(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 111) M. de Villegas procède à l'appel nominal à deux heures.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Villegas présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Benoit Siltsher, contrôleur à la manufacture d'armes de guerre du gouvernement à Liège, né à Colembourg (Pays-Bas), demande la naturalisation. »
« Le sieur John Robinson, chef d'atelier du chemin de fer de l'Etat, né à Bishop-Wearmouth (Angleterre), demande la naturalisation ordinaire. »
« Le sieur Thomas Embleton, chef d'atelier au chemin de fer de l'Etat, né à Starlingtow (Angleterre), demande la naturalisation. »
« Le sieur Thomas Stobbart, conducteur constructeur de première classe au chemin de fer de l'Etat, né à Barnard-Castle (Angleterre), demande la naturalisation ordinaire. »
« Le sieur James Woods, chef d'atelier au chemin de fer de l'Etat, né à Prescot (Angleterre), demande la naturalisation ordinaire. »
« Le sieur Thomas Wilburn, chef d'atelier au chemin de fer de l'Etat, né à Lanchester (Angleterre), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi de ces six pétitions à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Frédéric Van Temsche, secrétaire au parquet du tribunal de première instance à Audenarde, demande une augmentation de traitement pour les secrétaires de parquet. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Huysman-d'Honssem, directeur du trésor à Bruxelles, prie la chambre, tant en son nom personnel, qu'au nom de ces coïntéressés, d'accorder au gouvernement le crédit demandé pour faire face au payement des créances arriérées du chef de traitements d'attente, de traitements ou pensions supplémentaires et de secours annuels, ou bien d'en ajourner la discussion jusqu'à ce que la cour de cassation ait prononce sur les arrêts rendus en faveur des intéressés et contre lesquels M. le ministre des finances a demandé des pourvois. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi auquel se rapporte la demande de crédit.
« Par dépêche en date du 22 novembre, M. le ministre de la justice transmet à la chambre les explications demandées sur les pétitions d'anciens militaires qui se plaignent de n'avoir pas obtenu de pension, du chef de la cécité dont ils ont été atteints an service du pays. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargé de l'examen du budget du département de la justice.
M. de Garcia informe la chambre que l'état de sa santé l'empêche d'assister, quant à présent, aux séances de la chambre.
- Pris pour notification.
M. Delfosse. - Messieurs, lorsque je me suis permis, dans la séance de samedi, d'interrompre l'honorable M. Rogier, l'honorable membre venait de déclarer, au nom de l'opposition, qu'elle soutiendrait la prérogative royale, la prérogative gouvernementale, en matière d'enseignement.
Il était de mon devoir, il était loyal de ne pas laisser prendre, en mon nom et en ma présence, un engagement que je ne pouvais tenir.
Lors de la discussion de la loi sur l'instruction primaire, j'ai demandé que l'on ne changeât rien à la disposition de la loi communale qui investit les conseils communaux du droit de nommer les instituteurs ; l'honorable M. Rogier, au contraire, a soutenu l'intervention du gouvernement ; il a été du nombre de ceux qui ont consenti, sur ce point, à étendre la prérogative royale en affaiblissant celle des conseils communaux.
C'est là un dissentiment bien connu et qui pourrait se reproduire sur des questions analogues ; il m'était donc impossible de laisser passer, sans observation, les paroles de l'honorable M. Rogier.
Je ne serais pas revenu sur cet incident, si le Moniteur n'avait substitué les mots de pouvoir civil a ceux de prérogative royale, de prérogative gouvernementale.
Ce changement rend mon interruption tout à fait inutile ; s'il ne s'agit que des prérogatives du pouvoir civil, je puis marcher d'accord avec l'honorable M. Rogier. Mais s'il s'agit de la prérogative royale, de la prérogative gouvernementale, je dois maintenir ma réserve.
Ce dissentiment sur une question spéciale n'ôte rien, du reste, aux sentiments d'estime et de sympathie que j'ai voués à l'honorable M. Rogier, et qui, j'en suis sûr, sont réciproques.
Un ancien ministre a voulu, un jour, en tirer parti pour nous diviser ; il a échoué. D'autres échoueront, comme lui, s'ils ont le même but.
M. le président. - Il n'y a pas de suite à donner à cette motion. Les observations de M. Delfosse seront consignées au Moniteur. Du reste, je ferai remarquer, pour la justification de MM. les sténographes, que M. Rogier a revu lui-même les épreuves de son discours.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, j'ai réclamé la parole pour demander à M. le ministre des finances quand il publiera le compte du dernier exercice clos. Cet exercice est celui de 1842, il est clos depuis le 31 décembre 1844.
(page 112) Messieurs, le compte du budget de l'exercice 1841, qui est clos depuis bientôt deux ans, n'est pas même présenté ; c'est donc le compte de 1841, sur lequel j’attire l'attention de la chambre, et que je prie M. le ministre des finances de présenter le plus tôt possible.
Dans les circonstances normales, il serait tout à fait convenable que le compte du dernier exercice clos fût présenté avant le budget des dépenses à faire, parce que le règlement des dépenses accomplies est en quelque sorte l'exposé des motifs des dépenses que l'on se propose de faire, parce que l'excédant de dépense ou de recette qui résulte de ce règlement, doit être pris en considération lors du vote du budget des dépenses.
Je sais fort bien que, depuis la fondation de notre existence politique, on n'a pu encore adopter cette marche régulière ; mais j'espère que bientôt la loi de comptabilité réglera cet objet important, et mettra fin à cette marche irrégulière.
Voici, messieurs, pourquoi je tiens à ce que le compte du dernier exercice clos soit présenté sans retard.
Les observations que la cour des comptes a à présenter annuellement sont relatives à la vérification du compte de l’administration des finances. Comme ce compte n'est pas encore présenté, la cour n'a pu commencer encore à cette époque si avancée de l'année à le vérifier ou à procéder à la rédaction de ses observations. Les années précédentes, le compte a été publié perdant l'été, et voilà que nous sommes au 25 novembre, et nous n'avons ni le compte ni le cahier d'observations de la cour.
Je tiens à faire cette remarque, parce que c'est surtout à l'occasion de la discussion du budget que nous pouvons tirer parti du travail de la cour des comptes.
En France, le compte de l'exercice 1842 a été présenté, il y a 18 mois ; le projet de règlement a été déposé peu après, et la législature a réglé le compte, il y a longtemps. Et chez nous, on ne nous a pas encore rendu compte de faits consommés, il y a quatre ans.
J'insiste donc pour que M. le ministre des finances publie sans délai, au moins le compte de la gestion de 1843, qui comprend le compte de l'exercice clos de 1841.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je regrette de ne pas pouvoir déférer à la demande de l'honorable préopinant ; je ne puis pas déposer immédiatement les comptes du dernier exercice clos, mais je le déposerai sous peu de jours. Il y a une partie des observations de l'honorable membre qui ne concernent pas le gouvernement. Si tous les comptes arriérés ne sont pas encore arrêtés, je crois que la responsabilité n'en peut retomber sur le gouvernement, car ces comptes ont été présentés en temps utile. Du reste, je m'empresserai de faire droit à la demande de l'honorable préopinant,
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, il me semble avoir démontré d'une manière si claire, que les comptes des exercices clos ne sont pas présentés en temps utile, que je ne puis que témoigner ma surprise d'avoir entendu M. le ministre soutenir que leur publication n'est pas arriérée. S'ils avaient été déposés en temps utile, le compte de l'exercice 1841 serait déposé depuis 16 mois, et celui de 1812 le serait aussi. La chambre a voté, il est vrai, tardivement les projets de loi de comptes des exercices 1830, 1831 et 1832 ; mais nous savons tous que ce retard a été indépendant de sa volonté et a été la suite de circonstances extraordinaires.
Le rapport sur les projets de loi de comptes des exercices suivants, des exercices 1813,1831 et 1832 ne tardera pas à vous être présenté. La commission des finances m'ayant fait l'honneur de me charger de ce travail, il a été terminé pendant les vacances ; il ne reste plus qu'a le soumettre à son approbation.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau l'exposé de la situation du trésor au 1er septembre dernier.
- Il est donné acte à M. le ministre du dépôt de cet exposé, qui sera imprimé et distribué aux membres de la chambre.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, parmi les projets de loi sur lesquels des rapports sont faits, se trouve le projet relatif aux entrepôts francs publics et particuliers. L'honorable rapporteur di la section centrale, M. Cogels, a cessé de faire partie de la chambre ; je prie la chambre de vouloir bien porter ce projet à l'ordre du jour, et je pense qu'avant d'aborder la discussion, la section centrale pourrait se réunir et charger un de ses membres des fonctions de rapporteur.
- La proposition de M. le ministre des finances est adoptée. En conséquence, le projet de loi dont il s'agit sera mis à l'ordre du jour ; la section centrale sera, en outre, invitée à charger un de ses membres de remplir les fonctions de rapporteur.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, le Roi m'a chargé de présenter à la chambre le projet de loi suivant :
« Article unique. Le traité de commerce et dj navigation, conclu entre la Belgique et les Etats-Unis d'Amérique, signé à Bruxelles, le 10 novembre 1845, sortira son plein et entier effet. »
- Il est donné acte à M. le ministre des affaires étrangères de la présentation de ce projet de loi, qui sera imprimé et distribué.
M. le président. - Comment la chambre veut-elle que ce projet de loi soit examiné ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, ce projet a un caractère d'urgence. Il serait nécessaire qu'il put être ratifié pendant la session prochaine par les chambres des Etats-Unis, dont la session est souvent très courte. Je proposerai à la chambre de renvoyer le projet de loi à la commission qui a été chargée de l'examen du projet de loi de 1840 : comme le nouveau projet repose sur des basas analogues à celles du projet de 1840, je pense que l'examen pourrait en être utilement confié à cette commission.
M. Osy. - Messieurs, je voulais faire la même proposition. Comme quelques membres de l’ancienne commission ne font plus partie de la chambre, je crois qu'on pourrait charger le bureau de les remplacer.
M. de Foere. - Je ne pense pas qu'il soit convenable de renvoyer le nouveau projet de traité à l'ancienne commission. Une question importante domine tout le traité ; or, l'ancienne commission l'a déjà préjugée ; il me semble dès lors plus juste, plus équitable de renvoyer le nouveau projet de traité, soit à une nouvelle commission, soit aux sections.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, l'honorable M. Delfosse est dans l'erreur, lorsqu'il a cru que l'ancienne commission avait déjà statué sur la question. L'honorable M. de Theux nous a dit, dans une séance précédente, que la commission n'avait pas émis de vote sur le traité de 1840 ; une discussion seulement a eu lieu ; la commission n'a donc rien préjugé.
Comme je viens de le dire, le nouveau projet de traité repose sur des bases analogues à celles du projet de 1840 ; il me paraît dès lors convenable, dans l'intérêt de la discussion, que l'ancienne commission soit chargée de l'examen du projet qui vient d'être déposé.
M. de Foere. - Je demanderai alors que le nouveau projet de traité soir renvoyé aux sections. Il s'agit d'une question très importante ; il est désirable que la chambre tout entière, par l'examen des sections, s'initie profondément à la connaissance de ce grave intérêt. On a dit que la chambre prend peu de part à l'étude des projets de loi qui sont renvoyés à des commissions.
Je demanderai donc que le projet de loi soit renvoyé aux sections.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, je n'ajouterai qu'un mot, c'est sur l'urgence que présente le nouveau projet de traité. La chambre n'a pas oublié que c'est le troisième traité conclu avec les Etats-Unis qui est soumis à la ratification des chambres belges. La chambre comprendra dès lors combien il est nécessaire que la discussion ait lieu le plus tôt possible. C'est à cause de ce caractère d'urgence, sur lequel j'appuie, que la chambre ferait bien, selon moi, de confier à l'ancienne commission l'examen du nouveau projet de loi.
- La chambre, consultée, décide que le nouveau projet de loi sera renvoyé à l'examen de la nouvelle commission.
M. le président. - Deux membres sont à remplacer dans cette commission, MM. Cogels et Coghen ; comment la chambre veut-elle que ces membres soient nommés ?
Un grand nombre de voix. - Par le bureau.
M. le président. - A la séance de demain, le bureau aura l'honneur de vous faire connaître les nominations qu'il aura faites.
M. Osy. - Messieurs, à la fin de la session dernière, l'honorable général Goblet nous avait présenté un projet de loi relatif aux droits consulaires.
Ce projet ne faisait que maintenir l'état de choses actuel, laissant au gouvernement le soin de régler ces droits par arrêté royal dans l'intervalle de la session. Je demanderai à M. le ministre si, dans le courant de la session, il pourra nous présenter un projet de loi définitif sur cette matière.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - J'examinerai.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - J'ai l'honneur de proposer à la chambre plusieurs projets de loi relatifs à des délimitations de communes. Je les déposerai sur le bureau, à moins que la chambre ne désire que je lui donne lecture de ces divers projets.
Un grand nombre de voix. - L'impression ! l'impression !
M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de l'intérieur de la présentation des projets de loi qu'il vient d'indiquer.
Ces projets et les motifs qui les accompagnent seront imprimés et distribués aux membres.
La chambre en renvoie l'examen à une commission nommée par le bureau.
M. le président. - La députation que la chambre a chargée de présenter au Roi l'adresse en réponse au discours du Trône, a été reçue hier par Sa Majesté avec le cérémonial accoutumé.
Le Roi a répondu en ces termes :
« Je reçois avec plaisir l'expression des sentiments de la chambre des représentants ; j'apprécie son patriotisme, et son attachement à ma personne. C'est par votre concours bienveillant que vous mettrez mon gouvernement a même de remplir sa mission, et que vous rentrez cette session législative féconde en résultats utiles aux intérêts du pays. »
Je propose à la chambre do faîre imprimer, comme les années précédentes, le discours du Trône, l'adresse de la chambre et la réponse du Roi, comme documents de la chambre.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il au projet amendé proposé par la section centrale ?
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je demanderai à la chambre la permission d'entrer dans quelques explications pour répondra à M. le président. Vous remarquerez, messieurs, que dans le projet soumis par mon prédécesseur, il s'agit de quatre espèces différentes de réclamations : traitements d'attente, traitements supplémentaires, pensions supplémentaires et secours annuels. Je n'insiste pas sur les causes qui ont fait accorder chacune de ces espèces de gratification par le gouvernement précédent.
Le gouvernement des Pays-Bas trouvait dans la loi du 1814, relative aux pensions un pouvoir très grand, très étendu en cette matière. Mais je crois devoir faire remarquer, dès à présent, que ce pouvoir n'était accordé que pour une seule des quatre catégories de réclamations, c'est-à-dire, pour les pensions ; cependant ces gratifications ont été accordées dans une foule de circonstances, et depuis 1830 elles ont à diverses reprises fait l'objet de discussions très vives et très animées dans cette enceinte. L'on pourrait se demander d'abord quelle, est la nature du droit qui résulte de pareils actes du gouvernement précédent.
Y a-t-il dans la collation d'un traitement d'attente, d'un traitement supplémentaire, d'une pension supplémentaire, d'un secours annuel, un droit civil parfait ? Y a-t-il obligation rigoureuse pour l'Etat et cette obligation est-elle telle qu'elle ait pu survivre aux événements qui se sont succédé dans le pays ? Pour moi, j'éprouve sur ce point de très grands doutes. Toute question d'argent peut être considérée comme un droit civil à l'égard de celui qui reçoit Cependant, d'après les principes de notre organisation, on ne peut pas se dissimuler que les rémunérations accordées du chef de fonctions ne constituent un droit d'une nature toute spéciale.
Des stipulations de droit international sont intervenues en ce qui concerne les traitements d'attente. Dans le traité de 1839, il est stipulé que ces traitements seront acquittés aux ayants droit, conformément à la législation existante en 1830.
Dans le traité de 1842, il a été entendu que la législature restait entièrement libre quant aux dispositions qui avaient été prises auparavant. C’est l'article 68 du traité de 1842, qui contient cette disposition.
Les faits qui se rattachent à cette question se divisent en deux catégories : les faits parlementaires et ce que j'appellerai les faits judiciaires. En 1832 le gouvernement croyant un droit du chef des toelaege avait porté au budget des dotations toute la somme nécessaire pour les payer. Elle donna lieu alors à de longues discussions après lesquelles on réduisit le crédit demande, et laissant intactes toutes les questions, sans en trancher aucune, on n'accorda que des secours à ceux qui se trouvaient dans une position nécessiteuse. En 1833, le crédit reproduit par le gouvernement fut encore rejeté partiellement par les chambres. A partir de 1840 le crédit intégral a été porté au budget ; et chaque année, il tend à décroître. Pour citer deux termes extrêmes, en 1840, il était de 114,000 francs, et au budget de l'année prochaine, il n'est demandé que 74,500 francs.
Quant aux faits judiciaires, je crois pouvoir me borner à une analyse très sommaire. Une instance a été terminée par un jugement passé aujourd'hui en force de chose jugée ; c'est l'affaire Coupez. Elle se trouve mentionnée sous le n°20 page 10 du projet de loi. L'on me demande quelle est cette affaire. Le sieur Coupez était receveur particulier ; lorsque la société générale devint caissière de l'Etat, il fut nommé agent de cette société. Le gouvernement des Pays-Bas lui accorda un traitement supplémentaire de 500 florins. Cette instance a parcouru tous les degrés de juridiction. Le gouvernement, en première instance, en appel et en cassation a été condamné au payement de la somme en principal et des intérêts à partir de chaque semestre
Une autre instance peut en quelque sorte être considérée comme terminée. C'est celle qui a été poursuivie contre le gouvernement par un ancien président du tribunal de Mons, M. Orts de Bulloy. Il a été admis à la pension en 1834 ; il avait réclamé son traitement supplémentaire pour un terme beaucoup plus long, mais cette demande a été rejetée ; et d'après les pièces que j'ai sous les yeux, il paraît que la résolution avait été prise d'exécuter purement et simplement le jugement, tel qu'il avait été prononcé.
Dans une autre affaire, celles des héritiers de M. Becquet de Severin, directeur des contributions à Namur, il a été rendu seulement un jugement de première instance.
La quatrième catégorie se compose de douze instances relatives à des traitements supplémentaires. Lorsque le projet vous a été soumis, il n'y avait dans ces douze affaires qu'un jugement rendu par les tribunaux de première instance. Depuis le rapport de la section centrale, il a été interjeté appel dans chacune de ces affaires. Par arrêts du mois d'août dernier, la cour d'appel de Bruxelles a condamné le ministre des finances au payement des sommes réclamées et aux intérêts, mais seulement depuis la demande judiciaire.
J'ai cru de mon devoir, d'abord parce qu'un seul arrêt ne me semblait pas faire jurisprudence, ensuite parce que je ne partageais nullement l'opinion admise par ces arrêts, de me pourvoir en cassation contre ces douze arrêts. La cour régulatrice est saisie des douze pourvois. D'ici à quelques mois, je pense qu'elle prononcera.
Ainsi nom avons un procès où il est intervenu une décision, passée en force de chose jugée ; une affaire où le gouvernement paraît avoir acquiescé au jugement ; une affaire où il n'y a qu'un jugement de première instance et douze affaires soumises à la cour de cassation.
Tous les autres titulaires de traitements d'attente ont seulement réclamé par la voie administrative.
A votre séance du 31 mars 1844, le gouvernement a demandé un crédit de 646,538 fr., pour payer les arriérés de toutes ces catégories. Mais vous voudrez bien remarquer qu'il ne s'agissait que des sommes en capital.
Dans l'exposé des motifs, le gouvernement s'est fondé sur la nécessité qui lui paraissait exister et sur la décision intervenue dans l'instance Coupez.
Pour moi, quand j'ai eu connaissance des arrêts de la cour d'appel, je n'ai pas cru que cette nécessité existait. Il m'a paru qu'un arrêt unique de la cour de cassation, ne formait pas jurisprudence, et que, peut-être en équité et en droit, il y avait des distinctions à faire entre les diverses catégories.
Votre section centrale vous propose de déclarer que les arriérés des traitements d'attente ne sont pas à charge de la Belgique. Elle pense aussi que le gouvernement doit présenter un projet d'exécution des obligations contractées par l'Etat, en vertu des articles 21 et 68 des traités.
Dans les circonstances dont je viens de rendre compte, il y a, ce me semble, lieu de proposer à la chambre de voter seulement le crédit nécessaire pour satisfaire à la condamnation prononcée dans l'instance Coupez, de laisser suivre le procès engagé devant la cour de cassation, toutes les autres questions, de quelque nature qu'elles soient, restant réservées, quant au gouvernement et à la chambre elle-même.
En effet, veuillez remarquer, messieurs, que si aujourd'hui nous admettions la proposition de la section centrale, nous paraîtrions en quelque sorte désespérer nous-mêmes de l'instance que nous soutenons devant les tribunaux. Nous déciderions prématurément une question constitutionnelle qui a déjà été agitée devant vous, et qu'il serait bien désirable de ne pas avoir à résoudre.
Il existe un motif de plus d'agir ainsi.
Les douze arrêts rendus par la cour d'appel de Bruxelles l'ont été sous une législation antérieure à celle dont nous nous occupons. Il est dès lors incontestable que ces arrêts ne pourraient être cassés en raison de lois postérieures, que ces arrêts n'ont pas violées.
En terminant cet exposé, je dois ajouter que mon intention formelle est de saisir toutes les occasions pour introduire dans le budget les économies qui seront possibles, du chef des traitements d'attente et supplémentaires.
Quelques économies pourront être faites dès à présent ; il en est d'autres qui ne sont pas immédiatement réalisables, mais à l'égard des personnes qui jouissent de ces traitements et dont la position n'exige pas le maintien intégral de cette faveur, je crois que nous pouvons réduire la dépense que l'Etat supporte encore.
Voici l'amendement que j'ai l'honneur de proposer :
« Article unique. Il est ouvert au budget de la dette publique, exercice 1844, un crédit supplémentaire de 6,300 fr. pour satisfaire en capital, intérêts et frais, à l'arrêt rendu en faveur des héritiers Coupez, par la cour d'appel de Bruxelles, le 6 mars 1841.
« Ce crédit formera l'article 5 du chapitre II de ce budget. »
M. Mercier. - Je demande le renvoi à la section centrale.
Pour motiver ma proposition, je dois faire connaître à la chambre que les intéressés n'ont jamais réclamé les intérêts. Si donc on devait statuer maintenant sur la proposition de M. le ministre des finances, on poserait un précédent dont les conséquences pourraient être fâcheuses. Dans un but d'économie, ne conviendrait-il pas, messieurs, de réclamer un nouveau rapport de la section centrale, et de prononcer sur toutes les affaires de cette catégorie ? Je suis convaincu que les intéressés renonceraient aux intérêts, malgré la chance que leur donne l'arrêt d'appel prononcé dans l'espèce.
Je demande donc que la chambre renvoie la proposition de M. le ministre des finances à la section centrale.
Entre-temps, M. le ministre des finances pourra réfléchir sur les observations que je viens de présenter, et peut-être entendre les intéressés pour s'assurer de l'étendue de leurs prétentions.
Une décision pourra ensuite être prise avec une entière connaissance de cause.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je dois déclarer que ce n'est pas légèrement et sans avoir consulté les pièces, que j'ai fait la proposition qui vous est soumise. J'ai sous les yeux la requête des héritiers Coupez par laquelle ils demandent le capital, les intérêts et les frais.
Le gouvernement a été condamné à payer les intérêts à partir de l’échéance de chaque semestre.
M. Vanden Eynde. - Dans cette affaire, tout est extraordinaire ; tout est singulier. Si, dans le principe, le gouvernement avait fait son devoir, nous n'aurions plus à nous en occuper. C'est la coupable négligence du pouvoir, qui est cause que cette affaire est restée en suspens.
Il y avait dans cette affaire des précédents auxquels le gouvernement aurait dû se conformer. Le gouvernement des Pays-Bas avait pris des mesures pour connaître les personnes ayant droit à recevoir des traitements d'attente, de réforme, de non-activité à charge du gouvernement des Pays-Bas. Ils ont été obligés à présenter leurs réclamations dans un délai voulu.
Des fonctionnaires furent nommés pour examiner les titres, les droits que pouvaient avoir les réclamants. Le gouvernement n'a rien fait de semblable, (page 114) malgré les avertissements qui lui ont été donnés dans cette enceinte. C’est ce qui a empêché que depuis longtemps on ait statué sur ces demandes,
L'honorable M. Mercier veut mettre une nouvelle entrave à ce que l’on connaisse de la proposition du gouvernement et de celle de la section centrale.
Je demande que la discussion ait son cours. L’affaire est fixée pour aujourd'hui. Je demande qu'on la discute. Elle est suffisamment instruite.
M. Osy. - Je ne puis partager l'opinion de l'honorable M. Mercier.
En effet, nous voyons dans le rapport de l'honorable M. Savart, nous voyons que les droits des héritiers Coupez sont entièrement réservés. Nous pouvons donc aborder le fond du projet de loi.
Pour les héritiers Coupez, on pourra faire un projet séparé. C'est ce que propose la section centrale.
M. Mercier. - C'est dans l'intérêt du trésor public que j'ai fait mon observation.
Si la chambre adopte la proposition d'accorder aux héritiers Coupez le capital et les intérêts, d'autres arrêts vont suivre, et la chambre, pour être conséquente, sera dans la nécessité d'accorder également le capital et les intérêts aux autres intéressés.
M. Dumortier. - C'est ce que nous examinerons.
M. Mercier. - Sans doute, c'est ce que nous examinerons. Nous ne savons quels seront les arrêts qui seront prononcés.
Aujourd'hui, comme je le disais, tous les intéressés sont disposés à ne demander que le capital sans intérêts ; s'ils obtiennent des arrêts en leur faveur, leur position sera la même que celle des héritiers Coupez.
M. Savart-Martel. - Messieurs, je crois qu'il est de l'intérêt du trésor public autant que de celui des prétendant droits, que l'on vide enfin cette contestation.
Vous voyez déjà, messieurs, ce qui est arrivé, parce que la chambre n'a pu s'occuper de cette question dans la dernière session. Il y avait alors un procès, et un procès vidé en cassation, et jamais, je crois, la section centrale n'a pensé qu'on pouvait se dispenser de payer les héritiers Coupez ; il y avait pour eux un jugement passé en force de chose jugée. Mais lorsqu'on a vu que la législature allait s'occuper de la question d'une manière positive et de manière à faire disparaître toutes les difficultés, on a profilé de l'intervalle entre les deux sessions pour introduire, paraît-il, une multitude d'affaires.
Attendez encore quelques jours, messieurs, et vous aurez peut-être vos douze procès en cassation avec leur accompagnement ordinaire de frais. Que fera-t-on ensuite ? On vous dira : Les jugements sont passés en force de chose jugée, il faut payer.
Je crois, messieurs, que la chambre a pleine autorité, je ne dirai pas pour déjuger ce qui a été jugé, mais pour prononcer sur l'interprétation des traités qu'on invoque pour nous faire payer des sommes qui ne me paraissent pas dues.
Il me paraît donc qu'il n'y a pas de motifs pour différer l'examen de la question ; je crois qu'il est important pour le gouvernement et pour les intéressés eux-mêmes, qu'elle soit vidée dans un sens ou dans l'autre ; car enfin si la chambre décide que les traitements réclamés sont dus, il n'existe plus de procès. Si, au contraire, la chambre décide que les traitements d'attente, en ce qui concerne les arriérés, ne sont pas dus, tout rentre dans l'ordre ordinaire des choses.
Mais, dit-on, il y a des jugements de première instance, des jugements d'appel. C'est vrai ; mais vous savez que jusqu'à ce que tous les degrés de juridiction aient été épuisés, il n'y a pas force de chose jugée.
Je pense donc me conformer à l'intention de la section centrale en demandant que le projet soit discuté immédiatement.
- La proposition de renvoi de l'amendement présenté par M. le ministre des finances à la section centrale est mise aux voix. Elle n'est pas adoptée.
M. le président. - M. le ministre des finances ne s'étant pas rallié au projet de la section centrale, le projet primitif servira de base à la discussion.
M. Osy. - Je demande la parole sur l'ordre de la discussion.
La section centrale vous propose le rejet du tout, tandis que le gouvernement vous propose de ne pas aborder le fond et de décider seulement l'affaire Coupez ; c'est donc un projet nouveau qu'il nous présente.
Je crois que, maintenant que la proposition de M. Mercier a été rejetée, nous devons aborder le fond de la loi et considérer l'amendement de M. le ministre des finances comme un projet séparé.
M. Vanden Eynde. - Ce que vient de vous dire l'honorable M. Osy n'est pas exact. La proposition de la section centrale n'est pas le rejet du fond.
Voici ce que le gouvernement a proposé : il a demandé une somme de six cent et quelque mille francs pour faire face aux réclamations qui ont été élevées du chef de traitements d'attente, de pensions de retraite, etc.
Lorsque la section centrale s'est occupée de l'examen de ce projet, elle a remarqué que le gouvernement n'avait envisagé qu'un seul côté de la question, celui des arrérages de ces traitements d'attente qui avaient couru depuis le 1er novembre 1830 jusqu'au 15 avril 1839. Elle a cru, au contraire, devoir envisager l'affaire sous toutes ses faces et elle a établi sa délibération sur deux questions distinctes, d'abord celle des arrérages qui ont couru depuis le 1er novembre 1830 jusqu'au 19 avril 1839 ; et, en second lieu, sur celle des traitements annuels qui seraient dus en vertu du traité de 1839, à partir de cette dernière époque.
Pour les arrérages, la section centrale propose de décider que rien n'est dû ; et pour ce qui est réclamé depuis le 19 avril 1839, la section centrale propose d'engager le gouvernement à vous présenter un projet de loi tendant à examiner les titres de ceux qui réclament des traitements d'attente ou des toelagen, des pensions de retraite ou de réforme.
Je crois donc, messieurs, que la discussion devrait s'établir sur le projet de la section centrale et que la proposition de M. le ministre des finances devrait être considérée comme amendement à cette proposition.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il m'est extrêmement difficile de saisir l'objet de la présente discussion.
Dans la discussion sont compris le projet primitif, l'amendement que j'ai présenté et le projet de la section centrale. Nos délibérations porteront sur ces trois propositions, et, quand nous en viendrons au vote, nous verrons comment il faut procéder.
M. le président. - C'est l'ordre que j'ai l'honneur de vous proposer. Nous ouvrirons la discussion sur les différentes propositions, et lorsque nous en viendrons au vote, nous verrons à laquelle on doit donner la priorité.
M. Dumortier. - Messieurs, la question qui nous occupe n'est pas neuve pour cette chambre ; elle s'est présentée à vos discussions depuis les premières années de la législature, dès 1831. Vous en reconnaîtrez toute l'importance, puisqu'il s'agit de voter non seulement une somme de 700,000 fr. que le gouvernement vous demande, mais une somme qui, si le principe qui paraît admis par la cour de Bruxelles était définitivement transformé en loi, s'élèverait à environ 1,200,000 fr.
Il s'agit donc de bien savoir ce que nous allons voter.
Messieurs, je me pose cette question : La Belgique a-t-elle une somme de plus d'un million à jeter ? Je ne le pense pas, et je vous déclare que c'est un motif pour lequel je dois être fort sévère dans cette question, tout en étant cependant fort juste envers les intéressés.
La somme qui vous est demandée, messieurs, et que l'on qualifie généralement de somme destinée aux traitements d'attente, s'applique à trois catégories de dépenses bien caractérisées.
La première de ces catégories, ce sont les suppléments de traitements qu'on appelait toelagen ; la seconde, les traitements d'attente ou wachlgelden ; la troisième, les secours annuels, espèces de pensions que le roi Guillaume faisait peser sur le budget de l'Etat et qu'on nommait jaarlyk onderstand.
Quelle est l'origine de ces trois catégories de pensions ? C'est ce que je vais avoir l'honneur de vous expliquer.
Vous savez qu'en 1822, le roi Guillaume établit la Société générale et la constitua caissier de l'Etat. Jusqu'alors le recouvrement des finances des Pays-Bas s'était opéré par des receveurs généraux, des receveurs provinciaux et des receveurs d’arrondissement.
Le roi crut voir une économie et en même temps un avantage à charger la Société générale de ces recouvrements. Il dit à cette société : Je vous donnerai un tantième sur les recettes, mais vous vous chargerez de toutes les dépenses de recettes et vous prendrez à votre charge tous les fonctionnaires de mon administration des recettes. A partir de cette époque tous les receveurs provinciaux et tous les receveurs d'arrondissement devinrent donc des fonctionnaires de la Société générale, et ce fut à celle-ci à leur payer leurs traitements. C'est ce qui existe aujourd'hui. Ceux qui réclament sont encore des fonctionnaires de la Société générale et en reçoivent des traitements. Mais alors, messieurs, une réduction fut opérée sur les traitements par la Société générale, et le roi Guillaume, par pure générosité, accorda aux fonctionnaires qui subissaient ces réductions, des suppléments de traitements. C'est ce qui constitue en presque totalité la première catégorie des toelagen.
La seconde catégorie consiste en traitements d'attente.
En vertu de la loi de 1814 sur les pensions, le roi Guillaume s'était réservé la faculté d'accorder aux fonctionnaires qui quittaient une position quelconque et qui n'étaient pas immédiatement placés dans une autre, des traitements d'attente, et le mot seul indiquait ce que c'était ; c'était un traitement payé au fonctionnaire en attendant qu'il fût replacé. Eh bien ! il était un moyen très simple de faire cesser ces traitements, c'était de replacer ceux qui les recevaient.
Quant à la troisième catégorie, les secours annuels, c'étaient de simples aumônes que le roi Guillaume trouvait plus économique pour lui de faire payer par l'Etat que sur ses revenus.
Après l'arrivée du Roi en 1831, fut présenté un budget dans lequel on réclamait le payement de ces dépenses. J'eus alors l'honneur d'être rapporteur sur les budgets et spécialement sur le budget de la dette publique, et la chambre ordonna, dans les sections, de proposer le rejet de la somme demandée par le gouvernement, comme étant une charge que l'Etat belge ne devait pas supporter. On vous disait que, quant à la première catégorie, les toelagen, puisque les fonctionnaires qui les recevaient, étaient des employés de la banque, c'était à celle-ci à les payer, et à majorer leurs traitements, s'ils n'étaient pas assez élevés ; qu'il serait injuste que l'Etat dût payer en même temps un tantième à la banque, à titre de droit de recette, et une partie des traitements de ceux qui faisaient la recette. Dès lors, la chambre déclara qu'elle ne porterait pas de crédit pour les toelagen.
Quant aux traitements d'attente, on ne voulait pas les payer non plus. On disait : Que les personnes qui ont des traitements d'attente se présentent ; on les replacera.
Enfin, pour ce qui est des secours annuels, on les renvoya à la cassette du roi Guillaume. Cependant, M. le ministre des finances de cette époque, l'honorable M. Coghen, insistait vivement pour obtenir le crédit. Je me souviens qu'alors un des jurisconsultes les plus distingues de la chambre, aujourd'hui membre de la cour de cassation, prit la parole et démontra de la manière la plus évidente, au moyen des textes de loi, que la Belgique n'est (page 115) tenue à rien du chef des traitements d'attente, des toelagen et des secours annuels. Le crédit fut donc écarté par la chambre ; mais comme plusieurs de ces personnes se trouvaient dans un grand besoin, la chambre, faisant œuvre de charité, porta au budget une somme que je crois être de 30,000 florins, pour donner des secours aux plus nécessiteux. (Adhésion.)
Je vois des membres qui siégeaient alors dans cette enceinte, faire un signe affirmatif. C'est, en effet, de cette manière que les choses se sont passées. La chambre en allouant ce crédit a donc fait un acte de pure libéralité ; c'est en quelque sorte une aumône que nous avons faite.
Depuis cette époque, messieurs, la chambre a été saisie souvent de la question et chaque fois elle a rejeté, sans miséricorde ni merci, le principe qu'on veut lui faire adopter.
Comment se fait-il qu'on vienne de nouveau proposer à la chambre de voter une somme aussi considérable pour cet objet ? La chose est fort simple, c'est que les intéressés ont voulu faire reformer le jugement de la chambre par les tribunaux, et que ceux-ci, empiétant sur le parlement, sont venus décider des questions qui sont exclusivement du ressort de la chambre, des questions purement politiques. Et comme rien n'est plus commode que de porter un arrêt contre le gouvernement, nous nous verrons bientôt condamnés à payer 1,200,000 fr. que nous ne devons pas, que nous avons rejetés en connaissance de cause. Eh bien, messieurs, c'est la une chose à laquelle je ne m'associerai jamais.
Je ne puis donc admettre en aucune manière, ni le système de l'honorable M. Mercier, ni le système de M. le ministre des finances. Voter une somme que nous ne devons pas, comme je le démontrerai tout à l'heure ; voter une dépense que nous avons rejetée huit fois et être condamnes à le faire par arrêt de la cour, ce serait réellement une chose monstrueuse. La situation du trésor public n'est pas tellement prospère que nous puissions y prendre 1,200,000 fr., pour les jeter ainsi à la tête de quelques individus.
Adopter l'amendement de M. le ministre des finances, ce serait payer non seulement la somme principale, mais encore les intérêts, et consacrer le principe. Laisser la question indécise, ce serait faire surgir de nouvelles réclamations. Je pense, moi, qu'il faut en finir une bonne fois, qu'il faut donner à la question une solution définitive.
La Belgique peut-elle être redevable des arriérés des traitements d'attente ?
En 1840, à la suite du vote du traité des 24 articles, sans discussion, sans examen, la chambre a admis au budget un crédit pour payer des traitements d'attente et des toelagen, et c'est ce qui a donné aux parties prenantes une si grande envie de s'asseoir de plus en plus à la table du budget ; mais le traité des 24 articles nous oblige-t-il à payer ces sommes ? Voilà la question.
Eh bien, messieurs, je vais démontrer, par le texte du traité, que la Belgique ne doit ni les toelagcn ni les secours annuels, et que tout au plus nous pourrions être tenus à payer les traitements d'attente qui ne s'élèvent qu'a une somme minime, puisque les suppléments de traitements forment les quatre cinquièmes du chiffre total des trois objets réunis.
Voici, messieurs, ce que porte l'article 21 da traité des 24 articles :
« Les pensions, traitements d'attente, de non-activité et de réforme seront acquittés à l'avenir, de part et d'autre, à tous les titulaires tant civils que militaires qui y ont droit, conformément aux lois en vigueur avant le 1er novembre 1830. »
Remarquez d'abord, messieurs, que dans cet article il est uniquement question des traitements d'attente, qu'il n'y est parlé en aucune manière des toelagen, ni des secours annuels. C'est donc bien à tort que les tribunaux, prenant la place de la chambre des représentants, et réformant sa résolution, veulent faire payer à la Belgique les sommes qui lui sont réclamées de ces deux derniers chefs. C'est non seulement un empiétement sur notre prérogative, mais encore un mal jugé.
Quant aux traitements d'attente, vous ne devez les payer que conformément aux lois qui étaient, en vigueur avant 1830. Eh bien, je défie qu'on me cite un texte de loi portant que les traitements d'attente sont perpétuels, que ce sont des rentes viagères ne s'éteignant qu'à la mort du titulaire.
Quand on me montrera un pareil texte, je voterai les sommes nécessaires pour payer les traitements d'attente ; mais cela n'existe pas, et il ne viendra à l'idée de personne de le prétendre. Les traitements d'attente ne sont autre chose que des traitements d'attente et rien de plus, c'est-à-dire qu'ils sont une gratification temporaire par son essence même, et qui ne constitue pas une pension.
Je dirais donc aux personnes qui ont reçu des traitements d'attente : « Si vous avez des droits à la pension, faites-les valoir ; faites même entrer dans vos années de service le temps pendant lequel vous avez reçu un traitement d'attente, si toutefois la chose peut être envisagée de cette manière ; si au contraire vous n'avez pas droit à la pension, remplissez de nouvelles fonctions ; mais ce que je n'admets en aucune manière, c'est que vous vous arrogiez le droit d'exiger la continuation viagère de votre traitement d'attente. Je ne l'admets point, parce qu'il n'est dit nulle part que les traitements d’attente soient accordés pour la vie entière, qu'ils constituent une pension. »
Maintenant on viendra vous dire : « Mais l'Etat a été condamné par les tribunaux, et dès lors vous n'avez plus qu'à vous humilier devant les arrêts de la justice ; vous n'avez plus qu'à voter les fonds nécessaires pour payer. »
Cet argument, messieurs, n'est autre chose à mes yeux que ceci : « Les tribunaux ont voté la dépense ; vous, représentants de la nation, votez les subsides. » Voilà la traduction fidèle de cet argument.
Eh bien, messieurs, je vous le demande, ne serait-ce pas là le renversement de l'ordre constitutionnel ? Lisez la Constitution, elle déclare dans les termes les plus formels que les chambres votent les dépenses et les recettes ; or que devient le vote des dépenses si nous ne sommes plus qu'une chambre d'entérinement des arrêts judiciaires, si notre rôle se borne à devoir voter oui sans même pouvoir examiner si nous ne pouvons pas dire non ? Mais s'il en était ainsi, notre rôle serait absolument annulé, le pouvoir législatif serait absorbé par le pouvoir judiciaire.
Je ne conçois pas, messieurs, sur quoi les tribunaux peuvent s'appuyer pour se déclarer validement juges de pareilles questions. Serait-ce sur l'article 92 de la Constitution, portant que les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux ? Mais, je vous le demande, messieurs, des suppléments de traitements peuvent-ils constituer des droits civils ? La question de savoir si un fonctionnaire privé de ses fonctions doit recevoir un traitement d'attente et jusqu'à quelle époque il doit jouir de ce traitement d'attente, est-ce là une question relative à des droits civils ? Mais tout à l'heure les tribunaux pourraient condamner le gouvernement à donner de nouvelles fonctions aux personnes qui ont reçu un traitement d'attente ! Où iriez-vous avec un pareil système ? Mais vous arriveriez à une véritable anarchie, à l'absorption de la prérogative parlementaire par un pouvoir inamovible et irresponsable dont les envahissements sont par cela même plus à craindre.
Ce ne sont point là, je le répète, messieurs, des contestations ayant pour objet des droits civils ; les objets dont il s'agit ici sont uniquement des gratifications politiques et aucune disposition de la Constitution n'attribue au pouvoir judiciaire le droit d'intervenir dans de telles questions...
M. le ministre des finances (M. Malou). - L'article 93.
M. Dumortier. - L'article 93 porte que les contestations relatives à des droits politiques sont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions établies par la loi. Mais depuis quand, messieurs, des gratifications constituent-elles des droits politiques ? Les droits politiques dont parle l'article 93 sont les droits de citoyen, mais ce ne sont point des réclamations d'un employé vis-à-vis du trésor public. Quelle serait la conséquence d'une autre interprétation ?
Je suppose que M. le ministre de la justice, qui me fait l'honneur de m'interrompre, destitue un fonctionnaire de son département et déclare que ce fonctionnaire n'a pas droit à la pension ; eh bien, s'il faut donner à l'article 93 de la Constitution le sens que semble y donner M. le ministre, les tribunaux pourront intervenir : ils pourront décider que le fonctionnaire ainsi destitué a droit la pension, et ils fonderont leur compétence sur l'article 93 de la Constitution !
Je dis, pour mon compte, que les droits politiques dont parle l'article 93, ne sont autre chose que les droits de citoyen, les droits électoraux, par exemple. C'est ainsi que les tribunaux décident les contestations qui peuvent s'élever relativement à la nationalité d'un individu, ou à sa capacité électorale ; mais il n'est jamais venu à l'esprit de personne de prétendre que les tribunaux ont le droit de prononcer sur les prétentions que peut former un employé à la charge du trésor public.
Ce serait là une monstruosité, ce serait de la part des tribunaux un véritable empiétement sur les prérogatives parlementaires, et la Constitution serait anéantie si un pareil empiétement était toléré. Que chacun reste dans ses attributions, c'est le seul moyen d'empêcher l'anarchie dans le pays.
Que les tribunaux se renferment dans leurs attributions, et la chambre dans les siennes ; mais jamais je ne pourrai croire que le pouvoir constituant ait voulu instituer des chambres pour enregistrer les arrêts des tribunaux. Ce serait placer les tribunaux au-dessus des représentants du peuple, et certes le pouvoir judiciaire ne peut être placé au-dessus du peuple représenté par les deux chambres.
Messieurs, j'ai eu l'honneur de vous démontrer que des trois catégories de dépenses, dont il s'agit, une seule, celle des traitements d'attente, pouvait être mise à la charge de la Belgique en vertu du traité ; que les deux autres ne sont pas à la charge de la Belgique par le traité. Je désirerais qu'on me démontrât que la Belgique doit 5 à 600,000 fr. de toelagen ; tant qu'on ne nous aura pas prouvé que la Belgique les doit, nous ne devons pas les voter.
Je dirai quelques mots sur la grande question que cette affaire soulève.
Depuis bien des années, j'ai réclamé avec instance du gouvernement qu'il nous fût présenté un projet de loi sur les conflits. Cette loi est indispensable....
Un membre. - Le projet de loi est présenté.
M. Dumortier. - Le projet nous a été, il est vrai, soumis à la fin de la dernière session ; s'il avait été présenté plus tôt, nous aurions déjà pu porter remède au déplorable conflit dont il s'agit en ce moment, et nous aurions empêché les envahissements sur notre prérogative.
Voyez, messieurs, où nous allons en nous faisant ici les simples exécuteurs des volontés de l'ordre judiciaire.
Je me souviens qu'en 1831, il fut demandé à la chambre, entre autres choses, le payement d'un traitement d'attente qui avait été accordé par le gouvernement hollandais à l'abbé de Pradt. L'abbé de Pradt avait été, sous l'empire, nommé par Napoléon archevêque de Malines ; mais il n'avait pas reçu l'institution canonique, et n'avait jamais pu dès lors être constitué archevêque de Malines. Lors de l'arrivée des alliés, le gouvernement hollandais ne fut pas désireux de voir l'abbé de Pradt archevêque de Malines ; le saint-siége n'en voulait pas non plus ; et le prince de Méan fut nommé archevêque. Cependant pendant la durée du règne du roi Guillaume, un traitement d'attente fut accordé à l'abbé de Pradt, en attendant sans doute qu'il pût reprendre son archevêché.
(page 116) A l'époque de la révolution, l'abbé de Pradt publia un grand nombre d'écrits, pour dénigrer le nouvel ordre de choses établi en Belgique. Le pays tout entier s'en émut, et l'irritation était telle que si le ministère n'avait pas pris l'engagement formel de ne pas payer le traitement d'attente de l'abbé de Pradt, la chambre en 1831 aurait refusé le budget.
Or, ce traitement d'attente n'a jamais été porté et ne figure pas encore dans les états qui nous sont présentés. Depuis quelque temps j'ai entendu dire qu'un procès est intenté à la Belgique, pour obtenir judiciairement le payement de ce traitement d'attente ; et malgré la ferme volonté qu'elle a exprimée à cet égard, la législature pourrait donc être forcée d'allouer les fonds nécessaires pour le payement du traitement d'attente de l'abbé de Pradt ?
La même chose est arrivée pour M. de Broglie. Ce prélat avait été éliminé du siège épiscopal de Gand par un jugement que tout le monde a flétri ; mais ce jugement était le fait du roi Guillaume. M. de Broglie n'a jamais demandé le payement de son traitement. Toutefois ses héritiers ont depuis peu intenté une action contre le gouvernement belge, pour obtenir la liquidation du traitement pour le temps antérieur à la révolution, pour le temps du règne du roi Guillaume. Et les tribunaux se déclarent compétents, demain ils condamneront l'Etat à payer !
Messieurs, je vous le demande, un tel ordre de choses ne constitue-t-il pas une véritable anarchie ? Que devient le pouvoir législatif, quand les tribunaux s'emparent de ces questions purement politiques, quand ils viennent infirmer vos propres jugements ? Car après tout, c'est de cela qu'il s'agit, ce sont vos propres jugements que les tribunaux viennent réformer, et l'arrêt que l'on invoque peut se résumer en ces termes : « La cour condamne la chambre des représentants à voter ce qu'elle a rejeté pendant huit ans. » !
A propos des traitements d'attente, il se passait des choses étranges. Ainsi le gouvernement hollandais donnait un traitement d'attente à un certain abbé Félix, pour avoir fait un serment en faveur du roi ; Guillaume. (Interruption.) Oh ! je me rappelle parfaitement tous ces faits ; ils m'ont été communiqués à la section centrale du budget de 1831. Ainsi ; encore, on donnait un traitement d'attente à un ancien gentilhomme, en attendant le rétablissement des droits féodaux. Je crois qu'il attendra longtemps.
Une voix. - Il n'attendra plus, car il est mort.
M. Dumortier. - C'est une autre affaire, mais je puis assurer que l'arrêté était formulé dans ce sens. |
Voilà ce qu'étaient, en général, les traitements d'attente ; ce n'était autre chose que des moyens placés entre les mains du roi Guillaume pour faire ses affaires, très souvent contre les Belges. Si le règne du roi Guillaume avait duré plus longtemps, ce prince aurait probablement accordé un traitement d'attente à Libry-Bagnano lui-même.
Devons-nous maintenant consacrer par un vote tous ces abus ? Devons-nous voter les sommes qui nous sont demandées ? Non, messieurs, car ce serait, je le répète, borner le rôle de la législature aux fonctions d'exécuteurs des volontés des tribunaux ; jamais je ne pourrai m'associer à une pareille interversion de rôles.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, il y a dans le débat actuel deux points distincts que l'honorable préopinant me paraît confondre. Le projet présenté par mon honorable prédécesseur ne concerne que les arriérés de traitements d'attente, antérieurs au traité de 1839. Mais il y a une deuxième question qui se présente chaque année à l'occasion du budget ; quelles sont les obligations de l'Etat, quant à l'avenir, et en vertu des traités ?
J'ai déjà eu l'honneur d'indiquer pour quels motifs il me paraissait opportun, dans les circonstances actuelles, de laisser suivre son cours aux instances entamées et de n'accorder que le crédit nécessaire, pour la seule affaire où il existe réellement chose jugée. J'ai eu soin d'ajouter qu'en prenant cette position, toutes les questions, de quelque ordre qu'elles fussent, demeuraient réservées.
Ainsi, j'espérais, je dois le dire, que cette difficile question que l'honorable préopinant vient d'introduire, ne serait pas agitée, et pour mon compte, je le désirais très vivement. Je conçois que dans un parlement l'on ne recule pas devant une question d'attributions constitutionnelles, mais je ne conçois pas non plus qu'on la décide sans une évidente nécessité. Eh bien, messieurs, demandez-vous si cette nécessité existe aujourd'hui.
La cour de cassation est saisie en ce moment des seules affaires qui fassent l'objet d'un débat judiciaire ; j'ai démontré tout à l'heure que la question d'attributions constitutionnelles ne pouvait pas recevoir d'effet à l'égard de la décision que la cour de cassation est appelée à rendre..
Ce serait donc à plaisir, ce serait sans une nécessité manifeste que nous traiterions cette question difficile devant laquelle personne, je pense, ne reculerait, s'il fallait l'aborder ; mais que l'on peut laisser aujourd'hui en dehors de nos discussions.
Il faut laisser s'épuiser la compétence judiciaire. Pourquoi préjuger maintenant, en présence de l'arrêt unique rendu dans l'instance Coupez : pourquoi préjuger, dis-je, que cette jurisprudence se confirmera ? Je suis convaincu, au contraire, qu'un nouvel examen de la question démontrera que le droit est du côté de l'Etat ; mais je ne voudrais pas contribuer à élever maintenant le conflit constitutionnel sans nécessité.
Si le trésor public est condamné encore, le gouvernement fera, après les arrêts, l'examen de toutes les questions qui se rattachent à ces arrêts, et notamment de la question que l'honorable préopinant a soulevée.
Ainsi, c'est une erreur de croire qu'en votant le crédit demandé pour les héritiers Coupez, la chambre voterait implicitement tous les crédits dont la demande fait l'objet du projet primitif.
D'après ces explications, je crois inutile d'entrer pour le moment plus avant dans cette discussion. Je dois pourtant faire quelques réserves, quant au sens que l'honorable membre attribue aux mots « droits civils » dans l'article 92 de la Constitution, car je crois que peu de jurisconsultes pourraient, à cet égard, partager son opinion.
Quant aux faits spéciaux que l'honorable membre a cités, je crois que l'exactitude n'en est pas complète. Il est très vrai que la chambre a refusé, non pas un traitement d'attente, mais une pension qui avait été accordée précédemment à l'abbé de Pradt.
Quant à l'instance engagée par les héritiers de Broglie, ceux-ci ne demandent que le traitement qui était dût à l'ancien évêque de Gand depuis le jour où il a cessé ses fonctions jusqu'à celui de son décès, décès qui est arrivé, si je ne me trompe, deux ans après la cessation des fonctions. J'ai connaissance de cette affaire, et qu'il me soit permis de le dire : dans la pensée de ceux qui poursuivent cette réparation, il s'agit plutôt pour eux d'une réhabilitation morale que d'une question pécuniaire. Je tenais à dire ces paroles, pour qu'on ne se méprît pas sur la nature et le but de l'instance engagée.
M. Savart-Martel, rapporteur. - Messieurs, ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire tout à l'heure, la section centrale n'a pas émis l'opinion que la chambre était soumise à voter les fonds nécessaires pour l'exécution des arrêts judiciaires ; mais elle n'a pas émis non plus une opinion contraire ; elle a laissé la question entière. Quant à moi, je dirai que, lorsqu'on est en présence d'un jugement irrévocable, il faut payer. Je sais que cette question peut présenter de graves difficultés ; elle présente un intérêt immense, mais je pense que ce n'est pas le moment de la discuter, et qu'eu égard à la manière dont la section centrale présente son projet de loi, cette discussion serait oiseuse.
La section centrale a d'abord fait une réserve en ce qui concerne les héritiers Coupez, car ceux-ci sont les seuls ayant jugement passé en force de chose jugée. On a dit qu'en adoptant l'opinion de la section centrale, on userait d'une espèce de rétroactivité à l'égard des douze instances (si je ne me trompe), dont il a été question.
Je ferai remarquer que le projet de la section centrale, à proprement parler, n'établit pas un droit nouveau ; elle est d'avis que l'interprétation des clauses dérivant du traité de paix appartient à la chambre ; il ne s'agit point ici, à proprement parler, d'interpréter une loi, mais de s'expliquer sur le sens d'une convention. Si donc vous adoptez ce projet de loi, il n'y aura pas de loi nouvelle, il y aura explication et interprétation d'une convention, et on n'enlèvera de droit à qui que ce soit.
Maintenant, messieurs, quelques mots sur le fond ; je tâcherai d'être court.
En 1814, le prince souverain n'étant pas encore roi, mais administrant le pays en vertu du droit de conquête, tenait en mains un pouvoir absolu sur la Belgique ; en cet état, il fit, le 26 septembre 1814, un arrêté motivé en ce qui concerne les pensions. Je ne vous relirai pas cet arrêté ; vous le connaissez ; d'ailleurs, il est rappelé dans le rapport. Mais l'article final, l'article 17 détruit tout ce qu'avaient de rationnel les dispositions précédentes ; on y détruit tout ce qu'on vient d'édicter. Après avoir dit : J'établis une loi de pensions, réglée de telle et telle manière, l'employé qui aura dix ans de services aura droit à une pension de tant ; l'employé qui aura vingt ans de services aura droit à une pension de tant, l'article 17 présente l'absolutisme le plus prononcé : « Néanmoins, dit-il, nous nous réservons de faire tout qu'il nous plaira.» Ainsi, après avoir fait une loi, le pouvoir souverain, dans l'article 17 de cette même loi, se met au-dessus de la loi.
Je le répète, il dit virtuellement : «Je me réserve le droit de faire tout ce qu'il me plaira, non seulement pour des services rendus à l'Etat, mais pour donner des marques particulières de bienveillance, et dans toutes les circonstances où je le trouverai bon. » C'est enfin le règne du bon plaisir.
Cet article 17 est absolument tout ce que pourrait faire l'autocratie. Voici, messieurs, comment est conçu cet article :
« Nous nous réservons des exceptions à ce qui est statué par le présent règlement dans les cas extraordinaires où des services éminents ou d'autres causes pourraient nous engager à donner des marques particulières de notre bienveillance. »
Mais, dans ce moment-là, le prince souverain usait d'une espèce de pouvoir absolu ; il tenait à lui le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Quelque temps après, le prince souverain se déclara roi, et postérieurement la Belgique fut adjointe au royaume de Hollande. Alors on nous imposa la loi fondamentale. Cet arrêté de 1814 a-t-il survécu à l'avènement de cette loi constitutionnelle ? Oui et non ? Il a pu survivre, en tant qu'il était réglementaire des pensions ; mais son article 17, qui aurait laissé au chef de l'Etat un pouvoir absolu, illimité sur les finances de l'Etat, n'a pu survivre ; car il est en opposition formelle avec tous les principes consacrés dans la loi fondamentale. Il est impossible que vous reconnaissiez au roi constitutionnel Guillaume le pouvoir absolu qu'il s'était réservé par l'article 17, quand la loi fondamentale rétrécit le pouvoir souverain et ne permit aucune distraction du trésor de l'Etat qu'au moyen du budget, soumis chaque année aux états généraux.
Donc, si l'arrêté a survécu, au moins la disposition qui était opposée aux principes de la loi fondamentale, avait évidemment cessé. Que serait un pays où le souverain constitutionnel disposerait à sa fantaisie de tout le trésor de l'Etat ?
Il est vrai que, pendant la longue période de 1813 à 1830, le roi a créé grand nombre de ces traitements dont il est question dans le rapport ; que quelquefois ces traitements ont été utiles, mais que quelquefois aussi, ils ont (page 117) présenté de nombreux abus. En définitive, c'était une plaie de l'Etat, car vous vous rappelez combien en 1830 ces espèces d'actes de faveur émanés motu proprio avaient excité de plaintes dans la Belgique. Arrivant les événements de 1830, et la séparation de la Belgique, les conséquences s'en sont placées d'elles-mêmes. Dès lors sont tombées toutes les positions, tels sont les effets des révolutions radicales, lorsqu'une nation se divise, il ne surnage que les droits acquit proprement dits.
Gardons-nous d'envisager, sous le rapport du droit civil, les questions qui résultent de commotions politiques ; mais en droit civil même, on entend, par droit acquis, un droit qui repose sur un titre irrévocable. Je sais qu'on a écrit des volumes sur cette question, mais je crois qu'on peut la réduire aux termes que je viens d'énoncer et qui sont la définition de Merlin. Or, je le demande, vis-à-vis du peuple en armes, lorsque tous les fonctionnaires publics perdent leur position, quand toutes les positions tombent devant la volonté nationale, lorsqu'un peuple se donne une nouvelle constitution, pouvez-vous dire que, pour ces faveurs, qui n'obligeaient à rien les titulaires, il y aurait eu droit acquis, nécessairement susceptible d'être conservé et hors d'atteinte du nouvel état de choses ? Des fonctionnaires de l'ordre administratif, des fonctionnaires de l'ordre judiciaire perdent leur position, ils sont dégagés de leurs engagements, et vous voudriez que certains employés ou anciens employés plus ou moins méritants, qui trouvaient également leur position détruite par la chute du gouvernement et qui étaient ainsi rendus libres, vous voudriez que le nouvel Etat demeurât leur débiteur des faveurs que leur avait accordées le gouvernement déchu ?
Cela répugne à toutes les idées. Là serait une criante injustice, non pas contre ceux qu'avait dotés le précédent gouvernement, mais contre cette masse de fonctionnaires et d'employés, que la révolution avait trouvés à leurs postes.
Il y a plus, ces nouveaux titulaires ont subi réduction de leurs traitements ; tous ont obtenu de nouvelles nominations ou ont été remplacés par des personnes au gré du pouvoir, tandis que les propriétaires de toelagen et autres faveurs dégagées de toute obligation auraient conserve à eux le droit de grever le nouvel Etat, même sans la plus légère réduction des faveurs qui leur avaient été octroyées par le précédent gouvernement. Je pense qu'il ne pouvait pas en être ainsi ; aussi, comme l'a dit l'honorable M. Dumortier, à peine étions-nous constitués, que, dans les lois de budget de 1831 et 1832, il fut question de savoir si on payerait ces espèces de prestations. Je n'irai pas jusqu'à déclarer que j'ai acquis la conviction que la question aurait été résolue négativement, mais il est bien certain que les droits n'ont pas été reconnus. La preuve, c'est que la législature a purement et simplement alloué des subsides pour être distribués administrativement entre les plus nécessiteux. Ne nous y trompons pas, la législature n'a pas accordé des à~compte, mais des secours ; cela est évident ; quand il dépendait du ministre des finances de repartir ces secours selon qu'il le jugeait convenable, ce ne pouvait être à titre d'à-comple. D'ailleurs, jamais la législature ne s'est servie de cette expression, qui eût été une reconnaissance, tandis qu'en accordant la somme à titre de secours, le droit restait entier.
Après avoir établi que les annuités dont on nous demande payement n'étaient pas irrévocables, même sous l'ancien gouvernement ; après avoir établi qu'elles auraient cessé par l'effet même de la révolution ou tout au moins qu'il appartient à cette chambre le pouvoir de rejet qu'avaient les étals généraux, voyons les traités de paix. Ce que vous pouvez voir de plus favorable aux titulaires, ce sont les articles qui portent qu'à l'avenir, quand le traité s'exécutera, on payera les toelagen et autres prestations, suivant la législation du pays, telle qu'elle existait en 1830. Cette expression, à l'avenir, établit une fin de non-recevoir contre les prestations antérieures, elle est exclusive du temps précédent, le traité a ainsi été compris et exécuté. En effet, depuis 1840, vous avez fait les fonds et les payements ont eu lieu. Si vous pouviez douter que telle est la volonté des traités, il suffirait de rapprocher les traités de 1831 et 1839.
Vous verrez que les articles qui concernent ces sortes de prestations, ont été calqués les uns sur les autres. La seule différence, c'est qu'en 1831, époque à laquelle on croyait que le traité aurait pu s'exécuter immédiatement, on avait fixé un plus bref délai, tandis qu'en 1839, époque où l'on était incertain quand le traité pourrait être mis a exécution, on a eu soin de dire : à l'avenir, et en ayant égard à la législation de 1830.
Messieurs, les états généraux, sous le royaume des Pays-Bas, n'auraient-ils pas pu s'opposer à la volonté du roi Guillaume en refusant les subsides ? Evidemment, la législature avait ce droit chaque année ; à plus forte raison l'avons-nous ; et quand dans la Constitution se trouve écrit de la manière la plus positive, qu'aucune pension, aucun traitement ne peut être alloué qu'en vertu d'une loi, il semble, et on ne peut en douter, que ce sont les abus qui ont provoqué ces dispositions. On n'a pas voulu laisser au pouvoir la faculté trop grande. Par une espèce de défiance, que des circonstances peuvent légitimer, on a voulu que pas un denier ne pût sortir du trésor public sans l'approbation des chambres.
Voulez-vous faire, messieurs, une loi politique ? Voulez-vous faire une faveur ? Vous le pouvez ; mais qu'on vienne réclamer à titre de droit, qu'on vienne vous dire : Je suis votre créancier pour ces annuités, c'est un langage que nous ne pouvons admettre. En interprétant sagement les traités internationaux, tout ce que les possesseurs de toelagen pourront dire, le voici : « Nous avons des toelagen, nous prions la chambre de voter des subsides pour les payer. » Les voterez-vous ou ne les voterez-vous pas ? Je vous dirai, messieurs, que dans l'examen que j'ai fait de cette volumineuse affaire (car il y avait 40 à 60 dossiers à examiner), j'ai reconnu qu'il y a des positions qui peuvent mériter des égards particuliers, tandis qu'il en est d'autres qui ne méritent pas de faveurs. Mais, au moment où nous avons à nous occuper, non pas des personnes, mais d'un principe, je pense que le projet de la sec-lion centrale peut mériter la confiance de la chambre.
On nous dira, messieurs, que les tribunaux ont préjugé contre nous. Ici distinguons. On vous a parlé de l'arrêt dans l'affaire des héritiers Coupez. Mais dans cette affaire, qui a été vidée en première instance avant les traités de paix de 1839 et de 1842, qui a été vidée en appel avant ou au moins vers 1839, on posait en fait, et jamais cela n'a été contesté, que le ministère reconnaissait le droit. Cela est écrit en toutes lettres deux ou trois fois dans le jugement.
D'un autre côté, la cour d'appel jugerait-elle encore aujourd'hui comme elle a jugé en 1839 ?
M. Dolez. - Elle l'a fait.
M. Savart-Martel. - C'est possible ; je crois sur parole mon honorable collègue ; je n'ai pas les pièces sous les yeux. Mais les arrêts des cours ne sont pas des jugements passés en force de chose jugée. Ce sont de ces arrêts excellents toujours pour ceux qui les obtiennent. L'opinion de la cour d'appel est certainement d'un grand poids ; mais je ne pense pas que cette opinion, quelque respectable qu'elle soit, puisse être d'une influence telle sur la chambre, que l'on doive s'avouer vaincu.
Vous savez, messieurs, ce qui arrive dans des arrêts. Toutes les opinions peuvent n'être pas du même avis ; il faut en venir à la majorité, et quelquefois un seul suffrage donne gain de cause à une partie qui, sans lui, aurait essuyé la perte de son procès.
J'insiste, messieurs, sur l'observation suivante : Si, comme vous le demande M. le ministre des finances, vous laissez les choses dans le statu quo à cause des douze nouvelles affaires qui ont été introduites, notre position sera cent fois pire que si nous vidions en ce moment la question.
Si la chambre croit que l'arriéré des toelagen est dû, mieux vaudrait-il qu'elle le déclarât en ce moment.
J'ai, messieurs, confiance dans la cour de cassation, aussi bien que M. le ministre des finances. Mais ce ne serait pas la première fois qu'un arrêt de cassation présenterait une différence avec un autre arrêt précédent ; errare humanum est. D'ailleurs, les juges ne sont pas toujours les mêmes. Chacun a son opinion, et comme je le disais tout à l'heure, il faut peu de choses pour faire pencher la balance de la justice des hommes.
En résumé, messieurs, je crois que les toelagen, les wachtgelden, etc., n'ont jamais constitué ce qu'on appelle un droit acquis. Je crois que si les états généraux avaient le droit d'empêcher qu'ils ne fussent payés en refusant les sommes nécessaires au budget, à plus forte raison nous avons ce droit. Je crois que la loi que nous sollicitons de vous n'est pas une loi nouvelle. Je crois qu'il est opportun que la chambre s'explique, si les annuités réclamées sont ou ne sont pas dues, les tribunaux entiers dans leurs droits.
Personne plus que moi, messieurs, n'est porté à respecter les décisions judiciaires. Car presque toute ma vie s'est passée dans l'enceinte des tribunaux, et j'ai dans le personnel judiciaire une grande confiance.
Messieurs, vous savez qu'il existe dans notre Constitution un article qui tout à l'heure a été commenté par l'honorable M. Dumortier (non pas que j'admette entièrement le commentaire), mais cet article établit que le droit politique et le droit civil sont de la compétence des tribunaux. Il est dit aussi dans la Constitution que nul tribunal exceptionnel ne peut être établi en Belgique. Cependant, messieurs, lorsque dans l'exécution du traité de paix, il a été question de répartir les indemnités, de distribuer les sommes qui ont été allouées pour les engagères et autres créances, avez-vous renvoyé aux tribunaux ordinaires ? Pas du tout, vous avez créé une commission spéciale. Et pourquoi ce tribunal ? Comme une conséquence du traité lui-même, qui portait que ces sortes de questions seraient examinées par une commission spéciale, comme il y en avait autrefois pour examiner les droits résultant des traités de Paris. Ceci prouve que vous admettiez dès lors le principe qu'il ne faut pas ranger sur la même ligne leurs droits ordinaires et les conventions diplomatiques.
Le deuxième article de la proposition de la section centrale, n'est en définitive qu'une mise à exécution de ce qu'ordonne la Constitution. Cette loi des lois dit qu'il y a lieu à réviser les pensions. Eh bien ! ce qu'on vous propose par l'article 2 n'est autre chose que la révision de certaines pensions.
On dira : les toelagen ne sont pas des pensions. Messieurs, ils ne méritent pas même d'être traités aussi favorablement que les pensions, puisque celles-ci reposaient sur une loi, tandis que les toelagen sont de véritables faveurs qui ont été accordées nullo jure cogente. Mais si l'on doit réviser la liste des pensions créées en vertu de la loi, à plus forte raison en doit-il être de même à l'égard des autres prestations exigées à la charge du trésor.
Je pense donc, messieurs, que le projet qui vous est soumis par la section centrale mérite toute votre confiance. Je prierai la chambre de me permettre de répondre aux objections qui seraient faites ultérieurement.
- La séance est levée à quatre heures et demie.