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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 22 décembre 1840

(Moniteur belge n°358 du 23 décembre 1840)

(Présidence de M. de Behr, vice-président)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à 2 heures.

M. de Villegas lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse communique à la chambre les pièces de la correspondance.

« Le sieur J.-B Helsner, musicien au 7e régiment de ligne, né à Alexandrie, et entré au service de Belgique en 1830, demande la naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Joseph-Godefroid baron de Holling, lieutenant-colonel au régime d’élite en garnison à Bruxelles, né en Prusse, et étant depuis 1814 au service des Pays-Bas et de la Belgique, demande la naturalisation. »

- Même décision.


« Le sieur Casimir de Bondt, ex-milicien de 1836, congédié par suite d’infirmités corporelles, gagnées au service, demande une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur P.-L Bonne, milicien de 1838, se plaint d’une décision ministérielle qui l’oblige à fournir un second remplaçant ou à servir en personne, son premier remplaçant ayant été renvoyé pour idiotisme. »

- Même décision.


« Le sieur Dumont-Francotte, négociant à Liége, demande qu’il soit fait un traité de commerce avec la Hollande qui rétablisse les relations avec les parties cédées du Limbourg et du Luxembourg, et s’oppose à toute augmentation de droits sur les cafés, sucre et tabacs. »

M. Delfosse – Messieurs, la pétition de M. Dumont-Francotte a deux objets. Il demande d’abord qu’on cherche à rétablir, à l’aide d’un traité de commerce avec la Hollande, les relations commerciales qui existaient entre la Belgique et les parties cédées. Il demande ensuite qu’on rejette l’augmentation de droit proposé sur les cafés, sucres et tabacs.

Sous le premier rapport, la pétition doit être renvoyée à la commission des pétitions ; sous le second rapport, elle doit être envoyée à la section centrale chargée de l’examen du budget des voies et moyens. Je demande ce double renvoi.

- Cette proposition est adoptée.


M. le président– Le bureau a nommé M. d’Hoffschmidt en remplacement de M. Heptia, en qualité de membre de la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif à la séparation des deux sections de la commune de Tourinnes-Beauvechain.

Projet de loi qui fixe le contingent de l'armée pour 1841

Rapport de la section centrale

Projet de loi qui ouvre au ministère de la guerre un crédit provisoire de 5,000,000 fr.

Rapport de la section centrale

M. de Puydt – Messieurs, la section centrale du budget de la guerre m’a chargé de vous présenter le rapport sur deux projets de loi qui lui ont été renvoyés dernièrement. L’un a pour objet de fixer le contingent de l’armée pour l’exercice de 1841 à 80,000 hommes. La section centrale, par les considérations émises par le gouvernement en faveur de cette demande, vous propose d’adopter la loi dans les termes dans lesquels elle vous a été présentée par le gouvernement.

Le second projet a pour objet d’accorder au département de la guerre un crédit provisoire de 5 millions de francs pour les besoins du service pendant les deux premiers mois de l’année 1841.

La section centrale du budget de la guerre a commencé ses travaux, mais elle ne prévoit pas qu’elle puisse vous présenter son rapport sur ce budget avant les premiers jours du mois prochain ; elle attend en ce moment les renseignements qui ont été demandés au département de la guerre, en réponse à de nombreuses observations faites par les sections, et ce sera seulement quand elle sera saisie de ces renseignements qu’elle pourra reprendre ses travaux.

Dans cet état de choses, la section centrale vous propose d’adopter purement et simplement la demande d’allocation, faite par le département de la guerre, d’un crédit provisoire de 5 millions de francs pour les besoins du service pendant les deux premiers mois de l’année 1841.

M. le président – Demande-t-on l’impression de ces rapports ?

M. Delehaye – Je la propose. Il me semble que la demande d’une armée de 80,000 hommes vaut bien que la chambre l’examine avec soin ; pour que nous puissions l’examiner avec soin, il faut que nous ayons sous les yeux le rapport de la section centrale.

M. de Puydt, rapporteur – Je demande au contraire que la chambre vote sur le projet séance tenante, parce qu’il me semble que les questions qu’il soulève sont extrêmement simples, et qu’il suffira de quelques mots d’explication pour faire comprendre à l’honorable M. Delehaye que l’armée de 80,000 hommes qu’on demande existe déjà.

On ne vous demande pas une chose que vous n’avez pas. En effet c’est extrêmement simple : le temps de service de nos miliciens est de 8 années, dont une partie est en service actif, une partie dans la réserve, et une autre en congé illimité.

Le contingent annuel est de 10,000 hommes : cela fait 80,000 hommes pour les 8 années de services. M. le ministre de la guerre a le droit de mettre sous les armes 80,000 hommes si les circonstances l’exigeaient, s’il fallait pourvoir à la sûreté du pays. Ainsi, le gouvernement ne vous demande pas quelque chose de nouveau.

La proposition du gouvernement a plutôt un caractère politique : elle a pour but de faire comprendre au pays et à l’extérieur que la Belgique peut disposer d’une armée de 80,000 hommes. C’est là le principal caractère de la proposition.

M. Delehaye – Messieurs, je ne prétends pas combattre les raisons qui viennent d’être présentées par l’honorable rapporteur ; je n’ai pas examiné la question. Mais venir prétendre qu’il faille voter une armée de 80,000 hommes, parce que cette armée existe déjà ; c’est là un argument qui n’est pas exact. Il est si vrai que cette armée n’existe pas, que l’on doit venir nous en faire la demande. Le contingent de l’armée n’était pas aussi élevé pour l’exercice courant.

Comme j’ai déjà eu l’honneur de le dire, au moyen de la neutralité forte dont on a déjà tant parlé, on veut imposer au pays des sacrifices considérables ; or, avant de donner mon assentiment à ces mesures, il faut que nous ayons le temps d’examiner. Je ne dis pas que les raisons données par l’honorable M. de Puydt ne soient pas fondées ; mais nous qui n’avons pas examiné la question en détail, comme la section centrale, il nous est impossible d’émettre un vote à cet égard en parfaite connaissance de cause. Je demande donc qu’on nous laisse le temps d’examiner la question.

M. de Puydt, rapporteur – C’est une simple mesure d’ordre qui n’impose aucun sacrifice extraordinaire au pays ; cela ne doit exercer aucune influence sur le budget : ce budget restera tel qu’il est. Sur cette quotité de 80,000 hommes dont le gouvernement pourra disposer, si la nécessité l’exige, il n’y a que le tiers qui se trouve en solde d’après le budget. Cela ne porte donc aucune atteinte à la dépense.

M. Delfosse – Messieurs, j’appuie les observations de l’honorable M. Delehaye ; il me semble que l’affaire est assez importante pour n’être pas discutée séance tenante. Je demande au moins la remise à demain.

M. Delehaye – Messieurs, l’argument que l’honorable M. de Puydt vient de présenter n’est pas admissible ; il vous a dit qu’en mettant à la disposition du gouvernement une armée de 80,000 hommes, vous ne donnez pas en même temps les fonds pour les entretenir ; cela est vrai à la rigueur : mais ne comprend-on pas que si la chambre accordait aujourd’hui au gouvernement une armée de 80,000 hommes, elle ne pourrait, sans se montrer inconséquente, se dispenser de voter plus tard les fonds nécessaires pour cette armée ? La question est donc très grave et il faut que nous ayons le temps de l’examiner.

M. Brabant – Messieurs, l’honorable M. Delehaye, appuyé par l’honorable M. Delfosse, demande l’impression du rapport et la remise de la discussion à demain pour avoir le temps d’examiner la proposition. Mais, messieurs, le rapport que vient de faire l’honorable M. de Puydt ne contient aucun renseignement qui ne se trouve déjà dans l’exposé des motifs du gouvernement. M. le ministre de la guerre vous a dit qu’en présence des circonstances générales et des éventualités qu’elles peuvent amener, le gouvernement a cru devoir élever le contingent de l’armée à 80,000 hommes pour 1841, tandis que celui de 1840 n’était que de 50,000 hommes.

La crainte manifestée par les honorables préopinants porte particulièrement sur les conséquences que doit avoir, quant au budget, le contingent de 80,000 hommes. Eh bien, les précédents sont là pour donner les apaisements les plus complets à ces honorables membres. Le projet de budget présenté par M. le ministre de la guerre, à l’exception des officiers de l’état-major, dont je n’ai pas fait le relève, ne propose des fonds que pour 2,625 officiers de troupes, et pour 29,764 sous-officiers et soldats à tenir sous les armes pendant toute l’année, ainsi que pour 9,000 hommes d’infanterie à réunir pendant dix jours.

L’année dernière, le budget a été calculé pour 2,726 officiers à 34,035 sous-officiers et soldats et 13,000 hommes d’infanterie, réunie pendant 10 jours ; et cependant la chambre a voté, sans la moindre difficulté, un contingent de 50,000 hommes. Depuis la révolution, au moins à partir de 1832, vous avez constamment voté un contingent de 120,000 hommes. Eh bien, immédiatement après la convention du mois de mai 1833, l’effectif de l’armée a été considérablement réduit et je ne crois pas qu’il y ait un seul budget qui ait porté plus de 45,000 hommes en solde sur les 110,000 hommes portés dans la loi de contingent. L’année dernière, les mêmes craintes ont été manifestées, et la chambre a eu ses apaisements sur ce point.

M. Delfosse – Messieurs, je ne veux contester aucune des observations qui viennent de vous être soumises par l’honorable M. Brabant. Je n’ai pas dit que je m’opposerais au projet, j’ai seulement dit que je désirais l’examiner. Puisque le rapport ne contient rien que ce qui se trouve dans l’exposé des motifs du projet du gouvernement, je n’insiste pas pour l’impression du rapport, mais j’insiste pour la remise de la discussion à demain.

M. Delehaye – Je me rallie à cette proposition.

- La chambre consultée décide qu’elle s’occupera, séance tenante, des deux projets de loi sur lesquels M. de Puydt vient de présenter un rapport.

Projet de loi qui fixe le contingent de l'armée pour 1841

Discussion des articles et vote sur l'ensemble

Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, on passe à la discussion des trois articles du projet de loi qui sont adoptés sans discussion en la teneur suivante :

« Art. 1er. Le contingent de l’armée, pour 1841, est fixé au maximum de quatre-vingt mille hommes.


« Art. 2. Le contingent de la levée de 1841 est fixé à un maximum de dix mille hommes qui sont mis à la disposition du gouvernement.


« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1841. »


On procède à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi.

Le projet est adopté à l’unanimité des 63 membres qui ont pris par au vote.

Il sera transmis au sénat.

Les membres qui ont pris par au vote sont :

Ce sont : MM. Brabant, Buzen, Cogels, Cools, Coppieters, David, de Behr, Dedecker, de Florisone, de Foere, de Garcia de la Vega, de Meer de Moorsel, de Nef, de Potter, de Puydt, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Doignon, Dolez, Donny, Dubois, Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Hye-Hoys, Kervyn, Lange, Lebeau, Leclercq, Liedts, Lys, Mast de Vries, Mercier, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Pirmez, Pirson, Puissant, Raikem, Raymaeckers, Rodenbach, Scheyven, Sigart, Simons, Trentesaux, Troye, Ullens, Van Cutsem, Vandenbossche, Vandenhove, Van Hoobrouck de Fiennes, Vilain XIIII, Wallaert et Zoude.

MM. Delehaye et Delfosse qui se sont abstenus, sont invités à énoncer les motifs de leur abstention.

M. Delehaye – Je me suis abstenus parce que j’ai pensé que la loi qui nous était soumise était asez importante pour mériter un examen.

M. Delfosse – Je me suis abstenu par les mêmes motifs.

M. le président – Nous passons au second projet.

Projet de loi qui ouvre au ministère de la guerre un crédit provisoire de 5,000,000 fr.

Discussion générale

Le projet de loi est ainsi conçu :

« Art. 1er. Il est ouvert au ministère de la guerre un crédit provisoire de cinq millions de francs (fr. 5,000,000), à valoir sur les dépenses de l’exercice 1841. »

« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »

M. Delehaye – Messieurs, dans la section à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, j’ai émis l’opinion que dans l’état actuel de la Belgique, avec le régime de neutralité auquel elle est soumise. Il importait que le budget de la guerre n’absorbât pas une partie aussi considérable de nos finances. Il m’a paru, en faisant une comparaison avec d’autres Etats, que quand la Belgique aurait sous les armes 20,000 hommes, ce serait plus que suffisant. La Belgique étant soumise, comme je l’ai dit, à un état de neutralité, se trouve dans une position plus avantageuse que d’autres Etats d’une population égale à la sienne et jouissant de ressources supérieures.

J’ai comparé avec la Belgique la Sardaigne qu a une population plus forte, qui, comme la Belgique, et convoitée d’un côté par la France et de l’autre par l’Autriche, et qui cependant à une armée moins forte. Cette comparaison m’a conduit à proposer de réduire le chiffre demandé par M. le ministre de la guerre pour son département. Je sais que le crédit provisoire de 5 millions ne détruit pas mon opinion, cependant il pourrait impliquer un préjugé favorable à la demande de M. le ministre de la guerre.

On dit que ces 5 millions sont destinés à faire face aux dépenses des premiers mois de l’année. Je pense qu’en prenant le terme le plus rigoureux, cela comprend les mois de janvier et février. Deux mois sont le sixième de l’année. Or, si 5 millions sont le sixième de la dépense, vous aurez pour toute l’année un budget de 30 millions. Or, il est impossible que la Belgique avec une pareille dépense puisse conserver longtemps l’équilibre entre les recettes et les dépenses.

Déjà, nous avons voté plusieurs budgets et les économies introduites sont tellement minimes qu’elles ne méritent aucune considération. Le budget de la guerre seul permettait de faire des économies réelles. En adoptant la proposition de n’accorder que 25 millions, on donnait au gouvernement les moyens d’avoir une armée aussi forte que celle de la Sardaigne, une armée de 25,000 hommes ; avec cette somme l’Angleterre entretiendrait une armée de 25,000 hommes composée d’infanterie, de cavalerie, d’artillerie et ce pays est de toute l’Europe celui qui paie le plus chèrement l’armée.

Je crois même qu’on pourrait sans danger réduire le chiffre de notre armée à 20,000 hommes. Je ne m’attendais nullement à ce que séance tenante et sans que l’ordre du jour l’indiquât, on s’occuperait de la fixation du contingent de l’armée et du crédit provisoire demandé pour le département de la guerre. Si j’avais eu le temps de les examiner attentivement, je leur aurais peut-être donné mon assentiment. Quant au premier, j’ai dû m’abstenir ; quant au second, d’après l’examen que j’ai fait de quelques détails, je serai forcé de refuser mon vote.

M. Mast de Vries – Je demande la parole pour répondre quelques mots à ce qu’a dit M. Delehaye sur le nombre de mois dont le crédit demandé doit couvrir la dépense. Il vous a dit que le gouvernement, en dépensant la somme en deux mois, serait dans les termes de la loi, parce que deux mois sont plusieurs mois. Je lui ferai observer que si le crédit devait servir pour trois mois, il en résulterait que le budget ne devrait être que de 20 millions. Or, de toutes les sections il n’en est pas une qui soit descendue à ce chiffre. Je ferai tout ce qui dépendra de moi pour réduire les dépenses du département de la guerre, mais jamais je ne proposerai de réduire ce budget à 20 millions.

Le crédit de 5 millions est demandé pour plusieurs mois, ce sera entre deux et trois mois, c’est tout ce que nous pouvons raisonnablement exiger.

M. Delehaye – J’ai dit que si le gouvernement dépensait le crédit demandé en deux mois, nous n’aurions aucun reproche à lui adresser, la loi portant que c’est pour faire face aux dépenses des premiers mois de l’année. Je vous le demande, entre-t-il dans votre manière de voir que le département de la guerre absorbe 5 millions en deux mois ? Je sais qu’il pourra ne les dépenser qu’en trois mois, mais d’après les termes de la loi il peut également les dépenser en janvier et février.

M. Delfosse – Messieurs, je voterai pour le crédit provisoire qui nous est demandé par M. le ministre de la guerre, parce qu’il n’y a pas moyen de faire autrement. J’aurais comme d’autres, beaucoup de choses à dire sur le chiffre de notre armée et sur la dépense qu’elle doit occasionner, mais je crois que le moment n’est pas venu. Je me bornerai aujourd’hui à exprimer le vœu que l’on ne nous mène pas comme l’année dernière de crédits provisoires en crédits provisoires. J’espère que la section centrale sentira la nécessité de presser son travail et que M. le ministre de la guerre s’empressera de lui fournir tous les renseignements dont elle peut avoir besoin.

M. Rodenbach – La section centrale du budget de la guerre a travaillé avec beaucoup d’activité pendant huit ou dix jours. Nous avons analysé tous les procès-verbaux des sections, nous avons demandé des renseignements à M. le ministre de la guerre, et avant que ces renseignements nous soient parvenus, nous ne pouvons pas continuer.

Comme l’a dit M. Mast de Vries, on ne nous demande que cinq millions de crédit provisoire, et en admettant que l’armée ne soit pas plus forte, que ne le demande le député de Gand, ce n’est pas trop. Le ministre ne dit pas que cette somme sera dépensé en deux mois.

Nous avons l’exemple de l’économie faite l’année dernière par M. le ministre de la guerre. Quand les ministres font des économies il faut bien le reconnaître. J’espère qu’avec les cinq millions demandés il pourra bien marcher plus de deux mois.

Le budget de la guerre sera discuté à notre rentrée après les vacances de janvier, les deux mois ne seront pas écoulés, et si la chambre veut en fixer le chiffre au-dessous de 30 millions, à 28 millions comme quelques sections l’ont demandé, rien ne nous empêchera de le faire. Nous ne risquons donc rien à voter ces cinq millions demandés.

M. de Puydt – Les renseignements demandés au ministre de la guerre sont le résultat d’observations extrêmement nombreuses, faites par les sections ; il n’est pas étonnant dès lors qu’il se soit écoulé un délai assez long avant de recevoir ces renseignements. Aussitôt qu’ils nous seront parvenus, le travail de la section centrale sera assez avancé pour que la section centrale terminé son examen dans un temps très court et puisse présenter son rapport dans le commencement de janvier.

Je ne puis pas laisser sans réponse une comparaison qu’on a faite entre l’armée belge et celle d’une autre puissance. On a parlé de la Sardaigne qui, dit-on, a une population plus forte que la nôtre, de plus grandes ressources et n’a cependant qu’une armée de 25 mille hommes, au plus. La Sardaigne a une armée de 25 mille hommes sur le pied de paix. Nous ne savons pas à quel chiffre elle serait portée en cas de guerre, cela dépendrait de la volonté du souverain, car il y a en Sardaigne un gouvernement absolu. Nous ne devons considérer l’armée de la Sardaigne que comme une armée de paix. Il faut ensuite faire attention que la Sardaigne n’est pas dans la même position que nous, elle n’a pas vingt places fortes à garder et un devoir de neutralité à remplir, devoir qui nous est imposé par notre condition politique et par nos besoins à nous.

L’armée belge a un maximum de 80,000 hommes. Voyez les détails du budget, et rappelez-vous ce que vient de dire l’honorable M. Brabant, et vous ne douterez pas que nous avons à peine 25,000 hommes en solde. Sous ce rapport, nous sommes dans la même condition que la Sardaigne. Mais le gouvernement belge prévoir qu’en cas de guerre il peut y avoir lieu à porter notre armée à 80,000 hommes. Ce n’est qu’une mesure de prévoyance. Mais notre situation rend cette mesure nécessaire.

M. le ministre de la guerre (M. Buzen) – Je suis prêt à fournir à la section centrale demain ou après-demain les renseignements qu’elle m’a demandés Ainsi, comme l’a dit l’honorable M. de Puydt, on pourra arrêter le rapport sur le budget de la guerre dans les premiers jours du mois prochain.

M. Delehaye – L’honorable M. de Puydt envisage notre neutralité comme une source de dépenses. (Dénégations de la part de M. de Puydt.)

Je me rappelle que dans la discussion des 18 articles on a présenté notre neutralité comme devant limiter nos dépenses en ce qu’elle devait nous mettre à même d’avoir une armée moins forte. Nous devrons, dit l’honorable membre, défendre notre neutralité. Mais si nous devons la défendre, quel avantage offre-t-elle ? Atteinte à l’indépendance d’une nation, la neutralité ne trouve sa justification que dans les économies qu’elle permet de faire.

Il nous faut, dit-on, une armée pour défendre nos vingt places fortes. Mais, pour bien garder vos vingt places fortes, il vous fait une armée de 100,000 hommes. Et quand vous aurez disséminé cette armée dans vos vingt places fortes, quelle sera votre attitude dans vos places qui ne sont pas fortes ? Quels moyens de défense aurez-vous, en Belgique, où il n’y a ni garde civique, ni garde nationale ? Car l’honorable M. de Puydt, qui a en cette matière des connaissances spéciales, ne contestera pas que ce n’est pas trop de 100,000 hommes pour garder vingt places fortes.

Cet honorable membre a parlé de la Sardaigne, qui a une armée de 20,000 hommes en temps de paix. Mais nous ne sommes pas dans la même position que ce pays, où il y a des éléments de désordre qui n’existent pas dans le nôtre. Ainsi il y a en Belgique un grand nombre de sujets du gouvernement sarde, qui ont été obligés d’émigrer pour opinions politiques, tandis que vous ne trouvez pas à l’étranger des Belges qui aient été obligés d’émigrer. Des maisons puissantes, des familles très riches, qui ont vu émigrer plusieurs de leurs membres, ne peuvent conserver pour le gouvernement des sentiments de bienveillance. Malgré ces éléments d’opposition, une armée de 20,000 hommes suffit à la Sardaigne en temps de paix. Une armée du même chiffre doit donc être plus que suffisante en Belgique.

M. Pirson – Le vote que vous venez d’émettre est un vote de confiance pour le ministère ; celui que vous avez à émettre sur le projet de loi en discussion est également un vote de confiance. Je crois que nous n’avons pas jusqu’à présent à nous repentir de la confiance que l’assemblée et le pays ont accordée à M. le ministre de la guerre, qui l’an dernier a eu un vote de confiance global. Cependant j’ai une observation à lui fait qui tend aux économies, économies qu’il a commencées, mais qui n’ont pas toutes été réalisées.

Lorsqu’il a été question non seulement de sauver notre indépendance, mais encore de conserver notre territoire, nous avons fait de grands frais en pure perte. Ceux qui ont fait ces dépenses n’ignoraient pas qu’elles étaient faites en pure perte ; en effet, s’ils avaient cru que nous devions à cette époque nous servir de nos forces militaires, n’auraient-ils pas commencé par mettre à la pension ou en non-activité des militaires de haut grade qui n’étaient pas du tout en état de commencer une campagne ?

Nous ne sommes pas à la veille de commencer une campagne ; mais puisque nous donnons au gouvernement un vote de confiance, en lui donnant, dans la prévision des éventualités de guerre le pouvoir de porter l’effectif de notre armée à 80,000 hommes, nous devons lui recommander toutes les économies qui seraient possibles dans le cas où cette éventualité viendrait à se réaliser. Je leur recommande donc de mettre, dans ce cas, en non-activité des officiers d’un haut grade, qui, si notre neutralité était violée, seraient plutôt un obstacle qu’un soutien pour la défendre, et de remplacer, par intérim, ces officiers par d’autres d’un grade inférieure, qui seront ainsi mis à l’épreuve.

M. de Puydt – Il est fort inutile de prolonger ce débat. Cependant je ne veux pas qu’on se méprenne sur le sens de mes paroles. Je n’ai pas dit que la neutralité occasionnait des dépenses, puisque j’ai prouvé que nous n’avions pas une armée proportionnellement plus forte que les autres nations. Mais j’ai dit qu’en cas de guerre, ce pouvait être une nécessité pour nous d’avoir une armée plus forte que d’autres nations. Personne ne prétendra que notre armée peut rester, en cas de guerre, limitée à 25,000 hommes. Si nous avions la guerre, je crois que personne d’entre vous n’hésiterait à porter notre armée non pas seulement à 80,000 hommes, mais à 150,000, pour maintenir notre nationalité. (Réclamations de la part de quelques membres.)

Si vous êtes disposés à sacrifier la qualité de Belge pour quelques hommes, c’est votre affaire. Mais je crois que la majorité n’hésitera pas. Et je dis qu’en cas de guerre nous ne pouvons avoir la prétention de nous défendre avec moins de 80,000 hommes.

M. Manilius – Je voterai aussi le chiffre de cinq millions de francs ; non que je considère ce chiffre comme un chiffre normal. Mais je suis convaincu que M. le ministre de la guerre fera qui dépendra de lui pour introduire des économies. Et quand même les 5 millions seraient dépensés dans les deux premiers mois de l’année comme le craint l’honorable M. Delehaye, ce ne serait pas une raison pour que les dépenses eussent lieu sur le même pied pendant le reste de l’année.

Par ces motifs, je crois et j’espère que la chambre croira qu’il y a lieu d’adopter le projet de loi.

Discussion des articles et vote sur l'ensemble

Les deux articles du projet de loi sont successivement mis aux voix et adoptés.

Il est procédé à l’appel nominal sur l’ensemble du projet de loi, en voici le résultat :

68 membres sont présents.

66 votent pour l’adoption.

2 (MM. de Foere et Delehaye) votent contre.

La chambre adopte.

Ont voté pour l’adoption : MM. Brabant, Buzen, Cogels, Cools, Coppieters, David, de Behr, Dedecker, de Florisone, de Garcia de la Vega, de Langhe, Delfosse, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Potter, de Puydt, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Doignon, Dolez, Donny, B. Dubus, Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Hye-Hoys, Kervyn, Lange, Lebeau, Leclercq, Liedts, Lys, Maertens, Manilius, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Nothomb, Peeters, Pirmez, Pirson, Puissant, Raymaeckers, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Simons, Smits, Trentesaux, Troye, Ullens, Van Cutsem, Vandenbossche, Vandenhove, Vilain XIIII, Wallaert et Zoude.

Projet de loi qui ouvre un crédit provisoire au budget du ministère de l'intérieur

Dépôt

M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) présente un projet de loi de crédit provisoire pour le département de l'intérieur.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce projet de loi et le renvoie à la section centrale chargée de l’examen du budget de l’intérieur.

Projet de loi qui ouvre un crédit provisoire au budget du ministère des travaux publics

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – J’ai l’honneur de présenter un projet de loi pour le service de mon département pendant les deux premiers mois de l’exercice 1841. Ce projet de loi est accompagné d’un tableau qui reproduit les divers articles du budget sur lesquels une imputation est proposée jusqu’à concurrence de deux douzièmes. On s’est abstenu de proposer des allocations sur des articles nouveaux et sur les articles où il y a des augmentations de dépenses. De telle manière qu’il n’y a rien de préjugé.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce projet de loi et le renvoie à la section centrale chargée de l’examen du budget des travaux publics.

Projet de loi portant prorogation de la loi sur les concessions de péages

Rapport de la section centrale

Projet de loi qui porte un transfert au budget des travaux publics, exercice 1840

Rapport de la section centrale

M. Cools présente deux rapports de la section centrale des travaux publics, le premier sur le projet de loi relatif aux concessions de péages, le second sur un projet de loi de transfert pour le service du chemin de fer.

Ces deux rapport seront imprimés et distribués. La chambre en fixe la discussion à demain.

Projet de loi portant le budget (transitoire des voies et moyens de l'exercice 1841

Rapport de la section centrale

M. Jadot donne lecture du rapport de la section centrale sur le budget transitoire des voies et moyens.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution, et sur la proposition de M. le ministre des finances, en fixe la discussion à demain.


M. Jadot dépose ensuite le rapport sur le budget des voies et moyens, présenté primitivement par le gouvernement.

- L’impression et la distribution est ordonnée.

Projet de loi par laquelle les sections d'Ucimont et Botassart sont séparées de la commune de Sansanruth et érigées en commune distincte sous le nom d'Ucimont

Rapport de la commission

M. d’Hoffschmidt présente un rapport de la commission qui a été chargée d’examiner le projet de loi tendant à la séparation des communes d’Ulumont et Botassart et celle de Sansarath.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l'exercice 1841

Discussion du tableau des crédits

Chapitre VIII. Cultes

Articles 2 à 4

La chambre en est restée hier à l’article 2 du chapitre VIII – Cultes.

Elle adopte successivement, sans aucune discussion, les trois articles suivants :

« Art. 2. Culte protestant : fr. 55,500. »


« Art. 3. Culte israélite : fr. 11,000. »


« Art. 4. Secours : fr. 100,000. »

Chapitre IX. Etablissements de bienfaisance

Articles 1 à 3

« Art. 1. Frais d’entretien et de transport des mendiants et insensés, dont le domicile de secours est inconnu : fr. 15,000. »

- Adopté.


« Art. 2. Subsides à accorder extraordinairement à des établissement de bienfaisance et à des hospices d’aliénés : fr. 125,000. »

- Adopté.


« Art. 3. Pour avances à faire au nom des communes, à charge de remboursement de leur part, au dépôt de mendicité établi aux colonies agricoles : fr. 48,047. »

- Adopté.

Article 4

La chambre passe à la discussion de l’article 4.

« Art. 4. Subsides pour les enfants trouvés et abandonnés sans préjudice du concours des communes et des provinces : fr. 175,000. »

M. Doignon – A l’occasion de cet article, j’appellerai l’attention ou plutôt les méditations de M. le ministre de la justice sur une question de la plus haute importance, je veux parler de la question des enfants trouvés.

Convient-il d’amener successivement par degrés la suppression des tours dans nos provinces ? M. le ministre Ernst était de cet avis. Il était pour la suppression des tours, et y engageait autant que possible.

En France, messieurs, depuis bien longtemps on a été effrayé des conséquences du système des tours. Le nombre des enfants déposés est devenu si considérable, la dépense qui en résulte est devenue tellement exorbitante, que partout elle absorbe une majeure partie des ressources départementales.

Croyant remédier à ce mal l’on a adopté le système de permutation des enfants de département à département. Mais bientôt on devra renoncer à ce système.

En Angleterre les tours on été supprimés depuis vingt-cinq ans. On a regardé cette institution comme le fruit de ces idées philanthropiques tout à fait mal entendues, mal calculées dans l’intérêt social. On a reconnu que les hospices des enfants trouvés n’étaient, selon l’expression de lord Brougham, que des hospices de bâtards.

On a dit à tort qu’il y avait plus d’infanticides là où il n’y avait pas de tours. Les statistiques nous prouvent le contraire. En effet, l’établissement des tours favorise plus ou moins l’immoralité, et l’immoralité vous le savez engendre les grands crimes.

L’intérêt de l’humanité demande aussi cette suppression. Il est constant qu’on voit mourir un nombre considérable de ces enfants, parce qu’ordinairement ils sont confiés à des mains mercenaires, et périssent à défaut de soins maternels.

On prétendu aussi que les tours empêchaient les infanticides. Je pense qu’on se trompe. Lorsqu’une mère est assez dénaturée pour se décider à ôter la vie à son enfant, les tours ne l’arrêtent pas. Quel est en effet le motif qui porte une mère à commettre ce crime ? N’est-ce pas parce qu’elle veut absolument cacher sa faute à tous les regards, ensevelir sa bonté dans les ténèbres ? Eh bien, messieurs, dans une pareille position une mère n’aura aucun égard aux tours. Car pour y faire déposer son enfant il faut nécessairement qu’elle confie son secret à un tiers qui se charge d’y porter son enfant. Il faut nécessairement violer son secret, et c’est précisément ce qu’elle ne veut pas.

Le meilleur système, à mon avis, est celui qui tend à rapprocher l’enfant de sa mère, et lui donner ainsi certains liens de famille. C’est ce système qui existe dans nos Flandres, où en général il n’y a pas de tours. Là généralement les mères sont portées à retenir leurs enfants près d’elles, et elles y sont d’autant plus portées, qu’on a soin de distribuer des secours convenables avec prudence et discrétion.

J’engage M. le ministre à examiner mûrement cette grave question.

M. Dolez – Messieurs, en demandant la parole, il n’entre pas dans ma pensée de m’opposer à la motion de l'honorable M. Doignon. Comme lui je crois qu’il est nécessaire que le gouvernement apporte des modifications dans le système des tours.

Mais si je partage la pensée de l’honorable M. Doignon sur ce point, je ne puis la partager sur les motifs qui la lui dicte. Je crois, quant à moi, que s’il importe d’examiner la question de la suppression des tours, c’est particulièrement au point de vue des finances commerciales, parce que dans nos provinces il est des villes qui supportent toutes les charges des tours, tandis que d’autres en sont complètement exemptes.

Mais au point de vue moral, au point de vue humanitaire, je me prononce de toutes mes forces contre les principes de l’honorable M. Doignon. Et qu’il me soit permis de rappeler un fait dont la ville a été le théâtre. Il y a deux ans, je pense, une malheureuse avait été chargée par plusieurs mères de porter les enfants qu’elles avaient mis au monde en secret dans une ville éloignée, parce qu’à Tournay, il n’existait pas de tour. Savez-vous quelle a été l’horrible spéculation que l’absence d’un tour a inspirée à cette femme ? Pour s’épargner les frais du voyage, elle tuait les malheureuses victimes qui lui étaient confiées. S’il eût existé un tour à Tournay, probablement cette femme n’aurait pas conçu cette pensée et aurait exécuté le mandat qui lui avait été donné, non en donnant la mort à ces malheureux enfants, mais en les portant à l’hospice.

L’honorable membre a invoqué l’exemple des Flandres. J’entends dire, ce que j’ignorais, qu’il existe un tour à Gand, et, sous ce rapport, les assertions de l’honorable M. Doignon ne sont pas fondées en fait. Mais en admettant comme exactes les conséquences qu’il en tirait, ce que je dis n’en serait pas moins complètement sauf.

Qu’on ne s’aperçoive pas dans certaines localités des Flandres de l’absence des tours, cela pourrait se concevoir, et la raison en est simple. C’est que les enfants qui devraient être exposés au tour dans les Flandres le sont dans les villes voisines. C’est ainsi que je sais de science certaine qu’à Mons il arrive de l’étranger une quantité d’enfants qu’on y expose ; et c’est à tel point qu’il a été porté à ma connaissance que le nombre d’enfants étrangers envoyés à Mons était si considérable qu’on a dû ordonner aux employés de l’octroi de surveiller l’entrée des enfants.

J’engage donc, comme l’honorable M. Doignon, le gouvernement à porter ses méditations sur la questions des tours. Mais je ne puis admettre les principes posés par l’honorable membre, comme devant amener leur suppression. Je crois au contraire qu’il importerait dans l’intérêt de l’humanité de les réorganiser avec plus de soin.

M. Desmet – La question de la suppression des tours est très importante, et je ne puis m’associer à la demande de l’honorable M. Doignon. Je crois que les tours sont un mal nécessaire. Il est vrai qu’il en résulte des inconvénients, et entre autres ceux qu’on vient de citer, que les enfants des campagnes sont déposés dans les villes. Mais comme il n’y a pas de tours dans les campagnes, les enfants ne peuvent être déposés que dans les lieux les plus voisins.

L’honorable M. Doignon a signalé un fait qui est vrai ; c’est que souvent ces enfants sont abandonnés à des mains mercenaires, à des personnes qui n’en ont aucun soin, mais il y a moyen d’obvier à cet inconvénient ; il y a moyen de surveiller les personnes auxquelles les enfants trouvés sont confiés ; c’est ce qui se fait dans plusieurs communes.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Messieurs, cette question de la suppression ou du maintien des tours est trop grave, elle donne lieu à trop de divergence d’opinion entre les esprits de la plus haute portée, pour que je me permette d’énoncer ici une opinion sur cette matière, à l’occasion d’un article de mon budget. C’est précisément à cause de sa gravité que cette question occupe toute mon attention, ; dans peu de temps une décision quelconque sera prise.

M. Doignon – L’honorable M. Dolez a rencontré mes observations, et je pense qu’il n’a rien pu détruire des principes que j’ai posés. Il a présenté des inconvénients ; il a cité un crime qui a été commis, un crime qui fait horreur ; mais, messieurs, dans tout système possible, il y a des inconvénients. Lorsqu’on fait des lois, il faut voir les choses de plus haut ; s’il n’y avait pas eu de tours, les inconvénients dont a parlé l’honorable membre ne se seraient pas présentés, le crime qu’il a cité n’aurait pas été commis ; le trafic horrible dont il a parlé n’aurait pas eu lieu. D’ailleurs, messieurs, quand il s’agit de mesures législatives, c’est mal argumenter que se se prévaloir de cas tout à fait spéciaux et monstrueux. Mes principes sont donc restés debout, malgré les observations de M. Dolez.

Ce n’est point ici le moment de les développer : je n’ai entendu qu’appeler l’attention du gouvernement sur la question.

- L’article est mis aux voix et adopté.

Chapitre X. Prisons

Article premier

« Art. 1er. Frais d’entretien, d’habillement, de couchage et de nourriture des gardiens et des détenus : fr. 1,200,000. »

M. Dedecker – Messieurs, une augmentation de 423,000 francs est demandée au chapitre X, pour le service des prisons. La nécessité de cette augmentation résulte surtout de deux faits qui donnent bien à réfléchir mais qu’il faut cependant finir par admettre : le chiffre toujours croissant de la population de nos prisons et le prix élevé des objets de consommation. Cette augmentation, messieurs, a d’autres causes encore, qui sont moins importantes, moins fondées, selon moi, et que je me propose d’examiner devant vous. En procédant à cet examen, j’aurai l’honneur de vous soumettre quelques considérations très courtes sur la partie matérielle et sur la partie morale de l’administration des prisons.

D’abord, messieurs, j’aurais désiré que M. le ministre de la justice eût soumis à la législature un état plus ou moins détaillé des travaux exécutés dans nos prisons ; il me semble qu’il eût été d’un grand intérêt pour nous de savoir comment se fait l’achat des matières premières, comment se consomment les produits fabriqués ; il me semble que ce n’eût pas été trop des lumières de toute la chambre, pour déterminer quelles espèces et quelles quantité de produits l’on fabriquerait dans les prisons.

Parmi les économistes, il en est qui contestent l’utilité intrinsèque de semblables travaux ; il en est d’autres qui recommandent de préférence telle ou telle fabrication spéciale ; il en est d’autres, enfin, qui signalent les dangers de la concurrence des produits des prisons avec les produits des industries libres et rivales. Dernièrement encore, si je ne me trompe, le comité central de l’association nationale pour l’encouragement de l'ancienne industrie linière a présenté, sous ce rapport, quelques considérations au gouvernement. En un mot, messieurs, tant et de si graves questions industrielles se rattachent au travail des prisons, que le gouvernement, sans abdiquer ses droits d’administrateur, eût bien pu nous soumettre un exposé de l’organisation de ce travail.

Vous avez vu, messieurs, dans le rapport de la section centrale, qu’une des causes de l’augmentation demandée par M. le ministre, c’est la mesure prise par lui de remplacer partout, par des employés libres, les détenus qui avaient été employés jusqu’à présent, soit dans les bureaux, soit dans les infirmeries des prisons. Ici encore, j’aurais désiré que M. le ministre se fût expliqué sur les motifs qui lui ont fait adopter une semblable mesure. Le choix des détenus étant convenablement, judicieusement fait, il me semble qu’il y aurait là d’abord un moyen d’économie, ensuite un moyen de relever ces détenus à leurs propres yeux, de leur faire conserver en leur montrant ainsi un peu de confiance, un reste de cette dignité d’homme qui leur sera si nécessaire lorsqu’il rentreront dans la société.

D’ailleurs, messieurs, il y a dans la population des prisons des hommes qu’une vicieuse et incomplète instruction y a poussés, des hommes qui ne conviennent pas aux travaux manuels ; je désirerais savoir comme M. le ministre entend occuper cette catégorie de détenus et comment il parviendra à les soustraire aux dangers de l’oisiveté, dangers qui sont plus grands dans ces lieux que partout ailleurs.

En tant que je puis me le rappeler, l’augmentation qui résulterait de ce chef au budget des prisons, sera de 15,000 francs ; il me semble, messieurs, que pour voter cette augmentation nous devrions avoir la conviction que ce sacrifice pécuniaire sera compensé par un avantage moral incontestable, et je vous avoue que jusqu’à présent je ne le vois pas ; j’attends sur ce point des explications de M. le ministre.

Ces détenus une fois remplacés par des employés libres, et par conséquent rétribués, je ne comprends pas comment, d’après la même note communiquée à la section centrale, M. le ministre demande encore au litt. C une augmentation de 5,000 francs pour faire imprimer des états qui jusqu’ici se faisaient à la main ; car il me semble que, pour peu qu’on ait de l’expérience en matière typographique, on sait qu’il en coûte moins pour faire imprimer que pour faire écrire. Mais ce que je ne pense pas, il devrait en coûter davantage, je devrais m’opposer à ce surcroît de dépense, car lorsqu’il y a encore tant d’améliorations essentielles à introduire dans le régime des prisons, il ne faut pas ainsi gaspiller l’argent pour des objets de pure forme, par des motifs tout à fait secondaires.

Puisque j’en suis à parler de la manie de sacrifier à la forme, je vous dirai qu’il en est, d’après moi, absolument de même pour les constructions. Tout cela est admirablement bâti, mais avec un luxe qui ne permet pas même, pour justifier les dépenses que ces constructions entraînent, d’alléguer le prétexte du bien-être matériel des détenus. Depuis quelques temps, il existe, sous ce rapport, entre les nations une lutte qui menace de dévier fort sérieuse, fort compromettant pour leurs budgets. Des touristes philanthropes parcourent le continent, traversent même les mers pour inspecter les prisons des différents pays et reviennent ensuite chez eux publier des « Rapports », des « Coups d’œil » pleins d’éloges pour l’administration de telle ou telle prison, le tout bien entendu à charge de revanche. Le résultat de ces inspections, fort souvent superficielles, c’est qu’on s’habitue de plus en plus à sacrifier à la forme, à se contenter d’améliorations qui frappent la vue. On construira, par exemple, des salles d’une dimension extraordinaire, on préférera un arrangement tout à fait symétrique, le tout souvent au détriment du service de la maison, et certainement toujours au détriment du trésor public.

Loin de moi, messieurs, de vouloir contester en aucune façon le zèle et l’intelligence des hommes chargés chez nous de cette partie de l’administration. Dernièrement encore j’ai eu l’occasion de visiter quelques-unes de nos institutions de ce genre, et certainement j’aime à proclamer que tout m’y a paru fort bien organisé, une fois que l’on se place au point de vue de ceux qui ont présidé à cette organisation.

Je ne veux pas méconnaître leur mérite, mais ils ont le tort de se laisser entraîner par cette manie dont je signalais tout à l’heure les dangers, de se laisser dominer par certaines idées, aujourd’hui en vogue. Je m’élève contre cette philanthropie du siècle dont le caractère principal est l’ostentation, et je ne pense pas que le gouvernement doive continuer à lui fournir ainsi, au détriment du trésor et sans aucun utilité réelle pour les détenus, les moyens de satisfaite une vanité habilement cachée sous le masque de l’humanité.

Je vais même plus loin, messieurs, et j’oserais dire qu’il y a ici plus qu’une question de forme, plus qu’une question d’économie : d’après moi, il y a ici une question de principes que je formulerai en ces termes :

Est-il permis à l’administration des pisons de changer, de son autorité privée, le caractère et la nature des peines, et de bouleverser ainsi indirectement la législation pénale qui nous régit encore ?

D’après moi, messieurs, c’est là ce qui se fait sous nos yeux et sans que la législature se doute le monde du monde de cette usurpation de ses pouvoirs. En effet, les pénalités établies par nos codes et appliquées dans nos prisons sont essentiellement corporelles ; cela résulte de l’esprit de nos lois, et c’est ce que le bon sens nous indique comme devant être. Eh bien la tendance de la philanthropie moderne, c’est d’effacer par degrés tout ce que ces peines ont de corporel, afin de les rendre de plus en plus morales. Ce fait, messieurs, s’explique très bien ; vous savez tous que les principales modifications du système pénitentiaire, qui ne sont en définitive que la reproduction des anciens règlements monastiques, nous viennent en dernier lieu des pays protestants où tout, en religion comme en morale, se résume dans l’empire de la raison. Cet incessant appel à la raison individuelle a dû avoir nécessairement et naturellement son écho jusque sous les voûtes de nos maisons de détention.

Dans le prisonnier on n’a vu que sa raison, on n’a compté que sur sa raison pour le punir comme pour opérer son amendement moral.

La philanthropie moderne s’est fourvoyée encore en ce qu’elle n’a vu qu’un côté des peines. Elle n’a vu dans les peines qu’un moyen, c’est-à-dire le moyen d’arriver à la réforme morale des détenus. Or, les peines sont aussi un but, elles ont pour but de faire souffrir. Ces souffrances, il est vrai, doivent être ménagées, de manière qu’elles aient un caractère d’utilité, de correction pour l’avenir ; mais elles ne doivent jamais perdre leur caractère de punition, d’expiation pour un passé coupable.

Avec cette tendance doublement erronée et vicieuse, la philanthropie moderne, dans les intentions de laquelle je reconnais au reste beaucoup de droiture, a faussé l’esprit de notre législation pénale. Cette législation est-elle conforme aux besoins de l’époque ? c’est ce que je ne veux pas examiner pour le moment ; mais je pense que tant que cette législation n’aura pas été changée par les pouvoirs compétents, ce n’est pas à l’administration des prisons à se charger de ces changements.

Cette violation indirecte de nos lois pénales, on pourrait se sentir disposé à la pardonner, si elle avait amené des résultats incontestablement favorables ; malheureusement personne, je pense, n’oserait l’affirmer.

Et ici j’ai à signaler une singulière anomalie. Cette même philanthropie, qui, par une première erreur, n’a vu dans les peines qu’un but exclusivement moral, a ensuite, par une autre erreur tout opposée, voulu atteindre ce but par des moyens uniquement artificiels et matériels. Au lieu de réveiller dans le cœur des coupables les souvenirs religieux de leur jeunesse ; au lieu de les entourer d’une atmosphère de vertu, on a froidement discuté des systèmes de réforme tout mécaniques, on a, à grands frais, changé la disposition des locaux, on a établi des cellules, on a fait régner partout le silence le plus absolu. En un mot, on ne s’est servi que de moyens matériels, qui tant qu’ils ne seront pas combinés avec les moyens spirituels, tant qu’ils seront abandonnés à eux-mêmes, seront toujours et nécessairement frappés d’une stérilité complète. Messieurs, je ne discuterai pas devant vous la valeur respective de ces systèmes pénitentiaires ; cet examen nous mènerait trop loin. D’ailleurs, j’avoue que par eux-mêmes ils sont tous inefficaces. Messieurs, osons-le dire une bonne fois : ce n’est pas à la raison du coupable qu’il faut faire un appel, c’est à sa conscience. Cet appel, ce n’est pas à la bureaucratie administrative à le faire, mais à la religion. Et cependant que voyons-nous ? Ceux qui sont employés au service intérieur de nos prisons sont pour la plupart d’anciens militaires dont les paroles et les actes ne respirent pas en général une scrupuleuse moralité ; et l’on avouera sans peine que de tels instructeurs sont bien mal choisis pour contribuer à opérer la réforme morale des détenus.

Les seuls représentants actuels de la religion dans nos prisons, ce sont les aumôniers ; et encore, il me peine de le dire, souvent on se méfie d’eux. Les préjugés irréligieux n’ont pas respecté les verrous. Jusque dans ce séjour du crime, on semble redouter l’influence de ces hommes de zèle et de dévouement dot l’unique but est de faire rentre, avec la foi, l’espérance dans le cœur des condamnés.

J’ajouterai que l’administration elle –même, sous prétexte de conserver intacte la liberté des opinions religieuses, ou dans la criante futile de voir s’opérer des conversions hypocrites, s’est opposée à la consolidation de l'influence religieuse, comme su en définitive cette influence devait servir à autre chose qu’au triomphe de ces principes moraux, seuls capables d’opérer une réforme véritable dans les déchus.

J’appelle sur ce point l’attention toute spéciale de M. le ministre de la justice, d’autant plus que je connais ses sentiments à cet égard. Par conviction personnelle, il saura donner à cette influence religieuse dans nos prisons toute la liberté, et au besoin tout l’appui qui lui serait nécessaire. Ce n’est pas ici une question de parti, une affaire de politique intérieure qui puisse nous diviser ; Et quand ici même on prodige encore contre cette influence religieuse de banales accusation de domination et d’empiètement, quand on veut la détrôner partout, j’espère qu’au moins on lui permettra de régner dans nos prisons.

Parmi les moyens les plus propres à provoquer de la part des détenus un retour sérieux vers le bien, il fait citer la lecture des livres d’une moralité qui ne rebute pas, mas qui encourage, qui entraîne ; de livres où l’on cite l’exemple de condamnés ramenés peu à peu à la vertu être devenus dignes de l’estime de leurs concitoyens.

On comprend tout de suite que le choix de ces livres et aussi important que délicat, et je ne sais si l’administration actuelle peut espérer d’atteindre le but proposé en mettant entre les mains des prisonniers des livres religieux et moraux, si vous voulez, mais d’une religiosité vague, et d’une moralité spéculative sans pratique et sans sanction.

Je n’ignore pas que des livres convenables, des livres appropriés aux prisons ne sont pas fort nombreux. Mais pourquoi le gouvernement ne mettrait-il pas, par exemple, au concours, tous les ans, ou tous les deux ou trois ans, un livre de cette espèce, en allouant pour cet objet, 600, 700 ou 1,000 francs ? Pourquoi encore ne pourrait-il pas promettre des subsides de 200 francs à des personnes qui se proposeraient de publier de livres de cette catégorie ; je pense que personne ne contestera l’importance des livres de ce genre. A ceux qui ne la comprendraient pas, je citerai l’exemple de pays voisins, de pays protestants, où ces sortes de publication se font aux frais du gouvernement ; (erratum, Moniteur du 25 décembre 1840) je citerai l’exemple de la France, où le meilleur ouvrage qu’on existe sur la matière a été couronné par l’académie, et dont l’auteur a obtenu le prix Monthyon de 6,000 francs.

Un deuxième moyen d’obtenir l’amendement moral des détenus et de prévenir les récidives, c’est de faire en sorte qu’à leur rentrée dans la société, les détenus puissent voir s’offrir devant eux une carrière honorable.

Vous le savez, messieurs, les détenus aujourd’hui, avec la meilleure volonté du monde, ne peuvent jamais parvenir à effacer la trace de leurs fautes passées, dans une société égoïste et méfiante, qui les repousse et les replonge forcément dans l’abîme. Ce résultat est surtout désolant pour certaines femmes, certains jeunes délinquants qu’un peu de confiance relèverait, qu’un peu d’appui raffermirait dans le bien.

Pourquoi le gouvernement, s’entendant avec l’autorité ecclésiastique, ne pourrait-il pas former des « comités de placement » pour les jeunes libérés ou pour les femmes détenues qui, par leur conduite en prison, se seraient montrés dignes de cette faveur ? je suis persuadé que les meilleurs familles de la Belgique se disputeraient l’honneur de faire partie de ces comités et de remplir cette belle mission de charité chrétienne.

Enfin, comme un dernier moyen efficace pour opérer l’amendement moral des détenus, je recommande spécialement à M. le ministre de la justice de généraliser successivement l’emploi des corporations religieuses dans nos prisons. Des essais ont déjà été faits, et si les renseignements que j’ai obtenus sont exacts, on n’a qu’à s’en louer, surtout pour les femmes.

Du reste, je sais d’avance que vu la difficulté que rencontre aujourd’hui la composition du personnel de ces congrégations religieuses, il y aura nécessairement parmi les hommes qui en feront partie des hommes qui ne conviendront peut-être pas sous tous les rapport à cette mission encore nouvelle dans ce pays. Mais ce qu’elles laisseront à désirer, c’est surtout pour ce qui regarde l’extérieur et les formes. Mais qu’importe que, dans leurs rapports avec l’administration, ces hommes ne fissent pas toujours preuve d’immenses connaissances théoriques et d’une aisance de manière qui, certainement, ne nuisent pas, mais qui ne sont pas strictement nécessaires ? Qu’importe que les touristes philanthropes, après avoir visité nos établissements, n’aient pas à aller vanter chez eux l’exquise urbanité et les profondes connaissances des membres de ces corporations religieuses ? Ce n’est pas pour plaire à quelques étrangers, ou pour flatter l’amour-propre de quelques administrateurs que ces hommes sont là, mais uniquement pour remplir leur belle et obscure mission : la régénération de la population des prisonniers. Que le nombre de récidives diminue d’année en année, et ce sera certainement le plus bel éloge de votre système.

L’introduction de corporations religieuses dans nos prisons est nécessaire et indispensable, non seulement pour amener d’une manière durable l’amendement moral des détenus, mais aussi pour réaliser des économies. Ce personnel est bien plus moral et en même temps plus désintéressé que le personnel dont on s’est servi jusqu’à présent. Les services de ces congrégations religieuses ne sont pas mercenaires ; elles n’attendent pas leur récompense du gouvernement, elles l’attendent de plus haut.

Je vous figurer 3,000 francs au budget pour « récompenses à accorder aux employés pour conduite exemplaire et pour acte de dévouement. » Eh bien, voilà encore une somme qui pourrait disparaître avec le système que je propose.

Les hommes que je recommande au gouvernement n’auraient pas besoin de récompense pécuniaire pour tenir une conduite exemplaire. Il ne faudrait pas signaler, de leur part, à la générosité du gouvernement les actes exceptionnels de dévouement ; toute leur vie, toute leur carrière serait un long acte de dévouement.

Plus loin, 75,900 francs sont alloués pour « traitements et tantièmes accordés aux employés sur les produits des ateliers. » Cette somme disparaîtrait aussi du budget si le service des ateliers était confié à des corporations religieuses. Cette mesure permettrait ensuite de réaliser des économies sur les « gratifications accordées aux détenus », qui s’élèvent à 180,000 francs. (Erratum, Moniteur du 25 décembre 1840) On pourrait les diminuer de moitié une fois qu’on aurait obtenu des détenus, par une vraie réforme, cette discipline et ce zèle pour le travail, qu’aujourd’hui on n’obtient d’eux que par des promesses d’argent, qui leur forment un pécule dont malheureusement ils abusent fort souvent à leur sortie de prison.

(Moniteur n°359 du 24 décembre 1840) M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Messieurs, des considérations qui viennent de vous être présentées, il en est quelques-unes à la justesse desquelles je rends hommage, mais il en est d’autres qui contiennent une critique plus ou moins indirecte de l’administration des prisons, que je dois déclarer n’être pas exactes. L’honorable préopinant a été induit en erreur sur quelques-unes d’elles. Il s’est plaint de ce que je n’ai pas remis avec le budget de la justice l’exposé de l’état des travaux dans les prisons, de ce que je n’ai pas rendu compte de la manière dont se font les achats de matières premières, les ventes des objets manufacturés et enfin des espèces de travaux mis en pratique dans l’intérieur des prisons.

Tous les renseignements demandés par la section centrale lui ont été fournis ; si elle m’en avait demandé qui eussent trait aux objets, que je viens d’indiquer, je les aurais fournis également. On sent qu’il est impossible, quand on présente un budget, de s’occuper d’autre chose que de justifier les dépenses. On ne peut pas entrer dans tous les détails de l’administration. Au reste, sur tous les points dont a parlé l’honorable préopinant, je serai toujours prêt à donner les renseignements qu’on pourrait désirer.

L’honorable membre a critiqué la suppression des prisonniers employés dans les bureaux. Cette suppression était de toute nécessité. L’expérience a démontré que l’emploi des prisonniers dans les bureaux de l’administration entraîne les plus graves abus, que ces prisonniers sont continuellement en relations avec l’extérieur, que ces relations s’étendent aux autres détenus et qu’elles portent la plus grave atteinte à la discipline. C’est l’expérience et l’expérience seule qui a fait supprimer ce mode d’emploi des prisonniers.

L’honorable préopinant a critiqué aussi la substitution des états imprimés aux états écrits à la main. S’il avait fallu, après avoir supprimé les prisonniers employés, faire faire ces états par les employés libres, la dépense eût été beaucoup plus considérable. Ce n’est qu’après avoir comparé les deux espèces de dépenses que l’un a été substitué à l’autre. L’augmentation de dépense, du reste, ne résulte pas seulement de cette substitution, elle a pour seconde cause la création d’un nouveau pénitencier, qui exige des frais d’impression plus considérables.

Il a critiqué aussi le luxe des dépenses dans les bâtiments des prisons. Messieurs, les dépenses de construction des prisons se font avec la plus grande économie, on y apporte le plus grand soin, afin de ne pas aller au-delà de ce que le service exige. Les devis sont d’abord soumis à la commission des prisons, qui est composée de citoyens honorables servant l’Etat gratuitement et appartenant aux classes les plus distinguées de chaque localité. Cette commission examine ce devis avec le plus grand soin, il est transmis avec son avis au gouvernement de la province, qui le soumet encore à l’examen des ingénieurs. Toutes précautions sont donc prises pour éviter le luxe et réduire la dépense au strict nécessaire.

Vient enfin le reproche grave qu’on a dirigé contre l’administration. On a dit qu’elle voulait les dispositions de la loi pénale en changeant tout à fait le caractère des peines. Messieurs, il faut avoir oublié les dispositions de la loi pénale pour nous adresser une pareille critique. Cette loi ne dit rien sur le genre des peines, elle prononce les peines de l’emprisonnement, de la réclusion et des travaux publics, sans dire comment seront infligés l’emprisonnement, la réclusion et les travaux publics. Il ne peut dont y avoir eu aucune violation de la loi pénale, aucun changement introduit dans le caractère des peines.

Quelques mots vous prouveront que les changements introduits sont des changements heureux dont personne ne peut se plaindre.

Les prisons, je ne parle pas des prisons de passage, se divisent en deux classes : la première, qui est destinée aux détenus et aux individus condamnés à moins de six mois d’emprisonnement, et la seconde qui est destinée aux condamnés à plus de six mois d’emprisonnement, à la réclusion et aux travaux forcés. Quant aux prisons pour les prévenus et les condamnés à six mois d’emprisonnement, aucun changement n’a été introduit dans le caractère de la pénalité, ces prisons sont restées ce qu’elles étaient, sauf qu’on y a introduit plus de propreté et plus d’ordre. Sous ce rapport, il n’y a pas la moindre critique à nous adresser. Dans quelques-unes de ces prisons, on a introduit le travail volontaire, ce qui est une amélioration et non une aggravation de peine, puisque le travail est libre.

Dans les prisons où sont détenus les condamnés à plus de six mois d’emprisonnement, et où, d’après la loi pénale, ils doivent être assujettis au travail, le changement s’est borné à l’introduction d’occupations régulières et de nature à relever au lieu d’abaisser la dignité de l’homme, pour me servir d’une expression de l’honorable préopinant ; tandis que les travaux forcés, auxquels les détenus étaient soumis il y a une trentaine d’années, produisaient un effet tout contraire ; le changement, en un mot, n’a consisté que dans plus d’ordre, plus de propreté, plus de régularité et un meilleur choix de travaux, et, sous ce rapport, non plus que sous aucun autre, je ne comprends pas qu’on puisse prétendre qu’on a modifié quoi que ce soit le caractère de la pénalité.

L’honorable préopinant a soutenu que la réforme des prisons était une réforme mécanique plutôt que morale. Pour moi, messieurs, j’ai toujours entendu dire que le travail était un moyen d’amélioration morale et non une simple réforme mécanique. J’ai toujours ouï dire et je le crois fermement, qu’un des moyens d’arrêter la corruption des hommes est de les occuper constamment. J’ai toujours entendu dire aussi que c’était un moyen de réforme morale et non mécanique que de séparer les dépravés de ceux qui ne le sont point ou même de séparer les dépravés entre eux, parce que la dépravation est contagieuse et s’accroît par le contact. C’est encore ce que fait l’administration autant que le lui permettent les locaux et les crédits dont elle dispose.

On a introduit l’emprisonnement individuel de nuit quand on l’a pu, et il est à regretter qu’il n’existe pas dans toutes nos grandes prisons. Cette séparation, on l’établit de jour, en empêchant la communication entre les détenus et en leur prescrivant le silence. C’est là, je le répète, une réforme morale et non une réforme mécanique.

Malheureusement la séparation n’est pas assez complète pour obtenir toutes les améliorations qu’on pourrait désirer. Mais on ne peut pas soutenir que ce soit là une réforme tout à fait mécanique.

J’arrive enfin à ce qu’on a dit de la religion. Toutes les prisons ont des aumôniers et les ordres sont donnés pour qu’ils reçoivent considération et respect de la part de tous les employés. La plus grande liberté pour l’exercice de leur mission leur est accordée. Nous aurions désiré pouvoir introduire partout les congrégations religieuses, dont nous reconnaissons les services. Nous l’avons fait quand nous l’avons pu, mais ces congrégations ne se créent pas en un instant. A Namur, il y a une congrégation de femmes, et nous avons recours à leur dévouement avec reconnaissance ; quant aux hommes, on n’a pas pu employer ce moyen, il n’y a pas de congrégations d’hommes en Belgique assez avancées pour rendre les services dont nous aurions besoin ; il en existe en France, mais elles sont trop éloignées et pas assez nombreuses pour qu’on puisse attirer chez nous quelques-uns de leurs membres ; l’avenir, il faut l’espérer, nous fournira ce qui nous manque encore ; déjà même nous avons pu faire l’essai de corporations religieuses d’hommes pour soigner les malades dans l’infirmerie des prisons de Vilvorde et de Saint-Bernard ; le temps nous promet d’autres progrès ; mais pour le moment nous avons dû nous arrêter, et il n’y a aucune espèce de reproche à adresser au gouvernement en ce qui concerne la religion ; il fait tout ce qu’il peut, il se met en rapport avec les ordinaires des diocèses et donne des traitements aussi forts que possible pour avoir de bons ecclésiastiques. Et ces ecclésiastiques trouvent toute liberté, trouvent considération et respect auprès des employés.

On a parlé de livres immoraux dont on permettrait la lecture dans les prisons. Il est vrai qu’on essaye d’y former des bibliothèques ; mais les livres sont examinés avec le plus grand soin par les commissions d’administration, ce sont elles qui sont appelées à les indiquer et ces bibliothèques sont assez bien composées.

J’ai vu moi-même de ces livres et je puis vous dire que ce ne sont pas, comme l’a dit l’honorable préopinant, tous livres d’une religiosité vague, il en est et en nombre suffisant, dont les principes sont ceux de la religion positive, tels que des livres de prière et des catéchismes. Je ne crois pas qu’on puisse appeler cela des livres d’une religiosité vague.

Je crois avoir rencontré les critiques que l’honorable préopinant a faites de l’administration des prisons, et avoir démontré que ces critiques n’étaient pas fondées.

(Moniteur n°358 du 23 décembre 1840) M. Van Cutsem – Messieurs, si j’ai demandé la parole sur le chapitre X du budget de la justice, c’est pour vous soumettre quelques réflexions qui ont pour but de donner des moyens d’existence à la classe ouvrière ; car il ne s’agit pas d’augmenter son bien-être matériel, je ne veux vous parler que de mesures qui peuvent la mettre à même de pourvoit à ses premiers besoins.

Chacun de nous sait que l’une des principales branches de notre richesse nationale, l’industrie linière, se débat depuis plusieurs années contre la concurrence que lui fait la fabrication anglaise, et si nous ne redoublons pas nos efforts, il est bien à craindre que les Flandres perdent cette grande prospérité dont elles ont toujours joui, et qu’on se demande un jour : Qu’est devenu le bien-être de cette contrée industrielle ? Elle s’était relevée de bien des crises ! Elle avait trouvé moyen de prospérer même sous les plus mauvais gouvernements imposés par la politique étrangère ; mais les événements de 1830 sont survenus, et la Flandre a été ruinée, dépeuplée, anéantie entre les mains d’un gouvernement national !

L’industrie linière a vu depuis quelques années contrarier ses opérations par l’exportation de ses lins, par l’importation des fils étrangers et par la diminution d’exportation de ses toiles fabriquées : lorsque le ministère aura reçu le rapport de la commission qu’il a nommée pour constater la position de l’industrie linière, et rechercher les moyens de la faire sortir de l’état de malaise dans lequel elle se trouve aujourd’hui, il sera convaincu, j’ose l’espérer, que le gouvernement doit prélever des droits sur les fils étrangers à leur entrée en Belgique, et sur les lins à leur sortie de notre pays ; c’est parce que j’ai cette idée que je prierai cette commission de terminer le plus tôt possible ses travaux ; car, je le répète, l’industrie linière a besoin qu’on adopte en sa faveur les mesures dont je viens de vous parler : si on les prend, je prédis que cette ancienne industrie nous restera malgré tous les efforts que les Anglais font pour nous la ravir ; les consommateurs, qui prennent de nouveau nos produits, les Espagnols, qui dédaignent déjà les fabricats anglais, viendront s’approvisionner comme autrefois dans notre Belgique, et si la chambre avait voté le crédit demandé par le ministre des affaires étrangères pour nommer un consul à Cadix, ce consul aurait aussi prouvé aux consommateurs de ce pays que nos fabricats sont d’une toute autre nature que les toiles anglaises et ceux-ci auraient été, sans aucun doute, encore plus vite désabusés qu’ils ne le seront à présent en faisant encore quelques expériences à leur préjudice. Mais puisque la commission minière n’a pas encore fait son rapport, puisque le gouvernement n’a pas pu faire, à notre antique industrie, le bien qu’il voulait, en nommant un consul qui l’aurait défendue dans un pays étranger, je viens aujourd’hui prier le ministère de ne pas susciter lui-même à nos malheureux tisserands et à nos fileuses une concurrence en Belgique, en faisant filer et tisser dans nos maisons de force et de détention des fils et des toiles, qu’il vend ensuite sur les mêmes marchés que nos industriels. Le gouvernement a cru qu’en ne faisant que des toiles propres à l’usage de l’armée, il n’aurait fait aucun tort à nos tisserands, mais il a été mal informé à cet égard, car il y a plusieurs localités, entre autres à Ath, où on ne s’occupe que de la fabrication des grosses toiles, et qui depuis qu’on travaille les mêmes objets dans les prisons de l’Etat, ont perdu entièrement cette production ; la ville d’Ath, qui est le centre du marché de toile de cette espèce, a, après avoir réclamé longtemps contre cette fabrication, entièrement perdu son marché de toile.

Tout le monde comprendra avec moi que si la lutte que nos tisserands ont a soutenir contre l’Angleterre, contre cette Angleterre qui, aidée de ses grands capitaux, de ses vastes débouchés, des encouragement de son gouvernement et de quelques perfectionnements mécaniques, est menaçante, que celle qu’ils ont à soutenir contre leur propre gouvernement n’est pas moins difficile en même temps qu’elle est plus pénible, parce que le salaire des travailleurs de l’Etat est beaucoup moins élevé que celui des ouvriers libres et qu’il le met à même de fournir ses produits à beaucoup plus bas prix, que ne peuvent le faire ceux qui ont souvent une femme et de nombreux enfants à nourrir.

La concurrence qui existe aujourd’hui entre le gouvernement et les tisserands fait déjà le plus grand tort à ces derniers, et cependant on les menace encore d’augmenter cette concurrence en établissant de nouveaux métiers pour tisser des toiles de toute espèce dans une prison de l’Etat, qui se trouve au centre de la fabrication de nos toiles ; si le gouvernement pouvait avoir de pareilles intentions, je le conjure de n’en rien faire, s’il ne veut voir peupler toutes ses maisons de correction de tisserands, que l’excessive misère pourrait porter au crime ; car, enfin, le besoin fait parfois oublier tout autre sentiment.

On me répondra peut-être que les prisonniers ne travailleront que les toiles à envoyer à l’étranger ; cette objection pourrait être fondée, si la consommation intérieure usait tous nos produits ; mais puisque nous savons qu’elle n’en prend qu’une partie, il est évident que c’est justement là où nous ne devrions pas rencontrer les fabricats de l’Etat, qu’ils viennent se mettre en lutte avec nous, et nous forcer à donner à meilleur marché nos produits, d’où la conclusion, qu’à l’intérieur comme à l’étranger l’Etat nous fait une concurrence qui nous est également nuisible, et à laquelle il faut partant mettre fin. Un Etat ne doit jamais se faire négociant ou industriel, il doit se borner à encourager le commerce et l’industrie ; que notre gouvernement se convainque bien de ces vérités, et alors il ne se mettra plus en lice avec nos négociants et nos industriels ; il ne cherchera pas à gagner de l’argent, mais il voudra procurer au pays l’occasion d’en gagner en y introduisant des fabrications nouvelles ; et puisqu’il faut que nos prisonniers travaillent pour devenir meilleurs et pour qu’ils supportent la vie, pourquoi ne les occupe-t-on pas à produire des fabricats qui sont à peine connus en Belgique, afin de faire connaître ensuite à nos industriels que tels produits peuvent s’obtenir avec avantage dans notre pays en les travaillant plutôt de telle manière que de telle autre ? Je prie donc M. le ministre de la justice de peser mûrement les considérations que je lui soumets en même temps qu’à cette assemblée, et j’ose espérer qu’il accordera au pays la faveur que je réclame pour lui, celle de ne plus faire pour nos travailleurs une concurrence du gouvernement même.

On a dit dans cette assemblée que les prisonniers étaient trop bien traités dans les maisons de détention de l’Etat ; ceux qui tiennent un pareil langage n’ont sans doute pas souvent visité les détenus ; quant à moi, qui par profession surveille les maisons de détention, je puis vous donner l’assurance la plus formelle, que les prisonniers ont dans les lieux où ils sont séquestrés tout juste de quoi pourvoir aux besoins de la vie animale, et cela est tellement vrai, que lorsque je donne cent billets à ceux qui viennent me demander l’autorisation de les visiter, il y en a quatre-vingt-dix-neuf qui sont chargés de pain et de pommes de terre pour alimenter les détenus qui se plaignent de ne pas avoir une nourriture assez abondante.

Si les orateurs qui ont trouvé que les détenus étaient trop bien traités dans les maisons de détention, avaient eu connaissance de ces faits, ils n’auraient pas blâmé les soins que le gouvernement prend d’une classe malheureuse, quoique coupable de la société ; s’ils avaient les sublimes principes des criminalistes les plus distingués, ils trouveraient comme eux, que le criminel doit être séparé de ses concitoyens pour le mettre hors d’état de leur nuire, et ils ne voudraient pas, comme ils le demandent aujourd’hui, que l’on ajoutât de nouvelles privations à celles de la liberté.

Ils ont été bien téméraires aussi ceux qui ont blâmé l’usage que le gouvernement du Roi fait du droit de grâce, quand pour le critiquer, ils se sont faits l’écho de quelques bruits populaires ; et ce n’est pas dans les lieux publics qu’on peut s’assurer, si c’est à tort ou à raison que le Roi a fait grâce à un condamné, c’est par l’examen des pièces de l’instruction qui a donné lieu à la condamnation qu’on peut voir, si le Roi a bien ou mal fait de commuer les peines prononcées contre un condamné.

Quant à moi, je suis convaincu, pour ce qui concerne les crimes perpétrés dans mon arrondissement, que le gouvernement a fait un noble et digne usage du droit de grâce en accordant aux condamnés la remise d’une partie de la peine qu’ils avaient encourue et que si l’honorable comte de Mérode avait été chargé de statuer sur leur sort, lui, qui a une âme compatissante, aurait fait comme le gouvernement ; qu’il n’aurait pas voulu que des hommes qui n’auraient volé que des pommes de terre ou du pain pour nourrir leurs femmes et leurs enfants passassent le reste de leurs jours en prison, alors encore qu’il était constant qu’ils n’avaient volé que parce que le manque d’ouvrage les empêchait de se procurer un peu de nourriture.

J’ai dit.

M. Dedecker – Je ne puis pas laisser sans réponse les observations de M. le ministre de la justice. Je serais désolé que les membres du gouvernement vissent dans mes paroles la moindre intention de leur adresser un reproche personnel. J’ai critiqué la tendance de l’administration des prisons depuis plusieurs années. Je sais qu’on ne peut pas improviser des modifications à un système établi, mais je crois qu’il est du devoir d’un député consciencieux d’avertir le gouvernement quand il croit qu’il suit une mauvaise voie et de signaler les abus qui viennent à sa connaissance.

J’avais exprimé le désir que le ministre de la justice vous remit un état plus ou moins détaillé des travaux exécuté dans les prisons. Il me répond que la section centrale ne l’a pas demandé. Ce fait est possible. Mais je ne sais pas si le gouvernement n’est obligé de vous fournir des renseignements sur les parties essentielles de son administration, qu’au fur et à mesure que la section centrale les demande, et si, par égard pour la chambre, il ne devrait pas nous donner spontanément ces renseignements. Je suis persuadé que ce n’est de la part de M. le ministre qu’un oubli ou peut-être l’intention de ne pas s’écarter de la marche tracée par ses prédécesseurs.

Lorsque je me suis élevé contre la demande d’augmentation provenant de la substitution d’employés libres aux employés détenus, j’ai été mu par cette considération morale qu’il faut autant que possible relever les détenus à leurs propres yeux. Je sais fort bien que ces emplois confiés à des détenus avaient donné lieu à des communications avec le dehors. Mais cela tenait à ce que la surveillance n’était pas bien exercée, et cela ne prouve pas la nécessité de grever de nouveau le trésor en remplaçant tous ces employés par des employés libres.

De la note communiquée par M. le ministre à la section centrale, il résulte qu’il y a une augmentation de dépenses d’environ cinq mille francs pour l’impression d’états, qui jusqu’ici se faisaient à la main. Si les écritures étaient encore faites par des détenus employés dans les bureaux et travaillant gratuitement, je concevrais que M. le ministre demandât une augmentation pour faire imprimer ces états. Mais maintenant que les employés détenus sont remplacés par des employés libres rétribués, je ne conçois pas cette augmentation des frais d’impression. Evidemment il en coûte moins pour faire imprimer que pour faire faire des écritures par les employés libres rétribués.

Je me suis élevé contre le danger de la manie du luxe. Cette manie se relève dans la construction de nos prisons. Dans la maison de Gand, on a construit tout un quartier nouveau, à l’emploi duquel on a renoncé jusqu’à présent. Dans une autre maison que j’ai eu occasion de voir, je me trouvais avec le directeur dans une salle immense comme peut-être il n’en existe pas en Europe. Le directeur m’a avoué que les besoins du service exigeaient que cette salle fût divisée en deux. Mais le besoin voulait-il dire, de renoncer au plaisir d’avoir une salle d’une si grande étendue et de ne plus voir figurer sur le calepin des touristes, le chiffre indiquant le nombre des mètres de sa longueur ! Il me semble que l’on peut dire que c’est là un luxe mal placé.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Où est cette salle ?

M. Dedecker – Par motif de délicatesse, je n’aime pas de le dire.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Comment voulez-vous que je puisse répondre ? Il faudrait alors ne pas critiquer.

M. Dedecker – Lorsque j’ai dit que la philanthropie moderne cherche à changer la nature et le caractère des peines, je savais fort bien que notre législation pénale n’indique pas d’une manière nette et précise ce caractère et cette nature. Mais il est de fait que toute peine doit être corporelle.

J’ai dit (et je maintiens mon dire) que la tendance de cette philanthropie est d’ôter aux peines ce qu’elles ont de corporel pour y substituer des peines morales. J’ai dit ensuite qu’il y a anomalie à n’employer pour la réforme morale des détenus que des moyens purement mécaniques et artificiels. M. le ministre a dit qu’il avait employé le travail comme grand moyen de moralisation, et que ce n’était pas certainement un moyen mécanique. Je pense que le travail est au contraire un moyen très mécanique, très matériel. Sans doute il tend à opérer un effet moral ; mais ce n’en est pas moins un moyen mécanique. De même la séparation qui tend à un résultat moral est un moyen mécanique.

Je suis loin de contester les avantages des moyens mécaniques. Je suis le premier à dire qu’ils sont bons en eux-mêmes. Mais j’ai dit que s’ils sont bons, combinés avec d’autres moyens, abandonnés à eux-mêmes, ils seront toujours stériles. Je persiste dans cette opinion.

Lorsque je vous ai indiqué quelques moyens que je croyais les plus propres à opérer un heureux changement chez les détenus, lorsque j’ai signalé le danger qu’il y a à mettre entre leurs mains des livres qui ne leur conviennent pas, je n’ai pas dit que ce fût des livres « immoraux. »

J’ai dit que la plupart des livres qu’on met entre leurs mains sont des livres religieux et moraux, mais que l’on n’y trouve qu’une religiosité vague, qu’une moralité spéculative. Je maintiens mon dire. La plupart de ces livres sont traduits de l’allemand ou de l’anglais : ce ne sont que des livres déistes, des livres protestants.

Je crois pouvoir borner là mes observations en réponse au discours de M. le ministre de la justice.

M. Delfosse – Permettez-moi, messieurs, de vous entretenir un instant de l’état déplorable dans lequel se trouvent les prisons de Liége, et de la nécessité d’en construire une neuve.

Je ne puis mieux faire, messieurs, pour rendre cette nécessité évidente pour la chambre comme elle l’est pour moi, que de donner lecture de deux extraits de rapports, adressés à M. le ministre de la justice, par la commission administrative des prisons de Liége ; je vous communiquerai aussi quelques lignes d’une lettre adressée au même ministre par notre administration communale.

Voici ce que la commission administrative des prisons de Liége écrivait le 20 janvier 1836 :

« Bien que les demandes réitérées que nous avons faites afin qu’une prison soit construite à Liége aient été jusqu’ici sans résultat, c’est pour nous un devoir de le renouveler, devoir envers les détenus dont le bien-être et l’amendement nous sont confiés ; devoir envers nous-mêmes, à qui il importe de décliner la responsabilité de tous les abus et de tous les maux que produit l’état chaque jour plus déplorable de nos prisons ; devoir envers l’administration enfin, dont la responsabilité morale est gravement engagée, en même temps que ses intérêts sont compromis.

« La nécessité d’abandonner les locaux actuels a été reconnue par toutes administrations qui se sont succédé en Belgique. Il est, en effet, impossible de ne pas être frappé des inconvénients qu’ils présentent. Défaut d’appropriation et vétusté des bâtiments, constructions vicieuses, voisinage d’égouts infects ; cellules étroites, manquant d’air et qu’il faut chauffer séparément ; impossibilité d’entretenir la propreté et la salubrité dans les chambres dont les murs et les planchers sont infectés de vermine ; absence presque complète de classification des détenus obligés de coucher à deux dans le même lit ; séparation des trois prisons, dont celle des femmes, où les aliments sont préparés, est à une grande distance des deux autres ; difficulté d’exercer une bonne surveillance sur des prisons qui n’offrent aucun ensemble ; personnel nombreux et dont les traitements excèdent de beaucoup ceux des employés de la prison de Bruxelles, où la population est double ; dépenses considérables d’entretien et de réparations qui demeurent toujours imparfaites ; telles sont quelques-unes des suites funestes du séjour des détenus dans des locaux que l’humanité s’afflige de voir servir encore aujourd’hui de prison, dans l’une des premières villes de la Belgique. Les règles de la plus simple économie sont violées ; l’amendement moral des détenus est impossible, leur corruption presque certaine. Quant à leur situation physique, elle est telle que les condamnés aux travaux forcés se trouvent, relativement à eux, dans un état de bien-être. S’il arrive, en effet, que des condamnés demandent de subir leur peine à Liége, lorsqu’ils y sont retenus par des relations de parenté ou par des considérations particulières, nous voyons ceux que de pareils motifs n’arrêtent pas, se plaindre hautement lorsque leur détention dans nos prisons se prolonge, et nous demander avec instance de hâter leur transport dans les maisons centrales. Que l’administration daigne réfléchir sur ce fait et examiner s’il est juste que des individus condamnés à des peines légères, des prévenus, des innocents peut-être, soient traités plus durement que les forçats ! »

Voici ce que la même commission écrivait le 29 janvier 1840 :

« Depuis plus de dix ans, nous n’avons cessé d’appeler l’attention de l’administration sur l’état chaque jour plus déplorable de nos prisons, sur la nécessité de les abandonner et d’en construire de neuves. Nos représentations à ce sujet semble être demeurées sans résultat ; cette année encore s’est écoulée sans qu’aucune communication nous ait été faite à cet égard par le gouvernement. Nous ne pensions pas que de nouvelles réclamations, adressées aujourd’hui, auraient un meilleur sort. Elles seraient d’ailleurs inutiles. Nous n’avons plus rien à apprendre à l’administration. Tous les maux auxquels le physique et le moral de nos détenus sont exposés sans relâche, l’administration les connaît. Nous avons pris soin, à toute occasion, de l’en informer. Nos devoirs, nos moyens, notre responsabilité s’arrêtent là. Nous pouvons considérer notre tâche comme accomplie. Nous déplorons amèrement la malheureuse situation de nos prisonniers ; mais nous l’avons assez souvent exposée, pour nous croire en droit d’en décliner entièrement la responsabilité.

On lit en autre dans une lettre adressée à M. le ministre de la justice par l’administration communale de Liége :

« L’état de la prison de Liége est déplorable ; la nature du local, ainsi que sa distribution, rendent impossible toute amélioration, matérielle ou morale. »

Vous voyez, messieurs, par les extraits dont je viens de vous donner lecture que si jamais chose fût nécessaire, urgente, c’est la construction d’une prison neuve à Liége. Il y a dix ans que cette urgence existe, il y a dix ans qu’elles est signalée avec énergie par les autorités locales.

M. le ministre de la justice, désireux de mettre un terme à un état de chose dont il a pu, mieux que personne, apprécier les inconvénients, puisque la commission administrative des prisons de Liége a eu l’honneur de le compter parmi ses membres, a déjà pris quelques mesures dont on doit lui savoir gré ; il a fait l’acquisition d’un terrain qui paraît convenir sous tous les rapports, acquisition conditionnelle bien entendue, et qui n’aura son effet qu’autant que les fonds nécessaires pour la construction d’une prison neuve à Liége seront votés par la législature avant la fin du mois de janvier 1841. M. le ministre a fait, en, outre, confectionner des plans, et il s’est adressé à l’administration communale et à l’administration provinciale pour les engager à intervenir dans la dépense qui sera considérable.

L’appel fait par M. le ministre de la justice a été entendu. L’administration communale de Liége a consenti à intervenir dans la dépense pour une somme de 50,000 francs ; l’administration provinciale a consenti à y intervenir pour une somme double. Il y a donc lieu d’espérer que rien n’arrêtera plus M. le ministre de la justice dans l’exécution de son projet, et que le concours des chambres ne lui manquera pas pour ce que je considère comme l’accomplissement d’un devoir d’humanité.

M. Demonceau – Dans la discussion générale, j’ai signalé à M. le ministre de la justice l’état de la prison de l’arrondissement de Verviers. Il y avait eu un plan arrêté pour exécuter différents changements à cette prison. Des sommes considérables avaient été affectées pour cet objet. Mais il n’a rien été fait jusqu’à présent par les motifs donnés dans la discussion générale.

Je n’en dirai pas davantage, j’invoquerai seulement le témoignage de M. le ministre des travaux publics ; il a vu en quel état se trouvait la prison de Verviers.

(Moniteur n°359 du 24 décembre 1840) M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Messieurs, je m’expliquerai aussi brièvement que possible sur ce que viennent de dire les quatre honorables membres qui ont pris successivement la parole.

Je reconnais toute la droiture des intentions de l’honorable M. Dedecker ; mais je ne puis admettre la critique qu’il a dirigée contre les prisons, lorsqu’il a dit qu’on pouvait se dispenser de supprimer les prisonniers employés dans ces établissements, en exerçant sur eux une surveillance plus active. Je dirai que cette surveillance a été exercée autant qu’il était possible, et que ce n’est qu’à la dernière extrémité, lorsqu’on a vu qu’on ne pouvait supprimer les abus qui résultaient de cet état de choses qu’on s’est décidé à adopter d’autres mesures. Ce n’est d’ailleurs qu’après avoir consulté et reçut les avis des commissions administratives, que l’administration centrale a pris une détermination.

L’honorable membre vous a dit qu’il ne concevait pas qu’on fît imprimer des états que les employés libres pouvaient écrire. Mais pour cela il faut beaucoup d’employés libres et la dépense serait plus considérable que celle qui résulte des imprimés.

On vous a cité, comme un exemple de luxe qui règne dans nos prisons, ce qui s’était passé à Gand, et dans une autre prison, où il y avait une grande salle qu’on aurait pu partager en deux.

Quant à ce qui s’est passé à Gand, il n’y a pas de luxe. On a essayé le système cellulaire ; on a voulu introduire à Gand ce système, que depuis on n’a pas encore reconnu convenable d’admettre. Mais les cellules, si elles ne sont pas employées à cette fin, pourront l’être pour la séparation des détenus pendant la nuit. Il n’y a donc pas eu de luxe, il n’y a eu tout au plus qu’un essai prématuré.

Quant à la salle dont on a parlé, je ne sais s’il y a avantage à avoir dans la prison où elle existe, une salle de travail au lieu de deux. Si cette prison m’avait été indiquée par l’honorable M. Dedecker, peut-être aurais-je pu donner des explications sur les motifs qu’on avait eus de ne faire qu’une seule salle. Mais à défaut d’indication de sa part, il me semble qu’il ne peut critiquer comme une affaire de luxe, ce qu’il ne me met pas à même d’expliquer.

Il vous a dit qu’il n’y avait plus de peines corporelles dans les prisons. Je m’en rapporterai, à cet égard, à ce que vous a dit l’honorable M. Van Cutsem. Je persiste à dire que le système de nos prisons n’est pas trop doux ; je dirai même qu’il est dur. Que certains hommes s’habituent à la longue à le supporter, qu’ils s’accoutument à la vie des prisons, ce sont là des cas exceptionnels. Mais personne ne peut dire que ce régime soit de nature à inspirer le désir d’entrer en prison.

Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai dit relativement aux prétendues réformes mécaniques. Je sais qu’il y a des moyens mécaniques de réforme, mais la réforme n’en est pas moins morale, et sous ce rapport, elle ne peut être critiquée. On vous a dit que ces moyens mécaniques étaient seuls employés. Je crois avoir prouvé le contraire en vous disant que la religion était également au nombre de ceux qu’on employait et que si on n’avait que des aumôniers dans les prisons, c’était parce qu’il n’existait pas dans le pays de corporations religieuses assez avancées pour coopérer avec eux à l’amendement des prisonniers ; et encore cela n’est-il vrai que pour les prisons d’hommes ; car, pour les prisons de femmes, nous y avons introduit des sœurs de charité. Il n’y a donc nul reproche à adresser à l’administration, l’on ne peut exiger qu’elle emploie ce qui n’existe pas.

Quant aux livres, j’ai dit qu’il y avait des livres de religion positive ; mais on ne peut pas toujours s’en tenir aux livres de religion ; il faut des livres d’histoire, des récits qui partagent les loisirs des prisonniers.

J’en viens à ce qu’on a dit sur la concurrence que le travail des prisons faits à l’extérieur. C’est une chose que nous évitons autant que possible ; pour fixer le prix des matières fabriquées, on fait le compte du prix de revient, puis on ajoute 10 p.c., et je puis dire qu’il n’y a pas, sous ce rapport, aucune concurrence dangereuse. Car une grande quantité des objets fabriqués dans les prisons est vendue au département de la guerre, et je suis souvent en contestation avec mon collègue, qui prétend qu’il peut avoir ces objets à meilleur marché dans le commerce, qu’ils ne lui sont livrés par les prisons. Cette concurrence est un inconvénient qui m’avait frappé aussi bien que mes prédécesseurs et que nous avons toujours cherché à éviter.

Quant à la prison de Liége, je n’ignore pas la situation fâcheuse où elle se trouve ; elle a attiré toute mon attention à mon entrée au ministère. Elle a fait l’objet d’une correspondance suivie entre mon département et les administrations provinciale et communale. Si je ne suis pas encore arrivé à un résultat, c’est par suite de difficultés survenues relativement à la part contributive de la ville et de la province de Liége dans la dépense.

La ville s’était d’abord refusée à voter un subside, on n’avait voté qu’un subside insignifiant, tandis qu’elle retirait de la construction d’une nouvelle prison un avantage considérable. On devait lui remettre les terrains que couvrent les anciens bâtiments, et la démolition de ces bâtiments était un moyen d’embellissement pour la ville. Aujourd’hui elle a reconnu l’avantage qu’elle en retirerait ; elle a offert un subside, et sous ce rapport j’espère que nous serons bientôt d’accord.

Quant à la province, il n’en est pas de même. La province a consenti à la construction, mais elle a accordé pour subside les centimes qu’elle a payés pour la construction du canal de Bois-le-Duc, tandis que vous savez qu’il existe une loi écartant les réclamations de la province de Liége sur ces centimes, jusqu’à ce que la liquidation d’Utrecht soit terminée, et qui décide que jusque-là ces centimes resteront dans les caisses de l’Etat et à la disposition de l’Etat. Ce subside n’en était donc pas un.

M. Delfosse – Je demande la parole.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Je n’entends nullement me prononcer sur la question, mais ces sommes ne sont pas à la disposition de la province et ne peuvent faire l’objet d’un subside.

Du reste, j’espère que nous pourrons lever ces difficultés et arriver bientôt à un résultat satisfaisant.

Quant à la prison de Verviers, tout était prêt, on allait mettre la main à l’œuvre, quand le chemin de fer est venu passer au milieu du terrain que l’on avait choisi. Il a bien fallu penser à un autre terrain. C’est ce qui a causé le retard dans les travaux. (La clôture ! la clôture !)

(Moniteur n°358 du 23 décembre 1840) M. Raikem – Je n’ai que quelques mots à dire, relativement à la prison de Liége, sur laquelle un honorable membre a attiré l’attention de M. le ministre de la justice.

Depuis plusieurs années, j’avais appelé l’attention du gouvernement sur cette prison, en exposant l’état déplorable dans lequel elle se trouvait. Il résulterait de cet état que les personnes qui y étaient simplement détenues par mesure de prévention, sans avoir été jugées, et dont, par conséquent l’innocence était présumée jusqu’à condamnation, se trouvaient dans un état plus déplorable dans cette prison que ceux qui, ayant été condamnés, étaient renfermés dans une prison centrale.

Il m’a paru qu’à cette époque, ces motifs avaient fait quelque impression ; aussi l’honorable M. Ernst s’était-il occupé de cet objet. D’un autre côté, le conseil provincial de Liége avait appelé l’attention du gouvernement sur l’état déplorable dans lequel se trouvaient les prisons de cette ville. Si ma mémoire est fidèle, il avait même fait l’offre de subvenir pour une partie à la construction d’une prison nouvelle.

L’affaire se trouvait déjà en instruction, lorsque je suis entré au ministère de la justice ; et un de mes premiers soins fut de m’occuper de cet objet, de demander au conseil provincial pour quelle somme il pourrait subvenir. C’était, autant que je puis me le rappeler, à la session de 1839.

Mais on répondit alors qu’il fallait préalablement voir quels seraient les plans qui seraient adoptés par le gouvernement. Il y avait donc nécessité de s’occuper de ce plan. On s’en est occupé le plus tôt qu’il a été possible. Un terrain, sur l’acquisition duquel les autorités avaient été consultées, et qui avait été trouvé le plus convenable, avait été acheté sous condition ; parce que dans l’intervalle il fallait consulter les autorités provinciale et communale sur le point de savoir jusqu’à concurrence de quelle somme l’une et l’autre interviendraient dans la dépense ; et j’avais la confiance que, vu l’état déplorable dans lequel se trouvait la prison, la législature s’empresserait de concourir pour la somme nécessaire à fournir de la part du gouvernement.

Tel était l’état dans lequel se trouvait ce qui est relatif à cette prison. Vous voyez qu’en aucun temps on n’a cessé de s’en occuper, et je suis bien persuadé que M. le ministre de la justice y apportera toute sa sollicitude et employer tous ses efforts pour que bientôt il soit construit à Liége une prison convenable, et qui vienne remplacer celle dont le triste état est reconnu.

M. Delfosse – Je n’ai entendu adresser de reproche à personne, et j’ai une entière confiance dans les intentions de M. le ministre de la justice en ce qui concerne la prison de Liége ; je dois cependant répondre à ce que M. le ministre a dit du subside voté par le conseil provincial. M. le ministre vous a dit que ce subside n’en était pas un, parce qu’il fallait le prendre sur un fonds qui n’était pas disponible, dont une loi empêche de disposer.

Cet obstacle n’est pas sérieux ; le gouvernement pourrait, d’accord avec les chambres, disposer de ce fonds. Le conseil provincial de Liége a prouvé que ce fonds n’était pas dû au gouvernement hollandais ; je ne veux pas traiter la question en ce moment ; mais je dois signaler un fait, c’est que la province du Limbourg, qui avait pris aussi l’engagement de percevoir des centimes additionnels pour le canal de Bois-le-Duc à Maestricht, a cessé de payer à partir de 1830 ; de manière que si l’on permettait à la province de disposer du produit des centimes qu’elle a payés pour cet objet à partir de 1830, on ne ferait que la placer sur la même ligne que la province de Limbourg.

- La clôture de la discussion est prononcée.

Le chiffre de 1,200,000 francs est adopté.

Articles 2 à 7

« Art. 2. Traitements des employés attachés au service domestique : fr. 230,000. »

- Adopté.


« Art. 3. Récompenses à accorder aux employés pour conduite exemplaire et actes de dévouement : fr. 3,000. »

- Adopté.


« Art. 4. Frais d’impression et de bureau : fr. 12,000. »

- Adopté.


« Art. 5. Constructions nouvelles, réparations, entretien des bâtiments et du mobilier : fr. 45,000. »

- Adopté.


« Art. 6. Traitement et tantièmes aux employés sur les produits des ateliers : fr. 75,500. »

- Adopté.


« Art. 7. Frais d’impression et de bureau : fr. 12,000. »

- Adopté.

Articles 8 et 9

« Art. 8. Achat de matières premières et ingrédients pour la fabrication : fr. 1,149,000. »

- Adopté.


« Art. 9. Gratifications aux détenus : fr. 180,000. »

- Adopté.

M. Scheyven, rapporteur – Vous venez, messieurs, d’adopter les articles 8 et 9 sur lesquels il y a une majoration de 120,000 francs ; comme vous avez pu le voir par le rapport de la section centrale, le chiffre porté au budget des voies et moyens pour remboursement d’avances faites pour achat de matières premières devrait être augmenté d’une somme égale ; je demanderai si M. le ministre des finances consent à ce que cette majoration soit faite au budget des recettes.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – J’ai compris ces 120,000 francs dans le projet de budget que j’ai soumis hier à la chambre.

Chapitre XI. Frais de police

Article premier

« Art. 1er. Service des passeports : fr. 8,000. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Autres mesures de sûreté publique : fr. 60,000. »

M. Dumortier – Messieurs, lorsqu’on a voté un chiffre aussi élevé pour les frais de police, nous étions dans des circonstances tout à fait extraordinaires ; nous étions alors en guerre avec la Hollande, et c’est à cause de cette situation que le crédit pour la police a été successivement élevé. Dans le principe, si ma mémoire est fidèle, ce crédit ne s’élevait qu’à 20,000 francs ; il a été porté ensuite à 30, à 40, à 60 et jusqu’à 80,000 francs ; maintenant, nous sommes en paix avec la Hollande, et nous pouvons espérer que cet état de paix se consolidera de plus en plus ; nous pouvons dès lors réduire le chiffre des frais de police ; évidemment le gouvernement n’a pas de conspiration à craindre ; les ennemis de nos institutions sont en si petit nombre qu’il faudrait un microscope pour les apercevoir.

Je demande donc que le chiffre de l’article 2 soit réduit à la somme de 40,000 francs, et j’espère que l’année prochaine nous pourrons le réduire à 20,000 francs.

(Moniteur n°359 du 24 décembre 1840) M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Je ne puis, messieurs, consentir à cette réduction. Si les circonstances étaient tout à fait ordinaires, il y aurait peut-être moyen de réduire le chiffre des frais de police, et moi-même au moment où il s’est agi de rédiger le budget, j’avais porté mon attention sur ce point ; mais depuis le mois de juillet dernier, les circonstances ont changé, et à l’instant même j’ai pris la résolution de conserver, pour 1841, le chiffre de 60,000 francs.

Certes, messieurs, il ne faut pas exagérer les difficultés de la situation, mais il faut convenir aussi que les circonstances ne sont pas tout à fait ordinaires : la Belgique est un petit pays, entouré de grandes nations chez lesquelles il règne plus ou moins d’agitation, et il est certaines circonstances où nous pourrions avoir besoin de tous les fonds demandés pour frais de police ; le pays, d’ailleurs, est continuellement traversé par une foule d’étrangers ; une foule d’étrangers aussi s’y rendent sans cesse pour y séjourner ; il faut exercer sur eux une grande surveillance. Si nous n’avions pas eu ces frais de police pendant les trois mois qui viennent de s’écouler, nous aurions, dans plus d’une occasion, été fort embarrassé. Tous ces motifs me portent, messieurs, à demander le maintien du chiffre de 60,000 francs.

(Moniteur n°358 du 23 décembre 1840) - Le chiffre de 60,000 francs est mis aux voix et adopté.

Chapitre XII. Dépenses imprévues

Article unique

« Art. unique. Dépenses imprévues : fr. 5,000. »

- Adopté.

Chapitre XIII. Dépenses arriérées

Article unique

« Art. unique. Pour solde éventuel de dépenses arriérées concernant des exercices dont les budgets sont clos : fr. 4,000. »

- Adopté.

Vote sur les articles et sur l’ensemble de la loi

La chambre adopte ensuite les articles de la loi du budget. Ils sont ainsi conçus :

« Art. 1er. Le budget du département de la justice pour l’exercice 1841, est fixé à la somme de 11,060,737 francs, conformément au tableau annexé à la présente loi. »

« Art. 2. La présente loi sera obligatoire à dater du 1er janvier 1841. »


Il est procédé à l’appel nominal sur l’ensemble du projet ; voici le résultat du vote :

71 membres sont présents.

70 adoptent.

1 rejette.

En conséquence, le projet est adopté.

Ont voté l’adoption : MM. Brabant, Cogels, Coghen, Coppieters, David, Dedecker, de Florisone, de Foere, Delehaye, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, Demonceau, de Nef, de Potter, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Villegas, Doignon, Dolez, Donny, Dubois, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumont, Dumortier, Fleussu, Hye-Hoys, Jadot, Kervyn, Lange, Lebeau, Leclercq, Liedts, Lys, Maertens, Manilius, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Pirmez, Pirson, Puissant, Raikem, Raymaeckers, Rodenbach, Rogier, Sigart, Simons, Smits, Troye, Ullens, Van Cutsem, Vandenbossche, Vandenhove, Vandensteen, Van Volxem, Verhaegen, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude et de Behr.

M. de Langhe a voté le rejet.

- La séance est levée à 5 heures.