(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 896) M. Van Cutsem procède à l'appel nominal à midi et demi. La séance est ouverte.
M. A. Dubus donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.
M. Van Cutsem fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
Le sieur Verstraeten, notaire à Lubbeek, prie la chambre de discuter, pendant la session actuelle, le projet de loi sur le notariat, et demande, pour les notaires, le droit exclusif de procéder aux ventes de biens immeubles. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Plusieurs habitants de Lichtervelde demandent que le chef-lieu d'un des cantons de justice de paix de Thourout soit transféré à Lichtervelde. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« La dame Charlier, veuve du sieur Joseph-Ferdinand de Plunkett, receveur des contributions pensionné, demande que les services militaires de son mari, en qualité d'officier autrichien, soient comptés dans la liquidation de sa pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les sieurs Wautelet et Gendebien, président et secrétaire du conseil charbonnier de Charleroy, présentent des observations sur le projet de loi qui réduit les péages sur la Sambre canalisée. »
M. Dumont. - Comme cette pétition se rapporte à un projet actuellement soumis à l'examen d'une section centrale, je demande qu'elle soit renvoyée à cette section centrale.
- Ce renvoi est ordonné.
« Le sieur Ansch Vrey den Bergen, sergent à la première compagnie sédentaire, né à Maestricht, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
Il est fait hommage à la chambre, par le conseil communal de Termonde, de douze exemplaires de son second mémoire en réponse aux observations de M. Desart, contre le premier travail de M. de Laveleye au sujet du chemin de fer de Bruxelles à Gand. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« Le sénat informe la chambre, par un message, qu'il a adopté le projet de loi allouant au département de la guerre un crédit supplémentaire de 292,990 fr. 75 c. »
M. Jonet. - Messieurs, en 1834, il vous fut présenté un projet de loi ayant pour but la circonscription cantonale du royaume, sauf toutefois les provinces de Limbourg et de Luxembourg.
Parmi les propositions qui vous furent faites par ce projet, se trouvait celle de supprimer une des deux justices de paix qui ont la ville de Nivelles pour chef-lieu, de les réunir en une seule, et d'en distraire la commune de Plancenoit pour l'annexer au canton de Genappe.
La commission spéciale, chargée par vous d'examiner le projet, vous proposa d'adopter les deux propositions dont il vient d'être fait mention, par son rapport du 12 juin 1834.
Je dois dire ici que l'opinion de votre commission fut adoptée et par le conseil communal de la ville de Nivelles, et par le conseil de la province.
En 1842, le projet fut renvoyé à M. le ministre de la justice, afin d'obtenir quelques renseignements; et le 7 mars 1843, le ministre déposa un rapport, dans lequel les changements proposés pour Genappe et Nivelles étaient maintenus.
Le 19 décembre 1844, la commission de circonscription cantonale examina de nouveau la question de réunion et de distraction, et pensa, comme elle l'avait fait en 1834, que la réunion des deux cantons devait s'opérer.
Depuis la chambre décida qu'elle ne s'occuperait plus du projet général de circonscriptions, mais qu'elle attendrait que des propositions spéciales lui fussent faites pour des cas particuliers, selon les besoins des localités.
Dans cet état de choses, sept pétitions ont été adressées à la chambre, concernant les cantons de Nivelles et la commune de Plancenoit.
Par la première de ces pétitions, du 24 janvier 1845, le conseil communal de Braine-Lalleud demande que les deux cantons de justice de paix de Nivelles soient maintenus et que le chef-lieu du deuxième canton soit transféré à Braine-Lalleud.
Même demande du sieur Félix Minne, candidat notaire, à Braine-Lalleud.
Dans la second, du 6 février 1845, le conseil communal de Plancenoit demande que cette commune continue à faire partie du deuxième canton de Nivelles et que le chef-lieu de ce canton soit transféré à Braine-Lalleud.
Par la troisième, du 1er mars 1845, le conseil communal de Wauthier-Braine demande que les deux cantons de Nivelles ne soient pas réunis et que le chef-lieu du deuxième canton soit transféré à Braine-Lalleud.
(page 897) Par la quatrième, du 8 février 1845, le conseil communal d'Ophain-Bois-Seigneur-Isaac demande que les deux cantons de Nivelles soient conservés et que le chef-lieu du deuxième soit transféré à Braine-Lalleud.
Par la cinquième, du 3 décembre 1846, les sieurs Hairiet et Cols, commis-greffîer et juge suppléant de la justice de paix du premier arrondissement de Nivelles, présentent des observations contre la demande tendant à réunir les deux cantons de justice de paix de cette ville.
Par la sixième, du 29 novembre 1846, plusieurs habitants des communes de Braine-le-Château et d'Ittre présentent des observations contre la demande tendant à réunir en un seul les deux cantons de la justice de paix de Nivelles.
Et par la septième, enfin, du 13 décembre 1846, plusieurs habitants de Tubise, de Clabecq, d'Oisquercq et de Virginal présentent des observations contre la demande tendant à réunir en un seul les deux cantons de justice de paix de Nivelles.
Toutes ces pétitions ont été renvoyées à la commission, qui, après les avoir examinées, a résolu, à l'unanimité, de proposer à la chambre de les renvoyer à M. le ministre de la justice, ainsi qu'une expédition du procès-verbal de la commission, du 19 décembre 1844, pour son information et direction.
C'est cette proposition que j'ai l'honneur de déposer sur le bureau, en faisant observer à la chambre qu'aucun projet de loi relatif à cette affaire ne lui est maintenant soumis.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. le président. - La commission conclut à l'adoption du projet en ajoutant une clause de réversibilité, en faveur de la veuve, de la moitié de la somme accordée au major honoraire Boine.
M. Delfosse. - Je demande la parole.
Messieurs, il m'est pénible de venir combattre une proposition faite en faveur d'un homme digne d'estime et d'intérêt, si on en juge par les marques nombreuses de sympathie qui lui ont été données, tant dans cette enceinte qu'au dehors. Mais le devoir que nous avons à remplir, en qualité de représentants de la nation, exige que nous sachions mettre de côté les considérations de personne. Nous ne devons pas perdre de vue qu'il y a aussi parmi les contribuables, dont nous augmentons sans cesse les charges, beaucoup d'hommes dignes d'intérêt, qui sont dans la gêne.
Nous avons adopté, il y a quelque temps, une loi sur les pensions que beaucoup de personnes, et je suis du nombre, trouvent fort onéreuse pour le trésor.
Nous accordons des pensions soit en cas d'infirmités après quelques années de services, soit en cas de vieillesse, à une foule de fonctionnaires; nous les accordons sans examiner s'ils ont rempli leurs fonctions avec activité ou avec négligence, avec intelligence ou avec incapacité, nous n'examinons pas non plus si ceux qui les demandent ne pourraient pas s'en passer, s'ils n'ont pas de fortune. Ces pensions grossissent chaque année le budget de nos dépenses. Si nous allons plus loin, si nous accordons des pensions à des personnes qui ne sont pas dans les conditions de la loi, il est facile de prévoir ce qui arrivera. Les dépenses déjà très fortes grossiront encore. Le contribuable, qui se plaint déjà beaucoup, se plaindra encore plus.
Je conçois toutefois qu'on accorde des pensions, en dehors de la loi, dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, dans des cas très rares, lorsqu'il s'agit d’hommes qui ont rendu des services signalés, des services que personne n'est tenté de contester, devant lesquels chacun s'incline.
Plusieurs membres. - C'est le cas.
M. Delfosse. - Je n'en sais rien; on n'en a pas donné la preuve. On voit bien, dans le rapport fait par l'honorable M.de Garcia de la Vega, que le major Boine a rendu des services éminents; mais on ne dit pas quels sont ces services éminents. On ne nous cite pas un fait, une blessure que le major Boine aurait reçue en combattant.
Je ferai remarquer à la chambre que l'honorable rapporteur va plus loin que M. le ministre de la guerre. M. le ministre de la guerre ne dit pas, dans l'exposé des motifs, que le major Boine a rendu des services éminents. Il se borne à dire que cet officier avait payé de sa personne pendant les quatre journées de septembre, et qu'il a assisté plus tard aux affaires d'Anvers et de Louvain. Il est parlé, dans un autre passage de l’exposé des motifs, de services, de services réels rendus par le major Boine, mais non de services éminents.
Loin de moi la pensée de contester le mérite des services que le major Boine a pu rendre; mais il n'y a rien, ni dans le rapport, ni dans l'exposé des motifs, qui prouve que ces services soient d'une nature éminente.
Je lis même dans l'exposé des motifs un passage qui porte à croire que les services n'ont pas été aussi éminents qu'on nous l'assure. Voici ce que je lis dans l'exposé des motifs :
« Le 25 janvier 1831, il exposa ses titres à la reconnaissance du pays et demanda le grade de major dans les tirailleurs liégeois ou de capitaine de cavalerie. Le régent, pour le récompenser de ses services , se borna à le nommer major honoraire par arrête du 16 avril 1831. Ce titre ne lui donnait aucun rang dans les cadres de l'armée. »
Si le major Boine avait rendu des services éminents, lui aurait-on, je vous le demande, refusé le grade de capitaine qu’on accordait alors avec tant de prodigalité ?
Je serais désespéré de laisser échapper une seule parole qui pût être blessante pour le major Boine. Je le tiens pour un brave digne de toute estime, digne des nombreux témoignages de sympathie qu'il a reçus. Mais, je le répète, il ne résulte, ni de l'exposé des motifs, ni du rapport, qu'il ait rendu des services d'une nature éminente, d'une nature exceptionnelle.
Si je ne puis voter pour la disposition du projet de loi qui concerne le major Boine, je dois, à plus forte raison, me prononcer contre celle qui rend la moitié de la pension réversible sur la veuve.
Comment, messieurs, aux termes de la loi sur les pensions militaires, aux termes de la loi de 1838, la veuve d'un officier qui a passé toute sa carrière au service militaire, qui a peut-être rendu de grands services à l'Etat, qui a peut-être sauvé le pays, n'a droit à une pension qu'autant que son mari ait été tué sur le champ de bataille ou dans un service commandé, ou soit mort à la suite de blessures reçues sur le champ de bataille ou dans un service commandé. Et vous accorderiez une pension à la veuve d'un major honoraire qui n'est pas mort sur le champ de bataille, qui n'a pas été blessé et qui n'a que passé quelques jours au service de l'Etat ! Je vous avoue que je ne comprends pas cette faveur.
Prenez garde, messieurs ! Si vous accordez la pension que l'on vous demande, vous ouvrirez la porte à une foule de réclamations. Il y a eu en 1830 des milliers de citoyens qui ont, comme le major Boine, payé de leur personne dans les quatre journées et assisté plus tard aux affaires d'Anvers et de Louvain.
Ce matin, messieurs, j'ai reçu la visite d'un honorable citoyen qui prétend aussi avoir rendu des services à la cause de la révolution, qui prétend que les services qu'il a rendus sont plus grands que ceux du major Boine; j'ai en main un certificat qui prouve que ce citoyen a réellement rendu de grands services. Permettez-moi de vous en donner lecture, il n'est pas très long.
« Les soussignés certifient que le sieur Louis-Joseph Prévost, maître de pension, rue Fossé-aux-Loups, à Bruxelles, s'est montré longtemps avant la révolution de la Belgique (qui a commencé le 25 août 1830) un des plus chauds défenseurs de la liberté et des droits des peuples; que dès le 26 août, accompagné d'une quinzaine d'hommes intrépides, on l'a vu, à sept heures du matin, désarmer le poste de la Monnaie ; immédiatement après , celui de l'Amigo, et qu'à huit heures, au moment où le gouverneur et la régence se présentaient au perron de l'hôtel de ville pour, par des discours fallacieux, haranguer le peuple, on l'a entendu proclamer avec force la liberté, en s'écriant au milieu de mille cris divers : « A bas le tyran ! A bas la régence ! et vive la liberté ! » Qu'il a tout fait pour marcher incontinent sur les troupes rassemblées au Grand-Sablon, et chasser tous les Hollandais de Bruxelles ; qu'il a concouru au maintien de l'ordre, à la tranquillité et à la sûreté publique; qu'il a composé et fait imprimer à ses frais particuliers plusieurs proclamations adressées aux soldats et à tous les citoyens jaloux de la liberté de leur pays, pour les engagera secouer le joug des Hollandais et des Nassau; que reconnaissant la nullité des proclamations du pouvoir, il les a sans cesse combattues par ses discours et ses écrits ; qu'il a fait élever tant de barricades qu'il a été surnommé le chef des barricades. Qu'il a, dans la première quinzaine de septembre, parcouru une partie du Hainaut ; il y a excité le soulèvement des esprits et vivement encouragé les habitants à marcher sur Bruxelles ; qu'à ses frais il a envoyé des hommes déterminés pour soulever le Borinage; que pendant la grande semaine de septembre il a assisté à tous les combats qui ont eu lieu à l'extérieur et à l'intérieur de la ville de Bruxelles; que toujours on l'a vu aux postes les plus dangereux, et qu'enfin, il a, autant par la force de son éloquence que par sa bravoure et son intrépidité, puissamment contribué à faire triompher la cause de l'indépendance et de la liberté.
« Signé : Le baron d'Hooghvorst, commandant en chef de toutes les gardes civiques de la Belgique ; Orts , employé au cabinet diplomatique ; Ard'huin, premier lieutenant d'artillerie ; Smets, premier lieutenant au corps des sapeurs-pompiers ; Leblanc, capitaine; Delelé, témoin de sa présence aux journées de septembre ; L. Debiannars, lieutenant ; Van Eechout, capitaine aide de camp ; le chevalier Goussat, capitaine ; Mellinet, général; Hollevou, officier ; G. Pauwels ; Eugène Feigneaux, médecin de l'hôpital militaire, inspecteur des commissions réunies et récompenses.
« Je soussigné, administrateur général de l'instruction publique, déclare qu'il est à ma connaissance que dès les premiers jours de la révolution M. .Prévost a déployé autant de patriotisme que d'activité ; que dans le courant de septembre, il s'est présenté plusieurs fois, pour offrir ses services, au quartier général de l’hôtel de ville, où je me trouvais comme membre du conseil de la garde urbaine ; qu'enfin il s'est charge de remplir auprès de M. de Potter, alors en France , une mission périlleuse, dont il s'est chargé et dont il s'est acquitté avec zèle et intelligence.
« Signé : Lesbroussart,
« Administrateur général de l'instruction publique, etc., etc.
« Visé pour copie conforme à l'original à nous présenté.
« Bruxelles, le 12 février 1847.
« Pour le bourgmestre : « J.-J. Verhulst. »
(page 898) Je ne sache pas que l'on nous ait communiqué une seule pièce qui prouve que le major Boine aurait rendu de plus grands services que M. Prévost.
Et M. Prévost n'est pas le seul ; il y a eu, je le répète, en 1830, des milliers de citoyens qui ont payé de leur personne ; s'il fallait donner des pensions à tous ceux qui ont exposé leurs jours, à cette époque, vous feriez une large brèche au trésor public.
J'apprécie tout ce que la position du major Boine peut avoir d'intéressant ; je compatis à ses malheurs ; mais mon devoir de représentant de la nation me force à repousser un projet de loi qui ferait entrer la chambre dans une voie que je considère comme fâcheuse. Il n'y a ici que trop de tendance à transformer la chambre en bureau de bienfaisance. Que les nombreux admirateurs du major Boine ouvrent une souscription ; je serai le premier à applaudir à cette marque de sympathie et peut-être à y prendre part ; mais, comme législateur, j'ai d'autres devoir à remplir.
M. Dumortier. - Je suis vraiment peiné de voir que ce soit un député de la ville de Liège, de cette ville éminemment patriotique et qui a rendu de si grands services en 1830 ; que ce soit un député de Liège qui vient ici contester les services d'un des hommes qui se sont le plus distingués dans nos grandes journées. Je ne pense pas, messieurs, que vous partagerez les sentiments que l'honorable membre vient d'exprimer : dans un grand nombre de circonstances, vous avez donné trop de preuves de patriotisme pour ne pas rendre au major Boine la justice qui lui est due, qu'il a si bien méritée par ses services éminents.
L'honorable membre dit qu'il ne veut point voter la pension parce que, comme législateur, il ne peut pas consentir à la dilapidation des deniers du trésor. Il ne le veut pas, dit-il, parce que les services du major Boine ne sont pas connus, parce que bien d'autres ont rendu des services comparables aux siens. Je suis aussi partisan que l'honorable membre des économies ; je suis aussi opposé que lui à la dilapidation des deniers publics ; depuis longtemps j'en ai donné des preuves multipliées, mais jamais je ne céderai à des considérations d'économie lorsqu'il s'agira de rendre à l'un des hommes les plus notables de la révolution la justice qui lui est due.
Messieurs, les services rendus par le major Boine ne sont pas du tout des services ordinaires, des services comme en ont rendu des milliers de personnes , ainsi que le dit l'honorable M. Delfosse : le major Boine a combattu à la tête de ces braves volontaires du Brabant wallon, de ces braves volontaires de Jodoigne, qui se sont conduits d'une manière si remarquable pendant les grandes journées de notre indépendance ; il n'a pas seulement, comme l’ont fait beaucoup d'honorables citoyens, il n'a pas seulement combattu en nom privé ; il a combattu comme chef, non pas de 10 ou 15 hommes, mais de peut-être 200 volontaires. Il a sacrifié sa fortune pour la révolution, il a payé de sa propre bourse une partie des hommes qu'il a amenés avec lui, il a sacrifié ses conditions d'existence, pour nous donner une existence politique. Eh bien, je dis que ce serait une noire ingratitude que de vouloir exiger d'un citoyen qui s’est conduit d'une manière si honorable, si désintéressée, et qui se trouve aujourd'hui réduit à une position infime, à cause des sacrifices qu'il a faits pour le pays, que de vouloir exiger de ce citoyen des conditions que l'on n'exige point de tout autre en de semblables circonstances.
L'honorable membre dit que la veuve d'un officier de l'armée n'a droit à la pension que lorsque son mari est mort sur le champ de bataille, ou dans un service commandé, et il en conclut qu'il ne faut pas assurer une pension à la veuve du major Boine.
Eh bien, je vous répondrai que les veuves d'officiers ont un moyen d'avoir une pension, c'est lorsque leurs maris fournissent à la caisse de retraite pour les veuves. Or, le major Boine n'a pas fourni à la caisse des veuves, mais il a fourni à une caisse non moins sacrée, à celle de l'Etat, en payant de ses deniers une partie des volontaires qu'il commandait, sans avoir jamais été remboursé de cette dépense ; l'indemnité que vous allez accorder à la veuve n'est qu'une faible compensation des sacrifices sans nombre que le major Boine s'est imposés pour le service de la cause nationale.
Non seulement le major Boine s'est distingué pendant les grandes journées, mais lorsque plus tard, en 1831, la Belgique fut attaquée par un ennemi déloyal qui n'avait pas même dénoncé l'armistice, le major Boine est parti comme simple volontaire pour prendre part à tous les grands événements de cette époque. C'était là un acte de grand dévouement de la part d'un homme qui avait porté l'épaulette d'officier supérieur et qui avait rempli une des carrières les plus honorables dans les immortelles journées de l'indépendance. Encore une fois, je suis surpris qu'un député de la patriotique cité de Liège, de cette cité qui a servi avec tant de gloire la cause de la révolution, vienne s'opposera un acte de justice tardive, mais enfin de justice.
Messieurs, on s'effraye de voir la chambre accorder des pensions par une loi spéciale. Quant à moi, loin de m'en effrayer, je me félicite de ces lois; ces lois doivent être rares, parce qu'elles ne peuvent s'appliquer qu'à des hommes dont le nom est connu et en quelque sorte historique. Mais toutes les fois qu'on viendra présenter dans cette enceinte un projet de loi pour un homme de la révolution qui se trouve dans une position analogue à celle du major Boine, par les services qu'il aura rendus, je déclare que je m'empresserai d'appuyer de ma parole et de mon vote l'adoption de cette loi.
Messieurs, ce n'est pas ainsi que l'on doit entendre les économies. Les économies ne sont pas de mise, quand il s'agit de récompenser des services éminents rendus par un citoyen pour avoir pers une grande part à nous créer une patrie. Pas plus que l'honorable M. Delfosse, je ne veux la dilapidation des deniers publics ; mais je ne veux pas non plus qu'on s'abstienne de montrer de la reconnaissance : ce qui est la plus mauvaise des économies, puisque ce n'est après tout qu'une économie sur l'esprit public.
Je maintiens donc que la pension proposée est légitimée de toutes les manières
Mais, dit l'honorable M. Delfosse, où sont les pièces qui constatent les services éminents rendus par le major Boine ? Messieurs, ces pièces ont été déposées sur le bureau avec la pétition ; mais elles ont été renvoyées à M. le ministre de la guerre. Ces pièces, dont je vais donner l'analyse, sont tellement remarquables, que je n'ai jamais vu arriver dans cette enceinte des assertions aussi honorables Des membres du gouvernement provisoire, les principaux combattants de septembre, enfin les hommes les plus éminents qui ont pris part aux grandes journées, sont venus attester les services que le major Boine a rendus, et l'ont signalé à la reconnaissance nationale.
Voici l'analyse de la pétition qui a été adressée à la chambre en faveur du major Boine :
« Plusieurs anciens membres du gouvernement provisoire, des sénateurs, des généraux, des magistrats, des membres du conseil provincial du Brabant, des membres du conseil communal de Jodoigne, et un très grand nombre de propriétaires, prient la chambre, etc.....»
Voilà donc une pétition qui est appuyée par des membres de l'ancien gouvernement provisoire, par des sénateurs, par des généraux, et vous dites que cela est sans signification, c'est vraiment inconcevable ! Et quelle est la conclusion de la commission des pétitions, à la suite de cette pétition ? La voici :
« La commission estime qu'une juste et prompte récompense est due au major Boine ; que l'honneur national la réclame même en sa faveur, et à cette fin elle propose le renvoi de la pétition à M. le ministre de la guerre. »
Vous vous rappelez quand M. Biebuyck est monté à la tribune pour faire rapport sur cette pétition, quand il a fait l'éloge des services et de la conduite du major Boine, combien vos esprits ont été impressionnés à la lecture de ces pièces que je viens de rappeler ; en présence de ce souvenir, je dis que nous devons nous féliciter de la mesure prise par le gouvernement en faveur du major Boine et que nous ne devons pas hésiter un seul instant à accueillir le projet de loi qui nous est présenté.
M. Delfosse. - Je répondrai par quelques mots bien simples aux grandes phrases que vous venez d'entendre. L'honorable M. Dumortier s'est étonné que l'opposition au projet qui nous est soumis vînt d'un député de Liège, de cette ville éminemment patriotique, qui a pris une si grande part à la révolution, part dont je suis fier pour ma ville natale.
Mais savez-vous bien qu'il y a Liège des citoyens qui ont pris part à cette révolution, qui ont couru de grands dangers, qui ont été blessés sur le champ de bataille et qui sont dans la misère, et savez-vous quelle est leur récompense ? Une croix de fer et 100 francs par an !
Dernièrement un de ces malheureux est venu se traînant jusque chez moi, s'appuyant sur des béquilles, pour se plaindre de sa misère et de la modicité de sa pension. Etonnez-vous après cela de l'opposition que je fais au projet de loi!
L'honorable M. Dumortier affirme que le major Boine a sacrifié sa fortune, qu'il s'est ruiné pour la cause de la révolution ; mais où sont les titres qui constatent ces sacrifices et cette ruine? C'est dans les paroles de l'honorable membre lui-même que je puiserai la justification de mon vote.
Ne vous a-t-il pas dit que les pensions exceptionnelles ne doivent être données qu'à ceux dont le nom est en quelque sorte historique ?
Quel que soit l'intérêt que vous portiez au major Boine, pouvez-vous dire que son nom est historique, pouvez-vous dire que le nom du major Boine sera inscrit dans les annales de l'histoire parmi les noms fameux, parmi les noms de ceux qui ont sauvé leur pays ? Pas d'exagération ! Je ne veux pas nier les services que le major Borne a rendus au pays, mais je soutiens que ces services ne sont pas aussi éminents que vous le dites.
Vos paroles, M. Dumortier, sont la critique la plus amère des hommes qui étaient à la tête de la révolution; si le major Boine avait sauvé le pays, s'il avait rendu des services éminents, si son nom était un nom historique, lui eût-on refusé le modeste grade de major dans les tirailleurs liégeois ou de capitaine de cavalerie, à une époque où l'on donnait les grades avec tant de prodigalité ? Je n'en dirai pas davantage.
M. Dumortier. - Je ne répondrai que quelques mots à l'honorable membre. Il se plaint du triste état dans lequel sont laissés des hommes qui ont rendu des services éminents au pays. Qu'il propose une mesure pour améliorer leur sort, je m'empresserai de l'appuyer de mon vote, car encore une fois, il y a quelque chose de très insolite à voir que d'anciens chevaliers de la Légion d'honneur, qui n'ont pas rendu de services à la Belgique proprement dite, touchent une pension de 250 francs par an, quand les décorés de septembre ne touchent que 100 francs. Je l'ai dit plusieurs fois. Quand l'honorable M. Delfosse sera d'accord avec moi sur cette question spéciale, nous ferons une proposition lors de la discussion des budgets.
Un membre. - Vous n'en finirez pas.
M. Dumortier. - On ne finit jamais avec la reconnaissance! Pour de pareils services, tant que la Belgique n'aura pas cessé d'exister, elle n'aura pas payé sa dette envers ceux qui l'ont constituée. Un pays ne se ruine pas par de petits actes de ce genre. Evitons ce que l'honorable (page 899) M. Delfosse appelle avec raison des actes de charité, et payons la dette sacrée du sang.
Mais, dit-on, le major Boine n'a pas un nom historique ! Je ne me suis servi de cette expression qu'avec un correctif, que l'honorable membre met de côté ; j'ai dit que le major Boine avait un nom « en quelque sorte » historique ; ne peut-on pas dire que les chefs de nos volontaires ont un nom qui appartient à la révolution, à l'histoire ? Ces événements sont encore près de nous, ils vous paraissent petits comme les événements du XVIème siècle, dont nous apprécions maintenant la grandeur, paraissaient être très peu de chose aux contemporains. Je me bornerai à ce peu de mots, je maintiens que la pension qu'on propose d'accorder au major Boine est justifiée par les services éminents que ce citoyen a rendus au pays. Si l'honorable membre veut se faire reproduire les pièces ou examiner l'exposé qu'on en fait dans le rapport, je suis convaincu qu'il aura pleine satisfaction.
M. de Garcia. -Je ne dirai qu'un mot en réponse à ce qu'a dit l'honorable M. Delfosse. Selon l'honorable membre, il ne serait pas démontré que le major Boine aurait rendu à la patrie des services éminents qui lui donnassent des titres à une pension civique. Les titres qui nous ont été communiqués, et dont vous venez d'entendre l'analyse, démontrent à l'évidence que cet honorable citoyen a rendu effectivement des services éminents au pays. Dès lors les inconvénients que l'honorable membre craint de voir résulter du précédent qu'on va poser ne peuvent pas exister, car il est très peu de citoyens qui puissent réclamer une pension au même titre que le major honoraire Boine ; quand je dis réclamer, je me sers d'une mauvaise expression; ce n'est pas le major Boine, mais les autorités qui réclament au nom de cet honorable citoyen. Cette circonstance n'est pas insignifiante et prouve encore en faveur du désintéressement du brave major Boine et de sa dignité.
C'est ici une question de conviction ; ce ne sont pas les longues phrases pour défendre ou attaquer le projet qui pourront former ou changer vos convictions. Vous avez eu sous les yeux le rapport de la commission des pétitions et les pièces à l'appui ; la conviction de la plupart des membres est acquise au projet. Je croirais retarder un bienfait mérité, si je prolongeais davantage cette discussion.
M. Mercier. - Je ferai remarquer que la demande faite en faveur du major honoraire Boine a été portée à la connaissance de tous les ministres, et que, sur la proposition de notre commission, nous l'avons renvoyée sans objection aucune et avec recommandation à M. le ministre de la guerre. La conduite de la chambre serait étrange, si après avoir convié en quelque sorte M. le ministre de la guerre à présenter un projet de loi, elle venait opposer une fin de non-recevoir fondée sur ce que d'autres personnes pourraient avoir les mêmes titres à faire valoir.
Pour moi, si d'autres personnes réclamaient une pension en s'appuyant sur les mêmes services que le major honoraire Boine, je me trouverais heureux de donner mon assentiment à la proposition que l'honorable membre ferait en leur faveur ; mais il faudrait que j'eusse reconnu la validité des titres produits, comme nous avons reconnu ceux du major Boine.
L'honorable M. Delfosse a prétendu que les services rendus n'étaient pas prouvés ; je répondrai qu'ils sont de notoriété publique, attestés par un grand nombre de personnes très honorables, entre autres par deux de nos honorables collègues qui faisaient partie du gouvernement provisoire. Ils n'auraient pas apposé leur signature sur ces pièces s'ils n'avaient pas été convaincus que le major Boine a rendu des services éminents, qui méritent d'être récompensés par la patrie ; ils témoignent de plus du désintéressement de ce chef de volontaires qui a supporté de grandes dépenses pour le succès de la cause nationale.
Je dirai deux mots seulement pour justifier la pension éventuelle qui serait accordée à la veuve : M. le major Boine a conservé peu de fortune, et d'après les informations que nous avons reçues, il y a peu de jours, il se trouve dans un état de santé très précaire. La chambre ferait peut-être très peu de chose, si elle repoussait la clause du projet de loi qui est relative à la pension dont sa veuve pourrait jouir après lui.
M. Delfosse. - Il est vrai qu'on a adressé à la chambre, en faveur du major Boine, une pétition qui a été l'objet d'un rapport favorable et qui a été renvoyée à M. le ministre de la guerre. Je ne me suis pas opposé à ce renvoi, parce qu'il y a au budget de la guerre un fonds pour les anciens militaires qui sont dans le besoin. Je ne supposais pas alors qu'on viendrait nous présenter un projet de loi spécial d'une nature tout exceptionnelle.
- La discussion est close.
« Article unique. Il est accordé au sieur Boine (Charles-Joseph), major honoraire, une pension annuelle et viagère sur l'Etat de la somme de douze cent cinquante francs.
« Si le titulaire vient à décéder avant son épouse actuelle, cette pension sera réversible sur cette dernière, jusqu'à concurrence de 625 fr. »
- Les deux paragraphes de cet article sont successivement adoptés. L'ensemble de l'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
Voici le résultat du vote :
Nombre des votants, 60.
40 membres votent pour l'adoption.
20 membres votent contre.
Ont voté pour l'adoption : MM. de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, Dubus (aîné), Dubus (Alberic), Dubus (Bernard), Dumortier, Fallon, Henot, Jonet, Kervyn, Liedts, Malou, Mercier, Orts, Pirson, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Thienpont, Van Cutsem, Vandensteen, Vilain XIIII, Anspach, Biebuyck, Brabant, Clep, Dechamps, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Haerne, de Lannoy, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Renesse.
Ont voté contre : MM. Fleussu, Lange, Le Hon, Loos, Lys, Maertens, Orban, Osy, Pirmez, Sigart, Troye, Veydt, Cans, David, de Bonne, de Corswarem, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne et Lesoinne.
M. le président. - La parole est à M. Delfosse dans la discussion générale.
M. Delfosse. - Un industriel de Liège m'a écrit plusieurs lettres pour se plaindre de ce que le département de la guerre ne met pas en adjudication la mouture des grains destinés à la boulangerie militaire.
Cet industriel ajoute dans ses lettres qu'il a offert plusieurs fois de moudre les grains à un prix beaucoup plus bas que celui qui est payé par le département de la guerre.
Je demanderai à M. le ministre de la guerre pourquoi il s'écarte, en cette circonstance, de la règle salutaire de l'adjudication publique, règle dont on ne doit s'écarter que dans des circonstances très exceptionnelles.
M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Je demande à examiner cette question ; car je ne suis nullement préparé à la traiter.
M. Delfosse. - Je conçois très bien que M. le ministre de la guerre ne soit pas initié à tous les détails de l'administration; je le prie seulement d'examiner avec soin la pétition qui a dû lui être adressée par l'industriel dont je viens de parler.
- La discussion est close.
« Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre un crédit supplémentaire de deux cent mille francs (200,000 fr.) pour le budget des dépenses de l'exercice 1846 dudit département. »
- Adopté.
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 61 membres présents.
Ce sont : MM. de Sécus, Desmet, de Terbecq, de Theux , de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Henot, Huveners, Jonet, Kervyn, Lange, Lebeau, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Maertens, Malou, Mast de Vries, Mercier, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Thienpont, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Veydt, Vilain XIIII, Anspach, Biebuyck, Brabant, Clep, David, de Bonne, de Brouckere, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Haerne, de Lannoy, Delehaye, Delfosse, de Man d'Attenrode, de Meester, de Muelenaere, de Renesse.
L'ordre du jour appelle en troisième lieu le vote définitif du projet de loi relatif au défrichement des terrains incultes.
M. le président. - Le deuxième paragraphe de l'article premier forme amendement; il est ainsi conçu :
« Dans tous les cas, le gouvernement devra faire lever le plan de la propriété qu'il est question d'aliéner, procéder à son expertise, et entendre les habitants par une information de commodo et incommodo. »
M. le ministre de l'intérieur propose une nouvelle rédaction en ces termes :
« Le gouvernement devra, préalablement à l'avis du conseil communal, faire lever le pian des propriétés à aliéner et procéder à l'expertise ainsi qu'à une enquête de commodo et incommodo. »
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, c'est moi qui ai présenté l'amendement adopté au premier vote. Mais je ne vois aucun motif pour m'opposer au changement de rédaction proposé par M. le ministre de l'intérieur, puisque le sens et l'esprit de l'amendement est tout à fait conservé.
- L'amendement, modifié comme le propose M. le ministre, est définitivement adopté.
M. le président. - L'article 4 a été amendé dans les termes suivants :
« Art. 4. En cas de refus d'approbation, ou si, dans le délai d'un mois à partir du jour de la vente, il n'est point intervenu de délibération du conseil communal, aux termes de l'article précédent, le gouverneur de la province transmettra une expédition de l'acte de vente au ministère public qui poursuivra l'homologation. Les dépens seront réglés conformément au titre II du décret du 18 juin 1811.
(page 900) « Le président, sur la réquisition du procureur du roi, commettra un juge pour faire le rapport au jour indiqué par son ordonnance.
« Cette ordonnance sera notifiée aux parties intéressées, à la requête du ministère public.»
- Cet article est définitivement adopté.
L'article 6, amendé au premier vote, est définitivement adopté.
M. le président. - A l'article 9, M. le ministre de l'intérieur fait observer qu'on a oublié les mots : «« soit en vertu de l'article 6. » De sorte que l'article doit être ainsi conçu :
« Art. 9. le gouvernement pourra aliéner par adjudication publique les biens acquis soit en vertu de l'article précédent, soit en vertu de l'article 6. »
- L'article ainsi rédigé est définitivement adopté.
L'article 11, amendé au premier vote, est aussi définitivement adopté.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, l'honorable M. Fleussu me fait observer qu'au troisième paragraphe de l'article premier, il est dit : « Cette ordonnance sera notifiée aux parties intéressées à la requête du ministère public. » Il n'est pas dit dans quel délai la notification sera faite, de sorte qu'elle pourrait n'être faite qu'au dernier moment et de manière à ce que les parties intéressées se trouvassent en quelque sorte prises au dépourvu au jour fixé par l'ordonnance.
Je proposerai de terminer ce paragraphe par les mots : « au plus tard dans les huit jours à compter de celui de l'ordonnance. »
- Cette modification est mise aux voix et adoptée.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demanderai encore un changement de rédaction au premier paragraphe de l’article premier. Il y est dit : « où il aura été reconnu nécessaire de recourir, etc. » Comme le mot « reconnu » se trouve déjà au commencement du paragraphe, je proposerai de dire : « où il sera nécessaire de recourir à cette mesure. »
- Ce changement de rédaction est adopté.
- L'article 18, amendé au premier vote, est définitivement adopté.
M. le président. - Enfin l'article 19 forme amendement. Il est ainsi conçu :
« Art. 19. Les sommes provenant des ventes faites en vertu de la présente loi seront placées soit sur hypothèque, soit en inscription de rentes sur l'Etat ou d'obligations du trésor, à moins qu'elles ne soient affectées au payement des dettes, à des travaux d'utilité publique, à l'acquisition ou à l'amélioration d'immeubles.
« En cas de refus, la députation permanente du conseil provincial pourvoira d'office au placement du fonds. »
M. Lebeau. - Messieurs, il me paraît difficile que cet article reste formulé tel qu'il l'a été au premier vote ; dans la pratique, il donnerait lieu à beaucoup de doutes et à des difficultés. « Les sommes provenant des ventes faites en vertu de la présente loi seront placées, soit sur hypothèque, soit en inscriptions de renies sur l'Etat ou d'obligations du trésor, à moins qu'elles ne soient affectées au payement des dettes, à des travaux d'utilité publique, à l'acquisition ou à l'amélioration d'immeubles. »
Eh bien, messieurs, je ne comprends pas le sens de cet article. Si l'on s'était borné à dire : « Les sommes provenant des ventes faites en vertu de la présente loi seront provisoirement placées soit en inscriptions de rentes sur l'Etat ou en d’obligations du trésor, » l'article eût eu un sens clair, il eût été d'une utilité incontestable et d'une application facile et immédiate. Il s'agit évidemment d'un placement provisoire des fonds; quant à l'emploi définitif, il ne peut avoir lieu que conformément aux prescriptions de la loi communale ; il ne peut se faire que sous le contrôle de la députation permanente, jusqu'à concurrence d'une somme déterminée, et avec l'autorisation du gouvernement, lorsque la somme excède la compétence de la députation.
Je ne comprends réellement pas la dernière moitié de l'article 19, qui ne fait que répéter une disposition de la loi communale ; c'est du moins ainsi que je l'entends ; mais si c'était autre chose l'article présenterait de grands dangers parce qu'il ferait supposer que si la commune qui a touché le prix d’un immeuble dont le gouvernement a prescrit la vente, que si cette commune avait affecté le prix de vente à l'un des objets dont il s'agit dans la dernière partie de la disposition, elle pourrait se passer de l'autorisation de la députation permanente ou du gouvernement.
Je crois, messieurs, que si l'on veut que l'article ait un sens et une utilité pratique, il faut se borner à le libeller comme je l'ai indiqué, et je crois pouvoir dire que c'est là la pensée de l'honorable M. Orban qui a été un administrateur distingué avant d'être membre de cette chambre. (Interruption.) Ce qui ne veut pas dire qu'il ne le soit pas encore aujourd'hui.
Je disais donc : « Les sommes provenant des ventes faites en vertu de la présente loi seront provisoirement placées, soit en inscriptions de rentes sur l'Etat ou d'obligations du trésor. » Je supprimerais : « soit sur hypothèque,» parce que pour le placement sur hypothèque, il faut l'autorisation de la députation et quelquefois celle du gouvernement. Mais une mesure excellente et que la loi peut autoriser de plano, c'est le placement sur fonds belges ; pour cela il n'est pas nécessaire d'exiger l'autorisation de la députation ou du gouvernement.
Je prie M. le ministre de l'intérieur d'examiner si, au point de vue pratique, la disposition, telle qu'elle est soumise au vote définitif de la chambre, n’est pas une espèce d'énigme offerte à ceux qui devront exécuter la loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Aux termes du paragraphe premier de l’article 19, les placements ou emplois indiqués doivent être faits par le conseil communal sous le contrôle de la députation permanente et avec l'approbation de cette députation. On reste, à cet égard, dans les termes de la loi communale. Quant au placement provisoire dont a parlé l'honorable M. Lebeau, je crois que, même pour un placement provisoire, il faut toujours l'autorisation de la députation, car un placement provisoire pourrait quelquefois entraîner la perte du capital, tout aussi bien qu'un placement définitif.
En ce qui concerne le deuxième paragraphe de l'article, il prévoit le cas où la commune négligerait ou refuserait de placer les fonds ; dans ce cas la députation les place d'office.
M. Lebeau. - Je maintiens cette disposition.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je ne vois pas de motif pour changer la rédaction adoptée au premier vote ; elle ne déroge en aucune manière à la loi communale en ce qui concerne la hiérarchie des autorités administratives.
M. Orban. - Malgré le désir que j'éprouve de mériter le compliment que m'a adressé l'honorable M. Lebeau, je ne puis cependant pas adopter la manière d'entendre l'article en question. La deuxième partie du premier paragraphe a un but aussi important que la première. Nous avons voulu empêcher que l'avenir des communes ne fût dépouillé au profit du présent : nous avons voulu que le prix d'un immeuble ne fût pas absorbé par les dépenses ordinaires de la commune, et c'est pour atteindre ce but que nous avons déterminé les dépenses auxquelles le produit des ventes dont il s'agit pourrait être affecté, et nous avons pensé qu'il ne pouvait l'être qu'à l'achat d'immeubles, à l'exécution de travaux publies ou à l'extinction de la dette communale ; ce sont là les seuls cas dans lesquels nous dispensons la commune de placer les fonds, soit sur hypothèque, soit en rentes sur l'Etat; ce sont aussi les seuls cas dans lesquels les communes sont autorisées à retirer des fonds qui ont déjà été placés. Je crois que rien n'est plus clair que l'intention qui a présidé à la rédaction de cet article, je crois que rien aussi n'est plus rationnel.
M. Desmet. - Je crois, messieurs, que l'article n'est pas utile et même qu'il est dangereux. Il lie les mains à l'administration sans aucun motif. L'honorable M. Orban vient de dire qu'il a conçu cette idée pour que les deniers retirés par les communes de la vente de leurs terrains, ne fussent pas gaspillés, pour qu'ils reçussent une bonne destination. C'est aussi mon désir, et j'ai souvent demandé, par exemple, que les fonds communaux ne pussent pas rester improductifs pour la commune, dans la caisse du receveur; j'appelle encore sur ce point l'attention de M. le ministre, mais je dis que l'article est dangereux parce que les fonds dont il s'agit ne pourraient être placés qu'en fonds sur l'Etat, sur hypothèque, en achat d'immeubles ou en constructions de travaux publics. Or, messieurs, qu'est-ce qui se passe aujourd'hui? Les fonds libres des communes sont employés à faire des avances aux comités pour procurer du travail et du pain aux malheureux qui en manquent ; eh bien, les communes qui auront vendu des terrains, si l'amendement est maintenu, se trouveront en possession de fonds qu'ils ne pourront pas consacrer à cet usage. Cependant je connais une commune qui a avancé jusqu'à 4,000 fr. aux comités parce que les subsides n'arrivent pas. Laissez donc les communes libres de faire, d'ailleurs sous le contrôle «de l'administration supérieure, de faire de leurs fonds l'usage qui sera le plus convenable, l'usage que les circonstances pourront exiger.
Je le répète, messieurs, l'article ne présente aucune utilité ; il est, au contraire, dangereux ; j'en demande donc la suppression.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L'honorable membre a fait allusion à la situation présente de quelques communes des Flandres; mais, messieurs, il ne s'agit pas ici d'une disposition générale, d'une disposition applicable à tous les fonds communaux ; il s'agit d'une disposition concernant uniquement l'emploi des fonds à provenir des ventes que le gouvernement aurait ordonnées, en vertu de la présente loi. Cette disposition ne dérangera en aucune manière les opérations financières de la généralité des communes et particulièrement des communes des Flandres. Je ne vois donc pas d'inconvénient à ce que la proposition soit maintenue. Ce que l'on a voulu, c'est que le prix d'un immeuble ne fût pas dissipé ou ne demeurât pas improductif.
M. Desmet. - J'ai demandé encore la parole sur l'amendement qui est en discussion, pour faire remarquer à l'assemblée, que d'après le discours que l'honorable ministre de l'intérieur vient de prononcer, on pourrait croire qu'il partage mon opinion, qu'il a la même crainte que moi, que si l'amendement passe, les communes ne pourront faire emploi des fonds que les ventes de leurs biens produiront, d'après les besoins qu'elles peuvent avoir ; car, dit-il, la crainte de M. Desmet repose sur un besoin que les communes pourraient avoir de faire emploi des produits des ventes, pour venir au secours de la caisse des bureaux de bienfaisance ou des comités de travail pour le pauvre, et avec l'amendement de M. Orban, les communes ne pourraient pas employer les fonds peur cet usage. Mais, ajoute M. le ministre, cette crainte n'est pas fondée, parce que cette disposition ne peut concerner que les contrées où les biens communaux seront aliénés, et que les Flandres ne sont pas dans ce cas ; elles n'ont point de biens à vendre.
Mais, messieurs, je ne dois pas chercher longtemps pour pouvoir citer un cas à M. le ministre de l'intérieur, où dans les Flandres la vente d'un bien communal peut avoir lieu, et qu'où y aurait besoin de l'emploi des fonds pour potier secours aux nécessiteux. Je suppose que demain il existe une utilité d'aliéner quelque partie de la bruyère de Lichtervelde; vous savez que les habitants qui jouissent de ce bien commun sont en grande partie dans le besoin. Eh bien ! ils ne pourront pas faire usage de ces fonds pour les secourir.
(page 901) J’ai donc droit de dire que le ministre partage ma crainte, et que nous lions sans aucun motif les mains aux communes ; que l'amendement est dangereux ; que nous devons donc le repousser.
- Personne ne demandant plus la parole, l'article 19 est mis aux voix. Il y a doute. On passe à l'appel nominal.
61 membres répondent à l'appel.
33 répondent oui.
28 répondent non.
En conséquence, l'article 19 est adopté.
Ont répondu oui : MM. Biebuyck, Brabant, Clep, Dechamps, Dedecker, de Lannoy, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Renesse, de Theux, de T'Serclaes, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumont, Dumortier, Fallon, Henot, Huveners, Kervyn, Lejeune, Liedts, Malou, Mast de Vries, Orban, Osy, Rodenbach, Scheyven, Thienpont, Van Cutsem, Vanden Eynde et Veydt.
Ont répondu non : MM. Anspach, David, de Bonne, de Brouckere, de Corswarem, Delehaye, Delfosse, de Sécus, Desmet, de Terbecq, d'Hoffschmidt, Eloy de Burdinne, Fleussu, Goblet, Jonet, Lange, Lebeau, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Orts, Pirmez, Pirson, Sigart, Troye, Vandensteen et Vilain XIIII.
M. le président. - Il va être procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
63 membres répondent à l'appel nominal.
45 répondent oui.
12 répondent non.
6 membres s'abstiennent.
En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM. Vilain XIIII, Anspach, Biebuyck, Brabant, Clep, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Haerne, de Lannoy, Delehaye, de Man d'Attenrode, de Meester, de Renesse, Desmet, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumont, Dumortier, Fallon, Goblet, Henot, Huveners, Kervyn, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Loos, Maertens, Malou, Mast de Vries, Osy, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Thienpont, Troye, Van Cutsem, Van den Eynde, Veydt et Liedts.
Ont répondu non : MM. David, de Bonne, de Brouckere, de Sécus, d'Hoffschmidt, Fleussu, Lange, Lys, Orban, Pirmez, Pirson et Vandensteen.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus, sont invités, aux termes du règlement, à faire connaître les motifs de leur abstention.
La parole est d'abord à M. Jonet.
M. Jonet. - J'aurais voté avec empressement une loi qui, tout en provoquant et favorisant le défrichement de nos landes, aurait laissé le choix des moyens aux administrations communales en conformité des articles 31 et 108 de la Constitution.
Mais je ne puis donner mon assentiment à une mesure qui commence par dépouiller les communes et de leurs propriétés et du droit de régler elles-mêmes leurs affaires et leurs intérêts ; et laquelle, en définitive, je le crains bien, ne produira pas les effets magnifiques que l'on s'en promet,
M. Eloy de Burdinne. - Je me suis abstenu par le même motif que dans le vote de l'article premier. Partisan du défrichement des bruyères, je n'ai pu cependant donner au gouvernement le droit d'expropriation quand même.
M. Orts. - Quoique je ne partage pas les scrupules constitutionnels qu'a soulevés, dans les débats, le droit d'expropriation, scrupules que je respecte, je n'ai cependant pas voulu voler pour la loi. parce que je la regarde comme fatale à plusieurs communes, je veux parler des communes du Luxembourg, et des communes limitrophes des provinces de Liège et de Namur.
Je n'ai pas voulu non plus être hostile à la loi, parce qu'elle est utile aux communes du Limbourg et de la province d'Anvers.
M. Sigart. - Je n'ai pas voulu voter contre la loi à cause de l'article premier qui me semble dicté par une pensée de civilisation trop rare chez nos ministres pour ne pas mériter un encouragement ; mais je n'ai pas voulu voter les fonds demandés par le gouvernement.
Le gouvernement, consommateur par excellence, est le plus mauvais des producteurs. Voulez-vous qu’une chose soit mal faite, chargez-en le gouvernement, la recette est à peu près infaillible. (Interruption.) On me dit que non. Veut-on que je le prouve? Je vous citerai le tunnel de Cumptich qui s'est écroulé, celui de Braine-le-Comte qui menace de s'écrouler et qui, j'espère, sera bientôt abandonné. Je pourrais vous citer bien d'autres exemples, et quand par hasard la chose n'est pas mal faite, c'est qu'elle a coûté trois fois plus qu'elle ne vaut.
Comment les choses se passeront-elles dans le cas spécial dont il s'agit? Le gouvernement prend la peine de nous le dire, afin de forcer le désert à se peupler, le gouvernement veut y faire bâtir des églises et des presbytères ; c'est là une idée extrêmement curieuse qui ne pouvait venir qu'à un gouvernement théocratique ; c'est là une idée tout à fait neuve ; M. le ministre de l'intérieur pourrait à bon droit de ce chef se décerner à lui-même un brevet d'invention.
M. Delfosse. - Je n'ai pas voté contre la loi, parce qu'elle contient de bonnes mesures, qui produiront d'heureux résultats, si elle est exécutée avec discernement ; je n'ai pas voté pour, à cause du pouvoir exorbitant que l'article premier confère au gouvernement. J'aurais voulu que l'on donnât plus de garanties aux communes, en réservant le droit d'ordonner la vente des terrains incultes au pouvoir législatif.
M. de Mérode. - Messieurs, je m'abstiens, parce qu'appelé, en apparence, à voter sur une loi de défrichement, je me vois appelé, en réalité, à voter sur une loi qui livre à l'arbitraire, par ses dispositions absolues, l'expropriation des communes, et cela dans une assemblée dont la grande majorité représente des localités qui ne possèdent que très peu ou point de biens communaux et se trouve facilement poussée de la sorte par le gouvernement à se montrer peu soucieuse de l'opposition des membres qui représentent ici le plus grand nombre de communes propriétaires ou qui connaissent particulièrement leurs intérêts comme voisins.
Je m'abstiens, parce que, ne pouvant opposer efficacement mon vote négatif à l'admission d'un principe qui prévaut aujourd'hui contre le précieux héritage de la famille appelée commune, ainsi qu'il fit exproprier, il y a cinquante ans, malgré nos pères, la famille religieuse, je veux encore protester de toutes mes forces à l'égard de ce principe qui, plus tard, servira de moyen d'attaque parfaitement logique en vertu des précédents contre l'usage libre de l'héritage de la famille composée du grand-père, de la grand'mère et de leurs enfants ou petits-enfants.
Je m'abstiens, en outre, afin de pouvoir protester aussi contre la déception qui résultera pour les Flandres de ce prétendu moyen de soulagement à leur misère, déception qui est la véritable et déplorable cause de l'adoption complète de la loi.
M. Dubus (aîné). - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale, qui a examiné le projet de loi allouant des crédits supplémentaires au département de la justice pour les exercices 1845 et 1846.
M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué aux membres. A quel jour la chambre veut-elle en fixer la discussion ?
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je demande que cela soit porté à la suite de l'ordre du jour ; il s'agit de dépenses faites pour fournitures de vivres aux prisons, le payement est d'une grande urgence.
- Cette proposition est adoptée.
M. Osy. - Il y a quelques jours, l'honorable M. de Man a déposé le rapport sur un projet de loi portant règlement définitif de comptes arriéré; comme il serait à désirer que ce projet de loi pût être voté dans le cours de cette session, car pour la session prochaine il vous restera encore des comptes arriérés à examiner, je propose de mettre ce rapport à la suite des objets qui sont à l'ordre du jour.
M. de Man d’Attenrode. - Je viens appuyer la motion de l'honorable M. Osy, mais en la modifiant dans ce sens que je voudrais que les projets de loi, dont il a parlé, fussent mis à l'ordre du jour, après le projet de loi relatif à la fabrication de la monnaie d'or. Je vais vous en dire les motifs. Le rapport a été distribué il y a trois jours ; le sénat est en ce moment réuni, je ne sais combien de jours il siégera encore; il serait important qu'il pût recevoir le projet voté par la chambre avant sa séparation afin de pouvoir nommer son rapporteur. Le sénat aura besoin d'un temps assez long pour examiner les projets de loi.
Si la chambre ne les discute et ne les vote qu'après que le sénat se sera séparé, cette assemblée ne pourra en être saisie qu'après Pâques. Or comme il est probable que la session ne durera plus guère que deux mois , les projets de loi ne pourront être votés avant de nous séparer.
Je demande donc la mise à l'ordre du jour après le projet de loi relatif à la monnaie d'or.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Les rapports faits par l'honorable M. de Man forment un volume in-folio très-intéressant, je n'ta doute pas ; je demande qu'on me donne le temps de les examiner. Si le projet de loi relatif à la monnaie d'or était terminé demain, je n'aurais pas ce temps, et personne ne l'aurait; il est très désirable que les comptes de 1841 soient arrêtés dans le cours de la session actuelle ; je pense qu'en adoptant la motion de l'honorable M. Osy, ce résultat sera atteint, sans apporter à la discussion une précipitation qui serait fatale à certains intérêts. A ces comptes se rattache une question de principe que je désire pouvoir examiner.
M. de Man d’Attenrode. - Je n'insiste pas.
- La proposition de M. Osy est adoptée.
M. le président. - L'ordre du jour appelle, en quatrième lieu, la discussion du projet de loi relatif à la fabrication de la monnaie d'or.
La discussion générale est ouverte.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je n'entamerai pas la discussion générale, mais je proposerai un léger changement aux amendements que j'ai proposés.
Pour qu'un certain nombre de pièces forme un kilogramme, je demanderai qu'à l'article 3, au chiffre de 7 grammes 870 milligrammes pour le poids de la pièce de 25 fr. on substitue celui de 7 grammes 874 milligrammes, et qu'au chiffre de 3 grammes 145 milligrammes pour les pièces de 10 fr. on substitue celui de 3 grammes 149 milligrammes, 6.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, la question qui s'offre aujourd'hui à nos délibérations est compliquée ; pour en saisir toute la portée, (page 902) il est nécessaire d'avoir recours aux principes qui lui servent de base, et à quelques faits accomplis.
Je me hasarde à la traiter, puisqu'elle se rattache aux intérêts que je me suis appliqué à défendre dans cette enceinte. Cette question est délicate, car il s'agit de toucher à une matière qui sert en premier lieu de mesure commune des valeurs échangeables, c'est-à-dire à faciliter l'évaluation du prix des marchandises.
Cette question est délicate, car il s'agit d'une matière dont l'usage est de faciliter les échanges.
Aussi la question du numéraire intéresse-t-elle à un haut degré toutes les classes de la société.
J'ai entendu dire souvent : La base du système monétaire en Angleterre, c'est l'or ; la base du système monétaire en France, c'est l'argent.
Cela est vrai pour l'Angleterre, où l'or est le métal admis par la loi comme mesure de la valeur.
Mais il est inexact de dire, que l'argent est la base légale du système monétaire français, comme l'or est la base du système anglais.
Voici, d'après mon opinion, ce qui indique quelle est la base du système monétaire d'un pays.
Ce qui sert de base au système monétaire d'un pays, ce sont les métaux-monnaies qui, d'après ses lois, sont susceptibles d'acquitter une dette contractée. En Angleterre, une dette ne peut être acquittée qu'avec de l'or ; l'argent n'est admis que comme appoint, et jusqu'à concurrence de 2 liv. sterl. seulement. Eh bien, l'on peut dire de l'Angleterre que l'or sert de base à son système monétaire.
En Russie, la monnaie d'argent est la seule qui puisse être légalement offerte dans les payements, quand la stipulation n'est pas faite en papier ; l'or n'y circule que comme auxiliaire, son empreinte ne détermine que son poids et son titre. La loi s'abstient de fixer la valeur, et n'oblige pas à le recevoir dans les payements.
Eh bien, à cette condition, l'argent sert réellement de base au système monétaire russe.
Aussi n'est-ce que dans ces deux pays que la base du système monétaire offre quelque chose d'immuable, et qu'il existe un système réel à l'abri de perturbations, toujours nuisibles aux intérêts du public.
En France, comme dans presque tous les pays d'Europe, la législation admet deux métaux-monnaies comme moyen régulier d'échange, le cuivre n'est admis que jusqu'à concurrence d'une somme peu considérable.
Ainsi il est inexact de dire que l'argent seul est la base du système monétaire français ; la base de son système est l'or et l'argent. Ceci posé, voyons quelle en a été la conséquence ?
La conséquence de ce système a été de fixer leur valeur relative, car du moment où la loi admet qu'on peut s'acquitter indistinctement avec de l'or ou avec de l'argent, il faut bien que le public sache quelle quantité de l'un équivaut à telle quantité de l'autre.
Mais il est un fait qui domine partout les prescriptions légales.
L'or et l'argent sont marchandises ; ces métaux, qu'ils soient à l'étal de numéraire, ou qu'ils soient à l'état de lingot, sont soumis aux fluctuations que produisent l'offre et la demande.
Ces métaux ont une valeur commerciale, qui s'établit en dépit de toutes les prescriptions des lois.
Eh bien, messieurs, qu’est-il arrivé dans les pays dont les gouvernements se sont avisés de fixer légalement la valeur relative des métaux précieux, lorsque cette proportion est venue à changer par le cours du commerce?
Voici ce qui est arrivé, et c'est l'auteur d'un ouvrage qui a servi à l'instruction des grands ducs de Russie, qui nous l'apprend.
Alors, dit-il, le métal qui se trouve trop estimé dans les monnaies, demeure seul le régulateur des prix, et il chasse de la circulation le métal trop peu évalué. Comme dans ces pays la loi autorise à payer indifféremment en monnaie d'or ou en monnaie d'argent, les sommes stipulées en monnaie du pays, tout acheteur en profite pour payer dans la monnaie qui vaut réellement moins, c'est-à-dire dans celle qui est évaluée trop haut. Le vendeur se voit obligé de régler ses prix en conséquence, d'évaluer aussi sa marchandise dans le métal trop estimé, ce qui élève le prix de toutes les choses, et fait dominer dans la circulation le métal trop estimé. »
Eh bien, messieurs, c'est ce qui est arrivé en France. Le fait commercial a anéanti le rapport établi par la loi entre l'or et l'argent.
D'après le fait commercial, la monnaie d'argent, se trouvant trop estimée, a chassé de la circulation l'or, qui est trop peu évalué.
En effet, chacun connaît trop bien son intérêt pour s'acquitter d'une dette de 20 fr. avec une pièce d'or, qui vaut plus de 20 fr.
Qu'en est-il résulté? C'est que l'argent, qui est une monnaie surévaluée en France, domine partout, fixe le prix de toutes chose»s et que l'argent se trouve être par le fait, et non pas au nom de la loi, la base de son système monétaire.
Les mêmes causes ont produit les mêmes effets avant 1830 sous le gouvernement des Pays-Bas. Mais alors c'était la monnaie d'or, qui était surévaluée, et qui valait intrinsèquement moins que sa valeur représentative. Ainsi vous vous rappelez qu'alors les pièces de 5 florins disparaissaient, et que nous n'avions comme fraction de l'or que des pièces de 25 centièmes de florin, et comme aucune limite n'était portée à la dette qu'on pouvait acquitter avec cette menue monnaie, ou subissait souvent la peine de compter des sacs de plusieurs milliers de florins en coupures d'argent de cette espèce.
Ainsi, messieurs, il est bien entendu que partout où la législation base le système monétaire sur les deux métaux, le métal qui domine pour l'usage de la nation, est celui qui se trouve surévalué par le fait commercial, celui qui a une valeur nominale supérieure à sa valeur réelle. C'est tantôt l'un, tantôt l'autre qui l'emporte. Ces peuples n'ont en réalité pas de système monétaire : le système qui prévaut chez eux, est celui qui leur est imposé par les fluctuations du commerce. Ils n'ont qu'un moyen de faire prévaloir toujours le même métal, c'est de modifier fréquemment les valeurs monétaires.
Par contre, dans le pays où la loi ne reconnaît qu'à un seul métal l'office de mesurer la valeur de système est immuable; la base est réelle.
Maintenant, messieurs, la question qui se présente naturellement voire appréciation est celle-ci :
Quel est celui des deux métaux auquel il semble que l'on doive donner la préférence pour servir d'étalon de la valeur ?
Il semble que ce devrait être celui qui offre une mesure aussi invariable que possible.
Celui que l'usage altère le moins, celui dont le prix se soutient le plus constamment sur le marché.
L'expérience a appris que l'or offre tous ces avantages.
Il s'altère quatre fois moins vite que l'argent.
Sa valeur subit moins de variations que l'argent.
D'après l'opinion émise par un comité de la chambre des communes d'Angleterre, en 1810, le prix de l'or en barres, au titre légal, n'a jamais dépassé le prix fixé par la monnaie durant la période de vingt-quatre ans, qui s'est écoulée depuis la refonte des monnaies d'or jusqu'à l'époque où la banque suspendit ses payements en espèces.
Par contre, le prix de l'argent a varié de 15 p. c. en dix ans, d'après d'autres documents publiés en Angleterre.
L'argent n'a cessé de baisser de prix depuis la découverte de l'Amérique, à cause de l'abondance de ses mines ; la demande de l'argent a eu beau dépasser celle de l'or, à cause de son emploi pour les objets de luxe tels que vaisselle, etc. ; la demande de plus en plus considérable de l'argent n'a pu empêcher que le prix n'en diminuât dans une proportion telle que la distance qui sépare les deux métaux a été toujours en augmentant.
L'or a haussé ainsi dans la quantité d'argent qu'il peut acheter. Les deux métaux ont baissé dans leur valeur réelle, mais l'argent a baissé plus que l'or et tout fait présumer que la valeur de l'argent s'écartera de plus en plus de celle de l'or.
En effet la production de l'or n'exige pas un travail habile.
La production de l'argent exige au contraire beaucoup d'habileté et d'économie.
Or les progrès que font tous les jours la science et l'industrie, doivent avoir pour résultat de diminuer encore le prix de l'argent.
L'or est donc le métal qui convient le mieux pour servir à mesurer les valeurs. Le système monétaire de l'or est donc le meilleur.
Voici un autre motif qui milite en faveur de l'or :
Le métal, qui sert aux échanges d'une nation, représente un capital considérable. Il semble prudent de faire choix du métal qui offre le moins de chances de dépréciation dans l'avenir, car cette dépréciation se résume en une perte pour le pays.
Or, tout porte à croire que cette dépréciation sera plus forte pour l'argent, car toutes les tendances d'une civilisation plus avancée sont en faveur d'un plus grand usage de l'or comme monnaie. Sir Robert Peel, dans un discours au parlement anglais, relatif au renouvellement du privilège de la banque d'Angleterre, s'exprimait ainsi, concernant les avantages de la monnaie d'or :
« Vous avez une monnaie-étalon, la monnaie d'or ; vous avez aboli l'usage forcé de l'argent pour toute somme au-dessus de 25 livres... Vous avez subalternisé l'argent à l'or, pour nous servir des expressions de lord Liverpool. Vous avez en conséquence un seul étalon, un étalon qui a été pendant un siècle la mesure de la valeur. Croyez-moi, ce système est le meilleur et le plus sûr que vous puissiez posséder.
« Par ce système, vous avez permis au plus humble artisan de recevoir 5 livres or pour un produit ou une valeur fournie de 5 livres. En introduisant l'usage de l'or dans les transactions des plus humbles classes de la société vous avez plus fait pour le principe du remboursement à vue, qu'en décrétant, sur le conseil de M. Ricardo que celui, qui aura 100 livres en bank-notes peut les changer contre de la monnaie d'or. »
Voici maintenant, messieurs, quelles sont les conditions du système monétaire en Angleterre ; je les trouve dans un article remarquable de la Revue des dieux Mondes.
« L’or seul est admis dans les payements comme monnaie légale ; l'argent n'intervient que pour former les appoints, ou pour solder les faibles comptes. Toutefois, on l'accepte encore jusqu'à concurrence de 40 schellings ou environ 50 francs. Dans ce système, la valeur nominale de l'argent, par rapport à l'or, est fixée par la loi, ce qui semble démentir ce que nous avons dit précédemment ; mais ce rapport légal est purement de tolérance ou de convention. La valeur qu'on y donne en argent est du reste, sinon arbitraire, au moins factice, puisqu'on l'a sciemment et volontairement surélevé d'environ 8 p. c.
«On a jugé avec raison que cette surélévation n'aurait pas les inconvénients qu'elle présente ailleurs, parce que le cours de l'argent est renfermé dans d'étroites limites, qu'on ne le présente pas comme une monnaie régulière, mais comme une sorte de supplément conventionnel, soutenu par la confiance publique, et qu'enfin on évite d'abuser de cette confiance par de trop grandes émissions. C'est une condition toute pareille à celle de notre monnaie de billon, sauf la différence de la (page 903) valeur. Au gouvernement seul appartient le droit de régler les émissions de la monnaie d'argent : il profite seul aussi de la différence de 8 p. c. entre la valeur nominale et la valeur. Tel est le système qui prévaut en Angleterre, tel est celui qu'il faudrait adopter. »
Maintenant examinons comment ce système, que le rapport de la section centrale qualifie à juste titre d'admirable, a été introduit en Angleterre.
L'or a détrôné l'argent, en Angleterre, pendant le siècle dernier, et voici comment cette transition a eu lieu :
En 1728, la proportion naturelle entre les deux métaux était comme 1 à 15 1/2. On fixa par une loi cette proportion, c'est-à-dire qu'on prétendit fixer une proportion variable de sa nature. Cependant l'argent éprouva plus de demandes que l'or. Le goût de la vaisselle et des ustensiles d'argent se répandit. Le commerce de l'Inde emporta de l'argent de préférence à l'or. Finalement, la valeur correspondante des deux métaux devint en Angleterre comme 1 à 14 1/2 environ.
Si l'on avait payé en argent les obligations stipulées en livres sterling, il aurait fallu donner en argent 15 1/2, là où l'on pouvait ne donner qu'une valeur égale à 14 1/2 en payant en or ; ce qui faisait une différence d'un 27ème ou de 3 3/4 p. c.
Avec cette législation, les particuliers étaient intéressés à se procurer avec de l'or des monnaies d'argent pour les fondre, les vendre en lingots contre de l'or, et recommencer la même opération à mesure que le gouvernement frappait de nouvelles pièces d'argent.
Ainsi, le gouvernement anglais, pour faire cesser ces manœuvres désastreuses pour lui, se mit-il à frapper en argent des coupures qui n'ont pas le poids.
Un acte du parlement décida, en 1774, qu'on ne serait plus admis à acquitter une dette avec de la monnaie-argent que jusqu'à concurrence de 25 liv.
C'était faire régner l'or et réduire l'argent au rôle auxiliaire d'une monnaie de confiance.
L'émission d'une monnaie surévaluée n'offre pas de dangers, pourvu que l’on ne soit pas obligé d'en recevoir au-delà d'une certaine limite, pourvu que le gouvernement s'en réserve la fabrication, et pourvu qu'il tienne des bureaux ouverts à l'échange de cette monnaie de billon contre de la monnaie légale, comme une banque ouvre ses comptoirs pour l'échange de ses billets contre du numéraire.
De plus, c'est le moyen de s'assurer qu'il n'en circule pas avec trop d'abondance, et de maintenir sa valeur fictive.
Ce fut enfin après la reprise des payements en argent de la banque d'Angleterre qu'un bill arrêta définitivement le système de l'or, en n'admettant plus l'argent dans les payements que jusqu'à concurrence de 42 schellings.
Quel est maintenant le système belge ?
C'est une contrefaçon du système français.
Quel en a été le résultat ?
C'est que le pays n'est pas encore parvenu à se créer une monnaie nationale.
Le signe représentatif des valeurs est, parmi nous, tantôt l'or hollandais, tantôt l'argent français.
L'un ou l'autre prévaut à la suite de spéculations onéreuses pour le public.
L'or hollandais, qui est une monnaie surévaluée, a souvent éliminé l’argent de France.
C'est ainsi que la Belgique est ballotté entre les systèmes des nations qui l'environnent.
Cela n'est avantageux qu'aux spéculateurs.
Comment le gouvernement nous propose-t-il d'y remédier ?
Il nous propose d'établir un nouveau rapport entre l'or et l'argent, de manière à pouvoir émettre de l'or.
Et comme, si nous adoptions le rapport commercial existant, le rapport légal à établir serait anéanti demain peut-être, le gouvernement propose d'émettre une monnaie d'or, dont la valeur nominale dépassera la valeur intrinsèque d'une façon assez notable, de manière à ce que la hausse continuelle du prix de l'or par rapport à l'argent, ne vienne pas, au bout de 4 ou 5 ans, rendre la circulation de cet or impossible, et en faire un objet de commerce, comme les pièces de 20 fr. en France.
Je vous avoue, messieurs, que je me sens disposé à adopter ce système, parce qu'il tend à faire prévaloir l'or en Belgique. Si le gouvernement persévère dans cette voie, nous arriverons au système anglais, et quant à moi je n'y vois que des avantages. S'il bat de la monnaie d'or au taux proposé, on préférera s'acquitter avec cette monnaie surévaluée par rapport à l'argent ; l'argent probablement disparaîtra; et qu'est-ce qu'il y aura à faire alors? Ce sera de battre, comme en Angleterre, des coupures surévaluées. Il ne lui restera ensuite qu'à nous proposer de poser une certaine limite à la quantité d'argent qu'on pourra offrir pour s'acquitter d'une dette, et à se réserver la fabrication de cette monnaie.
Si le gouvernement en agissait ainsi, messieurs, on parviendrait bien certainement à conserver cette monnaie en Belgique; car elle n'aurait pas cours en France.
Je prévois, messieurs, une objection grave. On me dira que les rapports commerciaux de la France avec la Belgique sont nombreux, sont fréquents, et qu'on ne pourra se servir de cette monnaie pour faire des payements eu France.
Je répondrai d'abord que je pense que, tout en adoptant un système monétaire réellement national, un système qui nous assurerait la circulation d'une monnaie nationale, cela n'empêcherait pas que la monnaie d'argent française n'abondât dans le pays. Sous le gouvernement des Pays-Bas nous avons essayé du système de l'or, l'or seul servait aux transactions pendant les années qui ont précédé 1830 ; nous étions faits à ce régime. Depuis la révolution, l'or n'a pas régné en Belgique d'une manière aussi constante; cependant, vous le savez, il est des moments où l'or prévaut en Belgique à peu près comme en Angleterre.
Ce qui déplaisait dans le système néerlandais, c'était l'unité du florin. Nous n'étions pas faits à ce système de florins, d'autant plus que, comme dans ce moment encore, ces pièces d'or hollandaises se combinaient fort mal avec les pièces décimales françaises. En effet, il n'y a aucun rapport symétrique entre elles. Quand il s'agit de régler un compte, on est obligé d'avoir sans cesse le tarif à la main. Il faut sans cesse diviser et fractionner, et c'est là un travail pénible.
Je le répète donc, je pense que nous aurons toujours dans le pays une quantité suffisante de numéraire français. D'ailleurs, je suis convaincu que si nos pièces d'or étaient bien fabriquées, elles finiraient peut-être par avoir cours, je ne dis pas dans les caisses des gouvernements étrangers, mais dans le public, en France, en Allemagne et en Italie. Dans ce moment les voyageurs sont obligés de payer assez cher l'or de France ; cet or ne sert plus que pour faciliter les voyages des gens opulents. Il n'est pas impossible que d'ici à un certain temps il en soit de l'or belge comme jadis des ducats de Hollande qui avaient cours dans l'Europe entière.
Je ne dis pas que cela soit possible immédiatement, parce que la monnaie d'or que le gouvernement se propose de battre est trop surévaluée. Un homme de finance au courant de cette question m'a assuré que la monnaie que le gouvernement se proposait de battre, était surévaluée de 3/4 pour p. c, ce qui fait 75 centimes pour 100 fr. Mais, messieurs, il est à remarquer qu'à cause de l'élévation constante du prix de l'or la surélévation de la monnaie qu'on se propose de battre diminuera tous les jours. Je suis persuadé qu'avant six ou sept ans, la moitié de cette surélévation aura déjà disparu, et que dans dix ans peut-être nos pièces de 25 francs auront une valeur intrinsèque égale à leur valeur représentative. Eh bien ! si le gouvernement s'arrangeait de façon à frapper cette monnaie de manière à ce qu'elle ne pût être contrefaite, si elle était essayée et pesée avec précision, je ne crois pas qu'il soit impossible que la monnaie d'or belge devienne d'un usage courant en Europe. Cela peut devenir un objet de fabrication important; c'est une branche d'orfèvrerie qui n'est peut-être pas à dédaigner dans notre pays.
Le grand argument, je pense, des adversaires du projet de loi, est que le gouvernement n'a pas le droit d'émettre une monnaie surévaluée, que c'est en quelque sorte faire un dol au public, que ce n'est pas lui donner tout ce qu'il est en droit de recevoir, que cela finit par être une espèce de banqueroute.
Messieurs, cet argument a certainement son importance ; mais, comme je viens de le dire, l'or, surévalué aujourd'hui, ne le sera peut-être plus dans sept ou huit ans, je crois que cette surévaluation diminuera tous les jours. D'ailleurs il est impossible de battre de l'or sans cette condition. Nous avons depuis vingt à vingt-cinq ans dans le pays de l'or hollandais surévalué, et on ne s'en est jamais plaint. Dans ce moment même nous sommes assez bons pour recevoir pour 21 fr. 16 c. des pièces de 10 florins qui ne valent que 21 fr. Il n'y a donc pas lieu de croire que le public sera mécontent de recevoir une pièce d'or qui ne sera surévaluée que d'un demi-centime par franc, et cette surévaluation décroîtra tons les jours.
Je viens, messieurs, d'entrer dans des considérations peut-être un peu étendues ; mais je désirais pouvoir établir ces principes. J'ai déclaré que j'avais plus ou moins de préférence pour l'or; cependant c'est une question tellement grave et difficile, que je ne voudrais pas me prononcer aujourd'hui d'une manière absolue. Si la solution dépendait de mon vote, je ne voudrais pas en prendre la responsabilité pour le moment, mon seul désir est que cette question soit comprise dans le public, qu'elle soit étudiée. Je demande que le gouvernement l'examine aussi, et comme je pense que sa proposition tend plus ou moins à nous faire arriver à ce système de l'or, qui est, après tout, le seul soutenable, je suis plus ou moins disposé à voter pour le projet. Cependant j'attendrai la discussion avant de me décider, je désire pour le moment ne pas m'engager d'une manière complète.
M. Osy. - Messieurs, si je n'étais de l'opposition pour faire triompher mon parti, je regarderais comme une bonne fortune la loi que nous sommes appelés à discuter. Mais je suis trop ami de mon pays pour m'arrêter à de pareilles considérations, et M. le ministre des finances doit me rendre cette justice, que je lui ai toujours annoncé que, pour cette loi, il me trouverait son plus grand adversaire ; et à plusieurs reprises, je l'ai sollicité de retirer son projet, ne fut-ce que pour l'honneur du pays, car il est fâcheux, comme jet vous le démontrerai, que dans ce siècle éclairé on doive discuter une pareille loi, et qui vienne de l'initiative ministérielle. Je vous démontrerai que c'est une corruption digne des temps barbares et que nous voulons faire ce que faisait encore il y a peu d'années un pays de l'Orient, qui était bien arriéré, avant l'arrivée au trône de son jeune sultan actuel.
N'ayant donc pas réussi à fléchir M. le ministre, ni un de ses collègues à qui j'en ai parlé, je suis obligé d'entrer dans bien des détails, et je vous dirai toute ma pensée ; je réclame donc de la chambre beaucoup d'indulgence et de vouloir m'écouter avec bienveillance, car l'affaire est beaucoup plus importante qu'on ne pourrait le supposer à la première vue, et j'espère convaincre au moins mes amis politiques, que nous serions peu dignes de siéger ici, nous amis de progrès sages, si nous votions (page 904) une loi de spoliation et contraire à ce que font toutes les nations civilisées et éclairées.
En 1837, le gouvernement, après avoir consulté une commission présidée par l'honorable sénateur comte Vilain XIIII, a proposé à la législature un projet de loi, pour faire quelques changements à la loi monétaire du 5 juin 1832.
Par cette loi de 1832 le kil. d'or fin était calculé à fr. 3434-44, mais vu la cherté de l'or qui s'était maintenu pendant plusieurs années à une prime dépassant 12 fr. par mille, le gouvernement proposait de faire frapper des pièces d'or de 10, 25 , 50 et 100 francs et proposait de fixer la valeur du kil. d'or fin à fr. 3485-72 2/9.
Cette commission donnait ses raisons pour ne pas adopter le système hollandais de 1816, qui fixait la valeur du kil. d'or fin à fr. 3,495 et elle disait :
« Elle a pensé à l'unanimité des membres présents que le système hollandais ne devait pas être adopté, attendu que les pièces d'or de cette nation n'ont point leur valeur relative et qu'elles sont ainsi une espèce de dol fait au public. »
Depuis la présentation du projet de loi de 1837, les sections et la section centrale se sont occupées de cet objet important, et ce n'est que le 7 novembre 1844 que l'honorable M. Cogels a pu vous présenter un rapport au nom de la section centrale, complétée à diverses reprises, à cause de la perte de plusieurs de ses membres.
Cette section centrale était alors composée de nos honorables collègues, MM. d'Hoffschmidt, Smits, Pirmez, Troye, Duvivier, Coghen et Cogels ; elle avait posé trois questions, savoir :
1° Peut-on, avec quelque chance de stabilité, établir entre la valeur des monnaies d'or et d'argent, un rapport qui permette de les admettre l'une et l'autre, concurremment, comme monnaie légale, c'est-à-dire, comme moyen de payement, jusqu'à concurrence des plus fortes sommes?
2° La loi proposée le 10 octobre 1837 serait-elle encore exécutable au moment actuel ?
3° En la modifiant, de manière à la rendre exécutable, atteindrait-on le but que M. le ministre des finances et la commission instituée par lui se sont proposé ?
Après une discussion approfondie et des considérations motivées, la section centrale conclut, à l'unanimité, au rejet du projet de loi de 1837.
Par arrêté royal du 12 février 1846, M. le ministre des finances institua une nouvelle commission à l'effet de rechercher et de proposer au gouvernement les changements à introduire à la loi de 1832, pour rendre possible la fabrication de la monnaie d'or.
Cette commission, présidée comme celle de 1837 par l'honorable sénateur comte Vilain XIIII, a présenté son rapport le 22 mai 1846, et elle conclut à la fabrication de pièces d'or de 10 et 25 fr., et à fixer le prix d'émission de la monnaie d'or à 3,515 fr. au kilog. d'or fin, et en maintenant le titre de 900/1000.
En 1857, la commission rejetait le système hollandais de 1816 qui fixe seulement le kilog. à 3,495 fr., comme un dol fait au public, et maintenant elle va beaucoup plus loin et propose d'augmenter la valeur du kilogramme d'or de 20 fr.
En 1837, la commission s'arrête au chiffre de 3,485 fr. 72 c, blâme le système hollandais de 3,495 fr. et, en 1846, elle propose d'aller à 3,515 fr.
Pendant la session dernière, et après avoir pris connaissance du rapport de la commission, M. le ministre a déposé un nouveau projet de loi (sous le n°300 des pièces de la chambre.)
Le projet, article premier, décrète la fabrication des pièces d'or de 10 et de 25 fr.
M. le ministre ne propose pas de changer le titre fixé par la loi de 1832, mais, à l'article 3, propose de fixer le poids des pièces de 25 fr. à 7 grammes 874 millig, tandis que l'honorable M. d'Huart en 1837, fixait le poids de la même pièce à 7 gr. 969 m.
Le poids de 7 gr. 969 m. fixait la valeur du kilog. d'or fin à 3,485 fr. 72 c.
Tandis que, comme l'honorable M. Malou propose de ne donner que le poids de 7 gr.870m., il fixe la valeur du kil. d'or à plus de 3,527 fr. 77 c.
Ainsi la loi de 1832 fixe la valeur du kilog. d'or fin à 3,434 fr. 44 c
La commission de 1837 fixe celui de 3,485 72 c.
Et regarde comme un dol fait au public si on prend la proportion des 10 florins, soit 3,495 fr.
La commission de 1846 propose de fixer le kil. à 3,515 fr.
Et finalement M. le ministre propose 3,527 fr. 77 c.
Je ne veux pas répéter les excellents arguments votre section centrale pour repousser à l'unanimité le projet de 1837, qui augmentait seulement de fr. 51 28 la valeur du kil. d'or, tandis que M. le ministre vous propose d'augmenter la valeur du kil. de fr. 93 35 ou de près de 3 p. c.
Ainsi, messieurs, la valeur des 25 fr. serait seulement 24 fr. 25 c. en proportion des 20 fr. d'après la loi monétaire française et seulement de fr. 24 75 c. en proportion des 10 florins qu'on a toujours considérée comme un système vicieux, loi ouvertement blâmée par la commission de 1837, et donnant une trop forte valeur au kil. d'or fin.
Il est vrai, messieurs, que le ministre propose seulement de faire frapper la nouvelle monnaie d'or pour une somme de 25 millions, comme le proposait la commission de 1846 ; cela me prouve que la majorité de la commission et M. le ministre des finances redoutent les conséquences d'une fabrication illimitée, et pour moi je pense, avec la minorité de la commission de 1846, que cette réserve condamne tout le système ; car il est toujours dangereux d'introduire dans la législation d'un pays et surtout dans la législation monétaire, des modifications dont on ne peut pas calculer la portée.
Le système monétaire forme les bases de toutes les transactions intérieures et internationales et ne doit être modifié qu'en cas d'absolue nécessité.
Le rapport lumineux de votre section centrale de 1844 vous prouve à l'évidence, que cette nécessité n'existe pas. Comme vous avez tous sous les yeux ce rapport, je m'abstiens de combattre la proposition de M. le ministre, par d'autres motifs que par les chiffres ; mais je vous engage à relire avec attention le rapport de voire section centrale.
Si vous adoptiez, messieurs, le système de M. le ministre, en frappant seulement 25 millions, il y aurait une perte pour le pays de 750,000 fr. ou 3 p. c., si vous voulez échanger vos 25 fr. contre des 20 fr. ou une perte de 300,000 fr. en les échangeant contre des 10 florins. Il est vrai que le trésor gagnera ces 300,000 fr. en fondant les 10 florins et en faisant des 25 fr. au léger poids de 7 gr. 874 mill. proposé par le ministre ; mais quand nous devrons exporter cet or à l'étranger pour faire nos payements, nous perdrons 25 fr., tandis que vous vous êtes déjà tant récriés que la pièce de 10 florins perdait à l'étranger 16 centimes.
La commission de 1837 disait qu'en faisant des 25 fr. dans la proportion des 10 florins, ce serait un dol fait au pays ; maintenant, je crois, messieurs, pouvoir dire : si nous adoptons le système du gouvernement, nous spolions le public. Mais, messieurs, ce qui est bien plus grave, c'est que le bénéfice de la fabrication de l'or, dans les proportions du projet de loi soumis par le gouvernement, est déjà considérable en fondant seulement les pièces de 10 Ils., que sera-ce si l'or venait à baisser sur le continent et que l'agio revînt, comme en 1840 et 1841 par suite de la crise américaine et de deux mauvaises récoltes en Angleterre, au taux de 4 à 5 fr. p. mille?
Il est vrai que par le projet du gouvernement on veut borner la fabrication à 25 millions et le montant des espèces dans le pays étant beaucoup plus considérable, on me dira que toutes les pièces de 5 fr. et de 10 florins ne disparaîtront pas du pays ; mais, messieurs, l'industrie à l'étranger est portée si loin, que si nous ne frappons que 25 millions, l'étranger frappera des Léopolds de 10 fr. et 25 fr. juste au même titre et au même poids que ceux frappés à la Monnaie de Bruxelles, et ce n'est pas la première fois qu'une telle opération aura été faite à Birmingham. Ces pièces ne sont pas fausses, et vous ne pouvez pas les distinguer de celles fabriquées par nous, et comme l'importation et l'exportation des monnaies doit être permise, on vous introduira des pièces d'or fabriquées à l'étranger, jusqu'à ce que vous n'ayez plus dans le pays, une seule pièce de 5 fr. ni de 10 fl. et vous n'aurez plus que de l'or qui, à la refonte à l'étranger, vous donnera une perte de 5 p. c. dont vous aurez à déduire l'agio de l'or, qui en commune est de 12 mille fr. Ainsi il y aura des moments où lorsque vous aurez à payer à l'étranger, vous aurez à perdre sur les seules espèces qui resteront dans le pays, près de 1 3/4 p. c. et qui peut augmenter lorsque l'or sera à l'étranger à un plus bas agio.
Dans tous les pays civilisés, autant que possible, les monnaies sont en proportion de celles d'autres pays, et comme tous les pays se contentent des frais de monnayage, vous sentez que l'étranger ne trouve pas d'avantage à monnayer pour ses voisins. Mais si vous entrez dans le système de faire de la monnaie qui laissera de si grands bénéfices que ceux proposés et dont je vous ai fait le calcul, vous décréterez que la monnaie de la Belgique, sera frappée à Birmingham et dans d'autres endroits où l'industrie sera portée au même degré de perfection.
En 1815 et 1816 on a frappé à Birmingham des pièces de 20 fr. à l'effigie de Louis XVIII qui étaient juste au même titre et poids que celles frappées à la monnaie de Paris, et alors encore, quoique l'or fût à bon compte, cette fabrication ne laissait pas le même bénéfice que ce qu'on nous propose aujourd'hui ; et depuis 1815, l'industrie et la chimie ont fait tant de progrès, que la loi proposée sera un cadeau énorme pour l'industrie étrangère au détriment de la fortune publique de la Belgique.
Si l'or était au pair avec les 5 francs, c'est-à-dire sans agio et en prenant la proportion de 15 1/2 entre l'or et l'argent chaque 25 millions de francs qu'on vous importerait, donnerait un bénéfice de 750,000 fr., et si même l'or était au taux élevé de 15 francs le bénéfice serait encore de 375,000 fr., et c'est la fortune publique de la Belgique qui supporterait cette perte.
Quand vous n'aurez que des Léopolds, le change sur Paris sera de 1 1/4 à 1/2 p. c. Avance, et pourra augmenter si l'agio de l'or baisse, et au mois de décembre 1840, l'or à Paris était seulement 3 fr. 75, et si cela se reproduit le change sera de 2 1/2 à 5/4 Avance.
Le résultat de cette situation sera que lorsque vous aurez à vendre à l'étranger les produits de votre sol et de votre industrie, vous aurez à supporter cette perte parce qu'on vous payera en 25 fr., qui n'auront pas leur valeur relative ; et alors que la balance du commerce sera contre vous, vous devrez exporter votre or, qu'on fondra à l'étranger et vous supporterez la perte, et les marchandises que vous devrez acheter de l'étranger nous deviendront d'autant plus cher, par la perte que votre or vous fera supporter.
Il n'y pas une seule raison qui nous puisse engager à frapper de l'or. Le rapport de la section centrale du 7 novembre 1844 que je vous engage de bien méditer avant de donner votre vote, vous prouve à l'évidence que de faire même de l'or auquel on donnerait la valeur de fr. 3,485-72 par kil. d'or fin est contraire à nos intérêts, et cependant M. le ministre, sans donner (page 905) aucune nouvelle considération et sans combattre le rapport de la section centrale, vous propose de fixer à fr. 3,527 77 le kilo d'or fin.
On s'est toujours récrié contre le système hollandais de 1816, qui en frappant des 10 fl. avait fixé le kilog à 3,495, et maintenant le ministre dé passe ce taux de près (erratum, p. 926) de un et un quart p. c.
Je conçois qu'un directeur de la Monnaie appuie un pareil projet, car son métier est d'avoir de l'occupation et d'avoir son droit de monnayage. Mais que le gouvernement puisse vous proposer un pareil projet, qui réduirait la fortune publique, cela me prouve que cette question n'a pas été étudiée par lui et qu'il s'est laissé éblouir par un bénéfice qu'il pourrait procurer au trésor sans en approfondir les conséquences ; et certainement quand la commission de 1837 disait que ce serait un dol que de frapper des 25 fr. dans la proportion de la loi hollandaise, je puis bien dire que le nouveau système de M. le ministre des finances, qui vous ferait perdre (erratum, p. 926) un et un quart p. c. de plus, serait une spoliation faite aux fortunes particulières.
Il est vrai qu'il ne vous propose aujourd'hui qu'une fabrication de 25 millions, mais je vous ai prouvé que le bénéfice était si grand, que l'étranger frappera pour nous, et aussi longtemps que nous aurons dans le pays une seule pièce de 5 fr. ou de 10 fl. ; et même toutes vos petites espèces françaises partiront, et alors, comme il faut de l'argent pour la circulation, il faudra avec un grand sacrifice faire venir des lingots, et chaque fois que vous mettrez des pièces de 5 fr. en circulation, l'étranger vous les reprendra et les remplacera par des 25 fr.
Comme ce jeu finirait par vous ruiner, dans un temps donné, lorsque vous n'aurez plus que des 25 fr. on sera obligé de vous présenter un projet de loi pour frapper des 5 fr., et les petites monnaies à un poids réduit qui se rapprochera de la valeur intrinsèque de vos pièces d'or, et alors la spoliation sera complète.
La Hollande dans son système monétaire, pour mettre les 10 fl. en rapport avec le florin a été obligé de réduire la valeur du florin d'argent, et vous seriez obligés de suivre le même système, mais dans une forte proportion.
Pour frapper tous les yeux, je me bornerai à faire un calcul bien simple.
Admettons que nous ayons élans le pays pour 100 millions de monnaie.
Le gouvernement en prenant dans les caisses publiques les pièces de 10 fl. qui s'y trouvent et en frappant 25 millions en pièces de 25fr., gagnera tout au plus 300,000 fr. Mais l'étranger vous importera 75 millions en des pièces de 25 fr. et fera le bénéfice sur cette fabrication, et vous aurez alors dans le pays 100 millions qui en admettant l'agio de l'or à 10 fr., occasionneront au pays une perte de 2 millions, et en attendant vos produits industriels et agricoles, etc., pouvant vous être payés en pièces de 25 fr. auront d'autant moins de valeur. Et n'ayant que des pièces de 25 fr. pour payer vos importations, vous payerez les marchandises étrangères avec la même augmentation, que la perte que supportera l'or.
Les changes sur l'étranger s'établiront avec une prime d'environ 1 1/2 p. c. à notre désavantage, et comme le gouvernement s'est engagé à payer les intérêts de notre dette à l'étranger, les étrangers et les créanciers nationaux recevront leurs intérêts à Paris, et en supposant que vous n'ayez que 10 millions à payer à l'étranger annuellement, la hausse du change coûtera seulement au trésor 150,000 fr. par an ; ainsi dans moins de deux ans, le trésor reperdra ce qu'il pourra gagner maintenant. Le bénéfice doit être le seul argument sur lequel M. le ministre doit se flatter de faire adopter, par la chambre, son projet.
Mais, s'il ne considère que les intérêts du trésor, il néglige grandement les intérêts généraux du pays qui lui sont confiés, et, sous ce rapport, il est peu prévoyant ; mais je suis persuadé que pas un de mes amis politiques ne donnera un vote favorable à la loi, et que nous, au moins, nous protégerons les intérêts nationaux contre la spoliation dont on nous menace.
L'intéressant rapport de 1844, de l'honorable M. Cogels, vous donne l'historique de ce qui s'est passé dans d'autres temps pour la fabrication des monnaies ; et pour ne pas nous répéter, je prie mes honorables collègues de méditer ce qu'il disait. Mais j'ajouterai qu'il y a peu d'années, un petit souverain d'Allemagne (que je ne veux pas nommer par respect) a aussi, pour augmenter son trésor, diminué la valeur de l'argent qu'il faisait frapper, et ses florins n'étant plus en proportion des florins des autres pays allemands, on s'est beaucoup récrié là-dessus, et on ne l'appelait plus que le faux monnayeur. Et vous voudriez qu'il nous fût appliqué le même nom ! La ressemblance serait doublement fâcheuse.
En Turquie, de tout temps, quand les finances étaient dans un mauvais état, on décrétait la diminution des monnaies; c'était un revenu pour le trésor, mais une perte pour le public ; depuis que je suis dans les affaires, j'ai vu faire cette opération de corsaire plusieurs fois, et ceux qui avaient de l'argent «m Turquie, avaient de fortes pertes à supporter, par la hausse des changes sur l'étranger pour mettre les nouvelles monnaies en rapport avec les espèces étrangères. Il n'y a pas dix ans que cette malheureuse conception a encore eu lieu en Turquie, et je me rappelle d'avoir reçu alors des remises pour des importations de produits de notre industrie à une perte très considérable, à cause de la hausse des changes; et plusieurs industriels de ce pays, notamment les fabricants de Liège, ont dû se soumettre à cet arbitraire barbare !
Voilà que M. le ministre des finances veut nous introduire ce système financier turc, qui, pour me résumer, donnera au début un léger bénéfice au trésor, mais emprunté à taux usuraire, car dans moins de deux ans, le trésor aura annuellement à supporter, par la hausse des changes, des sacrifices énormes, et la fortune publique sera réduite de 1 1/2 à 2 pour cent.
Jamais je n'ai vu plus malheureuse conception, et je suis honteux pour la Belgique de devoir combattre un pareil projet ; on dira de nous que nous rentrons dans la barbarie et que nous avons un gouvernement qui n'a pas la moindre notion des systèmes monétaires d'autres pays.
Je suis tellement peiné pour la Belgique de la présentation de la loi de M. le ministre des finances, qu'à plusieurs reprises je l'ai sollicité de la retirer. Même, il n'y a pas longtemps que j'ai eu une conférence avec lui, M. le directeur de la Monnaie et le fonctionnaire du ministère qui avait été secrétaire de la commission de 1846 ; mais malheureusement je suis resté seul de mon opinion; je n'ai jamais eu d'autres arguments à entendre que les bénéfices qu'on procurerait au trésor, mais on n'a jamais voulu voir le revers de la médaille et le tort énorme qu'on fait à la fortune publique. Je suis peiné pour ceux qui donneront un vote approbatif, mais je suis trop persuadé du bon sens de mes amis politiques pour redouter qu'ils ne me soutiennent pas en masse, pour repousser une loi aussi funeste et aussi spoliatrice.
Les banquiers sont toujours satisfaits de voir des lois qui pourront amener de grandes transactions en matières d'or et d'argent ; mais je «dois dire, à la louange de la moralité du pays, que tous mes confrères, faisant des affaires de banque, que j'ai consultés, partagent mon opinion : que nous devons repousser une loi aussi funeste pour le pays, et ils ne voudraient pas avoir le moyen de faire des bénéfices, au détriment de la généralité et de la fortune publique, et qui dans un temps donné, vous forcera de changer également votre système argent et d'en réduire également la valeur, pour pouvoir faire les payements. En un mot, nous n'aurons plus, comme en Angleterre, que de l'argent pour les appoints.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je ne m'arrêterai qu'un instant aux considérations semi-politiques que l'honorable membre a mêlées au débat actuel. Je ne croyais pas que l'or eût une couleur politique catholique ou libérale ; je ne lui connaissais que sa couleur naturelle.
Je rends hommage à la sincérité des opinions de l'honorable membre, je crois qu'il a une conviction profonde que cette loi est mauvaise. Mais il voudra bien admettre que nous pouvons avoir une conviction opposée et que nous pouvons chercher loyalement à la faire partager, sans qu’aucune question de moralité, aucune question de honte pour le pays, puisse être soulevée. Dans cette enceinte, nous avons tous le droit d'énoncer notre opinion ; mais nous devons l'énoncer de telle manière qu'il n'y ait pas un blâme, qu'il n'y ait pas une sorte de flétrissure pour l'opinion contraire. Si je crois devoir relever ces paroles de l'honorable membre, c'est seulement au nom de la liberté de la tribune et de la dignité des opinions, que je le fais.
Messieurs, la question monétaire est d'une grande importance. Elle se présente sous trois faces différentes : la théorie, la pratique, les circonstances locales, spéciales à chaque pays.
En théorie il est parfaitement vrai de dire que l'on ne peut pas établir un rapport constant et invariable entre deux étalons de valeurs différentes ; en d'autres termes, que le jour même où vous avez établi un rapport légal entre la valeur de l'or et la valeur de l'argent, ce rapport peut se trouver dérangé par le jeu naturel du commerce, par les circonstances de la production des métaux. Ce fait est reconnu par tout le monde; il est constaté par l'expérience de tous les peuples, de tous les temps.
Mais, messieurs, si tel est le point de vue théorique, voyons cependant ce que l'on a fait à peu près partout en pratique.
Messieurs, depuis que des notions plus vraies, plus exactes en cette matière ont prévalu chez les différents peuples de l'Europe, on a admis généralement un étalon unique, une base en quelque sorte du système monétaire. L'on a aussi admis, sous une forme ou sous une autre, ce qu'on a appelé une monnaie auxiliaire.
Ainsi, prenons pour exemple l'Angleterre, que l'honorable M. de Man vous a citée tout à l'heure. Je n'indiquerai qu'un seul fait. L'or est la base du système anglais. L'argent en Angleterre est une monnaie auxiliaire. Je dis qu'il y a des variantes dans le mode de constitution de cette monnaie auxiliaire ; mais l'argent en Angleterre est en réalité une monnaie auxiliaire. Eh bien, messieurs, la base est établie autant que possible d'après la vérité des choses, d'après la valeur réelle, générale. La monnaie auxiliaire au contraire est évaluée plus haut que la valeur réelle. C'est ce qui existe en Angleterre dans une: proportion plus haute que celle que nous proposons pour la monnaie auxiliaire belge.
Il est donc un fait dont je prends acte en quelque: sorte. Dans presque tous les pays il existe deux monnaies, l'une principale, l'autre auxiliaire. Vous n'avez, messieurs, qu'à consulter une table quelconque de réduction de la valeur des monnaies étrangères, et vous verrez que tout en reconnaissant que la relation entre les deux valeurs ne pouvait pas constamment être maintenue, on avait, sous une forme ou sous une autre, admis en réalité la coexistence des deux espèces de monnaies, l'une comme monnaie principale, l'autre comme monnaie auxiliaire.
En France, messieurs, la législation n'a pas été changée depuis l'an XI, depuis 1805. Là on avait établi la corrélation dans la proportion de 1 à 15 1/2 et cette proportion a été dérangée par le cours des événements, de telle manière que l'or n'est plus une monnaie auxiliaire, mais qu'il est en réalité devenu une marchandise, soumise aux fluctuations ordinaires du commerce.
Ce serait une grande question, messieurs, que celle de savoir (et je me borne à indiquer ce troisième point) quel est le système qui convient le mieux à la Belgique.
(page 906) Cette question s'est présentée en 1832, et alors le système que j'appellerai continental, fondé sur l'étalon d'argent, a prévalu sur le système anglais, dont l'or est la base.
La proposition qui vous est faite aujourd'hui n'a nullement pour objet de changer ce système. S'il s'agissait de le changer, une discussion très approfondie, précédée d'une très longue instruction, devrait avoir lieu; l'on devrait examiner si, dans la situation actuelle de la Belgique, il est possible, il est utile d'y introduire le système anglais, d'y substituer l'or à l'argent. Mais, je le répète encore, il ne s'agit nullement de cela, il s'agit de maintenir le système d'argent et de créer en Belgique, dans les conditions que je définirai tout à l'heure, une monnaie auxiliaire, comme il en existe dans d'autres pays.
L'honorable membre s'étonne que la commission de 1846 ait limité la fabrication de l'or ; c'est, dit-il, la condamnation du système. Non, messieurs, c'est la consécration, la conséquence du système. Il est évident, en effet, que si vous établissez, comme monnaie auxiliaire, une monnaie dont la valeur intrinsèque ne correspond pas à la valeur légale, et si vous ne limitez pas les quantités, notre monnaie auxiliaire, par la force des choses, devient monnaie principale. Je m'explique en d'autres termes : supposez que l'or soit tarifé par la loi au-dessus de sa valeur réelle ; si vous ne limitez pas la fabrication, si vous lui permettez d'être indéfinie, au lieu d'avoir le système d'argent comme base, vous aurez bientôt tout votre argent expulsé par l'or, et au lieu d'avoir dans l'or une monnaie auxiliaire, vous en aurez réellement fait la monnaie principale. Ainsi, la limitation posée à la quantité est, non pas la condamnation du système, mais sa conséquence logique, inévitable.
L'honorable M. Osy m'a paru verser dans une singulière erreur ; l'honorable membre compare toujours la valeur réelle, la valeur intrinsèque de la pièce qu'il s'agit d'émettre aujourd'hui, à la valeur fixée par la loi de germinal an XI ; mais, messieurs, la loi de germinal an XIi a-t-elle eu la prétention d'immobiliser, de fixer pour tous les siècles la valeur de l'or ? Il faut comparer le projet de loi non pas à la valeur qu'avait l'or en 1805, non plus qu'en 1830, mais à la valeur que l'or a aujourd'hui, relativement à l'argent. Il n'y a pas d'autre base si l'on veut ètre logique, car il faut reconnaître on bien que le rapport existe invariable, et vous reconnaissez vous-même qu'il n'existe pas, ou bien il faut partir des faits actuels.
On nous dit, messieurs, qu'à l'étranger on fabriquera de la monnaie belge, que l'on cherchera à faire ce bénéfice, que notamment à Birmingham il s'organisera une fabrication très étendue, que le pays sera inondé d'or anglais.
Plusieurs membres. - Tant mieux.
M. le ministre des finances (M. Malou). - On dit, messieurs, que le pays sera inondé d'or anglais sur lequel l'Angleterre aura préalablement prélevé un gros bénéfice ; mais je crois, puisque vous êtes dans un pays civilisé et qu'on vous compare à ceux qui ne le sont pas, je crois que dans tous les pays civilisés un pareil fait peut se produire, comme le crime de fausse monnaie s'y produit ; mais je crois aussi en Angleterre la législation pénale a prévu ce fait-là. (Interruption.) Il est défendu, je pense, en Angleterre de fabriquer de la monnaie étrangère. (Interruption.) Le droit des gens, la loi de toutes les nations l'interdit. (Interruption.) Il est défendu, par le droit des gens, de contrefaire la monnaie d'un autre pays ; la monnaie contrefaite fût-elle vraie quant au titre et quant au poids, Il n'y a que le souverain... (Interruption), j'en appelle à vous tous, il n'y a que la nation qui ait le droit de mettre sur la monnaie l'effigie de son souverain. Je pourrais citer bien des autorités à l'appui de ce principe du droit des gens.
Toute la partie du discours de l'honorable préopinant qui repose sur la supposition que la monnaie belge pourrait être fabriquée à l'effigie du souverain belge dans un autre pays, n'appartient pas à la discussion réelle et sérieuse, c'est une pure supposition et un roman.
M. Osy. - Examinez les faits, examinez ce qui s'est passé en 1816, en Angleterre.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'examinerai dans la législation et, si je le puis, dans les annales de la statistique criminelle anglaise quelles ont été les conséquences de ces faits.
Je maintiens néanmoins qu'en principe du droit des gens on ne peut pas, chez une nation quelconque, fabriquer de la monnaie étrangère, à l'effigie d'un souverain étranger, que le droit de battre monnaie est un droit de souveraineté qu'aucune nation ne peut exercer au nom d'une autre.
S'il en est ainsi, messieurs, et si la fabrication est limitée, tous les raisonnements tombent sur ce qui concerne le bénéfice annuel que nous perdrions, en ce qui concerne le change, tout cela vient à tomber.
Quant au change, l'honorable membre admettra sans doute qu'une fabrication de 25 millions d'or ou même d'une somme plus considérable ne peut avoir de l'influence sur le change, notamment sur le payement de nos emprunts. Je le répète, dans la limitation de la quantité se trouve la réfutation des conséquences que l'honorable membre a assignées à la mesure proposée.
Maintenant, messieurs, voyons la situation actuelle. Nous avons en Belgique une loi d'après laquelle, dans certaines circonstances, la fabrication de l'argent est possible ; loi qui, de fait, empêche la fabrication de l'or, et nous avons une disposition temporaire, en vigueur depuis 1830, qui tarife légalement, l'or fabriqué en Hollande. Telle est bien, si je ne me trompe, la situation actuelle. Chose remarquable, nous avons aujourd'hui une monnaie d'or en Belgique qui n'est pas la nôtre, qui a été créée en 1816, et qui a été émise dans des conditions analogues à celles du projet de loi.
Nous avons une monnaie d'or fournie par une nation étrangère, monnaie qui est également reçue en Belgique et qui est fabriquée dans des conditions analogues à celles que nous proposons d'établir pour la monnaie belge.
Eh bien, messieurs, on ne trouve pas étrange que nous acceptions cette monnaie, et je dois ajouter, on ne trouve pas étrange que nous l'acceptions à un taux plus élevé qu'on ne l'accepte en Hollande.
J'insiste sur ce point : la pièce de 10 fl. vaut en Hollande 21 fr., elle vaut en Belgique 21 fr. 16 c. ; on ne trouve pas du tout mauvais que nous continuions à recevoir les pièces de 10 fl., mais on trouve mauvais que nous fabriquions, je le répète, dans des conditions analogues, de la monnaie à l'effigie du Roi des Belges.
Assurément, dans cette position, si l'on veut être logique, il faut dire que désormais la valeur de la pièce de dix florins ne sera plus que de 20 fr. 85 c. Je ne sais si l'on fera cette proposition. Si on la fait, l'on aura naturellement à examiner une question de moralité, d'intérêt public et privé qui intéresse vraiment l'honneur national... Mais non, je ne veux plus me servir de ces expressions de l'honorable préopinant ; je dirai seulement qu'alors on pourra examiner jusqu'à quel point une pareille loi est préférable au projet soumis à vos délibérations.
Messieurs, il y a encore ici le point de vue théorique et le point de vue pratique. Si, lorsque je reçois une pièce d'or, je devais la porter au creuset, j'y pourrais perdre, en supposant une monnaie émise dans les conditions du projet de loi ; mais il faut voir quels sont en réalité, pour l'individu et pour la nation, l'utilité et l'usage de la monnaie d'or.
La monnaie d'or, surtout avec la fonction que lui assigne le principe du projet de loi est une valeur échangeable; et si vous étiez dans l'alternative, ou de réduire la valeur légale de la pièce de dix florins qui est aujourd'hui entre les mains de tout le monde, ou de créer à des conditions analogues une monnaie nouvelle qui serait émise et échangeable à un taux déterminé, c'est évidemment pour ce dernier parti que vous opteriez. Eh bien, c'est précisément ce que nous proposons.
J'invoque un autre argument pratique. Si la loi décrétait qu'on accepterait pour 25 fr. une certaine quantité d'or qui ne vaudrait, par exemple, que 25 fr., il est certain que, dans ce cas, la loi aurait vraiment décrété que cette pièce vaut 25 fr.; cette pièce disparaîtra, ou elle ne sera tarifée que d'après sa valeur réelle.
Mais, lorsqu'au lieu de forcer ainsi la valeur dans une proportion que j'exagère à dessein pour mieux faire comprendre ma pensée, vous établissez outre la valeur légale et la valeur réelle moyenne une très faible différence, l'expérience de tous les temps, l'expérience que nous faisons tous les jours atteste que cette pièce peut continuer à faire pendant de longues années les fonctions de monnaie auxiliaire.
Ainsi, lorsque la pièce de 10 florins a été créée en 1816, elfe n'avait pas non plus proportionnellement la valeur commerciale de l'or, on pouvait y appliquer aussi les raisonnements qu'on applique aujourd'hui au projet de loi ; et cependant vous pouvez vous convaincre que depuis vingt ans cette pièce est un utile agent de la circulation monétaire. (Interruption.)
Des critiques ont eu lieu, me dit-on ; il serait bien singulier, en effet, que la loi de 1816 n'eût provoqué aucune critique ; toute loi est l'objet d'une discussion et d'une critique ; mais il n'en est pas moins vrai que la loi de 1816 est devenue une loi de l'Etat et que nous l'avons laissée subsister en 1832. Je n'ai pas relu les discussions de 1816 ; mais s'il y a eu des critiques à cette époque, le temps en a fait justice jusqu'à un certain point.
Il s'agit donc en réalité de savoir si en fixant le poids des pièces dont la fabrication est proposée, nous avons dépassé ces limites qui permettront aux nouvelles monnaies de rester pendant assez longtemps dans la circulation.
Je reviendrai un moment encore aux pièces de 10 florins ; elles existent depuis 1816 ; la valeur relative de l'or, au milieu de quelques fluctuations de détail, continuant à augmenter successivement, il est très possible, il est probable même que d'ici à une vingtaine d'années, la refonte des pièces de 10 florins sera inévitable.
Quant aux pièces qu'il s'agit de fabriquer, avons-nous dépassée une juste proportion, c'est-à-dire avons-nous proposé d'admettre entre la valeur intrinsèque et la valeur légale une différence trop forte ? Sur ce point le débat peut utilement porter ; sur ce point j'attends moi-même la discussion. Dans ce moment, je soutiens en principe qu'il est de l'intérêt de la Belgique d'avoir, comme toutes les nations, une monnaie d'or auxiliaire en quantité limitée ; mais je n'ai pas une opinion aussi absolue (et j'aurais grand tort de me former une opinion trop absolue dans une matière aussi délicate) ; je n'ai pas, dis-je, une opinion aussi absolue, en ce qui concerne le taux de l'émission de cette monnaie.
Il me paraît que si nous voulons lui assigner quelque durée, nous devons établir entre la valeur réelle et la valeur légale, si pas une différence considérable, au moins une différence qui permette à ces pièces de durer de 20 à 25 ans. Si l'on trouve, en calculant la moyenne de la prime de l'or, si l'on démontre, dans le cours de cette discussion, qu'on peut diminuer cette différence, j'entendrai toutes les observations qui seront faites et j'en ferai mon profit dans l'intérêt du pays.
Mais je tenais à établir, dès le début de cette discussion, qu'en réalité c'est seulement sur ce point, sur le taux de l'émission du kilog. d'or fin, légal et réel, que le débat doit porter. Il n'y a pas au fond de ce débat (page 907) une question de moralité; nous ferions ce que toutes les nations ont fait à diverses époques.
Il me revient en mémoire un exemple entre plusieurs. Les Etats-Unis, d'après leur position, d'après la nature de leurs transactions avec le continent européen, se sont aperçus que le système monétaire qu'ils avaient longtemps maintenu, devenait fatal à leurs intérêts, que leur or passait en Angleterre. Qu'ont-ils fait? Ils ont fait, mais dans une proportion bien plus forte que nous ne le proposons, exactement la même chose. Ce fait date de près de dix années, si mes souvenirs me servent bien.
L'or est établi aux Etats-Unis, au prix de 3,584 fr. 04 c., tandis que d'après la proposition qui vous faite, l'or serait émis en Belgique au prix de 3,527 fr. 77 c., c'est-à-dire que le système monétaire des Etats-Unis assigne au kilog. d'or fin dans l'intérêt de ce pays, une valeur légale qui dépasse de 56 fr. 87 c. celle que nous proposons de lui attribuer.
Maintenant, messieurs, une dernière observation. Il faut, dans les questions de ce genre, s'abstenir de se placer exclusivement, soit au point de vue purement théorique, soit au point de vue d'une nation quelconque. Il faut voir quelles sont les exigences de notre position géographique, s'il est nécessaire à la Belgique d'avoir sa monnaie d'or dans une certaine proportion comme une espèce de réserve. Personne ne doit se faire illusion sur la possibilité de conserver toujours dans le pays toute la monnaie d'or qu'on frappera. Des déplacements se font souvent par suite d'événements imprévus.
Je ne puis citer un meilleur exemple que ce qui se passe à présent. Supposons que, par suite de crises, de circonstances extraordinaires, l'équilibre de vos transactions soit rompu et qu'une exportation de numéraire doive avoir lieu, ne vaut-il pas autant que nous puissions exporter notre réserve d'or que de nous voir forcés de réaliser à tout prix d'autres valeurs que nous aurions dans le pays? C'est là une des considérations que je livre à vos méditations.
Un honorable membre me demande si on voudra de notre or : dans ce cas on ne l'exportera pas pour sa valeur légale, mais pour sa valeur réelle au moment de la crise, et nous sommes toujours certains qu'il sera accepté de cette manière.
De ce que des événements peuvent naître, qui provoquent l'exportation de notre monnaie d'or, s'ensuit-il qu'il ne faut pas frapper d'or pour la circulation en attendant que ces événements arrivent ? Et si ces événements arrivent, n'importe-t-il pas d'avoir cette réserve pour s'en servir plutôt que de devoir réaliser nos fonds publics ou d'autres valeurs à des conditions onéreuses et sans compensation ?
- La séance est levée à 4 1/2 heures.