, à Waterloo, il rendait encore à son pays des services tels, que peut-être aucun autre général n'aurait pu en rendre de pareils. Il est beaucoup d'autres généraux qui, quoique parvenus à un âge très avancé, avaient conservé beaucoup d'agilité, beaucoup de vigueur, mais je ne crois pas avoir besoin d'en faire ici la nomenclature.
Il y a, messieurs, d'autres considérations qui militent contre la mise à la pension sans une nécessité tout à fait absolue, ce sont des considérations financières. Ce que nous avons le plus à redouter pour notre pays, c'est sa situation financière.
L'honorable ministre de la guerre, comme tous les autres ministres, devrait donc s'appliquer autant que possible à ne pas obérer nos budgets de pensions inutiles ni même de pensions qui ne soient pas complètement justifiées sous tous les rapports possibles ; et à ce propos, messieurs, je dois encore citer une phrase de l'honorable M. Verhaegen, phrase qu'il a prononcé lorsqu'on proposait de mettre les généraux et officiers supérieurs en non-activité à l'âge où l'honorable général Chazal veut aujourd'hui les mettre à la retraite. L'honorable membre prévoyait en quelque sorte ce qui allait arriver et il disait alors :
« Il semble qu'on veuille faire apparaître dans la sphère militaire les nombreux abus que nous avons signalés plus d'une fois, quant aux pensions dans la sphère civile. »
Eh bien, messieurs, l'honorable membre était en quelque sorte prophète à cette époque.
En invoquant la proposition de la section centrale pour appuyer les mesures qu'il a prises, je crois que l'honorable ministre de la guerre a par là contracté l'obligation de soumettre à la chambre une loi sur les pensions militaires, et je dois le dire en terminant, je ne demande pas à M. le ministre de justifier les mises à la pension qu'il a trouvé utile de faire, mais je lui demanderai qu'il ne mette plus d'officiers généraux ni autres à la pension avant qu'une loi définitive sur les pensions militaires n'ait été adoptée par les chambres, et s'il est d'avis que la proposition de la section centrale doit être convertie en loi, alors j'espère que, dans un bref délai, il soumettra cette proposition à notre examen. Nous verrons alors ce que nous aurons à faire et nous ferons valoir toutes les considérations que nous jugerons utiles pour appuyer ou pour combattre cette proposition.
- La séance est levée à 4 heures et demie.