(Moniteur belge n°18, du 18 janvier 1842)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
Il est procédé à la composition des sections par la voie du tirage au sort.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’avant-hier dont la rédaction est adoptée.
M. de Renesse fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur Joseph Delerre, préposé des douanes à la résidence de Deschel (province d’Anvers), né en Suisse, demande la naturalisation. »
« Le sieur D.-J..J. Petit, chevalier de l'ordre Léopold, adjudant sous-officier au 1le régiment, né en France, et entré au service de la Belgique, en 1831, demande la naturalisation. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Des habitants de la commune de Lichtervelde (arrondissement de Bruges) adressent des observations sur la circonscription des cantons de la justice de paix de Thourout »
- Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet de loi relatif à la circonscription judiciaire.
« Le conseil communal de Vezin demande à la chambre de fixer à Novelle-les-Bois le siège de la justice de paix du canton d'Huy, de réunir la commune de Vezin à ce canton et de la détacher ainsi du canton de Namur-Nord. »
- Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet de loi de la nouvelle circonscription cantonale. »
Sur la proposition de M. de Garcia, cette pétition est en outre renvoyée à M. le ministre de la justice.
« Le sieur N. J. Watlet, premier lieutenant pensionné à Morlanwelz, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir une augmentation de pension. »
« Le conseil communal de Verviers demande que cette commune soit indemnisée des sommes qu'elle a dû payer par suite de condamnations judiciaires, pour pillage lors de la révolution. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
Sur la proposition de M. Demonceau, la commission est invitée à faire son rapport sur cette pétition avant la discussion du projet de loi sur les indemnités.
« Les commerçants de la ville de Virton demandent que la chambre s'occupe de la discussion du projet de loi relatif au colportage. »
- Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet de loi.
« Le sieur Thomas Duria, ancien militaire estropié, demande l'intervention de la chambre pour obtenir un secours du gouvernement.»
- Sur la proposition de M. Demonceau, renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un rapport avant la discussion de la loi sur les indemnités.
Dépêche de M. le ministre des finances (M. Smits) transmettant des explications sur une requête de plusieurs habitants de Beho, relative aux produits des terres limitrophes.
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Zoude, au nom de la commission chargée de l'examen du projet de loi relatif à la rubannerie et à la passementerie, dépose le rapport sur ce projet de loi.
La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.
M. le président. - La discussion continue sur le projet de loi et les amendement y relatifs.
M. de Garcia. - J'avais proposé un amendement tendant à ajouter un 2e § ainsi conçu :
« « Le dessaisissement aura lieu de plein droit. »
Je crois qu'il serait mieux de faire un paragraphe unique ainsi conçu :
« Le failli est dessaisi de plein droit de l'administration de tous ses biens, à compter du jour du jugement déclaratif de la faillite. »
Je propose ce changement de rédaction.
(Moniteur belge n°19, du 19 janvier 1842) M. Doignon. – J'adopterai le système d'interprétation qui a été présenté en dernier lieu par le gouvernement ; je l'adopterai tel qu'il a été compris dans la séance précédente par les honorables collègues MM. de Behr et Verhaegen. D'après ce système, le dessaisissement doit avoir lieu non seulement du jour du jugement déclaratif de la faillite, mais antérieurement et du jour où il est constant qu'il y a eu cessation de paiements ; et, remarquez-le bien, ce dessaisissement a lieu dans l'intérêt de la masse créancière, qui dès lors a le droit de considérer comme nuls tous les actes qui lui portent préjudice, comme naturellement de maintenir ceux qui seraient à son avantage ; car ne perdons pas de vue que le dessaisissement et les nullités qui en résultent ne sont établis qu'au profit de la généralité des créanciers, et nullement au profit des tiers qui ont pris des engagements envers le failli. .
Lorsqu'il s'agit d'interpréter des lois, comme les conventions, il existe certaines règles. La principale est celle-ci, qu'il faut plutôt rechercher la volonté du législateur que de s'arrêter au sens littéral de la loi : c'est qu'il faut interpréter la loi de la manière que vraisemblablement le législateur a entendu qu'elle le fût.
D'après cela, recherchons ce qu'il a voulu. Pourquoi est-il juste de faire ainsi remonter le dessaisissement au jour de la cessation des paiements ? C'est d'abord par une raison bien simple, selon moi ; c'est qu'il est reconnu que déjà dès ce moment le failli ayant un déficit considérable dans son avoir, et étant beaucoup au-dessous de ses affaires, il ne doit plus lui être permis, dans une telle situation, de faire aucun paiement, parce que, s'il le faisait en faveur de l'un, il le ferait nécessairement au préjudice de l'autre ; c'est que dès ce jour, il y a. par conséquent, une espèce d'interdit sur son avoir, qui , est en quelque sorte séquestré ou dévolu au profit de la masse créancière ; c'est que, puisque, dès ce moment, la raison et l'équité naturelles s'opposent à ce que le failli puisse s'acquitter au profit de l'un au détriment des autres, tous les droits des créanciers sont dès lors fixés et il doit y avoir entre eux égalité, tellement que celui même qui aurait ensuite reçu de bonne foi ne devrait pas moins rapporter à la masse créancière ; car, sans cela, il serait vrai de dire qu'il n'y a plus égalité pour tous. S'il en était autrement, il y aurait privilège et privilège injuste pour la bonne foi ; car, qu'il y ait bonne foi ou non, dès que l'avoir du failli est ainsi réservé pour la généralité, un créancier ne peut plus, sans blesser cette égalité et la justice, prendre pour lui seul ce qui appartient à tous. Comme le plus souvent, la bonne foi dépend de la connaissance qu'on peut avoir de la fâcheuse position du failli, ce privilège reposerait même sur le hasard. Comment ! moi créancier qui ai eu le malheur d'apprendre la situation des affaires de mon débiteur, je serais, à cause de ce hasard, moins bien traité que celui qui l'a ignorée ! Il est impossible d'admettre un tel système ; tous les créanciers sont donc égaux, qu'ils soient de bonne ou de mauvaise foi, parce que, dès qu'il y a cessation de paiements, il y a de ce jour même dévolution des biens du failli à la masse ; c'est par conséquent avec raison et justice qu'on fait remonter la faillite à ce jour-là, avant même le jugement déclaratif et non à dater de ce jugement, comme le prétend la cour de cassation.
Maintenant on me dira : Pourquoi serait-il juste d'annuler généralement les actes faits dans l'intervalle avec les tiers même de bonne foi ? Outre les motifs que je viens d'exposer, c'est encore par une autre raison, qui me paraît claire, c'est que du jour de la cessation générale de paiements, les tiers, aux yeux de la loi, sont présumés avoir eu connaissance du nouvel état du failli, que dès lors ils sont censés avoir su l'incapacité où il était de disposer de ses biens qui étaient dévolus à la masse créancière. Il n'y a donc aucune injustice à annuler les actes passes par les tiers ; puisqu'ils sont réputés avoir connu la position du failli ; et que, s'ils ont été de bonne foi, ils doivent en tout cas s'imputer la faute grave d'avoir traité avec quelqu'un dont ils étaient censés connaître l'incapacité. Ils ont à s'imputer d'avoir traité à une époque suspecte aux yeux de la loi.
On me dira encore : « Où trouvez-vous que les tiers doivent être censés connaître la situation du failli ? du jour de la cessation générale des paiements ? » Cette présomption résulte de la nature même des choses et de ce qui se passe habituellement en ces sortes d'affaires. Ici je rappellerai une autre règle d'interprétation ; on ne doit pas oublier que les lois sont faites non pour les cas particuliers et extraordinaires, mais pour les cas les plus généraux et ordinaires. Or, considérons ce qui a lieu d'ordinaire dans les faillites.
N'arrive-t-il pas ordinairement, et même l'on peut dire toujours, qu'avant même le jugement déclaratif, l'état de détresse, la grande gêne du failli sont connus dans le commerce ! Les négociants, les commerçants qui ont l'habitude de s'enquérir réciproquement de l'état de leurs affaires, parce qu'ils y ont intérêt, ne manquent point ordinairement de savoir que, dès cette époque même, le failli ne peut remplir ses engagements ; plus ou moins de temps avant le jugement déclaratif, son crédit est perdu, ou du moins sérieusement compromis aux yeux du public.
Ses refus de paiement, alors même qu'il n'y a pas eu de protêt, passent et courent de bouche en bouche ; des bruits sinistres circulent et se propagent de plus en plus ; et enfin, avec ce concours de circonstances, la cessation de paiements se présente comme un fait publiquement connu. C'est donc avec raison que, dans de pareilles occurrences, le législateur a dû présumer que les tiers ont connaissance de la nouvelle situation du failli, et que dès ce moment, ils ne sont plus excusables : ils sont censés avoir connu d'avance à quoi ils s'exposaient, et ils ne peuvent reprocher qu’à eux-mêmes les conséquences de leur confiance.
Voilà, selon moi, messieurs, le véritable esprit de la loi. Si l'on ne s'en était pas écarté dans les tribunaux, on n’aurait pas donné lieu à tant de réclamations.
Il paraît qu'ils ont fait remonter la faillite à une époque où il n'y avait réellement pas cessation de paiements. Aussi les tiers ont-ils eu raison de se récrier. Mais, si les tribunaux ont abusé de la loi, la loi n'en est pas responsable. Cependant, il faut aussi considérer que le fait que les tribunaux sont appelés à vérifier n'est pas facile à saisir.
Le législateur, qui ne peut descendre dans les détails, a dû le laisser à leur appréciation ; il a laissé, à cet égard, aux juges consuls toute latitude, et même un pouvoir arbitraire. Mais je dis que si ce pouvoir est arbitraire, la loi l'a voulu ; le législateur a préféré ici l'arbitraire de l'homme à l'arbitraire de la loi, et il est impossible d'échapper à cet arbitraire, aussi longtemps que la loi actuelle subsiste.
Il existe encore une autre règle d'interprétation que j'invoquerai, c'est que bien souvent pour interpréter sainement une loi, on a recours à l'esprit de la jurisprudence et de la législation antérieures. Eh bien, que l’on consulte la jurisprudence et la législation qui ont précédé le code actuel de commerce et l'on verra que, dès qu'il y a cessation de paiements, il y a présomption de publicité vis-à-vis des tiers ; on l'a toujours entendu ainsi. En France, avant le code de commerce, c'est le règlement de 1702 qui était en vigueur. D'après ce règlement : « Toutes cessions et transports sur les biens des marchands qui font faillite ; les actes et obligations qu'ils poseront par-devant notaires au profit de quelques-uns de leurs créanciers ou pour contracter de nouvelles dettes, etc., sont nuls et de nulle valeur, s'ils ne sont faits dix jours au moins avant la faillite publiquement connue. »
Ainsi l'on suppose, comme je l'ai dit, que le public est censé prévenu du mauvais état des affaires du failli. Nous ne voyons nulle part qu'on ait dérogé à cela dans la discussion de l'art. 442. Conséquemment nous devons supposer que les dispositions nouvelles ont été conçues dans le même esprit. S'il n'en a pas été fait mention dans la discussion au conseil d'Etat, cela se conçoit facilement : c'est qu'à cette époque c'était là un point de pratique et de jurisprudence tellement constant qu'on ne pouvait penser qu'il pût s'élever des doutes à cet égard.
L'honorable M. Raikem a fait observer que les mots publiquement connue ne sont pas passés dans le code de commerce.
Mais ils ne pouvaient pas passer, puisqu'il n'en a pas été question ; ils n'ont pas non plus été rejetés ; et ils ne pouvaient pas l'être, puisqu'ils n'ont pas été proposés.
Ainsi, messieurs, il est constant, à mes yeux, que, dès qu'il y a cessation de paiement, il y a présomption que cette cessation est connue des tiers. D'après cela, je pense qu'il serait inutile et dangereux de laisser subsister le mot notoire, que renferme la proposition de la commission. On pourrait interpréter ce mot dans un sens exclusif et égarer de nouveau les tribunaux.
Il peut arriver d'ailleurs, messieurs, qu'il y ait d'autres circonstances imprévues et extraordinaires qui ne permettent pas davantage d’admettre des excuses ou la présomption de bonne foi de la part des tiers.
Je dirai plus : je soutiens que, dans le doute, vous devez décider en faveur du système actuel du gouvernement, et qu'il y a lieu d'étendre plutôt que de restreindre le dessaisissement.
En effet, le dessaisissement, comme je vous l'ai dit, est une mesure tout à fait dans l'intérêt de la masse créancière ; elle est établie en sa faveur. Or certainement, en principe, quand il y a doute, l'intérêt de la généralité doit l'emporter sur l'intérêt de quelques-uns.
Il me semble, messieurs, que vous êtes à même, à présent d'apprécier cet argument qui a été répété à satiété dans cette enceinte et qui a même effrayé jusqu'à un certain point, que notre système aurait cette conséquence, que tout ce qui serait fait avant le jugement déclaratif serait nul.
Je dis, messieurs, que c'est ce que la loi veut en général, et qu'elle doit le vouloir, parce que, du moment qu'il y a cessation de paiements, il y a, au vrai, droit acquis au profit de tous les créanciers relativement à l'avoir du failli ; dès lors séquestre au profit de la masse. Il y a égalité de prétentions, et pour eux tous et pour les tiers ; il y a même présomption qu'ils ont connu sa position, et, par conséquent, il y aurait injustice si l'un, même avec sa bonne foi, pouvait encore recevoir, traiter ou contracter au détriment des autres. je dis qu'il y alors justice de regarder comme nuls les actes même de bonne foi, parce que vous êtes d'ailleurs censé averti par le concours de circonstances qui accompagnent ordinairement la cessation de paiements.
Vous comprenez, messieurs, par ce que je viens de dire, que je ne puis admettre l'amendement de l'honorable M. Dolez. Cet honorable membre voudrait faire exception formelle pour les actes à titre onéreux et de bonne foi. Si ce principe était admis, il en résulterait les conséquences les plus désastreuses pour la masse créancière. La bonne foi se présume toujours ; la mauvaise foi est très difficile à établir.
Il résulterait donc de là que sur la simple allégation de bonne foi, on pourrait dépouiller la masse créancière. Au moment de l'ouverture de la faillite et jusqu'à la vente même du jugement déclaratif, on pourrait faire des actes tels que la masse serait spoliée, ruinée, parce qu'on pourrait toujours alléguer la bonne foi. Mais j'ai démontré que, dans ces circonstances, la bonne foi n'est pas une excuse suffisante.
On a dit encore : mais dans l'intervalle de la cessation de paiement, au jour de la déclaration de la faillite par jugement, où sera l'administration des biens du failli, puisque vous le dessaisissez ?
Mais j'ai déjà implicitement répondu à cette objection. Le failli, au moment même de l'ouverture, est simplement dessaisi, de droit, de l'administration de ses biens. Mais aussi longtemps qu'il n'y a pas jugement qui ait nommé des agents à la faillite, force est de reconnaître que les biens du failli doivent rester entre ses mains, et les créanciers ont, du reste, à s'imputer de le laisser ainsi en possession. Le failli connaissant sa situation, ne doit gérer entre-temps que pour conserver : S'il a fait alors des actes favorables à la masse créancière, ces actes sont maintenus. On n'annulera que ceux qui peuvent porter dommage à la masse. Il n'y a donc pas d'incertitude sur les actes faits dans l'intervalle du jour de l'ouverture de la faillite au jour du jugement déclaratif.
On a argumenté encore de l'art. 494, qui porte que les actions intentées contre le failli sont poursuivies ensuite contre les agents.
Mais il est évident que cet article ne peut s’appliquer qu'au cas où il y a déjà jugement déclaratif de la faillite, car il suppose des agents nommés. Or, les agents ne sont jamais nommés que quand il y a jugement déclaratif, et dans tous les cas, comme cet, article a été établi en faveur de la masse créancière, en aucun cas vous ne pouvez l'interpréter contre elle.
Enfin, quand je considère la nouvelle législation française, je pense qu'elle vient corroborer notre système.
D'après la nouvelle loi française, le dessaisissement a lieu à partir du jugement déclaratif. Mais voyez l'ensemble de la loi : le législateur annule une foule d'actes faits avant le jugement déclaratif.
Ainsi le législateur français entre dans notre système ; il admet également l'incapacité avant cette époque, mais avec cette différence que, comme nous devrions peut-être le faire, si nous adoptions une loi nouvelle, il a décidé les cas où il y avait incapacité présumée du failli, tandis que, d'après notre code, cette incapacité dépend de l'ouverture qui est laissée au jugement des tribunaux.
On a produit beaucoup d'arguments résultant du texte. Quant à moi, je me bornerai à en faire un seul, laissant à mes collègues le soin de présenter les autres.
L'art. 442 dit simplement : « Le failli, à compter du jour de la faillite, est dessaisi de plein droit de l’administration de tous ses biens. » Remarquez cette expression : à compter du jour de la faillite. Si on avait eu l’intention de faire partir le dessaisissement du jour du jugement déclaratif, on aurait dit simplement : du jour du jugement. Mais lorsqu'on dit : à dater du jour de la faillite, il est évident qu'on entend parler d'une époque antérieure, d'un autre jour où la faillite est reportée.
J'espère, messieurs, que la chambre adoptera ce système. Avec le système opposé, il y aurait de bien graves inconvénients, et je prie la chambre d'y réfléchir. Le plus grave, je le répète, c'est qu'avant le jugement déclaratif, on pourrait souvent dépouiller tous les créanciers. Or, c'est l'intérêt de la masse que le législateur est censé avoir eu premièrement en vue en prononçant le dessaisissement. C’est en faveur de cet intérêt qu’il est présumé avoir eu la plus grande sollicitude ; c’est, par conséquent, dans ce sens que nous devons interpréter l’art. 442.
M. Dubus (aîné). - Quoique cette discussion ait été déjà bien longue, cependant, comme j'ai fait partie de la commission sur le rapport de laquelle vous avez à prononcer, je crois devoir motiver brièvement mon vote ; d'autant plus que, lorsque la question a été discutée dans le sein de cette commission, mon opinion n'étant pas encore formée, je m'étais trouvé obligé de m'abstenir ; d'autant plus encore que, si je me décide à me prononcer pour l'amendement qui vous a été proposé par M. le ministre de la justice, cependant il est de mon devoir de faire connaître que je n'admets pas les conséquences que certains honorables membres de cette assemblée font découler de cet amendement.
Ces conséquences très rigoureuses, et, selon moi, très iniques, me paraissent mal déduites, ainsi que je crois pouvoir l'établir.
Nous avons d'abord, messieurs, à examiner quelle est l’espèce qui amène cette question par devant vous et dans quel état les arrêts vous présentent la question.
Il s'agit d'une faillite qui a été déclarée, le 3 avril 1822, mais dont l'ouverture a été fixée au 28 février 1820. Il y a donc, entre le jour auquel est fixée l'ouverture de la faillite et le jour où elle a été prononcée, un intervalle de 25 mois.
Dans cet intervalle, l'un des créanciers qui faisait partie de la masse, qui se trouvait déjà créancier au jour auquel a été fixée l'ouverture de la faillite, a été payé. En effet, la faillite (cela est décidé par un jugement passé en force de chose jugée) s’est ouverte le 28 février 1820 ; et ce créancier, qui était alors créancier, remarquez-le bien, a été payé au mois de décembre 1820, donc postérieurement à l'ouverture de la faillite. Par suite, action contre lui pour l'obliger à rapporter la somme qu'il a reçue ; et c'est sur cette action que sont intervenus les arrêts que nous avons sous les yeux.
Le premier arrêt de la cour de cassation a été favorable en principe à ce créancier, et cela par le motif que le dessaisissement, dont il est parlé dans l'art. 442 du code de commerce, ne rétroagit pas et que, par conséquent, à l'époque à laquelle le paiement a été fait, il a été valablement fait, le failli n'étant pas alors dessaisi.
Ce premier arrêt décidait donc nettement la question de droit.
La cour de Bruxelles, à laquelle l'affaire avait été renvoyée, s'est prononcée, le 4 mars 1836, pour le système contraire sur cette question.
Cet arrêt a été cassé par un nouvel arrêt de la cour de cassation, mais qui ne prononce plus, comme le premier, sur le sens de ces mots de l'art. 442 : du jour de la faillite, et qui laisse en quelque sorte cette question de côté ; voici, en effet, le résumé de l'arrêt dans le dernier considérant :
« Attendu qu'il résulte, de ce qui précède que c’est à tort que la cour d'appel de Bruxelles a attribué au dessaisissement fictif tous les effets d'un dessaisissement réel sans aucun égard à la bonne ou mauvaise foi des tiers… »
Ainsi la cour de cassation paraît reconnaître, cette fois, que le dessaisissement dont s'occupe l'art. 442 rétroagit, comme l'avait jugé la cour de Bruxelles, mais elle pense qu'elle ne rétroagit pas à tous effets, et que, tout rétroactif qu’il est, il permet au juge de prendre en considération la bonne ou mauvaise foi des tiers qui ont contracté avec le failli avant la prononciation du jugement de déclaration de faillite.
J'ai quelque peine à mettre le dernier arrêt en harmonie avec les faits tels qu'ils étaient constatés par l’arrêt de la cour de Bruxelles, car cette cour n'a pas seulement jugé en droit la question dont j'ai parlé tout-à-l'heure, elle a aussi jugé en fait, et voici les faits qu'elle avait constatés :
« Attendu que les parties sont en aveu que les paiements, dont les appelants demandent le rapport à la masse, ont été faits du 30 avril au 30 décembre 1820, et ainsi postérieurement à l'époque qui a été fixée par le tribunal pour l'ouverture de la faillite, et que les obligations auxquelles ces paiements se rapportent ont été contractées antérieurement à cette époque, ce qui rend la position de l'intimé semblable à celle de la généralité des créanciers sans aucun avantage ni désavantage. »
Ainsi, vous voyez qu'en établissant le point de fait, la cour avait décidé que le créancier dont il s'agit n'était point un tiers, mais qu'il faisait partie de la masse des créanciers à l'époque de l'ouverture de la faillite, en février 1820, et que cependant il avait été payé postérieurement à cette ouverture.
Et, d'un autre côté, la cour de cassation suppose que la doctrine admise par l'arrêt de la cour de Bruxelles ne permet point d'avoir égard à la bonne ou à la mauvaise foi des tiers. Selon moi, d'après l'arrêt, il ne s'agissait pas d'un tiers, et dès lors il n'y avait pas lieu à examiner la question de bonne ou de mauvaise foi.
Cela me paraît d'autant plus clair que le même arrêt porte :
« Attendu que l'exception de bonne foi dans le chef de celui qui reçoit postérieurement à l'ouverture de la faillite le paiement d'une dette contractée avant cette ouverture, ne peut être accueillie : par la faillite toutes les dettes deviennent exigibles ; par la faillite tous les créanciers acquièrent un droit égal à la distribution par contribution de l'avoir du failli, à moins qu'il n'y ait entre eux des causes légitimes de préférence ; et il est évident que la simple bonne foi du créancier qui reçoit ne peut lui donner un privilège… »
Comme vous pouvez le remarquer, messieurs, l'arrêt appuie encore ici sur la circonstance qu'il s'agit d'une créance qui existait déjà au moment de l'ouverture de la faillite. Il s'agit donc d'une partie et non pas d'un tiers.
La question, messieurs, telle que nous la présentent les faits constatés par l'arrêt en question, est donc celle de savoir si, alors qu'une faillite s'est ouverte au mois de février 1820, et que par suite les droits de tous créanciers ont été alors fixés de manière à ce qu'aucun d'eux ne puisse postérieurement acquérir un avantage sur les autres, si, dans ce cas, celui des créanciers qui aurait été payé postérieurement à l'ouverture de la faillite devrait rapporter à la masse le montant du paiement qu'il aurait reçu.
Cette question, messieurs, me paraît extrêmement simple, mais il n'en est pas de même de celle de savoir si un tiers qui, pendant le temps qui s'est écoulé entre le jour de l'ouverture de la faillite et celui du jugement déclaratif, aurait contracté de bonne foi, avec le failli laissé à la tête ses affaires par les créanciers, si ce tiers devrait être victime de sa bonne foi. Celle. question est beaucoup plus grave, plus difficile à résoudre, et je ne partage pas l'opinion de plusieurs honorables membres qui croient que le système de la cour d'appel de Bruxelles entraîne pour conséquence la nullité radicale, absolue, de tous les actes du failli sans exception, tellement qu'il ne serait pas permis d'avoir égard à la bonne foi du tiers dont j’ai parlé. Je professe une opinion tout à fait contraire.
Je ne reviendrai pas sur tous les arguments que l'on a fait valoir pour faire interpréter dans l'un ou l'autre sens l'art. 442 du code de commerce. Je dirai seulement qu'après avoir bien examiné la question, la main sur la conscience, cet article me paraît clair. C'est parce que je le trouve clair que je ne puis me décider à l'interpréter dans un sens contraire à son texte, dans le cas même où l'on prouverait que ce sens-là est le plus équitable.
Il est évident pour moi, que ces mots de l'art. 442 : « à compter du jour de la faillite » signifient : « à compter du jour de l'ouverture de la faillite » et non pas : « à compter du jour de la prononciation du jugement qui déclare la faillite. » De la combinaison des articles 437, 440, 441 et 442 du code de commerce, il résulte évidemment que le jour de la faillite est un jour préexistant au jour de la déclaration de la faillite.
De là, il suit que, par l'effet de l'art. 442, c'est du jour de l'ouverture de la faillite que les droits de tous les créanciers sont fixés, que c'est à compter de ce jour-là qu'aucun d'eux ne peut dorénavant acquérir légitimement un avantage sur les autres, que si le failli fait à l'un d'eux après cette époque des avantages sur les autres, par un paiement partiel ou total, il y a lieu de faire rapporter les sommes reçues à la masse.
Mais, remarquez-le bien, messieurs, si vous ne donnez pas ce sens à l'art. 442, alors il sera vrai de dire que le failli est resté maître de disposer de son avoir, maître de payer un de ses créanciers sans payer les autres, et on ne serait aucunement fondé, dans ce système, à dire qu'un pareil paiement a été fait en fraude des droits des autres créanciers.
En vain a-t-on invoqué à cet égard l'art. 447, qui porte :
« Tous actes ou paiements faits en fraude des créanciers sont nuls. »
Cet article décide bien que tout paiement fait en fraude des droits des créanciers, est nul ; mais, pour appliquer cette nullité, il faut commencer par prouver que le paiement a été fait en fraude des droits des créanciers. Or, pour cela il faut établir que celui qui a reçu le paiement n'avait pas le droit de le recevoir, à moins qu'on payât aussi les autres créanciers, et, à cet effet, il faut faire rétroagir le dessaisissement. Il faut décider qu'au jour de l'ouverture de la faillite, tous les droits des créanciers ont été fixés. Sinon, cela me paraît de toute évidence, celui qui a été payé aura reçu le prix légitime de sa vigilance ; il n'aura pas fait un acte dont on aurait le droit de se plaindre, un acte que l'on puisse flétrir en le qualifiant de frauduleux, il aura fait un acte légitime. Pour que cet acte soit frauduleux, il faut, je le répète, que le failli soit dessaisi à dater du jour de l'ouverture de la faillite.
Dans le système du premier arrêt de la cour de cassation et du premier projet du gouvernement, la situation du failli, d'une part et des créanciers, de l'autre, dans l'intervalle qui sépare l'ouverture de la faillite du jugement déclaratif, n'est que la prolongation de la position où ils se trouvaient pendant les 10 jours qui ont précédé l'ouverture de la faillite ; cela est, je pense, avoué par tous les partisans de ce système, ; or l'art. 447 est immédiatement précédé d'un autre article, l'art, 446, qui porte :
« Toutes sommes payées dans les dix jours qui précèdent l'ouverture de la faillite, pour dettes commerciales non échues, sont rapportées. »
Mais, alors que le législateur ne fait rapporter que les sommes payées du chef de dettes commerciales non échues, il reconnaît formellement que s'il s'agît d'une dette échue, elle a été payée légitimement, valablement, et que dans ce cas il n'y a pas lieu à rapport.
Ainsi, messieurs, un point doit être tenu comme certain : si l'on adopte le premier projet du gouvernement ; alors, dans l'intervalle qui sépare le jour de l'ouverture de la faillite du jugement déclaratif, le failli pourra payer tel créancier qu'il voudra sans qu'il en résulte pour les autres créanciers une action tendant à faire rapporter le paiement à la masse. Il en résultera ultérieurement que vous verrez toujours la masse dépouillée au profit de quelques créanciers adroits ou vigilant, il en résultera qu'en général les créanciers qui demeurent sur les lieux seront payés, tandis que les créanciers éloignés perdront toute leur créance. Ce serait là, messieurs, une conséquence inique, mais une conséquence inévitable, selon moi, un système du projet proposé par le gouvernement.
Pour en venir maintenant à la question des inconvénients que présente l'autre système, ces inconvénients on les a fait ressortir d'une entente de la loi qui n'est pas la mienne. J'ai parlé tout à l'heure de ceux qui sont parties dans la faillite, c'est-à-dire, d'une part par le failli et d’autre part ceux qui forment la masse, qui étaient créanciers au moment de l'ouverture de la faillite. Mais il est arrivé maintes fois qu’il s’est écoulé un intervalle assez long entre l'ouverture de la faillite et le jugement déclaratif ; que dans cet intervalle le failli, laissé à la tête de ses affaires, fait des actes avec des tiers de bonne foi ; or, plusieurs honorables membres pensent que si vous entendez l’art. 442 dans le sens du projet actuel du gouvernement, tous ces actes seront frappés de nullité radicale, et qu'il ne sera pas permis d'avoir égard à la bonne ou à la mauvaise foi des tiers qui auront ainsi contractés. C'est là, messieurs, une conséquence, je l’ai déjà dit plusieurs fois, que je ne puis admettre. Ce serait faire dire à la loi ce qu'elle ne dit pas.
L’art. 442 fait rétroagir le dessaisissement ; mais remarquez, messieurs, qu’aucun article du code n'a déterminé les conséquences de ce dessaisissement. Le législateur a abandonné l'application de cette disposition aux tribunaux, et je ne sais où l'on trouverait une disposition quelconque qui défendît aux tribunaux d'avoir égard à la circonstance qu'il s'agit de l'intérêt de tiers et à cette autre circonstance, toute puissante que les tiers intéressés sont de bonne foi.
Est-il vrai que toutes les fois qu'un individu fait un acte qu'il n’avait pas le droit de faire, les tiers de bonne foi doivent nécessairement être dépouillés ? Est-ce que la jurisprudence des tribunaux ne réclame pas contre un pareil système, par une foule de monuments ?
Je citerai un cas qui a quelque analogie, uniquement pour faire voir que la bonne foi est quelquefois un motif pour faire valider des actes qui, sans cette bonne foi, seraient nuls.
Je suppose qu’il s'agisse d'actes gérés par un héritier putatif. Certainement cet héritier putatif n'a pas été saisi par la loi des biens, droits et actions de la succession. Le véritable héritier est peut-être un individu dont l'existence est ignorée, un absent ; cet héritier, tout absent qu’il est, quoiqu'il ignore qu'une succession est ouverte à son profit, en est saisi par la seule force de la loi, et celui qui se présente à son défaut, quoiqu'aux yeux de tous il paraisse le véritable héritier, n’a aucun droit à la succession. Cependant, il gère une foule d’actes, des actes d'administration, des actes d'aliénation. Ces actes intéressent une foule de tiers. Ces tiers sont de bonne foi. Si vous raisonnez, comme on a raisonné dans l'espèce actuelle, il faudra que tous ces actes soient annulés, et il sera du devoir des tribunaux de les annuler.
Or, consultons les auteurs, interrogeons la jurisprudence.
D’abord quant aux actes d'administration, tout le monde est d’accord qu’ils doivent être déclarés valides. Et cependant, en principe, ils sont nuls, à défaut de pouvoir, à défaut de titre, dans celui qui les a gérés ; c’est en prenant en considération la bonne foi des tiers qu’on les déclare valides sans hésiter.
Quant aux actes d’aliénation, ceux-là ont donné lieu une à controverse qui a quelque célébrité. Mais il existe un grand nombre d’arrêts (et je pourrais dire que c'est le plus grand nombre) qui déclarent la validité même des actes d'aliénation.
Je vous en prie de comparer cette espèce avec la nôtre ; on déclare valable ces actes, au préjudice du véritable héritier qui ne savait peut-être même qu’une succession fût ouverte à son profit, et ici, dans l’espèce, on déclarerait les actes nuls, et cela au profit de créanciers de qui il a dépendu d’éviter cet état de choses, puisqu'ils pouvaient faire déclarer la faillite ; au profit de créanciers qui ne peuvent dire qu’il ignoraient l’état de faillite, car j'admettrai bien, si l’on veut, qu’un créancier, dans le nombre, a pu l'ignorer, mais la masse dont les créances sont en souffrance sait bien qu'il y a état de faillite. Eh bien, cette masse demeure impassible, elle demeure dans l’inaction ; elle est cause, par cette inaction, que des tiers sont trompés, et ceux-là profiteraient précisément de cette nullité tandis que l’héritier putatif demeure obligé de respecter des actes qu’il n’a pu, lui, prévenir, mais que protège la bonne foi de ceux au profit de qui ils sont passés.
J’ai fait ce rapprochement, messieurs, pour faire voir qu'il n’est pas exact de faire considérer la circonstance de la bonne ou mauvaise fois des tiers comme étant sans valeur ; qu’il résulte, au contraire, des monuments de la jurisprudence et de l'opinion des meilleurs auteurs, que la bonne foi est un motif souvent très légitime de valider des actes.
Ici, je le répète, les créanciers sont vis-à-vis des tiers de bonne foi dans une position telle qu’ils doivent être déclarés non recevables, car il y a réellement négligence de leur part, négligence à faire prononcer la faillite ; il sont parfaitement informés qu’il y a faillite : c’est à eux à la faire prononcer dans leur intérêt.
Messieurs, on a dit aussi que les auteurs qui font rétroagir le dessaisissement sont d’avis qu’il ne fait avoir aucun égard à la bonne foi ou mauvaise foi des tiers. Cette assertion n’est pas non plus exacte. Le plus accrédité de ces auteurs, M. Pardessus…
M. Demonceau. - Il a changé d’opinion.
M. Dubus (aîné). - Eh bien, alors il y a deux Pardessus (on rit) ; je choisis celui qui me paraît avoir raison contre celui qui me paraît avoir tort, puisque vous dites que maintenant il a changé d’opinion. Au reste, j'ai consulté cet auteur dans une édition qui n'est pas ancienne, elle est de 1833 ; si cet auteur a changé d'opinion, c’est depuis bien peu de temps.
M. Dolez. - Sa dernière opinion est conforme à la vôtre.
M. Dubus (aîné). - M. Pardessus se pose aussi la question de savoir ce qu'on doit prononcer, même en faisant rétroagir, quant aux actes passés de bonne foi entre le failli et des tiers. Il distingue différentes sortes d'actes. Quant aux actes faits et consommés dans l'intervalle et de bonne foi, il n'hésite pas à les déclarer valables. Ainsi, pour les ventes au comptant, passées entre le failli et des tiers de bonne foi, il en proclame sans hésiter la validité. Il trouve plus de doute, lorsqu’il s’agit d'opérations faites à crédit. Il fait remarquer qu'on pourrait prétendre que la masse a le droit de ne pas respecter ces engagements-là, sauf à ces tiers à prouver que la masse s’est enrichie à leurs dépens. Mais immédiatement il ajoute ce qui suit :
« Toutefois, une règle inflexible sur ce point aurait de graves inconvénients. Il est plus conforme à l'équité et à l'intérêt du crédit de laisser aux tribunaux le soin d'apprécier les circonstances et de combiner les précautions prises dans l'intérêt de la masse avec les principes qui veulent que, dans le commerce surtout, les conventions faites de bonne foi soient respectées. »
Ainsi, en dernière analyse, M. Pardessus reconnaît aux tribunaux le droit d’admettre la validité d'actes passés de bonne foi entre le failli et des tiers.
Messieurs, il y a des arrêts rendus dans ce sens. J'en ai rencontré un dans une espèce d'autant plus remarquable qu'il s'agissait d'actes passés par un tiers de bonne foi, lesquels étaient postérieurs non seulement à l'ouverture de la faillite, mais même au jugement déclaratif, mais non encore rendu public. Cette espèce doit nous faire reconnaître que le législateur a agi sagement en ne définissant pas les effets du dessaisissement, et en s'en remettant, quant à l'application, au discernement du juge.
Dans l'espèce de cet arrêt rendu par la cour de Bruxelles en 1822, il s'agissait d'un commissionnaire qui était dépositaire de marchandises appartenant au failli, lequel était dans l'habitude de retirer quotidiennement ses marchandises : c'étaient des eaux-de-vie. Ainsi, presque chaque jour, le failli retirait des eaux-de-vie du magasin du commissionnaire. La faillite fut prononcée, par exemple, le 7 mai ; le jugement ne l'a fait remonter qu'à quelques jours, au 5 mai ; mais le jugement n'a été publié que le 20, et dans l'intervalle du 5 au 20, le dépositaire avait continué à remettre des marchandises au fur et à mesure que le failli les réclamait : il ne s'est arrêté que lorsqu'il a été informé du jugement qui prononçait la faillite.
Voilà quelle était l'espèce.
On a soutenu que cette restitution de marchandises faites à un homme déclaré failli par jugement, était fait à un incapable, et que, par conséquent, il y avait obligation pour le dépositaire de payer une seconde fois, c'est-à-dire de restituer à la masse la valeur des objets qu'il avait indûment remis au failli.
Eh bien, la cour de Bruxelles a constaté que cet homme avait été de bonne foi, qu'il avait ignoré le jugement qui prononçait la faillite, et par suite elle a débouté les syndics de leur action.
Ainsi, les tribunaux ont été jusqu'à admettre l'exception de bonne foi, alors même que le jugement déclaratif de la faillite était rendu.
On s'est pourvu en cassation contre l'arrêt que je viens de citer, mais le pourvoi a été rejeté.
Je pense donc, messieurs, que, si vous admettez que l'art. 442 ait le sens que lui donne la proposition actuelle du gouvernement, vous ne pouvez pas en conclure que le résultat sera que les tribunaux devront annuler tous les actes faits avec des tiers sans égard à la bonne foi ou à la mauvaise foi de ces tiers. Je pense, au contraire, qu'il est du devoir des tribunaux de prendre en considération la bonne foi des tiers et de l'envisager comme un moyen de légitimer l'acte.
Une autre conséquence inique qu'on a présentée, comme découlant de cette entente de l'art. 442, c'est la nullité qui en résulterait, dit-on, pour toutes les procédures qui auraient été intentées contre le failli dans ce même intervalle, et cela sur le fondement de l'article 494 du code de commerce.
Et vous remarquerez qu'il y aurait là un inconvénient extrêmement grave.
L'on a réussi médiocrement à effacer cette gravité, en disant qu'il résulterait bien de là que celui qui avait poursuivi, ne pouvait pas poursuivre, mais qu'il n'y avait pas prescription a son préjudice, d'après le principe : contra non valentem agere non currit prœscriptio.
Remarquez qu'il y a une foule d'actions de diverses natures qui ont dû être intentées et qui le sont contre le failli resté à la tête de ses affaires. Il y aurait souvent très grand dommage pour la partie qui a intenté ces actions, et même pour des tiers, que les poursuites fussent déclarées nulles. Ainsi le failli, dont la faillite n'est pas déclarée, est appelé par la loi à une succession, c'est lui que l'on actionne et que l'on doit actionner en partage ; ses cohéritiers, connussent-ils son état, ne pourraient faire prononcer sa faillite. Le partage s'opère, dans le sens de ceux qui entendent de la manière rigoureuse que je viens d'exposer l'art. 494, l'action en partage et le partage lui-même seraient radicalement nuls. Je vais plus loin ; un immeuble a été reconnu impartageable, une licitation a lieu ; eh bien, elle serait nulle aussi, il faudra une licitation nouvelle et recommencer toute la procédure qui l'aurait amenée.
Je suppose un créancier pour cause non commerciale et qui a un privilège, une hypothèque sur les immeubles du négociant. Il n'est pas payé ; il ne peut provoquer la faillite, parce que sa créance n'est pas commerciale. Il poursuit l'expropriation. Contre qui la poursuit-il ? Contre le failli resté à la tête de ses affaires. Cette expropriation entraîne des frais énormes. L'expropriation et toutes les poursuites seraient radicalement nulles.
Des tiers ont à intenter une action contre le failli. Cette action est sur le point de se prescrire. Il faut l'intenter avant l'échéance du délai fatal après lequel il y a prescription. Mais, dit-on, la prescription ne court pas contre celui qui n'a pu agir. Cela est vrai ; mais ce délai reprendra son cours à partir du jugement déclaratif de la faillite. Il ne pouvait intenter son action contre le failli, quand il l'a intentée ; et s'il ne lui restait alors, par exemple, qu'un jour, il faut qu'il soit informé immédiatement de la prononciation du jugement pour profiter du jour qui lui reste.
Le plus souvent il n'eu sera pas informé et la prescription se trouvera accomplie. Je parle ici de prescription et ce cas sera fréquent ; presque toujours il y aura un grand nombre d'actions intentées contre un failli dont la faillite n'est pas déclarée, parce qu'il a un grand nombre de billets en circulation, et que, s'il en est sur le dos desquels il a mis sa signature qui ne sont pas payés, on s'empresse de les lui notifier et de l'assigner dans la quinzaine, attendu que cette quinzaine passée, il y a déchéance. On ne s'abstiendra pas de faire cette notification, parce que la peine de déchéance vient frapper celui qui néglige de la faire.
Eh bien, toutes ces poursuites seraient déclarées frustratoires et nulles. Véritablement ce serait là un système étrange. Il faudrait qu'il fût bien évident que le législateur l'a voulu, pour dire : Oui, il l'a voulu. Mais quand on lit l'art. 494, on le trouve conçu dans un tout autre esprit. Voyez d'abord où cet article est placé, tandis que l'art. 442 est un des premiers du titre. L'art. 494 est placé après que le législateur s'est occupé de la déclaration de la faillite, de la nomination des agents et des syndics et alors qu'il traite de l'administration de ces agents et de ces syndics. C'est alors que vient l'art. 494 ainsi conçu :
« A compter de l'entrée en fonctions des agents et ensuite des syndics, toute action civile intentée avant la faillite contre la personne et les biens mobiliers du failli, par un créancier privé, ne pourra être suivie que contre les agents et les syndics. »
Ainsi la première disposition de cet article suppose non seulement qu'il y a des agents et des syndics, mais qu'ils sont déjà entrés en fonctions.
Que résulte-t-il d'abord de cette première disposition ? C'est que l'obligation de suivre, contre les agents et les syndics n'existe qu'à compter de leur entrée en fonctions. Donc jusqu'à cette entrée en fonctions, on a pu suivre les actions contre le failli que vous prétendez incapable. Voilà un texte qui prouve que des actions peuvent être suivies contre le failli, même après la déclaration de faillite et cela jusqu'après l'entrée en fonctions des agents et syndics. Voilà une première disposition dont vous ne pouvez pas méconnaître la portée.
Après cette première disposition, en vient une autre ainsi conçue : « Et toute action qui serait intentée après la faillite ne pourra l'être que contre les agents et les syndics. »
Mais, si vous rapprochez cette seconde disposition de la première, si vous remarquez, en outre, que le sens en est limité par les mots : que contre les agents et les syndics, ce qui suppose l'existence des agents et syndics, la conséquence à en tirer, c'est qu'il n'y a obligation d'intenter les actions contre les agents et les syndics qui quand il y a des agents et des syndics. Mais quand il n'y a ni agents, ni syndics, c'est contre le failli que les actions doivent être intentées.
Tel me paraît être le sens de l'art. 494, tel qu'il est rédigé, et ce sens me paraît conforme à son esprit.
J'ai fait voir les inconvénients graves attachés à une autre entente de cet article. Raisonnant maintenant d'après les motifs présumés du législateur, je demanderai dans quel intérêt on aurait déclaré le failli incapable d'ester en jugement, alors qu'il n'y a personne pour le représenter. Ce ne peut être dans son intérêt ; car il a intérêt à être représenté. Ce ne peut pas être non plus dans l'intérêt de la masse. Je ne vois pas comment l'intérêt de la masse peut demander que le failli ne soit pas représenté en justice, dans cet intervalle, ni comment l'intérêt de la masse pourrait prévaloir contre celui des tiers qui ont des actions à intenter et dont les droits seraient paralysés. La masse a un moyen de faire nommer des agents, c'est de faire déclarer la faillite ; quand elle ne le fait pas, elle consent à ce que les actions soient intentées par le failli. Il faut excepter les cas de fraude et de collusion. Cela est de droit et résulte d'un article formel de la loi. Si un jugement est surpris par collusion au préjudice des créanciers, alors qu'il y a indice de fraude, on peut revenir sur ce jugement. Mais hors cela, d'après l'art. 494 il n'y a obligation d'intenter les actions contre les agents et syndics et interdiction d'en intenter contre le failli, que quand il y a déclaration de faillite et quand il y a des agents et syndics en fonctions.
Ces considérations me paraissent propres à écarter les graves inconvénients que l'on a prétendu résulter du sens que je donne à l'art. 442. En conséquence, je me prononcerai pour l'amendement de M. le ministre de la justice.
(Moniteur belge n°18, du 18 janvier 1842) M. de Behr, rapporteur. - Messieurs, l'amendement qui vous a été présenté par M. le ministre de la justice, n'est en réalité que celui adopté par la commission.
Il y a entre l'un et l'autre amendement une simple nuance. Elle consiste dans l’addition du mot notoire, proposée par la commission. En proposant cette addition, la commission n'a eu pour but que d'appeler l'attention des magistrats sur les circonstances dont la réunion est nécessaire pour fixer l'ouverture de la faillite. S'il est bien entendu que c'est d'après ces circonstances que l'ouverture de la faillite doit être fixée, la commission n'a plus de motif pour persister dans son addition. En conséquence, elle vient déclarer, par mon organe, qu'elle se rallie au projet du gouvernement, toujours en persistant dans l'opinion que la cessation de paiements ne doit se fixer qu'à l'époque où il existe un nombre d'actes patents suffisants pour caractériser la situation réelle du débiteur déclaré en faillite.
M. Orts. - D'après l'explication que vient de donner M. le rapporteur, puisque la commission renonce à l'addition du mot notoire, je n'ai plus rien à dire sur cet amendement. Je me bornerai à motiver mon opinion en deux mots. Deux systèmes que je n’adopte pas sont en présence. Le premier est celui de M. Ernst, qui veut faire partie le dessaisissement à compter seulement du jugement déclaratif de la faillite. Ce système, je le repousse par un impie syllogisme dont je puise les deux prémisses dans les articles 437 et 442.
Je me demande : Qu'est-ce que la faillite ? C'est la cessation de paiement. Or, l'article 442 dit : Le failli, à compter du jour de la faillite, est dessaisi ; donc il est dessaisi à partir du jour de la cessation de paiement. Cela parait tellement clair, rationnel, qu'il n'y a pas moyen d'équivoquer.
Je me garderai bien d'entrer dans le détail de tous les arguments présentés pour appuyer le système du premier arrêt de la cour de cassation. Je me garderai également de dérouler le tableau des inconvénients que peuvent présenter l'un et l'autre système, mais je demanderai : Que doit-on faire quand on a à se prononcer sur une loi interprétative ? Reporter son attention à l'époque où la loi interprétative a été portée. Or, qu'a voulu le législateur de 1807 ? Le législateur de 1807 a-t-il pu se rendre compte des inconvénients que présentent les deux systèmes produits devant vous ? Non ; car c'est un ordre de choses qu'il ne pouvait prévoir ; ces inconvénients, vous-mêmes le dites, ne se sont révélés que par l'expérience. Le législateur de 1807 a formulé sa pensée ; il nous a donné un système complet ; il a été si éloigné de prendre pour point de départ qu'il n'en a pas dit un mot ; il dit la faillite. La faillite est la cessation de paiements ; le dessaisissement remonte donc à la cessation de paiement, puisque faillite et dessaisissement ne sont qu'une même chose.
Je reviens au système du second arrêt, système qui a été présenté comme amendement par l'honorable M. de Garcia. Ce système, il m'est impossible de l'adopter et cela par un raisonnement tout logique. Dans le système de la cour de cassation, il ne s'agit plus de rechercher si c'est du jour de l'ouverture de la faillite ou du jour du jugement déclaratif que date le dessaisissement. La cour de cassation, par son second arrêt, s'est fait justice à elle-même.
Par son premier arrêt, cette cour avait décidé que le dessaisissement datait du jugement déclaratif. Elle a reconnu qu'il pouvait y avoir report ; mais reculant devant les conséquences de son système, elle a voulu scruter les effets du dessaisissement et elle a établi un double dessaisissement ; or, l'art. 442 porte que le failli est dessaisi à compter du jour de la faillite. Ici j'invoque un principe de droit universellement reconnu, c'est que, lorsqu'un mot est employé dans son sens générique, lorsque la loi ne distingue pas, qu'elle ne fait pas l'exception, ce mot n'est pas susceptible d'une double interprétation.
La cour de cassation, dans son second arrêt, sur lequel est basé la proposition de l'honorable M. Dolez, admet un dessaisissement fictif et un dessaisissement réel. Pour étayer ce système, on explique ce que c'était que l'action Paulienne. On suppose que le législateur de 1807, faisant un code de commerce pour des commerçants, aurait voulu rétablir le système si difficile des fictions. Non, telle n'a pu être l'intention du législateur de 1807, nous en trouvons la preuve dans le code de commerce. Quand il a voulu distinguer, il s'en est expliqué positivement. Ainsi dans l'art. 445 il dit :
« Art. 445. Tous actes ou engagements pour fait de commerce ; contractés par le débiteur dans les dix jours qui précèdent l'ouverture de la faillite, sont présumés frauduleux quant au failli ; ils sont nuls lorsqu'il est prouvé qu'il y a fraude de la part des autres contractants. »
Ici le législateur distingue ; mais on ne trouve pas dans l'art. 442 cette distinction entre le dessaisissement fictif ou le dessaisissement réel, on ne doit donc pas l'établir. Voilà ce que j'avais à dire pour donner les motifs de mon vote sans prolonger cette discussion déjà longue, sans chercher à ajouter de nouvelles lumières à celle qui ont jailli des discours des honorables préopinants.
Je me proposais de démontrer l'inutilité du mot notoire. Je n'ai rien à dire sur ce point, puisque la commission a retiré cet amendement. .
M. Dolez. - Les observations présentées par l'honorable M. Dubus me paraissent de nature à concilier à peu près toutes les opinions. Si donc elles sont consignées dans la loi, je m'y rallierai volontiers. C'est dans ce but que je proposerai un amendement résultant des observations si justes et si sages de l'honorable M. Dubus, et qui, avertirait les tribunaux que la chambre ne veut ni l'une ni l'autre des opinions extrêmes qui ont été exprimées dans cette discussion ; cet amendement consisterait à ajouter au paragraphe du dernier projet du gouvernement un paragraphe additionnel ainsi conçu :
« Néanmoins ce dessaisissement n'entraîne pas, d'une manière absolue, la nullité des actes à titre onéreux et non constitutifs de privilèges ou hypothèques, passés par des tiers de bonne foi, avant le jugement déclaratif de la faillite, cette question restant abandonnée à l'appréciation des tribunaux. »
M. le ministre de la justice (M. Van Volxem) déclare se rallier à cet amendement.
M. Jonet. - J'avais l'intention de répondre à MM. Raikem et Demonceau ; mais après les observations de M. Dubus (aîné), je crois pouvoir renoncer à la parole.
M. Raikem. - Les lois, dit le législateur romain, sont faites pour les choses, et non pour les mots. La disposition telle qu'elle avait été proposée en premier lieu et la disposition telle qu'elle est formulée maintenant, avec l'amendement de M. le ministre de la justice, différentes par la forme, reviennent, quant au fond, absolument au même. Pour une dispute de mots, je m'abstiendrai de prendre la parole.
M. Demonceau. - Je crois qu'on ne peut rien dire de plus fort que ce qu'a dit l'honorable M. Dubus pour prouver que les cours qui ont adopté l'interprétation que nous avons combattue se sont gravement trompés. Je n'ai rien à ajouter, tout amendement qui résumera son système obtiendra mon assentiment.
M. Lange. - Toutes propositions tendantes à modifier la loi, même à la rendre meilleure, doivent, pour le moment, être écartées ; nous ne sommes pas appelés à faire une loi nouvelle, mais à interpréter la loi existante. Deux systèmes restent donc seuls debout : celui de la cour de cassation, d'après lequel il n'y a dessaisissement de plein droit qu'autant qu'il y a déclaration de la faillite ; et celui des cours d'appel de Liége et Bruxelles, d'après lequel il y a dessaisissement de plein droit à dater du jour de l'ouverture de la faillite, c'est-à-dire à compter du jour où les tribunaux fixent l'ouverture de la faillite.
Les partisans des cours d'appel, dans des discours remarquables, appuyés d'arrêts et d'autorités, prétendent qu'il n'y a aucun doute sur l'interprétation à donner à l'art. 442 du code de commerce.
Les défenseurs de la cour de cassation, dans des discours non moins remarquables, appuyés aussi d'arrêts et d'autorités, soutiennent, eux, qu'il ne peut y avoir le moindre doute sur l'interprétation à, donner à ce même article 442. Ainsi, pour les uns comme pour les autres, point de doute. Eh bien, messieurs, de cette divergence d'opinions, l'une et l'autre positives, pour moi naît le doute, le doute légal ; et du moment qu'il y a doute légal, nous pouvons interpréter l'article 442 dans le sens de l'un ou l'autre des deux systèmes.
Dès lors, messieurs, mon choix n'est plus douteux : je me prononce pour l'interprétation qui, selon moi, doit jeter le moins de perturbation dans le commerce, en votant pour le système professé par la cour de cassation, en d'autres termes, pour le système du gouvernement.
- La discussion est close.
M. le président. - La chambre veut-elle que je mette d'abord aux voix l'amendement de M. le ministre avec le paragraphe additionnel de M. Dolez ?
M. Dumont. - Je demande la division.
M. Fleussu. - Je demande le renvoi de l'amendement de M. Dolez à la commission. La matière est très grave, et on ne peut juger de la portée d'un amendement à sa simple lecture. Je crois que la proposition de M. Dolez, à laquelle je souscris dès maintenant, pourrait présenter des inconvénients, qu'on ne peut apercevoir tout de suite.
Plusieurs voix. – Il y aura un second vote.
M. Fleussu. - S'il y a un second vote, je demanderai si on pourra présenter un amendement à l'amendement ? (Oui ! oui !)
M. le président. - Oui, s'il est la conséquence de l'amendement adopté.
M. Dolez. - Il ne me paraît pas qu'il y ait lieu à voter par division, comme on l'a demandé. Il n'y a à mettre aux voix qu'une proposition complexe qu'on ne peut pas diviser car je ne suis partisan du premier paragraphe de cette proposition que pour autant que le second soit adopté, et il m'est impossible de voter sur le premier, sans savoir si la chambre admettra le second.
M. Dubus (aîné). - Je crois que, puisque la division est demandée, on ne peut se dispenser de voter par division. Mais les craintes de l'honorable préopinant ne sont pas fondées ; car, après avoir voté par paragraphes, il faudra voter sur l'ensemble de l'article, et si la seconde partie n'était pas adoptée, on pourrait rejeter l'ensemble.
M. Cools. - Il me semble qu'il y aurait une autre manière de procéder. Il n'y a plus que deux systèmes en présence : le système de la cour de cassation, et le système de M. le ministre amendé par l'honorable M. Dolez. Si on commençait par voter sur l'amendement de l'honorable M. de Garcia, qui est le système de la cour de cassation, il n’y aurait plus de doute. Car personne ne veut de l'adoption de la proposition du gouvernement sans l'adoption de l'amendement de M. Dolez, puisque M. le ministre s'est rallié à ce dernier amendement.
M. de Garcia. - Je retire mon amendement, pour me rallier à la proposition de M. le ministre, amendée par M. Dolez.
M. Raikem. - J'ai encore une observation à ajouter à ce que vient de dire l'honorable préopinant. On dit que la première proposition du gouvernement formulait la jurisprudence de la cour de cassation. Mais il n'en est pas tout-à-fait ainsi, si on s'en tient au dernier arrêt de cette cour ; car c'est la proposition que vient de présenter M. Dolez, qui est conforme au dernier arrêt de la cour suprême.
M. Dumont. - J'ai demandé la division, parce qu'il me paraît que le projet du gouvernement amendé par M. Dolez, contient deux dispositions. Il s'agit d'une loi interprétative. La première proposition lève réellement ce doute, c'est là la loi interprétative. Quant à l'amendement de M. Dolez, il n'y a pas lieu à interpréter ce point ; ce point n'a pas mis les cours en opposition, au moins je ne le crois pas.
Si la loi interprétative peut porter sur ce point comme sur l'autre, j'adopte la manière dont MM. Dubus et Dolez entendent la loi, parce que cette manière me paraît la bonne. Mais si j'ai demandé la division, c'est parce que j'ai cru que l'amendement de M. Dolez ne venait pas à propos, vu qu'il n'y avait pas dissentiment sur ce point.
M. Dubus (aîné). - Je serais de l'avis de l'honorable préopinant, si nous n'avions devant nous que le premier arrêt de la cour de cassation et l'arrêt de la cour de Bruxelles. Mais c'est le dernier arrêt de la cour de cassation qui nous a saisi de la question ; nous ne trouvons donc en faire abstraction. Or, la question, s'il faut avoir égard à la bonne ou à la mauvaise foi, est posée dans cet arrêt ; de sorte que nous n'aurions accompli qu'imparfaitement notre tâche, si nous laissions cette question indécise.
M. Dumont. - La cour de cassation a dit qu'on pouvait avoir égard à la bonne foi, mais ni la cour de Bruxelles, ni celle de Liége, n'ont dit le contraire. Il n'y a donc pas dissentiment sur ce point.
M. Demonceau. - L'honorable M. Dumont confond les époques des dates. M. Dubus vient de citer un arrêt de la cour de Bruxelles de 1822, tandis que celui déféré à la cour de cassation et cassé par cette cour, date de 1836. Ces citations prouvent, il est vrai, qu'à Bruxelles même il y a eu interprétation dans les deux sens.
En 1836, la cour de Bruxelles était saisie à la suite d'un arrêt de la cour de cassation qui avait cassé l'arrêt rendu par la cour de Liége précédemment.
Il suffit de lire l’arrêt de la cour de Bruxelles (celui de 1836) pour rester convaincu que cette cour a admis le dessaisissement de plein droit ; son dispositif est ainsi conçu : « Met le jugement dont est appel à néant, ordonne aux appelants de prouver que les sommes dont ils demandent le rapport à la masse, ont été payées par les faillis ou avec leurs deniers. »
- Les deux paragraphes composant l'article du projet sont mis aux voix ; ils sont successivement adoptés.
L'ensemble de l'article est adopté.
Il sera procédé au second vote dans la séance de mercredi prochain.
M. le président. - Il n'y a plus rien à l'ordre du jour. Nous sommes saisis d'un projet de loi sur lequel il a été fait rapport samedi et qui est relatif au tarif sur les fils de lin. Je proposerai de le mettre à l'ordre du jour de demain.
Un second rapport sur un projet relatif à la même matière a été déposé dans la séance de ce jour ; il sera imprimé et distribué ce soir. Comme il fait suite au premier rapport sur le tarif des fils de lin, je proposerai de le mettre à la suite de l'ordre du jour.
- Cette proposition est adoptée.
M. Duvivier. - Plusieurs commissions, entre autres celle que j'ai l'honneur de présider et qui s'occupe de l'examen du projet relatif à la pêche nationale, sont saisies de travaux importants. Ne pourrait-on fixer la séance à une heure un peu plus avancée pour laisser plus de temps à ces commissions ?
M. le président. - Je proposerai de n'ouvrir la séance qu'à une heure et demie.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à trois heures.