(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1635) M. A. Dubus procède à l’appel nominal à 1 heure et un quart.
M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. A. Dubus fait connaître l'analyse des pétitions suivantes.
« Plusieurs habitants de Moorslede prient la chambre de résoudre affirmativement les trois questions posées dans le rapport, sur les pétitions qui ont pour objet la distribution de la graine de lin de Riga et des droits de sortie sur les lins bruts. »
« Même demande des sieurs Gryspeert Vandamme et autres membres du comité linier de Zarren, et des sieurs de Vrome, de Coek, etc., membres du comité linier de Wercken. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport.
« Le sieur Capouillet présente des observations contre le projet de loi sur le régime de surveillance des fabriques de sucre de betterave. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le conseil communal de Marche demande le redressement de la grande route de Luxembourg, depuis la montagne de Hoyne jusqu'à l’Etoile, avec un embranchement partant du bois de Haversin pour relier la route à celle de Ciney à Rochefort.
« Même demande des membres du conseil communal de Serinchamps, qui proposent soit un tracé direct de Hoyne à Ciney, soit la jonction de la route de Marche à celle de Rochefort. »
- Sur la proposition de M. Pirson, renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
Explications de M. le ministre de l'intérieur sur la requête du conseil d'administration de l'université libre de Bruxelles, relative à la composition des jurys d'examen universitaire.
- Dépôt au bureau des renseignements.
M. de La Coste. - Messieurs, vous avez renvoyé à la section centrale qui vient de s'occuper du projet de loi relatif au régime d'accise sur le sucre indigène, deux pétitions : l’une de la chambre de commerce et des fabriques d'Anvers, et l'autre des sieurs Michel Loos et Foulon, vice-président et secrétaire de l'association commerciale et industrielle d'Anvers. Ces deux pétitions tendent à faire écarter le système proposé par le ministre, pour la perception de l'accise sur le sucre indigène. La seconde tend en outre à obtenir que les effets de l'article 4 de la loi du 17 juillet 1846 soient suspendus pendant une année.
La première de ces demandes est fondée sur ce que, dans l'esprit des pétitionnaires, le nouveau régime ferait échapper à l'impôt une partie considérable des quantités qui devraient y être soumises.
Je n'ai pas besoin de vous dire que, si la section centrale avait partagé ces craintes, si elle n'avait pas partagé la conviction énoncée par M. le ministre des finances que le nouveau régime, avec des formalités moins vexatoires, atteindra néanmoins les quantités imposables, elle ne vous aurait pas proposé, dans le rapport qui est maintenant à l'impression, d’adopter le principe proposé par ce ministre.
Quant au second point, c'est une question toute nouvelle et fort importante. Il s'agirait de ne pas appliquer l'article qui prescrit que, dans certains cas, le rendement serait élevé.
Ce point n'avait pas été examiné par la section centrale.
Elle vous propose l'insertion au Moniteur des deux pétitions, et le dépôt de ces pétillions sur le bureau, pendant la discussion du projet de loi.
M. Loos. - Je crois que le moment n'est pas venu de discuter le projet de loi qui est soumis à la chambre.
L'honorable rapporteur vous a cependant exposé l'opinion de la majorité de la section centrale. Cette opinion, vous la trouverez dans son rapport. Il me semble que les motifs exposés dans ce rapport ne devaient pas être présentés maintenant.
Bientôt, messieurs, vous aurez l'opinion de la majorité développée dans ce rapport et l'opinion de la minorité qui y est également consignée.
Je vous prie de suspendre jusque-là le jugement que vous aurez à porter sur ce projet de loi.
- Les conclusions de la section centrale sont mises aux voix et adoptées.
M. le président. - La parole est à M. Biebuyck, rapporteur.
M. Biebuyck. - La section centrale s'est occupée des dispositions additionnelles, proposées par M. le ministre de l’intérieur, au crédit supplémentaire au budget du département de l'intérieur de l'exercice 1846.
Elles sont ainsi conçues :
« 13° Dépenses arriérées du matériel de l'administration provinciale d'Anvers, pendant les années 1843 à 1845 : fr. 9,896 09 c.
« Cette allocation formera l'article 13 du chapitre XXIV.
« 14° Subside pour le piédestal de la statue du duc Charles de Lorraine : fr. 12,500. »
« Cette allocation formera l'article 14 du chapitre XXIV. »
La section centrale, tout en regrettant que la somme allouée au budget pour les dépenses provinciales ait été dépassée, croit devoir vous proposer l'adoption de ces dispositions additionnelles.
- La chambre décide qu'elle passera immédiatement à la discussion de ces deux crédits.
Le libellé du premier est ainsi conçu :
« 13° Dépenses arriérées du matériel de l'administration provinciale d'Anvers, pendant les années 1845 à 184S,fr. 9,896 09. »
M. Delfosse. - Messieurs, on peut dire de ces crédits supplémentaires, comme de la plupart des crédits de ce genre, qu'ils rendent le vote des budgets illusoire. MM. les ministres et MM. les gouverneurs dépassent trop souvent les allocations des budgets. Si l'ameublement qui a suffi à leurs prédécesseurs n'est pas de leur goût, ils le changent à grands frais ; l'allocation portée au budget est insuffisante, ils le savent, mais ils ont la conscience en repos, ils se disent qu'ils auront le même crédit l'année suivante et qu'ils pourront alors faire des économies ; Mais l'année suivante ces messieurs ont des successeurs qui trouvent bien de ne pas s'occuper de l'arriéré, et de dépenser à leur manière l'allocation portée au budget pour l'exercice pendant lequel ils sont en fonction.
Il résulte de tout cela que des crédits que vous votez au budget sont continuellement dépassés et que l'on vient sans cesse vous demander des crédits supplémentaires ; la chambre se montre trop facile à accorder ces crédits ; elle les accorde toujours et l'on ne sort jamais de cette mauvaise voie.
Il arrive, et c'est ce qui est arrivé dans les dernières séances, que nous discutons longtemps pour obtenir une réduction de quelques milliers de francs ; le ministre, battu dans cette enceinte, se dédommage en dépensant beaucoup plus qu'on ne lui a accordé.
Il ne tient aucun compte du vote de la chambre ; la chambre avait voté une réduction de 2,000 fr. ; il en dépense 10, 20, 30, 50 et même 100 mille en dehors du budget. L'on vient nous dire ensuite : La dépense est faite ; il faut payer. Si l'on adresse quelques observations, le ministre en fonction lorsque la chambre est saisie de l'affaire a une réponse toute prête. Il dit : « Ce n'est pas moi, c'est mon prédécesseur qui a fait la dépense. » C'est un service que tous des ministres se rendent l'un après l'autre.
La chambre ferait bien de se montrer plus sévère dans le vote des crédits supplémentaires. Elle ne devrait les accorder qu'à deux conditions : il faudrait que le ministre prouvât que l'allocation portée au budgets été utilement dépensée, et qu'ensuite, cette allocation étant épuisée, il a fallu faire des dépenses urgentes qu'il n'y avait pas moyen d'ajourner.
Quand il s'agit de dépenses qui ne sont pas urgentes, qui ne sont pas nécessaires, de dépenses de luxe, les ministres ne devraient jamais dépasser les allocations portées au budget, sans l'autorisation préalable des chambres.
C'est la seule marche à suivre. Tant que l'on restera dans la mauvaise voie où l'on est engagé, le vote des budgets n'aura aucune espèce d'utilité ; les dépenses dépasseront continuellement les recettes, et le déficit ira toujours en croissant.
Il faudrait que la chambre donnât une bonne fois une leçon à ceux de MM. les ministres ou de MM. les gouverneurs qui se permettent, de dépasser les allocations du budget ; il faudrait les déclarer personnellement responsables. C'est le seul moyen de mettre un terme à des abus très graves.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - En principe, je suis d'accord avec l'honorable membre. Je dirai même que j'ai mis ce principe en application autant qu'il a dépendu de moi. Ainsi, lorsque je suis entré au ministère de l'intérieur, je me suis fait rendre compte de la situation des crédits, et je suis bien convaincu que, pour l'exercice 1846 et pour l'exercice 1847, il n'y aura pas de déficit.
L'an dernier, j'avais donc demandé cet état de situation, mais je veux seulement dire comment un ministre ou un gouverneur peut quelquefois être induit en erreur. On avait constaté un déficit de 18,000 et quelques cents francs ; j'avais demandé un crédit supplémentaire, et quelque temps après, j'appris que l'état de situation n'était réellement que fictif, attendu qu'on avait employé les fonds de 1846 à payer des dépenses des exercices antérieurs, et c'est ce que j'ai fait connaître à la chambre (page 1636) dans la discussion du budget, et alors il a été entendu qu'un nouveau crédit supplémentaire serait accordé cette année. C'est ce que la chambre a fait.
Ce qui s'est passé dans la province d'Anvers a motivé des recommandations à MM. les gouverneurs, pour les engager à imiter notre exemple, à faire en sorte que les crédits ne fussent point dépassés.
Il arrive quelquefois qu'un fonctionnaire supérieur, ministre ou gouverneur, soit induit en erreur, ne connaisse pas le véritable état des imputations et qu'il continue ainsi à imputer dans la persuasion que les crédits ne sont pas épuisés. Du reste, nous ferons en sorte, dans les ministères et pour les provinces, d'empêcher, autant qu'il est humainement possible de le faire, que cela ne se reproduise. Notre intention bien arrêtée est de ne pas sortir des crédits, à moins que, comme le dit l'honorable membre, des circonstances tout à fait imprévues ne le rendent indispensables.
M. Delfosse. - Je m'attendais, messieurs, à la réponse que M. le ministre de l'intérieur vient de faire. C'est la réponse que l'on fait toujours en pareille circonstance. Du reste, les observations que j'ai présentées ne s'appliquent pas seulement au crédit sur lequel la chambre va voter ; elles s'appliquent encore aux crédits qui ont été adoptés dans la séance d'hier avec une grande précipitation. J'étais sorti un instant de la salle, et lorsque je suis rentré on avait déjà voté 9 articles. Les demandes de crédits supplémentaires viennent presque toujours à la fin d'une session, souvent à la fin d'une séance, après une discussion qui a fortement préoccupé la chambre, et la chambre, fatiguée, les adopte pour ainsi dire sans examen.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, la demande de crédit formée par le département de l'intérieur a été faite, je pense, au mois de janvier dernier, du moins c'est au mois de janvier qu'elle a été présentée au ministère des finances. Il est certain qu'il n’y a eu aucune espèce de calcul pour faire arriver ce projet à la fin de la session. Au contraire, j'aurais désiré qu'il arrivât plus tôt. Je ne puis dire à l'honorable membre qu'une seule chose, c'est que, non seulement pour le matériel du ministère, mais pour toutes les branches quelconques de l'administration, j'ai donné, dès les premiers jours de mon entrée au ministère, des ordres de service très pressants pour qu'on me rendît toujours attentif aux imputations, de manière que les crédits ne fussent point dépassés. Voilà la règle de conduite que je me suis tracée spontanément, parce que je trouve qu'elle doit être suivie autant que possible.
M. Veydt. - Messieurs, les principes qui ont dicté les observations de l'honorable M. Delfosse sont les vrais principes. Il sont incontestables en théorie, et l'on parviendra à en assurer le maintien dans la pratique, lorsqu'on en aura pris la ferme résolution. La chambre peut contribuer à ce résultat, et en ce qui me concerne, je donnerai, au besoin, les mains à une mesure rigoureuse, c'est-à-dire au rejet d'une demande de crédit supplémentaire qui aurait pu être évitée par l'application des règles tracées par l'honorable député de Liège.
Mais il peut y avoir des circonstances exceptionnelles, et elles existent pour le crédit nécessaire à la liquidation d'un arriéré du gouvernement provincial d'Anvers. Je sais, de bonne part, que pendant plusieurs années il n'a pas été possible de connaître exactement le déficit. Il n'y a aujourd'hui plus d'autre moyen de rétablir la régularité que de consentir à un supplément de crédit.
Sans pouvoir entrer dans des détails, je puis déclarer à la chambre que des circonstances exceptionnelles existent, et je crois pouvoir vous engager, messieurs, à émettre un vote favorable à l'allocation de la somme ; cette conclusion est aussi celle de l'honorable rapporteur de la commission qui a examiné la demande depuis hier.
- L'article est mis aux voix et adopté.
Le dispositif de l'article premier du projet de loi est ainsi conçu :
« Art. 1er. Le budget des dépenses du département de l'intérieur, pour l'exercice 1846, fixé par la loi du 15 juin de la même année (insérée au Moniteur du 19 juin 1846), est augmenté de la somme de fr. 256,284 90, répartie comme suit. »
- Adopté.
« Art. 2. Subside pour le piédestal de la statue du prince Charles de Lorraine : fr. 12,300. »
« Cette allocation formera l'article 12 du chapitre XVIII du budget du ministère de l'intérieur pour l'exercice 1847. »
- Adopté.
Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
62 membres répondent à l'appel nominal.
57 répondent oui.
5 répondent non.
En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM. Biebuyck, Brabant, Clep, d'Anethan, Dechamps, de Corswarem, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, de Lannoy, de Man d'Attenrode, de Meester, de Muelenaere, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de T'Serclaes, de Villegas, d'Hoffschmidt, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Henot, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Lejeune, Liedts, Loos. Lys, Maertens, Malou, Mast de Vries, Orban, Osy, Pirson, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Simons, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Veydt, Wallaert et Zoude.
Ont répondu non : MM. Castiau, Delehaye, Delfosse, de Naeyer et Lesoinne.
M. Orban. - Messieurs, parmi les objets à l'ordre du jour se trouve la loi sur la société d'exportation ; je pense que la chambre n'est pas actuellement en mesure de se livrer à cette importante discussion avec toute la maturité qu'elle comporte. Ce qui me porte à le croire, c'est que hier on a ajourné, pour un motif semblable, la discussion du rapport sur l'instruction primaire, discussion dont on est convenu de s'occuper lors du premier budget de l'intérieur.
Du reste il y a plusieurs objets importants qui doivent être examinés avant l'ajournement de la chambre ; notamment la loi sur les sucres et la loi sur les denrées alimentaires ; la loi sur les sucres peut donner lieu à de longues discussions. Si la chambre pense qu'on ne peut pas en ce moment s'occuper de la loi d'exportation, il serait bien de s'en exprimer car si on doit s'occuper de cet objet, on se préparera pour la discussion ; mais afin qu'on ne se prépare pas inutilement, je demande à la chambre de se prononcer sur cette modification que je propose à son ordre du jour.
M. de Haerne. - Je ne puis me rallier à la proposition de l'honorable M. Orban, car la chambre a paru toujours ranger parmi les mesures les plus propres à venir au secours des populations souffrantes dans la crise alimentaire et linière, où nous nous trouvons, le projet de loi relatif à la société d'exportation. Ce serait, ce me semble, aller à l’encontre des intentions exprimées à plusieurs reprises par la chambre, que de ne pas s'occuper de ce projet important, dont on ne peut méconnaître l'urgence, avant de nous séparer.
Voilà pourquoi je ne pense pas que nous puissions adopter la proposition de M. Orban.
M. Rogier. - J'ai demandé la parole quand j'ai entendu l'honorable député du Luxembourg émettre l'opinion qu'il n'y aurait pas de discussion sur le projet de loi concernant la société d'exportation, attendu que d'autres projets importants qui sont à l’ordre du jour devaient nécessairement être discutés avant la fin de la session. Il a cité entre autres le projet présenté par M. le ministre des finances relativement à la législation des sucres.
Je ne sais si l'honorable membre a déjà une opinion faite sur ce projet, mais si l'on n'aborde pas la discussion du projet de loi concernant la société d'exportation à cause des longs débats qu'il pourrait entraîner, le même motif doit faire ajourner le projet de loi sur les sucres, attendu que ce projet de loi va probablement faire renaître en grande partie les discussions qui ont déjà occupé tant de séances de la chambre.
Quant à la priorité du temps, le projet de loi d'exportation est antérieur à celui sur les sucres et devrait passer avant. Dans tous les cas, je répète que la discussion de la loi sur les sucres devra être ajournée sous peine de voir la fin de la session occupée de nouveau par de très longs débats.
Il est regrettable qu'un an à peine après le vote d'une loi qu'on devait croire définitive, précédée qu'elle avait été de tant de débats et de tant d'autres lois sur le même objet, M. le ministre des finances vienne nous mettre de nouveau dans la nécessité de discuter la législation sur les sucres. Il y aura de nouveau de longs débats et je doute que la session actuelle puisse y suffire. Au reste, rien ne presse, de ce côté, et nous pourrons remettre ce projet à une autre session.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Le projet de loi sur les sucres a été présenté par suite d'une prescription formelle de la loi ; ainsi il n'y a pas de regrets à exprimer. Le gouvernement n'a fait qu'obéir à une prescription légale. Ce projet de loi ne remet pas en discussion dans son ensemble la législation sur les sucres, et je pose en fait qu'une couple de séances bien employées suffiraient amplement à la discussion de ce projet qui intéresse les deux industries, et qui, je n'hésite pas à le dire, est nécessaire à toutes deux.
J'aurais déjà demandé la mise à l'ordre du jour de ce projet, si le rapport avait été distribué ; et je ferai cette motion aussitôt après la distribution du rapport.
On vous demande de régler votre ordre du jour bien longtemps à l'avance. Je crois que, pour le moment il suffirait de décider qu'on donne la priorité à tous les projets portés à l'ordre du jour, sur les trois projets de loi relatifs aux sucres, au notariat et à la société d'exportation.
Plus tard, suivant le résultat de nos débats, suivant le temps qui restera, on verra dans quel ordre devront être discutés ces trois projets de loi.
Je fais cette proposition pour que la discussion qui s'engage en ce moment ne fasse pas perdre à la chambre un temps qui est précieux, parce qu'il n'est plus très long.
M. Delehaye. - J'ai demandé la parole quand M. le ministre des finances a déclaré que la loi sur les sucres ne pouvait donner lieu à une discussion très longue. Je dois faire remarquer que le projet du gouvernement renverse complètement le système qui est en vigueur.
M. le président. - Ceci est le fond.
M. Delehaye. - Ce fond a été traité par M. le ministre des finances.
Je dis que ce projet donnera lieu à de très longues discussions. Pour le prouver, je fais remarquer qu'il renverse le système établi, que des trois contrôles existant pour assurer la perception du droit, le ministre propose de n'en conserver qu'un.
(page 1637) Après avoir voulu la coexistence des deux industries, on dit que cette coexistence sera maintenue, et l'on vient détruire le contrôle à l'aide duquel seul on peut assurer la coexistence.
L'honorable M. Orban a soulevé la question de savoir s'il ne conviendrait pas d'ajourner la discussion du projet de loi relatif à la société d'exportation.
Dans mon opinion, une société d'exportation bien combinée et confiée à des mains habiles donnerait à l'industrie linière des gages d'avenir.
Plusieurs membres. - C'est le fond.
M. Delehaye. - Pas du tout, c'est la question ; car cela établit la nécessité de discuter, dans cette session, le projet de loi relatif à la société d'exportation.
Je conçois bien que l'on puisse désirer que cette discussion ait lieu à l’abri de toute préoccupation politique. Je conviens qu'il est fâcheux que cette discussion ait lieu à la veille des élections. Mais j'ai assez bonne opinion des membres de cette chambre pour être persuadé qu'ils envisageront la question au point de vue de l'intérêt général, abstraction faite de tout intérêt politique ; et pour ce motif je demande que le projet soit mis à l'ordre du jour.
M. Delfosse. - Je ne m'oppose pas à la proposition de M. le ministre des finances. Je ne l'appuie pas non plus. Mais si elle était adoptée, je demanderais qu'on ne s'occupât pas aujourd'hui du projet de loi relatif à la réduction des péages de la Sambre. Le grand nombre des projets portés à l'ordre du jour devait nous faire supposer que celui dont je viens de parler ne serait discuté que la semaine prochaine. Je n'ai pas apporté les pièces. Il ne faut de surprise pour personne. Je demande que ce projet ne soit pas discuté avant le deuxième vote du budget des travaux publics.
M. Brabant. - Je me proposais de faire une motion relative à la mise à l'ordre du jour du projet de loi relatif à la réduction des péages de la Sambre. Elle devient inutile, si la chambre adopte la proposition de M. le ministre des finances. Mais mon intention n'était pas de surprendre la bonne foi de qui que ce fût dans cette enceinte. Je me joins donc à l'honorable préopinant pour demander que la discussion de ce projet de loi ait lieu, non pas aujourd'hui, mais après le second vote du budget des travaux publics.
M. Orban. - Je me rallie à la proposition de M. le ministre des finances que je considère comme résolvant la question dans le sens de ma proposition. Il est évident que nous ne discuterons pas dans cette session les trois projets de loi qu'il vient d'indiquer, au nombre desquels se trouve celui sur la société d'exportation.
- La chambre consultée adopte la proposition de M. le ministre des finances. Elle fixe ensuite la discussion du projet de loi relatif à la réduction des péages de la Sambre après le second vote du budget des travaux publics.
M. le président. - La parole est à M. Osy.
M. Osy. - Je conçois, messieurs, que par le désir que nous avons tous de voir la fin de la session, vu l'urgence, la commission nommée par le bureau n'a pu nous faire qu'un rapport très laconique sur le projet présenté par le gouvernement pour les denrées alimentaires.
Il est instructif, à cette occasion, de connaître les quantités de céréales mises en consommation en 1848, 1846 et le premier trimestre de cette année, pour bien apprécier quel a été notre déficit depuis deux ans ; et permettez-moi, messieurs, de vous donner le mouvement des importations qui ont servi à la consommation.
En froment,
En 1845, on a mis en consommation hect. 1,140,000
En 1846, 1,600,000
En 1847, premier trimestre, 90,000
Total, 2,850,000
En seigle,
En 1845, 300,000
En 1846, 560,000
En 1847, premier trimestre, 160,000
Total, 1,020,000
En orge,
En 1845, 600,000
En 1846, 370,000
En 1847, premier trimestre, 50,000
Total, 1,020,000
Les grandes importations n'ont guère commencé avant le mois de juin 1845 ; ainsi, en moins de deux ans, le pays a eu besoin, en froment, seigle et orge, de 4,870,000 hectolitres, soit l'énorme quantité de 357 millions de kilogrammes.
En calculant sur une moyenne de 250 tonneaux par navire, on a dû avoir recours pour leur transport à 1,400 navires de mer.
.Nos importations ont été bien plus fortes pour le commerce de transit et nos exportations vers l'Allemagne et la France ; mais à ce sujet nous n’avons pas les données statistiques du gouvernement.
Notre déficit a donc été énorme dans ces deux années d'épreuves que nous venons de passer ; mais il est heureux que le commerce ne soit pas resté en défaut, et il ne manquera jamais à sa mission si nous faisons des lois qui lui garantissent la stabilité et la sécurité ; et comme nous allons nous séparer, il était temps que le gouvernement nous présentât une loi pour la campagne prochaine.
Nous formons tous des vœux pour que la Providence nous accorde cette année une bonne récolte ; mais comme il est maintenant prouvé par l'expérience des douze dernières années, que la Belgique ne produit pas assez de céréales pour sa propre consommation, même dans les bonnes années, il était nécessaire de déclarer la libre entrée pendant 1846, et j'aurais même désiré, au lieu de s'arrêter au 1er octobre, d'aller jusqu'au 31 décembre ; car si même la récolte de 1847 est bonne, toutes les provisions seront tellement épuisées, qu'il est- à croire que de ce que le commerce attend encore, il ne restera presque pas d'approvisionnements, et si même en 1848 les prix des céréales étaient bas et descendaient même au-dessous de 20 fr. pour le froment, ce ne serait qu'une légère compensation pour le consommateur, après avoir dû se nourrir à des prix si exorbitants pendant deux ans ; car, à l'heure qu'il est, le froment dépasse encore le double du prix fixé pour la libre entrée.
En décrétant la libre entrée jusqu'au 1er octobre 1848, on ne pourra faire des commandes au-delà du mois de juillet ou août, parce que les navires pourraient arriver après l'époque fixée pour la libre entrée ; j'aurai donc l'honneur de proposer un amendement pour déclarer que tous les navires venant de l'étranger, et qui auront été expédiés avant le 1er septembre, pourront entrer en franchise de droit, quelle que soit l'époque de leur arrivée. D'Odessa, des Etats-Unis, de Saint-Pétersbourg et d'Archangel, il faut plus d'un mois pour l'arrivée des navires venant de ces ports.
Si l'on décrétait la libre entrée jusqu'au 31 décembre 1848, je proposerais alors le 1er décembre au lieu du 1er septembre.
J'aurais aussi désiré que nous eussions déclaré pour toute l'année 1847 et 1848 la libre entrée du bétail et des viandes fumées et salées, au lieu d'accorder une faculté au gouvernement.
En décrétant des libres entrées par trimestre, le commerce ne sait jamais à quoi s'en tenir, et il vaut mieux prendre une mesure large pour un terme de 18 mois. Les éleveurs pourront alors faire leurs combinaisons pour acheter du bétail maigre, et le commerçant pourra faire ses commandes à l'étranger pour les viandes, tandis que maintenant il n'y a aucune sécurité ; et cependant nous devons tous désirer de procurer, après une longue épreuve de souffrance et de privations, toutes les denrées alimentaires au plus bas taux possible.
Je crois que nous ferions chose sage et utile de décréter la libre entrée du bétail et des viandes et de la comprendre dans le premier paragraphe de l'article premier et retrancher le deuxième paragraphe de cet article ; j'aurai l'honneur de faire une proposition dans ce sens.
Dès l'ouverture de la session actuelle, nous avions proposé par amendement la libre entrée du bétail et des viandes, et nous avons dû venir plusieurs fois à la charge pour l'obtenir très tardivement par arrêté royal... Garantissons au moins cette libre entrée pour 1847 et 1848 et nous ferons chose sage et rassurante pour les consommateurs.
M. de La Coste. - Je suis disposé à accorder au gouvernement tout ce qu'il nous demande dans les circonstances actuelles ; et même, sous un certain rapport, je regrette qu'il n'ait pas été plus loin.
Ce n'est pas, néanmoins, quant aux questions soulevées par l'honorable M. Osy.
J'attendrai, pour fixer mon opinion à cet égard, que ses observations aient été rencontrées ou appuyées, en un mot que la discussion soit plus avancée.
Cependant je soumettrai à la chambre une observation générale.
Quiconque a suivi avec attention les vicissitudes des prix des céréales doit avoir la conviction que rien n'est plus hasardé que des prévisions quelconques en cette matière, quand elles se rapportent à une période plus ou moins éloignée.
Il n'est donc pas prudent de trop engager l'avenir.
Ce serait donner au commerce une fausse sécurité ; car quelque chose que décide la chambre, les trois pouvoirs ont le droit d'y revenir et d'avoir égard aux circonstances du moment, telles qu'elles se présenteront.
L'objet sur lequel je veux appeler l'attention de la chambre et sur lequel je désirerais des explications du gouvernement, c'est de savoir pourquoi le gouvernement se borne à une demande de crédit de 300,000 francs. Je conçois très bien qu'on ne désire pas surcharger le trésor ; cependant, les circonstances sont telles que cette considération ne devrait pas arrêter.
Nous avons encore par-devers nous deux mois très difficiles à traverser. Nous avons, dans plusieurs parties du pays, des besoins qui sont très urgents et, d'après les renseignements que j'ai reçus, la province du Brabant renferme différentes communes où des secours viendraient très à propos.
D'un autre côté, j'ai très bien compris dans les commencements de la situation actuelle, quand la situation était moins prononcée, moins dessinée, j'ai compris que le gouvernement n'entrât pour rien dans les besoins extraordinaires des villes. On pouvait dire : Elles ont de grandes ressources ; elles en ont et dans leur octroi et dans la charité publique.
Cependant, messieurs, nous voyons que le gouvernement prend pour règle de stimuler par son concours tout ce qui est utile. Il le fait pour les arts, pour les établissements scientifiques, pour les constructions religieuses et une foule d'autres objets. J'aurais donc pensé que, conséquent (page 1638) avec ce principe, le gouvernement, maintenant que les villes ont été appelées à de si grands sacrifices, que plusieurs ont supportés d'une manière si remarquable, si noble, que le gouvernement, dis-je, se serait ménagé des ressources pour pouvoir éventuellement venir à leur secours, stimuler et seconder leurs efforts.
Messieurs, je suis d'autant plus conséquent avec moi-même, en faisant cette observation, que si l'on n'y avait pas égard, il y aurait une fin de non-recevoir opposée à la réclamation de la ville de Louvain que j'ai appuyée près de vous et que le gouvernement semblait disposé à accueillir. On vous a fait observer que cette ville, par suite des mesures mêmes qui étaient prises dans l'intérêt général des subsistances, dans l'intérêt de. leur circulation, éprouvait une perte énorme, et dans son commerce et dans ses revenus, qui lui sont nécessaires pour parer aux nécessités du moment.
Cette observation avait paru tellement fondée, que si un nouveau crédit avait été accordé au gouvernement, il n'y avait pas de doute que cette ville n'en eût eu une part.
Je regrette donc infiniment que le crédit se borne à 300,000 fr., destinés à l'achat de pommes de terre pour la plantation. Je désirerais beaucoup que ce chiffre fût augmenté. Je supporterais volontiers la part d'impôt qui pourrait me revenir de ce chef, parce que, dans le moment actuel, il convient que chacun fasse des sacrifices proportionnés aux besoins du moment. C'est un intérêt qui doit dominer tous les autres ; et je dirai même que l'intérêt égoïste de la partie des populations qui auraient à supporter une part dans les charges, se réunit à l'intérêt d'humanité que je fais valoir.
Car, messieurs, il importe aux classes qui supportent les impôts que les travailleurs, instrument essentiel de la richesse publique, ne succombent pas sous le poids. Il importe que les maladies causées par la misère ne fermentent pas dans des réduits infects, d'où elles se propageraient sur toute la population.
Je désirerais dore que le subside demandé fût plus considérable, et j'appuierai un chiffre, plus élevé s'il est proposé.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je commencerai par déclarer que je ne fais pas opposition à l'amendement de l'honorable M. Osy, tendant à affranchir des droits d'entrée les navires qui auraient été chargés de céréales un mois avant l'expiration de la loi. Une mesure semblable se trouve dans la loi française ; ainsi la loi dans ce pays expire au 1er juillet. Cependant, on a accordé une prorogation de l'exemption pour les navires qui entreraient après cette époque, s'ils avaient été chargés un mois avant l'expiration de la loi. Je ne vois à cela aucun inconvénient.
L'honorable membre aurait préféré que le gouvernement eût proposé la date du 31 décembre 1848.
Nous avons pensé, messieurs, que, pour le moment, il n'y avait aucune utilité à aller aussi loin. Il y avait utilité à donner au commerce des assurances pour la libre importation jusqu'au 1er octobre 1848, pour que, dès maintenant, le commerce pût faire des commandes de céréales dans les pays lointains. Mais il est évident pour chacun que le commerce n'ira pas anticiper et faire des commandes sur deux récoltes futures. Cela est impossible. Dès lors, nous aurons par-devers nous toute la session prochaine pour aviser suivant les besoins de la situation. Au 1er octobre 1848, le pays sera en jouissance de deux récoltes nouvelles, celle de 1847 et celle de 1848, et en sus de toutes les importations qui auront pu être effectuées.
Je pense donc, messieurs, qu'il est inutile, pour le moment, d'aller au-delà des prévisions du projet de loi.
L'honorable membre aurait désiré aussi que le gouvernement décrétât dès maintenant la libre entrée du bétail, des viandes sèches et salées jusqu'à la même époque.
Par deux arrêtés royaux on a accordé la libre importation du bétail sur pied jusqu'au 1er juillet prochain et la libre entrée des viandes sèches et salées jusqu'au 1er octobre. Je crois, messieurs, qu'il convient de laisser au gouvernement le soin de décider la prorogation de ces arrêtés suivant les circonstances.
Personnellement, je suis beaucoup plus incliné pour la libre entrée des viandes sèches et salées que pour la libre entrée du bétail ; et en voici les motifs. Les viandes sèches et salées nous arrivent des pays étrangers et les commandes peuvent être faites assez longtemps d'avance. Ces viandes sont aussi plus à l'usage des classes ouvrières que la viande fraîche.
Quant au bétail, il est certain que la libre concurrence dans certaines circonstances décourage singulièrement le cultivateur, et à l'heure qu'il est, je sais déjà que dans la province du Limbourg et dans une grande partie de la province d'Anvers, on se plaint amèrement des dispositions de l'arrêté du 7 mars. J'ai reçu à ce sujet plusieurs plaintes. Voici en quels termes M. le gouverneur de la province du Limbourg s'exprime à cet égard :
« La libre entrée des bestiaux maigres fait à ma province un tort considérable ; le prix du bétail y a diminué de plus de 20 p. c. Les contrées où toute l'industrie agricole se résume dans l'élève des bestiaux sont douloureusement frappées par ces mesures. »
Déjà, messieurs, j'avais passé trois jours dans cette province, et j'avais reçu personnellement un grand nombre de réclamations sur cette mesure. Les habitants de plusieurs communes se plaignaient de ne pas pouvoir vendre les bœufs qu'ils avaient nourris à grands frais pendant tout l’hiver. Les années précédentes, on était dans l'habitude devenir leur acheter ces bœufs ; cette année on ne se présentait pas.
Encore, messieurs, si cette mesure avait produit pour les habitants des villes, tout l'avantage qu'on s'en promettait, il y aurait eu une compensation ; mais, malheureusement, il n'en a pas été ainsi. Il paraît que les bouchers seuls ont profité de la mesure, car d'après tous les renseignements que j'ai recueillis le prix de la viande de boucherie n'a pas baissé. (Interruption.) A Liège le prix a baissé pour la viande de troisième qualité, mais je crois que cette baisse, que j'ai également signalée avec beaucoup de plaisir, est due à la suspension du droit d'octroi qui a permis la concurrence des bouchers de l'extérieur. Elle n'a point eu lieu pour les viandes de la première et de la deuxième qualité, précisément, parce que pour celles-là la concurrence du dehors était impossible, et cela démontre que la baisse du prix de la viande de troisième qualité est due exclusivement à la suspension du droit d'octroi. On pourra se servir de cet argument lorsque nous nous occuperons de la révision des droits d'octroi. Nous aurons à voir alors de quelle manière on pourrait faciliter la concurrence, au moins pour quelques objets de première nécessité.
Du reste, messieurs, je ne veux point me prononcer d'une manière absolue, car je dis que la question doit être résolue d'après les circonstances. Je ferai cependant remarquer que si, au milieu de l'été le gouvernement décrétait la libre entrée du bétail, cette mesure pourrait susciter aux cultivateurs une concurrence extrêmement fâcheuse, car à cette époque le bétail est principalement engraissé dans les pâturages, et je crois que les habitants des Flandres, du Brabant et de plusieurs autres provinces pourraient avoir grandement à souffrir si la libre entrée était décrétée au milieu de l'été. Ce sera du reste, je le répète, une question à examiner et à résoudre d'après les circonstances.
Maintenant, messieurs, nous verrons les résultats de l'arrêté par lequel on a autorisé la libre entrée des viandes sèches et fumées jusqu'au 1er octobre. Il est probable que cette mesure sera prorogée, cependant il est prudent de ne pas prendre d'engagement formel ; il sera bon d'attendre les résultats de l'expérience.
L'honorable M. de La Coste aurait désiré que le gouvernement demandât un crédit supérieur à 300,000 fr. Il voudrait qu'on vînt au secours non seulement des classes ouvrières qui sont dans l'habitude de planter des pommes de terre, mais encore du pays en général, y compris les villes. Certes, il nous eût été extrêmement agréable de proposer de ce chef un nouveau crédit et même un crédit considérable, qui nous eût mis à même de satisfaire à une foule de demandes qui nous sont adressées. Toutefois après y avoir bien réfléchi, nous avons pensé qu'une semblable mesure présenterait plus d'inconvénients que d'avantages.
L'expérience vous a instruit de l'extrême difficulté qu'il y a pour le gouvernement à faire une répartition équitable parmi les demandes qui surgissent de toutes parts. Je sais que la plupart des demandes auxquelles il a été fait droit étaient fondées, et très fondées ; cependant, je dois reconnaître que quelques-unes de ces demandes n'étaient point fondées. J'en ai la certitude, les gouverneurs des provinces, qui font les propositions sont, comme nous, entourés de demandes de toutes parts ; c'est, pour ainsi dire, un devoir aujourd'hui pour les administrations communales, pour les habitons d'une commune, de faire des démarches auprès de l'autorité afin d'obtenir une part dans le crédit qui a été alloué à titre de secours, et qui, cependant, ne devrait être employé, d'après l'esprit de la loi et aux termes de la circulaire que nous avons donnée, que pour des besoins réellement impérieux, et là où les secours locaux sont insuffisants. Mais il n'en est point ainsi :on ne s'arrête point dans les demandes de secours ; elles surgissent de toutes parts.
Il est encore à remarquer, qu'en demandant un crédit nouveau, on s'expose à voir diminuer d'autant et peut-être dans une proportion plus considérable les secours des administrations locales et les secours individuels, qui ont jusqu'à présent été abondants, je dois le déclarer.
L'honorable M. de La Coste désirerait que les villes qui, jusqu'à présent, n'ont point eu de part au crédit pour secours, pussent obtenir une part dans un crédit nouveau, qui serait accordé par la législature. Je dirai que quelques villes, qui ont une population extraordinaire, une population rurale considérable, ont obtenu certains secours ; mais les motifs principaux qui nous ont porté à ne point accorder de secours aux villes en général, ces motifs sont les mêmes qui ont guidé mon prédécesseur l'honorable M. Van de Weyer. Je dirai qu'il y a cette année un motif spécial pour agir ainsi : les gelées ont duré extrêmement longtemps ; elles ont duré plusieurs mois consécutifs ; pendant ce temps les populations des campagnes n'ont point eu de travail ; dans les villes, au contraire, les travaux n'ont point été suspendus. C'est là une circonstance tout à fait favorable aux habitants des villes.
D'autre part, il est hors de doute que les villes possèdent beaucoup plus de ressources pour faire face aux besoins extraordinaires, que les communes rurales. C'est là un fait incontestable, et indépendamment des ressources qu'elles peuvent puiser dans leur budget, les villes peuvent, au besoin, recourir au crédit. Il n'est pas de ville qui ne soit à même de faire quelque emprunt pour faire face à des besoins extraordinaires, tandis que les communes rurales ne se trouvent point dans la même position. .,
Quant à l'époque présente, il existe encore des différences. L’usage général est que les ouvriers travaillent dans les villes jusqu'à 5 et 6 quarts, et je crois que le moment où commencent les longues journées est arrivé ; dans les campagnes, au contraire, l'usage le plus général est que les ouvriers ne travaillent que quatre quarts. Il en résulte une différence essentielle entre la situation des populations urbaines et celle des populations rurales.
(page 1639) D'ailleurs, le manque de denrées alimentaires a surtout frappé les cultivateurs, qui ont perdu le fruit de leur labeur et même, dans certaines circonstances, leurs grains. Ainsi là où les pommes de terre ont mal réussi, là où le seigle, cultivé par de petits paysans, a manqué, les paysans ont été privés de toute ressource. Les habitants des villes ne payent que la différence de prix ; ils n'ont point supporté la perle d'un capital.
Je crois, messieurs, que par ces différentes considérations, on peut justifier et très bien justifier la marche que le gouvernement a suivie dans la distribution des secours. Je ne puis que déclarer de nouveau qu'il me serait extrêmement agréable d'avoir à distribuer une somme beaucoup plus forte, je dirai même d'avoir à distribuer autant qu'on nous demande ; mais je ne puis pas donner à la chambre la garantie que la distribution de ces subsides se ferait avec toute l'équité qui devrait y présider-. Quelques efforts que l'on fît, quelques mesures que l'on pût prendre pour contrôler le fondement des demandes, l'autorité supérieure serait très souvent induite en erreur.
M. Osy. - Modifiant mon amendement, je proposerai de laisser le premier paragraphe tel qu'il est, et d'ajouter au second paragraphe les mots : « viandes salées, et fumées ».
M. Desmet. - Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur a manifesté la crainte qu'en votant des subsides, on n'engage les communes à ne pas venir au secours de leurs pauvres, et qu'on n'arrête en même temps l'élan de la charité particulière. Je ne m'associe pas à cette crainte ; l'expérience prouve qu'il n'en est pas ainsi ; ce sont les subsides, au contraire, qui stimulent le zèle de la charité privée ; si le gouvernement ne fait rien, la charité privée se ralentit ; le gouvernement ne fait rien, dit-on alors ; nous ne pouvons pas tout faire.
L'honorable ministre craint encore que les distributions des parts du subside ne soient mal faites, que des administrations communales ne viennent demander sans qu'il y ait un besoin réel ; messieurs, je ne puis non plus partager ici les inquiétudes du ministre, il ne doit pas craindre que les subsides ne soient pas utilement donnés, il n'y a pas de communes qui n'en ont pas un grand besoin ; que l'on se tranquillise donc, les subsides ne seront pas mal donnés, ils sont, au contraire, d'une première nécessité dans toutes les communes, car la misère est partout.
Je voudrais, en conséquence, avec l'honorable M. de La Coste, que l'on augmentât un peu la somme pour plantation de pommes de terre. cette somme est très modique ; répartie entre les provinces, elle ne donne guère à chacune d'elles qu'une part de 30 à 35,000 fr.
L'année dernière, nous avons vu le salutaire effet qu'ont produit les subsides donnés par le gouvernement pour achat de pommes de terre destinées aux pauvres pour être plantées. Les comités des pauvres et les bureaux de bienfaisance ont soigné pour que les pauvres obtinssent quelques verges de terre pour y planter des pommes de terre, et cette mesure a eu un résultat de plus heureux pour la nourriture des indigents.
Je crois que cette année le même effet sera réalisé, et il est à désirer que la mesure ait lieu dans tout le pays, car c'est un grand soulagement pour le pauvre que de pouvoir faire une récolte de pommes de terre.
Il est cependant grand temps que la distribution des pommes de terre, destinées à la plantation, se fasse. Il est une qualité de pommes de terre qu'à l'heure qu'il est on peut encore utilement planter.
Mais il faut cependant que la distribution se fasse immédiatement et que l'on n'attende pas les renseignements des administrations subalternes pour.la faire, car alors il est certain qu'elle se fera trop tardivement ; j'engage donc l'honorable ministre de l'intérieur de ne pas tarder à accorder les subsides.
Je dois appuyer, comme l'honorable ministre de l'intérieur, les mesures de l'honorable M. Osy, en ce qui concerne la libre entrée des grains. Il est un fait constant, c'est la hausse progressive des prix des grains. Ce fait doit causer de l'inquiétude. Cette inquiétude doit nécessairement s'aggraver, quand on voit que le grain commence à manquer au marché.
Le prix du grain est aujourd'hui à un prix tel que le pauvre peut à peine manger du pain une fois par semaine ; il doit se contenter d'une bouillie, faite avec de l'eau, du lait, de la petite bière et un peu de farine.
Cette faible nourriture occasionne des maladies contagieuses qui enlèvent une quantité de pauvres. Une nouvelle espèce de typhus se déclare, et même je pourrais dire une nouvelle espèce d'apoplexie, que l'on pourrait très bien nommer typhus apoplexie de misère ; on voit presque partout exister ces maladies, elles font de grands ravages ; il est cependant bien dur qu'en Belgique nous devions être témoins d'un tel spectacle, que des habitants meurent journellement d'inanition. Messieurs, nous ne pouvons plus souffrir cette calamité, et comme il y a moyen d'arrêter ce fléau, je pense que le gouvernement ne doit épargner aucun moyen pour l'arrêter.
L'amendement qu'avait proposé d'abord l'honorable M. Osy, en ce qui concerne le bétail, est extrêmement dangereux et délicat.
Je ne comprends pas comment dans ce moment la viande de boucherie est si chère dans les villes ; et cependant les distillateurs se plaignent de ne pouvoir pas vendre leur bétail gras ; mais si les distillateurs ne peuvent pas s'en défaire, comment leur sera-t-il possible de continuer leur exploitation ?
Le fait que j'avance est réel ; partout l'on se plaint que les engraisseurs de bétail ne peuvent se défaire de leur bétail ; ils sont forcés de les tenir dans les étables bien au-delà du temps où il leur serait utile de s'en défaire, ce qui cause beaucoup de perte aux distillateurs, qui d'un autre côté souffrent déjà beaucoup par la mévente de leurs produits. Je dis donc que la question du bétail est très délicate et très difficile à résoudre, que l'on doit être prudent et ne pas prendre une décision à la légère ; tâchons d'éviter de faire un tort immense à l'agriculture, car alors le malaise serait encore plus grand dans le pays.
Messieurs, il est malheureusement avéré que la misère augmente tous les jours. Je crains que les mesures que le gouvernement propose ne seront pas suffisantes. D'autres moyens seront nécessaires pour arrêter les terribles progrès du paupérisme ; il faudrait surtout veiller que à ce que les enfants puissent avoir du travail et gagner quelque salaire ; de cette manière, les familles auraient un peu plus que ce que gagne le père «le famille par son travail et pourraient se procurer de quoi subsister, car nous remarquons que quand les enfants gagnent un salaire à côté de celui de leurs parents, ne fût-ce que 30 à 40 centimes par jour, les familles pauvres peuvent exister sans être obligées de mendier.
Je ne puis assez recommander au gouvernement l'érection dans les communes du plat pays des ateliers où les enfants puissent avoir du travail. Nous en obtiendrons, j'en suis convaincu, d'excellents résultats. On doit aider les communes par des subsides, car il est impossible qu'elles fassent tout, par elles seules ; là ou ces ateliers existent on peut juger de leur efficacité.
Quoique souvent j'aie déjà recommandé au gouvernement l'exécution de travaux publics, là où il y a moyen de le faire, je dois encore revenir sur ce point important ; car en laissant travailler les indigents à ces ouvrages, le trésor y gagnera beaucoup par l'économie des subsides qu'il devrait donner en aumônes, et, en outre, il emploierait encore un excellent moyen contre les progrès du paupérisme.
En ce moment-ci, beaucoup de parties des Flandres ont obtenu du travail ; dans la Flandre occidentale presque partout, dans la Flandre orientale, les arrondissements de Gond et d'Eecloo, en ont, par les ouvrages des canaux de Schipdonck et de Zelzaete ; mais les deux plus malheureux arrondissements, ceux d'Alost et d'Audenarde se trouveront encore sans ; celui d'Audenarde est moins malheureux que le nôtre, car il y a un fonds de 300,000 francs, qui est destiné pour des travaux à faire au haut Escaut, pour favoriser l'écoulement des eaux, et il pourrait les employer très utilement aux environs de la ville d'Audenarde, là où est à peu près le cercle du plus grand paupérisme ; je veux parler de la coupure à faire à la rivière, tout près de la ville, à l'endroit appelé du « hennen dries » ; c'est un travail que l'on peut commencer sans devoir faire beaucoup de plans, et qu'en faveur des indigents l'on devrait faire exécuter en régie.
Messieurs, vous serez étonné que je plaide tant la cause du district d'Audenarde, mais en voici le motif : c'est que quand les indigents de ce district auront de l'ouvrage, ils ne viendront pas tous mendier dans le district d'Alost, et enlever ainsi le pain de nos pauvres. Je dis donc que le district d'Audenarde est encore plus heureux ou moins malheureux que celui que je représente ici ; car le nôtre n'a aucun ouvrage public à exécuter ; nous en aurions pu avoir sans que le gouvernement dût dépenser un denier de son trésor, mais on n'a pas voulu, on a voulu nous laisser dans la détresse. Cependant on a eu grandement tort, car le gouvernement devrait, dans les circonstances actuelles, saisir toutes les occasions qui se présentent pour procurer du travail aux nombreuses populations pauvres. Ne pas sentir cette grande vérité, c'est peu connaître les besoins du pays et du moment, et c'est bien déplorable pour les contrées qui souffrent, et où on voit journellement décimer la population par la faim.
Le vagabondage augmente aujourd'hui dans une proportion extraordinaire. Des bandes nombreuses viennent mendier dans les fermes jour et nuit Cela ne se fait pas seulement en Flandre, mais encore dans d'autres parties du pays ; il y a des villages du Brabant, contigus à la Flandre, où l'on rencontre des bandes de 25 à 30 hommes qui se livrent à la mendicité. C'est fort inquiétant.
Le gouvernement doit faire tout ce qui dépend de lui pour arrêter le vagabondage : vous créez des familles nomades, de ces familles bohémiennes, comme dans l'ancien temps, qui n'avaient point de demeure, qui parcouraient les pays en mendiant, et qui se campaient là où elles s'arrêtaient.
C'est un objet de la plus haute importance pour ses conséquences qui peuvent devenir très fâcheuses pour la tranquillité publique. Je doute que le gouvernement partage mes inquiétudes, cependant elles sont réelles. Une conséquence aussi très fâcheuse du vagabondage des mendiants, c'est que les habitants, obligés de donner l'aumône à ces bandes étrangères, n'ont plus suffisamment de quoi donner aux pauvres de leur commune. Ceci est un motif puissant pour que le gouvernement prenne des mesures efficaces pour l'arrêter. Car il n'y aura moyen de faire face à la mendicité et de prendre des mesures pour l'entretien des indigents, que quand ces communes ne devront soigner que ceux qui leur sont propres ! C'est, d'après moi, une des meilleures mesures que l'on puisse indiquer dans la conjoncture actuelle que présente le paupérisme. Que l'on en fasse l'essai, on verra quel en sera le bon résultat. Je le dis avec confiance, parce qu'il y a beaucoup de charité partout pour assister les nécessiteux, mais il y a impossibilité de venir suffisamment en aide à ceux de sa localité, quand on doit supporter la charge de la mendicité étrangère. J'ai dit ; mais je fais des vœux pour que le gouvernement ne perde pas un instant de vue la question du paupérisme et du travail à procurer à ceux qui meurent de faim et que l'on voit tomber morts tous les jours dans les rues et sur la voie publique.
(page 1640) M. Rogier. - J'ai eu l'honneur de déposer sur le bureau un amendement à l'article premier. Cet amendement a pour but de proroger jusqu'au 31 décembre 1848 le délai fixé au 1er octobre de la même année par le projet de loi. Je dois entrer dans quelques développements sur cette grande question des céréales. Cependant j'aurai égard à la situation des travaux de la chambre et au peu de temps qui lui reste pour épuiser son ordre du jour.
Le gouvernement en proposant la libre entrée des céréales jusqu'au 1er octobre 1848 a fait un premier pas dont nous devons lui savoir bon gré, et pour ma part, je l'en remercie.
Si les chambres législatives devaient être assemblées au 1er octobre 4848, je n'aurais peut-être pas présenté ma proposition ; mais au 1er octobre, les chambres sont en vacances. La loi que nous allons faire cessant ses effets à cette époque, il s'ensuit que la loi de 1834 renaîtra. Or, je ne veux pas que cette mauvaise loi renaisse en l'absence des chambres.
Je suis très contraire en 1847, comme je l'étais en 1843 et 1844, au système introduit par la législation de 1834, sur l'initiative d'un de nos honorables collègues, au système de l'échelle mobile, système qu'on avait emprunté à l'Angleterre et dont l'Angleterre vient de faire une si éclatante justice, système que tous les hommes d'Etat d'Angleterre sont aujourd'hui unanimes pour répudier.
Je ne veux donc pas que ce système de l'échelle mobile, alors qu'il vient de succomber à nos portes, renaisse par le seul fait de l'inertie du gouvernement. Je ne nourris pas de défiance absolue vis-à-vis de M. le ministre de l'intérieur, en ce qui concerne le commerce des céréales ; toutefois, je ne puis pas oublier que M. le ministre de l'intérieur a toujours penché beaucoup plus du côté de la législation que je condamne, que vers une législation plus libérale.
Nous n'avons pas oublié qu'il y a à peine deux ans une motion fut introduite dans cette enceinte ayant pour but de renforcer encore cette mauvaise législation. Tout n'a pas été malheur dans les faits qui ont suivi ; une grande leçon nous a été en quelque sorte envoyée d'en haut qui a forcé les auteurs de la proposition à reculer devant leur propre ouvrage. De cette proposition qui n'est pas encore retirée, j'espère que pour l'honneur de cette chambre il n'en sera plus jamais question.
Mais cette motion retirée, nous nous trouvons encore en présence de la législation de 1834 ; et cette législation, quoique plus douce que celle qu'on voulait lui substituer, nous devons également la renverser. Si la loi que nous allons voter doit cesser ses effets en l'absence des chambres, il arrivera que la loi de 1834 pourra reprendre force et vigueur alors même que la majorité des chambres lui serait contraire. Eh bien, en portant au 31 décembre 1848 le terme de la loi qui nous est soumise, terme que M. le ministre propose de fixer au 1er octobre, je permets aux chambres législatives d'examiner en temps opportun la convenance de sanctionner de nouveau ou de corriger la législation de 1834.
Il n'y a que trois mois de différence entre la proposition du gouvernement et la mienne, mais pendant ces trois mois les chambres peuvent être consultées et aviser. Je ne pense pas que M. le ministre de l'intérieur veuille mesurer avec tant de parcimonie la nourriture du peuple qu'il ne consentirait pas à ce que la libre entrée des céréales fût prorogée pendant trois mois. En supposant, chose qui malheureusement n'est pas à prévoir, que le prix des céréales vint à subir une baisse considérable, ne serait-il pas de toute justice, ne serait-ce pas une compensation bien faible des souffrances d'aujourd'hui que le peuple pût jouir pendant quelques mois, pendant trois mois, de ce bon marché des céréales. Mais cette faveur, je le dis tout de suite, je n'oserais pas la lui promettre.
Je ne crois pas, messieurs, que la loi de 1834 mérite à aucun égard cette espèce d'immobilité qu'on voudrait lui attribuer en n'y touchant pas. Rappelons-nous son origine ; elle a été en quelque sorte improvisée dans cette enceinte, elle a été imposée au gouvernement- ; je l'ai combattue pendant plusieurs séances avec toute l’énergie dont j'étais capable ; je repoussais ce système comme ne donnant pas même satisfaction à l'agriculture, en faveur de qui il était produit. J'ai combattu pour le maintien du droit fixe dont nous étions en possession et qui depuis a triomphé en Angleterre. Messieurs, j'ai été vaincu et complètement vaincu dans cette circonstance, je ne le nie pas ; mais je ne regrette pas l'opinion que j'ai soutenue alors ; j'y suis resté fidèle, c'est cette opinion que je voudrais faire prévaloir, que je tâcherai de faire prévaloir à défaut du gouvernement.
Je suis partisan de la libre entrée des denrées alimentaires avec un droit fixe modéré à l'entrée, agissant moins encore comme protection, que comme ressource au trésor.
Si, en 1834, nous étions restés dans le système d'un droit fixe modelé, n'est-il pas évident que le trésor aurait pu, sans que le consommateur en ait beaucoup eu à souffrir, recevoir des sommes très considérables ?
Voulez-vous en juger par un exemple ? Voyons l'importation en 1845 et 1846. En voici le relevé.
L'honorable M. Osy a donné le relevé en hectolitres. Le voici en kilogrammes, d'après le Moniteur, avec l'indication de ce qu'aurait produit. un faible droit de 10 fr. par 1,000 kilog.
Froment, seigle, orge, avoine, importés libres de toute charge :
En 1845, 156,198,000 kil.
En 1846, 222,711,000 kil.
Sommes rondes qu'aurait produites in perception d'un droit de 10 fr. par 1000 kilog.
En 1845, 1,561,980 fr.
En 1846, 2,227,110 fr.
Ensemble, 3,789,090 fr.
Et l'on conviendra qu'un tel droit de 10 francs sur 1,000 kilog. n>â rien d'exorbitant, et qu'il n'exercerait qu'une très-faible influence sur le prix de consommation.
Ces quantités ont été introduites, et le trésor n'a reçu aucune somme de ce chef.
Cependant, il avait, il a grand besoin d'argent ; il a eu et il aura des dépenses considérables à faire, nécessitées par les circonstances mêmes qui l'ont amené à recevoir les céréales sans aucune espèce de droit.
Depuis la loi de 1834, il est entré dans le pays des quantités considérables de céréales ; mais si vous faites le relevé des sommes qu'elles ont produites au trésor, vous verrez que ces sommes sont absolument insignifiantes rapprochées des quantités.
L'Angleterre a vécu sous le régime de l'échelle mobile. C'était l'arche sainte à laquelle personne longtemps n'avait osé toucher ; eh bien il a fallu quelques années d'efforts de la part de quelques hommes de cœur, il a fallu à la tête du gouvernement un ministre décidé à périr, s'il le fallait, sur ce champ de bataille glorieux, pour revenir du système de l'échelle mobile à un régime plus libéral et plus rationnel.
A partir du 1er avril 1849, les grains étrangers seront assujettis, en Angleterre, à un minime droit fixe, de 1 sch. par quarter ; c'est-à-dire à une taxe de 40 à 45 centimes par hectolitre.
Ce grand événement qui s'est passé en Angleterre ne doit pas passer inaperçu pour la Belgique. Lorsque nous avons, à nos portes, un immense pays de consommation et de commerce qui a changé complètement sa législation sur les céréales, ce doit être pour nous un indice qu'il y a lieu de faire quelque chose. C'est un avertissement qui nous est donné ; et je crois fortement qu'après une discussion quelque peu approfondie, beaucoup de membres dans cette enceinte reconnaîtront qu'il y a beaucoup à gagner pour la Belgique à substituer au système de l'échelle mobile décrété en 1834 le régime des droits fixes modérés. Je ne le propose pas dès maintenant ; mais je me réserve de soulever cette question. '
Messieurs, en demandant de prolonger de trois mois le délai réclamé par M. le ministre de l'intérieur, je ne crois pas faire une proposition, qui puisse présenter le moindre inconvénient.
Je voudrais que M. le ministre nous dît comment, ne voyant pas d'inconvénient à proroger la loi au 1er octobre 1847, il en verrait à la proroger au 31 décembre. Il n'y en a pas, au point de vue des partisans des mesures restrictives, et il y a davantage au point de vue de ceux qui veulent un régime meilleur et plus libéral en matière de denrées alimentaires. Je n'ai pas besoin d'insister sur ce point, je l'ai déjà suffisamment développé.
On nous dit, messieurs, que l'on ne doit pas craindre, parce que l'on a maintenant dix-huit mois devant soi, de manquer d'approvisionnements. Mais, messieurs, ce qu'il faut pour engager le commerce à faire ces approvisionnements, c'est la stabilité, c'est la certitude, c'est de la latitude. Les faits que je vais signaler prouvent qu'il n'y a pas lieu d'être trop rassuré sur les approvisionnements de cette année et peut-être sur ceux de l'année prochaine.
Tandis qu'en 1846, nous avons reçu 127,564,000 kilog. de froment, pour les trois premiers mois de 1847, savez-vous quelle quantité, d'après le Moniteur, nous avons reçue ? Nous avons reçu la simple quantité de 7,121,000 kilog.
On dira que cela tient à la saison. Mais dans les trois premiers mois de 1846, nous avions reçu 19,815,000 kilog., tandis que, comme je viens de le dire, nous n'en avons reçu dans ce trimestre que 7,121,000. Pour arriver aux 127,564,000 kilogrammes de l'exercice 1846, nous aurions donc encore à importer, dans les neuf mois restants, au-delà de cent vingt millions de kilog., ce qui est un chiffre énorme ; et quelle que soit l'activité du commerce, je crains fort que nous n'arrivions pas à cette quantité, dont cependant le peuple aura si grand besoin.
Autre circonstance, messieurs, qui ne me laisse pas sans appréhension sur l'insuffisance de notre approvisionnement. Je vois que pour d'autres denrées alimentaires nous ne sommes pas beaucoup mieux approvisionnés. Pour le riz, par exemple, qui peut jouer un très grand rôle dans l'alimentation du peuple, tandis que nous en avions reçu dans l'année 1845, 9,331,000 kilog., et en 1846, 11,736,000 kilog., nous n'en avons reçu, dans les trois premiers mois de 1847, que 659,000 kilog. ; tandis que dans les trois premiers mois de 1846, nous avions reçu déjà 2,923,000 kilog. (Interruption.)
Je crois, messieurs, qu'il est peu de questions qui soient plus dignes d'attirer l'attention de la chambre. Il s'agit des denrées alimentaires. Il ne suffit pas, en sortant de cette enceinte, de se lamenter à part soi ou dans des entretiens particuliers sur la situation. La situation n'est pas bonne, n'est pas rassurante, et quand nous parlons des moyens de subvenir à l'alimentation du peuple, nous devons tous prêter attention. Nous ne nous sommes que trop longtemps peut-être endormis sur cette question.
M. le ministre de l'intérieur vient de nous dire que la libre entrée du bétail avait excité des impressions bien douloureuses parmi quelques communes rurales voisines des frontières.
Messieurs, il n'est pas bien de la part de M. le ministre de l'intérieur de lancer dans cette enceinte des assertions qui pourraient faire croire qu'en effet le mal est bien grand, est bien flagrant, et qu'il est bien désespérant de voir entrer dans le pays quelques têtes de bétail étranger, qui viennent un peu suppléer à tout ce qui nous manque de denrées alimentaires.
Voilà, d'après le relevé du Moniteur, l'énorme quantité qui aurait fait invasion dans le pays.
Bêtes bovines, comprenant, sans doute, bœufs, vaches et veaux :
En 1845, il est entré 7,756 têtes ;
En 1846, 11,426 têtes ;
En 1847, pour les 3 premiers mois, 2,751 têtes ;
Dans les 3 premiers mois de 1846, il est entré 2,361 têtes.
Il y aurait donc une augmentation d'environ 400 têtes, due à l'arrêté libéral qui a permis l'introduction du bétail. Une pareille quantité est-elle faite pour jeter la crainte parmi les cultivateurs ? Je demande donc que M. le ministre de l'intérieur veuille rassurer, éclairer les habitants des campagnes sur le peu d'importance des quantités qui entrent dans la consommation.
On a voulu sans doute, messieurs, offrir à nos populations autre chose qu'une vaine proclamation du Moniteur. Lorsque le gouvernement a décrété la libre entrée du bétail, c'était sans doute pour que le bétail entrât ; et il ne convient donc pas de venir déclarer aujourd'hui que l'entrée du bétail est une chose affligeante. Si c'est une chose affligeante, ne permettez pas la libre entrée du bétail ; mais si vous permettez cette entrée, désirez que votre arrêté soit efficace, amène à la population la nourriture dont elle manque.
On est obligé ici de se contenir. On craindrait d'aller trop loin. Je reconnais, pour moi, la nécessité de me renfermer dans certaines bornes. Mais que chacun descende en soi-même ; que chacun se rende bien compte de la situation ; elle est assez grave quant à présent ; elle peut devenir encore beaucoup plus grave dans l'avenir ; examinons les questions avec calme, sans vaine frayeur, mais aussi sans froideur.
J'en reviens à ma proposition, la libre entrée prorogée pendant trois mois, au-delà du 1er octobre 1848, peut-elle donner lieu à quelque inconvénient ?
Je suppose qu'une baisse se manifeste avant le 1er octobre et que cette baisse continue jusqu'au 31 décembre. Pendant trois mois, les populations continueraient à jouir du bas prix des céréales que, pour ma part, je le répète, je n'ose point espérer pour elles. Eh bien, messieurs, serait-ce trop qu'une pareille compensation ? Comparez donc les prix actuels des céréales avec ce qu'ils ont été depuis 25 ans : de 1819 à 1831, la moyenne par hectolitre de froment a été de 16 fr. 60 ; de 1832 à 1844, cette moyenne a été de 18 fr. 50. D'après l'auteur de la loi de 1834, 18 francs était le prix rémunérateur auquel le cultivateur avait droit de prétendre, comme récompense de ses sacrifices. Au-delà de 18 fr. on trouvait que le bénéfice commençait à dépasser quelque peu la récompense due au travail.
Eh bien, messieurs, aujourd'hui en sommes-nous là ? Nous avons sur nos marchés 40 fr. par hectolitre. Et le salaire de l'ouvrier, messieurs, a-t-il augmenté dans la même proportion ? Le travail lui-même a-t-il augmenté ? Mais non, messieurs, le travail n'a pas augmenté. Le travail a sa limite forcée : quand l'ouvrier a consacré dix à douze heures au travail, il ne peut pas aller au-delà. Mais le travail n'a pas augmenté, et nous savons malheureusement qu'il est des localités où le travail manque complètement. Le salaire a-t-il augmenté ? Non. Je ne parle pas seulement du salaire du plus mince ouvrier ; mais l'artisan, le petit bourgeois, le petit employé sont toujours réduits aux mêmes ressources, et comment voulez-vous qu'ils suffisent à leur existence, lorsque le premier aliment, l'aliment essentiel à la vie, a doublé et plus que doublé de valeur ?
Si, messieurs, nous ouvrions au commerce une perspective un peu plus étendue que celle que lui offre M. le ministre de l'intérieur, nous ne ferions qu'agir dans l'intérêt des populations des villes et des campagnes. Ici les habitants des villes n'ont pas seuls à souffrir, ceux des campagnes en très grande partie ont beaucoup souffert de la rareté des céréales, et ont encore beaucoup eu à souffrir. Quant aux grands producteurs, aux grands industriels agricoles, ceux-là, on ne peut pas se le dissimuler, font de très brillantes affaires.
En dépit de la récolte du seigle, qui n'a point parfaitement réussi, je le reconnais, il est évident qu'il y a des industriels agricoles qui font, même en ce moment et depuis bientôt deux ans, de magnifiques affaires ; et lorsque, dans une autre circonstance, un honorable député des campagnes disait que la ville d'Anvers s'enrichissait de la détresse publique, j'aurais pu lui renvoyer ce reproche et lui dire que, si la ville d'Anvers en profitait pour 1, les grands industriels agricoles en profitaient pour 10 et pour 20.
D'après ma proposition, messieurs, la loi de 1834 ne pourrait renaître au jour qu'au vu et au su de la chambre et, en quelque sorte, de son assentiment. Mais si la chambre jugeait convenable de ne pas laisser cette loi reprendre vie, par quoi la remplacerait-on ?
Eh bien, messieurs, j'ai fait connaître tout à l'heure ma manière de voir ; je crois que la chambre devrait, soit comme mesure provisoire, pendant quelques années, soit comme mesure définitive, adopter le système qui a été suivi en Angleterre, le système du droit fixe qui a en sa faveur l'opinion des premiers hommes d'Etat de l'Angleterre, appartenant à toutes les opinions ; car cette question des céréales, il faut le dire, est d'une telle importance qu'en Angleterre elle a dominé toutes les questions de parti, et que pour assurer en plus grande abondance et meilleur marché les denrées alimentaires au peuple, on a vu, de toutes parts, les partis se confondre, des fractions de parti se réunir à d'autres fractions sur cette grande question, qui domine toutes les opinions.
L'Angleterre, messieurs, on l'a souvent citée en exemple à tous les pays qui hésitaient à entrer dans la voie des prohibitions. Cette voie, par un effort mémorable, l'Angleterre l'abandonne. Par sa législation sur les céréales, elle va assurer à ses populations ce qui leur manquait jusqu'ici, l'alimentation à meilleur marché. En assurant à sa classe ouvrière l'alimentation à meilleur marché, l'Angleterre va augmenter de beaucoup sa prépondérance, sa prédominance industrielle sur les autres pays.
L'Angleterre a déjà pour elle le bon marché des capitaux, le bon marché du fer, le bon marché de la houille ; elle avait pour elle une navigation étendue sur tous les points du globe ; par où, messieurs, l'Angleterre pouvait-elle encore présenter des côtés vulnérables ? C'était par l’élévation des salaires qu'elle devait payer à ses ouvriers, à cause de l’élévation du prix des denrées alimentaires ; aujourd'hui l'Angleterre fait disparaître cet obstacle ; elle arrivera ou espère arriver à assurer à ses classes ouvrières les denrées alimentaires à un prix aussi bas, plus bas peut-être que sur le continent. Là, messieurs, est une grande leçon, là est un grand avertissement et là, pour les industries rivales du continent, est un grand danger, il faut bien le reconnaître.
Si nous voulons suivre même de loin l'Angleterre, il faut prendre toutes les mesures pour assurer à la classe ouvrière les denrées alimentaires a bon compte. Mais la question ne se renferme pas seulement dans des intérêts purement industriels ; il faut que les denrées alimentaires soient fournies abondantes et à bon marché au peuple, il le faut parce qu'ainsi le veulent, et la justice, et la prévoyance, et la volonté de la Providence.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, mon intention n'est pas de suivre l'honorable préopinant dans la défense qu'il a présentée de l'amendement qu'il a proposé ; je veux seulement lui répondre quelques mots, relativement à la comparaison de ce qui a été fait en Belgique et de ce qui a été fait dans les pays qui nous entourent.
L'honorable M. Rogier vient de dire que le gouvernement semblait ne vouloir distribuer la nourriture à la classe nécessiteuse que d'une main avare ; il a paru nous reprocher de nous être trop longtemps endormis sur la question des subsistances, toujours si grave.
Messieurs, nous ne pouvons pas accepter ce reproche ; et il ne me sera pas difficile de démontrer à la chambre qu'aucune nation n'a pris aussi tôt, et d'une manière aussi large, des mesures libérales en fait de subsistances que le gouvernement et les chambres belges.
Nous avons pris l'initiative de ces mesures libérales dès 1845 ; et par la loi que le gouvernement propose aujourd'hui, nous renouvelons cette initiative en donnant une seconde fois l'exemple d'une politique de prévoyance et d'avenir que d'autres nations hésitent à suivre, et qu'en France on qualifie d'aventureuse et de téméraire.
Messieurs, la libre entrée des céréales a été décrétée en Belgique depuis le 24 septembre 1845 ; et depuis lors par des prorogations successives, par des lois et par des arrêtés, cette libre entrée a été maintenue et étendue aux farines et au bétail. La loi du 22 novembre 1846 avait fixé le terme de la libre entrée au 1er octobre 1847, avec faculté pour le gouvernement de prolonger le délai jusqu'à la fin de l'année 1847.
Messieurs, l'honorable M. Rogier, dans le discours qu'il vient de prononcer, nous a rappelé plus d'une fois l'exemple mémorable de l'Angleterre, et en particulier celui du grand ministre qui a attaché son nom et sa destinée aux mesures qu'il a fait adopter relativement aux céréales.
Eh bien, messieurs, voyez comment sir Robert Peel a procédé avec prudence dans cette difficile question. L'acte de sir Robert Peel est du 26 juin 1846, c'est-à-dire que cet acte est postérieur de neuf mois à l'adoption de la mesure par laquelle le gouvernement belge avait décrété la libre entrée des céréales et de toutes les denrées alimentaires.
Et cet acte de sir Robert Peel, consacre-t-il la libre entrée des céréales ? Non, messieurs, le gouvernement anglais a procédé avec une extrême prudence ; ce n'est qu'après trois années, c'est-à-dire à partir du 1er février 1849, que l'Angleterre renoncera au système de l'échelle mobile, et adoptera un droit fixe d'un schelling par quarter, comme l'a rappelé l'honorable M. Rogier.
Ce système est libéral, j'en conviens ; mais l'Angleterre ne l'a admis qu'en laissant à l'agriculture un terme de près de trois années pour s'y préparer.
Je le répète, l'acte de sir Robert Peel n'a été posé que neuf mois après que le gouvernement belge avait admis les céréales en franchise de droits.
Ce n'est que le 26 janvier 1847 que la chambre des lords a adopté un bill ayant pour objet de suspendre, jusqu'au 1er septembre 1847, les lois sur les céréales et sur la navigation. Ainsi, cet acte a passé au parlement anglais 16 mois après que le parlement belge avait adopté cette même mesure.
Voyons ce qui s'est passé en France. La loi du 28 janvier 1847 porte que les grains et farines ne seront soumis, jusqu'au 31 juillet 1847, c'est-à-dire pendant six mois, qu'au minimum des droits fixés par la loi de 1832, établissant une échelle mobile.
Ainsi, messieurs, 16 mois après que la liberté des céréales était décrétée en Belgique, la France a admis, non pas la libre entrée, mais seulement la fixation du tarif des céréales au minimum des droits de l'échelle mobile fixée par la loi de 1832.
En France, la mesure de prorogation que nous proposons aujourd'hui, a été récemment mise en avant par le Journal des Débats qui défend les doctrines du libre-échange ; depuis quelque temps, ce journal insiste pour obtenir la prorogation, pour une année, jusqu'au 31 juillet 1848, de la loi temporaire du 28 janvier de cette année.
Eh bien, comment cette proposition a-t-elle été accueillie en France ? La presse presque tout entière l'a qualifiée de mesure téméraire et aventureuse, de nature à entraîner après elle de graves dangers ; les (page 1642) chambres françaises et le gouvernement paraissaient également fort peu disposés à réaliser l'idée mise en avant par le Journal des Débats.
Eh bien, cette proposition aventureuse, hardie, le gouvernement belge vous la fait aujourd'hui, ou plus exactement, il vous propose quelque chose de plus libéral encore, puisqu'il vous demande la libre entrée non pas jusqu'au 31 juillet 1848, mais jusqu'au 31 octobre 1848.
Devant de pareils actes, nous ne pourrions accepter le reproche qu'on nous adresserait, de ne pas faire assez et de ne pas faire assez tôt.
Messieurs, dans les Pays-Bas, pays de liberté commerciale où il n'y a presque aucun intérêt agricole en cause, la loi du 18 décembre 1845 a été portée trois mois après l'exemple que nous avions donné ; cette loi a décrété non pas la libre importation des céréales, mais l'abaissement du droit au minimum fixé par la loi de 1835, c'est-à-dire un droit de 25 cents par mine pour le froment et 15 pour le seigle, avec la libre exportation, à l'égard seulement des pays qui l'admettent de leur rôle.
En Prusse, quelles sont les mesures qui ont été adoptées depuis les circonstances malheureuses au milieu desquelles se trouve placé l'occident de l'Europe depuis quelque temps ? Par un ordre du cabinet du 18 septembre 1845, on a permis l'importation des céréales en franchise de droit dans les provinces rhénanes seulement.
Messieurs, je ne veux pas m'étendre davantage sur des comparaisons que je pourrais cependant multiplier ; il me suffira de dire que l'exemple donné par la Belgique n'a été suivi qu'un an ou deux ans plus tard par la plupart des nations européennes.
L'honorable M. Rogier a parlé des grandes leçons que nous avions reçues de l'Angleterre. Je lui répondrai que ces grandes leçons, nous les avons données, loin de les avoir reçues. (Interruption.) Cette phrase vous paraît ambitieuse, mais je viens de prouver par des faits irrécusables qu'elle est vraie. Nous avons pris l'initiative en adoptant des mesures plus larges, plus complètes que celles qu'on a présentées ou acceptées ailleurs.
Cette initiative, nous la revendiquons ; ces actes de prévoyance, nous tenons à ce que le pays ne les oublie pas, et l'opposition devrait ne pas les oublier et franchement les reconnaître.
M. Rogier. - Je vous en ai félicité et remercié, je vous ai seulement engagé à faire un pas de plus.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je n'avais pas entendu les remerciements de l'honorable M. Rogier ; je lui en sais gré, je n'attendais pas moins de sa loyauté.
Je dis que la loi proposée aujourd'hui est encore une mesure par laquelle la Belgique se place en avant des autres nations. La responsabilité qui pèse sur le gouvernement dans les circonstances actuelles est grande, mais nous croyons n'avoir négligé aucun des devoirs que cette responsabilité nous impose.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L'honorable M. Desmet a demandé si le crédit de 300 mille fr. suffirait pour aider les classes pauvres à faire des plantations de pommes de terre ; nous croyons que oui, attendu qu'en 1846, il n'a été employé que 302 mille fr. à cet objet, la différence n'est que de 2 mille fr. et on ne s'est pas plaint de l'insuffisance des subsides accordés par le gouvernement. Nous pensons même que les 300 mille fr. que nous nous proposons d'allouer cette année, produiront des effets plus considérables que ceux qu'on a obtenus en 1846.
L'honorable membre désire aussi que le gouvernement encourage autant que possible les écoles de manufacture pour les enfants. Nous sommes entièrement de son avis et nous n'avons cessé d'encourager toutes les écoles de cette nature qu'on a cherché à établir en Belgique. Nous poursuivrons ce système aussi loin qu'il sera possible.
L'honorable membre a exprimé aussi le désir qu'on prenne des mesures pour réprimer le vagabondage qui présente de grands dangers. Nous sommes encore de son avis à cet égard ; j'ai déjà appelé sur ce point l'attention toute particulière du ministre de la justice. En effet, rien ne serait plus préjudiciable que le vagabondage de mendiants allant par bande de commune en commune pour exiger des secours, au lieu de se livrer au travail et recevoir dans leur domicile des secours appropriés à leur position.
L'honorable M. Osy a modifié son amendement, il renonce à proposer la libre entrée du bétail ; il restreint sa demande à la libre entrée des viandes séchées et salées. Nous avions toujours annoncé que, quant à ce point, nous étions disposés à proposer au Roi la prorogation de l'arrêté qu'il a pris ; nous ne nous opposons pas à ce que cette mesure soit insérée dans la loi ; nous ne craignons pas qu'il en résulte en Belgique pour l'élève du bétail une concurrencé fâcheuse.
L'honorable M. Rogier a regretté que nous ayons fait part à la chambre des plaintes des cultivateurs contre l'arrêté du 7 mars dernier. Si nous avons fait part de ces plaintes, c'est en acquit de notre devoir, car il est du devoir du gouvernement de porter à la connaissance des chambres les plaintes qui s'élèvent dans le pays, de quelque part qu'elles viennent. L'honorable membre s'appuie sur les chiffres d'importations publiés par le Moniteur pour prétendre que cet arrêté n'a pas pu porter grand préjudice aux cultivateurs : En effet, d'après le tableau des importations, ce préjudice ne doit pas avoir été grand ; cependant il n'en est pas moins vrai que le débit du bétail a été rendu difficile dans une partie du pays et que le bétail n'a pas été demandé aux cultivateurs, comme il l'était annuellement aux mêmes époques ; il en est résulté un grand découragement pour les cultivateurs. Si cela continue, si les cultivateurs conservent les appréhensions que cet arrêté a fait naître, il en résultera une diminution dans l'élève du bétail et plus lard une augmentation de prix ; l'agriculture en éprouverait un grand préjudice, car le bétail est la base de l'agriculture. D'autre part, ce serait nuire à une industrie des gens de la campagne, car l'élève du bétail se fait principalement par les ménagères qui n'ont en général d'autre industrie. C'est une industrie que nous devons protéger à beaucoup d'égards.
Maintenant j'aborde l'amendement de l'honorable M. Rogier et les considérations générales dont il l'a accompagné.
Vous serez peut-être étonnés d'entendre dire que, si je n'avais à parler que dans l'intérêt des propriétaires et des grands propriétaires, j'accepterais avec empressement le système proposé par l'honorable M. Rogier, c'est-à-dire le système du droit fixe et de la liberté d'exportation. Je suis persuadé que ce serait le système le plus avantageux aux grands propriétaires, aux grands cultivateurs.
Je me charge de démontrer ce fait dans le cours de la discussion. Je me borne, pour le moment, à énoncer cette opinion.
Je ne veux pas, dans ce moment, me prononcer sur les modifications qui pourraient être apportées à la législation de 1834 relative aux céréales, ni sur le système du droit fixe et de la libre exportation. Il n'est pas nécessaire d'engager une discussion à cet égard.
Je ferai seulement observer que la législation sur les céréales touche à des intérêts si grands qu'il n'y en pas de moins stable. Ainsi l'on a fait tour à tour l'expérience du système proposé par l'honorable M. Rogier et du système des droits gradués. Et ce sont les circonstances qui ont fait prévaloir l'un ou l'autre système.
Aujourd'hui la politique commerciale semble incliner vers le système proposé par l'honorable M. Rogier. Cependant elle est loin d'être arrêtée. Elle n'est adoptée ni en Allemagne, ni en France. Elle existe en Hollande et elle est décrétée en Angleterre. Mais je n'oserais pas assurer, et l'honorable M. Rogier n'oserait pas assurer non plus que, quand l'Angleterre aura fait l'expérience de ce système pendant quelques années, elle le maintiendra.
Qu'il me soit permis de faire voir cependant en peu de mots quelles eussent été les conséquences du système préconisé par l'honorable membre, dans les circonstances actuelles.
Il vous a dit, qu'au point de vue des intérêts du trésor, son système présentait de grands avantages, et que s'il eût été en vigueur, on eût réalisé en 1845, 1846 et 1847, jusqu'à cette époque, de 4 à 5 millions de recettes.
Eh bien, nous demandons si un système qui, lorsque les céréales sont arrivées à un prix excessif, laisse subsister un droit d'importation qui, pendant une aussi courte période, produit 5 millions, si un tel système mérite tant de sympathies et de popularité, et peut en quelque sorte être qualifié de système humanitaire. Nous disons : Non ! et nous l'avons dit, dans une mémorable discussion, à laquelle l'honorable M. Rogier se plaît si souvent à faire allusion ; nous avons dit que nous considérons les conséquences du système du droit fixe comme pouvant être très onéreuses dans certaines circonstances données. Je n'hésite pas à dire que ce système, en 1845, 1846 et 1847. s'il avait été proposé par le gouvernement, aurait été vivement attaqué par plus d'un orateur de l'opposition.
Ajoutons une autre considération, c'est que le droit fixe exige nécessairement la liberté d'exportation. Eh bien, qu'aurait-on dit si, à côté d'une recette de 4 à 5 millions prélevés sur ces malheureux consommateurs, on avait trouvé une seconde cause de renchérissement dans la libre exportation ? Et n'est-ce pas évidemment ce qui serait arrivé ? Veuillez tenir compte de la position spéciale du pays ; il est traversé par des canaux et des chemins de fer ; les produits agricoles y sont concentrés ; quelques semaines auraient suffi pour que des spéculateurs eussent pu accaparer nos produits et les expédier dans un pays voisin. C'est ce qui n'aurait pas manqué d'arriver à la fin de 1846 et au commencement de cette année pour les céréales et surtout pour les pommes de terre.
Je sais qu'aujourd'hui, par les efforts du commerce, on a pu équilibrer les prix des céréales, mais ils étaient loin de l'être à la fin de l'année dernière et au commencement de cette année.
Je prévois une objection. Si l'on avait la libre exportation des céréales le commerce aurait fait des efforts proportionnés, et serait parvenu à assurer partout les approvisionnements ; c'est une assertion erronée. Le commerce a eu, pour ses opérations, autant de latitude qu'il pouvait en désirer.
Il a eu, en effet, la libre importation, le libre entreposage et le libre transit ; et à l'heure qu'il est, n'avons-nous pas nos entrepôts constamment remplis de céréales ? Les blés qui y étaient déposés ont transité par la Belgique ; les a-t-on mis en consommation ? Si l’on avait eu la libre exportation, les aurait-on davantage mis en consommation ? En aucune manière.
Le libre transit et le libre entreposage ont produit tout ce que la liberté d'exportation aurait produit.
Dans le moment actuel, les entrepôts contiennent encore des quantités considérables de blés. D'ailleurs, à quoi nous aurait-il servi de voir déclarer ces blés en consommation lorsque, avec la libre exportation, on les aurait expédiés immédiatement. Cela n'aurait servi à rien. C'eût été une fantasmagorie pour le peuple, une cause permanente de troubles dans le pays et rien de plus.
Voilà ce qu'aurait produit, dans les circonstances actuelles, un système de droit fixe avec le système de la libre exportation.
Messieurs, à la suite de ces observations, je ne crains pas de dire que, quoique l'honorable membre ait souvent attaqué mes opinions en matière de céréales, mes opinions sont en cette matière plus libérales que les siennes.
(page 1643) Si, il y a deux ans, j'ai prêté mon appui à une proposition tendant à modifier la loi de 1834 et à la rendre semblable à la loi française, je ne crois pas avoir commis un crime de lèse-humanité ; si je me suis associé à cette proposition, à cette époque, c'est parce que depuis longtemps on avait reconnu que, moyennant certaines manœuvres, on éludait les dispositions de la loi de 1834.
Mais, messieurs, à côté de cette disposition, veuillez bien noter ceci, restent toujours les mesures exceptionnelles que le gouvernement ne manque pas, n'a jamais manqué de proposer aux chambres, chaque fois qu'il y a eu renchérissement des denrées alimentaires. Pour moi, j'ai occupé pendant plusieurs années le département de l'intérieur depuis la loi de 1834, et je prends la chambre à témoin, et au besoin le Bulletin officiel, pour savoir si dans toutes les circonstances où il y a eu renchérissement notable des céréales, je n'ai pas proposé la libre importation, conséquemment mieux que le droit fixe, c'est-à-dire la suppression de tout droit.
Non, messieurs, quoique propriétaire, soyez-en bien certains, jamais nous ne donnerons la main à un système qui pourrait être nuisible à la généralité du pays. Le système que nous avons suivi, a été double : protection modérée à la culture, lorsque les blés sont à des prix bas ; protection complète au consommateur, lorsque le prix des céréales s'élève. Voilà, messieurs, notre système.
Il y a encore une considération à ajouter sur le système que nous avons suivi ; c'est qu'il tend autant que possible à maintenir un certain équilibre dans les prix, à éviter ces transitions si brusques, auxquelles on est exposé avec le système de liberté absolue du commerce en matière de céréales ; c'est-à-dire de voir, à la suite des prix les plus élevés, les cultivateurs qui ont contracté de nouveaux baux, comptant sur la durée de ces prix, se trouver ruinés par un abaissement excessif des céréales ; d'autre part, à voir le consommateur qui n'a fait aucune épargne, lorsque le prix du blé a été excessivement bas, se trouver pris au dépourvu, lorsqu'arrive un renchérissement extraordinaire. Les secousses si brusques, si profondes, causent toujours de grandes perturbations dans les Etats. Si ces perturbations ne vont pas jusqu'à troubler la tranquillité de l'Etat, elles altèrent du moins gravement la condition de la masse les citoyens ; et c'est à quoi la loi doit obvier autant qu'il est en son pouvoir.
Mais je sais qu'à côté de la prévoyance du législateur se trouvent des événements surhumains qui viennent déranger les calculs, et c'est ainsi qu'on avait beau prédire que depuis la paix du monde, depuis la libre navigation des mers, depuis la découverte des pommes de terre, la cherté les subsistances n'était plus possible. Toutes ces prédictions ont été déjouées. Ainsi les pommes de terre qu'on avait vues constamment réussir, ont venues à manquer successivement dans toute l'Europe. Les céréales, malgré toutes les facilités du commerce, n'ont pu arriver en temps opportun dans toutes les parties du continent européen. Le commerce est trouvé insuffisant, malgré ses immenses ressources. Ainsi, messieurs, tous nos calculs viennent échouer devant certains événements qui sont en dehors de nos prévisions.
J'aborde spécialement l'amendement de l'honorable M. Rogier. Il demande de proroger jusqu'au 1er décembre 1848 la proposition que nous vous avons faite jusqu'au 31 octobre. Nous disons, messieurs, que cet amendement n'a aucun fondement.
L'honorable membre donne pour prétexte que la chambre ne se trouve pas assemblée au 1er octobre. C'est vrai ; ce n'est pas l'usage. Mais il est à prévoir et je crois que nous ne risquons rien du tout à vous faire part de nos prévisions que l'année prochaine la session sera très longue à cause de la multitude et de l'importance des objets dont la chambre aura à s'occuper, et je crois ne rien hasarder en disant que le mois de juillet trouvera encore les chambres assemblées. Dès lors nous serons à même de prendre telle mesure que les circonstances commanderont.
Serait-ce maintenant pour que le commerce pût faire des opérations déjà sur deux récoltes en herbe que l'on voudrait lui donner des garanties jusqu'au 31 décembre 1848 ? Mais, messieurs, c'est là une prétention qui n'est réellement pas justifiable. Quel négociant en grains irait acheter non seulement la moisson aujourd'hui en herbe dans les contrées lointaines, mais même une moisson qui n'est pas encore ensemencée ? A coup sûr, on ne trouvera aucun négociant assez insensé pour se livrer à une semblable opération. Dès lors, les nécessités du commerce ne demandent pas cela.
D'après tous nos renseignements, la récolte de cette année promet d'être une des plus abondantes que l'on ait vues depuis longtemps. Un rapport que j'ai encore reçu ce matin, donne cette assertion qu'en fait de céréales nous avons les promesses les plus belles que l'on puisse avoir. Il n'est pas rare d'ailleurs qu'après plusieurs mauvaises récoltes, on en ait plusieurs bonnes.
Je désire pour le consommateur et pour le cultivateur, que la récolte de 1847 et celle de 1848 soient très abondantes ; je le désire bien sincèrement. Mais si cela était, je dirais que nous aurions eu grand tort de devancer l'époque à laquelle il convient de prendre des mesures dérogatoires à la loi de 1834.
Mon collègue, M. le ministre des affaires étrangères, vous a fait voir qu'en France, qu'en Angleterre, qu'en Prusse, qu'en Hollande, on n'a guère été aussi loin qu'en Belgique ; on n'a pas autant escompté l'avenir.
Mais, messieurs, en France il existe encore un droit aujourd'hui : c'est le minimum du droit fixé par la loi sur les céréales. En Hollande, il existe encore un droit. En Angleterre, le droit sera rétabli au mois de septembre. Et ici que mettez-vous à la place de la loi de 1834 ? Vous voulez abroger implicitement cette loi, et vous ne mettez rien à la place. Eh bien, je dis que ce n'est pas une mesure raisonnable dans un pays éminemment agricole. Quand la chambre abrogera la loi de 1834, elle doit mettre quelque chose à la place, soit le système préconisé par l'honorable M. Rogier, le droit fixe et la libre exportation, soit tout autre modification que l'on jugera utile, lorsqu'on en viendra à la discussion de ces questions.
Mais, messieurs, supprimer cette loi purement et simplement pour un temps aussi considérable, sans rien mettre à la place, je dis que ce n'est pas conforme aux intérêts du pays, conforme à la prudence qui doit diriger le législateur.
D'ailleurs, ainsi que l'a fait remarquer l'honorable M. de La Coste, si vous aviez été trop loin dans une loi de cette nature, vous seriez à même de la rapporter, malgré les réclamations du commerce. Dès lors il est plus prudent de ne pas donner au commerce des espérances et des garanties qui ne seraient pas solides. (Interruption.) Vous parlez dans l'intérêt du consommateur. Eh bien ! nous parlons tout à la fois dans l'intérêt du consommateur et dans l'intérêt du travailleur.
Car notez-le bien, si l'on portait atteinte au travail agricole, si l'on portait atteinte à la fortune agricole, on porterait en même temps atteinte et à cet intérêt considérable et à d'autres intérêts, aux intérêts industriels qui aujourd'hui, souffrent précisément de l'absence de numéraire dans les campagnes, parce que les campagnards s'abstiennent d'acheter ce qu'ils étaient habitués d'acheter aux manufacturiers. Et ici, messieurs, je dois tout à fait contredire l'assertion de l'honorable M. Rogier ; l'honorable membre dit que les années que nous venons de traverser sont des années d'or pour les campagnards, que le haut commerce ne réalise que des bénéfices insignifiants comparativement à ceux que réalisent les campagnards. Malheureusement, messieurs, il n'en est rien et la meilleure preuve de cela, ce sont tous les millions qui sont sortis du pays pour suppléer à ce qui manquait à la production agricole du pays. Je conviens que quelques grands fermiers, quelques propriétaires qui cultivent par eux-mêmes ont pu faire des profits assez considérables ; mais ce n'est point là la masse des cultivateurs. La propriété et la culture sont aujourd'hui tellement divisées, que l'on peut dire que ces grands cultivateurs auxquels l'honorable membre fait allusion, constituent exception, et que la masse des cultivateurs est dans un état de gêne et de souffrance. Voilà, messieurs, la réalité des faits.
M. Rogier. - Je prie M. le ministre de ne pas dénaturer mes paroles.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L'honorable membre a dit que les cultivateurs avaient fait de grands bénéfices.
M. Rogier. - J'ai dit que les campagnards souffraient beaucoup de l'état de choses actuel, mais que certains producteurs faisaient de beaux bénéfices. Voilà ce que j'ai dit.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L'honorable membre expliqué sa pensée, j'accepte son explication, mais je prends à témoin quelques membres voisins de ce banc qui m'ont entendu faire à demi-voix l'observation qu'il y avait une grande distinction à faire entre quelques cultivateurs et la masse des cultivateurs. Cette observation prouve bien que l'honorable membre ne s'était pas suffisamment expliqué. Quoi qu'il en soit, j'accepte la rectification.
M. Rogier. - Je n'ai rien à rectifier, et je prie M. le ministre de se renfermer dans ce que j'ai dit.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je me renferme dans les paroles de l’honorable membre, et je n'ai rien à changer à ce que j'ai dit.
Je m'aperçois, messieurs, que j'ai omis de répondre à une observation de l'honorable M. Desmet. L'honorable membre demandé qu'on abrégeât les formalités administratives que l'on suit pour la distribution du crédit. Messieurs, tout est prêt ; aussitôt que la loi sera votée, les gouverneurs des provinces pourront faire eux-mêmes la distribution sans en référer au gouvernement.
M. Dumortier. - Je ne tiendrai pas longtemps la chambre : l'honorable M. de Theux a fait valoir les observations que je me proposais de présenter sur la question soulevée par l'honorable M. Rogier. L'honorable député d'Anvers n'a pas dissimulé le but qu'il voulait atteindre par son amendement. Il a avoué que le but qu'il se proposait était de faire abroger la loi des céréales qui nous régit encore, bien que ses effets soient suspendus, et de la remplacer par un droit fixe et la libre exportation. C'est précisément pour cela, messieurs, que je ne veux pas, moi, de l'amendement de l'honorable M. Rogier. Je considère un droit fixe sur les céréales comme la chose la plus préjudiciable au pays, comme le système le plus faux que l'on puisse présenter. Ce système ne protégerait pas le cultivateur contre les effets d'une récolte abondante ; il ne protégerait pas le consommateur contre les effets d'une récolte manquée et insuffisante, alors que, par cela même, les céréales monteraient à un prix élevé qui engendrerait la disette.
Lorsque l'honorable M. Rogier vient proposer à la chambre de voter un droit fixe, je pense qu'il entend parler d'un droit qui serait le même dans tous les temps et qui ne subirait aucune exception. (Interruption.) J'entends l'honorable M. Osy dire que non. Mais alors ce ne serait plus un droit fixe, ce serait encore une échelle mobile, mais une échelle mobile en faveur du spéculateur et qui tournerait tout à fait contre l'agriculteur. Eh bien, l'agriculture est le plus grand de tous les intérêts du pays, et elle doit être protégée, alors surtout que, par suite d'une abondante récolte, les prix des céréales tombent à un taux tellement bas que (page 1644) sans droits protecteurs, l'agriculture, quels qu'ils puissent être, ne pourrait pas subsister. En effet, messieurs, dans les années d'abondance quel est le prix des grains dans les contrées voisines de la Baltique et de la mer Noire, dans les pays éloignés d'où nous tirons les céréales ? Il est généralement connu, messieurs, que dans les années d'abondance le prix des céréales, dans les pays dont il s'agit, tombe ordinairement jusqu'à 8 et quelquefois même jusqu'à 4 fr. Eh bien, messieurs, je le demande, est-ce avec un droit fixe que notre agriculture pourrait soutenir une pareille concurrence ? \
Comment ! messieurs, vous accordez protection à toutes les industries quelconques ; le cultivateur paye des droits sur le fer de sa charrue ; il paye des droits sur la houille s'il en consomme, s'il s'habille de drap il paye un droit sur les draps ; il paye des droits sur tous les produits manufacturés dont il fait usage, et dans les années d'abondance, alors que les produits de la terre sont à vil prix, vous ne voudriez pas lui accorder une protection contre l'avilissement du prix de ses produits ! Eh bien, messieurs, c'est là le système que je combats ; c'est un système que je repousse et c'est pour cela que je m'oppose à l'amendement de l'honorable M. Rogier parce qu'il tend à amener la suppression de l'échelle mobile, qui est, sans aucune comparaison, le meilleur moyen de protéger en même temps l'agriculture contre l'avilissement des prix et le consommateur contre des prix élevés et la disette.
Nous avons en Belgique environ 3 millions d'hectares de terre. Eh bien, messieurs, supposez que le tiers seulement de ces terres produise des céréales ou d'autres denrées alimentaires, et vous arrivez à ce résultat que si le cultivateur peut tirer 10 fr. de plus d'un hectare, il y aura dix millions de plus versés dans le torrent de la circulation, en Belgique. S'il peut en tirer 40 francs de plus par hectare, cela fait 40 millions mis dans la circulation ; et lorsque le cultivateur peut tirer un peu plus d'argent du produit de son champ, où cet argent va-t-il ? Il va chez le fabricant, chez le producteur des objets qui servent à vêtir, qui servent au luxe pour le cultivateur.
Cette question est donc en rapport direct avec la question des manufactures, bien entendu dans certaines limites, lorsque le prix des céréales ne s'élève pas au point de pouvoir nuire à la consommation ; mais dans les limites des possibilités de la consommation, il est incontestable qu'un droit modéré et gradué sur les céréales, lorsque les céréales sont à bas prix, c'est une mesure éminemment protectrice pour les fabriques et les manufactures de notre pays, et tout aussi favorable à nos manufactures qu'à l'industrie agricole elle-même.
Je repousse donc de tous mes moyens toute mesure qui préjugerait ici une question de cette importance, toute mesure qui serait présentée à la chambre comme devant amener un jour la suppression de l'échelle mobile sur les céréales, de laquelle dépend chez nous la prospérité publique.
Ainsi qu'on l'a dit, nous ne savons pas encore quel sera le résultat de l'expérience récemment tentée en Angleterre ; là, on a admis le système du droit fixe ; et veuillez-le remarquez, tandis que depuis longtemps la Belgique avait la libre entrée des céréales, le grain payait en Angleterre un droit d'entrée de 4 fr. par quarter. Ainsi, notre régime était bien plus favorable au consommateur dans les temps de disette que ne l'est même le régime de l'Angleterre.
Mais il est un autre point de vue sur lequel je dois encore appeler votre attention, c'est le système de sortie.
D'après l'honorable membre, les grains seraient libres à la sortie, et il suppose sans doute que les grains venant de l'étranger remplaceraient les grains que nous exporterions. Sans doute quand nous aurons exporté notre grain, le meilleur de l'Europe, pour l'alimentation des populations, et quand nous l'aurons remplacé par du mauvais grain étranger, nous aurons fait faire alors une double opération fort avantageuse aux négociants, aux spéculateurs qui se livrent au commerce des grains, mais nous aurons fait en même temps une très mauvaise chose pour le peuple dont on paraît prendre ici la défense.
Et puis, comptez-vous pour rien l'exportation du numéraire ? Aurez-vous enrichi la Belgique, en exportant votre grain, et en important des grains étrangers ? Ce sont des questions fort graves, sur lesquelles il importe de ne pas se prononcer avec légèreté.
L'honorable membre prétend que nous devons entrer dans la voie du droit fixe, pour suivre l'exemple de l'Angleterre. « Imitez, nous dit-il, l'exemple de l'Angleterre ; cette nation s'est ouvert une voie nouvelle dans laquelle il importe d'entrer. »
Pour moi, je demanderai à l'honorable membre de vouloir bien se rappeler ce que disait sir Robert Peel, lorsqu'il a présenté à l'Angleterre la grande mesure qui a fini par être adoptée. Sir Robert Peel disait alors au parlement anglais : « Que craignez-vous de ma mesure, n'êtes-vous pas le pays du monde le plus riche en capitaux ? Ne possédez-vous pas les forces productives les plus puissantes de l'Europe ? » Voilà ce que disait sir Robert Peel. « Nous donnons, disait-il encore, un exemple à l'Europe pour qu'elle entre dans une voie où elle ne saurait nous suivre. » Il indiquait clairement que, par ce moyen, l'Europe aurait été mystifiée. (Interruption.)
Oui, l'Europe aurait été mystifiée, parce qu'aucun pays du continent ne possède ni les forces productives, ni les capitaux de l'Angleterre, parce que toute l'Europe ne pouvait suivre l'Angleterre dans ce système sans compromettre chez elle les sources du travail, parce que sir Robert Peel savait bien qu'en Europe il y avait des personnes à idées généreuses qui, sans tenir compte de la différence de position, arboreraient le drapeau des doctrines nouvelles. Eh bien, moi, je mets à profit les raisons sur lesquelles sir Robert Peel s'est appuyé pour défendre son système, je les mets à profit pour démontrer que ce système serait désastreux pour la Belgique.
Aussi longtemps que vous ne serez pas dans les conditions où se trouve l'Angleterre, aussi longtemps que vous n'aurez pas les forces productrices et les capitaux dont elle dispose, aussi longtemps surtout que vous n'aurez pas cette grande quantité d'ingénieurs qui portent partout le flambeau des améliorations dans les fabriques, les usines, les métiers et les manufactures ; aussi longtemps que vous n'aurez pas tous cela, vous devez comprendre que vous ne viendrez qu'en second ordre ; l'Angleterre viendra en première ligne, elle s'emparera de votre marché ; et que deviendront alors vos populations ? que deviendra ce peuple au nom duquel on paraît élever aujourd'hui la voix ?
On me dira sans doute qu'on vendra le grain à bon marché. Mais quel que soit le bon marché du grain, toujours faut-il de l'argent pour en acheter ; et où trouvera-t-on de l'argent, quand vous aurez ruiné le pays, quand vous aurez supprimé les sources du travail national, base première de la prospérité publique ?
Je repousse donc l'amendement de l'honorable M. Rogier, parce qu'il n'a qu'un seul but, celui de préjuger la question de l'échelle graduée des droits sur les céréales.
D'ailleurs, l'amendement est dangereux en lui-même. La récolte s'annonce sous les plus favorables auspices ; nous ne savons pas et nous ne pouvons pas prévoir quelle sera la récolte en 1848. Mais je le demande : n'est-ce pas une chose éminemment déraisonnable que de vouloir dès aujourd'hui décréter que jusqu'au 31 décembre 1848, les grains serons libres à l'entrée, quel que soit le résultat de deux récoltes successives ?
Comment ! si la Providence vous envoyait les deux plus magnifique récoltes que vous eussiez jamais eues dans votre pays, vous verriez les grains du Nord envahir votre marché, en présence du produit de ces deux récoltes !
La mesure est donc désastreuse, en ce qu'elle peut amener un résultat de nature à porter un coup fatal à notre agriculture, dont nous devons la garantir.
Messieurs, cette discussion s'engage dans des circonstances excessivement délicates ; aujourd'hui le prix du grain est tellement élevé qu'on semble fort peu disposé à comprendre des arguments qui se rapportent à des conditions meilleures. Mais, nous qui sommes ici pour faire des lois durables, nous devons envisager toutes les situations. En vertu de la loi qui nous régit, lorsque le grain a passé le prix de 20 fr., il entre libre de droit ; la mesure qui avait été proposée dans le temps par mes honorables amis et moi, laissait également le grain libre à l'entrée, dans des circonstances analogues à celles où nous nous trouvons. Je reconnais qu'il importe de modifier l'échelle mobile, afin d'empêcher les contrecoups qui existaient dans le système précédent ; mais je maintiens qu'il est essentiel de conserver le principe, dans l'intérêt de la prospérité de la Belgique, et c'est pour cela que je combats l'amendement de l'honorable M. Rogier, qui n'a pour but que de renverser une loi protectrice de la première de nos industries, de celle de qui toutes les autres dépendent, et qui est la source première de la richesse nationale et de la prospérité du pays.
M. Delehaye. - Messieurs, je pense qu'il n'y a pas une discussion plus opportune que celle que soulève le projet présenté par le gouvernement. Elle se rattache à l'examen des besoins de la situation ; je ne crains pas d'être démenti en disant que depuis la révolution la Belgique n'a pas été dans une position plus dangereuse que celle où elle se trouve aujourd'hui. Depuis deux ans, nous sommes sous le poids d'une crise alimentaire ; pour ceux qui se rendent compte de la situation réelle des choses, jamais l'avenir n'a apparu sous des couleurs plus sombres. S'il en est ainsi, pouvons-nous, sans manquer à nos devoirs, négliger de nous livrer quelque temps à l'examen de la situation actuelle ? ne pas rechercher les causes de dissiper nos alarmes ? L'empressement que l'on manifeste d'en finir n'est pas louable : rien ne le justifie.
Je ne veux pas me livrer à l'examen de la question posée par l'honorable M. Rogier. Je suis convaincu que ceux qui ont combattu la proposition de mon honorable ami au nom du cultivateur, ont parfois confondu l'intérêt du propriétaire avec celui du cultivateur. On a si bien confondu ces deux intérêts, qu'en parlant au nom des cultivateurs, c'est de l'intérêt du propriétaire exclusif qu'on prenait la défense. Il ne serait pas difficile de prouver que les considérations qu'on a fait valoir, tant sur les bancs ministériels que sur d'autres bancs où siègent ses amis, militaient toutes en faveur du possesseur de la terre. On s'est beaucoup apitoyé sur le sort du cultivateur, mais le cultivateur n'était en aucune façon en cause ; ce n'est pas son intérêt qu'on a défendu, c'est, je le répète, l'intérêt du propriétaire.
Au reste, c'est une de ces questions irritantes qu'il est fâcheux de devoir traiter à la veille d'une réélection, alors que l'intérêt électoral agit plus puissamment que celui de la nation, celui des malheureux que l'on veut soutenir.
Avant d'aborder des questions de cette nature, nous devrions tacher de nous débarrasser de toute considération politique ; il y a des intérêts tellement puissants, tellement vifs qu'il ne faudrait jamais en entamer la discussion dans le moment où la chambre va se séparer, car alors on ne peut pas le faire convenablement. J'abandonnerai donc cette question pour m'occuper exclusivement du projet présenté par M. le ministre de l'intérieur.
(page 1645) M. le ministre de l'intérieur a émis des opinions qui, si elles devaient s'accréditer, entraîneraient de graves inconvénients. Répondant à l'honorable M. de La Coste, il a dit que pour les ouvriers des villes, il n'était guère besoin de s'en occuper, parce qu'ils n'étaient pas sans travail et que bientôt la saison leur permettrait de faire six quart, de jour comme c'est leur habitude.
J'ai été étonné d'entendre M. le ministre dire que les ouvriers des villes allaient pouvoir faire une journée et demie de travail par jour. Il est à ma connaissance que dans la plupart des villes industrielles, surtout celles où le coton est la base du travail, un grand nombre d'établissements devront stater. Cela se conçoit : le premier devoir de l'ouvrier est de pourvoir à sa subsistance ; les objets de vêtement ne viennent qu'en second lieu. Tout ce qu'il gagne aujourd'hui doit être converti en denrées alimentaires, il ne lui reste rien pour son habillement. Aussi tous les magasins de Gand sont encombrés de marchandises ; et beaucoup d'usines, un grand nombre de fabriques vont stater ; quelles sont les ressources dont disposera le gouvernement pour venir au secours de cette masse énorme d'ouvriers qui vont se trouver sans travail ?
M. le ministre de l'intérieur, à propos de l'entrée du bétail, s'est plaint de l'abaissement du prix du bétail maigre, et il en a attribué la cause à l'introduction du bétail étranger ; c'est une erreur, l'abaissement du prix du bétail maigre provient de ce que dans le pays on n'a plus de quoi le nourrir et qu'on est oblige dé s'en défaire. Voulez-vous en avoir la preuve ? C'est que dans la ville de Gand on se plaint de l'augmentation du prix du lait ; c'est parce que le bétail diminue que le lait augmente. De même, c'est parce que le cultivateur est obligé de se défaire de son bétail n'ayant plus de quoi le nourrir ou trouvant avantage à vendre ses denrées, que le prix du bétail diminue ; cela ne tient nullement à la concurrence étrangère ; les journaux vous ont signalé que des négociants étrangers étaient venus sur nos marchés pour prendre notre bétail. Qu'est-ce que cela prouve ? Ce que je vous disais dans une discussion précédente que la Hollande ne suffirait bientôt plus à l'approvisionnement' du marché anglais et qu'elle viendrait chez nous chercher de quoi le compléter.
M. Vanden Eynde. - C'est une invention du Messager de Gand !
M. Delehaye. - Je suis obligé de répondre à l'honorable préopinant qu'il est en ce moment sous l'empire d’un vieux préjugé ; il attribuée cette feuille toutes les vérités hostiles à certain parti. Cette nouvelle n'a pas été donnée d'abord par le Messager de Gand ; ce journal, que l'honorable membre accuse sans l'avoir lu, n'a fait que répéter la nouvelle en disant même qu'il n'y ajoutait pas foi.
L'honorable membre fait donc une supposition gratuite.
On a dit que nous devions prendre des précautions dans l'intérêt du cultivateur qui se livre à l'élève du bétail. Aujourd'hui le cultivateur belge est parfaitement à l'abri de la concurrence étrangère ; il y a plus, il y a un débouché qui lui est ouvert sur le marché anglais, où l'argent ayant moins de valeur et par suite les prix s'établissant sur tous les marchés de l'Europe, il en résultera un avantage pour nos éleveurs. Les observations de M. le ministre de l'intérieur n'ont aucune application dans l'espèce.
Une mesure à prendre dans l'intérêt de l'éleveur du bétail belge, c'est de lui donner les moyens d'avoir du bétail maigre à bon marché en le laissant toujours exempt de droit. Le bétail maigre peut être envisagé comme une matière première. Nos belles prairies, nos pâturages trouveraient là une abondante source de prospérité.
Je n'ai plus qu'un mot à dire. C'est que le gouvernement est venu un peu tard nous faire sa proposition ; par exemple, pour les pommes de terre, est-ce le moment d'acheter des pommes de terre pour les livrer à la plantation ? Les pommes de terre sont toutes plantées maintenant, et en faire acheter pour 300,000 fr. serait, je le crains bien, s'exposer à en faire augmenter la valeur. La mesure est bonne en elle-même, mais elle est tardive. Il y a deux mois, les autorités communales auraient pu prendre des mesures efficaces ; on aurait pu alors utiliser ce crédit. Je doute fort que, pour cet objet, le crédit puisse avantageusement atteindre le but qu'on se propose.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je ne veux que répondre à la dernière observation de l'honorable préopinant. Il ne s'agit pas d'acheter pour 300 mille francs de pommes de terre, mais de mettre les administrations communales à même d'acheter dans les localités de quoi fournir les moyens de planter des pommes de terre aux ouvriers pauvres de nos communes et d'une partie de nos villes, car il existe un certain nombre d'habitants des villes qui ont l'habitude de planter des pommes de terre, et je veux qu'on vienne à leur secours aussi bien qu'au secours des ouvriers pauvres des campagnes.
La mesure est tardive, dit-on. Elle n'est pas tardive, mais il est urgent de la voter. J'ai attendu jusqu'au dernier moment pour la présenter, elle devient urgente maintenant et plus tôt on la votera, plus tôt on pourra la mettre à exécution, mieux sera.
Plusieurs membres. - La clôture !
M. Verhaegen. - Messieurs, la discussion est assez grave pour que la clôture ne soit pas prononcée. J'ai demandé la parole, parce que je désire motiver mon vole sur l'amendement de l'honorable M. Rogier, je l'ai demandée pour m'élever contre certaines opinions qui ont été professées.
On dit avec raison que, quand il s'agit de la nourriture du peuple, tous les partis s'effacent. Dussé-je me mettre en contradiction avec mes honorables amis, je désire faire connaître mon opinion.
M. le président. - On pourrait clore la discussion générale. L'honorable M. Verhaegen pourra exprimer son opinion dans la discussion sur l'article premier.
M. Verhaegen. - Fort bien.
M. Rogier. - Je pourrai également, dans la discussion de l'article premier, répondre à M. le ministre de l'intérieur et à M. Dumortier ?
M. le président. - Assurément !
- La discussion générale est close.
M. le président. - A quelle heure la chambre veut-elle fixer sa séance de demain.
Plusieurs membres. - A onze heures.
M. Delfosse. - Je m'y oppose. Nous avons demandé que le second vote du budget des travaux publics fût fixé à lundi ; la chambre l'a fixé à samedi. Beaucoup de nos collègues, qui reviendront demain, ne seraient pas arrivés à 11 heures.
- La chambre fixe la séance de demain à midi.
La séance est levée à 4 heures 3 quarts.