(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Vilain XIIII.)
(page 747) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Van Cutsem donne lecture du procès-verbal de la séance d'avant-hier, dont la rédaction est approuvée.
M. A. Dubus fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Les sieurs Vande Walle et de Keersmaecker, juge de paix et greffier du canton d'Audenarde, adressent à la chambre 98 exemplaires de leur pétition, qui a pour objet la réunion des deux cantons de justice de paix d'Audenarde, et prient la chambre de statuer sur cette demande. »
- Distribution aux membres de l'assemblée et renvoi à la commission des circonscriptions cantonales.
« Le sieur de Wael-Vermaelen présente des observations sur l'organisation de la société d'exportation. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi.
« Plusieurs habitants de Lierre prient la chambre de s'occuper, pendant la session actuelle, des projets de loi sur l'enseignement agricole, sur l'exercice de la médecine vétérinaire et sur l'organisation de l'école vétérinaire de l’Etat. »
- Renvoi aux sections centrales chargées d'examiner les projets de loi.
« Plusieurs habitants de Furnes demandent que la loi sur l'enseignement moyen contienne une disposition qui rende obligatoire, pour toutes les classes, l'enseignement dans la langue parlée par la majorité des habitants de la province. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur l'enseignement moyen.
« Lettre de M. C.-J. Van Nerum, professeur à l'école industrielle de Gand, accompagnant l'envoi de sa brochure intitulée : Un mot sur l'institution des concours appliqués aux écoles primaires ; in-8°, Gand, 1847. »
- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres.
Dépêche de M. le ministre des finances, accompagnant l'envoi du compte spécial des opérations relatives à la négociation des bons du trésor pendant l'année 1846.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce document.
Il est procédé à la prise en considération de 45 demandes de naturalisation ordinaire. Voici le résultat du vote :
Nombre des volants, 53.
Majorité absolue, 27.
Frédéric Heyerdahl, capitaine de navire, né à Christiansand (Norwége), le 19 juin 1803, domicilié à Anvers, a obtenu 53 suffrages.
Jean-Corneille Brarens, capitaine de navire en second, né à Oldsum (Danemark), le 3 octobre 1813, domicilié à Anvers, 53.
Jens-Jean Michaelsen, capitaine de navire, né à Morsum (Danemark), le 30 août 1800, domicilié à Anvers, 53.
Otto-Albert Ninteman, capitaine de navire, né à Papenbourg (Hanovre), le 5 décembre 1808, domicilié à Anvers, 53.
Jean-Herman Weyerts, capitaine de navire, né à Carolinen-Syhl (Hanovre), le 27 janvier 1813, domicilié à Anvers, 53.
Michel-Christian Michaelsen, capitaine de navire, né à lslede Silt (Danemark), le 11 septembre 1787, domicilié à Anvers, 53.
Charles-Henri Heisterhagen, musicien gagiste au 8ème régiment de ligne, né à Deckbergen (Hesse), le 4 décembre 1814, 42.
Benoit-Ernest Talion, garde-convoi à l'administration des chemins de fer de l'Etat, né à Quiévrechain (France), le 4 janvier 1806, domicilié à Bruxelles, 41.
Jean Hendschel, ancien militaire, né à Seevis (Suisse), le 28 octobre 1810, domicilié à Louvain, 41.
Guillaume Muller, maréchal ferrant au 2ème régiment de lanciers, né à Dagstuhl (Prusse), le 6 juin 1811, 41.
Pierre-Alexandre Fournel, négociant, né à Paris, le 25 avril 1815, domicilié à Bruxelles, 41.
Eugène Le Bègue, surveillant des travaux de la Meuse, né à Nemours (France), le 18 fructidor an II, domicilié à Liège, 40.
Jean-Baptiste Ovide, sergent au 5ème régiment d'infanterie, né à Mézières (France), le 31 août 1816, 40.
Charles Bernardy, employé à l'administration des chemins de fer de (page 748) l'Etat, né à Vianden (Luxembourg), le 9 septembre 1809, domicilié à Bruxelles, 40.
Gottlieb Gluge, professeur à l'université de Bruxelles, né à Brakel (Prusse), le 18 juin 1812, domicilié à Bruxelles, 42.
Pierre-Joseph Roland, sergent au 12ème régiment d'infanterie, né à Namur, le 28 novembre 1811, 41.
Adolphe-Gaspar Schulz, commis négociant, né à Francfort-sur-Mein, le 1er mai 1803, domicilié à Anvers, 44.
Philippe-Théodore Dassonville, employé à l'administration des chemins de fer de l'Etat, né à Lille (France), le 26 septembre 1795, domicilié à Malines, 41.
Simon Saller, banquier, né à Melksham (Angleterre), le 4 janvier 1789, domicilié à Bruxelles, 40.
Richard Antoine, lieutenant au 12ème régiment de ligne, né à Luneville (France), le 17 janvier 1806, 43.
Luc-Jean Daileu, cultivateur et boulanger, né à Waahwyck (Pays-Bas), le 1er juillet 1814, domicilié à Poppel (Anvers), 43.
Simon Le Grand, lieutenant au régiment d'élite, né à Villedieu (France), le 21 mai 1811, 43.
Harm-Henri Wagener, capitaine de navire, né à Grosholen (Hanovre), le 12 septembre 1790, domicilié à Anvers, 53.
Teunis Douwes, capitaine de navire, né à Schiermonnikoog (Pays-Bas), le 1er mai 1789, domicilié à Anvers, 53.
Guillaume Wagenaer, capitaine de navire, né à Lemmer (Pays-Bas), le 5 juillet 1788, domicilié à Anvers, 53.
Charles-Théodore Timm, capitaine de navire, né à Gosen (Prusse), le 17 août 1812, domicilié à Anvers, 53.
Chrétien De Vries, capitaine en second de navire, né à Carolinen-Syhl (Hanovre), le 20 août 1814, domicilié à Anvers, 53.
Jean-Heeren Arends, capitaine de navire, né à Ile de Juist (Hanovre), le 31 mars 1780, 53.
Jean-Henri Reicke, capitaine en second de navire, né à Pillau (Prusse), le 9 juillet 1815, domicilié à Anvers, 53.
Joachim-Frédéric-Christophe Barckentien, capitaine de navire, né à Lubeck (Allemagne), le 7 août 1803, domicilié à Anvers, 53.
Corneille Zoetelief, capitaine de navire, né à Texel (Pays-Bas), le 14 janvier 1799, domicilié à Anvers, 53/
Martin-Charles Schmidt, capitaine de navire, né à Wolgast (Prusse), le 4 septembre 1805, domicilié à Anvers, 53.
Jean-Henri Kruse, capitaine en second de navire, né à Damme (Oldenbourg), le 23 févier 1815, domicilié à Anvers, 53.
Jurgen-Frédéric Jepsen, capitaine de navire, né à Oldsum (Danemark), le 19 avril 1808, domicilié à Anvers, 53.
Niels-Jean Falk, capitaine en second de navire, né à Bergen (Norwège), le 1er janvier 1792, domicilié à Anvers, 53.
Jean-Joachim Schultz, capitaine en second de navire, né à Stralsund (Prusse), le 19 mars 1805, domicilié à Anvers, 53.
Dierk Stinze, capitaine de navire, né à Rade (Hanovre), le 25 décembre 1791, domicilié à Anvers, 53.
Jean Musing, capitaine eu second de navire, né à Papenbourg (Hanovre), le 2 juillet 1814, domicilié à Anvers, 53.
Clément Sahlfeld, capitaine de navire, né à Steinfeld (Oldenbourg), le 21 juillet 1810, domicilié à Anvers, 53.
Adrien-Jacques Adriaansen, capitaine en second de navire, né à Zierikzee (Pays-Bas), le 8 avril 1804, domicilié à Anvers, 53.
Bernard Vulhopp, capitaine de navire, né à Lohne (Oldenbourg), le 20 octobre 1817, domicilié à Anvers, 53.
Nicolas Nolling, capitaine en second de navire, né à Emden (Hanovre), le 27 juillet 1817, domicilié à Anvers, 53.
Harm-Helmers Smidt, capitaine de navire, né à Wener (Hanovre), le 3 juin 1807, domicilié à Anvers, 53.
Hildtrik-Dulf Visser, capitaine en second de navire, né à Ditsum (Hanovre), Je 7 novembre 1815, 53.
Diederich Stinze, capitaine en second de navire, né à Rade (Hanovre), le 12 novembre 1816, domicilié à Anvers, 53.
En conséquence, ces 45 demandes de naturalisation ordinaire sont prises en considération.
M. le président. - L'ordre du jour appelle en second lieu un rapport de pétitions.
M. de Bonne, rapporteur. - Le sieur Fortuné, pharmacien à Bruxelles, vous demande, par pétitions des 6 février et 14 mars 1846, une loi réglementaire sur l'exercice de la médecine et de la pharmacie ; il expose la situation déplorable des pharmaciens du plat-pays, c'est-à-dire des campagnes, par suite de la vente des médicaments par les médecins eux-mêmes.
Il allègue que l'absence d'une loi sur la profession de pharmacien fait surgir un grand nombre de charlatans.
L'Allemagne, la Russie, la Pologne, la Suisse, dit-il, sont déjà dotées d'une bonne organisation médicale qui manque chez nous.
Quoique la profession de pharmacien soit réglée par les lois du 21 germinal an XI et du 12 mars 1818, par l'arrêté du 28 avril 1821 et par la loi du 12 juillet 1821, celle de médecin par les lois du 19 ventôse an XI et du 12 mars 1818, il paraît néanmoins que cette législation est devenue insuffisante.
C'est pourquoi votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de ces pétitions à M. le ministre de l'intérieur.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Bonne, rapporteur. - Par une pétition sans date, plusieurs avocats de Dinant sollicitent un changement de la législation qui régit les professions d'avocats et d'avoués ; parmi les nombreux griefs et inconvénients qu'ils signalent, il en est qui méritent, paraît-il, d'être pris en considération. Entre autres ils allèguent qu'ils sont soumis à des études longues et dispendieuses pour obtenir le grade de docteur en droit ; qu'après s'être établis dans les villes non chefs-lieux de cour d'appel, de cour d'assises ou de province, ils se trouvent dans l'impossibilité d'utiliser leurs connaissances acquises, par suite de la disposition de l'article 3 du décret du 2 juillet 1812, qui accorde aux avoués le droit de plaider toutes les causes qui leur sont confiées.
Ils ajoutent qu'à l'époque où fut publié le décret de 1812, la carrière des armes enlevait presque toute la jeunesse, et qu'il ne restait pour les professions paisibles, pour celle du barreau comme pour toutes les autres, que fort peu de sujets, surtout dans les petites villes ; que les motifs qui ont guidé le législateur de cette époque n'existent plus aujourd'hui, et qu'il y a lieu d'abroger ou retrancher l'exception faite à l'article 3 du décret du 2 juillet 1812.
Les inconvénients allégués et les considérations développées dans cette pétition ont paru mériter son renvoi au ministre de la justice, et c'est la conclusion qu'a l'honneur de vous proposer votre commission.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Bonne, rapporteur. - Dans une pétition, datée de Gand, le 9 mars 1846, le sieur Spirikens se plaint de la manière dont son avocat et son avoué ont dirigé un procès qu'il leur a confié, et réclame l'intervention de la chambre pour qu'elle ordonne qu'il soit fait droit à ses réclamations.
Il ne peut y avoir lieu d'examiner ces réclamations, vu qu'il ne s'agit ici que d'intérêts privés qui sont du ressort des tribunaux ou du conseil de discipline, et par ces motifs votre commission a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Bonne, rapporteur. - Par pétitions du 21 mars 1846, plusieurs conseillers communaux et électeurs de Thirimont réclament l'intervention de la chambre pour qu'il soit procédé à l'élection d'un membre du conseil communal en remplacement du sieur Pochez Lembert, rayé de la liste des électeurs comme ne payant plus le cens et par suite ayant cessé, de droit, de faire partie du conseil ; il y a lieu de penser que depuis l'envoi de cette pétition, il a été pourvu au remplacement de ce fonctionnaire ; cependant comme rien ne le prouve, votre commission croit devoir vous proposer le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Bonne, rapporteur. - Par pétition du 23 avril 1846, le sieur Filleul, détenu pour dettes, dit-il, à la maison d'arrêt de Courtray, demande la révision du jugement qui l'a condamné : il ne dit pas si la condamnation a été rendue par un tribunal correctionnel ou civil, mais il se plaint d'avoir été indignement maltraité, outragé et couvert de la livrée de l'infamie. Il demande aussi la mise en accusation du ministre de la justice, pour s'être érigé en commission spéciale de justice.
Pour justifier sa demande en révision du jugement qui l'a condamné, le pétitionnaire invoque les paroles du St-Esprit qui veut que tout en veillant exactement sur ses droits, ses intérêts et le patrimoine de ses pères, chacun ait soin de sa réputation comme du plus grand bien, etc.
Il accuse de forfaiture plusieurs magistrats, et prétend qne les tribunaux l'ont condamné sans l'entendre. Toutes les allégations et plaintes du pétitionnaire sont générales et vagues, aucun fait n'est rapporté, aucune pièce n'est jointe à sa pétition.
Comme pouvoir législatif, vous n'avez pas à examiner les actes du pouvoir judiciaire pour en ordonner la révision ; vous n'avez également pas à examiner la question de mise en accusation du ministre de la justice pour violation de la Constitution, lorsqu'il n'y a pas de fait spécifié qui puisse même justifier une demande d'explication.
Par ces considérations, votre commission croit devoir vous proposer l'ordre du jour.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Bonne, rapporteur. - Les maîtres forgerons et les maîtres poulieurs demeurant aux bassins à Anvers, par une pétition du 28 avril 1846, réclament votre intervention afin d'obtenir une réforme du règlement de police qui leur défend d'exposer à leurs portes, des marchandises ou autres objets, à peine d'encourir une amende assez forte, etc.
Le règlement dont il s'agit est un acte de l'administration municipale, paraît-il, car la copie n'en a pas été donnée et, comme tel, la chambre n'a pas à s'en occuper, s'il n'excède pas les limites des attributions que la loi confère aux administrations communales et provinciales ; or, d'après ce que disent les pétitionnaires, il n'a pour objet qu'une mesure de police, relative à la voie publique, dont une partie est placée sous la juridiction municipale et l'autre sous celle du gouvernement.
Ces considérations ont déterminé votre commission à vous proposer le renvoi au ministre de l'intérieur.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Bonne, rapporteur. - Les sieurs Verhaegen, Rommel et Vanderlinden, notaires royaux à Bruxelles, par pétition du 10 mai 1846, prient la chambre de retarder momentanément l'examen du projet de loi sur l'organisation du notariat, pour leur laisser le temps de présenter des observations sur ce projet.
Comme ce projet est entre les mains du rapporteur de la section centrale, qui doit faire son rapport, votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi au rapporteur de la section centrale.
(page 749) - Ces conclusions sont adoptées.
M. de Bonne, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles, le 1er mai 1846, plusieurs industriels à Bruxelles demandent une nouvelle traduction officielle du texte hollandais de la loi du 25 janvier 1817 et la même faveur pour les brevets d'importation que pour les brevets d'invention.
Par pétition du 1er mai 1846, plusieurs fabricants et industriels de Bruxelles demandent :
1° L'abrogation des conditions illégales insérées dans les arrêtés de délivrance des brevets d'invention ;
2° Que les mêmes droits donnés aux brevets d'invention soient également accordés aux brevets d'importation ;
3° Et finalement une nouvelle traduction officielle du texte hollandais de la loi du 25 janvier 1817.
Voici en résumé ce que disent les pétitionnaires pour justifier leurs demandes.
Les conditions insérées dans les brevets, de les céder à tous ceux qui le demanderont, ont eu pour effet d'arrêter complétement la mise en œuvre de toutes les industries brevetées au point que pas une seule depuis dix ans n'a été exploitée par l'obtenteur et qu'aucune demande de cession n'a été faite ; la chose est aisée à expliquer par la concurrence qui menace alors aussi bien les acquéreurs secondaires sur brevet que le breveté lui-même. L'expérience a démontré que ces restrictions établies sans doute dans l'intention d'être utiles aux industriels leur sont au contraire très préjudiciables, et ont privé la Belgique de plusieurs industries qui fleurissent en France et en Angleterre à l'abri d'un privilège exclusif de 15 ans ; la faculté de demander des brevets de 5, 10 ou 15 ans appartient et a toujours appartenu dans tous les pays au demandeur : ce n'est pas à l'administration de fixer le terme comme elle le fait illégalement chez nous.
La crainte de nuire aux industries existantes par l'introduction de perfectionnements faits à l'étranger, est tout à fait chimérique en présence de la prospérité industrielle de la France et de l'Angleterre qui ne refusent jamais de brevets, et en présence de l'industrie belge qui reste en arrière, par suite des conditions fâcheuses et tout à fait décourageantes que l'on impose à ceux qui voudraient doter leur pays d'une branche quelconque de production qui lui manque.
Personne, en effet, n'ose faire les premiers frais d'installation d'une fabrication nouvelle, s'il n'est, pendant quelque temps, abrité contre la concurrence intérieure, et protégé par la loi contre le choc des grands capitaux.
Les pétitionnaires ajoutent que l'administration des brevets se fonde sur une faute de traduction de la loi du 25 janvier 1817 rédigée en hollandais et qui n'admet aucune différence entre le brevet d'invention et le brevet d'importation et de perfectionnement qui sont tous compris sous le mot générique « octrooyen ».
Et la preuve de ce qu'ils avancent c'est, disent-ils, que jamais sous le gouvernement hollandais, il n'a été imposé de pareilles conditions et qu'aujourd’hui même on n'en impose aucune en Hollande aux importateurs.
En attendant la révision de la loi des brevets, les pétitionnaires demandent que la loi ancienne soit au moins respectée ; ils invoquent ce principe, que les brevets ne sont ni un privilège, ni une faveur, ni un encouragement, ni une récompense, mais un droit qu'il appartient aux chambres de faire respecter.
Voilà, messieurs, la substance et les termes mêmes de la pétition dont il s'agit.
Votre commission des pétitions a examiné avec attention les faits rappelés dans la demande qui vous est adressée.
Tout le monde comprend les liaisons immédiates, les relations nécessaires qui unissent les perfectionnements de l'industrie à tous les autres progrès du genre humain.
Lorsqu'il s’agit d'exécuter et de produire au-dehors l'invention conçue par l'intelligence, chaque homme doit être laissé en possession du droit que la nature lui donne de mettre librement son invention en œuvre, Sauf à répondre, soit envers la société, soit envers les individus, de tous les torts et dommages qui pourraient être la suite de cette manifestation de sa pensée. (Voir Archives de droit, t. 5, p. 410.)
L'administration des brevets s'est écartée, paraît-il, de l'esprit de la loi, et l'a interprétée d'une manière restrictive au lieu de le faire d'une manière extensive. Car la fixation du terme des durées de brevets, 5, 10 ou 15 ans, doit appartenir au demandeur, parce que c'est en sa faveur que ces termes ont été établis, pour ne pas l’obliger à payer un brevet de 15 ans pour un objet de mode que l'inventeur prévoit ne devoir durer que peu d’années.
Les conditions de devoir céder ou communiquer l'invention à toute personne étrangère, insérées dans les brevets, contre une indemnité à fixer par expert, ne se trouvent pas autorisées par la loi du 25 janvier 1817.
Cette même loi n'a prescrit aucun examen préalable, examen que l'on exige en Belgique ; l'Angleterre et la France n'en demandent plus. L'année dernière la France a ordonné la suppression de cette formalité. Cet examen est dangereux pour l’inventeur qui peut être victime d'une fraude, d'un abus de confiance. Il est inutile pour le gouvernement, puisque tous les brevets sont accordés aux risques et périls de l'inventeur ou de l'importateur.
L'article 8 de la loi du 25 janvier 1817 ne fait aucune distinction entre l'inventeur et l'importateur.
La traduction française est défectueuse : elle rend le mot hollandais « octrooyen » par « brevets d'invention », ce qui vicie totalement les dispositions des articles 5 et 6 de la loi du 25 janvier 1817.
En résumé, votre commission pense que la législation sur les brevets d'invention et d'importation laisse beaucoup à désirer.
Mais, jusqu'à ce que la loi actuelle soit révisée ou qu'une loi nouvelle soit publiée, la loi existante doit être exécutée conformément à son esprit et à son texte.
C'est pourquoi votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi au ministre de l'intérieur avec demande d'explications.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Bonne, rapporteur. - Par une pétition datée de Bruxelles, mai 1846, les ouvriers typographes pressiers demandent que les impressions à faire pour la chambre soient adjugées avec la clause qu'elles auront lieu à l'aide de presses à bras, à l'exclusion des presses mécaniques.
Les principes d'économie adoptés par la chambre, d'un autre côté, les limites de l'allocation pour l'impression de ses pièces rendent difficile l'admission de cette demande dans sa généralité.
Dans tous les cas, l'examen de la distinction qui pourrait être faite ne peut appartenir à votre commission ; c'est pourquoi elle croit devoir vous proposer le renvoi de cette pétition à messieurs les questeurs.
M. Sigart. - Ce sont les ouvriers typographes qui demandent l'interdiction des presses mécaniques. Ne vous semble-t-il pas que c'est comme si les copistes demandaient la suppression de l'imprimerie, comme si les ouvriers terrassiers demandaient la suppression de la charrue. C'est là une pensée digne des temps de barbarie, la chambre ne lui doit aucun accueil. Je propose l'ordre du jour.
M. de Bonne, rapporteur. - Nous demandons le renvoi à MM. les questeurs, parce qu'il s'agit des frais d'impression des pièces à la chambre.
M. Lebeau. - Pour beaucoup de raisons je porte un très vif intérêt aux ouvriers typographes, mais je dois le déclarer, il m'est impossible, vu la conclusion finale de leur requête, de ne pas m'associer à la demande de l'ordre du jour.
- L'ordre du jour est mis aux voix et adopté.
M. le président. - La parole est à M. le rapporteur.
M. Mast de Vries, rapporteur. - Après avoir entendu, dans une séance précédente, les honorables députés, adversaires du projet de loi, appartenant à la province de Luxembourg, je me disais que, si le gouvernement avait demandé le défrichement pour la Campine et les provinces flamandes, le projet n'aurait rencontré aucune objection dans cette chambre, même que probablement la question de constitutionnalité n'aurait pas été produite. Mais à la séance de samedi, l'honorable M. de Tornaco a mis la question sur un autre terrain. Non seulement, d'après cet honorable membre, le projet ne convient pas au Luxembourg. Mais il le regarde, en thèse générale, comme inopportune, comme inutile, comme ne pouvant avoir aucun effet, comme contraire même à l'agriculture.
Lorsque j'ai entendu prononcer ces paroles, j'ai demandé à répondre. Je le ferai et à l'honorable membre et à ceux qui l'ont précédé.
L'honorable M. d'Hoffschmidt s'étonne de ce que la section centrale n'a pas insisté davantage sur la question de constitutionnalité. Je déclare que si la section centrale avait eu à voter purement et simplement sur cette question, si elle n'avait pas pu introduire d'amendement, probablement l'opinion de l'honorable M. d'Hoffschmidt sur l'inconstitutionnalité de la mesure y aurait trouvé des adhérents. Mais il n'en a pas été ainsi.
Aussitôt que la section centrale a reconnu qu'on pouvait, au moyen de quelques modifications, rendre la question beaucoup plus claire, sauvegarder les intérêts des communes, les mettre en harmonie avec notre charte, alors la question de constitutionnalité a été résolue dans la section centrale à l'unanimité de tous ses membres.
Je ferai observer en passant que l'observation de l'honorable M. d'Hoffschmidt s'adresse plus aux sections. En effet, j'ai compulsé leurs procès-verbaux, et j'ai reconnu que la question de constitutionnalité a été résolue négativement dans une seule section par trois voix contre deux, mais que dans toutes les autres sections elle a été résolue affirmativement. Si je fais l'addition de tous les membres qui ont pris part aux travaux des sections, je trouve que la question a été résolue par une trentaine de voix contre trois ou quatre.
Vous voyez que, même avec le projet primitif, la question de constitutionnalité était résolue.
L'honorable M. d'Hoffschmidt a fait observer que la question date de 1843, que depuis lors, il a paru un nombre considérable de brochures, de mémoires, qu'il est donc étonnant que le gouvernement ne donne pas dans le projet de loi un système de défrichements, ne dise pas comment on entend défricher.
Je crois que sous ce rapport le gouvernement a agi très sagement ; car si, adoptant le système de telle ou telle brochure, on était venu dire : Le défrichement doit s'opérer de telle ou telle manière, je crois que l'on aurait eu grand tort. En effet, le défrichement ne doit pas se faire de la même manière dans toutes les parties du pays. Quand on aura résolu la question de savoir comment on doit défricher la Campine, il restera la question de savoir si ce mode de défrichement convient dans le Luxembourg ou dans les autres parties du pays, ici au moyen des irrigations, là par des voies plus nombreuses de communication.
(page 750) Quant à moi, je crois qu'il faut que chaque commune suive le mode qui lui convient pour parvenir au défrichement de ses terrains incultes.
Quoi qu'il en soit, la question du Luxembourg et de Namur me paraît mériter toute l'attention du gouvernement ; car il y a, d'après moi, une énorme différence entre les défrichements qui doivent s'opérer dans la Campine et ceux qui doivent s'opérer dans le Luxembourg. Les députations permanentes, appelées à donner leur avis, garantissent que la mesure proposée sera appliquée dans les vrais intérêts du pays.
L'honorable M. de Tornaco dit que le projet était inutile. Il s'est fondé sur une assertion qu'il a trouvée dans le rapport de M. Kummer. Il dit : Pourquoi exproprier les communes, puisque M. Kummer dit dans son rapport que les essais ont été tels que toutes les communes veulent donner leurs terrains ? Assurément, cette assertion est de nature à exercer quelque influence sur vos esprits ; mais il y a quelque chose à en rabattre.
La proposition de M. Kummer se rattachait au projet de canal, toutes les communes devaient y prêter les mains. En effet, toutes les communes manquent de prairies ; le système de M. Kummer leur en procurait en leur donnant le moyen de transformer des bruyères qui ne leur servent à rien et d'en faire encore beaucoup d'argent. Il n'est donc pas étonnant que toutes les communes où le canal devait passer, où les irrigations étaient possibles, se soient empressées de mettre à la disposition du gouvernement certaines parties de bruyères, qui pouvaient être irriguées.
Mais si vous leur demandez des bruyères qui ne sont pas irrigables, les communes les mettront-elles à la disposition du gouvernement ? La réponse sera tout autre ; car elles n'auront plus le même intérêt. En mettant en vente des bruyères qui ne peuvent être irriguées, mais qui pourront être cultivées à force de soins, on va établir par ces nouveaux occupants une concurrence pour l'acquisition des herbages et des nouvelles prairies, que la commune avait intérêt à conserver pour les anciens habitants.
Voilà pourquoi le gouvernement n'a pas besoin d'une loi pour faire exécuter certains défrichements ; et pourquoi il en a besoin pour que d'autres terrains soient mis dans le domaine public ; c'est là la grande question d'intérêt général.
A côté de la question des défrichements, il en est une autre qui doit également être traitée. Lisez le travail de M. l'ingénieur Kummer, vous y verrez que des terrains qui n'avaient aucune valeur, qui n'en ont acquis que par le canal de la Campine, ont été acquis au prix moyen de 400 fr. l'hectare. Dans cette somme, il y a au moins 200 fr. de main-d'œuvre.
Mais ces terrains, qui ont été vendus 400 fr. l'hectare, sont-ils productifs ? Pas le moins du monde. Il faut encore une main-d'œuvre que l'on peut évaluer à trois ou quatre cents francs. Mais je veux supposer 200 fr. (Toutes les personnes qui connaissent la Campine, et je prétends la connaître, reconnaîtront que ce n'est pas avec 200 fr. qu'on peut convertir en prairies des terrains irrigués.) Si les assertions de M. Kummer sont vraies, comme je le crois, s'il est vrai que le canal puisse irriguer sur une profondeur de 30,000 hectares, voilà à peu près 12 millions qui seront dépensés en main-d'œuvre à commencer d'aujourd'hui, et en suivant une progression qui est appelée à faire le plus grand bien aux nombreux ouvriers de la Campine et d'autres provinces qui viendront s'y établir.
Messieurs, ce premier fait acquis, je me permettrai de faire un autre calcul.
Je ne dirai rien maintenant de ce qui regarde la culture même de la Campine. Mais une chose qui est certaine, c'est que, insensiblement et à commencer d'aujourd'hui, vous allez avoir une quantité de prairies dans la Campine. Supposez, messieurs, qu'après les diverses transformations qu'il doit subir, chaque hectare de prairie ne donne la nourriture qu'à une tête de bétail. Le calcul ne sera pas difficile. Ne voyez-vous pas que dans quelques années vous allez trouver dans la Campine beaucoup plus de têtes de bétail pour la consommation générale que ne vous en donne aujourd'hui l'introduction étrangère ? Ne serait-ce pas un avantage immense que d'éviter au pays cette dépense si considérable qu'il fait aujourd'hui ? Il est évident que si vous avez d'ici à quelques années 20,000 hectares de bruyères transformés en prairies, et que chacun de ces hectares donnât la nourriture à une tête de bétail, vous auriez dans le pays 20,000 têtes de bétail de plus, et que ce chiffre est beaucoup plus important que celui de l'introduction du bétail étranger.
Je pense, messieurs, que c'est encore là une des grandes raisons pour lesquelles nous devons autant que possible pousser au défrichement.
L'honorable M. de Tornaco, pour soutenir son système, vous a dit : Mais les dépenses que vous allez faire dans la Campine, où allez-vous les prendre ? Vous devrez diminuer le capital qui est employé à la culture de bons terrains, pour le consacrer à la culture de mauvais terrains ; au lieu de faire du bien à l'agriculture, il arrivera au contraire qu'il y aura moins de production.
Messieurs, s'il était vrai qu'il n'y eût qu'un chiffre fixe destiné à l'agriculture, l'honorable membre aurait raison. Mais il n'en est pas ainsi. Ceux qui deviendront propriétaires dans la Campine par suite des ventes successives qui vont avoir lieu, ne sont pas aujourd'hui des cultivateurs ; ce sont des personnes qui peuvent disposer de capitaux, et qui vont les employer dans la Campine, où elles attendront quelques années avant de retirer un intérêt de leur argent. Ainsi, au lieu de prendre sur le fonds destiné aujourd'hui à l'agriculture, c'est au contraire une nouvelle mise de fonds qu'on va faire dans l'agriculture.
De cette manière il y aura nouvelle production, nouveaux capitaux engagés, mais certes, ce sera dans l'intérêt général du pays.
Messieurs, j'ai encore une observation à faire ; elle concerne une opinion émise par l'honorable M. de Corswarem.
Cet honorable membre vous a donné la nomenclature des parties de prairies qui avaient été vendues dans les communes de Neerpelt et d'Overpelt ; il vous a dit que chacune de ces parties contenait dix, quinze et vingt hectares, et que, selon lui, il aurait mieux valu de les diviser davantage ; qu'il fallait mettre les terrains à la portée d'un plus grand nombre d'individus.
Messieurs, il y a une objection à faire à cette observation. Si vous rendez les lots extrêmement petits, si vous voulez diviser les propriétés, je reconnais que vous ferez une chose profitable aux personnes de l'endroit même ; car celles de ces personnes qui n'ont pas aujourd'hui de prairies, s'empresseront d'acquérir un ou deux hectares de terre. Mais quel sera en général le résultat ? C'est que ce seront les capitaux employés aujourd'hui à l'agriculture qui serviront à faire ces achats. Vous éloignerez les propriétaires étrangers riches. Ainsi, par exemple, qu'un propriétaire de Bruxelles ou de quelque autre ville veuille acheter des propriétés dans la Campine, il n'achètera point d'aussi petites parties ; il faut que les terrains aient une étendue assez considérable pour former une exploitation.
M. de Corswarem. - Il en achètera plusieurs parties.
M. Mast de Vries. - Il en achètera plusieurs parties, me dit l'honorable membre. Non, messieurs, lorsqu'on achète une propriété, on tient à ce qu'elle soit autant que possible d'un seul gazon. Or, si la vente se fait par petits lots, les capitalistes, voyant qu'on pourra acquérir quelques parties qui couperaient les propriétés qu'ils ont en vue, ne l'achèteront pas. Je crois donc, messieurs, que les parties de terre qui seront mises en vente doivent avoir une certaine étendue. De cette manière, elles seront acquises par des personnes qui ont de la fortune et qui pourront les rendre productives, en employant de nouveaux capitaux.
Messieurs, dans les observations qui ont été émises, on est parti d'un état statistique qui se trouve à la fin du rapport de M. Kummer, et qui présente la nomenclature des terrains encore aujourd'hui en friche, et on a dit : Tant d'hectares sont cultivables, tant d'hectares ne le sont pas. Je pense que la chambre sait que les parties qu'on dit non cultivables sont en grande partie des bruyères qui produisent très bien des sapins. Il n'y a pas dans la Campine de ces 45,000 hectares qui ne sont propres à aucune production. Si certaines parties ne peuvent être transformées en terres labourables ou en prairies sans des frais énormes qu'on ne voudrait pas faire, elles pourront au moins très bien, lorsqu'il y aura plus de communications, être transformées en sapinières, et rapporter ainsi un très beau produit.
M. de Baillet. - Messieurs, les observations que j'avais l'intention de présenter contre le projet de loi sont les mêmes que vous ont présentées déjà plusieurs de mes honorables collègues avec trop de justesse et de talent, pour qu'il soit nécessaire de les répéter de nouveau. Je me bornerai donc à quelques mots afin de motiver mon vote négatif.
Quand même la loi qui nous est soumise laisserait quelque chose à désirer, quand même elle ne tiendrait pas compte de toutes les conditions spéciales de chaque localité, je la voterais cependant volontiers, s'il m'était démontré que cette loi peut apporter quelque soulagement aux misères de la classe nécessiteuse ; mais il n'en est point ainsi. Le projet de loi se borne à investir le gouvernement d'un droit exorbitant, celui d'exproprier les communes, et ce droit, loin de tourner à l'avantage des travailleurs pauvres, ne ferait que servir les intérêts de quelques spéculateurs.
Ce projet de loi qui donne au gouvernement le droit si violent d'expropriation forcée sans que les communes puissent rester juges de l'utilité qu'il y a pour elles à voir défricher immédiatement leurs bruyères, ne résout d'ailleurs en aucune manière la question des défrichements, question complexe et dont les difficultés nombreuses sont suffisamment démontrées par tous les ouvrages publiés à ce sujet, par tous les avis des comités d'agriculture. Il y a plus, pour bien faire, on ne devrait pas trancher cette question par une seule loi ; il faudrait, pour ainsi dire, deux lois : une loi spéciale pour les défrichements de la Campine, une autre pour ceux du Luxembourg et de la province de Namur. Le gouvernement semble presque l'avoir compris, et ne s'être tiré d'embarras qu'en présentant un projet qui ne s'occupe ni de la Campine ni du Luxembourg.
Pour ce qui concerne la province dont je suis mandataire, je puis affirmer que cette loi ne pourrait avoir que des conséquences fâcheuses. Au lieu d'apporter des secours à la classe pauvre, elle créerait le paupérisme là où il n'existe pas, en enlevant aux habitants de certaines localités des ressources indispensables, en les privant des pâturages où paissent les quelques bestiaux qui sont leur seul moyen d'existence, en les privant du chauffage gratuit que leur fournissent les bois communaux.
Une loi d'intérêt général, sagement conçue, dont l'application se ferait avec une prudente lenteur, et de manière à n'apporter aucune brusque perturbation dans l'existence de nombreuses populations, une loi de cette nature me trouvera toujours prêt à l'appuyer. Mais je voterai contre celle qui nous est présentée, parce que ses inconvénients sont évidents, graves et seraient immédiats ; tandis que ses avantages, si elle en a, ce qui est au moins problématique, ne pourraient porter leurs fruits (page 751) que dans un temps très éloigné, et qu’un grand nombre de malheureux ne pourraient pas en attendre la réalisation, privés qu'ils seraient de toutes leurs ressources actuelles.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, il existe en Belgique environ 380,000 hectares qui ne sont pas cultivés, et qui, pour la plupart, sont néanmoins susceptibles de culture.
Depuis un grand nombre d'années, le gouvernement a été provoqué à présenter un projet de loi, tendant à obtenir le défrichement. Une enquête a été commencée par l'un de mes prédécesseurs, l'honorable M. Nothomb. Tous les conseils provinciaux ont été consultés. L'ensemble des avis était favorable an projet conçu sur une base plus large, car le projet semblait admettre que le gouvernement pourrait être autorisé à prescrire aux communes purement et simplement la vente de leurs terrains.
Cependant, messieurs, nous avons tenu compte des diverses observations qui ont été faites, et notamment de celles qui ont été faites par la province de Luxembourg. Nous avons cru devoir offrir quelques garanties sur l'application de la loi.
On nous demande d'abord si la loi est utile. Messieurs, je pense que son utilité est évidente, non seulement quant à l'Etat, mais également quant aux communes. Son utilité, quant à l'Etat, se résume en ces deux points : augmenter la production du sol, augmenter la population.
Il est évident que plus la population d'un Etat est grande, plus les richesses d'un Etat sont grandes, plus cet Etat est considéré, plus cet Etat a de force, dès lors l'utilité du projet, au point de vue général, est évidente. Quant aux communes, il leur importe en général d'avoir des capitaux pour faire face aux besoins extraordinaires qui se manifestent incessamment. A ce point de vue, il importe aux communes de vendre à un prix avantageux une partie des terrains qui sont aujourd'hui improductifs.
Il importe encore aux communes de procurer du travail à la classe ouvrière. Le défrichement des terrains incultes répond évidemment à ce besoin.
Il est en outre évident que plus l’étendue des terrains cultivés est grande dans une commune, plus cette commune est riche, plus elle a de ressources.
Mais le défrichement est-il possible ? Cette question, messieurs, ne me semble pas posée bien sérieusement. La possibilité du défrichement est généralement reconnue, au moins quant à une grande étendue de terrains communaux. Différentes causes concourent à donner aujourd'hui de l'impulsion à ces sortes de travaux ; d'abord l'augmentation de la population, le prix élevé des terres, les améliorations que l'on a apportées à la culture en général, depuis un grand nombre d'années, le perfectionnement du système d'engrais et d'assolement.
Je dirai, messieurs, que les nombreux écrits qui ont été publiés sur le défrichement prouvent que les esprits sont en général dirigés vers cette opération. D'autre part, il est évident que les capitaux abondent. Je sais, messieurs, qu'une objection a été faite en ce que le gouvernement a déclaré récemment que les circonstances n'étaient point opportunes pour contracter un emprunt ; mais ceci n'empêche en aucune manière qu'il y ait en Belgique abondance de capitaux, et la meilleure preuve en est dans le prix élevé des terres. Il ne s'agit point d'ailleurs d'opérer ce défrichement aux frais du trésor : une pareille entreprise serait téméraire, serait, en quelque sorte ruineuse ; mais il s'agit de permettre aux particuliers qui veulent entreprendre ces sortes de travaux, de s'y adonner. Il s'agit uniquement de vaincre, d'une part, la résistance de certains conseils provinciaux et, d'autre part, de donner des encouragements à des travaux aussi utiles.
Une circonstance qui concourt encore puissamment aux défrichements, c'est la multiplicité des routes qui ont été construites depuis un certain nombre d'années, et en particulier la construction du chemin de fer qui s'étend dans toutes les directions. Ce qui fait qu'aujourd'hui le Luxembourg et la Campine, les parties les plus éloignées des provinces de Liège et de Namur sont accessibles et facilement accessibles à tous les grands capitalistes, à tous les grands propriétaires qui habitent le centre du pays ; je n'hésite pas à dire que c'est une cause impulsive très puissante des défrichements.
Je pourrais citer, à l'appui de cette opinion, l'élévation du prix des terrains dans le Luxembourg, et en particulier les grandes acquisitions qui ont été faites par des habitants de Bruxelles, et qui ont déterminé une plus-value dans le Luxembourg.
M. de Tornaco. - Ils ont acquis à 5 p. c.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Cela prouve précisément que cette province, dans l'état d'isolement où elle se trouvait, n'a pu atteindre, quant à son sol, l'importance qu'elle doit avoir, et qu'elle commence à atteindre ; et qu'elle atteindra de plus en plus d'année en année.
On a été jusqu'à dire que l'ordonnance de Marie-Thérèse sur les défrichements des terrains incultes avait été infructueuse. Certes, elle est loin d'avoir été infructueuse partout ; car nous voyons que la majeure partie de notre sol est complétement et parfaitement défrichée. Il est des grandes parties du pays où il n'y a pas de terrains incultes. Mais pourquoi cette ordonnance n'a t-elle pas porté tous ses fruits dans le Luxembourg et dans la Campine ?
La raison en est bien simple ; c'est que cette partie du pays, en l'absence de routes, isolée, éloignée du centre, n'offrait aucune ressource au spéculateur. Les bruyères étaient sans valeur ; les autres terrains n'avaient qu'une valeur médiocre. Dès lors on comprend que les communes aient opposé partout de la résistance à l'aliénation de leurs biens, qui devait être faite à vil prix, et que d'autre part les quelques propriétaires qui en ont fait l'acquisition aient été dégoûtés d'en opérer la culture.
Ajoutons que des bouleversements politiques ont suivi de bien près l'ordonnance de Marie-Thérèse ; nous avons eu successivement des guerres civiles et des guerres européennes. Alors le sol n'a plus manqué au même degré. Les capitaux n'ont plus été disponibles pour des entreprises de défrichements.
Mais dans toute la Campine, dans la province de Liège, dans celle de Namur, en particulier, et même dans le Luxembourg, de grands défrichements ont été entrepris et opérés, depuis un certain nombre d'années, par les grands propriétaires et par les petits propriétaires.
Puisque le Luxembourg paraît faire principalement opposition, qu'il nous soit permis de nous attacher aussi principalement à quelques faits qui concernent cette province.
Voyons d'abord ce qui s'est opéré depuis 1770 jusqu'en 1830.
Voici l'état des défrichements que je trouve dans le rapport de la députation permanente du Luxembourg (p. 50) :
En 1770, le dénombrement constatait 45,728 hectares de terres labourables, en 1830, 67,000 hectares.
En 1770, 20,000 hectares de vergers, jardins, prairies. En 1830, 36,000.
En 1770, 45,000 hectares de bois et haies. En 1830, 82,000.
En 1770, 60,452 hectares de terres sartables. En 1830, 93,003.
Vous voyez, relativement aux bois et haies, que l'aliénation des terrains communaux n'emporte en aucune manière la dénudation du sol ; qu'au contraire, c'est le moyen de le couvrir de forêts qui, d'une part, deviennent elles-mêmes une richesse réelle, et offrent, d'autre part, un abri véritable qui facilite de nouveaux défrichements.
L'augmentation de la population dans le Luxembourg est également très sensible d'année en année.
Mais, messieurs, par les défrichements qui ont été constatés par la députation permanente elle-même, a-t-on atteint toutes les bruyères susceptibles de culture ? Evidemment non. C'est encore la députation permanente qui s'est chargée de nous en assurer. Il résulte de son travail que dans ce moment même 25 mille hectares de terrains communaux, situés dans un rayon de 1,250 mètres des habitations, sont susceptibles de culture, et doivent nécessairement, suivant l'opinion de la députation être mises en culture.
M. Orban. - Maintenant ?
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Oui, maintenant.
Veuillez, messieurs, lire les observations de la députation permanente aux pages 77 et 78 de son rapport, et vous verrez que la députation qui redoutait beaucoup la vente en masse des terrains communaux, est en réalité favorable à un projet restreint, et entouré de garanties, tel que celui qui est soumis aux délibérations de la chambre.
Je lis dans le rapport :
« Il ne s'agit plus aujourd'hui d'aliéner ces bruyères, par mesure générale, pour tout le royaume, pour toute une province, mais seulement de remettre au gouvernement le pouvoir d'ordonner l'aliénation, à défaut du consentement des conseils communaux, et encore suivant les circonstances, si la nécessité eu est reconnue, en procédant par parties, en consultant l'utilité, le genre de culture, etc., etc. »
Lorsque la députation permanente a émis cet avis, le projet du gouvernement ne contenait pas cette clause, qu'aucune aliénation ne pourrait être ordonnée sans l'avis conforme de la députation.
La députation permanente continue :
« A une disposition aussi restreinte, environnée de tant de précautions, et si nous pouvions obtenir tout apaisement, sur la question de légalité et de constitutionnalité.....»
La question de constitutionnalité est en quelque sorte soulevée en passant, et la députation permanente elle-même conservait des doutes sérieux sur le fondement de son objection.
« Peut-être n'aurions-nous à voir aucun inconvénient grave, sérieux ; car au lieu d'une mesure générale, on aurait une mesure exceptionnelle qu'on emploierait à la dernière extrémité, à l'égard d'un conseil véritablement oublieux des intérêts communaux.
« Forcément donc, il faudra conserver une partie des terrains communaux, en les laissant dans leur étal actuel ; mais on peut et ou doit même défricher partiellement : dans quel cas ? sur quelle portion de bruyères ? A quelle mesure aura-t-on recours ? »
Ainsi, la nécessité du défrichement est admise par la députation elle-même.
« Dans certaines communes, où l'industrie a, plus qu'ailleurs, aggloméré la population, on peut avoir la certitude qu'une aliénation, dans une certaine mesure, des terrains communaux y est même devenue d'une nécessité impérieuse, les prix de vente ou de location des terres en culture réglée ayant atteint une valeur excessive.
« Ces communes se rencontrent surtout dans les arrondissements de Virton, de Marche et d'Arlon. Quelques communes de l'Ardenne proprement dite, se trouvent également et à des degrés divers, dans cette situation, par exemple, dans les cantons de Bouillon, de Paliseul, de Neufchâteau.
(page 752) « D'autre part, l'un des motifs qui engagent quelques personnes à demander l'aliénation des bruyères communales, c'est qu'il n'est pas juste que les gens aisés des communes jouissent des pâtures au préjudice des gens pauvres. »
Vous voyez, messieurs, qu'un des grands obstacles, c'est la jouissance que veulent se réserver les principaux propriétaires ou fermiers de certaines communes au détriment des pauvres. Ainsi le projet présenté n'est pas du tout dirigé contre la classe indigente, ainsi qu'on l'a prétendu.
« Dans leur pensée, une répartition plus équitable des biens communaux est désirable : il ne faut pas que la jouissance soit exclusivement en faveur des propriétaires des grands troupeaux, car cette jouissance n'est pas compensée par les quelques têtes de bétail que les familles peu aisées envoient au troupeau commun, et par l'essartage annuel d'une portion de terrain communal. Ces personnes demandent encore que les pauvres ne soient pas à la merci des riches pour la culture des pommes de terre, qu'on leur délivre un lot de terrain qu'ils défricheront, qu'ils amélioreront par les engrais qu'ils s'ingénieront à se procurer et qu'ils cultiveront avec soin pour le transmettre à leurs enfants. »
M. de Mérode. - Ce n'est pas la députation permanente qui dit cela.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Elle vient de reconnaître l'utilité et la nécessité de l'aliénation. Parmi les motifs qu'elle allègue, se trouve la cherté excessive des terrains dans certaines communes ; et, d'autre part, elle reproduit le vœu des habitants. Je lis ce qui est imprimé.
Messieurs, je démontrerai encore le fondement de cette assertion par les pétitions qui ont été adressées au département de l'intérieur, pétitions par lesquelles les habitants d'un bon nombre de communes du Luxembourg demandent qu'il y ait partage d'une certaine étendue de terrains communaux. Et quels motifs donne-t-on dans plusieurs de ces pétitions ? On dit que la jouissance de ces terrains est principalement au profit des grands propriétaires.
Une voix. - C'est ainsi partout.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demanderai à la chambre la permission de m'arrêter ici : le jour est trop faible pour que je puisse lire couramment les chiffres sur lesquels je dois m'appuyer.
Des membres. - A demain !
- La séance est levée à 4 1/2 heures.