(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 842) M. Van Cutsem procède à l'appel nominal à midi trois quarts.
M. A. Dubus donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Van Cutsem communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Jonat Piket, soldat à la 2ème compagnie sédentaire, né à Leyde (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Plusieurs propriétaires, négociants et industriels dans l'arrondissement de Charleroy, demandent la prompte discussion du projet de loi sur le notariat. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet.
Les sections de février se sont constituées comme suit :
Première section
Président : M. Mercier
Vice-président : M. de Garcia
Secrétaire : M. Huveners
Rapporteur de pétitions : M. Zoude
Deuxième section
Président : M. de Renesse
Vice-président : M. Lange
Secrétaire : M. Loos
Rapporteur de pétitions : M. Henot
Troisième section
Président : M. Dubus (aîné)
Vice-président : M. de Corswarem
Secrétaire : M. Lesoinne
Rapporteur de pétitions : M. Biebuyck
Quatrième section
Président : M. Osy
Vice-président : M. Orban
Secrétaire : M. Dedecker
Rapporteur de pétitions : M. Van Cutsem
Cinquième section
Président : M. Brabant
Vice-président : M. de Man d’Attenrode
Secrétaire : M. Veydt
Rapporteur de pétitions : M. de Saegher
Sixième section
Président : M. Thienpont
Vice-président : M. Mast de Vries
Secrétaire : M. de Roo
Rapporteur de pétitions : M. de Lannoy
M. de Roo dépose le rapport sur le projet de loi tendant à apporter des modifications à la loi sur la milice.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport. Elle fixera ultérieurement le jour de la discussion.
M. le président. - La discussion est ouverte sur le deuxième paragraphe de l'article premier, qui devient le paragraphe 3, et qui est ainsi conçu :
« La condition de mise en culture desdits biens dans un délai à fixer, sera toujours imposée aux acquéreurs, sous peine de déchéance. »
M. Lejeune avait proposé l'amendement suivant :
« Le cahier des charges stipulera la portion de lots que l'acquéreur s'oblige à mettre en culture, chaque année.
« Les lots ou les parties de lots aliénés, qui ne seront pas mis en culture dans le délai prescrit, seront passibles d'une surtaxe annuelle et progressive de cinquante centimes par hectare.
« Cette imposition cessera lorsque la condition de mise en culture aura été accomplie ou que la déchéance aura été prononcée. »
La section centrale remplace l'amendement de M. Lejeune, en ajoutant au paragraphe proposé par le gouvernement les mots : et des dommages-intérêts à stipuler au cahier des charges.
M. de Garcia. - Messieurs, l'amendement qui est présenté par l'honorable M. Lejeune, adopté par la section centrale avec une légère modification, me paraît offrir des inconvénients et devoir engendrer beaucoup de procès. Je conçois que la déchéance soit prononcée contre les individus qui se rendraient adjudicataires de propriétés communales et qui ne rempliraient pas toutes les conditions prescrites ; mais qu'on les condamne à des dommages-intérêts, à des amendes, à des redevances progressives, cela donnera lieu à des procès considérables et ruineux. Au surplus, je demanderai à ceux qui sont partisans de cet amendement, si les poursuites et les frais de procédure incomberont aux communes ou au gouvernement, et qui bénéficiera des amendes et des dommages auxquels pourront être condamnés les acquéreurs des biens des communes.
Après cela, messieurs, j'ai une autre observation à faire. Un amendement a été présenté par l'honorable M. d'Huart, ayant pour objet de faire opérer le partage des biens de même nature. Dans la pensée de l'honorable membre, si son amendement est adopté, il faudra aussi, sans doute, imposer des conditions aux copartageants. Dès lors je crois encore devoir demander s'il ne conviendrait pas de donner à cet amendement une portée plus générale que celle dans les termes où il est conçu, ou au moins s'il ne conviendrait pas d'en postposer le vote.
M. Orban. - Je demande la parole, messieurs, pour savoir de M. le ministre de l'intérieur, d'une manière précise, ce qu'il entend par la condition de mise en culture. Considère-t-il comme mise en culture le boisement des terrains achetés ? (Oui, oui.) S'il en est ainsi, il sera entendu également que les communes pourront se soustraire à la vente, en consentant à boiser elles-mêmes leurs terrains. C'est un point fort important à constater.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - C'est ce que j'ai déjà annoncé dans la discussion générale. J'ai dit qu'il était à désirer que les communes fissent de nouveaux boisements.
J'ajouterai cette considération, que depuis un certain nombre d'années, les communes demandent fréquemment de pouvoir déroder des bois anciens qui ont plus ou moins dépéri, qui sont à la convenance des cultivateurs, et qui peuvent être convertis en terres ; qu'il convient donc que ces bois anciens soient remplacés par de nouveaux bois.
M. Lejeune. - Messieurs, j'ai dit hier que je ne devais pas tenir beaucoup à la rédaction de mon amendement, parce que celui de la section centrale tendait au même but. Cependant, je dirai pourquoi je préférerais l'amendement que j'ai présenté.
Le gouvernement, avec la clause qui a été introduite par la section centrale, peut faire passer dans le cahier des charges les conditions que (page 843) je voudrais faire passer dans la loi. Il y a cette différence : c'est que les conditions prescrites par la loi même sortiraient leurs effets immédiatement et sans aucune formalité ultérieure, tandis que dans le cahier des charges les conditions peuvent être plus ou moins rigoureuses ; et puis on donne des délais pour l'exécution : les clauses du cahier des charges ne sont pas toujours très rigoureusement observées ; on ferme les yeux. Pour ce motif, je préférerais que les obligations fussent inscrites dans la loi.
Quant à l'observation de l'honorable M. de Garcia, à savoir que mon amendement ne pouvait être voté qu'après celui de l'honorable M. d'Hoffschmidt, relatif au partage, parce que, en cas d'adoption de cet amendement, le mien devrait avoir une plus grande extension, je ferai remarquer que si l'amendement de l'honorable M. d'Hoffschmidt est adopté après le mien, le mien pourra, au second vote, être modifié et mis en rapport avec celui de l'honorable M. d'Hoffschmidt ; ce sera une modification fondée sur un autre amendement voté, chose que le règlement ne défend pas.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, on a objecté contre l'amendement proposé par la section centrale, qu'il donnera lieu à des procès ; mais je prie la chambre de remarquer que dans le cas prévu par cet amendement, il y aura nécessairement procès, ou du moins demande judiciaire, puisqu'il y aura lieu aussi à la déchéance ; en effet, il s'agit ici, indépendamment de la déchéance, des dommages-intérêts stipulés au profit de la commune, à cause de l'inexécution des engagements des adjudicataires.
On a demandé si le procès serait nécessairement intenté par la commune : c'est elle sans doute que la demande en déchéance intéresse en premier lieu ; mais si elle négligeait de la former, comme cette demande intéresse aussi l'ordre public, puisque la vente aura été poursuivie par mesure d'utilité publique, afin d'arriver an défrichement de la terre vendue, le gouvernement peut aussi, d'après un article subséquent du projet, intenter le procès d'office.
M. de Garcia. - Messieurs, l'observation de l'honorable M. Dubus est très juste en ce qu'il vient de dire pour la déchéance. Mais il est bien plus facile de prononcer une déchéance que de se prononcer sur l'appréciation d'une question de dommages-intérêts. La plupart des adjudicataires qui se porteront pour acquéreurs des biens communaux, qui manqueront aux conditions ou qui verront qu'ils ont fait de mauvais marchés, laisseront facilement prononcer les déchéances. Il en sera tout autrement lorsqu'il s'agira d'amendes et de dommages-intérêts. Alors les procès surgiront de toutes parts. L'on pourra sans doute m'objecter qu'en ne poursuivant pas ces adjudicataires en dommages-intérêts, on n'atteint pas complétement le but. Mais cet inconvénient est moindre à mes yeux que celui qui résulte des procès qui seraient suscités aux communes. Généralement les procès occasionnent plus de pertes que de bénéfices, à ceux mêmes qui les gagnent. D'après ces considérations, j'aurais voulu que la rédaction du gouvernement fût maintenue ; et je voterai contre l'amendement de l'honorable M. Lejeune, appuyé par la section centrale.
M. Dubus (aîné). - Je répondrai à l'honorable préopinant que la question de dommages-intérêts est aussi facile à juger que la question de déchéance, puisque l'une et l'autre dépendront du même fait. Dès qu'il y a lieu à déchéance, il y a lieu à dommages-intérêts, qui ne sont qu'une clause pénale. Dans le cahier des charges on stipulera une somme qui servira de dommages-intérêts dans le cas où le défrichement n'aurait pas été opéré. Si la déchéance est prononcée, c'est que le défrichement n'aura pas été opéré ; par cela seul, il y aura lieu à des dommages-intérêts.
Il nous a paru, du reste, que des dommages-intérêts devaient être attribués à litre d'indemnité à la commune plutôt qu'au gouvernement, au moyen d'une imposition progressive.
- La chambre, consultée, ferme la discussion.
La proposition de la section centrale d'ajouter au paragraphe 2, devenu 3, « et de dommages-intérêts à stipuler au cahier des charges », est mise aux voix et adoptée.
Par suite de cette décision, l'amendement de M. Lejeune vient à tomber.
Le paragraphe 2-3, ainsi amendé, est ensuite adopté.
« § 4. Le cahier des charges imposera à l'acquéreur le payement ou la consignation du prix d'acquisition avant la prise de possession, à moins que les communes ne préfèrent que des termes de payement soient accordés. »
- Adopté.
« § 5. La vente aura lieu avec publicité et concurrence ; le gouvernement en déterminera les conditions, sur l'avis des conseils communaux et de la députation permanente du conseil provincial. »
- Adopté.
L'ensemble de l'article, tel qu'il a été amendé, est également adopté.
« Art. 2. L'adjudication ne sera définitive qu'après l'approbation du conseil communal ou, à son défaut, après l'homologation du tribunal de première instance de l'arrondissement dans lequel les biens sont situés, de la manière réglée ci-après :
« Le délai pour l'enregistrement sera de quinze jours à compter de celui où le notaire aura reçu l'information officielle de l'approbation ou de l'homologation ; néanmoins le notaire délivrera l'expédition dont il est fait mention à l'article 4. »
- Adopté.
« Art. 3. Le notaire qui aura fait la vente, adressera, dans les 24 heures, au bourgmestre de la commune, les noms des adjudicataires et les prix.
« Le collège des bourgmestre et échevins est tenu de convoquer le conseil communal dans les huit jours qui suivront celui de la vente, à l'effet de l'approuver ou de s'y opposer. L'opposition ne pourra être fondée que sur l'inobservation des formalités ou sur l'insuffisance du prix.
« La délibération du conseil sera immédiatement transmise à l'autorité supérieure. »
La section centrale propose de substituer, dans le premier paragraphe, au bourgmestre, le collège des bourgmestre et échevins.
M. le ministre se rallie à cet amendement.
L'article 3, ainsi modifié, est adopté.
« Art. 4. En cas de refus d'approbation, ou si, dans le délai d'un mois à partir du jour de la vente, il n'est point intervenu de délibération du conseil communal, aux termes de l'article précédent, l'homologation de la vente sera poursuivie d'office par le ministère public. A cet effet, une expédition de l'acte de vente lui sera transmise par le gouverneur de la province. Les dépens seront réglés conformément au titre II du décret du 18 janvier 1811.
« Le président, sur la réquisition du procureur du roi, commettra un juge pour faire le rapport au jour indiqué par son ordonnance.
« Cette ordonnance sera notifiée aux parties intéressées, à la requête du ministère public. »
M. Henot. - Messieurs, l'article 4 contient une disposition que je ne puis admettre, parce qu'elle s'écarte, sans nécessité, des principes généraux, et que cette dérogation a des résultats qu'il faut éviter.
Cette disposition est celle qui impose au ministère public l'obligation de poursuivre d'office l'homologation de la vente, lorsque le conseil communal aurait refusé de l'approuver, ou bien lorsqu'aucune délibération ne serait intervenue dans le délai d'un mois, à partir du jour de l'aliénation.
Les lois organiques de l'ordre judiciaire, en date du 24 août 1790 et 20 avril 1810, consacrent le principe que le ministère public n'agit au civil que par voie de réquisition, c'est-à-dire en requérant ce qu'il juge convenable dans l'intérêt de la loi, ou dans celui de certaines parties dont les intérêts sont spécialement confiés à sa surveillance.
En lui conférant le droit de poursuivre d'office l'homologation, comme on le propose, on le fera agir par voie d'action, et on dérogera au principe que je viens d'invoquer.
Je ne prétends pas soutenir que ce principe soit de nature à ne souffrir aucune exception ; je reconnais, au contraire, que quelques dispositions de nos Codes y ont dérogé ; mais je soutiens qu'il ne faut s'en écarter que pour de puissants motifs, et que le législateur n'y a jamais été déterminé que par des raisons de cette nature.
Il suffit de jeter les yeux sur ces exceptions pour en être convaincu ; l'état civil des personnes, l'intérêt des mœurs, l'ordre public, etc., viennent tour à tour les justifier.
Or, je n'hésite pas à le dire, aucun intérêt quelconque, aucun motif plausible ne vient réclamer la dérogation qu'on veut créer par l'article qui est soumis à nos délibérations.
On rend hommage aux principes en chargeant, à l'article 6, le gouverneur de la province, représentant légal de l'Etat, d'intenter l'action en déchéance ; pourquoi n'agit-on pas de même dans l'occurrence ?
S'il ne faut s'écarter des principes que pour des raisons majeures et qu'avec la plus grande réserve, il le faut bien davantage lorsque, comme dans l'occurrence, la dérogation doit avoir les plus fâcheux résultats.
On ne doit pas perdre de vue, en effet, que la disposition qu'on propose enlèvera au ministère public l'indépendance de son opinion personnelle ; il ne lui sera plus permis d'en avoir une, quand il s'agira d'homologuer une vente de bruyères, et sans aucun doute, il ne lui sera pas permis de la manifester.
On comprend combien, dans une position pareille, la disposition de l'article 5 du projet, qui veut que le jugement d'homologation soit rendu sur les conclusions du ministère public, sera illusoire ; car, étant demandeur en homologation et demandeur d'office, ses conclusions ne pourront jamais être que favorables à la demande.
Ce n'est pas tout ; on enlèvera aux parties la garantie qu'elles trouvent dans l'influence salutaire que le ministère public exerce lorsqu'il agit par voie de réquisition ; dans cette position, il est complétement neutre, et il n'a aucun intérêt dans la cause ; il porte librement devant les tribunaux le résultat de ses convictions, et dans ces circonstances il exerce sur eux une influence qu'on ne peut méconnaître ; il en est tout autrement quand il est demandeur en cause, et les parties sont privées alors de l'appui qu'elles trouvent dans cette institution.
Ce résultat sera d'autant plus fâcheux dans l'espèce que toutes les fois qu'il s'agira d'homologation, les intérêts des communes seront enjeu, et que le ministère public est celui qui est chargé de veiller à leurs intérêts dans toutes les causes qui les concernent, de sorte qu'en adoptant la disposition dont il s'agit, on enlèverait aux communes leur protecteur légal dans le moment même où il s'agit de les exproprier forcément, et où conséquemment elles en auraient le plus pressant besoin Les rôles seraient intervertis car le protecteur deviendrait un adversaire.
L'article devrait avoir cette autre conséquence de faire condamner dans tous les cas les adversaires du ministère public aux frais, puisque ce dernier ne peut jamais y être condamné ; de sorte qu'en obtenant gain (page 844) de cause sur tous les points en litige, les communes et les autres parties litigantes n'en auraient pas moins dû supporter les frais.
Il est vrai qu'on a voulu éviter cette conséquence en prescrivant à l'article 6 qu'en cas de refus d'homologation, les dépens seraient à la charge du gouvernement ; mais, qu'on le remarque bien, on n'est parvenu à faire cesser un résultat inadmissible, que pour donner naissance à un autre qui ne l'est pas moins.
Si les dispositions que nous venons de rappeler étaient converties en lois, il s'ensuivrait en effet que les tribunaux devraient condamner aux dépens une partie qui n'est pas en cause.
Le ministère public ne représente pas l'Etat aux termes des lois et des décrets des 19 nivôse et 10 thermidor an IV, 17 frimaire an VI, 7 messidor an IX et autres sur la matière ; il est chargé de défendre l'Etat, au nom des préfets et des autres administrations spéciales dans toutes les causes qui les concernent, en ce sens seulement qu'ils prennent pour l'Etat des conclusions à l'audience.
D'après l'article 69 du Code de procédure civile, le procureur du roi ne représente que le Roi quand il s'agit de ses domaines, parce que le Roi seul plaide par procureur ; et l'Etat est représenté par le préfet du département, aujourd'hui le gouverneur de la province.
Il est donc évident que le ministère public, agissant en cause comme on veut le faire agir, ne représentera nullement l'Etat, et que dès lors les tribunaux devraient, comme nous l'avons dit, condamner aux dépens une partie qui n'est pas en cause.
C'est pour rendre hommage aux principes non moins que dans la vue d'éviter les résultats que je viens d'indiquer, que j'ai l'honneur de proposer à la chambre de substituer les mots : « l'action en homologation sera intentée par le gouverneur de la province, » ceux-ci : « l'homologation de la vente sera poursuivie d'office par le ministère public. »
Ensuite d'effacer les mots : « à cet effet ».
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je crois que plusieurs des actes législatifs, cités par l'honorable M. Henot sur la manière dont l'Etat est représenté dans les procès, ont été modifiés, depuis l'époque où ces lois ont été portées.
Ainsi, pour le domaine, ce n'est plus le gouvernement qui est en cause.
Ainsi, depuis la loi d'organisation judiciaire, les officiers du ministère public ont unanimement déclaré qu'ils n'avaient pas à prendre des conclusions pour l'une des parties, qu'ils représentaient la société, et qu'ils avaient à prendre des conclusions comme organes de la loi, non comme organes de l'une des parties.
La chambre voudra bien remarquer que, dans aucune de ces dispositions, il ne s'agit, à proprement parler, d'un procès. Il s'agit seulement d'un acte de tutelle administrative et judiciaire tout à la fois. Si vous obligez le gouverneur à prendre part au procès, à constituer avoué, vous créez une véritable instance, vous substituez une procédure complète à une simple homologation par le tribunal.
Il serait fait droit, ce me semble, à l'observation de l'honorable M. Henot, en supprimant le mot « d'office », et en disant que « le gouverneur transmettra une expédition de l'acte de vente au ministère public, qui poursuivra l'homologation. »
Ainsi, tous les principes seront saufs. On évitera de créer un procès et d'occasionner des frais.
Ce sera à la requête du gouverneur que le ministère public poursuivra l'homologation, et l'on supprimera cette anomalie apparente de faire agir d'office le ministère public, en matière civile.
M. de Garcia. - Je ne partage nullement les craintes manifestées par quelques honorables orateurs, à l'occasion des attributions conférées par cette disposition au ministère, public.
De quoi s'agit-il, en effet, dans l'article 5 ? M. le ministre des finances l'a déjà dit : il s'agit de revêtir de la forme exécutoire un acte qui a reçu le caractère d'utilité publique ; ce caractère est exclusivement une prérogative du pouvoir exécutif, et à ce point de vue le pouvoir judiciaire n'a qu'une mission, c'est de s'assurer que les formalités prescrites par la loi aient été observées, pour aboutir à la dépossession.
Dans ces questions, les tribunaux n'ont à voir que si toutes les formalités prescrites par la loi pour assurer les droits des citoyens ont été observées ; ils ont encore, à la vérité, à se prononcer sur la quotité de l'indemnité due aux parties ; mais en cette matière et d'après la nature même des choses, cet objet ne pourra jamais donner lieu à des contestations sérieuses.
Il me reste une observation à présenter au sujet du dernier paragraphe de cet article ainsi conçu : « Cette ordonnance sera notifiée aux parties intéressées, à la requête du ministère public. » C'est sur cette disposition, plutôt que sur le premier paragraphe de l'article que devraient porter les observations de l'honorable M. Henot. En effet, je ne connais aucun exemple de contestations civiles où le ministère public soit chargé de signifier des jugements. Ici, selon moi, il y a encore confusion des principes. L'on confère au pouvoir judiciaire une attribution qui est de sa nature purement administrative.
Sous tous les rapports, l'ordonnance dont il s'agit devrait être signifiée aux administrations communales, par un agent quelconque du pouvoir exécutif.
Je terminerai en demandant au gouvernement ce qu'il entend par les mots de parties intéressées auxquelles doit se faire la signification de l'ordonnance. Depuis l'adoption de l'amendement de l'honorable M. d'Hoffschmidt, on pourrait croire que les habitants peuvent être considérés comme parties intéressées. (Dénégation de la part de M. le ministre de l’intérieur.) J'accepte la dénégation de M. le ministre ; mais pour que la loi fût claire, il faudrait dire que l'ordonnance sera notifiée au conseil communal que la chose concerne.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Le gouvernement demande ce qu'on doit entendre par « parties intéressées ». Il y a dans une vente deux parties intéressées ; 1° la commune représentée par le conseil communal, par le collège des bourgmestre et échevins ; 2° l'acquéreur ; c'est donc au collège des bourgmestre et échevins, pouvoir exécutif de la commune, que la notification doit être faite d'une part, et d'autre part à l'acquéreur, afin que celui-ci soit à même de soutenir l'acquisition qu'il a faite, s'il le juge convenable.
M. de Saegher. - L'honorable ministre des finances, pour combattre la proposition de l'honorable M. Henot, nous a dit qu'il s'agit ici, non pas d'un procès, mais d'une simple homologation. Il y a, en effet, des homologations, messieurs, qui ne peuvent être considérées comme des procès ; ce sont alors, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. de Garcia, de simples formalités pour revêtir des actes de la forme exécutoire. Mais il y a en outre des homologations contentieuses. Tel est le cas de la destitution d'un tuteur par le conseil de famille. Cette destitution doit être homologuée. Mais c'est ici une homologation contentieuse, qui doit être considérée comme un véritable procès. De quelle espèce d'homologation entend-on parler dans le projet dont il s'agit ? Je crois qu'il est question ici d'une homologation contentieuse. En effet, il s'agit d'un véritable procès, comme le prouvent les termes de l'article. 6 du projet.
Il s'agit de régler l'indemnité entre l'Etat et la commune, conformément à l'article 11 de la Constitution. C'est bien là un intérêt civil, et, aux termes de l'article 92 de la Constitution, les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux.
On doit donc reconnaître que l'article qui nous occupe a en vue une véritable homologation contentieuse.
S'il en est ainsi, l'observation de l'honorable M. Henot est très fondée ; en effet, le projet confond deux choses distinctes dans l'action du ministère public. D'après les principes, le ministère public agit, par voie d'action, lorsqu'il est partie principale, ou par réquisition, lorsqu'il n'est que partie jointe.
Eh bien, dans l'article 4 du projet on veut faire intervenir le ministère public comme partie principale d'abord ; confondant ensuite cette action avec l'intervention du ministère public comme partie jointe, on le fait intervenir en cette dernière qualité. Après avoir dit dans l'article 4 : « l’homologation de la rente sera poursuivie d'office par le ministère public » ; après avoir dit que le président, « sur la réquisition du procureur du roi, commettra un juge, etc. », on lit dans l'article 5 : « Dans tous les cas, le rapport sera fait au jour indiqué, et le jugement sera rendu sur les conclusions du ministère public. » Ainsi on fait intervenir le ministère public, d'abord par voie d'action et ensuite par voie de réquisition, et pour toute défense, les parties ne peuvent présenter qu'une requête par écrit contenant tous leurs moyens.
Il me paraît, messieurs, que cette défense ne serait pas complète aux termes de l'article 92 de la Constitution ; il me paraît, en outre, que la double intervention du ministère public n'est pas conforme aux principes, et dès lors j'appuie l'amendement de l'honorable M. Henot.
M. Dubus (aîné). - La section centrale qui a été chargée d'examiner les amendements présentés par M. le ministre de l'intérieur, n'a pas perdu de vue que le ministère public est ordinairement partie jointe, que ce n'est que par exception qu'il procède aussi par voie d'action ; mais enfin il y a de ces exceptions dans nos lois ; nous y avons des espèces tout à fait analogues à l'espèce nouvelle.
On prétend qu'il s'agit, au cas actuel, d'une homologation contentieuse, que c'est un procès, que, par conséquent, il fallait qu'il fût intenté et soutenu, non par le ministère public, mais par un représentant de l'Etat.
Messieurs, je crois que le cas où il y aura réellement procès, sera le cas tout à fait exceptionnel ; que le cas ordinaire sera celui où l'homologation sera une simple formalité. Elle aurait tellement été considérée comme superflue, que dans le premier projet du gouvernement, il n'en était aucunement question. C'était le prix de la vente, résultat de la concurrence des amateurs et des enchères, qui était considéré comme formant la juste valeur de l'immeuble ; et je crois, messieurs, que dans quatre-vingt-dix-neuf cas sur cent, c'est le prix résultant de la libre concurrence des amateurs qui sera reconnu la juste valeur de l'immeuble.
En effet, messieurs, vous avez là une épreuve à laquelle vous pouvez accorder toute confiance. Car la valeur vénale que vous cherchez, comment la trouverez-vous avec certitude, sinon en appelant tous les amateurs à concourir à la vente, et constatant quel est celui qui offre le prix le plus élevé ? Tandis qu'une expertise ne vous donne jamais qu'une valeur conjecturale fondée sur l'opinion que les experts se forment de ce que peut valoir l'immeuble, mais valeur bien moins certaine aux yeux de toute personne raisonnable que celle qui est le résultat d'une libre concurrence d'enchérisseurs.
Ainsi il arrivera presque toujours que les tribunaux verront dans le résultat des enchères la preuve que l'immeuble ne vaut réellement que la somme pour laquelle il a été adjugé. C'est, en thèse générale, la manière la plus sûre d'estimer un immeuble ; aussi, dans les procès très fréquents qui ont lieu en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique, lorsqu'on vient combattre les expertises, quels moyens oppose-t-on souvent ? (page 845) Ce sont les actes de vente aux enchères publiques des biens qui environnent celui qu'il s'agit d'estimer.
C'est au moyen de ces actes qu'on s'efforce d'infirmer les évaluations des experts, que l'on parvient maintes fois à convaincre le tribunal que les experts ont estimé trop haut ou trop bas, et que les tribunaux, dans beaucoup de cas, adoptent une estimation différente en se fondant sur les enchères publiques qui ont eu lieu dans une période de temps voisine de celui où l'expropriation s'est consommée.
Il s'agit donc ici, messieurs, en général, d'une simple formalité ; et c'est parce qu'il s'agissait d'une simple formalité que la section centrale s'est prononcée pour la proposition du gouvernement, qui adoptait la forme la plus simple et la moins coûteuse, la forme qui est établie dans le Code de procédure civile pour les homologations : le procureur du roi reçoit l'expédition de l'acte de vente, du gouverneur ; il provoque immédiatement l'homologation ; sur la requête qu'il a présentée, le président du tribunal nomme un rapporteur et fixe le jour auquel le rapport sera fait ; cette requête est signifiée aux parties intéressées qui produisent ou ne produisent pas des moyens ; au jour fixé il y a un rapport, puis un jugement. Mais, messieurs, il en est tout autrement lorsqu'il s'agit de déchéance ; là c'est toujours un procès, et voilà pourquoi l'on a adopté une autre forme, une forme plus dispendieuse, mais que l'on a crue nécessaire dans ce cas-là.
J'ai dit, messieurs, qu'il y avait des cas analogues dans les lois, et je citerai pour exemple la loi même de 1810 sur l'expropriation pour cause d'utilité publique, telle qu'elle s'exécutait avant les changements que nous y avons introduits en 1835. Nous avons dû la modifier pour donner toute sa force au principe constitutionnel qui exige que la dépossession ne puisse jamais précéder la fixation et le payement de la juste indemnité, mais enfin sous l'empire de la loi de 1810, il y avait d'abord une action en dépossession, puis après une action en indemnité ; l'action eu dépossession n'était aussi envisagée que comme une simple formalité. Il y avait pourtant un point qui pouvait devenir contentieux, car une homologation peut toujours devenir contentieuse, dès qu'on soulève des difficultés ; c'était la question de savoir si les formalités voulues par la loi avaient été remplies ; on pouvait contester cela, mais il n'en est pas moins vrai qu'aux termes de la loi de 1810, c'était, comme on le propose pour le cas actuel, le procureur du roi qui requérait, devant le tribunal, l'envoi en possession que le tribunal accordait après avoir vérifié si les formalités voulues par la loi avaient été remplies. Voici, en effet, ce que porte l'article 13 de la loi du 8 mars 1810 :
« Lorsqu'à défaut de convention entre les parties, l'arrêté du préfet, indicatif des propriétés cessibles, aura été par lui transmis, avec copie des autres pièces, au procureur impérial du tribunal de l'arrondissement où les propriétés sont situées, ce procureur impérial, dans les trois jours suivants, requerra l’exécution dudit arrêté, sur le vu duquel le tribunal, s'il n'aperçoit aucune infraction des règles posées aux titres I et II, autorisera le préfet à se mettre en possession des terrains et édifices désignés en l'arrêté, à la charge de se conformer aux autres dispositions de la présente loi. »
Vous voyez, messieurs, que dans l'économie de cette loi c'était le procureur du roi qui, comme dans le cas actuel, requérait. Mais lorsqu'il s'agissait de l'indemnité, là, dans le cas d'expropriation ordinaire pour cause d'utilité publique, l'action en indemnité formait toujours procès parce que vous n'aviez pas, comme au cas actuel, une épreuve préalable qui a déterminé d'une manière à peu près irréfragable le juste prix. Dans toutes les causes ordinaires en expropriation pour cause d'utilité publique, presque sans exception, il y a un jugement qui ordonne une expertise, tandis que dans le cas actuel, presque jamais on n'aura recours à une expertise ; car encore une lois, la vente aux enchères publiques est un moyen plus sûr de connaître la véritable valeur que ces expertises qui ne donnent que l'opinion conjecturale des experts.
L'espèce de l'article que nous discutons a donc une véritable analogie avec celle de l'article 13 de la loi du 8 mais 1810 ; et c'est par suite de cette analogie que le gouvernement a proposé de charger ici aussi le procureur du roi par voie de réquisition.
M. Henot. - L'honorable M. Dubus vient de nous dire qu'il ne s'agira dans l'espèce que d'une simple formalité ; je persiste à soutenir qu'il s'agira d'un procès dans toute la force des termes.
Ce qui le prouve d'abord, c'est l’article même qui est en discussion et qui n'admet la nécessité d'homologuer que lorsqu'il y a refus d'approbation, ou défaut de délibération dans le délai d'un mois ; on ne refusera, en effet, l'approbation que lorsqu'on voudra contester, et il est plus que probable qu'il en sera de même quand il y aura défaut de délibération dans le délai fixé, de sorte qu'il y aura souvent, si pas toujours, véritable procès.
Les auteurs du projet ont été si pénétrés de cette vérité qu'il y aura contestation, qu'ils ont prescrit, à l'article 5, les formalités qu'il faudra observer lorsqu'elle s'élèvera, et qu'ils ont prononcé la dispense de l'autorisation préalable que les communes et d'autres établissements doivent obtenir avant de pouvoir s'engager dans un procès.
L'honorable M. Dubus a invoqué, pour combattre mon amendement, un exemple tiré de la loi de 1810 sur les expropriations ; cet exemple ne me paraît pas heureusement choisi, car il vient complétement justifier la thèse que je défends.
La loi de 1810, qu'on m'oppose, n'a concédé au ministère public la voie d'action que lorsqu'il est question d'examiner si les formalités prescrites par la loi ont été observées ; mais dès qu'il y a lieu de décider si l'indemnité qu'on offre est juste et suffisante, le ministère public n'a plus que la voie de réquisition ; or de quoi s'agira-t-il dans le cas d'homologation ? Faudra-t-il simplement décider si les formalités ont été observées ? Nullement. Il faudra encore, et surtout, examiner si le prix de vente a atteint la juste valeur comme il résulte des termes exprès de l'article 6. Or, dès qu'il est question de déterminer l'indemnité, la loi de 1810 a refusé le droit d'action au ministère public en ne lui laissant que la voie de réquisition, et il doit donc en être de même dans l'occurrence, puisqu'il y a lieu à fixer l'indemnité. J'avais conséquemment raison de dire que la loi de 1810 vient à l'appui de l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer.
Aucun de mes honorables contradicteurs n'a contesté que la disposition qu'on nous propose n'aura pas les résultats fâcheux que j'ai indiqués ; tout ce que j'ai dit à cet égard reste debout. Les conclusions du ministère public, demandeur en cause, ne pourront jamais être, je le répète, que favorables à l'action qu'il serait forcé d'intenter, et dès lors, la disposition de l'article 5, qui exige qu'il donne ses conclusions, sera complétement illusoire ; ensuite les communes seront privées de leur protecteur, de leur tuteur légal, au moment même où on les dépossédera forcément d'une partie de leurs propriétés, et enfin on devra, en cas de refus d'homologation, condamner l'Etat aux frais, tandis que ce dernier ne sera pas en cause.
Je ne puis donc, messieurs, que persister dans mon amendement, sans m'opposer toutefois à tout autre qui rendrait hommage aux principes, et n'amènerait pas les résultats que j'ai signalés.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, il est évident que les procès seront très rares, parce que l'adjudication publique donnera la plupart du temps le juste prix, et les formalités étant très simples, elles auront été régulièrement observées, de manière qu'il n'y aura réellement pas matière aux procès.
Maintenant l'on dit que le ministère public se trouvera dans une position fausse, si lui était d'avis, par exemple, que les formalités n'ont pas été remplies ou que le prix ne constitue pas une juste indemnité ; mais il n'en est rien ; de ce que le ministère public remplit une simple formalité de procédure pour introduire un procès, il n'abdique pas sa position de ministère public, pour apprécier sainement l'affaire et exposer devant les tribunaux les vices de formalités ou l'insuffisance du prix. Je crois que la loi étant ainsi expliquée, ne peut présenter de doute pour personne, et qu'il faut surtout s'attacher à la simplicité de la procédure. C'est là ce qu'il y a de plus essentiel : il faut éviter l'intervention des avoués dans ces sortes d'affaires.
M. de Saegher. - Messieurs, je veux répondre uniquement à la dernière observation de M. le ministre de l'intérieur. M. le ministre vous a dit : « De la position que fait le projet de loi au ministère public, il ne s'ensuit pas qu'il abdique son impartialité. »
Messieurs, il faut bien considérer que dans les peines civiles, le ministère public intervient de deux manières, et que ses obligations sont en quelque sorte différentes, d'après la nature de son intervention. Du moment où le ministère public intervient par voie d'action, il est partie principale, il doit soutenir le procès dont il est chargé ; mais lorsque le ministère public intervient par voie de réquisition, alors il est partie neutre entre le demandeur et le défendeur, et il doit tenir la balance entre les deux parties, afin de donner des conclusions conformes à la justice et à l'équité. Voilà la position spéciale du ministère public.
Maintenant voyez dans quelle fausse position le projet place le ministère public ; d'un côté, on le fait agir par voie d'action, c'est-à-dire, on le fait demandeur dans la cause, on le charge de poursuivre une contestation contre une commune, et de l'autre côté, par le paragraphe 2 de l'article 5, on le fait agir par voie de réquisition, c'est-à-dire qu'on lui impose l'obligation non pas de soutenir sa demande primitive, mais de faire entendre une voix impartiale même en faveur et dans l'intérêt des communes, auquel il est spécialement chargé de veiller. Voilà quel est le résultat du projet qui est proposé. Ce résultat provient de qu'on a évidemment confondu le principe de l'intervention du ministère public par voie de réquisition avec le principe de l'intervention du ministère public par voie d'action.
M. Fleussu. - Messieurs, je viens de jeter les yeux sur l'amendement de l'honorable M. Henot...
M. de Villegas. - Cet amendement a été sous-amendé par M. le ministre des finances.
M. Fleussu. - Je l'ignorais.
M. le président. - Voici la nouvelle rédaction proposée par M. le ministre des finances :
« Le gouverneur de la province transmettra une expédition de l'acte de vente au ministère public qui poursuivra l'homologation. »
M. Fleussu. - Je demande la parole.
M. de Villegas. - C'est comme en matière domaniale.
M. Fleussu. - Je crois qu'il eût été plus simple d'intenter l'action à la requête du gouverneur. Voici mes raisons : C'est le gouvernement qui fait faire la vente, c'est à ses agents à poursuivre tous les errements de la vente ; si vous faites intervenir le procureur du roi, mais vous l'immiscez dans l'administration, c'est un acte d'administration que de poursuivre l'homologation de la vente. Il n'est pas dans les attributions du ministère public de s'ingérer dans l'administration civile. Quand le gouverneur fait connaître le refus d'approbation et le refus du conseil de se réunir, il peut par le même envoi déclarer qu'il poursuit l’homologation. (page 846) Ce sera un agent de l'ordre administratif qui a poursuivi la vente qui poursuivra également l'homologation.
Il est vrai qu'avec le sous-amendement de M. le ministre des finances, déjà une partie de mes observations tombe.
- La discussion est close.
L'amendement proposé par M. le ministre des finances est adopté.
L'article 4 ainsi amendé est également adopté.
« Art. 5. La partie qui voudra contester l’homologation ou y défendre, sera tenue de le faire, sans qu'il soit besoin d'autorisation, par requête contenant les moyens et conclusions, avec élection de domicile au lieu où siège le tribunal ; cette requête sera notifiée au procureur du roi et à l'autre partie intéressée.
« Dans tous les cas, le rapport sera fait au jour indiquent le jugement sera rendu sur les conclusions du ministère public. »
La section centrale propose de rédiger de la manière suivante le deuxième paragraphe de cet article :
« § 2. Dans tous les cas, le rapport sera fait au jour indiqué, sinon au jour auquel le tribunal jugerait convenable de renvoyer la cause, et le jugement sera rendu sur les conclusions du ministère public. »
M. le ministre se rallie à cet amendement.
« Art. 6. § 1er. L'homologation sera accordée si les formalités prescrites par la loi ont été observées, et si le prix de la vente a atteint la juste valeur. La commune qui aura contesté, sera condamnée aux dépens.
« § 2. Si l'homologation n'est point accordée, le gouvernement pourra réclamer une nouvelle adjudication, ou bien se rendre adjudicataire pour le prix qui sera déterminé par le tribunal ; à moins, dans ce dernier cas, que l'adjudicataire primitif ne consente à donner ce prix.
« § 3. En cas de refus d'homologation, les dépens seront à la charge du gouvernement.
« § 4. Les actes relatifs à la poursuite en homologation seront exempts du droit de timbre et d'enregistrement. »
La section centrale propose de substituer aux mots « et d''enregistrement » ceux-ci : « et enregistrés gratis ».
M. le ministre se rallie à cet amendement.
«§ 5. Les jugements ne seront pas susceptibles d'opposition ; dans les cas où la loi autorise l'appel, cet appel ne pourra être interjeté que par le ministère public ou par la commune ; celle-ci sera tenue de se conformer aux lois administratives. »
La section centrale propose de scinder là l'article du gouvernement et d'y ajouter les deux dispositions suivantes :
« § 6 (nouveau). L'appel devra être interjeté dans la quinzaine de la prononciation du jugement.
« § 7 (nouveau). Il sera statué sur l'appel, sans remise, au jour fixé par ordonnance du président rendue sur requête. »
Les autres paragraphes de l'article du gouvernement formeraient un article séparé sous le n° 7.
M. le ministre se rallie à cette proposition.
M. de Garcia. - Au paragraphe 5 de l’article 6 qui nous occupe, je vois avec regret une disposition où, contrairement à l'esprit de nos lois, on ingère le ministère public dans les affaires administratives. Le ministère public recevra-t-il l'ordre d'appeler ou devra-t-il agir de lui-même ? Suivant la rédaction proposée, il restera seul appréciateur de cette question. Or une disposition semblable me paraît subversive des principes administratifs. J'aurais voulu que l'appel fût interjeté par le gouvernement ; en effet, qu'arriverait-il si, contrairement au désir du gouvernement, le ministère public ne voulait pas interjeter appel d'une décision judiciaire ? Je sais que le gouvernement pourra le destituer. Mais précisément pour ce motif, on met ce fonctionnaire dans une position fausse, puisqu'il pourrait se trouver dans le cas de manquer à sa conscience ou d'encourir une destitution. Une position semblable, on doit le reconnaître, est aussi fausse qu'anormale, et je désire qu'elle soit modifiée en réservant au gouvernement l'ordre d'interjeter appel.
M. Lejeune. - Je lis au deuxième paragraphe de l'article 6, que les acquéreurs primitifs pourront obtenir le terrain pour le prix déterminé par le tribunal. Je crains que cette disposition n'ait pour effet de restreindre les enchères, de donner lieu à des coalitions : je crains que les acquéreurs ne disent : Entendons-nous ; ne poussons pas plus avant les enchères, nous aurons toujours le privilège de prendre les terres pour le prix déterminé par le tribunal. Pour prévenir ces inconvénients je demande la suppression des mots : « à moins, dans ce dernier cas, que l'adjudicataire primitif ne consente à donner ce prix. »
On fera très bien, dans l'intérêt des communes, de retrancher ces mots, car trop souvent déjà des coalitions se forment entre les acquéreurs ; ils s'entendent pour ne pas surenchérir.
- L'amendement est appuyé.
M. de Garcia. - Je demanderai que M. le ministre voulût donner une explication sur l'observation que j'ai faite. Au surplus, je proposerai un amendement ; je proposerai d'ajouter : « à la requête du gouverneur ».
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je ne vois aucun inconvénient à l'addition proposée par l'honorable M. de Garcia. J'ai toujours pensé que ce serait ainsi que les choses se pratiqueraient ; que le gouverneur, ayant connaissance de la décision du tribunal de première instance, écrirait au ministère public de se pourvoir en appel.
Je ne vois pas non plus d'inconvénient au retranchement proposé par l'honorable M. Lejeune.
M. Fleussu. - Messieurs, il vient déjà d'être fait droit à une observation que je voulais présenter et qui se rencontrait avec celle qu'a faite l'honorable M. Lejeune. Mon intention était de demander à M. le ministre de l'intérieur si le tribunal devrait déterminer un prix de vente. Il arrive souvent qu'on vient plaider sur l'insuffisance d'un prix, et le tribunal peut déclarer qu'effectivement le prix est insuffisant et qu'il n'homologue pas. Mais je ne sais pourquoi vous voulez charger le tribunal de déterminer le prix d'une chose qu'il ne connaît pas, alors qu'il n'a pas des renseignements exacts pour déterminer ce prix.
M. Eloy de Burdinne. - Il a les procès-verbaux des experts.
M. Fleussu. - On dit : Il a les procès-verbaux des experts ! Mais cela ne détermine pas toujours le prix. Car ce prix dépend aussi du plus ou moins d'amateurs qui peuvent se présenter, et même d'une question de convenance. Ainsi si un grand propriétaire a des propriétés près de l'immeuble vendu, il est évident que cette circonstance peut influer sur le prix.
Je ne vois d'ailleurs pas l'utilité de forcer le tribunal à déterminer un prix. Soyez persuadé que, s'il y est forcé, ce prix sera toujours le plus élevé.
Du reste, il me semble, messieurs, que cette observation tombe devant l'amendement proposé par l'honorable M. Lejeune et admis par M. le ministre de l'intérieur.
Messieurs, d'après le paragraphe 4 de l'article de la section centrale, auquel s'est rallié, je crois, M. le ministre de l'intérieur, les actes relatifs à la poursuite en homologation seront exempts du droit de timbre et enregistrés gratis.
Je demanderai si le bénéfice de cette disposition s'applique aux tiers acquéreurs qui peuvent intervenir dans l'instance ; si pour eux aussi il y aura exemption de timbre et si les actes devront être enregistrés gratis.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Sans doute.
M. Fleussu. - Je crois que c'est ainsi que la disposition doit être entendue. Mais comme on pourrait dire qu'elle ne concerne que les communes et le gouvernement, et que les tiers ne peuvent en profiter, je pense qu'une explication est nécessaire.
Messieurs, au paragraphe 5 du gouvernement il est dit : Les jugements ne seront pas susceptibles d'opposition ; dans le cas où la loi autorise l'appel, cet appel ne pourra être interjeté que par le ministère public ou par la commune ; celle-ci sera tenue de se conformer aux lois administratives.
Il faut, messieurs, combiner cette disposition avec le paragraphe 6 de la section centrale, où il est dit que l'appel devra être interjeté dans la quinzaine du jugement.
Si vous combinez ces deux dispositions, il sera assez difficile que la commune puisse se conformer aux lois administratives. Vous savez, messieurs, que pour qu'une commune puisse entrer en instance, il faut d'abord une délibération du conseil communal et ensuite une autorisation de la députation provinciale. Or, je vous demande comment vous voulez que le conseil de la commune soit assemblé, que la députation provinciale ait autorisé l'appel et que l'appel ait été fait dans les quinze jours ? Il me semble qu'il y a là une impossibilité morale, que les temps sont trop rapprochés, et que dans ce cas il faudrait autoriser la commune à interjeter appel, sans attendre l'autorisation de la députation provinciale. Cet appel pourrait être considéré comme mesure conservatoire.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, nous avons pensé que ce délai pouvait suffire, parce que nous avons cru que le collège des bourgmestre et échevins pouvait toujours interjeter appel comme mesure de conservation des droits de la commune. Je crois, messieurs, que la loi communale autorise le collège des bourgmestre et échevins à poser tous les actes conservatoires.
Quant à l'exemption du droit de timbre et d'enregistrement en matière de procédure, nous avons voulu que cette exemption s'appliquât à tous les actes de la procédure, même à ceux qui étaient faits par des tiers acquéreurs. La raison en est bien simple. En diminuant les frais de la procédure, les acquéreurs enchériront avec d'autant plus de facilité. Cette disposition est tout à fait dans l'intérêt de la commune.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, le deuxième paragraphe de l’article 6 a été l'objet de différentes critiques. On a pensé, d'une part, qu'il fallait retrancher la dernière phrase ainsi conçue : « A moins, dans ce dernier cas, que l'adjudicataire primitif ne consente à donner ce prix, » parce que, dit-on, cela engagera les adjudicataires à se coaliser, puisqu'il leur restera toujours l'espoir d'être adjudicataires à un prix plus élevé, si l'homologation n'était pas obtenue. D'une autre part, on a demandé aussi le retranchement de la disposition ainsi conçue : « ou bien se rendre adjudicataire pour le prix qui sera déterminé par le tribunal,» parce que, a-t-on dit, le tribunal doit se borner à déclarer qu'il refuse l'homologation, qu'il ne trouve pas le prix suffisant ; mais il ne doit pas déterminer quel est le juste prix.
Si vous retranchez ces deux dispositions, vous multipliez d'une manière indéfinie les procès, les difficultés, et vous pouvez arriver à ce résultat qu'après plusieurs épreuves successives, on ne connaîtrait pas encore la véritable valeur d'un immeuble.
Ainsi le tribunal se bornera à déclarer, après une première adjudication, que le prix est insuffisant, et il sera procédé à une nouvelle adjudication. Sur cette seconde adjudication, le tribunal pourra déclarer (page 847) encore que le prix est insuffisant, mais il tiendra toujours secrète son opinion sur le véritable prix. Une troisième adjudication va s'ensuivre, sans que peut-être vous arriviez à un résultat.
Il s'agit, dit-on, d'expropriations pour cause d'utilité publique, et la difficulté est de déterminer quelle est la juste valeur. Mais il me paraît que le tribunal ne doit pas se borner à dire que le prix auquel les enchères ont porté l'immeuble n'est pas le juste prix, mais qu'il doit indiquer, d'après les preuves qui ont été faites ou fournies, quel est ce juste prix. Je rappellerai à la chambre que le cas où il faudra recourir à une vérification sera tout à fait exceptionnel et rare. Car, en thèse générale, on doit accorder plus de confiance au résultat de la libre concurrence qu'à l'opinion tout à fait conjecturale de trois experts. Mais enfin, il peut arriver tel cas où, par suite de circonstances signalées au juge et vérifiées par lui, le juge aura des doutes sur la question de savoir si les enchères ont fait porter le bien à son véritable prix, et où, pour éclaircir ces doutes, il ordonnera une expertise ; ces preuves rapportées, devra-t-il se borner à dire que le prix auquel l'immeuble a été porté par les enchères n'est pas suffisant ? Non ; il devra indiquer quel est, d'après les preuves faites, ce juste prix, afin que s'il y a une nouvelle adjudication, on puisse savoir au moins à quelle somme on peut adjuger, avec la certitude que l'adjudication pourra être maintenue.
Le juste prix étant déterminé, il est naturel que le gouvernement, qui exproprie pour cause d'utilité publique, ait le droit de se rendre adjudicataire pour ce juste prix. Il n'est plus besoin d'une adjudication pour le fixer.
Mais si le gouvernement peut se rendre adjudicataire pour le juste prix, il paraît tout à fait naturel que le premier adjudicataire qui offrirait de le payer soit préféré au gouvernement ; car enfin, il s'était rendu adjudicataire, à la vérité pour un prix moindre, mais parce qu'il ne s'était pas présenté d'enchérisseurs. Ce défaut d'enchérisseurs ne doit pas rendre sa condition plus mauvaise et lui ôter la chance d'acquérir un immeuble qui était à sa convenance.
Sinon, vous découragez dès l'abord l'adjudicataire ; vous le déterminez à ne pas se présenter puisqu'il est exposé à voir le bien qu'il veut acquérir lui échapper sans qu'il eût même le droit de mettre une enchère sur le prix auquel le bien avait été adjugé au gouvernement. Il me semble donc que toutes les dispositions de ce paragraphe sont nécessaires.
Quant au danger des coalitions, il n'est pas grandement à craindre, ou il serait à craindre dans toutes les adjudications qui se passent tous les jours et dont aucune n'est soumise à l'homologation. Tous les jours des ventes se font, et nous ne voyons pas qu'il y ait des coalitions qui s'opposent à ce que le bien soit porté à la juste valeur.
(page 859) M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, voici ce qui s'est passé plusieurs fois dans des adjudications.
Il se formait une coalition de diverses personnes qui avaient le plus d'intérêt à acheter. On ne recueillait pas les bienfaits de l'adjudication. Les acheteurs, de crainte que l'approbation administrative fût refusée, venaient offrir un prix supérieur à celui de l'adjudication.
L'administration des domaines, en ce cas, ordonné une nouvelle mise aux enchères, et presque toujours la nouvelle adjudication dissout la coalition primitive, et produit un prix supérieur aux offres faites. Tel est, messieurs, le résultat de l'expérience, et c'est, je crois, aussi la raison qui doit déterminer la chambre à supprimer, non pas les deux parties du paragraphe, mais la dernière partie, conformément à la proposition de l'honorable M. Lejeune.
(page 847) M. Lejeune. - On a dit qu'on avait aussi demandé la suppression des mots : « ou bien se rendre adjudicataire pour le prix qui sera déterminé par le tribunal ». Je ferai observer que je n'ai pas du tout voulu demander cette suppression, et cela pour une très bonne raison ; c'est que le gouvernement ne se conduira pas en spéculateur ou en agioteur aux dépens des communes.
Quant à l'autre partie de l'article, j'appuie beaucoup sur la nécessité de sa suppression. La coalition, dans le cas actuel de vente, existe très souvent ; et il est certain que cet article, adopté tel qu'il est, contiendra un appât qui n'a jamais existé, pour faire des coalitions, coalitions que seraient au préjudice des communes.
- La discussion est close.
La suppression des mots : « à moins, dans ce dernier cas, que l’adjudicataire primitif ne consente à donner ce prix », est mise aux voix et adoptée.
Le paragraphe ainsi modifié est adopté.
Les autres paragraphes de l'article, ainsi que l'ensemble, sont adoptés.
« Art. 7. Faute par l'adjudicataire d'exécuter les clauses de l'adjudication sur la mise en culture prescrite par la seconde disposition de l'article premier, la commune pourra faire prononcer la déchéance, conformément aux stipulations du cahier des charges.
« L'action en déchéance pourra également être intentée par le gouverneur de la province ; dans ce cas, il sera statué, tant en première instance qu'en instance d'appel, dans le mois à compter de l'expiration des délais ordinaires de l'assignation, sur simples mémoires respectivement produits, sur le rapport d'un juge, fait à l'audience et sur les conclusions du ministère public.
« Dans le cas où la déchéance aura été prononcée à la demande du gouverneur de la province, celui-ci fera procéder à une nouvelle adjudication, moyennant les clauses et conditions qu'il jugera les plus utiles.
« L'acquéreur sera tenu de la différence de son prix d'avec celui de la revente, sans pouvoir réclamer l'excédant, s'il y en a ; cet excédant sera versé dans la caisse communale.
« Le prix payé par l'acquéreur ne lui sera restitué que déduction faite de cette différence, de tous frais, dépens et loyaux coûts, faits tant dans l'instance que pour la revente de l'immeuble qui a donné lieu à l'action en déchéance.
« L'acquéreur qui a encouru la déchéance ne pourra se rendre adjudicataire sur la revente, ni par lui-même, ni par personne interposée. »
M. de Corswarem. - Messieurs, je crois que par suite de l'amendement qui a été adopté à l'article premier et d'après lequel la commune peut demander des dommages-intérêts, il y aurait lieu d'ajouter également cette clause à l'article maintenant en discussion.
M. Fleussu. - C'est encore pour avoir une explication que j'ai demandé la parole. Je vois dans le paragraphe 2 :
« L'action en déchéance pourra également être intentée par le gouverneur de la province ; dans ce cas, il sera statué, tant en première instance, qu'en instance d'appel, dans le mois à compter de l'expiration des délais ordinaires de l'assignation. »
Je voudrais savoir, messieurs, si les deux instances doivent être vidées dans le mois, et alors la chose me paraît impossible, ou si c'est chaque instance qui doit être vidée dans le mois.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - C'est chaque instance.
M. Fleussu. - Il paraîtrait, d'après la rédaction actuelle de la disposition, que les deux instances doivent être vidées dans le délai d'un mois, et c'est là une chose impossible. Il faudrait donc modifier la rédaction de l'article, pour qu'il n'y eût pas de doute.
J'ai une autre explication à demander. Le paragraphe 3 porte :
« Dans le cas où la déchéance aura été prononcée à la demande du gouverneur de la province, celui-ci fera procéder à une nouvelle adjudication, moyennant les clauses et conditions qu'il jugera les plus utiles. »
Je demanderai ce qui aura lieu lorsque la déchéance aura été prononcée à la requête de la commune. Le projet de loi n'en dit rien, et il serait bon qu'on s'en expliquât, comme on le fait pour le cas où la déchéance a été prononcée à la demande du gouverneur.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Dans le cas où la déchéance, est prononcée à la requête de la commune, la commune redevient propriétaire. Naturellement le gouvernement aura à examiner plus tard s'il y a lieu de procéder à une nouvelle expropriation ; mais cela n'est guère probable ; ordinairement lorsqu'un terrain aura été abandonné à la commune, la rentrée en possession sera définitive à moins qu'il ne survienne des circonstances nouvelles qui soient de nature à motiver une nouvelle expropriation.
Quant au délai d'un mois, il est évident qu'il s'applique à chaque instance, car, ainsi que l'a fort bien fait observer l'honorable membre, le délai d'appel absorberait déjà au-delà d'un mois et dès lors il ne peut pas être question d'exiger que les deux instances soient terminées dans le délai dont il s'agit.
M. de Garcia. - Il me semble que la rédaction du paragraphe ne peut pas laisser de doute sur le point de savoir si le délai d'un mois s'applique aux deux instances ou à chacune d'elles. Il suffit de lire la disposition pour être convaincu qu'elle est parfaitement claire : « Dans ce cas il sera statué, tant en première instance qu'en instance d'appel, dans le mois à compter de l'expiration des délais ordinaires de l'assignation. » Il y aura évidemment deux assignations, et le mot assignation définit bien la portée des mots dans le mois, ce sera dans le mois à partir de chaque assignation.
Ainsi, messieurs, la rédaction me paraît tout à fait claire sous ce rapport.
Quant à l'objection présentée par l'honorable M. de Corswarem, je crois qu'elle est fondée et qu'il y a lieu de modifier l'article dans le sens qu'il propose. L'omission signalée pourrait laisser quelque doute dans l'esprit des magistrats, appelés à faire l'application de la loi.
Il me semble donc que pour atteindre une rédaction bien lucide, on devrait ajouter aux mots : » L'action en déchéance, » ceux-ci : en « dommages-intérêts et amendes, pourra être provoquée, etc., etc., etc. » Dans le même but, je voudrais qu'on reproduisît, dans cette disposition, les expressions de l'article premier, pour les effets de la déchéance, c'est-à-dire qu'on déclarât nettement, comme le gouvernement semble le vouloir, qu'alors la commune rentre de plein droit dans sa propriété ; c'est-à-dire que le gouvernement, dans cette hypothèse, ne pourrait procéder à une adjudication nouvelle sans recommencer toute la procédure prescrite par la loi pour arriver à l'expropriation forcée.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - C'est bien ainsi que la loi doit être entendue.
Quant à l'observation de l'honorable M. de Corswarem, il me semble qu'elle n'est pas fondée, car lorsque la commune réclamera la déchéance, elle réclamera en même temps tout ce qui aura été stipulé dans le cahier des charges.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 8. Les biens de même nature pourront être expropriés dans les limites des crédits ouverts au gouvernement, soit pour les irrigations, soit pour les défrichements ; l'arrêté d'expropriation devra être précédé de l'avis des conseils communaux intéressés et de la députation permanente du conseil provincial. »
M. Osy. - Messieurs, je n'ai point pris part à la discussion du projet de loi, parce que j'en approuvais le but et surtout parce que dans l'article premier nous donnons aux communes la garantie que la députation permanente verrait au moins s'il est convenable de vendre leurs propriétés et quand il faut les vendre. Je demande, messieurs, que nous fassions à l'article 8 ce que nous avons fait à l'article premier, et que nous disions : « Et de l'avis conforme de la députation permanente du conseil provincial. »
M. Orban. - Je ne vois pas, messieurs, que l'on impose des conditions aux acquéreurs des biens que vendra le gouvernement après en avoir exproprié les communes, cependant il doit être dans l'intention de M. le ministre de l'intérieur que ces biens ne soient vendus qu'à charge de culture, absolument comme ceux dont la vente aura lieu en vertu de l'article premier. (Interruption.) On dit que cela va de soi, mais je crois qu'il faudrait le dire dans la loi.
(page 848) M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, voici de quelle manière j'ai motivé cette disposition :
(M. le ministre cite un passage de son exposé.)
Ainsi, messieurs, il s'agit ici de terrains sur lesquels le gouvernement doit faire certains travaux préparatoires à la culture. Mais pour faire ces travaux, il faut qu'il devienne propriétaire des terrains, à moins que la commune ne consente à les mettre à sa disposition, ainsi que l'ont déjà fait plusieurs communes de la Campine ; mais si une commune refusait obstinément de mettre à la disposition du gouvernement une certaine étendue de bruyères et que le gouvernement n'eut d'autre ressource que de recourir à la vente forcée, il pourrait arriver que le tiers acquéreur fit à son lourdes difficultés ; il faut donc que le gouvernement puisse se rendre propriétaire par voie d'expropriation. C'est ainsi que dans le temps on a exproprié les terrains où se trouve le camp de Beverloo. D'ailleurs, messieurs, il y a ici une limite bien naturelle, ce sont les crédits que la législature met à la disposition du gouvernement. On ne pourra jamais sortir de cette limite. Je pense donc que l'article doit être maintenu tel qu'il est proposé, et qu'il ne faut pas exiger l'avis conforme de la députation. Il y a évidemment ici cause d'utilité publique puisqu'il s'agit de travaux préparatoires que le gouvernement doit exécuter.
Quant à l'observation faite par l'honorable M. Orban, en ce qui concerne la condition de mise en culture, il est évident que lorsque le gouvernement achète un terrain pour y faire des travaux préparatoires et qu'il l'expose ensuite en vente, ce terrain a acquis une telle valeur que la mise en culture s'ensuit naturellement. D'ailleurs, le gouvernement insère même cette condition dans le cahier des charges des ventes qu'il opère aujourd'hui. C'est là une mesure administrative que le gouvernement ne négligera point.
Je pense donc, messieurs, que l'article doit être adopté tel qu'il est présenté.
Il pourrait se présenter des cas où cet article serait très utile. Je suppose que le gouvernement ait besoin d'une certaine étendue de terrain pour favoriser l'établissement d'agglomérations de fermes, par exemple à la Pierre-Bleue, point extrêmement favorable pour l'établissement d'un village ; eh bien, le gouvernement trouverait dans l'article en discussion le moyen d'acquérir cette étendue de terrain, qu'il exposerait ensuite en vente par lots, à la convenance de ceux qui voudraient y établir des habitations et des exploitations agricoles.
M. Rogier. - Messieurs, l'article en discussion me paraît renfermer le principe le plus utile de la loi, celui qui sera surtout susceptible d'une application immédiate et facile. Toutes les opinions, ainsi que je l'ai fait remarquer, sont unanimes sur ce point que le gouvernement doit procéder à l'exécution de travaux qui puissent préparer les terres incultes à recevoir soit des irrigations, soit des engrais, soit tout autre mode d'amendement. Ici, messieurs, je crois qu'on peut être très large envers le gouvernement et lui accorder des pouvoirs en rapport avec l'utilité de sa mission. Il ne s'agit plus ici d'exproprier les communes d’une manière générale, de spolier les communes de leurs biens pour les faire passer dans les mains de tel ou tel particulier ; il s'agit de mettre le gouvernement en possession d'une certaine partie de biens communaux pour leur donner une destination d'utilité publique. Ici donc il me semble que la chambre ne doit pas imposer des conditions si sévères que dans l'article premier, et loin d'entourer d'entraves l'action du gouvernement, je voudrais, quant à moi, qu'on pût l'élargir, car, évidemment, ici l'utilité publique apparaît tout entière. Il y a intérêt public à faire tous les travaux propres à amener la culture des bruyères en général.
Sous ce rapport donc, je pense que la proposition de mon honorable ami, M. Osy, présenterait certains inconvénients. La disposition était bien à sa plate dans l'article premier, pour garantir les communes contre des aliénations exagérées ; ici, au contraire, elle ne serait pas aussi bien placée : elle pourrait entraver l'action utile du gouvernement. Je le répète, l'article 7, qui est l'ancien article 2, renferme le principe le plus immédiatement, le plus utilement applicable.
Quant à la rédaction, elle devra être modifiée ; lorsque l'article était l'article 2, venant immédiatement après l'article premier, on pouvait dire : « Les biens de même nature ». Mais l'art. 2 étant devenu l'art. 7, on ne peut plus dire : « Les biens de même nature » ; à raison de la place qu'il occupe maintenant, la rédaction, si elle était maintenue, pourrait comprendre les biens des particuliers. Je demande si on a l'intention d'y comprendre les biens des particuliers.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Non !
M. Rogier. - Je demande en outre si le gouvernement entend l'article de cette façon qu'il pourra exproprier pour les travaux préparatoires au-delà des besoins du tracé soit de routes, soit de canaux. Je pense que c'est là l'intention du gouvernement.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Oui !
M. Rogier. - L'article ne le dit pas d'une manière bien claire. Je crois que le gouvernement doit être autorisé à exproprier certaines portions au-delà des besoins d'un tracé, ces portions devant éventuellement servira indemniser l'Etat des frais qu'il aura supportés.
J'engage le gouvernement à commencer la mise à exécution de la loi, par l'application de l'article 7. Je dois revenir sur les observations que j'ai présentées dans une séance précédente. La logique, la pratique, l'intérêt général, exigent qu'avant de procéder à la vente des propriétés incultes, on ait ajouté à leur valeur actuelle et à leur valeur d'avenir par des travaux préparatoires sagement combinés ; quand ces travaux auront été exécutés, les communes pourront vendre avec beaucoup plus d'avantage leurs propriétés ; elles y trouveront même tellement d'avantage qu'il est probable que les pouvoirs consacrés par l'article premier ne seront presque jamais appliqués, attendu que les communes ne seront que trop sollicitées à vendre.
A un autre point de vue encore, ii importe que le gouvernement procède à l'exécution de la loi par l'article 7. Ainsi que je l'ai déjà fait remarquer, lorsqu'il s'agit de travaux publics, et surtout de travaux d'irrigation, il importe que le gouvernement n'ait pas affaire à un grand nombre de propriétaires, qu'il ait la plus grande liberté d'action possible. Il est évident que si le gouvernement procédait au morcellement des propriétés communales, avant d'entreprendre ces travaux d'utilité publique, il se créerait à lui-même des obstacles ; il serait obligé de procéder de nouveau pour l'usage public à l'expropriation de ces propriétés dont il aurait prescrit le morcellement par des expropriations forcées. J'espère donc que le gouvernement n'expropriera pas à la légère, et qu'avant de forcer la main aux communes pour la vente de leurs bruyères, il aura fait faire des nivellements généraux, des plans généraux et détaillés, de manière que tous les travaux d'irrigation soient prévus non seulement pour la ligne principale, mais pour les lignes accessoires qui doivent dériver de celle-là : c'est un point de pratique administrative très important. Je ne doute pas que M. le ministre de l'intérieur n'ait assez de prudence pour exécuter la loi dans le sens que je viens d'indiquer.
Des études ont été faites, mais elles sont loin d'être complètes ; des essais seulement ont eu lieu ; mais toute la Campine est loin d'avoir été profondément étudiée dans tous ses besoins ; il y a autre chose à faire que des travaux d'irrigation, il y a à exécuter des travaux de dessèchement non moins importants ; car si une partie de la Campine manque d'eau, il y a, d'autre part, beaucoup trop d'eau sur un grand nombre de terrains ; sur ces terrains il y a des travaux de dessèchement à faire ; il ne s'agit donc pas de conduire l'eau partout. Il faut prendre de l'eau aux uns, pour en donner aux autres. Pour tous ces motifs, le gouvernement doit ordonner des études complètes, procéder avec beaucoup de réserve à l'aliénation des biens communaux, et rester maître de l'avenir.
C'est aussi dans ce but que l'ingénieur, chargé des travaux dans la Campine, loin de demander au gouvernement qu'il procédât à l'expropriation forcée des terres communales, lui recommande, au contraire, d'empêcher l'aliénation des biens communaux, de suspendre les autorisations, en vue même des travaux qu'il doit exécuter ; car il a fort bien compris que du moment où les propriétés communales passeraient dans les mains des particuliers, ce seraient autant d'empêchements que le gouvernement se créerait à lui-même pour l'exécution des travaux.
Ceci, je le répète, est un point de la dernière importance. J'engage le gouvernement à agir avec beaucoup de circonspection et de prudence. Ce qui n'empêche pas aussitôt qu'on sera prêt, d'agir avec beaucoup d'activité et d'énergie. Mais avant de vendre, que le gouvernement fasse bien étudier les terrains ; qu'il s'assure bien de tout ce qu'il y a à faire, et qu'il ne livre les propriétés communales aux particuliers que quand il sera entièrement éclairé sur les travaux généraux qui doivent être exécutés, pour préparer ces territoires à la culture.
Je donne mon adhésion pleine et entière au principe de l'article 7, et, je le répète, loin d'y mettre des restrictions, je l'élargirai, s'il le faut, si le gouvernement le désire ; niais j'insiste sur ce point, que c'est cet article surtout qui doit recevoir le premier son exécution. Les autres mesures viendront ensuite ; mais lorsque le gouvernement aura mis toutes les communes à même d'opérer les travaux de défrichement, je crois qu'il aura rarement l'embarras, car c'en sera un, de devoir recourir à des expropriations forcées.
Aujourd'hui, messieurs, l'influence de ces travaux s'est fait sentir déjà d'une manière très favorable sur les biens communaux où certains de ces travaux ont été exécutés. Après l'achèvement du grand canal d'irrigation, on a vu vendre, à des prix tout à fait inattendus, des bruyères qui jusque-là avaient été considérées comme étant de nulle valeur.
J'ajoute encore un mot. Il a été beaucoup question de travaux d'irrigation. Sans doute, ces travaux bien dirigés et sagement combinés doivent avoir un grand résultat ; mais les moyens d'amélioration ne résident pas seulement dans les travaux d'irrigation, il y aura d'autres travaux à faire, et je présume bien que l'article n'est pas obstatif à ces travaux ; et qu'il s'applique à toute espèce de travaux tendant au défrichement des terres incultes dans la Campine.
C'est bien ainsi que M. le ministre l'entend.
Quant à la rédaction de l'article 7 qui est l'ancien article 2, je pense qu'il faut changer le commencement et dire : « Les biens mentionnés à l'article premier. »
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L'honorable membre a parfaitement raison. L'article qui nous occupe ayant été transposé, il est nécessaire d'y faire mention de l'article premier ; il ne peut être question que des biens spécifies à l'article premier. Je vois avec plaisir qu'il approuve fortement la disposition de l'article 7.
J'entends l'exécution de cet article de la même manière que cet honorable membre. Déjà j'ai demandé à M. le ministre des travaux publics, de faire faire le nivellement de toute la Campine ; non seulement des terrains incultes, mais des terrains cultivés. En voici le motif.
Aussitôt que cette loi sera votée, je présenterai un projet de loi pour la conduite des eaux tant pour les irrigations que pour l'écoulement à travers les propriétés privées. De cette manière les eaux du canal recevront un emploi d'une utilité immense, bien au-delà des prévisions de la chambre et du public.
L'honorable membre désire que le gouvernement procède en vue du plus grand intérêt des communes. Partout où les biens communaux seront (page 849) susceptibles de recevoir une valeur plus grande par des travaux que le gouvernement pourrait faire, ces travaux seront indiqués.
Ainsi, si dans quelques endroits le gouvernement croyait convenable de faciliter l'établissement d'un noyau de commune, avis en serait donné au public avant la vente, parce que cette considération serait de nature à exercer une grande influence sur la détermination des acquéreurs, sur la valeur des biens.
Le gouvernement devra s'entourer de tous les renseignements possibles, tout en consultant soit les administrations provinciales, soit les personnes qu'il aurait chargées d'explorer les lieux.
Je crois, au reste, que la principale et la première impulsion à donner à l'exécution de la loi doit l'être par le côté le plus populaire. J'aime à croire que les exemples de défrichement qui ont été déjà donnés et qui le seront encore prochainement, exerceront une telle influence que la loi rencontrera peu d'opposition dans son exécution et que le gouvernement ne sera pas dans le cas de devoir recourir très fréquemment à l'expropriation
Je ne doute pas que sous l'empire de l'impulsion agricole qui se manifeste en ce moment où toutes les idées sont tournées vers l'agriculture, et le défrichement des terrains incultes, la loi que nous discutons ne soit bien moins considérée comme une mesure coercitive que comme un moyen d'enlever des obstacles irréfléchis et contraires aux intérêts mêmes des communes.
M. Lebeau. - De même que la plupart des membres de cette chambre, je suis favorable au double but du projet de loi ; d'une part la mise en valeur des terres incultes, d'autre part l'abolition d'une grande quantité de mainmorte, la mobilisation de nombreuses propriétés ; ce sont là des résultats qui doivent sourire à une assemblée éclairée. Mais il faut bien prendre garde de compromettre ce double but en n'apportant pas dans un premier essai d'application la plus grande prudence.
Je pense qu'il est extrêmement utile de chercher à se concilier le concours des administrations locales, à apaiser des inquiétudes qui sont réelles, quoique je les croie exagérées, eu donnant des garanties.
Presque tout le monde est d'accord sur le principe général de la loi, presque tout le monde aussi est d'accord sur la bonté de la disposition actuellement en discussion ; il n'y a qu'un point à l'égard duquel il s’est trouvé un peu de divergence. Dans l'article premier on a introduit une disposition qui est de nature à rassurer les populations contre l'abus possible de la loi, c'est l'intervention de la députation permanente du conseil provincial, c'est l'association obligée à l'action du gouvernement du tuteur naturel des communes. Je ne vois pas pourquoi on ne met pas la députation sur la même ligne à l'article 7 qu'à l'article premier.
Si l'intérêt des communes est aussi évident que l'a dit M. le ministre de l'intérieur, il faut supposer que la députation qui veut avant tout le bien des communes, de ses mineurs, ne viendra pas faire une opposition ridicule aux vues du gouvernement. Ici j'aperçois encore l'inconvénient que j'ai signalé dans une séance précédente, et qui résulte de la prétention de régler d'une manière uniforme des intérêts opposés, des situations diverses.
Vous venez d'entendre un député d'Anvers faire l'éloge de l'article en discussion. Je suis sûr que vous entendrez tout à l'heure des députés du Luxembourg combattre l'article, en ce sens que la députation n'a plus que voix consultative. Si l'article ne présente pas d'inconvénients, n'excite pas d'inquiétude dans la Campine, vous n'avez pas à y craindre l'opposition de la députation provinciale. Mais ce n'est pas une raison pour enlever aux provinces de Luxembourg, de Liège et de Namur, ou il y a beaucoup moins d'irrigations que de défrichements à faire, la garantie introduite dans l'article premier. Dans la mesure des crédits que le gouvernement pourra affecter à cet objet, d'année en année, si la législature se montrait engouée de défrichement, tous les biens communaux non encore cultivés pourraient passer dans d'autres mains, malgré l'opposition des députations. Je demande s'il y aurait des inconvénients, pour rassurer entièrement ces populations, de rester fidèle au système de la loi, tel qu'il a été posé dans l'article premier, de mettre l'article actuellement en discussion en harmonie avec l'article premier.
Je ne suis pas effrayé de la manie de trop exproprier que l'on pourrait supposer au gouvernement ; la chambre lui en accorderait difficilement les moyens. Mais pour l'effet moral de la loi, qu'on ne doit pas dédaigner, il faut placer ici les députations sur la même ligne que dans l'article premier, si vous ne le faites pas, c'est une espèce de défiance que vous leur témoignez.
D'une part, vous leur témoignez une confiance illimitée, et d'autre part, vous les supposez capables, alors que l'intérêt évident d'une contrée, de plusieurs communes, serait d'aider le gouvernement à pratiquer les moyens de mettre en valeur des terrains incultes ; vous les supposez capables, dis-je, de faire une ridicule opposition au gouvernement. Je pense, messieurs, que vous ne devez pas leur faire cette injure par cet article, au moment même où vous les associez à l'action du gouvernement dans l'article premier, qui est pour ainsi dire le principe fondamental de la loi.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je suis parfaitement d'accord avec les honorables préopinants sur ce point, c'est que l'application de l'article en discussion peut être fort utile.
Cet article a eu principalement en vue les irrigations. C'est ce que démontre le passage de l'exposé des motifs que vient de lire M. le ministre de l'Intérieur. Or, nous avons toujours été tous, dans cette enceinte, favorable aux mesures qui concernent les irrigations dans la Campine. Le système de M. Kummer a eu un succès si évident, si remarquable, que personne certes ne s'opposera à la continuation des essais ou à une application plus large de ce système.
Dans ces limites donc, l'article peut être fort utile. Mais lorsqu'il ne s'agira que de l'exécution, par exemple, de voies de communication, le. gouvernement n'aura pas même besoin du secours de la loi actuelle. L'expropriation pour ces communications pourrait avoir lieu en vertu des lois existantes sur l'expropriation pour cause d'utilité publique.
Ainsi, l'article ne sera utile qu'en ce qui concerne les travaux de petite canalisation et en ce qui concerne les travaux indispensables pour la conduite des eaux nécessaires aux irrigations.
Mais, messieurs, là ne se borne pas l'application de l'article. L'article est applicable non seulement aux irrigations, mais encore au défrichement. Or, sur ce point, nous n'avons pas jusqu'à présent connaissance des vues du gouvernement. Nous savons ce qu'il peut faire en matière d'irrigations, et nous y applaudissons. Mais nous ne le savons pas en ce qui concerne la culture en céréales, par exemple. Nous allons donc voter une faculté fort large pour le gouvernement, faculté qui n'est pas même ici restreinte par l'avis conforme de la députation, et nous allons voter cette faculté beaucoup plus large que celle que lui attribue l'article premier, sans savoir ce qu'il se propose de faire.
Or, ici le champ est fort vaste. Cela peut aller, par exemple, jusqu'à une grande expropriation pour y établir une colonie. Eh bien, dans un cas semblable, il me semble que la garantie de l'avis conforme de la députation ne serait pas de trop.
La loi certainement a un but fort utile, et si elle est sagement appliquée, elle pourra amener des résultats heureux. Mais à côté de cette utilité de la loi, se trouve aussi la nécessité d'établir des garanties en faveur de la propriété et de l'intérêt communal. Vous l'avez fait jusqu'à un certain point pour l'article premier ; pourquoi cette garantie serait-elle négligée lorsqu'il s'agit de l'article 7 ? Car je ne sais quelles règles seront suivies, lorsque l'article 2 sera applicable. Est-ce qu'il suffira d'un simple arrêté royal pour mettre le gouvernement en possession, même contre l'avis des conseils communaux et de la députation provinciale ? Ou suivra-t-on les règles établies par les lois de 1810 et de 1835 sur l'expropriation ?
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Evidemment.
M. d’Hoffschmidt. - Ainsi l'intention du gouvernement serait que les règles établies par les lois de. 1810 et de 1835 en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique fussent suivies, lorsqu'il s'agirait de l'application de l'article en discussion. Mais cela n'était pas dit, et il était important que nous eussions une explication sur ce point.
Dans tous les cas, messieurs, je ne vois pas pourquoi nous repousserions la garantie que réclame l'honorable M. Osy, lui qui jusqu'à présent s'est montré favorable à la loi présentée. Je ne sais par quelle contradiction on trouverait que cette garantie est nécessaire lorsqu'il s'agit de l'application de l'article premier et que, lorsqu'il s'agit de l'article en discussion, on pourrait s'en passer.
Vous avez supposé, en adoptant cette condition dans l'article premier, que le gouvernement pouvait se tromper, pouvait errer en quelque sorte, lorsqu'il s'agirait de la vente des terrains communaux. Maintenant vous supposez que le gouvernement n'a plus besoin de l'assentiment de la déportation permanente. Je crois qu'il y a là une véritable contradiction.
M. le ministre de l'intérieur disait tout à l'heure : Vous avez une garantie, c'est que le gouvernement devra rester dans les limites des crédits Messieurs, si le gouvernement, lorsqu'il nous demande des crédits, nous soumettait un plan de ce qu'il va faire, je concevrais qu'il y eût une garantie dans le vote même de la chambre. Mais tout à l'heure, par un article subséquent, nous allons voter déjà un crédit considérable, et nous ne savons nullement comment il sera appliqué. Avec ce crédit de 500,000 fr., le gouvernement pourra faire l’acquisition de plusieurs milliers d'hectares de bruyères.
Vous voyez donc que cette faculté que nous lui accordons, même dans les limites du crédit que nous allons voter et qui pourra encore être augmenté, est déjà fort large.
Il me semble donc, messieurs, qu'il convient d'adopter pour l'article en discussion la garantie que vous ayez admise pour l'article premier. Comme vous l'a dit l'honorable préopinant, on trouve dans les lumières des députations l'assurance que lorsqu'il s'agira d'un projet bien mûri, bien utile, on ne rencontrera pas d'opposition ; dans le cas contraire cette opposition serait sage et prudente.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, il est bien évident que lorsque le gouvernement fera usage des dispositions de l'article 7, il devra se conformer à la procédure établie par la loi de 1835 sur l'expropriation pour cause d'utilité publique. Aucune procédure spéciale n'est*organisée pour ce cas par la loi que nous discutons ; force donc est de recourir à la procédure organisée par la loi générale.
Messieurs, les motifs particuliers se pressent ici en foule pour se dispenser de demander l'avis conforme de la députation permanente.
Je dirai d'abord que si dans l'article premier nous avons réclamé l'avis conforme de la députation permanente, nous nous sommes en quelque sorte écartés du principe général d'après lequel le gouvernement pouvait seul déclarer qu'il y a utilité publique, sans avoir besoin d'un avis conforme.
Quant à l'article premier, nous avons proposé de stipuler cette garantie, parce qu'il s'agissait là d'une mesure générale qui peut être applicable successivement à toutes les communes qui possèdent des terrains incultes, et que dans l'application de l'article premier, il s'agira, la plupart du temps, de terrains pour lesquels le gouvernement n'aura rien dépensé.
(page 850) Mais ici, messieurs, il en est tout autrement. Où cet article va-t-il recevoir son application ? Evidemment là où le gouvernement aura fait des dépenses considérables, et spécialement là où des travaux de canalisation sont établis. Or, lorsque nous aurons voté des millions pour les canaux de la Campine, il est bien juste que l'on retire, tant pour les communes que pour l'Etat, tous les avantages accessoires de ce canal. Lorsqu'il a été décrété, on a eu surtout en vue le défrichement des bruyères de la Campine et le défrichement le plus utile.
Il ne s'agit pas seulement, messieurs, de créer des prés au moyen de l'irrigation, mais l'irrigation peut être utile pour la création de terres labourables. C'est ainsi que cela se pratique dans différents pays de l'Allemagne. On a créé de grandes quantités d'excellentes terres labourables au moyen de rigoles qu'on a introduites dans les terrains incultes et qui ont empêché ces terrains de se dessécher avec excès, ce qui arrive dans les terrains sablonneux et ce qui les rend tout à fait stériles.
Ainsi donc l'irrigation a pour objet, tout aussi bien la création de terres labourables, que la création de prés. D'autre part, ainsi que je l'ai dit, il peut être utile pour donner de la valeur aux terres, aux prés que le gouvernement se propose de créer, d'indiquer la formation de certains centres d'habitations et d'y aider. Ainsi je citerai pour exemple la Pierre-Bleue, parce que c'est là un point très favorable tout à la fois pour la culture et pour le commerce. Voilà un point qu'on pourrait assez naturellement indiquer pour devenir un centre d'habitations. Eh bien ! il faut que le gouvernement ait le moyen de diviser le sol en portions telles qu'il facilite l'établissement de ce centre d'habitations.
Mais, dit-on, la province donnera toujours un avis favorable à ce qui est utile. Messieurs, j'aime à le croire. Cependant le contraire peut arriver. Il peut exister encore certaines opinions erronées dans le sein d'une députation permanente. Et puis les travaux peuvent s'étendre sur les terrains limitrophes de deux provinces. Dans ce cas encore, il ne faut pas que le gouvernement soit subordonné à l'avis conforme des deux députations.
Mais, dit-on, le gouvernement pourrait abuser, par exemple, dans les Ardennes, là où le gouvernement n'aura aucuns travaux à faire, soit pour le défrichement, soit pour les irrigations, et où il faudrait simplement amener l'aliénation des terrains communaux ; si la députation refuse son avis conforme, le gouvernement recourra à l'expropriation.
Messieurs, à mon avis, ce ne serait pas là exécuter la loi de bonne foi. Ce n'est pas de cette manière que l'exécution de la loi doit se faire. L'exécution doit se faire dans le sens que je viens d'indiquer et qui est le sens tout naturel de l'article. Le crédit de 500,000 fr., d'ailleurs, est bien limité, si l'on fait attention que la majeure partie de ce crédit sera employée constamment à des travaux d'irrigation, indépendamment des acquisitions que le gouvernement pourra faire. Ces acquisitions ne seront d'ailleurs pas ordinairement bien étendues ; je pense qu'elles seront, la plupart du temps, très limitées.
J'ajouterai, messieurs, comme je l'ai déjà dit dans l'exposé des motifs, que cette opération ne sera en aucun cas onéreuse au gouvernement. Il est à prévoir que les communes se refusent à seconder le gouvernement dans ses vues, et s'il est obligé de recourir à une expropriation, le gouvernement sera indemnisé et au-delà des avances qu'il aura faites. Et ici, messieurs, je dirai que le gouvernement n'entend nullement se constituer en perte, que son intention est, dans le cas même où les communes se porteraient spontanément à laisser faire des travaux d'irrigation, d'exiger une certaine indemnité pour les frais généraux et spéciaux qu'il pourrait faire, par exemple, une indemnité de 5 p. c. sur les biens à vendre, indemnité qui sera facilement consentie par les communes, de telle manière que tous les intérêts se concilieront facilement.
M. Osy. - Messieurs, plusieurs honorables collègues, qui étaient contraires à l'article premier, nous ont déclaré qu'ils n'avaient pas assez de confiance dans les députations provinciales. M. le ministre de l'intérieur et plusieurs membres qui soutenaient la loi, ont au contraire manifesté beaucoup de confiance dans les députations. Je suis étonné qu'aujourd'hui les opinions changent complétement. Le gouvernement n'a plus dans les députations cette confiance dont il nous parlait au commencement de la discussion.
Quant à moi, messieurs, j'ai toute confiance dans les députations, tellement que tout ce que nous ont dit les honorables députés du Luxembourg ne m'ont nullement ému. Je suis persuadé que si, comme ces honorables membres l'ont prétendu, la loi est contraire au Luxembourg, elle y sera une lettre morte, parce que la députation s'opposera à sou application.
Messieurs, l'article 7 n'est pas seulement applicable aux irrigations, mais il l'est aussi au défrichement. Le gouvernement ne peut certainement tout voir par lui-même, il peut être induit en erreur par les ingénieurs qui pourraient dire : Il faut exproprier telle partie de bruyère, telle partie de commune.
Eh bien, messieurs, le tuteur-né des communes, qui est la députation, pourra mieux savoir si effectivement il ne serait pas préférable d'attendre que les terrains aient acquis plus de valeur et que les communes puissent en tirer un prix plus élevé. Je suis convaincu, d'un autre côté, que les députations s'entendront parfaitement avec le gouvernement, qu'elles ne feront pas d'opposition là où elles n'y seraient pas contraintes par l'intérêt réel des communes. Ainsi, messieurs, mon amendement sera utile dans toutes les parties du royaume, dans le Luxembourg comme dans la Campine, et il n'en résultera aucune espèce d'embarras pour le gouvernement.
M. Desmet. - Messieurs, cet article est d'après moi très important ; c'est le deuxième moyen du projet, mais je le préfère au premier. Voici comme j'entends cet article : dès qu'un bien communal gêne le défrichement, ce bien pourra être exproprié. Ainsi dans un canton de terres basses ou des dessèchements doivent être opérés, si un bien communal entrave ces dessèchements, le gouvernement pourra l'exproprier pour pouvoir arriver à dessécher tout le canton. Aussi, messieurs, je demanderai s'il ne serait pas nécessaire d'ajouter à l'article le mot desséchement. On parle d'irrigations et on ne parle pas de dessèchements ; cependant ce n'est pas du tout la même chose, c'est au contraire l'opposé. Je citerai l'exemple du vry-geweid ; le vry-qeweid aura besoin, non pas d'être irrigué, mais d'être desséché. Je pense donc que pour éviter toute difficulté,, toute chicane, il serait bon d'ajouter à l'article le mol dessèchement.
L'honorable M. d’Hoffschmidt a craint que le gouvernement n'abusât de la somme considérable dont il pourra disposer. Cette somme est en effet assez forte puisqu'elle s'élève à 500,000 fr. par an, pendant 5 années, ce qui fait 2,500,000 fr.
Un membre. - Ce n'est que 500,000 fr., c'est un fonds roulant.
M. Desmet. - Quoi qu'il en soit, cette somme ne pourra pas être employée à faire des colonies ; le gouvernement pourra seulement en faire usage pour aider au défrichement, pour faire des irrigations et des dessèchements. Or, messieurs, ces moyens seront aussi utiles pour le Luxembourg que pour le Limbourg. On a dit à la vérité que dans le Luxembourg il n'y a pas de terrains à irriguer ou à dessécher ; mais je pense que c'est une erreur et que toutes les vallées des rivières peuvent être améliorées ; je connais, par exemple, les rives de l'Ourthe, et je suis convaincu que là il y a beaucoup à faire.
M. de Haerne. - Messieurs, dans toute cette discussion, surtout lorsqu'il s'est agi de faire ressortir l'utilité de la loi, on a eu en vue l'intérêt général ; on a même dit à plusieurs reprises qu'ici l'utilité publique se confondait avec l'intérêt général. Je ne crois pas non plus qu'il faille établir, pour le cas dont il s'agit, une différence entre ces deux ordres d'idées ; différence, d'ailleurs, assez difficile à saisir. Quoi qu'il en soit, puisque l'article premier a été rédigé dans ce sens qu'il s'agit de l'intérêt général, il me semble que nous devons être conséquents avec nous-mêmes et appliquer ce principe à tous les autres articles de la loi. Or, si nous partons de cette idée, je crois que nous ne pouvons pas admettre l'amendement de l'honorable M. Osy ; car les députations permanentes, bien qu'en général elles doivent inspirer sans doute beaucoup de confiance, ne représentent pas, cependant, l'intérêt général, comme le gouvernement le représente.
M. le ministre de l'intérieur a déjà signalé un des inconvénients qui résulteraient de l'adoption de cet amendement ; il a fait remarquer qu'il pourrait s'élever des conflits entre deux députations permanentes.
Lorsque deux députations seraient ainsi en opposition l'une avec l'autre, il est évident qu'elles ne pourraient pas avoir raison toutes les deux, et cependant si l'amendement était admis le gouvernement serait obligé, de se conformer à leurs décisions, c'est-à-dire que dans ce cas il ne pourrait rien faire.
Messieurs, en m'appuyant toujours sur l'intérêt général, je me permettrai de vous soumettre une autre observation relativement aux limites dans lesquelles l'article en discussion renferme fatalement l'action du gouvernement. Cet article dit que les biens de la même nature (c'est-à-dire les biens dont il s'agit à l'article premier) pourront être expropriés dans la limite des crédits ouverts au gouvernement, soit pour l'irrigation soit pour le défrichement,
Je crois, messieurs, que si l'on pouvait élargir le cercle des opérations agricoles auxquelles le gouvernement sera autorisé à donner l'impulsion, on obtiendrait un grand avantage en vue du but qui a été indiqué dès le début de la discussion, et qu'on a fait valoir surtout lorsqu'on est venu demander les crédits dont il s'agit dans l'article 8.
Je veux parler de l'intention qu'on a manifestée de venir au secours des classes nécessiteuses, d'une manière large et générale par un bon système de colonisation. Eh bien, messieurs, il me paraît évident qu'en combinant l'article dont il s'agit avec un article subséquent, avec l'article 11 du projet primitif de la section centrale, on doit reconnaître que l'action du gouvernement sera singulièrement restreinte, qu'on procédera très lentement et que ce système d'irrigations et de défrichements auquel on aura recours, sera insuffisant pour procurer un soulagement quelconque aux classes nécessiteuses.
En effet, messieurs, le crédit de 500,000 fr. accordé au gouvernement est évidemment très restreint, et je crois que les populations qui se trouvent là où il s'agit de défricher, seront suffisantes pour les travaux que le gouvernement fera exécuter au moyen de ce crédit. Je ne dis pas que la population actuelle de ces localités suffira pour faire tous les travaux qui seront successivement exécutés ; mais cette population augmentera, et par conséquent, il ne pourra pas y avoir de colonisation, c'est-à-dire de transplantation des classes nécessiteuses d'autres parties du pays, notamment des Flandres, qu'un large système de colonisation pourrait sauver.
Je voudrais savoir, messieurs, si l'on ne pourrait pas adopter, à cet égard, une grande idée de civilisation et de véritable progrès, si on ne pourrait pas autoriser le gouvernement à faire un appel aux capitaux, à faire un appel à l’esprit d'association, dans le but de procéder sur une grande échelle à l’établissement d'un système de colonisation. Voyez, messieurs, ce qui se passe dans d'autres pays, où, comme l'a fort bien fait remarquer tout à l'heure M. le ministre de l'intérieur, tous les vœux semblent appeler le développement de l'industrie agricole comme le seul remède efficace à opposer au paupérisme qui désole une grande partie de l'Europe. Voyez ce qui se (page 851) passe en Irlande, par exemple, en Allemagne, dans les Etats pontificaux, depuis le règne de ce grand Pape qui s'attache à réaliser tous les progrès compatibles avec l'ordre ; je dis que l'exemple de ces pays peut nous donner d'utiles renseignements.
Vous devez avoir vu, messieurs, que l'Irlande, qui se trouve dans un si déplorable état de détresse, que l'Irlande renferme assez de terrains incultes pour nourrir non seulement sa population actuelle, mais même une population plus que double de celle-là. Un membre du parlement a démontré que si l'on parvenait à défricher toutes les terres incultes de l'Irlande, on pourrait nourrir jusqu'à 17 millions d'habitants. C'est sur cette base que lord John Russel établit ses vastes projets de défrichements qui doivent sauver l'Irlande. Je ne sais pas si les calculs faits en Angleterre seraient exactement applicables à la situation de notre pays ; si la nature des terrains, par exemple, est la même dans les deux pays ; mais si je dois m'en rapporter à ces calculs, ils prouvent qu'il ne faut que deux hectares pour nourrir un ménage, une famille. En parlant de ce point, messieurs, et en évaluant à 300,000 hectares la quantité de terrains incultes qui existent en Belgique (c'est, je crois, la quantité admise par la statistique), je trouve que si l'on parvenait à défricher seulement la moitié de ces terres incultes, on pourrait nourrir une population de plus de 250,000 âmes, ce qui ferait la moitié de la population pauvre des Flandres. Ces ouvriers actifs et laborieux continueraient à se livrer à l'industrie qu'ils exercent maintenant, ou à toute autre industrie manufacturière. Eh bien, messieurs, qu'en résulterait-il ? C'est qu'en désencombrant nos malheureuses provinces de la moitié de leurs populations qui meurent de faim, le reste de ces populations serait bientôt dans l'aisance ; car, remarquez que dès que la classe ouvrière ne serait plus aussi considérable, nécessairement la concurrence de tous ceux qui ont besoin de bras pour faire exécuter des travaux quelconques, soit des travaux agricoles, soit des travaux industriels, soit des travaux d'utilité publique, cette concurrence ferait aussitôt hausser notablement les salaires. Ainsi la moitié de la classe pauvre, qui resterait dans nos provinces, et qui est aujourd'hui désolée par le besoin et la famine, la moitié de cette classe pauvre se trouverait bientôt même dans une position normale.
M. le président. - Nous rentrons dans la discussion générale.
M. de Haerne. - M. le président, je parle sur l'application du principe de l'article en discussion. Du reste je vais à l'instant même tirer ma conclusion.
Je dis donc, messieurs, que si l'on pouvait entrer dans un système large de colonisation, on atteindrait un grand but, celui de mettre fin au paupérisme qui nous désole. Ce serait la plus grande œuvre que puisse entreprendre le gouvernement ; une œuvre plus belle, et beaucoup plus utile que celle de l'établissement de nos chemins de fer qui cependant nous fait tant d'honneur à l'étranger.
Vous me direz, messieurs : Quelle est donc la modification que vous voudriez apporter à l'article ? Je proposerai d'accorder au gouvernement la faculté de permettre aux particuliers, aux capitalistes auxquels il pourrait faire un appel, de permettre à des sociétés d'exproprier et de défricher en dehors des limites des crédits alloués au budget. De cette manière, je ne dis pas qu'on atteindrait nécessairement le but, mais au moins on ne mettrait pas obstacle à ce qu'il fût atteint, et je pense bien que l'on parviendrait à réaliser ces vues en grande partie par les moyens que le gouvernement aurait à sa disposition pour donner de l'émulation à des sociétés à créer. Le principe d'association et celui de colonisation sont ceux qu'invoque l'école économique moderne pour extirper la plaie du paupérisme.
J'ajouterai, messieurs, un fait qui est à ma connaissance. Des capitalistes, au nombre desquels il y a, je pense, des Anglais, se sont adressés au gouvernement pour obtenir l'autorisation de procéder à l'établissement d'un vaste système de défrichement en Belgique.
La même proposition a été faite par des capitalises à d'autres gouvernements. Je ne sais si les conditions proposées par ces compagnies sont toutes acceptables ; mais dans le cas où l'on ne pourrait donner cette espèce de concession à la société qui a offert son concours au gouvernement belge, d'autres ne se présenteraient-elles pas ? Ne pourrait-on pas faire des sacrifices en faveur de pareilles sociétés, et favoriser la direction des capitaux vers les exploitations agricoles ?
Il serait utile de modifier l'article en discussion dans ce sens qu'il ne serait plus obstatif à ce grand projet qui, je le répète, a été mis en avant quand on est venu solliciter le crédit nécessaire pour atteindre le but proposé par le projet de loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je ne veux pas blâmer l'idée qui a été émise par l'honorable préopinant ; mais il est certain que d'après les inquiétudes qui se sont manifestées dans la discussion générale, une telle modification à l'article 7 viendrait les raviver tout entières. Je crois que si une société se présentait pour défricher un domaine d'une certaine étendue, pour y établir une colonie, il faudrait pour cela, s'il y avait lieu, une loi spéciale. Ainsi, messieurs, il ne faut pas faire mention de ce cas dans le présent article.
Je dirai qu'en ce moment on cherche à constituer une société pour le défrichement d'un grand domaine particulier ; cela pourra peut-être servir d'exemple, après qu'on aura vu les résultats.
Messieurs, ce qui doit rassurer complétement l'honorable M. Osy et l'engager à ne pas insister sur son amendement, c'est que le gouvernement a exprimé bien clairement son intention, en répondant à la question suivante qui lui avait été adressée par la section centrale :
« Le gouvernement a-t-il l'intention de recourir à l'expropriation, même contre les communes qui consentiraient à laisser irriguer leurs bruyères et à restituer ensuite les avances que cette opération aurait nécessitées ? » J'ai répondu :
« L'expropriation, en ce cas, serait inutile. Partout où les communes voudront prendre l'initiative, bien loin de mettre obstacle à l'exécution de leurs projets, le gouvernement les favorisera autant qu'il le pourra. L'expropriation est un moyen dont il ne se servira qu'en cas de nécessité. »
Ainsi vous voyez, messieurs, qu'il n'y a absolument aucun motif pour ne pas adopter la proposition du gouvernement, proposition qui, comme l'ont dit l'honorable M. Rogier et d'autres membres, est la partie principale de la loi.
Messieurs, il s'agit de pousser à une exécution prompte de ces travaux ; cela procurera immédiatement beaucoup de travail ; cela procurera aussi des cultures considérables dans la Campine. Il faut donc éviter d'ajouter ici des entraves superflues, qui ne feraient qu'ajourner des travaux d'une nécessité aussi incontestable.
M. Lejeune. - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire. J'ai demandé la parole pour contester le sens restrictif que paraît donner l'honorable M. Desmet à l'art. 7. L'honorable M. Desmet ne voit dans cet article qu'un moyen pour le gouvernement d'aider au défrichement, c'est-à-dire de faire tous les frais et de ne pouvoir jamais défricher la moindre partie pour le compte de l'Etat ; en d'autres termes, de supporter toutes les charges et de n'avoir jamais à retirer un bénéfice éventuel et légitime. Ainsi, le gouvernement aura à faire des canaux, des routes, des églises, des presbytères, des écoles, et jamais il n'aurait occasion de profiter des circonstances pour rentrer dans ses fonds.
Je pense que dans l'intérêt public il faut entendre l'article 7 dans son sens le plus large, dans le sens qu'a paru lui donner l'honorable M. Rogier. Cette disposition entendue ainsi n'est nullement dangereuse, parce qu'elle est limitée par les demandes de crédit que le gouvernement est. obligé de faire aux chambres ; le gouvernement ne pourra jamais acheter que dans les bornes des crédits qui lui sont alloués ; il n'y a aucun danger à entendre la disposition dans le sens le plus large.
Quant au mot dessèchement, que l'honorable M. Desmet voudrait ajouter aux mots irrigations et défrichement, je n'y verrais pas grand inconvénient ; mais je pense que cette addition n'est pas d'une nécessité absolue ; car lorsqu'on veut défricher, il faut commencer par dessécher quand il s'agit de marais. Le dessèchement est donc compris dans le terme de défrichement.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - C'est ainsi que nous l'entendons.
M. Lebeau. - Messieurs, je n'attache pas personnellement une très grande importance à l'amendement ; je sais qu'il y a une garantie dans le vote des chambres ; je l'ai reconnu tout d'abord ; mais je voudrais cependant qu'on ne fît pas une loi ridicule, qu'on ne mît pas une espèce de non-sens dans la loi.
Dans l'article premier, vous exigez le concours de la députation permanente pour le défrichement général, pour l'expropriation. Maintenant, dans l'article 7, vous faites disparaître cette garantie ; vous ne donnez plus à la députation que voix consultative. Eh bien, voici ce qui peut arriver : D'abord, à l'aide du crédit demandé et de celui qui a été antérieurement accordé au gouvernement, il pouvait acheter près de 10,000 hectares de bruyères dans les Ardennes par voie de dépossession forcée ; et, comme en vertu de l'article 8, il peut revendre, après avoir exproprié, et que vraisemblablement le gouvernement entend faire usage, pour la même destination, des fonds qui pourront rentrer dans ses caisses, le gouvernement pourrait aussi faire vendre à peu près toutes les bruyères en quelques années, ou les acheter d'abord pour son compte.
Je sais bien que le gouvernement ne fera pas cela ; mais je dis que la loi lui permet de le faire, tandis que dans l'article premier vous avez voulu précisément le contraire. Ainsi, par exemple, comme l'article 7 ne s'applique pas seulement aux irrigations, à la Campine, supposez que le gouvernement rencontre de la résistance dans l'intention qu'il aurait de vendre 2 à 3,000 hectares appartenant à des communes des Ardennes ; rencontrant une résistance insurmontable dans l'opposition du conseil communal et de la députation permanente, le gouvernement n'a qu'à abandonner l'article premier pour se servir de l'article 7 ; et en vertu de cet article, il a raison de l'opposition et du conseil communal et de la députation permanente.
C'est là une absurdité ; je sais que c'est une absurdité hypothétique, mais aussi, c'est une absurdité législative. Ce que le gouvernement ne pourra pas faire en vertu de l'article premier, il peut le faire le lendemain en vertu de l'article 7. (Interruption.) Oui, il ne le fera pas ; mais il ne le fera pas, parce que tel sera son bon plaisir, et non parce que la loi le lui défendra.
Je demande si c'est là une disposition de bon sens.
J'insiste sur cette dernière considération : Je ne vois pas une seule raison pour se défier, à l'article 7, de l'intervention de la députation permanente, quand vous l'avez admise dans une hypothèse moins favorable. Vous avez dit que l'article 7 avait surtout en vue la Campine et que vous étiez là assurés du concours de tout le monde ; mais alors pourquoi vous défier de la députation quand vous ne vous en défiez pas en ce qui regarde les provinces de Luxembourg, de Liège et de Namur ? C'est une (page 852) inconséquence. Si vous n'admettez pas l'amendement, la loi consacrera une inconséquence, une absurdité, je dirai presque un ridicule.
M. Desmet. - Je demande la parole pour répondre deux mots à l'honorable M. Lejeune. Je ne crois pas avoir dit que le gouvernement devait se borner à faire des maîtresses rigoles ou des canaux d'écoulement, voire même des églises. J'ai dit que le gouvernement pouvait faire des dessèchements et des défrichements, mais qu'il ne pouvait pas faire élever des bâtiments ou former des établissements. Je pense qu'il doit rester dans les termes de la loi, défricher, irriguer, dessécher.
Si on pouvait aller aussi loin que quelques membres le prétendent, le gouvernement pourrait abuser de la somme qui lui est confiée. A cet égard je répondrai à l'honorable M. Lebeau, que sans doute le gouvernement, avec la somme qu'il demande, pourrait acheter 10 mille hectares de terre dans les Ardennes, mais il ne pourrait pas y exécuter des travaux de défrichement. Il faut rester dans les limites tracées par les mots défrichement, desséchement.
M. Orban. - L'honorable M. Lebeau vient de démontrer que, par la rédaction de l'article qui nous occupe, on détruisait les garanties données par l’article premier. En effet, quand on ne pourrait pas avoir l'avis conforme de la députation pour faire vendre, le gouvernement exproprierait directement, sauf à faire revendre après ce qu'il aurait acquis par expropriation. J'ajouterai qu'au moyen de cet article rédigé comme il est, on viole une autre garantie accordée aux communes, et qui consiste en ce que celles-ci ne soient dépossédées que pour faire passer leurs propriétés dans les mains de nouveaux propriétaires qui seraient tenus de les cultiver. Ce n'est qu'à la condition d'améliorer le sol, de le rendre à la culture, que la vente par expropriation se justifie ; mais quand le gouvernement achète, qu'il exproprie directement, il n'est pas obligé de soumettre son acquisition à la condition de culture ; de cette manière, les bruyères peuvent sortir des mains de la commune, sans changer de nature. Il résulte, en effet, des explications qui nous ont été données que le gouvernement est autorisé à exproprier non seulement les terrains qui peuvent être soumis à un système d'irrigation, mais ceux qui doivent être défrichés.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il faut admettre que le gouvernement agira selon l'esprit de la loi.
M. Orban. - M. le ministre des finances me dit qu'il faut supposer que le gouvernement agira selon l'esprit de la loi. La garantie doit se trouver dans la loi et non dans la bonne volonté de ceux qui gouvernent. L'observation de M. le ministre prouve une chose, c'est que la garantie n'existe pas dans la loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - La discussion trouve un terme clair dans la combinaison des articles 7 et 11, qui sont en corrélation.
L'article 7 porte : « Les biens mentionnés à l'article premier pourront être expropriés dans les limites des crédits ouverts au gouvernement, soit pour les irrigations, soit pour les défrichements ; l'arrêté d'expropriation devra être précédé de l'avis des conseils communaux intéressés et de la députation permanente du conseil provincial. »
L'article 11 porte : « Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit de trois cent cinquante mille francs (fr. 350,000), qui, avec le crédit de 150,000 fr., voté par la loi du 20 décembre 1846, forint ra une somme de 500,000 fr. pour mesures relatives aux défrichements, aux irrigations et à la colonisation de la Campine, et ailleurs, s'il y a lieu. »
Ces deux articles sont intimement en rapport, leur sens est bien clairement précisé, je ne conçois pas qu'il puisse encore exister des doutes.
L'honorable M. Orban dit : Le gouvernement imposera-t-il des conditions de culture ? Sans doute, c'est dans ce but qu'il fera des travaux préparatoires ; c'est, du reste, ce qu'il fait aujourd'hui qu'il n'y a pas de loi. Dès les premiers arrangements avec les communes, il a eu soin de stipuler la mise en culture. Evidemment je ne conçois pas la portée de cette discussion.
- La discussion est close.
La substitution des mots : « les biens mentionnés à l’article premier », à ceux-ci : « les biens de même nature », est adoptée.
L'amendement de M. Osy, consistant à exiger l'avis conforme des députations, est ensuite mis aux voix. Il n'est pas adopté.
L'article 7-8, tel qu'il a été amendé, est ensuite adopté.
M. le président. - Nous passons à l'amendement de M. d'Hoffschmidt, qui deviendrait l'article 9.
Il est ainsi conçu :
« La faculté accordée au gouvernement, par les articles 1 et 7, ne pourra s'appliquer qu'au tiers seulement des terrains incultes appartenant à chaque commune ou section de commune. L'aliénation des deux autres tiers ne pourra s'opérer qu'avec l'assentiment du conseil communal. »
M. d’Hoffschmidt. - Je dirai d'abord que mon intention est d'apporter un changement de rédaction à mon amendement, en ce qu'il ne serait appliqué qu'à l'article premier. Il serait ainsi modifié :
« La faculté accordée au gouvernement, par l'article premier, ne pourra s'appliquer, etc. »
J'aborde maintenant les développements de cet amendement : Vous avez accordé au gouvernement le droit d'ordonner la vente des terres incultes appartenant aux communes. Je crois que cette faculté ne doit pas s'étendre à la totalité de ces terrains ; et je puise cette opinion et dans les avis qui ont été donnés quand on a consulté les députations permanentes des conseils provinciaux sur la question du défrichement, et dans les brochures qui ont été publiées sur cette question, et dans la discussion même du projet de loi. Si nous consultons les avis des députations des conseils provinciaux, nous nous trouvons unanimes sur ce point, c'est que la vente par expropriation forcée par le gouvernement, si elle est accordée, ne doit être effectuée que d'une manière lente et que surtout on doit bien se garder d'en vendre la totalité.
Ainsi, par exemple, la commission d'agriculture du Brabant s'exprime en ces termes :
« Dans l'application il faut procéder à la vente et au défrichement des grandes bruyères, avec une sage lenteur, successivement et non tout à la fois. »
Le conseil provincial de Namur s'exprime à son tour en ces termes : « Quant aux ventes des biens communaux à défricher, les habitants doivent obtenir une préférence exclusive, tant qu'il s'en présente pour les acheter et il doit rester dans chaque commune une partie suffisante réservée au pâturage commun. »
Le conseil provincial de Liège, dans sa séance du 18 juillet 1848 s'exprimait ainsi :
« Il ne faut pas que la totalité des terres communales puisse être vendue ; la majorité n'est favorable aux défrichements que dans les cas où ils auraient lieu seulement et petit à petit. »
Le conseil provincial d'Anvers dit :
« Les essais infructueux de colonisation lui font regarder ce moyen comme peu propre à remplir les vues du gouvernement ; elle craint que les ventes immédiates et en masse n'aboutissent qu'au boisement général des bruyères, ce qui créerait des valeurs lentes et éloignées, et n'offrirait aucune ressource prochaine à la population ; elle prévoit la nécessité de recourir un jour à l'expropriation pour cause d'utilité publique ; elle conclut à la vente de petites portions chaque année, en accordant aux défricheurs des exemptions analogues à celles comprises dans l'ordonnance de Marie-Thérèse, du 25 juin 1772, et en décernant des primes pour les défrichements opérés avec intelligence et couronnés de succès. »
Enfin, messieurs, vous connaissez l'opinion de la députation permanente du Luxembourg, qui était même contraire au principe de la vente par expropriation forcée.
Si nous passons maintenant aux brochures les plus importantes qui ont été publiées sur cette matière, nous trouvons en quelque sorte la même unanimité.
Ainsi, une brochure fort intéressante a été publiée par M. Bonjean, conseiller à la cour d'appel de Liège, qui connaît parfaitement le Luxembourg où il a résidé longtemps et où il a même été vice-président du conseil provincial. Eh bien, M. Bonjean, favorable cependant à la vente par expropriation forcée, est d'avis que dans tous les cas il faut conserver un cantonnement pour les pauvres dans chaque commune M. Bivort, autre Luxembourgeois, dans une brochure également très intéressante sur cette question, se prononce formellement contre la vente en totalité. Il veut que l'on réserve une certaine étendue dans chaque commune.
En examinant les opinions qui ont été émises dans la discussion du projet de loi, nous trouvons aussi que chaque membre qui a pris la parole, a toujours fait des réserves quant à la vente en totalité des terrains incultes appartenant aux communes. Mon honorable ami M. d'Huart s'est exprimé dans ce sens ; et il a même été interrompu par un honorable membre, appartenant à la Campine limbourgeoise, qui s'est écrié que s'il était question de voter l'aliénation totale des bruyères appartenant aux communes, il serait le premier à s'opposer à la loi. L'honorable, M. d'Elhoungne a exprimé la même opinion ; et l'honorable M. Rogier l'exprimait encore tout à l'heure.
Les membres mêmes les plus portés pour le projet ont fait leurs réserves et ont déclaré qu'ils seraient contraires à une aliénation totale, ils ont déclaré que les ventes devaient s'opérer avec infiniment de prudence et de sagesse. M. le ministre de l'intérieur dans tous les documents qu'il nous a remis, et dans tous les discours qu'il a prononcés, a exposé absolument les mêmes principes quant à la manière d'appliquer la loi.
Le conseil d'agriculture, qui a été si favorable au principe consacré dans le projet, qui voulait même qu'on ne demandât pas l'avis conforme de la députation, dit encore qu'il faut que l'on applique la loi avec une sage lenteur, qu'il serait dangereux, imprudent en quelque sorte, de vouloir aller trop vite en cette matière.
Vous le voyez, messieurs, il y a unanimité sur ce point : c'est qu'au lieu d'utilité publique, il y aurait danger dans la vente totale trop précipitée des terrains dont il s'agit. Voyons maintenant quelle est la quantité de terrains incultes en Belgique. Il en existe 320,804 hectares, dont 115,620 appartiennent déjà aux particuliers et 205,584 hectares appartiennent aux communes. Le tiers des terres appartenant aux communes formerait donc déjà une quantité de 68,395 hectares, qui, ajoutés aux 115,620 hectares qui sont dans le domaine privé, formeraient un total de 184,015 hectares sur lesquels l’action privée et l'action gouvernementale pourraient se porter. Je dis, messieurs, que cela laisse déjà un très vaste champ à toutes les améliorations que le gouvernement a en vue dans le système de son projet.
Car qu'on ne s'y trompe pas ; qu'on ne se fasse pas cette illusion, qui a été peut-être trop facilement adoptée, dans cette enceinte, de croire que le défrichement peut marcher fort rapidement, qu'il suffit d'adopter quelques dispositions législatives, de mettre les biens communaux dans le domaine privé, pour que le défrichement marche à grands pas ; ce serait là une erreur. Quoi que vous adoptiez, le défrichement sera toujours soumis à la loi d'une sage lenteur et ne se fera que progressivement. Ainsi par exemple, je suis intimement convaincu que l'on ne défrichera pas plus de mille hectares par année, quelque mesure que vous adoptiez. Si nous obtenions déjà un semblable résultat, si les effets de la loi étaient (page 853) tels que mille hectares fussent mis annuellement en culture d'une manière sérieuse, c'est-à-dire qu'ils produisissent des céréales, je dis que ce serait déjà un très beau résultat.
Dès lors, messieurs, je vous le demande, est-il nécessaire que dès maintenant vous accordiez au gouvernement une faculté aussi exorbitante que celle d'exproprier une aussi grande masse de terrains communaux ? Evidemment il n'y a pas la moindre nécessité de le faire, et du moment où il n'y a pas la moindre nécessité de le faire, l'utilité publique disparaît, et il est prudent de poser des limites, comme je propose de le faire par mon amendement, à l'éventualité des ventes sur une étendue trop considérable.
D'ailleurs, messieurs, en adoptant mon amendement, serait-ce un motif pour croire que les opérations du défrichement ne pourraient s'étendre que sur le nombre d'hectares que je viens d'indiquer ? Mais pas le moins du monde. Car évidemment, et d'après tous les faits que nous avons recueillis, nous sommes à même de le savoir positivement, indépendamment des terres privées, beaucoup de conseils communaux se prêteront à l'aliénation d'une certaine portion de leurs terrains. Si vous consultez la députation permanente du Luxembourg, elle vous dira qu'elle n'a jamais rencontré de résistance obstinée lorsqu'une proposition évidemment avantageuse était faite à un conseil communal. Si vous consultez le rapport de M. Kummer, vous trouvez que dans la Campine, du moment où le système d'irrigation qu'il a employé a été généralement apprécié, il a trouvé les plus grandes facilités dans les communes.
Ainsi, messieurs, en adoptant mon amendement, vous avez d'abord 115,620 hectares qui sont dans le domaine privé, et vous avez pour le gouvernement la faculté de faire vendre forcément 68,395 hectares appartenant aux communes. De plus, vous devez aussi compter, lorsque vous arriverez avec des projets bien conçus, bien mûris, d'une utilité évidente, sur les conseils communaux. Il ne faut pas que votre loi tout entière soit en quelque sorte une injure aux conseils communaux, une injure à leurs lumières, une injure à leurs sentiments patriotiques en matière d'utilité publique. Je crois que du moment où un système comme celui des irrigations sera bien apprécié, on trouvera au contraire toutes les facilités possibles vis-à-vis des administrations provinciales et communales.
J'ajouterai encore, pour ceux de nos honorables collègues qui sont extrêmement favorables au projet de loi, qui poussent leur heureuse illusion jusqu'à voir dans le projet une source immense de prospérité pour le pays, que si au bout d'un certain nombre d’années leurs prévisions se réalisent et que les mesures adoptées soient par le gouvernement reconnues de la plus grande utilité pour le pays, je crois que non seulement on trouverait des facilités auprès des conseils communaux, mais qui se l'on venait démontrer à la chambre elle-même les bienfaits qu'on aurait obtenus par le projet, la chambre se montrerait facile pour étendre davantage la faculté que l'on demande maintenant.
Mais, messieurs, quelque convaincus que vous soyez de l'efficacité du projet de loi, pourquoi accorderiez-vous dès maintenant une latitude qui, en définitive, ne vous est pas nécessaire ? Vous pouvez accomplir avec mon amendement toutes les améliorations que vous voulez faire ; vous pouvez les accomplir, comme si vous aviez la faculté d'exproprier entièrement les communes !
Voici maintenant, messieurs, les avantages que nous obtenons en restreignant, comme le fait mon amendement, la faculté accordée au gouvernement ; c'est que d'abord les inquiétudes très vives, et même je dirai légitimes, que le projet de loi fait concevoir ,seront considérablement diminuées ou même disparaîtront presque entièrement. Du moment où chaque commune ou chaque particulier qui vit en quelque sorte de l'état actuel des choses, saura que l'expropriation ne peut s'étendre que sur un tiers des biens communaux, qu'il sera ainsi assuré de la conservation des deux autres tiers qui lui fourniront encore un parcours suffisant, il sera complétement rassuré.
Mais si les communes, si les administrations communales, si ces habitants savent, au contraire, que, d'après la loi, le gouvernement peut exproprier en totalité les biens communaux destinés au parcours et priver ainsi bien des familles de leurs moyens d'existence, évidemment il planera toujours des inquiétudes sur ces populations, auxquelles on ne persuadera pas que le gouvernement n'abusera pas de la loi. Nous-mêmes nous pouvons espérer jusqu'à un certain point qu'un gouvernement sage et éclairé n'abusera pas de la faculté qu'on lui accorde ; mais les habitants des campagnes ne voient que les termes de la loi, et ces termes sont de nature à les plonger dans les plus profondes inquiétudes.
Je crois donc, messieurs, que quel que soit l'engouement que l'on ait dans ce moment pour le projet de loi, on peut se borner à l'amendement que je propose, et que le gouvernement lui-même peut très bien s'en contenter. Quand on voit que le gouvernement pourra déjà agir forcément en quelque sorte sur 68 mille hectares de bruyères communales ; quand on voit que dans le domaine privé, il y a déjà plus de 115,000 hectares et qu'il rencontrera nécessairement de la part des administrations communales du bon vouloir pour tout projet utile, il me semble que la chambre ferait une chose sage et prudente en adoptant mon amendement.
- L'amendement de M. d'Hoffschmidt est appuyé.
M. Desmet. - Messieurs, je conçois la vive sollicitude que porte l'honorable M. d'Hoffschmidt à conserver aux communes, surtout dans le Luxembourg, les propriétés qu'elles possèdent, Nous savons que dans cette province, c'est à cause des biens communaux que possèdent les communes que les populations jouissent d'une certaine aisance, sont heureuses ; nous savons aussi que c'est à cet état de choses qu'est due l'absence de pauvres.
Sans doute, messieurs, tout habitant du Luxembourg doit tenir autant que possible à conserver ces propriétés aux communes. Le pauvre y trouve son nécessaire, il y trouve même ce dont il a besoin pour se chauffer.
Si on enlève ces propriétés aux communes, il pourra en résulter que le Luxembourg deviendrait aussi pauvre que les Flandres.
Mais je ne crois pas que l'amendement de l'honorable M. d'Hoffschmidt soit de nature à conserver aux communes leurs propriétés. Je crois au contraire que cet amendement, loin d'être utile, est dangereux ; car il en résulterait qu'il serait en quelque sorte admis que le gouvernement peut dans les Ardennes mêmes vendre un tiers des biens de chaque commune, et certainement telle n'est pas l'intention du gouvernement ni la portée du projet de loi.
Il peut être utile, messieurs, dans les Ardennes comme ailleurs, que dans certaines communes il soit vendu plus d'un tiers des propriétés communales, et que dans d'autres il n'en soit pas vendu du tout.
Messieurs, je trouve une garantie dans l'amendement qui nous a été présenté par l'honorable M. d'Huart, et que nous avons admis. S'il n'y a pas utilité publique de vendre dans les Ardennes, on ne vendra pas. Or, l'utilité publique y sera rarement constatée. D'ailleurs il faudra l'assentiment de la députation provinciale. En outre, à côté des 6 ou 700 mille hectares de biens communaux, vous avez 6 ou 700 mille hectares de biens privés, et on tâchera d'amener le défrichement des biens privés avant d'arriver au défrichement des biens communaux.
Ainsi, messieurs, je le répète, je crois l'amendement de l'honorable M. d'Hoffschmidt plus dangereux qu'utile ; il ne faut pas que le gouvernement croie qu'il peut enlever à chaque commune le tiers de ce qu'elle possède. Je ne pourrais donc voter cet amendement
M. le président. - La chambre n'est plus en nombre.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'ai l'honneur de déposer un projet de loi tendant à ouvrir au ministère des travaux publics un nouveau crédit provisoire de 1,107,981 fr. 05 c.
La chambre se rappellera qu'il n'a été accordé de crédits provisoires à ce département que pour les deux premiers mois de l'année.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi. Il sera imprimé et distribué.
La chambre le renvoie à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.
La séance est levée à 4 heures et un quart.