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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 1 février 1841

(Moniteur belge n°33 du 2 février 1841)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Lejeune procède à l’appel nominal à 2 heures.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Lejeune fait connaître l’analyse des pièces suivantes.

« Des débiteurs de boissons distillées d’Audenaerde, Beveren près d’Audenaerde, Huysse, Etichove, Mullen, Worteghem, Boucle-St-Maise, Welden, Horebeke-St-Cornil, Michelbeke, Peteghem, Boucle-St-Denis et Gyselbrechteghem (Flandre orientale) demande l’abrogation de la loi relative à l’abonnement. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la loi sur les distilleries.


Le sieur Jean-Baptiste Le Roy, arpenteur-forestier, demande que les employés de sa catégorie soient compris dans la loi des pensions en contribuant par une retenue à baser sur le traitement des gardes-généraux auxquels ils sont assimilés. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la loi sur les pensions.


« Le sieur Boisacq, tenant l’hôtel d’Angleterre, à Anvers, cosignataire d’une pétition adressée à la chambre en 1838 par un grand nombre d’hôteliers, se plaint de nouveau que le mobilier des hôtels soit soumis à un double impôt. »

- Renvoi à M. le ministre des finances.


« Le sieur Auguste-Louis Nix, caporal du premier régiment de ligne, né dans le duché de Nassau, âgé de 17 ans, et depuis deux ans au service de Belgique, demande la naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Philippeville

M. de Brouckere – Je désire savoir si la commission qui a été chargée d’examiner les pouvoirs de M. le comte de Baillet n’est pas encore prête à faire son rapport.

M. Milcamps, rapporteur – Ce n’est que jeudi soit que nous avons reçu les pièces ; nous nous sommes livrés à l’examen de ces pièces samedi. J’avais demandé que la commission se réunît aujourd’hui ; cette séance n’ayant pu avoir lieu, nous sommes convenus de nous réunir demain à dix heures, le rapport sera lors très probablement arrêté.

M. de Brouckere – Messieurs, il est très probable, quand le rapport sera fait et puisque des pièces ont été produites, qu’on demandera l’impression, ce qui forcera encore la chambre de remettre la discussion à un autre jour. Je pense que la chambre pourrait, dès à présent, ordonner l’impression du rapport et fixer le jour de la discussion, car enfin l’on conviendra qu’il est désagréable pour un citoyen belge qui jusqu’à l’âge de 40 ans n’a jamais entendu contester sa qualité de Belge, de rester si longtemps dans l’incertitude sur la décision qui doit être prise à son égard. Cette décision, pour moi, n’est pas douteuse, mais il n’en est pas moins vrai que l’incertitude la plus grande existe en ce qui concerne l’intéressé.

Je demande donc que la commission soit autorisée à faire imprimer son rapport, et qu’on fixe la discussion à mercredi.

M. Dubus (aîné) – Messieurs, il me paraît que nous pouvons très bien attendre jusqu’à demain pour faire droit à la motion de l’honorable député de Bruxelles. Si ce rapport peut être imprimé et distribué demain, je ne vois alors aucune difficulté à ce qu’on fixe la discussion à mercredi.

M. Lange – La commission doit se réunir demain, et il y a lieu de croire que son travail sera alors entièrement terminé. En conséquence, le rapport pourra être livré à l’impression demain dans l’après-dînée, et distribué dans la soirée.

M. Dubus (aîné) – Cela revient à ce que je disais tout à l’heure, que nous saurions dans la séance de demain à quoi nous en tenir.

M. de Brouckere – Je n’insiste pas ; si le rapport est présenté demain, il est convenu qu’alors on le discutera dans la séance de mercredi.

M. le président – Ainsi, la chambre statuera demain.

Projet de loi, détaché du projet de budget des voies et moyens, sur les distilleries

Discussion des articles

La discussion générale a été close dans la séance précédente ; la discussion s’ouvre sur l’article 1er.

Article premier

« Art. 1er ; La quotité de l’accise sur la fabrication des eaux-de-vie est fixée, pour chaque jour de travail, et sans égard à la nature des matières, à soixante centimes par hectolitre de capacité brute des vaisseaux mentionnés à l’article 2 de la loi sur les distilleries du 27 mai 1837, et non spécialement exemptés. »

Les amendements suivants ont été présentés à cet article :

« Amendement de M. de Nef :

« Une déduction de 10 p.c. est accordée sur ces droits pour tous les vaisseaux d’une capacité au-dessous de 20 hectolitres. »

Amendement de MM. Verhaegen, Coghen, Raymaeckers, Desmet et de Renesse.

« Nous avons l’honorable de proposer la substitution du chiffre 50 centimes à celui de 60 centimes, fixé par l’article 4 de la loi. »

M. le président – M. de Nef a la parole pour développer son amendement.

M. de Nef – Messieurs, les distilleries agricoles chôment presque toutes dans mon arrondissement ; le mal est arrivé au point que d’une vingtaine d’établissements de cette nature qui y existaient précédemment, il en reste tout au plus quatre à cinq qui continuent péniblement.

Il est résulté de là que, dans l’espace d’une seule année, plus de quinze cents hectolitres d’eau-de-vie indigène y ont été introduits par les distillateurs qui, dans d’autres arrondissements, travaillent au moyen des machines à vapeur ; ce que je demande n’est pas une faveur dans la véritable acception du mot, mais uniquement un moyen de mettre les distilleries agricoles à même de continuer à concourir et empêcher qu’elles ne soient écrasées par les grandes au détriment de l’agriculture, qui se trouvera ainsi privée d’une partie de l’engrais indispensable dans cette contrée ; et que l’on ne dise pas que déjà une déduction de 10 p.c. est accordée à tous les alambics ou vaisseaux d’une capacité au-dessous de cinq hectolitres ; car il est reconnu qu’il y a impossibilité de travailler avec bénéfice au moyen d’alambics d’une dimension aussi restreinte, et que par conséquent cette déduction est complètement illusoire.

- L’amendement de M. de Nef est appuyé.

M. le président – La parole est à M. Verhaegen pour développer son amendement.

M. Verhaegen – Messieurs, l’amendement que j’ai eu l’honneur de proposer à la chambre, conjointement avec quelques-uns de mes honorables collègues, me semble déjà avoir été appuyé par les considérations qu’on a fait valoir dans la discussion générale. Je me permettrai de résumer ces considérations en peu de mots.

Il paraît évident que l’augmentation jusqu’à concurrence de 60 centimes par hectolitre, doit entraver nos distilleries, au point de les détruire complètement, si nous devons nous en rapporter aux renseignements qui nous ont été donnés.

Messieurs, nous avons eu des exemples, et des exemples frappants, de lois qui avaient porté les droits à un taux démesuré. Tout le monde sait ce qui est arrivé sous la loi de 1822 : les distilleries du Limbourg et vers les frontières de Prusse ont été anéanties. C’était la Prusse qui, à cette époque avait le marché exclusif, au détriment des distilleries belges. Arrive la loi de 1833, et les distilleries indigènes se relevèrent. La Prusse, à son tour, eut à souffrir de cet état de chose ; la loi de 1833 a rétabli en faveur de nos distilleries ce que la loi de 1822 leur avait enlevé ; porter aujourd’hui le droit de 40 à 60 c. serait de nouveau la destruction des distilleries belges.

En vain nous dira-t-on que les distillateurs peuvent trouver leur compte, et que la fraude est pour beaucoup dans leurs opérations. A cet égard, messieurs, l’on se trouve induit en erreur, et plusieurs de nos distillateurs avec lesquels nous avons eu l’occasion de nous en expliquer, ne verraient aucune inconvénient à ce que le gouvernement leur envoyât des délégués, pour suivre les opérations dans leurs distilleries : ce qui donnerait alors la conviction que dans les calculs qu’on a soumis à ce sujet, il y a plus d’une exagération.

Quoi qu’il en soit, dans les circonstances où l’on se trouve, et en attendant qu’on puisse revoir entièrement le système qui nous régit, il nous semble que l’essai d’une augmentation de 10 c. serait de nature à méditer la préférence. On peut, pendant quelque temps, faire l’expérience du régime d’un droit de 50 c. Si, plus tard, nous reconnaissons que la loi, avec le taux de ce droit, présente encore des inconvénients, rien ne s’opposera à ce qu’on y apporte alors des changements, et l’on sera toujours dans la position dans laquelle on voudrait se placer aujourd’hui.

Une seconde considération qui nous engage à soutenir notre amendement, c’est que si l’augmentation qu’on vous propose était adoptée, nous ne pourrions pas lutter avec le genièvre hollandais. Il est constant, en effet, que le genièvre hollandais ne coûte à l’entrepôt que 36 centimes, tandis que le nôtre coûte à l’entrepôt 44 centimes. Si maintenant l’augmentation était admise, comment le genièvre indigène pourrait-il entrer en concurrence avec les genièvres hollandais sur les marchés étrangers ? La chose serait impossible, et nos distilleries seraient complètement détruites.

Le chiffre que nous avons eu l’honneur de proposer est la conséquence de renseignements positifs, et je ne crains pas d’avancer que les renseignements que M. le ministre des finances pourrait prendre, seraient de tout point conformes à ceux que nous avons reçus.

Il ne faut pas se le dissimuler, il s’agit de l’existence de nos distilleries, la question qui s’agite est pour elle une question de vie ou de mort. Il nous semble qu’avant de prendre une mesure aussi décisive, il serait bon de consulter l’expérience et de ne se décider à cette extrémité que lorsque le temps en aura démontré la nécessité. Le terme intermédiaire que nous avons adopté, nous semble devoir concilier toutes les opinions, avec d’autant plus de raison, je le répète, que si l’expérience démontre plus tard que la loi, dans ces conditions, présente encore des inconvénients, on pourrait alors y porter remède.

Me référant d’ailleurs à toutes les considérations qu’on a fait valoir dans la discussion générale, j’espère que la chambre accueillera avec faveur notre amendement et qu’elle se gardera de prendre une mesure qui jetterait une véritable perturbation dans cette branche d’industrie.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, lorsque le gouvernement a proposé d’élever le droit à 60 centimes par hectolitre de matière mise en macération, il était principalement mû par les besoins du trésor. D’un autre côté, nous avons démontré que ce droit peut très bien s’appliquer avec le système en vigueur.

Quant aux inconvénients que signale l’honorable préopinant, ils n’existent pas, relativement à la concurrence que feraient, d’après lui, les eaux-de-vie étrangères au genièvre indigène.

Si le genièvre indigène est exporté, une disposition de la loi accorde la restitution du droit à la sortie. Ainsi, sous ce rapport, il importe peu que le droit soit plus ou moins élevé.

Les besoins du trésor étant bien constatés, il suffit que nous sachions maintenant que ce droit peut s’établir sans donner lieu à une fraude de quelqu’importance.

Or, rien n’a été avancé pour détruire les arguments sur lesquels le gouvernement a basé cette augmentation de droit, et ceux sur lesquels il se fonde pour prouver que la fraude ne sera pas forcément à craindre.

Venant maintenant à l’amendement de M. de Nef, je ne pense pas qu’il puisse être admis, tel qu’il a été proposé, car il tendrait à donner de l’extension, en ce qui concerne la faveur à accorder aux distilleries agricoles, non seulement par la majoration du chiffre de la déduction, mais encore par l’augmentation des vaisseaux auxquels cette déduction s’appliquera.

Je pense qu’on a abusé de la faculté accordée par l’article à la loi. Cet article a eu en vue de favoriser l’agriculture, et d’accorder une déduction aux distilleries purement agricoles, c’est-à-dire aux distillateurs qui cultivent eux-mêmes. La limite posée par l’article 4 est de cinq hectolitres pour la contenance de l’alambic. Mais par suite des nouveaux procédés, cette limite est devenue illusoire, car on peut faire en une seule journée, dans un alambic d’une contenance de cinq hectolitres, jusqu’à 12 et même 16 bouillies. Il en résulte qu’on pourrait déclarer pour les cuves matières une contenance de 60 ou 80 hectolitres, alors que l’alambic n’est que de cinq hectolitres, ainsi que le veut la loi. Si l’on n’a pas encore atteint ces chiffres, on n’en est pas moins parvenu à éluder complètement la disposition de l’article 4, c’est-à-dire qu’au lieu de 5 hectolitres, on en distille jusqu’à 40 par jour, surtout dans les distilleries qui travaillent au bain-marie.

Messieurs, la chambre pourrait être disposée à accorder un avantage aux distilleries véritablement agricoles. Pour cela, il faudrait fixer pour condition non pas un nombre fixe de quatre têtes de bétail ; mais pour tous ceux qui jouiraient de la faveur, une tête de bétail par hectolitre et demi de contenance des cuves déclarées, il faudrait en outre exiger que le distillateur cultivât un nombre proportionnel d’hectares de terre ; alors il serait certain qu’on n’accorderait la faveur qu’aux distilleries que l’on a eu en vue de protéger et aux services qu’elles peuvent rendre à l’agriculture. Je pense qu’il serait bon de mettre aux voix non l’amendement de M. de Nef, mais la question de principe, celle de savoir s’il sera accordé une plus grande déduction aux distilleries que l’on entend désigner sous le nom de distilleries agricoles. Si la chambre décide cette question affirmativement, je proposerai un amendement pour prévenir les abus, conçu dans le sens des explications que je viens de donner.

Du reste, je pense qu’il serait bon d’introduire dans la loi un amendement dans ce sens. Cette amendement, je l’ai préparé. Je le déposerai si la chambre décide qu’une faveur sera accordée à ces distilleries.

M. Demonceau – Sur la dernière observation que vient de faire M. le ministre, je lui demanderai s’il partage l’opinion de quelques honorables collègues qui pensent que toutes les distilleries sont agricoles, parce qu’elles consomment des produits de l’agriculture et que leurs résidus servent à engraisser le bétail. Je fais cette observation, parce que j’ai entendu soutenir que toutes les distilleries, même celles situées au milieu des villes, sont agricoles.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – En effet, toutes les distilleries sont plus ou moins utiles à l’agriculture. Mais de tout temps on a considéré que les distilleries, disséminées dans le plat pays, lui rendaient des services plus directs. Cela se conçoit, parce que les engrais ne doivent pas être transportés à de grandes distances ; les distillateurs qui cultivent eux-mêmes en font un usage plus utile que ceux qui doivent transporter à grands frais leurs engrais à des distances considérables. L’établissement de ces petites distilleries peut d’ailleurs amener le défrichement de nos bruyères et rendre productif une grande partie de notre sol qui jusqu’ici est resté stérile.

Du reste, cette opinion n’a jamais été contestée, que l’agriculture retire plus d’avantage des petites distilleries disséminées dans la campagne que des grandes distilleries.

M. Duvivier – J’ai demandé la parole pour ajouter quelques mots à ce que vient de dire M. le ministre, en réponse à M. Demonceau. Cet honorable membre pense que dans les villes mêmes les distilleries sont agricoles. Je vais faire voir qu’il est dans l’erreur.

M. Demonceau – Ce n’est pas moi, mais M. Rodenbach qui a avancé cela.

M. Duvivier – C’est égal, c’est au fait que je réponds.

Les distilleries des villes sont si peu agricoles qu’elles se bornent à distiller et qu’elles vendent leurs résidus ; par conséquent il n’y a point de bestiaux dans les étables des distillateurs qui travaillent à l’intérieur des villes. Ces distilleries ne peuvent donc pas être considérées comme agricoles.

M. Mast de Vries – Je veux faire observer à la chambre, relativement à la distinction que l’on fait, qu’il n’y a pas de faveur aujourd’hui pour les distilleries dont la contenance est au-dessous de 5 hectolitres, parce que les produits sont de 8 à 10 p.c. moindres que dans les autres distilleries. Vous devez donc adopter une base plus large que celle qui existe aujourd’hui.

Quant à ce que vient de dire M. le ministre, que pour les distilleries agricoles on devrait exiger que le distillateur eût une tête de bétail par chaque hectolitre et demi de contenance, je ferai observer que ce sont là des détails d’une application difficile. Car en admettant la proposition de M. de Nef, ce ne serait rien moins que 14 têtes de bétail que le distillateur devrait posséder.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Si j’ai bien compris l’honorable préopinant, son intention est de favoriser les distilleries du plat pays. Or son amendement, s’il est présenté comme il vient de l’énoncer, aurait un résultat contraire à celui qu’il en attend. Maintenant dans les villes, aussi bien que dans les campagnes, on profite des dispositions de la loi. C’est pour faire cesser cet état de choses que j’ai présenté des considérations tendant à faire adopter un amendement que j’ai déjà développé, et que je soumettrai à la chambre. Si on décidant que l’exception sera étendue à toutes les distilleries dont l’alambic aurait une contenance de 20 hectolitres, et au-dessous, bientôt vous n’auriez plus une seule distillerie dans le pays qui n’eût un alambic de cette contenance dans les villes comme dans les campagnes.

Ma proposition au contraire tend à favoriser les distilleries du plat pays, parce que ce n’est que là que l’on réunit en général les deux conditions d’engraisser le bétail et de cultiver un certain nombre d’hectares de terre.

M. Desmet – Il est vrai que la loi de 1822 favorisait non pas les distilleries agricoles, mais les petites distilleries. Pourquoi ? parce que, par cette loi, ce n’était pas seulement la matière macérée qui était imposée, mais les alambics. Quand on travaillait avec de petits alambics, on payait moins de droits que quand on en employait de grands.

Comme l’a fait observer M. Rodenbach, toutes les distilleries sont agricoles, parce que toutes produisent les mêmes résidus. Il n’y a pas de distinction, les grandes comme les petites, celle qui ont un travail continu, comme celles qui emploient de petits alambics produisent des résidus qui servent à engraisser et profitent à l’agriculture.

Dans les villes, si on n’a pas de terres à cultiver, on vent le résidu pour le jardinage. M. Claes, à Lembeeck, ne consomme pas tout le résidu qu’il produit, et il vend une grande partie aux cultivateurs de l’endroit. Ainsi on ne peut pas dire que les petites distilleries sont seules agricoles, parce que toutes le sont, parce que toutes donnent des résidus qui servent à engraisser le bétail et à améliorer les terres.

Pourquoi, par l’ancienne loi, a-t-on voulu favoriser les petites distilleries, et d’abord qu’entend-on par petites distilleries ? On n’entendait pas celles qui travaillent toute l’année, mais celle établies par des cultivateurs qui ne travaillent que pendant l’hiver, qui, lorsque les navets sont gelés, distillent du grain afin d’avoir le résidu pour nourrir le bétail.

On peut favoriser ces petites distilleries parce qu’elles n’ont pas les moyens de faire les mêmes bénéfices que les grandes. Mais cependant, si vous les favorisez par trop, je crois qu’elles feraient tort à celles qui travaillent tout l’année. Et l’agriculture, surtout là où il y a des terrains sablonneux, est intéressée à la prospérité des grandes distilleries. Si donc les petites sont trop favorisées, le privilège ne tournera pas au profit de l’agriculture, parce que les grandes distilleries souffriront beaucoup de la lutte que leur feront les petites.

On a parlé des avantages que les grandes distilleries tiraient du nouveau système, du système de Blumenthal. Ce système ne présente sur l’ancien qu’une économie de combustible.

Le nouveau système qu’on propose est établi sur le temps de la fermentation. Je ne m’y oppose pas, mais je n’y vois ni nécessité ni grande utilité.

M. Rodenbach – J’ai demandé la parole pour répondre à un honorable préopinant qui a dit qu’il n’y avait que les petites distilleries qui fussent des distilleries agricoles.

M. Desmet vient de faire observer que toutes les distilleries étaient agricoles, que celles qui n’employaient pas leurs résidus, les vendaient aux personnes de la campagne, qui engraissent des bestiaux et que ces bestiaux donnaient du fumier. Toutes les distilleries sont donc agricoles. Je ne conçois pas qu’on puisse prétendre qu’elles ne le sont pas aussi bien dans les villes qu’à la campagne.

On a présenté un amendement tendant à donner une remise de 10 p.c. quand les cuves matières sont d’une contenance au-dessous de 20 hectolitres. Si on admettait cette remise, le produit de l’impôt diminuerait d’une manière considérable. Vous voulez une loi qui rapporte trois ou quatre millions. En faisant cette réduction, comme l’a dit le ministre, on va réduire à ce chiffre la contenance des cuves matières dans toutes les distilleries, et le droit sera diminué. C’est comme si on proposait un amendement réduisant le droit d’autant de centimes. Je n’ai pas entendu l’amendement, je crois qu’il est déposé sur le bureau. Quand on le lira, j’exprimerai mon opinion à cet égard.

M. de Nef a dit que dans sa localité, les petites distilleries ne travaillaient plus. Il n’y en a plus qu’un quart, il n’y en a plus que 3 ou 4 qui travaillent. Ce n’est pas dans la loi, c’est dans les octrois municipaux qu’est le vice. C’est qu’un droit de 20 centimes par hectolitre de matières est établi à l’octroi d’Anvers, et l’on accorde une prime d’exportation de 7 francs par hectolitre. Le droit de 20 centimes ne représente pas un droit de 7 francs, mais de 3 ou 4 francs. Eh bien, la ville accorde 7 francs. Ainsi le distillateur d’Anvers a un avantage de 3 ou 4 francs. Ce sont ces primes d’entrée et de sortie qui anéantissent les distilleries de la Campine.

C’est au gouvernement à examiner le tarif et à faire en sorte que les citadins n’exploitent plus les campagnes, c’est pour cela que j’ai trouvé que le gouvernement a eu raison de se réserver le droit d’approuver ou de refuser le tarif des villes.

L’honorable M. Dumortier me disait, il y a quelques semaines, que toutes les petites distilleries s’établissaient à Tournay. Cela tient à ce qu’on donne une prime à l’entrée et une prime d’exportation.

Par suite du système d’octroi établi à l’entrée des villes, il s’y établit des distilleries qui exploitent les campagnes. C’est ce qui a fait dire qu’on a anéanti toutes les distilleries agricoles, ou plutôt toutes les petites distilleries ; car il est positif que toutes les distilleries sont agricoles.

Je crois donc qu’on ne peut admettre l’amendement de l’honorable M. de Nef.

M. Demonceau – Je m’attendais à cette discussion, lorsque j’ai fait mon observation. Nous avons deux amendements en présence : l’un relatif à la fixation du droit, l’autre relatif à l’exemption. Ne vous semble-t-il pas que la chambre devrait se borner à fixer le droit de 50 ou de 60 centimes, et ensuite s’occupe de la proposition de l’honorable M. de Nef ?

Je crois que pour mettre de l'ordre dans la discussion, nous devons nous occuper d’une chose et ensuite d’une autre.

M. de Brouckere – Je crois que, pour mettre de l'ordre dans la discussion, nous devons examiner en ce moment et uniquement la question de principe qui a été soulevée, celle de savoir s’il y aura ou s’il n’y aura pas un avantage pour les distilleries agricoles ; car c’est jouer sur les mots que de venir dire que toutes les distilleries sont agricoles. Au reste, s’il y a doute, on pourra le lever par la manière dont on s’exprimera dans la loi. M. le ministre a annoncé que, lorsque le principe serait décidé, il présenterait un amendement ; c’est dans la discussion de cet amendement qu’on décidera quelles distilleries jouiront des avantages que la chambre voudra sans doute accorder à certaines distilleries.

Selon moi, il est juste de faire quelque chose pour les petites distilleries, pour les distilleries établies dans le plat pays. Ces distilleries n’ont pas seulement pour but, n’ont pas pour but principal la fabrication du genièvre, mais de se procurer des engrais. Avec un système qui ne donnerait aucun avantage aux petites distilleries, tous les engrais seraient produits dans les grands foyers de consommation ; il faudrait des frais énormes de transport pour en obtenir dans les campagnes éloignées des villes. Je dis que cela serait contraire à l’intérêt de l’agriculture, à l’intérêt général, enfin au défrichement des bruyères que nous devons tous avoir en vue. On a parlé de la Campine ; mais si vous n’accordez pas un avantage aux petites distilleries, comment se procurera-t-on des engrais dans la Campine, pays qui n’est pas très riche ? N’est-il pas préférable de faire une loi telle qu’il s’établisse dans la Campine des petites distilleries, qui gagneront peu par la vente du genièvre, mais qui se soutiendront parce qu’elles auront des engrais sur les lieux ?

Pour qu’il y ait de l'ordre dans la discussion, c’est cette question de savoir s’il sera accordé un avantage aux petites distilleries qui doit être résolue en premier lieu.

M. Demonceau – S’il y avait du doute sur le principe, je comprendrais que l’on commençât par le décider. Mais le principe est décidé par la loi dans le sens que propose M. le ministre des finances. Permettez-moi de vous donner lecture de l’article 4 de la loi u 27 mai 1837 ; il porte :

« Art. 4. Il est accordé une déduction de 10 p.c. sur la quotité du droit aux distillateurs qui n’emploient et n’ont qu’un seul alambic d’une capacité inférieure à 5 hectolitres, et servant alternativement à la distillation et à la rectification.

« Cependant, ceux de ces distillateurs qui ne nourrissent pas, dans l’enclos même de leur exploitation et pendant toute la durée des travaux, quatre têtes de gras bétail au moins, les chevaux non compris, ainsi que ceux qui établissent ou laissent établir plus d’une distillerie dans un même bâtiment, n’ont pas droit à la déduction prémentionnée. »

J’ai demandé à l’honorable auteur de l’amendement s’il entendait changer l’article de la loi. Il m’a dit : « Non. Je ne demande qu’une chose, c’est que les distilleries qui n’ont que des vaisseaux en-dessous de 20 hectolitres, jouissent de l’exemption. »

D’après cela ne trouvez-vous pas qu’il faudrait commencer par fixer le droit ? Au reste, qu’on commence par une chose ou une autre, cela m’est assez indifférent. Mais je voudrais, pour l’ordre de la discussion, qu’on ne discutât qu’un objet à la fois.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – L’amendement de M. de Nef ne se comprend pas facilement d’après ses termes. On ne sait pas s’il s’agit des alambics.

M. de Nef – Il ne s’agit que de cela.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Cependant l’amendement, par la manière dont il est rédigé peut tout aussi bien comprendre les cuves à macération ; il est donc inintelligible.

Maintenant le but que je me propose par l’amendement serait de favoriser spécialement les petites distilleries du plat pays. A la rigueur, on peut dire que toutes les distilleries sont agricoles, parce que toutes profitent plus ou moins à l’agriculture. Mais, comme l’a fait observer l’honorable M. de Brouckere, si un régime exceptionnel est établi, il ne peut s’appliquer qu’aux petites distilleries. L’intérêt de l’agriculture exige qu’on favorise celles qui sont disséminées dans des parties incultes du pays, telles que la Campine et une partie du Limbourg.

Le principe, comme je l’avais rappelé au début de cette discussion et comme l’a fait observer l’honorable M. Demonceau, se trouve dans la loi. Mais on a abusé de la disposition qu’elle renferme à cet égard. Beaucoup de distilleries, dans les villes, jouissent de la déduction ; la loi est surtout éludée par le nombre considérable de bouillées que l’on peut faire dans un alambic de cinq hectolitres chauffé par les nouveaux procédés ; il est des distilleries où les cuves matières déclarées ont une capacité six ou sept fois plus forte que celle de l’alambic ; cet abus peut s’étendre encore beaucoup plus loin, si l’on n’y porte remède.

Mon amendement tendrait à fixer un nombre de têtes de bétail et un nombre d’hectares à cultiver pour jouir de la faveur qu’accorderait la loi.

M. Mast de Vries – Je pense que l’amendement de M. le ministre substitue un chiffre à celui de cinq hectolitres. Mais il ne veut pas sans doute le restreindre au plat pays ; car les petites distilleries des petites localités seraient ruinées.

Ainsi l’honorable M. de Nef habite une localité de … âmes, où toutes les distilleries seraient détruites. Ce n’est pas à cause de ce qui se fait à Anvers, car la ville d’Anvers n’a pas attendu ce qu’a dit l’honorable M. Rodenbach ; elle ne donne pas de prime, et elle a raison, mais tous les genièvres des grandes villes ont des grands avantages, parce qu’elles fabriquent beaucoup de genièvre, et que leurs frais généraux sont très faibles, qu’enfin elles ont un marché pour les produits.

Mais je pense, messieurs, qu’on pourrait substituer, par exemple, à l’article 4 de la loi, au lieu des mots « 5 hectolitres », ceux-ci : « 15 hectolitres » ; c’est-à-dire déclarer que la déduction de 10 p.c. sera accordée sur les vaisseaux d’une capacité de 15 hectolitres. Mais alors il faudrait restreindre le nombre des têtes de bétail à raison d’une tête par deux hectolitres de capacité ; sans cela, vous feriez perdre aux distillateurs plus qu’ils ne gagneraient à la modification que vous apporteriez à la loi.

M. le président – Je ferai observer que vous anticipez sur la motion d’ordre.

M. Verhaegen – Messieurs, j’ai demandé la parole pour tâcher de mettre un peu d’ordre dans la discussion, afin que nous puissions au moins nous comprendre.

Si j’ai bien ainsi ce que vous a dit M. le ministre des finances, il se propose de nous présenter un amendement d’après lequel certaines petites distilleries du plat pays appelées ordinairement distilleries agricoles seraient favorisées. Mais il paraît que tout le monde n’est pas d’accord sur ce qu’il faut entendre par distilleries agricoles.

D’après M. le ministre des finances, ce serait en raison du nombre de chevaux et des têtes de gros bétail, en raison des terres cultivées que certaines distilleries devraient porter le nom de distilleries agricoles. D’après d’autres membres, il y aurait d’autres distinctions à faire. Ainsi l’honorable M. Mast de Vries n’est pas d’accord avec M. le ministre des finances.

Je demanderai pourquoi nous nous prononcerions sur une question de principe sans connaître les éléments de la question. On veut que je me prononce sur la question de savoir si on favorisera les distilleries agricoles et je ne sais pas ce qu’on entend par distilleries agricoles. Il serait très possible que si telles distilleries étaient rangées dans les distilleries agricoles, je me prononcerais contre un privilège qui me paraîtrait trop grand. Il serait possible que si l’avantage n’était pas aussi exorbitant, je voterais pour. Mais avant de décider que l’on favorisera les distilleries agricoles, qu’on nous dise ce qu’on entend par distilleries agricoles.

Ainsi, puisque M. le ministre des finances veut nous proposer un amendement, qu’il veille bien le déposer ; nous verrons quelles sont les distilleries qu’on veut favoriser et alors nous pourrons dire : oui ou non, il faut un privilège pour ces distilleries.

Je crois donc, quoique je sois au regret de combattre mon honorable ami M. de Brouckere, que la proposition ne peut être admise pour le moment. Nous ne pouvons nous prononcer sur la question de principe : Accordera-t-on un privilège aux distilleries agricoles, avant d’avoir décidé ce qu’on entend par distilleries agricoles ?

Je demande donc que M. le ministre des finances dépose son amendement, pour que nous puissions discuter en connaissance de cause.

M. le président – L’amendement vient d’être déposé, le voici :

« La déduction de 10 p.c. fixée à l’article 4 de la loi du 27 mai 1837 est portée à 15 p.c.

« Pour obtenir une déduction, les distillateurs devront, indépendamment des conditions établies audit article 4, nourrir une tête de gros bétail et cultiver par eux-mêmes un hectare de terre par chaque hectolitre et demi de la capacité des vaisseaux soumis à l’impôt. »

M. Verhaegen – Maintenant nous savons ce que l’on veut. Mais comme cet objet est excessivement important, nous demandons que l’amendement de M. le ministre des finances soit imprimé, qu’on nous laisse le temps de l’examiner et qu’on ne le discute que demain.

M. Dumortier – Il me semble, messieurs, que l’amendement tel que vient de le proposer M. le ministre des finances, est tellement clair, qu’il est inutile de mettre du retard dans la discussion. Cet amendement établit un système complet, et ce système, on peut le comprendre à la lecture, c’est d’exiger par chaque hectolitre et demi de la capacité des vaisseaux soumis à l’impôt une tête de gros bétail et la culture d’un hectare de terre. C’est là une garantie qui pare aux inconvénients dont on parlé M. Rodenbach et d’autres orateurs. Vous ne verrez plus les distilleries des villes se prétendre distilleries agricoles et profiter du bénéfice de la loi pour la fraude.

Je trouve cet amendement tellement satisfaisant et tellement clair que je ne pense pas que nous devions en ajourner la discussion.

M. Rodenbach – Je pense, comme l’honorable M. Dumortier, qu’il n’est pas nécessaire d’imprimer cet amendement. Cet amendement me paraît simple, et je crois qu’il atteindra le but qui est de favoriser les petites distilleries du plat pays.

D’après les explications que m’a données l’honorable M. de Nef, son amendement est également bon. Peut-être la rédaction laisse-t-elle à désirer, mais voici comment il l’entendait : il voulait quadrupler le chiffre de 5 hectolitres qui se trouve maintenant dans la loi ; c’est-à-dire que la déduction serait accordée, lorsque les cuves matières (car il ne s’agit pas ici d’alambic), auraient une capacité au-dessous de 20 hectolitres.

Je ferai aussi observer à l’honorable M. Mast de Vries qu’il a commis une erreur dans les observations qu’il vous a présentées. Il part toujours de ce point que ce seraient les alambics qui seraient imposés ; or, il n’en est rien, ce sont les cuves matières.

Pour me résumer, messieurs, je crois que l’amendement de M. le ministre des finances peut être admis ; je pense qu’il favorisera les petites distilleries. Car je veux aussi protéger l’agriculture et j’appuie aussi bien l’amendement de M. de Nef dans le sens qu’il m’a expliqué que j’appuierai celui de M. le ministre des finances.

M. Demonceau – Pour mon compte, messieurs, quoique j’aie examiné assez attentivement la question, je ne puis me prononcer à l’instant sur les conséquences de l’amendement qui vient de vous être proposé. Je demanderai donc le renvoi à demain. Car nous avons en présence deux intérêts qui pourront être représentés dans la discussion. Peut-être que dans votre prochaine séance, les distillateurs des villes viendront vous faire des réclamations.

M. Coghen – J’ai demandé la parole uniquement pour demander l’ajournement à demain. L’amendement de M. le ministre des finances est d’une très haute portée ; en effet, nous devons soutenir les intérêts d’une industrie, qu’elle s’exerce dans les villes ou dans les campagnes. Bien que connaissant ce genre de fabrication, je déclare ne pouvoir émettre un vote qu’après mûr examen.

M. Duvivier – J’appuie également l’ajournement.

La proposition de M. le ministre des finances décide ce qu’on doit entendre par distilleries agricoles ; pour moi, je ne partagerai jamais cette opinion qu’une distillerie sans bestiaux et sans culture est une distillerie agricole. Je conviens qu’elles travaillent toutes indirectement pour l’agriculture ; mais je le répète, les distilleries sans bestiaux ni culture ne peuvent être considérées comme agricoles.

- L’ajournement à demain est mis aux voix et adopté.

M. le président – La discussion est de nouveau ouverte sur l’amendement de M. Verhaegen qui fixe le chiffre à 50 centimes.

M. Verhaegen – Messieurs, j’avais demandé la parole pour répondre à l’objection qu’avait présentée M. le ministre des finances à notre amendement. Nous avions fait valoir plusieurs considérations, indépendamment de celles qui avaient été présentées dans la discussion générale. L’honorable ministre des finances n’a répondu qu’à une seule de ces considérations ; les autres sont donc restées intactes.

M. le ministre des finances nous dit : l’inconvénient que vous avez signalé, quant à la préférence qui serait nécessairement accordée aux esprits étrangers n’existe pas, parce que l’on restitue le droit. Les droits sont restitués à la sortie ; donc vous n’avez aucun inconvénient à craindre.

Mais d’abord, messieurs, quels sont les droits que l’on restitue à la sortie ? Comme les droits sont établis sur les matières mises en macération et calculées d’après une période temps donné, il faut nécessairement combiner et le temps de travail et tout ce qui s’y rattache.

D’après les propositions qui vous sont faites, alors que le droit serait porté de 40 centimes à 60, l’on restituerait 18 francs 50 centimes par hectolitre. M. le ministre des finances a consenti à porter les 12 francs 50 centimes qui étaient le taux premier, à 18 francs 50 centimes, à raison de l’augmentation de 20 centimes sur le droit.

Mais, messieurs, c’est précisément sur ce point que nos distillateurs ne sont pas d’accord ; ils ne sont pas d’accord sur le produit que donnent les matières mises en macération ; ils ne sont pas d’accord non plus sur le temps de travail.

L’honorable M. Duvivier, qui est très expert dans cette matière, vous a, dans votre séance d’avant-hier, présenté des observations qui doivent fixer votre attention. Il semblerait, d’après les calculs de M. le ministre des finances, qu’il ne faut que 24 heures pour arriver aux résultats d’une fabrication complète ; tandis que, d’après les détails qui nous sont parvenus et qu’on pourrait vérifier par des expériences auxquelles les distillateurs veulent se soumettre, le temps nécessaire est au moins de 30 à 33 heures, tandis que, d’après d’autres distillateurs, qui tiennent à une fabrication complète, il en faudrait 6. Et, puisqu’on a parlé de M. Claes de Lembecke, je dirai qu’il paraît que les 36 heures sont indispensables pour ce distillateur qui a porté sa fabrication à un degré de perfection qui lui a permis d’élever même le prix de ses genièvres.

Il en est de même sur la quantité de matières à produire, sur laquelle on n’est pas d’accord du tout. D’après les concessions faites par M. le ministre des finances, la restitution du droit serait calculée à 18 francs 50 centimes. Or, d’après nos calculs, pour que l’on réponde aux chiffres qui servent de base à l’opération, il faudrait que la restitution fût de 21 à 22 francs, et si la restitution n’était pas portée à ce chiffre, l’exportation deviendrait impossible.

On conteste aux distillateurs les résultats qu’ils annoncent ; mais, ainsi que je le disais tout à l’heure, ces messieurs consentent à mettre leurs usines à la disposition de M. le ministre des finances, pendant autant de jours qu’il le jugera à propos, pour y faire opérer comme il entendra ; ils ont la conviction que leurs assertions seront reconnues entièrement exactes.

Mais si, d’une part, on ne donne pas à nos distillateurs une restitution que les circonstances commandent de leur donner, ils sont d’autre part, en présence des distillateurs étrangers, qui non seulement reçoivent la restitution pleine et entière du droit, mais qui obtiennent en outre une prime d’exportation. Ainsi, par exemple, il est reconnu et M. le ministre ne contestera pas que les industries de Hollande, indépendamment de la restitution du droit, obtiennent une prime de 2 florins 50 centimes par hectolitre. Comment est-il possible que nos industriels luttent avec les industriels hollandais ?

Mais, messieurs, si le système que l’on veut mettre en avant était adopté, la fabrication deviendrait nulle en Belgique ; il n’y aurait plus de fabrication possible pour la consommation intérieure ; et il n’y aurait plus d’exportation. On ne travaillerait plus pour l’intérieur, parce que les distillateurs belges ne pourraient plus lutter contre les distillateurs hollandais, qui reçoivent une prime de 5 francs 15 centimes, outre la restitution du droit, tandis que les nôtres n’obtiendraient pas même la restitution complète du droit, et cela lorsque vous augmentez tout à coup le droit de 40 centimes à 60, tout en n’augmentant pas le droit de douane. Si vous élevez le droit d’accise de moitié et que vous ne touchez pas au droit de douane, comment voulez-vous que les distilleries du pays luttent avec les distilleries étrangères, même sur le marché intérieur ? La loi actuelle devrait naturellement avoir pour corollaire une augmentation du droit de douanes.

Voilà, messieurs, pour le marché intérieur ; quant aux marchés étrangers, comme est-il possible que nos fabricants luttent avec les fabricants étrangers, alors que, comme je le disais tout à l’heure, le genièvre hollandais ne coûte en entrepôt que 36 centimes, tandis que le nôtre en coûte 44, et que, malgré cela, nos distillateurs seront mis par la législation dans une position beaucoup plus défavorable que celle où se trouvent les distillateurs hollandais ? Il ne faut pas le dissimuler, si la loi passe telle qu’elle est proposée, nos distilleries sont complètement anéanties ; il s'agit pour elles d’une question de vie ou de mort.

M. Dumortier – Bah ! bah !

M. Verhaegen – M. Dumortier dit : bah ! bah ! mais avant que l’honorable membre ne fût arrivé, j’ai eu l’honneur de signaler quels ont été les résultats de la loi de 1822, à laquelle il voudrait revenir. J’ai fait remarquer que cette loi a complètement anéanti nos distilleries du Limbourg et du voisinage de la Prusse ; tandis que par suite de la loi de 1833 nos distilleries se sont relevées au détriment des distilleries prussiennes et hollandaises. Quand on est dans l’extrême comme l’honorable M. Dumortier, il n’est pas étonnant qu’on se récrie contre le arguments que nous faisons valoir ; mais, nous le répétons, la question qui nous occupe est pour nos distilleries une question de vie ou de mort.

Le résultat immédiat du système qui est proposé, serait l’infiltration des spiritueux dans les parties cédées du Luxembourg et du Limbourg, dans les parties que nous avons conservée ; dans les parties cédées, on jouit, comme je l’ai déjà dit, de la restitution complète du droit, et en outre, d’une prime d’exportation de 2 florins 50 centimes. Comment voulez-vous que les distillateurs belges du voisinage puissent entrer en concurrence avec ceux qui ont de pareils avantages ?

Quant au but moral de la loi, dont on a parlé dans la discussion générale, ce but ne sera pas atteint par l’élévation du droit d’accise ; la consommation restera la même, mais les esprits indigènes seront remplacés par les esprits de Hollande, de France et de Prusse.

Il m’est impossible, messieurs, d’adopter l’augmentation qui nous est proposée, alors qu’on en propose pas en même temps une augmentation du droit de douanes. Le projet tel qu’il nous est présenté est incomplet, il devrait nécessairement avoir pour corollaire une augmentation du droit qui frappe les esprits étrangers.

Maintenant, messieurs, quand il s’agit d’augmenter des droits qui frappent l’industrie, il faut opérer par gradation, il faut habituer insensiblement le peuple à des augmentations de cette nature ; quand vous augmentez tout d’un coup de moitié des droits comme ceux dont il s’agit, cela encourage la fraude.

Pourquoi ne pas consulter l’expérience, en augmentant le droit de 10 centimes seulement ? Pourquoi ne pas attendre, pour adopter une augmentation plus forte, que le temps nous ai appris à connaître les effets d’une première augmentation ? Agissons avec prudence, messieurs, ne prenons pas des mesures aussi brusques que celles qui nous sont proposées ; car, je le répète en finissant, comme je l’ai dit en commençant, la question qui nous occupe est une question de vie ou de mort pour nos distilleries.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – L’honorable orateur que nous venons d’entendre prétend que l’effet de la loi proposée sera de faire perdre à nos distilleries le marché intérieur, et d’empêcher l’exportation de leurs produits à l’étranger. L’honorable membre pense qu’en proposant d’augmenter le droit sur les eaux-de-vie indigènes il fallait, pour être conséquent, présenter également un projet de loi pour élever le droit sur les spiritueux étrangers. Telle, messieurs, n’est point la question ; à mes yeux, il s’agit de voir si le droit qui frappe les eaux-de-vie indigènes ne sera que de 18 francs 75 centimes, tandis que le droit établi sur les eaux-de-vie étrangères est de 52 francs 46 centimes. Les eaux-de-vie indigènes jouissent donc d’une protection bien large.

« Mais, dira-t-on, les eau-de-vie étrangères se vendent à des prix inférieurs à ceux des eaux-de-vie indigènes. » Cela est vrai, mais dans une note que j’ai remise à la section centrale et qui se trouve imprimée à la suite de son rapport j’ai eu soin de faire le calcul de la protection que trouveront les eaux-de-vie indigènes, toute compensation faite et des droits et du prix inférieur des eaux-de-vie étrangères ; eh bien, messieurs, cette protection sera encore de 28 francs 43 centimes par hectolitre.

L’honorable membre a prétendu que nous allions perdre toute chance d’exporter nos eaux-de-vie ; c’est là un erreur. Le temps employé pour la fermentation des matières est suffisamment connu, la chambre a pu consulter, à cet égard, les tableaux qui ont été fournis à la section centrale ; il ne s’agit plus d’établir des calculs, des appréciations ou des données vagues, par suite des opérations qui ont été faites dans toutes les distilleries du royaume, nous savons que 314 distilleries achèvent la fermentation des matières en 24 heures, que 151 emploient 30 heures de travail, et qu’enfin un moindre nombre y consacre de trente à trente-six heures.

C’est donc sur des bases certaines que nous pouvons établir le calcul du droit. Le fait est constaté ; nous savons que 30 heures sont au-dessus du terme moyen. Il ne faudra donc, à la rigueur, accorder qu’une restitution de 15 francs à 15 francs 62 à l’exportation, or d’après l’amendement de la section centrale, auquel le gouvernement s’est rallié, la restitution du droit sera de 18 francs 30, c’est-à-dire que nous accordons réellement une prime à l’exportation du genièvre, prime que certains membres de cette assemblée veulent même refuser.

M. Dumortier – Certainement.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je ne crois pas cependant que cette prime puisse donner lieu à des abus, attendu qu’on ne majore que très légèrement la prime qui s’accorde aujourd’hui, et qu’actuellement il n’y a presque pas d’exportation. Je ne pense donc pas qu’il puisse résulter de la proposition un préjudice notable pour le trésor.

L’honorable orateur allègue que dans le royaume des Pays-Bas la prime est de 2 florins 50 ; mais il est impossible d’établir quelle est la prime accordée en Hollande ; cela dépend du plus ou moins de la perfection du travail des distilleries ; il me paraît que l’on tombe dans une grande exagération en évaluant cette prime à 2 florins 50 centimes. Il n’est pas plus établi de prime spéciale en Hollande que chez nous ; s’il y a prime, c’est par suite de la différence qui existe entre le droit supposé et le droit réel ; dans tous les cas cette différence ne peut être de 2 florins 50 centimes.

Quant à la dernière observation de l’honorable préopinant, qu’il ne faut procéder que par gradation, je dirai à cet égard que la question est toute jugée.

S’il était possible d’établir un droit plus élevé sur les distilleries, si nous ne rencontrions pas un grand obstacle dans la difficulté de la surveillance à exercer sur un grand nombre d’usines ; si nous n’avions pas à craindre la fraude étrangère, le gouvernement n’hésiterait pas à proposer un droit plus élevé ; et je pense qu’il serait voté à une immense majorité par cette assemblée. Si nous ne le proposons pas, c’est que nous n’avons pas les moyens nécessaires pour l’établir, c’est que nous aurions à craindre la concurrence des eaux-de-vie étrangères. Avec le droit qui vous est proposé actuellement, la fraude ne trouvera pas un aliment suffisant pour être fortement excitée, et la protection accordée à l’industrie indigène, est telle qu’on peut le désirer.

M. Demonceau – Messieurs, je suis heureux que, dans cette circonstance, je puisse appuyer le gouvernement, je le fais parce que je pense qu’il présente une disposition qui n’est nullement défavorable aux industries producteurs du genièvre et qui est très avantageux au trésor.

Messieurs, je vous ai dit dans la discussion générale que je voudrais qu’il fût possible d’établir un droit plus élève. Avec la législation actuelle cela est difficile ; mais les renseignements qui nous ont été communiqués par M. le ministre des finances dans la discussion qui a eu lieu dans une séance précédente, me prouvent assez qu’on peut porter le chiffre à 60 centimes, sans inconvénient aucun, en ce qui concerne la fraude.

Je ne répéterai pas ce qui a déjà été dit tant de fois dans cette enceinte et au dehors, à savoir que les eaux-de-vie sont une matière essentiellement imposable ; personne ne conteste cela, et s’il y a des défenseurs de la réduction d’un droit, c’est, vous l’avez entendu, dans l’intérêt des distillateurs, et non pas, je le déclare, dans l’intérêt général. Je vais le prouver.

Les observations qui ont été présentées par l’honorable M. Verhaegen n’ont pas échappé à la section centrale ; voyez son rapport, page 2, vous y trouverez ce qui suit :

« Avant d’émettre un vote sur cet article, un membre désirerait savoir : 1° si le gouvernement a l’intention de demander sur les eaux-de-vie étrangères une augmentation de droit équivalente à celle proposée sur les eaux-de-vie indigènes, afin que celles-ci puissent soutenir la concurrence contre les autres ; 2° si la restitution à l’exportation sera majorée proportionnellement à l’augmentation du droit qui est proposée. »

Vous voyez que la section centrale a posé deux questions au gouvernement. Que nous a –t-il dit ? Voyez la pièce annexée à la page 5 de notre dernier rapport. Il résulte des calculs dans lesquels M. le ministre des finances est entré, qu’avec le droit proposé, et en supposant la plus longue fermentation, il y a pour les eaux-de-vie indigènes une protection de 28 francs 43 centimes par hectolitre ; qu’on ne vienne donc pas, par des observations vagues, réduire ou atténuer les calculs faits par l’administration des finances ; je crois que, lorsque nous demandons des documents à l’administration, celle-ci vérifie attentivement les calculs qu’elle fournit ; et ces calculs, nous devons les tenir pour exacts, aussi longtemps qu’on ne vient pas en démontré l’inexactitude.

Eh bien, pour vous prouver qu’il est bien difficile de renverser les calculs de M. le ministre des finances, je vais prendre la réclamation de la plupart des distillateurs à la tête desquels se trouve l’honorable industriel qu’on vient de citer, M. Claes ; eh bien, messieurs, lisez cette pétition, et vous verrez que, d’après les calculs des industriels eux-mêmes, ils auront encore une protection de 10 centimes par litre.

Quels sont les industries manufacturières du pays qui peuvent dire qu’elles ont une protection nette de dix pour cent ?

Ainsi, il n’y a pas le moindre motif, d’après les calculs de M. le ministre des finances, et d’après les calculs rectifiés de MM. les industriels, de craindre la concurrence étrangère. Il n’y a qu’une concurrence à craindre, et vous aurez beau élever les droits, vous ne la détruirez pas : c’est la concurrence qui se fait au moyen de la fraude. Ce n’est plus la faute de la législation, mais on doit s’en prendre à l’administration qui surveille les frontières.

Pour justifier l’amendement de l’honorable M. Verhaeren et de ses collègues, l’on vous a dit également que la section centrale s’était trompée dans les calculs du rendement à la sortie, que ce rendement n’était pas assez élevé.

Eh bien, je dirai que si nous nous sommes trompés, c’est à l’avantage de ceux qui exportent en ce sens que nous avons forcé la fraction plutôt en leur faveur qu’en leur défaveur, et je prends encore, pour justifier les propositions de la section centrale, la réclamation des industriels à laquelle je viens d’avoir recours.

Ces messieurs reconnaissent que les droits s’élèveront à 16 francs 50 centimes ; or, nous proposons 18 francs 50 centimes à la sortie ; vous voyez donc que ces industriels, s’ils ne se sont pas trompés, auront encore 2 francs de prime.

Aussi j’ai dit, dans la discussion générale, qu’il y avait prime mais que devant subir une mauvaise législation, qui amenait une production exorbitante, je voulais user de ce moyen pour favoriser l’exportation. Mais, à propos d’exportation, je vous dirai cependant que la loi n’autorise pas une exportation bien prononcée. Ainsi, je ne sais si les industriels qui habitant les frontières de terre peuvent facilement exporter leurs produits, car je pense que la loi ne permet l’exportation que par certains portes de mer. Ainsi la possibilité d’exporter qu’on a fait valoir dans l’intérêt des distilleries n’existe pas pour les distilleries établies sur les frontières de terre, car les frais de transport jusqu’aux ports de mer seraient trop élevés.

Maintenant je me permettrai de fait un calcul ; car, dans ce moment, nous avons besoin de calculer ce que nous faisons, puisqu’il s’agit de recettes.

D’honorables collègues ont traité un peu trop durement, selon moi, ceux qui, dans cette enceinte, se sont montrés partisans des économies. A mon tour, je dirai à ces honorables collègues : Comment se fait-il que vous réduisiez les recettes ; vous voulez que le gouvernement fasse de grandes dépenses, et vous ne voulez pas donner au gouvernement le moyen de couvrir ces dépenses ? Mais comment le gouvernement, je vous le demande, parviendra-t-il, non pas à combler les déficits, mais à faire face aux dépenses courantes, si l’on adopte un pareil système ?

D’après les calculs que nous avons faits sur les revenus effectifs de l’année 1840, nous avons trouvé que le droit, à raison de 40 centimes avec les additionnels, s’élevait à 2,600,000 francs environ. Si vous ajoutez une moitié en sus, vous trouverez dans l’état normal que le droit proposé par le gouvernement serait de 1,300,000 francs environ. Il faut cependant tenir compte de la réduction que ce chiffre doit subir, par suite de ce que nous sommes entrés dans l’exercice, et que les distillateurs, prévenus qu’il y aurait une augmentation, auront beaucoup travaillé, depuis la présentation de la loi jusqu’à ce jour, époque la plus favorable à la fabrication des eaux-de-vie indigènes, d’après les renseignements qui nous ont été communiqués.

Il faut aussi avoir égard à l’observation qui a été faite par M. le ministre des finances ; ainsi nous ne devons compter que sur un somme de 700,000 francs environ pour l’exerce courant. Je pense que M. le ministre des finances sera d’accord avec moi que, si nous adoptions le chiffre de 60 centimes, nous aurons au moins 700,000 francs. Eh bien, que résulterait-il de l'adoption de l’amendement de l’honorable M. Verhaegen ? Que nous ferions perdre au trésor 350,000 francs ; et pour qui ? dans l’intérêt de quelques industriels et pour produire une matière que j’ai déjà plus d’une fois qualifiée, et dont je voudrais pouvoir réduire la consommation à zéro si cela m’était possible.

Je pense donc que, dans la situation du trésor et eu égard aux circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, nous devons adopter les propositions du gouvernement, et je ferai tous mes efforts pour qu’elles soient accueillies par la chambre.

M. Dumortier – Messieurs, je commencerai par repousser les paroles de l’honorable M. Verhaegen qui a traité d’exagérée…

M. Verhaegen – D’extrême.

M. Dumortier – D’extrême soit… lorsqu’il a traité d’extrême l’opinion que j’ai émise dans cette discussion. L’opinion que j’ai défendue, messieurs, est celle de plus de la moitié de vos sections ; en effet, quatre sections sur six se sont prononcées pour le retour à l’ancienne législation sur les distilleries ; les deux autres ne se sont pas prononcés sur la question, mais il est très vraisemblable que si elles s’en étaient occupées, elles auraient émis une opinion semblable à celle des autres sections.

Ainsi, si mes opinions sont exagérées, elles sont conformes à celles de toute la chambre, moins celle de l’honorable M. Verhaegen. Ceci suffit pour prouver de quel côté est l’exagération.

Messieurs, si je vote pour le chiffre du gouvernement, je le vote, non pas que je le considère comme suffisant, mais parce que je le regarde comme un moyen d‘arriver pour le moment à un plus grand revenu pour le trésor public ; mais je n’aurai pas satisfaction aussi longtemps que l’impôt des distilleries ne rapportera pas de 6 à 7 millions ; il faut impérativement que l’impôt produise cette somme avant que nous songions à majorer les droits sur la bière, le café et les autres objets de première nécessité. Avant de frapper ces objets si nécessaires au peuple, commençons pas frapper l’article avec lequel on empoisonne le peuple.

L’honorable M. Verhaegen s’est gravement trompé dans ses calculs. Suivant lui, si le projet de loi passe, toutes les distilleries sont anéanties. Comparez ces paroles avec celles qu’on proférait lors de la discussion de la loi de 1833 ; l’on disait alors : Si la loi passe, nous allons inonder la Belgique de nos produits. Voilà ce qui devait arriver.

Eh bien, messieurs, pour une augmentation de quelques francs, qui est excessivement éloignée du chiffre de l’ancienne loi, voilà que toutes les distilleries vont être anéanties. Ce qui prouve que lorsqu’on écoute les intéressés dans la matière, l’on tombe dans l’exagération.

Comment ! en Angleterre le droit rapporte 1 franc 50 centimes au litre, les distilleries y sont-elles anéanties ? En Hollande le droit est de 60 centimes au litre : les distilleries y sont-elles anéanties ? Et chez vous il ne rapporte que 8 francs. Et parce qu’on porte le droit à 12 francs, on s’écrie que voilà nos distilleries anéanties. Je vous demande si c’est là raisonner. Il suffit d’exposer les faits, de les mettre en présence de ce qui se passe dans des pays voisins, pour prouver l’inexactitude de toutes ces assertions.

Il faut, dit-on, une gradation. Je m’étonne que les distillateurs veuillent maintenant d’une gradation, quand il n’en ont pas voulu, lorsqu’il s’est agi de diminuer le droit. Car, quand nous avons réduit le droit de 32 francs à 5, il n’ avait pas grande gradation dans la réduction. Aujourd’hui que nous voulons élever le droit de quelques francs, il faut observer une gradation. Mais que ne demandiez-vous aussi qu’on l’observât quand on diminuait ? Vous auriez fait les affaires du trésor public en faisant les vôtres. Certainement c’est une gradation bien faible que de porter le droit à 12 francs. Pour mon compte, aussi longtemps que je siégerai dans cette enceinte, je n’aurais pas de satisfaction que je n’aie vu élever ce droit à un minimum de 20 francs par hectolitre. C’est encore un droit bien faible si on le compare à celui qui est perçu dans des pays voisins.

Mais, dit-on, vos distilleries vont se trouver tuées par les produits des pays voisins. L’honorable membre est dans l’erreur. Il a calculé comme s’il n’y avait sur les esprits étrangers qu’un droit de douane qui est de 2 francs 12 centimes par hectolitre. S’il en était ainsi, il aurait raison ; mais il a perdu de vue qu’à côté de ce droit de douane il y a un droit d’accise de 40 francs ; ce qui fait en tout 59 francs 12 centimes. Si l’honorable membre avait songé à ces deux droits, il aurait vu qu’il y avait encore une marge magnifique sur l’introduction des spiritueux étrangers. On n’a donc rien à craindre de ce côté. Nous pouvons élever encore considérablement notre droit avant qu’il en soit autrement.

Pour mon compte, je suis frappé d’une chose. On vous demande d’une part de ne porter le droit qu’à 50 centimes ; d’une autre part, on demande 15 centimes de rabais pour les petites distilleries, et en troisième lieu on demande qu’il soit accordé une prime d’exportation. Que restera-t-il au trésor ? Zéro.

Ainsi, l’intérêt du trésor et celui de la morale publique se trouveront sacrifiés. Il nous faut éviter les abus dans lesquels nous sommes tombés relativement aux sucres. Si vous créez des primes, alors que le droit ne couvre pas la prime, plus tard il sera impossible de porter remède au mal quand on verra à quel résultat on sera arrivé.

Je conçois que la Hollande accorde une prime parce qu’elle perçoit un droit extrêmement élevé sur la fabrication ; mais vous qui n’établissez qu’un droit faible, si vous établissez une prime élevée, vous privez le trésor de la faible ressource que peut nous produire l’impôt sur les distilleries.

Je combats tous ces systèmes comme contraire aux intérêts du trésor et de la morale.

Cependant j’approuve la rédaction de l’amendement de M. le ministre des finances, parce qu’elle a pour but de faire cesser un abus, d’empêcher les distillateurs des villes, qui ne se livrent pas à la culture des terres, de faire passer leurs établissements pour des distilleries agricoles.

J’approuverai donc l’amendement, sauf à discuter le chiffre. Pour le surplus, je voterai toutes les réductions et pour le chiffre du gouvernement comme point de départ pour arriver au droit de 20 à 25 francs et obtenir un revenu de six à sept millions.

M. Coghen – Je dois d’abord répondre à l’honorable député de Verviers, qui a dit que les auteurs de l’amendement proposé pour fixer le droit à 50 centimes, défendaient les intérêts des distillateurs et non l’intérêt général. Messieurs, notre mandat est de défendre les intérêts généraux du pays, nous défendons une des causes de la prospérité et de la fertilité de la Belgique. Je me suis associé à la demande de n’élever qu’à 50 centimes le droit sur le genièvre, non pas que je sache que cet objet peut comporter un droit plus fort et qu’il serait désirable que ce droit fût établir et vînt augmenter les ressources du pays, mais parce que je crains que l’industrie des distilleries ne soit compromis par l’infiltration et la concurrence des eaux-de-vie étrangères, que cette industrie ne ressente dans l’avenir les effets qui ont été produits par la loi de 1822, que les produits étrangers en s’introduisant dans le pays au détriment de ces usines, de votre industrie et du prompt défrichement de vos bruyères.

Messieurs, fixer le droit à 60 centimes, c’est établir une majoration de 50 p.c. Je crains que, par une secousse aussi forte, on ne porte à faire la fraude, à faire de macérations clandestines, à se soustraire au droit. Je n’étais pas partisan de la loi de 1822, parce que je la trouvais vexatoire. Quand j’ai vu qu’on proposait d’établir celle qui nous régit, j’avoue que j’ai eu une crainte, parce que je ne croyais pas qu’elle pût produire l’effet qu’elle a déjà et qu’on peut en attendre. Ce que je désire surtout, c’est qu’on éloigne la tentation de recourir à la fraude. Si vous élevez le droit à 50 centimes, on ne songera pas à infiltrer des eaux-de-vie étrangères dans le pays, ni à faire macérer des matières dans des endroits clandestins, en les dérobant à la surveillance de l’administration.

Le droit de 50 centimes rapportera trois millions. La patente rapporte un million : cela fait quatre millions. Si l’année prochaine vous trouvez que cela ne répond pas aux besoins du pays, que malgré le droit de 50 centimes, il n’y a ni infiltration ni macération clandestine vous élèverez le droit. L’objet est susceptible de le supporter. Le droit n’arrêtera pas la consommation. Je veux bien empêcher l’abus, mais non la consommation, car je ne veux pas enlever cette satisfaction aux malheureux condamnés déjà à tant de privations, qui remplacent les jouissances du riche par une boisson qui, quand on n’en abuse pas, n’est pas nuisible.

Je désire dans l’intérêt du trésor, afin d’empêcher de songer à la fraude, qu’on n’élève pas trop subitement le droit, parce que je ne crois pas que le trésor trouverait le résultat qu’on lui promet. D’un autre côté, une industrie nouvelle s’est introduite dans le pays, c’est la rectification des eaux-de-vie. Par ce moyen on exclut celles de France. Si vous élevez beaucoup le droit, d’une part les eaux-de-vie de France s’infiltreront et vous détruirez une industrie nouvelle très productive pour le pays.

Si vous fixez le droit à 50 centimes au lieu de 60, c’est, dit M. Demonceau, 300 mille francs que vous donnez aux industriels. Messieurs, les industriels n’en profiteront en rien, car ils font rembourser par la consommation le droit qu’ils paient. Ils n’ont que l’embarras de les réunir et de le verser au trésor.

Je terminerai là mes observations en engageant la chambre a adopter l’amendement que nous avons présenté.

M. Desmet – M. le ministre des finances a avancé qu’il n’y avait pas de prime autre que le drawback de 2 francs 50 centimes. Il y a une prime en Hollande et il y a de plus moyen d’éluder la loi, ce qui fait une double prime. Le fait est qu’à Anvers on est obligé de prendre du genièvre hollandais pour l’exportation, parce qu’il est à plus bas prix que le nôtre. Comme l’a fait observer M. Verhaegen, si vous voulez augmenter le droit sur l’accise, il faut trouver moyen d’empêcher l’introduction des spiritueux étrangers. Je sais que quand vous aurez augmenté le droit d’entrée sur les eaux-de-vie étrangères, on va frauder, c’est une fraude facile. Si on y trouve des bénéfices, on fera la fraude ; la difficulté est de l’empêcher. Cependant, je pense qu’il y a moyen de majorer le droit sur les eaux-de-vie de France, parce que celles-là, on ne peut pas les frauder facilement, attendu qu’il leur faut un acquit à caution pour entrer dans la ligne ; nous ne risquons donc rien à élever le droit sur ces eaux-de-vie.

Depuis 1833 vous avez introduit dans le pays la rectification de l'alcool ; si vous augmentez le droit sur le genièvre, les produits de cette industrie ne pourront plus lutter avec les eaux-de-vie de France, à moins d’une hausse de droit d’entrée ; je tiens à ce que cette hausse sur l’entrée des eaux-de-vie françaises ait lieu.

Je voterai en faveur de l’amendement qui fixe le droit à 50 centimes, parce que je crois que le produit du droit de 50 centimes sera plus fort que ne serait celui du droit de 60. Le droit de 50 centimes n’engagera pas à frauder. Il n’y a que les distilleries clandestines qui pourraient le faire, et on m’assure que c’est impossible. Si on ne peut pas frauder, le droit de 60 centimes engagera à travailler mal, en 36, 30 et même 24 heures. Cela n’arrivera pas si vous fixez le droit à 50 centimes.

On dit que l’on peut travailler en 24 heures. Cela est vrai. Mais ceux qui travaillent pour l’exportation ne peuvent pas travailler en 24 heures, pour faire du genièvre blanc qui puisse passer la ligne, il faut 36 heures.

Je ne sais pas pourquoi les Hollandais protègent tant les distilleries ; car ils ne sont pas si agricoles que nous ; ils sont plutôt commerciaux. Non seulement ils protègent fortement les distilleries pour l’exportation, mais encore ils défendent la sortie des résidus. Ainsi, quoiqu’ils travaillent principalement pour l’exportation, ils songent cependant aux intérêts de l’agriculture. C’est pour cela qu’ils conservent les résidus.

Plusieurs membres – Aux voix !

M. Zoude – Je voudrais savoir comment on entend appliquer l’article 1er dans la province du Luxembourg ; on craint que cet article autorise à révoquer les exemptions accordées en faveur des distilleries de noyaux.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – L’exemption dont parle l’honorable M. Zoude est renfermée dans l’article 2 de la loi du 18 juillet 1833. La loi de 1837 n’a pas dérogé à cette disposition. La loi en discussion n’y déroge pas davantage.

- L’article 1er du projet, qui contient le chiffre le plus élevé et qui exclut l’amendement tenant à fixer le chiffre à 50 centimes, est mis aux voix et adopté dans les termes suivants :

« Art. 1er. La quotité de l’accise sur la fabrication des eaux-de-vie, est fixée, pour chaque jour de travail, et sans égard à la nature des matières, à 60 centimes par hectolitre de capacité brute des vaisseaux mentionné à l’article 2 de la loi sur les distilleries du 27 mai 1837, et non spécialement exemptés. »

M. Dumortier – Je demande que ceci ne soit pas obstatif à la révision de la loi.

Article 2

(Moniteur belge n°34 du 3 février 1841) M. le président – L’article 2 du projet du gouvernement est supprimé dans le projet de la section centrale.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je demande la parole pour dire quelques mots sur cet article supprimé.

Je crois devoir déclarer que, dans ma conviction, les centimes à percevoir sur les droits de l’Etat ne doivent s’élever qu’au tiers de l’année. Dans la section centrale, on a pensé que la disposition était inutile, par la raison que le gouvernement aurait toute latitude d’admettre ou de rejeter les centimes additionnels, que les villes voudraient obtenir, puisque les propositions doivent lui être soumises.

Cependant j’aime à faire l’observation que le gouvernement pense qu’il serait dangereux de porter les centimes additionnels à un taux plus élevé que celui autorisé par la loi de 1837, c’st-à-dire au-delà de 20 centimes.

M. Dumortier – Je crois que le danger, signalé par M. le ministre des finances n’existe pas. Je pense qu’il ne sera facile de le lui démontrer.

Qu’a-t-on craint, lorsqu’on a inséré dans la loi de 1837 la disposition qui fait tant de tort à l’octroi des villes ? On a craint que les villes, en ajoutant aux droits de l’Etat des droits d’octroi trop élevés, n’offrissent un appât trop grand à la fraude. Cela peut être vrai en règle générale. Mais ce n’est pas vrai quand il s’agit de l’intérieur des villes ; car dans l’intérieur des villes, indépendamment des employés de la douane, les employés de l’octroi exercent une surveillance de tous les instants, et ils surveillent bien mieux que les employés du gouvernement. Il y a donc un double contrôle ; et l’existence de ce double contrôle prouve qu’il n’y a pas de danger à laisser aux villes le droit d’élever leur octroi, comme elles l’avaient précédemment. Je ne pense donc pas qu’il y ait de danger. Mais s’il y en avait, le gouvernement est toujours libre de se refuser à l’augmentation des droits d’octroi, puisque les budgets des villes doivent lui être soumis.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Lorsque des propositions seront soumises au gouvernement, elles seront examinées avec toute la maturité nécessaire. Mais je persiste à considérer une augmentation de centimes communaux comme dangereuse, en ce qu’elle offre un trop grand appât à la fraude.

M. le président – Le gouvernement s’étant rallié à la suppression de l'article proposé par la section centrale, il ne peut y avoir de discussion sur ce point. La discussion est ouverte sur l’article 2 nouveau.

Article 2 (nouveau)

(Moniteur belge n°33 du 2 février 1841) La chambre passe à la discussion de l’article 2 ainsi conçu :

« Art. 2. Le montant des droits est évalué pour les cas énoncés à l’article 27 de la loi du 18 juillet 1833, à 18 francs 50 centimes par hectolitre d’eau-de-vie marquant 50 degrés à l’alcoomètre de Gay-Lussac, et les qualités inférieures ou supérieures, en proportion de cette base. »

M. Dumortier – Je viens combattre le chiffre élevé que contient cet article. Je ne puis admettre qu’on puisse porter à 18 francs 50 centimes la restitution sur le genièvre. Le droit actuel sur les spiritueux indigènes (M. le ministre vous l’a dit dans son rapport général qui est plus digne de foi que le dire des intéressés) est aujourd’hui de 8 francs. Le droit étant de 40 centimes sur les matières premières, vous venez de porter ce droit de 40 à 0 c. Le droit va donc être de 12 francs par hectolitre. Eh bien, est-il juste, est-il raisonnable, alors, d’accorder aux distillateurs une prime qui équivaudrait à plus de la moitié du droit ? Pour moi, je ne veux pas qu’il en soit ainsi. Je suis ennemi de tout système de primes. J’ai toujours combattu ce système, et je le combattrai toujours, surtout lorsque ces primes tendent à réduire à rien un impôt qu’il faut élever dans l’intérêt même de la morale publique. Si la prime est si considérable, les exportations deviendront plus considérables : et vous verrez diminuer les recettes du trésor public. Vous finirez même, comme cela est arrivé pour les sucres, par ne rien recevoir sur les distilleries. C’est le second volume de la loi sur les raffineries de sucre. C’est là toute la question. Au moyen de la prime que vous allez accorder aux distillateurs, il s’exportera deux fois plus qu’on ne consommera. Le trésor ne recevra donc plus un centime de droits. Voilà la question dans toute sa nudité. Vous ne pouvez donc accorder une telle prime.

Je voudrais que l’on n’accordât, comme en Hollande, qu’une prime de beaucoup inférieure au droit payé au trésor public. Il existe, dit-on, en Hollande une prime de 10 francs. Mais cette prime est possible en Hollande, où le droit est de 36 francs par hectolitre. Mais vous qui réduisez le droit au tiers de ce qu’il est en Hollande, vous voulez avoir une prime presque égale à celle admise en Hollande. Cela est éminemment déraisonnable. Je repousse un tel système qui serait ruineux pour le trésor public. Craignez d’établir des primes ; car à la faveur de ces primes, il s’établira des industries qui en réclameront la continuation comme un droit acquis. Souvenez-vous du précepte « principiis obsta. » Lorsque le principe est posé, il est trop tard pour se soustraire à ses conséquences.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Il est vrai que, dans le rapport présenté à l’appui du projet de budget des voies et moyens, je n’ai évalué qu’à une moyenne de 8 francs le droit d’accise actuel. Mais je dois faire observer que plus tard j’ai remis à la section centrale un tableau exact du temps rigoureusement employé par chaque distillerie ; d’après des données générales qui étaient parvenues au département des finances, ce terme, terme moyen, semblait devait n’être que de 24 heures. Or, il se trouve que, d’après le tableau dont je viens de parler et pour la formation duquel j’ai recueilli des renseignements exacts et détaillés, une partie seulement de nos distilleries achève la fermentation des matières en 24 heures ; le droit de 8 francs ne s’applique qu’à ces distilleries.

Une seconde considération, c’est que les grandes distilleries, qui sont celles dont les produits sont les plus considérables, emploient un temps plus long que les distilleries ordinaires ; des renseignements pertinents m’ont donné la conviction que beaucoup de grandes distilleries emploient 28 à 30 heures.

Si nous admettons 30 heures comme le terme moyen, le taux de la restitution devrait être de 15 francs 62 centimes. Nous l’avons établi à 18 francs 50 centimes ; de sorte qu’il ne resterait qu’une assez légère prime pour l’exportation, prime qui ne porterait pas de préjudice notable au trésor public.

Il existe encore un autre motif pour fixer la restitution à 18 francs 50 centimes ; il se rapporte au mode de fabrication des eaux-de-vie destinées à l’exportation : pour obtenir les qualités voulues à l’étranger, les matières soumises à la macération ne doivent être que légèrement chargées et leur fermentation ne peut se faire qu’avec beaucoup plus de lenteur que pour les eaux-de-vie destinées à la consommation intérieure. Il faut en général, pour produire ces qualité de genièvre, 33 à 36 heures de macération, et dès lors la prime se réduit réellement à presque rien.

Ainsi le raisonnement manque d’exactitude lorsqu’on l’établit sur un droit de 8 francs, d’après le droit d’accise actuel, ou de 12 francs, d’après le droit qui vous est proposé.

M. Donny – Messieurs, l’honorable M. Dumortier vient de vous dire que si vous acceptez l’article tel qu’il vous est proposé par la section centrale et tel que l’adopte M. le ministre, vous marchez droit à la ruine du pays. La restitution que fixe cet article, vous dit-il, comprend une prime, une forte prime, et il arrivera que, pour gagner cette prime, l’on exportera considérablement ; l’on absorbera de cette manière une grande partie du produit de l’impôt, et même il se pourrait qu’un jour ce produit fût absorbé intégralement.

Messieurs, si moi, j’ai un reproche à faire à l’article, ce n’est pas de vous proposer une restitution trop forte, c’est plutôt le reproche contraire que je puis lui adresser ; si cet article m’inspire une crainte, ce n’est pas de voir exporter en masse du genièvre pour profiter de la prétendue prime, c’est au contraire celle qu’on n’exportera par du tout.

Messieurs, ces paroles pourront paraître étranges à l’honorable député de Tournay ; mais je vais vous citer quelques faits qui pourront y donner du poids.

En 1833, lors de la discussion de la loi sur les distilleries, j’ai soutenu que la restitution qu’on a votée était insuffisante, qu’on n’aurait pas exporté ; et alors aussi on m’a répondu que la restitution était déjà trop forte, qu’elle contenait une prime, qu’on exporterait d’une manière excessive ; qu’on abuserait de la loi et qu’une partie des produits serait absorbée.

En 1837, les mêmes faits se sont reproduits, j’ai encore soutenu que la restitution à l’exportation était trop faible et qu’on n’exporterait pas. On a alors manifesté les mêmes craintes que l’honorable M. Dumortier vous exprime aujourd’hui.

Eh bien ! messieurs, des deux côtés, mais nous en avons appelé à l’expérience. L’expérience a prononcé, elle est venue me donner raison ; elle a condamné tous ceux qui, comme l’honorable M. Dumortier, croyaient que la restitution était suffisante et même qu’on en aurait abusé. On n’a pas exporté de genièvre belge.

Il y a plus ; l’enquête parlementaire qui nous a été distribuée, est venue nous apprendre un fait extrêmement étrange, un fait grave pour l’industrie du pays. Elle nous a fait connaître que, lorsque des armateurs se trouvent amenés par leurs opérations à faire une exportation de genièvre pour les colonies, ils sont obligés d’exporter, non pas du genièvre belge, produit de notre industrie, mais du genièvre hollandais. Ainsi, au moment même où, d’après les prévisions de l’honorable membre et de quelques autres adversaires, l’exportation devait être excessive, il y a eu impossibilité d’exporter le genièvre belge, et cela par le seul effet de la législation.

Eh bien ! aujourd’hui encore je prédis que la restitution proposée par la section centrale amènera le même résultat, car je crains qu’on n’exportera rien ; et ce qui m’autorise à le craindre, c’est que la proportion admise en 1837, entre l’accise et la restitution, est exactement conservée dans la loi actuelle.

Suivant l’honorable M. Dumortier, la restitution proposée aujourd’hui renfermerait une prime de 50 p.c. du droit. Le droit, dit-il, ne sera que de 12 francs et vous en restituerez 18. Si cela était vrai, il y aurait également, sous la législation actuelle, une prime de 50 p.c. du droit ; car les calculs de l’honorable membre lui-même portent le droit actuel à 8 francs, et comment on en restitue 12, il y aurait nécessairement une prime de 50 p.c.

Or, comme on n’exporte pas sous la loi actuelle, malgré cette prétendue prime de 50 p.c. du droit, on n’exportera pas davantage sous la loi que vous allez voter, pour profiter de la prétendue prime de 50 p.c., dont M. Dumortier veut effrayer vos esprits.

Messieurs, on m’objectera des calculs. On me dira qu’on retire d’un hectolitre de matières macérées autant de genièvres ; et que, pour retirer ce genièvre, il ne faut qu’autant d’heures ; partant de ces bases, l’on me fera un calcul qui semblera de nature à nous faire craindre des exportations excessives. Mais à cela je répondrai d’abord que tous les calculs du monde ne peuvent rien contre les faits. Dès qu’un calcul amène des résultats contraires à ceux que donne l’expérience, il faut de toute nécessité que ce calcul soit mal fait.

Ensuite je puis vous donner une explication qui vous fera voir en quoi pèche le calcul de l’honorable préopinant et d’autres qui pensent comme lui.

L’impôt actuel a pour assiette le temps qu’on emploie à fabriquer, et le volume de la matière macérée. Il résulte de là que, pour diminuer autant que possible le droit qui le frappe, le distillateur chercher à gagner sur le temps et aussi sur le volume de la matière macérée.

Pour gagner sur le temps, il n’attend pas que la fermentation soit arrivée à sa perfection ; il distille un peu plus tôt. Il a un genièvre un peu moins parfait, mais il paie moins d’accise.

Pour gagner sur le volume, il fait entrer dans sa cuve matière la plus grande quantité possible d’éléments productifs d’alcool et il travaille de cette manière avec une matière pour ainsi dire pâteuse.

Cette façon de travailler suffit pour faire du genièvre qui reste en Europe. C’est, je le crois, de cette manière que se fabrique la plus grande partie du genièvre qui est consommé dans le pays. Mais quand on veut exporter ces genièvres travaillés d’une manière imparfaite, ils se détériorent. Lorsqu’ils arrivent sous les latitudes tropicales, ils deviennent laiteux, se troublent et ne sont plus de défaite.

L’expérience a prouvé que, pour avoir des genièvres qui puissent être exportés aux colonies, il faut qu’ils ne soient distillés que lorsque les matières macérées sont arrivées à une fermentation parfaite, et qu’il faut de plus que la matière mise en macération soit tenue dans un état très liquide. Sans remplir ces deux conditions, on ne peut obtenir du genièvre exportable.

Maintenant, messieurs, vous voyez que, s’il faut attendre que la fermentation soit parfaite, celui qui fabrique pour l’exportation perd sur l’accise, que, si d’un autre côté il est obligé de travailler avec des matières très liquides, dans lesquelles il entre par conséquent moins d’éléments productifs d’alcool, son produit en genièvre doit être bien moindre. Ainsi, d’un côté, augmentation de l’accise ; de l’autre, diminution de produit. L’impôt pèse donc sur lui d’une manière beaucoup plus sensible.

Vous concevez dès lors, messieurs, que le calcul qu’on établit sur une fabrication faite en 24 heures et avec des matières très pâteuses, ne peut être appliqué au genièvre destiné à l’exportation.

Je pense par là avoir suffisamment répondu. Je voterai le chiffre proposé par le gouvernement. Je ne proposerai pas une augmentation de droit d’exportation. Je craindrais qu’elle ne fût pas admise. Mais je n’hésite pas à le proclamer de nouveau, je crains beaucoup qu’avec la restitution de 18 francs 50 centimes, l’exportation demeurera impossible.

M. Coghen – Je viens appuyer ce que vous a dit l’honorable M. Donny. Il est parfaitement vrai que le chiffre de la restitution à l’exportation que propose la section centrale, et auquel le gouvernement s’est rallié, n’est que la reproduction exacte de celui qui existait dans l’ancienne loi. On n’a pas exporté, je crains qu’on n’exporte pas davantage. Si vous diminuez le chiffre, vous ferez une loi hollandaise. Aujourd’hui que fait le commerce ? Tout le genièvre qui s’exporte est du genièvre arrivé de la Hollande dans nos ports. On le met dans des canivettes dont on se sert ordinairement pour l’expédier dans les colonies, et on l’exporte.

Si maintenant, avec une restitution de 18 francs 50 centimes, on parvient à exporter, c’est ce dont je doute ; mais si on y parvient, j’y applaudirai, parce que ce serait un avantage pour le commerce maritime. Il ne fait pas faire des stipulations toutes avantageuses au commerce étranger.

Comme l’a proposé l’honorable M. Donny, pour faire du genièvre propre à l’exportation, il faut une macération lente et longue. 24 heures ne suffisent pas. Sans cela, il reste au genièvre un goût de drèche qui fait qu’on n’en veut pas à aucun prix dans les colonies. Par conséquent, si vous n’accordez pas une restitution proportionnelle aux droits, vous empêchez par le fait même l’exportation, vous obligez de donner la préférence au produit des distilleries étrangères. Et cela est tellement vrai, qu’à présent, pour les équipages de navires, on achète le genièvre hollandais, parce qu’il est à meilleur marché.

M. Demonceau – Je tiens à justifier autant que possible les calculs de la section centrale, d’abord parce que j’ai fait partie de la majorité et ensuite parce que M. le rapporteur étant absent, m’a prié de le remplacer au besoin. Voici comment la section centrale a procédé.

Je vous l’ai déjà dit dans une séance précédente ; aujourd’hui la restitution est fixée à 12 francs 50 centimes pour un droit de 40 centimes.

Nous nous sommes dit que si le législateur de 1837 a cru devoir fixer la restitution à 12 francs 50 centimes avec le droit de 40 centimes, il paraissait rationnel de la fixer à 18 francs 50 centimes avec le droit de 60 centimes.

Maintenant, messieurs, je vous dirai que tout ce qui vient d’être exposé par l’honorable M. Donny, a été dit au sein de la section centrale, et comme les honorables collègues qui tenaient ce langage sont quasi experts en pareille matière, je me suis rendu à leur opinion et j’ai appuyé la proposition de porter la restitution à 18 francs 50 centimes.

L’honorable M. Dumortier n’a probablement pas examiné attentivement les derniers calculs qui servent à justifier cette proposition et qui sont annexés au dernier rapport de la section centrale. D’abord l’on nous a affirmé que les distillateurs qui ne travaillent que pendant 24 heures ne peuvent produire du genièvre propre à l’exportation. Il faut ensuite remarquer qu’aux chiffres qui nous ont été communiqués d’abord par M. le ministre des finances, nous devons ajouter les additionnels (10 p.c.) ; nous trouvons ainsi que ceux qui travaillent en 24 heures payeront un droit de 13 francs 20 centimes ; que ceux qui travaillent en 30 heures payeront 16 francs 50 centimes, et que ceux qui travaillent en 36 heures payeront 19 francs 80 centimes.

Eh bien, messieurs, la moyenne de ces trois chiffres est 16 francs 50 centimes. Mais si vous prenez la moyenne de ce que payeront ceux qui travaillent en 30 heures et de ceux qui travaillent en 36 heures, c’est-à-dire ceux qui peuvent seuls faire des produits exportables, vous aurez le chiffre de 18 francs 50 centimes à peu près, chiffre que nous avons proposé à la chambre, en faisant observer que la fraction était forcée en faveur des industriels.

Voilà, messieurs, l’opération mathématique à laquelle s’est livrée la section centrale.

Il est vrai que les calculs fournis par les industriels eux-mêmes portent le droit moyen à 16 francs 50 centimes ; mais comme je l’ai déjà dit, ceux qui ne travaillent qu’en 24 heures ne faisant pas des produits propres à être exportés, il ne faut tenir compte pour fixer le chiffre de la restitution que du droit qui sera payé par ceux qui travaillent en 30 et 36 heures. Je persiste à croire que la moyenne de 18 francs 50 centimes est celle qui doit servir de base pour calculer le droit de restitution à la sortie, et je pense que la chambre fera bien d’adopter la proposition de la section centrale, acceptée du reste par le gouvernement.

M. le président – Voici un amendement de M. Dumortier

« Le montant des droits est évalué pour les cas énoncés à l’article 27 de la loi du 18 juillet 1833, à 15 francs par hectolitre d’eau-de-vie marquant 50 degrés à l’alcoomètre de Gay-Lussac, et les quantités inférieures ou supérieures, en proportion de cette base.

M. Dumortier – L’honorable M. Donny est venu reproduire un argument qui a déjà été réfuté. Il dit qu’on n’exporte pas maintenant et qu’on n’exportera pas davantage plus tard, si vous n’accordez pas une prime d’exportation. Eh bien, messieurs, je répondrai à cela ce que j’ai déjà dit : voulez-vous revenir à la législation de 1832, je consentirai volontiers à ce qu’on élève le chiffre du droit à restituer, parce qu’alors le droit étant de 25 francs par hectolitre, il y aurait moyen de faire un sacrifice, si cela est nécessaire ; mais lorsque le droit n’est que de 12 francs par hectolitre, comme M. le ministre des finances l’a avoué lui-même, venir réclamer un remboursement de 18 francs 50 centimes, c’est constituer le trésor public en perte. Mais, dit-on, si vous n’adoptez pas ce système, nous ne pourrons pas exporter.

Eh bien, messieurs, s’il faut des primes d’exportation, accordez-en à toutes les industries ; accordez des primes pour l’exportation des houilles, afin que nous puissions lutter avec les Anglais ; accordez-en pour les fers, afin que nous puissions également lutter avec les Anglais ; accordez-en pour les pierres de Tournay, afin que nous puissions les exporter en Hollande. Si vous voulez accorder des primes, nous pourrons exporter tout ce que nous voudrons, mais alors la moitié du pays payera des impôts pour faire vivre l’autre moitié.

Les distillateurs ont demandé la législation actuelle avec un impôt faible, afin de pouvoir produire le double de ce qu’ils produisaient pour la consommation du pays. Eh bien, il faut qu’ils subissent les conséquences de cette législation. Si dès demain on veut en revenir à l’ancienne législation je suis tout disposé aussi à en subir les conséquences ; mais je crois que la chose la plus vicieuse ce serait d’accorder des primes alors que le droit ne produit déjà que la moitié de ce qu’il devrait produire.

Je répondrai à l’honorable M. Demonceau que j’ai examiné très attentivement les chiffres de la section centrale ; mais je ne partage pas l’opinion de l’honorable membre, que dès que les distillateurs ont parlé, il faut s’en rapporter à ce qu’ils ont dit ; il est certain que les intéressés présenteront toujours les chiffres qui leur sont le plus favorables ; j’aime beaucoup mieux, quant à moi, de m’en rapporter aux calculs que M. le ministre des finances nous a présentés en l’absence de toute préoccupation.

Eh bien, le gouvernement nous dit que le droit sera de 12 francs ; et dès lors, si vous restituez 18 francs, il est évident que vous accordez une prime de 50 p.c.

« Mais, vous dit-on, vous augmentez le droit de moitié ; il faut donc aussi augmenter la prime de moitié. » Voyez, messieurs, combien cet argument est déraisonnable : si demain vous portiez le droit à 2 francs, il faudrait donc toujours augmenter la prime dans la même proportion ? Je ne sais pas réellement où vous iriez avec de semblables raisonnements.

Je le répète, messieurs, revenez à l’ancienne législation et je ne m’opposerai pas à ce que l’on fasse un sacrifice en faveur de l’exportation, mais lorsque le trésor ne perçoit que 3 millions de francs, tandis qu’il devrait en percevoir 7 ou 8, il est impossible d’accorder des primes.

- L’amendement est appuyé.

M. Duvivier – Je ne comprends pas, messieurs, l’argument de l'honorable M. Dumortier. Dans sa pensée il faut réduire autant que possible la consommation intérieure en élevant le droit ; et bien la restitution du droit a pour but de faciliter l’exportation, et par conséquent, de diminuer la masse de genièvre qui se trouve dans le pays, et qui s’y consomme maintenant. La restitution est donc favorable au but que l’honorable membre se propose ; eh bien, il combat cette résolution. Cependant le chiffre proposé par le gouvernement n’excède pas le droit payé par les distillateurs, surtout par ceux qui fabriquent du genièvre qui soit propre à être exporté.

M. Mast de Vries – Je dois aussi combattre la proposition de M. Dumortier, parce que la restitution qu’il veut accorder n’est pas suffisante pour permettre l’exportation.

Nous augmentons le droit de moitié, et dès lors, quoi qu’en dise, M. Dumortier, il faut augmenter dans la même proportion le chiffre de la restitution ; car sous la législation actuelle, l’exportation se réduit à très peu de chose.

On a parlé de la commission d’enquête, j’ai eu l’honneur de faire partie de cette commission et nous avons reçu à Anvers des renseignements, que je suis étonné de ne pas encore avoir entendu citer dans cette discussion. Nous avons consulté un des principaux armateurs d’Anvers, qui nous a dit que, quoique le genièvre belge puisse lutte sur le marché de la Havane et sur les autres marchés transatlantiques avec le genièvre hollandais, nous n’exportons cependant pas, à cause de la prime d’exportation dont jouissent les Hollandais. Si les Belges étaient, sous ce rapport, sur le même pied que les Hollandais, ce ne serait pas le genièvre hollandais, mais le genièvre belge qui s’exporterait sur les marchés transatlantiques.

De toutes parts – La clôture !

- La clôture est prononcée.

L’article 2 nouveau, proposé par la section centrale, et auquel le gouvernement s’est rallié, est mis aux voix et adopté. En conséquence, l’amendement de M. Dumortier est écarté.

M. le président – Voici un amendement proposé par M. le ministre des finances et qui est destiné à remplacement l’amendement de M. Lejeune :

« La déduction de 10 p.c., fixée à l’article 4 de la loi du 27 mai 1837, est portée à 15 p.c.

« Pour obtenir une déduction, les distillateurs devront, indépendamment des conditions établies audit article 4, nourrir une tête de gros bétail et cultiver, par eux-mêmes, un hectare de terre par chaque hectolitre et demi de la capacité des vaisseaux soumis à l’impôt.

« Par dérogation à l’article 13 de la loi du 18 juillet 1833, la déclaration des travaux pourra comprendre une série non interrompue de 5 jours au moins et de 60 jours au plus. »

- La séance est levée à 4 heures et trois quarts.