(Moniteur belge n°26 du 26 janvier 1841)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Villegas procède à l’appel nominal à 2 heures et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance dont la rédaction est adoptée.
M. de Renesse communique à la chambre les pièces de la correspondance.
« Le sieur Louis Veerts, 1er commis au bureau de l’enregistrement des actes judiciaires à Gand, adresse pour renseignements un projet de loi qui crée au gouvernement les ressources nécessaires pour pourvoir à l’augmentation du traitement des magistrats et membres de l’ordre judiciaire. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« Trois receveurs comptables de l’Etat en la ville de Gand, adresse des observations sur le projet de loi relatif aux pensions civiles. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Les notaires des cantons de Philippeville, Valcourt, Couvin et Florennes, demandent le rapport de l’article 5 de la loi du 25 ventôse an XI, et qu’il soit décidé qu’il n’existera plus qu’une catégorie de notaires qui auront le droit d’exercer dans tout le ressort de la province ou tout au moins dans le ressort de l’arrondissement judiciaire. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la loi relative à la circonscription cantonale.
« Le sieur H.-F. Goffin, ex-premier auditeur militaire pensionné, se plaint d’une erreur qui a été commise à son égard dans la fixation de sa pension de retraite. »
- Renvoi à la commission des pétitions
« Des brasseurs de la ville d’Anvers demandent la prorogation de la loi du 26 décembre 1839, relative à l’entrée de l’orge. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi sur les céréales.
« Le sieur Edouard-Jean-Baptiste, maréchal des logis au 1er régiment de lanciers, né à Amsterdam de parents belges, étant au service de Belgique depuis 1831, demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« La chambre de commerce et des fabriques de Gand adresse des observations sur le projet de loi relatif au traité entre la Belgique et les Etats-Unis. »
- Renvoi à la commission chargée d’examiner le projet de loi.
M. Smits informe la chambre qu’une indisposition ne lui permet pas d’assister à la séance.
- Pris pour information.
M. Zoude, rapporteur – Messieurs, vous avez demandé un prompt rapport sur la pétition des habitants du canton de Vielsalm ; j’ai l’honneur de vous le présenter.
Ce canton, messieurs, réclame l’exécution d’une promesse qui lui a été faite il y a longtemps, celle d’une route qui sera avantageuse sous le double rapport de l’intérêt local et de l’intérêt général ; elle facilitera d’abord l’arrivage de la chaux qui convertira bientôt de nombreuses bruyères en terres productives de céréales que la Belgique ne fournit pas suffisamment, comme vient de nous le révéler M. le ministre de l'intérieur.
Cette route procurera un débouché aux riches carrières d’ardoises dont le pays a besoin, et qui ne peuvent guère être exploitées, parce que les chemins pour les évacuer sont impraticables ; elle favorisera encore l’intérêt général en réduisant considérablement les frais de transport des pierres à rasoir qui, dans l’état actuel des choses ne peuvent être transportées qu’à dos d’homme ; et ces pierres, plus précieuses et surtout plus utiles que le diamant, Vielsalm seul les produit : il n’en est aucune autre qui soit connu en Europe et peut-être même sur le globe, car il s’en fait des expéditions pour les quatre parties du monde.
Cette route fera communiquer Stavelot avec Sedan et Paris en rejoignant celle déjà faire de la Roche à Saint-Hubert et Bouillon, et la rendra ainsi une des plus productives du Luxembourg ; cependant, pour procurer ce bienfait, il ne s’agit plus d’un long trajet et encore moins d’une grande dépense.
Cette route est, d’ailleurs, une de celles dont les députés du Luxembourg demandèrent la construction, en indemnité du chemin de fer auquel ils renonceront.
Votre commission, en recommandant cette pétition à l’attention de la chambre, a l’honneur de vous en proposer le renvoi à M. le ministre des travaux publics.
- Ce renvoi est ordonné.
M. Cools – La chambre a été saisie, l’année dernière, d’un projet de loi tendant à investir le gouvernement du droit de créer des conseils de prud’hommes. Lorsque ce projet est arrivé à la section centrale, il a soulevé une question de constitutionnalité. La section centrale devait avoir une conférence avec le ministre de la justice quand le cabinet a changé. Depuis il n’a été donné aucun suite à ce projet. Je prierai M. le président de vouloir bien réunir la section centrale et de l’inviter de s’occuper du projet dont elle est saisie.
Je fais cette observation parce qu’il pourrait se faire que la chambre, après avoir adopté les projets actuellement à l’ordre du jour, voulût s’occuper d’un ou deux projets de nature à ne pas l’occuper longtemps, en attendant que le budget des travaux publics pût être mis à l’ordre du jour.
Le projet relatif aux conseils des prud’hommes a peu d’importance sous le rapport législatif, et il en a une grande pour beaucoup de villes du pays.
M. le président – C’est M. Dubus qui présidait cette section centrale ; il a la parole.
M. Dubus (aîné) – Messieurs, je présidais la section centrale chargée de l’examen du projet de loi dont il s’agit ; il a été convenu non pas qu’on appellerait le ministre de la justice dans le sein de la section centrale pour discuter le point de constitutionnalité dont on vient de parler, mais que je remettrais au ministre une note contenant l’exposé de la difficulté devant laquelle nous nous trouvions placés.
J’ai remis cette note, l’an dernier, à M. le ministre de la justice ; mais le changement de cabinet a été causé que je n’ai pas reçu de réponse. Pendant cette session, je crois vers la fin de novembre dernier, j’ai remis pareille note au ministre de l’intérieur qui, je crois, s’occupe de ces sortes de questions.
M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Il est vrai que l’honorable M. Dubus m’a remis une note renfermant l’exposé des difficultés qui avaient arrêté la section centrale ; comme c’étaient des questions de droit, je les ai soumises à l’examen de M. le ministre de la justice et sous ou trois jours les réponses seront communiquées à la section centrale.
M. le président – Je demanderai à M. le ministre s’il se rallie au projet de la section centrale ?
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je désire que la discussion s’établisse sur le projet de la section centrale, dont nous adoptons un grand nombre d’amendements. Nous présenterons pendant la discussion les modifications que nous croirons utiles.
M. Doignon – L’article 139 de la constitution ordonnait la révision de la liste des pensions. Il est fâcheux que cette révision n’ait pas encore eu lieu. Il a été nommé une commission qui a fait son rapport, mais la chambre n’a pas encore statué. Cette révision aurait pu jeter quelque lumière sur la discussion actuelle en faisant connaître les graves abus dont on s’est plaint sous le régime précédent et permettre d’y porter remède dans la loi actuelle. J’aurais même désiré qu’on ajournât la discussion de cette loi, jusqu’à ce que la révision fût terminée.
Messieurs, dans la discussion actuelle, il me semble qu’il importe d’abord de se fixer sur la nature et le caractère des pensions à accorder en vertu de la loi. C’est selon moi, de ce point de vue que doivent se résoudre les principales questions que soulève le projet de loi.
Relativement aux fonctionnaires de l’Etat, la pension n’est pas une dette, comme paraît le dire la section centrale. La pension n’est et ne peut être autre chose qu’une récompense, une rémunération viagère, que le gouvernement doit avoir la faculté d’accorder pour de bons et loyaux services aux fonctionnaires qui ne peuvent plus convenablement remplir leurs fonctions et qui, à défaut de ce secours, cesseraient d’être dans l’aisance.
Voilà, dans quels termes nous devons définir la pension qui est à régler par la loi actuelle.
La pension ne peut pas être considérée comme une dette. Le fonctionnaire, en recevant chaque année son traitement, a reçu le prix de ses services, et en droit, il n’est pas dû autre chose aux fonctionnaires et employés, les employés (Erratum inséré au Moniteur du 27 janvier 1841:) sont les serviteurs de l’Etat ; or, où a-t-on vu qu’un maître soit tenu de pourvoir aux besoins futurs de ceux qu’il a eus à son service. Il peut le faire, mais ce n’est pas une obligation. Une fois l’employé payé de son travail, en droit il n’a rien à prétendre. Ainsi la pension n’est pas une chose obligatoire. Elle doit être et rester facultative. Peut-être en serait-il autrement si la retenue qu’on veut exercer était suffisante pour payer les pensions. Mais il n’en est pas ainsi. Je vois dans le projet, qu’indépendamment de cette retenue, l’Etat doit chaque année suppléer sur le trésor public pour une somme d’un million au moins.
A qui devons-nous donc accorder la pension ? Je viens de le dire à ceux qui ne peuvent plus remplir leurs fonctions d’une manière convenable. En effet, aussi longtemps qu’un fonctionnaire est valide, très valide, il doit continuer ses fonctions. La loi que nous allons faire n’est pas destinée à créer des rentiers et des sinécures, cela ne peut entrer dans l’intention de la législature.
Il suit de là qu’un fonctionnaire, même âgé de 60 ans, peut n’avoir pas le droit d’exiger la pension, et que l’Etat, au contraire, peut la lui refuser, parce qu’à cet âge, il peut être encore bien capable de remplir ses fonctions. Par exemple, dans la magistrature ; c’est même quelquefois à cet âge que les jurisconsultes sont le plus parfaits. Nous devons de même accorder la pension à ceux qui, à défaut de ce secours, cesseraient d’être dans l’aisance. C’est dans cet esprit qu’ont été conçues dans tous les pays les lois qui accordent les pensions, c’est le même esprit qui a guidé le gouvernement dans le projet de loi dont il s’agit. Il vous a dit : « qu’il ne faut pas laisser voués à l’abandon et à la misère les fonctionnaires à la fin de leur carrière, et ajoute-t-il, s’il est vrai que l’Etat doit aux fonctionnaires la récompense des services qu’ils ont rendus, (Erratum inséré au Moniteur du 27 janvier 1841:) S’il est juste que dans l’âge des infirmités la patrie vienne au secours de celui qui lui a consacré ses talents et ses forces (loi de principe du 22 août 1790), ne doit-elle rien à sa veuve et à ses enfants ? » Nous ne devons (Erratum inséré au Moniteur du 27 janvier 1841:) donc pas l’appeler loi de pension, mais loi de secours. J’infère de là que le gouvernement doit refuser la pension à un fonctionnaire riche qui vit dans l’opulence, qui n’a pas de besoins réels, car, encore une fois, il ne s’agit pas de faire des rentiers ou des sinécures.
Quant aux pensions ecclésiastiques, les gouvernement les fait reposer dans son projet sur un tout autre principe que celui sur lequel elles sont basées pour les fonctionnaires de l’Etat. « Par suite, dit-il, des décrets de 1789, l’Etat a accepté la charge de pourvoir à l’entretien des ministres du culte. Cette obligation serait imparfaitement remplie si l’Etat se bornait à leur accorder un modique traitement aussi longtemps qu’ils peuvent remplir leurs fonctions et s’il les abandonnait aux besoins et aux privations lorsque l’âge et les infirmités viennent affaiblir leurs forces. »
Ainsi, par suite des décrets de 1789, l’Etat a accepté la charge de pourvoir aux besoins des ecclésiastiques.
Voici comment est conçu le décret de l’assemblée constituante : « Art. 1er. Les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir d’une manière convenable aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres. »
Ainsi l’Etat est tenu de pourvoir d’une manière convenable à l’entretien de ses ministres. Or, en droit celui qui doit les aliments, doit la pension, car la pension n’est pas autre chose que l’alimentation, par conséquent le clergé de la religion catholique, que professe d’ailleurs l’immense majorité du peuple belge, a de tout autres titres à la pension que les fonctionnaires de l’Etat. Avant le décret de 1789, le clergé avait des ressources considérables pour soulager les ecclésiastiques hors d’état de remplit leurs fonctions ; il avait de riches dotations, de riches bénéfices. L’Etat s’étant emparé de tout, est tenu maintenant de pourvoir à l’entretien et à l’alimentation des ecclésiastiques ; leur pension est donc une dette, une véritable obligation consacrée par le décret de 1789 et (Erratum inséré au Moniteur du 27 janvier 1841:) confirmée, au surplus, par l’article 117 de notre constitution.
Il résulte de là que c’est avec raison, avec justice que le gouvernement n’a proposé aucune retenue sur les traitements ecclésiastiques, parce que l’intégralité de ces traitements est due en vertu de droits préexistants et de la législation antérieure. Elle est due également en vertu de l’article 117 de la constitution, qui porte : « les traitements et pensions des ministres du culte sont à la charge de l’Etat. »
Vous voyez qu’on distingue le traitement de la pension, et par conséquent ces deux choses distinctes formellement garanties, sont dues entièrement. Si on prélevait sur le traitement pour faire la pension, le traitement ne serait plus tel qu’il doit être, et dès lors on violerait la constitution.
A l’égard des fonctionnaires de l’Etat, il n’y a aucune disposition semblable, ni dans la constitution, ni dans les lois ordinaires. Par conséquent, le gouvernement peut disposer à leur égard comme il juge convenir.
J’espère que le gouvernement voudra bien traiter le clergé aussi favorablement qu’il l’est en Hollande. Or, en Hollande, il ne s’exerce aucune retenue sur les traitements ecclésiastiques. En 1838, le gouvernement hollandais a pris à l’égard du clergé catholique quelques dispositions assez remarquables.
Les prêtres catholiques, est-il dit, placés dans le royaume ont droit à une pension à charge de l’Etat, s’ils sont dans le ministère ecclésiastique depuis 40 ans à dater de leur ordination comme prêtre et s’ils ont atteint l’âge de 65 ans.
Vous voyez que l’âge requis est 65 ans, tandis que dans le projet de loi, il serait de 70 ans.
L’on a considéré que nos pasteurs, surtout dans les campagnes, à l’âge de 65 ans, déjà fatigués et affaiblis, sont peu propres à remplir leurs fonctions d’une manière convenable.
Vous le savez, le service du culte dans les communes rurales est assez pénible. Je proposerai, quand on sera à la discussion des articles, de fixer, pour les ecclésiastiques, l’âge de 65 ans, et les années de service à 40 ans à dater de leur ordination comme prêtres. En effet, aussitôt son ordination le prêtre est souvent attaché à l’une ou à l’autre paroisse : s’il n’est pas encore titulaire, au moins il a déjà un emploi actif. Les 40 ans de service doivent donc compter à partir de ce moment-là.
Voici une autre disposition qui se trouve dans ce même arrêté, et il conviendrait peut-être d’en insérer une semblable dans la loi actuelle.
« Par ministère ecclésiastique, on entend l’accomplissement de charges ecclésiastiques ou fonctions spirituelles publiques auxquelles on a été appelé par l’ordinaire. La simple qualité de prêtre ne donne pas de droits à la pension, s’il ne remplit pas de fonctions ecclésiastiques. »
D’après le projet de loi, on n’accorde de pensions aux membres du clergé, que lorsqu’ils reçoivent des traitements à charge de trésor public, mais il en résulterait des lacunes et des inconvénients. On peut avoir des fonctions très actives dans le ministère, et ne pas jouir d’un traitement à charge de l’Etat. C’est ainsi que les aumôniers des hôpitaux et les ecclésiastiques attachés à d’autres établissements ne reçoivent aucun traitement du trésor, et cependant ils exercent très activement des fonctions ecclésiastiques. Je crois donc qu’il faudrait ici étendre la disposition du projet de loi et déterminer peut-être en termes formels ce qu’on entend par ministère ecclésiastique.
« La pension d’un ecclésiastique qui a 40 ans de service (dit l’arrêté) est fixée à 600 florins. Pour un service de moins de 40 ans, la pension sera déterminée d’après le taux de 15 florins par an. »
Or, d’après le projet la pension des curés et desservants ne s’élèverait qu’à 788 francs. On a pensé, en Hollande, qu’à l’âge de 65 ans et après 40 ans de service, l’ecclésiastique devait avoir une pension plus élevée, surtout à raison de ce qu’il est alors privé de ses émoluments, du casuel, et que d’un autre côté ses besoins vont en augmentant. Quelquefois même, ils ne peuvent plus célébrer les saints mystères. On a donc porté, en Hollande, la pension à 600 florins.
L’arrêté ajoute : « Le Roi se réserve d’accorder une pension plus élevée à des ecclésiastiques qui ont rempli des fonctions supérieures à celles de desservant. »
Il y est encore statué que tout droit à la pension se perd, si un ecclésiastique, au lieu d’attendre qu’il soit démissionné honorablement de ses fonctions sur sa demande ou autrement, donne lui-même sa démission par caprice ou arbitrairement, s’il quitte son emploi de la même manière, ou si, pour inconduite, il a fallu l’en démettre.
Aux termes du projet, il n’est fait aucune distinction, le gouvernement pourrait même donner ainsi des récompenses à l’ecclésiastique qui sera en grande disgrâce auprès de ses supérieurs. Cela n’est pas possible, il faut aussi dans l’ordre ecclésiastique maintenir avant tout la subordination.
Je proposerai donc quelques amendements lorsqu’on viendra à la discussion des articles.
Je désirerais aussi que les arrêtés, conférant des pensions, fussent rendus publics par l’insertion au Bulletin officiel, et continssent les causes et motifs de la pension.
M. Donny – Lorsqu’on examine la loi qui nous est présentée avec toute l’attention que mérite son importance, on s’aperçoit bien vite que les résultats de cette loi seront entièrement différents selon les catégories de fonctionnaires auxquelles elle sera appliquée.
Il y a des catégories pour lesquelles la loi sera un avantage évident. Il en est d’autres auxquelles elle sera peut-être défavorable. Il y a même des fonctionnaires pour lesquels la loi sera d’une injustice choquante.
A part quelques dispositions de détail dont je ne veux pas m’occuper à présent, la loi sera extrêmement favorable à tous les fonctionnaires qui seront nommés postérieurement à sa promulgation ; car non seulement elle assure à ceux-ci une pension personnelle, au bout d’un certain nombre d’années de service, mais encore elle donne une pension à leurs veuves ou à leurs enfants mineurs, le tout payable par le trésor public. On n’y met que deux conditions, qui ne peuvent être considérées comme onéreuses à l’égard des fonctionnaires dont je m’occupe.
Une de ces conditions, c’est le paiement annuel d’une retenue de 3 p.c. Or, il est bien certain que lorsqu’à l’avenir, une personne sollicitera un emploi public, elle considérera la retenue comme une diminution de traitement. Les appointements attachés à la place par les lois ou les règlements ne seront pour le nouveau fonctionnaire qu’un traitement nominal ; et, à ses yeux, le traitement réel sera celui qu’on lui paiera tous les trimestres ou tous les mois.
Il résultera de là que cette personne recevra pendant tout le temps qu’elle sera en fonctions, absolument tout ce qu’elle avait jamais espéré recevoir, tout ce sur quoi elle avait compté ; elle arrivera donc à la fin de ses services, sans avoir fait aucun sacrifice quelconque ; alors elle recevra une pension ; ou sa veuve ou ses enfants en recevront une, et pour ainsi dire à titre gratuit.
La seconde condition qu’on exige pour la pension, c’est celle de dix années de services. En ce qui concerne les fonctionnaires futurs, cette condition ne peut non plus être considérée comme onéreuse ; car celui qui sollicite pour la première fois sa nomination à un emploi rétribué par l’Etat, se trouve en général au début de sa carrière ; ou du moins, il est ordinairement encore fort jeune ; il peut donc compter avec assez de certitude sur la durée de service de dix années au moins et par suite la condition d’un service de dix années n’est pas une charge qui doive l’effrayer.
Si donc il ne s’agissait d’appliquer la loi qu’aux fonctionnaires à nommer après la promulgation, dans l’intérêt de ces fonctionnaires, je croirais devoir m’empresser de voter la loi.
Je la voterais avec le même empressement si je n’envisageais que les intérêts des employés du département des finances ; car, à mon avis, ils sont fortement avantagés par le projet de loi ; je vais vous en donner la preuve. Ce projet donne aux employés de l’administration des finances pour débiteur de leurs pensions le trésor public, c’est-à-dire un débiteur qui doit toujours être solvable, tandis qu’aujourd’hui ces employés, leurs veuves et leurs enfants, n’ont de réclamation à faire valoir qu’à charge de cette espèce d’être moral que l’on nomme caisse des retraites, caisse qui depuis longtemps est tombée, si je puis m’exprimer ainsi, en état de faillite, et qui ne fait plus face à ses obligations, qu’à l’aide de quelques centaines de mille francs, que la législature a été appelée à voter pour elle chaque année, allocations que dans un avenir plus ou moins éloigné, les chambres pourraient bien réduire au point qu’elle fût insuffisante, ou même ne plus voter du tout. De sorte que, pour les employés dont je m’occupe en ce moment, la loi change la position du tout au tout, en leur donnant une garantie solide qui leur manque complètement aujourd’hui.
Ce n’est pas tout, la loi leur confère un autre avantage. Aujourd’hui les employés supérieurs du département des finances subissent une retenue de 5 p.c., et d’après la loi, ils n’en subiraient plus qu’une de 3 p.c. Voilà donc par le seul effet de la nouvelle loi, une diminution de la retenue qui équivaut à une augmentation de 2 p.c. des traitements.
Par exemple, un employé supérieur des finances, qui touche aujourd’hui un traitement net de 5,000 francs, déduction faite de la retenue de 5 p.c., recevra, par suite de la nouvelle loi, une augmentation de 100 francs. Voilà un avantage dont il jouira immédiatement et qui ne diminue en rien les avantages futurs qu’il doit attendre de la loi et les garanties que je viens de vous signaler.
Maintenant que je vous ai entretenus de ceux à qui la loi est favorable, je veux vous parler d’une autre catégorie de fonctionnaires, pour lesquels bien certainement la loi ne présente pas les mêmes avantages. Je veux parler des fonctionnaires actuellement en place et étrangers au département des finances. Aujourd’hui ces fonctionnaires trouvent dans la législation actuelle l’assurance d’obtenir pour eux personnellement une pension déterminée après qu’ils auront servi un certain nombre d’années et seront arrivés à un certain âge. C’est là un avantage qui leur est acquis sans qu’ils doivent subir en compensation aucune retenue quelconque. Lors donc que la loi actuelle leur attribue une pension en les soumettant à une retenue, elle ne leur fait aucun avantage nouveau, mais elle leur impose une charge nouvelle ; il est vrai que, d’après la législation qui nous régit la veuve et les enfants mineurs du fonctionnaire n’ont pas droit à recevoir une pension de l’Etat, tandis que la loi en discussion leur accorde ce droit ; c’est là un avantage réel, mais pour apprécier cet avantage à sa juste valeur, il faut voir quelle est la charge qu’on impose au fonctionnaire en compensation ; et il faut voir de plus jusqu’à quel point cet avantage lui est assuré. La charge est une retenue de 3 p.c., c’est-à-dire une diminution de traitement de 3 p.c. Ainsi, le fonctionnaire qui a un traitement de 5,000 francs ne recevra plus à l’avenir qu’un traitement de 4,850 francs, tandis que la même loi qui lui impose ainsi une privation de 150 francs accorde, ainsi que j’ai eu l’honneur de le dire, au fonctionnaire des finances qui jouirait aujourd’hui des mêmes appointements, une augmentation réelle de 2 p.c. ou de 100 francs. Elle établit donc entre ces deux fonctionnaires, qui ont eu jusqu’ici le même traitement, une différence de 250 francs, c’est-à-dire de 5 p.c. de ce traitement. Mais au moyen de ce sacrifice, cet employé civil sera-t-il assuré que la retenue exercée sur ce traitement tournera au profit de sa femme et de ses enfants mineurs ? Il devrait au moins en être ainsi. Eh bien, messieurs, il n’en est rien ; et pourquoi ? parce que la loi impose pour condition que le fonctionnaire soit resté en service pendant dix ans ; or, cette condition, à qui est-elle imposée ? A des gens qui débutent dans leur carrière ; à des gens qui peuvent compter avec une certitude plus ou moins grande, sur une existence de dix années. Non, messieurs, mais à des fonctionnaires qui se trouvent déjà en place depuis quelque temps, dont beaucoup sont déjà arrivé à l’âge mûr, dont un assez grand nombre même sont déjà d’un âge très avancé, dont quelques-uns ne peuvent raisonnablement plus compter, je ne dis pas sur dix années de service, mais même sur dix années d’existence.
Pour ceux-là, messieurs, votre loi sera nulle quant aux avantages, mais elle leur imposera des charges auxquelles ils ne pourront se soustraire. Ils payeront pour procurer des avantages aux employés qui seront nommés après eux ; ils paieront pour diminuer les retenues subies jusqu’à présent par les employés supérieurs des finances ; ils paieront, en un mot, pour avantager les autres, et quant à eux, quant à leur femme, à leurs enfants, ils n’en acquerront pas le moindre avantage.
C’est là une injustice contre laquelle je m’élève et que je tâcherai de faire disparaître quand on viendra aux artistes.
Je m’attends à ce qu’on me fera deux réponses. On me dira probablement : mais la condition de dix années de service est une condition ordinaire ; ouvrez tous les règlements sur les pensions, et partout vous verrez que l’employé qui ne compte pas dix années de service, n’a aucun droit, quelle que soit la retenue qu’il ait subie.
On me dira sans doute encore : Le projet contient un article spécial pour faire disparaître l’injustice que vous signalez. Il s’y trouve une disposition qui permet au fonctionnaire de cumuler les services qu’il a rendus à l’Etat antérieurement à la promulgation de la loi avec ceux qu’il rendra postérieurement à la promulgation ; et au moyen de ce cumul le fonctionnaire complètera les dix années de service qu’on lui impose comme condition.
Messieurs, rien de plus facile que de réfuter ces deux réponses.
Il est vrai que dans tous les règlements on rencontre la disposition contre laquelle je m’élève. Mais ces règlements ne sont faits que pour des cas ordinaires ; or, dans les cas ordinaires, ceux qui entrent dans la carrière des emplois publics, sont presque toujours, comme j’ai déjà eu l’honneur de le faire remarquer, dans un âge peu avancé. Ici, messieurs, c’est tout autre chose. Les fonctionnaires dont il s’agit ne sont plus dans ces circonstances ; ils sont dans une position contraire, et à laquelle il faut avoir égard, attendu leur nombre, si on ne veut pas se rendre coupable d’injustice.
Quant à la seconde réponse, je ferai remarquer que si l’article dont il s’agit, celui qui permet de cumuler les services rendus avant la promulgation de la loi avec ceux qu’on rendra après la promulgation, que si cet article, dis-je, fait cesser l’injustice pour tous ceux qui peuvent arriver ainsi à dix années de service, il la laisse subsister pour tous ceux qui ne sont pas dans ce cas ; et veuillez remarquer qu’en Belgique, il y a un grand nombre de fonctionnaires qui se trouvent dans cette position. Et la raison en est fort simple.
La révolution, qui n’est encore éloignée de nous que d’une dizaine d’années, la révolution est venue bouleverser toutes les positions ; elle a remplacé un grand nombre de fonctionnaires par des hommes nouveaux, et ceux-ci ont été postérieurement remplacés par d’autres encore, de sorte que, par le seul effet des circonstances politiques, il se trouve aujourd’hui en Belgique un très grand nombre de fonctionnaires qui non seulement ne comptent pas dix années de service, mais qui n’en comptent pas six, n’en comptent pas cinq, n’en comptent même pas quatre.
Parmi ceux-là, il y en aura qui viendront à mourir avant d’avoir compléter les dix années ; pour tous ceux-là votre loi sera injuste. Elle le sera doublement. Non seulement ils auront payé les 3 p.c. pour tous les services qu’ils auront rendus à partir de la promulgation de la loi, mais encore dans l’espoir de jouir du bénéfice de la loi, ils auront payé la rétribution de 1 ½ p.c. pour tous les services rendus antérieurement à cette loi. Ainsi, ils feront un sacrifice pour le futur, ils en feront un pour le passé, et ni l’un ni l’autre ne sera profitable à leur veuve, à leurs enfants.
On me demandera peut-être, quel est le remède que je propose pour faire disparaître l’injustice que je viens de signaler. Ce remède, messieurs, est fort simple. Permettez, par mesure transitoire, qu’à la mort d’un employé (je ne parle pas de lui personnellement) ; qu’à la mort d’un employé, sa veuve ou ses enfants mineurs soient pensionnés dans tous les cas, mais le soient en proportion seulement des années de service du fonctionnaire décédé.
Ainsi, celui qui compte dix ans de service, à son décès, assure à sa veuve le minimum de la pension que fixe le projet soumis à vos délibérations. Que celui qui ne compte que cinq ans de service laisse à sa veuve ou à ses enfants une pension moitié moindre ; ce sera peu, mais ce sera quelque chose. Au moins la veuve, les enfants, jouiront dans ce cas jusqu’à un certain degré des services que le fonctionnaire aura faits pour assurer leur sort.
Quand nous ne viendrons aux articles, je proposerai un amendement dans ce sens.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, l’honorable préopinant vient d’établir des distinctions que je ne puis admettre, et qui ne paraissent pas fondées.
Ces distinctions, il les a faites d’abord entre les fonctionnaires actuels de toutes catégories et ceux qui entreront désormais soit dans la carrière administrative, soit dans l’ordre judiciaire, et en second lieu entre les employés du département des finances et ceux de toutes autres branches de service.
En ce qui cocaïer le premier cas, l’opinion de l’honorable M. Donny serait fondée si la retenue qui devait s’opérer en vertu de la loi en discussion, sur les traitements des fonctionnaires actuels, était sans compensation aucune, et si le traitement des fonctionnaires nouvellement nommés était augmenté dans la proportion de cette retenue.
Or, la retenue imposée par la loi qui vous est actuellement soumise, est compensée par la pension éventuelle des veuves et des orphelins des fonctionnaires de l’ordre judiciaire, par exemple, dont a parlé l’honorable membre, tandis qu’aujourd’hui ces veuves et ces orphelins n’ont aucun droit à la pension. Je ne puis donc admettre qu’il y ait injustice à frapper de retenue un traitement pour accorder de nouveaux droits et de nouveaux avantages.
A la vérité le fonctionnaire de l’ordre judiciaire n’a pas compté sur cette charge lorsqu’il a embrassé cette carrière ; mais par contre il trouve une compensation bien large dans la sécurité qu’il a de laisser un avenir à sa famille.
Quant à la distinction que l’honorable membre a cherché à établir entre les fonctionnaires du département des finances et ceux des autres administrations et de l’ordre judiciaire, je ne puis non plus partager son opinion, il n’est pas exact de dire que ces fonctionnaires auraient moins de charges à supporter et recevraient de la loi en discussion une amélioration de position. La retenue de 5 pour cent, dont on a parlé, est très récente ; la plupart, plus des sept huitièmes des fonctionnaires et employé des finances, sont entrés dans l’administration, alors que la retenue n’était que de deux et demi pour cent et non de cinq. En outre, je ferai observer à l’honorable orateur, que les caisses de retraire ont été établies, non au préjudice de ces employés, mais à leur avantage. Car sous la loi de 1790, comme sous l’application de l’arrêté-loi de 1814, tous les fonctionnaires avaient droit à la pension. Plus tard on s’est aperçu que certains employés de l’administration des finances se trouvaient, par suite des dangers auxquels ils étaient exposés et des fatigues qu’ils devaient essayer, dans la nécessité de réclamer leurs pensions avant le temps requis pour la plupart des autres fonctionnaires. Qu’a-t-on fait ? On a établi alors un système spécial pour ces employés, et en premier lieu pour ceux des douanes.
Pour ne pas rendre la charge qui résultait de leur admission la retraite avant le temps ordinaire trop onéreuse au trésor, on les a soumis à une retenue, mais en même temps on leur a accordé des avantages plus considérables qu’aux autres fonctionnaires. On a pensé que lorsqu’un employé des douanes, souvent en lutte avec les fraudeurs et toujours exposé aux intempéries de l’air, après dix ans de service, ne pouvait plus remplir ses fonctions, il fallait lui donner une pension plus forte et en assurer une à sa veuve et à ses orphelins.
En raison de ce double avantage, la pension plus forte pour l’employé, et celle qui a été assurée éventuellement à sa veuve et à ses orphelins, on l’a soumis à une retenue.
La distinction faire par l’honorable préopinant n’est donc juste ; elle pêche sous deux rapports : d’abord parce qu’il semblerait, d’après lui, qu’en principe le fonctionnaire du département des finances n’aurait pas droit à la pension comme ceux des autres départements et de l’ordre judiciaire ; en second lieu, parce qu’il prend pour point de départ un état de chose qui n’existe que depuis peu d’années, et qui n’est pas juste, puisque cette retenue de 5 p.c. a été établie en même temps qu’on diminuait la plupart des traitements des employés de ce département. Ainsi on avait d’abord réduit le tarif des remises des receveurs, ensuite on a supprimé, pour les réunir en un seul, les différents bureaux gérés par un même comptable, de telle sorte que la remise élevée ne s’appliquait qu’à un bureau, tandis qu’auparavant le fonctionnaire qui avait différents bureaux, jouissait de cet avantage pour chacun d’eux. Maintenant la remise de 5 p.c. ne s’applique plus que sur les 3 premiers mille francs et va en diminuant selon la progression de la recette, tandis qu’auparavant il était des receveurs qui touchaient trois ou quatre fois cette remise sur les trois premiers mille francs perçus dans chacun de leurs bureaux.
Il n’y a donc eu avantage sous tous ces rapports pour ces fonctionnaires, et si on réduit à 3 p.c. une retenue temporaire de 5 p.c., il ne faut pas prétendre que leur position sera améliorée ; elle le sera d’autant moins, que les autres dispositions de cette loi leur seront pour la plupart onéreuses.
La pension des fonctionnaires du département des finances deviendra moins élevée, tandis, que, sous ce rapport, il n’est rien changé à la position des fonctionnaires de l’ordre judiciaire. Il sera facile de prouver que les dispositions du règlement en vigueur sont infiniment plus favorables pour les fonctionnaires du département des finances que les dispositions du projet présenté.
L’orateur a parlé de l’injustice qu’il y aurait à ne point admettre à la pension les veuves ou les orphelins des fonctionnaires qui n’ont pas plus de dix années de service. Cette disposition est la conséquence de celle qui n’accorde de pension aux fonctionnaires que quand eux-mêmes ont dix années de service. On a cru qu’il était convenable de poser cette limite.
Toutefois, si l’honorable préopinant ou tout autre membre présente un amendement relatif à cette exception, nous l’examinerons avec soin. Je ne me propose pas à cet égard.
M. Pirson – Je crois, messieurs, devoir dire un mot sur la dernière observation dont vient de parler M. le ministre des finances, et qui a été faite par l’honorable M. Donny. Il est évident que, d’après la loi, la veuve et les enfants d’un fonctionnaire de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif, qui meurt avant 10 années de services, pourraient être privés de la pension. M. Donny propose d’allouer, en pareil cas, une espèce de prorata de donner par exemple, à celui qui, au lieu de 10 années de service, n’en compte que 5, la moitié de la pension ; je pense, moi, qu’il faudrait, en faveur des fonctionnaires qui meurent sans avoir 10 années de service postérieurement à la promulgation de la loi, compter, pour compléter les 10 années, les services rendus avant cette promulgation. Vous ne pouvez pas, messieurs, priver de la pension celui qui a rendu des services pendant un grand nombre d’années pour le seul motif que ces services sont antérieurs à la loi qu’il s’agit de voter. Je suppose un fonctionnaire qui ait aujourd’hui, par exemple, 65 ans, et qui, par conséquent, se trouve précisément à l’âge exigé par la loi pour avoir droit à la pension. Je suppose, en outre, que ce fonctionnaire soit encore en état de continuer ses services pendant 5 ou 6 ans ; évidemment si ce fonctionnaire meurt avant d’avoir rempli ses fonctions encore pendant 10 ans après la promulgation de loi, vous ne pouvez pas cependant priver la famille de la pension qui est due à ses longs services. Il me semble que, dans ce cas, il faudrait prendre, avant la promulgation de la loi, le temps de service nécessaire pour compléter les dix années voulues pour donner droit à la pension. Une semblable mesure serait, je pense, beaucoup plus juste que le système de prorata proposé par l’honorable M. Donny.
M. Jadot – Je dois repousser l’assertion de l’honorable M. Donny, qui prétend que la loi en discussion crée un avantage pour les employés des finances en ce qu’elle leur donne droit à une pension sur le trésor, tandis que maintenant ils n’ont droit qu’à une pension sur la caisse de retraite. C’est là une erreur, messieurs, car la loi du 14 septembre 1814 assure une pension à tous les employés qui reçoivent un traitement sur le budget de l’Etat, à quelque ministère qu’ils appartiennent. Les employés des finances avaient donc droit à la pension, et si l’on a établi une caisse de retraite, c’est uniquement en faveur des veuves et des orphelins.
L’honorable M. Donny a dit ensuite que les employés des finances gagneraient 2 p.c. de leur traitement, puisque la retenue serait réduite de 5 à 3 p.c. ; mais remarquez, messieurs, qu’au commencement la retenue n’était pas de 5 p.c., mais qu’elle n’était que de 2 p.c. ; depuis on a fait une sortie de violence à ces employés, on les a soumis à une retenue de 5 p.c., et cela pour payer les pensions accordées sous le gouvernement hollandais. Ainsi, messieurs, en réduisant la retenue à 3 p.c., on ne fait pas une faveur aux employés des finances, on ne fait en cela que revenir sur une mesure injuste.
M. Donny – Je ne veux certainement pas me montrer hostile au département des finances, au contraire ; mais je dois faire remarquer que l’honorable ministre de ce département et l’honorable préopinant qui a parlé le dernier, se trompent, selon moi, lorsqu’ils disent que la position des employés des finances, telle qu’elle leur avait été faite par une loi organique promulguée à la fin du siècle dernier, n’a pas été modifiée postérieurement par l’établissement de la caisse de retraite.
M. Jadot – D’une manière favorable.
M. Donny – La loi organique dont je viens de parler a posé en principe que la pension est due à tous les fonctionnaires et employés quelconques, mais postérieurement et pour des causes que je ne veux pas examiner ici, et qui sont injustes peut-être, on a trouvé convenable de modifier cet état de choses, et en ce qui concerne les employés du ministère des finances, on a institué des caisses de retraite en faveur, non pas de leurs veuves et de leurs enfants exclusivement comme on l’a dit, mais des employés d’abord ; de leurs veuves et de les enfants ensuite. L’on a bien entendu que la caisse de retraite devait suffire à tout cela, et la preuve de ce que j’avance, c’est que depuis l’établissement de la caisse de retraite dans notre pays, aucune pension d’un employé au ministère des finances n’a été mise à la charge du trésor public. Je ne dis pas que c’était là une chose juste, je ne dis pas que cela ne doive pas être changé, mais je signale une erreur de fait qui a été commise par l’honorable ministre des finances et par l’honorable M. Jadot.
L’honorable M. Pirson voudrait que l’on pût cumuler les années de services antérieures à la promulgation de la loi et celles qui sont postérieures à cette promulgation, afin de compléter ainsi les 10 années exigées par la loi. Je dirai à mon honorable ami que le projet a prévu ce cas et qu’il contient précisément la disposition que l’honorable membre propose ; mais j’ai fait remarquer que cette disposition dont je reconnais moi-même la bonté, n’est pas assez étendue pour faire disparaître l’injustice qui existe à l’égard d’un assez grand nombre d’employés qui ne comptent pas 10 années de service, même en comptant celles qui sont antérieures à la loi que nous discutons.
S’il n’y avait que deux, trois ou même qu’une dizaine de personnes qui fussent dans ce cas, je n’en parlerais pas, mais comme j’ai déjà eu l’honneur de le dire, il y a par suite de la révolution un très grand nombre de fonctionnaires dont les services ne datent que depuis un très petit nombre d’années et ceux-là ne profiteraient pas de la disposition qui a été indiquée par l’honorable M. Pirson, et qui se trouve dans le projet. Il faut à leur égard une disposition nouvelle, et j’aurai l’honneur d’en proposer une quand nous en serons à la discussion des articles.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, la loi de 1790 et l’arrêté-loi de 1814 assurent à tous les fonctionnaires un droit égal à la pension ; or, je ne sache pas qu’un arrêté puisse priver les fonctionnaires publics d’un avantage qui leur est garanti par une loi ou par un arrêté-loi. C’est cependant ce qui résulterait du discours de l’honorable M. Donny. Cet honorable membre invoque des arrêtés pris à différentes époques et notamment à l’époque où le prince souverain des Pays-Bas exerçait encore le pouvoir législatif, mais tous ces arrêtés ont été pris en faveur des employés du ministère des finances et non point à leur détriment ; chacun de ces arrêtés leur reconnaît un droit formel à la pension et si les fonds de la caisse des retraites devenaient insuffisants, il est bien certain que le trésor devrait suppléer à cette insuffisance.
L’honorable M. Donny a fait observer que toutes les pensions qui ont été liquidées en faveur des employés des finances, l’ont été sur la caisse de retraite ; mais la chose est facile à expliquer, c’est que pendant un grand nombre d’années, il n’a été fait que de faibles prélèvements sur cette caisse, et que par conséquent, elle présentait un encaisse considérable ; mais lorsque le moment est venu où il a fallu liquider les pensions du grand nombre de fonctionnaires qui étaient en place lors de la fondation de la caisse de retraite, ses ressources se sont trouvées insuffisantes ; alors seulement il fut constaté que la retenue de 2 ½ p.c. était loin de pouvoir couvrir la dépense de toutes les pensions dues aux employés, et aux veuves et orphelins d’employés. Dans tous les cas la pension a été promise à tous les fonctionnaires sans aucune espèce de restriction, et aucun d’eux n’a pas prévoir en entrant dans cette carrière que ses droits à la pension de retraite seraient un jour contestée.
M. Dumortier – Je ne puis laisser passer sous silence l’observation qui vient d’être faite par M. le ministre des finances, que les fonctionnaires, au profit desquels la caisse de retraite a été instituée, avaient droit à la pension alors même qu’il n’y aurait pas eu de caisse de retraite. Cela n’est pas rigoureusement exact ; et pour s’en convaincre, il suffit de relire les divers rapports qui ont été faits à la chambre relativement à cette question et entre autres celui qui nous a été présenté dans le temps par l’honorable M. Liedts, aujourd’hui ministre de l’intérieur. On verra dans ces rapports que le fonds de la caisse de retraite, formé au moyen d’une retenue sur les traitements, devrait faire face à toutes les pensions à accorder aux fonctionnaires du département des finances et que l’Etat ne devait fournir à cette caisse qu’une somme de 30,000 florins au grand maximum. Voilà, messieurs, quel était l’état de la caisse de retraite dans le royaume des Pays-Bas et pendant tout le temps que ce royaume a existé l’Etat n’a jamais fourni à la caisse de retraite au-delà de 30,000 florins par an. Depuis la révolution, au contraire, il a été alloué à la caisse de retraite une somme totale de 1,100,000 francs ; et ces dernières années le chiffre accordé de ce chef s’est élevé à 200,000 francs par an. Et lorsqu’on nous demandait ces sommes, messieurs, que nous disait-on ? On nous disait : « Tout ce que nous vous demandons c’est que vous fassiez une avance, attendu que les fonds de la caisse de retraite sont en Hollande ; ce n’est pas comme un subside dû à la caisse de retraite que nous vous demandons ces sommes, c’est seulement à titre d’avance. » C’est donc à titre d’avance que nous avons accordé les sommes qui nous ont été demandées pour la caisse de retraite. Ces sommes, comme je l’ai déjà fait remarquer, se sont élevées jusqu’à 200,000 fr. par an, tandis que pour le royaume des Pays-bas tout entier, l’Etat ne devait fournir au plus que 30,000 florins, ce qui reviendrait à 30,000 francs environ pour la Belgique.
Mais ce n’est pas tout. Je trouve qu’il y a dans les dispositions du projet de loi une différence immense, si vous les comparez avec les dispositions qui régissent la caisse de retraite. D’après ces dernières dispositions, pour avoir droit à la pension, il faut avoir au moins 30 années de service ; ici, au contraire, il y a droit à la pension dès que l’on a 10 années de service.
Sous le régime de la caisse de retraite, on pouvait, à la vérité, admettre un fonctionnaire à la pension, avant les 30 ans révolus. Mais dans quel cas ? Lorsque le fonctionnaire n’était plus capable de remplir ses fonctions, et que cette incapacité avait été contractée dans l’exercice de ses fonctions. Il est évident que dès lors il était juste, équitable, de donner une pension à ce fonctionnaire. Dans le projet de loi, article 10, on propose d’allouer une pension à tout fonctionnaire qui, après 10 années de service, serait hors d’état de continuer ses fonctions. Or, je n’admettrai jamais qu’au bout de 10 années, un fonctionnaire ait droit à une pension, du chef d’une incapacité qui peut provenir de toute autre cause que l’exercice de ses fonctions.
Certes, nous devons faire en sorte que les fonctions publiques ne soient pas onéreuses à ceux qui les exercent, mais il est de notre devoir aussi de ne pas faire de ces fonctions une source d’abus pour le trésor public, nous ne devons pas vouloir diviser la nation en deux classes d’hommes, occuper les unes à dîner et les autres à payer le dîner des premiers.
J’ai à présenter une autre observation. Sous le régime de la caisse de retraite, les fonctionnaires des finances étaient astreints à une retenue qui pouvait aller à 5 p.c., et qui est aujourd’hui à ce taux. Or, sous l’origine de la loi que vous allez voter, une réduction considérable va être apportée au taux de cette retenue ; elle ne sera plus que de 3 p.c. Ainsi, d’une part, vous allez augmenter les charges du trésor public, et de l’autre, diminuer celles des fonctionnaires. Est-ce logique ? Est-ce là servir les intérêts du trésor public ? Je vous laisse juges de la question.
Il y a une autre considération, c’est que dans l’Etat il n’existe pas de fonctions mieux rétribuées que les fonctions du ministère des finances ; les secrétaires généraux des autres départements ministériels touchent un traitement de 8,400, celui du département des finances reçoit un traitement de 9,000 francs. Les administrateurs généraux du département des finances, touchent un traitement de 10,500 francs, tandis que leurs collègues dans les autres départements ne reçoivent que 8,000 francs. Cependant un administrateur n’est toujours qu’un administrateur aux yeux de l’Etat. Et c’est à raison de ces traitements plus élevés que la pension des fonctionnaires des finances sera liquidée, en même temps que vous aurez supprimé la retenue qu’ils avaient à payer à la caisse de retraite.
Toutes ces questions méritent d’être mûrement examinées ; j’appelle toute l’attention de cette loi ; je ne prolongerai pas la discussion générale, mais je me réserve de présenter des amendements, au fur et à mesure que l’on discutera les articles.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, je maintiens que les lois de 1790 et 1814 ont établi un droit à la pension pour tous les fonctionnaires de l’Etat ; je maintiens en outre que les arrêtés postérieurs n’ont eu en vue que l’amélioration des employés des finances.
Quant à l’observation de l’honorable M. Dumortier, relativement à l’admission de la pension après 10 années de service, elle repose sur une erreur de fait. D’après les règlements en vigueur, un fonctionnaire devenu incapable, par un motif quelconque, de servir l’Etat, a droit à la pension, lorsqu’il a 10 années de service ; mais lorsque ses infirmités sont contractées dans l’exercice de ses fonctions ou par suite d’accidents survenus dans l’exercice de ses fonctions, il a droit à une pension même avant les 10 années. Le projet de loi consacre cette distinction.
L’honorable M. Dumortier pense qu’il résulterait de l’adoption de ce projet une diminution de charges et un accroissement d’avantages pour une classe de fonctionnaires. Cela est inexact. Quand nous viendrons aux articles je démontrerai facilement que les dispositions du projet de loi présentent moins d’avantages aux employés des finances que le règlement actuel.
M. Fleussu – Messieurs, la discussion générale s’est resserrée sur un point particulier. On a agité la question de savoir si les fonctionnaires de l’administration des finances avaient, comme les autres fonctionnaires de l’Etat, un droit à la pension, par suite de l’arrêté de 1814 et des autres dispositions réglementaires sur les pensions.
Je ne puis pas suivre sur ce point l’opinion de M. le ministre des finances ; pour me prononcer en connaissance de cause, j’aurais besoin d’avoir sous les yeux les dispositions de l’arrêté de 1814. Cependant je me rappelle bien la teneur de cet arrêté, je crois que ce que disait tout à l’heure l’honorable M. Doignon est exact, à savoir qu’aux termes de cet arrêté, les pensions n’étaient pas une dette, mais qu’elles étaient seulement une rémunération que le gouvernement se réservait d’accorder à de longs et loyaux services. L’allocation des pensions n’était donc pas une dette de l’Etat ni envers les employés de l’administration des finances, ni envers les autres fonctionnaires de l’Etat.
Mais ces pensions sont devenues une dette par des lois spéciales. Ainsi par exemple lorsque vous avez discuté l’organisation judiciaire en 1832, vous avez, si je ne me trompe, introduit une disposition finale, en vertu de laquelle les membres de l’ordre judiciaire ont droit à la pension réglée par les dispositions de l’arrêté de 1814. Ainsi, encore, lorsque vous avez discuté la loi relative aux universités, vous avez décidé qu’une pension à déterminer d’après les bases du règlement universitaire de 1816, serait accordée aux professeurs qui auraient un certain nombre d’années de services dans le professorat. Voilà des dispositions qui sont plus que des promesses, c’est un droit que la loi a conféré aux fonctionnaires, tandis que l’arrêté de 1814 ne conférait pas de droit, mais laissait au gouvernement la faculté d’accorder des pensions.
Cette différence est digne de fixer toute votre attention, car lorsqu’on a déterminé les traitements des membres de l’ordre judiciaire et ceux des professeurs des universités, il est évident, à mes yeux, qu’on a pris en considération la récompense qui les attendait à la fin de leur carrière, et c’est peut-être pour cela qu’on a fixé les traitements de ces fonctionnaires à un taux qui certes n’est pas exagéré, puisque depuis longtemps on réclame de toutes parts des majorations. Je m’abstiens de parler des membres de l’ordre judiciaire ; on pourrait croire que je suis guidé ici par un motif d’intérêt personnel, quoique ceux qui me connaissent sachent que je suis au-dessus d’un semblable intérêt. Je parlerai seulement des membres du professorat. Il est évident qu’aucune des prévisions à l’influence desquelles la chambre a obéi, lorsqu’elle a voté la loi sur les universités de l’Etat, ne s’est réalisée.
Vous vous rappellerez, en effet, que lors de la discussion de cette loi, il n’y avait qu’une voix sur la nécessité d’accorder une rétribution d’au moins 10,000 francs aux professeurs des universités. Or, on a accordé 6,000 francs aux professeurs ordinaires, mais on a cru qu’à l’aide des minervalia cette somme pourrait s’élever à 10,000 francs. Eh bien, cette prévision est restée en défaut ; il est évident qu’aujourd’hui les professeurs des universités reçoivent à peine 5 à 600 francs, du chef des rétributions payées par les élèves.
J’ai maintenant à présenter une autre observation qui se rattachent plus spécialement à la loi en discussion, et qui met encore les employés de l’administration des finances en contact avec les autres employés de l’Etat.
La loi actuelle me semble beaucoup trop générale ; elle place sur la même ligne, elle renferme dans le même cadre des fonctionnaires qui sont distants entre eux, et par leur position, et par leurs attributions et par les services qu’ils sont appelés à rendre au pays.
Remarquez que, dans la plupart des administrations, et principalement dans les administrations financières, on peut y entrer très jeune, sans s’être imposé de grands frais d’éducation, et on y acquiert des connaissances, au fut et à mesure qu’on avance en grade.
En est-ce ainsi dans les administrations qu’on pourrait en quelque sorte nommer scientifiques ? Dans l’ordre judiciaire, par exemple, on ne peut entrer qu’à un âge déterminé, et encore même à cet âge est-il rare d’y avoir accès. On ne peut aborder cette carrière qu’après avoir fait des frais considérables pour son instruction. Il en est de même du professorat. Pour entrer dans le professorat, il faut s’être fait connaître dans la science, il faut avoir acquis des connaissances telles qu’elles puissent inspirer confiance à tous les parents ; ce n’est qu’à un certain âge qu’on peut avoir acquis ces connaissances, ce n’est qu’à une époque assez avancée de la vie qu’on peut aspirer au professorat.
Que résulte-t-il de cette comparaison ? C’est que les employés des finances qui entrent de bonne heure dans l’administration, et qui, à la fin de leur carrière, jouissent de traitements aussi élevés que les autres fonctionnaires de l’Etat, ont atteint, à 50 ans, leurs 30 années de service, tandis que, dans les autres administrations où l’on n’entre qu’à un âge avancé, ils ne peuvent avoir fourni leur carrière de 30 années qu’à 65 ou 70 ans.
Messieurs, il me semble que ces observations doivent être prises en considération. Soumettre aux mêmes dispositions des fonctionnaires qui ont des attributions si différentes, et qui ont une si grande distance entre elles, c’est une véritable injustice. Je pense qu’il y aurait bien de ce chef à diminuer le nombre d’années ou à donner une pension beaucoup plus forte.
Quand nous serons à la discussion des articles, je verrai s’il n’y a pas d’amendement à présenter à cet égard.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Il y a dans la première observation faite par M. Fleussu quelque chose de vrai, que je reconnais. C’est qu’aucun fonctionnaire n’a le droit d’exiger sa pension à une époque déterminée. Mais en principe la loi reconnaît le droit à la pension. D’après les amendements de la section centrale, quand on réunirait 60 ans d’âge et 30 ans de service, on pourrait l’exiger, tandis que sous la législation actuelle on ne peut jamais l’exiger. C’est au gouvernement à régler l’époque à laquelle le fonctionnaire peut être admis à la pension.
L’observation faite, en ce qui concerne les professeurs des universités, avait frappé le gouvernement. Cette observation est très fondée. Quand nous en serons à cet article, notre intention est de présenter un amendement. Nous attendrons qu’on en présente relativement à l’ordre judiciaire, et nous les examinerons.
M. Zoude – Messieurs, les réponses faites à l’honorable M. Dumortier n’ont pas été telles que je les aurais désirées. Il vous a dit que le maximum de la contribution du syndicat à la caisse des pensions était de 30,000 florins. Il a raison. Je vais vous donner connaissance de l’arrêté : il porte qu’annuellement il sera fait une imputation à charge du trésor public, équivalente au déficit, seulement jusqu’à concurrence de 30,000 florins ; et quand il sera prouvé que les revenus de la caisse des pensions ne suffisent pas, le Roi se réserve d’augmenter la somme dans le cas où elle ne suffirait pas.
Or, par suite de l’application de cette disposition, il a été fourni par le syndicat, en 1824, 201,724 florins. L’année suivante, il a donné deux cent et des mille.
Un membre – C’est une erreur.
M. Zoude – C’est exact ! nous le prouverons par les comptes.
L’honorable M. Dumortier a commis une autre erreur qui n’a pas été relevée par M. le ministre des finances. Il a dit qu’on avait droit à la pension après 10 années de services. Ce n’est que quand il est reconnu hors d’état de continuer ses fonctions, que le fonctionnaire, magistrat ou employé peut, quel que soit son âge, être admis à la retraite, s’il a dix années de service.
L’honorable M. Doignon a dit que la pension n’était pas une dette mais une récompense. L’assemblée constituante, dont l’opinion a souvent été entourée de respect,, et avec raison, a reconnu que la pension était une récompense due au fonctionnaire qui avait rendu des services au corps social. Ce principe a été admis par toutes les puissances. Cependant, après avoir reconnu le principe, qu’a dit M. Doignon ? Que cette récompense n’était due qu’aux infirmités, ou à l’indigence, ou plutôt à la gêne. Or, je vous le demande, qui déterminera les infirmités qui empêchent un fonctionnaire de remplir ses fonctions et surtout l’état de gêne où il se trouvera ? Vous le soumettez à l’arbitraire. Vous divisez ensuite les fonctionnaires en classe pauvre et en classe riche. La pauvreté n’a rien de déshonorant quand elle n’est pas le résultat de l’inconduite. Il n’en est pas de même aux yeux de la société.
D’un autre côté, si vous n’accordez de pension qu’à la gêne, ne courez-vous pas le risque de récompenser la dissipation et de punir l’esprit d’ordre et d’économie ?
C’est parce qu’on a voulu accorder la pension que quand on ne serait plus capable de rendre des services que la loi exige 60 ans d’âge, et 30 ans de service pour y avoir droit ; il peut y avoir là lieu à arbitraire, mais l’arbitraire de la loi vaut mieux que l’arbitraire de l’homme. Aussi maintenons-nous la disposition de la loi.
Quant aux ecclésiastiques, on a effectivement fixé à 70 ans l’âge auquel la pension devra leur être donnée ; mais l’article suivant ajoute que si, par des infirmités quelconques, il est hors d’état de continuer ses fonctions, alors il pourra réclamer sa pension.
L’article 30 fixe de quelle manière elle sera réglée.
Il est ainsi conçu :
« Art. 30. Dans le cas prévu par l’article 29, la pension est fixée :
« Pour 40 ans de services, au montant total de la pension ;
« Pour 30 ans, aux deux tiers de la pension entière, plus un trentième de cette même pension pour chaque année de services, depuis 30 ans jusqu’à 40 ans.
« Pour 10 ans, à la moitié de la pension entière, plus un cent vingtième de la susdite pension pour chaque année de services depuis 10 jusqu’à 30. »
J’aurais encore beaucoup d’observations à présenter en réponse à ce qui a été dit, mais je me réserve de le faire lors de la discussion des articles.
M. Dubus (aîné) – La discussion générale s’est portée principalement, à ce que j’ai remarqué, sur la caisse de retraite, car ce sont les pensions de la caisse de retraite qui grèvent le plus le trésor public, dans l’état actuel des choses. A diverses reprises on a voulu chercher les causes de l’élévation si considérable des pensions de la caisse de retraite. M. le ministre des finances a prétendu établir ce droit des fonctionnaires à la pension sur un arrêté-loi. Quant à moi, je ne connais pas d’autre arrêté-loi sur la matière, que l’arrêté du 12 mars 1815. Cet arrêté n’a trait qu’aux employés des douanes. Si l’on en suivait les dispositions, nous n’aurions pas à payer un énorme subside à la caisse de retraite. En effet, on y trouve une disposition qui porte que la pension ne peut être accordée avant 30 ans de service et qu’autant que l’employé est dans l’impossibilité de continuer ses fonctions. Or, il est notoire qu’un très grand nombre et de très grosses pensions ont été accordées à des employés très en état de continuer leurs fonctions, et qui, depuis qu’ils jouissent de leur pension, se sont mis à la tête de sociétés et continuent à gagner de nouveaux traitements par leur travail indépendamment de leur pension. Si on avait appliqué l’arrêté que je viens de citer, ce premier abus n’aurait pas eu lieu ; et il emporte une somme très considérable de notre budget.
Dans cet arrêté-loi, il y a une autre discussion portant qu’il ne pourra être accordé de pension que jusqu’à concurrence des fonds libres annuellement. De sorte que, cet arrêté contenant le remède à tout abus, puisque ce n’était qu’autant que la caisse, telle qu’elle était dotée, présenterait des ressources suffisantes qu’on pourrait accorder des pensions. Voilà le système établi par l’arrêté-loi.
Celui qui a été adopté repose sur un arrêté de 1822, non un arrêté-loi, mais un arrêté qui émanait simplement du pouvoir exécutif et qu’aux termes de notre constitution nous n’étions pas tenus d’exécuter. Or c’est en vertu de cet arrêté de 1822 qu’on a accordé ces énormes pensions qui ont amené ce résultat, que le passif de la caisse des retraites s’élève à la somme de 1,151,643 francs, tandis que les ressources ne s’élèvent qu’à 467,000 francs, ce qui fait un déficit de 684,613 francs, c’est ce déficit qu’on porte chaque année au budget de la dette publique.
Au reste, dans cet arrêté de 1822 il y a aussi des dispositions dont on a méconnu l’exécution. Car l’article 57 porte que ni l’âge ni les années de service ne donneront droit à être pensionné aussi longtemps que l’employé peut remplir ses fonctions. Cette disposition a été méconnue depuis la révolution. C’est cet abus qui a contribué à rendre la caisse de retraite si onéreuse au trésor public.
J’ai cru devoir faire ces observations, parce que celles du ministre des finances pouvaient donner des notions peu exactes à la chambre, notamment quand il a parlé de la légalité de l’institution de cette caisse.
Du reste, ce n’est pas que je veuille prétendre que les employés du département des finances ne trouvent pas dans un arrêté-loi quelconque le droit à la pension. Je considère l’arrêté-loi de 1814 comme renfermant des dispositions générales que les employés des finances pouvaient invoquer. Mais outre la disposition conférant un droit à la pension, il y en avait une ne conférant pas de droit, c’était une disposition finale autorisant le roi à élever la pension de beaucoup au-dessus des bases tracées par l’arrêté. L’arrêté fixait le droit ; mais une pension qui, aux termes de l’arrêté, devait être de mille francs pouvait être portée par le roi à 3, 4, 5 et même six mille francs : cette disposition de l’arrêté-loi de 1814 a été déclarée abrogée par le fait de notre constitution, quand on a fait la loi de 1832 relative à l’organisation judiciaire ; mais on a considéré l’arrêté de 1814, comme constituant le droit à la pension.
Je ferai maintenant une observation relative à l’ordre de nos délibérations. M. le ministre a dit que quand on en viendrait à l’article relatif aux professeurs des universités, il proposerait un amendement à la loi. Je désirerais que cet amendement fût déposé plus tôt ; maintenant, si c’est possible, et que la chambre voulût bien le renvoyer à l’examen de la section centrale. Car ce n’est pas une question simple, mais une question complexe ; il y a différentes considérations d’âge et de chiffres à examiner ; et je pense que cela se fera convenablement au sein de la section centrale, et que la chambre pourra voter en plus grande connaissance de cause après l’avoir saisie de cette question. Je voudrais donc que la question des professeurs, qui a passé en quelque sorte inaperçue, soit examinée par la section centrale, si M. le ministre veut déposer son amendement.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, je regrette de ne pas avoir été compris par l’honorable préopinant ; c’est précisément de l’arrêté-loi de 1814 et de la loi de 1790 que j’ai parlé déjà à deux différentes reprises dans la discussion.
L’honorable préopinant a parlé d’abus qui auraient été commis dans la collation de pensions de fonctionnaires du département des finances. Une commission a été nommée pour réviser les pensions du département des finances ; cette commission dont le rapport vous est connu n’a pas signalé d’abus, elle n’a signalé qu’un petit nombre d’erreurs qui ont été commises. Si des personnes pouvant encore remplir des fonctions publiques et qui maintenant vaquent à d’autres affaires ont obtenu des pensions, c’est que l’administration n’a pas été à même de juger de leur état physique, ou que cet état s’est amélioré depuis leur admission à la retraite.
Un conseil peut se tromper, mais il n’y a eu qu’un très petit nombre d’erreurs de ce genre ; le montant des pensions de cette nature n’entre que pour une très faible quotité dans le chiffre total des pensions qui grèvent le trésor. Le préopinant se trompe complètement lorsqu’il croit que les pensions de cette nature s’élèvent à une somme considérable.
Il y a eu après la révolution quelques pensions accordées par des considérations politiques. Des fonctionnaires en très petit nombre qui, sans avoir démérité, n’avaient pas la confiance entière du gouvernement, ont obtenu la pension de retraite.
Sauf ces exceptions, le conseil n’a admis des fonctionnaires à la pension, que quand il les a reconnus hors d’état de rendre des services.
Quant à l’amendement dont a parlé l’honorable préopinant, je le déposerai dans le cours de cette séance.
M. Donny – L’honorable rapporteur vous a dit que le roi Guillaume avait quelquefois fait usage de la réserve exprimée dans le règlement de 1822, de subsidier la caisse des retraites, par une somme plus forte que 30,000 florins. Je crois que l’honorable rapporteur a eu parfaitement raison ; je crois que le subside a quelquefois dépassé 30,000 florins, mais je pense que le chiffre assez élevé qu’a cité l’honorable rapporteur est exagéré.
Je sais que la caisse de retraite a été dans le cas de demander au gouvernement l’autorisation de vendre quelques inscriptions sur le grand livre, et que cette vente a produit des sommes considérables ; je suppose que dans les notes fournies à l’honorable rapporteur, l’on aura fait quelque confusion de ce chef.
L’honorable M. Dubus a demandé qu’on dépose le plus tôt possible les amendements qu’on croira devoir proposer ; pour moi, je suis prêt à déférer à cette demande, mais avant de le faire, j’ai une explication à demander à M. le rapporteur de la section centrale.
L’article 54 (49 ancien) porte que les veuves et enfants de fonctionnaires pourront avoir une pension en se soumettant à une retenue de 1 ½ p.c ; Je voudrais savoir sur quel nombre d’années de traitement cette retenue sera calculée.
M. Zoude, rapporteur – Sur toutes les années de traitement à raison desquelles la pension sera demandée.
M. Jadot – L’honorable M. Dubus aîné a parlé tout à l’heure de l’arrêt du 15 mars 1815, et fait remarquer que cet arrêté ne concerne que les employés de la douane.
On s’est trompé, lorsqu’on a dit que les employés des finances n’auraient été soumis à la retenue qu’à dater de 1814. Cette retenue a été décrétée par la Convention, et les employés y ont été soumis dès l’an IV, date de la réunion à la France. Ainsi, en 1814, il y avait 20 ans, que les employés de l’enregistrement subissaient la retenue ; les fonctionnaires des autres administrations y furent soumis plus tard. Pendant ces 20 années où l’on fit la retenue, on n’accorda aucune retraite.
Voici la date des dispositions légales qui ont établi des caisses des retraites pour diverses administrations :
Enregistrement : 4 brumaire, an IV.
Postes : 28 prairial, an IX.
Professeurs des lycées : 11 floréal, an X.
Douanes, 25 thermidor, an XI.
Ponts et chaussées, 7 fructidor, an XII.
C’est parce que les caisses des retraites sont instituées depuis si longtemps, et que pendant longtemps elles n’ont servi aucune retraite, qu’on disait que si l’on avait toutes les retenues qui ont été faites et les intérêts qu’elles ont produits, on aurait de quoi pourvoir au payement de toutes les pensions.
Encore une observation : on semble étonné de ce que la caisse des retraites du département des finances ait besoin d’un subside considérable du gouvernement. Mais veuillez considérer que cette administration a un personnel de 8,000 employés. Si vous comparez ce personnel à celui des autres ministères, vous ne serez pas étonnés que les retraites de ce département absorbent une somme si considérable relativement à celle des autres départements.
M. le président – L’amendement suivant vient d’être déposé par M. le ministre des finances :
« Les professeurs attachés aux universités auront droit à la liquidation de leur pension, d’après les dispositions du règlement du 25 septembre 1816. »
On a demandé le renvoi de cet amendement à la section centrale.
M. Fleussu – Je proposerai à cet amendement un sous-amendement consistant à ajouter « même ceux nommés depuis 1835. »
M. le ministre des finances (M. Mercier) – C’est inutile, la disposition générale déroge à l’article 7 de la loi sur les universités.
M. Fleussu – S’il en est ainsi, je n’insiste pas.
M. le président – Le sous-amendement est retiré.
M. Jadot – Je proposerai en faveur des employés des finances un amendement dans le sens de celui que M. le ministre des finances vient de déposer à l’égard des professeurs.
M. Dubus (aîné) – Raison de plus pour renvoyer à la section centrale, car elle examinera l’amendement en rapport avec toutes les autres dispositions de la loi.
M. Cools demande le dépôt et le renvoi à la section centrale de tous les amendements que l’on aurait à présenter sur la loi.
- La discussion générale est close.
La discussion est ouverte sur l’article premier, ainsi conçu :
« Art. 1er. La caisse de retraite des employés du département des finances et de l’administration des postes, et les caisses des veuves des employés des ponts et chaussées et des mines seront supprimées à compter du …
« L’actif de ces caisses sera acquis au trésor public envers qui elles seront libérées des sommes qu’elles pourraient lui devoir. »
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Comme il existe une nouvelle caisse de retraite fondée récemment pour le département des travaux publics et depuis la présentation du projet de loi, il y a lieu d’ajouter, après les mots « caisses des veuves et employés, », ceux de « l’administration centrale du département des travaux publics, de l’administration du chemin de fer. »
M. de Villegas – Je pense que l’amendement proposé par M. le ministre doit être renvoyé à la section centrale ainsi qu’il a été décidé récemment. Du reste, ce n’est pas pour combattre ou appuyer cet amendement que j’ai pris la parole. Nous l’examinerons en temps opportun.
L’article premier en discussion propose la suppression des caisses de retraite au profit de l’Etat, à condition que le trésor se chargera du service de toutes les pensions en général.
Ainsi que vous l’avez entendu dans la discussion générale, on présente cette suppression avec ses avantages et ses inconvénients.
Les avantages de la suppression des caisses de retraite et de leur acquisition au profit de l’Etat ont été énumérées dans l’exposé des motifs qui accompagne le projet de loi. On y lit, page 2 :
« Le système auquel nous nous sommes arrêtés consiste à supprimer les caisses spéciales de retraite, à n’en point créer de nouvelles, et à charger le trésor de servir directement les pensions actuellement liquidées et celles qui le seront à l’avenir, pour tous les fonctionnaires magistrats et employés, de l’ordre judiciaire, administratif et ecclésiastique ; en compensation de cette charge, le produit de toutes les retenues et ressources qui alimentent aujourd’hui les caisses de retraire et les nouvelles retenues à exercer sur les traitements des fonctionnaires, magistrats et employés qui ne contribuent pas maintenant à ces caisses, seraient portés en recette au budget, au profit du trésor. »
Le ministre qui vous a présenté ce projet, ajoute que ce système est suivi dans presque tous les pays qui nous circonvoisinent, et que depuis 1829 il a été adopté en Angleterre.
A côté de ces avantages réels, on vous a dit encore que par la confusion des retenues à opérer sur les traitements avec les recettes de l’Etat, certains employés des finances étaient lésés dans leurs droits. Mais je pense que d’honorables préopinants ont démontré à l’évidence que cette lésion n’existe pas. On ne doit pas perdre de vue que, de la manière dont elles ont été organisées et vu le nombre considérable toujours croissant des employés qui y ont pris part, ces caisses de retraite n’ont pu suffire à elles-mêmes, et que la législature a dû leur accorder des subsides annuels.
Ainsi la suppression des caisses de retraite aura pour résultat de les libérer des sommes qu’elles devaient à l’Etat.
Avant de terminer ces observations, permettez-moi de vous faire connaître en peu de mots la législation projetée dans un pays voisin.
Le ministre des finances de France a présenté à la législature de 1840 un projet de loi sur les pensions. On y propose également la suppression des caisses de retraite au profit du trésor. D’abord on traite des pensions liquidées et à liquider pour les magistrats fonctionnaires et employés entrés en service avant la promulgation de la loi ;
En dernier lieu, des magistrats, fonctionnaires et employés en exercice lors de la promulgation de la loi ;
En dernier lieu, des magistrats, fonctionnaires et employés non encore en exercice.
A l’égard des deux premières catégories on déclare que la liquidation des pensions se fera dans les condition des règlements qui leur sont présentement applicables, et à l’égard des fonctionnaires non encore en exercice, le rapport porte qu’il sera formé dans les divers départements des caisses ou fonds de retraite, et que cette formation sera soumise au contrôle de l’administration publique.
Au point de vue pris par le législateur français, la création de ces caisses spéciales me paraît, à moi, extrêmement sage. Elle est d’ailleurs justifiée par les motifs suivants qui ont accompagné la présentation de ce projet :
« Ce n’est pas que, comme on l’a réclamé plusieurs fois, il ne soit pas possible d’instituer légalement une caisse générale de retraite, qui non seulement se passerait facilement de toute assistance politique, mais assurerait, à des conditions qui n’auraient rien d’onéreux, le sort de ceux qui contribueraient à la former. Des calculs exacts ont prouvé, en effet, que la réunion en une même masse du produit des retenues, sagement calculées ; que l’accumulation des intérêts pendant la période assez longue qui s’écoulerait avant que la caisse eût aucun payement à effectuer, et les bénéfices de tontine à réaliser par suite des extinctions et des éliminations qui auraient lieu, suffiraient pleinement pour créer des ressources bien supérieures aux besoins.
« Mais contre l’établissement unique d’une caisse générale s’élèvent des objections trop fondées et trop nombreuses pour que nous ayons cru devoir donner suite à cette idée. »
Ici, messieurs (dit l’orateur), je vais rencontrer une partie des objections présentées par l’honorable M. Fleussu.
« La condition première de toute institution de ce genre, c’est l’égalité des conditions. Il faut qu’aucun de ceux qui sont appelés à contribuer à la formation des fonds communs ne soit favorisé, et que tous aient des droits proportionnés à leurs apports. Or, cette égalité relative et de justice rigoureuse, seule base solide de toute association en tontine, est en réalité inadmissible dans une association formée de magistrats, de fonctionnaires, d’agents et d’employés, soumis à des conditions nécessairement différentes d’admission, d’avancement et de retraite. L’ordre judiciaire, les universités, dans lesquels sont et doivent être fréquemment appelés des hommes mûris par l’expérience, ne peuvent, dans l’intérêt du genre de service qu’ils rendent à la société, assujettir leurs membres à la même durée d’activités que les fonctionnaires des autres départements. On ne peut méconnaître encore que les magistrats sont fondés à réclamer pour eux et pour leurs veuves des dispositions exceptionnelles, et qu’un maximum de pension, basé uniquement sur leur traitement personnel, les laisserait privés des moyens de subvenir à leurs besoins. »
Vos voyez, messieurs, qu’une seule pensée semble dominer tout le projet qui a été présenté à la législature française. C’est le principe de la non rétroactivité de la loi et la conservation des droits acquis, avec formation de caisses spéciales pour une certaine catégorie de fonctionnaires. Je pense que ce système est préférable à celui qui est proposé par notre gouvernement.
Je livre, messieurs, ce peu d’observations à votre examen, et principalement à l’attention de ceux des membres de cette chambre qui se distinguent par leurs connaissances pratiques.
M. Dumortier – Messieurs, j’avais demandé la parole pour prier la chambre d’ajourner le vote sur cet article, jusqu’à ce que nous ayons réglé définitivement ce qui concerne les caisses de retraite. Car il ne faut pas que nous émettions un vote de principe sur lequel nous ne pourrions plus revenir, et que nous regretterions plus tard, si nous voulions apporter des modifications au système que nous aurions adopté. Il ne faut pas se lier sur ce que nous aurons à faire dans l’avenir.
Je ferai remarquer à l’assemblée que l’article en discussion prend une extension considérable par l’adjonction que le gouvernement propose et qui tend à supprimer aussi la caisse de retraite des employés du chemin de fer. Vous voyez, messieurs, que nous commençons à marcher dans un système singulièrement large.
Prenez-y garde. Nous faisons une loi qui aura un effet immense sur l’avenir financier du pays. Il importe de ne pas prendre de mesure sans en sonder toute l’importance, sans en calculer toute la portée.
J’ai déjà fait remarquer qu’un jour le chemin de fer donnera matière à une grande quantité de pensions. Appuyant mon opinion sur les observations qui vous ont été présentées par l’honorable M. de Villegas, il me paraît que loin d’adopter un système unique en matière de pensions, il serait bon de coordonner un système relatif à chaque département de l’administration générale.
Et en effet, vous avez entendu ce que vous a dit l’honorable M. Fleussu. Un fonctionnaire du département des finances n’a besoin d’aucune grande étude préalable. Il commencera à l’âge de 16 ou de 18 ans par être surnuméraire, et à 46 ans, il aura trente années de fonctions et par conséquent droit à la retraite ; tandis qu’à cet âge, il arrivera souvent qu’un fonctionnaire de l’ordre judiciaire ne commencera qu’à entrer en fonctions. Ainsi, l’un aura rempli la première condition de la pension, à l’époque où l’autre entrera en exercice.
Vous voyez donc qu’il n’est pas possible d’admettre de règle fixe. Sans cela, nous pourrions encore voir se reproduire cet abus par suite duquel des fonctionnaires très valides jouiraient de pensions considérables.
Car la condition de 60 ans d’âge n’est pas une condition obstative ; nous voyons accorder des pensions sans soixante ans d’âge ; nous connaissons beaucoup de cas où cet âge n’est pas nécessaire pour obtenir des pensions, et la preuve, c’est qu’après dix ans de service, en cas d’incapacité, on peut être mis à la pension.
Il importe donc de ne pas trancher de suite la question. Nous voici à l’heure où se terminent ordinairement nos séances. Il est bon d’examiner jusqu’à demain ce que nous aurons à faire sur cette grave matière. Mais, je le répète, il ne faut pas tout confondre, il pourrait en résulter du désordre pour le trésor.
Je signale l’opinion du ministre de France que le premier principe d’une caisse de retraite doit reposer sur l’égalité dans les emplois pour tous les fonctionnaires publics.
Or, cette égalité n’existe pas dans le projet de loi, puisque d’après ce projet, les fonctionnaires de certaines administrations auront des droits beaucoup plus considérables que les fonctionnaires de l’ordre judiciaire par exemple, que les membres du corps enseignent, je dirai même que les ecclésiastiques. En effet, on ne peut devenir prêtre qu’à l’âge de 25 ans, et les ecclésiastiques, ainsi que les fonctionnaires de l’ordre judiciaire et du corps enseignant ne peuvent exercer de fonction qu’après avoir consacré au moins dix ans à leurs études ; eh bien, messieurs, d’après le projet ces 10 années ne leur compteront pour rien.
Vous voyez donc, messieurs, que les fonctionnaires de l’ordre administratif, les fonctionnaires des finances, du chemin de fer auront un grand avantage sur d’autres catégories de fonctionnaires, et que dès lors, le projet ne consacre pas ce principe de l’égalité devant la loi qu’il importe avant tout de faire prévaloir.
Puisque j’ai la parole, je demanderai à M. le ministre des renseignements sur la caisse de retraite du département des finances.
Vous savez, messieurs, que d’après le règlement du roi Guillaume, il devait être opéré sur les traitements des fonctionnaires du département des finances une retenue de 5 p.c.
M. Jadot – C’est une erreur.
M. Dumortier – La retenue pouvait aller jusqu’à 5 p.c., or, comme la caisse de retraite était en déficit, la retenue devait nécessairement être portée au maximum, et dès lors elle devait être de 5 p.c. Je sais bien que la retenue n’était, il y a quelques années, que de 2 ½ p.c., mais comme on venait nous demander de pourvoir aux moyens d’assurer le service de la caisse de retraite, nous avons réclamé vivement que la retenue fût portée à 5 p.c. et cela a été fait. Néanmoins, nous avons voté chaque année une somme de 200,000 francs à titre d’avance pour la caisse de retraite, avance qui devait être remboursée au trésor lors de la conclusion d’un traité avec la Hollande.
Eh bien, messieurs, le dernier paragraphe de l’article en discussion est conçu comme suit :
« L’actif de ces caisses sera acquis au trésor public envers qui elles seront libérées des sommes qu’elles pourraient lui devoir. »
Je voudrais que M. le ministre des finances nous dît quelle somme il espère récupérer d’après cette disposition.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, il importe assez peu de savoir en quel moment l’on discutera l’article premier, ce n’est pas sur ce point que je compte répondre à l’honorable préopinant, mais il m’a semblé dire que la proposition faite par mon honorable collègue, le ministre des finances, va grever le trésor public d’un nouveau surcroît de charges, du chef de l’adjonction des employés de l’administration centrale du ministère des travaux publics et des employés du chemin de fer ; or, messieurs, il n’en est rien ; l’adjonction de ces employés ne se fera pas sans que l’on fasse en même temps l’adjonction de la caisse des veuves, qui a été instituée au mois de septembre 1838, de manière que s’il y a d’une part une charge nouvelle pour le trésor public, il y aura d’autre part un avantage qui compensera largement cette charge. Si vous voulez laisser l’administration des travaux publics et du chemin de fer en possession de la caisse qui a été instituée il y a deux ans, la chose pourrait se faire très simplement : l’administration des travaux publics et du chemin de fer n’aurait rien à demander au trésor public, mais nous avons pensé qu’il ne fallait pas laisser subsister d’exception dans une loi générale et qu’il fallait apporter au trésor public la caisse des veuves des employés des travaux publics et du chemin de fer.
Mais, je le répète, il n’y a pas en cela charge nouvelle pour le trésor. Les employés des travaux publics et du chemin de fer sont apparemment sur la même ligne que les autres fonctionnaires de l’Etat ; ils ont droit dès maintenant à une pension, en vertu de l’arrêté-loi du 14 septembre 1814 et ils ont ce droit sans être assujettis à une retenue quelconque sur leur traitement ; à l’avenir, ils subiront, comme tous les autres employés, la retenue fixée par l’article 3 du projet en discussion.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – L’honorable M. Dumortier a demandé l’ajournement du vote sur l’article premier ; il allègue que je viens de donner quelqu’extension à cet article ; je ne puis pas admettre que mon amendement donne une extension quelconque au projet ; bien au contraire, ce que je propose c’est de faire rentrer dans la caisse de l’Etat les fonds de la caisse des veuves des employés de l’administration des travaux publics et du chemin de fer, et rien de plus ; car en ce qui concerne le droit à la pension, ainsi que mon honorable collègue vient de le rappeler, ce droit existe pour les employés dont il s’agit comme pour tous les autres employés de l’Etat.
Quant à l’encaisse de la caisse de retraite du département des finances, le chiffre en est encore discuté à la commission d’Utrecht ; il m’est donc impossible de faire connaître ce chiffre ; mais tel que nous le récupérerons, tel cet encaisse sera versé dans les caisses de l’Etat.
M. le président – Voici divers amendements qui sont parvenus au bureau :
Amendement de M. Verhaegen
« J’ai l’honneur de proposer comme amendement à l’article 12 : « Pour ce qui concerne les membres de l’ordre judiciaire, elles sont réglées, pour chaque année d’exercice, à raison de 1/50 de l’année moyenne. » »
Amendement de M. Jadot
« Les fonctionnaires, agents et employés des finances, en exercice lors de la promulgation de la présente loi, qui, ayant concouru à la formation de la caisse de retraite, auront été soumis à des retenus sur leurs traitements, continueront à être admis à la pension et liquidés dans les conditions des règlements qui leur sont présentement applicables.
« Il en sera de même, dans les cas prévus par les règlements, à l’égard des veuves et orphelins. »
Amendement de M. Donny
« Je propose de terminer l’article 49 ancien (54 nouveau) par le paragraphe final suivant : « Ils pourront de plus assurer la pension à leur veuve ou enfants mineurs, pour le cas de décès avant l’accomplissement de la dixième année de service, en déclarant, dans le délai fixé ci-dessus, qu’il se soumettent : 1° A une contribution supplémentaire d’un demi pour cent de leur traitement pour les services antérieurs à la promulgation de la loi ; 2° A une retenue extraordinaire de pareille quotité à percevoir pendant tout le temps qui s’écoulera jusqu’à l’accomplissement des dix ans de service. »
Amendement de M. Dumortier
« Je demande qu’il soit formé, dans chaque ministère, une tontine, pour pourvoir aux pensions de retraite des personnes qui, jusqu’ici, n’ont pas droit à la pension ou qui seront à l’avenir investies de fonctions publiques. »
- Ces amendements sont renvoyés à l’examen de la section centrale.
M. Doignon – M. de Villegas a cité la loi française sur les pensions, je pense qu’il serait utile, pour éclairer la discussion, d’insérer cette loi dans le Moniteur de demain.
M. B. Dubus (questeur) – Messieurs, cette loi est très longue et il faudra d’abord la copier de sorte qu’il n’est pas certain qu’elle puisse être insérée au Moniteur de demain.
M. le président – MM. les questeurs pourront prendre les mesures nécessaires pour que la loi dont il s’agit soit insérée au Moniteur le plus tôt possible.
- La séance est levée à 4 heures ¾.