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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 4 mars 1841

(Moniteur belge n°65 du 6 mars 1841)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi, il lit ensuite le procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est adoptée, et il fait connaître l’objet de la pétition suivante.

Pièces adressées à la chambre

« Les bureaux de charité des communes environnant Peruwelz demandent qu’il soit pris des mesures pour favoriser la fabrication du sucre indigène. »

Renvoi à la section centrale du budget des voies et moyens.

Rapports sur des pétitions

M. Zoude, rapporteur – Messieurs, les pétitionnaires, marchands de boissons à Mouscron, exposent à la chambre que l’article 168 de la loi du 26 août 1822 leur occasionne un préjudice notable sans qu’il en résulte la moindre utilité pour le trésor.

Cet article défend d’accorder des documents pour l’expédition vers l’intérieur des vins et boissons spiritueuses qui faisaient le principal objet de leur commerce.

Cette disposition, disent-ils, qui établit de l'inégalité entre les habitants du royaume, devrait, pour ne pas être inique, être appuyée par des considérations majeures et d’une impérieuse nécessité ; mais il est loin d’en être ainsi, car cette mesure, dès son émanation, avait paru tellement absurde et inutile qu’elle n’avait reçu aucune exécution dans cette partie de la province avant les derniers jours de 1836.

Ils signalent ensuite une fiole d’inconvénients graves résultant de cette disposition, et ils nous ont paru mériter d’être pris en considération.

Dans une autre pétition qui fait suite à celle-ci, les pétitionnaires réclament aussi contre les dispositions des articles 44 et 45 de la loi de 1833 sur les distilleries, et l’article 12 de la loi du 27 mai 1837 en ce qui concerne les acquits à caution, qui, sans danger pour le trésor, pourront être remplacés, suivant eux, par des passavants.

Cependant les acquits à caution font peser sur les expéditeurs une responsabilité d’autant plus pénible qu’elle les expose à des amendes très fortes pour des omissions de formalités les plus légères et entièrement indépendantes de leur volonté.

Sous le gouvernement précédent, ajoutent-ils, cette formalité n’était pas requise dans des cas identiques aux leurs, ils la déclarent vexatoire, pour celui qui y est soumis, inutile pour le fisc, et un embarras pour l’administration.

Messieurs, un projet de loi sur la répression de la fraude était soumis à la chambre, et le gouvernement ayant annoncé une révision prochaine de la loi des distilleries, votre commission croit que le gouvernement peut puiser des enseignements utiles dans ces pétitions, en conséquence, elle a l’honneur de vous en proposer le renvoi à M. le ministre des finances.

- Les propositions de la commission sont mises aux voix et adoptées.


M. Zoude, rapporteur – Messieurs, l’ex-général de brigade au service du Portugal, le sieur Lecharlier, réclame de nouveau l’intervention de la chambre pour obtenir sa réintégration dans l’armée.

A sa pétition sont joints de nombreux certificats constatant la bonne conduite qu’il a tenue dans les divers cantonnements qu’il a occupés en Belgique, et la discipline qu’il a toujours fait observer dans le corps qu’il commandait.

En Portugal il a soutenu l’honneur du nom belge, et il a puissamment contribué à affermir le trône de Dona Maria.

Partout enfin il a recueilli des témoignages honorables de conduite et de bravoure ; et s’il était resté au service belge, l’armée aurait compté un brave de plus.

Mais a-t-il le droit de s’y faire réintégré comme il le prétend ? C’est ce que nous avons à examiner.

La chambre, dit-il, a admis l’ordre du jour sur sa première pétition parce qu’un arrêté royal lui aurait accordé une démission qu’il n’a jamais sollicitée, que cet arrêté, reposant dès lors sur un état erroné, n’a pu avoir d’effet, qu’il a toujours conservé son grade et qu’il entend s’y maintenir. Que ce grade, d’ailleurs, lui a été reconnu par le ministre de la guerre, même après sa prétendue démission du 11 novembre 1833.

Il en donne pour preuve une lettre par laquelle ce ministre lui annonce, sous la date du 15 décembre 1833, sa nomination de chevalier de l’ordre Léopold. Copie de cette lettre adressée à M. Lecharlier, major de la garde civique, est annexée à la pétition sous le n°17.

C’est après avoir ainsi posé en fait qu’il n’a pas donné la démission de son grade, et qu’en effet le ministre Evain a continué par sa correspondance à le reconnaître en sa qualité de major, qu’il a invoqué l’article 124 de la constitution dont il réclame l’exécution devant les tribunaux.

Par répandre quelque jour sur cette affaire, nous croyons devoir rendre compte à la chambre de la position militaire dans laquelle le pétitionnaire a été placé dès l’origine de la révolution.

D’abord, comme il le dit, il a été admis au service belge en qualité de major commandant le corps de tirailleurs francs de la Meuse, mais par ses lettres des 5 août et 7 septembre 1831, il sollicita sa démission, et elle lui fut accordée par arrêté royal du 11 septembre suivant. C’est donc de son plein gré et entier consentement qu’il a cessé d’appartenir à l’armée et qu’il a été rayée de son contrôle.

Cependant un arrêté royal de 1832 lui a alloué un traitement d’attente de 100 florins par mois jusqu’à ce qu’il eût été alloué sur ses droits à la pension.

Mais la formation des bataillons de la garde civique de 1er ban, permettant d’y employer des officiers qui ne faisaient plus partie de l’armée, le pétitionnaire fut admis, par arrêté du 13 avril 1832, en qualité de major du 2e bataillon de la garde civique mobilisée ; et lorsque cette garde fut remerciée de ses services, tous les majors qui la commandaient reçurent une démission honorable et on accorda des places de capitaines, pour la durée de la guerre, à ceux d’entre eux qui demandèrent à continuer à servir ; et si M. Lecharlier était resté au pays jusqu’au licenciement de cette garde, il aurait obtenu sans doute la même faveur qui avait été accordée aux officiers de son grade ; mais il avait accepté la proposition de M. Mendizabal pour passer au service de Portugal.

Il avait donc renoncé de fait à ses fonctions de major de la grade civique, et le ministre de la guerre avait dû nécessairement le démissionner pour qu’il pût légalement remplir l’engagement qu’il venait de contracter. Notification de cette démission lui avait été transmise par le général commandant dans les Flandres, et M. Lecharlier n’avait élevé aucune réclamation ; il y a plus, c’est qu’il avait dû s’en prévaloir pour remettre à son successeur le commandement de son bataillon, et il avait si bien su qu’il fallait une démission pour servir dans le corps qu’il allait commander, que, dans une lettre dont copie est annexée au présent rapport sous la date du 30 novembre 1833, il pria le ministre de la guerre de ne pas accorder de démission à tel capitaine qu’il désigne, parce que, l’ayant mis à l’épreuve, il ne lui avait pas reconnu les qualités nécessaires.

Mais si la démission vantée sous la date du 11 novembre 1833 était vraie, comment se fait-il, a demandé M. Lecharlier, que le ministre, lui annonçant sa nomination dans l’ordre Léopold, sous la date du 15 décembre, ait adressé sa lettre à « M. le major de la garde civique Lecharlier » ?

Ce fait s’explique bien naturellement. En effet, les listes des officiers et soldats ayant droit à cette récompense, s’élevant à plus de 300, furent soumises simultanément au Roi, pendant les mois de septembre, octobre, novembre et décembre ; mais un arrêté qui les comprenait tous, fut pris sous la même date ; et pour que l’avis en fût adressé simultanément à chacun, il avait bien fallu que les lettres fussent préparées d’avance, ne laissant en blanc que la date de l’arrêté de nomination ; dès lors chacun devait y figurer dans le grade indiqué sur les listes de présentation.

La conséquence tirée d’une pareille circonstance est donc bien misérable, et n’a certes aucune valeur. Mais, ajoute-t-il, un avis inséré au Moniteur sous la date du 1er mai 1835, et dont copie est au dossier, sous le numéro 26, porte que les officiers dont la conduite a été si honorable en Portugal, seront réintégrés dans le grade qu’ils avaient avant leur départ. Eh bien, cette réintégration a eu lieu pour tous ceux qui se sont présentés, mais M. Lecharlier ne fit rien de semblable ; il continua à se qualifier d’ex-général au service du Portugal, et c’est ce qui résulte notamment des annexes n°24 et 25, et il se considérait alors comme appartenant si peu à l’armée qu’il fit plusieurs voyages en Angleterre, en Portugal et en France, sans jamais demander un congé, et ce n’est que 5 ans après son retour que, paraissant se ressouvenir qu’il a appartenu autrefois à l’armée, il demande pour la première fois, en mai 1840, un permission pur aller en Angleterre et prétend, d’autorité, rentrer au service.

Messieurs, d’après l’exposé que votre commission vient d’avoir l’honneur de vous faire, elle croit que la chambre doit persister ans l’ordre du jour qu’elle a adopté dans sa séance du 30 mai dernier, et c’est la conclusion qu’elle a l’honneur de vous présenter.

Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.


M. de Renesse, rapporteur – Messieurs, par pétition datée de Bruxelles, du 17 janvier 1841, le sieur Pierre-François Callens, natif d’Ypres, père de famille, domicilié à Molenbeeck-St-Jean, faubourg de Bruxelles, blessé de la révolution, demande une pension.

Le pétitionnaire expose, qu’en 1830, lorsque le mouvement populaire éclata, il se mis immédiatement dans les rang des citoyens animés du désir d’être utiles à la cause nationale ; le 23 septembre 1830, il fut l’un des plus ardents défenseurs de la capitale ; fortement blessé, il tomba entre les mains des troupes hollandaises ; l’ordre de le fusiller fut donné ; mais ses jours furent préservés, par l’intervention d’un officier néerlandais, auquel le pétitionnaire avait sauvé la vie en 1815 à Waterloo.

Captif et blessé, le sieur Callens fut transporté à Anvers, où il fut retenu prisonnier jusqu’au 19 octobre 1830.

Le pétitionnaire allègue que jusqu’ici, il n’a reçu d’autre récompense pour ses blessures et services, que la croix de fer, mais aucune indemnité, ni pension, et s’il demande une pension civique, c’est qu’il est dans une position peu fortunée, et que ses blessures sont venues accroître de mois en mois ses souffrances et ses besoins.

La commission des pétitions, qui n’a pu s’assurer si les faits cités dans la pétition sont exacts, puisqu’aucune pièce n’est jointe à la réclamation, croit cependant qu’il y a lieu de renvoyer à M. le ministre de l'intérieur la demande du sieur Callens, blessé de septembre, décoré de la croix de fer, qui sollicite comme un acte de justice, une pension civique, à laquelle il croit avoir droit, pour les services rendus à la patrie, et pour les blessures reçues alors des premiers combats de septembre.

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.


M. de Renesse, rapporteur – Messieurs, les cultivateurs d la ville de Peruwelz et des communes environnantes, exposent par leur pétition, dont l’analyse a été faite à la séance de la chambre du 13 février de cette année, que les fabriques de sure de betteraves seront bientôt fermées, si elles ne trouvent dans nos lois de douanes l’appui qu’elles ont le droit de réclamer comme production indigène ; la fermeture de ces établissements porterait un coup très sensible à l’agriculture de leurs cantons ; la culture de la betterave convient à leur sol, elle n’est pas, comme le colza, le lin et le trèfle, sujette a être détruite par les intempéries des saisons ; tous ceux qui s’en occupent reconnaissent qu’elle tend à enrichir la terre, et la prépare à recevoir du froment, aussi bien que le trèfle, en partageant avec cette dernière plante l’avantage de nourrir le bétail ; la pratique a démontré qu’une ferme bien conduite, qui a adopté la betterave, produit plus de blés, qu’une autre d’une égale étendue, qui ne peut faire entrer la culture de cette plante dans son assolement.

Les fabriques de sucre indigène mettent en circulation une masse de numéraire, parmi ceux qui sont employés à la culture de la betterave, et particulièrement parmi la classe nécessiteuse, dans la saison la plus rigoureuse de l’année ; les pétitionnaires croient pouvoir affirmer qu’il y aurait une perturbation, une crise violente dans cette nombreuse portion de leur population, si les fabriques cessaient leurs travaux, par suite de l'abandon presque complet où les laisse une loi vicieuse.

La France, disent encore les pétitionnaires, en présence du sucre de canne de ses colonies, n’en a pas moins cru devoir protéger plus le sucre de betterave, que ne le fait actuellement la législation belge, qu’ils qualifient de système obscur, comme le syndicat néerlandais, qui a la même origine.

Les pétitionnaires ajoutent en outre, que trop rarement, peut-être, l’agriculture adresse des doléances à la législature ; mais, ils se regarderaient, dans la circonstance actuelle, comme coupables, surtout envers la classe ouvrière de leurs cantons, si, dans l’état critique où se trouve la production du sucre indigène, ils ne venaient demander à la législature la révision de la loi sur les sucres, et une juste protection pour l’industrie des sucres de betterave, si intimement liée à l’agriculture et au bien-être des clases nécessiteuses.

Votre commission des pétitions me charge de proposer à la chambre de renvoyer cette pétition à la section centrale du budget des voies et moyens, à laquelle déjà un grand nombre de pétitions de cette catégorie ont été adressées ; cette section centrale ayant été appelée à examiner les modifications proposées par M. le ministre des finances à la législation sur les sucres exotiques, pourra peut-être, pour son nouveau rapport, se servir utilement des renseignements contenus dans la présente pétition.

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.

Motion d'ordre

Proposition de modification du tarif français sur les fils et les toiles de lin

M. Rodenbach – Messieurs, lorsqu’il a été question, il y a quelques semaines, de la discussion du projet de loi sur les fils en France, j’ai engagé le ministre à s’employer de tous ses efforts pour que cette loi ne nous fût pas fatale. Je suis persuadé que le ministère n’aura rien négligé pour détourner de nous ce coup funeste. Je vois, en effet, par les discours des ministres français, que l’on a fait des démarches près de ceux-ci, puisqu’ils ont parlé de la nécessité de continuer les bonnes relations commerciales entre la France et la Belgique. Mais je ferai remarquer que la chambre des députés a adopté un amendement bien désastreux pour notre commerce. Il semble que, malgré toutes ses protestations qui se réduisent à des paroles, la France veuille continuellement nous faire une guerre douanière. Cet amendement n’a pas encore passé à la chambre des pairs, je suis convaincu que le ministère fera de nouvelles et d’actives démarches, pour que cet amendement ne soit pas sanctionné.

D’après ce que m’a dit un des premiers négociants de Courtrai, il a paru depuis la semaine dernière, une ordonnance ministérielle française, qui doit singulièrement aggraver la position déjà si déplorable de notre commerce de toiles. En vertu de cette ordonnance, on fait payer pour une fraction de fil comme pour un fil entier ; le droit actuel de 13, 14 ou 15 p.c. est porté par suite de cette ordonnance à 25 p.c. ; rien ne saurait être plus ruineux pour notre commerce de toile.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Messieurs, je suis heureux que l’honorable préopinant, par son interpellation, m’ait mis à même de donner quelques explications à la chambre. Je saisis avec empressement cette occasion de déclarer que dans tout ce qui a précédé et accompagné la discussion de la proposition faite à la chambre des députés par quelques-uns de ses membres, le ministère français a fait preuve d’un bon vouloir marqué en faveur de la Belgique. Je dois déclarer en outre que notre ministre à Paris a lutté contre cette proposition, contre les raisons et influences qui l’appuyaient, avec autant de dévouement et d’énergie que d’habité et de succès.

La chambre se rappellera que cette proposition était due à l’initiative de quelques membres de la chambre des députés, que leur proposition rétrogradait bien au-delà de la législation de 1826, qui cependant est déjà moins favorable à notre industrie que celle qui a été maintenue.

Eh bien, par les efforts persévérants du cabinet français, ainsi que l’attestent les discours de MM. Duchâtel et Cunin-Gridaine, par les explications et les renseignements donnés à ces honorables membres du cabinet par notre ministre à Paris, on est parvenu, non seulement à faire rejeter la proposition dont la chambre des députés était saisie, mais même à écarter le terme moyen auquel, en désespoir de cause, on paraissait devoir se résigner, je veux parler du système de 1826 ; on a maintenu la législation actuelle, sauf l’exception que vient de signaler l’honorable préopinant, exception qui ne semble pas être une innovation à la législation actuelle, mais une rectification, une interprétation plus sévère de la législation actuelle. Et c’est tellement vrai, qu’il ressort des explications que vient de vous donner l’honorable préopinant, que c’est en vertu d’une ordonnance ministérielle, alors que le nouveau projet de loi n’a pas encore été adopté par la chambre des pairs, et n’a pu dès lors être déjà promulgué ; que c’est, dis-je, en vertu d’une ordonnance ministérielle, interprétative de la loi existante, qu’on fait payer pour une fraction de fil comme pour un fil entier.

Eh bien, contre cette interprétation que vient de sanctionner la chambre des députés, on peut bien croire que des réclamations nouvelles ont été adressées au cabinet français par la diplomatie belge ; ces réclamations seront continuées, mais on comprendra combien la position du gouvernement belge est difficile, lorsqu’on n’argumente pas d’une disposition nouvelle, mais d’une interprétation plus exacte de la législation actuelle.

Quoi qu’il en soit, je déclare que nos démarches, tant contre l’interprétation ministérielle que contre la modification que la chambre des pairs est appelée à sanctionner, ne cesseront pas ; mais ici je ne puis protester que de notre vigilance et de notre dévouement et il ne m’est possible en aucune façon de garantir le succès de nos réclamations.

Je suis heureux cependant de pouvoir répéter que le gouvernement français a lutté avec énergie et avec succès contre la proposition émanée de l’initiative de plusieurs membres de la chambre des députés, et, sous ce rapport, je dois déclarer que le gouvernement français a acquis de nouveaux droits à la reconnaissance de la Belgique, quoique je n’hésite pas à reconnaître que c’est, en se plaçant avec tout, au point de vue de l’intérêt français, sainement entendu, que MM. Duchâtel et Cunin-Gridaine ont combattu cette tentative de retour vers le système restrictif.

M. Delehaye – Messieurs, moi aussi j’ai la conviction intime que le gouvernement belge a fait touts ses efforts pour empêcher que la proposition soumise à la chambre des députés de France ne nuise à nos intérêts ; mais comme j’ai eu l’honneur de le dire hier, je suis persuadé que si la France ne majore pas les droits de son tarif, c’est que le moment n’est pas encore venu ; je suis persuadé que si de votre côté vous ne prenez pas des dispositions contre l’Angleterre, la France finira par frapper de prohibition et nos produits et les produits anglais.

Comme je l’ai fait observer dans la séance d’hier, la Belgique est pour la France une ressource trop précieuse à ses intérêts, pour que ce dernier pays prenne à notre égard des mesures défavorables. Je suis persuadé que la France professe pour nous des sentiments de bienveillance ; mais ces sentiments de bienveillance n’iront pas jusqu’à porter atteinte à ses propres intérêts au profit de la Belgique.

La mesure qui a été adoptée en France, relativement aux fils, est une mesure évidemment dirigée contre l’Angleterre ; eh bien, si à notre tour nous prenons des dispositions contre l’importation des fils en Belgique, la chambre peut être convaincue que la mesure dont il s’agit ne s’adressera qu’à l’Angleterre.

Sans aucun doute, la France qui déjà reçoit de la Belgique quelques produits qu’elle ne pourrait pas se procurer à meilleur compte chez d’autres nations, n’établira pas un droit prohibitif à l’égard de la Belgique seule ; mais la France trouvera toujours des excuses pour paralyser l’influence de la Belgique qui pourrait être nuisible à l’industrie française.

Vous avez vu, lorsqu’il s’est agi du canal de l’Espierre, que la France n’a pas craint de vous demander à ouvrir sur votre propre territoire un canal destiné à procurer la houille aux industriels français à meilleur marché ; nous avons envisagé ce fait comme favorable à nos houillères ; et il l’état en effet ; mais nous avons reconnu que si cette mesure nous était favorable, la France, en la provoquant, avait également servi ses propres intérêts.

Eh bien, le système français, toujours protecteur, finira par prohiber l’importation de nos fils ; c’est pour la France une question de temps ; nous ne devons pas nous faire illusion, nous aurons beau faire des instances, des prières auprès du gouvernement français, un jour viendra où la France prohibera entièrement nos toiles.

Puisque j’ai la parole, je demanderai la permission de dire quelques mots sur un autre objet.

Messieurs, sous le gouvernement hollandais, nos fabricants d’huiles jouissaient de l’avantage de pouvoir exporter les tourteaux de lin, mais la loi exigeait que cette exportation eût lieu par le port de Helvoetsluys. Par suite de la séparation de la Belgique d’avec la Hollande, ce port appartient à la Hollande, et il en résulte que l’exportation des tourteaux de lin ne peut plus s’opérer, et cependant la loi n’a pas cessé d’être en vigueur. Chose assez étrange, aucun ministère, depuis la révolution, n’a songé à modifier la loi.

Vous remarquerez, messieurs, que je veux parler des tourteaux de lin, et non pas des tourteaux de colza, les tourteaux de colza sont un engrais ; il importe donc de conserver ces tourteaux dans le pays, puisqu’ils sont nécessaires à l’agriculture. Mais il n’en est pas de même des tourteaux de lin, qui formeraient un article très considérable d’exportation. La Belgique produit plus de tourteaux de lin qu’elle n’a besoin pour sa consommation. Ce serait donc faire chose utile au commerce que de déterminer les ports par lesquels l’exportation de ces tourteaux pourrait s’effectuer. Je pense qu’il n’y aurait aucun inconvénient à ce que le gouvernement déclarât que cette exportation peut se faire par tous les ports ; la mesure serait plus générale, et elle serait aussi plus sage.

Je suis heureux de pouvoir dire que le commerce de Gand a des remerciements à adresser au gouvernement pour ses dispositions bienveillantes ; l’adoption de la mesure que je propose, et qui doit être utile au commerce et à l’industrie du pays, ne pourra qu’augmenter notre reconnaissance. Je prierai, en conséquence, MM. les ministres de l’intérieur et des finances de vouloir bien porter sur cet objet toute leur attention.

Projey de loi de séparation de communes

Rapport de la commission

M. d’Hoffschmidt, au nom d’une commission, dépose un rapport sur un projet de loi relatif à une séparation de commune.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

Projet de loi approuvant le traité de commerce et de navigation conclu entre la Grèce et la Belgique

Discussion de l'article unique

M. le président – La parole est à M. Mast de Vries.

M. Mast de Vries – Le dernier orateur entendu d’hier, a parlé en faveur du projet, comme je me propose de parler aussi pour ce projet, je demanderai s’il n’y a personne inscrit pour parler contre.

M. de Foere – Je commencerai par aborder quelques parties du discours que l’honorable ministre des affaires étrangères a prononcé dans la séance d’hier. La chambre, a-t-il dit, en premier lieu, n’entame, en aucune manière, son vote à l’égard des traités conclus avec la France et avec les Etats-Unis. Cette assertion est plus que hasardée, elle est même contredite par ses propres paroles. Il vous a dit hier en même temps que c’était chose très grave que de rejeter un traité qui avait été conclu avec tous les soins que la diplomatie a pu mettre dans la négociation de ce traité. Il a ensuite ajouté que, si le traité avec la Grèce n’était pas adopté, vous devriez craindre qu’un autre traité, fondé sur d’autres bases, ne pourrait être négocié. Ces considérations entament, de la manière la plus grave, les votes de la chambre à l’égard du traité conclu avec la France et avec les Etats-Unis.

Si le traité a été conclu sans consulter la chambre et s’il est maintenant présenté à sa sanction, après qu’il a été négocié, à qui la faute ? La faute est au gouvernement qui ne suit pas à l’égard de la conclusion des traités de commerce, les usages généralement suivis par le autres nations.

Ailleurs, messieurs, les gouvernements soumettent aux chambres, avant de négocier, les bases générales sur lesquelles il convient aux intérêts du pays que les traités de commerce maritime soient conclus. Lorsque ces bases sont adoptées et les traités conclus, le gouvernement dépose sur le bureau les traités conclus, et chaque membre du parlement a le droit d’inspecter ces traités afin de s’assurer si leurs dispositions sont conformes aux bases qui ont été admises par la législature. Si elles sont trouvées conformes, aucune discussion n’a lieu. Si au contraire un membre du parlement croit que le traité conclu contient des dispositions qui ne sont pas conformes aux bases préalablement admises par la législature, ce membre provoque une discussion, signale les déviations et le ministère s’explique.

Messieurs, ces mêmes observations que l’honorable ministre des affaires étrangères vous a faites hier, ne sont-elles pas applicables exactement aux traités conclus avec la France et les Etats-Unis ? Ne pourra-t-il pas également venir vous dire que ces traités ont été conclus avec tous les soins de notre diplomatie et que c’est chose grave que de compromettre ces négociations ? Il peut vous dire encore : vous avez à craindre que de nouveaux traités ne puissent être négociés sur d’autres bases.

Je vous le demande, n’est-ce pas entamer directement le vote de la chambre sur ces autres traités ? La faute, dis-je, messieurs, est au gouvernement qui ne met pas en discussion les principes sur lesquels les traités de commerce maritime doivent être basés. Une fois ces principes adoptés, le gouvernement aurait toute facilité pour traiter sur ces bases, et ne s’exposerait pas à un rejet de la part de la chambre.

Maintenant, que fait-on ? On enlève à la chambre, en grande partie, l’indépendance de son vote, l’exercice de sa prérogative qui lui est assurée par l’article 68 de la constitution. Cet article investit la chambre d’une indépendance entière, de la plénitude de son droit de discuter dans toutes leurs parties, les traités de commerce conclus et de les adopter ou de les rejeter. Ce n’est pas d’un simple droit de visa que la constitution vous accorde, messieurs ; elle vous donne une plénitude de droit d’adopter ou non les principes sur lesquels le système commercial établi dans chaque traité, est fondé. Si ces bases avaient été préalablement examinées et arrêtées, le ministère n’éprouverait pas maintenant le besoin vrai ou factice de vous inspirer la crainte de compromettre des négociations accomplies ; il ne se sentirait pas obligé de venir jeter l’intimidation dans la chambre et faire, en quelque sorte, violence au vote de la chambre, et lui enlever en grande partie la prérogative que lui donne l’article 68 de la constitution.

Que résulte-t-il maintenant de ces traités de réciprocité ? Que le gouvernement négocie sur des bases différentes, tantôt avec telle nation, tantôt avec telle autre, sur des principes qui s’excluent, sur des principes dont l’action de tels traités entrave les effets de tels autres.

Le traité avec la Porte ottomane admet les deux nations sur le pied des nations les plus favorisées, et le ministère ne daigne pas renseigner la chambre sur les faveurs que la Porte ottomane se réserve, car toute nation qui base ses traités sur un pareil système, se réserve des protections. Quelles sont ces protections que la Porte s’est réservées ? Nous n’en savons rien, nous connaissons les réserves que nous avons faites de notre côté. Elles ont pour objet le sel et le poisson.

Ces réserves, pour nous, sont oiseuses, inutiles, absurdes. Le commerce maritime de la Porte, alors qu’il en aurait la pleine liberté, ne peut, sans se ruiner sous ce rapport, importer chez nous ni poisson ni sel.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Il ne s’agit pas du traité avec la Porte qui est ratifié, mais du traité avec la Grèce.

M. de Foere – J’invoque ce traité pour prouver à la chambre l’inconséquence de vos traités.

Vous traitez avec la Grèce, et vous traitez sur un autre pied avec la Porte.

L’article 6 de ce traité dit : « tout ce qui pourra être légalement importé en Grèce par navires grecs pourra l’être par navires belges. » Savez-vous ce que vous pouvez « légalement » importer en Grèce ? Nous sommes à cet égard dans la plus complète ignorance ; savez-vous s’il existe dans le tarif grec des prohibitions ou des réserves que la Grèce s’est faites en sa faveur ? Tout ce qui peut être légalement importé est le texte des traités que l’Angleterre conclut avec d’autres nations, parce qu’elle a des prohibitions qu’elle oppose à toutes les nations. C’est la raison pour laquelle elle dit dans ses traités : « tout ce qui pourra être légalement importé. » Puisque les mêmes mots sont employés dans l’article 6 du traité conclu avec la Grèce, il y a donc aussi des marchandises qui ne peuvent pas être légalement importées dans ce pays, ou bien ces mots n’ont pas de signification. Quelles sont ces marchandises ? Nous n’en savons rien. Et quand nous demandons au ministre des renseignements, il n’en a pas à nous donner. Nous demandons le tarif de la Grèce, le ministère n’en a pas. Cependant il est de la plus grande importance de considérer les traités de réciprocité dans les effets que les tarifs opèrent sur nos importations dans les pays avec lesquels nous traitons. Nous ne savons pas si les tarifs de la Grèce contiennent ou non des droits de protection élevée sur les articles similaires que nous pourrions produire en concurrence avec la Grèce. La Grèce est une nation jeune. Elle éprouve probablement le besoin de protéger considérablement ses nouvelles industries. Ne connaissant pas son tarif, je me demande en vain comme elle opérera son traité ? Ce sont particulièrement les effets des traités qu’il faut considérer avant de les admettre. Une preuve évidente, c’est que si vous concluiez un traité avec l’Angleterre, la conséquence de ce traité serait que vous n’importeriez pas plus de marchandises que vous n’en importez aujourd’hui sans traité. Pourquoi ? Parce qu’à côté de ce traité, l’Angleterre vous oppose des tarifs de douane qui vous excluent. Avant donc de conclure un traité semblable, il importe de savoir si les tarifs ne vous empêchent pas d’importer.

L’Angleterre reçoit sans traité tous les articles dont elle éprouve le besoin. Elle repousse tous les autres. Nos discussions parlementaires négligent presque toujours les considérations fondées sur les besoins que les nations éprouvent. Ce sont cependant ces besoins qui limitent vos exportations. C’est sous ce rapport que nos traités doivent être particulièrement appréciés avant de les négocier ou avant de les conclure, parce que là seul sont les effets avantageux qu’ils peuvent produire. C’est ce qui détermine vos exportations en grande partie. Eh bien, ayez un traité sur cette base avec l’Angleterre et vous n’exporterez pas plus dans ce pays que maintenant, que si vous n’aviez pas de traité, parce que l’Angleterre vous exclut par son tarif de douanes.

Nous sommes dans la plus complète ignorance à l’égard du traité avec la Grèce par cette raison toute simple que nous ne connaissons pas le tarif de la Grèce. Si donc la chambre accepte ce traité, elle accepte ce qu’elle ne connaît pas ; elle se stigmatise devant l’Europe toute entière, parce qu’elle ne sait ce qu’elle fait ; elle ne sait comment ce traité opérera sur la Grèce à cause de son tarif ; elle ne connaît pas les marchandises que le tarif de la Grèce permettra à la Belgique d’importer dans ce pays.

Vous aviez conclu avec les Etats-Unis un premier traité ; vous aviez conclu sur une autre base. Ce premier traité, vous n’avez pas vous-mêmes osé le ratifier. Ce fait prouve que vous pouvez traiter sur d’autres principes puisque le second traité a été négocié sur d’autres bases.

Vous traitez encore avec la France sur une autre base. A côté du traité avec la France subsistent contre nous ses énormes droits différentiels sur les importations indirectes et le monopole de son commerce colonial, qui, à lui seul, détruit tous les avantages que vous entendez tirer du traité.

Vous prétendez que vous n’entamez pas le vote de la chambre à l’égard du traité conclu avec les Etats-Unis et avec la France, et en même temps vous jetez l’intimidation dans la chambre en faisant craindre que, si le traité avec la Grèce n’était pas admis avant le 15 mars, un nouveau traité ne pourrait être conclu sur une autre base. N’est-ce pas entamer l’indépendance du vote de la chambre, à l’égard de tous les traités qui lui sont soumis ? Cette assertion, comme je l’ai dit, est très hasardée ; elle est contredite par les faits, puisque, comme je viens de le dire, vous aviez conclu un premier traité sur telles bases avec les Etats-Unis, et que vous en avez conclu un second sur telles autres. Vous avez traité avec la France ; la date de ratification de ce traité est expirée depuis longtemps. Elle a été plusieurs fouis renouvelée. Au surplus les annales de la diplomatie commerciale ne sont-elles pas remplies de refus et de délais de ratification des traités ?

L’honorable M. Smits est venu confirmer, par une observation que je qualifierai d’oiseuse, la crainte que l’honorable ministre a cherché de vous inspirer. Cette même observation il l’a souvent reproduite dans nos discussions à l’égard des nations avec lesquelles nous nous proposons d’entrer en réciprocité. « La Grèce (nous a-t-il dit) ne traite que sur le pied d’une parfaite égalité. »

M. Smits – En général.

M. de Foere – En général ou en particulier, vous avez prononcé ces paroles. Eh bien, si la Grèce concluait avec nous un traité de réciprocité, basé uniquement, comme nous le désirons, sur l’importation réciproque des marchandises, qui sont le produit du sol et de l’industrie de chaque pays ; ne traiterait-elle pas avec nous sur un pied de parfaire égalité ? Une parfaire réciprocités n’existerait-elle pas également, soit que vous traitiez sur telle base, ou sur telle autre ? Cet honorable membre nous a dit, dans une autre circonstance, que les Etats-Unis ne traitent que sur un pied de parfaire réciprocité. Eh bien, cette puissance traite avec nous, en comprenant les entrepôts, et avec l’Angleterre et la France, en les excluant. Je vous le demande, n’est-ce pas toujours traiter sur le pied d’une parfaite réciprocité ! Donc, messieurs, cette observation ne doit vous inspirer aucune crainte, ne doit aucunement vous influencer quant à l’adoption ou au rejet du traité maintenant en discussion.

On a donc tâché en vain de vous faire craindre que, si vous rejetiez le traité, vous ne pourriez plus en conclure d’autre sur une autre base. Cette autre base renfermerait également une égalité parfaite entre les deux pays, puisque la réciprocité sur telles bases ou sur telles autres est le principe sur lequel vous établissez les traités de commerce et de navigation. Lorsque les Etats-Unis traitent avec la France et l’Angleterre, sans comprendre dans le traité la réciprocité à l’égard d’importations d’entrepôts, ou ne faisant consister la réciprocité que dans les importations mutuelles des produits du sol et de l’industrie de chaque pays, ils paient sur les importations des produits entreposés, des droits différentiels. Mais, les importations se trouvent sur la même ligne que celles de la France et de l’Angleterre faites aux Etats-Unis, alors que les uns et les autres importent réciproquement dans chaque pays les produits de leur sol et de leur industrie.

L’honorable ministre des affaires étrangères vous a dit, hier, afin de vous entraîner à l’adoption du traité en discussion, que l’Angleterre et toutes les nations dévient du système protecteur et qu’elles entrent dans un système libéral. Et pour le prouver, il vous a seulement cité la Hollande et les traités qu’elle a conclus avec l’Angleterre, les Etats-Unis et la Prusse.

En premier lieu, je défie M. le ministre des affaires étrangères de prouver que d’autres nations, telles que la France, l’Angleterre, l’Espagne, la Sardaigne, etc., aient dévié du principe protecteur du commerce qu’ils ont toujours suivi. Le gouvernement lui-même en a fait l’expérience. Il n’a pu conclure avec l’Espagne, la Sardaigne, les Etats romains d’autre traités qu’un traité de navigation, et non pas un traité de commerce. Ces nations ont voulu rester dans le système protecteur. Il a été prouvé que ces nations maintiennent, avec raison, leur système de protection ; car (comme je le prouverai quand nous entrerons dans le fond de la question) leur commerce national eût été anéanti par le commerce maritime des autre nations. Je dirai même plus : l’honorable ministre a avancé que les nations dévient des principes protecteurs ; je dirai non seulement qu’elles n’en veulent pas dévier, mais qu’il n’est pas même dans leur pouvoir de les abandonner ; car elles sont liées par des traités de réciprocité, dans lesquels il est stipulé que si elles accordaient une faveur à une autre nation, elles sont obligées de l’accorder aux nations avec lesquelles elles ont des traités de réciprocité.

L’honorable ministre, pour seule preuve, vous cite les traités de navigation et de commerce conclus dernièrement par la Hollande avec l’Angleterre, les Etats-Unis et l’Allemagne. Je vous prouverai, messieurs, le traité à la main qu’elle a conclu avec l’Angleterre, que la Hollande, à l’exception du transit sur lequel elle a transigé, après avoir pendant longtemps interprété en sa faveur le règlement de Mayence contre l’Angleterre et contre les autres nations, maintient sa protection actuelle, ainsi que sa législation coloniale, hérissée de droits différentiels énormes en faveur de son propre commerce et de sa propre navigation commerciale.

Voici le texte de son traité avec l’Angleterre qui contient les mêmes bases que les traités qu’elle a conclus avec les autres nations, puisque dans le traité même il est stipulé que, si elle accordait à d’autres nations des faveurs, elle serait obligée de les accorder également à l’Angleterre.

Le paragraphe 1er de l’article 1er de ce traité stipule la réciprocité, sur le pied des nations les plus favorisées, sous le double rapport de la navigation et du commerce. Puisque la réciprocité n’est adoptée que sur le pied des nations les plus favorisées, il est évident que les protections qu’on s’est réservées de part et d’autre, sont maintenues.

Le deuxième paragraphe de cet article ne stipule que l’assimilation des droits sur les produits réciproques de chaque pays, relativement aux droits des mêmes produits importés par d’autres pays. C’est le principe établi dans le deuxième paragraphe, principe qui est aujourd’hui celui que le pays a adopté et qui constitue le droit commerciale européen presque tout entier.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Je demande la parole.

M. de Foere – Je ne sais si l’honorable ministre m’a bien compris. Il demande la parole. Je répéterai ce que j’ai dit.

Je ne prétends pas, messieurs, que le deuxième paragraphe de l’article 1er contienne le système que mes amis politiques et moi, et la très grande majorité du pays, voudraient introduire chez nous ; mais seulement une assimilation de droits sur les produits réciproques de chaque pays relativement aux mêmes produits importés par d’autres pays.

Telle est l’analyse du paragraphe 2 de l’article 1er.

L’article 2 stipule ces deux dispositions : 1° l’assimilation des droits de navigation sur les navires réciproques ; et dans quel cas ? en cas de voyages avec cargaison d’un pays à l’autre ; 2° assimilation des droits de commerce sur les marchandises importées ou exportées, dans le même cas, par les navires des deux pays.

Les droits de protection, les droits différentiels qui existent maintenant en Hollande, sont donc maintenus. Ils sont maintenus sur le thé, sur le sucre, et sur le café importé de Java et sur toutes les productions de leurs colonies, importées directement dans les ports de la Hollande.

Par cette raison, si l’Angleterre exportait ces articles de ses ports dans les ports de la Hollande, elle serait arrêtée par les droits différentiels pour la vente de ses mêmes marchandises. Ce sont des articles à l’égard desquels la Hollande protège son commerce européen et colonial. Or, ce sont précisément les articles les plus importants, qui donnent lieu à la navigation et à l’échange de nos produits contre les produits coloniaux ; c’est le café, c’est le sucre.

Ainsi, si les Etats-Unis, si l’Angleterre arrivaient en Hollande avec leurs marchandises, ils ne pourraient les vendre, parce que leur prix serait augmenté de toute l’élévation des droits différentiels ; les mêmes marchandises importées en Hollande de ses colonies ou des pays de provenance, se vendront préférablement à tous autres produits similaires emportés par l’Angleterre ou par les Etats-Unis.

Telle est, messieurs, la véritable analyse des traités de réciprocité conclus entre la Hollande et les autres nations. Les effets de ces traités ne peuvent en rien détruire les protections que la Hollande s’est réservées en faveur de son commerce maritime et en faveur de sa navigation commerciale.

Elles sont détruites les observations que l’honorable ministre des affaires étrangères vous a faites à l’égard du prétendu relâchement dans lequel la Hollande et les autres nations seraient entrées ; elles ne doivent donc exercer aucune influence pour vous engager à adopter le traité en discussion. Toutes les nations maintiennent leurs protections. Il n’existe même pas de tendance chez aucune nation maritime à se relâcher sur les protections qu’elles accordent, dans leur intérêt, à leur commerce et à leur navigation.

Vous n’entamez pas, dites-vous, le vote de la chambre sur les traités de réciprocité conclus avec la France et avec les Etats-Unis. Eh bien ! messieurs, j’ose vous prédire que votre vote est non seulement entamé ; mais en dépit de toutes les déclarations que l’honorable ministre vous a faites hier, et qu’il vous fera peut-être encore aujourd’hui j’irai plus loin, je ne dirai pas que votre vote n’est pas seulement entamé, mais je dirai qu’il est entièrement engagé.

Il est établi un droit public européen à l’égard des principes commerciaux déposés dans les traités de réciprocité. Chaque nation a le droit, droit que reconnaissent même les grandes puissances, de se former un système de commerce extérieur et international tel qu’elle l’entend et tel qu’elle croit le mieux convenir à ses propres intérêts.

Mais une fois ce système posé à l’égard d’une nation, et surtout à l’égard de deux ou trois nations, vous ne pouvez plus le poser, d’une manière moins avantageuse à l’égard d’une autre nation, si cette nation veut être reçue sur le pied de ce système.

C’est là, messieurs, où est le danger. Toutes les nations qui voudront être reçues sur ce pied vous demanderont, elles exigeront même impérieusement que vous les traitiez sur le pied des nations les plus favorisées. Alors la position ne sera plus tenable. Les autres nations vous diront : vous faites contre nous des exceptions injurieuses ; vous avez posé un système commercial à l’égard de la Grèce, vous devez nous admettre sur le pied de ce système, ou nous ne traitons pas avec vous.

Messieurs, dans les mémorables discussions qui ont eu lieu en Angleterre en 1826 et en 1827 sous le ministère commercial d’Huskisson, ce célèbre ministre a démontré au parlement, et sans rencontrer aucune contradiction, que si une fois un pays pose un principe, donne une faveur à une nation, il n’est plus possible de refuser la même faveur à d’autres nations. Assurément notre honorable ministre des affaires étrangères ne prétendra pas à plus de connaissances en diplomatie et en affaires commerciales que ce célèbre ministre. Maintenant, messieurs, je vous demande si la déclaration de l’honorable M. Lebeau est de nature à apaiser nos craintes.

Si donc vous admettez le principe, si vous admettez les entrepôts, si vous ne traitez pas uniquement comme fait l’Angleterre, comme fait la France, sur les provenances directes, sur l’exportation mutuelle des marchandises provenant des produits du sol et de l’industrie de chaque pays ; dès qu’une fois vous traitez avec une ou deux nations sur un autre pied, toutes les puissances, et surtout les grandes puissances devant lesquelles vous vous trouvez, exigeront de la manière la plus impérieuse d’être traitées sur le pied des nations les plus favorisées. Ainsi il faudra accorder l’assimilation des importations indirectes à ces grandes puissances maritimes qui ont une navigation bien plus considérable que la nôtre, et dès lors, je vous le prédis, votre commerce maritime est ruiné, presque radicalement ruiné. Vous n’exporterez pas les trois quarts des produits de votre industrie que vous exporteriez si vous posiez dans vos traités de réciprocité la base de l’importation réciproque des provenances directes de chaque pays, à l’exclusion des marchandises d’entrepôt.

Si, après l’expiration du traité avec la Grèce, les intérêts du pays commandaient impérieusement de changer de système commercial, et de ne plus admettre comme réciprocité les importations par la voie intermédiaire des entrepôts, vous ne pourrez plus changer le système ; ou tout au moins vous rencontreriez des entraves devant lesquels vous seriez arrêtés.

Quel sera l’effet du traité ? ce sera de faire établir dans la Grèce des relations particulières ; des intérêts seront engagés ; des établissements se formeront.

Vous serez arrêtés devant ces entraves, devant ces intérêts particuliers qui se seront établis dans ce pays, et qui seraient compromis, si vous changiez de système. Lorsque vous aurez accordé la réciprocité pendant cinq ou six ans, vous ne pourrez donc plus changer convenablement votre système de commerce, lors même que vous reconnaîtrez que les bases du système sont contraires aux intérêts du pays.

Les mêmes obstacles qui s’opposeraient à toute modification essentielle seraient donc, en cas d’adoption de ces traités, plus multipliés et plus étendus. Les effets de ces traités vous démontreraient à l’évidence qu’ils sont fatals au pays, et vous ne pourriez plus changer facilement de système.

« Une seule chambre, a dit encore l’honorable ministre des affaires étrangères, une seule chambre a réclamé contre le traité avec la Grèce. »

En premier lieu, cette assertion est inexacte ; la chambre de commerce de Bruges a également réclamé contre ce traité…

M. Smits – Je ne le pense pas.

M. de Foere – Si mon assertion n’inspire pas assez de confiance à l’honorable membre, je le prie de recourir à la pétition que la chambre de commerce de Bruges a adressée à la chambre, il y a quelques jours, pétition dont la chambre a ordonné l’impression au Moniteur.

M. Smits – Cette pétition n’a pas été adressée à la commission.

M. de Foere – Comme celle de la chambre de commerce d’Ypres, elle a été adressée à la chambre, dont la commission n’est qu’une émanation. Le fait étant certain, j’affirme de nouveau que la chambre de commerce de Bruges a réclamé contre le traité, le Moniteur est là pour le prouver.

On nous a dit aussi, messieurs, que l’opinion de la chambre de commerce d’Ypres ne doit pas être d’un grand poids dans cette discussion, Ypres n’étant pas une ville maritime. Alors même qu’aucune chambre de commerce n’eût réclamé contre le traité conclu avec la Grèce, il n’en résulterait pas la conséquence que M. le ministre a voulu en tirer, attendu qu’un grand nombre de chambres de commerce et notamment les chambres de commerce de presque toutes les villes maritimes, ont réclamé contre le principe qui est déposé dans le traité conclu avec la Grèce. Ce principe consiste à accorder aux nations l’assimilation de leurs navires aux nôtres, de leur commerce au nôtre, alors qu’elles importent non pas des produits de leur pays, mais des produits d’autres pays. C’est contre ce principe que la très grande majorité des chambres de commerce des villes maritimes du pays réclament. C’est aussi la seule question que l’enquête parlementaire a laissé ouverte. Toutes les autres opinions qui ont été contestées si souvent dans cette chambre, ont été admises, les unes à l’unanimité, les autres à la presqu’unanimité par toutes les voix qui ont répondu dans les interrogatoires de la commission d’enquête. La seule question sur laquelle il reste encore des doutes, c’est celle dont je viens de parler, celle de savoir s’il faut accorder l’assimilation aux autres pays lorsqu’ils nous importent pour la consommation intérieure des marchandises qui ne sont pas des produits de leur sol ou de leur industrie. Eh bien, messieurs, l’adoption du traité préjugerait cette question qui est la seule que l’enquête n’a pas résolue.

L’honorable ministre nous a dit encore, messieurs, que ce traité conclu avec la Grèce ne préjuge pas la grande question des droits de différence à accorder à la navigation nationale, comme aussi la question des relations directes, basées sur les provenances directes. Je sais bien, messieurs, qu’en dehors du traité vous pouvez appliquer des droits de différence à des marchandises coloniales importées de loin ; mais lorsque vous aurez adopté les traités basés sur les importations indirectes, sur les importations des entrepôts des pays avec lesquels vous aurez traité, la loi que vous feriez pour favoriser votre propre commerce maritime, cette loi serait une lettre morte ; elle ne renfermerait que des mots ; elle ne pourrait produire le moindre effet.

Les avantages que vous accorderiez, par cette loi, à notre navigation, seraient détruits par les effets de ces traités de réciprocité. Si l’honorable ministre en doute, s’il éprouve le désir de prouver le contraire, j’accepterai bien volontiers la discussion sur ce terrain.

Je dis que tous les avantages que vous voudrez accorder à notre pavillon, à notre commerce maritime, seront entièrement détruits par les effets que produiraient ces traités de réciprocité que vous auriez conclus et dans lesquels vous auriez déposé le principe qui est écrit dans le traité dont il s’agit en ce moment.

J’entrerai maintenant dans le fond de la question.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Avec la permission de l’honorable orateur, je prendrais la liberté de l’interrompre pour lui demander s’il ne croit pas qu’il pourrait réserver la discussion du fond jusqu’à ce qu’il s’agisse de délibérer sur les conclusions de la commission qui a examiné le traité avec les Etats-Unis. L’honorable préopinant a trop de sagacité pour ne pas comprendre que ces questions ne sont intéressantes que lorsqu’elles ont de l’actualité, quand elles peuvent recevoir une solution qui exerce de l’influence sur nos relations commerciales.

L’honorable membre voudra bien remarquer que je n’ai point abordé la question des droits différentiels. L’honorable M. Donny, entrant dans nos idées, n’a pas non plus traité le fond de la question. L’honorable M. Donny a pensé sans doute que nos relations avec la Grèce et avec la Porte ottomane sont tellement rares qu’il y auraient bien peu de chances de voir appliquer des droits différentiels, soit à des bâtiments grecs, soit à des bâtiments turcs visitant nos ports. Je pense aussi que si nous traitions en ce moment la question des droits différentiels, nous le ferions plutôt en Sorbonne politique qu’en chambre législative, qui fait les affaires du pays.

Je crois donc pouvoir demander à l’honorable préopinant s’il ne croit pas que l’on pourrait ajourner la discussion du fond jusqu’au moment où nous examinerons le traité conclu avec les Etats-Unis. Il est évident qu’après avoir sanctionné le traité avec la Grèce, la chambre restera entièrement libre de repousser le traité avec les Etats-Unis, car il pourrait y avoir une grande différence dans la manière d’apprécier les conséquences de ces traités.

M. de Foere – Si l’honorable ministre des affaires étrangères entend ajourner en même temps la discussion du traité avec la Grèce.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Evidemment non.

M. de Foere – Alors il est impossible d’ajourner la discussion du fond de la question, car dans l’intérêt du pays, je ferai tous mes efforts pour faire rejeter le traité. Or, pour cela il faut nécessairement que j’entre dans le fond de la question.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Je n’insiste pas.

M. de Foere – La chambre devrait, du reste, se prononcer sur l’ajournement. Si la chambre était disposée à prononcer l’ajournement, alors il ne serait pas nécessaire que j’entre maintenant dans le fond de la question.

M. Delehaye – On pourrait mettre l’ajournement aux voix.

M. le président – La chambre veut-elle restreindre la discussion à la question d’ajournement ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Dans mon opinion et d’après ce que je connais des dispositions du gouvernement hellénique, il me semble que l’ajournement serait le rejet ; d’après les renseignements que j’ai reçus, je pense que l’ajournement pourrait mettre en péril l’existence même du traité. Je suis donc obligé de demander que la question d’ajournement et la question du fond soient traités en même temps.

M. de Foere – Mais l’opinion de l’honorable ministre n’est pas l’opinion de la chambre. J’entends de toutes part que l’on veut l’ajournement. Il faut une décision de la chambre.

M. le président – La question est de savoir si l’on divisera la discussion ; s’il y aura une discussion sur l’ajournement avec la discussion du fond.

Plusieurs membres – Non ! non !

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Je regrette infiniment d’avoir interrompu l’honorable préopinant.

M. de Foere – Messieurs, nous nous trouvons vis-à-vis des autres pays, dans une position très bien tracée par les chambres de commerce, et particulièrement par la chambre de commerce d’Anvers. Cette chambre vous a dit que nos produits sont exclus des Etats de l’Europe. Leurs législation douanières sont ou prohibitives ou exorbitamment protectrices. La chambre d’Anvers en tire, avec raison, la conclusion que notre législation doit tendre à faciliter et à multiplier nos communications avec les pays lointains, comme moyen d’exporter nos produits sur les marchés de ces pays.

Cette chambre de commerce pose un autre principe qui est généralement adopté dans cette chambre et dans le pays tout entier : Notre système de commerce doit avoir pour but la plus grande exportation de nos produits.

La chambre de commerce d’Anvers adopte, en outre, avec nous et avec la très grande majorité des autres chambres, ce principe : ce qui encourage le plus efficacement les exportations, c’est la certitude de retours avantageux : principe évident, prouvé par tous les faits commerciaux. Sans cette certitude de retours avantageux, votre navigation commerciale est absolument impraticable.

Il faut donc chercher à échanger vos produits contre les produits lointains, et vous ne pourrez y parvenir que lorsque vous pourrez ramener des pays lointains avec avantage des marchandises coloniales que vous aurez échangées contre vos propres produits.

Eh bien, si vous adoptez dans vos traités de réciprocité le principe qui est posé dans le traité conclu avec la Grèce, quel en sera l’effet infaillible ? C’est que les autres pays (comme le dit aussi très bien la chambre de commerce d’Anvers à l’égard des entrepôts européens), c’est que les autres pays, lorsqu’ils importeront chez nous de leurs entrepôts à des conditions égales, des produits coloniaux qu’ils auront déjà échangés contre leurs propres marchandises, viendront les déverser sur vos marchés. Or, chaque fois que les autres nations importent chez nous des produits coloniaux, soit des cafés, soit des sucres, soit toute autre marchandise, à titre égal, il en résulte que vous restreignez d’autant la possibilité d’aller échanger vos propres marchandises contre les mêmes produits coloniaux.

Là est la cause des effets désastreux des traités de réciprocité dans lesquels le principe des importations indirectes des entrepôts est consacré.

L’Angleterre, malgré toute la puissance de sa navigation et de son commerce maritime, n’a pas voulu admettre un semblable système dans ses traités de réciprocité. La France, de son côté, recule devant le même système à l’égard des nations de beaucoup supérieures en navigation. N’est-il pas évident qu’en adoptant chez nous ce système, et avec une navigation inférieure comparée à celle des pays avec lesquels nous traiterions, notre commerce et notre navigation maritime, qui est l’instrument le plus efficace de vos exportations, seraient écrasés.

Pourquoi la Belgique voudrait-elle être plus sage, plus clairvoyante que l’Angleterre et la France ? Pourquoi ne suivrions-nous pas l’exemple de ces nations vieilles dans l’expérience du commerce maritime ? Pourquoi enfin n’adopterions-nous pas le principe basé sur les provenances réciproques de chaque pays ?

Nos adversaires nous ont souvent reproché de vouloir exclure la navigation étrangère, et de prétendre à un monopole pour la navigation du pays.

Les effets commerciaux produits par le système commercial que mes honorables amis et moi avons proposé, prouvent, au contraire, que ce système provoque dans nos ports la navigation étrangère, qui y établit une utile concurrence. Nous produisons des faits à l’appui de notre système, et non des assertions gratuites que nos adversaires nous ont opposées. Aussitôt que la France a adopté ce principe de réciprocité basé sur l’importation directe des provenances de chaque pays, qu’en est-il résulté ? La navigation des Etats-Unis s’est accrue de 70 p.c. dans les ports français, par la seule cause que les Etats-Unis ont pu importer en France les produits de leur pays aux mêmes conditions auxquelles les navires français pouvaient les importer eux-mêmes, et qu’en outre les navires américains pouvaient exporter des ports français non seulement des produits de la France, mais aussi tous les produits entreposés.

Le même effet a eu lieu dans les ports de l’Angleterre. L’Angleterre a conclu avec les Etats-Unis un traité de réciprocité basé non pas sur les importations d’entrepôt, mais sur les importations des provenances des Etats-Unis. La navigation de l’Amérique du nord s’est dés lors accrue dans les ports anglais de 50 à 60 p.c.

Si nous adoptons le même principe, le même effet sera opéré dans nos ports. Il n’est pas possible même que les traités basés sur ce principe, aient un résultat différent, par la raison bien simple que la production répond toujours à la demande. Aussi longtemps que nous aurons besoin de coton, de riz, de tabac, de potasse, les Américains en importeront indubitablement. Arrivés dans nos ports, ils auront intérêt à prendre chez nous une cargaison de retour, soit en marchandises indigènes, soi en marchandises entreposées. Mais le moyen le plus sûr d’exporter nos produits sur les marchés, sera le même avantage dont notre navigation jouira chez eux.

Il y a plus, bien loin de vouloir exclure la navigation étrangère, nous avons toujours voulu le commerce de transit dans toute la plénitude de sa liberté. Si ce transit sur lequel nos adversaires fondent toutes leurs espérances, vient à être établi, la navigation étrangère arrivera indubitablement dans nos ports. La production répondra toujours à la demande. Si l’Allemagne demande des marchandises coloniales ou autres, au marché d’Anvers, il est certain que ces marchandises seront fournies au port de cette place. La navigation étrangère arrivera dans le port d’Anvers dans la même proportion dans laquelle le transit sera établi, ou que l’Allemagne lui demandera des denrées coloniales ou d’autres marchandises.

Il s’en suit aussi que cette navigation étrangère, provoquée par l’importation des provenances directes et par le transit, arrivera nécessairement dans le port d’Anvers, et aura intérêt à en exporter des marchandises belges, ainsi que les marchandises allemandes ou autres, entreposés dans le port d’Anvers.

Nos adversaires dans lesquels je comprends le ministère actuel, ont longtemps combattu une assertion que souvent et depuis longtemps nous avons fait valoir dans cette enceinte. Appuyés sur les faits commerciaux développés partout depuis des siècles, nous avons soutenu que la navigation nationale est l’instrument le plus efficace de nos exportations, et que la navigation étrangère n’en est qu’un auxiliaire utile. Nous avons même soutenu que la force des choses ne tarderait pas de leur démontrer notre assertion. Le ministère actuel, comme le ministère précédent, voyant enfin que la navigation étrangère, tout en arrivant dans nos ports, n’en exportait rien ou n’en exportait que peu de chose, a établi une navigation nationale, à vapeur, énormément protégée. Et pourquoi le gouvernement a-t-il adopté cette mesure ? Parce que les faits lui ont démontré que la navigation étrangère était insuffisante et que la navigation nationale est le moyen le plus efficace de nos exportations.

Le gouvernement a fait plus, il a accordé dernièrement une protection sur le tonnage à une société qui sera tenue de desservir, tous les deux mois, si je ne me trompe, une navigation nationale vers le Brésil et vers les côtes de l’Amérique méridionale. Nos adversaires avouent donc aujourd’hui ce que longtemps ils avaient nié. Les besoins les plus impérieux du pays leur ont démontré qu’une navigation nationale protégée est le seul instrument, ou au moins l’instrument le plus efficace des exportations du pays.

Dix ans de malheureuse expérience ont été nécessaires chez nous pour prouver à nos hommes d’Etat un fait que les expériences de deux et trois siècles avaient déjà démontré partout ailleurs.

Si maintenant, vous adoptez le principe que votre navigation doit être considérée comme le moyen le plus sûr de vos exportations, et qu’en même temps vous admettiez, quant aux importations d’entrepôt, les autres nations sur la même ligne que la navigation nationale, vous vous constituez en contradiction flagrante. L’effet immanquable de cette dernière mesure est de favoriser les exportations étrangères et de détruire votre navigation nationale, et, par conséquent, l’instrument le plus efficace de vos propres exportations.

La Belgique possède de grandes ressources pour le commerce extérieur, et ces ressources, la Belgique n’a pas encore su en profiter. Nous avons deux ports propres au commerce maritime. Les produits de notre sol ainsi que les produits de nos fabriques sont abondants, variés et propres aux échanges avec les produits des marchés lointains. La construction de nos navires se trouve dans des conditions plus favorables que la construction des navires en France, en Angleterre et même aux Etats-Unis. Les fers, les cordages, les toiles à voiles, les bois sont moins chers chez nous que dans ces pays.

Leurs capitaux non plus ne nous manquent pas ; ce sont, comme l’a dit, dans une précédente session, l’honorable M. Cogels, les bonnes affaires qui manquent. Mais pourquoi ces bonnes affaires nous manquent-elles ? Parce que nous n’avons pas les moyens de les faire, parce que notre législation n’accorde pas au commerce du pays assez d’appui, assez de protection pour se livrer avec sécurité à de bonnes opérations maritimes.

Avec toutes les ressources que nous possédons, nous devons maintenir le rang commercial qui nous est assigné dans la proportion de nos richesses et de notre population, afin d’atteindre ce but, il suffirait que la législature rendît les moyens de commerce plus efficaces. Pour vivifier ces ressources, il faut imprimer à notre navigation commerciale un plus grand mouvement d’activité.

Messieurs, quel est le but que cherche le commerce quand il va visiter avec vos produits les pays lointains ? Il veut d’abord trouver des débouchés pour les produits manufacturés et agricoles du pays. Ensuite, quand il a vendu les produits belges, il faut qu’il trouve des denrées propres à faire de bons retours, c’est-à-dire des denrées qu’il puisse ramener en Europe avec avantage. Il faut surtout, pour être rapportés avec avantage, que ces produits trouvent sur nos marchés un placement facile, une défaite avantageuse.

Il faut que tous les pays lointains qui nous sont ouverts, aussi bien qu’à toutes les autres nations, nous fournissent des marchés en aussi grand nombre que possible. Le nombre des consommateurs de nos produits sera en raison du nombre de ces marchés. Mais nos exportations resteront impossible, impraticables, si les retours de notre commerce maritime ne sont pas avantageux. Si vous permettez aux autres nations d’arriver sur nos marchés, sur la même ligne que nous, si vous n’accordez à votre commerce maritime aucun avantage efficace, les importations coloniales des nations voisines et même des nations lointaines, surtout celles faites par les Etats-Unis, viendront sur vos propres marchés écraser votre commerce maritime. Vous ne pourrez plus aller échanger vos marchandises sur les marchés lointains contre des produits coloniaux ; sans protection contre les importations étrangères, ces opérations sont toujours dangereuses. C’est la raison pour laquelle il ne se présente pas aujourd’hui de bonnes affaires. C’est la raison pour laquelle, comme je l’ai dit plusieurs fois, et comme l’atteste une lettre de notre ambassadeur à Londres, le commerce de la Belgique se borne en grande partie à la commission.

Messieurs, il est résulté de l’enquête que l’opinion presqu’unanime du pays est que la protection existante pour notre pavillon doit être maintenue dans tous les cas, quel que soit le système commercial que vous adoptiez. Il faut donc maintenir cette protection, si vous ne voulez pas vous opposer au pays entier. Cependant, si vous adoptez, comme système général de réciprocité, le principe posé dans le traité conclu avec la Grèce, cette protection est anéantie. Elle restera écrite dans vos lois ; mais les effets de ces traités de commerce nous empêcheront d’en recueillir les avantages.

Les Etats-Unis et la France importeront dans nos ports les cafés et les sucres en abondance, sur le même pied sur lequel vous les importez maintenant.

Il a été plusieurs fois établi dans cette chambre, comme dans toutes les pétitions qui nous ont été adressées par toutes les chambres de commerce, les négociants et armateurs d’Anvers, que l’importation protégée du sucre brut nous permet d’échanger quelques produits du pays contre cette denrée coloniale. Bien loin de maintenir cette protection, conformément à l’opinion générale qui résulte de l’enquête, elle disparaît par le fait des traités fondés sur la réciprocité des importations des provenances indirectes.

L’honorable M. Donny l’a déjà prouvé. Le ministre des affaires étrangères et l’honorable député d’Anvers ont répondu qu’à l’égard de la Grèce le principe appliqué ne pouvait pas produire cet effet.

Mais l’honorable député d’Ostende a posé le principe dans son application générale. Vous cherchez à échapper de cette manière aux arguments que nous opposons, nous demandons une discussion loyale et franche. Une discussion sur le terrain où nous plaçons la question. Nous disons que vous vous opposez au pays tout entier, à l’opinion exprimée dans l’enquête, que dans tous les cas, quelque soit le système commercial qu’on adopté, la protection existante en faveur de la navigation nationale doit être maintenir. Vous la faites disparaître radicalement. Je vous demande, messieurs, si, dans cette position, vous pouvez admettre, avant la discussion de l’enquête, un traité qui consacre un semblable principe ? ce serait vous mettre en opposition ouverte avec le pays tout entier. Est-ce là le fait d’un gouvernement parlementaire ? L’honorable ministre des affaires étrangères nous a souvent dit que le gouvernement parlementaire était basé sur la majorité des opinions du pays. Ici, il y a non seulement majorité, mais unanimité. En effet, messieurs, un gouvernement représentatif n’existe que dans les mots, n’est qu’une déception, s’il appartient au pouvoir exécutif de s’inscrire, par des négociations arbitraires, contre l’opinion générale du pays, ou de négocier les traités, sans même daigner s’enquérir sur l’opinion générale. Malheureusement la chambre se divise en partis et on ne demande qu’à recueillir des votes de parti. J’espère cependant que les partis s’effaceront devant une question d’intérêt général qui n’appartient ni au parti progressif, ni au parti rétrograde ; qui intéresse tout le pays surtout la classe ouvrière. Si vous adoptez le funeste principe déposé dans ce traité de réciprocité, vous restreignez considérablement le travail national.

Vous vous trouvez devant un traité dont on vous propose l’adoption, sans que vous connaissiez le traité. Vous en connaissez les mots, les termes, mais vous n’en connaissez pas la signification et la portée ; vous ne connaissez pas la valeur des dispositions du traité. Je vais vous le prouver à la dernière évidence.

Avant de traité avec un pays sur le pied de la réciprocité, le premier besoin est de faire connaitre le tarif de ce pays, parce qu’il peut très bien se faire que le tarif soit tel qu’il nous enlève les effets les plus avantageux.

La Grèce est une nation jeune, qui doit nécessairement établir de nouvelles industries, elle doit tâcher de vivre ; une nation vit par le travail et par l’industrie. Il est donc probable que la Grèce prend les mesures propres à protéger le travail et l’industrie. Vous ne connaissez pas son tarif. Les produits de votre industrie que vous pourriez importer en Grèce sont peut-être en grande partie des articles similaires à ceux de l’industrie grecque. Savez-vous si vous ne rencontrerez pas sur ces produits un tarif très élevé ? Dès lors le traité ne peut opérer les effets que vous en attendez. Dans ce cas, vous trouverez à côté de votre traité un obstacle à vos importations. Je ne dis pas que le tarif soit tel. Je dis seulement que nous ne le connaissons pas, et que dès lors il est impossible de voter un traité dont nous ne pouvons apprécier la valeur des termes, ni savoir comment le traité opérera.

Je l’ai déjà dit, si vous traitez sur la même base avec l’Angleterre, vous n’exporteriez rien de plus dans ce pays, parce qu’à côté de ce traité se trouverait le tarif anglais, qui vous empêcherait d’exporter plus que vous ne le faites maintenant. La réciprocité n’est qu’un mot. Il faut examiner si la réciprocité est telle que dans son explication elle peut opérer des résultats.

L’article 6 vous dit tout ce qui pourra « légalement » être importé en Grèce par bâtiments grecs, pourra également y être importé de la Belgique par bâtiments belges.

Pourquoi adopter ces mêmes termes employés dans tous les traités d’Angleterre, si la Grèce ne prohibe pas des articles à l’importation ? Si son tarif ne contient pas de prohibition, quel est le sens de cette disposition ? Ces termes ne se trouvent que dans les traités faits par les pays où des prohibitions existent.

Je me bornerai pour le moment à ces observations. J’attendrai les objections de nos adversaires. Mais dans tous les cas, je maintiens que la chambre compromettrait sa dignité, si elle admettait un traité dont elle ne peut comprendre ni la portée ni les avantages, ou les désavantages.

J’espère que vous repousserez un traité dans lequel est déposé en outre un principe commercial tout entier, auquel vous ne pourrez plus vous soustraire devant les autres nations, un principe qui nuira considérablement à votre commerce et à votre industrie. L’Angleterre avec ses 25,000 navires, la France avec ses 16,000 navires, malgré toute la puissance de leur commerce et de leur navigation, n’ont pas voulu l’admettre envers les Etats-Unis, ni l’une envers l’autre.

L’adoption de ce principe préjugerait le résultat de l’enquête, et serait opposée en même temps à plusieurs opinions unanimement exprimées dans l’enquête.

Je repousse ce principe au point que je préfère mille fois la législation actuelle, système contre lequel réclame cependant la majorité du pays. Je préfère la protection actuellement existante au principe commercial que l’on veut ériger comme base dans nos traités de réciprocité. J’ai dit.

M. Mast de Vries – Lorsque le gouvernement a conclu le traité avec la France, et qu’il fut présenté à l’assentiment de la chambre, diverses chambres de commerce nous ont adressé des observations contre ce traité. Ces observations sont à peu près celles-ci : On disait qu’en admettant le traité avec la France, nous allions nécessairement perdre une grande partie de notre commerce maritime, parce que sous le rapport de l’introduction du sucre et du sel, la navigation française avait un avantage immense sur la navigation belge, puisque celle-ci ne se soutenant qu’à la faveur des avantages que lui faisait la législation sur le sel et le sucre, il était évident que la navigation française, forte de 16,000 voiles, allant jouir des mêmes avantages, devait nécessairement écraser la navigation belge, composée seulement de 200 à 250 bords. On trouvait que le traité avec la France nous était encore défavorable, parce qu’il n’y avait pas une réciprocité parfaite d’abord, quant à la question de tonnage, et parce que nous n’étions pas reçu dans les colonies françaises.

Aujourd’hui le gouvernement vous propose de donner votre adhésion à un traité avec la Grèce. Ce traité renferme-t-il un des griefs opposés par les chambres de commerce au traité avec la France ? Non. Nous n’avons pas à craindre ici une marine puissante. La marine grecque est de beaucoup inférieure à la nôtre. Nous n’avons pas à craindre la question du sel ; car la navigation grecque ne peut nous faire la moindre importation de ce genre ; nous n’avons pas à craindre l’importation indirecte des ports grecs dans les ports belges ; car elle est impossible ; elle est tellement impossible que, d’après les adversaires du traité, il faudrait qu’on introduisît dans les ports grecs, au fond de la Méditerranée, des cargaisons de sucre, et que de ces ports ils fussent réexportés dans les ports belges.

M. Delehaye – Je demande la parole.

M. Mast de Vries – Ainsi pour introduire une cargaison de sucre dans l’un des ports grecs, il faudrait payer un fret plus élevé de trente francs environ par tonneau, que pour importer le sucre en Belgique, il faudrait payer ensuite pour réexporter ce sucre en Belgique, un fret presqu’aussi élevé que le fret primitif, et ce pour être favorisé du droit de douane de 16 francs.

La question étant posée sur ce terrain, il est impossible que nous ayons la moindre crainte pour les importations indirectes qui se feraient des ports grecs. Pour moi, c’est la question principale du traité.

L’honorable ministre des affaires étrangères vous a déjà dit que la position dans laquelle nous sommes vis-à-vis de la Grèce ne nous lierait pas, quant aux traités conclus avec les Etats-Unis et avec la France. Cela me paraît évident. Si nous trouvons des avantages à traiter avec la Grèce, ce n’est pas à dire pour cela que nous trouvons des avantages à traiter avec les autres nations. Tous les traités diffèrent ; on a beau dire, comme l’honorable M. de Foere, que nous serons obligés d’accorder les mêmes faveurs aux autres nations, je ne partage pas cette manière de voir. Dans mon opinion, quand même d’autres puissances nous offriraient les mêmes conditions, nous resterions toujours les maîtres de les refuser. Le traité avec la Grèce ne peut nous engager qu’avec les puissances avec lesquelles nous avons déjà traité, c’est-à-dire la Porte Ottomane et le Brésil et ce dernier traité même expire cette année.

Nous nous plaignons que notre industrie est en souffrance. Mais, messieurs, on vous propose un traité qui vous permet certainement de la développer. Le traité que vous avez fait déjà avec la Porte Ottomane, les conventions de navigation que vous avez conclues avec d’autres puissances sur la Méditerranée, nous donnent certainement des avantages dont nous saurons tirer parti, des facilités qui rendront nos relations suivies et fructueuses.

Mais, dit-on, lorsque vous irez en Grèce, vous rencontrerez des tarifs prohibitifs, et vous n’aurez rien fait. Ce n’est là qu’une supposition de l’honorable membre, et j’ai des raisons pour ne point la croire exacte ; ces tarifs, dans tous les cas, nous mettraient sur le même pied que l’Angleterre et les autres puissances avec lesquelles la Grèce a fait des traités du même genre et faisant tout aussi bien qu’elles, notre industrie n’aurait rien à craindre.

Maintenant, messieurs, la question examinée de ce point de vue, certainement le traité fait avec la Grèce est favorable à la Belgique. Mais en tout état de choses, pût-il même nous être défavorable, est-ce que la Grèce est une puissance que nous aurions à redouter ? Peut-elle introduire chez nous des objets de son industrie qui nous fasse tort ? Pas le moins du monde. Jamais navire grec n’a, je crois, dépassé le détroit de Gibraltar. Je ne sais si jamais le pavillon grec est venu dans notre pays ; je serais enchanté de l’y voir ; j’aime beaucoup à voir les pavillons étrangers ; mais, je le répète, je ne crois pas que le pavillon grec ait jamais paru dans nos ports.

Eu vous voulez qu’au moyen d’un traité qui ne peut nous amener de cargaisons, vous éprouviez des pertes en Belgique ? mais il me paraît que c’est pousser si loin le raisonnement, qu’il frise tout à fait l’absurde.

Mais, dit l’honorable préopinant, une fois le traité fait avec la Grèce, vous serez obligés d’accorder les mêmes avantages aux autres puissances. Je viens déjà de vous dire que je ne partage pas la même opinion. Mais, si je me trompais, il y a des clauses dans les traité que les autres puissances ne peuvent admettre.

Une de ces clauses est celle que renferme l’article 7. En y jetant les yeux, vous remarquerez que non seulement nous avons tous les droits des bâtiments grecs, mais que nous pouvons faire en Grèce, non seulement le commerce de port à port, mais même le cabotage.

Or, est-ce qu’il est une nation commerçante qui voudrait nous autoriser à faire le cabotage dans ses ports ? En Belgique messieurs, le cabotage que les nations étrangères pourraient faire se réduit à très peu de choses, se réduit à rien. Car le cabotage ne pourrait avoir lieu que du port d’Ostende au port d’Anvers. Mais il n’en est pas de même dans un pays où on commence par vous dire : Vous avez dix-sept ports qui vont sont ouverts ; il n’en est pas de même dans une contrée, où notre industrie, par suite des différents traités conclus, peut trouver de grands débouchés ; car un vaisseau pourra prendre une partie de sa cargaison pour un port grec et une partie pour l’empire ottoman. Il pourra encore, après avoir déchargé une partie de sa cargaison dans un port grec, y prendre un nouveau complément pour un autre port grec.

Depuis que le traité avec l’empire ottoman a été soumis à la législature, ses avantages ont fortement grandi. Il n’est plus question maintenant de l’empire ottoman tel qu’il était avant le traité, mais de l’empire ottoman avec l’Egypte. Car le traité est applicable à cette dernière puissance, qui a des besoins importants. Tout nous impose donc de prendre des mesures qui permettent à notre industrie de tirer parti de ces circonstances.

Je pense vous avoir convaincu, messieurs, qu’il est inexact de dire que le traité fait avec la Grèce nous oblige à faire des conventions pareilles avec d’autres puissances ; mais que même, si cette assertion était exacte, nous nous trouverions vis-à-vis de la Grèce dans une position telle que bien d’autres puissances ne pourraient l’accepter.

J’ajouterai encore, messieurs, que si vous rejetiez le traité avec la Grèce, il est impossible qu’on en fasse avec une puissance quelconque. Celui-ci refusé, tous les traités qui seraient à faire tombent. Nous n’avons plus rien à exiger ; nous resterions isolés, nous serions réduits à nous-mêmes.

Je n’ai point à m’expliquer maintenant sur la portée du traité avec les Etats-Unis. Mais je dirai en passant que, si nous n’avons pas de convention avec les Etats-Unis, nous allons nous trouver, sur le marché américain, dans une position tellement défavorable que la navigation transatlantique que vous avez votée devient un non-sens, car il est de toute évidence qu’aucun navire belge puisse espérer encore d’y être reçu.

Quoi qu’il en soit, messieurs, je me réserve mon vote sur cette question, comme je me le réserve quant au traité fait avec la France ; et d’après ce que je viens de vous dire, pour le traité avec la Grèce, vous aurez pressenti mon vote, il sera favorable au projet.

M. Delehaye – Messieurs, je pense que c’est à moi que l’honorable membre vient de faire allusion quand il a parlé des entrepôts que je supposais pouvoir exister en Grèce.

Messieurs, remarquez d’abord, que je n’ai pas parlé du sucre ; je n’y ai pas même pensé, parce que dans mon opinion, les entrepôts de sucre ne pourraient s’effectuer efficacement en Grèce.

Mais, messieurs, si vous voulez une preuve que la possibilité des entrepôts en Grèce est évidente, vous n’avez qu’à jeter les yeux sur le traité lui-même. S’il n’y a pas d’entrepôts en Grèce, pourquoi en faire mention ? Mais ce sont les produits déposés dans ces entrepôts qui tombent sous les dispositions du système différentiel dont a parlé l’honorable M. de Foere.

M. de Foere – Je n’ai pas dit cela.

M. Delehaye – Je vous demande pardon. Les provenances directes concernent les produits du sol et de l’industrie, et les objets importés en Grèce tombent sous les droits différentiels.

Vous voyez donc, messieurs, que si dans mon opinion, il est possible qu’il y ait des entrepôts en Grèce, c’est non seulement par suite des renseignements que j’ai recueillis à l’extérieur, mais aussi dans le traité lui-même.

Je vous avais dit hier qu’on pensait qu’on pouvait établir des entrepôts en Grèce. Mais j’ai pris d’autres renseignements, et je sais qu’il existe en France un projet d’entreprise colossale. Il s’agit de former un capital de plusieurs centaines de millions, destinés à établir des comptoirs dans tous les pays importants de l’Europe, et surtout dans le pays où le commerce n’a pas acquis beaucoup de développements. Dans ces pays serait comprise la Grèce.

Vous voyez donc que, si de pareils comptoirs peuvent s’établir en Grèce, c’est avec raison que j’ai manifesté des craintes et que j’ai cherché à vous les inspirer.

Tout en faisant hier la proposition d’ajournement, j’ai dit que le traité conclu avec la Grèce nous était favorable. Je ne modifie pas cette opinion, et, à cette occasion, je dois quelques mots de réponse à l’honorable M. de Foere.

Il dit : « Vous faites un traité avec la Grèce et vous ne comprenez pas de quelle manière il sera exécuté, puisque vous ne connaissez pas les tarifs grecs. »

Eh bien, je suppose que la Grèce ait un tarif qui rende l’exécution du traité impossible. Quelle sera la position de la Belgique ? Mais rien ne l’empêchera de faire un pareil tarif pour la Grèce. Cela me parait évident, on ne peut pas le contester.

Remarquez, messieurs, que d’après le traité, la marine grecque elle-même est soumise au même tarif, la Grèce donc ne pourrait le modifier qu’en prenant une mesure générale. Le seul motif qui m’engage à persister dans ma proposition d’hier, c’est que je ne veux pas préjuger la question qui sera bientôt soumise aux débats de la chambre, et qui préviendra dans la suite beaucoup de discussions. Je veux parler des débats qui s’élèvent sur la question du système commercial.

Pour ma part, je ferai tout mon possible pour que la chambre aborde au plus tôt cette discussion. Lorsque vous aurez adopté un système commercial positif, vous ne vous livrerez plus à ces discussions qui, outre le temps qu’elles nous font perdre, jettent une espèce d’hésitation dans le pays. Je fais donc des vœux ardents pour que la chambre aborde cette discussion sans délai.

Mais quant au traité avec la Grèce, il ne faut pas se le dissimuler, il ne peut inspirer aucune crainte. En l’absence de toute industrie, de toute marine marchande, la Grèce ne peut nous faire une concurrence nuisible. Je lui donnerais donc mon assentiment, si, ne voulant pas préjuger la question, je ne devais persister dans l’ajournement.

M. Cogels – Malgré l’invitation de l’honorable représentant qui siège à côté de moi en ce moment, je ne le suivrai pas sur le terrain où il a voulu placer la question. Cela nous entraînerait trop loin, cela nous engagerait dans des discussions interminables. Car il s’agirait de discuter tout un système que nous devrions discuter de nouveau lorsque s’établiront les débats sur les résultats de l’enquête.

Je dirai seulement que si l’honorable député de Thielt a trouvé dans l’enquête une opinion unanimement favorable à son système (je suis convaincu qu’ici ses convictions sont sincères), pour moi j’y ai trouvé tout autre chose, et mes convictions en sont pas moins sincères que les siennes.

J’y ai trouvé beaucoup de doute, beaucoup d’hésitation, beaucoup d’opinions divergentes, et surtout plusieurs localités où la question n’a pas été bien comprise, où on a eu beaucoup de peine à la placer sur son véritable terrain ; car vous comprendrez, messieurs, que dans les localités purement industrielles, ce qui avait préoccupé d’abord le plus vivement les esprits, ce n’était pas la question de navigation, la question de commerce en général ; mais la question de tarif, les questions relatives aux industries particulières de ces localités, aux industries qui les intéressent le plus.

Voilà, messieurs, les motifs qui m’engagent à ne pas suivre l’honorable membre sur le terrain où il voudrait nous placer.

Ainsi qu’on l’a bien fait remarquer, le traité avec la Grèce n’avait excité dans les chambres de commerce aucun sentiment d’inquiétude. Une seule chambre de commerce avait réclamé. On nous a dit qu’une seconde avait réclamé depuis lors. C’est vrai ; sa pétition se trouve dans le Moniteur d’hier. Elle est datée du 25 février. Ainsi, il faut l’avouer, les craintes de la chambre de commerce de Bruges ont été bien tardives.

Pour combattre la convention avec la Grèce, on nous a cité les conséquences du traité des Etats-Unis avec la France. Eh bien, messieurs, ici l’honorable député de Thielt m’a fourni des armes pour le combattre. Il nous a dit que depuis ce traité l’accroissement de la navigation avait été tout en faveur des Etats-Unis. Or, d’où cela provient-il ? Du système des droits différentiels que l’honorable M. de Foere voudrait établir.

Je vais chercher à m’expliquer ici de manière à me faire bien comprendre.

D’après le traité entre les Etats-Unis et la France, les Etats-Unis peuvent introduire en France, sous leur pavillon, toutes les provenances directes des Etats-Unis, mais non pas les provenances de leurs entrepôts ; je dis de leurs entrepôts, c’est par erreur, ils n’en ont pas, mais au moins des provenances d’autres pays qui auraient été importées chez eux ; réciproquement la France ne peut importer aux Etats-Unis sous son pavillon que les produits de son sol ou de son industrie. Or, une grande partie du commerce des Etats-Unis avec la France repose sur l’exportation des objets fabriqués dans l’Allemagne centrale et en Suisse, qui viennent s’entreposer au Havre. Eh bien ! ces objets-là ne peuvent pas être américains, et comme l’Amérique ne fournit à la France que des produits de son sol, nécessairement c’est la navigation des Etats-Unis qui doit avoir toute l’activité et qui doit enlever tous les frets à la navigation française.

Et ici, messieurs, je dirai que nous nous trouverons dans la même situation que la France, lorsque nous aurons des traités à conclure avec les Etats-Unis, car il faut espérer que quand le chemin de fer sera achevé, nos exportations ne se borneront pas aux produits belges, mais qu’elles comprendront une grande partie des produits de l’Allemagne et de la Suisse. Nous pourrons alors conquérir une partie de ce commerce, qui appartient maintenant exclusivement à la France ; nous pourrons, d’un autre côté, fournir à la Suisse et à l’Allemagne les matières premières dont leurs industries ont besoin.

On nous a dit, messieurs, que nous ne pouvons pas savoir ce que deviendra la Grèce sous le rapport commercial et industriel ; que c’est un pays nouveau, un pays jeune où l’industrie peut prendre un grand développement. Ici, messieurs, je ferai une simple observation, le traité n’est conclu que pour 6 ans, et il n’est pas probable que ce soit d’ici à 6 ans que le commerce et l’industrie de la Grèce prendront des développements qui soient de nature à vous inquiéter.

On nous a cité le traité avec la Porte Ottoman. Eh bien, messieurs, c’est précisément à cause de ce traité avec la Porte Ottomane que nous ne devons pas hésiter à approuver celui dont il s’agit en ce moment ; car, si le traité avec la Grève pouvait préjuger l’une ou l’autre question, s’il pouvait nous lier pour l’avenir, nous serions déjà liés ; la plupart des avantages réciproques, consacrés par le traité avec la Grèce, étant également consacrés par le traité avec la Porte Ottomane, auquel nous avons déjà donné notre adhésion.

D’après ces considérations, j’engage la chambre à clore la discussion et à passer au vote de ce traité, qui doit, ce me semble, obtenir notre approbation ; nous pourrons alors nous occuper des objets importants qui sont encore à l’ordre du jour et qui se rattachent à notre système financier et douanier.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Messieurs, on a invoqué tout à l’heure les dispositions du tarif grec ; on a parler tantôt de prohibitions, tantôt de dispositions restrictives, et tantôt de dispositions qui seraient tout à fait favorables au commerce étranger. Je croyais, messieurs, que le tarif grec, qui a été imprimé, rendu public, communiqué même (je crois en être sûr) par les soins du département de l’intérieur aux différentes chambres de commerce, je croyais que ce tarif était parvenu à la connaissance des honorables préopinants. Eh bien, messieurs, il n’y a pas de prohibitions dans le tarif grec. Je vais donner lecture de l’ordonnance qui précède l’établissement du tarif grec, et qui est datée du 25 mars 1830. Voici ce que porte cette ordonnance :

« République grecque.

« Le président de la Grèce,

« Considérant que la perception des douanes est une des recettes les plus importantes de l’Etat ;

« Considérant que, par le moyen d’une perception juste et régulière, le trésor national peut avoir quelque profit, le commerce de la facilité et la population du soulagement ;

« Désirant régulariser aussi la branche de l’économie publique, en tant que les circonstances le permettent ;

« Vu le décret sous le n°3 de la 4e assemblée nationale ;

« Nous arrêtons :

« 1° - L’importations, etc.

« Nauplie, 25 mars 1830.

« Signé) J.-A. Capo d’Istria.

« Le secrétaire d’Etat, N Spiliadis. »

« La commission des finances déclare : Quoique le XIVe décret ci-dessus, n°1018 de S.E. le président, relatif aux douanes, soit aujourd’hui publié, il ne sera pourtant mis à exécution que le 1er du mois de mars prochain.

« Nauplie, le 31 mars 1830.

« La commission des finances (Suivent les signatures.)

« (Suit le règlement (tarif) des douanes). »

Je ferai en outre remarquer en outre qu’il résulte de l’article 6 du traité une assimilation complète sous le rapport des droits de douanes et de navigation, entre le commerce belge et le commerce hellénique.

Je viens de faire voir d’ailleurs que le tarif est extrêmement modéré, puisque les droits d’exportation ne sont en général que de 10 p.c. de la valeur.

Je crois, messieurs, que d’après ces considérations les scrupules de beaucoup d’honorables membres doivent cesser.

Je dois maintenant dire un mot de l’urgence.

Le traité a été fait en conformité des instructions données par mon honorable prédécesseur et confirmées par moi ; je dirai même, à l’honneur de notre plénipotentiaire à Athènes, qu’il est parvenu à obtenir encore quelques stipulations plus favorables que celles que nous croyions pouvoir espérer. Faut-il maintenant, lorsqu’on est parvenu, non sans quelque peine, à conclure un traité avec une puissance qui nous fait des conditions favorables, et qui ne peut en aucune façon inquiéter, d’ici à longtemps, la marine belge, lorsque ce traité est conclu pour une période qui n’est pas très longue et qui nous permettra de ne pas le renouveler si le développement de la marine grecque pouvait un jeu inquiéter la nôtre ; faut-il, dis-je, s’exposer à perdre tout le fruit des efforts qui ont été faits, tout le fruit de longues et difficiles négociations, par un ajournement ou un rejet qu’aux yeux du gouvernement grec, rien ne pourrait justifier ?

Faut-il ensuite avertir les gouvernements étrangers, qu’il n’y a aucune sécurité à traiter avec le gouvernement belge, attendu que les négociateurs, fussent-ils pourvus des pouvoirs les plus amples, les plus illimités, se fussent-ils scrupuleusement conformés à leurs instructions, il y a toujours des chances de voir repousser les traités conclus ?

Loin de moi, messieurs, l’idée de vouloir porter la plus légère atteinte aux prérogatives des chambres législatives ; mais la chambre comprendra aussi que, sans motifs graves, sans motifs puissants, décisifs, elle ne peut pas rejeter un traité, une convention internationale ; que cela frapperait le gouvernement d’impuissance à l’extérieur. Il en résulterait, messieurs, que nos agents à l’étranger ne seraient plus accueillis avec confiance, qu’ils ne seraient plus accueillis avec bienveillance, mais qu’ils seraient reçus partout avec défiance, qu’ils rencontreraient partout des difficultés insurmontables dans leurs tentatives de négociation.

Par ces considérations, messieurs, j’insiste pour que la chambre adopte le traité sans ajournement.

M. de Foere – Messieurs, je rencontrerai en peu de mots les nouvelles observations que différents orateurs ont présentées en faveur du traité.

L’honorable M. Mast de Vries vous a dit, messieurs, que le traité en discussion ne renferme aucun des griefs qui ont été signalés par les chambres de commerce contre le traité avec la France. Lorsque ces chambres se sont opposées au traité conclu avec la France, elles ont particulièrement eu en vue, d’une manière générale, la protection qu’il faut accorder à la navigation commerciale du pays. Cette protection, d’après les réclamations qui ont été adressées à la chambre et au gouvernement, consistait dans les droits différentiels. Toutes les chambres de commerce ont très bien compris que ces droits ne sont applicables qu’aux provenances indirectes, soit entreposées, soit importées chez nous par des navires qui n’appartiennent pas aux pays de provenances.

L’honorable M. Mast de Vries, ainsi que M. le ministre des affaires étrangères, m’a objecté que le traité ne nous lie pas, qu’il ne nous oblige pas de faire des traités semblables avec les autres puissances. Je n’ai pas dit, messieurs, qu’en principe le traité nous lie envers d’autres nations ; je dis que l’adoption du traité mettra le gouvernement dans une position telle qu’il ne pourra pas se soustraire aux exigences des puissance avec lesquelles il voudra traiter.

Je prévois, messieurs, que le gouvernement viendra nous dire plus tard : « Je ne me suis pas attendu à toutes les difficultés, à toutes les entraves que je rencontre maintenant ; j’ai été trop loin en vous disant dans une discussion précédente que ce traité ne nous lierait pas. Aujourd’hui je rencontre des difficultés, des entraves partout ; aucune puissance ne veut traiter avec nous si nous ne l’admettons sur le pied des nations les plus favorisées. »

Telle est, messieurs, la conséquence presqu’inévitable du principe que vous posez dans le traité avec la Grèce. J’ai dit, et je le répète, d’après le droit public européen, la position ne sera pas rentable, c’est là l’objection à laquelle on n’a pas répondu.

Je conviens, messieurs, qu’en théorie un traité conclu avec une nation ne nous oblige pas à en contracter sur les mêmes principes avec d’autres nations, mais dans la position de la Belgique relativement aux autres pays, et d’après les usages actuels de la diplomatie commerciale, vous vous exposez au danger de devoir accorder à d’autres nations ce que vous aurez accordé à la Grèce.

Le principe qu’on veut poser maintenant est de la plus haute importance. Les membres qui nous ont répondu pensent que vous ne pourriez plus traiter avec les autres puissances si vous n’acceptiez pas le traité qui a été conclu avec la Grèce. Or, c’est précisément ce dernier traité dont l’adoption vous empêchera de traiter avec d’autres puissances sur d’autres bases.

L’honorable M. Mast de Vries pense que la Grèce n’arrivera pas chez nous avec ses navires, et que nous ferons le cabotage dans ce pays avec les nôtres.

Eh bien, je regrette de dire que l’honorable membre ne connaît pas, sous le rapport maritime, la Grèce. Nous avons déjà vu des navires grecs dans nos ports…

M. Mast de Vries – Un seul !

M. de Foere – Il est reconnu que la navigation grecque est composée des plus fins voiliers de l’Europe, et que cette navigation tue toute la navigation des côtes voisines. Il nous sera donc impossible d’aller faire dans ce pays le cabotage d’un port à l’autre. Du reste, cet avantage est peu considérable.

M. Mast de Vries – Je demande la parole.

M. de Foere – L’honorable membre vous a dit que si vous rejetiez le traité, il vous serait impossible de traiter avec d’autres nations. Quelle est la raison de cette impossibilité ? L’honorable membre ne nous a donné aucun motif à l’appui de ses craintes. Si vous en traitez pas avec la Grèce sur la base des entrepôts, vous pourriez traiter avec elle sur la base des provenances directes. Pourquoi ne pourrions-nous pas traiter avec les autres puissances d’après ce dernière système, comme la France, l’Angleterre, les Etats-Unis ? Quelles sont les causes qui s’opposent, ou même qui mettent seulement une entrave à ce que nos traités de réciprocité soient basés sur les provenances directes ? Les Etats-Unis accepteront de vous toute espèce de traité de réciprocité, parce qu’ils trouveront toujours un grand avantage à traiter avec nous sur un pied quelconque. Toutes les faveurs sont de leur côté, à cause de l’immense supériorité de leur navigation.

Les conséquence que l’honorable M. Mast de Vries a tirées de ces prémisses, sont donc inexactes. Il vous a dit que si vous ne traitez pas avec les Etats-Unis, vous n’arriverez pas avec vos produits sur le marché de ce pays. Si vous traitez avec les Etats-Unis sur la base des provenances directes, vos produits arriveront sur leurs marchés comme les produits de la France, de l’Angleterre. Pourquoi un traité fondé sur le même système opérerait-il pour nous un effet contraire à celui qu’obtiennent la France et l’Angleterre ? La même cause doit produire le même effet.

L’honorable M. Delehaye vous a dit que si le tarif grec mettait un obstacle à vos importations, à cause de l’élévation des droits, vous pourriez également mettre une entrave à l’importation des produits grecs chez nous, en majorant les droits de notre tarif envers les articles de la Grèce. Quels seraient, dans ce cas, les avantages réciproques du traité ? Un semblable système est d’ailleurs inadmissible ; il est contraire au droit public européen. Toutes les nations adoptent aujourd’hui le principe d’une tarification égale pour toutes les autres sans exclusion, à moins de raison de justes représailles. Vous ne pouvez pas faire une exception injurieuse envers une nation quelconque. Donc, l’échappatoire de l’honorable M. Delehaye est inadmissible : ce système n’est plus pratiqué par aucune nation.

L’honorable M. Cogels croit que les effets produits par le traité des Etats-Unis avec la France sont la conséquence de son système de droits différentiels (M. Cogels fait un geste affirmatif.) J’ai donc parfaitement rencontré l’opinion de l’honorable membre.

L’accroissement de la navigation des Etats-Unis dans les ports français, dit-il, depuis le traité qui a été conclu entre les deux pays, est dû au système des droits différentiels de la France.

Si un traité de réciprocité n’avait pas été conclu entre la France et les Etats-Unis, qu’en serait-il résulté ? Les droits différentiels de la France auraient été appliqués non seulement aux provenances indirectes, mais même aux provenances directes des Etats-Unis. Indubitablement, dans ce cas, l’accroissement de leur navigation dans les ports français n’aurait pas pris ce développement.

L’honorable membre pense que le système que nous voulons établir opérerait un effet contraire. Nous ne comprenons pas la raison pour laquelle ce système aurait chez nous un résultat différent de celui qu’il produit en France et en Angleterre ? Nous ne voulons pas appliquer les droits différentiels aux provenances directes ou aux importations des produits de pays, avec lesquels la réciprocité serait établie. A l’exemple de la France, nous voulons appliquer de plus forts droits aux provenances indirectes, c’est-à-dire, aux articles entreposés aux Etats-Unis et importés chez nous par leurs navires.

Les traités de réciprocité qui ont été conclus entre la France, l’Angleterre et les Etats-Unis ont eu pour résultat de permettre à ce dernier pays d’importer librement en France et en Angleterre leurs propres produits. En outre, ils ont pu exporter des ports de France et d’Angleterre non seulement des produits français et anglais, mais des marchandises entreposées dans ces deux pays.

Si vous établissez en Belgique le système qui est suivi en France et en Angleterre, pourquoi n’aurait-il pas chez nous le même résultat que dans ces derniers pays ? Si, au contraire, vous admettez ce que la France, l’Angleterre n’admettent pas envers les Etats-Unis, les importations des entrepôts détruiront votre navigation. La France exporte annuellement de 60 à 80 millions de tissus de coton dont la majeure partie est destinée aux pays lointains en dehors de ses colonies. Elle fait cette exportation au moyen de sa propre navigation ; si elle admettait le système des importations des entrepôts, elle ne pourrait pas arriver à cette exportation à l’aide de la navigation étrangère. L’Angleterre expédie à l’étranger pour 625 millions de tissus de coton dont 125 millions seulement sont envoyés dans ses colonies, dont elle se réserve le monopole ; 500 millions de tissus de coton sont exportés par sa navigation aux colonies libres dont l’accès vous est ouvert comme à elle. Croyez-vous que l’Angleterre puisse arriver à ce résultat sans que sa navigation soit avantagée dans ses retours et sans qu’elle puisse changer ces tissus contre d’autres marchandises ? C’est donc précisément par ce système que vous conservez votre navigation, qui est et qui sera toujours le moyen le plus efficace de vos propres exportations.

Il serait à désirer qu’on cessât de se jeter dans des idées vagues et générales, et qu’on démontrât enfin par des raisons puisées dans les faits pourquoi le système établi en France n’opérerait pas ici le même effet, dans la proportion de la population.

C’est, je le répète, depuis la conclusion du traité avec les Etats-Unis, traité basé sur les provenances directes, que la navigation des Etats-Unis s’est accrue de 70 p.c. dans les ports français.

Or, c’est le même système que nous demandons. L’honorable ministre des affaires étrangères vous a lu quelques parties du tarif de la Grèce ; il vous a dit qu’en général, le droit était de 6 p.c. à l’exportation et de 10 p.c. à l’importation. Mais il y a des articles exceptés. Je désirerais que l’honorable ministre nous en donnât l’énumération, car ces articles exceptés et frappés d’un droit plus élevé pourraient être les similaires de nos produits. Si, sur ces articles, le droit était plus élevé, il s’ensuivrait que le traité n’aurait pas l’effet que nous en aurions espéré.

M. Desmet – L’honorable ministre des affaires étrangères nous a donné communication d’un tarif. Hier, j’ai eu entre les mains un tarif qui diffère essentiellement de celui que vient de citer M. le ministre et qui lui est postérieur. Pour donner à la chambre ses apaisements, je demanderai que le tarif soit imprimé et distribué et que la discussion soit ajournée jusqu’à demain, afin que chacun puisse en prendre connaissance.

M. le ministre ne nous a pas cité les objets qui sont exceptés par la règle générale. Dans le tarif que j’ai sous les yeux, j’ai vu que les chapeaux, par exemple, étaient frappés d’un droit de 10 p.c. à l’entrée. Il en est de même de plusieurs autres. Il faut que la chambre puisse s’assurer des faits ; je demande donc formellement l’impression et l’ajournement ; car, quoiqu’on dise que ce n’est qu’un acte de navigation, il est une chose certaine, que ces actes touchent de près le commerce du pays, et ainsi les diverses industries nationales.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Messieurs, s’il s’agissait d’un traité de douane, je comprendrais que l’honorable membre demandât la communication et l’impression du tarif grec. Je n’ai produit ce tarif, que pour rectifier quelques inexactitudes échappées à l’honorable membre. On avait prétendu qu’il y avait en Grèce plusieurs articles frappés de prohibition. J’ai lu une disposition qui exclut de la manière la plus formelle cette supposition. Voici cette disposition : c’est l’article 1er du tarif du 25 mars 1830, exécutoire le 1er mars 1831 :

« 1° L’importation et l’exportation d’aucun article commerce n’est prohibée.

« 2° On ne paiera, tant pour tout ce qui sera importé d’un pays étranger que pour tout ce qui sera exporté du nôtre, qu’un droit unique dans tout l’Etat.

« 3° Le droit de douane sur l’exportation est fixé à 6 p.c., à l’exception des articles désignés dans le tableau, sous n° A. »

Je n’entre pas dans l’énumération des cas exceptés, parce qu’il ne s’agit dans le dernier article que de l'exportation, c’est-à-dire du droit de sortie qui nous importe assez peu. Mais voici ce qui est dit dans la même ordonnance sur le droit d’importation :

4 – « Le droit de douane sur l’importation est fixé à 10 p.c., sauf quelques exceptions contenues dans ce tarif. » Le tarif est joint ici, et ces exceptions comportent en général des droits modérés.

Je ne pourrai pas faire ressortir le chiffre maintenant, car il faudrait convertir la monnaie grecque en monnaie belge. Je trouve encore à la fin du tarif une disposition générale, ainsi conçue :

« Objets manufacturés, en général, en coton, lin, fil et soie, 10 p.c. sur le prix courant. »

Voici ce que je trouve encore dans l’ordonnance à laquelle le tarif est annexé :

« Importation.

« 13 – Le droit pour des marchandises importées sera payé d’après les dispositions du tarif.

« 14 – Pour tout article non compris dans le règlement, on payera le droit de douane fixé à 10 p.c., d’après le prix courant. »

Voilà les dispositions de l’ordonnance du 23 mars 1830 et du tarif y annexé, tels qu’ils ont été transmis au gouvernement par les agents à l’extérieur, par son envoyé et ses consuls. Maintenant, quand même le tarif ne serait pas aussi favorable, quand même les droits seraient plus élevés, cela n’empêcherait pas qu’on a le plus grand intérêt à adopter le traité, à être assimilé aux nationaux.

Nous n’avons pas fait, je le répète, un traité de douane, mais un traité de commerce et de navigation. Voilà de quoi il s’agit. Quand les droits, au lieu d’être de 10 p.c., seraient de 23 à 30 p.c. sur certains articles spéciaux, qui formeraient une véritable exception à la règle générale, ce ne serait pas une raison pour répudier le traité puisque, d’après le traité, les Belges seront sur le même pied que les Grecs. Si les indigènes introduisent des produits étrangers en payant 30 p.c. de droits, les Belges introduiront ces mêmes produits moyennant le même droit. Il faut bien se rendre compte de ce que c’est qu’un traité de commerce et de navigation. Ce n’est pas encore une fois un traité de douane.

Si maintenant le chargé d’affaires belge peut se présenter devant le gouvernement hellénique pour échanger, dans le délai voulu, les ratifications du traité actuellement en discussion, il y a lieu de penser qu’il pourra ultérieurement solliciter, avec quelque chance de succès, des modifications au tarif des douanes dans l’intérêt de nos industries. Mais ne comprenez-vous pas qu’après avoir signé un traité en vertu de pleins pouvoirs régulièrement échangés, si notre chargé d’affaires arrive à Athènes, disant qu’il est impossible de consentir à l’échange des ratifications ; ne comprenez-vous pas qu’il est frappé d’incapacité, qu’il est impossible de faire à l’avenir la moindre proposition au gouvernement grec ? On lui répondrait : Je n’ai pas la certitude, plus que je ne l’ai eue il y a six mois, que si j’accepte tout ce que vous me demandez, dans six mois on ne viendra pas répudier, lacérer notre traité. Vous n’avez pas obtenu l’assentiment législatif pour notre premier traité de commerce. Il est impossible de songer à faire demander par un agent diplomatique placé dans cette position, des modifications au tarif des douanes, soit toute autre faveur pour nos produits ou notre pavillon. J’appelle sur cette considération toute l’attention de la chambre.

J’aurais beaucoup de choses à dire encore, mais d’après les observations que j’ai entendu faire tout à l’heure, je crois que la discussion a été assez longue et que maintenant chacun sait comment il doit voter.

M. Desmet – Le tarif cité par M. le ministre des affaires étrangères est de 1830 et celui que j’ai est, je pense, de 1834. Je lui demanderai à quelle date a été reçu le tarif dont il a parlé.

C’est à tort qu’on prétend qu’un traité de navigation ne peut pas porter préjudice à l’industrie du pays. Voyez l’Angleterre, c’est en protégeant sa navigation qu’elle a développé son industrie ; qui ne reconnaît que le fameux acte de navigation d’Angleterre est le moyen le plus efficace qu’elle a mis en usage depuis Cromwell pour favoriser non seulement sa navigation marchande, mais aussi son commerce et ses diverses branches industrielles, qui, avec la protection que leur donne l’acte de Cromwell, se sont élevées au haut degré de prospérité où elles se trouvent.

D’ailleurs, nous ne sommes pas opposés au traité, nous ne demandons que l’ajournement jusqu’à l’impression du tarif.

M. de Theux – Je pense que ceci ne doit pas former une question préjudicielle ; car, indépendamment du tarif, le traité est utile en lui-même. Je demanderai qu’on continue la discussion suivant l’ordre des inscriptions. La principale question qui nous divise aujourd’hui, c’est la question des entrepôts, c’est la réciprocité du commerce d’entrepôt. C’est cette question qu’il faudrait épuiser. (Oui ! oui !)

Messieurs, un honorable préopinant a regretté que le gouvernement ait ouvert des négociations pour faire des traités de commerce, avant que les bases de ces sortes de traités aient été posées dans une loi. Je rappellerai ici des faits qui justifient entièrement la marche que le gouvernement a suivie. En 1836, un traité avait été conclu entre le gouvernement et le Brésil, ce traité avait reçu la sanction de la chambre, aucun reproche n’avait été adressé au gouvernement pour avoir négocié ce traité. Il en a été de même pour un traité conclu avec la Porte ottomane.

Il y a plus, c’est que dans cette chambre comme au sénat on a montré le plus vif empressement pour la conclusion de ces traités. Et sa base qui a été surtout indiquée au gouvernement est celle de la réciprocité. Quand nous avions annoncé à diverses reprises que des négociations étaient ouvertes avec les puissances que nous avons indiquées, il ne s’est pas élevé de réclamation sur la nécessité d’une loi préalable. Ce n’est qu’à la fin de la session dernière que la chambre a pris l’initiative, à cette égard en nommant une commission d’enquête. Cependant la chambre a pensé, en adoptant le traité avec la Turquie, quelle que soit la base qu’on prenne pour un système de navigation, quels que soient les principes qu’elle adopte à la suite du rapport de la commission d’enquête, ces principes pourront toujours subir des exceptions quand elles seront basées sur l’intérêt du pays.

Quelle est maintenant la question qui divise les membres de cette chambre ? C’est de savoir s’il faut accorder pour les marchandises entreposées, l’assimilation du pavillon étranger au pavillon national, comme pour les provenances directes. Eh bien, la question des entrepôts, dans les strictes limites du traité avec la Grèce, ne me semble pas devoir rencontrer d’objections sérieuses.

Ainsi qu’on vous l’a fait remarquer, la Grèce n’a que très peu de navigation. Il faut que la Belgique soit vis-à-vis de la Grèce, ce qu’elle est vis-à-vis de la Turquie, et j’ajouterai de l’Egypte, par suite de la réintégration de l’autorité du sultan dans cette contrée.

Il importe que la Belgique ne rencontre pas en Orient, qui offre aujourd’hui de nouveau de magnifiques chances de commerce, une concurrence privilégiée de la part de la Hollande. Veuillez remarquer que la rivale naturelle de la Belgique, en fait de navigation et de commerce, c’est évidemment la Hollande, à cause de sa situation, à cause de ses relations avec l’Allemagne. Partout la Belgique et la Hollande sont en concurrence. Mais si vous voulez soutenir le commerce avec la Hollande, il faut que partout vous ayez les mêmes latitudes qu’elles a obtenues. La raison en est simple : une affaire de concurrence en attire une autre. Si donc la Hollande a, sous certains rapports, avec les autres nations, des privilèges, des avantages que nous n’ayons pas, il est certain que la Hollande absorbera la plus grande partie du commerce de ces nations.

On a objecté que la Hollande, dans son traité avec l’Angleterre, avait maintenu toutes les réserves de sa législation douanière. Cela est vrai vis-à-vis de l’Angleterre. Cela s’explique aisément. L’Angleterre, n’admettant pas les marchandises des entrepôts de Hollande, la Hollande n’a pas voulu admettre les marchandises provenant des entrepôts d’Angleterre. Mais il n’en est pas de même dans les autres traités conclus par la Hollande. Là elle a stipulé les mêmes conditions pour les marchandises provenant des entrepôts que pour celles provenant du sol ou de l’industrie des pays avec lesquelles elle a traité. C’est ce qu’elle a fait notamment dans son traité avec les Etats-Unis.

Je me permettrai une seule observation en réponse à celles qui ont été présentées. On a dit : Nous admettons volontiers l’assimilation pour les marchandise provenant des entrepôts, en ce qui concerne le transit ; mais nous ne la voulons pas en ce qui concerne la consommation à l’intérieur. Je ferai remarquer que c’est précisément cette distinction entre les marchandises provenant des entrepôts et celles provenant de pays mêmes, qui a tourné au préjudice de la France dans son traité avec les Etats-Unis. La raison en est toute simple. En effet, les navires des Etats-Unis jouissent des mêmes faveurs que la navigation française pour transporter en France les produits de leur sol et de leur industrie, et pour transporter aux Etats-Unis les produits du sol et de l’industrie de la France ; mais pour le transport aux Etats-Unis des produits de l’Allemagne entreposés en France, les navires américains ont toujours la préférence sur les navires français, parce que ces derniers rencontrent en Amérique des droits élevés qui sont pour eux un obstacle à l’importation de ces produits. Voilà la véritable raison de différence. C’est précisément ce qui arriverait à la Belgique, si elle signait un pareil traité, et d’autant plus que la Belgique fournirait plus difficilement des cargaisons complètes de ses propres produits. Par un semblable système vous favoriseriez encore les opérations du commerce de la Hollande.

On a ajouté, en ce qui concerne les relations commerciales entre la France et les Etats-Unis que s’il n’était pas intervenu un traité entre ces deux pays, les navires américains n’auraient pas eu la préférence pour exporter des ports de France les marchandises étrangères provenant des entrepôts ; mais s’il n’y avait pas eu de traité, il y aurait eu beaucoup moins de relations de commerce entre la France et l’Amérique, à cause de la différence des droits d’importation : ce qui eût fait donner la préférence aux produits similaires d’autres pays. Le traité comme je l’ai démontré est donc à la défaveur de la France et au profit des Etats-Unis.

L’honorable préopinant craint que le traité soumis à la chambre ne soit considéré comme un précédent qui autorise à en conclure de semblables avec d’autres nations avec lesquelles ils seraient désavantageux. Mais un semblable traité ne peut pas être conclu avec l’Angleterre, puisque cette puissance ne fait pas de traité sur des bases aussi larges.

Quant à d’autres pays du Nord, jusqu’à présent le gouvernement belge a refusé de traiter sur le pied de l’assimilation, parce que leurs navires naviguent à un fret moins élevé que les nôtres. C’est le motif pour lequel la France, qui a concédé un traité à la Belgique, n’en a pas concédé aux pays du Nord.

Vous voyez donc qu’il n’y a pas nécessité absolue à ce que les dispositions du traité fait avec la Grèce soient étendues à tel ou tel pays. Mais dans mon opinion, la Grèce n’est pas le seul pays avec lequel il convienne de faire de tes traités. Tout traité qui favorisera une navigation lointaine, qui sera de nature à développer le commerce de transit, me semble devoir obtenir la même faveur.

Un grand nombre de membre – La clôture !

M. de Foere – L’honorable membre qui vient de parler est entré dans des considérations qui ne présentent qu’une accumulation d’erreurs, tant dans les faits que dans les opinions. Je demanderai, dans l’intérêt de la question, à lui répondre.

M. de Theux (pour un fait personnel) – J’ai répondu à des observations qui ont été faites ; je crois avoir répondu suivant l’exactitude des faits. Maintenant l’honorable membre croit avoir prouvé ses assertions ; je crois également avoir prouvé les miennes.

M. de Foere – Je ne crois pas avoir donné lieu à un fait personnel. Dans tous les parlements, il est d’usage de taxer d’erreur les opinions de ses adversaires. Je ne crois pas qu’il y ait là un fait personnel. Je le répète, le discours de l’honorable préopinant est une accumulation d’erreurs, soit dans les opinions, soit dans les faits.

M. Smits – L’honorable membre qui vient de parler à occuper la chambre pendant deux heures ; il a eu tout le temps de se développer ; il a parlé des droits différentiels, du droit public de l’Europe ; il a fait l’histoire de M. Huskisson ; il a fait l’histoire de l’enquête parlementaire. J’ai pris 4 pages de notes. Si je ne lui réponds pas, c’est pour épargner les moments de la chambre. Quant à ce qu’a dit l’honorable M. de Theux, je crois que c’est parfaitement exact.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Oui.

M. Desmet – Je crois que si l’on sentait toute l’importance de cette discussion, on ne prononcerait pas la clôture. Je viens de communiquer à M. le ministre des affaires étrangères un tarif des douanes grecques de 1836, postérieur, par conséquent, à celui dont il a parlé, qui est de 1831.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – J’ai dit que la question du tarif n’était pas d’une très grande importance, puisque le tarif qui frappe les produits importés par navires belges, frappe également les produits introduits par navires grecs.

Mais je tiens à ce que la chambre soit convaincue que, lorsque j’ai parlé du tarif de 1831, j’ai parlé du tarif en vigueur ; l’honorable membre M. Desmet prétend infirmer cette assertion, en faisant voir, dans un recueil publié depuis 1831, certains fragments du tarif grec, car ce n’est pas le tarif que contient cet ouvrage, mais une nomenclature de produits donnée par l’auteur du recueil ; ensuite il ne s’agit pas d’un tarif de 1836, puisque l’ouvrage où se trouve ce prétendu tarif a été publié en 1835. (Hilarité générale.)

M. Desmet – Je demande la parole pour un fait personnel.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Il n’y a pas matière à fait personnel, en venant à dire qu’en 1835, on a pu publier un tarif de 1836. Il n’y a pas là de fait personnel dans ma pensée, mais l’indication d’une erreur matérielle échappée au préopinant.

Maintenant, est-il étonnant qu’un tarif décrété en 1831 soit inséré dans un répertoire publié en 1835 ? On sent qu’il est impossible de publier en France un tarif grec avant qu’il ait été rendu public en Grèce ou au moins communiqué aux agents diplomatiques.

Or, il n’y a pas en Grèce, comme en France et en Angleterre, une masse de journaux, des Moniteurs, des Bulletins du commerce et autres publications qui fassent connaître, à l’instant même, les actes du gouvernement. Il a fallu recourir à des correspondances pour obtenir le tarif grec de 1831, et il n’a été ainsi publié en France qu’en 1835.

Pour vous prouver que le document que j’ai cité et celui qu’invoqué M. Desmet, sont absolument la même chose, je prends l’article dont vous a parlé l’honorable membre, et qui aurait, selon lui, subi une forte augmentation, l’article chapeaux. Je lis, dans le tarif que je vous ai tout à l’heure indiqué, au chapitre des chapeaux (hilarité) ; je demande pardon à la chambre si cela prête à la plaisanterie :

« Chapeaux blancs et noirs, le qualité, 3 phénix, 20 leptas.

« Idem, 2e qualité, 2 phénix, 20 leptas. »

J’ouvre le tarif que vient de me montrer l’honorable M. Desmet, et qu’y vois-je ?

« Chapeaux blancs et noirs, le qualité, 3 phénix, 20 leptas.

« Idem, 2e qualité, 2 phénix, 20 leptas. »

D’où je conclus qu’il y a identité parfaite entre le prétendu tarif de 1836, contenu dans un ouvrage publié en 1835 (on rit) et le tarif que je vous ai fait connaître. Qu’il y ait eu des modifications au tarif de 18731, c’est ce que je regarde comme à peu près impossible, puisque ma correspondance avec nos agents diplomatiques et consulaires ne m’en a rien appris.

M. Desmet – Je demande la parole pour un fait personnel. Quand je dis que le dernier tarif avait été mis en vigueur, j’aurai du dire que c’était le nouveau système sur les entrepôts que le gouvernement grec avait introduit ; mais je pense que le tarif que j’ai produit hier, comme je l’ai dit dans mon premier discours, était de 1834 ; et quand je dis que le nouveau système sur les entrepôts était introduit en Grèce, je le tenais dans le moment d’un agent du gouvernement qui venait d’arriver de ce pays et qui avait près de lui un tarif qui contenait des renseignements spéciaux sur l’objet qui est en question.

- La clôture est mise aux voix et adoptée.

M. le président – M. Delehaye a proposé d’ajourner l’examen du traité jusqu’à la discussion du rapport de la commission d’enquête. Je vais mettre aux voix cette proposition d’ajournement.

- Il est procédé au vote par appel nominal sur cette proposition.

66 membres prennent part au vote.

47 votent contre l’ajournement.

19 votent pour.

L’ajournement n’est pas adopté.

Ont voté contre l’ajournement : MM. Berger Brabant, Cogels, Cools, de Behr, de Langhe, Delfosse, Demonceau, de Puydt, de Sécus, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dubois, Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Jadot, Lange, Lebeau, Lejeune, Lys, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Milcamps, Nothomb, Pirmez, Pirson, Puissant, Raikem, Raymaeckers, Rogier, Sigart, Simons, Smits, Trentesaux, Troye, Ullens, Van Cutsem, Vandenhove, Vanderbelen, Verhaegen, Vilain XIIII, Wallaert et Zoude.

Ont voté pour : MM. Coppieters, Dedecker, de Foere, de Garcia de la Vega, Delehaye, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Potter, de Roo, Desmaisières, Desmet, Doignon, Donny, Dubus (aîné), Dumortier, Hye-Hoys, Kervyn, Maertens, Morel-Danheel, Vandenbossche.

L’ajournement proposé par M. Desmet jusqu’à l’impression du tarif grec, n’est pas non plus adopté.

Vote de l'article unique

M. le président – Il nous reste à voter par appel nominal sur l’article unique du projet. Il est ainsi conçu :

« Léopold, roi des Belges, à tous présents et à venir, salut.

« Vu l’article 68 de la constitution, ainsi conçu : « Les traités de commerce et ceux qui pourraient grever l’Etat ou lier individuellement des Belges, n’ont d’effet qu’après avoir reçu l’assentiment des chambres. »

« Nous avons de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :

« Article unique. Le traité de commerce et de navigation, conclu entre la Belgique et la Grèce, signé à Athènes, le 13-25 septembre 1840, sortira son plein et entier effet. »

65 membres prennent part au vote :

59 votent pour le projet.

6 votent contre.

Ont voté pour le projet : MM. Berger Brabant, Cogels, Cools, de Behr, de Garcia de la Vega, de Langhe, Delehaye, Delfosse, de Meer de Moorsel, Demonceau, de Potter, de Puydt, de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Doignon, Dubois, Dubus (aîné), Dumont, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Hye-Hoys, Jadot, Kervyn, Lange, Lebeau, Lejeune, Lys, Maertens, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Pirson, Puissant, Raikem, Raymaeckers, Rogier, Sigart, Simons, Smits, Trentesaux, Troye, Ullens, Van Cutsem, Vandenhove, Vanderbelen, Verhaegen, Vilain XIIII, Wallaert et Zoude.

Ont voté contre : MM Coppieters, Dedecker, de Foere, de Roo, Donny et Vandenbossche.


M. le président – Il a été déposé sur le bureau divers amendements au budget des voies et moyens. Ces amendements seront imprimés et distribués.

- La séance est levée à 4 heures ¾.