(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 159) M. Troye fait l'appel nominal à 2 heures un quart.
M. T’Kint de Naeyer lit le procès-verbal delà séance précédente, dont la rédaction est approuvée.
M. Troye présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs marchands de liqueurs fortes et cabaretiers du canton de Tamise demandent l'abrogation de.la loi du 18 mars 1838, qui établit un impôt de consommation sur les boissons distillées.»
- Renvoi à la section centrale du budget des voies et moyens.
« La dame Briston, veuve du général Lecharlier, demande une pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les sieurs Dangonau et Canonne, vice-président et secrétaire de la commission des délégués des maîtres de poste prient la chambre d'allouer au budget des travaux publics un subside de 150,000 fr. en, faveur des relais de poste, et demandent la suppression de la contribution sur les chevaux de poste. »
M. de Garcia. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la section centrale du budget des travaux publics. Une proposition sur la matière dont il s'agit a déjà été faite l'an dernier ; elle était même signée par l'un des ministres. J'espère, dès lors, que cette année cette proposition a plus de chances de succès que l'année dernière.
M. le président. - On sait probablement qu'il existe un projet de loi signé par quelques membres de la chambre ; les, sections chargées de l’examiner nommeront des rapporteurs, et une section centrale sera constituée. Ne serait-il pas plus naturel de renvoyer la pétition à cette section centrale ?
M. Malou. - Messieurs, l'année dernière cette proposition n'a pas (page 160) été rejetée ; elle a été disjointe du budget pour faire l'objet d'un projet de loi spécial. Maintenant, si vous renvoyez la pétition à la section centrale du budget des travaux publics, c'est détruire le vote de l'année dernière. Il vaut mieux la renvoyer à la commission ou aux sections qui examineront la proposition spéciale dont il s'agit et auxquelles on pourra renvoyer toutes les pétitions relatives au même objet.
.- Je me rallie, messieurs, à la proposition de l'honorable M. Malou ; mais je demande que la commission fasse son rapport le plus tôt possible.
- La chambre décide que la pétition est renvoyée à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif aux maîtres de poste.
Par dépêche en date du 24 novembre M. le ministre de l’intérieur adresse à la chambre 110 exemplaires du catalogue de la bibliothèque de l'observatoire.
- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.
M. Zoude dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le budget des finances.
M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué A quel jour veut-on en fixer la discussion ? L'impression demandera deux jours.
Plusieurs membres. - A lundi.
M. le président. - On propose lundi. Je pense que le rapport pourra être distribué demain soir.
M. de Garcia. - Si le rapport pouvait être distribué demain soir, on pourrait, sans inconvénient, fixer la discussion à lundi, car nous aurions deux jours pour examiner le rapport ; mais si l'impression doit exiger deux jours, la distribution ne pourra guère avoir lieu que samedi et alors je pense qu'il faudrait reculer le jour de la discussion.
M. Zoude. - Sauf les annexes, qui demanderont un peu de temps, le rapport pourra être distribué demain soir.
M. Rodenbach. - D'après les observations faites par l'honorable député de Namur, je pense qu'on ferait peut-être bien de remettre la discussion à mardi.
- La chambre décide que la discussion aura lieu lundi.
M. Sigart. dépose divers rapports sur des demandes en naturalisation.
- Ces rapports seront imprimés et distribués.
M. le président. - Le bureau a complété quatre commissions. Dans la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'érection des communes de Pussemange et de Bagimont, M. Thyrion a été remplacé par M. Dautrebande. Dans la commission à laquelle a été renvoyé le projet de loi sur les vices rédhibitoires, MM. Thyrion et de Saegher ont été remplacés par MM. Dautrebande et d'Elhoungne.
Dans la commission chargée d'examiner le projet de loi relatif à la délimitation de la commune de Grapfontaine, M. d'Hoffschmidt a été remplacé par M. d'Huart.
Dans la commission qui examine le projet de loi sur le dépôt des étalons prototypes des poids et mesures, M. Dumortier a été remplacé par M. Gilson ; M. Duvivier, par M. Desaive ; M. Coghen, par M. Eenens.
(page 169) M. de Foere. - Messieurs, en prenant la parole dans la discussion du budget de la dette publique, mon intention n'est nullement d'entamer un débat publique. Je n'ai aucune sympathie pour ces sortes de débats.
Depuis 17 ans, je siège dans cette chambre ; jamais je n'ai pu apprécier les avantages qu'ont produits de semblables discussions pour le bien-être réel du pays.
Pour moi, les noms des ministres qui ont été et qui sont aujourd'hui au pouvoir m'intéressent fort peu ; je ne vois, moi, que le pays. Si les actes des ministres sont conformes aux véritables intérêts du pays, je donne mon assentiment à leurs propositions ; si, au contraire, ils font des propositions nuisibles au pays, je ne leur accorde pas l'appui de mon vote. C'est la raison pour laquelle je n'ai pris aucune part à la discussion de l'adresse. Ce document renfermait cependant, sous le rapport financier, un paragraphe qui méritait bien l'attention sérieuse de la chambre. J'ai ajourné cette discussion à une occasion plus favorable et plus calme. C'est cette occasion que je saisis en ce moment.
Le besoin de recourir à des ressources extraordinaires a été manifesté dans le discours du Trône. Si telle est la situation financière du pays qu'il faille recourir à des ressources extraordinaires pour couvrir les besoins ordinaires du pays, constatés et prévus, n'aurait-il pas été plus sensé de demander ces ressources à l'économie ? Déjà deux fois, nous avons éteint une partie de la dette flottante au moyen de l'emprunt. C'est là, messieurs, une énorme anomalie en fait de bonne administration financière.
C'est détruire le véritable caractère de la dette flottante, d'ailleurs si avantageuse sous tant de rapports ; c'est aller en sens inverse du but qu’on s’est proposé en la créant, et c'est encourager le gouvernement à multiplier les dépenses et à négliger les économies. En convertissant ainsi la dette flottante en dette consolidée, elle permet au gouvernement ainsi qu'aux chambres, de puiser, avec beaucoup de facilité, dans les fonds du trésor pour se livrer à des dépenses dont le besoin absolu n'est pas constaté.
La chambre comprendra que je n'entends pas parler de cette partie de la dette flottante qui est affectée à des travaux publics ; je parle uniquement de cette partie de la dette flottante qui est destinée à faciliter le service du trésor. C'est sous ce dernier rapport seulement que l'honneur de présenter mes observations à la chambre relativement à la manière de couvrir ou d'éteindre les émissions de la dette flottante.
En bonne administration financière, il est de règle que cette dernière partie de la dette flottante affectée au service ordinaire du trésor soit couverte par un excédant de revenus et non par l'emprunt. Or comment pourra-t-on atteindre ce moyeu d'amortissement, si on augmente constamment les dépenses, si on néglige les économies et si d'ailleurs il est extrêmement dur pour le pays et difficile pour tout e administration d'augmenter les impôts ou d'en créer de nouveaux.
Suis doute il faut à tout prix maintenir l'équilibre entre les dépenses et les revenus de l'Etat. J'ai toujours soutenu dans cette assemblée que cet équilibre n'est pas maintenu, qu'il est ouvertement rompu chaque fois que l'on doit recourir à l'emprunt pour amortir cette partie de la dette flottante qui a été émise pour faciliter le service ordinaire du trésor, ou chaque fois qu'on s'est trouvé obligé d'éteindre la dette flottante, en tout ou en partie, en la convertissant, au moyen de l'emprunt, en dette consolidée.
Alors bien certainement l'équilibre entre les dépenses et les revenus est loin d'avoir été maintenu.
Eu égard au degré d'importance qu'a atteint la dette flottante en 1847, et à l'accroissement progressif de nos dépenses, je crains qu'il ne faille recourir, une troisième fois, à l'emprunt pour éteindre cette dette en tout ou en partie. Dans cet état de choses, je prie la chambre d'apprécier sérieusement le résultat désastreux auquel une semblable direction, imprimée à nos affaires financières, doit nécessairement aboutir.
A quoi sert l'amortissement annuel de la dette consolidée, si la partie amortie vient à être remplacée par la consolidation de la dette flottante ? Sans doute la situation serait plus désastreuse si l'amortissement progressif de la dette publique n'avait pis lieu ; mais enfin il n'y a pas de résultat avantageux, lorsque la consolidation de cette partie de la dette flottante, qui n'est point affectée aux dépenses des travaux publics, remplace la partie de la dette consolidée qui a été éteinte par l'amortissement.
Que ceux qui sont constamment disposés à jeter l'esprit de parti dans nos discussions ne viennent pas nous objecter que c'est à tels ministères précédents, ou à tels autres, que cette situation financière est due. Je leur dirai d'avance que la faute en est aussi bien aux chambres auxquelles incombe la mission de contrôler les dépenses proposées et de les équilibrer avec les revenus. Afin de prévenir toute animosité sous ce rapport, je leur ferai observer qu'ils n'ont qu'à aller aux sources d’où sont émanées les dépenses les plus considérables dans lesquelles le pays a été entraîné et à consulter les votes qui les ont accordées.
En effet, qu'ils fassent le dénombrement des votes qui ont sanctionné la folle création de la navigation transatlantique, l'augmentation du traitement de l'ordre judiciaire et plusieurs autres, et, en fait de votes de partis, il se présentera à leurs yeux un véritable tableau de marqueterie. Il prouvera qu'un débat politique serait, sous ce rapport, complètement oiseux.
Dans l'état actuel de nos finances, alors que le ministère nous a manifesté le besoin de recourir à des ressources extraordinaires, j'ai été douloureusement affecté dans la séance d'hier, lorsque le budget des affaires étrangères a été voté à la presque unanimité.
Il m'a toujours paru que notre ménage diplomatique est monté sur un ton beaucoup trop dispendieux, soit que nous considérions le budget des affaires étrangères sous le rapport de nos ressources, soit sous celui du rang politique qu'occupe le pays, soit sous celui de ses besoins diplomatiques, soit enfin sous le rapport de l'influence que notre diplomatie peut exercer sur les destinées du pays ; j'en ai conclu que ce budget était susceptible d'économies considérables.
Malgré ce vote, je ne pense pas que la question d'économie dans nos dépenses, considérée dans tous ces rapports, soit perdue. Elle est trop belle, trop vitale pour les intérêts du pays pour qu'elle ne soit pas couronnée même d'un succès qui ne se fera pas attendre longtemps. Je suis d'autant fondé à l'espérer que, dans la discussion du budget des affaires étrangères, un honorable membre en a fait un sujet de gloriole pour son parti, gloriole que, pour ma part, je lui accorderai volontiers, s'il parvient, par ses efforts, à seconder et à faire réussir les nôtres.
Tout en restant dans la question de la dette publique, je dois des remerciements à la commission d'adresse. Elle a agi prudemment en ne répétait pus le paragraphe du discours du Trône par lequel le ministère nous a annoncé le besoin de ressources extraordinaires et en passant sous silence cette partie du même paragraphe où il était dit que « la Belgique pouvait d'autant plus facilement faire face à cette situation (c'est-à-dire à la création de ressources extraordinaires) qu'elle avait traversé la crise financière plus heureusement que ne l'avaient fait d'autres pays. »
J'ai beaucoup regretté cette déclaration inopportune du besoin que le pays éprouverait de recourir à des ressources extraordinaires. Dans l'acception usuelle de ces mots en matière de haute finance, ils désignent un emprunt. Or, s'il était même positivement constaté qu'un emprunt était nécessaire, quelle urgence y avait-il de venir manifester, par anticipation, ce besoin dans un discours du Trône ? Cette déclaration intempestive nuira beaucoup à notre crédit public.
En Angleterre, où on apprécie mieux les affaires relatives au crédit public, on a discuté, voté et contracté le dernier emprunt en huit ou dix jours de temps, et chacun sait combien la manifestation longtemps anticipée d'un emprunt a pesé lourdement sur le crédit publie de la France.
Il est possible que, par ressources extraordinaires, le ministère n’ait entendu qu'une augmentation d'impôts existants, ou la création de nouveaux ; mais encore, dans ce cas, est-il regrettable que ces mots aient été employés. Les discours du Trône sont publiés dans tous les journaux de l'Europe et même dans quelques feuilles des autres parties du monde, et il est difficile d'effacer, par des rectifications, les premières fausses impressions que les lecteurs auront reçues.
Le ministère s'est livré à une fausse appréciation de la situation financière du pays, lorsqu'il a fait proclamer du haut du Trône que la Belgique pouvait d'autant plus facilement faire face à des ressources extraordinaires, qu'elle avait traversé la crise financière plus heureusement que ne l'ont fait d'autres pays. Mais la Belgique n'a pas posé les faits qui ont produit cette crise dans d'autres pays. Elle n'avait pas spéculé d'une manière extravagante, sur les actions des chemins de fer, ni sur les subsistances alimentaires. Si la Belgique avait eu le malheur de s'engager dans ces folles spéculations, bien certainement elle aurait traversé la crise moins heureusement que ne l'ont fait d'autres pays. On était donc peu fondé à nous engager, par cette fausse comparaison, à recourir à des ressources extraordinaires, pour couvrir des dépenses extraordinaires.
Mais, si je remercie la commission d'adresse d'avoir tourné prudemment une partie de ce paragraphe di discours du Trône, et d'avoir étouffé une autre au moyen d'une prétérition adroite ; je regrette qu'elle n'ait point indiqué la ressource des économies pour couvrir les besoins constatés et prévus. Elle a répondu à ce paragraphe tout entier par des lieux communs.
Je dois aussi des remerciements au gouvernement pour avoir substitué un nouveau mode d'émission de la dette flottante à l'ancien. Vainement j'avais insisté, pendant douze à treize ans, sur cette mesure salutaire. On a enfin compris tous les avantages qui doivent résulter de ce nouveau mode d'émission des bons du trésor, avantages qui seront recueillis par le trésor public, par le capitaliste, par le commerce et par l'industrie.
Nos bons du trésor de l'ancienne émission prenaient le caractère de fonds publics. Ils n'entraient pas, ou peu, comme payements, dans les transactions journalières, et il a fallu les maintenir à un taux d'intérêt assez élevé pour leur trouver des preneurs. Les nouveaux auront aussi l'avantage de ne pas exposer, au même degré, le trésor public au danger de leur remboursement à des échéances fixes.
Afin d'activer la circulation des bons de la nouvelle émission, je conseille à l'honorable ministre des finances d’en émettre progressivement, (page 170) et dans une sage proportion, d'une importance inférieure à celle de 500 fr. Je pense que, sans aucun danger, il peut en créer d’une valeur de 250 fr. Le pays en recueillera de nombreux avantages.
(page 160) M. Mercier. - Messieurs, je ne puis partager complètement l'opinion que vient d'exprimer l'honorable M. de Foere, quant au changement apporté au mode d'émission des bons du trésor. La dette flottante peut se diviser en deux parties : la première partie doit faire face aux dépenses qui ont lieu avant que les recettes ne soient effectuées ; tel a été le but principal, sinon unique, de l'institution de notre dette flottante ; on espérait qu'on ne devrait pas y recourir pour couvrir des déficits. Si la dette flottante se réduisait à ce qui est nécessaire pour remplir cette première destination, celle de couvrir les dépenses qui se font avant le recouvrement des recettes prévues au budget, cette dette serait tout à fait insignifiante ; je crois qu'elle n'atteindrait guère que 3 à 4 millions dans les premiers mois de l'année seulement ; dans cette même hypothèse, on ne pourrait l'émettre qu'à très courts termes, puisqu'après le troisième mois les recettes sur les contributions directes, les seules qui restent en souffrance dans le commencement de l'année, viennent alimenter le trésor et le mettent à même de faire face à tous les besoins. Il est d'ailleurs à observer que s'il est des dépenses qui doivent être liquidées avant le recouvrement des impôts destinés à les couvrir, il en est d'autres qui se font assez longtemps après la rentrée de ces ressources. Je citerai pour exemple les dépenses qui sont relatives aux travaux publics, aux pensions, même à une grande partie des traitements, et enfin aux semestres de la dette publique. Il est très possible que si la dette flottante était restreinte à cette seule destination, il y aurait des années où le gouvernement n'userait aucunement de la faculté d'émettre des bons du trésor.
La deuxième partie de la dette flottante est celle qui doit couvrir une insuffisance réelle des ressources du trésor ; elle est essentiellement temporaire, et la chambre a toujours entendu qu'on saisirait la première occasion favorable pour la faire disparaître, soit par des économies si la chose était possible, soit en la consolidant. En général cette partie de la dette flottante n'a été émise que dans la prévision de la consolider plus tard. En effet, messieurs, chaque fois que l'on a décrété des travaux publics qui n'étaient pas d'une grande importance, mais dont la dépense ne pouvait néanmoins être couverte par les voies et moyens ordinaires, on n'a pu émettre en même temps des titres de la dette constituée ; on a donc eu recours à la dette flottante, et ce n'est que lorsque cette dette se fut accrue par différentes opérations semblables qu'on l'a consolidée.
Ainsi, messieurs, je le répète, la chambre a toujours entendu que la deuxième partie de la dette flottante, celle dont je viens de parler, ne serait que temporaire, et qu'on la ferait changer de nature aussitôt que les circonstances le permettraient ; toujours elle l'a envisagée comme un véritable danger. Il ne s'est jamais passé une discussion du budget de la dette publique ou du budget des voies et moyens sans que cette opinion fût émise sans contestation. Maintes fois on a représenté que, dans des circonstances extraordinaires, elle pouvait amener les plus grandes catastrophes. On a été plus loin ; beaucoup d'orateurs ont prétendu qu'il serait sage, non seulement d'éteindre entièrement cette dette flottante, mais même de créer une réserve. C'est un conseil qui n'a cessé d'être donné au gouvernement dans cette enceinte.
Messieurs, une disposition spéciale de la loi qui a établi la dette flottante porte expressément que les bons seront émis à échéance fixe. Certes on a eu un but, et un but très sérieux, en insérant cette disposition dans la loi ; alors déjà l'honorable M. de Foere avait exposé le système anglais, et M. le ministre des finances, l'honorable M. Duvivier lui-même était venu présenter à la chambre un long exposé dans lequel il avait fréquemment fait mention de ce système, qui permet de verser les bons du trésor en payement des contributions, après leur échéance. Eh bien, messieurs, à cette époque on n'a pas voulu de ce système, et depuis lors, en 1840, je me rappelle fort bien l'avoir examiné de nouveau, et après y avoir mûrement réfléchi, je n'ai pas cru non plus qu'il fût prudent de l'introduire chez nous.
La dette flottante n'est pas dangereuse dans les circonstances ordinaires, et si elle n'était pas à craindre dans des moments de crise que nous ne pouvons pas prévoir, elle serait la moins onéreuse, parce qu'on ne l'émet que jusqu'à concurrence des besoins du moment et que, le plus souvent, la place a un intérêt bien inférieur à celui de la dette consolidée. C'est donc seulement dans les temps difficiles, que la dette flottante présente de graves inconvénients ; et c'est pour ne pas être pris au dépourvu, qu'on a pensé qu'il était plus sage d'établir des échéances fixes dont on prolonge ou restreint les termes en raison des circonstances.
Maintenant, messieurs, il me semble que si la dette flottante était maintenue à un chiffre considérable, il y aurait un danger réel dans la faculté donnée aux porteurs de verser les obligations de la dette flottante en payement des contributions. On peut les verser pour les droits d'enregistrement, de succession, pour les droits de douanes et d'accises, pour les contributions directes et notamment pour la contribution foncière, qui présente des cotes très élevées.
Je ne puis donc, messieurs, approuver cette disposition sans réserve, comme l'a fait l'honorable M. de Foere, qui paraît avoir envisagé cette deuxième partie de la dette flottante comme une institution permanente, tandis que je la regarde, moi, comme essentiellement temporaire, comme une dette qu'on doit s'empresser de faire disparaître, aussitôt qu'on en trouve la possibilité.
Ainsi, messieurs, si la mesure a été prise pour faire face à des besoins actuels, dans un moment où il était peut-être difficile, à moins de conditions trop onéreuses, d'émettre des bons du trésor selon le mode usité, je ne la désapprouve pas ainsi limitée ; mais, comme mesure permanente, destinée à faciliter en tout temps l'émission de la dette flottante et pouvant amener peut-être la détermination de la maintenir à un chiffre élevé, sous ce point de vue, je ne saurais lui donner mon assentiment.
Je doute même que la disposition soit tout à fait légale, car nous avons une loi organique de la dette flottante, la loi du 16 février 1833, et l’article premier de cette loi porte que les bons sont à échéance fixe. Je sais bien que dans la forme les bons du trésor sont encore à échéance fixe selon le nouveau mode ; mais, au fond, il est évident qu'un bon qui peut être versé à toute époque en payement des contributions, alors qu'il a encore plusieurs mois à courir, n'est plus à échéance fixe que de nom. J'ai donc des doutes sérieux sur la parfaite légalité de cette disposition.
J'ai pensé qu'il était de mon devoir de soumettre ces observations à la chambre ; je ne les aurais probablement pas produites, si je n'avais entendu l'honorable M. de Foere approuver sans réserve les nouvelles dispositions qui ont été introduites dans l'émission des bons du trésor.
M. Malou. - Messieurs, la mesure qui a été prise pour le nouveau mode d'émission des bons du trésor a été adoptée après mûr examen de la loi que l'honorable M. Mercier vient de citer.
Je crois que la question de légalité ne peut pas faire doute un seul instant. La loi ne défend pas au gouvernement d'émettre des bons du trésor dont l'échéance fixe (d'après les termes du contrat qui intervient lorsqu'on prend un bon du trésor) peut être abrégée, si l'on juge convenable de verser, antérieurement à cette époque, les bons du trésor en payement des impôts.
Le gouvernement ne devait donc rencontrer aucun obstacle de légalité pour introduire ce nouveau mode d'émission de la dette flottante. La question d'utilité me paraît facile à apprécier. La dette flottante, dans un pays comme le nôtre, est, dans une certaine mesure, utile et même très utile en toute circonstance, et ce serait une grande erreur financière que de la consolider tout entière, si on le pouvait dès demain.
(page 161) Remarquez bien, messieurs, que dans notre organisation financière, il y a un vice que les efforts du gouvernement et des chambres doivent tendre à faire disparaître de plus en plus ; c'est que les fortunes nationales, les existences privées, comme les capitaux des établissements publics, ne sont pas assez étroitement liés à la fortune du pays ; et de là surtout vient la faiblesse relative de notre crédit. Or, la création, l'existence, le maintien permanent d'une certaine quotité de dette flottante est un des moyens les plus efficaces d'entretenir des relations entre le trésor et toutes les espèces de capitaux. C'est par ces relations, c'est en les rendant réciproquement avantageuses, c'est en ne les laissant jamais s'interrompre par la suppression d'une catégorie de rapports, de négociations, que vous pouvez fortifier le crédit public, pour traverser les temps difficiles. A ce point de vue, lors même qu'on pourrait aujourd'hui supprimer la dette flottante, il faudrait s'abstenir de le faire ; je crois même que si les circonstances devenaient telles qu'une réduction très considérable de l'intérêt de la dette flottante pût avoir lieu, il faudrait savoir se résigner, dans les temps prospères, à supporter une légère dépense pour les intérêts de la dette flottante, afin de ne pas éloigner, comme cela est arrivé malheureusement, cette clientèle dont on a besoin dans les temps moins favorables. Je diffère donc complètement d'opinion avec l'honorable préopinant et quant à la suppression de la dette flottante et quant au taux de l'intérêt.
La dette flottante peut sans doute être exagérée ; il peut être difficile au pays, dans un moment de crise, de la supporter. Mais c'est parce que la quotité de dette flottante que le pays peut supporter aisément, peut être notablement augmentée, que j'ai proposé d'introduire ce nouveau mode d'émission des bons du trésor. Voyons, pour nous éclairer, ce qui s'est passé récemment encore dans un pays voisin :
La France, avant l'emprunt qu'elle vient de contracter, avait une dette flottante d'au-delà de 600 millions ; le budget des voies et moyens de la France est de 12 à 13 cents millions ; vous voyez donc que la dette flottante était à peu près la moitié du budget des voies et moyens.
Cette dette se plaçait facilement ; et ici.je reviens à une des idées que je touchais tout à l'heure ; elle se plaçait facilement, parce qu'en France les départements, les communes, les établissements publics de tout ordre ont leur fortune étroitement, légalement, forcément, liée à celle de l'Etat. Elle se plaçait facilement encore, parce que, dans ce pays, la masse des capitaux flottants, momentanément sans emploi, venait combler la lacune que pouvait laisser dans la dette flottante la part que prenaient les établissements publics et les communes. Chez nous, au contraire, il faut bien le dire, à cause des grandes difficultés que présentait la participation aux bons du trésor, très peu de personnes en prenaient avant l'arrêté du 20 juin.
Aussi, qu'arrivait-il ? Lorsqu'une émission assez forte devait avoir lieu, le gouvernement était obligé de traiter directement soit avec les établissements de crédit dans le pays, soit plus souvent encore forcément avec les établissements situés à l'étranger.
Il fallait donc changer ce mode d'émission ; il fallait populariser la dette flottante en lui donnant la plus grande utilité ; il fallait appeler tous les capitaux momentanément sans emploi qui, à cause des difficultés de participer à cette portion de notre dette, prenaient une autre direction. C'est là le but que le gouvernement s'est proposé en prenant l'arrêté du 20 juin dernier, et ce but a été complètement atteint.
L'émission moyenne de la dette flottante, dans le cours de l'année dernière, était de 7 à 8 millions, et le renouvellement en était excessivement difficile ; la dette flottante, en émission aujourd'hui, doit être, je pense, d'environ 20 millions ; je crois que le renouvellement, depuis l'arrêté du 20 juin, se fait avec beaucoup plus de facilité qu'il ne se faisait l'année dernière, lorsque l'émission était seulement le tiers de ce qu'elle est aujourd'hui.
Maintenant, la dette est-elle disproportionnée aux ressources du pays ? Je vous indiquais tout à l'heure, messieurs, le chiffre de la France ; mais nous sommes encore bien loin de l'atteindre proportionnellement. Pour l'atteindre, il faudrait que notre dette flottante fût de 50 à 60 millions. Or, je crois, comme je viens de le dire, qu'il ne peut y avoir en ce moment que 20 millions d'émission réelle.
La question de légalité, d'après le texte de la loi de 1833, ne pouvait pas faire doute ; il en est de même, je pense, de la question d'utilité ; d'après les explications sommaires que je viens de soumettre à la chambre.
Il reste cependant une objection. On dit : Il y a un danger, lorsque la dette flottante est très considérable, à ce qu'on puisse verser immédiatement les bons du trésor en payement des impôts.
Messieurs, si la dette flottante avait une seule échéance, si le renouvellement en venait en jour fixe, l'objection serait très forte ; mais il faut bien se rendre compte de la manière dont les faits se passent. La dette flottante se renouvelle partiellement pour ainsi dire chaque jour, de sorte que le danger ne naîtrait qu'autant que le renouvellement viendrait à s'interrompre.
Or, en améliorant le mode d'émission, en acceptant la clientèle dont je parlais tout à l'heure, vous n'avez pas à craindre, si dans un moment de crise on verse au trésor quelques millions en payement des impôts, l'impossibilité ou de très grandes difficultés de renouvellement ; il vous suffira le plus souvent, si le renouvellement régulier ne fonctionne pas, d'élever quelque peu le taux de l'intérêt, ou d'accorder d'autres avantages aux preneurs, de sorte que, même dans les temps de crise, ce danger qu’on paraît redouter peut être facilement évité par un acte de gouvernement.
M. le ministre des finances (M. Veydt). - En prenant la parole, messieurs, mon intention est de rencontrer quelques-unes des observations qui ont été présentées par les trois honorables préopinants.
L'honorable M. de Foere et moi, nous sommes d'accord sur trois points. Il a dit d'abord qu'il était partisan, en principe, d'une dette flottante ; il a été d'avis qu'elle devrait toujours exister pour faciliter les opérations du service ordinaire du trésor. En effet, la facilité qu'elle procure a été jugée indispensable, à certaines époques de l'année, même dans les temps les plus prospères, en attendant la rentrée des impôts.
L'honorable M. Mercier a limité à trois ou quatre millions la somme nécessaire dans ce but ; suivant moi, autant que je puis l'apprécier, il faudrait dans tous les cas une somme double.
L'honorable M. de Foere disait, en second lieu, qu'il faut s'attacher à maintenir l'équilibre entre les dépenses et les revenus, c'est-à-dire l'équilibre des budgets. Déjà le ministère s'en est expliqué ; cette règle de conduite, il l'adopte ; tous ses efforts tendront à en assurer l'entier accomplissement.
Une troisième observation de l'honorable membre a porté sur la quotité du chiffre des bons du trésor ; il voudrait qu'on en émîit d'une somme moindre que 500 fr. D'après lui, l'on pourrait descendre jusqu'à 250 fr. Je pense qu'il n'y aurait aucun inconvénient à mettre dans la circulation des coupures de cent francs, qui attireraient les petits capitaux sans emploi.
La question m'a paru assez importante pour en faire l'objet d'un examen approfondi ; car en pareille matière, il est prudent de ne pas adopter avec trop d'empressement les choses même en apparence les plus utiles.
Il est un autre point, traité par l'honorable membre, sur lequel je ne suis plus d'accord avec lui. il nous reproche d'avoir annoncé dans le discours du Trône qu'il y aura lieu de recourir à des ressources extraordinaires. Quand nous serons plus avancés dans la discussion relative à la situation financière présente et future du pays, je pense que vous reconnaîtrez, messieurs, la nécessité de recourir à ces ressources extraordinaires, en d'autres mots, à un emprunt afin de rendre possible l'exécution des travaux commencés ou déjà prévus dans un avenir prochain, et à une augmentation d'impôt, comme conséquence nécessaire, pour couvrir les charges annuelles que tout nouvel emprunt ne peut manquer d'entraîner.
L'honorable M. Mercier ne s'est pas montré partisan de la dette flottante appliquée à autre chose qu'à faciliter le service ordinaire du trésor. Il a été principalement frappé des dangers auxquels le gouvernement est exposé dans des circonstances difficiles lorsque la dette flottante a pris trop d'extension. Ces embarras, ces dangers disparaîtraient, en partie, si l'opinion de l'honorable M. de Foere prévalait, c'est-à-dire si on créait des coupures de bons du trésor qui pénétreraient dans la population, ils finiraient probablement par se trouver dans les mains de tout le monde.
Ce seraient des billets de circulation portant intérêt, ce qui leur assurerait une grande faveur. Voilà un moyen de faire disparaître, ou du moins d'atténuer le danger des bons employés autrement que comme un moyen de trésorerie.
L'honorable M. Malou a été plus loin que les deux orateurs qui ont parlé avant lui ; il a défendu la dette flottante mise en pratique sur une large échelle ; il a cité l'exemple de la France, où cette dette a pris des proportions très considérables ; il a dit pourquoi elle n'y offrait pas d'inconvénients sérieux. En France, la fortune des établissements publics et des communes est liée à celle de l'Etat ; les caisses d'épargne ont tous leurs fonds placés en rentes ou en bons royaux.
Ces observations sont parfaitement justes ; l'honorable membre a cité un exemple qui mérite une sérieuse attention. Cependant je ne pense pas que nous puissions aller aussi loin que l'on a été en France, dans ces derniers temps surtout ; car il pourrait arriver des circonstances où l'on se trouverait embarrassé ; le remède indiqué par l'honorable M. Malou d'élever l'intérêt ne serait pas toujours efficace. Quoi qu'il en soit, je ne serais pas non plus bien effrayé d'une dette flottante, fût-elle, année commune, de 15 à 16 millions, surtout quand nous serons parvenus à la classer plus convenablement.
A l'occasion de la dette flottante, il m'a paru utile de présenter quelques considérations sur le chiffre des émissions de bons du trésor, qui a éprouvé successivement de si notables variations durant ces 10 années ; une année, il a été de sept millions ; d'autres années, il s'est élevé à 24 ou 25 millions. C'est encore ce chiffre d'émission qu'il faudra pour assurer en 1848, la marche du service.
J'ai cherché à m'expliquer les causes de ces variations. La chambre voudra bien me permettre de lui en faire part.
Messieurs, en prenant la direction du département des finances, je me suis trouvé en présence d'une dette flottante de 25,000,000 de francs. C’est le chiffre minimum des bons du trésor qui est demandé pour faire face au service de l'arriéré et îles travaux votés, en dehors des budgets, à la date du 1er janvier 1848. Les dépenses correspondant à ce chiffre sont antérieures à l'avènement du ministère actuel.
Arrêtons-nous un instant, messieurs, à ce service spécial de la dette flottante.
Ce chiffre de 25,000,000 de francs ne dépasse pas celui qui a été atteint à d'autres époques. Je parle des chiffres décrétés et non pas des chiffres d’émission qui sont ordinairement inférieurs. Je dois cependant ajouter que, d'après toutes les apparences, en 1848, l'émission moyenne (page 162) et presque constante ne pourra pas rester notablement au-dessous du chiffre demandé comme limite pour cet exercice.
Je dis que la dette flottante n'est pas plus forte aujourd'hui qu'elle ne l'était à d'autres époques ; pendant la période des dix dernières années, elle a subi de grandes variations. Ce sont ces variations et leurs causes qui jettent le plus de lumières sur la situation du trésor, sur les ressources qu'il a eues dans le. passé, sur les besoins qu'il aura dans l'avenir.
Voici le relevé du montant des bons du trésor dont l'émission a été autorisée pendant chacune de ces dix années :
En 1838, fr. 25,000,000
En 1839, fr. 12,000,000
En 1840, fr. 18,000,000
En 1841, fr. 24,400,000
En 1842, fr. 22,500,000
En 1843, fr. 21,500,000
En 1844, fr. 21,500,000
En 1845, fr. 7,000,000
En 1846, fr. 14,500,000
En 1847, fr. 19,000,000
En 1848, fr. 25,000,000
Il est à remarquer que les faibles émissions correspondent assez exactement, ce qui est naturel, avec les dates de l'émission de nos emprunts.
Mais d'autres causes ont encore amené ces variations, et c'est là ce qui mérite de fixer particulièrement l'attention de la chambre.
Un arrangement a été conclu avec les Pays-Bas en 1842. Nous avons fait le partage des charges et bénéfices à répartir entre les deux pays.
Indépendamment-de cette liquidation internationale, il en a été fait une autre entre la société générale et les deux Etats représentant l'ancien royaume-uni.
Cette société devait, aux termes de ses statuts, une somme de 20,000,000 de fl. pour remboursement d'un capital, il une autre somme de 12,000,000 de fl. pour payement de 12 années de redevances, ensemble 32,000,000 de fl. Près de la moitié de cette somme était exigible seulement à la fin de 1849 ; mais on s'est entendu pour que la société se libérât par anticipation.
Il s'est fait entre les trois parties intervenues dans la convention un échange de valeurs. La Belgique a reçu des immeubles, des titres de rente qui ne sont pas immédiatement disponibles, mais elle a reçu également des sommes assez considérables en numéraire. Le total en dépasse le chiffre de 16,000,000 de fr.
La totalité de cette recette a été se mêler aux dépenses ordinaires et courantes des années 1843 et 1844.
Ainsi, outre que ces exercices ont profité des avantages résultant d'une circonstance des plus exceptionnelles (la liquidation, avec la Hollande], ils ont encore eu le bénéfice d'une liquidation spéciale qui était réservée à l'année 1849 (la liquidation avec la société générale).
Il suffit d'indiquer ce chiffre considérable de 16,000,000 de fr. pour faire saisir à l'instant même l'influence qu'il a dû exercer pendant quelque temps sur la situation du trésor.
Une autre recette accidentelle de 10.000,000 de fr. a été effectuée, deux années plus tard, en 1844, au moyen et à l'occasion de la conversion, qui a substitué un fonds de 4 1/2 p c. à un fonds de 5 p, c.
Au lieu de faire profiter du bénéfice de la conversion les exercices futurs, on en a fait profiter les exercices passés, en émettant pour 10 millions d'obligations au-delà de la quantité strictement nécessaire pour effectuer la conversion. Le produit de ces 10 millions d'obligations a été versé dans la caisse de l'Etat. Il a servi à réduire la dette flottante jusqu'à due concurrence.
Depuis 1840 une autre ressource extraordinaire assez considérable est venue affluer successivement au trésor. Quatre millions de francs prélevés, d'abord sur le produit des bons du trésor, ensuite sur un emprunt régulier, ont été prêtés à la banque de Belgique. Les remboursements sont tous effectués et tous ont été absorbés par les dépenses courantes.
Ainsi, pendant cette période des dix dernières années, le trésor a reçu pour plus de 30 millions de valeurs dont la source est à jamais tarie ! Ce n'est pas tout, messieurs.
L'Etat a pu disposer d'une partie des fonds destinés à l'amortissement de nos emprunts qui étaient momentanément sans emploi. Cette ressource va disparaître par l'effet des stipulations continues dans nos contrais d'emprunts. L'amortissement travaillera pour tous nos emprunts sans distinction.
Cette réserve des fonds de l'amortissement s'élève à 5,700,000 fr. C'est une recette extraordinaire qui a été dépensée par la raison qu'elle n'avait pas de destination immédiate, à titre de partie intégrante du service de la dette consolidée.
Tout réuni, nous trouvons un ensemble de recettes accidentelles, s'élevant à près de 35 millions, qui ont servi à alimenter la caisse de l'Etat pendant ces dix dernières années si qui ne reparaîtront plus.
Je suis loin de prétendre que cet argent n'ait pas été dépensé d'une manière utile par le pays. Une grande partie en a servi à faire des travaux qui augmentent la richesse nationale pour le présent et pour l'avenir.
Mais nous traitons ici une question de chiffres. Ces 35 millions de recettes extraordinaires, en les répartissant sur toute la période décennale (on remarquera que la plus ancienne des recettes indiquées ne remonte pas à plus de 7 ans) représentent pour chaque année une moyenne de 3,500,000 fr. Ces 3,500,000 fr. font complètement défaut pour tous les exercices futurs.
El cependant c'est grâce à ces 35,000,000 de fr. de recettes extraordinaires que la dette flottante ne s'élève pas à un chiffre plus considérable que 25,000,000 de fr.
Mais si vous voulez, messieurs, que je puisse maintenir la dette flottante dans les limites qu'elle a respectées depuis dix ans, il y a nécessité de créer des ressources remplaçant ces recettes accidentelles qui nous échappent. C'est de toute évidence.
On nous a dit et on nous dira encore : « Réalisez des économies. »
Nous poursuivrons avec ténacité toutes les économies qui sont réalisables. Nous espérons, je n'ose pas me servir d'une expression plus positive, en effectuer plusieurs. Mais si on compte sur ce moyen pour empêcher une augmentation de la dette flottante, pour maintenir la situation présente, je demanderai si c'est uniquement là le but qu'on veut atteindre. On ne doit pas seulement chercher à maintenir la dette flottante au chiffre actuel, il faut encore en poursuivre la réduction, surtout tant qu'elle ne sera pas convenablement classée. En matière de finance il faut des choses positives et non des, illusions. Ne demandez pas quelles économies fassent un double service, d'abord celui d'empêcher l'accroissement de la dette flottante, puis celui d'en opérer la réduction. Je m'estimerai heureux si je puis leur faire remplir la moitié de la tâche.
Je désire que la chambre ne se méprenne pas sur la portée de mes paroles ; Je cherche à rendre un compte exact de l'état des choses, en me dégageant de toute préoccupation favorable ou défavorable aux personnes et à leurs œuvres.
Si le trésor ne présente pas un découvert plus considérable, il le doit aux recettes accidentelles que je viens d'énumérer ; Grâce aux ressources de l'emprunt temporaire représenté par des bons du trésor, il n'y a aucun vide dans la caisse de l'Etat, mais il y a un vide dans le budget des voies et moyens qui doit continuer à alimenter cette caisse. Je vous en ai fait connaître la cause principale ; c'est l'absence de ressources permanentes remplaçant les ressources tout à fait exceptionnelles qui ne se reproduiront plus.
Cette cause d'infériorité dans nos voies et moyens pour l'avenir, il faut la faire disparaître. Nous croyons accomplir un devoir en acceptant la mission imposée par la force des choses de demander une augmentation de revenus pour le trésor.
Nous n'avons pas créé cette nécessité, mais nous ne pouvons pas nous y soustraire.
Pour l'année 1848, nous nous sommes bornés à demander le strict nécessaire ; si les budgets des dépenses, qu'il importe, plus que jamais de régler en premier lieu, sont votés avec des chiffres proposés ; mais nous ne voulons pas laisser ignorer que dans le courant du même exercice nous serons forcés de faire un nouvel appel à voire concours pour créer encore d'autres revenus au trésor.
Lorsque la situation de 1848 sera assurée, il faudra porter ses regards plus loin.
Sans doute, la situation que nous vous exposons s'améliorera par l'augmentation de certains produits permanents, parmi lesquels figurent en première ligne les recettes du chemin de fer ; mais il faut tenir compte des besoins que le passé nous a légués et de ceux prévus dans un avenir prochain.
J'en ai indiqué un assez grand nombre dans l'exposé de motifs du budget des voies et moyens. Il est d'ailleurs une autre circonstance sur laquelle j'appelle en finissant votre attention. C'est que les ressources actuelles du budget ne seront pas toutes constamment maintenues ; il en est qui disparaîtront au fur et à mesure. Les capitaux du fonds de l'industrie et le produit de l'aliénation des domaines sont de ce nombre.
Je termine en disant que, quelle que soit l'opinion que l'on se forme sur la situation présente du trésor, on doit être d'accord sur ce point qu'elle n'est pas normale. Pour qu'elle le devienne, messieurs, il y a nécessité de mettre plus d'ordre dans nos finances ; cela nous est commandé, à la fois, par l'absorption des capitaux qui nous sont rentrés à la suite des traités et des ressources accidentelles que j'ai indiquées, par l'épuisement prochain de certains produits temporaires, par l'obligation de faire prochainement emploi des fonds de la dotation de l'amortissement des emprunts à 5 p. c. Cela nous est commandé, comme je le disais à l'instant, par les besoins que le passé nous a légués, et par ceux qui sont prévus dans l'avenir. Ce sont autant de sources de dépenses que des économies, même très larges, en supposant qu'il soit possible d'en faire de pareilles, ne pourront en aucun cas couvrir.
L'énumération de ces besoins trouvera mieux sa place dans une autre discussion.
(page 170) M. de Foere. - Contrairement à l'opinion de M. Malou, je ne crois pas à la nécessité ou aux grands avantages d'une dette flottante. Il serait préférable qu'il n'en existât pas, et que les dépenses du pays pussent être couvertes par ses revenus. Les avantages que l'honorable membre a signalés comme se rattachant à une dette flottante, peuvent être également acquis au moyen d'obligations de la dette consolidée. Les familles et les capitalistes du pays trouveront dans ces valeurs un moyen également important de s'intéresser à leur nationalité et à la stabilité de nos institutions.
Je partage donc, sous ce rapport, (erratum, p. 225) l'opinion de M. Mercier. Mais cet honorable membre ne m'a pas compris lorsqu'il a pensé que je soutenais la nécessité d'une dette flottante permanente. Seulement j'ai raisonné dans l'hypothèse qu'une dette flottante fût inévitable. Or, dans la situation actuelle de nos finances, de leur administration et des besoins du pays, je suis porté à croire que nous ne pouvons nous soustraire à cette charge pour assurer le service régulier du trésor public. D'autres pays éprouvent le même besoin. En effet, la dette flottante est établie en Prusse, en Hollande, en France, en Angleterre et probablement dans d'autres pays.
En ce qui concerne notre dette flottante, j'ai émis seulement deux opinions. J'ai soutenu, en premier lieu, qu'il était contraire aux règles d'une bonne administration financière d'éteindre, en tout ou en partie, la dette flottante, affectée au service ordinaire du trésor public, au moyen d'emprunts, et que les intérêts du pays exigeaient que la dette flottante fût amortie au moyen d'excédants de revenus qu'il fallait demander à l'impôt, mais préférablement à l'économie.
En second lieu, j'ai été d'avis que le nouveau mode d'émission de nos bons du trésor était plus avantageux que celui qui a été pratiqué antérieurement.
Le même honorable membre croit que la loi de 1835, qui a institué la dette flottante, n'autorisait qu'une émission temporaire de bons du trésor. Je pense qu'il est dans l'erreur.
J'ai pris une grande part à la discussion de cette loi et je ne me souviens pas que ni dans les considérants de cette loi, ni dans les termes dans lesquels elle a été votée, il ait été fait la moindre allusion à ce caractère temporaire que l'honorable membre lui suppose.
(page 162) M. Osy. - Je commencerai par remercier M. le ministre des finances, au nom du pays, de nous avoir franchement exotique la situation de nos finances. Car il ne faut pas nous faire illusion ; comme nous l'avons dit plusieurs fois, depuis la paix avec les Pays-Bas, depuis 1842, nous avons dépensé presque toutes les ressources que nous avons obtenues par ce traité.
Nous avons reçu en argent comptant, par les diverses transactions que nous avons faites avec la Hollande, une somme de 29 millions qui a (page 163) été absorbée par nos besoins annuels. En outre comme les fonds publics ont été longtemps fort élevés, nous avons également absorbé des fonds d'amortissement qui auraient dû servir à diminuer la dette publique, et qui se montent à une somme de près de 6 millions. Comme l'a très bien dit M. le ministre des finances, ces 35 millions ont servi à couvrir le déficit de nos dépenses courantes. Si nous n'avions pas eu ces trente-cinq millions, nous serions aujourd'hui avec un déficit de soixante millions.
Messieurs, c'est une situation dont il faut absolument sortir. Sinon, nous sommes menacés de périr par nos finances.
L'honorable ministre des finances nous dit que, pour le courant de l'année prochaine, il nous faudra 25 millions de bons du trésor. Messieurs, ces 25 millions ne suffiront pas. Le gouvernement nous a annoncé, il y a quelques jours, qu'il aurait besoin de 5 millions pour payer les dettes des différents départements pendant les années antérieures, de 5 millions de crédits supplémentaires. Cette somme de 5 millions, il faudra la combler par la dette flottante. Au lieu de 25 millions, il nous faudra donc créer pour 30 millions de bons du trésor.
M. Malou. - C'est compris dans les 25 millions.
M. Osy. - C'est une erreur, ils n'y sont pas compris. En outre, messieurs, le budget qu'on nous a présenté pour 1848 solde avec un déficit d'un million et demi.
M. le ministre des finances nous a, il est vrai, présenté un projet de loi pour combler ce déficit ; mais d'après les discussions dans les différentes sections, il paraît qu'il y a assez de répugnance à accepter la totalité de ce projet. Nous ne pouvons donc entièrement compter sur cette ressource.
Pour moi, messieurs, je suis persuadé que nous ne sortirons de la position où nous nous trouvons qu'avec des économies. Tous les ans nous parlons d'économies, quand nous nous occupons des budgets ; mais nous n'en réalisons aucune. Je sais qu'il est plusieurs budgets sur lesquels on ne pourrait réaliser que peu d'économies ; mais il en est un sur lequel nous en trouverons de très considérables si nous le voulons fermement.
En Hollande, depuis 1853 on a fait de très grandes économies ; les états généraux les ont exigées ; ils les ont obtenues. Soyons fermes aussi, et nous trouverons sur le budget de la guerre une économie annuelle de près de 8 millions.
La loi d'organisation de l'armée n'est pas une constitution ; c'est une loi que nous pouvons défaire. Cette loi d'organisation n'a véritablement été qu'une loi d'application de ce qui existait. Il n'en est pas résulté la moindre économie. Je n'ai pas, messieurs, voté cette loi d'organisation parce que j’étais persuadé qu'un Etat comme la Belgique ne pouvait conserver une armée qui devait lui coûter 28 à 29 millions par année. J'ai aussi voté contre les budgets de la guerre par le même principe, parce qu'à mes yeux ils présenteraient un chiffre beaucoup trop élevé.
Je veux, messieurs, une bonne organisation d'une armée de 60,000 hommes. Je voudrais des régiments plus forts et moins d'épaulettes ; je voudrais que le nombre des officiers fût réduit. Je suis persuadé que plusieurs de nos officiers ne seraient pas mécontents si vous les mettiez à deux tiers de solde ; j'ai à cet égard des renseignements certains.
Si nous le voulions, nous pourrions réduire la dépense pour notre armée à 22 millions, et quant à moi je ne voterai pas un budget de la guerre supérieur à ce chiffre. Mes sympathies sont acquises au ministère ; mais je dois avoir plus de sympathie encore pour le pays et je veux faire tout ce qui dépendra de moi pour empêcher qu'on ne le mène à sa ruine. Je veux donc des économies et des économies réelles ; et je crois qu'en réduisant notre armée de plusieurs régiments d'infanterie, de deux régiments de cavalerie et surtout de deux régiments d'artillerie, nous trouverons une forte économie sans que le pays ait rien à craindre pour sa tranquillité.
Nous parlerons plus amplement de cet objet lorsque nous nous occuperons du budget de la guerre ; mais j'ai voulu indiquer ce moyen de rétablir les finances du pays.
Quant à faire des économies sur les autres budgets, je crois que nous ne pouvons guère y compter. Vous avez vu hier que lorsque nous avons parlé de faire une économie d'une centaine de mille francs en réduisant de cinq à dix mille francs le traitement de nos agents diplomatiques, lors même que j'ai demandé qu'au fur et à mesure des vacatures, on remplaçât des ministres plénipotentiaires par des chargés d'affaires, et qu'on fît de ce chef une économie d'une cinquantaine de mille francs, le ministère s'y est opposé. Ce n'est donc pas sur les autres budgets que nous ferons de grandes économies ; le budget seul de la guerre peut nous en offrir une de quelque importance.
Je dirai aussi, messieurs, quelques mots des bons du trésor.
J'approuve entièrement le nouveau mode adopté par l'honorable M. Malou pour l'émission de bons du trésor. Je ne partage nullement l'opinion de l'honorable M. Mercier, que la mesure qui a été prise serait illégale. Il y a un temps fixé pour le remboursement des bons du trésor émis en vertu de l'arrêté du 20 juin ; seulement au bout d'un certain temps on peut les donner en payement des contributions.
M. Malou. - On peut toujours les donner, mais avant six mois on ne bénéficie pas de la bonification.
M. Osy. - Oui, l'émission se fait à l'intérêt de 4 1/2 et avec bonification de l/4p. c. ; et cette bonification se perd, si le payement avec le bon du trésor se fait avant une certaine époque.
Mais en quoi je ne suis plus d'accord avec l'honorable M. Malou, c'est que je ne puis consentir à une émission de bons du trésor aussi forte que celle qu'il a indiquée. Je crois qu'une émission de 25 millions est trop forte pour la Belgique, surtout dans ce moment, et que nous devons chercher les moyens d'en amortir une partie. Mais, dans les temps ordinaires, une dette flottante de 10 à 15 millions ne m'effrayerait nullement ; j'y verrais, au contraire, un moyen d'intéresser les citoyens au soutien du gouvernement. Si vous amortissiez toute votre dette flottante, l'argent prendrait une autre direction, et, quand des besoins se révéleraient, vous n'en trouveriez plus. Il faut donc toujours conserver une certaine somme dans la circulation, et ne pas même réduire trop fortement l'intérêt, car ce serait un autre moyen de faire appliquer à d'autres destinations les capitaux qu'on place aujourd'hui en bons du trésor.
J'approuve donc, messieurs, le nouveau mode d'émission de la dette flottante. Cependant, il y a dans l'application quelque chose que je ne trouve pas régulier. Auparavant, lorsqu'on prenait des bons du trésor, c'était chez le caissier de l'Etat qu'on faisait les versements, et avec la quittance du caissier de l'Etat on obtenait les bons du trésor. Aujourd'hui, les agents du trésor, qui ne sont pas comptables, qui n'ont pas fourni de cautionnement, reçoivent les fonds et doivent ensuite les verser chez le caissier de l'Etat. C'est courir un risque que de laisser verser des fonds chez des personnes qui n'ont pas donné de cautionnement. Pour Bruxelles, il y a exception. On porte la somme à placer chez le caissier de l'Etat, et on reçoit le bon du trésor chez l'agent du trésor. Je crois qu'il vaudrait mieux appliquer la même mesure à toutes les provinces ; on éviterait d'ailleurs ainsi un déplacement de fonds inutile. J'attire sur ce point l'attention de M. le ministre des finances.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, déjà plusieurs fois depuis l'ouverture de cette session, il a été question d'économies à effectuer dans l'ensemble de nos budgets. Un honorable préopinant vient de formuler un vœu qui consisterait à faire porter les économies que l'on désire, que tout le monde désire, que le gouvernement tout le premier désire, à faire porter les économies sur notre établissement militaire. Perdant de vue qu'après de bien longues discussions, les chambres, il y a quelques années à peine, ont fini par se mettre d'accord avec le gouvernement sur le budget normal qui devait être en quelque sorte attribué à cette institution nationale ; perdant de vue ce fait important, l'honorable préopinant met aujourd'hui en avant l'idée de frapper d'une sorte de mutilation l'armée tout entière, sans tenir compte des antécédents, sans tenir compte de la loi organique.
Nous le savons, messieurs, l'armée coûte au pays beaucoup d'argent ; l'armée enlève au budget une somme de 29 millions ; dès lors elle se présente tout naturellement à l'esprit de ceux qui veulent introduire des réductions dans les dépenses.
Eh bien, messieurs, nous devons vous le déclarer tout de suite, nous sommes sans doute très grands partisans des réductions utiles dans les dépenses ; nous ferons tous nos efforts pour introduire dans l'administration de la fortune publique toutes les économies et toutes les améliorations qui pourront nous être indiquées par l'expérience. Mais, messieurs, plutôt que de laisser croire par notre silence que nous voudrions faire porter les économies dont on parle sur notre établissement militaire, nous tenons à nous en expliquer dès aujourd'hui. Nous ne voudrions pas que la chambre abordât la discussion des budgets sous cette préoccupation que des ressources nouvelles ne sont pas nécessaires, qu'on peut se dispenser d'en créer, parce qu'on peut trouver sur le budget de la guerre des réductions telles que ces ressources nouvelles ne seraient pas nécessaires. Non, il ne faut pas que la chambre, que la majorité de cette chambre examine les différents budgets qui vont être soumis à sa discussion sous l'empire de cette préoccupation. Car nous le disons tout de suite : les fores économies dont on parle, quant à nous, nous ne les accepterons pas.
Ce n'est pas, messieurs, de cette façon que nous voudrions inaugurer l'entrée de notre opinion dans le gouvernement. Ce n'est pas, messieurs, au bout de trois mois d'administration que nous songerions à venir porter une main imprudente sur la plus solide, sur la plus nationale de nos institutions.
Je sais que mon honorable ami M. Osy a toujours, à cet égard, professé une autre opinion que la mienne ; je sais que sur les bancs de la gauche d'autres membres, d'autres amis ont également professé une opinion contraire à celle que j'ai toujours professée et que je maintiens au banc ministériel. Je ne veux pas forcer ces honorables amis à changer d'opinion. Je sais que leur opinion est consciencieuse ; qu'ils croient consciencieusement qu'on peut sans danger pour le pays, pour nos institutions, pour l’ordre public, diminuer fortement l'armée. Je ne veux pas les convertir à mon opinion ; mais je dois aussi leur faire entendre que je ne me convertirai pas à la leur.
Le temps, messieurs, peut amener de fortes réductions dans notre armée. Mais ce moment, ce n'est pas dès demain qu'il doit se présenter. La paix peut se consolider ; les circonstances peuvent amener d'autres pays à réduire successivement leur état militaire. J'admets que la Belgique ne doit pas être une des dernières à diminuer son état militaire ; mais il faut pour cela que l'exemple nous soit donné ailleurs, il faut que la paix publique, que la paix européenne soit mieux garantie. A mesure que la possibilité des conflagrations, des crises européennes, des crises intérieures s'éloignera, je conçois qu'on puisse sagement, progressivement apporter des diminutions dans le personnel de l'armée. Mais le (page 164) faire dès maintenant, le faire dans les circonstances où nous sommes, il y aurait là une grande imprudence ; et je doute qu'il y ait aucun ministère capable d'accepter la responsabilité de pareilles mesures.
Je le répète, messieurs, nous ne repoussons pas du tout l'idée que plus tard il y aurait sur les 29 millions de l'armée des réductions à faite ; mais quant à apporter dès aujourd'hui, sur une échelle un peu large, des réductions au budget de l'armée, je déclare de nouveau que nous ne sommes nullement disposés à accepter cette proposition.
Un honorable préopinant a reproché au cabinet la franchise avec laquelle il était venu exposer la situation financière du pays. Il a reproché au cabinet d'avoir, dans le discours du Trône, annoncé que des ressources extraordinaires seraient nécessaires pour faire face à des besoins extraordinaires.
On a cru que les capitalistes de l'Europe allaient s'alarmer de cette déclaration et que, dès lors, les négociations auxquelles cette situation financière devait donner lieu deviendraient plus difficiles.
Je crois, messieurs, qu'un pays, alors surtout que sa situation n'offre rien de désastreux, ne risque rien à faire connaître cette situation. Je crois ensuite que dans nos temps de publicité et dans un pays de publicité, on chercherait en vain à cacher cette situation. Elle peut, en effet, être facilement connue par tout le monde ; il ne faut pas être grand financier pour cela : il suffit de savoir lire nos budgets pour connaître, à quelques centaines de mille francs près, notre situation financière. Je pense, moi, qu'il y a du danger à chercher à dissimuler une situation financière ; ce sont ceux dont la situation financière ne vaut rien du tout qui cherchent à la dissimuler. Mais après tout, comme notre situation n'a rien de désespéré, comme, après tout, avec un peu d'énergie et de bonne volonté on peut parvenir à la mettre sur un bon pied, je crois que le gouvernement a eu raison de faire connaître la situation telle qu'il l'a trouvée.
Je dis, messieurs, que notre situation n'a rien de désastreux, mais je suis loin aussi de dire qu'elle soit excellente ; je suis loin de croire que nous puissions y faire face sans augmenter en aucune façon nos ressources ; je suis loin de croire que l'on puisse, au moyen de toutes les économies qu'il serait possible d'introduire dans les budgets de dépenses, arriver à l'équilibre que nous devons désirer.
Messieurs, nous demandons pour couvrir l'insuffisance de nos ressources, quant aux dépenses du passé, une somme de 25 millions représentée par des bons du trésor. Mais ces 25 millions, qu'on y fasse attention, sont loin de couvrir tous les besoins du passé. Avec les dépenses arriérées, telles qu'elles se trouvent exposées dans le rapport à l'appui du budget des voies et moyens, l'insuffisance s'élève à près de 30 millions, et cependant tous les besoins du passé ne sont pas encore officiellement constatés ; ils ne l'ont point été par ceux qui nous ont fourni successivement des situations.
Dans les besoins du passé qui ne sont pas encore indiqués, je trouve une somme d'au moins 20 millions à couvrir ; je veux parler des dépenses afférentes au chemin de fer. Déjà dans la session dernière, M. le ministre des travaux publics avait déclaré au sénat que, pour couvrir les dépenses restant à faire pour le chemin de fer, il faudrait un emprunt. Il a prononcé le mot d'emprunt et personne dans le sénat, où se trouvent des hommes pratiques et des capitalistes, personne n'a été effrayé de ce mot, prononcé par un membre du gouvernement. Eh bien, messieurs, pour le chemin de fer seul, il y a une insuffisance d'environ 20 millions.
D'autres travaux que le chemin de fer exigeront de nouvelles dépenses. Des lois ont décrété notamment des travaux hydrauliques ; il faudra de nouvelles dépenses pour exécuter ces travaux. Remarquez que je reste entièrement dans les besoins du passé, ceux que le passé nous a légués.
Indépendamment, messieurs, de ces besoins du passé, des lois nouvelles, présentées par les administrations précédentes, et dont la chambre est saisie, ces lois donneront nécessairement ouverture à des dépenses nouvelles. Vous êtes saisis d'une loi relative à la formation d'une société d'exportation, d'une loi sur l'instruction moyenne, d'une loi sur l'instruction agricole, de lois sur les dépôts de mendicité, sur la réforme du système pénitentiaire, sur les aliénés.
Voilà, messieurs, toutes lois dont la plupart sont excellentes en elles-mêmes, mais dont l'exécution donnera nécessairement lieu à des dépenses nouvelles. Que vous rangiez ces besoins dans ceux du passé, dans ceux du présent ou dans ceux de l'avenir, toujours est-il que ce sont des dépenses que vous ne pouvez pas couvrir par les ressources existantes, des dépenses pour lesquelles il faudra nécessairement des ressources extraordinaires.
Pour ces dépenses extraordinaires il faudra des ressources extraordinaires. Que vous les demandiez à l'emprunt, que vous les demandiez à l'impôt, il est de fait que la chambre aura à voter des ressources nouvelles. Cette situation, messieurs, n'a rien d'imprévu pour nous, et, je dois le dire, elle n'a rien d'imprévu pour tout membre de la chambre qui a examiné de bonne foi, depuis plusieurs années, la situation. Chacun de nous sentait venir le moment suprême où il faudrait bien que le pays en vînt à l'emprunt.
Voilà, messieurs, le compte bien sommaire, bien général, des dépenses extraordinaires. Notre devoir est de demander à la chambre de pourvoir à ces dépenses.
Maintenant nous avons devant nous les dépenses courantes, les dépenses de l'année 1848, les dépenses annuelles, en quelque sorte, de notre ménage. Eh bien, le nouveau budget présenté à cet effet par nos honorables prédécesseurs offre une insuffisance que nous avons à cœur de couvrir par un impôt nouveau. Cet impôt, messieurs, nous n'avons pas encore à nous en expliquer, le jour de la discussion viendra, mais nous déclarons maintenant à la chambre que nous considérons comme indispensable la création de cette ressource nouvelle. Si les lumières de cette chambre nous offrent quelque moyen équivalent, nous sommes prêts, sans doute, à examiner ce moyen et à l'accepter. Mais si l'équivalent ne nous est pas offert, nous déclarons dès maintenant que nous considérons comme indispensable à la bonne marche de l'administration que le budget des voies et moyens pour l'année 1848 soit augmenté d'environ 1,500,000 fr.
Messieurs, lorsque nous avons annoncé, lors de l'ouverture de la session, que nous voulions assurer l'équilibre entre les dépenses et les recettes de l'Etat, nous avons proféré une parole sérieuse dont nous entendions poursuivre sérieusement la réalisation ; ce n'est qu'à cette condition aussi qu'on peut s'appeler un gouvernement sérieux.
Nous ne nous dissimulons pas sous ce rapport les embarras de la situation ; négligée aujourd'hui, elle pourrait peser longtemps encore sur les administrations qui se succéderont sur ce banc. Cette situation, nous l'aborderons avec énergie, et nous tâcherons d'en poursuivre l'amélioration avec persévérance. Si nous n'étions pas suivis dans cette voie, si nous trouvions dans cette chambra des dispositions contraires, si la majorité de cette assemblée n'était pas de notre opinion, qu'il faut faire un effort énergique pour améliorer la situation financière, alors, messieurs, nous vous le disons, nous laisserions à d'autres le soin de continuer une situation dont, pour notre part, nous ne pourrions pas accepter la responsabilité.
M. Cogels. - Messieurs, la situation financière du pays a été présentée de différentes manières. Il est vraiment étonnant que dans une question de chiffres, dans une question positive, on ait tant de peine à se mettre d'accord.
Ceci résulte d'une certaine confusion qu'on a mise dans le système de notre comptabilité, en ne distinguant pas suffisamment les ressources ordinaires d'avec les ressources extraordinaires ; ressources qui souvent même dans nos budgets annuels ont été confondues.
C'est ainsi que parfois on a vu figurer dans le budget des voies et moyens, comme ressources ordinaires, des ventes de domaines, et d'un autre côté, dans les budgets des dépenses, des acquisitions d'immeubles productifs, ventes et acquisitions qui auraient dû être portées sous la rubrique des ressources et dépenses extraordinaires.
Heureusement, notre existence politique n'est pas encore assez longue pour qu'on ne puisse pas remonter facilement à l'origine, et faire voir que tous ces déficits, dont on nous a tant effrayés, n'existent pas réellement.
Non, messieurs, il n'y a pas de déficit depuis notre existence politique. Cela est très aisé à prouver. Il n'y a pour cela qu'un compte bien simple à faire.
Il faut prendre la somme totale du notre dette publique ; de cette dette retrancher la part que nous pouvons considérer comme nos frais de premier établissement (pardonnez-moi de me servir ici d'une expression qui est usitée dans le commerce et l'industrie). Nous avons donc repris comme charges de premier établissement notre part dans la dette de l'ancien royaume des Pays-Bas ; nous avons ensuite notre emprunt de cent millions dont une partie a été amortie.
Défalquez ces deux articles de votre dette, et vous verrez que tout le surplus se trouve représenté par des travaux productifs, par vos chemins de fer, par des acquisitions de canaux, par des routes, par des acquisitions d'hôtels ministériels et autres immeubles ; vous verrez que les ressources ordinaires ont même servi en partie à l'amortissement d'une portion de vos dépenses de premier établissement ; vous trouverez qu'en réduisant votre emprunt de 100 millions à la somme à laquelle il s'élevait lors de la conversion, c'est-à-dire à 85 millions, dans ce cas encore le surplus de la dette se trouve réellement représenté par des travaux publics ou des acquisitions.
D'où provient cette confusion ? C'est que notre dette flottante n'a jamais eu le caractère qu'elle a dans d'autres pays ; elle a été généralement employée comme pierre d'attente, d'emprunts qu'on se propose de contracter seulement plus tard, soit parce que le chiffre de l'emprunt n'aurait pas été assez important, soit parce que les circonstances n'étaient pas assez favorables pour contracter.
C'est ainsi qu'une partie de notre dette flottante a été consolidée en 1836, une autre partie en 1838, une partie en 1840, et finalement une partie en 1844. Or, messieurs, une consolidation de dette publique n'est pas une dépense, son produit ne constitue pas une recette, c'est une simple conversion de titres. C'est ce qui se fait partout, lorsque le chiffre de la dette flottante est trop élevé, ce qui doit se faire plus encore chez nous que partout ailleurs, à cause même de l'origine de la dette flottante.
M. le ministre des finances vous a lu tout à l'heure un exposé sur la situation financière ; on doit savoir gré à M. le ministre de sa franchise ; car il est inutile d'induire le public en erreur, de faire naître des illusions.
(page 165) Mais je suis étonné que M. le ministre ne se soit pas attaché à faire voir que non seulement notre situation financière est meilleure que celle d'autres pays ; mais qu'elle est essentiellement aussi bonne qu'on peut le désirer dans les circonstances actuelles.
Nous nous trouvons en face d'une dette flottante d'environ 29 millions. C'est le chiffre total des émissions autorisées successivement par divers projets de loi. Vingt-cinq millions seulement sont demandés par la loi de budget. Ce chiffre n'aurait rien d'effrayant si notre dette flottante était mieux classée ; si le pays avait de prime abord fait usage, pour son crédit, de tous les leviers qui sont à sa disposition et qui malheureusement ont été abandonnés à des établissements particuliers. Ainsi, en France, en Angleterre, dans tous les autres pays, les fonds des caisses d'épargnes, ceux de la caisse des dépôts et consignations, ceux des communes et des hospices, doivent être placés dans la dette publique. Pour les caisses d'épargne, il n'y a pas de meilleur placement que les bons du trésor, parce que ces bons du trésor ont une échéance fixe et que leur cours n'est pas exposé aux variations qu'éprouvent les renies sur l'Etat ; ils sont tout au plus exposés à une légère perte dans des circonstances exceptionnelles.
C'est ainsi qu'on voit en Angleterre, malgré !a crise qui la frappe plus cruellement que toute autre contrée de l'Europe, l'énorme dette flottante de ce pays exposée à des variations de quelques schellings de perte ou de prime, tandis que la dette consolidée a éprouvé une baisse de 10 à 15 p. c
Il faudrait donc, dans l'intérêt de la dette flottante, que les caisses d'épargne fussent régies par la loi. Il y a à cela un double intérêt ; d'abord l'intérêt de notre crédit ; ensuite, un intérêt plus grave, un intérêt de sécurité. Car, généralement toutes les personnes qui placent leur argent à la caisse d'épargne ne sont pas à même d'apprécier la solidité de ces établissements. Ici, le gouvernement doit exercer les fonctions de tuteur, et c'est pourquoi les caisses d'épargne et la banque de l'Etat sont régies par la loi en Angleterre, dans ce pays où règne cependant la plus grande liberté pour toutes les associations particulières, où tous les travaux publics sont livrés à des associations particulières, où même des banques sont confiées à des sociétés de ce genre.
Maintenant, messieurs, que M. le ministre des finances ait fait cet exposé ; qu'il ait cru devoir donner à la chambre la situation de nos finances, telle qu'il la conçoit, car je ne suis pas d'accord avec lui ; qu'il ait parlé de la nécessité d'un emprunt, je ne lui en ferai pas un reproche ; cependant je pense que le moment n'était pas bien choisi ou qu'il aurait fallu le faire d'une manière plus complète. Quand la situation est bien appréciée, il faut connaître les besoins et les ressources qu'on se propose d'y affecter ; il aurait fallu simultanément annoncer le moyen qu'on se proposait d'employer, je dirai même la quotité de l'emprunt quand il n'aurait pas dû se faire à une époque rapprochée.
Je crois qu'il aurait été plus prudent de faire comme en Angleterre où, quand on veut faite un emprunt, le projet est présenté, discuté, voté et l'emprunt négocié dans une quinzaine de jours.
Comme nous ne sommes pas maîtres des événements, il est inutile de faire d'un projet d'emprunt une espèce d'épée de Damoclès suspendue sur le crédit, de faire connaître les besoins de la situation à ceux qui prennent votre dette flottante et de les engager par là à vous faire passer par les conditions les plus dures. J'y vois un certain danger, et je vous avoue que je n'y vois pas la moindre utilité.
L'honorable M. Osy vous a dit que nous avions mangé toutes les ressources extraordinaires qui nous étaient venues par suite du traité. C'est là une erreur ; ces ressources ont été employées, mais elles sont venues remplacer la dette flottante. Si nous n'avions pas eu ces ressources, notre dette flottante, au lieu de six à sept millions, chiffre moyen de 1846, se serait élevée à 30 ou 40 millions, et nous aurions eu une consolidation plus forte à faire. Il ne faut pas perdre de vue l'origine de notre dette flottante ; ce n'est pas le résultat d'un déficit entre les recettes et les dépense, mais de l'exécution de travaux publics, successivement autorisés, pour le payement desquels vous avez décrété des émissions de bons du trésor.
Je bornerai là mes observations, parce que je pense que quand nous en serons au chapitre de la dette flottante, on reviendra encore sur ce sujet.
M. Malou. - Depuis les observations que j'ai eu l'honneur de présenter à la chambre, la discussion s'est singulièrement élargie. Il ne s'agit plus du budget de la dette publique, moins encore de la question spéciale de la dette flottante ; nous discutons la situation financière dans son ensemble ; j'ai cru un instant que nous allions discuter toutes les lois d'impôt proposées ou à proposer par le cabinet.
Je dirai peu de chose de l'arrêté du 20 juin, relatif à l'émission des bons du trésor, le seul motif qui ait fait obstacle à ce qu'on diminuât la somme que représente chaque bon du trésor, a été la crainte de nuire aux établissements de crédit qui ont en circulation des billets de 100, de 50 et même de 40 fr., car si l'Etat émettait des billets d'ainsi minime importance, portant intérêt, il serait à craindre que la circulation, déjà trop restreinte ou trop difficile des billets de commerce, ne fût entravée. Telle est la seule objection qui m'ait empêché de réduire les coupures des bons du trésor au-dessous de 500 fr.
Je viens à la question générale. D'abord, ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on publie la situation du trésor, ce n'est pas d'aujourd'hui que la lumière se fait dans cet antre des ténèbres ; chaque année les explications les plus complètes ont été fournies sur les éléments de la situation financière et, sous ce rapport, la politique nouvelle ne nous a rien appris de nouveau.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Non, excepté un fort déficit.
M. Malou. - La situation financière qu'on nous a distribuée ressemble à s'y méprendre à toutes celles qui ont précédé. Je vais le démontrer.
Ici, j'éprouve néanmoins, je l'avoue, un singulier embarras pour répondre à M. le ministre des finances qui vient de donner des explications sur l'état de nos finances.
Dans la situation financière qu'il a remise à la chambre et qui nous a été distribuée, je trouve comme conclusion de la gestion des 17 dernières années, le passage suivant :
« Ainsi, malgré les crédits extraordinaires de 2,300,000 francs votés par les lois des 24 septembre 1845 et 6 mai 1847, pour mesures relatives aux subsistances, et qui ont été imputés sur les ressources ordinaires de l'exercice 1845, et les 2,790,000 francs de dépenses votées respectivement à charge des budgets de 1846 et 1847, par les lois des 20 décembre 1846, 25 mars et 8 mai 1847, et lesquelles doivent être couvertes par le produit de bons du trésor, ce qui fait ensemble 5,090,000 francs, l'équilibre entre les recettes et les dépenses ordinaires des gestions antérieures à 1848 a été non seulement maintenu, mais il y a encore un boni de fr. 643,694 81 c. »
En vérité je pourrai m'en remettre à M. le ministre des finances lui-même du soin de réfuter l'exposé qu'il vient de nous présenter. Cependant, autant que me le permettront les notes que j'ai prises, je vais essayer de le faire.
Ainsi un premier fait est reconnu par le gouvernement, les exercices antérieurs à 1848 se soldent par un boni quant à la gestion de nos finances, en ce qui concerne les recettes et les dépenses ordinaires. Voilà un point acquis au débat.
On nous dit : Vous avez absorbé 35 millions de valeurs qui ne doivent plus se reproduire. Dans ces 35 millions j'aperçois d'abord 10 millions de dette flottante qu'on a consolidés ; c'est-à-dire qu'on a fait passer dix millions de la dette flottante à la dette consolidée ; et l'on nous calcule bravement, j'allais dire sérieusement ces dix millions parmi les recettes qui ont été absorbées ! En vérité, j'ai peine à prendre une pareille observation au sérieux.
Nous avons absorbé les 16 millions provenant de la liquidation ! Mais ces 16 millions se trouvent dans votre trésor. Il s'en trouve même plus de 16. Nous avons, par suite des arrangements intervenus avec la Hollande, conservé l'encaisse de 1830 ; c'est là une valeur qui appartient au trésor, qu'on ne peut pas compter comme ayant été absorbée par la gestion des dernières années, car vous avez, en émettant cette partie de notre dette, ces 12 millions qui rentrent au trésor. Nous avons ensuite le boni du fonds de liquidation des anciennes créances. Je ne crois pas devoir en dire le chiffre que je connais, parce que M. le ministre, par des raisons que j'apprécie, ne nous le fait pas connaître ; mais je puis assurer qu'en l'ajoutant au chiffre de l'encaisse, la somme totale dépasse 16 millions.
Vous voyez donc que les millions dévorés se portent assez bien.
Mais, messieurs, d'honorables membres, l'honorable ministre de l'intérieur notamment, me paraissent céder à une singulière préoccupation, en considérant le chiffre de la dette flottante comme une espèce de thermomètre de notre situation financière. C'est là une erreur fondamentale. Que faisons-nous lorsque nous consacrons la dette flottante à la création de travaux d'utilité publique ? Nous créons un emprunt temporaire que nous nous réservons plus tard de consolider. Mais si cet emprunt a pour origine des travaux publics productifs, ce n'est qu'un capital que nous engageons ; ce n'est pas une dette que nous créons.
Or, la dette flottante qui a existé depuis 1833, temps de sa création ; la dette flottante qui existe aujourd'hui n'a jamais eu, sinon pour des sommes insignifiantes, d'autre origine que des travaux d'utilité publique productifs, dont le produit vient aujourd'hui se renseigner dans votre budget des voies et moyens.
Je vous demande donc, si, au point de vue de la situation financière, il n'est pas parfaitement indifférent de voir si nous avons aujourd'hui 7 millions ou si nous avons 25 millions de dette flottante. Si nous avions 7 millions de dette flottante, c'est que nous aurions converti en dette consolidée les capitaux que nous aurions empruntés pour des travaux publics productifs. Si nous avons 25 ou même 35 millions de dette flottante, c'est que nous n'avons pas encore consolidé ces capitaux que nous avons dépensés pour un emploi productif.
Assurément, si l'on démontrait qu'une partie notable de cette dette flottante a pour origine le maintien de l'équilibre entre nos recettes et nos dépenses ordinaires, oh ! alors la question aurait une grande importance. Mais ici, je le répète, nous avons M. le ministre des finances en aveu, qui nous déclare que la gestion antérieure à 1848 se solde par un boni de 643,000 fr.
Mais, dit-on, si le trésor ne présente pas de vide, (car j'ai noté cette expression très rassurante : le trésor ne présente pas de vide), le budget des voies et moyens présente un vide.
D'abord, messieurs, le budget des voies et moyens n'est pas encore discuté. Nous ne savons pas encore si ce vide y subsistera. Pour moi, j'ai été frappé de l'annonce d'un vide dans le budget des voies et moyens. Comment ! nous avons traversé deux années de crise, deux années pendant lesquelles plusieurs recettes sur le produit desquelles (page 166) réagit notablement le prix des denrées alimentaires, ont été considérablement affectées. Et cependant, nous avons, de l'aveu de M. le ministre des finances, maintenu, pendant ces deux années de crise, l'équilibre entre les recettes et les dépenses. Maintenant nous entrons dans une année normale. Ces recettes, comprimées par les circonstances, vont non seulement reprendre leur état normal, mais vont le dépasser. Ainsi, je citerai les accises : les travaux ont été ralentis, les approvisionnements se sont épuisés, et, déjà aujourd'hui vous avez une activité non pas normale, mais extraordinaire, qui se résumera en 1848 dans des recettes qui seront aussi extraordinaires.
Au mois d’avril et de mai, nous avons présenté tous les budgets, à l’exception d’un seul. Le solde entre les recettes et les dépenses était de 15 à 16 cent mille fr. Pouvais-je croire, y a-t-il quelqu'un qui pouvait croire que le budget de travaux publics, lorsqu'on n'y comprend pas, comme on l’a fait, je le reconnais, les recettes extraordinaires, pourrait venir rompre cet équilibre ? Comprend-on qu'on porte en travaux publics, 13 à 14 cent mille francs de plus, pour l'exploitation du chemin de fer, tandis qu'en recette, dans le budget des voies et moyens d'après l'amendement de M. le ministre des finances, on ne porte que l'augmentation normale qu'on obtient dans une année ordinaire. Qui peut s'expliquer de pareils faits ? et peut-on dès aujourd'hui, comme si le budget des voies et moyens était discuté, dire qu'il y a vide dans le budget ?
Je ne m'arrête pas à la question d'économie. Je reconnais que l'économie qui a été dans les vœux de tous les ministères pour les services ordinaires, est très difficile à réaliser, et à moins d'adopter ces mesures radicales, auxquelles je.ne consentirais pas, et je place en première ligne celle que l'honorable M. Osy a indiquée, il serait bien difficile, nos anciennes discussions ne l’ont que trop prouvé, de réduire de quelques, cent mille francs la somme de 117 millions à laquelle s'élèvent nos dépenses ordinaires. Je m’arrête donc simplement aux besoins du budget mis en regard de nos recettes ordinaires, et je dis qu'on n'est pas dès aujourd’hui recevable à déclarer qu'il y a vide dans le budget des voies et-moyens.
Mais, ajoute-t-on encore, il y a des crédits supplémentaires ; il y a l'arriéré.
Sans doute, messieurs ; mais dans l'arriéré il y a aussi des dépenses décrétées qui ne se feront pas. Je crois d'ailleurs, puisque M. le ministre des finances nous en a incidemment donné l'occasion, qu'on ferait bien de dire, une bonne fois pour toutes, quelle est la nature de cet arriéré ; Je suis convaincu par exemple que les 1,500 et autant de mille francs qui sont portés pour le département des finances, doivent être, en très grande partie, des régularisations sans un centime de dépense. J'articulé ce fait, parce que j'ai la conscience de n'avoir laissé aucun déficit, aucun arriéré dans l'administration des finances. Vous voyez donc que pour un article qui m'est connu, je déduis déjà quelque chose de cet arriéré de 5 millions. Je demanderai à M. le ministre des finances de nous faire connaître, par une explication d'ensemble, quelle est la nature de cet arriéré, quelle en est l'origine.
On nous dit encore que les besoins du passé ne sont pas tous constatés, qu'il reste des dépenses à faire dans l'avenir.
Sans doute, messieurs, il reste des dépenses à faire dans, l'avenir, les unes, dont le principe est déjà soumis aux chambres, les autres dont le principe pourra nous être soumis ultérieurement. Je ne conteste pas que, dans un gouvernement comme le nôtre, il n'y ait nécessité de pouvoir de temps en temps faire quelques travaux. Mais, messieurs, de là à prétendre qu'il faille créer immédiatement, et par des impôts, un revenu extraordinaire de 5 à 6 millions, il y a très loin, et c'est ce que notre situation financière ne justifie en aucune façon.
Je me borne à indiquer ces idées, parce que le moment n'est pas venu de discuter, la nécessité d’impôts nouveaux, et la nature de ces impôts. Car là il y a un choix important à faire. Il ne suffit pas de dire : Il me faut 1,500,000 fr. pour niveler le budget, et je vous propose telles ou telles mesures, auxquelles, pour, le moment, je ne veux donner aucune espèce de qualification.
Messieurs, je ne veux pas abuser de l'attention de la chambre ; il me suffit d’établir deux faits. : le premier que la dette flottante, quelles qu'aient été ses variations, a eu constamment pour origine des travaux d'utilité publique, dont les produits directs ou indirects ont tourné au profit de la prospérité générale. Il me suffit de prouver que la dette flottante n'a pas été appelée à solder le déficit des dépenses ordinaires, et pour le prouver, je m'en réfère complètement à la situation du trésor que M. le ministre des finances nous a fait distribuer et dont je n'ai fait que vous lire le résumé.
Le second fait que je tiens à constater, c'est qu'il n'est pas démontré dès aujourd'hui que l'on devrait créer des ressources nouvelles ; il n'est pas démontré dès aujourd'hui qu'il y aura vide dans le budget des voies et moyens.
Je me borne à ces simples réserves, parce que j'espère que nous discuterons bientôt le budget des voies et moyens.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable préopinant m'oblige à prendre la parole dans ce débat, qui, sous certain rapport, m'est étranger. Je profiterai pourtant des explications que j'ai à donner en ce qui touche le chemin de fer, pour dire quelques mots de la question qui vous occupe en ce moment.
Nous avons fait, il y a peu de jours, le bilan de l'administration ancienne au point de vue politique ; nous avons, en quelque sorte incidemment, à faire aujourd'hui le bilan de cette même administration au point de vue financier.
Selon les uns, la situation financière est excellente ; selon nous, elle n'est pas bonne, parce que nous ne pouvons appeler bonne une situation financière qui exige impérieusement la création de ressources extraordinaires.
Quelques membres. - C'est la question !
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). – Permettez, j'expliquerai mon opinion. Je pose ma thèse ; je la discuterai tout à l'heure et je fournirai tous les éléments de conviction à la chambre,
Selon les uns donc, la situation est bonne ; selon nous, elle est mauvaise, parce qu'on nous a légué une grande somme de dettes, de dettes actuellement exigibles, de dettes qui viendront à échéance dans un avenir plus ou moins prochain ; et parce que, pour notre compte, pour le compte de l'administration nouvelle, il y a aussi des dépenses auxquelles il est indispensable de pourvoir.
Messieurs, je ne veux pas entrer dans tous les détails des chiffres, où généralement on a coutume de se perdre. On fait avec les chiffres beaucoup plus de subtilités encore qu'avec le raisonnement. Je veux m'en tenir, pour éviter toute discussion inutile, aux sommes rondes et aux. chiffres présentés par l'honorable M. Malou.
Que vous a dit l'honorable M. Malou dans son testament du 15 juillet 1847 ? Et je pourrais bien, à certains égards, récuser ces chiffres ; car, si j'en crois une publication récente, il y aurait à l'actif comme au passif des erreurs pour plus de 20 millions, ce qui fait que nous avons une situation à peu près exacte par hasard.
L'honorable M. Malou vous a dit : La dette actuelle, la dette flottante, le déficit est de 8 millions. Comment arrive-t-on à ce chiffre de 8 millions ? C'est ce qu'il faut d'abord principalement préciser. On arrive à ce chiffre de 8 millions en faisant figurer à l'actif de l'Etat : 1° l'encaisse de la Société Générale ; 2° la valeur des actions que l'Etat possède dans le chemin de fer rhénan...
M. Malou. - Je n'ai pas compté cette valeur.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Et troisièmement le fonds d’amortissement.
M. Malou. - C'est une erreur.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - J'écarte encore, puisqu'on en fait l'objet de réclamations, la valeur de nos actions dans le chemin de fer rhénan. Mais vous avouerez bien que vous déduisez l'encaisse ?
Messieurs, qu'est-ce que c'est que cet encaisse de la Société Générale ? Qu'est-ce que c'est que ce joujou financier dont on s'amuse depuis longtemps ?
L'encaisse de la Société Générale ? Mais il est composé de chiffons de papier ! C'est un emprunt que vous propose l'honorable M. Malou dans son mode d'opérer. Vous allez en être convaincu.
En 1830, au moment de la révolution, la Société Générale détenait des valeurs importantes appartenant à l'Etat, au gouvernement des Pays-Bas, La Société Générale ne voulait pas remettre ces valeurs au nouveau gouvernement, A l'occasion de l'emprunt de 30 millions 4 p. c,, si je ne me trompe, on a proposé à la Société Générale de recevoir 13,500,000 francs en papier, afin de nous restituer les 13,500,000 fr. en écus qu'elle détenait dans ses caisses.
M. Malou. - Vous êtes dans l'erreur.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Si vous voulez que j'entre dans tous les détails de l'opération et que je la reprenne à son origine, je le ferai. Mais cela est inutile. Il suffit de savoir, pour la discussion actuelle, que l'on a détaché 13 ou 14 millions de l'emprunt de 30,000,000 de fr. 4 p. c. pour représenter la valeur de l'encaisse de la Société Générale. C'est là ce que je tiens à indiquer et à préciser.
Dans la loi qui décrète cet emprunt, si ma mémoire est fidèle, on a stipulé que l'on ne pourrait pas émettre ces 13 ou 14,000,000 sans une nouvelle disposition législative. Or, lorsque de la dette de l'Etat on déduit ces 13,500,000 fr. quelle est l'opération à laquelle on se livre ? On suppose l'autorisation donnée par la législature d'émettre le complément de l'emprunt de 30 millions, et partant l'autorisation d'emprunter. Que l'on emprunte sous ce mode ou en décrétant un nouvel emprunt, cela revient absolument et identiquement au même ; l'opération pour réduire la dette consiste donc à faire un emprunt.
J'appelle cela, messieurs, une subtilité financière.
La dette doit donc être reportée, pour être vrai et en tenant compte de l'encaisse imaginaire à 2 millions. C'est bien là, je pense, le premier article de notre passif ; et je l'établis, messieurs, à l'aide des chiffres de l'honorable préopinant, à l'aide de la situation financière publiée par l’honorable M. Malou, dont je n'admets pas intégralement l’exactitude, mais que je prends pour base de la discussion, afin d'éviter toute réclamation.
Maintenant messieurs, nous avons bien encore quelque chose à faire, nous avons à pourvoir à des crédits supplémentaires qui ne s'élèvent. pas à moins de 5,600,000 fr. pour ce qui est connu à peu près aujourd'hui, et ce n'est pas tout.
Nous aurons à ajouter à ces crédits supplémentaires des crédits complémentaires, car, en fait de crédits, il y en a eu de toutes espèces. Il y en a d'extraordinaires, de supplémentaires, de complémentaires.
Vous aurez à pourvoir à des dépenses résultant de lois spéciales pour l'exécution desquelles les fonds alloués sont insuffisants. Ainsi il (page 167) faudra de nouveaux fonds pour l’achèvement du canal latéral à la Meuse, pour le canal de Schipdonck et pour le canal de Zelzaete. Vous aurez de ce chef 4,800,000 fr. Je n’ai pas créé ce passif ; c’est bien le passif de l’ancienne politique.
Il faudra encore ajouter à ces 10,400,000 fr. que je viens de citer 1,300,000 fr. provenant des dépenses faites pour les routes. A ce sujet, messieurs, je vais vous expliquer comment l'ancienne politique a opéré, et vous direz ensuite, en âme et conscience, si c'est là de la bonne administration financière !
En 1845 et en 1846 le pays était dans une situation extrêmement fâcheuse ; il a été nécessaire d'organiser des travaux publics et extraordinaires. On a spécialement décrété un grand nombre de routes. Le ministère précédent a disposé, à cet effet, en 1845 et en 1846, d’une somme de 2,100,000 fr. Comment, messieurs, a-t-on fait face à ces 2,100,000 francs ? On a pourvu à cette dépense en absorbant le crédit ordinaire des routes jusqu'en 1850 et en portant au budget une allocation extraordinaire de 400,000 fr., c'est-à-dire, que l'on a escompté l'avenir, et que si l’administration nouvelle se permettait un pareil acte, elle pourrait engager les fonds de l'Etat pour dix ou vingt ans. J'ai dégagé le fonds des routes, j'ai demandé que la dette ainsi contractée fut soldée par un crédit extraordinaire qui fît rentrer le budget dans son état normal ; sans cela, il eût été impossible à l'administration de faire pour 50,000 fr. de dépenses, en ce qui concerne les routes.
Il reste encore à payer sur les 2,100,000 fr., une somme de 1,300,000 fr. La chambre appréciera l’acte que je viens de signaler au point de vue d'une bonne gestion financière.
Pour le moment ; je pose en ligne de compte ; 1,300,000.fr. ; or 5,600,000, 4,800,000 et 1,300,000 fr., fait une douzaine de millions ; : c'est la dette du passé.
Mais le passé avait encore contracté d'autres dettes. L'administration précédente avait soumis à la chambre des projets de lois que M. le ministre de l'intérieur a indiqués tout à l'heure ; c'est le projet de loi créant une société d'exportation, le projet de loi d'enseignement moyen, la loi sur l'enseignement vétérinaire et agricole, les lois sur les dépôts de mendicité, sur le système pénitentiaire, et enfin sur le régime des aliénés. Je ne sais si, sur ces lois, la politique ancienne avait l'intention de s'abstenir, ou si elle se proposait de les laisser dormir dans les cartons de la chambre ; mais si elle avait l'intention de les faire discuter et de les faire adopter, il fallait probablement un moyen de faire face aux dépenses qui devaient en résulter. Eh bien, c'était encore une dépense pour laquelle il n'y avait pas de ressources, et si j'estime les dépenses de toutes ces lois à 3 ou 4 millions, je suis évidemment et de beaucoup au-dessous de l'évaluation réelle. Je porte 3 millions.
Mais hélas ! le compte est bien loin d'être réglé. L'administration précédente n'a pas fait pour le chemin de fer tout ce qui était nécessaire ; elle a laissé cette voie nationale dans un état qui est loin d'être satisfaisant. On a reconnu à diverses époques, la chambre a reconnu, M. le ministre des travaux publics auquel j'ai succédé a reconnu en maintes circonstances la nécessité de faire de grandes dépenses au chemin de fer, pour le mettre dans un état convenable, pour l'achever, pour faire les stations, qui manquent presque partout ou qui sont inachevées ; pour compléter le matériel du chemin de fer ; pour exécuter les doubles voies qui manquent encore sur quelques lignes ; peur fournir au chemin de fer des locomotives en nombre suffisant. J'estime à 20 millions la dépense qui sera nécessaire de ce chef et qui, certes, était tout autant une obligation pour l'ancienne politique qu'elle est un devoir impérieux pour la politique nouvelle. Ainsi, messieurs, ces 20 millions sont encore une charge du passé.
Nous avons donc 5,600,000 fr., 4,800,000 fr., 1,500,000 fr., 3 millions, 20 millions ? Par quelles ressources entendait-on faire face à ces dépenses ? J'admets votre équilibre. Je ne veux pas examiner comment depuis 17 ans vous avez maintenu en apparence l'équilibre entre les recettes et les dépenses ; si vous avez, oui ou non, absorbé une masse de capitaux qui sont entrés dans la caisse de l'Etat et qui ont servi à couvrir soit des dépenses ordinaires, soit des dépenses extraordinaires. J'admets tout ce que vous dites à cet égard ; je vous demande une seule chose : Comment entendiez-vous faire face aux besoins que je viens de signaler ? C'est là la question. Il ne faut pas que cette question soit changée, soit modifiée ; je suis sur le véritable terrain de la discussion ; il faut qu'on dise par quelles ressources on entendait faire face à toutes les obligations que je viens d'énumérer.
Ce n'est pas tout, messieurs ; je puis dire, sans crainte de blesser la politique ancienne, qu'il y avait bien quelque engagement à l'endroit du chemin de fer d'Alost, de la dérivation de la Meuse, du canal d'Herenthals à Anvers, et certes je ne mentionne pas tous les travaux promis ! On conviendra qu'en général la discussion renouvelée l'an dernier pour le chemin d'Alost et pour la Meuse ne portait que sur ce point qu'il fallait décréter ces travaux par un projet spécial, et non pas incidemment, à l'occasion du budget. Mais des promesses étaient faites, et depuis longtemps, aux localités intéressées. Eh bien, il faut encore que nous ayons les ressources nécessaires pour exécuter ces travaux. Je suppose neuf millions pour le chemin de fer d'Alost, huit millions pour la Meuse, trois millions pour le canal d'Herenthals ; avec quoi, messieurs, faire face à ces dépenses ?
M. de Mérode. - Ce sont des bêtises !
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Ce sont des « bêtises » ! dit l'honorable comte de Mérode. Je ne sais pas si c'est la dérivation de la Meuse, qui est une bêtise ; mais l'an dernier, l'honorable comté appuyait cette bêtise-là.
M. Delfosse. – En 1841, il l’appuyait chaleureusement. C'était, de son aveu, une question d'humanité.
M. de Mérode. - J'ai appuyé les travaux a. faire dans la ville de Liége, mais non pas la canalisation de toute la Meuse.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Je ne m'occupe, messieurs, que du point sérieux qui doit fixer notre attention. Je dis que ce sont là des dépenses qui, actuellement, dans, un mois, dans six mois, dans un an, si vous le voulez, seront indispensables. Ces dépenses seront faites, et seront faites dans un temps très rapproché. Quel est le moyen d'y faire face ? Je ne connais que deux moyens, et ces deux moyens se résument en un seul ; c'est l'emprunt et l'impôt, et l'emprunt c'est toujours l'impôt, car il faut bien des ressources durables pour couvrir les intérêts et l'amortissement des sommes empruntées.
Il est impossible, messieurs, de faire face à de semblables obligations, aux dettes du passé, aux dettes du présent, aux dettes qu'il faudra contracter demain, sans recourir à l'emprunt et à l'impôt, à moins qu'on ne veuille faire des économies radicales, de ces grandes économies qui permettraient de trouver les sommes nécessaires pour couvrir l'intérêt et l'amortissement de l'emprunt ; ; mars toujours l'emprunt serait nécessaire, pour remplir les obligations immenses que je viens d'indiquer.
Un de mes honorables collègues s'est expliqué tout à l'heure en ce qui touche ces économies radicales, qui ne peuvent être prises que sur l'armée. Je dirai, messieurs, que les sommes nécessaires pour l'armée forment aussi une dette du pays.
Après de longues discussions, les chambres ont donné au pays l'organisation de l'armée telle qu'elle est aujourd'hui..
Vous avez, messieurs, créé par là des carrières et des positions pour un grand nombre de personnes ; beaucoup d'existences sont aujourd'hui attachées à l'armée ; réduire notablement, tout d'un coup, sans examen, sans savoir qui l'on va frapper, cesser de payer une partie de la dette contractée, par cela seul que l'armée a été organisée, ce serait, permettez-moi de le dire, ce serait une sorte de banqueroute !
Ah ! si vous disiez que vous entendez opérer des réductions successives, je le comprendrais ; j'admettrais qu'on pût discuter sur ce terrain ; mais lorsqu'une fois l'organisation de l'armée est faite, lorsque cette loi importante est introduite dans le pays, lorsqu'un grand nombre d'existences dépendent de l'exécution de cette loi, je ne comprends pas que, sans égard pour les positions acquises, on veuille, dès à présent, détruire, bouleverser de fond en comble ce qui a été fait.
L'honorable M. Cogels a dit tout à l'heure, en face de cette situation que j'ai peut-être comprise autrement que lui, que le cabinet avait commis une haute imprudence en annonçant l'emprunt. (Interruption.)
J'ai parfaitement entendu les paroles de l'honorable M. Cogels. Il a dit qu'il y avait imprudence à annoncer ainsi la nécessité de créer de nouvelles ressources et de faire un emprunt.
M. Cogels. - Sans préciser.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Je ne sais si à l'extérieur ou dans cette chambre, messieurs, les financiers (je n'ai pas la prétention de compter parmi eux) sont des gens fort sots, ignorants de leur nature, incapables d'apprécier la situation financière d'un pays. Je ne me suis pas livré à de grandes éludes en fait de chiffres ; je n'ai pas, pour ma part, approfondi la situation financière des différents Etats de l'Europe ; mais avec un peu de bon sens, en examinant toutes les pièces qui ont été publiées, j'ai vu quelles étaient en réalité les dettes et les ressources du pays.
Il me semble que les grands faiseurs d'emprunts doivent connaître au moins aussi bien que moi quelle est au juste notre position ; ils savent bien à quelle époque un pays doit contracter un emprunt ; et ce n'est pas parce qu'on annonce un emprunt quelques mois avant de le contracter, que tout d'un coup on éclaire ces messieurs sur la véritable situation du pays.
Oh ! cela va nous faire un tort immense, personne dans le pays ne savait qu'il fallait un emprunt, mon prédécesseur immédiat au département des travaux publics ne l'avait pas dit au sénat, c'est le ministère actuel qui vient ici imprudemment, à la légère, compromettre le salut de l'empire et faire baisser de quelques pour cent les fonds publics ! En vérité, messieurs, cela n'est pas sérieux.
Messieurs, je m'occuperai maintenant très succinctement de la question qui me touche plus directement, je veux parler du chemin de fer.
L'honorable M. Malou, et je m'étonne que cette observation soit émanée de lui ; l'honorable M. Malou empruntant des arguments à certains journaux qui harcèlent le ministère depuis sa constitution ; l'honorable M. Malou répétant ce qui se trouve dans certains journaux depuis la publication du budget du département des travaux publics ; l'honorable M. Malou vous a dit : « L'équilibre se trouve rompu entre le budget des dépenses et le budget des voies et moyens, mais voici pourquoi : c'est que le ministère actuel n'a pas opéré comme nous l'avons fait ; c'est qu'il a augmenté les dépenses et diminué les recettes ; et j'ai été scandalise de voir le budget des travaux publics accru tout à coup pour le seul article du chemin de fer, d'une dépense de 1,500,000 fr. et les recettes réduites de 500,000 fr. !..... »
M. Malou. - Ce n'est pas cela que j'ai dit ; voulez-vous me permettre de m'expliquer ?
(page 168) M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - J'en appelle à la chambre ; c'est là exactement, pour le fond, ce qui a été exprimé par l'honorable membre, d'accord en cela avec les accusations produites par certains journaux.....
M. Malou. - Je n'ai rien de commun avec les journaux.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Je ne prétends pas que vous ayez quelque chose de commun avec les journaux, mais je me plais à croire que vous les lisez ; or je puis dire que dans les journaux qui attaquent très particulièrement le ministère, on trouve tous les jours imprimé que le budget des travaux publics se trouve augmenté de 1,300,000 francs, et que la recette est réduite de 500,000 francs, et c'est également ce que l'honorable membre a avancé.
Commençons par la recette.
Il est vrai qu'au budget des voies et moyens on a réduit de 500,000 fr., les évaluations faites par l'honorable M. Malou, du chef du chemin de fer. Mais je suis convaincu que l'honorable membre sera dans l'impossibilité de fournir à la chambre aucun élément propre à constater qu'il y avait probabilité d'atteindre la recette de 10 millions 500,000 francs ; je m'engage à démontrer lors de la discussion de mon budget, que le chiffre, évalué par nous à 16 millions, était tout ce qu'on pouvait raisonnablement faire figurer de ce chef au budget des voies et moyens.
Quant à la dépense, l'honorable M. Malou, ex-ministre des finances, n'a pas compté sur une petite bagatelle qu'on nomme crédit supplémentaire. Il se trouve par malheur qu'il y a quelque chose comme un million de crédit supplémentaire pour le service du chemin de fer en 1847, et comme le budget de l'exercice 1847 avait été réglé à 16,100,000 fr., il faut bien y ajouter le million de crédit supplémentaire nécessaire pour connaître la dépense effective de 1847 ; ce qui porte cette dépense à plus de 17,000,000 de fr.
Quel est le chiffre demandé au budget des travaux publics pour l'exercice 1848 ? Il est de 17 millions et quelques centaines de mille francs. Pourquoi y a-t-il quelques centaines de mille francs en plus ? Uniquement parce que j'ai fait figurer à mon budget la somme nécessaire pour créer un service de nuit, et parce qu’il y aura une extension d’exploitation d’un cinquième. Environ, et qu’il faudra bien que de ce chef la dépense s’augmente dans le proportion d’un cinquième. Il résulte de là que si je réussis à exploiter le chemin de fer dans les conditions proposées par moi, il n'aura été, à aucune époque, administré aussi économiquement.
Ainsi, il n'est pas exact de dire, il est complètement faux d'énoncer que la dépense en plus sollicitée au budget du département des travaux publics serait de 1,300,000 francs ; cela serait vrai si l'on ne tenait pas compte du crédit supplémentaire d'un million, mais en bonne règle de comptabilité et en bonne justice envers le cabinet actuel, vous me permettrez de compter ce million et de réduire à néant la prétendue augmentation dont vous parlez.
Telles sont les observations que j'ai cru devoir soumettre à la chambre sur la question qui l'occupe en ce moment.
- La séance est levée à 5 heures.