(Moniteur belge n°156 du 5 juin 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. Lejeune procède à l’appel nominal à midi.
M. B. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
M. Lejeune communique à la chambre les pièces qui lui sont adressées :
« La chambre de commerce d’Ostende adresse des observations sur le projet de loi relatif à la navigation transatlantique. »
- Cette pétition restera déposée sur le bureau pendant la discussion de la loi à laquelle elle se rapporte.
« L’administration communale de Beverloo se plaint de vexations qu’elle prétend éprouver de la part du commandant du camp, dont elle demande le remplacement.
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de la commune de Waerschot déclarent adhérer aux pétitions en faveur de la langue flamande. »
- Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
« Les administrations communales d’Opbrakel et Peteghem-lez-Leynze (Flandre orientale) demandent que le traitement des desservants des succursales soit aux frais de l’Etat et à la décharge des communes. »
M. Delehaye – Tout le monde sait que les communes que la loi contraint à donner un supplément de traitement aux curés connus sous le nom de desservants, sont précisément celles qui sont les moins importantes et les moins riches.
La qualification de desservant est contraire au droit canonique qui ne connaît aucune distinction entre les curés en général, il divise le clergé en deux classes : le corps des évêques et les curés ; ces derniers sont tous placés sur la même ligne.
Le supplément de traitement supporté par les communes est contraire à la loi qui veut que le traitement du clergé soit supporté par l’Etat.
Je n’ai pas demandé la parole pour discuter maintenant cette question, mais j’ai pensé qu’en la soulevant, en faisant connaître à la chambre de quoi il est question dans la pétition, elle ne reculerait pas devant la proposition que je vais avoir l’honneur de lui faire. Je demande que la commission des pétitions soit invitée à faire un rapport avant la fin de la session actuelle, afin que la chambre puisse examiner la question et l’aborder dès l’ouverture de la session prochaine.
M. le président – M. Delehaye demande que la commission soit invitée à présenter un rapport sur la pétition qui vient d’être analysée, avant la fin de la session, si la chose est possible.
M. Delehaye – Ces mots ne sont pas dans ma proposition, parce que je crois la chose possible.
La session, il est vrai, ne tardera pas à être close, et il pourrait se faire que la commission n’eût pas le temps de présenter son rapport, mais cette prévision ne fait pas partie de ma proposition.
La proposition du renvoi avec demande d’un prompt rapport est adoptée.
M. le président – Toutes les sections ont autorisé la lecture de la proposition de loi déposée hier sur le bureau.
La parole est à M. F. de Mérode, auteur de la proposition.
(M. F. de Mérode n’est pas présent.)
M. d’Hoffschmidt dépose le rapport sur le projet de loi prorogeant la loi relative aux péages du chemin de fer.
- Ce projet sera imprimé et distribuée. La discussion en a été fixée après le vote de la loi concernant les bateaux à vapeur.
M. Vandenbossche – Messieurs, toutes les lignes du chemin de fer sont décrétées par la législature, leur confection est un engagement à remplir ; les dépenses extraordinaires que ces travaux exigent ne peuvent être couvertes par nos revenus ordinaires. Pour le moment, c’est au moyen d’un emprunt que nous devons y pourvoir.
Toutefois je pense que ce n’est que le strict nécessaire que nous devons nous procurer au moyen de cet emprunt.
Nous pourrions encore conserver, je pense, notre dette flottante, dût-elle monter à trente millions.
Le pays a des créances à faire rentrer. En premier lieu, l’encaisse de l’ancien caissier général, que la section centrale a déjà signalé à votre attention, suffirait pour en rembourser une partie.
Je ne parlerai pas des domaines dont l’Etat est en possession et que la section centrale vous a également dénoncés comme susceptibles d’être vendus. Je ne suis pas partisan de la vente des domaines de l’Etat, et notamment des domaines boisés, quelle que soit la différence du revenu que procurerait leur prix de vente ou la différence en plus que donneraient les droits d’enregistrement et de mutation, s’ils étaient dans le commerce.
Mais ce qui mérité au plus haut degré l’attention de tout ami de son pays, ce sont les 28 325 bonniers de forêts et terres dont le roi Guillaume a conféré l’administration à la société générale, laquelle depuis notre révolution a voulu s’en arroger la propriété.
Cette inconcevable prétention a révolté, dès le principe, le cœur de plus d’un patriote. Mais la grande influence de cette formidable société, dont le roi Guillaume est encore le plus grand actionnaire, a neutralisé jusqu’à ce jour tous les efforts pour engager la chambre des représentants à sérieusement rechercher quels sont les droits que cette institution pourrait légalement y former.
Une commission spéciale a été nommée dans le sein de la représentation nationale pour vérifier les droits et actions du gouvernement belge à charge de la société générale, du chef de ces domaines. C’est le 5 août 1835 que cette commission a présenté à la chambre un rapport de ses recherches et de ses délibérations. Ce rapport est l’objet d’une discussion parlementaire, et c’est à ces fins qu’il a été fait. Je n’ai pu partager les principes de la commission et j’ai successivement publié, sur cette matière, trois mémoires que j’ai distribués à mes honorables collègues.
Cette question, qui est de la plus haute importance pour les intérêts du pays, doit être un jour définitivement résolue par la chambre des représentants. C’est à nous à établir les principes et à montrer au gouvernement la conduite à tenir dans l’occurrence.
Si je parviens à faire admettre mes principes par la majorité de la chambre, l’arriéré des revenus des domaines dont la société générale est redevable au trésor, suffira à lui seul pour rembourser tout le restant de notre dette flottante, et, pour cela, je ne pense pas que l’emprunt doit concourir à son amortissement.
Je sais que mes opinions sur cette matière ne sont pas universellement partagées et je m’attends à rencontrer des adversaires, même parmi les représentants de la nation, mais d’un autre côté j’espère que plusieurs déjà sont convaincus de leur fondement, et que mes principes ne manqueront pas de partisans ; triompheront-ils ? la chambre décidera. En tout cas, et quel que soit le résultat de la discussion, le pays a besoin, dans les circonstances où nous nous trouvons, de connaître sa position à l’égard de la société générale, au sujet de ces domaines.
La discussion de cette grave question ne peut être directement entamée. Je propose donc à la chambre de la mettre à l’ordre du jour et de fixer l’époque quand elle pourrait avoir lieu ; en tout cas je propose formellement de décider qu’elle aura lieu avant de passer à la discussion des budgets de l’exercice de 1841.
Il est nécessaire que cette discussion ait lieu, et qu’elle reçoive une solution avant qu’on nous présente le budget des voies et moyens pour l’exercice prochain. Quelles que soient les économies que le gouvernement s’efforcera d’introduire dans les dépenses de l’Etat, toujours paraît-il établi que nos ressources actuelles ne pourront point y suffire. Il s’agira donc de créer de nouvelles ressources, d’augmenter les contributions existantes, ou d’en décréter de neuves. Dans cette situation, il est rationnel, il est même nécessaire de connaître ce que le gouvernement est en droit de répéter ou de recevoir à charge de la société générale. Car le peuple n’est déjà que trop chargée ; nous ne pouvons pas penser à lui imposer de nouvelles contributions, qui pourraient être inutiles.
Quant à l’emprunt, je suis disposé à l’adopter au chiffre qui sera trouvé nécessaire pour l’achèvement du chemin de fer, ainsi que pour tous les besoins qui n’admettent pas de délai.
Indépendamment des sommes que le gouvernement pourrait avoir à récupérer à charge de la société générale, je présume que nous aurions encore besoin de nouvelles ressources pour mettre nos recettes au niveau de nos dépenses. A cette occasion, je dois dire que j’espère ne pas avoir besoin d’augmenter les contributions existantes, mais uniquement de faire cesser quelques privilèges en matière d’impôt. A cet effet j’aurais l’honneur de présenter à la chambre un projet de loi avant l’ouverture de la session prochaine, si le gouvernement n’entend pas prendre l’initiative.
D’ailleurs, une stricte économie pourrait, je pense, alléger de beaucoup les charges du pays ; je ne peux pas m’abstenir de la recommander au gouvernement. Afin de pouvoir l’opérer, il faut une surveillance active et une sévérité qui ne fasse aucune acception de personnes. Le vol, la concussion, la fraude doivent être impérieusement écartés et irrémissiblement livrés à la vindicte des lois. L’incapacité, au surplus, ne peut point trouver de grâce. J’entends faire allusion à une entreprise de sables pour les chemin de fer, sur la ligne de Gand à Deynze, entreprise que l’ingénieur avait estimée à 165,000 francs, qui a été adjugée pour 117,000 francs, et à laquelle l’entrepreneur aurait encore gagné netto la somme de 70,000 francs, fait qui dénote dans l’ingénieur une incapacité telle, qu’il devient un scandale de le maintenir en place.
M. Delfosse – Ayant voté, dans la section centrale, pour la réduction de l'emprunt au chiffre de 65 millions, ainsi que pour la concurrence et la publicité, je crois devoir dire quelques mots pour justifier mon vote.
Je commence par la réduction : elle porte sur les paragraphes 1, 3 et 6 de l’article 2 du projet du gouvernement ; M. le ministre des finances y adhère en ce qui concerne les deux derniers paragraphes ; il ne reste donc qu’à examiner celle qui est relative aux travaux du chemin de fer.
M. le ministre des travaux publics s’opposait l’autre jour à cette réduction, parce qu’il la regardait comme un obstacle au zèle et à l’activité de l’administration dont il est le chef, parce qu’il pensait qu’elle conduirait à la suspension des travaux et à l’abandon d’une partie des lignes décrétées.
Les explications données hier par l’honorable rapporteur de la section centrale ont dû prouver à M. le ministre des travaux publics qu’il était, sur ce point, dans une erreur complète ; la section centrale n’a pas eu un seul instant l’intention d’entraver les travaux du chemin de fer, encore moins de proposer l’abandon d’une partie des lignes décrétées, et la résolution qu’elle a prise ne saurait avoir la conséquence redoutée par M. le ministre ; la section centrale n’avait pas à examiner jusqu’à quel point toutes les lignes décrétées sont utiles, elle se trouvait à cet égard en présence d’une décision de la chambre, que force lui était bien de respecter ; elle avait uniquement à rechercher les moyens de faire face à la demande.
D’après les indications données par le gouvernement, il fat encore une somme de 54 millions pour l’achèvement du chemin de fer, mais de l’aveu du gouvernement, cette somme ne sera entièrement dépensée qu’à la fin de l'année 1842, et il est permis d’espérer que le pays sera, à cette époque, en possession du produit de la vente d’une partie des biens domaniaux qu’il dépend de lui et qu’il est de son intérêt d’effectuer, de l’encaisse de 1830 et de ce qui nous est dû par la société générale, du chef de redevances de la liste civile et de divers autres chefs.
En présence de ces ressources, qui certes ne sont pas chimériques et dont il y a lieu de croire que la réalisation est prochaine, la section centrale a pensé qu’il suffirait de mettre actuellement à la disposition du ministère des travaux publics une somme de 40 millions, prises sur l’emprunt ; mais a-t-elle dit que là devrait se borner la dépense ? a-t-elle dit au ministre de choisir entre les lignes décrétées celles qui lui paraîtraient le moins utiles et d’en supprimer à concurrence d’une somme de 14 millions ? Non, messieurs, il suffit de jeter un coup d’œil sur la page 10 du rapport pour s’assurer qu’elle a dit tout le contraire.
M. le ministre des travaux publics peut donc être parfaitement tranquille, il peut donner un libre essor à son zèle et à son activité, ainsi qu’au zèle et à l’activité de ses subordonnés ; il peut entreprendre tous les travaux projetés et exécuter toutes les lignes décrétées ; lorsque la somme de 40 millions que nous proposons de mettre actuellement à sa disposition sera dépensée, il viendra nous demander les 14 millions qui lui manqueront encore, et nous les lui donnerons avec empressement, nous les donnerons au moyen des ressources que la section centrale a indiquées, ressources qui sont plus que suffisantes, et dont la réalisation n’est pas douteuse ; que si, par extraordinaire, elles n’étaient pas réalisées à l’époque où l’on aurait besoin des 14 millions, on pourrait, en attendant, recourir à une émission de bons du trésor, et même, s’il le fallait, à un second emprunt.
M. le ministre des travaux publics s’oppose fort à ce que l’on dépose dans la loi que nous allons voter le germe d’un second emprunt, il pense que cela serait de nature à altérer notre crédit et à effrayer les prêteurs ; j’avoue que je ne puis partager ces craintes. En quoi, je vous le demande, notre crédit serait-il altérer et les prêteurs effrayés parce que nous déciderions que l’emprunt de 90 millions serait contracté en deux fois au lieu de l’être en une ? La somme dont nous serions débiteurs et les garanties que le pays offre à ses créanciers ne seraient-elles pas les mêmes dans les deux cas ? Le ministère a d’ailleurs pris soin de réfuter lui-même cet argument, en demandant par son projet d’être autorisé à emprunter les 90 millions en une ou plusieurs fois ; certes l’altération portée au crédit et l’effroi inspiré aux capitalistes seraient tout aussi grands, si la division de l’emprunt s’opérait par le gouvernement, en vertu de l’autorisation que la chambre lui aurait donnée, que si elle émanait de la chambre elle-même.
Mais, nous dit-on : « Si vous laissez la porte ouverte à un second emprunt, si le ministère, par votre fait, est autorisé à vous demander un emprunt nouveau, prenez garde que, cédant à des nécessités que le temps pourra développer et vous dévoiler, il ne prenne cette occasion pour vous demander au-delà de ce que vous refuseriez aujourd’hui. » Cette considération,, messieurs, est justement ce qui me déterminerait à donner dès à présent une destination aux ressources indiquées par la section centrale, car, si vous les laissez disponibles, n’est-il pas à craindre qu’on ne les emploie plus tard à ces dépenses que M. le ministre des travaux publics voudrait prévenir. En les laissant disponibles, le danger signalé par M. le ministre des travaux publics est réel, inévitable ; en leur donnant, dès à présent, une destination, ce danger n’apparaît que pour le cas où il faudrait recourir à un second emprunt, et tout porte à croire que les ressources indiquées par la section centrale, si on leur donne la destination qu’elle propose, le rendront inutile. Dès lors, il n’ a pas à hésiter, et il serait au moins imprudent de grever le pays des frais et de pertes qu’un emprunt laisse toujours à sa suite.
Un honorable membre a présenté, dans la séance d’avant-hier , quelques considérations contre la vente des bois domaniaux, mais elles ont été à l’instant réfutées, et il ne me reste pas, quant à moi, le moindre doute que l’on ferait un acte de bonne administration en aliénant ces propriétés, qui sont onéreuses.
M. le ministre des finances a demandé dans la même séance, s’il ne conviendrait pas de réserver les ressources indiquées par la section centrale pour des besoins ultérieurs, par exemple, pour construction de routes, de canaux et autres travaux d’utilité publique : Il a demandé aussi s’il ne serait pas plus utile de les employer à l’amortissement de la dette 5 p.c. qu’à diminuer d’autant un emprunt qui sera probablement contracté à un taux d’intérêt inférieur.
Je serai toujours un des premières à applaudir à la construction de routes, de canaux ainsi qu’à l’amélioration des voies de communication existantes, il en est une surtout que j’appelle de tous mes vœux, parce que de graves intérêts s’y rattachent, et que je recommande spécialement à la sollicitude de M. le ministre des travaux publics ; je veux parler de l’amélioration de la Meuse ; mais je pense que l’on peut et que l’on doit faire ces travaux sans s’engager plus avant dans la voie ruineuse des emprunts, au moyen de l’excédant du produit des barrières et des ressources ordinaires.
Je ne sais si, comme M. le ministre des finances paraît l’espérer, l’emprunt projeté pourra se contracter au pair et à 4 ½ p.c. d’intérêt ; mais en admettant même cette hypothèse, je ne crois pas qu’il y aurait un grand avantage à emprunter à ce taux pour amortir le 5 p.c. ; la différence d’intérêt ne serait-elle pas amplement compensée par la commission et les frais qu’il faudrait payer ; que s’il y a un avantage, ce n’est pas à une mesure pareille, mais à une convention totale et directe qu’il faut penser.
Je crois, messieurs, avoir suffisamment motivé la réduction proposée par la section centrale. Il me reste maintenant à parler de la question de concurrence et de publicité.
Je sens le besoin, avant d’émettre mon avis sur cette question, de déclarer que je continue à avoir une grande confiance dans le ministère actuel, et que je suis convaincu que si nous lui donnions de pleins pouvoirs pour contracter l’emprunt, il s’acquitterait de cette tâche avec toute l’habilité et toute la loyauté désirables ; mais je crois, messieurs, qu’un membre de cette chambre doit défendre les principes, quels que soient les hommes qui sont au pouvoir, qu’il doit surtout les défendre lorsque les hommes qui sont au pouvoir ont sa confiance, pour avoir le droit de les invoquer plus tard, avec d’autres ministres.
J’ai toujours pensé, messieurs, et c’est là un principe dont j’espère que je ne dévierai jamais que lorsqu’il s’agit d’opérations importantes, d’opérations dans lesquelles le pays peut perdre ou gagner des millions, selon qu’elles sont bien ou mal conduites, loyalement ou déloyalement, les chambres commettraient une imprudence grave, manqueraient à leur premier devoir, si elles ne prenaient aucune espèce de précaution contre l’erreur ou la fraude qui sont possible, même sous les meilleurs ministres, car ils ne peuvent ni tout voir, ni tout faire par eux-mêmes.
En matière d’emprunt, il est un mode qui ne présente d’autre garantie que la responsabilité ministérielle, garantie fort illusoire, comme chacun sait, c’est le mode proposé par le gouvernement.
Si l’on veut des garanties plus réelles, et pour ma part, je les réclame, il faut au lieu de donner au ministère des pouvoirs illimités, décider que l’emprunt se fera avec concurrence et publicité.
Ou bien qu’il se contractera à des conditions que la chambre fixerait d’avance ; par exemple, au pair à 4 ½ p.c. d’intérêt, ou bien à toute autre condition qui serait jugée avantageuse.
Ou bien que le ministère traitera à telles conditions et sur telles bases qui lui paraîtront convenables, mais sauf ratification des chambres.
Il m’est indifférent que l’on adopte l’un ou l’autre de ces trois modes ; ils me paraissent présenter tous les trois des garanties suffisantes ; j’ai voté, dans la section centrale, pour la concurrence et la publicité, parce que c’était le mode qui paraissait rallier le plus de suffrages, mais je suis prêt à adopter tout autre mode présentant les mêmes garanties ; ce n’est qu’aux garanties que je tiens.
M. le ministre des finances a signalé un danger qui pourrait naître du mode proposé par la section centrale ; il s’est demandé ce que nous deviendrions, ce que deviendrait notre crédit, si aucune offre sérieuse n’était faite, si aucun concurrent ne se présentait. Messieurs, c’est là un danger qui me semble imaginaire ; partout où il y a de l’argent à gagner, et il y en aura par l’emprunt, les capitalistes se présentent. On a cité, il est vrai, quelques faits qui prouvent que le mode de concurrence et de publicité n’a pas toujours réussi ; on a parlé, entr’autres, d’un emprunt tenté en France à une époque de crise, dans un moment où l’émeute grondait encore dans la rue ; mais à ces faits rares et qui s’expliquent par les circonstances, on peut opposer d’autres faits plus nombreux et plus concluants, qui tous sont favorables au système de concurrence et de publicité, c’est ce qu’a fait hier l’honorable M. Cogels ; on nous a aussi menacés d’une coalition de banquiers ; messieurs, cette coalition est possible dans tous les systèmes, dans le système du gouvernement comme dans le nôtre ; et il dépendra de lui de la déjouer en fixant un minimum au-dessous duquel l’adjudication n’aura pas lieu et en facilitant la concurrence par la division de l'emprunt ; du reste, je répète ce que j’ai dit tantôt que je ne tiens pas exclusivement à ce mode, et que je suis prêt à y renoncer pour adopter, si on le préfère, l’un des deux autres que j’ai indiqués.
Ici, messieurs, s’arrêtent les considérations que j’avais à vous soumettre, mais je ne veux pas terminer sans déclarer hautement que je partage tout à fait l’opinion de M. le ministre des travaux publics sur l’immense utilité dont le chemin de fer est pour le pays et que je m’étonne, comme lui, des attaques dont cette entreprise a été l’objet dans cette enceinte ; je ne me fais néanmoins pas illusion au point de croire que les produits du chemin de fer couvriront l’aggravation de charges qui va résulter de l’emprunt, je suis au contraire convaincu que l’on ne pourra y faire face que par de nouveaux impôts ou à l’aide d’économies sur les dépenses. Il y a, si l’on veut réellement soulager les contribuables, de nombreuses et de grandes économies à faire, et quand je parle d’économies, je n’entends parler que de celles qui sont justes, qui ne froissent aucun droit acquis, le pays n’en veut pas d’autres. Je serais le premier, par exemple, à m’élever contre ceux qui voudraient méconnaître les titres que les braves officiers de notre armée ont à notre reconnaissance ; j’ai blâmé vivement l’arrêté qui a réduit le traitement des officiers de la réserve, mais l’on peut, sans blesser aucun intérêt légitime et sans le moindre danger pour le pays, réduire considérablement le chiffre et les dépenses de l’armée ; c’est ce que je me réserve de démontrer lors de la discussion du prochain budget de la guerre.
M. d’Hoffschmidt – J’ai demandé la parole pour dire encore quelques mots sur la question relative aux bois domaniaux. Peut-être aurais-je pu me dispenser de revenir sur ce sujet, après ce qui a été dit hier par plusieurs députés du Luxembourg ; mais comme le système contraire a été défendu par d’autres orateurs, je tiens à ce que l’on ne puisse croire que les arguments présentés par eux n’ont pu être réfutés ; je me bornerai du reste à quelques observations.
Ce qui nous avait paru étrange, je dirai même dangereux, c’est que, dans le rapport de la section centrale, la question dont il s’agit avait été tranchée pour ainsi dire sans discussion. Nous craignions qu’on ne posât ainsi un précédent dangereux. Nous désirons, messieurs, que, si jamais on ne vient à soulever cette question, à demander formellement la vente des bois domaniaux, la question soit bien approfondie, examinée avec toute l’attention qu’elle mérite. Il faudrait donc avant d’en venir là, que le gouvernement se livrât à des investigations sur toutes les questions qu’elle soulève ; il faudrait qu’un projet de loi fût présenté, renvoyé dans les sections , et là, mûrement examiné. J’espère que nous pourrions alors vous donner des raisons plus formelles pour vous ramener à notre avis.
Parmi les orateurs qui se sont prononcés en faveur de la vente, il en est un surtout qui s’est attaché à démontrer la nécessité de la mesure, c’est l’honorable M. Pirmez. Quand il a demandé la parole, je l’ai écouté avec une grande attention, parce que je m’attendais, de la part d’un économiste aussi distingué, d’un penseur aussi profond, à entendre formuler des arguments nouveaux sur la question ; mais, je dois le dire, j’ai été trompé dans mon attente. L’honorable membre n’a fait en quelque sorte que reproduire un raisonnement qu’on présente constamment, qui consiste à dire que les bois domaniaux rapportent peu à l’Etat, que donc il faut les vendre.
Personne de nous n’a jamais contesté, messieurs, que sous le rapport purement financier, la mesure ne présentât pas des avantages. Nous ne le nions pas. Seulement, j’ai dit que ces propriétés, qui ne rapportent maintenant que 2 ½ p.c., rapporteraient probablement davantage dans l’avenir, parce que je prévoyais dans l’avenir le renchérissement des bois. En effet, messieurs, je suis persuadé que dans un nombre d’années plus ou moins long, les bois seront plus chers que maintenant. Mais ce n’est pas là que se trouve le véritable point de la difficulté.
Qu’importerait aux générations futures que vous ayez épargné quelques centaines de mille francs, si vous les aviez privées d’une production indispensable aux besoins de la société ? Qu’importerait cette économie à nos maîtres de forges, si vous frappiez de mort leur industrie. Eh bien, plusieurs maîtres de forges très éclairés du Luxembourg m’ont déclaré que, si la vente des forêts domaniales était décrétée, ce serait une menace de mort pour leur industrie.
A la vérité, l’honorable député du Hainaut nous a dit que, dans le Luxembourg, les forêts ne sont pas pour la plupart défrichables. D’un autre côté, M. Desmet a dit que c’était surtout par le défrichement que la vente des forêts devenait avantageuse. Je crois, messieurs, que, dans une grande partie du Luxembourg, les forêts ne peuvent pas, en effet, être défrichées, parce que le sol n’est pas assez productif ; cependant, il est quelques parties dont le sol est bon, et où le défrichement serait avantageux ; mais ce n’est pas là le danger principal qui menace l’existence de nos forêts, le danger est qu’elles soient livrées à des spéculateurs. Ce ne sont pas de simples propriétaires qui achèteraient nos domaines. Ce sont des spéculateurs qui calculeraient qu’en vendant la superficie, ils auraient le fonds pour rien. Si cela avait lieu, la première opération, qui s’ensuivrait, serait de raser les forêts. Ce que je dis, messieurs, est démontré par l’expérience. Je citerai la belle forêt de Bologne, qui se trouve ou plutôt se trouvait entre Arlon et Neufchâteau. Qu’est-il arrivé ? ce sont des maîtres de forges français qui l’ont achetée ; leur premier soin a été de la raser complètement, et là où naguère on voyait une végétation magnifique, des arbres qui s’élevaient jusque dans la nue, on ne voit plus que des broussailles.
M. Pirmez vous a dit qu’une propriété privée est toujours mieux administrée qu’une propriété de l’Etat. Je puis admettre ce principe en thèse générale, mais, pour les propriétés boisées, je le nie formellement ; l’intérêt privé est pressé de jouir, c’est dans sa nature, pour jouir promptement des bois, il faut les couper. L’intérêt privé, dans tous les cas, ne les soumet point, comme fait le gouvernement, aux arrangements nécessaires pour assurer leur prospérité.
L’expérience, messieurs, l’a encore prouvé. Je citerai encore ici la province du Luxembourg, parce que c’est là que se trouve la plus grande partie de nos forêts. Eh bien, en général, les bois appartenant à des particuliers ont en mauvais état, tandis que les forêts appartenant à l’Etat sont pour la plupart très belles. Je dis en général, parce que certainement, il y a des exceptions ; des particuliers qui cultivent leurs propriétés en bons pères de famille. Je citerai le duc d’Aremberg qui possède dans notre pays des propriétés boisées très considérables.
Il est certain que celles-là sont parfaitement aménagées ; mais le duc d’Aremberg est un propriétaire à part, que l’on est heureux d’avoir dans un pays, parce qu’il veille à l’amélioration des propriétés.
M. Desmet disait aussi hier que si on a défriché des forêts, en compensation on a commencé à faire des plantations autour des terrains labourés. Mais si les forêts disparaissaient entièrement de la surface, croyez-vous qu’elles puissent renaître en quelque sorte de leurs cendres ? Non certes, cela n’est pas possible ; l’expérience a prouvé que les choses ne se passent pas de cette manière. Une fois qu’une forêt a été rasée, elle ne revient plus telle qu’elle était ; le sol se divise, ce qui est fait par un propriétaire en plantations n’était pas fait par l’autre. Une forêt ne s’improvise pas ; pour obtenir une belle forêt, il faut des aménagements réguliers une administration prudente et les soins de culture qu’exige presqu’un jardin. On ne peut pas, par exemple, remplacer des chênes ayant cent ans d’existence et les remplacer instantanément.
Un reproche qui m’a plus touché que les arguments du député de Charleroy, c’est que les députés du Luxembourg étaient mus dans cette question par un intérêt purement local. Je sais que c’est là un reproche à la mode, et bientôt, si cela continue, on ne pourra plus prononcer le nom de sa province sans s’exposer au reproche d’être dirigé par l’intérêt de clocher.
On doit remarquer cependant qu’une province entière ne peut pas être intéressée dans une question sans que l’intérêt général ne s’y rattache. Si vous n’admettez pas cela, vous trouverez très peu de questions d’intérêt général. Le chemin de fer de Charleroy, par exemple, est sans doute un objet d’intérêt général, mais c’est avant tout un intérêt particulier pour Charleroy, puisque c’est cette ville qui en profite le plus.
Mais messieurs, qu’ai-je donc dit dans la question qui nous occupe ? j’ai dit d’abord qu’il était de l’intérêt général de conserver nos forêts ; j’ai dit ensuite que cette question se compliquait de celle de la fabrication du fer au bois dans le Luxembourg ; or je ne crois pas qu’il soit de l’intérêt de la Belgique de faire tomber cette industrie qui existe depuis des siècles dans cette province.
Non, messieurs, on ne doit pas accuser les députés du Luxembourg d’être mus exclusivement par des intérêts de localité ! En toute occasion, ils ont prouvé le contraire. Nous avons voté pour les sommes énormes allouées pour le chemin de fer, et nous l’avons fait avec plaisir et sans restriction ; nous ne sommes pas venus faire des diatribes contre cette entreprise qui fait tant d’honneur au pays, parce qu’elle ne va pas dans le Luxembourg ; nous avons voté toutes les dépenses du chemin de fer ; et, je le répète, nous l’avons fait sans restriction.
Les intérêts locaux des autres provinces nous ont également trouvés très faciles. Nous avons voté la canalisation de la Sambre et le canal de Zelzaete lorsqu’il fut discuté dans cette chambre. Je pense même qu’on ne peut nous citer un intérêt local bien entendu auquel des députés du Luxembourg se soient opposés.
Après cela, il ne doit pas paraître étrange que nous parlions de notre province. C’est une chose toute simple que l’on parle de la partie du pays qu’on connaît le mieux, qu’on l’appelle Luxembourg ou une partie de la Belgique, peu importe. Nous parlons de la province qui nous a députés, parce que c’est nous qui la connaissons le mieux. Je le demande, qui parlerait des intérêts de cette province, si ce n’étaient les députés du Luxembourg ? Ce ne serait pas sans doute l’honorable M. Pirmez ? Car chaque fois qu’il a été question d’une proposition favorable à notre province, si l’honorable M. Pirmez a pris la parole, c’a été pour la combattre. Je citerai, par exemple, la loi des six millions destinés à la construction des routes. Elle avait été proposée principalement, on le sait, dans l’intérêt du Limbourg et du Luxembourg. Il n’y a eu qu’une voix contre cette loi, c’est celle de l’honorable M. Pirmez.
Oui, messieurs, les bois domaniaux intéressent et intéressent vivement le Luxembourg ; mais ils intéressent aussi la nation entière. Les ministres qui se sont succédé en Belgique depuis 1830 ont été pénétrés de cette vérité, car je n’en connais pas un seul qui se soit montré favorable la vente des bois domaniaux.
Nos anciens souverains étaient aussi contraires à des mesures de cette nature. Nous avons une foule d’ordonnances rendues par les anciens souverains de la Belgique, avant 1790, et notamment par les archiducs Albert et Isabelle, et par Marie-Thérèse. Il y a même dans le préambule de l’ordonnance de Marie-Thérèse de 1734 une phrase remarquable portant que l’on doit s’attacher à conserver les bois du Luxembourg, et que sans cela, la province ne pourrait subsister. Prenez donc garde d’adopter une mesure qui serait fatale au pays, et qui vous serait reprocher dans l’avenir.
Dans tous les cas, comme je l’ai déjà dit en commençant, ce ne serait qu’après y avoir profondément réfléchi qu’on pourrait prendre une mesure de cette nature.
Puisque j’ai la parole, je dirai maintenant quelques mots sur l’emprunt.
Je partage l’opinion de ceux qui veulent le chiffre auquel le gouvernement a réduit sa demande, c’est-à-dire le chiffre de 80 millions. Je suis de l’opinion que c’est le moyen le plus sûr de fermer la voie aux emprunts. Je suis même convaincu que si nous ne votons pas la somme demandée par le gouvernement, la session prochaine ne se passera pas sans qu’on vienne demander un nouvel emprunt. Cette idée, quoi qu’on fasse, subsistera chez les prêteurs, chez les capitalistes ; elle suffira pour nuire considérablement à l’emprunt actuel.
Indépendamment de cela, je désire en finir une bonne fois avec le chemin de fer. Je désire qu’aucune entrave ne soit apportée à cette belle entreprise, qu’elle puisse se terminer le plus promptement possible, qu’il n’y avait pas de doute à cet égard, et que le gouvernement, recevant actuellement la somme qu’il demande, ne puisse demander un nouvel emprunt dans l’avenir pour le même objet.
Quant à la disposition insérée dans l’article 1er de la section centrale, disposition qui exige la concurrence et la publicité, je la crois extrêmement dangereuse. On ne peut pas nier qu’il se présente une éventualité, c’est qu’il put arriver qu’il y ait une coalition ou qu’il n’y ait pas d’adjudicataires. Cette éventualité, l’honorable M. Cogels ne l’a pas niée ; car il a dit qu’il avait l’espoir que nous aurions beaucoup d’adjudicataires, mais il a dit en même temps qu’il n’en avait pas la certitude. Eh bien, dans une opération si importante, il faut non de l’espoir mais de la certitude. Puisque l’éventualité que je viens d’indiquer est incontestable, nous devons repousser, sans hésiter, la disposition qu’on veut imposer au gouvernement. Qu’arriverait-il, si le gouvernement croyait ne pouvoir contracter l’emprunt au taux qui lui serait proposé, s’il le trouvait trop onéreux ? Les chambres seraient ajournées. Il faudrait un temps très long pour changer ce malheureux articles. Les travaux du chemin de fer seraient donc interrompus. D’autre part, si la disposition proposée avait pour résultat que le gouvernement contractât un emprunt à un taux onéreux, vous auriez compromis le crédit public.
Je suis d’autant plus surpris que la section centrale ait imposé cette obligation au gouvernement, que la section centrale du projet qui a amené l’emprunt 3 p.c. disait :
« Quant à l’obligation de la concurrence et de la publicité dont il a été parlé dans les sections, le gouvernement pouvant mieux juger les circonstances où il se trouve et les meilleurs moyens de succès qu’elles lui présentent, nous croyons que, sur ce point, il convient de lui laisser toute liberté et toute responsabilité. »
Vous voyez donc que cette section centrale était d’un avis tout différent de celui de la section centrale qui a fait le rapport sur le projet en discussion.
Le mode de publicité et la concurrence présentent certainement des avantages. Il est possible que le gouvernement essaie de recourir à ce mode. Mais ce mode ne présente d’avantages que quand les capitalistes savent que le gouvernement peut employer un autre système. Mais si vous ne laissez que ce mode au gouvernement, cela suffit pour paralyser tous ses efforts.
Je voterai donc pour la proposition du gouvernement, et en même temps je voterai contre la disposition de l'article 1er dont je viens d’avoir l’honneur de vous parler.
M. Pirmez – Je pense que c’est par une loi particulière qu’il faut régler la vente des domaines.
Mais ce n’est nullement s’écarter de la question, que d’en parler à l’occasion de l'emprunt ; car la majorité des section, si pas toutes, ont témoigné le désir de cette vente, et la section centrale l’a même proposée en déduction de l’emprunt.
Malgré ce grand concours d’opinions, cette mesure a été fort attaquée, et jusqu’ici peu défendue dans la discussion générale, de manière que maintenant c’est le principe d’utilité des ventes des domaines qui est en question.
Et ce principe d’utilité est tellement en question qu’hier un honorable député, dont l’autorité est, à juste titre, considérable à cause des fonctions éminentes qu’il a remplies avec distinction, a soutenu que non seulement il ne fallait pas vendre les forêts, mais qu’il fallait en acheter. C’est à cet usage qu’il réserve une somme que la banque doit à l’Etat.
Nous voilà donc bien loin de la vente des domaines, et nous devrons peut-être nous trouver heureux, si, de ce côté-là, nous ne trouvons pas pour les contribuables de nouvelles charges au lieu d’y trouver un soulagement.
L’honorable député a dit, pour appuyer ces idées, que les raisons que j’avais données pour la vente des domaines étaient bonnes pour un particulier, que c’est ainsi qu’un particulier raisonnerait, mais qu’une nation devait s’élever à des considérations d’un ordre plus élevé.
Et que ces considérations d’un ordre plus élevé, on les donnerait lorsqu’il s’agirait d’appliquer l’encaisse de la banque à l’acquisition de forêts.
Celui qui raisonne comme un particulier, lorsqu’il traite les intérêts d’une nation, raisonne faux et mal. C’est pourquoi, j’aurais beaucoup désiré connaître ces considérations d’un ordre plus élevé qui prouvaient mon erreur et celle de tous ceux qui demandaient la vente des domaines.
L’occasion aujourd’hui était assez importante pour les produire ; mais nous en sommes réduits à des conjectures, et à nous imaginer que ces considérations se trouvent peut-être parmi celles données par d’autres honorables adversaires. Il n’y a qu’à celles-là qu’on peut répondre ; je ne saurais pas deviner les autres.
On nous a demandé pourquoi nous nous écarterions de l’exemple des autres nations voisines, de la France et de l’Angleterre, l’une, dit-on, conserve les forêts ; l’autre, dans le gouvernement, les fait replanter.
Remarquez d’abord, que nous blâmons et approuvons les nations voisines, selon l’intérêt de notre opinion. La France ne construit pas, comme nous, des chemins de fer, des voies d’utilité publique. Que la France est arriérée ! Quelle avance nous avons sur elle ! La France défend les défrichements ; nous sommes bien audacieux d’agir autrement que la France. Voilà comme nous raisonnons.
Mais on se trompe en disant que la France ne vend pas ses domaines, qu’elle n’autorise pas les défrichements. Malgré son administration des forêts, malgré son génie militaire, elle y est bien forcée par la civilisation qui la pousse. La France a, dans ces dernières années, vendu beaucoup de forêts ; le chiffre, je pense, est de 200 millions.
La France est amenée à ces ventes par la force des choses, malgré une résistance incroyable de plusieurs administrations, intéressées, despotiquement systématiques, soutenues par des préjugés séculaires. Mais il faut enfin que ces civilisations se résignent ; car vouloir les bienfaits de la civilisation, vouloir les chemins de fer, les canaux, toutes les jouissances de l’aisance, et vouloir tenir le pays boisé, quand il peut être défriché, c’est une contradiction.
Les calculs de la perte occasionné en empêchant de défricher le terrain qui pourrait être mis en culture sont effrayants, je viens d’en trouver un dans un opuscule. Le voici : je ne garantis pas l’exactitude des calculs, mais le raisonnement seul fait apprécier que la perte est immense.
(Ici l’orateur lit des calculs qui établissent qu’en 100 ans on perte 178,100 francs par hectare sur certains bois, en le les défrichant pas.)
Et soit dit en passant, ce calcul est surtout applicable à la forêt de Soignes que vous voulez acheter, je conviens qu’il faut le diminuer pour le Luxembourg ;
Mais c’est avec un grand étonnement que j’ai entendu hier citer l’Angleterre comme tendant à se recouvrir de bois, et, chose étrange !, dans l’intérêt de ses constructions navales. Il n’est rien de plus erroné que cette assertion ; mais je suis fort satisfait qu’on m’ait donné l’occasion de citer l’Angleterre dans cette question.
Il n’est point d’exemple plus frappant, plus propre à renverser toutes les considérations que l’on donne en faveur des forêts que l’exemple de l’Angleterre.
L’Angleterre peut être citée comme le modèle de la richesse des progrès dans les arts, dans la civilisation. Tous ceux qui la visitent s’en reviennent émerveillés des choses étonnantes qu’ils y ont vues et de l’éclat de sa puissance ; ses vaisseaux couvrent toutes les mers. Il ne se trouve dans l’histoire rien qui approche d’une pareille puissance maritime.
Eh bien, les forêts de l’Angleterre ont disparu au fur et à mesure que ses richesses et que le nombre de ses vaisseaux croissaient, et je trouve dans une brochure écrite, en 1826, par un de nos honorables collègues, que les forêts y sont réduites au quinzième de ce qu’elles étaient il y a un siècle.
Voilà, certes, un défrichement prodigieux. D’après le calcul que je vous ai présenté tout à l’heure, vous ne doutez pas qu’il n’ait amené un accroissement considérable de richesse, mais quel mal a-t-il produit ?
La salubrité de l’air peut être altérée ? mais on n’a pas remarqué que des maladies se soient déclarées. La durée de la vie de l’homme y a au contraire augmenté, et les Anglais se distinguent toujours par des qualités physiques remarquables.
La pluie ne tombe plus en aussi grande abondance. Les sources tariront. Rien de semblable n’a été remarqué. Depuis le déboisement et en partie à cause du défrichement, la population anglaise a considérablement augmenté, les sources et les courants d’eau suffisent toujours à ses besoins, et ils alimentent, dit la brochure dont je viens de parler, la plus prodigieuse navigation artificielle que l’on connaisse et qui offre à elle seule plus de développement que toutes celles de l’Europe réunies. Ainsi la crainte de manquer d’eau est tout aussi chimérique que les autres.
Les forêts sont nécessaires à la défense du territoire. Ici je ne peut plus invoquer l’exemple de l’Angleterre, mais il faut que nous soyons bien crédules et bien confiants dans ceux qui se donnent pour maîtres en ces matières pour adopter de pareilles raisons et pour sacrifier une grande partie de la fortune publique.
N’avons-nous pas vu les événements rendre vaines toutes les prévisions sur la défense des territoires, et quel exemple que celui des forteresses bâties depuis 1815 contre la France. Dix ans après, sans tirer un coup de canon, elles étaient au pouvoir de la France et prêtes à servir contre ses ennemis. Et nous, entourés de grandes puissances sans connaître de quel côté seront nos ennemis, nous conserverons, nous achèterons même des forêts pour la défense du territoire. Ceux-là prévoient les événements de loin qui distinguent dès aujourd’hui si elles nous seront nuisibles ou utiles. Ce n’est pas là sans doute une des considérations qui vous feront acheter la forêt de Soignes.
L’honorable M. d’Hoffschmidt me fait dire que les bois étaient mieux administrés par les particuliers que par le gouvernement. J’ai parlé des propriétés en général et je dis encore qu’un particulier retire d’un fonds, quelque soit sa nature, le plus d’avantage que le gouvernement.
Si j’ai reproché à l’honorable représentant d’agir dans un intérêt local, c’est que lui-même m’y a autorisé en demandant que les ventes des bois du Luxembourg contournassent plus spécialement au profit du Luxembourg que des autres parties du pays.
Quant aux emprunts sur les routes, j’ai combattu et voté seul, il est vrai contre cette loi, mais mon vote n’était pas plus hostile au Luxembourg qu’aux autres localités, c’est le principe seul que j’ai attaqué.
L’honorable M. d’Hoffschmidt invoque la sollicitude des anciens souverains pour les forêts. Mais l’ordre social est entièrement changé relativement à la terre. Dans les temps dont parle l’honorable membre, la plupart des propriétés dont il s’agit ne pouvaient être vendues ni morcelées, et si nous étions encore dans ces temps-là, il serait impossible que je demandasse la vente des propriétés domaniales.
M. Meeus (Ce discours a fait l’objet d’importants errata insérés dans le Moniteur du 6 juin 1840) – Messieurs, je n’avais pas d’abord l’intention de prendre la parole dans cette discussion ; mais, bien que décidé à voter pour le projet du gouvernement, ce projet ne me satisfait pas ; c’est par là vous dire combien je suis éloigné d’admettre celui de la section centrale, surtout si j’ajoute que, dans mon opinion, l’emprunt au chiffre de 90 millions est au-dessous de celui que le gouvernement aurait dû demander.
Messieurs, après près de onze années nous sommes arrivés à une Belgique indépendante, reconnue par toutes les puissances ; le jour est donc venu de compter avec nous-mêmes ; le jour est venu où l’on peut dire la vérité toute entière, parce qu’enfin c’est la vérité qui doit nous éclairer.
Nous avons une indépendance assurée ; la paix existe en Europe ; rien n’est à redouter maintenant qui puisse la troubler ; le crédit se fortifie partout ; nous pouvons profiter des circonstances.
Mais ne nous trompons pas ; la Belgique, après tout, n’est qu’une petite nation ; la Belgique ne vivra qu’autant qu’elle sera prudente et prête ; qu’autant qu’on aura soin de prévoir les mauvaises chances de l’avenir. C’est donc aujourd’hui, messieurs, d’après moi, que le moment est venu de bien examiner la position de la Belgique par rapport à son crédit, par rapport à ses ressources. Mais, remarquez-le bien, je ne veux pas toucher ici à la question des impôts ; je ne veux m’occuper que de la question du crédit public.
Par le projet du gouvernement une grande partie des bons du trésor se trouverait éteinte ; mais moi, messieurs, je voudrais qu’il n’y eût plus de bons du trésor que d’après l’esprit de la loi de 1833. A cette époque, je disais, car j’étais un des promoteurs du système des bons du trésor, je disais : il faut que le gouvernement puisse émettre des bons du trésor, quand le service de l’Etat l’exige, non pas comme ressource, en ce sens que cette ressource ne doit pas entrer dans les voies et moyens, mais doit être un moyen de pourvoir aux exigences du trésor. Je disais alors ; des années calamiteuses peuvent arriver, nous n’aurons pas toujours des années comme les deux ou trois dernières, où l’agriculteur peut payer facilement sa contribution ; dans les mauvaises années, il faut que le gouvernement soit paternel ; il ne doit pas presser la rentrée des contributions ; cependant il faut que l’armée et les employés du gouvernement soient payés exactement ; pour atteindre à ce but, il faut que le gouvernement puisse émettre des bons du trésor pour combler la lacune momentanée que le trésor éprouve ; les bons du trésor sont donc un moyen de ne pas gêner les contribuables.
En 1833, un emprunt était nécessaire, et je disais, en attendant que cet emprunt soit contracté, il est utile que le gouvernement puisse émettre une certaine quantité de bons du trésor, afin d’attendre l’occasion la plus favorable pour emprunter, et de n’être pas à la merci de prêteurs. Alors on décréta les bons du trésor dans le sens que j’ai indiqués d’abord, et ensuite dans le sens dont je viens de parler, c’est-à-dire, pour donner au gouvernement le temps, les moments favorables pour emprunter.
Depuis cette loi, on a fait des bons du trésor une ressource permanente ; cependant y a-t-il une nation à qui un semblable mode d’émission puisse moins convenir qu’à la Belgique ? La Belgique, dans mon opinion, placée comme elle est, doit être prévoyante, doit avoir plutôt des sommes accumulées que d’être sous le poids d’un remboursement non prévu.
En effet, si dans un an, si dans 18 mois, contre toute prévision, des événements graves surgissaient en Europe, le gouvernement belge serait peut-être appelé à faire des dépenses extraordinaires ; car notre neutralité sera respectable si nous savons la faire respecter ; c’est dans ce moment où le gouvernement aurait besoin de trouver 20 ou 25 millions pour mettre notre armée sur un pied convenable que le crédit public serait plus ou moins compromis chez toutes les nations, et, cependant, il faudrait, en outre, faire face aux demandes de payement de 15 ou 18 millions de bons du trésor : c’est là un non-sens.
Qu’on vienne dire que la France et l’Angleterre ont des émissions de bons du trésor ; mais, messieurs, il n’y a pas de comparaison possible ici ; ces nations décident elles-mêmes de la guerre et de la paix ; elles peuvent à l’avance prendre leurs précautions. La Prusse, bien qu’elle désire le maintien de la paix, a plus de 150 millions dans ses coffres ; c’est qu’elle prévoit les crises, et qu’elle veut y faire face. Ce qui est vrai pour la Prusse est vrai pour la Belgique.
Mais si la France et l’Angleterre, maîtresses des événements, peuvent prendre des précautions contre ces événements, il y a encore une considération favorable à ces pays et qu’il ne faut pas perdre de vue. C’est que la France et l’Angleterre trouvent toujours dans leurs pays les fonds dont elles ont besoin ; et telle n’est pas notre situation. Quand la France emprunte, elle emprunte à elle-même ; elle est à la fois prêteur et emprunteur ; il en est de même en Angleterre. Les fonds français sont en France ; les fonds anglais sont en Angleterre ; pour la Belgique, la plupart de ses fonds sont à l’étranger ; dans un moment de crise on ne pourrait donc pas faire un emprunt en Belgique, puisqu’elle ne peut pas prendre sa propre dette. Cependant, pendant les moments favorables, au lieu d’accumuler pour les temps de crise on prend un système qui peut grossir l’orage.
J’aurais donc voulu que le gouvernement fît un emprunt pour convertir les bons du trésor ; et je crois qu’en agissant ainsi on serait sage et prudent.
Je passe, messieurs, à d’autres considérations.
Le moment, d’après moi, était venu aussi d’établir une bonne foi notre système financier. Nous avons du 3 p.c., du 4 p.c., du 5 p.c. ; ces différences de fonds sont funestes à notre crédit. Je suis rentier, j’achète du 3 p.c. ; demain, je trouve qu’il y a avantage à avoir du 4 p.c. ; après-demain j’achèterai du 5 p.c. ; c’est m’appeler à l’agiotage, c’est le rentier qu’il faut appeler pour créer une véritable dette nationale ; il faut pour cela lui offrir une dette uniforme ; parce qu’il faut que la Belgique fasse des efforts pour qu’à la longue, nos fonds soient chez nous ; tant que cela ne sera pas, nous ne serons pas dans la meilleure position.
J’admets que les emprunts ne sont pas toujours onéreux ; j’admets avec M. Metz qu’ils ont un bon côté, mais ils ont un bon côté surtout quand on emprunte chez soi ; mais quand on emprunte à l’étranger, ils font sortir annuellement de grands capitaux du pays pour le payement des intérêts, et les avantages sont alors partagés entre le pays et l’étranger.
Cela me mène tout naturellement, messieurs, à vous dire que la conversion du 5 p.c. et du 4 p.c. était, dans mon opinion, devenue indispensable ; elle l’était par les motifs que je viens de faire valoir et par tant d’autres que je pourrais énumérer, mais surtout par ce motif déterminant que le 5 p.c. est un obstacle à l’élévation de notre crédit national. On s’est plaint du cours de notre 3 p.c. ; on a cité le 3 p.c. français, qui était à 86 ; et comment voulez-vous, messieurs, qu’à l’étranger (et c’est à l’étranger surtout que notre crédit doit être établi), comment voulez-vous qu’à l’étranger notre 3 p.c. s’élève au taux de 3 p.c. français, lorsqu’on peut constamment le comparer au 5 p.c. qui est à 103, sous l’impression de l'attente d’une conversion dont on a parlé si souvent, et sous l’impression d’un remboursement périodique ; car vous savez, messieurs, que d’après la loi on tire au sort tous les ans une partie des obligations que l’on rembourse au pair.
C’était donc, je le répète, le moment d’en finir avec toutes ces questions, c’était le moment de présenter un projet de loi d’ensemble, qui eût cependant laissé au gouvernement une latitude suffisante, pour le temps de l’application.
Mais ce temps de l’application, messieurs, n’est-il pas venu ? Passez donc en revue les cotes de toutes les bourses de l’Europe, depuis la révolution française, et citez une époque où les fonds publics ont été à des cours plus élevés qu’aujourd’hui. Jamais, depuis que le 5 p.c. français existe, jamais depuis que le 4 p.c. existe, jamais depuis que le 3 p.c. existe, ces fonds n’ont été cotés à un taux aussi élevés que celui auquel ils sont cotés aujourd’hui. Et nous ne profiterions pas de cette circonstance qui se présente tout naturellement d’en finir, et de faire une bonne fois une loi d’ensemble propre à favoriser notre crédit à l’étranger et à l’intérieur ! Nous ne profiterions pas de cette occasion qui nous échapper chaque instant, et pour ma part, messieurs, je vous le déclare, j’éprouve un vif regret de ce que le gouvernement n’ait pas cru devoir agir de la manière que je viens d’indiquer. Je conviens cependant que je ne pourrais guère lui en faire un reproche quand je considère que la section centrale est encore venue modifier le projet de loi, que loin d’admettre ce que proposait le gouvernement relativement aux bons du trésor, elle veut en maintenir pour 18 millions en circulation, ce qui, au premier événement, sera une épée suspendue au dessus de notre tête. Je conçois que si le gouvernement ne croyait pas que la chambre pût apprécier les circonstances qui militent en faveur d’un semblable projet, il a bien fait de se borner à présenter celui que nous discutons en ce moment.
Comme je n’espère pas que ces paroles aient un grand retentissement, je ne m’étendrai pas davantage sur ces questions d’ordre supérieur, et puisque je suis décidé à voter la loi présentée par le gouvernement, je me permettrai quelques réflexions au sujet de cette loi.
D’abord, je voudrais que la chambre déterminât le taux de l’intérêt, parce que, de cette manière, on éviterait qu’il ne se crée un nouvel obstacle à la conversion future de nos emprunts en une dette nationale uniforme. Il me semble qu’il faudrait aborder franchement la question de savoir si le nouvel emprunt sera émis à 5, à 4 ½ ou à 3 pour cent, et pour ma part, j’avouerai dès l’abord que c’est au 3 pour cent que je donnerais la préférence.
Il suffit de consulter ce qui se passe chez les nations voisines pour acquérir la certitude que c’est là le taux qui offre le plus de chances au gouvernement. C’est donc le taux de 3 pour cent que je voudrais faire admettre dans le projet de loi ; de cette manière, lorsque nous en viendrons à la conversion (et j’espère que le gouvernement abordera sans délai cette question), nous n’aurions plus qu’à décider sur le 5 et le 4 p.c., et ce serait toujours un grand pas de fait vers un système uniforme de dette nationale.
Quant à l’amortissement, messieurs, on en a beaucoup parlé hier, et l’on a fait un reproche à l’honorable M. d’Huart, d’avoir, lorsqu’il était ministre des finances, laissé insérer dans le contrat de l’emprunt la clause que la moitié de l’amortissement devrait se faire par la maison Rothschild ; l’honorable membre a dit qu’il avait fait tout ce qu’il pouvait pur obtenir que l’amortissement eût lieu en Belgique.
M. d’Huart – N’importe sur quelle place, mais par les soins du gouvernement belge.
M. Meeus – Que l’amortissement se fasse par les soins du gouvernement belge ou par les soins d’une maison de banque quelconque, cela est indifférent, mais il importe au crédit de la Belgique que l’amortissement ait lieu sur les places ou la plus grande partie de l’emprunt se trouvera placée. Il est de l’intérêt des porteurs d’obligations à l’étranger, et par conséquent de l’intérêt du crédit de la Belgique, qu’il soit inséré dans le contrat une clause par laquelle le gouvernement s’oblige à faire acheter sur la place de Paris, sur la place de Londres, une certaine quantité d’obligations qui doivent être amortis. Je dis que cela est dans l’intérêt de notre crédit, parce que, encore une fois, la Belgique ne peut pas encore trouver sur son propre marché tous les capitaux nécessaires pour former le montant de l’emprunt, et que, dès lors, nous devons nécessairement faire pour notre crédit à l’extérieur tout ce qui est de nature à l’élever ; nous savons du reste, par expérience, que toutes les nations qui ont emprunté à l’étranger ont admis une clause à peu près semblable.
Il y a , messieurs, dans le contrat relatif au dernier emprunt une clause qui a été beaucoup critiquée, c’est la condition de non-paiement dans le cas de guerre ; pour celle-là, j’espère qu’elle ne sera pas reproduite, et en disant cela je suis loin de ne pas comprendre que l’honorable M. d’Huart ne pouvait guère éviter d’insérer cette clause en 1838 ; cependant je dois dire qu’elle ne fut point insérée en 1833 dans le contrat relatif au deuxième emprunt 5 p.c. ; à cette époque, M. Rothschild avait exigé que la société générale intervînt dans l’emprunt, et la société générale ne voulu intervenu qu’à la condition que l’insertion d’une semblable clause n’aurait point lieu. Voilà le motif pour lequel la clause dont il s’agit n’a point été insérée dans le contrat relatif au deuxième emprunt 5 p.c., mais ce n’est pas sans peine qu’on obtint cette concession ; j’en appelle au souvenir du ministre des finances d’alors.
Je dirai maintenant un mot de la publicité et de la concurrence ; à cet égard, messieurs, il est nécessaire de nous entendre : la publicité et la concurrence ont toujours existé ; pour tous les emprunts qui ont été contractés le gouvernement a admis les soumissions, les démarches faites par les capitalistes, mais la publicité et la concurrence telles que je les ai entendu définir hier, c’est-à-dire le mode suivi en France et en Angleterre, c’est ce que, pour ma part je ne puis pas admettre. La France et l’Angleterre, comme je le disais tout à l’heure se prêtent à elles-mêmes ; elles n’ont rien à craindre, car les détenteurs de fonds français ou anglais auraient bien soin, dans leur propre intérêt, de ne pas permettre que le gouvernement, qui est leur débiteur, essuyât un échec sérieux ; mais il n’en est pas de même de la Belgique qui doit placer ses obligations surtout à l’étranger et qui doit dès lors non seulement conserver tout ce qui fait la base du crédit, mais même éviter tout ce qui pourrait en apparence lui être contraire. Or un échec tel que celui dont on a parlé serait de nature à compromettre notre crédit de la manière la plus grave.
Après cela croyez bien, messieurs, qu’il n’est pas indifférent d’avoir un patronage lorsque l’on doit placer les fonds à l’étranger ; pour ma part, si j’avais l’honneur d’être au ministère des finances et si j’étais appelé à contracter un emprunt, je ne voudrais pas admettre telle ou telle maison avec une différence de 2 p.c. ; non seulement il faut que la maison à laquelle nous adjugeons notre emprunt soit solide, il faut encore qu’elle ait sur les diverses places de l’Europe une position telle qu’elle puisse, par son crédit, être utile au nôtre. Je suppose qu’il se forme en Belgique une association pour prendre l’emprunt ; je suppose que la société générale soit à la tête de cette association, je suppose qu’elle dépose tous les fonds publics désirables, qu’elle donne toutes les garanties au pays ; eh bien, messieurs, si j’étais ministre des finances, je donnerais la préférence à un grande capitaliste étranger, alors même qu’il demanderait 2 p.c. de plus, car je suis convaincu que, si je prenais un autre parti, il pourrait en résulter que nos fonds seraient frappés de discrédit.
D’après ces considérations, vous comprenez, messieurs, que j’entends laisser au gouvernement toute liberté pour la manière de négocier l’emprunt. Il faut nécessairement que nous nous en reposions sur lui à cet égard. Qu’il attire la concurrence étrangère, rien de mieux ; mais dans le choix des concurrents, il doit non seulement faire attention à la solidité de la maison, mais encore au crédit qu’elle doit entraîner après elle.
Ceux qui veulent réduire le chiffre de l’emprunt demandé par le gouvernement ont parlé des ressources qui restent au pays ; ils ont parlé des redevances, ils ont parlé des domaines. Je crois, messieurs, inutile de passer ces différents points en revue.
Et d’abord l’encaisse. L’encaisse n’est pas une ressource : tout est fini quant à l’encaisse. Je n’ai pas compris comment certains orateurs se sont donné tant de peine pour bâtir une argumentation sur ce malheureux encaisse : tout est fini ; l’encaisse est converti en fonds nationaux. A la vérité, les titres sont déposés à l’abri du feu dans la tour de la société générale, au lieu d’être déposés à l’abri du feu dans la tour du département des finances, s’il y en a une. (On rit.) Voilà toute la différence. Mais à cette différence près, le gouvernement, en définitive, a obtenu tout ce qu’il pouvait obtenir.
Mais supposons que les titres vous soient remis ; qu’en feriez-vous ? Feriez-vous par hasard comme un particulier inhabile qui, pouvant recevoir un remboursement à 4 p.c., irait le lever à cinq. Il s’agit de savoir si les titres qui sont là sont meilleurs que ceux que vous pourriez émettre. Qui pourrait contester aujourd’hui l’affirmative ? Il est bien certain que si tout à l’heure vous aviez ces titres, vous ne les émettriez pas d’abord, il faut le dire, parce que le 4 p.c. a fait son temps, il ne convient plus à la Belgique, et en second lieu parce que vous pourrez emprunter à de meilleures conditions.
L’encaisse dont il s’agit n’est donc pas une ressource.
On a parlé ensuite des redevances. Ces redevances ne sont que des éventualités. L’honorable M. d’Huart l’a dit hier, il y a un projet pour le rachat de la forêt de Soignes. Et d’ailleurs, de quoi s’agit-il ? Le gouvernement lui-même est débiteur vis-à-vis de la société générale, par le rachat de la canalisation de la Sambre belge ; et si ma mémoire est fidèle, il a été stipulé que la somme avancée de ce chef, par la société générale, entrerait en compensation des redevances qu’on avait à payer après conclusion de nos différents avec la Hollande. Or, la somme dont il s’agit compose une valeur de 5 millions.
Quant aux domaines, c’est une ressource mais une ressource très faible. Je ne veux pas rouvrir la discussion qui s’est élevée par rapport aux domaines de l’Etat. Pour moi, je resterai dans un juste milieu ; je n’admets pas qu’il faille vendre tous les domaines de l’Etat, mais je n’admets pas non plus qu’il n’en faille pas vendre du tout. Mais je dirai plus, nous aurions beau décider cette question, il y a une grande partie des domaines qui ne se vendraient pas ou que nous ne vendrions qu’à des conditions défavorables, vous ne sauriez vendre certains domaines, sans donner un crédit de 10, 12 ou 15 ans, comme le syndicat d’amortissement a fait dans le temps. Autrement vous ne trouveriez pas d’acquéreur. Je veux parler de nos domaines qui se trouvent en masses considérables au bout de nos provinces. Quant aux parties détachées qui peuvent produire 4, 5 ou 6 millions, d’après les renseignements que j’ai obtenus, vous ne les vendriez encore qu’à la condition de longs termes de paiement.
Ce n’est donc pas là une ressource immédiate ; et vous aurez assez de charges réelles qui se reproduiront chaque année, pour ne pas vous presser de procéder à une vente immédiate de nos domaines.
Du reste, j’abandonne l’appréciation de cette question au gouvernement, la discussion l’aura éclairé sur ce point. Je suis convaincu que si certains domaines peuvent être vendus avec avantage, il nous présentera un projet de loi à cet égard.
Messieurs, je m’arrête ici, je ne veux pas m’étendre davantage sur les considérations graves que j’ai indiquées, par la raison que je ne veux pas abuser de votre temps, et que je ne pense pas que ces observations puissent produire un effet immédiat. Je n’ai voulu qu’attirer l’attention du gouvernement, j’ai voulu surtout faire comprendre qu’il était impossible de voir notre crédit s’élever à la hauteur à laquelle il mérite de monter, si nous conservions le 5 p.c. ; il y aurait là une contradiction évidente. J’ai voulu faire comprendre en second lieu, qu’il est d’une importance manifeste pour une nation telle que la Belgique, qu’au jour du danger elle ait des ressources pour faire respecter son indépendance, sa nationalité.
J’espère que ces considérations auront frappé le gouvernement, et qu’il avisera aux moyens de tranquilliser nos appréhensions sur ce point.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, je crois devoir donner quelques nouvelles explications à la chambre, par suite d’un discours prononcé dans notre avant-dernière séance, discours qui n’a été reproduit que dans le Moniteur de ce matin.
J’éprouve le besoin de déclarer que rien n’était plus loin de ma pensée que de faire la moindre critique directe ou indirecte de l’administration d’aucun de mes prédécesseurs. J’ai pensé qu’il était de mon devoir rigoureux de présenter des faits tels que je les trouvais, tels que je les concevais. Je serais péniblement affecté, si l’on pouvait un seul instant me supposer d’autres intentions.
Messieurs, je n’avais fait aucune mention du million constituant le premier versement à faire par la banque de Belgique ; je n’aurais pas rappelé que ce million se trouve porté dans les recettes ordinaires pour faire face aux dépenses ordinaires, si cette disposition existait seule ; je n’ai été amené à parler de ce remboursement que parce que ce million avait reçu deux destinations différentes ; et je devais nécessairement exposer à la chambre quel devait être, en présence de ces deux dispositions contradictoires, l’embarras du gouvernement, ce n’est que sous ce point de vue que j’ai parlé de la manière dont ce million avait figuré dans le budget des voies et moyens.
L’honorable M. Desmaisières a pensé que c’était pour lui une obligation de rectifier quelques assertions qu’il croit erronées, et qui étaient comprises dans l’exposé des motifs du gouvernement.
Ces observations concernent l’insuffisance des exercices antérieurs, la question qui se rattache à la dette hollandaise, ainsi que l’insuffisance des voies et moyens pour l’exercice prochain.
L’honorable membre a pensé que l’insuffisance des exercices précédents n’aurait pas été convenablement présenté dans l’exposé des motifs. Il a fait également des observations sur le chiffre des arriérés, qui s’élève à 4,893,000 francs ; il a dit que cet arriéré n’étant pas liquidé, que les comptes n’étant pas arrêtés, que ne formant qu’une simple présomption, il n’y avait pas lieu de le comprendre dans l’emprunt, ni par conséquent de le consolider.
Messieurs, la marche que j’ai suivie est celle qu’a également adoptée mon honorable prédécesseur.
Dans la séance du 12 novembre 1839, il a présenté à la chambre, à l’appui des lois des finances, une somme pour créances arriérées. Cette somme s’élevait à 4,037,482 francs 03 centimes, et elle a été comprise dans l’insuffisance des voies et moyens de 11 millions qu’il a présentée, et pour le montant de laquelle des bons du trésor ont été créés.
La chambre sait d’ailleurs que ces sommes sont déjà en grande partie votées, et que si elles n’ont pas pu être liquidées, c’est que les exercices étaient clos lorsque les comptes ont pu être fermés, on se rappellera aussi que déjà, en 1836, l’honorable M. d’Huart a présenté à la chambre une loi pour régulariser une partie de l’arriéré ; qu’en 1836, le même ministre a déposé à la même fin un nouveau projet de loi. Ni l’un ni l’autre de ces deux projets n’a encore été discuté. Du reste, il ne résulte pas de l’exposé des motifs à l’appui du projet de loi de l’emprunt que l’intention du gouvernement ait été de consolider cette partie de l’insuffisance au moyen de l’emprunt.
En effet, la dette flottante qui, d’après le projet du gouvernement, devait continuer à rester en vigueur, s’élève à 8 millions de francs. Or, on pouvait considérer comme étant compris dans ces 8 millions, d’abord les 3 millions à rembourser par la banque de Belgique, dont il n’avait pas été disposé dans la loi du 29 décembre 1839 ; et ensuite les 4,800,000 millions, pour créances arriérées. Ces deux sommes réunies ne forment pas encore le total des 8 millions qui devait constituer notre dette flottante d’après le projet du gouvernement.
Ainsi, sous ce rapport, il n’y a eu aucune irrégularité, ni sous le point de vue de sa légalité, ni sous celui de l'application rigoureuse des principes.
D’ailleurs, avant le discours qui a été prononcé par les honorables membres, j’avais déjà adhéré à la proposition de la section centrale qui tendait, non à conserver une dette flottante de 18 millions, comme l’a supposé le dernier orateur, mais de 12,400,000 francs.
L’honorable orateur auquel je réponds est entré ensuite dans d’assez longs détails sur les recettes probables de 1840. Messieurs, si des propositions relatives à des arriérés sont susceptibles de rectification, on doit reconnaître qu’il est plus incertain encore de se prononcer sur les recettes probables de tout l’exercice courant et même suivant. Quand on connaît seulement les recettes de trois mois du premier. Le gouvernement a donc cru ne pas devoir entrer dans des développements sur ce point et qu’il convenait d’attendre une occasion opportune pour présenter cette appréciation, l’époque où le budget sera présenté. Cependant, l’Etat, en produisant à l’appui de mon exposé sous la lettre H, le gouvernement a eu l’intention d’éclairer la chambre autant qu’il était en lui sur l’éventualité des recettes futures.
En outre, j’avais eu soin de m’étendre longuement sur l’augmentation du produit qu’on devait se promettre de l’exploitation du chemin de fer. On n’a donc pu supposer que c’était exclusivement dans de nouveaux impôts ou dans une aggravation de charges que le gouvernement entendait trouver le moyen de couvrir l’insuffisances de 8 à 9 millions, en présence de laquelle le gouvernement allait se trouver pour aborder l’exercice 1841, en prenant pour base les budgets de 1840.
Je suis loin toutefois d’avoir prétendu que les recettes de 1841 ne dépasseront pas les prévisions de 1840. Je crois le contraire.
J’ai pensé qu’il était sage de ne pas préjuger la question qui se rattache aux économies qui pourront être apportées dans le département de la guerre. J’ai cru cette question inopportune au moment de la présentation du projet de loi d’emprunt, parce qu’elle ne pouvait pas encore être bien appréciée.
L’honorable orateur a dit ensuite qu’on ne peut pas faire un grief à l’administration d’avoir, pendant les huit premières années de notre indépendance, porté la dette flottante à un chiffre de 23 millions.
Je répète, messieurs, que j’ai exposé notre situation telle que je la voyais, parce que c’était mon devoir, mais loin de moi était la pensée d’adresser le reproche le plus indirect à aucune administration antérieure.
Quant à la question du semestre de la rente hollandaise, mon honorable prédécesseur a reconnu « qu’il avait eu des doutes sur la bonté du système suivi. Il convient en outre que l’embarras que peut éprouver le trésor public, cet embarras, eût-il même peu de chance de se réaliser, est une chose si grave, qu’il faut toujours prendre des mesures pour l’éviter, dès qu’en les prenant, on ne se trouve pas dans des embarras plus grands et plus certains encore ; il ajoute que si telle est l’opinion de la législature, on pourra, sans inconvénient, dès le budget de 1841, régler la comptabilité budgétaire de manière à ce que tout semestre d’intérêts de la dette publique, dont la jouissance a commencé le 1er juillet d’une année et dont le payement doit avoir lieu le 1er janvier de l’année suivante, soit imputé sur le budget de l'année qui précède immédiatement cette dernière. »
Toutes les sections et la section centrale ont pensé que la somme de 5 à 6 millions, dont par l’effet du changement de système il pourrait y avoir lieu à grever les budgets antérieures, pouvait être trouvée dans l’encaisse de 1830. »
Vous voyez, messieurs, que cet honorable membre ne diffère pas essentiellement de mon opinion sur ce point ; il traite même en quelque sorte la question de principe, tandis que je n’avais envisager la difficulté que sous le rapport de l’élévation de la somme à couvrir à une époque où les recouvrements sont faibles.
En proposant de comprendre cette somme de 6 millions dans l’emprunt, j’étais mu par le désir de conserver intactes les ressources de l’avenir et de les réserver pour des besoins futurs que j’ai indiqués.
Toutefois, messieurs, mon opinion sur ce point n’était pas tellement absolue que j’ai cru devoir m’opposer à la proposition de la section centrale, qui tendait à ajourner cette question, j’y ai même adhéré formellement dans cette chambre avant que l’honorable orateur auquel je réponds eût pris la parole.
J’ajouterai quelques explications encore pour compléter ce que j’ai exposé dans la séance d’avant-hier, relativement aux besoins du chemin de fer et à la somme dont il faudrait encore disposer sur les ressources prévues en suivant le projet de la section centrale.
La chiffre indiqué dans la dépêche du 16 avril, pour les dépenses du chemin de fer, est de 66 millions. On a supposé par erreur que dans ce chiffre étaient compris les 12 millions de bons du trésor, de sorte que les dépenses restant à faire pour la construction du chemin de fer ont été évaluées à 54,040,000 de francs, ainsi que je l’ai indiqué dans l’exposé des motifs.
Mais une première différence a été découverte ; elle provenait de ce qu’on avait déduit du total général de l’évaluation des dépenses du chemin de fer, non la somme réellement payée à la date du 31 décembre, mais celle qui était considérée comme étant due d’après le travail des ingénieurs, cette différence s’élevait à 1,494,058 francs.
Une seconde différence a été constatée : elle doit son origine à ce qu’un payement a été effectué sur le crédit de 12 millions alloués par la loi du 28 décembre 1839 entre cette époque et le 31 du même mois, et qu’on n’a pas eu égard à ce prélèvement dans la fixation du chiffre de 66 millions ; il résulte de cette omission que la somme qui restait à dépenser indépendamment des 12 millions de bons du trésor devait être augmentée du montant de cette imputation qui était de 2,071,611 francs 26 centimes.
Enfin, on avait perdu de vue qu’une autre imputation avait été faite sur ces 12 millions de bons du trésor, également entre le 28 et le 1 décembre, pour construction de routes ordinaires, elle montait à 193,356 francs 38 centimes.
Au lieu du chiffre de 54,040,000 francs, on aurait trouvé 57,809,025 francs 64 centimes.
Toutefois, il faut en déduire une somme qui se trouvait en caisse à la même époque, 132,561 francs 29 centimes.
Ainsi la somme qui aurait dû être comprise dans le montant de l’emprunt pour le parachèvement des chemins de fer s’élevait réellement à 57,666,564 francs 35 centimes.
Ainsi, messieurs, d’après les propositions de la section centrale, ce n’est pas à 13,428,970 francs que s’élèverait la dépense à imputer sur les ressources de l’avenir, mais à 19,095,535 francs ; si à cette somme on ajoute celle de 7 millions qui résulte des réductions déjà consenties par le gouvernement, on trouve déjà un total de plus de 24 millions à couvrir par les ressources futures ; il est à craindre cependant que ce chiffre ne soit encore plus élevé ; car, ainsi que je l’ai déjà fait remarquer, les réductions apportées par l’inspecteur général des ponts et chaussées dans le travail des ingénieurs, consistent la plupart en dépenses ajournées, le chiffre des ingénieurs, non contesté par l’inspecteur général, si l’on ne parvenait à faire des économies dans les travaux, ce qui toutefois sera le but des efforts de M. le ministre des travaux publics, ainsi qu’il vous l’a annoncé dans notre séance d’avant-hier.
J’ai cru qu’il était utile de donner à la chambre ces dernières explications, afin de bien préciser les faits, et que la portée de la décision à prendre fût bien comprise.
Je bornerai là mes observations.
Plusieurs membres – La clôture ! la clôture !
M. Dumortier – Il est facile de justifier mon opposition à la clôture ?. Qu’avez-vous entendu jusqu’à présent ? Des orateurs qui se sont opposés aux propositions de la section centrale. J’en excepte l’honorable M. Cogels qui, au moment d’entrer dans la question de concurrence si vivement agitée dans cette chambre, s’est arrêté en disant qu’il renvoyait l’examen de cette question à la discussion des articles. Vous avez donc seulement entendu des orateurs dans un sens, si vous fermez la discussion, vous préjugerez la question.
M. Demonceau – J’ai demandé la parole.
M. Dubus (aîné) – On pourrait peut-être tout concilier en fermant la discussion, sauf à entendre le rapporteur de la section centrale.
M. Dumortier – Je ne renonce pas à la parole.
- La chambre consultée ne ferme pas la discussion.
M. Dumortier – Je ne prolongerai pas beaucoup cette discussion, un grand nombre de membres désirant en finir. Cependant, je tenais à parler pour répondre aux arguments mis en avant pour s’opposer à la proposition de la section centrale, qui dans mon opinion doit avoir votre assentiment.
Je suis, comme l’honorable député de Bruxelles, de l’opinion qu’il est imprudent de rester sous le coup d’une dette remboursable de 18 millions. Je suis de son opinion sous le point de vue qu’il est préférable pour l’Etat d’avoir un encaisse de 10 à 20 millions au lieu d’une dette flottante de 20 millions. Le résultat serait le même, mais vous auriez ce grand avantage d’avoir par devers vous une première somme à affecter aux besoins extraordinaires qui pourraient se présenter. Ainsi, je suppose qu’à l’improviste la Belgique soit entraînée dans une guerre quelconque, au moyen du système de finance que vous avez, il vous serait impossible de faire face aux besoins ; ce serait un immense malheur. Si, au contraire, vous aviez le système inverse, un système de fonds de caisse, en cas de danger imminent, vous auriez toujours de quoi y faire face. Celui qui a à cœur la conservation de la nationalité belge, doit prévoir ce cas, qui peut se présenter.
Messieurs, quand nous votâmes, en 1833, les bons du trésor, c’était en vue de faciliter au gouvernement les moyens de passer d’un exercice à l’autre. Le gouvernement (c’était je crois sous le ministère de M. Duvivier) avait présenté un projet de loi pour un emprunt, et, je le dirai ici en passant, d’après le projet de loi, l’emprunt devait être fait avec publicité et concurrence.
Alors on n’y voyait pas d’inconvénient ; il paraît qu’on en voit aujourd’hui.
En 1833, le gouvernement avait donc demandé un emprunt ; on substitua à ce projet une émission de bons du trésor faite uniquement dans le but de passer d’un exercice à l’autre. Mais ces émissions de bons du trésor qui n’ont eu d’autre origine que celle-ci, on y a eu recours toutes les fois qu’il s’est agi de dépenses extraordinaires. S’est-il agi de grandes constructions ? Des bons du trésor. De construire un canal ? Des bons du trésor. De chemins de fer de fer ? Des bons du trésor. De dépenses arriérées ? Des bons du trésor. Des poldres ? Des bons du trésor. Enfin on a fait des bons du trésor la panacée universelle pour guérir le trésor public. Les bons du trésor sont devenus une véritable calamité qui, dans le système où nous sommes entrés, ne cessera que lorsque ce moyen sera supprimé.
Messieurs, le malheur de notre position est d’avoir voulu trop faire en trop peu de temps. Nés d’un jour, nous avons voulu faire en dix ans ce que d’autres nations font en cinquante ans. Il a fallu pour cela énormément de capitaux ; il n’y a pas eu de canal, de chemin de fer à construire, que nous n’ayons voulu l’entreprendre ; nous nous sommes lancés en aveugles dans une infinité de travaux ; nous avons entassés dépenses sur dépenses, pour avoir voulu faire en peu de temps ce que nous aurions dû faire en un grand nombre d’années. Voilà en partie la cause de nos embarras actuels. Si à cela vous joignez les résultats du traité, à jamais déplorable, conclu avec la Hollande, traité qui a enlevé à la Belgique 4 millions de revenu, et qui lui coûté 11 millions de dettes, y compris la navigation de l’Escaut, vous vous serez rendu compte des causes de l’embarras du trésor public.
Vous voyez donc que les emprunts en bons du trésor, mal entendus comme ils le sont, sont de mauvaises opérations. Je désire donc, je le répète, qu’ils soient supprimés ; mais les chambres y consentiraient-elles ? Qu’on en fasse la proposition, elle n’aurait aucune chance d’être admise, parce que le ministère ne le demande pas, et parce que l’on n’a pas encore assez compris que les bons du trésor, comme moyen, sont la ruine du trésor public, parce que cette idée ne s’est pas assez infiltrée dans les esprits pour porter ses fruits. Dès lors, que doit-on faire ? Empêcher que les bons du trésor ne soient un moyen ouvert pour couvrir toute sortes de dépenses extraordinaires, et, dans ce but, les maintenir à un chiffre assez élevé pour qu’on ne vienne pas en proposer l’émission à toute occasion. Si vous n’avez que 5 millions de bons du trésor, vous conservez la faculté d’user de ce moyen d’emprunt, tandis que, s’ils s’élèvent à un chiffre assez élevé pour effrayer, les chambres ne permettront pas que ce chiffre soit augmenté. Assurément on consentira plus difficilement à émettre des bons du trésor lorsque déjà on aura pour deux millions d’emprunt de cette nature que lorsqu’on n’en aura que pour 5 ou 6 millions. Remarquez en outre que l’opération des bons du trésor, puisqu’elle n’a aucune chance d’être supprimée définitivement, ne doit pas être séparée de l’examen des ressources que l’Etat peut atteindre un jour, et que, sous ce point de vue, la Belgique peut sans peine en conserver pour 10 à 15 millions.
Messieurs, lorsqu’on examine la situation financière d’un pays, il ne faut pas l’envisager sous une seule de ses faces, il faut la voir dans l’ensemble de ses rapports ; or, s’il est vrai que dans ce moment la Belgique ait besoin de capitaux considérables, il est vrai aussi que dans un avenir peu éloigné la Belgique aura à sa disposition des capitaux non moins considérables. Je dis qu’envisager les besoins de l’Etat, sans tenir compte des ses ressources, c’est faire un calcul complètement faux, qui tend à obérer l’Etat, et non à servir les intérêts du trésor public. S’il est vrai que le trésor public ait besoin de 50 à 60 millions, il est certain aussi qu’il a à atteindre des recettes non moins considérables.
Permettez-moi d’examiner la situation du trésor public sous un point, sous celui de ses rapports avec la société générale. Le trésor public a attendu de la société générale le solde de l’encaisse de 1830 montant de 12 à 13 millions de francs. C’est là le capital qui, à l’époque de la révolution, se trouvait dans les mains de la société générale. Cet encaisse n’a jamais été mis et n’est pas encore maintenant à la disposition de l’Etat, il est, si je ne me trompe, déposé dans une caisse à deux serrures dont M. le ministre des finances n’a qu’une clef ; la société général a l’autre (M. Meeus fait un signe négatif). Il est possible que je me trompe, car il est vrai que je ne connais pas les mystères dont a parlé un honorable membre très lié avec le gouverneur de la Banque. Ce que je sais fort bien, c’est que la Banque ne nous a pas encore payé les 12 millions qu’elle nous doit de ce chef depuis dix ans.
La société générale doit donc à la Belgique une somme de 12 à 13 millions pour l’encaisse de 1830.
En second lieu, la société générale est encore redevable envers le trésor public de la somme qu’elle devait payer, pour la liste civile, au gouvernement des Pays-Bas, ou du moins de la part afférente à la Belgique de ce chef. C’est une somme de 6 à 7 millions. Je ne prétends pas préciser le chiffre, je ne l’indique que grosso modo. Je crois que j’arriverai ainsi à un chiffre assez élevé.
En troisième lieu, la société générale doit sa redevance annuelle au syndicat d’amortissement jusqu’à la conclusion du traité de paix avec la Hollande. De ce chef, elle doit à la Belgique de 7 à 8 millions de francs, car elle devait annuellement 500,000 florins. (M. Meeus rit beaucoup). Ce que je dis ne mérite ni dédain, ni rires. Je pense que c’est assez sérieux. Les intérêts du trésor public méritent qu’on les traite autrement que par des rires.
Voilà la situation de la société générale vis-à-vis du trésor public du chef de ses redevances échues. En outre, elle nous doit les intérêts des deux derniers postes depuis dix ans. Voyons maintenant ses redevances à venir.
Vous savez que la société générale ne doit exister que jusqu’en 1849, et qu’alors elle devra, d’après ses statuts, une somme de 20 millions de florins au royaume des Pays-Bas. Par conséquent, dans 9 ans, elle devra nous donner la part proportionnelle qui nous revient dans cette somme de 20 millions de florins ; et comme la Belgique a fourni environ les trois quarts de ses domaines, elle nous sera alors redevable d’environ 30 millions de francs. Ainsi, indépendamment des sommes échues que j’ai indiquées, et qui s’élèvent à plus de 30 millions, la société générale nous devra encore 30 millions dans 9 ans. C’est une redevance de 60 millions.
Voilà, messieurs, les ressources du trésor public. Ces ressources sont immenses ; et je le répète, examiner les questions relatives au trésor public sous le rapport de ses besoins, sans tenir compte de ses ressources, c’est présenter les choses sous un jour faux et de manière à tromper la législature.
M. Meeus – Je demande la parole.
M. Dumortier – Je sais qu’on alléguera que les sommes que la société générale doit à la Belgique du chef des redevances de la liste civile, des redevances du syndicat et de l’encaisse, que tout cela n’est pas à notre disposition. On dira que, quant à l’encaisse, il y a une convention faite avec le gouvernement, convention qui n’a pas été exécutée parce qu’elle n’a pas été ratifiée par la législature. On parlera, en second lieu, des saisies-arrêts pratiquées par le gouvernement hollandais. On dira qu’il y a eu procès sur procès ; actions qui n’ont eu pour but que d’arrêter la liquidation qui devait se faire, car évidemment lorsqu’un débiteur veut se libérer envers son créancier, il ne lui suscite pas des procès pendant dix ans pour ne point lui payer les fonds qu’il lui doit. On me dira tout cela, et j’en conviens, mais qu’est-ce que cela prouve ?
D’abord il y a un contrat passé entre le gouvernement et la société générale, du chef de l’encaisse de 1830. Que ce contrat s’exécute et que les 13 millions soient mis immédiatement à notre disposition. La chambre n’a pas voulu, dans le temps, ratifier cette convention ; et pourquoi ? Je crois pouvoir le rappeler, parce que beaucoup de membres de la chambre ne faisaient pas alors partie de cette assemblée.
Le motif principal pour lequel la chambre n’a pas consenti à ratifier ce contrat, c’est qu’il contenait une stipulation telle que le gouvernement devait consentir à donner à son receveur des garanties de sa propre existence, et la chambre a considéré cette stipulation comme devant porter atteinte à l’honneur national. Maintenant que les choses sont changées de part et d’autre, la stipulation est inutile ; la société générale ne peut s’empêcher de reconnaître la Belgique puisque toutes les puissances l’ont bien reconnues. (On rit.) Ainsi la Belgique rentrerait de suite en possession de l'encaisse de 1830 qui est depuis 10 ans entre les mains de la société générale. Voilà donc une ressource dont vous pouvez disposer immédiatement.
Restent maintenant les redevances de la liste civile et du domaine du syndicat. Ici une saisie-arrêt a été faite et la Banque, à mon avis, a bien fait de faire cette saisie-arrêt sur les fonds de l’Etat.
Une saisie-arrêt a donc été faite, et on vous dira : Vous ne pouvez marcher sans lever cette saisie-arrêt.
Messieurs, ceci me porte à déclarer que si, d’une part, je désire que la banque se conduise envers l’Etat comme le doit un honnête débiteur, ce qu’elle n’a point encore fait ; je suis, d’autre part, disposé à appuyé cette institution toutes les fois que l’étranger voudra y porter la main ; elle aura mon concours le plus actif pour l’empêcher d’être à la merci de la Hollande. Mais il me paraît que les droits de la société générale seraient très bien assurés, si la Belgique, pour obtenir la levée de la saisie-arrêt, se plaçait dans la position de garantie vis-à-vis de cette institution ; et la société générale n’aurait qu’à y gagner, car sa situation en deviendrait plus forte.
En effet, si, au lieu de suivre les mauvais conseils de ses avocats, elle eût depuis longtemps liquidé ses comptes avec le gouvernement belge, jamais le gouvernement hollandais n’aurait pu lui causer d’embarras, tous ceux qu’elle a éprouvés jusqu’ici proviennent de sa faute : le roi Guillaume eût reculé devant le gouvernement belge qu’il ne pouvait attraire à son tribunal, tandis qu’il n’a pas reculé devant un établissement privé : la garantie de la Belgique aurait été, en faveur de la société générale, un argument tout aussi fort que ceux de quelque avocat que ce soit. Et cette garantie peut seule la tirer aujourd’hui de la fausse position où elle s’est placée.
Messieurs, je viens d’exposer les ressources du trésor public ; maintenant, je vous le demande, en présence de ressources qui ne peuvent nous manquer, est-il nécessaire de venir emprunter jusqu’au dernier sou ? Si vous avez besoin de 90 millions, est-il nécessaire de prendre 90 millions ? Mais que ferez-vous des 30 millions de la société générale quand il vous viendront ? Vous aurez un emprunt onéreux et vous aurez un fonds improductif dans vos caisses.
Mais la prudence la plus vulgaire porte à ne pas admettre un système semblable. J’ai acquis un domaine ; j’ai des fonds chez mon banquier pour payer ; irai-je en emprunter ? Non, sans doute, il n’est pas un homme qui ne comprenne qu’il est inutile d’emprunter des capitaux quand on en a de disponibles. Remarquez, d’ailleurs, que les capitaux qu’il s’agit d’emprunter, nous ne les aurons pas sur-le-champ ; nous en aurons d’abord une partie ; les autres portions viendront dans un an, dans deux ans peut-être. Ainsi, quand l’époque des versements de l’emprunt auront lieu, vous aurez des fonds provenant de la banque et dont nous ne saurons que faire. Savez-vous ce qui arrivera alors ?
Nous voulons tous, par suite de sentiments généreux, mais pas assez bien calculés, nous voulons tous faire de grandes choses ; or, quand des fonds seront disponibles, on demandera de nouvelles dépenses, et le capital sera dissipé ; on facilitera, par exemple, le projet de loi pour les pillages et le bombardement d’Anvers ; on facilitera le rachat à titre onéreux des collections de la ville de Bruxelles, peut-être la différence annuelle des recettes et des dépenses. Voilà ce qui arrivera. On fera un mauvais usage de fonds, et nous aurons contracté un emprunt qu’il faudra payer tout entier. La main sur la conscience, nous devons avouer que nous avons une propension à outrer les dépenses ; en matière de finances, il faut se mettre en garde contre soi-même. Les gouvernements despotiques se surveillent eux-mêmes ; ils ont érigé des chambres des comptes ; contrôlez-vous vous-mêmes et préparez un bon emploi des redevances de la société générale.
Vous le voyez maintenant, s’il serait si vivement à désirer que les bons du trésor fussent supprimés, et la loi rapportée ; moi, je crois que vous pouvez conserver 12 millions de bons du trésor, en assignant pour leur amortissement les redevances de la banque. Dans les moments critiques, ces 12 millions n’ont pas gêné la Belgique. Pourquoi lui nuiraient-ils dans un moment de prospérité ?
Messieurs, je viens d’exposer les ressources de l’Etat du chef des redevances de la société générale, et je dis que, dans ma manière de voir, la somme, que la section centrale propose d’emprunter, est encore trop élevée. Pour mon compte, si j’avais eu l’honneur d’avoir à émettre un vote dans de pareilles circonstances, voilà ce que j’aurais fait.
Dans 9 ans, 25 ou 30 millions reviendront à la Belgique, lors de la liquidation de la société générale. Eh bien loin de grever l’avenir du pays par un emprunt, je me serais borné à émettre des bons de caisses, payables en 1849, sur cette créance, et nous n’aurions pas grevé l’avenir du pays. On aurait pu de cette manière, continuer les travaux du chemin de fer, on aurait pu, d’autant mieux, continuer ces travaux, en vendant les forêts qui sont des domaines dans les mœurs anciennes, et non dans les mœurs des temps modernes.
Avant de grever l’avenir d’un pays entier, il importe de bien économiser les ressources de ce pays ; et je dis que l’on aurait dû diminuer l’emprunt de 25 millions, en remplaçant cette somme par des bons payables dans neuf ans, et que par là on aurait fait une bonne opération.
Ce système n’a pas prévalu ; je n’ai pas l’intention de le présenter parce que l’initiative dans de pareilles matières doit partir du gouvernement lui-même.
Le gouvernement réduit l’emprunt à 80 millions ; la section centrale prétend que 65 millions sont suffisants ; et je crois qu’elle a démontré à l’évidence la suffisance des 65 millions. Toutefois, supposons que 80 millions soient nécessaires, mais ne trouvez-vous pas dans les 25 millions dus par la société générale de quoi faire face aux besoins ?
On dit que porter dans les voies et moyens l’intérêt de l’encaisse et dans les dépenses l’intérêt de l’emprunt, c’est la même chose ; je réponds que ce n’est pas la même chose : quand vous aurez employé les pièces qui sont dans les mains de la société générale, vous n’aurez à payer ni commission, ni rachat, etc., et quand vous n’auriez que ce bénéfice, ce serait considérable.
Mais, objecte-t-on encore, il y a une convention signée relativement à la vente de la forêt de Soignes : Je ne prétends pas, messieurs, agiter cette question de savoir s’il est dans l’intérêt de l’Etat, surtout sous le point de vue stratégique, d’acquérir cette forêt afin de couvrir la capitale, mais si l’Etat fait cette acquisition, de ne la faire que quand la société générale liquidera ses comptes en 1849. En effet, il est à remarquer que cette société est sortie de ses règlements ; elle a immobilisé une grande partie de ses réserves pour créer des canaux, des routes, etc. Or, au jour de la liquidation, que fera-t-elle des routes, des canaux et des grands établissements qu’elle a créés ?
Est-ce que peut-être elle mettra ces travaux d’art en vente aux enchères ; vendra-t-elle aux enchères les canaux qu’elle a entrepris même à l’étranger ? Pour mon compte, je doute fort qu’elle trouve des acquéreurs. Savez-vous, messieurs ce qui arrivera si vous laissez 30 ou 40 millions en arrière ? C’est que la banque ne trouvant nulle part un amateur pour ses travaux d’art, vous les donnera pour solde de compte et que l’Etat sera assez heureux de s’en tirer en reprenant des canaux établis même à l’étranger. Mais s’il est dans l’intérêt de la société générale d’agir de la sorte, je dis qu’il est dans l’intérêt du pays de conserver la forêt de Soignes jusqu’en 1849, afin qu’à cette époque elle vienne en déduction de la redevance qui nous est due par la société générale, cela sera d’autant plus sage que ce sera là un gage entre nos mains pour la gestion de la banque comme caissier de l’Etat, gestion pour laquelle nous n’avons aucune espèce de garantie. Ainsi, sans examiner la question de savoir s’il est utile pour l’Etat de conserver la forêt de Soignes, je dis que dans tous les cas la prudence exige que nous la réservions jusqu’en 1849, époque où la société générale devra liquider.
Au nombre des ressources que possède la Belgique, il faut aussi, messieurs, compter les forêts ; à cet égard, les faits sont bien connus et ils sont bien simples ; nous allons emprunter à 4 ½ ou à 5 p.c. ce qui avec la commission fera 6 p.c. ; d’un autre côté, nous avons des domaines assez importants qui ne nous rapportent qu’un p.c. et même moins. Beaucoup d’entre nous se sont dit que ce serait un acte de mauvaise gestion que d’emprunter à un taux semblable, lorsque nous possédons des forêts qui rapportent si peu. Cet argument est tellement simple qu’il séduit au premier abord et moi-même j’en avais été frappé ; cependant, lorsqu’on envisage de plus près la question, je pense que l’on ne peut point méconnaître que la Belgique possède des domaines considérables qu’elles ne pourrait point vendre aisément. Serait-il possible, par exemple, de vendre la grande forêt dite Hertogen-Wall qui se trouve entre Verviers et Stavelot et qui contient plusieurs milliers d’hectares.
Une voix – 7 mille hectares.
M. Dumortier – Eh bien, messieurs, il me semble que la vente d’une semblable forêt serait d’une difficulté extrême.
Mais s’il est des domaines que nous ne pourrions pas vendre facilement, il en est une foule d’autres dont nous pourrions nous défaire avec avantage. Dans la section à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, j’ai entendu un honorable collègue dire que dans le voisinage de la localité qu’il habite, il existe une forêt domaniale qui rapporte 1,500 francs par an, et dont on obtiendrait plus de 300,000 francs, si on la mettait en vente. Il faut convenir que lorsque l’Etat emprunte à 6 pour cent, alors qu’il reçoit ½ p.c.de ses propriétés, il fait une très mauvaise opération en n’aliénant pas de semblables propriétés.
La question ne peut donc pas être généralisée, mais elle doit être examinée à tête reposée ; il est des forêts que l’on ne doit pas aliéner, mais il en est d’autres, au contraire, qu’il serait très avantageux de vendre, et qui, indépendamment du prix que l’on en retirerait produiraient, par les droits de foncier et de mutation plus qu’on en retire annuellement.
Vous voyez donc, messieurs, que le trésor public a des ressources et qu’il ne s’agit que de vouloir pour les utiliser : Dès lors nous ne devons pas emprunter jusqu’au dernier denier de ce dont nous avons besoin, et laisser nos ressources improductives entre nos mains. C’est ce que conseille la prudence la plus vulgaire et il n’est pas un homme du peuple, pas un paysan qui ne le comprenne.
Je dis donc qu’en supposant même que les sommes demandées par le gouvernement soient impérieusement nécessaires, nous n’en devons pas moins réduire le chiffre de l’emprunt d’une manière notable, puisque l’Etat a à sa disposition de quoi faire face et de quoi faire amplement face à tout le découvert que laisserait une semblable réduction. Mais, messieurs, ces sommes ne sont pas nécessaires.
Dans la séance d’hier, messieurs, j’ai appelé votre attention sur un objet qui m’a paru frapper quelque peu l’assemblée : parmi les dépenses demandées par le gouvernement pour l’achèvement du chemin de fer se trouvent d’une part des dépenses nécessaires pour la création de nouvelles sections à créer, et d’autre par des dépenses à faire pour améliorer les sections aujourd’hui en exploitation. Dans le chiffre de 54 millions de francs demandé par le gouvernement, il y a environ 40 millions pour des sections à créer, et 14 millions pour des sections déjà créées et en exploitation. Remarquez qu’au moyen des 40 millions destinés aux sections à créer, on mettrait ces sections à un degré de perfection tel que celui où l’on veut mettre les sections déjà en exploitation à l’aide de 14 millions que l’on demande pour cet objet. De là, je puis conclure que pour mettre les sections à créer dans l’état où se trouvent aujourd’hui les sections déjà créées, il ne faudrait que 32 à 34 millions au lieu de 40, car s’il faut 14 millions pour compléter les sections qui existent aujourd’hui, il est certain que, si l’on se contentait de mettre les sections à créer dans le même état que celles qui sont aujourd’hui en exploitation, il y aurait de 6 à 8 millions à économiser de ce chef. Il résulte de là que pour mettre toutes les sections du chemin de fer décrétées sur le même pied que les sections qui existent aujourd’hui, il suffirait de 32 à 34 millions au lieu de 54 que l’on demande. Eh bien, messieurs, pour mon compte je ne puis pas voter autre chose ; je désire que le gouvernement, avant de faire des dépenses ultérieures pour les sections qui sont aujourd’hui en exploitation, commence par mettre toutes les autres sections sur le même pied.
Le chemin de fer produit quelque chose aujourd’hui, grâce aux améliorations qui ont été introduites depuis peu dans le transport des marchandises, et que M. le ministre actuel cherche à développer ; grâce à ce système d’amélioration, les produits du chemin de fer se sont considérablement élevés, et vous pouvez compter qu’ils s’élèveront encore davantage ; car, comme on vous l’a dit dans la séance d’hier, ce qui a été fait jusqu’aujourd’hui, relativement au transport des marchandises, n’est en quelque sorte qu’un essai ; le chemin de fer tel qu’il est actuellement, avec le personnel actuel, suffit pour développer considérablement cette branche de produits ; et les tableaux dont M. le ministre des travaux publics nous a donné lecture, relativement aux chemins de fer anglais, démontrent combien le transport des marchandises doit rapporter chez nous.
Mais est-il nécessaire pour cela que l’on fasse des constructions comme celles que l’on prétend faire ; est-il nécessaire pour cela d’établir des doubles voies, des stations magnifiques, en un mot est-il nécessaire pour cela de faire des dépenses de luxe, des dépenses somptueuses, comme cela est en Angleterre ?
Pour mon compte, je ne le pense pas ; depuis que l’on a commencé à transporter les marchandises, les stations actuelles ont bien suffi et elles peuvent encore suffire pendant quelques années. Continuez donc à transporter les marchandises, développez ce transport ; de ce manière le chemin de fer rapportera l’intérêt des capitaux qu’il a coûté, comme il le rapporte aujourd’hui, mais lorsque vous y aurez consacré 14 millions de plus pour des dépenses de luxe, il n’est plus certain que vous retirerez l’intérêt de vos capitaux, car ne pensez pas que les dépenses que vous entendez faire puissent jamais produire une augmentation de recettes qui soit de nature à vous indemniser de ces dépenses. La création d’une double voie et des stations nouvelles ne vous amènera pas un seul voyageur de plus ; il en résulterait, j’en conviens, un peu plus de facilité pour ceux qui voyagent, mais aujourd’hui, personne ne se plaint, au contraire notre chemin de fer est un objet d’admiration pour les étrangers. Pourquoi donc vouloir toujours faire mieux ? Rappelez-vous ce proverbe ancien que le mieux est l’ennemi du bien, et renfermez-vous dans une sage limite. Si l’Angleterre a construit des chemins de fer de luxe qui lui coûtent 5 millions par lieue, la Belgique aura une gloire bien plus grande lorsqu’elle pourra montrer aux étrangers que les chemins de fer ne lui coûtent qu’un million par lieue. Nous devons chercher à imiter l’Angleterre dans ce qu’elle fait de bien, nous devons tâcher de l’imiter pour la rapidité des transports, mais non pas pour le luxe des créations, alors surtout qu’il n’y a aucune similitude entre nos prix des transports et les siens.
Je dis donc que si dans les circonstances actuelles au lieu de chercher encore à améliorer les sections qui sont en activité et dont tout le monde est satisfait, nous ajournons les dépenses complémentaires (et dont je ne conteste pas entièrement l’utilité) jusqu’à ce que toutes les sections soient mises sur le même pied que celles qui sont en exploitation, nous ferons un acte de bonne et de sage administration. De cette manière, nous aurons opéré une réduction notable dans nos dépenses, dans quelques années, lorsque la redevance de la société générale sera à notre disposition, il sera temps encore de faire les améliorations dont il s’agit. Du moins alors nous pourrons faire ces améliorations au moyen de nos propres deniers, tandis qu’aujourd’hui nous devrions emprunter les fonds qu’elles exigeraient.
Vous voyez donc, messieurs, que le chiffre proposé par la section centrale est plus que suffisant pour faire face à tous les besoins réels.
Je parlerai maintenant des conditions de l’emprunt. A cet égard on a prétendu vous effrayer beaucoup sur les dispositions présentées par la section centrale relativement à la concurrence de l’emprunt. Déjà je vous ai dit qu’en 1833 le ministère n’avait pas hésité devant cette proposition. En Angleterre, en France, dans toutes les nations qui nous environnent, je ne pense pas que le gouvernement osât venir présenter à la législature une proposition d’emprunt, sans demander en même temps que l’emprunt ait lieu avec publicité et concurrence ; et si quelqu’un y était assez mal avisé pour contester l’utilité de ce mode, je le dis franchement, on lui rirait au nez. Voilà ce qui se passe en Angleterre et en France. L’utilité de ce mode est une vérité tellement démontrée pour chacun, que ce n’est plus même une question qui s’agite : on laisse cela à la théorie du professeur, et l’on met nécessairement le système en pratique.
Aussi, remarquez comment les choses se sont passées ici. Lorsque vous vous êtes réunis en section, pour examiner la question de l'emprunt, toutes les sections ont demandé que l’emprunt fût conclu avec publicité et concurrence. C’est là un fait bien digne d’attention. Tant il est vrai que le bon sens de la chambre, lorsqu’il est débarrassé des craintes qu’on veut lui inspirer, marche directement dans le même sens que les autres assemblées législatives, qui nous ont devancés dans la carrière institutionnelle.
Pour mon compte, je ne puis ajouter foi aux craintes qu’on cherche à vous inspirer. On vous parle des dangers de la publicité, des dangers de la concurrence. Comment ! Lorsque vous voyez tous les jours dans les bourses de Paris, de Londres et de Belgique, les spéculateurs exposer toute leur fortune pour gagner 1/4, 1/8 d’agio, pouvez-vous croire qu’ils resteront impassibles, lorsque la Belgique si riche leur offrira un magnifique moyen de placer leurs capitaux et de gagner de l’argent, beaucoup d’argent ? mais en vérité le croire, ce serait méconnaître l’esprit des spéculateurs et des banquiers. La race des banquiers tient toujours à gagner quand et là où elle le peut (on rit !) ; et soyez-en sûrs, elle ne manquera pas plus aujourd’hui que dans toutes les autres bonnes occasions de s’emparer d’un moyen certain de faire un gain considérable.
Je dis donc que l’intérêt du spéculateur est un immense garant de l’efficacité du mode par publicité et concurrence.
On vous a dit qu’avec la publicité et la concurrence il se formera des sociétés qui viendront faire le monopole.
Je réponds à cela que si les banquiers et les agioteurs doivent se former en société pour monopoliser votre emprunt, il s’associeront soit qu’il y ait de la publicité, soit qu’il n’y en ait pas ; et ils parviendront à se réunir plus facilement lorsque l’emprunt se fera dans le secret que lorsqu’il sera négocié avec publicité et concurrence.
L’honorable député de Bruxelles qui a parlé avant moi a dit que la Belgique avait besoin de prendre un patronage.
Pour mon compte, messieurs, je confesse que dans les emprunts qui ont été contractés, le patronage auquel l’honorable préopinant a fait allusion a été très utile à l’influence de la Belgique. Mais je crois que l’honorable membre conviendra avec moi de cette vérité que ce patronage ne nous a pas été acquis pour rien ; il conviendra avec moi que nous l’avons trop chèrement payé, pour désirer de le voir perpétuer à jamais.
Car, remarquez-le bien, au moyen de ce patronage les choses en sont venues à point qu’une des difficultés de trouver des prêteurs si vous n’admettez pas la publicité et la concurrence, c’est qu’à tort ou à raison on est convaincu dans les grandes places de l’Europe, que le patron de la Belgique auquel l’honorable député a fait allusion, aura seul l’emprunt que vous allez faire. Et pourquoi les prêteurs se présenteraient-ils, lorsqu’ils n’ont rien à faire, lorsqu’à tort ou à raison ils croient que toutes leurs démarches seront des démarches inutiles, frustratoires ?
Messieurs, si l’on examine bien les intérêts du pays, il est nécessaire que ce patronage cesse enfin ; il faut que la Belgique s’émancipe des puissances financières, comme elle s’est émancipée des puissances politiques. Rester à perpétuité sous la domination d’un patron, quelque grand, quelque puisant qu’il soit, c’est compromettre gravement l’avenir financier du pays.
Je suis profondément convaincu que, par le mode de publicité et de concurrence, vous aurez des sociétés qui se formeront en Angleterre et en France, pourvu qu’on laisse à ces sociétés un temps moral pour se former.
Le système de publicité et de concurrence est donc à mes yeux le seul moyen qui puisse vous procurer des conditions avantageuses. Mais j’irai plus loin, et je dis que si, en suivant le mode de la publicité et de la concurrence, la Belgique n’obtenait que des conditions équivalentes, ou même obtenait des conditions un peu plus désavantageuses que celles qu’elle obtiendrait en suivant l’autre mode, je préférerais pour mon compte que la Belgique perdît un million dans cette grande opération, plutôt que de la voir éternellement soumise à un patronage unique qui peut être si préjudiciable à son avenir financier.
Je désire vivement que nous fermions à jamais la porte aux emprunts. Mais qui d’entre nous, la main sur la conscience, pourrait dire que nous n’en ferons plus jamais. Eh bien, si un jour nous étions encore dans la nécessité d’emprunter, et que tous ces emprunts eussent été faits par une seule maison, voyez quelle serait la conséquence de ce fait : vous seriez à la merci de cette maison, et vous devriez passer par toutes les conditions qu’elle voudrait vous imposer.
Je dis donc que l’intérêt de l’Etat exige impérieusement qu’on sorte d’une opinion communément répandue parmi les financiers en Europe, qu’une maison seule a le pouvoir d’obtenir des emprunts chez nous.
Il n’est pas indifférent, dit-on, de savoir quel est le preneur de l’emprunt ; je répondrai que cela est possible, mais cela dépend des conditions que vous mettrez dans l’emprunt ; car, si dans l’emprunt vous insérez des garanties telles que les titres de l’emprunt ne doivent être remis qu’au fur et à mesure des versements, évidemment alors la question de la personne avec laquelle vous avez conclu l’emprunt devient indifférente : de l’instant où vous établissez des garanties positives, le nom de votre prêteur devient un point secondaire, tandis que ce nom devient une chose importante, lorsqu’on met l’emprunt entre les mains de la personne avec laquelle vous avez contracté.
Messieurs, si dans les circonstances calamiteuses sous l’empire desquelles les deux autres emprunts ont été conclus, il a fallu passer par des conditions qu’on ne pouvait pas éviter, et que les ministères qui étaient alors au pouvoir ont dû et bien fait d’accueillir aujourd’hui que la Belgique est constituée définitivement et qu’elle a pris place parmi les nations européennes, évidemment les circonstances malheureuses que je viens de rappeler ont cessé d’exister, et vous devez maintenant employer des moyens tout différents.
Un autre avantage que vous trouverez dans la publicité et la concurrence, c’est la suppression des frais de commission.
Pour mon compte, je ne comprends pas comment le gouvernement pourrait encore à l’avenir accorder une commission pour les emprunts qu’il contracte lui-même dans sa propre localité. Je conçois que d’autres nations accordent une commission, alors qu’elles empruntent à l’étranger ; mais nous qui empruntons à Bruxelles, évidemment nous n’avons pas de commission à payer. Je voudrais savoir si la France et l’Angleterre, lorsqu’elles empruntent à Paris et à Londres, paient 2 ½ p.c. de commission.
Vous voyez donc que c’est encore là une énorme différence dans les résultats de l’emprunt, car si vous parvenez à économiser cette commission, vous vous dégrèverez d’une charge considérable.
Un troisième motif pour admettre la publicité et la concurrence, c’est qu’à l’avenir l’amortissement puisse se faire par le gouvernement lui-même, sans pour cela que le gouvernement doive se borner à faire l’amortissement à Bruxelles seulement, mais je veux que le gouvernement ne se lie vis-à-vis de personne, pour la charge de cette opération.
La position de la Belgique à cet égard est certainement très défavorable ; nos emprunts se composant de bons au porteur, et ces bons au porteur étant répartis sur toutes les places de l’Europe, il sera toujours extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, que la Belgique amortisse complètement un de ses emprunts, sauf le 5 p.c. dont l’amortissement se fait régulièrement. Mais quant aux emprunts émis à un taux inférieur et dont vous ne pouvez vous libérer que par voie de rachat, il est de toute évidence qu’il sera très difficile de les amortir en totalité, ces emprunts, je le répète, se trouvant répartis sur toutes les places de l’Europe.
Je prends pour exemple l’emprunt de 30 millions. Je suppose que de cet emprunt 15 millions se trouvent en Belgique et que les 15 autres millions se trouvent répartis sur la France, l’Angleterre, l’Allemagne, etc. ; eh bien, pour la partie de cet emprunt qui se trouve en Belgique, je conçois que, par voie de rachat, vous puissiez la retirer ; mais quant à la partie qui se trouve dans les pays éloignés, vous ne saurez, quand vous arriverez à la fin de votre emprunt, comment la racheter ; vous devrez alors vous livrer à une conversion.
Un membre – Si les obligations sont au pair, on les tirera au sort.
M. Dumortier – Vous tirerez donc au sort, pour les remboursements au pair, des obligations pour lesquelles vous aurez reçu 72 p.c. : ce sera une très mauvaise opération.
Je dis donc que, pour les emprunts à bas intérêt et qui ne peuvent s’amortir que par voie de rachat, la queue de ces emprunts deviendra impossible à racheter en Belgique. Il faut sous ce rapport que le gouvernement conserve toute latitude pour les faire racheter sur toutes les places, sur toutes les localités par qui il l’entendra.
Mais, messieurs, il y a plus, il y a une disposition dont la nécessité se fait vivement sentir en Belgique, c’est la création d’une commission d’amortissement ou du moins d’un conseil d’amortissement, pour l’achat des pièces qu’on amortit par voie de rachat.
En France, vous savez comment les choses se passent. Les fonds votés pour l’amortissement sont répartis entre les jours de bourse de l’exercice, et tous les jours, quel que soit le taux de la rente, on achète pour la somme, de sorte qu’à la fin de l'année on a un taux moyen de rachat. En Belgique, on achète chaque jour suivant qu’il y a avantage ou désavantage à acheter. Quelle garantie a-t-on alors que les rachats se font convenablement ? Je la cherche vainement, je ne la trouve pas. Je suis trop pénétré de l’immense probité des ministres des finances qui se sont succédé jusqu’à ce jour pour élever l’ombre d’un soupçon sur leur conduite, ce sont les hommes les plus honorables de la Belgique. Aussi, ce n’est pas à eux que je m’adresse. Je parle de la chose. Puisque nous allons émettre un nouvel emprunt de 90 millions, il est temps de régulariser l’emploi de l’amortissement, car si nous avions un ministre qui ne fût pas aussi profondément honnête que ceux que nous avons eux et celui que nous avons, il pourrait acheter pour le compte de l'Etat quand la rente est en hausse et acheter pour son compte quand elle est en baisse.
Je dis, messieurs, qu’il est nécessaire que l’on régularise les choses pour le bien-être des finances du pays ; je voudrais que le gouvernement rachetât, comme cela se fait en France, jour par jour, pour la même somme, quel que soit le taux de la rente, à moins qu’elle ne soit au pair, auquel cas l’amortissement par la voie du sort est préférable. Sous ce rapport, je trouve une lacune dans le projet du gouvernement et dans celui de la section centrale. Je désire que vous veuillez la combler parce qu’il me paraît indispensable de la faire cesser.
Je m’arrêterai là.
Je crois avoir démontré que la somme à laquelle la section centrale propose de réduire l’emprunt est plus que suffisante pour faire face aux besoins. Au moyen de cette somme le gouvernement pourra poursuivre les chemins de fer, faire face aux besoins généraux, en attendant que les capitaux énormes dus par la société générale puissent rentrer dans le trésor et que nous puissions aliéner certaines propriétés domaniales.
Je crois avoir démontré que les craintes, manifestées à l’égard du mode d’emprunt avec concurrence et publicité, sont purement chimériques. Je crois dès lors que vous pouvez voter le projet de la section centrale. Pour mon compte, j’y donne mon entier assentiment.
M. Meeus – Messieurs, l’honorable député de Tournay, faisant allusion au discours que je venais de prononcer, vous a dit qu’on ne devait pas induire en erreur, en cherchant à diminuer les ressources du trésor. C’est là une grave accusation. Bien loin d’avoir cherché à diminuer les ressources du trésor, je les ai fait valoir telles qu’elles sont ; mais je ne les ai pas exagérées, parce que je suis convaincu que l’exagération et les illusions sont aussi funestes aux nations qu’aux particuliers ; qu’en fait de comptes, il faut les faire exactement et ne pas se promettre des chances heureuses dans l’avenir quand ces chances n’existent pas.
L’honorable député de Tournay a fini par chiffrer et par dire que la société générale devrait remettre au trésor, à raison de redevances, une somme de 30 millions. Il a dit, de plus, que l’encaisse était une ressource pour l’Etat. Il vous a proposé en troisième lieu d’émettre des bons payables en 1849, sur la somme que la société aura à payer à cette époque, par suite du contrat passé dans le temps avec le gouvernement des Pays-Bas.
Je suis convaincu que la société générale saura grand gré à l’honorable membre d’avoir trouvé un moyen aussi conforme à ses intérêts, de faire un emprunt en forme de bons payables en 1849. je pense qu’en 1849 la société générale sera aussi fidèle, aussi loyale à remplir ses engagements, qu’elle l’a été jusqu’à présent.
Une pareille mesure ne peut que flatter ses intérêts, car je doute qu’un membre de son administration puisse présenter quelque chose qui lui soit plus avantageux.
Si on émettait ainsi des bons payables en 1849, à moins qu’on ne puisse garantir le maintien de la paix générale et l’absence de toute crise, ces bons seraient sujets à des cours bien différents ; ce serait pour la société générale un moyen assez facile de se libérer à 30 p.c. de moins, qu’en payant à l’échéance aux termes de ses statuts.
Je dois pour ma part rendre grâce au député de Tournay d’avoir présenté un moyen financier qui est aussi favorable aux intérêts de la société.
Maintenant, pour ne pas tomber dans les illusions dans lesquelles est resté constamment le député de Tournay, il faut se rendre compte de ce que la liquidation avec la société générale peut produire. Encore une fois, l’encaisse vous l’avez. Ne recevez pas les intérêts, laissez-les attachés aux pièces, c’est comme si vous les aviez, émettez un fonds pour remplacer celui-là, si tant est que vous en ayez besoin. Il n’y a pas de commission à percevoir. Mais qu’avez-vous ? Vous aurez le nouveau pour l’ancien.
L’honorable député de Tournay s’est servi d’un exemple, il a dit : Un particulier ne place pas cent mille francs d’une part pour en emprunter cent mille de l’autre. Non, sans doute, mais s’il peut placer cent mille francs en en empruntant 90 mille, il ne manque pas de le faire. L’opération se réduit à cela. Serait-il plus utile de négocier du 3 pour cent que de réaliser du 4 pour cent ? Il n’y a pas le moindre doute.
L’honorable M. d’Huart a démontré que l’emprunt Rothschild 3 p.c. avait été négocié avec bénéfice de 4 p.c. sur le cours du 4 p.c. d’abord.
Quant aux redevances, elles ne sont pas de 30 millions. Elles étaient de 50 millions d’année en année, et il était convenu qu’arrivés à 500 mille florins, on devait s’arrêter là. Il y avait de plus 500 mille florins dus à la liste civile. Pendant dix ans cela fait dix millions.
La société générale doit donc dix millions pour les années échues. Mais est-ce que rien n’a été pris sur ces dix millions ? Ce qui ne regarde pas la société générale. Les revenus des biens en Hollande ont été perçus par le gouvernement hollandais. Il s’élèvent à 5 millions.
M. Dumortier – C’est ce que nous verrons.
M. Meeus – C’est ce que vous verrez avec le gouvernement hollandais, mais non avec la société générale.
La société générale ne payera pas ce qu’on lui a pris d’un autre côté.
Restent 5 millions de florins. Je vous l’ai dit tout à l’heure, la société a avancé sur ces cinq millions de florins cinq millions de francs. Lors du rachat de la Sambre belge canalisée, la société générale est intervenue, elle a avancé la somme de cinq millions de francs. Il a été dit dans le contrat d’emprunt que, lors de la liquidation de la redevance, cette somme entrerait en compte. Il reste donc cinq millions de francs à compter à la liquidation d’Utrecht. Après cela, que le gouvernement puisse réclamer depuis dix années 500 mille florins, cela ne regarde pas la société générale.
Vos voyez que tout cela se réduit à une somme assez faible.
La société générale, a dit le même orateur, aurait dû se conduire comme un débiteur loyal, verser le complément des fonds réclamés et prendre le gouvernement belge comme tuteur, et dire : Le gouvernement défendra ma position.
Depuis la conclusion du traité, la société générale a eu un regret amer : c’est d’avoir eu trop de confiance dans la protection du gouvernement belge. En dernier lieu, le gouvernement hollandais a fait main basse sur tout ce que la société générale possédait en Hollande, titres, créances, biens ; il en est résulté un dommage immense.
Il se trouve entre les mains de son banquier à Amsterdam une somme énorme en fonds publics qui est arrêtée. La société générale n’avait pas d’autre moyen que d’attraire le gouvernement hollandais devant les tribunaux belges. J’ai appris avant-hier que le procureur du roi avait précisément conclu contre la société générale dans l’intérêt de la Hollande. On refuse à la société générale ses juges naturels. Ce sont les juges hollandais qui vont prononcer.
Si une telle juridiction était admise, elle tournerait, je le déclare, non pas seulement au détriment de la société générale, mais encore au détriment de la Belgique. En s’opposant à ce qu’elle fût admise, la société générale a eu raison, non pas de suivre les mauvais conseils de ses avocats, comme l’a dit l’honorable M. Dumortier, mais de suivre les conseils d’hommes probes et distingués par leurs connaissances dans la science du droit. Dans les fonds de la société générale, il y a 70 millions de francs qui appartiennent à des Belges ; de tels intérêts méritaient sans doute d’être défendus. C’est pour les défendre que la société générale s’est adressée, non à de misérables avocats, mais aux hommes les plus hauts placés, qui jouissent de la plus grande considération, et dont la conscience nous répond de leurs conseils.
M. Dumortier (pour un fait personnel) – Je n’aime pas qu’on vienne travestir mes paroles et prétendre que j’ai parlé de misérables avocats. Je n’ai rien dit de semblable ; je proteste contre cette expression de l'honorable préopinant. J’ai dit que la société générale avait suivi les mauvais conseils de ses avocats ; mais je n’ai pas qualifié ces avocats et jamais je ne me serais permis une pareille qualification. Il y a une très grande différence entre qualifier les conseils et qualifier les personnes. Les hommes les plus honorables peuvent errer dans un conseil ; on peut dire que leurs conseils sont mauvais ; il y a loin de là sans doute à les qualifier de misérables avocats comme l’honorable préopinant suppose bien gratuitement que je l’aurais fait.
Je répondrai maintenant à l’honorable préopinant.
Il est certainement très déplorable de voir le gouvernement hollandais agir comme il le fait vis-à-vis de la société générale. Le devoir du gouvernement est d’opposer une résistance de fer à un pareil abus. Il doit protéger de tous ses moyens la société générale qui représente d’immenses intérêts nationaux. Mais parce que nous devons cette protection à la société générale, est-ce un motif pour qu’elle se refuse à nous payer les sommes qu’elle nous doit depuis dix ans et qu’elle nous refuse ? Parce que la société générale a des difficultés avec la Hollande, est-ce un motif pour fermer les yeux sur les faits consommés qui ont amené ces difficultés ? Je le répète, iu la société générale avait accédé à la demande de liquidation que lui avait faite le gouvernement, lorsque le gouvernement hollandais aurait voulu attraire la société générale devant les tribunaux hollandais, ce n’eût plus été la société générale, mais le gouvernement belge qu’il eût trouvé pour adversaire. Le conseil de la banque est composé des hommes les plus éminents de Bruxelles, je le veux bien, mais ces hommes éminents ont amené le désastre qui frappe la société générale.
L’honorable préopinant vous a montré dans ses calculs la manière dont les intérêts de la Belgique sont appréciés à la société générale. D’après ses calculs, la société générale ne doit que 10 millions de florins, d’où à défalquer 5 millions dus à la Hollande.
M. Meeus – Pris par la Hollande.
M. Dumortier – Ils ont été saisis par la Hollande, mais non pas pris par la Hollande.
Restent à la Belgique 5 millions de florins et quand vous en défalquez les 5 millions de francs du canal de Charleroy, vous voyez que tout ce qui est dû à la Belgique se réduit à 5 millions de francs.
Chacun jugera jusqu’à quel point une société qui gère aussi d’énormes intérêts peut être admise à déclarer à la face de l’Europe qu’une partie de ce qu’elle doit à la Belgique doit être détournée de sa destination pour garantir des intérêts hollandais (Dénégation de la part de M. Meeus). C’est ce qui résulte de ce qu’a dit l’honorable préopinant.
M. Meeus – Je demande la parole.
M. Dumortier – Vous pouvez alléguer le séquestre mis sur les domaines de la société générale en Hollande, mais ce séquestre devait être levé en Hollande en même temps que le séquestre à été levé en Belgique. Les fonds devaient donc revenir à leur destination, car la Hollande n’avait pas plus le droit de nous prendre une partie de ces sommes qu’elle n’avait le droit de vous prendre un domaine parce qu’il avait appartenu pendant longtemps au syndicat. Si on admettait ce système vous n’auriez pas pour un denier de propriétés immobilières. Toutes les domaines appartiendraient au syndicat ; voilà où vous arriveriez. Je ne pense pas que vous soyez disposés à admettre un principe qui aurait de telles conséquences.
M. Meeus (Ce discours a fait l’objet d’importants errata insérés dans le Moniteur du 6 juin 1840) – L’honorable préopinant a commencé en disant que j’avais travesti ses paroles ; mais si, au lieu de mauvais, je lui ai fait dire misérables, la différence n’est pas grande. Quant à lui il dénature bien autrement ce que j’ai dit.
J’ai fait le compte, d’après les calculs du préopinant, de ce que la société générale peut avoir à payer ; je n’ai pas dit pour cela qu’elle n’eût rien reçu. Quant au surplus de ce qui revient certainement à la Belgique, j’ai ajouté que c’était à la Hollande qu’il fallait le demander et non pas à la société générale. Qu’on obtienne d’elle le plus possible, pour ma part je le désire, mais cela dépend de la liquidation, et ce n’est pas une question à trancher pour le moment.
Rappelez-vous que dans la discussion des 24 articles, moi-même j’ai indiqué les règles qui me semblaient devoir présider à la liquidation avec la Hollande. J’ai dit qu’il me semble qu’il faut que la Belgique rentre dans les capitaux et intérêts payés par la société générale à raison de la valeur de sa part dans les fonds primitifs de la société générale. Après cela je n’ai pas dit les paroles que me prête le député de Tournay. C’est du reste une singulière manière d’argumenter qu’a l’honorable M. Dumortier. Il ne tient pas compte de ce qu’on dit ; il vous attribue des paroles que l’on n’a pas prononcées et se maintenant dans ses illusions là-dessus, il fait un discours.
On me fait observer que l’honorable membre a été plus loin, et qu’il aurait dit que des fonds auraient été détournés au profit de la Hollande. Cela lui sera sans doute échappé dans la chaleur de l’improvisation.
M. Dumortier – Je n’ai pas dit cela.
M. Meeus – Si l’honorable M. Dumortier déclare qu’il ne l’a pas dit, je n’insiste pas.
Je n’ai pas dit que des fonds étaient dus à la Hollande, je n’ai pas fait le compte avec la Hollande, j’ai dit voilà le compte de la société générale au jour de la liquidation.
Il aurait fallu, d’après l’honorable M. Dumortier, que la société générale payât tout ce qu’elle pouvait devoir, entre les mains du gouvernement belge, et que l’administration de cette société lui désignât le mandat qu’elle avait reçu de défendre ses propres intérêts. Et cependant, comme je viens de vous le dire, alors que la société générale réclame ses juges naturels pour se défendre contre les injustes agressions de la Hollande, c’est un agent du gouvernement qui conclut à l’incompétence des tribunaux du pays ! Les hommes placés à la tête de la société générale ont compris autrement les intérêts qui leur sont confiés, et les conseils comme les récriminations de l’honorable M. Dumortier ne leur feront pas dévier de la ligne que leur tracent l’honneur et leur mandat. (Avant l’erratum inséré dans le Moniteur du 5 juin 1840, ce dernier paragraphe était rédigé comme suit : La société générale demande ses juges naturels, elle demande justice, et c’est un agent du gouvernement, c’est le procureur du roi qui soutient l’incompétence de ces juges naturels. Il aurait fallu, dit-on, que la société générale se livrât au gouvernement belge, qu’elle déléguât son mandat à un tiers. Singulière manière de comprendre ses intérêts ! Les hommes placés à la tête de la société générale ne les ont pas compris ainsi et les récriminations de l’honorable M. Dumortier leur importent assez peu.)
M. Dumortier – Je ne sais ce que veut dire l’honorable préopinant lorsqu’il parle de fonds détournés, car je n’ai pas parlé de cela. J’ai dit que si le séquestre avait été mis en Hollande, il fallait qu’il fût levé ; mais je n’ai pas prétendu que la société générale eût détourné des fonds. L’honorable préopinant me reproche de me maintenir dans une atmosphère d’illusions en défendant les intérêts de la Belgique, c’est lui plutôt que se fait une étrange illusion lorsqu’il s’imagine consentir à ne jamais faire rendre des comptes à la société générale. La société générale a pu pendant dix ans nous refuser des comptes, elle a pu en 1831 nous prêter notre propre argent à 72 p.c. Mais le jour des illusions est passé, il est temps de liquider avec la société générale.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – L’honorable M. Dumortier est revenu sur des assertions que je croyais avoir combattues d’une manière victorieuse dans la séance d’hier. Il est revenu avec une insistance nouvelle ; force donc est au ministère de le réfuter de nouveau ; cependant, pour ne pas prolonger indéfiniment la discussion générale, je rencontrerai les observations de l'honorable M. Dumortier, dans la discussion des articles. Je pense que la chambre fera bien de renvoyer la suite de la discussion à celle des articles où elle aura un caractère pratique qu’elle ne peut avoir maintenant.
M. Desmaisières – J’ai très peu de mots à dire. Au fond il s’agit d’un fait personnel, quoique je n’aime pas à parler sur de semblables sujets.
J’ai entendu avec satisfaction mon honorable successeur protester contre toute intention qu’on pourrait lui prêter d’avoir voulu énoncer des griefs contre aucun de ses prédécesseurs, dans son exposé des motifs ; c’est avec le plus vif plaisir que je prends acte de cette déclaration. Toutefois c’est avec regret que j’ai vu qu’en cherchant à répondre au discours que j’avais prononcé avant-hier il était revenu sur une erreur qui fut commise dans le budget des voies et moyens de 1839. Il est vrai que l’erreur a eu lieu, mais voici de quelle manière.
Tout le monde sait que les différentes administrations qui ont des recettes forment le budget qui les concerne ; qu’ensuite le travail de ces diverses branches de l’administration est remis au secrétaire général ; que là le budget est définitivement dressé, et qu’enfin il est soumis au ministre. Eh bien, lorsque le budget m’a été présenté, c’est peu de jours avant le départ du Roi pour Wiesbaden, et le Roi voulait le signer avant de partir ; j’avais donc peu de temps pour examiner le travail. Cependant je fis une observation à l’ordonnateur du trésor relativement au million versé par la banque de Belgique, que je voyais porté aux recettes effectives, tandis qu’il devait l’être dans les recettes pour ordre : ce fonctionnaire me répondit en homme consciencieux, qu’il avait porté cette somme au budget des voies et moyens, parce que la chambre avait manifesté le désir de voir figurer toutes les recettes au budget des voies et moyens.
Cependant quelques doutes me restèrent ; mais pressé par le temps, je n’insistai pas. Quand le budget vous fut présenté personne ne fit d’observation, par même M. Mercier, et le budget fut adopté.
Je voulus revoir le budget ; et mon attention se porta sur le million de la banque de Belgique, j’acquis définitivement la conviction que cette recette devait être insérée dans les recettes pour ordre et non où elle figurait ; et je me proposai de faire rectifier l’erreur dans la discussion du budget de la guerre, qui m’en offrait le moyen, parce que le ministre directeur de ce département consentait à une réduction montant au-delà du million.
Tout le monde peut commettre des erreurs surtout dans des administrations aussi compliquées, mais je dois faire remarquer, qu’ici l’erreur n’était pas mon fait ; que c’est moi qui l’ai signalée et que si M. Mercier en a pu parler dans son exposé des motifs, bien qu’il avait examiné, discuté et voté le budget avec cette erreur, c’est par cela même que je l’avais signalée.
Il me suffira du reste de vous citer le texte des articles 3 et 4 du budget des voies et moyens pour vous démontrer que M. Mercier, outre l’erreur qu’il a commise de faire figurer cette même recette du million de la banque de Belgique dans la tableau litt. H., joint au projet de loi à la colonne des recettes effectives et probables, a encore commis celle de voir une contradiction dans les dispositions des articles 3 et 4 de la loi du budget des voies et moyens de 1840.
Voici le texte de la loi :
« Art. 3. D’après les dispositions qui précèdent le budget des recettes de l’Etat pour l’exercice 1840, est évalué à la somme de fr. 101,635,569 et les recettes pour ordre à celle de fr. 644,000, le tout conformément au tableau ci-annexé. »
« Art. 4. Pour faciliter le service du trésor pendant le même exercice, le gouvernement pourra, à mesure des besoins de l’Etat, renouveler et maintenir en circulation ou créer des bons du trésor dans les formes établies par la loi du 16 février 1833, n°157, jusqu’à concurrence de la somme de 18 millions de francs, sauf à restreindre cette circulation en raison du montant de la somme principale à rembourser par la banque de Belgique, à compte du prêt qui lui a été fait en vertu de la loi du 1er janvier 1839. »
Je crois que si M. Mercier relit attentivement ces deux articles de la loi, il se convaincra facilement que l’article 4 n’implique aucunement contradiction avec l’article 3. En effet, l’article 3 ne fait que constater et énumérer les recettes dont se compose le budget des voies et moyens ; et l’article 4 vient ensuite régler le chiffre maximum de bons du trésor que le ministre est autorisé à maintenir en circulation pendant toute l’année. Les 18 millions se trouvent composés de 14 millions pour la dette flottante proprement dire et de 4 millions pour le prêt de la banque de Belgique ; non seulement il n’y a pas contradiction à obliger le ministre de restreindre la circulation au fur et à mesure et en raison des remboursements qui viendraient à être opérés par la banque pendant le cours de l'année, mais c’était là une disposition tout à fait nécessaire, afin que lorsque le ministre aurait reçu le remboursement du million à recevoir, il ne pût pas se trouver en avoir deux au lieu d’un seul, à savoir celui qui, en vertu de l’article 3, lui aurait été remboursé et en outre celui qu’il se serait procuré par l’émission de bons du trésor.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, cette discussion m’est plus pénible que je ne puis l’exprimer ; cependant je ne puis me dispenser de répondre quelques mots seulement à l’honorable M. Desmaisières : c’est précisément parce que l’article 4 de la loi du 29 novembre 1839 exigeait l’extinction du million de bons du trésor porté en recette ordinaire à l’article 3 que j’ai été obligé d’exposer à la chambre que je ne pouvais satisfaire à ces deux prescriptions contradictoires.
Si j’ai porté le million versé par la banque de Belgique aux recettes effectives, c’est que j’ai agi en vertu de la loi du 29 décembre 1839 ; je ne pouvais réformer cette loi ; je ne pouvais que la suivre en dressant les tableaux annexés à l’exposé des motifs. Aujourd’hui même, si j’avais des comptes à présenter à la chambre, je ne pourrais que faire figurer cette somme dans les recettes ordinaires, pour me conformer à l’article 3 de la loi ; je commettrai une irrégularité en la présentant comme recette pour ordre ; du reste, si un erreur a été commise, qui peut répondre d’être infaillible ? Pour celui qui connaît toute la complication de l’administration générale des finances, il serait plutôt étonnant qu’on pût éviter de se tromper une seule fois ; je le répète, je serais on ne peut plus peiné que mon honorable prédécesseur vît dans mes observations la moindre pensée hostile ou désobligeante.
M. Desmaisières – Si l’erreur a été commise, elle l’a été par tout le monde, c’est-à-dire par toute la chambre, et par M. Mercier, qui a voté comme tout le monde.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – J’en conviens.
M. Vandenbossche demande que conformément aux conclusions du discours qu’il a prononcé dans cette séance, on mette en discussion les questions relatives aux redevances de la société générale.
M. le président lui fait observer que le bureau ne peut soumettre aux délibérations de la chambre que les propositions qui lui ont été remises, par écrit, par leurs auteurs.
M. Demonceau demande à être entendu comme rapporteur de la section centrale avant la clôture de la discussion générale.
Aucune décision n’est prise à cet égard. Messieurs les députés quittent leurs banquettes.
(Addendum au Moniteur belge du 5 juin 1840. L’emplacement du discours de de Garcia dans la séance du 4 juin n’a pas été précisé par le Moniteur de l’époque. En l’absence d’indication, il a été simplement placé à la fin de la séance pour cette version numérisée) M. de Garcia – Messieurs, en prenant la parole à l’occasion de la loi de l’emprunt, mon intention est de répondre, le plus brièvement que possible, à quelques objections qui ont été présentées dans cette enceinte, et qui, selon moi, sont complètement erronées.
Ces objections sont relatives à la vente des propriétés et des forêts nationales.
Elles sont relatives aux avantages et désavantages qui résultent pour une nation, quand elle se jette, sans une nécessité absolue, dans la voie des emprunts.
Nous examinerons d’abord, messieurs, s’il est utile et avantageux pour la nation de vendre les forêts domaniales en Belgique.
Quant à moi, malgré la gravité et l’importance attachée à cette question par quelques membres de cette assemblée, je n’ai pas le moindre doute que cette mesure ne soit avantageuse, surtout dans cette occasion où il s’agit de diminuer de la valeur de ces propriétés le monde de l’emprunt demandé.
La première observation que je présenterai à cet égard sera d’assimiler les intérêts nationaux aux intérêts des particuliers, le crédit public au crédit privé.
Que diriez-vous, messieurs, d’un citoyen qui, possédant une fortune immobilière d’un revenu d’un ou de deux pour cent, et je pose en fait que les forêts nationales, après déduction des frais d’administration, ne rapportent pas un pour cent, que diriez-vous, disons-nous, si ce citoyen préférait garder une propriété immobilière d’un revenu de cette nature pour se livrer à des emprunts à raison desquels il payerait des intérêts de 4 ou de 5 p.c., et pour lesquels, au lieu d’une valeur nominale de 100, il ne recevrait qu’une valeur réelle de 70 ou de 80 ?
Poser une semblable question, c’est la résoudre, et chacun de vous ne peut hésiter à répondre qu’une conduite semblable conduit droit à la ruine.
Ici, messieurs, l’Etat ou la famille doivent être mis sur la même ligne.
Quelques honorables membres de cette assemblée ont voulu présenter la question de la vente des forêts nationales sous un point de vue d’une grande importance et d’une haute politique.
Ils ont prétendu qu’une question semblable devait être profondément et longuement mûrie.
Quand on veut bien se rendre compte des faits et de la situation dans laquelle se trouve la Belgique, à raison de la quantité des forêts nationales qu’elle possède encore, et à raison du système forestier qui reste chez elle, il m’est impossible de me rendre compte de l’importance et de la gravité que ces honorables membres attachent à la question de la vente de ces propriétés sous le point de vue politique et de l’avenir du pays.
Il me semble que faisant peu la part des circonstances et du système législatif dans lesquels nous sommes tombés depuis l’établissement du royaume des Pays-Bas, ils sont restés attachés à des idées anciennes, aujourd’hui complètement étrangères à notre pays et qui ne peuvent plus y recevoir d’application.
Ils se reportent au système forestier français qui prit naissance dans des temps reculés et que, sans doute, l’on ne voudrait point aujourd’hui ramener chez nous.
Le monument le plus important de la législation française sur cette matière et la source de tout ce qui est advenu depuis lors est l’ordonnance de 1669, qui soumettait toutes les propriétés forestières de l’Etat et des particuliers à des restrictions multipliées.
Le nouveau législateur français, tout en modifiant ces restrictions dans sa dernière législation, les a néanmoins perpétuées jusqu’à un certain point.
En Belgique, par suite des lois qui y ont été prises et par la force des faits, toutes les restrictions sur les forêts des particuliers fuirent anéanties, et la majeure partie de forêts nationales furent vendues.
D’un côté donc, plus de système forestier complet en Belgique, et d’un autre côté, presque plus de forêts nationales.
Comment dès lors, messieurs, vouloir nous rejeter dans l’examen de questions qui ne peuvent plus se présenter en Belgique, comment vouloir nous reporter à ce qui se pratique en France, et on a dit de plus en Angleterre, lorsque nous ne sommes nullement dans le même ordre de choses, ni de lois ?
L’intention de ces honorables membres serait-elle de replacer toutes les propriétés de la Belgique sous un système de lois restrictives, serait-elle de racheter pour la nation des forêts nationales d’une haute importance ?
J’espère bien que la législature belge n’adoptera jamais des vues semblables, auxquelles devraient aboutir les idées développées par les honorable MM. d’Huart, d’Hoffschmidt et Metz.
Le principe de la liberté entière de la propriété forestière des particuliers a été adoptée en Belgique depuis 1814 et, à mes yeux, ce système législatif est infiniment préférable à celui de la France. La seule chose qui reste à faire en Belgique pour la conservation des forêts, c’est un code pénal. Rien de plus incohérent, de moins approprié à notre état de civilisation que ce qui existe actuellement. Il est même à regretter que la législature ne puisse s’occuper prochainement de cet objet.
Quant au principe de racheter pour la nation de nouvelles forêts, j’espère que ce projet subira le même sort que celui auquel je viens de faire allusion. J’espère qu’il ne sera jamais adopté, et s’il pouvait en être autrement, l’on ne pourrait, sans mentir impudemment, dire aux prêteurs, auxquels vous allez demander l’emprunt actuel, que cet emprunt sera le dernier que fera la Belgique.
Au contraire d’avance, vous pouvez leur promettre que vous leur offrirez de nouvelles occasions de faire de bonnes affaires, et que la Belgique aura dorénavant de nouveaux emprunts de plusieurs millions à opérer.
Je le répète, je pense que le système suivi par le gouvernement des Pays-Bas, dans l’intérêt bien entendu de la chose publique, a été préférable à celui suivi par la France.
Outre que je ne puis supposer que mes adversaires croient que la Belgique puisse devenir une puissance maritime, c’est que, en fût-il ainsi, en comparant ce qui existe en France et en Hollande, l’on a la certitude qu’un pays peut avoir une marine et une très belle marine sans avoir des forêts.
Il n’existe ou il n’existe que très peu de forêts dans la Hollande, et sans doute sa marine peut être avantageusement comparée à la marine française, et mise même au-dessus, relativement à l’importance des deux pays.
La vente du peu de forêts qui nous restent ne peut donc plus faire question ; elle n’est que la conséquence du système établi dans notre pays, système, selon moi, justifié par des vues saines d’économie politique, système qui ne peut qu’augmenter la richesse publique et les ressources du trésor.
Je ne crois devoir rien répondre, messieurs, relativement à ce qui a été dit sur la stérilité et l’insalubrité que la destruction des forêts nationales pourrait amener sur notre sol.
Je laisse cette question à l’examen de nos docteurs en médecine et en histoire naturelle.
Je ne ferai qu’une observation à cet égard, c’est que la vente des forêts nationales n’entraîne par elle-même ni par la force des choses, le défrichement de ces forêts.
Sur ce point, messieurs, il ne me reste plus qu’une seule réponse à faire sur ce qui a été dit par l’honorable M. Metz sur ce qui se passait en Angleterre à l’égard de la conservation des forêts. Cet honorable représentant, pour combattre la vente des forêts nationales en Belgique, a invoqué l’exemple de l’Angleterre.
Il a même posé sur ce point à l’honorable M. Pirmez, qui partage aussi l’opinion que la vente des forêts nationales serait chose avantageuse pour le pays, une série de questions que la rapidité avec laquelle elles ont été émises m’a empêché de saisir, ou plutôt de retenir, et c’est indifférent à la chose.
Il m’est difficile, messieurs, de concevoir comment l’on invoquait l’exemple de l’Angleterre pour soutenir qu’il ne fallait pas vendre les forêts nationales en Belgique.
En Angleterre il n’existe point un pouce de forêts nationales, et les forêts des particuliers, qui sont des parcs appartenant à la haute aristocratie, ne sont soumises à aucune mesure restrictive par les lois du pays.
Il existe, il est vrai, encore d’autres forêts en Angleterre, mais elles ne forment pas le domaine national, elles sont un apanage de la couronne, et sont inaliénables en vertu des dispositions constitutionnelles de ce pays. Ces forêts, je crois, sont au nombre de trois ou de quatre.
D’après les observations que je viens d’avoir l’honneur de soumettre à la chambre, je pense que la vente des forêts nationales ne doit pas faire question ; je pense qu’elle doivent être vendues pour diminuer de leur valeur l’emprunt qu’il s’agit de faire ou tout au moins pour amortir les emprunts ; je pense qu’en agir autrement, c’est préférer l’agréable à l’utile ; je pense que c’est vouloir charger le peuple d’impôts pour les plaisirs et les agréments des grands ; je pense que c’est nuire à la chose publique.
Au surplus, messieurs, vendre les forêts nationales pour la construction de chemins de fer, pour la construction de canaux, pour ouvrir des routes et des communications, ce n’est réellement pas aliéner le domaine national, c’est convertir une propriété nationale d’une nature en une propriété nationale d’une autre nature.
En résumé, messieurs, voici les avantages immenses qui doivent résulter pour le trésor de la vente des forêts nationales :
1° La différence entre les revenus des forêts nationales et l’intérêt de l’emprunt est 2 à 3 p.c. par an.
2° Revenu des mutations et des contributions qui résulterait de ce qu’on mettrait dans le domaine de la propriété privée les domaines nationaux 1 p.c. par an de leur valeur en capital.
3° Economie des frais d’administration de cette partie du domaine public, qui, depuis la vente opérée par le gouvernement des Pays-Bas et l’affranchissement de la propriété privée, n’est plus en rapport avec les objets soumis à sa surveillance.
Cette économie sera considérable et peut s’évaluer par le budget.
C’est en vain, messieurs, que pour conserver cette administration, l’on a argumenté de ce que les forêts communales étaient soumises à sa surveillance.
Loin que cette argumentation attaque le but qu’on se propose, elle ne tend à mes yeux qu’à démontrer que les principes mutilés de la loi forestière, en Belgique, sont une véritable anomalie.
D’après les principes de notre loi constitutionnelle, les communes doivent avoir l’administration de toutes leurs propriétés, sous la tutelle des états provinciaux et du gouvernement. Qu’on entre franchement dans le système de notre constitution, les droits de tous seront saufs, et soyez-en bien assurés, au moyen de la surveillance des conseils provinciaux et du gouvernement, la conservation entière et bonne des forêts communales sera assurée. De plus, on épargnerait aux communes les frais considérables et ruineux auxquels ils sont soumis pour l’administration forestière.
C’est aussi en vain, messieurs, et sans fondement qu’on a dit que la vente des forêts n’était point un moyen de réaliser de suite des écus.
Qu’a-t-on fait sous le gouvernement des Pays-Bas ? Vous avez une loi toute faite, l’ancien gouvernement a créé et émis un papier-monnaie qui devait servir à payer les acquisitions des forêts, et par suite, avant d’avoir vendu un hectare de bois, le gouvernement avait fait entrer dans les caisses du trésor plus de 50 millions d’écus, en se réservant les termes des paiements les plus utiles pour opérer la vente la plus avantageuse des domaines.
Il ne me reste plus que quelques mots à dire, en réponses aux doctrines étranges, avancées à la séance d’hier par l’honorable M. Metz, sur les avantages et désavantages des emprunts pour une nation.
A cet égard, messieurs, j’emprunterai les idées d’un brillant écrivain français, aussi savant publiciste qu’économiste sage et prudent. (Je veux parler de M. Pages.)
Le système d’emprunts, dit-il, peut toujours varier ; le résultat des emprunts est toujours le même.
Les banques nationales, provinciales, les hôtels de ville, les capitalistes, les banquiers, qui ont asservi leur crédit privé aux variations du crédit public, ont, comme lui, fini par des faillites.
Un seul Etat, une seule fois, a remboursé ses emprunts, c’est la république des Etats-Unis ; une seule banque publique a, une seule fois, satisfait à ses engagements, c’est encore celle de la république des Etats-Unis.
D’après les principes que déduisait hier notre honorable collègue, ce pays serait pauvre, et offrirait peu de ressources, et peut-être que, d’après les considérations qu’il a fait valoir, serait-il inutile de ne pas s’occuper du projet d’une navigation transatlantique, qui doit être soumis dans quelques jours à vos méditations.
Le crédit, dit le même auteur, résultant des emprunts ouvrant au pouvoir une mine longtemps inépuisable et de facile exploitation, est moins une source de richesses, qu’un moyen de dilapidation.
Les gouvernements le préfèrent à l’impôt, parce que subside et doléance vont toujours de compagnie, et que l’autorité contrainte de satisfaire aux vœux d’un peuple dont elle pressure la fortune, paie en liberté l’argent qu’on lui donne.
Le même écrivain M. Pages, établit que tous les emprunts qui ont été faits en Angleterre ont eu lieu en faveur de l’aristocratie ou pour faire la guerre.
Si l’on rapproche cette doctrine de celle avancée par l’honorable M. Metz, l’on serait conduit à conclure que l’état de guerre est l’état le plus heureux pour les peuples.
Je pense que ce peu de mots répondent suffisamment à ce qui a été avancé par l’honorable collègue. Je pourrais y ajouter beaucoup d’autres considérations déduites par l’écrivain que j’ai cité, mais je craindrais messieurs, d’abuser de vos instants, et je terminerai en disant que, dans ma pensée, les emprunts ne doivent avoir lieu que pour des cas très exceptionnels et de la manière la plus restreinte, en disant que toute autre manière d’agit n’est propre qu’à démolir les institutions d’un pays.
Avec le crédit facile résultant des emprunts l’on favorise la corruption des citoyens en soldant leur vénalité, et comme tout se vend quand le pouvoir veut acheter, la liberté peut toujours être compromise par les hommes que le peuple a choisis pour ses tuteurs.
Que mes paroles n’offensent personne. Je parle en principe, des noms propres ne peuvent être derrière ma pensée, sans cela je les nommerais.
Un mot maintenant sur le mode de faire l’emprunt projeté.
Cet emprunt doit-il être fait avec publicité et concurrence ?
Pour moi, messieurs, je n’hésite point à donner la préférence à ce mode, et je crois pouvoir dire avec certitude qu’on atteindra avantageusement le but, si la mesure est conduite avec sagesse et prudence.
Le crédit de la Belgique vaut le crédit de toutes les nations du monde.
Le mode le plus sûr de réaliser un emprunt avec publicité et concurrence serait de le diviser en séries de 10 millions ou de tout autre chiffre quelconque ; ce qui sera d’autant plus praticable qu’on n’a pas besoin de tout l’emprunt à la fois.
De cette manière, on le mettrait à la portée de toutes les maisons financières.
Il faudrait de plus que les intérêts se payassent, comme il en a été fait pour les précédents emprunts, sur les places de Paris, de Londres, de Bruxelles et d’Anvers, je crois qu’il serait avantageux d’y joindre la place d’Amsterdam.
Ces intérêts devraient en outre être payés aux taux du cours des changes de Bruxelles sur ces diverses places.
Cette dernière mesure offrirait à notre commerce des moyens d’opérer des payements à l’étranger, et sous ce rapport offrirait encore de nouvelles ressources pour développer l’industrie et les échanges entre la Belgique et les Etats de l’Europe.
Ayant la parole, je prierai la chambre de vouloir me la continuer un instant encore pour présenter quelques observations sur une matière qui se rattache évidemment à la loi actuelle.
L’emprunt est une ressource extraordinaire qui entraîne nécessairement après lui des dépenses normales et annuelles, les intérêts et l’amortissement.
Dans les voies et moyens pour faire face aux dépenses normales du pays, il y a évidemment déficit, et il faut donc aussi évidemment créer de nouveaux impôts.
J’aurai l’honneur de demander à M. le ministre quelles sont ces vues à cet égard ? Comblera-t-on le déficit existant par des économies ou bien par des centimes additionnels sur les contributions existantes, ou par de nouvelles bases d’impositions.
A cet égard, j’adjure le gouvernement de faire toutes les économies possibles pour diminuer les charges de la nation. Mais ne pouvant espérer que ces économies puissent atteindre le déficit, je le prie de recourir le moins possible au mode des centimes additionnels. Ce mode pour être le plus facile est aussi le plus mauvais. En France le budget des voies et moyens n’a jamais produit plus que sous le ministère Villèle, et c’était par la voie des impôts indirects.
Entre autres bases d’imposition, je prendrais la confiance d’indiquer les suivantes à M. le ministre :
1° La révision de la loi sur les distilleries ;
2° Un impôt sur les tabacs ;
3° Un impôt sur les fruits secs, les raisons, les figues, les noix et de plus sur les citrons, sur les oranges et autres produits coloniaux qui sont plutôt à l’usage des classes aisées de la société que du peuple ;
4° Un impôt sur les sociétés d’assurance ;
5° Je désire y joindre un impôt sur les célibataires, et cela par une considération qu’on a fait valoir pour demander la majoration du traitement des magistrats de l’ordre judiciaire. On a dit qu’avec femme et enfants, un magistrat ne pouvait, avec la modicité de son traitement, pourvoir aux besoins de sa famille.
Le contribuable, père de famille, peut victorieusement rétorquer l’argument alors qu’on lui demande l’impôt.
Il n’en est pas de même du célibataire ; en conséquence je renouvelle ici la proposition de l’honorable M. Gendebien.
- La séance est levée à 5 heures.