(Moniteur belge n°322, du 18 novembre 1841)
(Présidence de M. Fallon)
M. Kervyn procède à l’appel nominal à 2 heures.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.
M. Kervyn donne connaissance des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Constantin-Joseph Honoré, sous-lieutenant au 4e régiment d’infanterie, né à Beaurieux (France), demande la naturalisation. »
« Le sieur Pierre-Joseph Lemaire, marchand tailleur, né à Gravelines (France), demande la naturalisation. »
« Le sieur Toussaint-Emmanuel Vanhove, né à Dunkerque (France), habitant Anvers depuis 1805, demande la naturalisation. »
« Le sieur André Angelroth, natif du Hochstaedt en Saxe-Weimar, directeur de l’école communale de musique à Namur, demande la naturalisation. »
- Ces pétitions sont renvoyées à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Louis Vaes, entrepreneur de la fourniture de 10,000,000 de briques pour la fortification de la place de Diest, demande un supplément de prix à celui qui a été déterminé dans le contrat. »
- Sur la proposition de M. Vandenhove cette requête est renvoyée à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.
« Le sieur Jean-Martin Piret, bourgmestre de Mazée, réclame le paiement d’une somme de 32,832 fr. 98 c. qu’il prétend lui être due par cette commune. »
« Le sieur B.J. Decordes, à Bruxelles, demande que le nombre des députés par province soit mis en rapport avec la population de chaque province. »
- Ces deux requêtes sont renvoyées à la commission des pétitions.
« Le sieur Deroubaix, ci-devant maréchaussée à Ninove, réclame le paiement de la part qui lui revient dans les fourrages enlevés en octobre 1830, pour être transportés à Bruxelles. »
- Sur la demande de M. de Villegas, cette requête est renvoyée à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.
« Les administrations d’un grand nombre de communes des cantons de Deguse et de Nevele, demandent qu’il soit pris des mesures contre les inondations de plus en plus fréquentes de la Lys, au moyen d’un canal qui déchargerait les eaux de cette rivière dans le canal de Gand à Bruges.
M. Delehaye – Messieurs, cette pétition se rattache au système général de l’écoulement des eaux des Flandres. Je crois donc qu’il conviendrait de la renvoyer à la commission qui a examiné le projet relatif au canal de Zelzaete. Cette commission n’est plus complète, M. le rapporteur ayant cessé de faire partie de la chambre ; je demanderai qu’elle soit complétée et qu’on lui renvoie la pétition dont on vient de nous présenter l’analyse. Il est à désirer que la chambre puisse s’occuper le plus tôt possible des mesures à prendre pour prévenir les inondations dont une partie de la Flandre a à souffrir, et il convient que la question soulevée par les pétitionnaires soit examinée en même temps que le projet de loi relatif au canal de Zelzaete.
- La proposition de M. Delehaye est adoptée.
« Des boutiquiers du canal de Beauraing demandent des mesures répressives des abus du colportage. »
- Renvoyé au ministre de l’intérieur.
« Les bourgmestres du canton de Gedinne, demandent un embranchement de route partant de Gribelle, route de Bouillon et se dirigeant vers Gespunsart (France).
M. Pirson – Je demande le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics, dont nous allons bientôt discuter le budget. Il s’agit ici d’un embranchement de route de Gédinne vers Mézières et Charleville. Depuis Bouillon jusqu’à Rocroy, il y a une distance de 15 à 20 lieues sans communication directe avec la France.
M. le président – On pourrait renvoyer la pétition à la section centrale qui sera chargée de l’examen du budget des travaux publics.
M. Pirson – C’est cela.
- Cette proposition est adoptée.
Il est donné lecture d’une lettre de M. Dubois, qui s’excuse de ne pouvoir assister à la séance, étant retenu chez lui par une indisposition.
- Pris pour information.
M. Sigart – Je voudrais demander quelques explications à M. le ministre des affaires étrangères, mais comme il n’est pas en ce moment présent à la séance, je me réserve de la faire tout à l’heure lorsqu’il sera arrivé.
M. Delfosse – Messieurs, la lecture attentive du rapport de la commission chargée de la vérification des pouvoirs de M. Cogels, rapport dont je n’avais pu saisir hier que quelques mots, bien que je l’eusse écouté avec la plus grande attention, jusqu’au moment où il me fut démontré que je prenais une peine inutile, à cause de la faiblesse de l’organe et de la prononciation peu distincte de l’honorable rapporteur ; la lecture de ce rapport, dis-je, m’a démontré la vérité de ce que nos honorables collèges, MM. Dumortier et Dubus (aîné), disaient hier, que les questions à résoudre sont extrêmement simples et ne demandent qu’un moment de réflexion.
Certes, si le rapport eût été fait par l’un des deux honorables collègues que je viens de nommer, dont la voix sonore peut facilement parvenir à tous les membres de l'assemblée, on eût pu, tant les questions sont simples, passer à la discussion immédiate ; mais il y avait quelqu’injustice à la proposer, alors que plusieurs membres, dont la sincérité m’était prouvée par ma propre expérience, demandaient un délai suffisant pour examiner un rapport qu’il leur avait été impossible d’entendre ; la chambre (et je lui rends grâce de cet acte d’impartialité), l’a bien senti, puisqu’elle a renvoyé la discussion au lendemain et fixé la séance, non pas à midi, comme l’avait d’abord proposé l’honorable M. Dubus, mais à 2 heures.
J’ai dit, messieurs, que les questions soulevées à l’occasion de l’élection de M. Cogels, sont extrêmement simples. Je serai donc très bref dans l’exposé des motifs de mon vote.
M. Cogels a obtenu 972 suffrages ; le nombre des votants était de 1,942, c’était juste la majorité absolue ; une voix de moins M. Cogels n’était pas élu.
Néanmoins, comme la commission l’a fait observé avec raison, l’annulation d’un seul suffrage n’enlèverait pas la majorité à M. Cogels, ce suffrage devrait être déduit, non seulement du nombre des voix obtenues, mais aussi du nombre des votants, qui se trouverait ainsi n’être plus que de 1841, chiffre dont la moitié serait encore dépassé par les 972 voix laissées à M. Cogels.
Pour que l’admission de M. Cogels ne soit pas prononcée, il faut donc que 2 suffrages au moins soient déclarés nuls. L’annulation de 2 suffrages réduirait le nombre des votants à 1940 ; la majorité serait de 971 et M. Cogels n’en aurait plus que 970.
Les électeurs qui réclament contre l’élection de M. Cogels vous signalent non pas 2 suffrages, mais 7 suffrages qu’ils regardent comme nuls. Voyons ce qu’il y a de fondé dans leur réclamation.
Je mettrai d’abord de côté les causes de nullité auxquelles on pourrait opposer le principe de permanence des listes, adopté par la chambre lorsqu’elle a admis dans son sein l’honorable comte de Mérode. Je n’ai pas partagé l’avis de la majorité, mais tout porte à croire que nos efforts pour la faire changer, en aussi peu de temps, de jurisprudence seraient complètement inutiles. Je dois seulement exprimer ici mon étonnement de ce que M. le ministre de l'intérieur ait toléré une décision de la députation permanente de la province de Liége, diamétralement opposée au principe admis par la chambre, bien que M. le ministre de l'intérieur eût depuis longtemps (cela résulte de son discours) une opinion arrêtée sur ce point. M. le ministre de l'intérieur vous a dit qu’il n’avait pas eu à se prononcer sur la décision de la députation permanente du conseil provincial de Liége, puisqu’il s’était abstenu en ne donnant pas au gouverneur l’ordre de se pourvoir contre cette décision.
Je vous avoue, messieurs, que je ne conçois pas un gouvernement qui s’abstient lorsque la loi est violée. Le premier devoir d’un gouvernement est de réprimer les violations de la loi, de quelque part qu’elles viennent, de donner l’exemple du respect que tous les citoyens, les grands comme les petits, doivent à la loi.
Cette violation de la loi qui existait dans l’opinion du ministre, n’est pas la seule que la députation permanente de Liége ait commise et que le ministre ait tolérée ; il en est une autre, messieurs, beaucoup plus grave, et celle-là, aucune opinion ne peut la nier, que je vous signalerai lorsque le moment sera venu de demander au ministère compte de ses actes.
Je reviens à l’élection de M. Cogels.
Je ne m’arrêterai pas non plus aux deux moyens de nullité qui reposent sur des faits qui, de l’avis unanime de la commission, ont été reconnus contraires aux pièces vérifiées.
Des sept moyens invoqués par les réclamants, trois peuvent seuls donner lieu à une discussion. Un individu est porté sur les listes des votants tenues par l’un des scrutateurs et par le secrétaire, et l’on prouve, par pièces régulières, que cet individu, légalement interdit, est détenu depuis 1835 dans une maison d’insensés à Anvers, d’où il n’est pas sorti depuis cette époque ; les mêmes listes indiquent comme ayant pris part au vote un nommé Victor Paternotre, et il est également prouvé par des pièces régulières qu’il n’existe pas à Anvers d’individu de ce nom, mais bien un sieur Victor Palmaert, successeur d’un Paternotre décédé, dont il continue les affaires sous la même raison commerciale ; il y a enfin un électeur porté deux fois sur la liste des votants, une fois à l’appel, une fois au réappel.
Le premier de ces moyens, messieurs, me paraît très fort. Un individu inscrit sur la liste électorale et qui n’a pas pu voter, parce qu’il est interdit et détenu depuis plusieurs années dans une maison d’insensés, d’où il n’est pas sorti, est cependant porté sur les listes des votants tenues par l’un des secrétaires et par le secrétaire ; comme cela a-t-il pu se faire ?
Il n’y a qu’une réponse possible à cette question : lorsque le nom de cet individu a été appelé, un autre est venu voter à sa place ; cet autre, quel était-il ? C’est ce qu’il est impossible de savoir. Certes, si jamais un suffrage peut être nul, c’est celui-là.
La majorité de la commission a écarté ce moyen, en disant que tout ce qui lui paraît prouvé, c’est que les listes des votants ont été mal tenues ; c’est qu’un électeur y a été porté sans avoir comparu au collège électoral. Elle ajoute que la fraude n’est pas constatée.
Je ne puis, messieurs, admettre ces raisonnements de commission. La fraude ou l’erreur, car il est possible qu’il y ait eu erreur de la part de celui qui s’est présenté pour voter ; la fraude, dis-je, ou l’erreur est constatée par les listes mêmes des votants ; il est constaté par les listes qu’un individu, de bonne foi ou non, peu importe, a voté au lieu de l’interdit.
Ces listes sont des pièces authentiques, et il faudrait, pour détruire la confiance qu’elles méritent, autre chose que la supposition purement gratuite de la commission qu’elles auraient été mal tenues. Cette supposition ne peut se soutenir en présence de la conformité des deux listes ; elles est, en outre, matériellement détruite par les faits. Si, comme le dit la commission, un électeur avait été inscrit sur les listes des votants sans avoir comparu, il y aurait plus de votants que de bulletins ; et c’est ce qui n’est pas arrivé : il y a eu 1,943 bulletins dont un blanc et 1,943 votants. J’appelle sur ce point toute l’attention de la chambre.
La raison tirée de la confiance que méritent les listes parfaitement conformes des votants, tenues par l’un des vérificateurs et par le secrétaire, confiance que les suppositions purement gratuites de la commission ne sauraient atténuer, me porte également, messieurs, à regarder comme nul l’un des deux suffrages donné par l’électeur qui se trouve inscrit deux fois sur ces listes, une fois à l’appel et une fois au réappel.
Il est maintenant tout à fait inutile d’examiner quelle est la valeur du suffrage donné, dit-on, par un sieur Victor Palmaert, successeur d’un sieur Paternotre, dont il continue les affaires sous la même raison commerciale. Si j’avais à me prononcer sur ce point, je me rallierais aux observations judicieuses du membre opposant de la commission qui se trouvent consignées au Moniteur dans les termes suivants :
« Il n’y a d’admis à voter, aux termes de la loi, que ceux dont les noms figurent sur la liste des électeurs ; que Victor Palmaert, en supposant, ce qui du reste n’est pas prouvé, qu’il est voté à la place de Victor Paternotre, n’avait ce droit ni de son chef ni de celui de l’électeur défunt ; que si la raison sociale peut être invoquée pour tout ce qui se rattache à des opérations de commerce, il ne saurait en être de même dès qu’il s’agit de droits civils et surtout de droits politiques, que dès lors il devient inutile d’examiner si Palmaert était connu dans le commerce sous le nom de Paternotre. »
Vous voyez, messieurs, que deux et même trois des suffrages donnés à M. Cogels sont nuls ; je dois donc voter contre l’admission de cet honorable collègue ; je le fais à regret, et sans acception de parti. L’honorable M. Cogels est un de ces hommes spéciaux, utiles à la chambre dans les discussion qui concernent les finances, l’industrie et le commerce. Je ne le redoute pas comme adversaire politique ; votre force, force numérique bien entendu, est trop grande pour qu’une voix de plus ou de moins exerce la moindre influence sur nos résolutions.
Je ne veux pas, messieurs, terminer sans signaler l’injustice que l’on a commise hier, par légèreté, j’aime à le croire, contre d’honorables collègues qui demandaient le temps de s’éclairer.
On leur a dit ; Comment se fait-il que vous vouliez retarder la discussion, aujourd’hui que toutes les pièces sont fournies, vous qui vouliez un prompt rapport, lorsque les pièces manquaient ; votre intention était-elle donc, insinuait-t-on, d’ôter à l’honorable M. Cogels le temps de les produire ? Ce reproche était grave. Eh bien, la lecture du il, que j’ai sous les yeux, m’a donné, comme il vous donnera à tous, la conviction que les honorables collègues auxquels il était adressé ont, au contraire, exprimé l’opinion formelle qu’il fallait laisser à l’honorable M. Cogels tout le temps nécessaires pour produire les pièces. Ce n’est pas de ces honorables collègues, c’est de l’honorable M. d’Huart qu’est venue la proposition d’engager la commission à faire son rapport le plus tôt possible et certes on ne peut suspecter les intentions de l’honorable M. d’Huart ; on ne peut croire qu’il ait eu la moindre pensée hostile à M. Cogels ; tous, dans cette chambre, y compris l’honorable M. d’Huart lui-même, nous nous sommes ralliés à l’observation faite par l’honorable M. Osy, qu’il fallait laisser à M. Cogels le temps nécessaire pour prendre des informations et pour faire des démarches. Je n’en dirai pas davantage, messieurs, j’espère que les honorables membres qui ont inculpé si légèrement les intentions de quelques collègues seront les premiers à reconnaître leur tort.
M. Dumortier – C’est moi qui ai commis l’erreur qu’on signale, et moi-même je me suis empressé de la rectifier ; elle était uniquement le résultat d’un défaut de mémoire ; il n’y a pas là de légèreté.
M. Sigart – Messieurs, de désirerais demander quelques renseignements à M. le ministre des affaires étrangères, relativement au bruit qui circule de rassemblements de troupes sur nos frontières. Ces rassemblements de troupes n’ont pas de motifs connus. Je prie donc M. le ministre des affaires étrangères de vouloir bien donner quelques explications.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) – Le gouvernement a reçu avec le public la nouvelle d’un mouvement de troupes opéré sur notre frontière. Il a dû en être surpris, car rien dans le pays ne semblait provoquer une pareille démonstration. Il saura bientôt, sans doute, à quelles appréhensions l’attribuer ; cette mesure, nous avons d’ailleurs lieu de le croire, restera sans conséquences.
M. Delehaye – Messieurs, je me proposais, lors de la discussion de l’adresse en réponse au discours du trône, de faire à M. le ministre des affaires étrangères quelques interpellations sur notre position commerciale avec les puissances étrangères…
Des membres – Mais ce n’est pas l’objet à l’ordre du jour.
M. Delehaye – C’est pour une motion d’ordre que j’ai demandé la parole ; j’avais l’intention de faire ma motion au commencement de la séance ; mais M. le ministre des affaires étrangères étant absent, j’ai cru devoir attendre sa présence, pour prendre la parole.
M. de Theux – Je demande la parole pour un rappel au règlement.
Je conçois qu’une motion d’ordre puisse suspendre momentanément les débats sur une question, lorsque la motion a rapport à ces débats ; mais il n’y a pas d’exemple d’une délibération ouverte et commencée qu’on ait interrompue par une motion d’ordre étrangère à la délibération. Il est vrai qu’une interpellation a été faite tout à l’heure par l’honorable M. Sigart ; mais cette motion a été présentée au commencement de la séance ; elle n’en était pas moins irrégulière. Il s’agit maintenant d’ouvrir une nouvelle discussion sur un objet tout à fait étranger au débat engagé. Je demande que le débat continue.
M. Delehaye – L’observation de l’honorable M. de Theux est très juste, et certainement je ne me serais pas déterminé à faire une motion d’ordre au milieu de la discussion, si M. le ministre des affaires étrangères n’avait pas été présent. Je croyais le moment opportun de faire mon interpellation, mais puisqu’on paraît désirer que je ne la fasse pas en ce moment, je me réserve de reproduire, dans la séance de demain, ma motion d’ordre qui porte plus spécialement sur l’état actuel de nos relations commerciales avec les puissances étrangères.
M. le président – La parole est à M. Lebeau.
M. Lebeau – Comme je me propose de parler contre les conclusions de la commission et qu’il est dans les habitudes de la chambre d’entendre successivement un orateur pour et un orateur contre, je prie M. le président d’accorder la parole à un orateur pour ; le premier orateur a parlé contre.
M. Doignon – Messieurs, je commencerai par une remarque qui n’a échappé à personne ; c’est que la réclamation dont s’agit, vous a été présentée la veille de la vérification des pouvoirs ; cette circonstance a dû vous faire accueillir cette pièce avec réserve et avec une certaine défiance ; en effet, l’élection n’intéresse pas seulement l’élu, M. Cogels, mais elle intéresse encore tous les électeurs. Le résultat de cette élection est un droit qui leur est acquis. Pour agir régulièrement, les réclamants devaient présenter leur pétition soit au bureau principal ou bien longtemps avant l’ouverture des chambres ; les réclamants devaient agir de telle manière que les électeurs en général pussent contredire et intervenir eux-mêmes dans l’instruction de cette affaire. Mais il n’en a pas été ainsi : c’est au moment où l’on vérifie les pouvoirs, au dernier moment, que la réclamation vous est adressée.
Pour moi, messieurs, cette affaire est instruite depuis longtemps. C’est dans la pétition même des réclamants et dans les pièces qu’ils ont produites, que je trouve la réfutation des moyens qu’ils invoquent contre l’élection de l’honorable M. Cogels.
D’abord l’on prétend qu’on aurait porté sur la liste des votants un individu interdit pour cause d’aliénation mentale.
On ajoute qu’au moment de l’opération il était même détenu à la maison de santé, à l’hospice.
Ainsi, puisqu’il y avait pour cet individu impossibilité physique de venir donner son vote, il est certain que si, sur l’appel de son nom, un autre électeur ne s’était pas présenté pour voter, une voix aurait fait défaut, et il y aurait eu une voix à déduire sur le nombre des votants. Mais il n’en a pas été ainsi. Ce sont les pétitionnaires eux-mêmes qui nous apprennent ce qui s’est passé :
« cependant, à l’appel de son nom, dit la pétition, quelqu’un a répondu et a voté pour cet interdit non présent. »
Qui est ce quelqu’un ? Ce quelqu’un, messieurs, doit être un électeur. La présomption est que c’est un électeur réunissant les conditions voulues par la loi, qui est venu voter ; en voici la raison : c’est qu’aux termes de l’article 22 de la loi électorale, les électeurs seuls peuvent assister à l’assemblée électorale. La présomption est donc, jusqu’à preuve contraire, que si quelqu’un a répondu à l’appel de ce nom, cet individu est un électeur et un électeur valide, qui est venu donner son vote. Que résulte-t-il de là ? c’est que le scrutateur, chargé de tenir la liste des votants, n’a pas inscrit le nom de celui qui a réellement voté. Or, cette omission ne peut pas entraîner l’annulation de l’élection.
L’article 27 de la loi électorale porte : « Le nom de chaque votant sera inscrit sur deux listes, l’une tenue par l’un des scrutateurs, et l’autre par le secrétaire. »
Cette disposition ne porte pas la peine de nullité.
Ici je ferai observer qu’un honorable préopinant a versé dans une erreur singulière en prétendant, dans une autre séance, que, dès qu’il y avait illégalité dans une élection, l’élection était nulle. Je soutiens qu’en règle générale l’illégalité n’entraîne pas la nullité. C’est à la chambre à apprécier si les illégalités dénoncées sont de nature à affecter l’essence de l’élection ; et elle se prononce d’après toutes les circonstances ; elle a à cet égard un pouvoir discrétionnaire. Quand la loi ne prononce pas la peine de nullité et qu’au surplus l’élection n’est point attaquée du chef de dol ou de fraude, nous ne devons pas être plus rigoureux que la loi elle-même.
Mais, dit-on, quelqu’un est venu voter ; donc, c’est un faux électeur. La fraude ne se présume pas ; c’est à vous à prouver que celui qui a voté était un faux électeur, jusque-là je puis tenir pour certain que c’est un électeur valide qui est venu voter.
Mais, dit-on encore, qu’on ordonne une enquête et l’on verra que c’est un faux électeur qui a voté. Cette demande est tardive. Les pétitionnaires auraient dû transmettre plus tôt leur réclamation, ils ont à s’imputer de ne l’avoir pas faite immédiatement ou peu après l’élection, ou, en la présentant ils devaient l’appuyer de toutes les preuves. Une enquête est aujourd’hui moralement impossible et l’on ne peut, sous de pareils prétextes, en demandant des enquêtes, entraver la constitution de la chambre. La chambre doit passer outre.
On prétend, en second lieu, qu’un individu condamné aux travaux forcés aurait été inscrit sur la liste électorale, et qu’il est venu voter. A cette égard toute difficulté disparaît, on a produit l’arrêté royal qui réhabilité cette personne. Nous ne pouvons toutefois laisser passer ce grief sans faire une observation. Vous avez dû voir qu’il y a eu plus que de la légèreté à employer de pareils moyens, alors qu’il est de notoriété dans la ville d’Anvers que la personne dont il s’agit, a reçu un arrêté de réhabilitation de Sa Majesté, et a ainsi récupéré ses droits à l’estime de ses concitoyens. Je ne sais comment qualifier la conduite de ceux qui ont ainsi présenté ce citoyen comme étant encore sous le coup d’une condamnation à une peine infamante.
J’ajouterai une autre observation. Il m’a paru singulier que le greffier de la cour n’eût pas dans l’arrêt de condamnation, fait mention de l’arrêt royal de réhabilitation. Il a encouru de ce chef un grave reproche, et j’appellerai sur ce fait l’attention de M. le ministre de la justice. Aux termes de la loi, dès qu’il y a eu un arrêté de réhabilitation, cet arrêté doit être enregistré en marge de l’arrêt de condamnation, et il est intimé au greffier de ne livrer d’extrait de l’arrêt de condamnation qu’avec la mention de l'arrêté royal. Cependant il est constant qu’on a ici en quelque sorte tronqué la pièce. Je le répète, c’est un acte sur lequel j’appelle l’attention de M. le ministre de la justice.
Un autre moyen consiste à dire qu’un électeur porté sur la liste, Victor Paternotre, était décédé. Je ferai la même observation que sur un précédent moyen. Puisqu’il y avait impossibilité évidente pour cet individu de venir voter, je dirai qu’il eût manqué une voix si un autre électeur n’avait pas voté à sa place. Ici, ce sont encore les pétitionnaires qui nous font connaître ce qui a dû avoir lieu.
« Un autre individu, dit la pétition, doit être venu voter à sa place. »
Or, cet individu est naturellement un électeur et un électeur valide. Il est impossible d’admettre une supposition contraire. Il y a plus : c’est qu’il existe réellement à Anvers un individu qu’on a l’habitude de désigner sous le nom de Victor Paternotre, c’est un Victor Palmaert qui a succédé à son oncle Paternotre et continue sa maison de commerce. Dans la ville et dans le commerce d’Anvers, il est connu sous le nom de Victor Paternotre. Il est si évident que c’est lui qu’on a voulu désigner, que le prénom, la date de la naissance et le domicile et le cens indiqué sur la liste, se rapporte exactement à Victor Palmaert. C’est donc bien lui qu’on a voulu désigner et qui est venu voter. Ce vote est inattaquable.
Viennent ensuite les quatrième et cinquième prétendues nullités. On prétend que deux personnes qui ont voté ne payent pas le cens, qu’elles ont été inscrites sur la liste par suite de délégations de leurs mères. Ici encore, c’est dans les pièces produites par les réclamants que je trouve la réfutation de leurs allégations. Ils ont produit la liste électorale de la commune à laquelle appartiennent ces électeurs. Voici cette pièce :
« Commune de Hemixem. Liste des citoyens qui d’après la loi du 3 mars 1841, réunissent les conditions requises pour concourir comme électeurs à la formation des chambres :
« Henri Aerts, demeurant à…, section 2, n°13, vicaire, né le 13 mars 1803 ;
« Et François Jacques Boey, demeurant à…, section 2, n°36, brasseur, né le 29 février 1812.
(Indication du lieu où ils paient des contributions propres ou déléguées jusqu’à concurrence du cens électoral : Loenhout et Hemixem.)
« Fait à Hemixem. Signé, etc… »
On sait que sous le nom de contributions déléguées on comprend ici les contributions de l’épouse déléguées au mari et les contributions des mineurs qui profitent à leur père ; il résulte donc de la liste électorale elle-même que les nommés Aerts et Boey réunissaient les conditions voulues par la loi pour être électeurs et payaient le cens. Mais qu’est-il arrivé ? Quatre ou cinq mois après l’élection, un échevin a donné le certificat que voici :
« Le collège des bourgmestres et échevins de la commune de Hemixem, province et arrondissement d’Anvers, déclare que MM. Boey (François-Joseph), brasseur à Hemixem, et Aerts (Henri), vicaire à Hemixem, ont été inscrits sur la liste électorale de Hemixem de 1841, par suite de délégation de leurs mères veuves et non de leur propre chef.
« L’échevin délégué, etc. »
Ainsi, d’une part, il est constant, d’après la liste électorale, que ces deux individus payent le cens. Or ce point de vue étant ainsi authentiquement établi, pouvez-vous admettre qu’un certificat donné après coup puisse ensuite le détruire ? pouvez-vous admettre qu’un pareil certificat, attestant, comme dans l’espèce, que les individus inscrits ne paient le cens que par une délégation de leur mère, puissent annuler la liste électorale ? Cette liste une fois arrêtée à l’époque fixée par la loi du 15 avril 1831, il n’est plus permis à l’administration ou à l’un de ses membres avant l’époque de la révision, de vouloir la rectifier, de déclarer qu’il y aurait eu erreur, quant au cens, et que tels électeurs devraient, de ce chef, être rayés de cette liste. La liste une fois close est à cet égard inattaquable jusqu’au 1er avril de l’année suivante. Elle est réputée la vérité même pour l’administration. S’il en était autrement, il en résulterait qu’il dépendrait d’une régence d’annuler une élection, en venant dire, après les opérations, qu’il y a eu erreur dans sa liste. Il dépendrait des administrations communales de déplacer les majorités, d’annuler à volonté des élections. C’est, dans tous les cas, ce que vous ne pouvez pas admettre. La loi a voulu, en déclarant la permanence des listes jusqu’à l’époque de la révision fixée par la loi, que rien ne pût être changé avant cette époque.
Il est ainsi démontré que ces électeurs payaient le cens.
Au surplus, la preuve qu’on offrirait de faire après la clôture d’une liste, qu’un électeur ne paie pas le cens serait une preuve négative et celle-ci est par la nature des chose moralement impossible.
Vient ensuite la sixième prétendue nullité.
Pierre-Jean Jansens aurait voté deux fois. Mais cette allégation ne peut être admise, à moins d’être prouvé à l’évidence et jusque-là, on doit la considérer comme tout à fait gratuite. Les pétitionnaires disent que le fait est constaté par l’aveu même de l’électeur.
Cet aveu ne peut avoir aucune valeur. En vain un électeur viendrait dire qu’il a voté deux et trois fois dans le seul but de faire annuler une élection, ces dires ne seraient d’aucune considération, et s’il est mentionné deux fois dans les listes, la présomption doit être qu’il n’y a eu qu’erreur dans l’énonciation, car toujours l’erreur se présume plutôt que la fraude.
Un autre électeur est signalé comme ayant voté deux fois. Pour cet individu, disent les pétitionnaires, nous n’osons pas affirmer comme pour le précédent, que le fait du double vote doive lui être personnellement imputé, parce qu’ici il n’existe pas, que nous sachions, comme dans le premier cas, aveu de la part de l’électeur lui-même.
Ici la pétition ajoute ; « Puisqu’il y a eu double vote, il y a eu nécessairement un faux électeur. » Encore une fois, la fraude ne se présume pas, et toute offre d’enquête arrive tardivement ; cette fraude, vous deviez, dans l’état des choses, en produire la preuve en déposant votre réclamation.
Je crois, messieurs, avoir rencontré tous les moyens allégués contre l’élection de l’honorable M. Cogels ; vous voyez, je l’espère, qu’ils n’ont pas le moindre fondement.
Au total, on a attaqué l’élection d’après un document entaché d’erreur et même de faux matériel, car la liste des votants mentionne comme présent un aliéné qui n’a pas quitté l’hospice où il se trouvait. La chambre agirait très légèrement, en prononçant une nullité sur la foi d’un document semblable.
M. le ministre de la justice (M. Van Volxem) – L’honorable orateur que la chambre vient d’entendre a exprimé le sentiment qui a péniblement affecté tous les membres de cette assemblée, à la lecture du certificat qui a été donné au sujet d’un électeur, condamné à une peine infamante. Il a appelé l’attention du ministre de la justice sur la délivrance de ce certificat. Je n’ai pas attendu que mon attention fut éveillée par cet honorable membre pour m’occuper de cette affaire. J’ai cherché à me procurer des renseignements pour faire connaître à la chambre comment les choses se sont passées. Lorsqu’on s’est présenté au greffe de la cour afin d’obtenir un certificat prouvant la condamnation, le greffier, ou plutôt celui qui en remplissait les fonctions, puisque le greffier était alors malade et dans l’impossibilité de vaquer à sa besogne, le greffier intérimaire, s’est borné à examiner le répertoire où la condamnation était annotée ; il n’a pas eu recours au dossier ; sur ce répertoire ne se trouvait pas mentionné l’arrêté de la réhabilitation.
Les cas de réhabilitation sont infiniment rares, comme vous le savez. Il ne lui est pas venu à la pensée de rechercher dans le dossier si, dans le cas spécial dont il s’agissait, il n’avait pas été pris un arrêté dans ce sens ; il s’est borné à faire des recherches dans le répertoire, où il n’y a aucune colonne destinée à recevoir la mention des réhabilitations. Celui qui a donné ce certificat s’est imputé avec beaucoup de raison le tort causé à celui qu’il concerne. Il déplore plus que personne le résultat fâcheux de sa légèreté. Je me plais à attester que dans son action, il n’y a en aucune mauvaise foi, aucune mauvaise volonté. Ce fonctionnaire jouit de l’estime de tous les membres de la cour d’appel qui lui en ont donné une preuve éclatante, en le proposant comme premier candidat à la place de greffier en chef de la cour. Je suis convaincu qu’il mettra toute son attention à ce que des erreurs de cette nature ne se renouvellent pas.
J’ai cru devoir donner immédiatement ces explications pour qu’il ne fût plus question dans ces débats de ce triste événement.
M. Lebeau – Ayant voté dans le sein de la commission contre les conclusions qui vous ont été présentées en son nom, je regarde comme un devoir envers la chambre, autant qu’envers moi-même, de vous développer moins succinctement que je n’ai pu le faire dans la commission les motifs qui m’ont empêché de me ranger à l’avis de la majorité.
D’abord, je crois devoir rencontrer quelques observations préliminaires émises par un honorable préopinant, parce qu’elles se rattachent directement à la moralité de la réclamation dont la chambre est saisie ; et si ces observations n’étaient examinées et rectifiées, il paraît en résulter plus ou moins de défaveur sur le fond de la réclamation elle-même.
Quant à la tardivité, j’avoue que si les faits qui font l’objet de la réclamations ne sont, comme cela est très vraisemblable, parvenus à la connaissance des réclamants qu’après les élections, il m’est impossible de comprendre comment ils ont pu être mis en demeure de se présenter devant la chambre. Je demande comment ils auraient pu saisir la chambre de leurs réclamations, alors qu’elle n’était pas réunie. Quelle différence y a-t-il pour la chambre entre le dépôt dans les archives du greffe, six semaines avant l’ouverture de la session, et le dépôt sur le bureau, le jour de l’ouverture de la session ? Il n’y en a évidemment aucune. N’ayant pas été à même de la réclamer soit dans les sections, soit dans le bureau principal, les pétitionnaires s’adressent à la chambre après les opérations électorales ; ils s’adressent à elle dès qu’elle se réunit.
Un autre fait a produit une vive et pénible impression. La commission qui la première a eu connaissance de ce fait en a éprouvé aussi une très pénible surprise. M. le rapporteur a été l’organe fidèle de la commission dans cette partie de son rapport où il a exprimé les sentiments pénibles qui nous ont tous animés, à la vue de l’arrêté de réhabilitation qui faisait tomber un des principaux griefs des réclamants.
Je n’ai pas mission de défendre les auteurs de la pétition. Mais je crois que, d’après les habitudes d’impartialité et de dignité de la chambre, d’après le respect qu’elle a toujours montré pour le droit de pétition, il est peu convenable d’attaquer légèrement ceux qui exercent ce droit devant elle. Si donc j’avais à défendre les auteurs de la pétition, à l’occasion du fait signalé par la commission, ma tâche serait extrêmement facile. La chambre remarquera que le fait de la condamnation dont il est parlé dans la pétition remonte au moins à 22 ans. Il est très facile de comprendre que ce fait avait pris date dans la mémoire de ceux qui avaient eu connaissance d’un acte entouré d’autant de publicité que l’est une condamnation en cours d’assises.
Quant à l’arrêté de réhabilitation, ces actes, comme l’a dit M. le ministre de la justice, sont infiniment rares. J’ajouterai que ces actes reçoivent une publicité bien autrement restreinte qu’un arrêt de cour d’assises ; un arrêt de cour d’assises se rend en présence de nombreux témoins. Les détails du procès, l’acte d’accusation, le réquisitoire du ministère public, la défense des avocats attirent l’attention ; la plupart des journaux de la localité en rendent compte. Mais un arrêté de réhabilitation prend place dans le Moniteur ; peut-être même n’y est-il pas publié. On l’insère dans le Bulletin officiel. Or nous-mêmes législateurs je ne pense pas que nous nous amusions (à moins que nous y soyons contraints par nos travaux législatifs) à lire le Bulletin officiel. L’arrêté de réhabilitation a donc tout au plus pris place dans le Bulletin officiel. J’entendais dire tout à l’heure qu’il n’y était pas même inséré.
Maintenant, en supposant que cet arrêté fût inséré dans le Moniteur, dans le Bulletin officiel, dans la plupart des journaux, je dis que le document qui est sous les yeux de la chambre autorisait l’allégation des pétitionnaires. Comment, vous voudriez qu’on sût mieux à Anvers ce qui se passe à la cour d’appel de Bruxelles qu’à cette cour même ? C’est à un fonctionnaire respectable qu’on s’adresse, fonctionnaire à l’intégrité de qui M. Cogels lui-même a rendu pleine justice dans le sein de la commission. Cet honorable fonctionnaire, appelé par ses fonctions à connaître les arrêts de la cour d’appel a omis, malgré les termes précis de la loi, de mentionner, en marge du certificat, l’arrêté de réhabilitation. Il n’en est rien dit dans le certificat. L’article 632 du code d’instruction criminelle porte cependant, article 632 : « Les lettres de réhabilitation seront adressées à la cour qui aura délibéré l’avis ; il en sera envoyé copie authentique à la cour qui aura prononcé la condamnation ; et transcription des lettres sera faite en marge de la minute de l’arrêt de condamnation. » Eh bien, le certificat fourni par le greffier de la cour d’appel de Bruxelles prouve à l’évidence qu’on n’a pas observé cet article du code d’instruction criminelle ; et il aurait fallu que les réclamants eussent connaissance de ce fait dont a omis de faire mention un fonctionnaire honorable, malgré les termes précis de l’article 632 du code d’instruction criminelle, et alors que de cette omission pouvait résulter la plus mortelle atteinte à la considération d’un citoyen.
Si on ne recule pas devant l’absurdité du fait qu’on reproche aux réclamants, il faut qu’on aille jusque-là.
Ce n’est pas seulement aux réclamants qu’on faisait le procès dans une séance précédente, c’était au fonctionnaire lui-même, et avant d’avoir entendu ici son défenseur naturel, M. le ministre de la justice, ce fonctionnaire est déclaré coupable de faux ; il fallait le destituer.
Voilà, messieurs, comme on procède quand on ne se donne pas le temps d’examiner mûrement les pièces et d’entendre les explications qui viennent compléter ce que certains renseignements peuvent avoir d’insuffisant.
M. Dumortier – Je répondrai.
M. Lebeau – Je suppose, messieurs, que je conseille à quelqu’un d’acheter un immeuble dont je lui détaille les avantages, ayant bien soin de lui dire qu’il est libre de toute charge, et à l’appui de mon assertion, je lui donne un certificat négatif du conservateur des hypothèques. Le conservateur des hypothèques, qui est un homme honorable, mais qui est un homme faillible, a omis une inscription importante sur ce certificat. Eh bien ! ce n’est pas au conservateur des hypothèques qu’on s’en prendra, lui qui doit savoir ce qu’il fait, qui agit sous sa responsabilité ; ce sera à moi qu’on adressera le reproche d’avoir induit le tiers auquel j’ai conseillé l’acquisition.
C’est exactement la même chose pour les réclamants ; l’analogie est incontestable.
Après ces considérations préliminaires que j’ai cru être dans les désirs de la chambre (laquelle ne peut laisser croire qu’elle traite avec défaveur ceux qui s’adressent à elle), j’arrive à la partie la plus importante pour moi de la question qui vous est soumise.
Ma répugnance, messieurs, pour les discussions qui touchent aux personnes, est grande. Je crois que la réserve que j’ai toujours apportée dans ces sortes de discussion, me dispense de faire à cet égard ma profession de foi. Je sais d’ailleurs combien ce terrain est glissant, et à quelques interprétations injustes et parfois offensantes on s’expose en remplissant un tel devoir.
Messieurs, il ne s’agit pas ici d’un homme ; il s'agit de la dignité de la chambre ; il s'agit surtout d’une nouvelle jurisprudence qui, si elle venait à être consacrée par la chambre, aurait pour résultat, à mes yeux, de lui faire abdiquer en grande partie l’une de ses plus précieuses prérogatives, celle de veiller à la pureté, à la légalité de sa composition.
La commission, dont je n’ai pu partagé l’avis, soutient le système de la permanence des listes électorales comme obligeant la chambre elle-même, système qui aurait pour résultat d’établir contre elle une fin de non-recevoir presque générale, lorsqu’elle voudrait se livrer à l’examen des opérations électorales, c’est-à-dire du titre en vertu duquel on a l’honneur de siéger dans son sein.
On a dit, on a avancé que la jurisprudence de la chambre était constante. Je commence, messieurs, par nier complètement ce fait. Je dis que la jurisprudence de la chambre, loin d’être établie dans le sens de la permanence des listes électorales, en dehors de la juridiction purement administrative, proteste au contraire de la manière la plus formelle contre cette permanence.
Je rappellerai d’abord à la chambre ce qui s’est passé lors de la vérification des pouvoirs de notre ancien collègue du Limbourg, M. Corneli.
M. Doignon critiqua l’élection de M. Corneli, parce que deux personnes, nées en Prusse, y auraient pris part, et conclut à l’ajournement.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux) disait : « … Si la chambre prononçait l’ajournement, il faudrait savoir si l’enquête devrait porter sur la qualité de Belge du sieur Brebs, des sieurs Vassen et Hannbrecker. »
M. Dubus (aîné) disait : « Je viens appuyer, messieurs, la proposition d’ajournement, car je pense qu’il y a réellement une enquête ultérieure à faire. S’il était vrai que trois ou quatre individus, n’ayant point la qualité de Belges, eussent pris par à l’élection, cela constituerait un vice radical, puisque le vote de trois ou quatre personnes suffirait pour déplacer la majorité, qu’il n’a été que de 3 voix, et nous serions dans le cas de rendre hommage à la constitution en annulant l’élection.
« Y a-t-il 3 ou 4 individus qui ne sont point Belges, qui ont pris part à l’élection, voilà la question. L’honorable préopinant écarte cette question en disant que le fait n’est point prouvé ; mais c’est précisément pour cela qu’on demande l’ajournement et la proposition d’ajournement est bien plus raisonnable que celle de passer immédiatement au vote, qui revient à ne pas vouloir annuler l’élection, quand même il serait prouvé que des étrangers eussent pris part à l’élection, tandis que ceux qui demandent l’ajournement ne veulent pas déclarer l’élection valable, à moins qu’il ne soit prouvé que les personnes regardées comme étrangères sont réellement Belges. »
On a vu pourquoi l’élection de M. Corneli avait été validée. Les allégations étaient dénuées de preuves.
A propos de l’élection de M. de Lamine-Bex, à Liége, en 1833, M. Gendebien prétendait que le premier tout de scrutin était vicié par la participation de M. de Sauvage qui, aux termes de l’article 107 du code civil, avait perdu son domicile dans la province de Liége en acceptant les fonctions de président de la cour de cassation. Voici ce que M. Dubus lui a répondu :
« Je ne partage pas l’opinion du préopinant ni l’opinion de la commission relativement au droit de vote qu’on dénie à M. de Sauvage. C’est dans l’article 19 de la loi électorale que l’on trouve que M. de Sauvage ne devait pas voter ; mais cet article ne dit pas que un mot de ce qu’on lui fait dire. On a parlé aussi de l’article 5 de la loi et on a demandé si un condamné à des peines afflictives ou infamantes, par cela seul qu’il aurait été porté sur la liste avant sa condamnation, conserverait le droit de voter. Je n’ai pas besoin de répondre à cette question ; il me suffit de faire remarquer la différences des articles 5 et 19 de la loi. L’article 5 dit : « Ne peuvent être électeurs… » Il prononce une incapacité, il est substantiel. L’article 19, quoi qu’on dise, est purement réglementaire, il ne prononce ni explicitement ni virtuellement aucune incapacité. Mais par l’extension et l’interprétation qu’on lui donne, on veut créer une incapacité qui ne se trouve pas dans la loi. »
Enfin, messieurs, la question de la permanence des listes fut encore agitée en novembre 1839, à l’occasion des élections de Bastogne.
M. Milcamps soutint, comme on le fait aujourd’hui, cette permanence.
Voici en quels termes : « Sans doute, pour pouvoir être électeur et voter, il faut être Belge, il faut payer le cens fixé par la loi ; nous ne disons pas le contraire, mais nous disons que l’inscription d’un individu sur la liste des électeurs par l’administration communale, et après que les listes ont été affichées, arrêtées et envoyées à la députation, et, s’il n’y a pas réclamation, aux termes de l’article 12 de la loi, cette inscription établit en faveur de l’inscrit une présomption légale qu’il réunissait, lors de l’inscription, toutes les conditions qui constituaient l’électeur ; qu’il n’en peut être radié que lors de la révision annuelle des listes, et encore faut-il qu’il soit averti de cette radiation pour qu’il soit à portée de réclamer. Sans cela la permanence des listes est un non-sens. »
Voilà ce que disait M. Milcamps. Voici comment on lui répondait.
M. de Brouckere réplique qu’il n’a pas demandé l’annulation de l’élection. Si on peut valider l’élection, sans reconnaître les principes qu’il a combattu (celui de la permanence des listes), il le veut bien. Mais si on ne le peut pas, il faut faire une enquête. Il ajoute :
« Après avoir prouvé d’une manière péremptoire, selon moi que les principes que j’ai défendus sont les véritables principes en matière électorale, je ne sais si j’ai besoin de dire que ces principes ont été soutenus par la plupart des orateurs qui se mêlent à nos discussions, par MM. Dubus, Dumortier, Doignon et d’autres. »
M. Liedts fait remarquer que les principes que M. de Brouckere croit trouver dans le rapport de la commission n’y sont pas : « il croit y trouver que je pose en principe absolu que jamais la chambre n’a le droit d’examiner la qualité des électeurs portés sur les listes. J’ai dit uniquement, restreignant la question au cas dont il s’agit, que quelques membres dans la commission avaient pensé qu’une fois les délais prescrits pour protester contre une inscription expirés, qu’une fois que les formalités n’ont pas été accomplies, on ne peut plus s’adresser à la chambre pour demander l’annulation d’une élection, sous le prétexte que des électeurs ont été indûment inscrits. Et je me suis hâté de dire qu’il était inutile d’examiner cette question, la commission n’ayant pas trouvé dans les pièces la preuve des faits qui la soulèvent. De sorte que la chambre, validant l’élection conformément aux conclusions de la commission, ne consacrera aucun principe qui la lie… »
M. Desmet - « On nous a dit que ce n’était pas à la chambre à redresser les listes électorales quand les réclamations n’avaient pas été faites en temps. Mais que dit l’article 34 de la constitution ? Que les contestations en matière d’élection seront portées à la chambre et jugées par elle. Cet article ne fait pas de distinction. Or, je demande si la liste des électeurs qui a été affichée était bien régulière, si elle contenait l’indication du lieu où l’électeur payait ses contributions. On m’a assuré qu’elle ne contenait pas cette indication ; si cela est, c’est une irrégularité qui entache l’élection ; je pense qu’il y a lieu de prendre des informations auprès de l’administration. »
M. Lejeune. – « Ce que j’avais principalement à dire vient d’être dit par l’honorable M. de Brouckere : à savoir que le principe que l’inscription sur la liste des électeurs d’une commune est une présomption que l’électeur paie le cens dans la commune, tombe devant les certificats joints au procès-verbal. Je suis loin d’admettre les principes absolus de M. Milcamps en matière d’élection. Je forme mon opinion sur les faits. Je ne voudrais pas contribuer à poser des principes qui pourraient être invoqués dans la suite. Ce serait laisser à d’autres mains le droit qu’a la chambre d’examiner toutes les élections. Si j’étais convaincu que les listes électorales contiennent les noms de personnes qui y figureraient indûment et que la majorité fût telle qu’elle pût être affectée par le concours de ces électeurs, je n’hésiterais pas à annuler l’élection. »
M. de Brouckere, après avoir entendu encore d’autres orateurs, répond : « Je suis prêt à voter l’admission de M. d’Hoffschmidt, mais il est bien entendu que la chambre ne se prononce ni pour ni contre les principes qui ont été émis. »
M. d’Huart, qui avait constamment parlé pour l’admission de M. d’Hoffschmidt, s’exprime ainsi : « Je me prononce pour la validité de l’élection de Bastogne. En émettant ce vote, je n’entends admettre ni rejeter aucun des principes énoncés dans le rapport de la commission. »
Enfin, la discussion termine par ces paroles de M. Desmet : « On allègue l’irrégularité des listes. C’est là qu’est la contestation. Il faut qu’on ait les moyens de prouver que les inscrits paient le cens. »
M. d’Hoffschmidt fut admis, mais on peut voir par ce qui précède avec quelle réserve la chambre évita de se prononcer en faveur du principe de permanence des listes.
Voilà, messieurs, les précédents de la chambre ; qu’il me soit permis de rappeler en quelques mots , ceux du sénat :
SENAT
Une élection peut-elle être annulée parce que des électeurs inscrits indûment y ont pris part ? (Rép. affirmative.)
Election de M. Savart-Martel
« Le sénat a-t-il le droit d’annuler une élection parce que des électeurs inscrits indûment y ont pris part ?
« M. de Schiervel, rapporteur – Le résumé de l’enquête est que deux électeurs français non naturalisés, ou qui n’ont pas fait la déclaration exigée par l’article 133 de la constitution, ont pris par à l’élection, et que deux électeurs non inscrits sur les listes électorales ont à tort pris la place de leurs pères, dont les noms y figuraient encore, et ont usurpé un droit qui ne leur appartenait pas.
« Votre commission, tout en reconnaissant le principe de la permanence des listes électorales établi par la loi du 3 mars 1832, n’a pas cru devoir se dispenser d’appeler votre attention sur une question importante, celle de savoir si par cela seul qu’un individu a été porté et maintenu sans opposition sur la liste des électeurs, il émet un vote qui ne peut plus être soumis à l’examen de la chambre lors de la vérification des pouvoirs de l’élu, lorsqu’il y a réclamation, et qu’il serait justifié qu’il manque des qualités exigées par la loi électorale pour être électeur.
« Par exemple comme dans l’espèce qui nous occupe, si des étrangers avaient concouru à l’élection ; il est en effet constaté que deux individu, M. Roger, fermier à Blandain et M. Van den Bogaert de Pecq sont Français ; qu’un troisième M. Dumon-Dumortier dont la qualité de Belge est contestée, à qui manquait la qualité la plus essentielle, celle de citoyen belge, ont cependant été admis à donner leur suffrage.
« Cette question est digne de toute votre attention ; il s’agit en effet de savoir : Si le droit que vous accorde la constitution de vérifier les pouvoirs de vos membres et de juger les contestations qui s’élèvent à ce sujet, s’étend jusqu’à examiner la capacité des électeurs, ou si vous devez considérer comme valable tout suffrage émis par tout individu inscrit sur la liste permanente des électeurs. »
« M. le comte d’Arschot – Je crois qu’on peut adopter les conclusions de la commission et les confirmer, en décidant que les deux étrangers qui n’avaient pas la qualité de Belge, quoique inscrits, ne pouvaient être électeurs ; s’ils ont été conservés sur la liste, cela vient de ce qu’on n’y a pas fait attention ; mais cette inscription ne peut pas leur donner une qualité qu’ils n’ont pas.
« M. de Schiervel – J’appuie d’autant plus cette observation que le cas peut se représenter, et si la jurisprudence n’est pas fixée à cet égard, le principe de la permanence des listes étant admis dans toute son intégrité, pourrait nous conduite à de funestes conséquences. On ne demande pas à un homme qui vient dire qu’il paye le cens voulu, et qui vient de se faire inscrire s’il a la qualité la plus essentielle, celle de Belge, un grand nombre de fraudes peuvent avoir lieu, et si vous admettez la permanence des listes dans toute son étendue, vous serez forcés de légitimer les élections qui en seront le produit. Ce serait pourtant la conséquence de l’article de la loi électorale qui dit que : « Quand un individu est porté sur la liste, il peut exercer les droits électoraux pendant toute l’année. »
« M. le baron de Sécus – Le maintien d’une personne sur une liste électorale suppose nécessairement que cette personne est électeur et qu’elle a la qualité exigée par la loi fondamentale, l’esprit de l’article de la loi électorale que l’on vient de citer est, qu’un individu maintenu sur la liste exerce ses droits électoraux plutôt ici qu’ailleurs. S’il n’a pas été porté par erreur, il pourra exercer ces droits pendant un an dans le canton sur la liste duquel il se trouve ; mais en aucun cas un homme qui n’est pas électeur ne peut acquérir cette qualité par fraude, par cela seul qu’il figure sur une liste électorale, il ne peut pas exercer des droits qu’il n’a pas.
« Les conclusions du rapport de la commission sont mises aux voix et adoptées à l’unanimité, et l’élection de M. Savart-Martel est annulée. »
Voilà, messieurs, la jurisprudence du sénat.
Maintenant, messieurs, en présence de doctrines si formellement exprimées par d’honorables collèges de la chambre des représentants, en présence de doctrines si fortement exprimées et nullement contredites au sénat, sanctionnées au contraire dans cette assemblée par un vote à l’unanimité, je n’ai pas besoin de m’occuper de la jurisprudence de députations provinciales. Cependant il est remarquable que dans une affaire qui a occupé tant soit peu l’attention publique, le principe de la permanence des listes ait été condamné de la manière la plus formelle. Je veux parler de la décision de la députation permanente de Liége, qui a annulé l’élection des membres d’un conseil communal, parce que des étrangers avaient pris part aux opérations électorales. Cette élection a été annulée, bien que les étrangers dont il s’agit figurassent sur la liste des électeurs.
Où donc cette jurisprudence, qui consacrerait l’inviolabilité, pour la chambre, des listes électorales se trouve-t-elle établie ? Est-ce dans les votes récents de la chambre ? Mais si je consulte les discours de ceux mêmes qui ont concouru à valider les deux élections qui étaient contestées, je vois qu’eux aussi reculent devant le principe de la permanence des listes, tel qu’on voudrait nous le faire consacrer. Voilà ce que répond M. Demonceau à M. Dolez :
« Je n’avais pas travesti vos paroles, j’avais reconnu l’omnipotence de la chambre, mais j’avais déclaré que la chambre ne devait en faire usage que dans des cas très rares. »
Je suis tout à fait d’accord avec l’honorable M. Demonceau ; je crois que la chambre ne doit pas légèrement annuler une élection ; je crois que dans les cas douteux il y aurait beaucoup à dire en faveur d’une décision de la chambre qui validerait l’élection ; à moins qu’il n’y eût de trop graves abus, qu’il n’y eût probabilité que la chambre ne connaît pas la véritable opinion des électeurs, car la seule manière de rendre hommage à l’opinion des électeurs, c’est d’exiger que l’expression de cette opinion soit claire et formelle.
Je conviens que l’honorable M. de Theux a été plus explicite ; son langage diffère essentiellement de celui qu’il a tenu dans une autre occasion.
M. de Theux – En aucune manière.
M. Lebeau – Voici comment s’exprime M. de Theux :
« Je n’ai pas à m’occuper de la décision qui a été prise par la députation permanente de Liége ; l’on pourrait citer des décisions contraires, et notamment une décision prise par la députation permanente d’Anvers. Ces décisions ne forment pas jurisprudence pour la chambre. D’ailleurs, il est à remarquer que, dans l’élection dont on a fait mention, il s’agissait d’étrangers qui avaient pris part à l’élection quoique radicalement incapables d’y participer. Il s’agissait là d’une incapacité constitutionnelle, tandis qu’ici il s’agit simplement d’une incapacité légale. Cette distinction, bien que faite par un profond jurisconsulte, ne me touche cependant pas ; je soutiens d’une manière absolue que l’élection qui nous occupe est valide, quoiqu’un individu ait été inscrit indûment sur les listes électorales. »
C’est cette théorie, messieurs, dans toute sa crudité, dans tout ce qu’elle a d’absolu, que je me fais un devoir d’attaquer, contre laquelle il est de notre devoir, pour la chambre et dans l’intérêt du pays, de protester de tous nos efforts.
D’abord, messieurs, je n’admets pas avec le profond jurisconsulte (qui cependant n’a pas été assez profond pour convaincre l’honorable M. de Theux), je n’admets pas cette distinction entre l’incapacité constitutionnelle et l’incapacité légale. Je crois, messieurs, qu’il ne nous est pas plus permis de manquer à la loi que de manquer à la constitution. Je n’admets donc pas la distinction entre l’incapacité constitutionnelle et l’incapacité légale.
L’article 1er de la loi électorale porte :
« Pour être électeur, il faut :
« 1° Etre Belge de naissance, ou avoir obtenu la grande naturalisation ;
« 2° Etre âgé de 25 ans accomplis ;
« 3° Verser au trésor de l’Etat la quotité de contributions directes, patentes comprises, déterminé dans le tableau annexé à la présente loi. »
Voilà d’où sont partis les orateurs que j’ai cités tout à l’heure, et en tête l’honorable M. Dubus dont j’aime à invoquer l’autorité : voilà d’où ils sont partis pour repousser la règle absolue de la permanence.
Lorsqu’il s’est agi de l’élection de M. de Laminne-Bex, élu membre de cette chambre en 1831 ; si je ne me trompe, cette élection a été attaquée, par suite d’un changement de domicile de M. de Sauvage. L’honorable M. Dubus fit alors une distinction entre l’article 1er de la loi électorale qui parle du domicile et l’article 1er…
M. Dubus (aîné) – Il s’agissait de l’élection de M. Delaminne, c’était en 1832.
M. Lebeau – Comme j’ai eu fort peu de temps pour rassembler des notes, bien que, grâce aux soins du bureau, nous ayons reçu le Moniteur d’assez bonne heure dans la matinée, il est très possible que je me trompe dans quelques faits ; je prie ceux de mes honorables collègues qui auraient un souvenir exact de ces faits de les rectifier.
L’honorable M. Dubus fit alors, comme vous l’avez vu, une distinction entre le domicile qu’il présenta comme une condition réglementaire, et l’article 1er qui, selon lui, contenait les conditions essentielles dont l’élu devait nécessairement justifier, savoir qu’il payait le cens , qu’il avait l’âge voulu et qu’il jouissait de ses droits politiques.
Mais, messieurs, ce n’est pas seulement la loi, c’est la constitution qui porte en termes exprès quelques-unes des conditions essentielles de l’électeur, et dès lors l’on invoquerait vainement une disposition ambiguë de la loi, pour en inférer, contre le vœu de la constitution que, malgré l’évidence de l'incapacité de l’électeur, il faudrait valider l’élection.
L’article 47 de la constitution s’exprime dans les termes suivants :
« La chambre des représentants se compose des députés élus directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale, lequel ne peut excéder 100 florins d’impôts directs, ni être au-dessous de 20 florins. »
« La chambre des représentants se compose des députés élus directement par les citoyens… »
Exclusion formelle des étrangers, non par la loi électorale, mais par la constitution elle-même.
« Par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale… »
Ainsi, la condition du cens n’est pas seulement une condition législative, c’est une condition constitutionnelle qui dérive de la loi fondamentale elle-même.
Ainsi, la qualité de régnicole et celle de censitaire sont imposées par la constitution même.
Quant au domicile, quant à l’âge, ce sont des conditions imposées par la loi ; ces conditions, la constitution les a abandonnées à l’appréciation des législatures : mais pour les conditions du cens et de l’indigénat, il n’y a aucun doute, messieurs, ce sont des conditions essentielles, dérivant non seulement de la loi, mais encore de la constitution. L’absence d’une seule de ces conditions constitue une véritable incapacité radicale, contre laquelle nulle disposition législatives ne saurait prévaloir.
Maintenant voulez-vous savoir, messieurs, quelle serait la conséquence de la permanence des listes électorales, entendue d’une manière aussi absurde que le fait l’honorable M. de Theux.
D’abord, admission des non-censitaires ; car il serait mille fois prouvé qu’un électeur inscrit sur une liste électorale, ne paie et n’a jamais payé un centime d’impôt, bien que la constitution déclare que, pour être électeur, il faut payer le cens voulu par la loi ; en présence de l’inflexibilité des listes électorales et de la doctrine absolue de la permanence, il faudrait laisser voter celui qui se présenterait, alors qu’on établirait, par des documents authentiques, qu’il ne paie pas un centime d’impôt.
Donc violation d’une disposition constitutionnelle.
Admission d’étrangers, en violation des articles 4 et 5 de la constitution, et du paragraphe premier de l’article 1er de la loi électorale.
Admission d’un interdit ou d’un individu condamné à une peine afflictive ou infamante.
Dès lors violation de l’article 5 de la loi électorale, ainsi conçu :
« Ne peuvent être électeurs ni en exercer les droits les condamnés à des peines afflictives ou infamantes, ni ceux qui sont en état de faillite déclarée ou d’interdiction judiciaire. »
Apportât-on devant le collège électoral l’arrêt de la cour d’assises qui prononce une peine afflictive ou infamante ; apportât-on des jugements, passés en force jugée, qui déclarent l’interdiction ; apportât-on des jugements du tribunal de commerce, des arrêts émanant de la cour d’assises, portant déclaration de faillites, condamnation des banqueroutiers ; eh bien, si ces faits se sont passés après que les listes électorales ont été arrêtées, il faut qu’on admette à voter, d’après la doctrine de M. de Theux, les individus qui seraient dans l’un ou l’autre de ces cas, et qui seraient portés sur les listes. Voilà où l’on va avec le principe de la permanence des listes. Il faut admettre les mineurs de moins de 25 ans, en violation de l'article 1er de la loi électorale.
Telles sont les conséquences légales du système de la permanence des listes, alors qu’on l’étend au-delà du véritable sens de la loi électorale, c’est-à-dire au-delà de la jurisprudence purement administrative.
Mais quant aux conséquences pratiques, il n’est aucun de nous, par même l’honorable M. de Theux, qui ne reculât devant celles que je vais supposer.
Si un enfant de 15 ans était inscrit sur une liste par erreur ; si l’erreur était manifeste et que cependant il prît fantaisie à l’enfant de se présenter, de quel droit, avec votre système, viendrez-vous invalider son vote ? Vainement son acte de naissance sera sur le bureau ; vainement tout le monde reconnaîtra qu’il n’a que 15 ans, il faut valider l’élection, en vertu du principe de la permanence des listes.
Si un individu qui ne paie pas un centime d’impôts, qui ne figure sur aucun rôle, se trouve par suite d’une erreur, ou d’une fraude non rectifiée, non découverte, porté sur une liste électorale, il faut de toute nécessité, non seulement qu’il soit admis, mais que la chambre s’incline devant son vote et le ratifie.
Si c’est un failli, on aura beau apporter l’acte par lequel la faillite a été déclarée, il faudra reconnaître le vote du failli. Si c’est un interdit, non détenu dans une maison de santé, qui s’est présenté devant un collège électoral et qu’il ait voté, la chambre sera obligée d’admettre ce vote comme bon et valable, toujours d’après les doctrines de l’honorable M. de Theux.
Si un homme interdit et en état de démence s’introduit dans le sein du collège électoral, et qu’il soit sur la liste des électeurs, personne n’aura le droit de l’empêcher de voter, et vous serez obligés de valider l’élection.
Si un forçat s’échappe de son bagne et vient voter, parce que son nom figurera sur la liste des électeurs, et que personne ne se sera aviser de le faire radier, vous devrez admettre son vote et le ratifier.
Mais, dit-on, c’est pousser les choses à l’absurde, on empêchera le forçat de se présenter à l’élection, il n’aura pas de sauf-conduit.
Je demanderai de quel droit l’empêchera-t-on de se présenter, de quel droit l’arrêtera-t-on, s’il a, d’après le principe de la permanence, entendu comme l’entend l’honorable député de Hasselt, le droit de voter ? Des deux choses l’une, il a ou n’a pas le droit de voter ; s’il n’a pas le droit de voter, tout est dit, on fait bien de le retenir ; mais s’il a droit de voter, comment pourra-t-on l’empêcher de se rendre aux élections, alors que le code pénal punit celui qui porte obstacle à l’existence des droits politiques.
D’ailleurs, messieurs, le forçat peut être libéré, peut être libre ; il peut n’avoir pas besoin de sauf-conduit. Si son nom figure sur la liste électorale, bien qu’il ne soit pas réhabilité, il faut dont encore, en vertu de la permanence des listes, considérer comme valable le vote émis par ce forçat libéré.
En France, avec le système de la permanence des listes, on irait encore plus loin. Un homme frappé de mort civile, un homme considéré comme retranché de la société, si son nom se trouvait portée sur la liste électorale, aurait, en vertu du principe de la permanence, le droit de voter, sans que personne pût s’y opposer dans le sein du collège. Voilà comment, en pressant ce principe, en faisant découler toutes ses conséquences, on arrive aux choses les plus absurdes, et l’honorable M. de Theux reculerait lui-même devant quelques-uns des effets de la règle qu’il a posée.
Je crois réellement ne pas devoir en dire davantage sur cette question, ce serait abuser des moments de la chambre, ce serait faire injure à ses lumières. Il suffit d’exposer le système et d’en faire ressortir les conséquences les plus directes, les plus logiques, pour qu’il en soit fait une bonne fois justice devant vous.
Le système contraire est celui que soutenaient la plupart de nos honorables collègues dans d’autres circonstances. Je ne leur ferai pas l’injure de supposer qu’il professent la maxime : autres temps, autres doctrines.
Il est une considération de la plus haute gravité qui exige qu’on maintienne la jurisprudence du sénat, celle que le concert presque général des orateurs de cette chambre semblait avoir établi précédemment ; c’est que la chambre a le droit d’évoquer à elle tous les détails d’une opération électorale. Si on ne savait pas que l’autorité souveraine de la chambre plane sur tous les détails des opérations électorales, un immense appât, une immense excitation seraient données à la fraude. Ce qui peut arrêter ceux qui auraient des intentions coupables, qui voudraient frauder dans des opérations électorales, c’est la conviction qu’il y a quelque chose au-dessus d’eux, qu’il y a un pouvoir intelligent haut placé, impartial, qui déjouerait leurs manœuvres. Qu’on réduise la chambre au rôle de bureau d’enregistrement que lui assigne le système entendu d’une manière si absolue de la permanence des listes, on la force à recevoir dans son sein des membres qui seront le produit de l’élection de quelques interdits, de quelques faillis, de quelques forçats libérés ou d’étrangers ; on l’a fait descendre du haut rôle que lui assigne la constitution. On détruit ainsi une puissante garantie de la moralité publique, exposée à recevoir de si cruelles atteintes de nous luttes électorales.
Je demande la permission de me reposer un instant.
Quelques voix – A demain !
D’autre voix – Non ! non !
Une voix – C’est pour faire remettre la séance à demain.
M. Lebeau – Quoique très fatigué, je demande si peu la remise à demain, que si la chambre veut me laisser prendre seulement quelques minutes de repos, je continuerai.
M. le président – M. Lebeau est fatigué et demander à se reposer un instant, je prierai pendant ce temps M. Brabant, qui est chargé de faire un rapport, de vouloir bien le présenter.
M. Brabant – Messieurs, la commission spéciale à laquelle vous avez renvoyé le projet de loi présenté à la dernière séance par M. le ministre de la guerre et qui a pour objet d’allouer un crédit de 4 millions 750,000 fr. pour parfaire le solde des dépenses de la guerre pendant l’exercice de 1841, vous propose l’adoption de ce projet.
Le tableau produit par le ministre qui a été communiqué à la commission en dehors de la chambre a paru suffisant pour justifier la demande de crédit qui nous est faite. Je ne puis entrer dans d’autres détails que ceux contenus dans ce tableau.
M. le président – Quand la chambre veut-elle discuter ce rapport ?
Plusieurs voix – Demain ! demain !
M. Lebeau – Si la chambre veut m’entendre, je suis prêt.
Messieurs, je rencontrerai maintenant le plus succinctement possibles les moyens allégués par les réclamants et les arguments destinés à les combattre produits par M. Cogels et adoptés par la commission. Je ne crois pas avoir besoin de demander à la chambre qu’elle m’accorde toute son indulgence pour les développements un peu étendus auxquels je me livre. J’ai souvenir que chaque fois que la chambre s’est occupée d’une élection gravement contestée sur laquelle il y avait une grande divergence d’opinion dans cette chambre, elle a toujours pensé que la question de principe dominait de très haut la question personnelle, et dans plus d’une occasion elle a accordé jusqu’à 4 ou 5 séances pour l’examen d’une seule élection. D’où résulte, pour moi, la preuve que jamais la chambre n’a méconnu l’importance des questions de principe, qui se rattachent à une question en apparence purement personnelle. Il s’agit ici moins d’une élection que de la dignité, de la force morale de la chambre aux yeux du pays qui tient surtout à la conviction acquise à toutes les opinions de la pureté légale de sa composition. Il importe surtout lorsqu’on vient attaquer une des principales prérogatives de la chambre, la plus sûre sanction, la sanction la plus efficace de la sincérité des opérations électorales, il importe, dis-je, que vous entendiez avec attention, avec bienveillance, par devoir envers vous-mêmes, par devoir envers le pays et envers celui qui a l’honneur de vous parler, les observations produites pour conserver à la chambre cette importante prérogative.
Le premier moyen indiqué dans le Moniteur, que chacun de vous a sous les yeux, est justifié par des documents authentiques. M. Cogels ne nie pas que le sieur Janssens ait été dans l’impossibilité de prendre part à l’élection. Son alibi est constaté. Mais, dit-il, et après lui la commission, pour informer ce que ce fait a de grave : « La fraude ne se présume pas. » Sans doute, je comprends que si l’on venait poser une allégation quelconque contre les documents qui sont sous vos yeux, qui sont très authentiques, faisant foi tout au moins jusqu’à preuve contraire, je comprends qu’on pût, à une allégation dénuée de preuve, opposer la maxime que la fraude ne se présume pas.
Je comprends qu’on éconduisît par une fin de non-recevoir ce qui serait dans les termes d’une pure allégation. Mais ici il y a autre chose qu’une allégation. Il y a un document authentique attestant que quelqu’un a voté pour un sieur Jean-Sébastien Janssens, qui était dans l’impossibilité, reconnue par tout le monde, de se présenter dans le sein du bureau. A qui donc incombe-t-il de prouver qu’il y a erreur dans ce document ? il me semble que c’est à celui qui réclame le bénéfice de l’élection. Il ne suffit pas qu’il n’y pas eu fraude, pour que l’élection soit valable, il faut que de l’ensemble des documents qui sont sous vos yeux ressorte la preuve évidente que l’élu a obtenu la majorité.
D’après la commission il est présumé l’avoir obtenue, bien que des documents prouvent le contraire, et ce serait à nous à prouver qu’il ne l’a pas obtenue. La supposition la plus naturelle est celle d’un individu votant au lieu du sieur Janssens. Il est vraisemblable que le secrétaire et les scrutateurs ont été trompés par celui qui s’est présenté à l’appel du nom de Jean-Sébastien Janssens.
Il est impossible, dit-on, de qualifier de faux électeur celui qui a voté à la place du sieur Janssens, les électeurs seuls, aux termes de la loi, étant admis au sein du collège. Il est vrai que la loi le veut ainsi ; mais il n’en est pas ainsi dans la pratique.
Il n’est personne de vous qui, dans un collège électoral, n’ait rencontré des individus qui ne sont pas électeurs. Je citerai, pour Anvers, l’honorable comte d’Oultermont, notre plénipotentiaire à Rome ; qui était dans le sein du collège électoral, ainsi que nous l’ont appris les journaux, bien qu’il eût son domicile à Liége. Je suis convaincu qu’il y était dans les vues les plus innocentes et par un sentiment de curiosité. Qu’on ne vienne donc pas prétendre de ce que la loi a dit qu’on ne laisserait pas entrer dans le sein du collège, de personnes non électeurs, qu’il n’en soit pas entré, j’en appelle au souvenir de vous tous. J’en ai pour mon compte rencontré, presque toujours en nombre assez considérable. Quelquefois, quand on est sévère on les fait sortir ; le président, quand il s’en aperçoit, leur ordonne de quitter la salle. J’ai vu des électeurs dire : Un tel est là, et pourtant il n’est pas électeur, cependant je n’en ferai pas l’observation au président ; et comme la qualité d’électeur n’est pas inscrite sur la figure, la chose restait dans la confidence de quelques personnes.
Voilà comment en réalité les choses se passent. Il ne faut donc pas dire qu’il n’est pas possible que dans le collège électoral d’Anvers, à l’appel du nom de Sébastien Janssens, un faux électeur se soit empressé de venir voter. Quand cela ne serait pas prouvé, quand ce ne serait pas vraisemblable, il suffit que ce soit possible pour que l’élection soit entachée de nullité ; car ce fait suffit pour rendre la chambre incertaine sur les résultats de l’élection de M. Cogels.
Ce n’est pas à nous à fournir des preuves, c’est à M. Cogels à établir l’impossibilité de la présence d’un faux électeur. Car n’est-il pas possible qu’un parent, un fils ou un associé de Sébastien Janssens ait cru, dans la sincérité de son âme, qu’il avait le droit de gérer cette partie de ses droits, et qu’il soit venu voter pour lui ? Je pourrais multiplier les conjectures auxquelles peut donner lieu la substitution d’une personne quelconque à l’électeur inscrit. Aussi le fait d’un vote émis à l’appel du nom de Janssens est tellement grave, tellement décisif pour l’annulation de l’élection, qu’il a été admis par un des membres qui ont voté l’admission, parce qu’en retranchant ce vote, ce qu’il a fait, la majorité restait encore à M. Cogels. Je puis invoquer le témoignage de l’honorable M. Pirson, qui a voté avec moi pour l’admission de ce moyen, et qui a voté de ce chef l’annulation de l'élection, lorsqu’ultérieurement, y ayant réfléchi, il a vu que la majorité pouvait, dans son opinion, être acquise à M. Cogels, même en déduisant un suffrage.
Nous ne sommes pas d’ailleurs sans précédents sur ce point. Nous avons des cas analogues. Je citerai, par exemple, le fait d’un électeur décédé dont le nom était resté sur la liste, et pour lequel on avait voté. Voici sur ce fait, qui présente beaucoup d’analogie avec le fait actuel, ce que disaient plusieurs de mes honorables collègues.
Il s’agissait toujours de l’élection de M. Corneli.
« M. Doignon – Il a été allégué que deux fils auraient voté pour leur père ; on objecte que ce grief est de nulle valeur, parce qu’il aurait dû être opposé séance tenante et quand on dressait le procès-verbal ; tel est l’avis de la commission, elle est dans l’erreur. Il peut arriver qu’on découvre après l’élection qu’un fils a voté pour son père. Par exemple, le fils aîné, le père étant mort, peut croire de bonne foi qu’il a droit de voter à la place ; c’est ce qui est arrivé à l’élection d’un sénateur, laquelle a été annulée.
« En effet, à Dinant, un magistrat avait voté pour sa mère.
« M. de Brouckere – Deux fils, dit-on, ont voté pour leur père. Je crois que les nullités de ce genre doivent résulter du procès-verbal et qu’on ne peut les regarder comme bien établies quand elles résultent de la déclaration de certains individus.
« M. Dubus (aîné) – … Je conviens que l’on ne peut s’en rapporter aveuglement au dire des personnes présentes à l’élection, sur le point de savoir si un fis a voté pour son père, si des frères ont voté pur des frères ; mais je ferai remarquer que d’abord il y a au nombre des pièces, dont la tenue est prescrite par les lois et les règlements, une liste des votants tenue en double au moment de l’élection, et qui constate quels sont ceux qui ont pris part au vote. J’incline à penser que cette liste doit être considérée comme emportant la preuve que l’électeur lui-même a voté lorsque la liste le désigne comme ayant voté, sauf un cas qui s’est présenté quelquefois, c’est que l’électeur était dans l’impossibilité de participer à l’élection d’après les circonstances ou des faits constatés. Ainsi, l’on a vu des fils se présenter pour leur père décédé ; à coup sûr en présentant l’acte de décès de l’électeur et en le rapprochant de la liste des votants, on prouverait qu’il y a eu un faux électeur et l’on devrait défalquer ce faux électeur…
« M. de Brouckere – Comme l’a fort bien dit l’honorable M. Dubus, la liste tenue par le bureau fait foi jusqu’à preuve contraire. Or, pour qu’il y eût preuve contraire, il faudrait rapporter l’acte de décès ou une autre pièce d’où résultât la preuve irrécusable que l’électeur n’a pu déposer son vote. »
C’est bien le cas de Janssens.
Nous avons ici quelque chose qui remplace l’acte de décès ; c’est l’acte d’interdiction et la déclaration du directeur de la maison de santé, qui placent Janssens, à l’égard des opérations électorales, dans la position où serait un défunt. L’analogie est parfaite. Il n’y avait pas à rechercher s’il y avait fraude ou erreur. On a dit qu’il suffisait de rapporter l’acte de décès d’un individu inscrit comme votant, pour prouver qu’il y avait évidemment un faux électeur. Par ces mots, on n’entend pas dire qu’il y ait eu crime de faux. S’il y a eu erreur, il y a eu faux électeur, dans le sens légal. Nous ne parlons pas le langage du code pénal ; nous parlons le langage de la loi électorale, le langage administratif.
Le second moyen a été abandonné par la commission, en présence de l’arrêté de réhabilitation ; j’en ai tout à l’heure entretenu la chambre.
Le troisième moyen résulte de ce qu’on a trouvé le nom d’un mot Victor Paternotre sur la liste des électeurs et sur les deux listes de votants. Maintenant on soutient que Paternotre et Victor Palmaert c’est la même chose, et que nous devons le décider. Mais pour que ce fût la même chose, il faudrait rayer plusieurs dispositions de la loi électorale. La loi électorale exige que pour être électeur on figure sur la liste avec noms, prénoms, date de naissance, domicile et cens électoral. On soutient ici que si les noms sont différents, les prénoms sont identiques, que Palmaert a le même lieu de naissance que Victor Paternotre, qu’il s’appelle également Victor, qu’il a le même domicile, et paye également le cens électoral. Que Palmaert s’appelle Victor, qu’il soit domicilié à Anvers, dans la maison de Paternotre, nous ne le contestons pas. Quant au payement du cens électoral, c’est une pure allégation qui ne ressort pas du certificat de l’autorité communale fourni par M. Cogels.
Mais Palmaert payerait le cens électoral, qu’on ne pourrait l’admettre à voter. L’article 23 de la loi porte : « Nul ne pourra être admis à voter, s’il n’est inscrit sur la liste affichée dans la salle et remise au président. » Eh bien, cherchez sur la liste tant que vous voudrez, vous n’y trouverez pas le nom de Palmaert ; à moins que Palmaert et Paternotre ne soient la même chose, c’est-à-dire que Jean et Paul ne soient la même chose, il est impossible de faire considérer l’un pour l’autre.
L’article 8 de la loi électorale porte :
« Art. 8. Lesdites administrations (les administrations communales) arrêteront les listes et les feront afficher pour le premier dimanche suivant. Elles resteront affichées pendant 10 jours. Cette affiche contiendra invitation aux citoyens qui paient le cens requis dans d’autres communes, d’en justifier à l’autorité locale, dans le délai de 15 jours, à partir de la date de l’affiche, qui devra indiquer le jour où ce délai expire.
« La liste contiendra en regard du nom de l’individu inscrit, la date de sa naissance et l’indication du lieu où il paie des contributions propres ou déléguées, jusqu’à concurrence du cens électoral. S’il y a des réclamations auxquelles l’administration communale refuse de faire droit, les réclamants pourront se pourvoir à la députation permanente du conseil provincial. »
La loi veut donc que les listes soient soumises au contrôle de tous les électeurs et même de toutes les personnes habitant le royaume (article 12 de la loi.) Or, à moins qu’on ne me prouve que les noms de Palmaert et de Paternotre soient synonymes non seulement pour ses voisins, mais pour tous les habitants de l’arrondissement d’Anvers, du royaume même, aux termes de l’article 12 déjà cité, il est impossible de considérer le vote de Palmaert comme valablement émis, puisque son inscription sur la liste serait irrégulière, aurait échappé à tout contrôle. Voilà un nom sur la liste ; c’est le nom d’un mort, le nom de Paternotre, car ce qui fixe l’attention, c’est le nom de famille, ce ne sont pas les prénoms.
Cela est tellement vrai que je déclare ignorer les prénoms des quatre cinquièmes de mes honorables collègues. Quoique Palmaert ait, d’après la liste électorale, le même prénom que celui de Paternotre, bien qu’en réalité, je le reconnais, ces prénoms ne différent, il est impossible que les tiers, en voyant sur la liste « Victor Paternotre » devinent que cela veut dire « Victor Palmaert ».
On dit : mais Palmaert est connu sous la raisons sociale de Paternotre. Il n’y a pas d’électeur qui n’ait eu le droit de contester l’insertion de son nom sur la liste. Je réponds que la plupart des électeurs ont été dans l’impossibilité absolue de réclamer. D’ailleurs, ceux qui ont été attentifs au nom de Paternotre, au nom de famille, celui qui frappe seul l’attention, n’ont pas eu besoin de réclamer. Le nom de Paternotre est assez remarquable, il fixe l’attention. Mais on se sera dit : Cet homme est mort, c’est très inutilement que je me donnerais la peine d’examiner son inscription et de faire rayer éventuellement son nom de la liste.
M. Dumortier – Et l’identité de l’acte de naissance ?
M. Lebeau – Je réponds tout de suite à l’interpellation : l’identité de l’acte de naissance ! Mais pour moi, électeur, qui demeure peut-être à cinq lieues d’Anvers, et qui ai le droit de contrôler les listes de cet arrondissement, comment voulez-vous que je sache ce que signifie l’identité de l’acte de naissance ? d’ailleurs, deux Paternotre, dix Paternotre, ne peuvent-ils pas être nés en 1815 ? L’argument est, en vérité, si étrange que je ne sais si j’aurais dû m’y arrêter ;
Quant à l’identité du prénom de Victor, telle qu’elle résulte des listes, je conçois qu’elle ait frappé quelques voisins de Paternotre, quelques habitants de la même rue. Mais pour les habitants des autres quartiers de la ville et surtout pour les électeurs des communes rurales, la similitude de prénom ne pouvait rien faire. Il n’est pas physiquement impossible que, dans l’arrondissement d’Anvers, il y ait un nom de Victor Paternotre et un nom de Victor Palmaert. Personne n’a le monopole du nom de Victor.
Je tire de ce second fait la conséquence, que si on veut conserver à l’élection d’Anvers toute sa pureté, il faut que le nom de Paternotre soit rayé, que sa voix ne soit pas comptée.
Mais j’ai dit tout à l’heure qu’il n’était nullement prouvé que le sieur Palmaert payât même le cens électoral. Un certificat demandé à l’autorité locale par l’honorable M. Cogels et qui nous a été produit, n’en fait aucunement mention. Il n’en est pas dit un mot, et il est même probable que le sieur Palmaert ne payait pas le cens.
Que dit l’article 3 de la loi électorale ? L’article dit :
« Les contributions et patentes ne sont comptées à l’électeur que pour autant qu’il a été imposé ou patenté pour l’année antérieure à celle dans laquelle l’élection a eu lieu. »
Or, il est bien établi que Paternotre est mort en 1840. Si Palmaert n’est pas son héritier et son héritier unique, ce qui n’est pas allégué dans le certificat de l’autorité locale, il ne peut se prévaloir du cens payé par Paternotre. Il faut que lui-même ait payé le cens en 1840. Je sais bien que la loi ajoute :
« Le possesseur à titre successif est seul excepté de cette condition. »
Mais la qualité d’héritier dans la personne du sieur Palmaert n’est articulée par personne ; elle n’est du moins prouvée par personne. Il faudrait pour cela que Paternotre n’eût pas laissé d’enfants, n’eût pas laissé de mineurs, toutes choses qui ne sont pas même avancées. De manière que dans toutes les hypothèses, à moins qu’on ne produise des preuves authentiques du contraire, Palmaert n’a pas payé le cens électoral en 1840, car Paternotre n’est mort qu’en 1840.
Ainsi les articles 3, 8 et 23 de la loi électorale seraient complètement violés si on pouvait admettre que Victor Palmaert ait émis un vote à la place de Victor Paternotre.
Mais le fait même que Palmaert se serait présenté dans le sein du collège électoral n’est pas même établi. Il n’y en a pas le moindre adminicule de preuve ; ce n’est qu’une allégation. Qui nous dit qu’un faux électeur, à l’appel du nom de Palmaert, ne se soit point présenté ? puisqu’on parle de conjectures, en voilà une tout aussi plausible que celles qu’ont faites d’honorables membres.
Les quatrième et cinquième moyens consistent dans ce fait que les sieurs François-Jacques Boey et Henri Aerts ne payaient pas le cens électoral.
Messieurs, je ne sais si la chambre veut absolument en finir aujourd’hui ; mais j’avoue que je suis épuisé de fatigue. (A demain ! à demain !)
M. de Theux – Messieurs, il y a encore plusieurs orateurs inscrits. M. Lebeau n’a pas lui-même fait l’exposition de ses moyens contre le rapport de la commission. Je demande qu’il y ait demain séance à onze heures ; il est certain que lors même que la séance aurait lieu à midi, on ne pourrait s’occuper de l’examen des budgets en sections. Or, il y a urgence de s’occuper des budgets. Il y a donc aussi urgence de vider la question qui nous occupe. (Assentiment.)
M. le président – Il paraît qu’il n’y a pas d’opposition. La séance sera ouverte demain à onze heures.
- La séance est levée à 5 heures.