(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M*.* Liedts.)
(page 175) M. Van Cutsem procède à l’appel nominal à 1 heure et quart.
M. A. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance, la rédaction en est adoptée.
M. Van Cutsem communique l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Edouard Wouwermans, ancien professeur de mathématiques supérieures, demande la place de bibliothécaire de la chambre. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« Le sieur Magloire-Joseph Motte, messager à l’administration des chemins de fer de l’Etat Trélon (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
M. le ministre de la guerre (M. Prisse) donne lecture de la pièce suivante. - Messieurs, il résulte de la combinaison des articles 68 et 80 de la Constitution, que l’héritier de la Couronne peut être appelé au commandement en chef de l’année, dès l’âge de dix-huit ans. Cette éventualité, qui peut surgir pour tous les enfants mâles du Roi, exige que l’éducation militaire des princes de la famille royale commence de bonne heure, afin qu’ils puissent, autant que possible, passer par tous les grades. On ne peut donc les soumettre à la loi sur le mode d’avancement dans l’armée, qui ne permet de conférer le grade de sous-lieutenant qu’à l’âge où la Constitution a fixé la majorité du Roi. Leur position, tout exceptionnelle, nécessite des règles exceptionnelles, règles qu’il importe de déterminer par une loi.
Sous le royaume des Pays-Bas, les princes de la maison d’Orange furent nommés colonels à un âge très jeune et sans avoir passé par d’autres grades.
En France, où la législation militaire postérieure à 1830 est fondée sur les mêmes bases que la nôtre, une ordonnance du 16 mars 1836 porte que les princes de la famille royale peuvent être nommés colonels à l’âge de dix-huit ans révolus.
Cette dernière règle, sous l’empire de laquelle les princes français fournissent une si brillante carrière militaire, a paru pouvoir être adoptée pour nos princes de la famille royale. Bien jeunes encore, ils seront peut-être un jour appelés à défendre l’honneur et l’indépendance du pays. Pour accomplir dignement cette mission, il importe qu’ils y soient préparés de longue main, et c’est un des principaux devoirs du gouvernement de rechercher, avec le concours des chambres, les moyens de répondre à la vive sollicitude du Roi pour cet objet.
C’est en vue de ce but, qui intéresse à un si haut point l’avenir de nos princes et celui du pays, que j’ai sollicité et obtenu de S. M. l’autorisation de présenter aux chambres législatives le projet de loi dont la teneur suit.
« Nous Léopold 1er, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, faisons savoir,
« Sur la proposition de notre ministre de la guerre,
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Le projet de loi dont la teneur suit, sera présenté en notre nom, à la chambre des représentants, par notre ministre de la guerre.
« Article unique. Les dispositions de la loi du 16 juin 1836, sur le mode d’avancement dans l’armée, ne sont pas applicables aux princes de la famille royale. Toutefois, ils ne pourront être nominés colonels qu’à l’âge de dix-huit ans révolus, et leur avancement aux grades supérieurs sera déterminé par le Roi.
« Donné à
« Léopold.
« Par le Roi : Le ministre de la guerre, Prisse. »
Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi qui sera imprimé et distribué, ainsi que l’exposé des motifs qui l’accompagne.
La chambre le renvoie à l’examen des sections.
M. A. Dubus. - Messieurs, j’ai l’honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission qui a été chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’érection de la commune de Saint-Léonard, dans la province d’Anvers.
- Il est donné acte à M. le rapporteur du dépôt de ce rapport, qui sera imprimé et distribué. La chambre fixera ultérieurement le jour de la discussion.
M. le président. Messieurs, dans une de vos précédentes séances, vous avez chargé le bureau de nominer une commission qui examinera le projet de loi relatif à l’érection en une commune distincte, de trois hameaux de la commune de Vielsalm (province de Luxembourg).
Le bureau nomme MM. Zoude, Pirson, Orban, de Tornaco et d’Hoffschmidt.
La chambre se forme en comité secret à deux heures moins un quart ?
- La séance publique est reprise à deux heures et demie.
M. Loos. _ Messieurs, j’ai l’honneur de déposer le rapport de la commission qui a été chargée d’examiner le projet de loi tendant à proroger la loi du 8 juin 1842 qui autorise le gouvernement à modifier le régime d’importation en transit direct et par entrepôt.
- Ce projet sera imprimé et distribué. Le jour de la discussion sera fixé ultérieurement.
M. le président. - Ce projet est ainsi conçu :
« Art. 1er. Il est ouvert à l’article unique du chapitre III, titre II du budget de la dette publique et des dotations de l’exercice 1846, un crédit supplémentaire de quatre-vingt-dix mille francs (fr. 97,000) destiné à couvrir les dépenses de la chambre des représentants, pendant ledit exercice. »
« Art. 2. La présente lui sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
Il est procédé à l’appel nominal, dont voici le résultat :
Le projet de loi est adopté à l’unanimité des 60 membres qui ont répondu à l’appel.
Il sera transmis au sénat.
Ont répondu à l’appel : MM. Thienpont, Thyrion, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verwilghen, Anspach, Cans, Castiau, Clep, Coppieters, d’Anethan, David, de Bonne, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Meer de Moorsel, de Meester, de Naeyer, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dubus (Albéric), Dumortier, de Lannoy, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Jonet, Kervyn, Lange, Lesoinne, Loos, Lys, Malou, Mast de Vries, Orban, Osy, Pirson, Rodenbach, Rogier, Sigart, Simons et Liedts.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). Et de la marine- Messieurs, par application de l’arrêté du 21 novembre, il y aura un transfert à opérer du chapitre III, Magasins de la marine, au chapitre Ier, Administration centrale. Les commis indiqués au chapitre III, bien qu’employés spécialement à la tenue des livres du magasin, à la réception et à la distribution des effets d’équipement et d’équipage, restent à Bruxelles. Je pense qu’il est plus régulier de faire payer leur traitement sur le chapitre Ier, Administration centrale. Je propose de retrancher du chiffre de 10,200 fr. du chapitre III, 6,400 fr., montant du traitement actuel des employés du magasin, et de les reporter à l’article premier du chapitre premier. De cette manière, le total de cet article s’élèverait à 12,450 et le chiffre de l’article unique du chapitre III serait réduit à 4,800 fr.
Toutefois, messieurs, le libellé du chapitre III devra être conservé, parce que la tenue des livres des magasins de la marine à Anvers nécessite l’emploi d’un commis.
M. Lebeau. - Messieurs, je n’ai rien à dire contre la proposition de M. le ministre des affaires étrangères ; je crois qu’elle est une conséquence des précédents qui ont signalé jusqu’ici la discussion des budgets. C’est une mesure très louable de simplification et de régularisation que la chambre doit sanctionner.
Mais je saisis cette occasion pour signaler quelques doutes à M. le ministre, des affaires étrangères. Vous avez tous été frappés, sans doute, de l’espèce d’anomalie qu’il y a dans le vote d’un budget particulier de la marine. La marine est une division du ministère des affaires étrangères ; elle ne forme pas un ministère spécial. On dira que j’aurais pu m’en apercevoir plus tôt, puisque j’ai eu l’honneur d’administrer le département (page 176) des affaires étrangères. Quoi qu’il en soit, je soumets à M. le ministre des affaires étrangères la question de savoir si l’on ne pourrait pas traiter la marine comme on traite le commerce, et en faire tout bonnement l’objet d’une division du ministère des affaires étrangères. De cette manière, de même que nous n’avons qu’un ministère pour les affaires étrangères et pour la marine, nous n’aurions plus qu’un budget au lieu de deux. Ce budget comprendrait trois grandes divisions : les affaires étrangères proprement dites, la marine et le commerce.
Je soumets ces observations à la chambre, parce que, comme nous sommes en train d’opérer des régularisations, des simplifications, je crois qu’il y aurait lieu d’opérer celle-ci, si l’on n’y voit pas d’inconvénient, pour l’an prochain. Je sais que pour cette année il est trop tard. Je demande donc s’il y a des motifs pour persister dans le mode qui a été suivi depuis quinze ans.
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M. Dechamps). - Messieurs, l’observation que vient de me faire l’honorable membre m’avait déjà frappé. Mais voici la raison qu’on m’a donnée pour maintenir ce qui est.
J’ai oublié dans quelle année un de mes prédécesseurs avait proposé de ne faire de la marine qu’une division du budget des affaires étrangères. Mais c’est par suite du vœu de la chambre même, sur les propositions de la section centrale, qu’on a établi la division en deux budgets.
Du reste, j’examinerai encore la question d’ici au budget prochain.
M. Sigart. - Un jour je suis venu vous dire à cette tribune : Dans les conditions où s’élève la colonie de Santo-Thomas, elle périra. Je vous ai dit pourquoi elle périrait, je vous ai dit comment elle périrait.
Un autre jour je suis venu vous dire : La colonie a péri.
A présent que puis-je vous dire encore ?
Je puis vous dire que le peu qui reste de la colonie périra.
Lorsque je tiens ce langage, ai-je le droit d’être cru ? La première fois que j’ai parlé, on pouvait, on devait peut-être douter. Peut-on douter encore ?
Mais si ces malheureux vont périr, quels sont les devoirs du gouvernement ? Le gouvernement doit, non pas demain, mais aujourd’hui, les aller prendre. Et si le gouvernement ne fait pas son devoir, le nôtre n’est-il pas de l’y contraindre ?
Quelque précieuse que doive être pour nous la vie de nos concitoyens, je comprends qu’il est des circonstances où nous ne devions pas en être trop avares : nul doute que si la sûreté, l’honneur du pays l’exigeaient, les considérations d’humanité ne dussent fléchir. Si seulement la richesse publique avait été en cause, il est possible que j’eusse détourné la tête en gémissant et que j’eusse laissé accomplir le sacrifice. Mais je cherche en vain l’ombre d’un intérêt national. Je vois l’intérêt d’une société composée de gens fort nobles, fort bien pensants en politique. L’intérêt de gens qui soutiennent le ministère s’élève apparemment à la hauteur d’un intérêt national.
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M. Dechamps). - Oui, M. Veydt, par exemple.
M. Sigart. - S’il n’y avait eu que M. Veydt dans la compagnie, vous ne l’auriez pas tant protégée.
Mais quel est l’intérêt de la compagnie de colonisation ? C’est actuellement un simple intérêt d’amour-propre. Remarquez que la compagnie de colonisation ne colonise plus : elle ne veut plus qu’un comptoir. Les colons ne sont plus qu’une charge. Pourquoi ne les ramène-t-on pas ? C’est qu’on ne veut pas avouer sa faute. Il n’y a pas d’autre raison que celle-là.
Les renseignements que je vous ai communiqués portent à 300 le nombre des décès à la date du 12 mai 1845 ; depuis cette époque, j’ai reçu de nouvelles communications. Voici l’extrait d’une lettre que je regrette de ne pouvoir lire tout entière :
« Depuis ce moment (celui du départ du major Guillaumot), la fièvre n’a pas cessé d’y sévir et d’y faire des victimes. Je citerai le docteur Desprez, M. Degrez, M. Palmaert, M. Perrotet, le docteur Tielmans, M. Billet, M. Husler, mort en mer, M. et madame Calais, Vansnick père, et mère, Barrois, la femme Pannekoek, des orphelins et autres colons qui ont succombé. M. Blondeel, Cloquet, le commandant de la Louis-Marie, M. Deboche, Pougin et Gérard, officiers, et plusieurs matelots ; M. Aguet, Fery, Esmengeaud, Kuylen fils, la demoiselle Kuylen, M. Decourtier Low-Lovis et beaucoup d’autres ont été gravement malades.
« (…) Le soin de ma santé, qui ne s’est jamais rétablie à Santo-Thomas, m’a décidé à quitter cette terre de désolation, quoique j’y occupasse un bon emploi et que mes concitoyens m’eussent donné des preuves de leur estime, en me nommant deux fois aux premières fonctions municipales.
« En quittant ce lieu fatal, j’ai promis à beaucoup de malheureux colons qui désirent ardemment de rentrer dans leur patrie, que je ferais tous mes efforts pour les arracher à la mort qui les menace. Je ne faillirai pas à ma promesse. »
Voici des extraits d’une autre lettre :
« Santo-Thomas, 7 juillet 1846.
« J’ai reçu votre lettre des mains mêmes de P… que l’on avait bien tourmenté pour lui faire lâcher sa correspondance, mais qui n’aurait pas remis ce dépôt sacré en d’autres mains pour un coup de canon. »
(Vous remarquez que c’est une lettre familière.)
« Négociants du dehors, gouvernement de Guatemala, colons, tous nous considérons la colonie comme mort ou au moins mourante.
« Mais à côté d’elle s’élève l’édifice de M. Blondeel ; il prend de la consistance, il se dilate, il est agréé par le gouvernement si susceptible de Guatemala, on l’affirme du moins. Toutes les difficultés ne s’aplanissent cependant pas tout d’un coup, et il y a des opposants. Tout cela ressortira de ses rapports dont M. Cloquet, retournant, je crois, par la Thétis, va être porteur. La principale clause me paraît être celle d’après laquelle les deux nations échangeraient librement et réciproquement leurs denrées et marchandises dans les deux pays.
« Le Comte de Flandre doit partir le 1er août ; mais son chargement n’est pas prêt, il nous amènera une vingtaine de colons. »
Suivent des détails sur ces colons.
« Mais ce qui est encore moins prêt que le chargement, ce sont les vivres pour le Comte de Flandre. La direction, réduite depuis longtemps aux bons à la main, n’a plus d’argent et ne sait comment en faire.
« Au magasin on a été au dernier baril de lard, farine, légumes ; on vit d’emprunts que fait la maison Welscht, à savoir : hier-10 barils farine, un porc, un frigoles, un riz, un pois… !
«Voici une idée : N… maudit ses Allemands qui ne veulent pas habiter son domaine et peupler la colonie. Alors il s’est rabattu sur les Chinois. Ne riez pas, il s’est agi sérieusement d’en engager quelques mille ; on prétendait que ce sont des gens laborieux et sobres ; qu’on les aurait à bon compte ; on était sûr du succès, etc.
« Autrefois, au moins, il y avait du pain ; en ce moment nous avons les fours froids depuis six jours, et nul espoir ! »
J’ai cherché en vain sur la liste des décès publiée dans le mémoire bon nombre de noms ci-dessus indiqués. Je ne trouve ni Deprez, ni Palmaert, ni Perrotet, ni Tielemans, ni Husler, ni Vausnick mère, ni la femme Pannekoek. D’où cela provient-il ? Comment se fait-il notamment qu’on ne comprenne point parmi les morts M. Palmaert, dont on donne l’autopsie ? Pourquoi le tableau s’arrête-t-il au 10 novembre, quand l’autopsie est du 26 décembre 1845 ?
Il est bon de remarquer que les noms cités sont ceux de personnes notables. Parmi eux se trouvent ceux de deux médecins et celui de M. Blondeel lui-même, qui avait tant de confiance dans le climat, et a failli en être victime. Quant tant de généraux sont tués ou blessés, combien y a-t-il de soldats ?
M. Blondeel, dans son mémoire, p. 49, déclare que sur 880 individus composant la colonie, il en était mort 286 au 1er novembre 1845.
M. Durand fait remarquer qu’on n’a pas compris les décès qui peuvent avoir eu lieu parmi les colons partis pour l’intérieur du pays, qu’on ne renseigne pas non plus les naufragés de la Florida Bianca, etc.
Au milieu de cette malheureuse abondance de décès, nous ne devons pas chicaner pour quelques unités, nous devons montrer de la rondeur en compte et passer outre. Toujours est-il un fait incontesté, c’est que déjà au 1er juillet 1845 la colonie est réduite à moins du tiers de ce qu’elle avait été. Elle était de 286 (p. 15, selon M. Blondeel), de 285 (p. 160, selon M. Durand).
Mais dans quel état sanitaire se trouvent ces 286 personnes ? A la vérité, M. Fleussu dit qu’il est satisfaisant, mais M. Durand dit qu’il n’est rien moins que tel, que 74 individus seulement, d’âge et de sexe divers, restent valides. Qui faut-il croire, M. Fleussu ou M. Durand ? Mais M. Durand, sans nul doute. Je ne ferai pas à votre sagacité l’injure de vous en expliquer les raisons ; et n’avons-nous pas des échantillons de l’état de santé des colons par ceux qui nous reviennent en Europe ? On les voit se traîner à peine, hâves et exténués, le teint jaune, accusant un engorgement profond de viscères.
Pour mesurer la confiance que l’on doit accorder à certains témoignages, voici un exemple que j’ai l’honneur de vous soumettre.
En 1844, il a régné une grande maladie, comme on le dit page 144, une affreuse épidémie, comme on la désigne page 93 ; puis voilà que page 150, on nous dit qu’il n’y a pas eu cinq maladies semblables ; et, en effet, le tableau nécrologique nous donne une espèce de nomenclature nosologique.
Mais à qui veut-on faire croire qu’il y aurait eu une grande mortalité par des maladies diverses ? Il ne faut pas être médecin pour savoir que dans les grandes épidémies il n’y a pas deux maladies, il n’y en a qu’une qui absorbe tout : c’est ce qui est arrivé du temps du choléra ; il n’y avait alors que le choléra. Je pourrais vous en dire la raison ; je me contenterai du fait.
Je n’insiste pas à ce sujet : je sais faire la part des positions. Si je voulais, j’aurais bien des révélations à faire ; je pourrais montrer chez tels ou tels bien des faiblesses, bien des turpitudes, mais je préfère montrer les actes de courage. On dit aux fonctionnaires : Je refuse votre rapport, faites-m’en un autre. Toute chose a deux faces, montrez la bonne. On leur fait voir l’avancement, on leur fait voir la disgrâce. On n’a affaire qu’à des fonctionnaires, des employés dépendant de leur place. Et il s’en trouve qui ont la noble fermeté de dire : Eh bien faites-moi destituer si vous voulez, je ne me déshonorerai pas par une lâcheté.
J’ai déjà cité MM. Petit et Dechange. Je dois citer MM. Guillaumot et Durand. De pareils hommes honorent leur pays.
Eh bien ! messieurs, c’est une chose déplorable à dire, ces hommes dont le pays doit s’enorgueillir, on n’osera pas les persécuter sans doute mais on les laissera languir dans l’obscurité, et il y aura des récompenses pour toutes les lâchetés. Quelle politique ! A quel abâtardissement vent-on mener la nation ! Quel temps que celui où les hommes de cœur doivent (page 177) être en révolte contre leur gouvernement ! Oh ! qu’elle est grande la moralité de notre ministère !
Lorsque les chiffres nécrologiques parlent avec une éloquence invincible, je pense inutile d’entrer dans des dissertations scientifiques, assez peu convenables ici ; quel moyen, d’ailleurs, d’apprécier les détails du mémoire de M. Blondeel, sans vous fatiguer par un mémoire au moins aussi volumineux que le sien ? Cependant, je ne puis m’en dispenser complétement.
Je dois d’abord réfuter un argument spécieux de MM. Blondeel et Fleussu, parce qu’il paraît faire beaucoup d’impression sur M. le ministre des affaires étrangères.
Cet argument consiste à dire que le climat diffère peu de celui de Vera-Cruz et de Batavia, qui ont pourtant prospéré.
Je dois examiner si l’émigration peut être un remède au paupérisme. Mais je dois surtout combattre les conclusions désastreuses de M. Blondeel.
Ces points à examiner se lient entre eux. Ils se rattachent, comme vous allez le voir, aux lois qui régissent la population. C’est assez dire que la question que je vais examiner est vaste et dangereuse ; mais sa solution doit éclairer d’une si vive lumière les questions sociales qui se débattent à chaque instant devant nous, que j’ai pensé ne devoir reculer devant aucun des inconvénients de ma tâche.
Le sujet, en effet, est si vaste que mon embarras est de le condenser en un discours, il me serait bien plus facile d’en faire un gros volume : heureusement l’auditoire d’élite auquel je m’adresse a peu besoin de longs développements !
La question est dangereuse : il est impossible de présenter quelques vérités à certains yeux sans les blesser : l’illusion est si douce à recevoir, si profitable à propager, que quiconque l’attaque doit être traité en ennemi par beaucoup de gens. Aussi je m’attends bien à voir dénaturer mes intentions. Quoi qu’il en puisse advenir, je ne veux pas moins dire ce qui est ou ce que je crois vrai, et je n’emploierai d’autre réserve, d’autres ménagements que ceux de stricte convenance dans un lieu aussi retentissant que la tribune.
MM. Blondeel et Fleussu disent que le climat de Santo-Thomas est celui de toute la zone torride, et que sa salubrité ressemble à celle de la Vera-Cruz, de la Havane et de Batavia, qui sont pourtant devenues des villes riches et prospères... Et M. le ministre trouve que l’on peut bien acheter un autre Batavia par quelques sacrifices !
Et d’abord je dis que toute la zone torride n’est pas aussi insalubre que Santo-Thomas. Généralement les îles sont motus chaudes, les continents sont moins humides.
Ensuite ce ne serait déjà pas trop vanter la salubrité que de la comparer à celle de la Vera-Cruz où la fièvre jaune règne constamment, à celle de Batavia où les fièvres paludiques sont en permanence.
Quand les vice-rois du Mexique se rendaient à Mexico, ils attendaient, à l’ancre devant le port de la Vera-Cruz, un moment favorable pour débarquer, traversaient au galop les tierras calientes pour arriver vite aux plateaux où l’air plus frais ne permettait plus aux miasmes de la fièvre jaune de développer leur action.
Mais une colonie peut donc prospérer malgré son insalubrité. L’insalubrité n’est donc qu’un plus on moins grand obstacle qui n’est jamais absolu. Selon moi, cela est incontestable. Vous voyez, M. le ministre, que je vous fais la part belle. L’exemple de Batavia est frappant. La population y est devenue considérable malgré des pertes d’hommes énormes. Nous allons voir comment peut se produire ce phénomène.
La nature, marâtre envers les individus, a déployé pour les espèces une prévoyance toute maternelle. Afin d’assurer la conservation des races contre tous les événements, elle en a projeté les germes avec une profusion presque infinie. Les plus cruelles épidémies, les guerres les plus sanglantes, en un mot les destructions d’hommes, si grandes qu’elles soient, n’agissent sur la population que pour autant qu’elles atteignent en même temps les sources de la production.
En vain les hommes sont détruits, il en naît au moins autant d’autres : c’est (la comparaison est exacte quoique peu flatteuse), c’est comme les mauvaises herbes que l’on arrache en vain sur un champ. Mais remarquez pour la population la condition essentielle : la production.
Il serait facile à Guatemala de produire des substances alimentaires. Mais ne suffit pas à des Européens d’avoir des bananes à manger. Il leur faut au moins des habitations, des vêtements, des meubles tels quels. Comment les obtenir ? On ne peut se les procurer que par des échanges, et il faudrait par conséquent produire quelque chose d’utile aux étrangers : du sucre, du café, de I indigo, par exemple. Mais je vous l’ai dit dans un autre discours : impossible de soutenir la concurrence avec les pays à esclaves.
Je suppose que Santo-Thomas soit un lieu convenablement choisi pour le commerce ; je suppose qu’on y soit sans concurrents, ou qu’il soit facile de les vaincre ; je suppose un capital convenable ; je suppose que le comptoir établi soit régi par des hommes capables, je suppose que le comptoir établi soit régi par des hommes capables, je suppose que ces hommes n’emploient leur capacité qu’au succès de la colonie et non à leur propre profit.
Tout cela n’est que supposition. Eh bien, dans ce cas, Santo-Thomas prospérerait ; malgré la fièvre jaune, malgré la peste, il prospérerait, et sa population deviendrait nombreuse ; cette prospérité générale serait achetée par des souffrances individuelles cruelles, car on ne meurt guère sans souffrir ; l’humanité aurait à gémir, mais il y aurait une grande cité de plus. Autour de cette ville, les campagnes se défricheraient comme d’elles-mêmes pour la nourrir.
Je crois que, dans cette conjoncture même, j’aurais dû des avertissements au public ; mais lorsque j’ai vu prendre la chose à rebours, lorsque j’ai vu commencer par envoyer un grand nombre d’hommes, lorsque j’ai vu la monstrueuse idée de coloniser par les blancs, dans la zone torride, dans la plus mauvaise partie de la zone torride, alors pouvais-je me taire ? Ne devais-je pas me révolter contre une pareille stupidité, sinon une horreur ?
Est-ce une stupidité, est-ce une horreur ? Vous serez peut-être aidés à décider cette question par ce passage de M. Blondeel ; il est curieux (p. 93) :
« Cet état de choses est encore nouveau et n’a été établi ou toléré que lorsque la population de la colonie était diminuée (M. Blondeel a eu l’attention de souligner le mot diminuée) des deux tiers ; lorsque celle qui restait avait perdu dans les luttes précédentes sinon toute sa santé, du moins son énergie, lorsque ces hommes qui avaient abandonné leur patrie pour s’établir à 2,500 lieues de chez eux, avaient perdu ce qu’on appelle trop dédaigneusement des illusions, car c’est avec l’immense levier des illusions que toute grande chose se fait dans le monde ! »
Quelles réflexions ne pourrait-on pas faire sur cette philosophie exprimée d’une manière fort naïve pour un diplomate, fort peu morale pour un catholique.
L’émigration peut-elle être un remède au paupérisme ?
C’est une opinion qui court avec assez de crédit dans le monde. Elle prend sa source dans une vérité entrevue, mais non suffisamment examinée : c’est que jamais la partie malheureuse d’une nation n’obtient un si grand allégement à ses souffrances que quand la population peut s’accroître, soit pour réparer une perte, soit pour suffire à un besoin qui se crée. Ainsi c’est une remarque constante que l’on a toujours éprouvé un certain bien-être après les fléaux dévastateurs, surtout les pestes.
Par contre il n’est pas moins vrai qu’un grand bien-être amène consécutivement des catastrophes la hausse des salaires crée la population, la population trop nombreuses fait baisser les salaires. Tout cela, comme une mer agitée, est dans une fluctuation constante qu’augmente ou contrarie l’abondance ou l’insuffisance des récoltes. Je fais en passant cette réflexion pour indiquer le danger de travaux publics trop multipliés.
Examinons cette vérité en fouillant jusque dans sa source. Nous avons vu les précautions de la nature pour assurer la perpétuité des espèces ; nous devons voir celles qu’elle a prises pour les maintenir dans certaines limites de multiplication. Il fallait bien, à côté de cette infinie fécondité, de puissants moyens de destruction. Près de la plupart des espèces elle en a placé d’autres plus puissantes qui en font leur pâture ; mais l’homme puissant, sinon par sa force, au moins par son intelligence, dompte toutes les autres créatures et ne peut être ainsi arrêté dans sa propagation. Comment sa race se borne-t-elle ? Elle se borne par elle-même, elle se borne par ce combat dont on vous a plusieurs fois entretenus. Il n’y a qu’une certaine quantité de substances alimentaires, la lutte a lieu à qui la conquerra : lutte de diverses formes selon les temps et les lieux : par la violence et par la ruse, par le travail et par le talent.
Pendant que le bon abbé de Saint-Pierre rêve la paix perpétuelle, une guerre incessante agite les hommes. Quand ils ne combattent pas avec le fer, c’est par la concurrence, par la rivalité.
On commence, dès le jeune âge déjà, à exciter chez les enfants l’ardeur de la lutte sous le nom d’émulation. Plus tard, viennent les affaires escortées de procès. Le combat prend toutes sortes de figures, même celle du jeu, et ce n’est pas sous cette forme qu’il consomme le moins de ruines. Dans toute profession (il faut excepter les monopoles) la lutte est établie ; dans toute profession existe, pour le plus grand nombre de ceux qui les exercent, un malaise insupportable que n’adoucira certes pas la chimère de l’organisation du travail. Et cette chambre, messieurs, qu’est-ce sinon une arène ? Le sang n’y coule pas, mais vous savez quelles cruelles blessures on peut s’y faire, et le public, comme les spectateurs du cirque, témoigne son impatience si quelque athlète ne combat pas avec un acharnement satisfaisant.
Et c’est en vain que vous effaceriez nos divisions de catholiques et de libéraux. Le lendemain du jour où un pareil résultat serait obtenu, vous verriez la division s’établir entre Wallons et Flamands, entre progressistes (page 178) et conservateurs, entre prohibitionnistes et free-traders, ou de quelque autre manière.
Entre ceux qui tiennent de leurs pères la provision qu’on appelle fortune ou les armes qu’on appelle instruction, le combat a pour effet de faire descendre le vaincu dans une région plus basse de la société, de le priver de certains avantages ; mais à la limite inférieure d’une nation, ou ne lutte plus pour une place plus ou moins bonne, on lutte pour vivre.
Vous n’attendez pas de moi que j’entre dans les détails et que je montre comment l’homme n’obtenant, malgré ses pénibles efforts, qu’une nourriture imparfaite est incapable de résister à la première épidémie qui ne manque pas de survenir.
Ainsi les résultats de la lutte : la misère et la malade sont les moyens par lesquels se borne l’espèce humaine. Ces moyens s’exercent partout et toujours, parce que partout il naît plus d’hommes qu’il n’y a de possibilité d’en nourrir ; seulement la misère est moins grande quand la disproportion est moins considérable. Il y a toujours excès de population, mais cet excès varie et fait varier le degré de misère. En effet, la misère résulte justement de l’impossibilité dans laquelle se trouve la population de s’étendre aussitôt qu’on lui recule ses limites, c’est-à-dire, qu’on lui offre des moyens plus étendus de subsistance, la misère disparaît en partie ; elle disparaîtrait complétement, ainsi que presque toutes les épidémies dont elle est la principale cause prédisposante, si les hommes trouvaient à profusion, comme beaucoup d’animaux, les objets de leurs besoins ; mais alors aussi la population croissant sans obstacle, au bout de peu de temps le globe ne suffirait plus pour la contenir. A ce point le combat devrait recommencer pour l’espace.
C’est, en effet, la forme de combat qui existe entre les végétaux : les germes les plus vigoureux et les mieux placés étouffent les autres.
C’est difficile à dire, messieurs, mais il le faut bien, le palliatif dont se sert la nature pour diminuer la misère, c’est la maladie et la mort.
M. Castiau. - Et les médecins. (Interruption.)
M. Sigart. - Propos d’hypocondriaque. Au reste, je ne suis pas ici pour défendre les médecins. (Autre interruption.)
Je dis donc que c’est là le palliatif naturel de la misère (s’il est permis de donner le nom de palliatif à l’une des plus terribles lois de la nature). L’émigration enlevant aussi une partie de la population, ne peut-elle pas être aussi un palliatif ? Pour produire cet effet, il faudrait qu’elle pût imiter exactement l’épidémie, il lui faudrait sa puissance, il faudrait qu’elle agit sur les faibles et qu’elle eût des retours inopinés.
Je dis qu’il lui faudrait sa puissance ; mais quelles proportions lui faudrait-il prendre pour acquérir la puissance d’une épidémie souvent inaperçue, parce qu’elle exerce ses ravages sur la partie la moins en vue de la société : les enfants des pauvres ? Il faudrait qu’un essaim innombrable s’élançât de la mère patrie, comme au temps de l’invasion des barbares.
Je dis qu’elle devrait agir sur les faibles, et au contraire, elle agit comme la guerre, elle emporte particulièrement les hommes vigoureux.
Enfin, et surtout, je dis qu’elle devrait être inattendue : une émigration prévue, comme une mortalité prévue, n’apporte aucun soulagement. Personne de vous n’ignore que chaque comté d’Irlande envoie annuellement en Amérique des milliers de ses habitants sans pouvoir faire élever le prix des salaires ; comme vous savez parfaitement que l’insalubrité des marais Pontins n’y empêche pas la misère.
Pourquoi cette dernière condition, messieurs ? La raison en est bien simple ; c’est que si, après une dépopulation imprévue, l’abondance règne, c’est que tout avait été préparé pour un plus grand nombre de consommateurs. Il va sans dire que ce bien-être des consommateurs n’a lieu qu’aux dépens des producteurs. On comprend aisément que les substances alimentaires étant trop abondantes, étant plus offertes que demandées, leur prix doit s’avilir ; niais cet état de choses peut-il durer ?
Le cultivateur ne trouvant pas la rémunération de son travail cessera de cultiver, emploiera autrement son capital et ses soins, il laissera la terre en friche ou lui fera produire d’autres denrées plus profitables. Peut-on espérer que le cultivateur produise autant de denrées alimentaires, s’il s’aperçoit, par la diminution de leur prix, que le nombre des consommateurs est diminué ? Peut-on espérer, si la population s’abaisse, que la nourriture ne diminuera pas dans la même proportion ? N’abandonnera-t-on pas d’abord les plus mauvaises terres, puis les médiocres et ainsi de suite ? Ne verra-t-on pas ce qu’on a vu arriver en Sicile ? Ce pays si fertile, autrefois le grenier de l’empire romain, n’est-il pas aujourd’hui presque stérile ?
Il n’est pas de mon sujet d’examiner les nombreuses conséquences qui découlent des principes que j’ai posés, je puis à peine énoncer les suivantes : c’est que :
La diminution soutenue du nombre des hommes n’empêcherait pas qu’il n’y eût un excédant pareil à celui qui existe, pareil à celui qui existait quand la population n’était que la moitié de ce qu’elle est aujourd’hui ; c’est que si, d’une part, il y a tendance de la population à s’élever au-dessus du niveau des subsistances, d’autre part il y a tendance des subsistances à descendre au niveau de la population : c’est que la misère, espèce de bordure ou lisière qui environne l’espèce humaine, se rétrécit un instant quand la population s’accroît et s’élargit aussitôt qu’elle doit rester stationnaire ou diminuer.
Un autre jour j’espère bien avoir occasion d’examiner avec vous ce grave sujet et, laissant de côté de funestes illusions, de vous proposer les véritables moyens d’agir sur le paupérisme. Aujourd’hui je dois me borner à poser une seule conclusion, mais bien nette : c’est que l’émigration telle qu’elle peut exister de nos jours, c’est-à-dire limitée et prévue, ne peut en aucune manière être utile aux malheureux.
Les observations économiques que j’ai développées plus haut montrent combien sont malheureuses les conclusions du mémoire formant la réponse à la 29ème question du gouvernement.
Le gouvernement avait posé cette question : Par quels moyens pourrait-on arriver à de plus heureux résultats ?
On répond :
1° Il faut augmenter la population et appeler les Indiens de l’intérieur.
2° (…)
3° (…)
4° Il faut avoir de l’argent et travailler.
Il n’y a pas de doute, de nouvelles catastrophes seraient le résultat de l’adoption de ces conclusions.
La nouvelle population que l’on appellerait périrait comme l’autre, à moins qu’on ne lui fournît non du travail, mais du travail à peu près supportable et surtout productif. Alors il périrait toujours énormément de monde, mais la colonie ne périrait pas.
M. Blondeel, tombant dans une de ces contradictions dont son mémoire abonde, paraît d’ailleurs de cet avis, à la page 100, lorsqu’il dit : La population ne peut s’accroître qu’avec l’accroissement des ressources.
A mon tour, j’arrive à une conclusion :
Dans la zone torride, et moins à Santo-Thomas qu’ailleurs, il n’y a pas de colonisation possible par les blancs. La compagnie l’a reconnu.
Je ne juge pas la question commerciale, les éléments me manquent ; mais de quelque manière qu’on la décide, une grande population est inutile à Santo-Thomas. Il ne faut que des négociants et des commis. Si le comptoir peut prospérer, il n’est pas besoin de s’occuper du reste. Tout autour la population nécessaire se créera toute seule.
La compagnie n’a pas d’intérêt à conserver là-bas des gens la plupart malades et qui ne font rien (p. 94).
Elle a à la vérité des contrats avec la république, mais l’article par lequel elle a contracté l’obligation de peupler, n’a pas plus de force que les autres qui sont inexécutés, comme l’établissement de routes carrossables et la navigation à vapeur sur la Montagna. Aussi bien les colons y périront.
En conséquence, elle devrait les ramener en Belgique.
A son défaut, pouvons-nous le faire ? Je le crois.
Cependant je n’irai pas jusqu’à vous proposer de les ramener tous. Je respecterai le contrat par lequel certains colons sont liés. Mais nous pouvons, nous devons ramener en Europe les orphelins et les personnes libres qui demandent à revenir dans leur pays.
J’ai donc l’honneur de vous faire la proposition suivante :
« Le gouvernement ramènera en Belgique les orphelins et les personnes libres qui le demanderont. «
Je traduirai cette proposition en amendement au budget, lorsque j’aurai reçu les explications que va sans doute, me donner M. le ministre.
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M. Dechamps). - Messieurs, j’ai été quelque temps à me demander comment l’honorable membre avait traité la question relative à Santo-Thomas, à propos du budget de la marine. Je viens de comprendre la connexité qu’il a établie entre ces deux questions. Selon l’honorable membre, le gouvernement devrait ramener, sinon tous les colons, au moins quelques-uns et les orphelins, probablement au moyen des navires de l’Etat.
M. Sigart. - Nous discuterons les moyens tout à l’heure, quand vous nous aurez donné des renseignements.
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M. Dechamps). - Car si l’honorable membre ne prend pas cette conclusion, je ne comprends pas encore une fois quelle connexité il établit entre la question de Santo-Thomas et le budget de la marine.
D’abord, messieurs, je ferai cette remarque avant toute discussion, c’est qu’il est impossible de se servir des bricks de la marine royale pour ramener les colons, par une raison très simple, c’est que ces bricks, comme chacun sait, ne sont pas organisés pour des transports d’hommes.
M. Sigart. - Ils en ont conduit.
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M. Dechamps). - Très peu. Il ne faut pas de grandes connaissances en fait de marine pour savoir qu’il est impossible de faire servir ces bricks pour le transport des colons et des orphelins. Il faudrait donc affréter des navires étrangers ; le budget de la marine est donc assez étranger à la question de colonisation.
(page 179) Cependant ce n’est pas une fin de non-recevoir que je veux poser.
Messieurs, je témoignerai un regret, c’est que l’honorable membre n’ait pas cru devoir attendre que le rapport de M. Blondeel fût complétement imprimé et mis sous les yeux de la chambre, pour entretenir celle-ci de la question de Santo-Thomas et arrive surtout à une conclusion.
La première partie du rapport de M. Blondeel est relative à l’état sanitaire de la colonie, aux causes de mortalité qui ont existé, à la salubrité du climat. La seconde partie est relative au côté commercial de la question.
Messieurs, ce rapport est un travail sérieux, Il a été fait avec un soin extrême. Je crois qu’il eût été convenable, avant que la chambre puisse prendre une détermination en connaissance de cause, d’attendre au moins que tous les documents de l’enquête fussent sous ses yeux. Une première partie de ces documents est seulement parvenue à la connaissance des membres de la chambre ; il serait donc difficile de discuter d’une manière complète cette importante question.
Si cependant la chambre juge bon que je réponde au discours de l’honorable membre, je suis prêt à le faire. (Parlez !)
Il n’est pas inutile, du reste, de rectifier une partie des faits que l’honorable M. Sigart a signalés. Je ne veux prendre aucune conclusion, je veux me faire simple rapporteur des faits, tels qu’ils ont été révélés par l’enquête.
Relativement à la question sanitaire et de salubrité du climat, l’honorable M. Sigart arrive sur tous les points à des conclusions opposées à celle à laquelle aboutit le rapport de M. Blondeel. Notre consul général, après avoir fait connaître l’historique des faits et les opinions des docteurs Fleussu et Durand, résume son travail en concluant que le climat n’est pas un obstacle à la colonisation, qu’il est moins insalubre que celui de la plupart des contrées tropicales, que les causes de la grande mortalité dc 1844 sont accidentelles et peuvent disparaître. M. Sigart affirme tout le contraire : les causes de la mortalité, selon lui, sont permanentes, elles résident dans le climat que M. Sigart envisage comme mortel. Je vais tâcher de rétablir les faits le plus exactement possible.
L’honorable membre a dit, en commençant, qu’il s’attendait à voir ses intentions dénaturées et méconnues. Je crois que personne, dans cette chambre, ne viendra dénaturer les intentions de l’honorable membre ; ces intentions sont très louables : l’honorable membre a une conviction formée ; il croit que le climat de la colonie est insalubre à tel point que la vie des colons y est compromise ; il en tire cette conclusion fort juste, à son point de vue, que le gouvernement doit ramener les orphelins et les autres colons qui désirent revenir. En effet, messieurs, si les faits étaient tels que les voit l’honorable membre, le gouvernement devrait ramener les colons quels que fussent les inconvénients attachés à une intervention de ce genre. Mais voyons quels sont en réalité les faits.
L’honorable membre a examiné le rapport de M. Blondeel au point de vue des causes attribuées à la grande mortalité qui a régné à Santo-Thomas. Vous savez, messieurs, que, dans son rapport, notre consul général s’appuie sur deux témoignages, le témoignage de M. le docteur Fleussu et le témoignage de M. le docteur Durand ; il les compare et il émet ensuite ses propres idées, il fait connaître ses propres impressions.
L’opinion de M. Fleussu, partagée par M. Blondeel, est favorable à la colonisation ; il croit que le climat est relativement salubre, c’est-à-dire, qu’il ne pense pas que la colonisation puisse rencontrer un obstacle dans le climat, Telle est aussi la conclusion du rapport de M. Blondeel.
L’honorable M. Sigart récuse et le témoignage de M. Blondeel et celui du docteur Fleussu, c’est-à-dire ceux qui sont contraires à l’opinion qu’il a émise ; il n’admet comme valable que l’opinion du docteur Durand qui se rapproche un peu plus de la sienne.
Entre le docteur Fleussu et le docteur Durand, a dit M. Sigart, Il ne faut pas hésiter à se prononcer pour ce dernier. Je vous avoue, messieurs, que je ne comprends pas pour quel motif nous suspecterions la sincérité de l’opinion de M. Fleussu : il se trouve dans la colonie depuis l’origine, c’est-à-dire depuis le 20 mai 1843. Le docteur Fleussu a fait preuve d’un dévouement bien rare ; depuis la naissance de la colonisation jusqu’à ce jour il a voué, sans interruption, ses soins aux colons ; c’est lui qui a traité à peu près seul tous les malades, pendant l’épidémie et depuis. Le caractère du docteur Fleussu est connu comme un des caractères les plus honorables, et certes, ce n’est pas en vue d’un intérêt d’argent ou d’une perspective d’avenir, qu’il est resté attaché au sort de cette colonie depuis près de trois ans. Sachons honorer le dévouement quand nous le rencontrons. Pour moi, je me plais à lui donner ici un témoignage de la reconnaissance du gouvernement pour les soins qu’il a donnés aux colons belges.
Le docteur Durand, dont je respecte l’opinion au même degré, a passé accidentellement par la colonie ; son témoignage, aussi consciencieux que celui du docteur Fleussu, doit-il cependant prévaloir sur ce dernier, alors que M. Fleussu, qui habite la colonie depuis 1843, a pu soumettre les faits à une beaucoup plus longue expérience ? Je vous laisse, messieurs, le soin de faire cette appréciation.
Eh bien, quelle est l’opinion de M. le docteur Fleussu ? Le résumé de son opinion est celui-ci. Après avoir cherché à établir que la mortalité de 1844, pendant l’épidémie, n’était pas due exclusivement au climat et que les défrichements n’ont pas été la cause principale de la maladie, le docteur Fleussu affirme que Bélize, la Vera-Cruz, la Nouvelle-Orléans, la Havane, ces grands centres de commerce et de population, se trouvent dans une position beaucoup plus défavorable, sous le rapport du climat. que la ville naissante de Santo-Thomas. L’honorable M. Sigart a répondu qu’en effet la plupart de ces pays, situés entre les tropiques, n’avaient qu’un climat insalubre, Si l’on veut établir une comparaison entre les climats des pays tropicaux et celui de Belgique, par exemple, évidemment les premiers climats seront relativement insalubres. Mais la question n’est pas là : la question était de savoir si le climat de Santo-Thomas se trouvait dans des conditions plus défavorables que le climat des autres colonies espagnoles, portugaises ou anglaises. Or, l’honorable membre n’a pas même contesté ce fait : le climat de Santo-Thomas n’est pas plus mauvais, il est plutôt meilleur que celui des pays que je viens de citer ; au moins c’est l’opinion de M. le docteur Fleussu et de M. Blondeel ; c’est l’opinion d’hommes capables, qui se sont trouvés sur les lieux et qui ont pu, mieux que l’honorable membre, apprécier le fait.
Avant de rappeler l’opinion de M. Blondeel, qui a été chargé de faire l’enquête, que la chambre me permette de dire, ici en passant, que le gouvernement a choisi M. Blondeel pour cette mission, parce que d’abord il avait confiance dans ses lumières et dans son expérience, M. Blondeel ayant déjà été chargé d’une mission à peu près analogue en Abyssinie ; qu’il avait rempli cette mission à l’entière satisfaction du gouvernement, qu’il y avait fait preuve d’un grand dévouement, qu’il y avait même exposé ses jours ; parce que M. Blondeel était dans des conditions d’impartialité, n’ayant jamais eu de rapports directs ni indirectes avec la compagnie ; le gouvernement a donc cru trouver en lui un homme entièrement désintéressé dans la question, et un agent d’expérience, de capacité et d’un caractère honorable. Voici donc l’opinion de M. Blondeel :
« Si la question de savoir si le climat de Santo-Thomas est un obstacle au succès de la colonie, était soumise à chacun des 286 Européens qui forment la population de Santo-Thomas, en les laissant à leurs propres inspirations, il ne viendrait à l’esprit d’aucun de la résoudre affirmativement. En résumé consciencieux de toutes mes observations, tant ici que dans mes voyages en Asie et en Afrique, je dirai en peu de mots : Ce serait une illusion que de s’attendre à trouver sous les tropiques une terre salubre pour les Belges au même degré que certaines parties de la Belgique ; mais cette insalubrité relative, d’une nature assez maligne pour qu’on puisse légitimement reprocher à tous les chefs d’administration à Santo-Thomas, d’avoir néglige certains travaux d’assainissement, certaines mesures de prévoyance et d’hygiène, ne l’est pas assez pour que l’on puisse la regarder comme un obstacle à la colonisation. La comparaison du docteur Fleussu, de Bélize, de Vera-Cruz, de la Nouvelle-Orléans et de la Havane avec Santo-Thomas, est un raisonnement sans réplique, et l’on pourrait indiquer de même cent autres points. Je me bornerai à citer Java, plus connue en Belgique.» M. Blondeel émet ailleurs l’opinion que, dans des conditions hygiéniques satisfaisantes, il y aura peut-être à Santo-Thomas moins de maladies graves qu’en Europe.
L’honorable M. Sigart, qui s’appuie exclusivement sur le témoignage de M. le docteur Durand, va beaucoup plus loin que ce docteur lui-même. Je vais faire connaître l’opinion de M. le docteur Durand, et vous verrez, messieurs, que le docteur Durand est très loin de trancher la question du climat comme le fait l’honorable M. Sigart.
« Je considère, dit-il, l’exhalaison ds miasmes provenant de la décomposition putride de la vase des marais, soit des terres vierges de la forêt, soit des terres nouvellement remués ou défrichés, comme un aliment permanent de la viciation de l’air, comme constituant à elle seule une cause d’insalubrité et concourant avec les autres causes au développement de la maladie. - Des circonstances analogues ont contrarié les tentatives de colonisation dans toutes les contrées basses de la zone torride, et malgré cela, elles n’ont été jusqu’ici que bien rarement considérées comme un obstacle insurmontable à toute réussite. Il ne faut pas se bercer de l’espoir de pouvoir appliquer à Santo-Thomas la qualification de salubre, en comparaison des belles parties de la Belgique. Il ne m’est pas donné de me prononcer d’une manière tranchée sur une question aussi grave. Ce qui est commencé par une société et avorte entre des mains inhabiles, faute de moyens et de prévoyance, peut s’accomplir par une nation qui sait tirer profit de son argent et de son drapeau. »
Vous voyez donc, messieurs, que le docteur Durand, tout en constant l’état actuel de l’insalubrité de la colonie à ses yeux, n’ose pas trancher cette question pour l’avenir.
M. le docteur Durand, après avoir constaté dans un autre passage que la cause principale de l’épidémie de 1844 a été le dégagement des gaz toxiques des forèts vierges, opéré par le défrichement, cite pour exemple les défrichements opérés dans notre forêt de Soignes, défrichements qui, dit-il, ont provoqué des fièvres typhoïdes, lesquelles ont décimé les populations voisines. Il considère cependant les défrichements opérés dans de bonnes conditions, comme devant contribuer à l’assainissement même des localités. La cause de l’épidémie de 1844 à Santo-Thomas n’est donc pas permanente, aux yeux de M. Durand.
L’opinion de M. le docteur Durand n’est pas, il est vrai, aussi favorable que celle de M. le docteur Fleussu et de M. Blondeel à la situation climatérique de Santo-Thomas ; mais elle est beaucoup moins absolue que celle de l’honorable M. Sigart.
L’opinion de l’honorable M. Sigart arrive à une conclusion tout contraire (page 180) à celle de l’enquête qui a été faite par l’honorable M. Blondeel. M. Blondeel conclut en disant que, quelles que soient les vicissitudes qui puissent attendre la compagnie, la colonie existe et qu’elle existera ; l’honorable M. Sigart nous prédit, au contraire, que la colonie périra.
Eh bien, messieurs, j’avoue que jusqu’à ce que d’autres faits nous soient connus, et malgré la confiance e que je puis avoir dans l’opinion de l’honorable M. Sigart, je dois placer plus de confiance encore dans l’opinion de l’agent qui, sous sa responsabilité, a dirigé l’enquête dont les résultats sont actuellement soumis à l’examen des membres de la chambre.
Mais, messieurs, indépendamment de ces opinions qui peuvent varier plus ou moins sur les causes de la maladie, sur l’état du climat de Santo-Thomas, je veux faire connaître en résumé tous les faits de mortalité depuis le 20 mai 1843 jusqu’au mois de juillet dernier ; et de ces chiffres nécrologiques, comme l’a dit l’honorable M. Sigart, il résultera que les causes de la grande mortalité qui a frappé 1es colons en 1844, ont été surtout accidentelles.
C’est à l’encombrement des colons amenés en trop grand nombre, à la misère que cette population trop forte a créée, aux mauvaises mesures hygiéniques adoptées, au mauvais système d’alimentation, enfin à toutes les causes malheureuses qui ont pesé sur la colonie pendant longtemps, qu’il faut attribuer cette épidémie qui a décimé les colons, plutôt encore qu’à des causes inhérentes au climat.
Voici les chiffres que je trouve dans le rapport de M. Blondeel ; j’y ajouterai des renseignements postérieurs à ce rapport jusqu’en août dernier.
Du 20 mai 1843 au 1er mars 1844, il n’y a eu aucun décès ; ce fait est déjà remarquable, chacun sait que les colons européens, dans les pays tropicaux, courent surtout des dangers pendant les premiers mois d’acclimatation.
Un membre. - Quel était le nombre des colons ?
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M. Dechamps). - Il y avait 56 colons !
Du mois de mars 1844 au mois de juillet même année, il y a eu 41 décès ; du mois d’août 1844 à la fin de janvier 1845, c’est-à-dire pendant l’époque de l’épidémie, il y a eu 176 décès sur 880 colons. Cette épidémie effrayante a coïncidé avec l’arrivée du navire le Théodore qui est venu déverser une quantité considérable de colons, au moment où les habitations manquaient déjà à ceux qui se trouvaient à Santo-Thomas.
Depuis la fin de janvier la décroissance de la mortalité a été continuelle et l’état sanitaire a été s’améliorant sans interruption. Ainsi du 1er février au 1er juin, en quatre mois il y a eu 33 décès ; du 1er juin 1845 à la fin du mois d’août, il y en a eu 12 ; du 1er septembre 1845 au 1er janvier 1846 il y a eu 4 décès.
J’ai sous les yeux un état sanitaire de la colonie signé par le docteur Fleussu et comprenant les six premiers mois de 1846. Du 1er janvier de cette année jusqu’au 1er juillet, il n’y a eu que six décès dus à des causes étrangères au climat.
Voici comment le docteur Fleussu termine ce rapport, daté du 7 septembre dernier :
« La bonne santé des colons, les forces qui leur reviennent avec l’embonpoint, le petit nombre d’indispositions que l’on rencontre chez les anciens qui sont acclimatés, la conservation des nouveau-nés, l’absence des fièvres intermittentes pendant quelques mois, tout porte à croire que les faits appuieront de plus en plus l’opinion que j’ai émise sur le climat, la nature et la cause des maladies, et que la question de salubrité sera dans peu résolue d’une manière satisfaisante. «
Ainsi, messieurs, presque toute la mortalité se concentre du mois d’août 1844 à la fin de janvier ou février 1845 ; avant cette épidémie et depuis cette épidémie, la mortalité, loin d’être effrayante, a presque toujours été à peu près normale.
Mais, messieurs, si l’on rapproche ces faits de certains autres consignés dans le rapport, on reconnaîtra que ces causes ont été en grande partie accidentelles ; qu’elles ont été non seulement la conséquence des fautes commises, teltes que la grande agglomération des colons, les mauvaises mesures hygiéniques, la mauvaise alimentation, mais qu’elles ont tenu aussi à des causes personnelles aux colons. Ainsi, parmi les 176 cotons morts pendant les mois d’épidémie, il y a eu 103 enfants.
Un autre fait est signalé dans le rapport, c’est que parmi les colons arrivés à Santo-Thomas, 116 étaient malades à l’arrivée, une partie atteints de maladies héréditaires. Parmi ces 116 malades, 106 sont morts.
Rapprochez ces faits : sur 211 morts à la date du 1er novembre 1845, il y a eu 103 enfants et 106 colons qui, à leur arrivée, étaient déjà frappés de maladies. Indépendamment de ce fait, il en est un autre sur lequel j’appelle l’attention de la chambre ; le rapport de M. Blondeel constate que les mois insalubres sont juillet, août, septembre et octobre, c’est-à-dire la saison des pluies et de chaleur humide. Depuis la création de la colonie, quelle a été la mortalité pendant chacune de ces périodes insalubres ? De la fin de juillet au mois d’octobre 1843, il n’y a eu aucun décès ; pendant les mois d’août, septembre, octobre 1844, époque de la grande épidémie, il y a eu une grande mortalité ; pendant les mêmes mois de 1845, six à huit cas de décès ont été constatés. D’après le rapport sanitaire du docteur Fleussu, dont je viens de donner l’analyse, pendant les mois de juillet et août 1846, il y a eu trois décès ; et le docteur Fleussu constate que les accès de fièvre intermittente ont presque entièrement disparu.
Messieurs, voilà les faits qui résultent du rapport de M. Blondeel ; le gouvernement n’a pas d’autre document que l’enquête qu’il a ordonnée et il ne peut s’appuyer que sur ceux-là pour se former une opinion. L’honorable membre peut ne pas partager l’opinion de M. Blondeel ; mais jusqu’ici les faits semblent pleinement la confirmer.
Le gouvernement ne peut donc pas admettre qu’il y ait péril pour les colons et les orphelins, que le climat de la colonie soit tellement insalubre qu’il soit nécessaire de prendre une mesure extraordinaire comme celle que propose l’honorable membre.
Voici les motifs pour lesquels le gouvernement n’a pas cru devoir intervenir pour faire revenir les colons et les orphelins.
D’abord, messieurs, il ne faut pas perdre de vue que la compagnie de colonisation de Santo-Thomas s’est engagée à ramener, à ses frais, en Belgique, tous les colons qui le demanderaient et tous les orphelins qui seraient réclamés par leurs familles ; je crois du moins que tous les colons se trouvent dans cette position ; et jusqu’à présent la compagnie a rempli ses engagements. Notre consul à Guatemala a pour mission spéciale de surveiller la compagnie à ce point de vue pour connaître si elle accomplit exactement ce devoir sacré.
Messieurs, depuis un an surtout, les colons ont trouvé des occasions assez fréquentes de revenir en Belgique. Plusieurs sont revenus.
Un membre. - Aux frais de la compagnie ?
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M. Dechamps). - Je le pense. L’honorable M. Sigart vient de citer lui-même un fait. Il a rappelé que le navire le Comte de Flandre, qui est parti il y a quelques mois de Santo-Thomas, doit ramener vingt colons. Je citerai un fait récent. L’Iéna a ramené plusieurs colons aux frais de la compagnie.
M. Veydt. - L’Iéna est parti le même jour et a ramené trois colons.
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M. Dechamps). - J’ajoute que, sur cinq colons, trois sont revenus pour retourner à Santo-Thomas avec leur famille.
Ainsi, messieurs, les colons qui sont à Santo-Thomas y restent de leur plein gré, ; car ils ont pu, lorsqu’ils l’ont voulu, revenir en Belgique, si tel était leur désir. Les navires assez nombreux qui ont abordé à Santo-Thomas leur ont offert l’occasion de quitter la colonie, et nous n’avons aucun fait qui porte à croire que la compagnie ait refusé de satisfaire au vœu manifesté par les colons.
Relativement aux orphelins, la question est plus délicate, et je dois dire que le gouvernement n’a négligé aucun des devoirs de surveillance, d’humanité qui lui sont imposés.
Messieurs, vous avez vu, dans le rapport de M. Blondeel, qu’un local spécial est affecté aux orphelins, que ce local est parfaitement convenable, que le régime alimentaire est sain, régulier et varié ; qu’ils sont l’objet de soins dignes d’éloge, de la part du directeur de la maison, qui leur donne en même temps l’éducation. L’année dernière, l’honorable M. Veydt nous a donné des détails assez circonstanciés sur la situation dans laquelle se trouvaient les orphelins, sur les soins qui leur étaient donnés.
M. Veydt. - Ces détails sont complétement confirmés par M. Blondeel.
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M. Dechamps). - Messieurs, je le répète, le gouvernement a donné des instructions très précises à notre consul à Guatemala afin que les orphelins puissent être secourus, si la compagnie manquait à ses engagements. On a craint une fois un état de pénurie, c’était avant l’arrivée du Comte de Flandre ou de l’Iéna. Eh bien ! notre consul était prêt à intervenir en faveur des orphelins, si la compagnie avait manqué à ses devoirs. Mais nous n’avons reçu communication d’aucun fait qui pût faire croire à la nécessité de notre intervention directe.
M. Verhaegen. - Je demande la parole.
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M. Dechamps). - En présence de ces faits, en présence de la liberté complète laissée aux colons de revenir en Belgique, lorsqu’ils le voudront, en présence des détails favorables qui sont parvenus au gouvernement sur la manière dont sont traités les orphelins, que devait faire le gouvernement ?
Messieurs, veuillez bien remarquer que non seulement l’intervention du gouvernement eût été intempestive, mais qu’elle eût été dangereuse à un autre point de vue, et je prie l’honorable M. Verhaegen, qui vient de demander la parole pour me répondre, de faire attention à ce que je vais dire.
Des engagements existent entre les colons, les familles des orphelins et la compagnie, et entre la compagnie et l’Etat de Guatemala. N’y aurait-il pas eu à craindre, messieurs, si le gouvernement avait pour ainsi dire forcé les colons ou les orphelins à revenir, que la compagnie eût dit que c’était le gouvernement qui déchirait le contrat existant entre les colons et la compagnie d’une part, que c’était lui qui déchirait les engagements contractés par elle vis-à-vis de l’Etat de Guatemala d’autre part ? La compagnie aurait fait peser sur le gouvernement la responsabilité de ce qui peut arriver à la colonie ; elle aurait peut-être attrait le gouvernement en dommages et intérêts.
Messieurs, il fallait des faits graves, il fallait que le gouvernement eût la preuve, eût la conviction qu’il y avait péril dans la situation des colons et des orphelins, pour se résoudre à une intervention qui eût entraîné une semblable responsabilité.
(page 181) Je crois donc, messieurs, que, vu les faits qui vous sont connus par l’enquête, l’amendement de l’honorable M. Sigart est inutile. Je crois en second lieu qu’il serait dangereux, en ce qu’il entraînerait le gouvernement dans une très grave question de responsabilité vis-à-vis la compagnie.
Messieurs, l’honorable M. Sigart n’a pas voulu entretenir la chambre du côté commercial de la question, parce que la seconde partie du rapport de M. Blondeel n’était pas encore imprimée. Mais, messieurs, puisque je suis à faire connaître la situation de la colonie, la chambre me permettra de lui faire connaître aussi quelques-uns des faits consignés dans cette partie du rapport qui est envoyée à l’impression.
Cette seconde partie du rapport de M. Blondeel concerne l’importance du port de Santo-Thomas comme entrepôt commercial pour l’Amérique centrale. Je partage, pour mon compte, complétement l’avis de l’honorable M. Sigart, à ce point de vue que si l’on avait pu connaître d’avance tous les faits, au lieu de vouloir créer une colonie sur la base agricole, par la culture et les défrichements, il eût fallu faire tout autre chose ; il eût fallu fonder un comptoir commercial, comme les Anglais en ont fondé un à Belize. Pour cela il ne fallait pas de grandes dépenses. Ouvrir un comptoir, établir une voie peu coûteuse vers la Montagua, vers l’intérieur, tel était le facile problème à résoudre ; on s’est égaré à la poursuite d’un autre.
Mais faut-il, messieurs, parce qu’on n’a pas suivi ce dernier plan, jeter du blâme sur les auteurs de cette entreprise ? Messieurs, toutes les tentatives de ce genre ont été accompagnées de fautes pareilles. On ne peut pour cela accuser les personnes honorables qui se dévouent à une œuvre utile en elle-même, parce qu’elles se seraient trompées sur les moyens. Si le succès avait couronné leurs efforts, on les eût portées aux nues ; faut-il les blâmer, pour des fautes qu’il était difficile d’éviter ?
Ainsi je partage l’opinion, qu’il aurait fallu suivre un système tout différent de celui qui a été adopté ; aujourd’hui on songe à finir par où l’on aurait dû commencer. Un projet existe (je ne sais pas encore s’il sera conduit à bonne fin), de fonder à Santo-Thomas un comptoir commercial en dehors de la compagnie. Quelques maisons importantes d’Anvers et de Gand ont soumis au gouvernement un projet de société, pour fonder un comptoir commercial à Santo-Thomas.
Un membre. - Le gouvernement ne s’en mêlera pas ?
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine (M. Dechamps). - Le gouvernement ne s’en mêlera pas.
Si je ne craignais de prolonger trop la discussion, je lirais des extraits du rapport de M. Blondeel, sur l’importance commerciale du port de Santo-Thomas. Je vais les analyser rapidement.
M. Blondeel constate d’abord que, dans l’état actuel très incomplet des communications, il y a une économie de près de 50 p. c. dans une expédition de Santo-Thomas vers Yzabal sur une expédition de Bélize vers le même point. Si la communication vers la montagne était achevée, il y aurait une économie de 13 fr. 96 c. par 100 kil, sur le mode de transport pratiqué précédemment. Il en résulte, d’après M. Blondeel, que Santo-Thomas doit déposséder Bélize du commerce vers l’Amérique centrale. M. Blondeel donne le relevé des navires qui ont abordé à Santo-Thomas ; le nombre des navires s’élève à 100, parmi lesquels la Compagnie en a expédié 15. Depuis cette époque, elle a encore expédié, avec chargements, Le Comte de Flandre, l’Iéna, l’Emma et le Lesselier.
Les marchandises belges envoyées ainsi vers l’Amérique centrale par Santo-Thomas forment une somme de 400,000 francs sans compter les derniers chargements.
J’ai sous les yeux le résultat d’un compte de vente de toiles, duquel il résulte qu’on a bénéficié sur cette vente 53 p. c. Des négociants d’Anvers qui ont fait des essais, m’ont déclaré que ces essais avaient mieux réussi que ceux tentés vers le Mexique et le Brésil.
Messieurs, je ne multiplierai pas les citations. La chambre aura sous peu la partie du rapport de M. Blondeel qui concerne la question commerciale, et elle pourra apprécier alors quelle est ou quelle pourrait être l’importance pour la Belgique d’avoir un comptoir commercial à Santo-Thomas. J’ai voulu faire connaître les faits tels qu’ils nous étaient connus par le rapport de M. Blondeel ; là s’arrête ma tâche.
Messieurs, la conclusion de ce rapport, au point de vue commercial, c’est que le port de Santo-Thomas est considéré comme un point important, c’est que cet entrepôt commercial existe, et que probablement il existera, quel que soit le sort de la colonisation.
Le second fait relatif à la salubrité, c’est que le climat de Santo-Thomas n’est point un obstacle à la colonisation.
Tel est le résumé du rapport de M. Blondeel.
En présence de ces conclusions et de l’engagement pris par la compagnie de ramener tous les colons qui en témoigneront le désir, devant cet autre fait que l’intervention du gouvernement pourrait amener pour lui une grave question de responsabilité, je crois, messieurs, qu’il serait dangereux d’admettre l’amendement de l’honorable M. Sigart.
Remarquez d’ailleurs que l’état sanitaire de la colonie étant tel que je viens de vous le dire, il serait bien moins dispendieux pour le gouvernement d’entretenir complétement les orphelins à Santo-Thomas jusqu’au moment où il se présenterait des occasions favorables pour les ramener, que d’affréter un navire pour aller les chercher.
Si l’état sanitaire de la colonie était tel qu’il y eût pour eux danger de mortalité, le gouvernement ne devrait pas hésiter. Mais comme l’enquête constate le contraire, je dis que mieux vaudrait, si la compagnie était dans l’impossibilité de remplir ses engagements, de subvenir à l’entretien des orphelins à Santo-Thomas, en attendant que des occasions se présentent pour les ramener.
C’est, du reste, un devoir que le consul aura à remplir, si le fait se présente et si les besoins sont constatés.
M. Dumortier. - Messieurs, j’ai lu également avec beaucoup de soin le rapport si remarquable qui nous a été présenté par le gouvernement, et qui a été fait par notre chargé d’affaires, M. Blondeel, un des hommes les plus distingués du corps de nos agents extérieurs.
Je dois dire que j’en ai tiré des conséquences tout opposées à celles qu’en a tirées l’honorable M. Sigart, et que, loin de conclure de ce rapport que le climat de Santo-Thomas était insalubre, qu’il fallait abandonner la colonie, j’ai conclu qu’il fallait, au contraire, faire en sorte de conserver cette colonie.
Et ici messieurs, je fais très grand cas de l’autorité de la personne qui a été chargée de faire ce rapport. Car, vous le savez, cette personne, d’ailleurs éminemment capable en elle-même, a habité pendant plusieurs années l’Abyssinie, et par conséquent elle a pu apprécier par expérience tout ce que pouvait offrir de favorable ou de défavorable le climat de Santo-Thomas.
Or, messieurs, qu’est-ce qui résulté de ce rapport ? Il résulte que le climat de Santo-Thomas, loin d’être plus défavorable que ne l’est celui des ports de mer des pays équinoxiaux, est au contraire plus favorable que celui de la plupart de ces ports.
Messieurs, lorsqu’il s’agit de créer une colonie, ou même d’établir un comptoir commercial dans un pays vierge, il faut commencer par opérer le défrichement d’une certaine étendue de terrain sur les bords de l’Océan. Vous le savez, dans les pays chauds les forêts vierges s’étendent jusqu’à la mer même. Il y a donc impossibilité absolue d’établir les locaux nécessaires pour le comptoir commercial, à moins d’avoir opéré un défrichement quelconque. Car on ne peut se loger dans les bois. L’habitation dans les bois, indépendamment de ce qu’elle serait impossible, parce que ce sont des forêts vierges, serait encore inexécutable à cause des insectes de toute espèce qui y fourmillent, et qui ne permettraient pas aux Européens de s’y fixer.
Il faut donc commencer par défricher une partie quelconque de terrain, tout au moins, pour y établir les maisons nécessaires. C’est, messieurs, ce qu’on fait dans toutes les colonies possibles ; c’est aussi ce qu’on a fait à Santo-Thomas lorsque, il y a cinq ans, on est venu y former un établissement.
Or, il est une loi reconnue qui ne s’applique pas seulement aux colonies, mais aussi à l’Europe, c’est que partout les défrichements donnent toujours lieu à des maladies plus ou moins grandes, et que ces maladies sont d’autant plus développées que les défrichements ont lieu sous une température plus élevée, que les miasmes sont plus nombreux, plus viciés. Il n’existe pas un seul port créé par des Européens dans les climats équinoxiaux, qui n’ait donné lieu, lors de son établissement, à une mortalité passagère, plus ou moins grande.
Ainsi, messieurs, nous nous rappelons encore le temps où Batavia était considéré partout commue le tombeau des Européens. Est-ce à dire que, d’après le système si admirable d’hygiène que nous a présenté l’honorable M. Sigart, on se soit décidé à abandonner Batavia, que l’on ait envoyé des navires pour ramener les colons, que l’on ait déversé le blâme sur les auteurs de cette entreprise ? Mais non, messieurs. On ne force personne à se rendre à Batavia ; on ne force personne à se rendre à Santo-Thomas. S’y rend qui veut.
M. Sigart. - On a trompé le public.
M. Dumortier. - C’est là une autre question, et quand’ il s’agira de la discuter nous la traiterons à son tour ; mais ce qui nous occupe en ce moment, c’est la motion de l’honorable M. Sigart, et cette motion n’a qu’un but : c’est d’anéantir la colonie par un vote de discrédit émané de la législature. Or, comme je ne veux pas de cet anéantissement, je combats la motion.
Je disais donc, messieurs, qu’on n’a forcé personne à se rendre à Santo-Thomas ; que tous ceux qui s’y trouvent y sont allés de leur propre gré. Maintenant faut-il, par un vote de la chambre, par une loi solennelle, déclarer que le gouvernement doit ramener les colons ? Je dis que ce serait là une faute immense. Je comprends le système de l’honorable M. Sigart il s’est, dès l’origine, déclaré l’adversaire de la colonie, et aujourd’hui, que les faits lui donnent tort, il ne veut pas admettre ces faits ; il ne veut pas avoir tort.
Pour mon compte, je dis que lorsqu’il n’y a eu que douze décès en douze mois ce n’est pas là certes une mortalité effrayante. Si, à une époque antérieure, la mortalité a été considérable, voyons qu’elle en a été la cause. Cette cause, messieurs, est double : c’est d’abord le défrichement indispensable d’une partie du territoire pour former soit un comptoir commercial, soit une colonie proprement dite. Dès l’instant où le sol est remué, bouleversé, les miasmes s’en échappent et dans tous les pays possibles, sous la zone torride c’est là une cause d’une mortalité passagère. Sous ce rapport la colonie de Santo-Thomas a passé par une crise par laquelle ont passé toutes les colonies du monde. La deuxième cause a été l’encombrement des colons.
Je ne veux accuser personne d’avoir amené cet encombrement, il paraîtrait qu’il a été amené par le fait d’un homme que la compagnie avait envoyé dans la colonie pour la diriger ; cet homme aurait fait abattre les cases des Caraïbes et les aurait ainsi éloignés de la colonie. Sans ce fait si grave, à mesure qu’il serait arrivé des colons, on aurait payé les (page 182) Caraïbes pour construire des cases nouvelles, et de cette manière, on aurait pu loger tout le monde et éviter l’encombrement. Mais après l’expulsion des nègres, il n’y avait plus moyen de faire des cases parce que les hommes de travail n’étaient plus sous la main. Il a donc fallu entasser dans un petit nombre de cases tous les colons qui arrivaient, et l’épidémie, suite nécessaire du défrichement du sol, a été considérablement accrue par cet encombrement.
Sous ce rapport, messieurs, une grande responsabilité pèse sur ceux qui ont écarté les Caraïbes, alors qu’on se trouvait dans l’impossibilité de construire des cases à mesure de l’arrivée des colons.
Voilà, messieurs, les deux causes principales de la mortalité qui vous a été signalée.
En outre, les colons ont reçu une mauvaise nourriture ; on leur donnait de la viande salée et peu de substances qui pussent les rafraîchir ; en un mot, de grandes fautes contre l’hygiène ont été commises par celui qui dirigeait la colonie.
Mais, messieurs, cet état de choses a-t-il continué ? Evidemment non. Vous venez d’entendre les chiffres cités par M. le ministre des affaires étrangères ; eh bien, il en résulte que le nombre des décès qui s’était élevé à 176 en six mois, n’a plus été pendant les six derniers mois dont il est parlé dans le rapport, c’est-à-dire pendant les six premiers mois de 1846, que pendant ces six mois le chiffre de la mortalité n’a plus été que de 6 décès et cela sur une population de près de 300 habitants. C’est environ 2 p. c. Est-ce là un chiffre considérable ? Mais, messieurs, il meurt bien plus d’hommes d’inanition dans les Flandres. Je pense que l’honorable M. Sigart doit reconnaître qu’une mortalité dont le chiffre ne s’élève qu’à 2 p.c. de la population, n’est pas une chose extraordinaire sous la zone torride et surtout dans une colonie que l’on vient d’établir.
Comme l’a fort bien dit M. le ministre des affaires étrangères et comme l’avait également fort bien dit M. Blondeel, dans son rapport, qui n’est point rempli d’inexactitude et de contradictions, ainsi que l’a prétendu M. Sigart, mais qui fait le plus grand honneur à notre agent ; comme le dit parfaitement ce magnifique rapport, une faute a été commise, c’est d’avoir voulu établir à Santo-Thomas une colonie agricole. En effet, messieurs, où pourrions-nous établir de semblables colonies ? Mais sous des climats tempérés, analogues au nôtre, et non pas dans les climats chauds des régions tropicales ; celui qui, d’un pays situé sous notre latitude, est transporté dans ces climats brûlants, perd toute énergie et n’est plus capable de se livrer à la fatigue. Si l’on veut fonder à Guatemala une colonie agricole, il faut y appeler des populations accoutumées à de semblables climats, ou bien qu’on y appelle des Chinois... (On rit.) Ce que je dis, messieurs, est très sérieux. Partout les Chinois ont considérablement amélioré mes colonies ; ils supportent parfaitement les climats les plus difficiles, parce que le leur est plus mauvais que tous les autres, et tout le monde sait que ce sont de grands travailleurs. Batavia et Singapore doivent en grande partie leur importance aux colonies chinoises. Enfin, messieurs, qu’on y appelle des hommes d’une partie du monde quelconque pourvu qu’ils soient habitués aux climats chauds. Je dis que si l’on veut donner un développement à la partie agricole, c’est là le seul moyen d’y réussir.
Mais, messieurs, à côté du développement agricole, il y a un intérêt immense ; c’est l’intérêt commercial. Veuillez jeter les yeux sur la carte, et dites-moi si, ayant à choisir un poste sur toute cette vaste côte de l’Amérique, dans l’intérêt de notre commerce, dans l’intérêt de nos exportations, dans l’intérêt de notre marine, encore si peu nombreuse, nous pourrions trouver un poste plus favorable que celui de Santo-Thomas ? Il n’y a pas sur toute la côte de l’Amérique un port si admirablement situé pour la Belgique que celui de Santo-Thomas ; Pourquoi ? Parce que ce port domine tout le golfe du Mexique, et nous met ainsi en rapport avec l’Amérique septentrionale, l’Amérique méridionale et les Antilles. Il y a un autre avantage qui est considérable, c’est que les habitants de cette contrée professent la même religion que nous, et vous savez, messieurs, que cette conformité d’opinions religieuses facilite considérablement les relations entre les habitants nouveaux et les habitants anciens d’un pays quelconque.
En effet, messieurs, il s’agit là d’une petite puissance qui ne peut jamais nous offusquer, qui ne peut jamais nous nuire.
Enfin, nous aurions ainsi un débouché vers le Mexique, qui est, de toutes les contrés américaines, celle où l’on consomme le plus de produits européens. De plus, la distance n’est pas excessivement grande entre nos ports de mer et cette côte, de sorte que nous pouvons faire deux voyages dans cette direction, tandis que nous n’en ferions qu’un seul dans une autre.
Je vous le déclare, messieurs, lorsque je réunis tous ces avantages, je suis convaincu qu’il est possible de créer à Santo-Thomas un port commercial extrêmement important, une espèce de nouvelle Anvers. Je dis que c’est là une grande idée et j’adresse mes bien sincères remerciements aux hommes généreux qui ont consacré une partie de leur avoir à un entreprise destinée à doter la Belgique d’une pareille colonie.
Je sais que tout doit avoir son commencement ; que les choses grandissent lentement, lorsqu’elles sont difficiles ; mais un jour ce port deviendra une des gloires de la Belgique. Les choses en sont venues à ec point, qu’on peut supprimer la colonie, mais qu’on ne peut plus supprimer le port de Guatemala ; c’est le port le plus certain du golfe du Mexique, c’est le seul qui offre tous les avantages réunis. Vouloir jeter du blâme sur une pareille entreprise, engager les personnes qui se trouvent sur les lieux à revenir en Europe ; vouloir en quelque sorte, par un vote de la chambre, discréditer ceux qui se rendront dans la colonie, ce serait une véritable calamité pour le pays ; et pour mon compte, je ne la voterai pas.
- La séance est levée à quatre heures et demie.