(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Verhaegen, vice-président.)
(page 194) M. Troye procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart. La séance est ouverte.
M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.
M. Troye communique à la chambre l'analyse des pièces qui lui sont adressées.
« Le sieur Van Assche demande que les habitations louées à la semaine soient exemptes de toute imposition, ou bien que leurs locataires seuls soient tenus au payement des contributions, et prie la chambre de réviser les dispositions qui régissent l'expulsion des locataires. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Wyngene prie la chambre d'allouer au budget du département de l'intérieur un crédit destiné à couvrir les déficits des communes dont les ressources sont épuisées par suite de circonstances extraordinaires. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du crédit de 500,000 fr.
« Plusieurs débitants de boissons distillées à Wyngene demandent l'abrogation de la loi du 18 mars 1838, qui établit un impôt de consommation sur les boissons distillées.
. « Même demande des marchands de boissons de Lessines. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des voies et moyens.
« Les instituteurs communaux dans le canton de Borgloon, prient la chambre d'améliorer leur position. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les instituteurs communaux dans les cantons de Deynze, de Cruyshautem et de Nazareth, demandent une augmentation de traitement et prient la chambre de prendre une disposition pour faire payer leurs traitements sur les fonds de l'Etat. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. David. - Comme la discussion du budget des voies et moyens doit s'ouvrir lundi, je prierai M. le ministre des finances de vouloir bien faire connaître à la chambre : 1° la quotité des droits perçus chaque année sur les sucres depuis 1830 jusqu'en 1846 ; 2° celle qui sera probablement perçue en 1847 et 3° les lois en. vigueur à ces diverses époques et leurs dates.
M. le ministre des finances (M. Veydt). - J'ai fourni à la section centrale des renseignements qui doivent comprendre ceux réclamés par l'honorable M. David ; je m'en assurerai et je les compléterai s'il y a lieu.
M. Delehaye. - Je pense que la production des documents que vient de réclamer l'honorable M. David est d'autant plus nécessaire, que je viens d'apprendre que sans respecter la résolution prise par la chambre il y a quelques mois, la section centrale du budget des voies et moyens songe déjà à empiéter sur line loi qui n'a que six mois d'existence. Chacun de vous comprendra combien il importe que nous soyons munis des renseignements réclamés par l'honorable M. David, quand nous discuterons les propositions de la section centrale. Je me joins à cet honorable membre pour empêcher cette innovation singulière de modifier six mois avant son expiration une loi qui concerne une des industries les plus importantes du pays.
Un membre. - De quelle loi s'agit-il ?
M. Delehaye. - On demande de modifications à la loi sur les sucres ; le terme fatal de sa durée expire le 1er juillet prochain, et on propose de la modifier à partir du 1er janvier.
Admettons pour un moment qu'on puisse soumettre à la chambre une semblable proposition. Je demande avec l'honorable M. David que tous les documents relatifs à la question des sucres soient mis sous les yeux de la chambre, afin qu'elle puisse se prononcer en connaissance de cause. Nous ne devons pas légèrement modifier une loi sous la foi de laquelle des transactions peuvent avoir eu lieu.
M. Delfosse. - J'appuie la demande faite par l'honorable M. David, mais je ne puis admettre la proposition de l'honorable H. Delehaye. La section centrale n'a empiété sur aucune loi, elle a seulement décidé qu'elle ferait une proposition ; la chambre en examinera la nature quand elle lui sera soumise.
M. Gilson. - Je ne puis, messieurs, qu'appuyer la demande des renseignements qui sont réclamés par l'honorable député de Verviers.
Mais je ne puis laisser passer sans réserve l'observation de l'honorable M. Delehaye, qui tendrait à éloigner jusqu'à une époque indéterminée toute discussion sur les sucres.
Sans doute il est bien légitime d'exprimer le vœu qu'une législation qui n'a qu'une année d'existence ne soit pas immédiatement bouleversée ; mais remarquez, s'il vous plaît, messieurs, que cette législation a déjà été modifiée vers la fin de la session dernière. A cette époque, une erreur évidente a été commise, elle a eu pour conséquence une injustice criante à l'égard des sucres indigènes, injustice dont j'entends bien demander la réparation à la chambre.
M. Mercier. - J'ai demandé la parole pour appuyer la demande de renseignements réclamés par l'honorable M. David et proposer l'ordre du jour, afin que la chambre ne s'occupe pas davantage d'une question dont elle n'est pas saisie.
M. Delehaye. - Je n'ai pas demandé autre chose ; j'ai seulement dit que la section centrale du budget des voies et moyens entrait dans une voie neuve, et c'est pour combattre son projet que j'ai appuyé la demande de renseignements.
J'ajouterai que c'est l'honorable M. Mercier qui est l'auteur de cette proposition.
M. le ministre des finances (M. Veydt). - Plusieurs questions m'ont été posées par la section centrale, elles se résument dans quelques notes sur la question des sucres, auxquelles j'ai répondu. Les renseignements demandés par l'honorable M. David doivent être compris dans ma réponse ; j'examinerai s'ils y sont et je m'engage à les compléter s'il y a lieu.
« Art. 1er. Arrérages de l'inscription au grand-livre des rentes créées sans expression de capital, portée au nom de la ville de Bruxelles, en vertu de la loi du 4 décembre 1842 : fr. 300,000 »
- Adopté.
« Art. 2. Arrérages de l'inscription portée au même grand-livre au profit du gouvernement du royaume des Pays-Bas, en exécution du paragraphe premier de l'article 63 du traité du 5 novembre 1842 : fr. 846,560. »
- Adopté.
« Art. 3. Intérêts des capitaux inscrits an grand-livre de la dette publique, à 2 1/2 p. c, en exécution des paragraphes 2 à 6 inclus de l'article 63 du même traité : fr. 5,502,640 78 c. »
- Adopté.
« Art. 4. Frais relatifs à cette dette : fr. 3,000. »
- Adopté.
« Art. 5. Intérêts de l'emprunt de 30,000,000 de francs à 4 p. c, autorisé par la loi du 18 juin 1836 : fr. 1,200,000. »
« Dotation de l'amortissement de cet emprunt : fr. 300,000 »
« Ensemble : fr. 1,500,000 »
- Adopté.
« Art. 6. Frais relatifs au payement des intérêts et à l'amortissement du même emprunt : fr. 3,000 »
- Adopté.
« Art. 7. Intérêts de l'emprunt de 50,830,800 francs, à 3 p. c, autorisé par la loi du 25 mai 1838, et du capital de 7,624,000 francs, à 3 p. c, à émettre en vertu des lois du 1er mai 1842 et du 24 décembre 1846 : fr. 1,754,244. »
« Dotation de l'amortissement de cet emprunt : fr. 584,748. »
« Ensemble : fr. 2,338,992. »
- Adopté.
« Art. 8. Frais relatifs au payement des intérêts et à l'amortissement du même emprunt : fr. 39,000. »
- Adopté.
« Art. 9. Intérêts de l'emprunt de 86,940,000 fr., à 5 p. c, autorisé par la loi du 26 juin 1840 : fr. 4,347,000 »
« Dotation de l'amortissement de cet emprunt : fr. 869,400. »
« Ensemble : fr. 5,216,400. »
- Adopté.
(page 195) « Art. 10. Frais relatifs' au payement des intérêts et à l’amortissement du même emprunt : fr. 130,000. »
- Adopté.
« Art. 11. Intérêts de l’emprunt de fr. 28,621,718-40 à 5 p. c. autorisé par la loi du 29 septembre 1842 : fr. 1,431,085 92 c. »
« Dotation de l'amortissement de cet emprunt : fr. 286,217 18 c.
« Ensemble : fr. 1,717,303 10 c. »
- Adopté.
« Art. 12. Frais relatifs au payement des intérêts et à l'amortissement dudit emprunt : fr. 45,000. »
- Adopté.
« Art. 13. Intérêts, à 4 1/2 p. c. sur un capital de 95,442,832 fr., montant des obligations dont l'émission a été autorisée par la loi du 21 mars 1844 (Bulletin officiel n°42) : fr. 4,294,927 44 c. »
« Dotation de l'amortissement de cette dette : fr. 954,428 32 c. »
« Ensemble : fr. 5,249,355 76 c. »
- Adopté.
« Art. 14. Frais relatifs au payement des intérêts et à l'amortissement de la même dette (art. 2 de la loi du 21 mars 1844) : fr. 15,000. »
- Adopté.
« Art. 15. Intérêts de l'emprunt de 84,656,000 fr., à 4 ½ p. c., autorisé par la loi du 22 mars 1844 (Bulletin officiel, n°44) : fr. 3,809,520 »
« Dotation de l'amortissement de cet emprunt à 1/2 p. c. du capital : fr. 423,280 »
« Ensemble : fr. 4,232,800. »
- Adopté.
« Art. 16. Frais relatifs au payement des- intérêts et à l'amortissement du même emprunt.(article 2 de la loi du 22 mars 1844) : fr. 13,000. »
- Adopté.
« Art. 17. Intérêts et frais présumés de la dette flottante : fr. 750,000. »
- Adopté.
« Art. 18. Rentes viagères : fr. 5,665 15 c. »
- Adopté.
« Art. 19. Intérêts à payer aux anciens concessionnaires de la Sambre canalisée (dépenses extraordinaires) : fr. 6,765 87 c. »
- Adopté.
« Art. 20. Indemnité annuelle pour travaux à exécuter au canal de Terneuzen (articles 20 et 23 du traité du 5 novembre 1842) : fr. 105,820 10 c. »
- Adopté.
« Art. 21. Rachat des droits de fanal mentionnés au paragraphe 2 de l'article 18 du traité du 5 novembre 1845 : fr. 21,164 02 c. »
- Adopté.
« Art. 1er. Anciennes pensions ecclésiastiques tiercées : fr. 185,000. »
« Pensions civiles et autres accordées avant 1830 : fr. 110,000. »
« Pensions civiques : fr. 150,000. »
« Pensions militaires et pensions des Indes : fr. 2,243,000. »
« Pensions de l'Ordre de Léopold : fr. 23,000. »
« Pensions des veuves et orphelins de l'ancienne caisse de retraite : fr. 252,000. »
« Arriérés de pensions de toute nature : fr. 5,000. »
« Total, dépenses ordinaires : fr. 2,271,000.
« Dépenses extraordinaires : fr. 970,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Remboursement à faire au trésor néerlandais, en exécution du paragraphe 7 de l'article 68 du traité du 5 novembre, 1842, pour arrérages de pensions du 1er janvier au 31 décembre 1848 (dépenses extraordinaires) : fr. 11,005 29 c. »
- Adopté.
« Art. 3. Traitements d'attente (wachtgelden) : fr. 28,000. »
« Traitements ou pensions supplémentaires (toelagen) : fr. 17,000. »
« Secours annuels (jaarlijksche onderstanden) : fr. 5,000. »
« Total : Dépenses extraordinaires : fr. 50,000 »
M. Mercier. - L'article qui est actuellement en discussion a été réduit à la suite d'observations contenues dans un rapport présenté au nom de la section centrale, en décembre 1846, par l'honorable M. Veydt, aujourd'hui ministre des finances, et de la discussion qui a eu lieu sur cet objet. Le crédit a été porté à 66,000 fr. et ensuite restreint à 50,000 fr.
Dans le rapport dont je viens de parler, ainsi que dans la discussion, des réductions ont été réclamées sur des traitements supplémentaires et sur les traitements d'attente. Mais la critique n'a pas porté sur les pensions supplémentaires.
On sait qu'en vertu de l'article 17 de l'arrêté-loi du 14 décembre 1814, le roi pouvait accorder des pensions au-delà du chiffre auquel elles auraient été liquidées en vertu des dispositions générales de ce même arrêté.
Ces pensions étaient de deux espèces : les unes étaient imputées sur les fonds généraux de l'Etat ; c'était le plus grand nombre. Les autres pensions, celles des employés du département des recettes, étaient payées au moyen de retenues sur le traitement de ces agents qui formaient un fonds spécial.
Lorsque le roi usait de la faculté qui lui était réservée par l'article 17 de l'arrêté de 1814 à l'égard des employés du département des recettes, la partie de la pension qui était réglée selon les dispositions générales du fonds de pensions, était supportée par ce fonds. Mais le surplus de la pension était accordé sous forme de supplément, tandis que, pour les autres fonctionnaires, il n'y avait qu'un arrêté pour toute la pension. Il est résulté de cet état de choses que quelques fonctionnaires, ils ne sont plus aujourd'hui qu'au nombre de deux, ont été privés d'une partie de leur pension, par cette seule raison qu'elle leur avait été allouée sous forme de supplément tandis que les autres fonctionnaires auxquels le bénéfice de l'article 17 a été appliqué, en ont conservé l'intégralité.
Je prie M. le ministre de bien vouloir examiner la question de savoir si, en se renfermant dans le crédit actuel, il ne pourrait point équitablement maintenir les pensions de ces anciens fonctionnaires à leur ancien taux. Je l'en prie d'autant plus que l'un d'eux est un vieillard plus qu'octogénaire.
M. le ministre des finances (M. Veydt). - J'examinerai la question soulevée par l'honorable M. Mercier, et, si la solution est favorable, il y aura probablement moyen d'y faire droit, parce que le crédit, strictement nécessaire, n'est pas de 50,000, mais de 47,885 : fr. Il y a donc une marge suffisante. Toutefois, je ne puis prendre d'engagement dès à présent.
- L'article est adopté.
« Art. 1er. Intérêts des cautionnements versés en numéraire dans les caisses de l'Etat, pour la garantie de leurs gestions respectives, par des fonctionnaires comptables de l'Etat, par des receveurs communaux, des receveurs de bureaux de bienfaisance, par des préposés de l'administration du chemin de fer, par des officiers payeurs et divers préposés de l'administration de l'armée, des courtiers, des agents de change, etc., soumis à fournir un cautionnement, et par des contribuables, des négociants, des commissionnaires, etc., pour garantie du payement de droits de douanes, d'accises, etc., dont ils pourraient être éventuellement redevables : fr. 394,000. »
Arriéré des intérêts sur des exercices clos : fr. 6,000. »
« Total : fr. 400,000 »
M. Osy. - Messieurs, le sénat vient de voter, il y a peu de temps, la loi qui institue une commission de surveillance de la caisse d'amortissement et des consignations. Je demanderai à M. le ministre si nous pouvons espérer que le règlement organique sera publié dans le courant de ce mois, afin que les chambres puissent procéder, avant le premier janvier, aux nominations qu'elles ont à faire.
Je dois faire une autre observation à M. le ministre des finances. Il paraît que le gouvernement ne confisque pas les cautionnements des fonctionnaires qui ont été déclarés insolvables et dont les cautionnements devraient être versés au trésor en défalcation de ce qu'ils doivent à l’Etat. Le gouvernement se borne à saisir les intérêts, tandis qu'il devrait s'emparer du capital. J'ai devant moi une disposition de M. le ministre des finances, relative à quatre receveurs qui ont été déclarés débiteurs envers l'Etat. Je ne veux pas les nommer, mais je donnerai à M. le ministre les chiffres, ainsi que les numéros du tableau. Il y en a un notamment qui doit 400,000 francs et dont le cautionnement n'est que de 62,000 francs en 2 1/2 p. c. ; eh bien, au lieu de saisir ce capital, on s'est borné à retenir les intérêts. La mesure dont j'ai parlé est l'arrête du 15 novembre 1845 et elle ne me paraît nullement conforme à la marche qu'on devrait suivre.
M. Malou. – Comme il s'agit d'un acte de mon administration, je prierai mon honorable successeur de bien vouloir me permettre de donner avant lui des explications à la chambre. Ces explications seront très simples.
Messieurs, lorsqu'un comptable est en déficit, il y a d'abord, pour le gouvernement, même avant que le déficit ait été régulièrement constaté par la cour des comptes, un acte conservatoire à prendre ; il faut, en quelque sorte, mettre saisie-arrêt sur les intérêts du cautionnement. Tel est l'acte qui a été cité par l'honorable M. Osy, mais ce premier acte posé et lorsque le déficit a été constaté par arrêt de la cour des comptes, toujours, messieurs, comme la nature des choses même l'indique, le gouvernement a arrêté au profit du trésor le capital du cautionnement ; mais il ne faut pas s'étonner que les capitaux des cautionnements n'aient (page 196) pas été immédiatement attribués à l'Etat ; il faut attendre l'arrêt de la cour des comptes, mais je crois pouvoir affirmer de science certaine que toutes les fois qu'un pareil arrêt est rendu, le capital est adjugé à l'Etat.
M. Osy. - J'ai cité des fonctionnaires dont les comptes avaient été arrêtés en reliquat par la cour des comptes. Le gouvernement devrait prendre le capital et non les intérêts, quand l'affaire est définitivement arrangée par la cour des comptes.
M. Malou. - C'est ce qui a toujours été fait.
M. le ministre des finances (M. Veydt). - Quant au premier point de l'interpellation de l'honorable M. Osy, je puis donner à l'honorable membre l'assurance que l'arrêté royal, portant règlement organique de la caisse d'amortissement et de la caisse des consignations, paraîtra dans le courant de ce mois.
- L'article premier du chapitre III est adopté.
« Art. 2. Intérêts des consignations faites dans les caisses de l'Etat : fr. 70,000. »
- Adopté.
« Article unique. Le budget de la dette publique est fixé, pour l'exercice 1848, à la somme de 31,813,472 fr. 7 centimes, conformément au tableau ci-annexé. »
- Adopté.
On passe au vote par appel nominal sur l'ensemble du budget de la dette publique.
Il est adopté à l'unanimité des 74 membres qui ont répondu à l'appel nominal.
M. Maertens. - J'ai l'honneur de présenter à la chambre le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le budget de l'intérieur, pour l'exercice 1848.
M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué à tous les membres. A quel jour la chambre veut-elle en fixer la discussion ?
M. Malou. - Quand le rapport pourra-t-il être distribué ?
M. Maertens. - Il pourra être imprimé mercredi ; il y a plusieurs tableaux à imprimer ; je ne pense pas qu'on puisse en fixer la discussion avant lundi en huit.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Si M. le rapporteur pense que le rapport ne peut être imprimé que mercredi, on peut en fixer la discussion à vendredi. Je crois que la distribution pourra avoir lieu avant mercredi.
M. Dedecker. - Je crois qu'avant de fixer le jour de la discussion du budget de l'intérieur, il est important de connaître les questions que soulève le rapport.
Je demande qu'on ne s'occupe de la fixation du jour de la discussion que quand le rapport aura été distribué.
Un membre. - C'est de droit ! c'est la règle.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Alors je demande que la distribution ait lieu le plus tôt possible. Cependant je ferai observer que d'ordinaire on fixe le jour de la discussion au moment même du dépôt du rapport ; je crois même que c'est la règle.
M. Osy. - Je propose de fixer la discussion 24 heures après la distribution du rapport.
M. Delfosse. - Cela dépend de l'importance du rapport, il faut avoir le temps de l'examiner ; attendons lundi pour prendre une décision.
- Cette proposition est adoptée.
M. le ministre des finances (M. Veydt). - J'ai l'honneur de présenter un projet de loi ayant pour objet d'ouvrir au département des travaux publics un crédit extraordinaire de 1,300,000 francs pour le service des routes.
- Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation du projet de loi qu'il vient de faire connaître.
Ce projet sera imprimé et distribué, et renvoyé à l'examen des sections.
Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la chambre passe à la discussion des détails dont se compose l'article unique.
La section centrale a adopté les demandes du gouvernement.
« Exercice 1846.
« Chapitre IV. Art. 1er. Frais d'instruction et d'exécution : fr. 120,000 »
- Adopté.
« Exercice 1846.
« Chapitre VI. Art. 1er. Impression du Recueil des lois, du Moniteur et des Annales parlementaires : 27,760 53 c.
M. Delfosse. - Les frais d'impression du Moniteur augmentent chaque-année. Cela provient en partie de ce qu'on insère dans ses colonnes beaucoup de documents qui ne devraient pas y trouver place. C'est ainsi, pour citer un exemple, qu'on y a inséré un travail très long sur des manuscrits grecs. Ce travail peut être fort intéressant, mais ce n'est pas par la voie du Moniteur qu'il aurait dû être imprimé. J'appelle sur ce point l'attention de M. le ministre de la justice.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, les causes de l'accroissement des dépenses du Moniteur sont assez nombreuses, et celle que vient d'indiquer l'honorable préopinant en est certainement une ; mais il y en a d'autres, et en première ligne, la longueur des discours parlementaires. Je ne dis pas pour cela qu'ils ne soient pas très utiles et qu'on ne doive pas les insérer en entier dans le Moniteur. Mais les séances sont longues, et leur étendue est une cause permanente d'accroissement de dépenses.
Ce qui a augmenté encore la dépense, c'est que le Moniteur est distribué aujourd'hui à un grand nombre de fonctionnaires qui ne le recevaient pas avant la loi du 8 mai 1845 ; il y a lieu en effet de s'étonner que le crédit du Moniteur n'ait pas été augmenté aux budgets de 1846 et 1847. Mon honorable prédécesseur l'avait lui-même si bien compris, qu'il avait préparé un projet par lequel il demandait le même crédit supplémentaire que je demande pour les exercices 1846 et 1847.
Ce projet a été envoyé à M. le ministre des finances qui ne l'a point présenté, je ne sais par quel motif, dans le courant de la dernière session. Il m'a été renvoyé, il y a quelque temps. Les chiffres du projet préparé par l'honorable M. d'Anethan sont, à peu de chose près, ceux du crédit supplémentaire que je demande aujourd'hui.
Vous savez au surplus que les frais du Moniteur sont fixés par des contrats d'adjudication pour le papier et l'impression, que les dépenses de timbre et de port sont fixées par les lois et les règlements, de sorte qu'il est impossible qu'il soit fait jamais abus du crédit alloué par la chambre.
- Le chiffre de 27,760 fr. 53. c. est adopté.
« Exercice 1847.
« Chapitre II. Art. 6. Justices de paix et tribunaux de police : fr. 3,600. »
- Adopté.
« Exercice 1847.
« Chapitre IV. Art. 1er. Frais d'instruction et d'exécution : fr. 120,000. »
- Adopté.
« Exercice 1847.
« Chapitre VI. Art. 1er. Impression du Recueil des lois, du Moniteur et des Annales parlementaires : fr. 37,000 »
- Adopté.
« Exercice 1847.
« Chapitre X. Art. 1er. Frais d'entretien, d'habillement, de couchage et de nourriture des détenus (prisons) : fr. 1,000,000 »
- Adopté.
« Exercice 1847.
« Chapitre X. Art. 2. Traitement des employés attachés au service domestique (prisons) : fr. 11,000. »
- Adopté.
Le texte du projet de loi est adopté dans les termes suivants :
» Article unique. Il est alloué au département de la justice un crédit supplémentaire de un million trois cent dix-neuf mille trois cent soixante francs cinquante-trois centimes (fr. 1,319,560 53 c.) pour le service des dépenses des exercices 1846 et 1847.
« Ce crédit sera réparti de la manière suivante. »
- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi qui est adopté a l'unanimité des 70 membres qui prennent part au vote.
Ce sont : MM. Van Cutsem, Van Renynghe, Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII, Zoude, Biebuyck, Bricourt, Brocquet-Goblet, Castiau, Clep, Cogels, d'Anethan, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, Dechamps, de Clippele, de Corswarem, Dedecker, de Denterghem, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Man d'Attenrode, de Meester, de Roo, Desaive, de Sécus, Terbecq, de Theux, de Tornaco, d'Hoffschmidt, du Roy de Blicquy, Eenens, Eloy de Burdinne, Fallon, Frère-Orban, Gilson, Henot, Huveners, Jonet, Lange, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Nothomb, Orban, Orts, Pirmez, Raikem, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Scheyven, Sigart, Simons, Thienpont, Tielemans, Troye, Van Cleemputte.
(page 197) M. Scheyven. - Messieurs, le but que le gouvernement a eu en demandant un crédit supplémentaire de 500,000 fr. pour mesures relatives aux subsistances, est de venir au secours des malheureuses populations des Flandres et de celles dont les communes se trouvent dans les mêmes conditions, par suite de la décadence le l'industrie linière. Telle me semble être la base du projet et l'opinion de la section centrale qui l'a adopté. Cependant cette somme, d'après le projet, n'est destinée qu'à venir en aide aux communes des Flandres et des cantons liniers du Brabant et du Hainaut. Plût à Dieu que ces communes fussent les seules victimes de la décadence de l'industrie linière ! Bien des familles ne se trouveraient pas aujourd'hui plongées dans la plus affreuse misère. Pour vous en donner un exemple, je citerai la commune de St-Amand située dans la province d'Anvers. Cette commune qui, ci-devant, appartenait aux Flandres, et qui aujourd’hui y avoisine, trouvait sa principale ressource dans l'industrie linière. La décadence de cette industrie, jadis si prospère, a privé la majeure partie de sa population de ses moyens d'existence.
D'après le dernier recensement, St-Amand compte une population de 2,840 habitants, dont 1,295 vivent de la filature et du tissage à la main. Aussi pendant l'hiver dernier, plus d'un quart de la population a été secouru par le bureau de bienfaisance, ou, pour mieux dire, a participé aux subsides que le gouvernement a alloués à la commune pour lui venir en aide, car les ressources du bureau de bienfaisance et de la commune sont insignifiantes en proportion des besoins de la localité.
Certes, cette commune se trouve dans la même position que celles pour lesquelles le subside est réclamé ; elle est donc, au même titre, digne de la sollicitude et du gouvernement et des chambres ; cependant par une singulière anomalie, et dont il est difficile de se rendre compte, St-Amant d'après le projet de loi et le rapport de la section centrale est placée dans une position exceptionnelle ; elle est exclue de la participation au crédit demande puisqu'elle est située dans la province d'Anvers ; car aux termes de l'article premier du projet de loi, les Flandres et les cantons liniers du Brabant et du Hainaut, dont les communes se trouveraient dans les mêmes positions, sont seuls appelés à en profiler. J'aime à croire, je suis même convaincu que ce n'est que le résultat d'un oubli ou d'une erreur, et qu'il suffira de le signaler pour en obtenir le redressement.
Dans ce but l'administration communale de St-Amand, justement alarmée de la position, exceptionnellement défavorable que le projet faisait à la commune, a adressé à la chambre une pétition qui a été analysée à la séance de mardi dernier et qui se trouve déposée au bureau. Cette pétition porte ce qui suit :
« A la chambre des représentants.
* L'administration communale de Saint-Amand, canton de Puers, province d'Anvers, prend la respectueuse liberté d'exposer qu’elle a vu avec surprise que les communes linières de la province d'Anvers ne pourront participer à l'allocation du crédit supplémentaire de 500,000 francs demandé par M. le ministre des finances dans la séance du 25 novembre dernier. Il est vrai que le nombre de communes linières de la province d'Anvers est très restreint, mais la nôtre se trouve dans une position tout à fait exceptionnelle. Elle est située à l'extrême frontière de la province d'Anvers et bornée de deux côtés par la Flandre orientale, à laquelle elle a appartenu jusqu'à la division de la Belgique en départements. Ne possédant que 3 à 400 hectares de terre labourable pour une population de 2,840 habitants, l'industrie linière a été de tout temps sa principale ressource.
« Aussi la décadence de cette industrie est la ruine totale de la majeure partie de notre population, dont plus d'un quart a, l'hiver dernier, participé à la table du pauvre ou plutôt aux secours que le gouvernement a fournis, puisque les ressources du bureau de bienfaisance sont insignifiantes.
« Enfin, pour vous convaincre que notre commune est éminemment linière, nous attestons ici que, d'après le dernier recensement officiel, il s'y trouve, sur une population de 2,840 habitants, 1,295 personnes qui doivent vivre de la filature et du tissage à la main ; et dans cette position misérable elle ne pourrait participer au crédit demandé, par le seul fait qu'elle n'appartient plus comme ci-devant aux Flandres.
« Nous venons par conséquent vous prier de vouloir modifier le projet et de rendre le subside également applicable aux communes linières de la province d'Anvers. »
Vous voyez donc, messieurs, que cette commune se trouve dans les mêmes conditions que celles auxquelles le crédit est destiné, elle a donc droit à être rangée dans la même catégorie.
Je pense que ces quelques mots suffiront pour déterminer la chambre à comprendre dans le projet les cantons liniers de la province d'Anvers à l'instar de ceux du Brabant et du Hainaut, et j'ai trop de confiance dans les sentiments de justice de M. le ministre de l'intérieur pour ne pas croire qu'il se ralliera à mon opinion.
J'ai donc l'honneur de proposer, d'accord avec mes honorables collègues MM. Henot et Mast de Vries, l'amendement suivant :
« Art. 1er. A placer les mots « d'Anvers » avant ceux « du Brabant » ».
L'article serait ainsi rédigé.
« Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit de 500,000 fr. pour mesures relatives aux subsistances dans les Flandres et dans les cantons liniers d'Anvers, du Brabant et du Hainaut, dont les communes se trouveraient dans les mêmes conditions.
(page 206) M. Sigart. - Dans le projet de loi qui nous est présenté, personne ne voit, je pense, un remède à la misère. Chacun y voit un mauvais palliatif, dont l'effet primitif peut bien être de calmer un peu le mal, mais dont l'effet consécutif doit être de l'irriter.
Nous pouvons espérer, par ce que nous lisons dans l'exposé des motifs, que le projet de loi sera le dernier de l'espèce.
Nous devons donc nous occuper moins de la loi à voter que des moyens à y substituer prochainement.
Chaque année, presque chaque jour, on parle dans cette chambre de l'équilibre entre les budgets des recettes et des dépenses ; on a raison ; mais il est un autre équilibre que je crois encore plus désirable, dont on parle moins et dont je désire vous entretenir : c'est l'équilibre entre les dépenses de l'Etat et les ressources nationales. Cet équilibre se lie à la question du paupérisme, dont je veux vous dire aussi quelques mots.
Vous excuserez, messieurs, ma manière de traiter mon sujet.
J'ai lu quelque part dans mon enfance cette sentence d'un ancien philosophe : «que le mal c'est la limite. »
Je ne sais pourquoi cette pensée, que je ne comprenais pas, m'est toujours revenue en mémoire.
Obsédé par ses retours, je voulus, dans un âge plus avancé, examiner cette idée, et je la trouvai bientôt digne d'être méditée.
Pendant que l'homme a des aspirations vers l'infini, tout est fini pont lui ; partout il est enfermé dans des limites plus ou moins étroites.
Sa science, ses droits, son influence, ses propriétés, sa vie, tout est borné pour lui.
En examinant les hommes les uns après les autres on voit que sur 100, 99 sont placés juste à la limite de leurs ressources. Je crois cette remarque aussi vraie pour le millionnaire que pour le prolétaire. Peu d'hommes ayant 50,000 fr. de rentes se contentent d'en dépenser 48 ; presque tous riches ou pauvres sont pressés, froissés, écrasés contre leur limite. I1 en est même qui la franchissent. Ceux-là, défiez-vous-en ; car d'ordinaire ils ne tardent pas, comme par un va-tout, de recourir au crime.
Le moyen qu'indique la philosophie à l'homme isolé, c'est de ne pas faire tout ce qu'il peut ; alors il ne voit pas, ne sent pas sa limite. La sagesse a conseillé de tout temps la modération dans la jouissance des plaisirs, de la richesse, dans l'exercice des droits de la puissance.
Mais les hommes pris en masse, mais une nation, peut-on lui indiquer un semblable moyen ? Sans nul doute la limite des ressources d'un peuple est plus difficile à déterminer que celle d'un particulier ; elle est moins inflexible. Mon avis n'est pas moins qu'une nation doit agir comme un particulier : elle ne doit pas, pour ses dépenses publiques, faire tout ce qu'elle peut. Son budget doit être en dessous de ses ressources.
Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Je crois que nous sommes acculés à notre limite extrême. D'autres nations, dira-t-on, payent bien plus que nous relativement à leur richesse ; j'en conviens, je suis même d'avis que plusieurs ont franchi toute limite. Mais est-ce un exemple à imiter ? Que me fait le mal des autres. pour adoucir le mien ?
Il faut que le gouvernement arrête et diminue les charges ou augmente les ressources nationales, les ressources du contribuable.
(page 207) Quant à la diminution des dépenses, je crois sans doute que certains services peuvent être simplifiés ; je ne désespère pas qu'on ne puisse faire quelque économies ; moi-même je promets d’y travailler avec ardeur. Toutefois je ne me fais pas trop d'illusion sur la possibilité d'une diminution de quelque importance dans les dépenses ; je serai déjà bien content si on ne les augmente pas.
Quant à l'augmentation de la richesse publique, dépend-elle du gouvernement ? Je tiens pour assuré que des lois sages peuvent contribuer à accroître les ressources d'une nation. Là est la véritable tâche du ministère. Je viens exciter le gouvernement à y travailler sans relâche. Oui, la chose est possible, mais est-elle facile ? Oh non ! messieurs, tant s'en faut.
Avant de préciser la nature des efforts que doit faire le gouvernement, il faut que je revienne au paupérisme. Je vous en ai, messieurs, plus d'une fois entretenus ; je vous en parlerai souvent encore, c'est un sujet que l'on n'épuise pas en deux ou trois discours.
Le paupérisme a existé de tout temps.
Pour le pallier, les anciens avaient leurs guerres peu semblables aux nôtres. Une nation se ruait sur une autre ; les vainqueurs exterminaient les trois quarts des vaincus, surtout les femmes, les vieillards, les enfants, et réduisaient le reste en esclavage. Un moment de bien-être succédait à la victoire. Quand le malaise revenait après la consommation des richesses de la nation anéantie ou par l'augmentation de la population chez la nation victorieuse, on recommençait la guerre d'un autre côté, et ainsi de suite sans fin.
Cela n'empêchait pas encore la misère.
Mais enfin le paupérisme n'avait point alors les proportions qu'il a (je suis fâché de le dire) prises dans un état de civilisation plus doux, et justement à cause de cet état de civilisation plus doux.
Nous ne pouvons revenir aux procédés violents des temps de barbarie : ce n'est pas de moi que vous attendez ce conseil. La guerre, comme on la fait de nos jours, détruit proportionnellement plus de richesses que d'hommes, et elle ne détruit guère que les hommes vigoureux ; à cause de cela, la guerre, comme on peut la faire aujourd'hui, augmenterait le paupérisme.
La destruction des faibles, comme à Sparte, comme en Chine, révolte nos mœurs, et ce qu'on appelle la contrainte morale ne produirait qu'une partie des effets qu'en attendent certains penseurs. Je crois l'avoir démontré dans une autre circonstance.
Je vous ai fait voir encore alors que vous n'aviez rien à espérer de la colonisation, rien de la charité par le trésor public, je vous ai dit ce que l'on devait attendre de la charité, quand elle n'avait pas l'égoïsme pour frein. Vous n'avez pas imité certaines âmes pieuses, qui se sont irritées parce que j'avais trouvé que l'égoïsme pouvait servir à quelque chose. Sans doute, si Dieu, à l'époque de la création, leur avait demandé leur avis, elles auraient corrigé son ouvrage en supprimant (chez les autres probablement) ce vilain égoïsme, au risque de voir périr l'humanité. Il serait commode, en effet, que l'égoïsme des autres fût anéanti : on serait sur alors de faire triompher le sien.
Quand je vous ai exposé les moyens terribles que la nature emploie pour faire obéir à ses lois, vous avez eu la sagesse de ne pas me rendre responsable de ces lois, vous convenez que ce n'est pas moi qui les ai créées et vous n'avez su gré de mon audace à les dévoiler. Vous avez vu que s'il est impossible de les éluder complètement, il est des moyens d'en rendre les effets moins cruels.
J'ai indiqué quelques vues, ce n'est pas le moment de les éclaircir et d'entrer dans les détails ; je le ferai à l'occasion ; je n'ai voulu en ce moment que montrer ce que j'attends du ministère.
Pour répondre à mon attente, pour réaliser des perfectionnements sociaux, soutenus, contenus, pour établir l'équilibre que je réclamais au commencement de ce discours, suffit-il au gouvernement d'être animé de bonnes intentions, suffît-il même qu'il se livre à quelques tentatives indécises ?
Non, messieurs ; il faut que le gouvernement travaille avec une fiévreuse énergie qui ne se rebute point, qui ne se lasse point ; il faut qu'au moment où il voudrait se reposer, il croie entendre une voix qui lui crie incessamment aux oreilles, comme à ce personnage inventé pour la crédulité de nos pères, ce mot : Marche ! marche ! Il y a là un symbole de l'humanité qui souffre dès qu'elle s'arrête.
Ce n'est pas que l'activité d'un gouvernement travaillant dans l'intérêt d'une nation doive ressembler à celle des particuliers ; le plus souvent, presque toujours elle doit consister à faciliter l'action des individus en les délivrant de toute entrave, en écartant de leur marche tout obstacle dans la voie du progrès.
Je me prends à prononcer le mot un peu trop rebattu de progrès. Quand je le fais, je n'ai guère besoin de dire que je n'accepte pas comme tel tout ce qui porte ce nom. Je n'ai garde de pousser nos ministres dans la voie où se sont égarés nos réformateurs modernes.
Je n'exige pas d'eux qu'ils fassent couler le miel de l'écorce des chênes, je ne leur demande pas qu'ils réalisent les promesses de certains novateurs. Mieux est possible, bien absolu est une chimère après laquelle il ne faut pas courir. Il est des maux inhérents à l'humanité sur lesquels il faut bien prendre son parti.
Mais, pour être bornée dans ses résultats, la tâche imposée au ministère n'en est pas moins une grande, une immense tâche. C'est une véritable création que je réclame de lui. Je lui demande tout bonnement d'avoir du génie. Mais il n'y a pas de mérite à faire des choses faciles, c'est l'accomplissement des choses difficiles qu'est réservée la gloire.
Si j'ai peu d'estime pour ceux qui voient un but dans l'arrivée au ministère, j'ai les sympathies les plus passionnées pour ceux qui y recherchent un moyen de réaliser quelque grande pensée. Voilà un égoïsme, voilà un orgueil que j'admire ! Je puis me tromper, messieurs, mais c/est parce que je crois que le nouveau ministère voudra se trouver classé dans la seconde catégorie, que j'ai applaudi à sa formation. Il est vrai que je ne compte que des amis parmi les ministres : de ce chef, ma bonne opinion doit être suspecte ; mais vous pouvez m'en croire, si je les aime, j'aime mieux encore le bien-être national ; l'amitié que je leur porte n'est pas une affaire de sentiment, elle ne m'aveugle pas. Je ne fais pas la moindre difficulté de le leur dire. Pour la conserver ils doivent la mériter ; s'ils faiblissent, si même ils mollissent, ils la perdent. Ainsi à l'œuvre, MM. du ministère ! De nos faibles efforts nous vous aiderons dans l'accomplissement de votre tâche ; mais quand, subissant les lois du temps, vos bonnes intentions menaceront de devenir stériles, nous serons les premiers à vous crier de céder la place à quelque génie fécond prêt à s'épuiser à son tour pour le bonheur du pays.
(page 197) M. Rodenbach. - Messieurs, l'honorable M. Sigart vient de former le vœu que le crédit supplémentaire de 500,000 fr. soit le dernier que le ministère nous demande en faveur des malheureuses provinces des Flandres.
Je pense, messieurs, que la chambre a infiniment plus d'humanité, et qu'elle ne partagera pas l’opinion de l'honorable député de Mons.
Aujourd'hui messieurs, il ne s'agit que du vote d'un demi-million. Ce n'est pas 75 c. par ouvrier valide qui demande de l'ouvrage dans les Flandres. Ainsi il n'y a pas à attendre de grands résultats du projet actuel.
Nous espérons que M. le ministre de l'intérieur, qui nous a formellement promis de nous apporter un plan général pour délivrer nos malheureux concitoyens de la misère, pour leur donner de l'ouvrage, ne tardera pas à nous le faire connaître.
Messieurs, l'honorable préopinant a accusé en quelque sorte les Flandres d'être livrées au paupérisme. Je demanderai si la société n'est pas tenue de donner de l'ouvrage à des malheureux qui en réclament et qui, par des circonstances indépendantes d'eux, se trouvent jetés dans la misère.
Je demande si le gouvernement n'est pas tenu de leur procurer de l'occupation, soit dans les travaux publics, soit autrement. Je sais bien que les hommes infirmes, que les vieillards, les enfants ont besoin de secours, doivent être entretenus par les localités, lorsqu'elles ont suffisamment de ressources. Mais les Flandres font de ce chef d’immenses sacrifices, et je pourrais vous prouver par des chiffres qu'elles font des efforts qui vont au-delà de leurs moyens, sans qu'elles parviennent cependant à un but satisfaisant. Je prendrai pour exemple le district de Roulers que j'habite et qui est un des plus malheureux, et je citerai notamment les communes d'Ingehmunster, de Rumbeke, de Moorslede, de Hooglede, de Lichterverde et d'Ardoye. Ces communes, messieurs, ont une population d'environ six mille habitants chacune ; et depuis deux ans la mortalité y est tellement augmentée que tous les hommes animés de sentiments de philanthropie en seront effrayés. En 1841, 1842, 1843, 1844 et 1845, la mortalité y était en moyenne de 175 individus. Eh bien, en. 1840 elle a été d'au-delà de 200, et dans les dix premiers mois de cette année elle a été pour plusieurs de ces commune, d'au-delà de 300 individus. Je citerai aussi comme une des communes les plus malheureuses Iseghem et sa banlieue, ainsi que la population extra-muros de Roulers.
Je le demande, peut-on ainsi laisser mourir de faim des malheureux qui vous demandent de l'ouvrage ? Car ce n'est pas l'aumône, c'est de l'ouvrage qu'ils réclament, et je répète que le gouvernement est tenu de leur en fournir.
Quoi ! messieurs, l'Etat nourrit en prison les malfaiteurs, les voleurs, les assassins ; il leur accorde du pain, de la soupe, un lit ! Et vous laisseriez mourir de faim d'honnêtes gens qui n'ont jamais failli au devoir, jamais failli à l'honneur !
Je m'arrête. Je prie, je supplie même le ministère de vouloir nous présenter promptement son plan général pour sauver les Flandres, et j'aime à croire qu'il sera fidèle à sa parole.
M. Gilson. - Messieurs, je voterai le crédit de 500,000 fr. qui vous est proposé. Les misères des Flandres ne sont que trop vraies, ne sont que trop palpitantes d'intérêt. Nous devons venir à leur secours ; nous devons y venir immédiatement.
Mais, messieurs, si tous nous avons cette conviction, nous avons aussi cette autre conviction, qu'en venant au secours des Flandres, nous voulons éviter la démoralisation, que nous voulons faire la charité, mais que nous voulons la bien faire, ou plutôt que nous voulons venir en aide à des malheureux qui souffrent. Mais les sommes que nous allons avoir à notre disposition, nous devons les distribuer dans des vues d'avenir, dans des vues sûres et nous devons éviter les tâtonnements qui ont été trop nombreux jusqu'à présent.
Je désire, autant que qui que ce soit dans la chambre, éviter des discussions qui n'auraient pas leur à-propos. Aussi vais-je me borner à quelques points et je serai très bref.
Une commission a été nommée pour examiner en masse les besoins des Flandres ; cette commission ne manquera pas à la tâche qu'elle a entreprise ; nous en avons pour garant l'honorable président qui est à la tête de cette commission. Plus tard nous aurons donc à examiner en détail tout ce qui se rattache à la grande question des Flandres.
Mais aujourd'hui puis-je me taire ? Je l'aurais fait peut-être, s'il ne m'était arrivé hier encore une brochure que j'ai sous les yeux. Je me demande si cette brochure est bien imprimée en Belgique ou si elle n’est pas l'œuvre d'un homme qui s'éveille après dix années de léthargie. L'on ne craint pas de nous y représenter comme l'unique salut pour les Flandres la prohibition de la sortie des lins !
Je ne crois pas, messieurs, qu'un membre de cette chambre puisse partager une idée aussi absurde. Si quelque chose est à faire, c'est de favoriser la culture du lin et de chercher des débouchés pour nos lins que nous devrions cultiver en beaucoup plus grande quantité.
Je ne m'appesantis pas sur cette question ; elle est d'une évidence trop palpable.
(page 198) Messieurs, il y a plusieurs moyens pour venir au secours des Flandres. Il y a les travaux publics ; il y a les défrichements ; je ne veux pas parler de ces questions en ce moment. Je ne désire toucher qu'un seul point ; c'est celui qui concerne l'industrie de quelques-unes de nos provinces, l'industrie du tissage. C'est celle qui m'est la plus familière ; et dans cette chambre, je me bornerai souvent à traiter celle-là.
Messieurs, le moyen le plus sûr de venir au secours des populations des Flandres, c'est, tout le monde est d'accord, c'est de leur donner du travail ; mais il faut leur donner un travail qui ait des chances d'avenir. C'est ici que je suis amené à dire quelques mots de l'industrie linière.
La brochure dont je vous parlais, après avoir donné comme moyen unique de sauver les Flandres, un droit à la sortie du lin, finit par cette sentence, qu'il faut encourager la filature à la main. Messieurs, nous allons, dans quelques semaines, rentrer dans nos provinces. Cette somme de 500,000 fr. va être votée ; des secours vont être réclamés de toutes parts. Il faut bien que nous soyons quelque peu d'accord pour éclairer les populations qui recourront vers nous. Eh bien ! dans ma manière de voir, c'est un malheur immense que cette idée toujours existante, que l'ancienne industrie seule peut sauver les Flandres.
Messieurs, nous avions la plus belle industrie du monde ; nous avions le sol par excellence pour la culture du lin ; nous avions nos anciennes habitudes, nous avions nos connaissances pratiques que personne ne pouvait nous contester. Nous avions tous ces avantages pour l'industrie du lin, et cependant voyez où nous sommes amenés !
Pour toutes les autres industries la Belgique a su conserver un rang distingué parmi toutes les nations ; je citerai l'industrie de fer, celle de la houille, celle des tissus de coton et une foule d'autres. Pour l'industrie linière seule, qui devrait être notre première industrie, nous ne venons, j'ose à peine le dire, qu'en deuxième, peut-être bientôt en troisième ligne ; nous nous sommes laissé devancer par l'Angleterre ; voulez-vous que nous le soyons par la France !
Pouvons-nous après cela consciencieusement engager nos ouvriers des campagnes à continuer la filature à la main ? Ce serait une grave erreur, à mon avis. Il n'est pas question de savoir si l'on peut filer à la main, la question est de savoir si vous trouverez dans ce genre de filage un salaire suffisant pour les si nombreux avantages que vous trouvez dans la filature à la mécanique.
Il y a deux faits, messieurs, que je ne puis m'empêcher de citer immédiatement. C'est peut-être une triste vérité à révéler. J'ai dit que nous étions inférieurs à d'autres pays pour la fabrication de la toile, tandis que nous aurions dû toujours marcher en première ligne. Cela est si vrai que, si mes renseignements sont exacts, nous lutterions difficilement avec l'Angleterre sur le marché de Paris, nonobstant les avantages que nous assure le traité ; c'est à cette occasion que je blâmais le projet d'établir une société d'exportation dans le but unique d'exporter nos toiles dans les pays transatlantiques.
Si nous nous étions présentés sur les marchés transatlantiques avec nos toiles de Belgique, nous aurions été battus, parce que notre genre de production n'eût point été celui qui eût été préféré par le consommateur étranger, et parce qu'il est moins pesant et d'un prix plus élevé.
Je dis donc que nous n'avons qu'un seul parti à prendre pour favoriser les Flandres ; c'est de leur faire reprendre, dans la fabrication des toiles, le rang qu'elles n'auraient jamais dû abandonner.
L'honorable M. Rodenbach nous parlait tout à l'heure de la position des environs de Roulers, mais s'il y a quelque chose de moins malheureux dans les Flandres, c'est précisément cette partie du pays où l'on s'occupe de la nouvelle toile. Courtray et ses environs sont là pour attester qu'il y a eu moins de misère là où il y a eu plus de progrès dans la nouvelle industrie.
Filez, nous dit-on, à la main. Eh bien, savez-vous ce qu'on fait notamment de ce fil ? Dans l'impossibilité où l'on se trouve d'en avoir une vente régulière, on en cherche le placement partout à sacrifice, et c'est notamment dans nos prisons que ces fils sont vendus pour la fabrication des toiles destinées aux détenus et à l'armée.
Bientôt j'aurai l'occasion de parler de l'intérieur des prisons, puisqu'un projet de loi nous est annoncé à cet égard ; mais j'aime à dire de suite que dans les deux établissements que j'ai visités en Belgique, je n'ai trouvé qu'une bonne direction donnée à toutes les branches du service ; une seule chose laissait à désirer, c'était précisément la fabrication de la toile, et savez-vous pourquoi, messieurs ? Parce qu'on y emploie du fil à la main. La tâche donnée à chaque prévenu me paraissait bien peu importante ; j'en fis la remarque, et il me fut répondu qu'elle ne pouvait être plus forte avec le fil à la main, mais qu'avec du fil mécanique on arriverait facilement à faire faire le double. Plus tard, dans les magasins, je m'informai des résultats des essais que je savais avoir été faits pour les vêtements des détenus, en toile à la main et en toile mécanique.
Eh bien, cette dernière toile était non seulement beaucoup plus belle, mais encore dans un meilleur état de conservation. Voilà, messieurs, où nous en arrivons en persistant à marcher à rebours du progrès.
Mais pourquoi, nous dit-on, forcerions-nous la production dans les prisons ? Mais si nous faisions le double de tissus, nous serions dans l'impossibilité d'en tirer parti ! Il n'y a pas, permettez-moi de le dire, de plus fausse argumentation que celle-là. Toutes les fois que vous ferez un produit meilleur et à un prix avantageux, vous n'éprouverez jamais de difficulté à en trouver le placement. Faites donc faire les toiles en quantité considérable, faites des bien, faites-les pour le goût des consommateurs auxquels elles sont destinées, et vous les vendrez.
Aujourd'hui, tous les efforts que nous avons à faire en faveur de l'industrie linière, doivent tendre à ce seul but : nous mettre dans les mêmes conditions que les autres producteurs. Savez-vous ce qui nous manque précisément ? Nous sommes dans des conditions moins avantageuse» que l'Angleterre pour la production du fil. Si donc quelque chose doit être surtout encouragé, c'est d'abord la culture du lin, puis la filature du lin. Ensuite, il faut le dire : une infériorité qui est frappante, c'est dans l'apprêt et le blanchiment ; sous ce rapport, nous sommes, comparativement à l'Angleterre, dans une infériorité qui pourrait se traduire par un très gros chiffre. Encore une fois, cherchons donc, messieurs, à améliorer, et surtout cherchons à améliorer dans des vues d'avenir.
Il eût été sans doute fort heureux pour nous de conserver notre débouché vers la France, mais ne vous faites pas illusion, avec le fil mécanique la fabrication de la toile est devenue facile et on la fera désormais partout. Déjà cette fabrication a été essayée même en Espagne, et on ne s'arrêtera pas.
Il n'est donc que trop vrai que les ouvriers des Flandres ne trouveront plus à l'avenir dans l'industrie de la toile la ressource qu'ils y trouvaient autrefois. Mais appliquons-nous au moins à leur conserver avant tout le tissage ; c'est une erreur, à mon avis, de vouloir leur conserver à la fois et la filature et le tissage ; nous étions dans les meilleures conditions du monde pour cette partie de la fabrication de la toile. Nous eussions dû beaucoup plus tôt nous borner là.
Il est, messieurs, une autre transformation indispensable et déjà à moitié résolue. Le tisserand des Flandres ne peut plus travailler pour son propre compte, il faut qu'à l'instar de ce qui se fait pour les autres étoffes, il travaille sous la direction d'un maître ; de cette manière vous ne perfectionnerez pas seulement la fabrication de la toile, mais vous introduirez également dans les Flandres la fabrication d'autres étoffes, de natures bien diverses, et qui seraient d'une vente assurée. Une foule d'articles de bonne consommation se font en Belgique à plus bas prix que nulle part ailleurs.
Encouragez les tisserands à faire ce genre de tissus ; ils sont parfaitement posés pour cela. Ils ont les métiers à domicile et toute l'aptitude qu'on pourrait exiger d'un ouvrier déjà formé.
On parle constamment de créer des écoles ; j'aime les écoles et je désire les encourager, mais vous avez déjà, ne le perdez par de vue, des ouvriers tout faits, et les instruments du travail auxquels il suffira d'apporter quelques changements. Gardons-nous donc de dépasser le but en nous appliquant exclusivement à chercher des industries nouvelles ; nous avons le mérite d'une bonne fabrication pour une foule de tissus. Attachons-nous à les perfectionner et réunissons en commun tous nos efforts pour leur imprimer la meilleure direction possible.
M. de Haerne. - Messieurs, je dois remercier l'honorable préopinant de sentiments de sympathie qu'il a bien voulu exprimer en faveur des populations souffrantes des Flandres. Toutefois je regrette de ne pas pouvoir me ranger à l'avis de l'honorable membre, dans les considérations qu'il a émises sur quelques parties de l'organisation du travail dans les Flandres ; je le regrette d'autant plus que nous reconnaissons tous à l'honorable membre des connaissances spéciales, en matière d'industrie.
Je ne puis partager l'avis de l'honorable préopinant, quant à certaines parties pratiques du travail que nous avons depuis longtemps sous les yeux dans les Flandres et que nous ne croyons pas pouvoir être abandonnées par le gouvernement dans les circonstances pénibles où sont placées les populations.
L'honorable membre voudrait qu'on renonçât à l'ancienne manipulation ; il a dit que s'il y a un moyen de sauver l'industrie toilière, c'est de se livrer sans réserve à la filature mécanique.
Je ne comprends pas qu'un industriel qui a des idées si pratiques puisse ainsi se lancer dans des spéculations théoriques. Pour ma part, je ne suis hostile à aucune industrie. Toute industrie existant dans le pays a droit à être protégée. Je ne m'occupe pas de savoir si, dans un avenir plus ou moins rapproché cette industrie doit tomber ; je me demande seulement si elle existe, si elle occupe un grand nombre de bras ; en cas d'affirmative, je dis que c'est un devoir pour le gouvernement de la soutenir, ne fût-ce qu'au point de vue de l'humanité, et pour empêcher les ouvriers de mourir de faim, en attendant qu'on puisse leur donner des occupations plus lucratives ou en attendant que l'industrie qu'ils exercent maintenant devienne elle-même plus lucrative par les perfectionnements qu'on pourra y introduire.
J'ai toujours déclaré, qu'en ce qui regarde l'industrie linière, je ne suis pas exclusif ; qu'à côté de l'ancienne industrie linière, le gouvernement doit aussi protéger la nouvelle industrie. Ce serait une absurdité de répudier l'une ou l'autre de ces deux industries : ces deux industries doivent marcher de pair ; elles doivent se prêter un mutuel appui ; c'est le meilleur moyen de pouvoir concourir avec les étrangers.
L'honorable préopinant est parti de cette supposition que, dans l'état actuel des choses, l'ouvrier qui s'occupe du filage à la main ne gagne qu'un salaire insuffisant. Nous déplorons tous que les salaires soient eu général au-dessous de la hauteur normale qu'ils devraient atteindre. Mais ici il ne s'agit pas seulement du salaire qu'on donne à la fileuse, mais il s'agit du salaire qu'on donne à tous les ouvriers de la campagne, même aux ouvriers purement agricoles. Or, je soutiens que là où le filage à la main est organisé au moyen d'ateliers, d'écoles, le salaire que l'on donne aux fileuses peut être compare à ce que les personnes du sexe (page 199) gagnent à faire toute autre chose à la campagne. Voilà la question. Il n'est donc pas impossible de procurer à ces fileuses un salaire qui, joint à celui des autres ouvriers de la même famille, peut suffire à l'entretien commun, en temps ordinaire et lorsque les vivres sont à un prix normal.
Qu'arriverait-il si l'on condamnait définitivement l'ancienne industrie linière ou qu'on voulut la supprimer ? Les toiles allemandes en fil à la main envahiraient en partie le marché français et même le marché intérieur, comme cela se voit déjà dans les environs de Liége. Il existe en Belgique, en France, en Espagne, à la Havane, ailleurs encore, une opinion favorable au filage à la main ; aussi longtemps que ces toiles sont demandées, c'est une absurdité d'en abandonner la fabrication, comme il est absurde de renoncer à tout autre article de commerce, tant qu'il est demandé.
Qu'on se rende dans les magasins de toiles de Bruxelles, par exemple, et l'on verra que sur dix magasins, il en est neuf où l'on préfère les toiles faites en fil à la main, et pourquoi ? Parce que le consommateur les demande.
Les toiles à la main sont toujours demandées par la France, la Hollande et l'Espagne. Je pourrais citer des fabricants de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter ici qui avaient depuis quelque temps abandonné le fil à la main, non pas précisément parce qu'ils le répudiaient, mais parce qu'il était assez difficile de se procurer les assortiments de numéros nécessaires ; eh bien, ils sont revenus, pour une partie de leur fabrication au fil à la main, par suite des demandes qui leur sont faites de la part de la France et de l'intérieur, et ils ont organisé le filage, pour pouvoir suffire aux demandes. Du reste la plupart des fabricants qui emploient les fils à la mécanique dans leur fabrication achètent aussi au marché des toiles en fil à la main, et ne peuvent pas être envisagés comme hostiles à l'ancienne industrie linière.
On demande donc encore de toutes parts la toile en fil à la main. Je ne dis pas qu'on ne demande pas la toile en fil mécanique ; on la demande aussi : je suis loin de me montrer hostile à cette fabrication ; je crois même que le gouvernement doit la favoriser, comme il doit favoriser toutes les autres industries.
Il est beaucoup de cas où l'une des deux industries vient au secours de l'autre. Il est certain, et nous en avons des faits frappants, il est certain que, quand on mêle les deux fils, on obtient des produits, non pas meilleurs, mais à meilleur compte. Cela se fait surtout parce que le filage à la main n'est pas encore assez bien organisé pour se procurer toujours les bonnes chaînes.
Mais il est un autre point beaucoup plus important que je ne puis m'empêcher de traiter, pour répondre catégoriquement aux objections qui nous ont été faites par l’honorable préopinant. La plus grande erreur dans laquelle soit tombé l'honorable préopinant, c'est qu'il a toujours supposé que le fil mécanique est à meilleur compte que le fil à la main, lorsqu'on veut donner un salaire suffisant à l'ouvrière qui fait le fil à la main. Eh bien, pour que mon témoignage ne soit pas suspect à la chambre, je ne recourrai pas aux expériences qui ont été faites dans l'arrondissement de Courtray ; je ne citerai pas les exemples qui y sont donnés depuis longtemps par plusieurs ateliers qu'on y a institués, mais je recourrai à un document émané de l’atelier-modèle de Gand, qui a été formé à l'exemple de ceux des environs de Courtray, qui est monté sur un excellent pied et qui tend à répandre les perfectionnements du filage dans toute la Flandre orientale. Outre les métiers à la navette volante, il a déjà proposé le numérotage du fil, les rouets à deux mains et d'autres améliorations dans les communes de Caprycke, Asper, Meldert, Herdersem, Baeleghem, Moorsel, Wachlebeke, Nazareth, Renaix, Stuay, Eenaeme, Lede, Eecke, Gyseghem, etc.
Dans l'atelier-modèle de Gand, on a filé par numéro, on a réussi ; ce numérotage s'est répandu, comme je le disais tout à l'heure, dans un grand nombre de localités, et des expériences ont été faites sur les numéros de 12 à 200 qui comprennent à peu près toute la fabrication linière, à l'exception de la batiste. Je dirai que ces numéros ont été filés à des prix inférieurs aux prix des numéros correspondants des fils mécaniques belges ; il y a même une différence en faveur du fil à la main de 3 à 27 p.c. d'après les numéros filés avec les mêmes lins que les fils mécaniques.
Vous me direz que c'est impossible ou que la fileuse ne gagne rien ; elle gagne de 30 à 50 centimes par jour quand le travail est bien organisé. Les fileuses qui emploient le rouet à deux mains ou à deux fuseaux augmentent leur salaire dans la proportion de deux à trois. Je cite de préférence cet atelier, parce que M. le ministre de l'intérieur l'a visité. Savez-vous en quoi consiste l'avantage de la filature à la mécanique ? Ce n'est pas dans la façon, dans la main-d'œuvre ; la façon mécanique, en comptant les frais généraux d'exploitation, est plus chère que celle du fil à la main ; mais son avantage résulte du choix qu'on fait des lins, surtout de ce qu'on emploie le lin inférieur, même les étoupes à faire certains numéros pour lesquels on emploie dans le filage à la main les lins les plus purs et les plus chers.
Voilà l'avantage de la filature mécanique quant aux prix des fils mais non quant à la qualité ; quand on emploie la même espèce de lin, l'avantage est pour la filature à la main. J'irai plus loin, ;je dirai que nous pourrions concourir avec les fils anglais, du moins quant à la trame, pour la plus grande partie des numéros, et quant à la chaîne, pour les numéros supérieurs à partir de 150, toujours en faisant abstraction de la qualité du fil à la main, à laquelle beaucoup de consommateurs continuent à donner la préférence.
Toute la question est dans l'organisation du travail. Je prétends que lorsque la filature à la main est bien organisée, comme on a commencé à le faire dans les Flandres, on peut atteindre à un résultat inespéré.
L'honorable membre nous a dit aussi un mot de la culture du lin.
Je suis d'accord avec lui ; la culture du lin doit être encouragée.. Une mesure a été prise par M. le ministre de l'intérieur pour empêcher la sophistication de la graine de lin ; je crois que cette mesure est bonne, mais on pourrait la compléter, rendre la sophistication plus difficile encore au moyen de mesures douanières qui consisteraient à imposer la graine en vrac ou en sac à une certaine époque, du mois de septembre au mois d'avril, parce qu'à cette époque les graines de lin qui viennent en vrac ou en sac sont destinées à la fraude.
Le fret et l'assurance sont trop élevés à cette époque de l'année pour envoyer de cette graine à l'usage des huiliers. Je dis que la mesure prise est bonne, mais la mesure douanière que j'indique serait éminemment utile. Quand le marchand vend sa tonne il doit l'ouvrir, parce qu'il arrive souvent que la graine est plus ou moins humide et que le fermier ne viendrait pas acheter avant d'avoir vu la tonne ouverte, et quelquefois il faut en ouvrir deux ou trois avant d'en trouver une à sa convenance.
Cette opération n'est pas un cas de fraude, c'est une nécessité ; mais on pourra encore faire la fraude, au moins en petit, en mettant de la graine connue sous le nom de druano-zaed dans les tonnes ouvertes.
Comme cette graine vient en sac ou en vrac, on pourrait, je pense, la frapper d'un droit élevé et on préviendrait ainsi la fraude. Cette mesure a été suggérée par des hommes très versés dans cette partie.
Voilà une mesure que je crois devoir recommander à l'étude du gouvernement et qui serait favorable à la culture du lin, que je voudrais protéger autant que l'honorable M. Gilson.
L'honorable membre a dit aussi que nous serions inévitablement battus avec nos toiles de Flandres sur les marchés transatlantiques, sur les marchés où l'on ne reçoit que des toiles anglaises. Cet honorable membre peut avoir raison jusqu'à certain point ; mais il y a cependant certaines catégories de toiles de lin que nous pourrions placer avantageusement sur ces marchés, soit pour la qualité, soit même pour les prix. Mais je répéterai une proposition que j'ai présentée dans une séance précédente.
Je pensai, sauf meilleur avis, que pour les exportations lointaines, aux termes de la loi relative aux entrepôts francs, on pourrait autoriser l'entrée libre de fils anglais pour la fabrication de toiles destinées à l'exportation. On ne serait libéré du payement des droits d'entrée sur les fils qu'après avoir présenté pour l'exportation des toiles dont le poids répondrait à celui des fils introduits. Il est évident que le traité conclu avec la France nous défendrait de faire ces expéditions vers ce pays. On ne ferait en cela aucun tort ni à l'industrie de la filature à la main, ni à celle de la filature à la mécanique, puisque les toiles dont je parle ne serviraient qu'à remplacer sur certains marchés celles qu'y expédient aujourd'hui les Anglais. Cela développerait le travail national que j'ai pour principe de favoriser en tout et de toutes les manières possibles.
Je conviens avec l'honorable M. Gilson que nous n'exportons que peu de chose et que nous aurions grande difficulté à placer des toiles faites avec des fils du pays, sur les marchés transatlantiques, là surtout où l'on n'apprécie pas la supériorité du fil à la main. Mais si nous employions du fil anglais, ce serait différent, car il nous coûterait de 15 à 20 p. c. de moins que le fil mécanique du pays. Ce qui me le prouve, c'est qu'aujourd'hui même il y a des fabricants qui emploient les fils anglais en en payant les droits. Il faut remarquer cependant qu'en Angleterre, il y a des fils de toutes sortes de prix. Ainsi, à:la filature de Marschall, à Leeds, il y a des fils de 20 p. c plus chers que ceux qu'on trouve ailleurs, surtout en Irlande. Il faut donc distinguer. Je ne dis pas qu'il faut n'acheter que des fils à bon compte et de qualité inférieure, mais des uns et des autres, suivant les besoins des divers ; marchés pour lesquels on veut travailler. Je répète que cette mesure ne serait en rien préjudiciable aux industries du pays, à la filature à la main, non plus qu'à la filature à la mécanique. Je ne pense pas non plus que les lois existantes s'y opposent.
Messieurs, l'honorable membre a parlé aussi du fil qui est admis dans les prisons. J'aurai à cet égard l'honneur de lui faire une observation qui fera voir toute l'utilité de l'emploi des fils à la main dans les prisons. D'abord il est reçu à. un prix qui n'est pas supérieur à celui du fil mécanique.
Ensuite cette mesure, que j'ai provoquée ici, a produit un bien immense dans plusieurs localités des Flandres, non seulement en ce qu'elle a servi à donner du pain à des milliers d'ouvriers dans un nombre assez grand de villages, mais aussi en ce qu'elle a servi à introduire dans ces villages l'organisation du travail qui repose surtout sur le numérotage du fil. Je citerai entre autres le village de Lendelede dans la Flandre occidentale et celui de Moorsel dans la Flandre orientale, où le travail a été organisé par ce moyen d'une manière admirable. Cette mesure a donc porté des fruits, non seulement pour le présent, mais encore pour l'avenir. Les personnes préposées au travail des prisons ont déclaré qu'elles préféraient ce fil au fil mécanique qu'on employait précédemment. Ce n'est qu'après cette déclaration que l'honorable ministre de la justice précédent a pris la résolution d'admettre le fil à la main dans les prisons.
(page 200) Je ne demande pas que le tissage soit le seul travail des prisons. Le commerce libre doit autant que possible avoir la préférence pour la fourniture des toiles à l'armée, et j'adhère à cet égard au vœu exprimé récemment dans une pétition adressée à M. le ministre de la justice. Mais la difficulté consiste à remplacer le tissage dans les prisons par un autre travail. Je pense qu'on pourrait le faire, en partie du moins, en appliquant les prisonniers à des industries nouvelles.
Quant à l'apprêt dont l'honorable membre auquel je réponds a dit un mot, je pense qu'il nous manque quelque chose et qu'un grand établissement rendrait à cet égard des services signalés au pays.
J’espère que M. le ministre de l'intérieur, qui veille avec sollicitude aux intérêts de l'industrie et à ceux des Flandres en particulier, voudra bien prendre ces observations en mûre considération.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.
M. de Haerne. - Pour ce qui regarde le crédit en discussion, je dirai que dans le rapport qui nous a été fait par l'honorable M. Kint de Nayer, il y a plusieurs observations qui m'ont paru extrêmement sensées et auxquelles je dois applaudir.
L'honorable membre a fait voir en premier lieu que nous attendons du gouvernement l'exposé d'un plan général pour subvenir aux besoins des Flandres. Je me rallie, à cet égard, aux observations de l'honorable rapporteur.
Nous ne pouvons énoncer ici toutes les mesures à prendre dans l'intérêt des Flandres. Il y aurait sur ce point bien des choses à dire, mais ce serait abuser de vos moments que de traiter ces questions actuellement. Cependant, je ne puis négliger ce qui a trait à la concurrence.
L'honorable rapporteur a dit que dans les travaux à exécuter dans les Flandres, on devait surtout tâcher de ne pas créer une concurrence ruineuse pour l'industrie libre et non protégée.
Je partage cet avis. Je crois que cette concurrence doit être évitée, et je pense qu'on peut le faire. Je ne puis m'étendre sur cette idée, pas plus que sur celles relatives à l'agriculture, au sujet de laquelle il y a aussi beaucoup à dire dans la question des Flandres qui préoccupe tout le pays. Je craindrais que cela ne me conduisît trop loin ; je dois me borner, pour le moment, à en faire mention, afin que le gouvernement ne perde pas de vue ces grands intérêts.
Mais j'insiste surtout sur un point, et je terminerai par les observations que j'ai cru devoir soumettre à la chambre. C'est l'organisation du travail, non seulement pour l'ancienne et pour la nouvelle industrie, non seulement pour le filage et le tissage, mais même pour les industries nouvelles qu'on pourrait introduire dans le pays.
Des fonds ont été donnés précédemment ; ils ont été employés plus ou moins utilement ; je ne dis pas que l'emploi en ait toujours été bon ; je l'ai parfois moi-même critiqué. J'ai critiqué surtout l'administration précédente d'être arrivée souvent trop tard avec des subsides pour les pauvres ouvriers des Flandres.
Dans l'arrondissement de Courtray, je compte qu'un dixième des fonds alloués pour l'industrie linière a été consacré au filage, les 9/10 restant ont servi à perfectionner le tissage, à propager la navette volante dont l'utilité se rapporte à la nouvelle industrie linière aussi bien qu'à l'ancienne.
Je répondrai encore aux objections présentées par mes honorables adversaires en leur disant que le tissage est en général arriéré, et que malgré les subsides qui oui été distribués, on a maintenu presque partout la navette à la main. La navette volante est très peu répandue ; or, vous savez qu'elle économise un bon tiers de travail. Si nous pouvions multiplier ainsi le travail, nous concourrions plus facilement avec l'étranger. C'est un grand point ; les subsides du gouvernement qui jusqu'ici ont été insuffisants pour atteindre le but, ne peuvent être employés plus utilement. L'introduction de cette méthode accélérée doit amener une révolution dans le tissage.
Jusqu'ici on n'a pas établi, à beaucoup près, assez de métiers à la navette volante. Dans l'arrondissement que je représente, qui est celui où le comité a pris l'initiative, il y en a été placé sept cents par les soins de ce même comité, auxquels toutes les autorités supérieures ont constamment adressé les éloges les plus flatteurs. Mais sept cents, sur sept à huit mille métiers qu'on compte dans l'arrondissement, ne peuvent pas faire sensation. Les tisserands qui ont ces métiers perfectionnés, et qui peuvent se procurer la matière première, en profitent ; ceux-là sont heureux, gagnent leur vie ; mais les prix des toiles ne peuvent fléchir parce que cela ne peut influer sur la fabrication générale du pays.
J'appelle donc toute l'attention du gouvernement sur la nécessité de répandre la navette volante et sur l'organisation du travail dans les Flandres. Je le prie de favoriser toutes les industries les plus avantageuses, les plus lucratives et surtout les industries nouvelles. Je citerai notamment l'industrie des soies à coudre, introduite dans certaines localités et en particulier dans l'arrondissement de Courtray. C'est une industrie nouvelle que le gouvernement peut encourager par une mesure de douane que j'ai sollicitée déjà plusieurs fois dans cette enceinte et qui a été recommandée dernièrement au ministère par le Journal des Flandres.
Cette mesure a été proposée à la dernière session, par l'honorable M. Dechamps, mais n'a pu être votée. Elle se rattache à un arrêté qu'il s'agit de convertir en loi. Elle établit une protection de 5 à 6 pour cent, et contribuerait efficacement à répandre cette industrie nouvelle dans nos provinces.
J'appelle l'attention du gouvernement sur cette mesure et sur l'organisation du travail en général, non seulement pour l'ancienne et la nouvelle industrie linière, mais pour toutes les industries qu'on pourrait introduire ou développer dans les Flandres. J'espère que M. le ministre de l'intérieur voudra bien faire tout ce qui est en son pouvoir pour organiser le travail sur le meilleur pied possible. J'ai la conviction que c'est par le travail industriel qu'on pourra venir le plus promptement et le plus efficacement au secours des Flandres. Les mesures agricoles sont très utiles, sans doute ; mais je crains qu'elles ne puissent pas s'exécuter avec toute la célérité qu'exigent les circonstances.
(page 207) M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - La question des Flandres est une de celles qui doivent se présenter souvent dans cette enceinte. Aujourd'hui, un premier et grand résultat me semble obtenu pour les Flandres : c'est que la question, de locale qu'elle avait été pendant assez longtemps, s'élève au rang de question générale, de question nationale. C'est un premier résultat qui ne peut produire que d'heureux fruits pour les Flandres. C'est aussi, au point de vue de la nationalité, un fait qui mérite de fixer notre attention. Lorsque dans un pays, sur un point quelconque, il y a une souffrance, et que, comme par une impression électrique, cette souffrance se fait sentir dans la nation entière, alors on forme un corps de nation ; on cesse de vivre à l’état de provinces isolées ; l'on vit d'une vie commune, l'on souffre d'une même souffrance ; on mérite de s'appeler nation.
Messieurs, le projet de loi qui vous est soumis n'apporte pas ce remède héroïque, radical, instantané que l'on demande au gouvernement pour les Flandres. Le gouvernement, par ce projet de loi, vous demande simplement les moyens de pourvoir aux besoins les plus pressants, aux besoins qui exigent une satisfaction immédiate, en un mot, aux besoins de la faim. Les circonstances toutefois, au point de vue des denrées alimentaires, sont devenues beaucoup meilleures, on ne peut le nier. Les denrées sont plus abondantes ; elles sont à meilleur compte, et dans l'ordre des secours qui ont été distribués, nous ne sommes pas tenus à faire autant en 1848, qu'en 1846 et en 1847.
Voilà pourquoi, messieurs, nous avons réduit la demande de crédit, qui d'abord avait été de deux millions, puis de 1,500,000 francs, auxquels on avait ajouté 300,000 francs pour distribution de pommes de terre ; voilà pourquoi nous avons cru pouvoir réduire cette demande à 500,000 francs. Nous ne sommes pas certains que ce premier crédit sera, suffisant ; mais nous tâcherons de réduire les dépenses du genre de celles qu'il s'agit de faire, au strict nécessaire
Nous savons, messieurs, tout le danger qu'il peut y avoir pour le pays à inscrire dans son budget un chiffre destiné aux aumônes. Nous ne voulons pas perpétuer le paupérisme par la loi. Les lois que nous vous présenterons, les mesures qui seront prises, auront toujours pour but principal de combattre le paupérisme. Même, dans la distribution des 500,000fr., nous aurons égard surtout aux communes qui distribueront les secours, non pas en aumônes, mais en travail ; nous recommanderons avant tout le travail.
Messieurs, on est quelquefois exigeant vis-à-vis du gouvernement ; on lui demande bien des choses. Mais je ne sais si jamais dans aucune circonstance on a poussé les exigences aussi loin que dans la séance de ce jour.
Un de nos honorables amis a bien voulu demander tout simplement au ministère du génie.
Messieurs, nous apportons de la bonne volonté dans la direction des affaires ; nous apportons de bonnes intentions. Nous avons la résolution de mettre de l'énergie, de la persévérance, dans l'exécution des mesures dont l'utilité, dont l'efficacité nous aura été démontrée.
Voilà, messieurs, tout ce que nous pouvons apporter pour le service de la cause des Flandres. Quant à du génie, nous n'avons pas la prétention de le faire siéger au pouvoir ; nous laisserons, ainsi que notre honorable ami nous en a donné la perspective, nous laisserons à d'autres le soin de faire planer ce phénix dans les régions du pouvoir.
Un autre orateur ne nous a pas demandé précisément du génie. Mais il nous a sommé de produire immédiatement le plan général par lequel nous allons sauver les Flandres.
Messieurs, ici encore nous déclarons que nous n'avons pas apporté au pouvoir la prétention ridicule de sauver immédiatement les Flandres. Nous avons apporté au pouvoir l'intention de rechercher et d'appliquer tous les moyens de faire sortir les Flandres de l'état de décadence où elles sont tombées.
(page 208) Nous avons promis des efforts, des soins constants, assidus. Voilà ce que nous avons promis. Mais jamais nous ne nous sommes posés, et nos adversaires seuls ont imaginé que nous nous étions posés comme ayant immédiatement à appliquer aux Flandres des remèdes qui allaient les transformer en quelques mois, en quelques années, en un second Eldorado.
Restons, messieurs, dans la réalité ; restons dans la modération. Nous vous expliquerons successivement nos vues d'amélioration pour les Flandres. Nous serons aidés, dans la recherche des remèdes, non seulement par les lumières d'un comité dont les travaux nous ont déjà été fort utiles et devront encore grandement nous servir, nous serons aidés par les discussions parlementaires, par les avis de chacun de vous. Car ici, c'est la question de tout le monde, ce n'est pas une question de parti. Mais, pour le dire en passant, si nous pouvions obtenir des membres de cette chambre, pour certains détails pratiques qui ne sont pas précisément du ressort des discussions, qu'ils voulussent bien, au lieu de les communiquer à cette chambre, passer au ministère et s'entretenir avec nous de tous ces détails, je crois qu'alors leurs conseils ne seraient pas moins utiles, et prendraient, il faut le dire aussi, moins de temps à la chambre. Je n'entends pas cependant, par là, restreindre la liberté qu'a chacun de vous, d'apporter à cette tribune même son tribut de lumière ; seulement si, chaque fois que le mot : « question des Flandres » est prononcé ici, chacun arrivait avec son système, et tous ses développements, la partie utile de la discussion se trouverait en quelque sorte noyée dans cette foule de détails, et nous tomberions dans la confusion.
Messieurs, j'ai dit que j'exposerais les vues générales dont nous croyons en ce moment la mise en pratique possible et dont nous croyons pouvoir attendre des résultats efficaces. Au nombre des premiers moyens qui se présentent et dont nous entendons poursuivre l'exécution, je citerai les travaux publics, les travaux publics exécutés, messieurs, sur une grande échelle. Ces travaux se divisent en diverses catégories. Permettez-moi de les parcourir le plus rapidement possible.
Parmi les plus utiles je citerai les travaux qui se rattachent à la voirie vicinale. Par les travaux de la voirie vicinale nous avons l'avantage d'occuper les populations sur place, sans occasionner de ces déplacements coûteux qui font que lorsqu'un ouvrier est transporté à plusieurs lieues de son domicile, il peut bien trouver là le moyen de vivre quant à lui, mais le restant de sa famille est privé d'un salaire qu'il doit consacrer presque tout entier à son propre entretien.
Les travaux de la voirie vicinale aident ensuite puissamment à l'agriculture. Ce qu'il faut aux agriculteurs flamands comme aux industriels flamands des campagnes, c'est de les faire sortir de l'état d'isolement dans lequel ils sont encore, sur beaucoup de points, connue emprisonnés.
La voirie vicinale peut être de la plus grande utilité aussi bien pour le transport des produits que pour le transport des engrais. D'après des renseignements récents que m'a fournis le comité consultatif, que j'aurai souvent l'occasion de citer, auquel j'aurai souvent l'occasion d'emprunter des vues sages et pratiques, d'après des renseignements qu'il m'a fournis, il se trouve sur plusieurs points des Flandres des gisements de pierres siliceuses, de cailloux, des carrières mêmes dont les communes pourraient tirer parti pour transformer leurs chemins de terre enroules pavées, en chemins empierrés ou macadamisés.
Il y a encore, messieurs, quoique les Flandres soient bien partagées au point de vue de la voirie vicinale, il y a encore beaucoup de travaux très utiles à ce point de vue.
Une partie des secours à imputer sur le crédit de 500,000 fr. seront probablement consacrés à l'amélioration de la voirie vicinale. Nous avons, en outre, au budget de l'intérieur un crédit de 500,000 fr. pour cet objet. Ensuite, un crédit spécial sera demandé pour le perfectionnement de la voirie vicinale, non seulement dans les Flandres, mais dans tout le pays.
Parmi les travaux d'une deuxième catégorie, je citerai les travaux de canalisation, qui eux aussi peuvent être très utiles à l'agriculture pour l'écoulement de ses produits et le transport des engrais. Parmi les travaux de canalisation, déjà plusieurs sont en voie d'exécution ; d'autres sont indiqués comme pouvant être également très utiles, et aussitôt que la législature aura mis le gouvernement à même de faire face aux dépenses nouvelles qui doivent résulter de ces travaux, nous pourrons mettre la main à l'œuvre. Les plans sont faits ; les devis sont prêts ; l'argent seul manque, et dès que ce nerf des travaux publics aura été fourni au gouvernement par la législature, on pourra aussi, de ce côté, venir très efficacement en aide aux Flandres.
Beaucoup de travaux restent à faire sous le rapport de la canalisation, grande et petite. Outre l'achèvement du canal de Deynze à Schipdonck et à la mer, du canal de Zelzaete, des travaux du sud de Bruges, nous avons encore la dérivation de la Lys, le redressement du haut Escaut, le canal de Lichtervelde jusqu'au canal de Bruges ; nous avons la canalisation du Mandel, dans un pays qui a le plus grand besoin de voir ses bras occupés ; nous avons le canal de Stekene à Saint-Nicolas, le dévasement du Moervaert ; nous avons enfin le dévasement du port de Bruges. Pour tous ces travaux, il faudra nécessairement que des subsides soient accordés par la législature, mais pour tout ce qui est du ressort de l'administration, pour tous les travaux administratifs proprement dit, tout est prêt ou sera bientôt terminé.
Non seulement, messieurs, beaucoup de travaux hydrauliques doivent être exécutés dans les Flandres, mais il y en a également qui doivent se faire dans d'autres parties du pays et qui pourraient provoquer certains déplacements définitifs pour la population flamande. J'en citerai quelques-uns : les principaux sont la Meuse, le canal de la Campine vers Hasselt et l'autre canal de la Campine, celui d'Herenthals sur Anvers, canal qui doit donner lieu aussi à des travaux considérables, attendu qu'il se lie à l'établissement d'un troisième bassin devenu si nécessaire, devenu indispensable depuis l'accroissement du commerce d'Anvers.
Voilà, messieurs, de quoi occuper utilement beaucoup de populations, utilement pour elles et utilement pour le pays.
Nous avons, en outre, messieurs, dans l'ordre des travaux publics (et je m'expliquerai à cet égard ; il faut de la modération en toutes choses ; il ne faut point d'abus ; je n'entends pas transformer tous les tisserands flamands en terrassiers, ce serait pallier le mal et non pas le guérir). Nous avons, dans les Flandres, des chemins de fer concédés, et des chemins de fer nouveaux à construire. Parmi les chemins de fer concédés, il nous reste la section de Courtray à Poperinghe par Menin et Ypres.
Il nous reste une section également très importante, vu les contrées qu'elle doit traverser, c'est celle de Lichtervelde à Deynze par Thielt. Nous avons le chemin de fer de la Dendre, pour lequel un cautionnement a été déposé et qui doit encore être exécuté. Enfin, nous avons un chemin de fer que je considère comme étant d'une très haute utilité, non pas seulement au point de vue matériel, mais au point de vue moral et politique ; nous avons le chemin de fer direct de Gand à Bruxelles par Alost...
M. Delehaye. - Très bien !
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Oui, j'ai dit au point de vue moral et politique ; je crois qu'il importe fort au pays de rattacher par le plus de liens possibles les populations flamandes aux autres populations.......
Des membres. - C'est cela !
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je crois que ce qui fait en partie le mal des Flandres, c'est leur état d'isolement ; je crois que des relations beaucoup plus fréquentes, beaucoup plus faciles entre le centre du pays et les Flandres, auraient un très grand résultat politique et moral pour les populations flamandes...
M. Delehaye. - C'est très vrai !
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Vous avez, et nous avons quelquefois reproché à la capitale des Flandres, son isolement, l'espèce d'a parte qu'elle gardait dans le pays. Eh bien, je crois que nous ne devons pas repousser cette cité ; je crois que nous devons lui tendre, non pas seulement une main par Malines, mais deux mains, l'une par Malines et l'autre par Alost ; voilà l'influence que nous devons chercher à exercer sur une cité si intéressante et qui a joué un si grand rôle dans les destinées politiques du pays.
Je ne dis pas que tout ceci constitue pour les Flandres, le remède héroïque, radical, qui doit les sauver ; je dis que, comme moyens transitoires, à effets permanents, je considère les travaux publics comme étant les mesures les plus utiles à prendre immédiatement. J'ai ajouté qu'il fallait, même dans les choses les plus utiles, mettre de la réserve, de la modération et qu'il ne faudrait pas tomber dans l'inconvénient de transformer tous nos tisserands flamands en simples ouvriers terrassiers. Je ne veux donc pas occuper tous les ouvriers des Flandres aux travaux publics ; je veux seulement soustraire une partie de la population à l'inertie dans laquelle elle croupit, lui donner un moyen de vivre dans une occupation salariée. Il restera encore assez de bras dans les Flandres pour les travaux autres que les travaux publics, et c'est de ces travaux que je me permettrai d'occuper la chambre, si l'on veut bien encore me prêter un moment d'attention.
De toutes parts. - Oui ! Oui !
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, à mon avis, pour traiter avec quelque chance de succès la maladie qui travaille les Flandres, pour arriver à une guérison, non pas immédiate, mais que le temps, les soins doivent amener, il faut étudier et prendre les Flandres telles qu'elles sont, et les traiter à raison du leurs habitudes, des conditions dans lesquelles elles se trouvent.
Eh bien, quel spectacle nous offrent aujourd'hui les Flandres ? Qu'est-ce que le pays des Flandres ? C'est un pays à la fois industriel, agricole et maritime. Beaucoup de contrées envieraient aux Flandres ces magnifiques conditions d'existence : les Flandres ont une agriculture portée à un très haut degré de progrès ; elles ont une industrie d'un vieux renom et qui, à bien la prendre, est encore pleine de sève ; elles ont enfin la mer ; la mer ouverte à tout le monde, la mer dans laquelle une masse de populations trouvent ailleurs une existence prospère. Voilà dans quelles conditions se trouvent les Flandres.
Eh bien, je crois qu'il faut envisager les Flandres sous ce triple aspect, et tâcher de leur venir en aide dans l'ordre industriel, agricole, maritime et commercial.
Dans l'ordre industriel, de quel mal souffrent les Flandres ? On vous l'a dit, messieurs : le mal des Flandres, dans l'ordre industriel, c'est de s'occuper presque exclusivement d'une seule espèce de produits ; d'appliquer à ce produit des procédés qui ont vieilli, de ne pas fournir à la (page 209) consommation extérieure les produits que cette consommation désire. Le mal, dans les Flandres, est que trop de monde s'occupe à la fois de faire la même chose.
Eh bien, où est le remède ? Le remède est de tâcher d'amener les populations des Flandres à faire des produits plus voulus des consommateurs ; à substituer aux procédés vieillis des procédés nouveaux, à soulager ces produits mêmes de la concurrence qu'ils se font entre eux ;
Par exemple, de produire moins de toiles de la même espèce, de la même qualité, d'étendre l'industrie linière elle-même ; au lieu de fabriquer, de tisser une seule espèce de toiles, il faut exercer l'industrie linière depuis le haut de l'échelle, c'est-à-dire la batiste, jusqu'au plus bas de l'échelle, jusqu'aux tissus les plus grossiers, les plus communs, jusqu'aux toiles d'emballage. Dans cette échelle, il y a d'immenses progrès à faire ; pour la batiste, je suis d'accord avec l'honorable M. de Haerne : ici l'ancien procédé du fil à la main peut être conservé fort utilement.
La batiste fait vivre plusieurs arrondissements en France. Je passe au bas de l'échelle, aux tissus grossiers, aux toiles d'emballage. J'avais naguère occasion de m'entretenir avec M. le chargé d'affaires des Etats-Unis ; il s'étonnait que notre pays ne fournît pas de toile d'emballage au sien, alors que pour le transport des colons on en consomme pour une vingtaine de millions par an, il se demandait comment il se faisait que la Belgique ne participait pas à cette fourniture aussi bien que l'Angleterre et les Etats du nord de l'Europe.
Un membre. - Nous manquons d'étoupes.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Toutes nos étoupes ne sortent pas du pays. Voilà un fait qui doit fixer l'attention de ceux qui s'occupent de ces questions. Déjà je m'en suis occupé, et je fais étudier ce genre de fabrication.
Maintenant, messieurs, suffit-il que la Flandre s'occupe seulement de tissus liniers ? Je crois que là doit toujours être la base principale de l'industrie des Flandres, attendu qu'elle trouve la matière première chez elles, dans le lin. Mais il y a d'autres tissus que les tissus de lin qu'on peut y fabriquer ; il y a les tissus de laine, ceux du coton, les tissus mélangés de toute espèce ; c'est en s'adonnant à cette fabrication des tissus mélangés, que d'autres localités ont pu se soustraire à la concurrence que se font les Flandres elles-mêmes. Je citerai le district de Saint-Nicolas qui pourrait servir de modèle pour sa richesse agricole, industrielle et commerciale. Si nous pouvions transformer tous nos districts des Flandres en autant de districts de Saint-Nicolas, nous aurions résolu le problème, ou du moins nous approcherions très près du but. Dans ce district on cultive le lin, mais on y cultive aussi le chanvre, qui fournit la matière première à l'industrie des cordes ; on n'y fait pas seulement de la toile, on y fait aussi des étoffes mélangées de toute espèce. En outre, le pays de Waes, au point de vue de la culture, est un des plus avancés du monde.
Quand j'ai parlé des tissus, j'entendais des tissus de toute espèce, j'y comprenais même les tissus de soie, car je crois que la soierie dans une certaine mesure peut devenir, surtout pour les femmes, une occupation fort utile. Je ne parle pas des tissus de paille, je crois cependant qu'il y a encore là une occupation utile à donner aux populations flamandes.
Avec la sollicitude du gouvernement, aidée de la sollicitude des particuliers, car le gouvernement ne doit pas, ne peut pas, ne veut pas tout faire seul, on peut apporter des améliorations sensibles dans plusieurs districts des Flandres aujourd'hui signalés comme les plus souffrants. Cet espoir, je le nourris ; si le gouvernement et les chambres s'occupent sérieusement de chercher des remèdes aux maux des Flandres, on les trouvera. Je suis bien éloigné de vouloir abandonner les localités à leur isolement ; il faut qu'on les remue, qu'on les travaille, que chacun y mette du sien, de la bonne volonté et au besoin une part de ses revenus.
Je ne m'attendais pas à entrer dans d'aussi longs développements ; je ne suis pourtant pas arrivé à la fin de ma tâche ; il y a encore beaucoup à faire pour les Flandres par l'agriculture et par le commerce. Je tâcherai d'abréger l'exposé que j'ai à vous présenter.
Un grand nombre de voix. - Non ! non ! continuez !
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Nous avons dit qu'il fallait examiner les Flandres au point de vue industriel, agricole et maritime. Au point de vue agricole, que trouvons-nous ? Des propriétés très divisées et la culture principale d'un produit qui a cet immense avantage de ne pas se consommer et disparaître immédiatement après sa maturité, comme la plupart des fruits de la terre ; on y trouve la culture du lin, dont la grande utilité commence en quelque sorte, quant au travail. A une époque où l'utilité des autres fruits de la terre a disparu. Ce n'est pas assez que le lin en herbe ait rapporté au cultivateur le prix de sa culture, c'est dans toute l'élaboration à laquelle est soumis ce produit précieux que le cultivateur trouve de nouvelles ressources. Lorsqu'un pays est en possession d'un pareil produit, loin de chercher à le restreindre on doit faire tous ses efforts pour en étendre la culture. Sous ce rapport, je ne pourrais pas partager l'opinion de ceux qui ont voulu chercher un remède aux maux des Flandres dans la prohibition de la sortie des lins. Si nous voulons que la culture du lin augmente, il faut le laisser sortir librement ; plus il en sortira, plus on en produira, plus on en vendra et plus nous en perfectionnerons la culture. Je considère la culture du lin comme une des principales ressources des Flandres au point de vue agricole ; tous nos efforts tendront à encourager cette culture.
En ce qui concerne la garantie qu'on doit offrir au cultivateur contre la fraude dans les graines, des mesures ont été prises et s'il y a dans l'exécution de ces mesures quelques obstacles à faire disparaître, mon collègue des finances et moi forons cesser ces difficultés.
M. de Haerne. - Très bien.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Il y a un secours qui manque au cultivateur, non pas seulement dans les Flandres, mais dans tout le pays et dans presque tous les pays de l'Europe, si ce n'est dans quelques contrées de l'Allemagne et de l'Ecosse.
Ce qui manque au cultivateur flamand, ce qui jusqu'ici est resté, en quelque sorte, chose aristocratique, c'est le crédit. Le cultivateur flamand, s'il pouvait garder son lin, au moment où il est prêt à être coupé ; s'il n'était pas souvent forcé de le vendre immédiatement pour en réaliser le prix, s'il pouvait le conserver comme matière première d'une industrie, sur laquelle lui et sa famille pourraient opérer un grand nombre de manipulations successives, de ce côté ce serait déjà un grand bienfait. L'établissement du crédit agricole, que j'ai appelé, dans une autre circonstance, un autre mode de circulation vicinale, serait, je ne crains pas de le répéter, un des plus grands bienfaits que l'on pût procurer à la population des campagnes. On sait que, pour les campagnards, ce qu'il y a de plus difficile à trouver, c'est de l'argent. Le crédit est pour ainsi dire inaccessible à la plupart d'entre eux. Il faudrait que l'action bienveillante du gouvernement pût amener soit directement, soit indirectement, l'introduction dans les campagnes de cet immense bienfait du crédit.
C'est par l'établissement de petites banques, de banques agricoles que l'Ecosse a pu arriver au degré de prospérité où elle est aujourd'hui, et se tenir à l'abri des sinistres qui ont éclaté sur les autres points de la Grande-Bretagne. Nous ferons de cette question du crédit agricole l'objet de nos études. Nous considérerions comme un des plus beaux actes de la législature, la fondation de banques agricoles destiné à venir en aide aux cultivateurs laborieux, honnêtes, qui ont des ressources, mais qui ne trouvent pas aujourd'hui de crédit.
J'ai dit que les Flandres étaient un pays de petites cultures, de petites propriétés ; ne pourrait-on pas, profitant de l'aptitude agricole des Flandres, encourager, diversifier davantage dans ces provinces la petite culture. En agriculture rien n'est à dédaigner : tels petits produits qui, pris isolément, peuvent paraître avoir un côté ridicule, prennent de telles proportions par la consommation, par la richesse qu'ils amènent dans un pays, qu'on cesse bientôt de les regarder comme ridicules. Je n'hésite donc pas à appeler l'attention de la chambre sur ces objets qui, aux yeux des esprits frivoles, peuvent paraître des niaiseries. (Dénégations.) En agriculture, rien n'est petit, tout devient important. Si on engageait le cultivateur flamand à s'occuper davantage de la culture du jardinage, nous apporterions ainsi dans les Flandres une nouvelle source de production, une nouvelle source de prospérité. Ce qui manque aux produits du jardinage, ce sont les débouchés ; c'est l'éloignement, où sont ces produits du consommateur, qui les déprécie.
C'est ainsi que toutes les cultures, qui avoisinent les grandes villes, sont sûres de trouver des débouchés pour leurs produits, que ces cultures ont une valeur immense, comparées à la valeur des terres qui se trouvent dans un plus grand éloignement des centres de consommation. Voyez autour de Paris ce que sont la plupart des terres cultivées par les jardiniers ; voyez autour de Bruxelles ; comparez la valeur d'un hectare qui est à vingt lieues de Bruxelles, le sol fût-il meilleur. Eh bien, nous pourrions pousser les cultivateurs flamands à la culture des produits dits de jardinage ; ce qu'il leur faudrait ensuite, ce serait des débouchés, mais ce serait déjà beaucoup que de transformer jusqu'à un certain point la culture d'un certain nombre d'hectares.
Et, quant aux débouchés, messieurs, je rappelle que Paris absorbe à lui seul des quantités immenses de produits de toute espèce, venant non pas d'un quart de lieue, mais de 20 et 30 lieues, arrivant non pas au bât d'un âne, mais en poste. Le laitage qui vient tous les matins nourrir Paris, arrive en poste de 30 et 40 lieues à la ronde, au moins il y arrivait ainsi avant l'invention des chemins de fer. Nous pouvons, par un bon système de communications intérieures, en multipliant nos voies de communication, nous pouvons rapprocher les producteurs flamands des consommateurs, et, sous ce rapport, nous ne pouvons jamais faire trop de voies de communication dans les Flandres.
Bruxelles, par l'extension qu'il prend annuellement et qui peut s'augmenter beaucoup par un meilleur système d'octroi, remède que j'aperçois encore dans le lointain pour les Flandres, je ne dis pas suppression, mais correction, correction profonde des octrois municipaux ; Bruxelles peut devenir un grand débouché pour ces sortes de produits.
Gand, qui, je l'espère, continuera de prospérer, Gand, rapproché aussi de ces centres de production, peut devenir un précieux débouché.
Enfin, messieurs, j'ai cité déjà un autre centre de consommation qui, à lui seul, pourrait absorber tout ce que les Flandres produiraient. Je veux parler de l'Angleterre. Un système de communications rapides, fréquent, journalier, économique entre les Flandres et l'Angleterre, pourrait singulièrement aider nos populations flamandes, les encourager à produire dans leurs petits champs, une masse de légumes, de fruits, de fleurs, sans parler des volailles, des œufs qui trouveraient dans l'Angleterre une bouche toujours ouverte et des prix toujours élevés.
(page 210) Je vous prie, messieurs, de ne pas isoler les moyens que j'indique et de vouloir les envisager dans leur ensemble. Je serais désolé que l'on pût en quelque sorte y trouver une occasion de rire.
De toutes parts. - Non ! non !
M. Rodenbach. - C'est trop sérieux ! On ne peut pas en rire.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Les Flandres sont cultivées depuis fort longtemps ; elles jouissent dans le monde d'une haute réputation ; elles ont fourni aux autres pays les perfectionnements avec lesquels l'agriculture étrangère fait concurrence aux Flandres. Beaucoup d'instruments et de procédés agricoles portent encore en Angleterre et en France des dénominations flamandes. Cependant, le croirait-on ? les Flandres, toutes divisées qu'elles sont par la culture, toutes couvertes qu'elles sont, trop couvertes même, de population, elles offrent encore une masse de terrains incultes. Il y a dans les Flandres même, pour le défrichement, d'immenses travaux à exécuter, de l'ouvrage à donner à des milliers d'ouvriers pendant des années ; il y a des bruyères, des bois. Quant aux bruyères, déjà une loi utile, que nous devons au ministère de l'honorable M. de Theux, nous conduira à même de faire défricher tout ce qu'il sera au pouvoir du gouvernement d'entreprendre.
En fait de bois, le domaine est encore en possession d'un certain nombre d'hectares. Le gouvernement donnera l'exemple. Les particuliers, les communes possèdent beaucoup de bois qui pourraient être très utilement défrichés sans que la température s'en ressentît d'une manière défavorable pour les Flandres, et sans qu'il en résultât absence de moyens de chauffage ; car les Flandres offrent en général l'aspect d'un jardin anglais ; il n'est pas de champ pour ainsi dire qui ne soit entouré d'arbres.
Le gouvernement fera donc entreprendre le défrichement des bois de l'Etat ; les particuliers seront engagés à faire défricher les leurs. Déjà je puis annoncer que des propriétaires ont fait connaître au gouvernement leur intention de faire procéder au défrichement successif de certaines parties de leurs bois.
Pour arriver à ces résultats, messieurs, le gouvernement auquel on a toujours recours comme à une providence temporelle, comme à une providence actuelle, qui doit pourvoir aux besoins de tous et de chacun, le gouvernement à lui seul ne peut pas tout faire. Le rôle du gouvernement, c'est d'éclairer, c'est de donner l'impulsion, c'est de se montrer ce qu'on appelle animé de bonnes intentions, c'est de poser à coup sûr des actes efficaces.
Mais le gouvernement à lui seul serait impuissant ; il faut qu'il soit aidé activement, énergiquement par tous ses agents. Il faut que chaque agent de l'ordre administratif comprenne ses devoirs, aime à les remplir et soit toujours prêt à fournir des idées au gouvernement ou à exécuter celles qui lui sont communiquées. Sous ce rapport, je dois dire que le gouvernement se trouve secondé par la plupart de ses agents d'une manière tout à fait satisfaisante.
Mais l'action administrative ne suffit pas ; il faut l'action individuelle ; il faut l'initiative locale ; il faut que dans chaque commune on se fasse un point d'honneur, à qui viendra le mieux, le plus efficacement en aide à ses malheureux compatriotes. Il faut qu'on s'associe ; si l'association communale ne suffît pas, il faut que d'autres associations se forment et j'en viens ici à l'utilité des associations agricoles.
Messieurs, c'est un fait récent en Belgique, mais qui peut avoir les conséquences les plus utiles, que l'établissement d'associations agricoles. Dans un grand nombre de cantons déjà, dans les provinces wallonnes, les associations ont produit les meilleurs résultats. Par l'exposition qui a eu lieu à Bruxelles, l'existence de quelques-unes de ces associations nous ont été, pour ainsi dire, révélée. Ce n'est pas sans surprise, par exemple, que nous avons vu arriver de Thourout une masse de produits de toute espèce, qui étaient dus à l'existence d'une association qui déjà a rendu des services, et qui, si je dois en croire le zèle de ceux qui la dirigent, est appelée à rendre les plus grands services à cette partie des Flandres.
M. Rodenbach. - C'est très vrai.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Cette association de Thourout, messieurs, a fourni à l'exposition, des produits de toute nature, des instruments de toute espèce et j'avoue qu'un des souvenirs les plus agréables qui me soient restés de cette exposition, c'est tout ce que j'ai vu arriver du canton de Thourout.
Il serait fort utile que dans les Flandres on propageât ce genre d'association ; elles pourraient seconder efficacement le gouvernement, et les administrations locales.
Voyez, messieurs, ce qu'on a obtenu par le système des associations pour un produit qui, au premier aspect, paraît frivole, pour les fleurs. Voyez que de richesses, le mot n'est pas exagéré, que de millions ont été acquis à une partie du pays par la culture des fleurs bien dirigée. Ce que les associations ont obtenu pour les fleurs, et ce qu'elles obtiennent chaque année, pourquoi ne pourrait-on l'obtenir pour les fruits, pour les légumes et pour toutes ces cultures dont je ne veux pas citer les détails, pour les cultures maraîchères, en un mot, qui pourraient devenir pour nos cultivateurs, je le répète, des sources incessantes de revenus.
J'ai parlé, messieurs, de la situation agricole. J'ai fait voir comment l’industrie agricole, sagement dirigée, transformée dans une certaine mesure, pourrait aussi venir en aide aux Flandres. Maintenant, je suis amené à parler aussi des avantages que les Flandres pourraient trouver dans leur situation maritime. Ne l'oublions pas, messieurs, la Belgique touche à la mer par une grande étendue de côtes. Eh bien, quel spectacle nous offrent aujourd'hui ces côtes autrefois si prospères ! Cette côte de la Flandre occidentale, à part la ville d'Ostende, qui s'alimente par la pêche et par les baigneurs, cette côte est morte. D'autres villes n'y conservent plus que les souvenir et les vestiges de leur ancienne splendeur. N’y a-t-il pas quelqu'une de ces villes à réveiller ? Sera-t-il dit que la population mourra en quelque sorte de faim, alors qu'elle a en elle-même tant de ressources, et devant elle un champ ouvert à tout le monde, qui offre des richesses à ceux qui ont le courage d'aller les chercher, la mer ?
Je crois qu'au point de vue maritime, il y a beaucoup à faire pour les populations flamandes. Il faut encourager les Flamands à aller vers la mer. Ils n'y vont pas assez. Lorsque vous visitez la plupart des bâtiments nationaux, qu'y trouvez-vous ? Des marins hollandais, danois, dunkerquois, etc., mais presqu'aucun marin belge. Je ne parle pas des capitaines ; vous voyez chaque jour par le grand nombre de demandes en naturalisation, combien peu la Belgique offre d'hommes de mer, alors cependant qu'elle a de si grandes ressources maritimes. Je crois, messieurs (et ceci est nécessairement l'œuvre du temps), je crois que le gouvernement doit songer sérieusement à développer plus qu'il ne l’est, l'esprit maritime dans les Flandres. Sous ce rapport encore nous avons projeté une mesure, et d'ici à peu de temps nous pourrons, j'espère, la réaliser, c'est l'établissement d'une école de mousses dans l'une de nos villes de la Flandre occidentale. Ce serait une première mesure dans l'ordre maritime. (Interruption). Il est bien entendu qu'il s'agit de la marine qui trouve sa principale ressource dans la pêche et le cabotage.
Maintenant il ne suffit pas, messieurs, pour les Flandres, de produire ; il faut que ses produits trouvent des débouchés. Ici j'arrive à la question de la société d'exportation. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais je pense que le couronnement des diverses mesures qui vont être prises pour les Flandres, sera l'établissement d'une société temporaire qui pourra aider les producteurs à rencontrer mieux qu'ils ne le font maintenant, le goût et par conséquent la bourse des consommateurs étrangers. Nous ne négligeons rien pour que cette question arrive suffisamment étudiée à la chambre. Des mesures partielles dans cet ordre d'idées ont été prises par nous, mais je ne pense pas que le moment soit venu de les livrer aux discussions de cette chambre.
Après avoir envisagé les Flandres au point de vue actuel, au point de vue en quelque sorte, de la charité, des besoins les plus pressants et des moyens immédiats qui vous sont demandés pour venir en aide à ces besoins, j'ai envisagé la situation au point de vue industriel, agricole, maritime et commercial. Il me reste à l'envisager au point de vue de la population. Cette population est trop agglomérée sur certains points ; il faut chercher à opérer des déplacements, à amener une autre répartition ; non pas que je veuille pousser en dehors du pays tout ce qu'il y a de plus énergique dans la population flamande pour ne garder que les vieillards, les infirmes et les enfants ; non, messieurs, je ne pousserai pas à ce système d'émigration, qui appauvrirait le pays de ses forces vitales ; je crois qu'il faut mettre de la mesure dans le système de l'émigration à l'étranger.
Il y a sans doute là un premier remède, et je disais qu'il devait être appliqué avec une certaine réserve ; mais outre l'émigration à l'étranger, il y a l'émigration dans d'autres parties du pays, et l'émigration dans l'intérieur de la Flandre elle-même ; c'est là une observation qui m'a été faite par le comité consultatif, et qui doit frapper, que certaines parties de la Flandre sont privées de population, tandis que dans d'autres parties la population est trop agglomérée.
Que faut-il faire ? Créer de nouveaux centres de population, et pour créer de nouveaux centres de population il faut, ce que l'on fait partout, il faut d'abord l'église et l'école. Voilà comment on procède aux Etats-Unis et comme nous entendons procéder en Belgique. Nous chercherons à établir de nouveaux centres de population dans les Flandres et dans d'autres parties du pays qui ont de l'analogie avec les Flandres, dans la Campine.
Messieurs, je ne dis pas que toutes les idées que j'émets dans cette enceinte peuvent être suivies de résultats immédiats, que toutes vont réussir suivant mes espérances ; mais je crois utile, puisque je suis engagé sur ce terrain, d'offrir à la chambre le résultat de mes premières méditations sur cette grave question qui vous préoccupe tous. Et, après tout, si nous faisions quelques tentatives inutiles en cherchant à créer de nouveaux centres de population, je ferai en sorte que les dépenses se renferment toujours dans de sages limites et que l'argent du trésor ne soit pas prodigué, j'en prends l'engagement.
Il y a, messieurs, un empêchement à l'émigration des populations flamande dans certaines autres parties du pays, et ce point est bien important à examiner. Les populations flamandes ne trouvent pas de débouchés pour leurs produits, mais, dans l'étal actuel des choses, il y a plus, les populations flamandes ne trouvent pas de débouchés pour elles-mêmes, et pourquoi, messieurs ?Parce que, je ne dirai pas leur religion, nous avons tous la même religion ; je ne dirai pas leurs mœurs, les mœurs sont à peu près les mêmes dans tous les pays, mais parce que leur langue les isole d'une partie de la population, de la même manière que les wallons, par leur langue, se trouvent isolés de la population flamande.
Si les Wallons ne trouvaient pas en eux-mêmes leurs ressources, sais s'acharnaient à ne faire qu'une seule chose, s'ils ne montraient pas peut-être plus d'énergie et décourage à améliorer leur sort, s'ils ne trouvaient (page 211) pas ensuite des occupations variées et utiles ; eh bien, ils se trouveraient l'égard des Flandres dans la même situation où sont les Flamands à l'égard du pays wallon. Il n'est pas nécessaire que le Wallon aille dans, les Flandres ; mais il faut que les Flamands aillent dans les contrées wallonnes où ils peuvent trouver du soulagement. Si les femmes et les filles flamandes connaissaient la langue qui se parle dans les. autres parties du pays, elles seraient beaucoup plus recherchées, pour le service domestique, à cause de leur renommée d'ordre et de propreté ; elles fourniraient ainsi aux familles wallonnes l'occasion de. faire apprendre à leurs enfants une langue que parle la moitié de la population ; et ce n'est pas un petit avantage pour les Wallons que de faire enseigner le flamand à leurs enfants.
Ce que je dis pour une partie de la population des Flandres, s'applique particulièrement aux populations ouvrières de cette contrée. Si ces populations pouvaient, par la langue, entrer en communauté avec les populations wallonnes, alors je dis que le débouché, qui manque aujourd'hui aux populations flamandes dans le pays même, s'agrandirait.
J'espère bien que ces observations ne vont pas être relevées dans cette enceinte comme une espèce de tendance dans le gouvernement à vouloir « walloniser » les Flandres. (Non ! non !) Plein de respect pour la langue maternelle des populations, je dis qu'au point de vue de l'utilité, il serait très désirable que la langue française fût plus répandue dans les Flandres ; que dans les Flandres mêmes on s'occupât plus de l'étude de la langue française. Dans une lettre que j'ai reçue hier d'un grand propriétaire, lequel m’a fourni l'observation que j'ai reproduite aujourd'hui, je lisais ce renseignement : qu'un inspecteur de l'instruction primaire dans les Flandres ne savait pas même la langue française ; c'est un fait que j'aurai à vérifier.
M. Lejeune. - Il y en a qui ne savent pas s'exprimer en flamand, et c'est un inconvénient.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - C'est un autre inconvénient, et je suppose que mon honorable interrupteur, quand il était en position de le faire, aura signalé cet inconvénient à qui de droit... Je dis donc que l'étude de la langue française doit être répandue dans les écoles primaires des communes flamandes.
Mais quand nous aurons fait tout cela, ou pour parler plus modestement, quand nous aurons tenté de réaliser une partie des idées que je viens de soumettre, et qui seraient encore très susceptibles d'extension, comme elles sont susceptibles aussi d'amendement et de correction ; quand le gouvernement aura pourvu, selon les exigences de ses devoirs, à la situation présente des populations malheureuses ; quand il sera bien démontré que tout ce qui était en son pouvoir a été fait, quel devoir lui restera-t-il à remplir ?
Et bien ; j'aborde sans détour ce dernier point. Si le pays, les chambres, le gouvernement font beaucoup pour les Flandres, il faut que les Flandres fassent beaucoup par elles-mêmes.
Des membres. - C'est cela !
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Si le pays s'impose des sacrifices pour venir en aide aux Flandres, il faut qu'on se montre rigoureux observateur des lois quant à la répression de la mendicité.
Un grand nombre de membres. - C'est cela !
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Quand nous aurons fait notre œuvre de bienfaisance, il faut que nous poursuivions l'œuvre de civilisation qu'on supprime qu'on éloigne autant que possible, la plaie du paupérisme dans notre pays. Mais avant d'en venir à l'exécution rigoureuse des lois sous ce rapport, il faut que nous ayons rempli nos devoirs ; ces devoirs, je ne les méconnais pas ; je suis pénétré de toute l'étendue de ceux qui m'incombent. Nous appelons à notre aide les lumières de tout le monde. Nous l'avons déjà dit, il n'y a pas de partis pour la question des Flandres ; il faudrait pour ainsi dire une sorte de concurrence entre nous à qui aurait les meilleurs intentions poserait les meilleurs actes, mettrait en avant les meilleurs idées, en faveur de nos frères des Flandres ! J'appelle donc ici à mon aide le concours de tout le monde.
Je le déclare, autant je me sens pénétré d'un sentiment de bienveillance profonde et même de pitié envers ces populations malheureuses, autant ces populations nous trouveraient sévères, si nous voyions la mendicité, le vagabondage se répandre dans le pays. L'aumône est sans doute un devoir bien doux à remplir, un devoir d'ailleurs impérieux pour beaucoup de consciences ; mais il faut que l'aumône, pour être utile, se fasse avec discernement, en vue du perfectionnement physique et moral de celui à qui elle s'adresse ; sous ce rapport, l'aumône, sans travail, doit être considéré par nous comme un mal ; et sous ce rapport encore, pour en revenir à mon point de départ, les 500,000 fr. que la chambre se dispose à voter, ne seront pas distribués en aumônes ; ils ne seront distribués en secours qu'autant que ces secours pourront s'appliquer à des travaux ; une aumône pourra bien être sans doute accordée à quelques individus, victimes d'infortunes particulières, ou accablés par les infirmités ou par l'âge ; mais la première condition de la répartition aux subsides sera celle-ci : «salaire d'un travail quelconque. »
(page 204) - La clôture de la discussion générale est prononcée.
On passe à la discussion des articles.
« Art. 1er. Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit de cinq cent mille francs (fr. 500,000), pour mesures relatives aux subsistances dans les Flandres et les cantons liniers du Brabant et du Hainaut, dont les communes se trouveraient dans les même conditions. »
M. le président. - Il y a ici l'amendement de M. Scheyven.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - La réclamation de la commune de Saint-Amand, réclamation dont l'honorable M. Scheyven s'est occupé, m'est connue ; elle m'a été adressée ; je crois que l'amendement de l'honorable membre est inutile.
Il est entendu que des secours sur ce fonds seront accordés à toutes les communes limitrophes des Flandres qui se trouvent dans une position analogue.
M. Scheyven. - D'après la déclaration de M. le ministre, je ne trouverais pas d'inconvénient à renoncer à mon amendement, si je ne craignais que la cour des comptes ne refusât son visa, aux imputations faites au profit d'une commune de la province d'Anvers.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Après la déclaration que je fais ici, un refus de la cour des comptes ne serait pas à craindre.
M. Scheyven. - Dans des cas semblables la cour des comptes a refusé le liquider. Si on n'avait pas mentionné les cantons du Hainaut et du Brabant, la mention de la province d'Anvers serait inutile, mais du moment qu'on indique les provinces dont les cantons pourront participer aux secours, il faut comprendre dans l'indication la province d'Anvers, si on veut que la commune de St-Amand dont M. le ministre de l'intérieur vient de reconnaître les droits, puisse obtenir quelque chose.
M. d’Elhoungne. - Je propose de substituer aux mots : « et dans les cantons liniers du Brabant et du Hainaut, » ceux-ci : « et dans les cantons des autres provinces qui se trouvent dans une position analogue ».
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je propose de dire : « et dans les cantons liniers des autres provinces, dont des communes se trouveraient dans les mêmes conditions. »
- Cet amendement est mis aux voix et adopté.
L'article ainsi amendé est également adopté.
« Art. 2. Ce crédit formera le chapitre XXIII (article unique) au budget du département de l'intérieur pour l'exercice 1847. »
- Adopté.
« Art. 3. Avant le 1er janvier 1849, il sera rendu un compte spécial de l'emploi du crédit mentionné ci-dessus. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet. Il est adopté à l'unanimité des 64 membres qui ont répondu à l'appel. Il sera transmis au sénat.
Ont répondu à l'appel : MM. Van Cutsem, Van Renynghe, Verhaegen, Veydt, Wallaert, Zoude, Anspach, Biebuyck, Bricourt, Bruneau, Cans, Castiau, Clep, d'Anethan, Dautrebande. David, de Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, de Clippele, Dedecker, de Denterghem, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Man d’Attenrode, de Meester, de Mérode, de Roo, Desaive, de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, Dolez, Eenens, Eloy de Burdinne, Fallon, Frère-Orban, Gilson, Huveners, Jonet, Lejeune, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Moreau, Orban, Orts, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Tielemans, T'Kint de Nayer, Troye, Van Cleemputte.
- La séance est levée à 5 heures.