(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1201) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à midi et quart.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. A. Dubus présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« L'administration communale de Gand prie la chambre de sanctionner la convention de commerce conclue avec la France. »
Sur la proposition de M. de Muelenaere, renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à cette convention et insertion au Moniteur.
« Plusieurs cultivateurs dans le canton de Peruwelz présentent des observations contre le projet de loi sur les sucres. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.
« Plusieurs candidats notaires dans la province de Liège demandent une loi sur l'organisation du notariat et présentent des observations relatives à quelques dispositions d'une loi sur cette matière. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi.
« Le sieur Sinave, agent d'affaires à Ypres, demande que le ministre de la guerre réclame du gouvernement néerlandais un état des sommes qui sont restées dues aux volontaires et miliciens des classes de 1826, 1827, 1828,1829 et 1830, et qui n'ont pu leur être payées à cause des événements de 1830. »
- Renvoi à la section des pétitions.
« Un grand nombre de propriétaires et de cultivateurs de la ville de Malines et de ses hameaux, ainsi que des communes de Bonheyden, Wavre-Ste-Catherine, Muyzen, etc., se plaignant des ouvrages exécutés à Werchter, qui ont rendu les inondations de la Dyle plus intenses, demandent qu'il soit pris des mesures pour empêcher ces inondations, et présentent des observations sur les travaux de dérivation à exécuter à Malines. »
M. Henot. - La pétition dont on vient de présenter l'analyse est celle que j'ai eu l'honneur d'annoncer à la séance d'hier, et dans laquelle l'honorable M. Vanden Eynde a vu d'avance beaucoup d'égoïsme. Cette pétition est couverte, comme je le disais, de plus de 500 signatures ; les pétitionnaires se plaignent avec raison des pertes incessantes que leur causent les inondations de la Dyle, et surtout de ce qu'elles ont été considérablement augmentées par suite des ouvrages exécutés à Werchter, qui ont eu pour effet de rendre ces inondations plus intenses. Je n'en dirai pas davantage à cet égard, la question ayant été assez longuement débattue à la séance d'hier ; j'ajouterai seulement que les pétitionnaires présentent en même temps des observations sur les travaux de dérivation que le gouvernement va faire exécuter à la Dyle à Malines ; qu'ils estiment qu'il y a encore d'autres travaux à faire pour rendre l'écoulement des eaux plus complet, et pour empêcher qu’elles ne débordent ; enfin qu'ils indiquent quelques-uns de ces travaux, et qu'ils appellent l'attention du gouvernement sur cet important objet, comme je ne puis assez l'y appeler moi-même.
Je demande que cette pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion du budget qui occupe la chambre, et qu'après cette discussion, elle soit envoyée à M. le ministre des travaux publics.
- Cette proposition est adoptée.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay) présente un projet de loi tendant à autoriser la concession du chemin de fer de Manage à Wavre.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet de loi et le renvoie à l'examen des sections.
M. le président. - La discussion est ouverte sur l'article 31 du chapitre II, Ponts et chaussées, ainsi conçu :
« Art. 31. Petite Nèthe canalisée. Première annuité à payer à la province d'Anvers, pour la reprise de la Petite-Nèthe canalisée ; fr. 50,000. »
M. Mast de Vries, rapporteur. - Si personne ne demande la parole pour combattre l'allocation, je renoncerai à la parole.
M. Veydt. - Lorsqu'il a été question de cet article dans la discussion générale, il semblait qu'il devait rencontrer des difficultés dans la chambre. Depuis, il est résulté d'entretiens que j'ai eus avec plusieurs de mes honorables collègues, qu'il n'en est pas ainsi. Je crois donc pouvoir renoncer ai la parole.
Plusieurs actes relatifs à cette affaire ont été posés, pendant que je faisais partie de l'administration provinciale. J'aurais donc pu donner des renseignements à la chambre. Mais du moment qu'il n'y a pas de difficulté, c'est, je pense, inutile.
M. Rodenbach. - J'ai fait, à ce sujet, dans la discussion générale quelques observations auxquelles il n'a pas été répondu. J'ai dit que, lorsque la Flandre occidentale avait cédé des canaux, elle n'avait reçu aucune indemnité. Maintenant il s'agit de céder au gouvernement le canal de la Petite-Nèthe. On demande 350,000 fr. Il me semble que si la province d'Anvers a fait, comme je le crois, une mauvaise affaire, ce n'est pas un motif pour que le gouvernement paye cette somme. Je ne vois pas là ce système d'économie dont l'adoption est désirable dans l'intérêt général du pays.
J'ai besoin d'explications pour pouvoir voter cette somme.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Je pense que la Petite-Nèthe canalisée se trouve dans des conditions spéciales qui n'ont aucune analogie avec celles où se trouvaient les rivières et canaux repris aux provinces depuis 1840. Ces rivières et canaux avaient été cédés aux provinces par un arrêté royal de 1819. Ces canaux étaient construits depuis longtemps ; les provinces n'ont fait que les entretenir et en percevoir les revenus. Ici, au contraire, il s'agit d'un canal construit par la province d'Anvers et à ses frais, que le gouvernement reprendrait pour la moitié du coût de construction.
Il est vrai qu'il y aura 350,000 fr. à payer à la province d'Anvers, mais pas immédiatement. Il s'agit de sept annuités de 50,000 fr. à payer, sans intérêt, d'année en année ; or, ces sept annuités de 50,000 fr. ne représentent qu'une somme actuelle de 303,000 fr. Il y a donc, sous ce rapport, une rectification à faire à ce qu'a dit l'honorable membre.
On a fait observer encore avec raison que les fonds que fa province d'Anvers obtiendra de cette façon serviront à seconder le gouvernement pour l'exécution de routes dans une partie de la province d'Anvers qui en est dépourvue.
M. Rodenbach. - L'ingénieur en chef Kummer dit, dans son rapport, que la province consent à ne recevoir que 300,000 fr. Comment se fait-il qu'on en demande 350,000 ? D'ordinaire il y a réduction sur le prix demandé ; ici c'est tout le contraire.
M. le ministre des finances (M. Malou). - L'explication demandée par l'honorable préopinant est très facile.
La province d'Anvers n'a fait qu'une seule demande, celle de 350,000 fr. payables en sept années, sans intérêt, somme qui, ainsi que vient de le rappeler mon honorable collègue, le ministre des travaux publics, n'équivaut. en réalité, qu'à 303,000 fr. Mais l'ingénieur en chef Kummer dit, dans son rapport, que, dans toutes les hypothèses et quels que puissent être les travaux ultérieurs de canalisation dans la Campine, l'ouvrage d'utilité publique qui serait cédé par la province d'Anvers et que l'Etat reprendrait a une valeur supérieure à 300,000 fr. Dès lors, la cession par la province et la reprise par l'Etat sont une opération réciproquement avantageuse. C'est en ces termes que la proposition de reprise, moyennant 350,000 fr., la seule qui ait eu lieu, a été faite au gouvernement, et qu'elle est maintenant soumise à votre ratification.
M. Veydt et M. Osy renoncent à la parole.
- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article 31 ; voici le résultat du vote :
50 membres sont présents.
2 (MM. Simons et de Mérode), s'abstiennent, parce qu'ils n'ont pas assisté à la discussion.
(page 1202) 48 prennent part au vote.
36 votent pour l'adoption.
12 votent contre.
La chambre adopte.
Ont voté pour l'adoption : MM. Anspach, Brabant, Cans, d'Anethan, de Bonne, Dechamps, de Chimay, de La Coste, de Man d'Attenrode, de Muelenaere.de Naeyer, de Renesse, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, Donny, Dubus (Albéric), Dumont, Duvivier, Henot, Jonet, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Lys, Malou, Mast de Vries, Osy, Rogier, Scheyven, Thienpont, Van Cutsem, Vandensteen et Veydt.
Ont voté contre : MM. Biebuyck, Castiau, Clep, de Haerne. Eloy de Burdinne, Lange, Orban, Pirmez, Rodenbach, Sigart, Vanden Eynde et Zoude.
« Art. 32. Entretien et personnel de la Nèthe canalisée, pendant le deuxième semestre de 1846 : fr. 9,932 75. »
- Adopté.
« Art. 33. Service des bacs et bateaux de passage. Entretien et confection des bacs et de leurs dépendances : fr. 42,000. »
- Adopté.
« Art. 34. Service des polders. Personnel : fr. 1,000. »
- Adopté.
« Art. 35. Port d'Ostende.
« Entretien de l'avant-port : fr. 39,500
« Entretien de l'arrière-port et des écluses de Slykens : fr. 3,700
« Entretien des écluses du bassin de commerce : fr. 450
« Renouvellement d'une paire de portes d'ebbe à l'écluse du bassin de commerce : fr. 5,500
« Renouvellement d'une paire de portes de flots à l'écluse du même bassin : fr. 5,500
« Augmentation demandée par le gouvernement sur l'ensemble de cet article : fr. 25,000
« Total : fr. 79,450. »
- Adopté.
« Art. 36. Port de Nieuport. Travaux d'entretien : fr. 15,333. »
- Adopté.
« Art. 37. Côte de Blankenberghe.
« Travaux d'entretien : fr. 79,900
« Prolongement en mer de la jetée n°1 de la deuxième section : fr. 7,790 49.
« Total : fr. 87,690 49. »
- Adopté.
« Art. 38. Personnel des ports et côtes : fr. 18,443 74. »
- Adopté.
« Art. 39. Entretien des phares et fanaux : fr. 1,800. »
- Adopté.
« Art. 40. Entretien et réparation des palais, hôtels, édifices et monuments appartenant à l'Etat : fr. 52,000. »
- Adopté.
« Art. 41.Constructions nouvelles et construction d'une salle et dépendances pour la tenue des séances du sénat, 70,000
M. Vandensteen. - Avant de voter cette allocation, je désirerais avoir quelques explications sur des observations qui ont été formulées au sénat et d'après lesquelles les constructions projetées ne répondraient pas au but qu'on se propose d'obtenir.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Ainsi que les explications à l'appui du budget de 1846 l'ont l'ail connaître, les dépenses de toute nature à faire pour l'établissement d'une nouvelle salle, avec accessoires, pour la tenue des séances du sénat, ont été évaluées, suivant le projet approuvé, à une somme totale de 180,000 fr. ; mais par suite des observations faites au sénat sur l'insuffisance des dimensions assignées à la salle et les promesses faites par le gouvernement de faire examiner de nouveau les plans déjà approuvés, l'on a opéré au projet primitif les modifications réclamées par MM. les sénateurs et desquelles il résultera, à raison de l'extension donnée aux constructions, une augmentation de dépense de 70,000 fr., à savoir : 40,000 fr. pour travaux et 30,000 fr. pour acquisition de deux maisons, d'un hangar et d'une partie de jardin. En sorte que le chiffre définitif de la dépense pourra s'élever, y compris les frais de direction et de surveillance et l'imprévu, à environ 260,000 francs.
Comme il a déjà été accordé pour cet objet, sur les exercices 1846 et 1847, deux crédits successifs montant ensemble à 140,000 fr., il resterait encore à allouer, pour parfaire le montant de l'estimation, 120,000 francs.
Toutefois, comme les constructions ne pourront être complétement achevées l'année prochaine, l'on ne demande, pour 1847, que la somme de 70,000 fr., allouée pour 1846, le complément nécessaire pouvant être reporté sur l'exercice 1848.
M. Vandensteen. - Je voudrais savoir si le nouveau projet répond aux exigences du sénat, si la questure du sénat a été consultée ; car j'ai vu, dans la discussion qui a eu lieu au sénat, que MM. les questeurs n'ont pas voulu assumer la responsabilité du projet.
Je voudrais savoir si, dans le sénat, on sera unanime pour approuver le nouveau projet ; car ce n'est pas pour un jour que l'on construit cette salle ; il faut qu'elle réponde à tous les besoins.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Le projet nouveau a été arrêté de concert avec la questure et avec les membres du sénat qui avaient présenté des observations critiques sur le premier projet. Il y a tout lieu de croire que ce projet satisfera à toutes les exigences.
M. Lebeau. - Je n'ai pas besoin de demander si l'on a tenu compte d'une éventualité probable, l'augmentation du nombre des sénateurs. Il suffit de jeter les yeux sur la Constitution, pour reconnaître qu'il faut tenir grand compte de cette éventualité d'une augmentation graduelle du nombre des membres des deux chambres, en raison de l'augmentation de la population.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - On a donné à la salle des dimensions plus grandes qui permettront, le cas échéant, à un plus grand nombre de membres de prendre part aux séances.
- L'article 41 est mis aux voix et adopté.
« Art. 42. A. Traitements des ingénieurs et conducteurs, frais de bureau et de déplacement, indemnités et dépenses éventuelles : fr. 451,800.
« B. Frais du jury d'examen de l'école du génie civil, voyages des élèves : fr. 6,000.
« Total : fr. 457,800. »
- Adopté.
M. le président. - La discussion est ouverte sur l'ensemble du chapitre III : « Chemins de fer. Postes. »
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Je désire rendre compte à la chambre des résultats de l'exploitation du chemin de fer, en 1845. Les résultats indiqués dans le cahier de développements qui a été distribué aux membres de la chambre, ont été établis d'après le produit connu des neuf premiers mois, et d'après une évaluation pour le dernier trimestre.
On s'occupe de la rédaction du compte-rendu, qui doit être distribué aux membres de la chambre ; mais ce travail exigera quelque temps encore.
Il convient donc, je pense, que je fasse connaître à la chambre les résultats de l'exploitation de 1845.
D'après les évaluations qui avaient été faites, les dépenses d'exploitation ne devaient en 1845 pas dépasser les allocations portées au budget de cet exercice.
Aujourd'hui les résultats réels de l'exploitation en 1845 sont connus, et il en résulte, d'un côté, que les dépenses ont été plus élevées qu'on ne l'avait prévu, et d'un autre côté, que les recettes des trois derniers mois sont restées quelque peu au-dessous du chiffre auquel elles avaient été évaluées.
Comme il s'ensuit que les faits généraux présentés au cahier de développements ne se sont pas entièrement réalisés, j'ai l'honneur de donner ci-après le résumé des résultats réels de l'exploitation en 1845.
Les dépenses d'exploitation se sont élevées, en 1845, à la somme totale de 6,302,326 fr. 57 c, répartie entre les divers services comme suit :
Administration générale, fr. 398,802 94
Entretien des routes et stations, fr. 1,624,639 64
Locomotion et entretien du matériel, fr. 3,075,815 60
Transports, fr. 990,150 46
Perception, fr. 212,917 93
Somme égale à fr. 6,302,326 57
L'étendue des chemins de fer étant de 111 8/10 lieues, la dépense par lieue exploitée a été, en 1845, de fr. 56,370 54. Cette même dépense ayant été, en 1844, de fr. 51,569 14, il y a eu, en 1845, une augmentation de fr. 4,801 40
Les convois de voyageurs et de marchandises ont parcouru ensemble, en 1845, un nombre total de 543,302 lieues.
La dépense par lieue parcourue a donc été, pendant cet exercice, de fr. 11 55. Cette même dépense avait été, en 1844, de fr. 11 65. Il y a donc eu, en 1845, une diminution de fr. 0,08.
Mouvement des transports
Le chemin de fer a transporté, en 1845, 3,470,678 voyageurs, répartis comme suit :
1ère classe : 397,608 voyageurs
2ème classe : 970,662 voyageurs
3ème classe : 2,074,796 voyageurs,
Ensemble : 3,443,066 voyageurs.
(page 1205) Transports militaires : 10,939 voyageurs
Transports extraordinaires : 16,673 voyageurs
Ensemble : 16,673 voyageurs
Total général égal à 3,470,678 voyageurs
Il avait éte transporté, en 1844, 3,381,529 voyageurs, savoir :
Voyageurs civils
1ère classe : 362,234 voyageurs
2ème classe : 928,606 voyageurs
3ème classe : 2,070,022 voyageurs,
Ensemble : 3,3360,852 voyageurs.
(page 1205) Transports militaires : 6,214 voyageurs
Transports extraordinaires : 14,453 voyageurs
Ensemble : 20,667 voyageurs
Total général égal à 3,381,529 voyageurs
Il a donc été transporté, en 1845 de plus qu’en 1844, 89,149 voyageurs, savoir :
Voyageurs civils
1ère classe :35,374 voyageurs
2ème classe : 42,056 voyageurs
3ème classe : 4,774 voyageurs,
Ensemble : 82,204 voyageurs.
(page 1203) Transports militaires : 4,725 voyageurs
Transports extraordinaires : 2,220 voyageurs
Ensemble : 6,945 voyageurs
Total général égal à 89,149 voyageurs.
Il a été transporté en 1845, 11,041,732 kil de bagage. Il avait été transporté en 1844, 10,496,068 kil. Augmentation en 1845 : 545,664 kil.
Il a été transporté en 1845 3,562 équipages. Il n’en avait été transporté en 1844, que 3,491. Augmentation en 1845 : 71.
En 1845, il a été transporté 2,499 chevaux, et en 1844, 2,154. Augmentation en 1845 : 345.
En 1845, il a été transporté 7,597 têtes de gros bétail, et en 1844, 12,691. Diminution en 1845 : 5,094.
En 1845, il a été transporté 29,704 têtes de petit bétail, et en 1844, 39,056. Diminution en 1845 : 9,352.
En 1845, il a été transporté 32,848 groups finances, et en 1844, 29,448. Augmentation en 1845 : 3,400.
En 1845, il a été transporté 241,661 colis petites marchandises de 5 kil. et au-dessous. Il en avait été transporté en 1844 227,480 kil. Augmentation : 14,181 kil.
En 1845, il a été transporté au poids 45,061,340 kil de petites marchandises, et en 1844, seulement 39,800,910 kil. Augmentation en 1845 : 5,260,430 kil.
Il avait été transporté, en 1845, la quantité énorme de 645,501,654 kil. de grosses marchandises. Il en avait été transporté, en 1844, 520,422,667 kil. Augmentation en 1845 de 125,078,987 kil. ou environ d’un quart.
Il résulte de ce qui précède que tous les transports, à l’exception de celui du bétail, présentent des augmentations considérables en 1845.
Recettes
Les recettes totales se sont élevées en 1845 à fr. 12,403,204 55 c.
Le tableau suivant présente la comparaison par catégories de transports des recettes de 1485 avec celles de 1844.
Voyageurs. En 1845 : 6,393,309 fr. 200 c. ; en 1844 : 6,166,548 fr. 94 c. ; différence en plus : 226,760 fr. 26 c.
Bagages. En 1845 : 421,525 fr. 24 c. ; en 1844 : 394,731 fr. 12 c.; différence en plus : 26,794 fr. 12 c.
Equipages. En 1845 : 192,379 fr. 09 c. ; en 1844 : 206,334 fr. 00 c.; différence en moins : 13,955 fr.
Chevaux et bétail. En 1845 : 87,621 fr. 85 c. ; en 1844 : 124,840 fr. 00 c. ; différence en moins : 37,218 fr. 15 c.
Finances. En 1845 : 43,060 fr. 60 c. ; en 1844 : 38,616 fr. 90 c. ; différence en plus : fr. 4,443 70 c.
Petites marchandises. En 1845 : 1,009,108 fr. 66 c. ; en 1844 : 899,538 fr. 05 c. ; différence en plus : 109,570 fr. 61 c.
Grosses marchandises. En 1845 : 4,103,987 fr. 56 c. ; en 1844 : 3,262,737 fr. 50 c. ; différence en plus : 841,250 fr. 06 c.
Bulletins. En 1845 : 3,512 fr. 30 c. ; en 1844 : 3,384 fr. 60 c. ; différence : 127 fr. 70 c.
Produit des embranchements. En 1845 : 44,390 fr. 25 c. ; en 1844 : 34,851 fr. 06 c.; différence en plus : 9,539 fr. 19 c.:
Camionnage. En 1845 : 13,489 fr. 21 c. ; en 1844 : 14,122 fr. 04 c. ; différence en plus : 632 fr. 83 c.
Frais divers. En 1845 : 10,214 fr. 09 c. ; en 1844 : 7,918 fr. 70 c.; différence en plus : 2,295 fr. 39 c.:
Produits extraordinaires. En 1845 : 80,606 fr. 29 c. ; en 1844 : 76,870 fr. 40 c. ; différence en plus : 3,736 fr. 19 c.
Totaux : Recettes en 1845 : 12,403,204 fr. 55 c. ; recettes en 1844 : 11,230,495 fr. 31; différences en plus : 1,224,517 fr. 22 (à déduire la diminution de 51,805 fr. 98 c. Reste 1,172,711 fr. 24 c.) ; différences en moins : 51,805 fr. 98 c.
Ce qui constitue une augmentation de recettes, en 1845, de 10,44 p. c. sur celles de 1844.
La recette par lieue exploitée a été en 1844 de 100,951 fr. 64 c. La dépense ayant été de 51,569 fr. 14 c., l’excédant de la recette sur la dépense a été de 49,382 fr. 50 c.
La recette par lieue exploitée a été en 1845 de 110,941 fr. 00 c. La dépense s’étant élevée à 56,370 fr. 54 c., l’excédant de la recette sur la dépense a été de 54,570 fr. 46 c.
La recette par lieue parcourue en 1844 a été de 22 fr. 60 c. La dépense ayant été de 11 fr. 63 c., l’excédant de la recette sur la dépense a été de 10 fr. 97 c.
La recette par lieue parcourue ayant été en 1845 de 22 fr. 75 c., et la dépense de 11 fr. 55 c., l’excédant de la recette sur la dépense est de 11 fr. 20 c.
Considérations générales
Nous avons vu qu'en 1845 les recettes totales se sont élevées à la somme de 12,403,204 fr. 55 c., et les dépenses à celle de 6,302,326 fr. 57 c. L'excédant de la recette sur la dépense a donc été de 6,100,877 fr. 98 c.
Nous allons établir le chiffre des dépenses de premier établissement du chemin de fer pour rechercher quel est le tantième p. c. de ces dépenses que représente l'excédant des recettes sur les dépenses d'exploitation en 1845.
Il avait été dépensé, au, 1er janvier 1845, pour la construction des chemins de fer 144,746,774 fr. 06 c.
Il a été dépensé, dans le courant de l'année 1845, 4,968,053 fr. 08 c.
La moitié de cette somme ou 2,484,026 fr. 54 c. peut être regardée comme portant intérêt pendant l'année entière.
Nous avons de la sorte une somme de 147,230,800 fr. 60 c., dont il faut déduire la somme de 795,383 fr. 73 c., rentrée dans les caisses de l'Etat par suite de ventes et rétrocessions de terrains empris pour le chemin de fer. Reste 146,435,416 fr. 87 c.
L'excédant de la recette de 1845 sur la dépense du même exercice représente un intérêt de 4,16 p. c. du capital dépensé.
Il est à remarquer qu'il n'a été tenu compte, dans ce calcul, que des recettes perçues directement par l'administration du chef des transports et que le chemin de fer a encore produit, en 1845, d'autres sommes qui ont été encaissées par l'administration des domaines.
C'est ainsi que la vente des objets expédiés bureau restant, non réclamés ou refusés, ainsi que la vente des objets perdus ont produit, 3,270 fr. 46 c., et que la location des herbages croissant sur les dépendances du chemin de fer a produit, 15,377 fr. 37 c.
Le chemin de fer a, en outre, effectué gratuitement ou à des prix réduits des transports pour divers services publics, pour l'administration de la guerre, pour l'administration des postes, pour l'administration de la justice, etc., ainsi que des transports considérables de denrées alimentaires, pour venir en aide aux classes nécessiteuses.
(page 1204) Ces transports taxés aux prix du tarif auraient produit un surplus de recettes de 389,920 fr. 92 c.
Ensemble, 408,574 fr. 75 c.
Si l'on tient compte de cette somme au chemin de fer, l'excédant du produit sur la dépense aura été de 6,509,452 fr. 75 c. Ce qui donne ,45 p. c. du capital de premier établissement que nous avons présenté plus haut comme devant porter intérêt pendant l'année entière de 1845.
M. Osy. - Je remercie M. le ministre des travaux publics de l'exposé qu'il vient de nous faire de la situation du chemin de fer. Cette situation me paraît assez favorable, et je suis persuadé que nous pouvons l'améliorer encore si nous faisons une bonne loi commerciale pour favoriser le transit.
J'aurais désiré que M. le ministre eût ajouté à son travail l'indication de l'emploi des sommes assez considérables que nous avons votées, l'année dernière pour l'achèvement de nos chemins de fer, tant pour les doubles voies que pour les stations. Dans peu de jours, je pense au mois de juin, le chemin de fer de Paris à Bruxelles sera ouvert, et je désirerais savoir si, pour cette époque, la seconde voie sera entièrement faite entre Bruxelles et Valenciennes et entre Bruxelles et Lille ; les Français font leur double voie, et je pense que nous devons faire en sorte d'être prêts également.
L'année dernière nous avons voté une forte somme pour le deuxième tunnel de Braine-le-Comte ; malheureusement il existe à l'égard de ce tunnel, soit des craintes fondées, soit, au moins, des préventions, et je crois qu'il avait été décidé qu'on ferait une tranchée à ciel ouvert ; je demanderai à M. le ministre si bientôt cette tranchée sera faite et si l'on compte également faire une tranchée ouverte pour la seconde voie, afin qu'a la longue on pusse se passer entièrement du tunnel.
Si je suis bien informé, pendant la crise ministérielle on s'était occupé, au ministère des travaux publics, d'un travail en conséquence duquel on devait nous demander une très forte somme encore pour le parachèvement du chemin de fer. On dit même que cette somme devait s'élever à 10 ou 12 millions.
Il serait fort désagréable, soit pour l'administration actuelle, si elle reste au pouvoir, soit pour une autre administration qui viendrait à lui succéder, de devoir soumettre un semblable projet aux chambres, lorsque ce projet lui aurait été légué par un ministère précédent. Il faut, du reste, que la chambre connaisse la vérité à cet égard. Je prierai donc M. le ministre des travaux publics de bien vouloir nous dire s'il est vrai qu'un semblable travail existe ou si les sommes votées précédemment, sont suffisantes.
Dans plusieurs occasions déjà j'ai demandé au gouvernement quelles étaient les conventions faites en 1845 pour l'affichage dans les stations.
Je crois que l'entrepreneur fait un grand bénéfice sur cette opération, tandis que le gouvernement ne perçoit rien de ce chef. Je demande qu'on nous donne sur ce point des explications complètes et qu'où nous communique les traités. Il me semble qu'il faut mettre en adjudication publique le droit d'afficher dans les stations du chemin de fer alors il n'y aura de privilège pour personne et le gouvernement en retirera un beau revenu.
Cette observation s'applique également aux restaurants des stations. C'est encore là un objet qui pourrait procurer un bénéfice notable au gouvernement. Il s'agirait seulement de faire un bon cahier des charges, indiquant tout ce que le public doit trouver dans les stations, et de mettre ensuite en adjudication publique le droit de tenir les restaurants. De cette manière, encore une fois, tout le monde serait mis sur la même ligne et il y aurait un revenu de plus pour le chemin de fer. Je demande que le gouvernement veuille bien nous dire aussi quelles sont ses intentions à cet égard.
Il me reste, messieurs, à vous parler d'une pétition qui a été déposée hier sur le bureau de la chambre, et qui se rapporte au chemin de fer de Landen a Manage, dont M. le ministre des travaux publics vient de nous représenter la concession provisoire. Comme je vois dans ce chemin de fer des avantages réels, je ne me propose pas certainement d'appuyer la pétition dont il s'agit ; mais je trouve dans cette pièce la révélation d'un fait bien extraordinaire : j'y vois que ceux qui demandent la concession du chemin de fer de Landen à Manage ont été obligés de passer par une main tierce, qu'ils ont dû payer à un tiers une somme de 15,000 livres sterling, dont 12,000 sont déjà acquittées, et dont 3,000 doivent l'être lorsque le chemin de fer sera concède par une loi.
La pétition est signée par des Anglais, à la tête desquels figure le président de la société concessionnaire ; je n'en aurais pas parlé si je n'avais trouvé dans les journaux anglais du mois de mars, le procès-verbal d'une assemblée des actionnaires où le fait dont je viens de faire mention se trouve également indiqué. Voici ce que porte ce procès-verbal :
« Une somme a-t-elle été payée ou doit-elle être payé lorsque la concession sera obtenue du gouvernement belge ? Ou y a-t-il eu des engagements pris par les directeurs et quels sont-ils ? »
« (…) Le gouvernement belge avant promis la concession à une tierce personne, la compagnie a acheté cette concession pour une somme de 12,000 livres payées de suite, et de 3,000 livres payables lorsque la concession sera obtenue (quelques-uns des directeurs sont intervenus dans la convention). »
Je sais bien, messieurs, qu'on me répondra que des concessions provisoires ont été accordées à des personnes qui avaient fait le plan,qui avaient conçu l'idée d'un chemin de fer : je sais aussi que M. le ministre des travaux publics, l'honorable M. Dechamps, a pris, en 1845, un arrêté tendant à écarter autant que possible toutes ces demandes de chemins de fer ; mais comme l’affaire dont il s'agit a été faite au mois d'avril, c'est-à-dire un mois avant cet arrêté, il me paraît que nous devons avoir sur cette affaire des explications complètes.
Il est certain que des personnes se sont adressées à M. le ministre des travaux publics pour demander une concession provisoire pour ce chemin de fer ; et sans qu'elles aient déposé de cautionnement, elles ont obtenu de M. le ministre un chiffon de papier ou une lettre. Munies de ce chiffon, elles se sont rendues à Londres et elles ont dit à des capitalistes : Nous avons obtenu une concession, je vous la vendrai pour 15,000 livres sterling.
Il importe, messieurs, que nous sachions si ces personnes, lorsqu'elles se sont présentées à M. le ministre, n'avaient qu'une chimère de projet, ou si elles étaient munies d'études et de plans. Il importe aussi que nous connaissions la réponse que M. le ministre leur a faite, pour que nous sachions si les capitalistes anglais ont été abusés par trop de confiance du gouvernement où s'ils ont agi avec trop de légèreté.
Je propose donc à la chambre de demander à M. le ministre des travaux publics de déposer sur le bureau 1° la demande de concession provisoire pour le chemin de fer de Landen à Manage et Braine-le-Comte, avec les pièces à l'appui ; 2° la réponse de M. le ministre qui accorde cette concession provisoire.
Nous pourrons nous éclairer par l'examen de ces pièces, et voir s'il n'y a pas eu faveur accordée par le gouvernement aux premiers demandeurs en concession. Car, messieurs, lorsqu'on accorde une concession provisoire, on exige ordinairement le dépôt d'un cautionnement, et c'est ce qui n'a pas eu lieu dans ce cas.
J'insiste d'autant plus pour que nous soyons éclairés sur ce fait que, si je suis bien informé, pour le chemin de fer que nous avons voté dernièrement, celui de Louvain à Jemeppe, il y a encore eu une concession provisoire qui s'est vendue 42,000 liv. st. Un actionnaire de ce chemin de fer me l'a dit. Il m'a même appris qu'on avait demandé pour cette concession provisoire 75,000 liv. st., mais qu'il n'en avait été payé que 42.000.
Ainsi vous le voyez, messieurs, il suffit qu'une personne demande la concession d'un chemin de fer, que le ministre déclare qu'elle est la première inscrite, et accorde un récépissé, pour qu'elle aille vendre, à un prix énorme, cette concession pour laquelle il n'a été donné aucune garantie sérieuse.
Il faut que les demandes de ce genre présentent un caractère sérieux ; il faut, quand on sollicite la concession d'un chemin de fer, qu'il y ait un plan, un cahier des charges fait par le gouvernement, et qu'on dépose une somme dans les mains du gouvernement. Il ne faut pas qu'il y ait du provisoire dans le provisoire.
Je demande à M. le ministre des travaux publics une explication catégorique sur les différents points dont je viens de parler.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, je puis dès aujourd'hui donner à l'honorable membre quelques courtes explications sur le fait dont il a cru devoir entretenir la chambre. Ce fait est excessivement simple, et je n'aurai pas de peine à vous démontrer, en attendant le dépôt du dossier, que le gouvernement n'a à assumer aucune espèce de responsabilité, relativement à l'acte auquel l'honorable préopinant a fait allusion.
Je ferai d'abord une observation préalable. L'honorable M. Osy a parlé de l'arrêté que j'ai pris, sous la date du 21 mai 1845, afin de suspendre l'instruction de toutes demandes en concession qui n'étaient pas complétement étudiées. En effet, à la fin de la session dernière, lorsque j'ai présenté à la sanction des chambres les concessions de chemins de fer, une foule de demandes vinrent encombrer le département des travaux publics ; parmi ces demandes, il en était quelques-unes qui reposaient sur des études sérieuses ; mais la plupart n'avaient, je dois le croire, pour but que la spéculation. C'est alors, qu'après avoir encouragé la formation des sociétés sérieuses par les concessions que j'ai présentées à la sanction de la législature, j'ai cru devoir arrêter ce mouvement qui pouvait devenir dangereux.
J'ai pris alors l'arrêté du 21 mai par lequel j'ai exigé d'abord des études préalables complètes ; en second lieu l'examen des avant-projets par le conseil des ponts et chaussées ; puis l'enquête administrative dans les provinces ; puis l'examen définitif par le conseil des ponts et chaussées ; enfin la décision du gouvernement, et les conventions provisoires, s'il y avait lieu, pour arriver à la constitution de la société définitive. Par cet arrêté, j'ai voulu fournir au gouvernement lui-même une arme défensive contre les influences et les obsessions dont il était continuellement entouré.
Comme l'a fait remarquer l'honorable M. Osy, les arrangements relatifs au projet de concession du chemin de fer de Landen à Manage et à Braine-le-Comte par Wavre, sont antérieurs à l'arrêté du 21 mai. Voici les faits, tels qu'ils se sont passés.
Au mois d'avril 1845, l'ingénieur civil Vifquain s'est présenté chez moi, accompagné d'un homme connu et très honorable.
M. Rogier. - Quelle est cette personne ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Il n'est pas d'usage de porter des noms propres à cette tribune.
M. Rogier. - Y a-t-il de l'inconvénient à le nommer ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je n'en vois pas, si M. Rogier insiste ; cette personne est le comte de Hompesch.
L'ingénieur civil Vifquain et le comte de Hompesch se sont donc présentés chez moi, non pas avec un projet chimérique, comme l'appelle M. Osy, mais avec un projet complétement étudié, qui forme la base de la loi que mon honorable collègue des travaux publics a présentée aujourd'hui ; ces MM. m'ont demandé une convention provisoire ; je me suis refusé à signer une convention provisoire, parce que la société n'était pas assez régulièrement formée, et qu'un cautionnement préalable n'avait pas été versé.
MM. Vifquain et le comte de Hompesch étaient les auteurs du projet, les premiers demandeurs ; or, les auteurs des projets, les premiers demandeurs, (page 1205) jouissent de certains droits et avantages attachés par l'arrêté de 1836 aux demandes en concession de ce genre. C'est ainsi encore que la loi sur les mines accorde aux inventeurs certains droits que le gouvernement ne peut leur enlever.
Les deux personnes dont je parle étaient donc premiers demandeurs et auteurs du projet, et elles avaient des droits positifs à faire valoir, si toutes les autres conditions étaient remplies par eux. Je ne puis pas dire comment ce droit d'auteur a été constaté ; est-ce par un simple accusé de réception des pièces déposées ? Est-ce par une lettre ? J'en ai, la chambre le comprendra, perdu le souvenir.
Du reste, mon honorable collègue du département des travaux publics, qui a le dossier dans ses bureaux, pourra examiner les pièces de ce dossier et les communiquer à la chambre ; je rappelle seulement les faits généraux, tels qu'ils se présentent à ma mémoire.
Les auteurs du projet avaient donc des droits que le gouvernement ne pouvait pas leur enlever. Maintenant que s'est-il passé ? Quelque temps après, une société a été formée par leurs soins avec des capitalistes anglais ; alors, après m'être entouré, à Londres même, des renseignements les plus minutieux, pour savoir si cette société offrait toutes les garanties de moralité et de solvabilité, j'ai passé, le 17 mai, une convention provisoire, en exigeant le versement du cautionnement.
Après cela, ce qui s'est passé entre les auteurs du projet et les capitalistes anglais pour former la compagnie, est une question complétement en dehors de la compétence et de la surveillance du gouvernement.
L'honorable M. Osy a parlé d'un autre fait relatif au chemin de fer de Louvain à la Sambre ; j'ignore totalement ce fait. Evidemment, le gouvernement ne peut pas entrer dans la discussion de ces affaires de ménage intérieur, lorsque la société se forme ; il n'a donc aucun moyen de réprimer les abus qui sont possibles, j'en conviens ; mais si des abus se commettent, le gouvernement ne peut certes en être responsable. Ce qui a eu lieu dans cette occasion, s'est produit vraisemblablement dans plusieurs autres. Là où il y a concession, il y a des auteurs de projets qui ont certains droits ; et ces droits, ils les cèdent, soit pour une part d'actions, soit pour une somme ; c'est une cession de droits, et l'abus ne peut exister que dans la valeur attribuée à ces droits.
Puisque l'honorable préopinant m'en fournit l'occasion, la chambre me permettra de faire une observation générale.
Je pense que la Belgique et le gouvernement belge peuvent être fiers de ce qui s'est passé dans ce pays, à l'occasion des concessions de chemin de fer, lorsque nous comparons ce qui s'y est passé avec ce que nous avons vu en Angleterre et en France, depuis l'année dernière, sous le rapport de la prudence employée, de la moralité et du sérieux des entreprises.
Vous savez, messieurs, ce qui a eu lieu, en Angleterre et spécialement en France ? Là, par l'application d'un système que je puis qualifier de vicieux, puisqu'on y a renoncé, par le système d'adjudication au rabais, il est arrivé que, pour un seul chemin de fer, il s’est formé jusqu'à dix compagnies à la fois, lesquelles devaient verser chacune un cautionnement préalable.
Ainsi, l'on a vu en Angleterre une somme de 373 millions de francs, versée comme cautionnement préalable ; en France une somme de 210 millions a été immobilisée dans les caisses du trésor public, et distraite par conséquent des opérations ordinaires du commerce et de l'industrie, Une crise financière très fâcheuse et très profonde en est résultée. Qu'a-t-on fait, pour obvier à cette crise ? On a présenté aux chambres françaises des lois d'une exécution très difficile. Mais pour éviter un mal, on est tombé dans un mal pire ; ainsi, pour prévenir la multiplication des sociétés, on s'est jeté dans le système des fusions et des coalitions ; et l'on a vu porter récemment à la tribune de France des plaintes, des critiques, on dit même des scandales ; des noms de pairs de France, de députés, de hauts fonctionnaires publics ont pour ainsi dire servi de drapeaux à chacune des compagnies pour rallier les capitaux et exercer une certaine influence ; du moins on le croyait. On a révélé des faits pareils à la tribune d'Angleterre.
En Belgique, rien de semblable ne s'est vu ; nous n'avons eu ni crise financière, ni agiotage, ni multiplication de sociétés inutiles, ni fusions, ni coalitions, ni abus graves ; je le dis, parce que cela fait honneur au gouvernement et à la nation belge.
Permettez-moi d'ajouter que c'est au système adopté l'année dernière par le gouvernement que nous devons en grande partie ce résultat. Nous avons admis la concession directe. Ce système, je dois le reconnaître, fait peser sur le gouvernement une très grave responsabilité ; mais au point de vue de l'utilité publique, il est le meilleur, et la France vient d'y revenir. En empêchant l'émission des actions en Belgique, jusqu'à ce que l'exécution des travaux soit achevée, qu'a fait le gouvernement belge ? Il a forcé le capital d'être constitué à l'étranger. Par cela même, si des abus d'agiotage qui sont presque toujours inhérents à de pareilles entreprises devaient avoir lieu, ils devaient se produire, non en Belgique, mais à l'étranger, et sans que néanmoins le gouvernement belge y eût en rien provoqué.
Nous avons recueilli les bienfaits de la formation d’entreprises utiles, nous avons augmenté la richesse publique, nous avons donné du travail à la classe ouvrière, nous avons fourni un aliment à deux de nos grandes industries, le fer et la houille. Le gouvernement a doté la Belgique de tous ces bienfaits, sans donner naissance à aucun des inconvénients, à aucun des dangers dont on a eu à se plaindre en Angleterre et en France. Ce n'est donc pas à des critiques que le gouvernement belge devrait être exposé.
- M. Liedts remplace M. Dumont au fauteuil.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, je ne m'oppose nullement au dépôt, sur le bureau, des pièces qui ont été réclamées par l'honorable M. Osy. Mais je pense que, pour procéder d'une manière logique, il serait préférable de rattacher les interpellations de l'honorable membre au projet de loi que j'ai eu l'honneur de présenter aujourd'hui, projet de loi qui sera renvoyé aux sections et sur lequel chacun fera ses observations ; alors la discussion sera introduite d'une manière plus régulière qu'elle ne peut l'être aujourd'hui, d'une manière incidente, à l'occasion de la discussion du budget des travaux publics.
M. Osy. - Je ne pense pas qu'il y ait le moindre inconvénient à déposer les pièces sur le bureau ; on pourra s'éclairer dans la discussion actuelle ou plus tard, lorsque nous nous occuperons en sections du projet de loi dont il s'agit.
La proposition que j'ai formulée concerne les concessionnaires provisoires ; je demande le dépôt de la pièce qui leur avait été donnée par le ministère, pour pouvoir vendre cette concession pour laquelle ils ont reçu 15,000 livres sterling, ce qui n'est nié par personne.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je ne sais pas s'ils ont reçu cette somme.
M. Rogier. -L'honorable M. Osy vient de signaler, relativement aux concessions de chemins de fer, un incident que, pour ma part, je considère comme très sérieux. Je suis étonné que M. le ministre des affaires étrangères n'y attache pas ce caractère, qu'il considère comme chose très naturelle que tel individu, qui aura eu l'idée de tracer un chemin de fer d'un point à l'autre de la Belgique, et obtenu une promesse du ministère, se trouve par ce seul fait avoir opéré, du jour au lendemain, un bénéfice de 400 mille francs. Cela paraît très simple à M. le ministre des affaires étrangères, autrefois ministre des travaux publics ; moi, j'avoue que cela me paraît très surprenant.
M. le ministre des affaires étrangères vient de dire que le gouvernement belge pouvait être fier, sous le rapport de la moralité, des concessions faites en Belgique. Si notre gouvernement n'avait pas d'autre titre à l'estime publique, à l'estime de l’Europe, que de pareils arrangements, je le plaindrais sincèrement.
Un autre chemin de fer a également donné lieu à des arrangements que la notoriété publique nous a révélés et sur lesquels je demanderai à mon tour une explication à l'ancien ministre des travaux publics.
Lorsque la concession du chemin de Jurbise à Tournay nous a été proposée, les dépenses, telles qu'elles résultaient des évaluations des ingénieurs, devaient s'élever à 5,680,000 fr. Si je commets quelque erreur, je prie M. le ministre de la rectifier.
Il fut décidé que le chemin de Jurbise à Tournay serait construit à double voie. De ce chef, il devait résulter une augmentation qu'on estimait, en y joignant d'autres éventualités défavorables, au maximum de deux millions. Voilà 7,680,000 fr. A ce chemin de fer de Jurbise se rattachait celui de Hasselt à St-Trond, qui figurait dans les évaluations pour 1 million 670,000, soit en tout 9,350,000 fr., que devaient coûter, d'après les calculs les plus larges les deux chemins réunis.
La concession de ces deux chemins fut accordée à quelques personnes, les unes habitant l'Angleterre, les autres habitant la Belgique. Ces personnes, sous le nom de concessionnaires fondateurs, constituèrent une société anonyme, au capital de 12 millions 500 mille francs. Les concessionnaires fondateurs formèrent la majorité du conseil d'administration de la société et ils s'engagèrent à fournir aux actionnaires, à forfait, le chemin de fer de Jurbise à Tournay et de Hasselt à Saint-Trond, pour la somme de 12 millions 500 mille francs.
D'où il suit que si les évaluations des ingénieurs étaient exactes, si les explications données à la chambre par le ministre des travaux publics d'alors étaient justes, les concessionnaires fondateurs après l'exécution de ces travaux auront fait sur la société un bénéfice de plus de trois millions. En supposant que ces travaux dussent s'élever à une somme de 10 millions, le bénéfice serait encore de 2,500,000 fr. Mais en portant les dépenses à cette somme, nous dépassons de beaucoup les prévisions.
Cela posé, je demande au ministre des affaires étrangères, comment il se fait que lui, qui avait la connaissance exacte des faits, il ait donné son adhésion en qualité de ministre chargé du commerce, à la clause qui portait à 12,500,000 le capital destiné à couvrir les dépenses de deux routes qui ne devaient coûter que 9 à 10 millions ; comment il a pu ainsi accorder de propos délibéré, étant parfaitement éclairé, ce bénéfice de 2 à 3 millions aux concessionnaires fondateurs, au préjudice des actionnaires.
A entendre l'ancien ministre des travaux publics, une fois les chemins concèdes, le gouvernement n'a pas à s'inquiéter de ce qui advient, il n'a pas à intervenir dans ce qu'il appelle le ménage intérieur des sociétés ; s'il y a des dupes cela ne regarde pas le gouvernement. Mais au point de vue de la morale publique, alors même qu'il s'agirait d'actes passés à l'étranger, alors que des Belges, ce qui n'est pas sûr, ne seraient pas victimes, je dis qu'il serait de la dignité d'un gouvernement de veiller à ce que l'agiotage ne triomphe pas, qu'il serait de sa dignité de ne point paraître donner la main à des spéculations particulières.
Il y a d'autres considérations. Plus les actionnaires auront eu de dépenses à faire, plus le prix de leurs actions aura été élevé, moins les bénéfices seront grands, moins il y aura d'intérêt à partager, et plus l'entreprise périclitera entre leurs mains.
Il est de l'intérêt public que les chemins de fer concédés ne donnaient pas lieu à des résultats onéreux.
Si les actionnaires sont en perte, toute l'entreprise s'en ressent. On néglige le service, on fait des efforts pour élever les tarifs, on restreint les dépenses de surveillance et d'entretien, et il arrive des accidents comme celui qu'on a vu sur le chemin de Paris à Versailles de la rive gauche de la Seine.
Il est donc important au point de vue de l'intérêt public, de l'intérêt de (page 1206) la Belgique, que les actionnaires, que ceux qui donnent de l'argent , ne soient pas entraînés dans une entreprise ruineuse, car quand les entreprises, deviennent ruineuses elles ne sont pas exploitées convenablement. Elles sont exploitées avec négligence, puis abandonnées comme de mauvaises affaires.
Pour ces chemins de Jurbise à Tournay et de Saint-Trond à Hasselt, les dépenses sont évaluées au maximum de 10 millions. Les actionnaires devront payer aux concessionnaires fondateurs 12,500,000 francs. Voilà déjà 2,500,000 fr. qui passent des mains des actionnaires dans les mains des fondateurs. En outre les actions émises à 500 francs, ont été vendues, je suppose, 750 francs. Voilà une seconde source de perte pour l'actionnaire.
Avec de pareilles aggravations, il pourra arriver que le chemin de fer de Jurbise à Tournay et de Hasselt à St-Trond, au lieu de coûter 9 ou 10 millions, comme on l'avait annoncé, aura coûté 15 millions et plus. C'est sur cette somme qu'on devra baser les intérêts, les dividendes. S'il y a perte, l'administration du chemin devra s'en ressentir. On dira qu'il n'y a pas de danger ici, parce que l'Etat est chargé de l'exploitation, mais je parle en principe.
Dans tous les cas, si les actionnaires font de mauvaises affaires, si l'entreprise devient onéreuse, il est à craindre que le gouvernement ait des difficultés avec les actionnaires ; ils se plaindront d'être lésés, de ne pas trouver de leur argent le produit qu'ils en attendaient. Je demande donc à l'ancien ministre des travaux publics par quels motifs il a consenti à ce que le capital d'exécution fût porté à 12 millions 500,000 fr., alors qu'il avait démontré lui-même que les travaux pourraient être exécutés pour une somme beaucoup moindre.
Dira-t-on qu'une partie de cette somme se trouve réservée pour un embranchement éventuel ? Cela ne serait pas exact, car, dans ce cas, l'article 6 de l'acte de concession suppose que le fonds social sera augmenté.
Je bornerai là mes observations et je prierai M. le ministre de bien vouloir répondre à mes questions.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je répondrai d'abord, en peu de mois, à une observation qu'a faite l'honorable préopinant au début de son discours.
Il a été très loin de ma pensée de vouloir excuser les abus, les spéculations exagérées qui auraient pu avoir lieu. Ce que j'ai dit, ce que j'ai constaté, c'est que ces abus étaient en dehors de l'action de la surveillance du gouvernement. Je n'ai donc pas voulu faire au gouvernement un titre d'estime à l'étranger de ces abus, s'ils existent, mais j'ai voulu lui faire un titre à cette estime de la règle de prudence qu'il a suivie.
Le gouvernement, dans la rédaction du cahier des charges, a eu à stipuler des garanties pour que des abus ne puissent avoir lieu. Mais, lorsque dans la formation même de la société, dans le détail du ménage intérieur, des abus se sont glissés, je dis que le gouvernement n'en a pas la responsabilité.
L'honorable M. Rogier m'a demandé comment j'avais pu donner mon adhésion à la constitution de la société anonyme du chemin de fer de Tournay à Jurbise, lorsque le capital social s'élevait non pas à dix millions, qui étaient le montant des évaluations primitives, mais, d'après ce qu'il vient de dire, à 12,500,000 fr.
Messieurs, je ne pourrais vous dire quel est le chiffre auquel j'ai donné mon adhésion, je ne l'ai pas sous les yeux. Tout ce que je puis déclarer à la chambre, c'est que lorsque le ministre qui a le commerce dans ses attributions est appelé à approuver le capital social d'une société anonyme pour une concession de chemin de fer, une correspondance s'établit entre le département des affaires étrangères et celui des travaux publics. C'est celui-ci qui examine les évaluations du capital social. Des rapports sont demandés aux ingénieurs, et c'est sur les rapports de ces ingénieurs et l'avis du ministre des travaux publics que le ministre du commerce approuve les évaluations.
Messieurs, je ne me rappelle pas exactement les faits auxquels l'honorable M. Rogier a fait allusion. Je pense que mon collègue, M. le ministre des travaux publics, pourra vous donner des détails plus circonstanciés à cet égard ; mais ce que je puis affirmer, c'est que précisément parce que j'ai été à la tête du département des travaux publics, j'ai exercé une surveillance très sévère sur les diverses tentatives qui ont été faites pour augmenter le capital social des sociétés anonymes qui ont demandé des concessions i de chemins de fer. Ainsi, une demande en autorisation de société anonyme a été refusée par moi, et un des motifs du refus que j'ai fait, c'était que je considérais le capital social comme étant trop élevé.
Je le répète, je n'ai aucune pièce sous les yeux ; je ne puis répondre directement à la question que m'a faite l'honorable M. Rogier. Mais je sais que c'est sur des évaluations confirmées par des ingénieurs et sur l'avis de M. le ministre des travaux publics que mon adhésion à la formation de la société a dû être basée.,
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, si ma mémoire est fidèle, les chiffres d'évaluation des ingénieurs étaient ceux indiqués par l'honorable M. Rogier. Mais il est à remarquer que ces évaluations remontaient à une époque où certains prix n'étaient pas à beaucoup près ce qu'ils se sont trouvés être à l'époque de la constitution de la société. C'est ainsi que M. l'ingénieur Desart, dans son estimation pour le chemin de fer de Tournay à Jurbise, avait porté les fers en compte au prix de 250 fr. Or, à l'époque de la constitution de la société de ce chemin de fer, le prix du fer se trouvait à 300 fr. et au-delà.
C'est là une des circonstances qui ont motivé l'augmentation de capital.
Il est à remarquer en second lieu que, par amendement adopté par la chambre, on avait imposé à la société une double voie, fait que l’honorable préopinant a cité, mais qui avait encore une influence à raison de l’augmentation du prix des fers.
Pour se rendre compte, messieurs, du chiffre auquel le capital social a été fixé, il faut encore faire attention à un fait, c'est que les concessionnaires s'engageaient à servir, pendant la construction et jusqu'à l'ouverture des lignes nouvelles, les intérêts du capital social, d'où résultait encore pour eux une charge assez lourde.
Il est à remarquer enfin que ces mêmes concessionnaires prenaient vis-à-vis de la société l'engagement d'exécuter tous les travaux à leurs frais, risques et périls, en y comprenant toutes les éventualités possibles. Or, messieurs, ces éventualités devaient être prises en considération, alors qu’il s'agissait, non seulement de travaux, mais d'acquisitions de terrains, dans des localités où ces terrains ont une très grande valeur. Nous savons tous, messieurs, que les acquisitions de terrains sont, de toutes les parties constitutives d'un travail d'utilité publique, celle qui est la moins susceptible d'une évaluation certaine à l'avance. C'est aussi sur ce point que, dans la construction de nos chemins de fer, les plus forts mécomptes se sont produits.
La position, messieurs, était donc celle-ci : Les concessionnaires faisaient avec la société un marché à forfait et prenaient à eux, moyennant le chiffre indiqué par l'honorable M. Rogier, toutes les chances d'augmentation, non seulement sur les travaux, mais aussi sur les acquisitions de terrains, et de plus les travaux imprévus, s'il s'en présentait.
Pour le dire en passant, messieurs, ce système de contrat était peut-être celui qui offrait le plus de garanties aux actionnaires d'une société anonyme. On leur disait à l'avance : Voilà le capital qu'il s'agit de former ; c'est ce capital que vous devez mettre en regard des revenus probables de l'entreprise.
Il est évident, messieurs, que ce capital, en s'élevant, diminuait le tantième probable des intérêts. C'étaient là, évidemment des chances à apprécier par les actionnaires ; et au fond leur indiquer un capital, élevé, si l’on veut, mais fixe, mais irrévocable, était sans doute la manière la plus loyale de leur présenter l'entreprise.
L'honorable préopinant s'est préoccupé du préjudice qu'auraient pu éprouver les preneurs d'actions ; et il a également parlé des bénéfices que les concessionnaires auraient pu réaliser sur l'émission de ces actions. Jusqu'ici, messieurs, les concessionnaires du chemin de fer de Tournay à Jurbise n'ont pas émis d'actions, parce qu'ils ont trouvé que les circonstances étaient défavorables pour une pareille émission, et à l'heure qu'il est, c'est avec leurs ressources personnelles que les travaux s'exécutent.
J'aurai encore à citer un fait, messieurs, qui peut prouver que les évaluations des ingénieurs ne devaient pas être tenues comme base absolue du contrat de société. C'est que, pour la section du chemin de fer de Saint-Trond à Hasselt, les travaux qui n'avaient été évalués par M. l'ingénieur en chef Groetaers qu'à 1,450,000 fr. ont été entrepris, par sous-traité, au prix de 1,800,000 fr.
Il est à ma connaissance que ce contrat existe. Il prouve que les évaluations primitives pouvaient se trouver trop faibles, surtout en présence des prix du jour au moment où la société a été constituée. C'est dans l'intervalle de l'étude des projets par les ingénieurs de l'Etat et de la formation de la société que les prix des fers et ceux des travaux se sont relevés notablement par suite des différentes entreprises concédés, non seulement en Belgique, mais en France, eu Angleterre et ailleurs.
M. Rogier. - Les explications qu'on a bien voulu me donner ne me satisfont pas. Je dirai en peu de mots pourquoi.
Le gouvernement belge fait étudier par ses ingénieurs un chemin de fer. Les évaluations des dépenses de ce chemin de fer sont discutées dans le parlement belge. Le gouvernement soutient que les évaluations sont parfaitement exactes. Il résulte de l'ensemble de la discussion que le chemin de fer ne coûtera que 10 millions, qu'il faut exagérer de beaucoup les évaluations pour arriver à ce chiffre ; et un mois après cette discussion solennelle, une société anonyme se forme de l'assentiment du gouvernement et. porte le capital destiné à la construction de ce chemin de fer à 12,500,000 fr Voilà 2,500,000 fr. d'augmentation en un mois.
Messieurs, évidemment ici il y a des reproches à adresser au gouvernement. Il n'est pas admissible que le gouvernement vienne dans cette enceinte compromettre à ce point l'honneur de ses ingénieurs, qu'il vienne soutenir que leurs évaluations sont exactes, et qu'un mois après, dans un acte authentique, il reconnaisse qu'ils se seraient trompés de 2,500,000 fr. sur 10 millions. Cela n'est pas possible ; ce serait donner un brevet d'incapacité à l'ingénieur qui a fait les éludes, et cet ingénieur est connu au contraire pour les soins qu'il y apporte. Celles qu'il vient de fournir pour le chemin de fer du Luxembourg en sont une nouvelle preuve. Ce qu'il y a de plus clair en tout ceci, c'est le bénéfice de 2,500,000 fr. fourni aux concessionnaires fondateurs.
L'honorable ministre des travaux publics vient de dire que depuis les évaluations de M. l'ingénieur, les circonstances avaient changé, que les prix des fers, par exemple, avaient été en augmentant. Mais dans les dix millions, dans ce chiffre rond que j'ai adopté comme maximum des dépenses, l'augmentation du prix du fer se trouve comprise. Voici quels étaient les calculs, d'après le discours de l'honorable M. Dubus, qui passe, en général, pour être exact dans ses recherches :
« Evaluations primitives du coût de la construction du chemin de fer de Tournay à Jurbise, fr. 5,680,000
« Renchérissement des fers, fr. 320,000
« Redoublement de la voie, fr. 2,000,000. »
(page 1207) L'honorable membre ajoutait que sans doute cette dépense était trop élevée.
Vient la route de Hasselt à Saint-Trond. Elle était évaluée, non pas à 1,400.000 francs, comme le dit M. le ministre des travaux publics, mais à 1,670,000 francs. Ces quatre sommes réunies ne feraient encore que 9,670,000 fr. J'en accorde 10 millions.
Voilà, messieurs, quelles étaient les évaluations officielles, parlementaires, du gouvernement, de toutes les autorités, sur le coût de ces chemins de fer, et un mois après, on vient déclarer, par acte authentique, que cette entreprise devra coûter 12,500,000 fr. Cela, messieurs, paraît tout à fait inexplicable. C'est encore ici un avantage, et un avantage énorme accordé à quelques particuliers.
Je crois, messieurs, quoi qu'en ait dit M. le ministre des affaires étrangères, qu'il y a solidarité complète entre tous les ministres en ces sortes d'affaires ; qu'ainsi le ministre du commerce qui a dans ses attributions la sanction des sociétés anonymes, ne peut agir sans être parfaitement d'accord avec le ministère auquel ces sociétés ressortissent par l'objet même de leur fondation. Or, M. le ministre des travaux publics qui avait momentanément le commerce dans ses attributions, l'honorable M. Dechamps, comme ministre du commerce, savait fort bien ce que M. Dechamps, comme ministre des travaux publics, avait assuré à la chambre. M. Dechamps, ministre des travaux publics, nous avait démontré que le chemin de fer de Tournay et de St-Trond ne coûterait pas 10 millions, et bientôt après, M. Dechamps, ministre du commerce, donne sa sanction à une société qui exige de ses actionnaires 12,500,000 fr. pour la construction de ces mêmes routes. Cela vraiment n'est pas raisonnable.
De pareils exemples, je suis fâché de le dire, ne sont pas faits pour relever beaucoup le gouvernement devant l'étranger ; et si, à l'exemple de la pétition qui vient de nous être lue tout à l'heure, des actionnaires anglais on des actionnaires belges (car il est très possible que des actions soient restées dans le pays) viennent nous dire : « Nous avons été trompés ; nous avons été induits en erreur par les calculs de MM. les ingénieurs belges, par les déclarations du gouvernement », je crois, messieurs, que l'on serait assez embarrassé de donner une réponse satisfaisante aux plaintes de ces actionnaires.
Je n'insisterai pas davantage sur cette question. Malheureusement il est à craindre que ce ne soit pas encore la dernière qui se produise.
M. le ministre des affaires étrangères nous a dit que tout ce qui avait été fait, en Belgique, à la différence de ce qui s'est fait en France et en Angleterre, s'était passé d'une manière régulière, parfaitement honorable, glorieuse, en quelque sorte, pour le gouvernement. Je crois, messieurs, qu'il faut rabattre quelque peu de cette opinion de M. le ministre. Je suis forcé de dire encore qu'on a été léger en plusieurs circonstances. Ainsi, on a concédé des travaux qui ont été reconnus plus tard inexécutables.
M. de Mérode. - Je demande la parole.
M. Rogier. - Le chemin de fer de la Dendre a aussi été concédé. Où en est-il ? Est-il question de l'exécuter ? Le canal de Mons à Erquelinnes a aussi été concédé. Qu'est-il devenu ? On prétend qu'il est inexécutable.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Il est très exécutable.
M. Rogier. - Il ne paraît pas qu'on ait pris pour ces concessions toutes les précautions nécessaires. Et j'ai eu raison, dans le temps, de dire qu'on y allait avec trop de précipitation, qu'on y mettait trop de laisser aller.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, on vient de parler en dernier lieu du canal de Mons à la Sambre, et on a élevé des doutes sur le point de savoir si ce canal était exécutable. Il est à remarquer, messieurs, que le canal de Mons à la Sambre était décrété déjà depuis 1838, si mes souvenirs sont exacts ; il avait passé par toutes les enquêtes, et par toutes les formes d'instruction usitées.
Il est vrai que les concessionnaires actuels de ce canal ont, après coup, élevé cette objection que le canal ne serait pas exécutable. Le gouvernement ne s'est pas arrêté à cette objection. Il a chargé trois ingénieurs en chef du corps des ponts et chaussées de revoir tout le travail, de tout rectifier, et spécialement le point de savoir si le canal n'était pas exécutable. Eli bien, messieurs, le rapport des ingénieurs a complétement confirmé la possibilité d'exécution du canal.
Un concessionnaire peut juger convenable d'élever des objections de ce genre, lorsqu'il pense que l'opération ne répondra pas à son attente. Le gouvernement n'a pas à se préoccuper de pareils calculs. Pour ce qui est du canal de Mons à la Sambre, le gouvernement se trouve en présence d'un engagement qu'il entend faire exécuter. Actuellement la contestation se trouve portée devant les tribunaux ; c'est donc une affaire sur le fond de laquelle il serait inopportun de discuter dans cette enceinte. Tout ce que je puis dire, c'est que le gouvernement soutient ce qu'il croit être son droit et qu'il le soutiendra, fût-ce même par tous les degrés de juridiction.
Quant au canal de la Dendre, il y a eu, messieurs, contestation entre les concessionnaires primitifs et la société qui s'est formée. C'est cette contestation qui a empêché la formation d'une société anonyme. Mais ici encore le gouvernement se trouve en présence d'engagements pris, d'engagements qu'il entend faire exécuter. Le gouvernement est nanti de cautionnements, dont il ne se dessaisira que lorsque des travaux seront faits pour une valeur double, d'après le cahier des charges.
M. de Mérode. - Je m'étonne, messieurs, que l'on soit si surpris des erreurs qui se commettent dans les prévisions relatives à des travaux d'une aussi grande importance que des chemins de fer. Lorsqu'il s'est agi de construire le chemin de fer de Malines à Louvain, on nous a communiqué des devis d'après lesquels cette ligne devait coûter environ 2 millions ; eh bien, elle en a coûté 5. Le chemin de fer d'Ans à la frontière de Prusse ne devait coûter que 5 millions, et il en a coûté 30. Cependant l'honorable M. Rogier, dans la discussion de 1833, avait dit que les dépenses de construction seraient au-dessous des estimations. Je ne suis pas surpris, messieurs, que l'on commette des erreurs très considérables dans les prévisions relatives à de semblables travaux ; il se rencontre là une foule de circonstances imprévues, dont l'augmentation du prix des fers est peut-être la moins importante.
Ainsi, par exemple, on découvre des terrains boulants dont on ne soupçonnait pas l'existence et qui nécessitent des travaux d'art extraordinaires et quelquefois fort coûteux. Je ne serais pas étonné que des concessionnaires fissent parfois de très grands bénéfices sur des travaux de cette nature ; ils ont, d'un autre côté, la chance de faire de fortes pertes. On parle d'une somme de 400,000 fr., qui aurait été gagnée sur un chemin de fer ; mais pour juger si cette somme est considérable, il faut voir quel est le coût du chemin de fer sur lequel ce bénéfice aurait été réalisé. Si les actionnaires ont consenti à reprendre ce chemin de fer de seconde main et à le payer à un prix qui laissât aux premiers concessionnaires un bénéfice de 400,000 fr., c'est que probablement ils auront considéré l'affaire comme bonne et qu'ils comptent réaliser un bénéfice à leur tour. Il est possible qu'ils se trompent, il est possible que leurs prévisions se réalisent, car en de pareilles affaires il n'y a rien de certain. Tout ce que je puis dire, c'est que je ne comprends pas qu'il puisse y avoir dans tout cela matière à faire des reproches au gouvernement.
- La séance est levée à 3 heures.