(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 145) M. de Villegas fait l'appel nominal à une heure.
M. de Man d'Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Villegas présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Auguste-Charles Hébert, employé à l'école militaire, né à Honfleur (France), demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Plusieurs habitants et propriétaires de terrains riverains de la Meuse dans la province de Namur, demandent la révision de l'ordonnance de 1669 sur les chemins de halage. »
M. Pirson. - Par cette pétition, qui est revêtue d'un grand nombre de signatures, les propriétaires riverains de la Meuse dans la province de Namur, s'adressent à vous pour réclamer votre intervention à l'effet d'obtenir la révision de l'ordonnance de 1669 en ce qui concerne les chemins de halage. Il est d'autant plus important de statuer sur l'objet de cette pétition que cette ordonnance est tombée en désuétude depuis un temps immémorial, qu'elle n'est plus en harmonie avec nos institutions, et qu'aujourd'hui les employés du service de la Meuse voulant en faire une application rigoureuse, elle donne lieu aux mesures les plus vexatoires, et à une foule de procès onéreux aussi bien pour les particuliers que pour l'Etat qui a déjà été condamné plusieurs fois par les tribunaux. Ainsi que, sur ma proposition, vous l'avez décidé il y a quelques jours pour une semblable pétition, celle de la dame Evrard, je propose que la pétition dont il vient d'être fait l'analyse, soit renvoyée à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport, et que de plus elle soit déposée sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.
- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.
« Le sieur Jean Ernest, héritier du sieur Lerutte, ancien directeur des postes au bureau principal de Henri-Chapelle, réclame les arrérages du traitement d'attente qui avait été alloué à ce fonctionnaire par suite de la suppression de ce bureau principal. »
M. Delfosse. - Je demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion de l'objet à l'ordre du jour, et le renvoi à la commission qui pourra être chargée d'examiner les réclamations au point de vue de l'équité.
M. le président. - S'il y a lieu.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs habitants de la ville de Tournay demandent la réforme postale basée sur la taxe uniforme de 10 centimes. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. le président. - Vous avez chargé le bureau de compléter la commission à laquelle vous avez renvoyé l'examen du projet de loi ayant pour objet d'abroger l'arrêté du 9 septembre 1814, relatif à l'exécution en Belgique des jugements rendus et des contrats passés en France. Le bureau a nommé MM. Fleussu, Vanden Eynde, Biebuyck, Jonet et Orban.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, à la séance d'hier, un honorable membre a demandé si les développements qui doivent être distribués à l'appui du budget des travaux publics seraient bientôt envoyés aux sections. Je puis annoncer que dès aujourd'hui la première partie de ces développements pourra être distribuée et que l'autre le sera dans les deux ou trois premiers jours de la semaine prochaine.
M. David. - Je remercie M. le ministre des travaux publics.
M. Lebeau. - Je demande pardon à la chambre de renouveler en quelque sorte une discussion à laquelle elle a déjà consacré plusieurs séances. Si j'eusse été suffisamment préparé pour la première discussion, je lui eusse évité cet ennui ; je le lui aurais évité encore si, de la lecture attentive des débats de la chambre, il n'était résulté pour moi que l'adoption définitive de la loi en discussion peut offrir de graves inconvénients.
Malgré mon respect pour la décision de la chambre, décision toutefois purement provisoire, mon respect plus grand pour la vérité m'oblige à lui dire qu'à mon sens, le projet, quant au fond aussi bien que quant à la forme, est peu équitable, peu politique et de plus imprudent.
Je regrette que M. le ministre des finances n'ait pas défendu sérieusement le projet de l'ancien cabinet, car je ne crois pas lui faire injure en disant qu'il ne l'a soutenu en quelque sorte que jusqu'au point où il le fallait
M. le ministre des finances (M. Malou). - C'est une erreur, j'ai voté contre.
M. Lebeau. - Ce détail m'avait échappé. Je regrette plus encore l'adoption de l'amendement de la section centrale que le rejet du principe mis en avant par M. Mercier, il est résulté du système produit par la section centrale, et qui consiste à faire une exception pour les créances qui se présentent avec un titre judiciaire, des débats qui me paraissent fâcheux, et qui, je crois, vous ont paru fâcheux à tous. C'est que ces débats ont mis en présence deux pouvoirs, ont créé un conflit dans lequel les opinions diverses ont été soutenues avec autant de talent que d'autorité ; de telle sorte que les meilleurs esprits peuvent rester dans l'incertitude et le pays après eux. Quand je vois d'une part des hommes de la valeur des honorables MM. Dolez, Verhaegen, Jonet, soutenir une opinion, et de l'autre des jurisconsultes de la force de MM. Dubus aîné et Fallon soutenir l'opinion contraire, je dis que cela est fâcheux, quand cette diversité d'opinions s'attache à des juridictions, à des prérogatives de pouvoirs.
Je devrais dire qu'à l'autorité de MM. Fallon et Dubus, s'est jointe celle de M. le ministre des finances, si, à cet égard, je n'étais quelque peu embarrassé. Quand j'écoutais le légiste, je le trouvais de l'opinion de MM. Dubus et Fallon ; et quand j'ai vu agir le ministre, il m'a semblé qu'il agissait conformément à l'opinion de MM. Dolez, Verhaegen et Jonet. C'est à mon sens pousser le goût du mixte un peu loin. (On rit.)
Je dis que la mise en présence de deux pouvoirs est toujours quelque chose de fâcheux ; et je suis, à l'égard de tout conflit de cette nature, de l'avis d'un publiciste anglais qui disait que les droits absolus de la Couronne et les droits absolus de la nation ne s'accordaient jamais si bien que quand on n'en parlait pas. (Adhésion.)
Je suis, je l'avoue, peu effrayé de l'omnipotence judiciaire. Elle a ses dangers sans doute, sur lesquels je ne voudrais pas m'aveugler, mais je la crains peu ; les corps judiciaires, par leurs habitudes, par la nature de leurs fonctions, sont peu portés à l'exagération ; ils sont composés d'hommes qui ont des habitudes d'ordre et de modération et sont presque timides, plutôt qu'aventureux.
Je craindrais plus l'omnipotence des assemblées politiques. L'histoire moderne renferme bien plus d'exemples des écarts de pouvoir de la part des assemblées politiques que de la part de la magistrature ; et à cette occasion, j'ai entendu, dans une séance précédente, des paroles contre lesquelles je pense que beaucoup d'entre vous protestent ; c'est-à-dire que quand nous avons à examiner ici des réclamations qui s'appuient sur des traités ou des textes quelconques, il faut porter ses investigations jusqu'au-delà de 1830, pour savoir dans quel camp se trouvaient ceux qui viennent réclamer. Ce n'est pas avec de telles paroles qu'on opère la conciliation, qu'on fait cesser les divisions, les dissentiments ; c'est ainsi qu'où les éternise. Nous devons donc examiner ces questions sans acception de personnes.
S'il y avait nécessité de trancher la question qui divise non-seulement les membres de cette chambre le moins familiarisés avec les questions de jurisprudence, mais les jurisconsultes eux-mêmes, il faudrait sans doute la déplorer et la subir. Mais l'avantage que je trouvais dans le projet du ministère précèdent, c'est qu'il ne préjugeait aucune question, n’élevait aucun de ces conflits ; c'est que dans cette circonstance, comme dans la question des indemnités, on décidait des questions de fait, des questions politiques et non des questions de droit.
M. le ministre, tout en abandonnant le projet de son prédécesseur, a bien senti l'inconvénient dans lequel la nécessite de se prononcer sur cette grave question qui divise la chambre, nous plaçait tous.
(page 146) Il l’a tellement senti que tous les efforts auxquels il s’est livré dans la séance d'avant-hier ont eu pour but de tenir la question indécise.
Je regrette de dire qu'après une discussion semblable, dans laquelle M. le ministre des finances avait compris la nécessité de ne pas trancher des questions de cette nature, il les tranche par son propre fait, en donnant gain de cause à ceux qui soutiennent ici l'omnipotence judiciaire, car remarquez-le bien, la seule des créances à laquelle il fasse accueil, est celle qui se présente avec un titre judiciaire ; et quand il demande un ajournement pour faire telles propositions que le gouvernement croira utiles, il le demande à quelle époque ? Jusqu'à ce que l'autorité suprême en matière judiciaire, ait décidé.
Ainsi, d'une part, en déclarant que la question présente des difficultés, puis en autorisant à penser qu'il penche pour les opinions de MM. Fallon et Dubus, il agit comme s'il partageait l'opinion de MM. Dolez et Verhaegen ; il accorde le privilège d'être payé au seul titre appuyé d'un arrêt ; et il vous dit que pour se décider utilement, il est prudent d'attendre que le pouvoir judiciaire se soit prononcé. J'avoue que je ne comprends pas une telle manière de raisonner et d'agir.
Messieurs, j'ai dit que je croyais que la loi, telle qu'elle était adoptée, emporte le rejet absolu de la proposition du ministère précédent, et que je le regrettais.
Jusqu'à présent, quand le gouvernement a donné aux chambres l'occasion de faire de la politique de fusion, un appel à l'union, d'effacer les traces matérielles de la révolution, la chambre s'est toujours associée à cette pensée du gouvernement. Elle en a donné l'exemple dans plusieurs circonstances, notamment dans la circonstance mémorable de la discussion de loi relative aux indemnités.
Messieurs, ces mêmes sentiments d'équité qui ont dicté les projets de loi des ministères précédents, cette même politique de fusion intérieure, qui avait amené l'adoption de la loi des indemnités, militent en faveur de la proposition qui nous était faite. L'honorable M. Fallon lui-même qui, par sa position, doit exercer une grande influence dans cette discussion, n'a pas méconnu que ces principes d'équité militaient en faveur, sinon de toutes, au moins d'une partie des réclamations dont l'ancien ministre des finances s'était rendu l'organe.
Messieurs, vous l'avez déjà reconnu vous-mêmes dans un traité solennel. Dans l'article 22 du traité du 15 novembre 1831, vous avez souscrit au payement des traitements d'attente, à partir de cette époque.
Si ce traité n'a pas été exécuté, ce n'est certainement pas la faute de la Belgique. Est-ce la faute de ceux qui viennent réclamer aujourd'hui ce qu'ils croient être une justice ? Evidemment non. Ils ont gémi, ils ont dû gémir, non seulement comme citoyens, mais comme victimes, des retards apportés à satisfaire aux réclamations qu'ils avaient faites et qui avaient été reconnues dans un traité.
C'est donc par une force majeure, entièrement indépendante de la volonté des intéressés, que le traité du 15 novembre, où leurs droits étaient formellement reconnus par la Belgique, n'a pu produire ses effets. La faute en est aux Pays-Bas seuls. Seule, la partie récalcitrante devait être passible des dommages inhérents à de semblables retards.
Le traité du 19 avril 1839, article 21, consacre de nouveau les droits de ceux dont l'ancien ministre des finances s'était constitué le défenseur dans cette enceinte ; et, en vertu de ce titre, on a payé depuis, on a satisfait depuis aux termes échus après le traité. On a payé exactement tous les termes échus de leurs pensions à partir de 1839.
Mais on a argumenté du texte, et non certainement de l'esprit du traité du 19 avril 1839, pour soutenir que nous ne devons pas payer l'arriéré, parce que dans l'article 21 il est dit seulement : A l'avenir les pensions et traitements d'attente seront à charge de chacun des gouvernements, selon le domicile d'origine des parties prenantes.
Messieurs, l'explication de ce texte est facile, et je ne crois pas qu'on puisse en tirer les conséquences qu'on a produites dans une séance ultérieure. Ces mots : « à l'avenir, » sont textuellement copiés du traité de 1831, comme à peu près toutes les dispositions qui n'ont pas été modifiées. Toutes les dispositions du traité de 1831 qui n'ont pas été modifiées dans le traité de 1839 ont été translatées textuellement d'un document dans l'autre.
D'ailleurs, la Hollande, qui n'avait à cela aucun intérêt, puisqu'il ne s'agissait pas des habitants du royaume des Pays-Bas, a dû supposer, en signant le traité, que ceux dont les droits y étaient stipulés avaient été régulièrement payés jusque-là. Pourquoi aurait-elle supposé le contraire ? On ne mettait pas en doute les droits des réclamants, à partir de 1839 ; on reconnaissait qu'il était juste, équitable de les payer à l'avenir. Si on le reconnaissait pour l'avenir, comment la Hollande, en signant le traité de 1839, aurait-elle supposé que la Belgique avait fait ou ferait difficulté de payer pour le passé ? Pourquoi cela surtout, lorsque le traité ne distingue nullement entre le passé et l'avenir ? Si nous avons trouvé juste de payer pour l'avenir, au point de nous y obliger par un traité dont les tiers ne sont pas seuls appelés à invoquer les droits, je ne comprends pas pourquoi nous nous trouverions, à leur égard, dégages du passé. Cela ressemblerait beaucoup au droit du plus fort.
On peut aller plus loin. On trouve dans la convention de 1842 une sorte de preuve que les Pays-Bas, en la signant, avaient la conviction que les traitements d'attente étaient payés par la Belgique, même avant le traité du mois d'avril 1839. Voici comment est conçu l'article 68, au dernier paragraphe :
« Les pensions et traitements d'attente, etc., restent à la charge du pays qui les soldait au 19 avril 1839, et demeurent toutefois assujettis aux lois et règles de ce pays. »
Et nous n'avons pas protesté contre cette clause !
Un membre. - On ne les soldait pas.
M. Lebeau. - Si on ne les soldait pas, nous aurions donc, en laissant supposer le contraire, trompé la bonne foi de celui avec qui nous traitions ! Ce serait faire, en interprétant ainsi un texte de traité, emploi de moyens que je n'oserais qualifier. Nous laissions supposer que nous payions, mais en réalité, nous ne payions pas : donc nous ne devons rien qu'à l'avenir ; donc nous sommes libérés pour le passé ! J'aurais honte, je le répète, de répondre à un pareil argument.
L'honorable M. Fallon, qui, je le répète, par sa position, comme ancien négociateur, et par son haut savoir, comme jurisconsulte, doit faire autorité dans cette question, nous a parlé d'une note qu'il a remise à Bruxelles, lors des négociations officieuses, ouvertes, si je ne me trompe, sous le ministère dont j'avais l'honneur de faire partie. Je suis heureux de saisir cette occasion pour dire combien le dévouement et les lumières de l'honorable membre ont été utiles au gouvernement et au pays dans cette circonstance.
Cette note ne prouve rien contre la thèse que je soutiens.
Le traité de 1839, conclu non seulement avec les Pays-Bas, mais avec les cinq grandes puissances, confirme bien évidemment des droits qu'on ne peut méconnaître, et qu'on a reconnus, en payant, depuis 1839, les titulaires de pensions et de traitements d'attente ; car c'est en vertu du traité de 1839 que vous les payez. Ce droit, acquis non seulement aux Pays-Bas, mais encore aux puissances garantes, près de qui peut-être on s'adresserait dans le cas de non-exécution de cette partie du traité, n'a pu périr dans la convention conclue en 1842 avec les Pays-Bas seuls. Cette convention n'a pu que confirmer les principes posés dans le traité bien plus solennel de 1839. Je crois que l'honorable M. Fallon ne contestera pas ces principes.
Quelle est la différence de rédaction dans la convention de 1842 ? On l'a déjà vue, la voici de nouveau : « Les pensions et traitements d'attente demeurent toutefois assujettis aux lois et règles de ce pays. » Le sens de la convention de 1842, explicative, extensive, si vous voulez, dii traité de 1839, peut-il aller jusqu'à dire qu'on pourra ne rien payer ? Evidemment non. Cela veut dire que les pensions et traitements seront assujettis à toutes les dispositions des lois générales relatives, soit aux retenues dont les pensions pourraient être frappées, soit au cumul avec un traitement ou avec une amélioration de position. Mais cela ne peut jamais aller jusqu'à effacer les dispositions du traité de 1839 qui a posé le principe de la dette, principe que le gouvernement, en demandant les fonds, et les chambres, en les votant sans difficulté depuis six ans, ont évidemment reconnu.
Je disais donc avec raison que je regrette vivement l'abandon par M. le ministre des finances du projet présenté par l'ancien ministère.
Celui-ci avait, à mon avis, obéi à des raisons d'équité et de bonne politique ; il avait de plus, en procédant ainsi, conservé ce grand avantage de laisser intactes les questions toujours fâcheuses d'attributions et de prérogatives qui se sont élevées devant vous par suite de la disposition proposée par la section centrale.
Je disais tout à l'heure que si l'on recourait aux traités de 1831, de 1839, de 1842, on reconnaîtrait que l'équité, sinon un droit rigoureux, commandait de payer les traitements d'attente sans aucune réduction ; que cela était vrai non seulement pour l'avenir, mais que cela était vrai aussi pour le passé.
Si nous avons demandé des réductions dans les charges résultant du retard apporté par le roi des Pays-lias à l'exécution du traité de 1831, nous n'avons jamais entendu faire peser ces réductions sur nos compatriotes ; nous avons voulu les faire peser tout entières sur celui qui était la cause seule du retard, sur le roi Guillaume, sur celui dont l'obstination avait empêché le traité de 1831 de recevoir son exécution avant le mois d'avril 1839.
Il y aurait une souveraine injustice à rendre responsables d'un retard auquel ils sont complétement étrangers, une partie de nos concitoyens qui trouvent dans le traité de 1831 la reconnaissance la plus solennelle du droit qu'ils font valoir aujourd'hui devant vous.
El qu'on ne dise pas que cette clause nous a été imposée soit en 1831, soit en 1839. Certainement dans tout ce qui était d'intérêt européen, on a pu faire d'abord et persister à faire violence aux vœux du pays. Mais, dans une question qui ne concerne ni l'Europe, ni même en réalité le royaume des Pays-Bas, si notre droit à être affranchis de l'obligation que les intéressés invoquent avait été soutenu par nous et solidement établi, je ne doute pas, et l'honorable M. Fallon reconnaîtra comme moi, que la Conférence n'eût pas hésité à rejeter cette clause, comme elle a réduit la dette de 8 millions 400,000 francs, à 5 millions. C'est donc très volontairement qu'en 1831 et 1839 nous avons, en ce qui concerne les traitements d'attente, accepté l'obligation inscrite dans les traités.
Maintenant, après avoir dit quelques mots sur les motifs d'équité et de sage politique qui avaient déterminé le dernier ministère (je suis bien aise de le déclarer, car j'ai eu rarement l'occasion de louer un seul de ses actes) à présenter la loi que vous avez rejetée, je dirai qu'à d'autres égards encore, je regrette vivement l'abandon de cette proposition.
J'ajouterai que la décision d'avant-hier me paraît tout à fait insolite dans la forme. C'est, je crois, la première fois que la chambre, s'érigeant en tribunal suprême, et non en rejetant ou en votant un subside, mais dans une forme toute doctrinale, et en quelque sorte par réformation de décisions judiciaires, une décision où elle est plus ou moins partie intéressée.
A propos de l'article 28 de la Constitution, on a invoqué pour la chambre le droit d'interpréter la loi par voie d'autorité, droit qui n'appartient avec raison qu'au pouvoir législatif ; mais ce droit du pouvoir législatif a été formellement déterminé dans la loi d'organisation judiciaire. Certainement nous ne sommes dans aucune des hypothèses prévues par cette loi organique. (page 147) Quand nous avons appliqué cette loi, quand nous avons décidé par voie d'autorité, nous l'avons fait dans des circonstances où le pays n'était point partie ; ce n'était d'ailleurs pas pour régir le passé, mais pour l'avenir et sans effet rétroactif. Nous l'avons fait non quand le pouvoir judiciaire était unanime pour décider dans un sens, mais quand il y avait conflit, quand il y avait doute dans son sein. Ce n'est pas le cas ici, car on ne rapporte pas des décisions différentes qui rendraient nécessaire l'interprétation par voie d'autorité.
Je remarque, en outre, qu'il y a dans le projet de loi adopté une crudité de forme qui est de nature à porter, pour beaucoup d'esprits, de la déconsidération à la magistrature. La chambre, je le sais, compte dans son sein des magistrats qui veillent à la considération de la magistrature, chère d'ailleurs à toute la chambre ; mais les actes vont quelquefois au-delà des intentions. Je sais que ce n'est l'intention de personne ici de rabaisser le pouvoir judiciaire ; mais je dis que quand vous ferez voir la décision d'une cour de cassation, réformée virtuellement, explicitement, par la décision d'une chambre législative, il est impossible qu'il n'en résulte pas dans l'opinion publique une véritable déconsidération pour la magistrature.
Et puis, messieurs, voyez quelle singulière position que celle dans laquelle nous risquons de nous placer ! D'une part, le pouvoir judiciaire dit oui ; nous disons non ; et sur la même question, le sénat pourrait bien dire oui, avec le pouvoir judiciaire. De sorte que non seulement vous auriez l'anarchie entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire représenté par la cour de cassation, mais que vous pourriez avoir l'anarchie entre les deux branches du pouvoir législatif, sans aucun moyen d'en sortir.
Je remarque, en outre, que nous décidons d'une question dans laquelle nous sommes partie intéressée. Nous interprétons un traité à nous seuls ; un traité dans lequel est intervenue la Hollande, qui peut protester contre l'interprétation que vous lui donnez, si les parties intéressées s'adressent à elle ; un traité, non seulement signé par la Hollande, mais signé par les cinq grandes puissances, qui n'y sont pas seulement parties contractante, mais qui en sont garantes et, comme telles, obligées de prendre en considération les réclamations dont elles pourraient être saisies par les intéressés qui se croiraient lésés par la décision d'une chambre belge.
Supposez, messieurs, que lorsque la chambre aura, virtuellement et par forme de jugement, déclaré qu'on ne doit pas, il soit décidé, à la suite de notes diplomatiques, que vous devez ; à quelle humiliation d'une part ne s'exposerait pas la chambre si elle devait revenir sur sa décision ! A quels dangers n'exposerait-elle pas le pays si, d'autre part, elle croyait devoir y persister !
Vous voyez donc combien la décision formelle, insérée dans la loi qui est actuellement en discussion, peut offrir d'inconvénients, et sous le rapport de la considération de la magistrature, et sous le rapport de nos relations internationales.
Lorsqu'il s'est agi, messieurs, et je prie la chambre de fixer sur ce point toute son attention, lorsqu'il s'est agi de la loi des indemnités, pour lesquelles on ne pouvait pas invoquer de textes de traités, où l'on ne pouvait que recommander au pays des sentiments d'équité, on a si bien compris qu'il ne serait ni sans inconvénient pour l'intérieur, ni sans danger pour l'extérieur, après avoir entendu les réclamations qui avaient été produites par plusieurs cabinets étrangers, de trancher la question en droit, qu'on s'est borné à poser en comité secret, à huis clos, des questions de principes, lesquelles n'ont pas trouvé place dans la loi et n'ont été que des moyens de solution pour la chambre. Et cependant, messieurs, dans la loi des indemnités, lorsqu'on s'est arrêté devant les considérations de prudence et de réserve, présentées par le ministère, pour ne rien décider officiellement à titre de droit, il n'y avait pas lieu à invoquer des traités sur lesquels s'appuient les parties qui sont aujourd'hui en cause.
Je dis donc qu'à ce point de vue, la loi, telle qu'elle est formulée, la loi, dans la forme qu'elle a revêtue, est imprudente ; et je n'ai pas besoin d'insister davantage sur cette partie délicate de la question.
En présence de ces considérations, messieurs, n'ayant aucun espoir de voir adopter le projet primitif, qui a été rejeté au premier vote et qui est abandonné par le gouvernement, et ne pouvant donner mon vote pour cette disposition, à laquelle il serait acquis si on la mettait aux voix, je voterai le rejet de toute la loi et je demanderai que le gouvernement prenne en considération ultérieure les motifs d'équité et de bonne politique qui militent en faveur d'une partie de nos concitoyens, frappés dans leurs intérêts par notre révolution.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Mon intention, messieurs, n'est pas de suivre l'honorable préopinant dans toutes les considérations qu'il vient de vous présenter. D'après les usages de la chambre et d'après le règlement, la discussion, au second vote, ne porte que sur les articles rejetés et sur les amendements adoptés. Des lors, messieurs, toute la portée des observations de l'honorable membre qui se rattachant à l’amendement que j'ai eu l'honneur de vous présenter au commencement de la discussion pourrait être passée sous silence. En effet, d'après le règlement, cet amendement ne peut pas être reproduit.
Quelle est, messieurs, la position que j'ai prise et comment l'ai-je expliquée ? Que la chambre me permette d'y revenir un instant.
Un projet de loi vous avait été soumis portant allocation d'un crédit de 640,000 fr. Dans l'intervalle, des instances judiciaires, que je croyais devoir soutenir dans l'intérêt du trésor public. avaient été poursuivies. La section centrale avait fait un rapport dans lequel elle vous proposait le rejet de toutes les créances qui étaient soumises aux tribunaux.
J'ai cru qu'il était de mon devoir, comme défenseur-né des intérêts du trésor, et en même temps qu'il était de mon devoir, à l'égard de la chambre, de lui faire connaître les faits, d'appeler une discussion sur la question, telle qu'elle se présentait, et c'est à ce point de vue que je n'ai pas laissé poursuivre les instances qui étaient commencées, sans avoir prié la chambre da porter cet objet à son ordre du jour.
Au début de la discussion, messieurs, j'ai dit que si l'on pouvait encore laisser se traiter devant les tribunaux la question de compétence des deux pouvoirs, il y aurait à cela, selon moi, un grand avantage. Eh bien, la discussion a eu lieu, et l'on juge de la position que j'ai prise à son début d'après les résultats mêmes qu'elle a eus, résultats que j'avais eu en vue d'éviter.
L'honorable membre a exprimé de vifs regrets de l'abandon du projet primitif. Il a cru voir, dans la position que je viens d'expliquer, un manque complet de logique, quelque chose, comme il vous l'a dit, de trop mixte.
Messieurs, si j'étais venu soutenir devant vous le projet présenté par mon honorable prédécesseur, alors que, devant la cour de cassation, je soutenais que le pouvoir judiciaire était incompétent pour connaître de ce litige, alors qu'au fond je contestais le droit des réclamants, je demande quelle qualification l'honorable membre aurait été en droit de donner à cette espèce de logique.
Un membre : Il fallait ajourner.
M. le ministre des finances (M. Malou). - On me dit : Il fallait ajourner.
Non, messieurs ; car si j'avais laissé terminer ces instances judiciaires sans avoir provoqué moi-même la discussion du rapport de la section centrale, on eût pu, à juste titre, me reprocher d'avoir laissé se modifier la position des parties à l'insu de la chambre.
J'ai expliqué comment j'avais compris mes devoirs envers le trésor, et qu'on me permette encore quelques mots à cet égard. Il y aurait eu pour moi une position bien plus commode et plus agréable, c'eût été de venir défendre ici une demande de crédit de 646 mille francs à titre d'équité ou à titre de droit ; mais, messieurs, je comprends autrement mes devoirs envers le pays : je défendrai toujours les intérêts du trésor quand je croirai qu'il n'a pas de dette légitime à acquitter.
Une autre partie du discours de l'honorable préopinant se rapporte au droit des titulaires aux traitements d'attente. Sans doute, messieurs, en entendant ses observations, vous aurez été embarrassés, comme moi, quant au point de savoir si l'honorable préopinant soutenait par des considérations d'équité ou par des considérations de droit le projet primitif.
Je conviens que sur le terrain du droit, la discussion est possible. La discussion a eu lieu ; elle a lieu encore aujourd'hui devant les tribunaux, et, pour le dire en passant, les tribunaux n'ont pas été unanimes, car le tribunal de Bruxelles a donné gain de cause au gouvernement par des jugements fortement motivés ; c'est contre ces jugements qu'il a été interjeté appel par les titulaires, et la cour d'appel en ayant décidé autrement, je me suis pourvu en cassation. C'est donc une erreur de croire que les tribunaux ont été unanimes.
Au point de vue de l'équité ! Mais, peut-on sérieusement, au point de vue de l'équité, soutenir dans son entier le projet primitif ? L'équité, ce me semble, consiste à donner dans certaines limites, à donner pour des motifs spéciaux ; mais traiter de la même manière toutes les personnes, quelle que soit leur position, leurs antécédents, je dis que ce n'est pas là de l'équité, et qu'une pareille mesure ne peut se justifier que par la reconnaissance du droit.
L'honorable membre a cru qu'au premier vote j'avais adopté le projet de la section centrale. Eh bien, messieurs, c'est une erreur ; j'ai voté et je voterai encore contre ce projet, mais ce n'est point, je tiens à le dire, ce n'est point par des considérations diplomatiques. Je ne pense pas qu'il existe, ni en fait ni en droit, la moindre analogie entre la situation actuelle et celle où nous nous trouvions lors de la discussion du projet de loi sur les indemnités. Je ne veux point révéler les mystères du comité secret où ce projet a été examiné ; mais vous vous rappellerez, messieurs, qu'il s'agissait alors des intérêts de sujets de puissances étrangères, qu'alors (et les souvenirs de l'honorable préopinant ne l'ont pas bien servi) qu'alors on a formellement exclu le droit par un vote porté à l'unanimité.
M. Lebeau. - Ce n'était pas dans la loi.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je demande maintenant s'il existe quelque analogie entre cette position et celle où nous nous trouvons aujourd'hui. Je n'en vois aucune : il s'agit de fonctionnaires belges ; il s'agit de prétentions qui ne sont pas reconnues par les traités, et dès lors je ne conçois pas comment il serait possible de comparer ces deux positions.
Parmi les avantages du projet primitif, l'honorable membre a cité celui-ci : « Ce projet ne préjugeait rien. » En effet et cela n'est pas bien étrange, car ce projet décidait tout. Il n'y a guère davantage à ne rien préjuger lorsqu'on paye intégralement toutes les sommes qui sont réclamées.
Il s'agit, dit-on, d'effacer les traces matérielles de la révolution. Je conçois, messieurs, cet argument, et moi-même je l'ai invoqué hier lorsqu'il s'agissait de la pension des fonctionnaires destitués à cause des événements de la révolution ; mais ici il s'agit simplement de fonctionnaires qui ont été maintenus dans leurs fonctions et qui seulement, par suite des votes de la chambre, ont perdu temporairement une partie des avantages attachés à leur position. En faisant cette observation, je crois répondre aussi à une observation produite par l'honorable M. Fleussu dans la séance d'hier.
M. Lejeune. - Messieurs, les quelques paroles que j'avais prononcées avant-hier pour motiver mon abstention, dans le vote du projet de loi, on été mal rendues : le Moniteur me fait dire que la disposition votée est l'expression exacte de la législation existante ; je n'ai rien dit d'aussi positif ; j'ai dit que si la disposition, était l'expression de la législation existante, qu'alors le projet de loi me paraissait complétement inutile. C'est, messieurs, ce que je dis encore aujourd'hui. Si, d'un autre côté, le projet de la (page 148) section centrale avait pour objet de changer la législation existante, il serait tellement insolite dans sa forme, et tellement contraire aux vrais principes dans ses effets, que je ne pourrais pas y donner mon assentiment. J'admets, messieurs, que c'est une chose extrêmement grave, qu'une décision de la chambre, contraire à un arrêt passé en force de chose jugée ; mais je ne puis partager l'opinion de ceux qui prétendent que, dans tous les cas, la chambre doit, sans examen, voter les fonds demandés en vertu d'un semblable arrêt. Admettre cette théorie, ce serait, messieurs, amoindrir considérablement la plus belle prérogative de la chambre. Je pense, toutefois, que l'exercice de cette prérogative ne doit pas aller au-delà du simple refus des subsides. Dans mon opinion, ceux même qui ont la conviction que, dans le cas qui nous occupe, malgré l'autorité de la chose jugée, il y a lieu de refuser les fonds, ceux-là même n'ont pas besoin de la loi proposée par la section centrale. La chambre, en refusant les fonds demandés, exerce sa prérogative et la conserve intacte.
Par ces motifs, messieurs, je modifierai mon vote dans ce sens que je ne m'abstiendrai pas, mais que je voterai contre la loi proposée par la section centrale.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, j'ai revu ce matin le remarquable discours de l'honorable M. Fallon, prononcé dans la séance d'avant-hier. Ce discours établit d'une manière si précise, si claire, que nous pouvons rejeter l'allocation demandée par le ministre des finances sans empiéter sur les attributions de l'ordre judiciaire, que je ne doute pas, que la chambre ne reste aujourd'hui conséquente avec son vote d'avant-hier.
Je désirerais cependant qu'elle en revînt quant à la forme.
Jeudi, nous avons commencé par rejeter l'amendement du ministre des finances, et nous avons ensuite adopté un article de la section centrale, dont la forme est plutôt celle d'un arrêt que celle d'une loi, comme l'ont remarqué plusieurs de nos collègues.
Voici quelle a été la cause de ce vote, dont, selon moi, il y a lieu de revenir.
Le projet de loi du gouvernement, qui proposait l'allocation de 646,538 fr. 89 c. n'a pas été mis aux voix.
La chambre s'est bornée à rejeter l'amendement du ministre des finances et, comme elle ne s'était pas prononcée sur le principe de la loi, elle a cru devoir le faire en adoptant l'article de la section centrale.
Je demanderai aujourd'hui que la proposition primitive soit mise d'abord aux voix, puis l'amendement de ministre ; nous pourrons alors rejeter l’article de la section centrale.
Messieurs, à la suite de ces paroles, permettez-moi de vous en adresser encore quelques-unes, puisque vous voulez bien me prêter votre attention.
Les faits sont, d'après moi, de nature à éclairer souvent des questions qui paraissent indéchiffrables.
Eh bien, messieurs, ce sont des faits, recherchés à la hâte, que je viens soumettre à votre appréciation.
La proposition du gouvernement tend à nous demander les fonds nécessaires pour payer des toelagen, des wachtgelden, etc., accordés par le gouvernement hollandais à des fonctionnaires, par suite de changement de position, pour tout le temps qu'ils resteraient dans cette position, comme le dit l'exposé des motifs du ministre, suppléments que la législature a refusé d'allouer de 1830 à 1839.
J'insiste sur ce que je viens de dire, que ces toelagen n'étaient maintenus que pour autant que les fonctionnaires ne verraient pas leur position de traitement modifiée, c'est là une condition qu'il est essentiel de ne pas perdre de vue.
Eh bien, messieurs, je vais établir, par des faits, que le gouvernement nous propose de payer des sommes qui ne sont pas dues, dans la supposition même que la législature serait disposée à reconnaître en principe, que les toelagen et wachtgelden sont dus légalement de 1830 à 1839, et de 1839 jusqu'à présent.
En 1824 le roi Guillaume accorda des gratifications, des indemnités par suite de changement de position de certains fonctionnaires, pour le temps qu’ils resteraient dans cette position.
Cette position est restée la même jusqu'en 1830.
Mais à dater de 1830, cette position s'est notablement modifiée par les causes suivantes.
D'abord, par suite de décès ou de mutations survenues parmi les administrateurs du trésor, les nouveaux titulaires n'obtinrent pas le traitement intégral de leurs prédécesseurs, et le produit de ces réductions fut accordé aux administrateurs du trésor, qui avaient perdu leur position de receveurs généraux ; leur traitement devint ainsi plus considérable, qu'il ne l'était en 1830.
Ensuite il est de ces fonctionnaires qui ont reçu de vrais toelagen de 1830 à 1839.
Il suffit de jeter les yeux sur la loi du budget du département des finances pour 1835 1836, etc., pour s'en convaincre. Que voit-on en effet dans cette loi au chapitre de l'administration du trésor dans es provinces ? On y trouve une allocation de 5,900 fr. accordée pour suppléments de traitements aux administrateurs du trésor, anciens receveurs généraux.
Eh bien, il est des administrateurs du trésor qui ont reçu, au moyen de cette somme, l'intégralité ou la moitié environ de leurs toelagen de 1835 à 1859. C'est, messieurs, ce que j'ai vérifié à la cour des comptes ; car c'est là que l'on parvient à s'éclairer ; on s'y éclaire par la vérification des faits accomplis ; et quoiqu'ils aient reçu l'intégralité ou partie de leurs toelagen, le gouvernement vient nous proposer de leur payer intégralement l'arriéré, comme s'ils n'avaient reçu absolument rien.
Je vais avoir recours à un exemple. Le traitement d'un directeur du trésor se trouvait fixé en 1830 à 4,500 fl., soit en francs 9,523 fr. 81 c., et il recevait, à titre de toelagen, 3,500 fl., soit en francs 7,407 fr. 41 c. Le total de ce qu'il recevait sous le gouvernement hollandais était ainsi de 16,931 fr. 22 c.
Ainsi la position qui, en 1830, lui donnait des prétentions à un wachtgeld, était un traitement de 9,523 fr. 81 c.
Ce traitement a été successivement majoré, soit par une part dans l'allocation portée à la loi du budget des finances de 1835 et années suivantes, soit par des suppléments prélevés sur le traitement réduit de nouveaux titulaires.
Ce traitement qui, en 1830, était de 9,523 fr. 81 c, a été ainsi porté à 11,600 fr.
Si cette majoration a été accordée comme wachtgeld, il est inconcevable que le gouvernement vienne nous demander l'arriéré intégral des 7,407 fr. 41 c. de 1830 à 1839, soit la somme de 66,666 fr. 69 c.
Si cette majoration a été accordée comme supplément de traitement, dès lors la position, dont parle l'exposé des motifs du gouvernement, était modifiée ; il ne pouvait plus être question de toelage, puisqu'il n'était accordé que pour le temps que la position ne serait pas modifiée.
Dans les deux hypothèses, l'allocation demandée par le gouvernement est impossible à justifier.
Voyons maintenant quelle a été la conduite du gouvernement, quant à ces fonctionnaires, de 1839 jusqu'à présent.
Je continue à citer le même exemple.
Le fonctionnaire, qui me sert d'exemple, avait sous le gouvernement hollandais, en traitement et en toelagen, 16,931 fr. 22c.
Il jouit en 1845 ;
1° A titre de traitement, de 11,600 fr.
Et, comme si son traitement était resté celui de 1830, de 4,500 florins
Il jouit encore
2° A titre de toelagen, de 3,500 fl., soit 7,407 fr. 41 c.
Ainsi ce fonctionnaire jouit en 1845 d'un traitement total de 19,007 fr. 41 c.
Et ce traitement est supérieur à celui dont il jouissait en 1830, de 2,076 fr. 19 c.
Je pourrais étendre le résultat de mes recherches, mais je pense que la chambre est suffisamment éclairée.
Maintenant je serais tenté de m'asseoir ; mais je ne puis résister à vous dire les paroles suivantes :
Messieurs, conçoit-on que l'administration n'ait pas mieux défendu les intérêts du trésor devant l'autorité judiciaire, qu'elle ne l'ait pas informée que la position de traitement de certains fonctionnaires était modifiée, améliorée, et qu'elle était de nature à ne plus motiver de toelagen, de wachtgelden. et si ces suppléments ont été accordés comme toelagen, comme wachtgelden, il fallait au moins défalquer, de la somme qu'on nous demande, la partie qui a déjà été payée !
Conçoit-on ensuite que, depuis 1839, l'administration ait payé le wachtgeld, le toelage, comme si les fonctionnaires avaient conservé leur position de 1830, tandis qu'elle a été très améliorée ! Il en est qui touchent de cette manière à peu près le traitement d'un ministre, et cela pour se livrer à une besogne qui se résume dans l'échange des mandats pour des assignations sur le caissier général ; car il faut le remarquer, la besogne de ces fonctionnaires a été bien diminuée ; autrefois ils recevaient mensuellement les états de produits des receveurs des diverses administrations des recettes, ainsi que toutes les pièces des dépenses ; ils se chargeaient des uns et des autres dans leur comptabilité, et en rendaient compte, de sorte que l'assemblage de leur compte constituait les éléments du compte général. Toute cette besogne leur a été retirée ; ils ne sont, en quelque sorte, plus que la cinquième roue d'un chariot, afin de rendre possible la gestion des recettes publiques par une compagnie financière.
Et ce sont des fonctionnaires aussi largement traités par le gouvernement avec les deniers des contribuables, qui n'ont pas craint de le traîner devant les tribunaux ! C’est là, il faut en convenir, messieurs, un étrange témoignage de reconnaissance !
Mon but a été d'établir encore davantage la convenance du rejet de la proposition du gouvernement ; j'espère y être parvenu.
M. Vanden Eynde. - Je n'avais pas l'intention, messieurs, de prendre part à ce débat, mais lorsque j'ai entendu un ancien ministre des affaires étrangères venir dire, dans cette enceinte, qu'en vertu du traité qu'il a négocié lui-même et qui a été signé en 1842, les arrérages des traitements d'attente et des toelagen étaient dus par la Belgique, alors il m'a été impossible de ne pas demander la parole.
Cet honorable membre a critiqué la décision de la section centrale quant au fond et quant à la forme. J'examinerai d'abord le fond, et je passerai ensuite à la forme qui a paru inusitée aussi bien à la section centrale qu'à l'honorable membre ; je dirai pourquoi la section centrale l'a adoptée.
Il est surprenant, messieurs, qu'on vienne prétendre que la Belgique serait tenue des arrérages jusqu'en 1839 des traitements d'attente, toelagen et jaarlijksche onderstanden, accordés par l'ancien gouvernement, à des receveurs généraux, à des receveurs particuliers et à d'autres personnes.
(page 149) L'honorable M. Lebeau n’a pas fait attention à une chose, c'est que le gouvernement belge et le gouvernement hollandais ont formellement stipulé dans le traité de 1842, quelles sont sur ce point les obligations respectives des deux pays. Vous savez, messieurs, que l'article 21 du traité de 1839 formait d’abord l’article 22 du traité de 1831 qui a été ratifié par la Belgique, mais qui ne l'a pas été par le roi Guillaume ; comme je viens de le dire, cet article a été reproduit dans le traité de 1839 ; mais dans le traité de 1831 comme dans celui de 1839, les deux gouvernements avaient omis.de stipuler en faveur d'étrangers qui jouissaient de pensions à charge du gouvernement des. Pays-Bas et qui ne résidaient ni en Hollande ni en Belgique ; je veux parler des officiers suisses qui ; avaient servi le gouvernement des Pays-Bas, qui avaient été licenciés, qui aujourd'hui encore sont pensionnés à charge des deux gouvernements et qui résident dans leur patrie. Cette omission a été réparée dans le traité de 1842, et voici ce que porte le paragraphe 7 de l’article 68 du traité du 5 novembre 1842 :
« Les pensions accordées du 25 août 1815 au 1er novembre 1830 à des étrangers domiciliés hors des deux pays, seront à la charge des deux trésors. Elles continueront à être payées par le trésor néerlandais. Examen fait du montant de ces dernières pensions, il a été convenu que la Belgique rembourserait, de ce chef, audit trésor une somme de 40,000 fl., décroissant chaque année d'un dixième, ou 4.000 fl. jusqu'à extinction. »
Vous voyez, messieurs, que la stipulation des deux gouvernements' est celle-ci : « Les pensions des officiers suisses, pensionnes à charge du trésor des Pays-Bas, seront à la charge des deux gouvernements. Le gouvernement hollandais continuera à en faire le payement, et la Belgique lui remboursera une somme de 40,000 florins, décroissant tous les ans de 4,000 florins..
Mais à partir de quelle date ?
Le paragraphe antépénultième de l'article 68 nous le dit : «Toutes les dispositions qui précèdent sont applicables : aux payements faits depuis le 19 avril 1839. »
Ainsi le gouvernement de Belgique n'est tenu de payer ces 40,000 florins qu'à partir de la date du traité, c'est-à-dire à partir du 19 avril 1839. Evidemment, les deux gouvernements mettaient les arrérages à la charge de la Hollande, puisque le paragraphe dont je viens de donner lecture dit implicitement que c'est le gouvernement hollandais qui a acquitté ces pensions depuis le mois de novembre 1830 jusqu'au 19 avril 1839, et que le traité n'en stipule pas la restitution par la Belgique pour sa part. Ce paragraphe explique l'esprit de l'article 21 du traite du 19 avril 1839.
Voilà donc la question résolue par les deux gouvernements dans le sens de la section centrale.,
Mais il y a plus. L'honorable M. Lebeau, pour établir son opinion au fond, s'est basé sur l'article 22 du traité de 1831 ; mais l'honorable membre ne doit pas avoir examiné ce traité dans son ensemble ; car, pour interpréter une disposition d'un traité, comme d'une loi, il ne faut pas s'attacher à un article isolé de la loi ou du traité, il faut voir l’ensemble des dispositions. Cette considération s'applique surtout aux traités internationaux ; car les traités de ce genre sont des contrats bilatéraux : on doit voir dans l'ensemble des stipulations quelle a été l'intention des parties contractantes. Voilà la règle d'interprétation.
Messieurs, si vous examinez soigneusement les dispositions du traité de 1831, votre attention se portera d'abord particulièrement sur l'article 13 qui est reproduit dans le traité du 19 avril 1839.
Par cet article 13, les deux parties contractantes stipulent que la Belgique sera libérée de toute participation à la dette de l'ancien royaume des Pays-Bas, en payant à la Hollande une rente annuelle de 8,400,000 florins.
L'article 13 dispose encore que cette rente sera payée, par la Belgique, à partir du 1er janvier 1832. Ainsi, il y avait un intervalle de 14 mois, entre cette date et le 1er novembre 1850, époque à partir de laquelle on a considéré la séparation de la Belgique d'avec la Hollande comme définitivement opérée de fait. Or, l'article 14 du traité de 1831 a stipulé que les arrérages échus depuis le 1er novembre 1830 jusqu'au 1er janvier 1832, seraient supportés par la Belgique au prorata de 8,400,000 florins ; tandis que dans l'article 21 du même traité, on dispose qu'à l'avenir la Belgique devra payer les pensions, les traitements d'attente, de non-activité et de réforme, et ainsi à partir de la date du traité. Dans cet article, il n'est pas question des arrérages des pensions, etc.
Il y a la une différence dans les stipulations des articles 13 et 14, d'un côté, et de l'article 22, de l'autre côté ; et cette différence nous autorise à conclure que lorsque les deux parties contractantes veulent que les arrérages d'une rente soient payés par la Belgique, elles le stipulent d'une manière formelle, comme dans l'article 14 du traité de 1831 ; que là où elles se taisent sur ces arrérages, il est évident que la Belgique n'est pas tenue de ces arrérages ; qu'elle en est libérée.
Les deux parties contractantes ont agi de même dans le traité de 1839, dont l'article 13 est la reproduction de l'article 13 du traité de 1831, sauf le quantum de la rente ; mais l’article 14 de ce dernier traite a été omis. Dans le traité nouveau, le gouvernement hollandais et le gouvernement belge ont reconnu que les arrérages de la rente de cinq millions, stipulée par l'article 13 du traité du 19 avril 1839, n'étaient pas dus par la Belgique, puisqu'ils n'ont rien stipulé à cet égard à charge de la Belgique. Vous le savez, messieurs, ce principe a été adopté par la conférence. La conférence a voulu que les arrérages échus depuis le 1er novembre 1830 jusqu'au 19 avril 1839 compensa1int les frais que la Belgique avait été forcée de faire, pour maintenir son armée sur le pied de guerre, par suite du refus du roi Guillaume de ratifier le traite de 1831.
Ainsi ou doit conclure de l'ensemble du traité du 19 avril 1839, que le payement d'aucun arrérage n'est dû par la Belgique. En effet, lorsque les deux parties contractantes entendaient que des arrérages étaient dus, elles le stipulaient d'une manière formelle, et aucune stipulation de ce genre ne sa rencontre dans le traité du 19 avril 1839.
Je conclus donc de la combinaison du traité de 1831 avec le traité de 1839 et l'article 68 du traité du 5 novembre 1842, que la Belgique, qui a, d'ailleurs, pour elle l'aveu des deux gouvernements, n'a pas à payer d'arrérages échus, depuis le 1er novembre 1830 jusqu'au 19 avril 1839 du chef des pensions, traitements d'attente, etc. Voilà, messieurs, ce que j'avais à dire sur le fond. Maintenant, je dois dire deux mois sur la forme du projet de loi qui a été proposé par la section centrale, et dont l’article premier a été adopté dans la séance d'avant-hier. Ce projet a été présenté dans le cours de la session dernière. A l'exposé des motifs était joint l'arrêt intervenu dans l'affaire Coupez. En lisant cet arrêt, la section centrale a remarqué que le pouvoir judiciaire, en condamnant le gouvernement au payement des arrérages d'un traitement d'attente réclamés par la famille Coupez, s'était basé sur cette considération que le vote par lequel la chambre avait refusé, en 1832, les fonds nécessaires pour payer les arrérages des traitements de cette catégorie, n'impliquait pas l'abrogation des arrêtés royaux qui avaient alloué ces traitements.
La section centrale, après avoir examiné le fond de la question, e' après être arrivée à la solution de la question, dans le sens de sa proposition, croyait qu'il aurait suffi de rejeter la proposition ministérielle, pour libérer le trésor des arrérages des pensions et des traitements d'attente qu'on réclamait. Mais on fit observer dans le sein de la section centrale que si on repoussait purement et simplement le projet de loi présenté par M. le ministre des finances, les tribunaux n'auraient pas plus d'égard à ce rejet qu'ils n'avaient respecté la décision négative prise par la chambre en 1832. Alors la section centrale a examiné ce qu'il importait de faire, pour forcer les tribunaux à respecter la décision de la chambre ; elle n'a pas trouvé d'autre moyen que de formuler le projet de loi qu'elle a proposé.
Maintenant, quant à moi, qui ai été membre de la section centrale, je ne tiens nullement à la formule que la section centrale-a adoptée ; je tiens uniquement à ce que la demande de fonds qui a été faite par le ministère précédent, soit rejetée. Pour éviter même toute contradiction sur la forme, je pense, pour ma part, que la chambre pourrait rejeter et l’article de la section centrale qui a été adopté dans la séance d'avant-hier, et le projet primitif du gouvernement ; j'en fais la proposition. Car, maintenant qu'une longue discussion a eu lieu sur cette affaire, les tribunaux ne pourront plus croire qu'un simple rejet d'une demande de fonds, pour le payement des arrérages des pensions, traitements d'attente, etc., n'a aucune signification.
J'ai dit.
- Plus de dix membres demandent la clôture.
M. Mercier. (contre la clôture). - Je désire pouvoir répondre quelques mots à l'honorable M. de Man ; les observations de l'honorable membre n'ont pas la portée que la chambre a paru y attacher, parce qu'elles ne s'étendent pas a un grand nombre de fonctionnaires.
M. Dumortier. (contre la clôture). - J'étais inscrit pour parler ; mais si la chambre désire clore, je renoncerai volontiers à la parole. J'engage seulement mes amis à suivre le conseil qu'on vient de donner ; je les engage à rejeter le projet de la section centrale ainsi que le projet primitif du gouvernement.
M. Lebeau. (contre la clôture). - Messieurs, j'avais aussi demandé la parole contre la clôture, et la chambre aurait compris que j'avais le droit peut-être d'insister pour obtenir la parole, puisque j'ai été mis personnellement en cause par un honorable préopinant pour des actes auxquels j'ai pu participer comme ministre, mais qui n'ont été consommés que longtemps après ma sortie du ministère. Toutefois, je ferai bien volontiers le sacrifice de cette espèce de susceptibilité assez naturelle, qui porte à répondre lorsqu'on est directement interpellé, car la chose à laquelle je tiens le plus, me paraît avoir grande chance de succès : la mise à néant de toutes les propositions qui sont faites, en laissant le terrain intact.
M. Savart-Martel, rapporteur. - En qualité de rapporteur, j'ai dû soutenir la rédaction de la section centrale. On propose aujourd'hui le rejet pur et simple du projet du gouvernement. Comme aujourd'hui cette manière de prononcer opérera le même effet, je déclare me rallier à ce rejet.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - M. de Man a déclaré reprendre la proposition primitive du gouvernement. Cette proposition est ainsi conçue :
« Article unique. Il est ouvert au budget de la dette publique, exercice 1843, un crédit supplémentaire de six cent quarante-six mille cinq cent trente-huit francs quatre-vingt-neuf centimes (fr. 646,558 89 c.), pour pourvoir au payement des créances restant à liquider sur des exercices clôturés, du chef de traitements d'attente, de traitements ou de pensions supplémentaires et de secours annuels.
« Ce crédit formera l'article 7 du chapitre II du budget prémentionné. »
Il y a à voter sur deux propositions, sur la proposition primitive du gouvernement et sur l'article premier du projet de la section centrale, qui a été adopte dans la séance de vendredi dernier.
- La chambre, consultée, décide qu'elle accorde la priorité au vote de la proposition primitive du gouvernement.
L'article primitif proposé par le gouvernement et repris par M. de Man d'Attenrode est mis aux voix.
Il n'est pas adopté.
(page 150) M. le président met ensuite aux voix l'article proposé par la section centrale et adopté au premier vote, qui est ainsi conçu :
« Ne sont pas à la charge du trésor de la Belgique les arrérages des pensions, traitements d'attente, de non-activité ou dé réforme, échus au 19 avril 1839 et dont il s'agit aux articles 21 et 68 des traités précités. »
- Cet article n'est pas adopté.
M. le président. - Il n'y a plus rien en discussion. Nous allons passer au deuxième objet à l'ordre du jour qui est le projet tendant à remplacer les articles 331 à 335 du code pénal.
De toutes parts. - A lundi ! à lundi !
- La séance est levée à 3 heures et quart.