(Moniteur belge du samedi 9 mars 1839, n° 68)
(Présidence de M. Raikem)
M. Lejeune procède à l’appel nominal à midi ½.
M. B. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est adoptée.
M. Lejeune fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre :
« Le comte Jean Arrivabene, Italien, natif de Mantoue, habitant la Belgique depuis 12 ans, demande la naturalisation ordinaire. »
- Cette pétition est renvoyée au ministre de la justice.
« Des habitants de la ville de Lierre demandent que la chambre adoptent le traité de paix. »
« Des habitants de la ville de Huy, des communes d’Anthée et Fonal (Namur) et de quelques communes du Hainaut, demande que la chambre adopte le traité de paix. »
M. Dumortier – Je viens de recevoir une pétition d’un assez grand nombre d’habitants de Renaix qui demandent que la chambre repousse le projet de traité soumis à ses délibérations. Je dépose cette pétition sur le bureau, et je demande qu’elle soit insérée au Moniteur.
M. David – J’ai eu l’honneur de déposer sur le bureau une pétition des négociants les plus notables de Huy, qui demandent que la chambre adopte le traité. Je demande que cette pétition soit insérée au Moniteur.
Une voix – Toutes les pétitions doivent être insérées : il y a décision.
M. Desmet, continuant (voir le commencement de ce discours à la fin de la séance précédente) – Messieurs, dans la séance d’hier, je vous ai fait voir combien M. Nothomb, dans ses paroles comme dans ses actes, était resté peu fidèle aux promesses qu’il avait faites à ses compatriotes du Luxembourg, quand il leur a dit et proclamé solennellement le 9 janvier 1831 : « Votre cause est la cause belge tout entière, que si les Luxembourgeois étaient condamnés, tous les Belges le seraient également ; votre destinée ne peut être douteuse, elle dépend de faits placés hors de l’arbitraire de toutes les discussions ; vous avez appartenu à l’ancienne Belgique, et en 1815 la force étrangère avait disposé de vous sans votre aveu ; mais en 1830, vous vous êtes spontanément associés à la révolution belge, et vous vous êtes réintégrés dans vos droits.
« Le congrès national a formellement compris votre province dans la déclaration d’indépendance, il n’est au pouvoir de personne d’annuler cette décision.
« La base de toutes les négociations est l’intégrité territoriale ; tout arrangement contraire à ce principe serait rejeté par le congrès national ; le gouvernement ou le comité diplomatique qui l’aurait accepté, serait désavoué et mis en accusation.
« … Rassurez-vous, le congrès national ne rétractera jamais sa décision ; le peuple belge n’acceptera pas l’ignominie, la révolution ne se déshonorera pas à la face de l’Europe. Dans les journées de septembre, au pont de Walhem, près de Berghem et dans les murs d’Anvers, nos volontaires ont contracté avec les Belges des engagements indissolubles ; quinze années nous avons souffert, et le même jour, par des efforts communs, nous avons secoué le joug. »
Je vous ai aussi fait voir que la Belgique, la constitution et la dynastie que M. Nothomb vous assurait, après l’acceptation du traité, que toujours cette Belgique aurait été une Belgique mutilée, une constitution violée et une dynastie compromise !
Je vous ai encore fait voir que non seulement le congrès national, le gouvernement provisoire, le régent avaient, au nom de la nation belge, pris l’engagement d’honneur de ne jamais abandonner le Luxembourg, mais que le prince Léopold même n’avait pas été moins explicite que ne l’avaient été les divers pouvoirs auxquels il allait succéder, et je vous ai rapporté les paroles suivantes, qu’un membre du cabinet d’alors avait prononcées à cette tribune : : « Le prince est déterminé à conservé le Luxembourg par tous les moyens possibles ; il en fait son affaire, c’est pour lui-même une question d’honneur. Ne sent-il pas d’ailleurs très bien que la possession du Luxembourg importe à sa popularité ? sans la conservation de cette province, je défierais bien à quelque prince que ce fût de régner six mois en Belgique. »
Eh bien, messieurs, quand vous voyez toutes ces promesses, toutes ces protestations, toutes ces obligations bien établies pour la conservation de l’intégrité de notre territoire, sauriez-vous vous imaginer que vous pouvez accepter un tel traité, et n’aurez-vous pas avec moi la pleine confiance que jamais le roi Léopold ne voudra laisser consommer un acte aussi déshonorant pour son trône, et contre lequel s’élève tant de réclamations ?
Le second ministre luxembourgeois qui a pris la parole pour expliquer sa conduite, a pris un autre thème, auquel certainement on ne s’attendait pas ; il nous a fait un cours de métaphysique sur l’honneur, et nous a expliqué quel était l’honneur civique et quel était l’honneur militaire.
Si c’eût été un financier, un homme de bourse, un industriel de la nouvelle façon, j’aurais pu comprendre son raisonnement ; mais sortant de la bouche du général Willmar, d’un ancien soldat de l’armée française, jamais je ne pourrai m’expliquer ses étranges paroles.
Comment ! un général vient vous dire qu’il y a du courage à abandonner lâchement une partie du pays et de ses compatriotes ? et que l’armée, l’armée belge aurait bien mérité de l’honneur et de la patrie, en reculant devant un ennemi qui ne vous a même pas encore menacés, pour le laisser entrer librement sur notre territoire et l’envahir, contre tout droit, justice et humanité ?
Notre armée ne recevra point les définitions de l’honneur telles que le général Willmar les donne ; le plus petit tambour des régiments les repoussera avec indignation.
Le ministre de la guerre nous a fait peur, il nous a surtout fait peur des troupes de la confédération, qui auraient fondu sur nous comme les armées de l’empereur sur l’Allemagne.
Mais qu’il nous montre les victoires qu’ont jamais remportées les troupes de la confédération, qu’il nous décrive les campagnes qu’elles ont faites, qu’il nous fasse voir l’union des troupes confédérées et leur ardeur pour venir anéantir la Belgique de septembre, et y faire triompher l’absolutisme et le calvinisme. S’il connaissait l’esprit qui règne dans toute cette confédération et particulièrement dans leurs armées, il ne serait pas venu nous imprimer une telle panique, car il n’aurait vu qu’un cadavre qui tombe en pourriture.
Mais le général Willmar a peur pour l’industrie, pour les nouveaux établissements des sociétés ; il compatit au sort des ouvriers de ces établissements.
Mais est-ce la faute de nos préparatifs de défense que les hauts fourneaux ne brûlent plus ? Leur feu était déjà éteint avant ce temps, et la cause doit en être trouvée dans la folie et les extravagances de ces directeurs qui dirigeaient sans connaissance et sans expérience.
Et pour les ouvriers, si on les avait laissés aux établissements particuliers, et si on ne les avait pas gâtés et conduits à leur propre perte, par les salaires qui ne pouvaient avoir de durée et qui étaient haussés expressément pour les enlever aux établissements particuliers et ainsi les faire écrouler, vous ne les auriez pas vu sur le pavé dans ce moment-ci.
Si j’avais assez de connaissances pour traiter la matière, j’en parlerais ; mais je demanderai au général Willmar, quand on aura mis à exécution le traité, quelle sera la défense stratégique du pays et quels moyens de précautions il emploiera pour nous garantir d’un coup de main de la part de Guillaume pour nous envahir, comme en 1831 ? D’autres que moi démontreront au général qu’il met notre pays à découvert et à la merci des Hollandais, et qu’il n’a pas bien compris toute la portée de la ceinture d’Orange dans laquelle le traité nous enveloppe, et dans le seul but de faire rentrer, au premier moment propice, les révoltés de septembre dans le régime légal du congrès de Vienne.
J’aurais à faire des observations sur le discours qu’a prononcé hier M. de Theux, mais je m’en garderai, car on pourrait croire que je suis aussi de la coalition pour l’attaquer et pour le faire sortir du cabinet ; j’aurais tort, surtout dans un moment où il doit avoir du chagrin pour avoir proposé l’acceptation du traité et en outre être attaqué de toutes parts et par tous les partis.
Mais je demanderai à M. de Theux comment il a pu dire que par le traité des 18 articles, la chambre avait reconnu que le Luxembourg n’était pas à la Belgique ;; lui qui a voté les 18 articles, les a certainement votés comme ceux de ses collègues qui avaient aussi accepté le traité dans la persuasion et sous la condition même que le Luxembourg était positivement compris dans le territoire belge.
Je n’ai pas sous les yeux son discours, mais je ne pourrai douter qu’il ait parlé autrement.
D’ailleurs comme la note qui a été envoyée par son département à la conférence de Londres est tellement claire et prouve si évidemment que par le traité même des 18 articles il a été reconnu que le Luxembourg était à nous, je ne pourrais lui présenter de meilleurs arguments pour m’opposer à son raisonnement, et je voudrais voir comment il pourra y répliquer. Voici comment cette note s’exprime :
« Le protocole du 26 juin 1831 et l’article 3 du projet des 18 articles proposé à l’acceptation du congrès belge par la lettre des plénipotentiaires, en date du même jour, ne permettraient point à la Belgique de douter un seul instant de la conservation du Luxembourg. Aussi le congrès national fut-il amené à l’acceptation de ces articles, et S.A.R. le prince Léopold, élu Roi des Belges, accepta la couronne de Belgique, sous la foi des mêmes assurances.
« L’article 3 précité réservait à la diète ses droits utiles quant à la forteresse de Luxembourg. Il est évident que, si les plénipotentiaires des cinq cours, en y comprenant ceux d’Autriche et de Prusse, n’eussent eu la conviction que cette proposition était de nature à satisfaire la haute diète, ils n’eussent pas présenté cet article à l’acceptation du congrès belge. La diète pouvait, en effet, d’autant plus facilement accéder à cet arrangement que le Luxembourg fut constamment et exclusivement régi par la loi fondamentale et les autres lois du royaume des Pays-Bas, ainsi que toutes les provinces belges avec lesquelles il avait été depuis plusieurs siècles intimement uni. »
L’honorable M. Devaux vous a posé hier, si je l’ai bien compris, que dès que la Belgique aurait accepté ses 24 articles, elle devenait invulnérable et que plus personne n’aurait pu l’attaquer, qu’elle était sauvée à jamais dès qu’elle aura l’amitié de la Russie et de la Hollande !
Mais sait-il ce qui s’est passé immédiatement après l’acceptation des 18 articles.
Par l’article 9 de ce traité, les cinq puissances garantissaient au roi Léopold et à la Belgique, une neutralité perpétuelle, ainsi que l’intégrité et l’inviolabilité du territoire, tel qu’il existait en 1790.
Par l’article 12, le partage des dettes était fait avec justice, de telle manière que chacun des deux pays n’aurait eu à payer que les dettes qui, originairement et avant la réunion, pesaient sur les divers territoires dont il se composait.
L’article 7 avait garanti à la Belgique la liberté de navigation consacrée dans l’acte général du congrès de Vienne, pour les fleuves et rivières qui traversent le territoire hollandais et le territoire belge.
Vous acceptez le traité, votre roi le signe ; il n’est pas sitôt accepté, que la Hollande vous attaque, quoiqu’il y eût une trêve ; son armée est commandée en partie par des officiers supérieurs prussiens !
Qu’est-il arrivé de cette attaque déloyale et contre la foi d’une armistice ? La Belgique a-t-elle été indemnisée des pertes qu’elle avait essuyées par la surprise des Hollandais, les massacres et le vandalisme que les bandes de Guillaume ont exercés à Calloo et sur divers points de la Belgique, la conférence en a-t-elle tenu compte en notre faveur ? La conduite du roi Guillaume n’a pas même été critiquée par les puissances du Nord ; il a été au contraire récompensé par la conférence, pour son acte de félonie et qui lui a valu les traités du 24 articles vieux et nouveau, où vous devez subir le démembrement de la Belgique, où vous devez payer à Guillaume un tribut de souveraineté sur le bras de mer du Hondt, qui équivaut à une fermeture de l’embouchure de l’Escaut entre les mains de Guillaume, où vous payez une forte dette qui n’est pas la vôtre et où on vous enlève toutes les sommes que vous avez versées dans les caisses du syndicat et des Indes.
Ces faits parlent assez haut pour refroidir un peu la confiance qu’a M. Devaux dans les traités que la conférence de Londres impose à la Belgique.
Je crois qu’il peut un peu douter de la bonne foi de la Hollande et de ses alliés intimes du Nord, et que la prudence devrait au contraire nos conseiller de nous tenir, même après la signature du traité, sur nos gardes. Non, messieurs, n’ayez pas la confiance de M. Devaux et pensez toujours que la Russie, la Prusse et la Hollande n’ont pas abandonné le projet de vous restaurer au premier moment propice, et ne croyez pas M. Devaux, quand il vous dit d’accepter de suite le traité pour vous consolider.
Il vous conduit à votre perte ; car les puissances du Nord vous sondent, éprouvent votre courage et votre force, et quand vous aurez consommé l’acte de faiblesse qu’on vous propose, elles auront pu apprécier ce que vous pouvez encore, et la restauration sera tentée, peut-être sans attendre trop longtemps ; cela dépendra de l’attitude que prendront les autres peuples qui pâtissent de l’absolutise et de la persécution des gouvernements du Nord.
Si M. Devaux connaissait le traité secret qui a été passé cet été à Berlin, entre l’empereur Nicolas et le roi de Prusse, il n’aurait pas tant de confiance ! Comme en diplomatie rien ne reste longtemps secret, il a été découvert que ce traité n’était conclu que pour essayer les restaurations des pays révoltés, et qui se sont constitués contre le gré de la sainte-alliance.
Ce traité est connu en Allemagne et y fait une grande sensation !
D’ailleurs, messieurs, l’histoire est garante de ce que je vous avance : dès qu’un pays révolté ne peut pas conserver intact tout son territoire, qu’il en laisse restaurer une partie, la restauration entière suit de près.
Je vous ai encore cité hier la Hollande qui a combattu 80 ans avant qu’elle eût entièrement consolidé sa révolution, et qui jamais n’a voulu céder un pouce ni une âme des provinces qui s’étaient détachées des Pays-Bas. Mais M. Devaux est tellement pressé que vous acceptiez le traité qu’il craint que si vous tardiez un peu, vous ne pourriez plus vous consolider avec les mêmes avantages et que vous risqueriez beaucoup.
Je ne comprends pas bien ce grand empressement.
Doutez-vous encore que la coalition ait le dessus en France et que le ministère Molé succombe ? Lisez votre Journal des Débats, il le reconnaît lui-même. Et vous ne pouvez douter que la nouvelle politique française voit un peu plus clair que M. Devaux dans nos affaires et connaît un peu mieux que lui l’importance qu’il y a, aussi bien pour la France que pour la Belgique, de ne pas laisser restaurer le Luxembourg et le Limbourg.
Je vous en conjure donc, messieurs, au nom de la patrie et des malheureux frères que vous allez abandonner, ne répondez pas à l’empressement de M. Devaux pour avancer le moment cruel du fratricide.
Vous n’y êtes pas forcés, vous ne pouvez rien risquer à attendre, mais beaucoup espérer qu’un nouveau ministère en France réalisera les promesses que plusieurs membres influents de la coalition vous ont faites ; il faut toujours considérer que vos intérêts sont ceux de la France.
M. Devaux a déploré le roi Guillaume dans les pertes qu’il croit faire par le nouveau traité.
Si M. Devaux pensent que les peuples civilisés peuvent être trafiqués comme les sauvages, et qu’on en fait des traites, il peut avoir raison. Croit-il donc que le traité de Vienne a été un acte juste envers la Belgique ? Croit-il donc que c’était en pleine justice que nous avons pendant 15 ans payés les dettes de la Hollande.
Croit-il sérieusement que le roi Guillaume avait un droit de propriété sur nous ?
Il ne peut pas le croire ! Comment donc ira-t-il découvrir les pertes que la Hollande ferait par le nouveau traité ; elle aura une partie de ses dettes payée, l’Escaut quasi fermé, et une riche partie de notre territoire.
C’est vraiment pousser l’aveuglement un peu loin que de voir les choses de cette manière ! C’est vouloir chercher partout et à toutes les sources, bonnes et mauvaises, des arguments, des motifs, des raisons, mais surtout des prétextes pour accélérer l’approche du malheur et de l’ignominie de la Belgique et de la signature du terrible traité.
Je peux me tromper, mais j’ai cru voir dans le discours du député de Bruges une double tendance : de la manière virulente qu’il a attaqué le ministère, j’ai cru voir que derrière la grande question il y avait une question de portefeuille. Est-ce que notre pays serait donc si malheureux que pour ce misérable portefeuille de ministre on le vendrait ? Quelle terrible leçon pour ce ministre du Limbourg ! Par condescendance, il aurait eu la faiblesse de rester à son poste pour former dans le cabinet une majorité contre son pays, et pour récompense on chercherait sa perte et on ne lui laisserait que le remords !
Un autre membre, qui a aussi parlé pour le démembrement, a prononcé un discours qui, je ne voudrais dire m’a indigné, ne voulant manquer à l’honorable membre, mais qui m’a sensiblement peiné. Alors que tout le pays est en deuil, que beaucoup de vos collègues tremblent pour le moment du terrible vote, pourrait-on, sans être douloureusement peiné, voir dans cette assemblée faire un jeu de l’abandon de ses frères et du déchirement de sa patrie, et se servir de la plaisanterie et de l’ironie dans une si pénible conjoncture ?
S’il n’y a plus rien de saint et de sacré dans la société ; si tout était banni de son sein, sentiment, honneur, patriotisme, religion, que lui resterait-il ? un cadavre avec la pourriture des passions, qui aura pour toute action le brigandage et la rapine.
Mais, heureusement pour la Belgique, une telle doctrine y est repoussée avec indignation, et quoiqu’on la travaille pour la faire entrer dans la fange du matérialisme, on est bien loin de réussir. La Belgique, toujours morale et patriote, ne se laissera pas corrompre et ne souffrira jamais que le métal et l’agiotage viendront régner chez elle.
Une chose inconcevable dans le raisonnement des partisans du démembrement : d’un côté ils se plaignent que la France nous abandonnent et que nous n’avons chez elle que peu d’amis, et d’une autre côté ils ne laissent passer aucune occasion pour persifler ou attaquer ceux des Français qui défendent notre cause et compatissent à notre position.
Un Français généreux, aussi noble de caractère que de nom, et qui avec un talent rare et entièrement désintéressé nous a défendus à la tribune française, a été hier, à notre douleur et pour notre scandale, critiqué d’une manière aussi inconvenante qu’injuste.
On s’est fat un honneur, un titre, d’avoir repoussé la souscription que la Belgique reconnaissante avait ouverte pour laisser à la postérité le souvenir patriotique de sa mémorable défense.
Mais ce blâme si injuste et si déplacé aura indigné toute la Belgique, et la gloire de l’illustre pair de France y aura acquis une splendeur plus grande et encore plus de titre à son admiration et à sa reconnaissance.
Cet honorable membre, auquel je réponds, a, je pense, encore servi dans les armées de l’empereur, et doit savoir comment on envisagerait l’honneur militaire sous ces drapeaux, et combien on révérait les actions des braves de toutes les nations et de tous les temps.
Il a aussi pu apprécier tout l’effet que faisait sur le militaire français la décoration de la légion d’honneur et avec quel orgueil il le portait ; et cependant d'après son raisonnement, il doit en faire peu de cas !
Examinons à présent les motifs de la section centrale ; à la vérité, il faut avoir du courage de le faire ; mais nous montrerons quelles sont les tristes raisons qu’elle allègue pour faire accepter la traite qu’elle propose d’une partie de notre population.
Elle s’empresse de déclarer que la nation ne doit pas être consultée pour procéder à cette traite, que la chambre actuelle a plein pouvoir, comme elle a le pouvoir de changer le pacte social.
Elle veut bien examiner la question, et elle reconnaît que « la constitution, en son article 1er, a déterminé les parties constitutives de la Belgique ; que cette déclaration faite par la constitution ne peut être changée par une modification au pacte fondamental ; que ce traité ravit à la Belgique une partie de son territoire ; il ne peut donc être accepté sans modification de la constitution dans les formes tracées par son article 131.
Mais la question n’est pas là, dit-elle, elle est « tout entière dans celle de savoir si la constitution belge a délégué à l’autorité législative le pouvoir de céder une partie du territoire, qui au moment de la rédaction de l’article 1er fixait l’étendue de la Belgique. » Mode facile, mais bien singulier, surtout de la part de jurisconsultes, pour expliquer une loi fondamentale !
Aussi la section centrale reconnaît que l’article comprend les deux provinces de Limbourg et de Luxembourg, telles que la révolution les a attachées à la Belgique.
Cet article ne comprend pas seulement le territoire, mais aussi les populations.
Cet article est d’une telle importance, qu’il est pour ainsi dire toute votre constitution, car il proclame ceux qui font partie de la Belgique, qui, par la révolution, ont acquis leur liberté et leur indépendance, et qui ont droit de jouir des bienfaits de l’acte constitutionnel du congrès.
Il est l’âme de notre existence politique, et quand vous y touchez, vous compromettez la révolution et la Belgique, qu’il vous a acquise.
C’est ce que le congrès a vivement senti, comme on peut s’en assurer par le rapport de la section centrale, quand cet importance article fut présenté au vote du congrès.
Il est à propos de faire remarquer que cet article fut voté le dernier de la constitution. Une preuve encore de l’importance qu’on y attachait.
Quand on a formulé le serment du souverain, on y a fait expressément entrer les mots d’indépendance et d’intégrité…
Il était très naturel de le faire ainsi et d’être très circonspect sur l’intégrité du pays et de conserver ensemble tous ceux qui avaient fait la révolution contre l’oppresseur, surtout quand on craignait ce qui arrive dans ce moment que la politique de l’étranger, l’égoïsme et l’insouciance des gouvernants de l’intérieur auraient provoqué un jour le démembrement, car l’histoire nous apprend que c’est ainsi que les restaurations se font toujours : on commence ordinairement à restaurer une fraction du pays révolutionné ; on entame le principe, et tout suit.
Si donc on modifie, on change quelque chose à l’article 1er de votre constitution, vous touchez à cette constitution, vous y faites des changements, vous devez la réviser.
Or que fait le traité ? Il dit que le Luxembourg et le Limbourg ne sont plus à la Belgique, tel que le congrès à fait comprendre ces deux provinces dans l’article 1er de votre constitution.
Il dit que vous devrez rayer de la description constitutionnelle de la Belgique deux grandes parties de provinces, deux grandes populations.
Il dit aussi que vous devez rayer de l’article 1er de votre constitution cette phrase par laquelle le congrès avait déclaré que les relations que la province de Luxembourg avait avec la confédération germanique sous le roi Guillaume, elle les aurait eues aussi sous le roi Léopold. Exception qui prouve avec plus de certitude combien le congrès tenait à ce que l’ensemble du territoire fût conservé intact, tel que la constitution le comprend.
Le traité dit plus (et ici je vous prie de prendre attention que c’est un nouveau paragraphe que le dernier traité contenait et que le premier des 24 articles ne contenait pas), il dit que jamais vous n’avez eu une possession légale du Luxembourg, que la nation belge comme le roi Léopold ont eu cette possession par usurpation ; c’est le roi Guillaume qui consent dans le nouveau traité à vous céder quelque portion du grand-duché dont il est reconnu avoir toujours été le grand-duc, le légitime possesseur, et Léopold l’usurpateur. Ceux qui connaissent un peu la tendance des puissances ne s’étonnent point du coup qu’elles préparent à votre constitution, à votre nationalité ; car il est certain que si votre révolution est méconnue pour le Luxembourg, elle est méconnue en tout.
C’est ce précédent que les puissances tachent à établir et qu’elles établiront dans la bonne forme, si vous y consentez en acceptant le traité ; alors quand le moment opportun sera venu, on vous restaurera en entier, en vous prouvant que vous étiez toujours en révolte et qu’on remet l’ordre légal établi par les traités entre les puissances légitimes. Et comme vous serez sans armées, sans force, sans patriotisme, qu’on aura réussi à annuler, parce que vous devez vous tenir dans un état de neutralité, c’est-à-dire dans l’impossibilité de vous défendre contre vos agresseurs, il sera facile de faire réussir leurs tentatives ; et comment peut-on en douter quand on voit ce qui s’est passé en 1831 ? l’article 9 du traité des 18 articles avait garanti l’intégrité et l’indépendance au pays ; la Prusse qui avait aussi signé ce traité n’a pas moins aidé l’armée hollandaise à vous surprendre contre la foi des promesses, en y mettant des officiers supérieurs de son armée.
Ainsi si le traité dit que le Luxembourg n’a jamais été à la Belgique, vous déclarez en l’acceptant que vous n’avez jamais eu le droit de le comprendre dans l’article de votre constitution, qui détermine les limites et les divisions du royaume. Ce n’est donc pas une cession ou un échange, mais c’est une déclaration que votre constitution a compris un territoire qui n’appartenait pas au royaume et qu’elle ne pouvait comprendre. N’est-il donc pas clair que vous changez votre constitution, que vous devez donc la réviser ? Vouloir soutenir le contraire, c’est vouloir soutenir que quand j’aurai abandonné à la Hollande 400,000 Belges, ils sont encore restés Belges et qu’ils jouissent encore des avantages de notre constitution.
Pourrez-vous contester que quand vous aurez accepté le nouveau traité, vous n’aurez plus la Belgique du congrès, de la révolution mais bien la Belgique de la conférence, qui aura entièrement changé la description territoriale de votre royaume, en vous enlevant un important territoire et une forte population ?
Et quand on détache de la Belgique autant de villes, autant de places, autant de lieux, et qu’on lui enlève une telle population, n’est-ce pas changer ce qui existe d’après la constitution, ce qui forme le royaume de Belgique ? n’est-ce pas changer entièrement l’ordre des choses qui a été établi dans le pacte fondamental, n’est-ce pas atteindre l’intégrité ? n’est-ce pas changer la constitution ?
Je le répète, vous n’aurez plus la Belgique du congrès ; c’est cependant cette Belgique dont vous et le souverain aviez juré l’intégrité.
Mais il y a des circonstances où on fait peu de cas de ses serments et de la violation des lois fondamentales : je m’attends à ce qu’on dira encore non ; car pour que le calice de l’infamie soit vidé jusqu’à la lie, il faut que l’aveuglement ne cesse.
Songez cependant que c’est de la sainteté de cette loi et du respect qu’on doit avoir pour elle, que Bossuet dit qu’il est écrit dans les livres saints qu’en les violant, « on ébranle tous les fondements de la terre, et que la chute des royaumes, où ce crime est produit, est prochaine ; que l’esprit de vertige possède les législateurs qui ont ainsi violé leurs serments, la loi et le droit public de l’état, qu’ils sont coupables du crime de lèse-nation… »
Mais il y a plus, quand vous avez voté la loi de l’exclusion des Nassau de tout pouvoir en Belgique, n’avez-vous pas compris les parties que vous cédez ? N’avez-vous pas voulu étendre cette exclusion à toute la Belgique que vous aviez constituée ? Pourquoi avez-vous décrété que la clause de l’exclusion était d’obligation dans les serments que vous avez fait prêter aux fonctionnaires des parties que vous voulez céder ? je ne vous fais pas cette observation, pour vous faire le reproche d’avoir compromis et exposé ces populations à la vengeance des Nassau mais pour vous faire ressouvenir que le décret d’exclusion fait partie de la constitution et que vous ne pouvez pas la suspendre pour les populations que vous allez céder aux Nassau sans que ce décret constitutionnel soit révisé.
Mais tout ce que vous avancez, dit la section centrale, est vrai et très exact ; mais là n’est pas la question, elle se trouve tout entière dans les articles 3 et 68, qui disent que nulle cession, nul échange nulle adjonction de territoire ne peuvent avoir lieu que par une loi ; d’où elle voudrait conclure que pour toute cession la législature ordinaire peut y consentir, et ainsi rayer et rendre nul l’article 1er de la constitution, le décret d’exclusion, celui de l’indépendance et de l’intégrité du pays, le serment du Roi, etc., et arracher ainsi à une population de 400,000 Belges les libertés religieuses et politiques qu’elles ont autant droit de conserver que la section centrale.
Mais on doit cependant s’apercevoir que la forme négative donnée aux articles 3 et 68 prouve assez que l’intention des constituants a été moins de donner un droit à la législature que d’empêcher le pouvoir exécutif de s’en arroger un, en s’appuyant sur le premier paragraphe de l’article 68, qui donne au Roi le pouvoir de faire des traités…
Mais qui disent les articles 3 et 68 ? que pour changer les limites et faire une cession, il n’appartient pas au pouvoir exécutif de le faire, qu’il faut une loi.
Mais ces deux articles ne prouvent pas que les chambres ont le droit de faire une cession qui constitue un démembrement ; car alors, ou les dispositions qui consacrent l’intégrité du pays ne devraient plus rester dans la constitution, et alors les chambres auraient le droit de céder aujourd’hui le Limbourg, demain Anvers, après-demain Ostende, et ainsi successivement chaque province et chaque localité à chaque nouveau traité. Un tel droit serait absurde, et par cela même il ne peut exister. En effet, ou la constitution n’a pas consacré cette absurdité, et alors les chambres ne peuvent faire la loi demandé, ou elle l’a consacrée, et alors il faut avant toutes choses la réviser et la changer ; car la première nécessité pour un peuple est de changer une constitution qui consacrerait une absurdité aussi grossière.
Mais il n’en est pas ainsi ! Lié par les articles 3 et 68, le pouvoir exécutif demande aux chambres une loi pour opérer la cession du Limbourg et du Luxembourg !
Mais, liées elles-mêmes par l’article 1er, les chambres répondent au pouvoir exécutif : Ce que vous demandez, la constitution nous défend de vous l’accorder, car l’article 1er prononce que le Limbourg et le Luxembourg font partie de la Belgique, et l’article 130 déclare que la constitution ne peut être suspendue en tout ou en partie ; or, en accédant à votre demande, non seulement nous suspendons, mais nous violons définitivement une partie de la constitution.
Tout ce que nous pouvons faire, c’est de déclarer, en nous appuyant sur l’article 131, qu’il y a lieu à la révision de l’article 1er.
Quant à nous, nous ne pouvons retrancher des Belges du sein de la Belgique.
La constitution, par son titre 2, leur a garanti l’égalité devant la loi, la liberté individuelle, la liberté des cultes, la liberté de conscience, la liberté de l’enseignement, la liberté de la presse, l’inviolabilité du domicile, l’inviolabilité de la propriété, l’inviolabilité du secret des lettres, l’abolition de la confiscation, l’abolition de la mort civile, le droit de s’assembler, de s’associer, de pétitionner… Pourrez-vous leur arracher tous ces droits en les livrant à un joug étranger ? Vous ne le pourrez pas, ou vous devez déclarer qu’ils ne sont plus Belges, que leur territoire ne fait plus partie de la Belgique, et tout cela vous ne pourrez le faire sans devoir réviser votre pacte social.
Mais dit-on, la chambre a déjà décidé cette question quand elle a voté la première fois le traité des 24 articles. Qu’elle ait voté les 24 articles, c’est un fait. Mais qu’elle ait résolu la question de constitutionnalité, non. De la manière que cette question a été traitée en comité secret, on ne peut pas dire qu’elle ait été discutée et qu’on ait délibéré sur elle ; la solution n’a été soumise à aucun vote.
Ainsi, par inadvertance, on aurait supprimé une disposition de la constitution, et un cas similaire se présenterait, pourriez-vous croire que la chambre actuelle serait solidaire de l’insouciance de la précédente ? Non, jamais ! à chaque cas qui se présente la législature est en droit d’examiner si le pacte social n’est pas violé.
D’ailleurs, comme je l’ai fait remarquer tout à l’heure, le traité n’est pas le même que celui du 15 novembre 1831 ; il est modifié dans divers points, c’est surtout dans celui qui concerne le territoire.
Dans le premier traité on ne disputait pas à la Belgique d’avoir été en possession légale du Luxembourg, et même dans celui des 18 articles on nous reconnaissait possesseurs de cette province ; la seule modification qui s’y trouvait, c’était celle qui concernait les relations du grand-duché avec la confédération germanique, et elle était absolument conforme à celle jointe à l’article 1er de la constitution.
Mais, dans le nouveau traité, on vous dit : Vous n’avez pas eu une possession légale du Luxembourg, vous l’avez occupé illégalement et comme une usurpation, ainsi vous n’avez pas eu le droit de le comprendre dans votre territoire ni l’insérer dans votre constitution. Or, si vous acceptez le traité, vous reconnaissez que votre constitution contient des dispositions qu’elle n’a pas le droit de contenir ; on doit donc la modifier, la réviser…
On pourrait encore citer d’autres motifs pour dire que la constitution a besoin d’être révisée ; sous le rapport de l’indépendance de la Belgique, elle est encore grandement froissée dans le nouveau traité.
De la manière qu’il reconnaît la souveraineté de Guillaume sur l’Escaut et qu’il oblige la Belgique de lui payer un tribut pour entrer dans l’océan par un bras de mer, cet esclavage de la Belgique dans sa navigation est contre le droit de nature et des gens ; c’est à notre détriment qu’on veut nous faire reconnaître que le roi de Hollande est le souverain, le maître absolu d’un bras qui fait communiquer la Belgique avec la mer ; c’est donc la faire dépendre d’un pouvoir étranger, c’est donc attenter à son indépendance.
Il y a encore un autre point ou une phrase qui exige une modification dans notre constitution. La souveraineté du peuples est proclamée dans votre constitution, et dans le nouveau traité le peuple souverain est titré de sujets.
Comment concilier ces deux mots ? d’un côté le peuple belge serait souverain, et d’un autre côté il serait soumis à une autorité souveraine.
Je vous fais seulement cette dernière remarquer pour vous faire sentir toute la perfidie qui existe dans ce traité et toute sa tendance à anéantir les dispositions de liberté qui sont dans notre constitution, et vous devez savoir que c’est particulièrement celle qui proclame la souveraineté du peuple qui chagrine le plus les cabinets absolutistes.
Je le demanderai à tout homme de bonne foi ; peut-on dire que le nouveau traité ne modifie point votre constitution et les décrets du congrès qui en font partie ? Tous le pays pense ainsi, la presse écrit dans son sens et rapporte de bons arguments pour démontrer que si on accepte le traité, la constitution est à réviser. Et nous pouvons le dire avec assurance, le pays s’attend que la chambre actuelle ne se prononcera pas sur cette grave question, mais que la règle exceptionnelle de l’article 131 sera observée. Vous ne pouvez en sortir, ou votre constitution sera un mensonge, ou vous devez la réviser si, pour le malheur et le déshonneur de mon pays, l’infâme traité est accepté.
Mais nos adversaires pourrait-ils méconnaître que leur opinion n’est pas infaillible, et quand on voit qu’il y a une opposition si forte à leur opinion, ils doivent être convaincus qu’il y a doute ; et certainement quand il y a doute sur une question constitutionnelle qui a une si grande valeur, on doit l’interpréter en faveur du peuple.
Mais la convenance, l’intérêt du pays, votre délicatesse et votre conscience, ne disent-ils pas qu’il y a nécessité de consulter le pays pour une question aussi grave ?
Et, pour l’honneur de la chambre, quand on lit son adresse et tous les votes qu’elle a émis pour la conservation de l’intégrité, peut-elle, sans s’avilir, sans se déshonorer et sans perdre toute sa dignité, délibérer sur l’acceptation du traité ?
Et je demanderai aux ministres ce qu’ils craignent par la dissolution des chambres, s’il est vrai, comme leurs agents l’affirment, que tout le pays est pour la cession ? Ses assertions sont vraies, la chambre nouvelle sera plus cessionnaire, et au lieu d’avoir contre la cession immédiate un grand nombre de voix, ils pourront espérer qu’ils obtiendront plus de voix pour l’acceptation de leur projet.
La section centrale ayant terminé l’examen de la question de constitutionnalité, elle s’occupe du projet de loi et du traité qu’elle appelle avec beaucoup d’emphase le « traité de paix » !
Elle reconnaît que l’œuvre de la conférence est une œuvre inique et fatale, mais la Belgique doit la subir, dit-elle, car l’acceptation ou le rejet du traité se réduit à une question de nécessité. Mais la section centrale se garde bien de discuter la question de nécessité, elle ne se donne pas la peine de le faire ; elle se dit bien informée et elle déclare froidement et d’autorité qu’il y a nécessité.
Il me semble cependant que le pays désire qu’on discute cette nécessité, ce devoir de faire main basse sur tous les droits, de fléchir et de baisser le front devant une sentence si inique, prononcée par des juges dont la partialité et l’inimitié de la majorité contre nous ne peut être douteuse, devant une décision dont on est convaincu que la Hollande, notre ennemi, a été le principal rédacteur ; d’accepter un traité qui perd entièrement la Belgique, pour son honneur et son existence politique, qui anéantit le principe de sa révolution et qui, en la restaurant en partie, lui prépare la plus affreuse et la plus déshonorante restauration.
Pour moi, je ne vois aucunement cette nécessité ; au contraire, je vois de tous côtés que l’exécution par la force ne suivra pas notre refus.
Personne n’ose et ne veut dire : On vous exécutera. Quand on le demande aux plénipotentiaires de la conférence en particulier, ils vous répondent non pas quelque chose de positif, mais ils vous disent : Quand le refus sera fait, nous y aviserons.
On sait que les menaces sont familières à la diplomatie, et que c’est un moyen que l’un et l’autre parti emploie plus d’une fois dans une négociation ; mais bien pusillanime et dupe est le gouvernement qui s’y laisse prendre. Quand une cause est juste, jamais on ne dois avoir peur de résister contre l’iniquité et l’injustice ; car au-dessus du pouvoir des potentats, il y a une autre puissance, qui est au-dessus et qui arrête les coups des oppresseurs.
Les puissances savent bien que ces temps sont passés, où l’oppression et le trafic des peuples, étaient entre les mains des dynasties, et qu’aujourd’hui les armées comme les peuples ne souffriraient point qu’on fasse le sacrifice d’une population pour satisfaire au caprice ou à l’avarice d’une homme ou d’une famille !
D’ailleurs notre gouvernement doit bien savoir que dans tous les cas ce qui pourrait arriver de pis, ce serait l’occupation, par la force, des territoires qu’on veut nous prendre. Il doit bien savoir que la France et l’Angleterre, si même ils persistaient à ne pas vouloir nous aider pour conserver tout notre territoire, ils s’empresseraient à s’opposer à ce que nous ennemis n’aillent plus loin que les parties à céder.
La section centrale cite l’exemple de l’occupation de la citadelle d’Anvers ; eh bien, cet exemple est bien mal allégué par elle, car il prouve que nous devons faire comme Guillaume qui a résisté avec beaucoup de courage, et que nous ne devons pas nous abaisser à céder comme des lâches, sans la moindre résistance.
Il y a encore d’autres motifs pour résister ; si vous cédez sans opposition, que vous adhériez au traité, jamais plus vous n’aurez la faculté de faire usage du droit postliminaire pour récupérer ce que vous laissez vous enlever ; ces territoires resteront pour toujours à votre ennemi, et vous ne pourrez les récupérer sans donner une compensation, au lieu que quand vous résistez, vous pourrez toujours les recouvrer par postliminie, et alors toute possession, aussi longue qu’elle pourrait être, ne pourrait servir à faire réclamer le droit de prescription.
D’ailleurs, quand une nation a un peu de sentiment et qu’elle se respecte un peu, peut-elle s’exécuter elle-même, peut-elle prêter la main à l’exécution d’un jugement arbitraire et inique dans son propre sein ? il faudrait qu’elle soit dépravée jusqu’au dernier degré ; et vous voulez forcer la Belgique à se dégrader ainsi et à se perdre pour toujours ! je dirai avec notre collègue, l’honorable M. Gendebien, que je laisserais plutôt m’écarteler dans tous les membres que de souscrire à un acte d’une telle infamie.
Mais je vous demanderai encore si vous ignorez que vous n’avez pas le droit de séparer une partie de la population de la mère-patrie sans son consentement.
Sur ce droit qui appartient à tous les habitants d’un pays, tous les publicistes sont d’accord.
Voici comment s’exprime Grotius sur ce droit : « Les rois n’ont aucun pouvoir d’aliéner leur état par un traité, ni en tout ni en partie ; il est nécessaire, pour rendre valide la cession de tout un pays, d’avoir le consentement de tout le peuple, qui peut le donner par députés de provinces. Et pour une partie ou province de l’état, il faut, pour en rendre l’aliénation valable, avoir un double consentement, l’un de la part du corps de tout l’état, et l’autre en particulier de la province dont il s’agit, ne pouvant être détachée contre son gré de ce corps dont elle fait partie… »
Voici ce qu’en dit Puffendorf :
« Le roi ne saurait de sa propre autorité céder le royaume à un autre ; que s’il s’agit d’aliéner seulement une partie du royaume, outre l’approbation du roi et celle du peuple qui demeure sous ses lois, il faut aussi que le peuple du pays qu’on veut aliéner y consente, et ce dernier consentement est encore plus nécessaire que les autres. En effet, ceux qui sont entrés volontairement dans quelque état déjà formé se sont engagés les uns envers les autres à ne reconnaître qu’un seul et même gouvernement tant qu’ils voudraient demeurer dans les terres de l’état où ils se joignaient ensemble.
« Ainsi, en vertu d’une telle convention, chacun a acquis le droit de ne point être ni retranché ni mis sous une domination étrangère. »
C’est ainsi que les habitants de la Guyane ne voulurent pas être détachés du royaume d’Angleterre malgré la donation que le roi Richard II en avait faite.
C’est ainsi aussi que quand, par le traité des barrières de 1715, quatre communes de la Flandre occidentale avaient été détachées des provinces belges pour être réunies à la Zélande, il y a eu opposition des habitants de ces trois communes, et les souverains n’ont pu mettre à exécution le traité qui a été à ce sujet modifié en 1719.
Il est incontestable qu’il existe un pacte entre les populations du Limbourg et du Luxembourg que vous voulez séparer de vous, et la Belgique, par lequel vous êtes obligés de les défendre contre l’invasion de l’ennemi que les lois divines, comme les lois humaines, vous obligent de le respecter, et si vous le violez en abandonnant vos compatriotes, vous êtes parjures à votre serment et vous vous conduisez en félons.
Que les lois divines obligent les peuples à ne pas violer les pactes qu’ils sont faits entre eux et à se prémunir mutuellement contre la séparation de la mère patrie, cela vous est démontré dans toute son évidence par le grand Bossuet dans son livre de la politique, tiré de l’Ecriture sainte. Voici comment il s’exprime :
« Si l’on est obligé d’aimer tous les hommes, et qu’à vrai dire, il n’y a point d’étranger pour le chrétien, à plus forte raison doit-il aimer ses concitoyens.
« Tout l’amour qu’on a soi-même, pour sa famille, et pour ses amis, se réunit dans l’amour qu’on a pour sa patrie, où notre bonheur et celui de nos familles et de nos amis est renfermé. »
On ne doit point épargner ses biens quand il s’agit de servir la patrie et de la préserver de l’invasion de l’ennemi, et Bossuet le prouve par l’exemple qu’il donne, de Gédéon qui dit à ceux de Soccoth : Donnez de quoi vivre aux soldats qui sont avec moi, parce qu’ils défaillent, afin que nous poursuivions les ennemis pour les chasser de notre terre ; ils refusèrent, et Gédéon en fait un juste châtiment.
Ce n’est pas assez, rapporte encore Bossuet d’après l’Ecriture, de pleurer les maux de ses concitoyens et de son pays ; il faut exposer sa vie pour leur service.
C’est à quoi le chef des Macchabées excite en mourant toute sa famille. « L’orgueil et la tyrannie ont prévalu ; voici des temps de malheur et de ruine pour vous ; prenez donc courage, mes enfants, soyez zélateurs de la loi, et mourez pour le testament de vos pères. »
Il n’y a rien de plus ordinaire dans la bouche des chefs du peuple de Dieu que ces paroles : Montrons pour notre peuple et pour nos frères.
« Prenez courage, dit un de ces chefs, et soyez tous gens de cœur, combattez vaillamment ces nations armées pour notre ruine. Il vaut mieux mourir à la guerre que de voir périr notre pays et le sanctuaire. A Dieu ne plaise que nous fuyions devant l’ennemi ; si notre heure est arrivée, mourons en gens de cœur et ne mettons point de tache à notre gloire ! »
L’Ecriture est pleine d’exemple qui nous apprennent ce que nous devons à notre patrie ; c’est déplorable que nos gouvernants ne veulent pas s’y instruire et qu’ils ne savent point ce qu’ils doivent à Dieu et à la patrie.
Mais ici j’attends la réplique de M. de Theux qui nous dira : Lisez la brochure que j’ai fait faire, vous y trouverez la réponse, vous y trouverez ce qui est dit aux catholiques . j’ai vu cet écrit de commande auquel on a déjà suffisamment répondu, et duquel la meilleure réfutation se trouve dans le compliment de nouvel an que l’auteur de la brochure adressa cette année au souverain.
L’écrivain veut répondre à l’écrit tout catholique, et tout patriote du savant comte de Robiano, de ce vrai catholique, de cet estimable citoyen qui n’emploie sa plume que pour le service de Dieu et de sa patrie ; l’écrivain ne réfute point, mais il critique avec un certain grain de perfidie et en restant toujours à côté de la vérité.
« Toutefois, dit-il à la page 22 de ces quelques mots de commande, il y a une troisième question qui paraît devoir jouer un rôle dans cette discussion, c’est la question religieuse, et dont je n’ai point parlé. L’honorable M. de Robiano a dit, allègue l’écrivain, que la Belgique ferait un acte héroïque, un acte fort méritoire aux yeux de Dieu, digne de l’admiration de la postérité, et capable, peut-être, de lui obtenir du ciel sa consolation en faisant les sacrifices d’hommes et d’argent nécessaires pour empêcher l’exécution des arrêts de la conférence ; que si la guerre générale venait à éclater à la suite de notre résistance, la responsabilité en retomberait sur ceux qui viendraient nous attaquer. »
Avec un air ricaneur, qu’on doit trouver déplacé dans une circonstance aussi grave et aussi importante pour notre religion et pour notre patrie, il demande à M. de Robiano comme il pense que c’est faire un acte méritoire aux yeux de Dieu que de sauver 400 mille Belges que l’Europe nous refuse.
M. de Robiano a déjà répliqué, et il demande si réellement l’écrit est de lui (de M. de Gerlache), si c’est là le langage qu’il a tenu à la conférence de Londres, où il a été envoyé tout récemment pour renforcer notre ambassade qu’on croyait trop faible. Si son écrit était signé Molé, ou par un membre de la conférence, ou même par un Hollandais, cela ne jurerait pas, et pour ce que je viens de citer, voici ce que M. de Robiano répond : « Si, plus que le salut d’une industrie cosmopolite et ultra-excessive, l’honneur et l’avenir de la patrie plus que les trompeuses jouissances d’une fausse paix, les Belges s’étaient levés comme un seul homme, leur résistance aurait été inscrite au livre de vie des nations ! »
Et pour mon compte je souscris de cœur et d’âme aux paroles nobles du combe de Robiano. Comment, quand une nation se dévoue et défend une cause aussi juste et aussi sainte que la nôtre, ne mériterait-elle pas aux yeux de Dieu et des hommes ? Qui est le catholique qui peut en douter et qui ne forme pas l’espoir que tôt ou tard le ciel la récompensera pour les sacrifices qu’elle aura faits pour la religion et pour la patrie.
Donner a vie pour le bien-être de son prochain, c’est l’acte le plus méritoire qu’un individu puisse offrir à Dieu ! pourquoi n’en serait-il pas de même quand il s’agit d’une nation qui risquerait ce sacrifice ?
Ce sont ces considérations purement religieuses qui ont animé un saint Bernard, un Pierre l’ermite, qui ont animé tant de papes, qui ont animé tout un concile de pères de l’église, à appeler toute la chrétienté en armes pour enlever aux infidèles le sépulcre de Notre-Seigneur, et qui leur faisaient reconnaître comme des martyrs de la foi, ceux qui succombaient dans la lutte. Où serait Godefroid de Bouillon, Baudouin de Constantinople, et où serait peut-être la chrétienté si l’église avait parlé alors comme l’auteur de la brochure parle maintenant au nom de la religion ?
Cet auteur voudra-t-il donc soutenir que le patriotisme qui se défend n’est qu’une vertu païenne ?
Lisez les livres de Macchabées, vous trouverez là un patriotisme religieux qui surpasse celui de Sparte et de Rome.
L’église, dit-on, a horreur du sang ; oui, l’église a honneur du sang répandu par vanité, par cruauté, par la soif des conquêtes ! Oui, certes, l’église a horreur du sang innocent ! mais elle n’a pas moins horreur de l’iniquité, de l’injustice, de l’inhumanité, et si elle pouvait encore librement maudire, elle maudirait les despotes qui veulent nous arracher nos frères pour les jeter dans l’hérésie ! Certes, la guerre est un fléau et il faut épuiser tous les moyens pacifiques avant que d’en venir à ce moyen extrême pour faire triompher la justice et l’humanité, et se défendre contre les étrangers qui veulent déchirer et nous enlever ce qui est à nous !
Mais une fois qu’elle est nécessaire, malheur aux nations que la peur et l’égoïsme particulier feraient reculer et qui laisseraient consommer un crime, parce qu’il faudrait se défendre pour l’empêcher et surtout quand ce serait par lâcheté qu’on laisserait commettre le crime.
Je dis même qu’un peuple n’est pas véritablement chrétien, qu’il n’aime pas véritablement Dieu, s’il n’aime aussi la justice d’un amour plus fort que la mort, et malheur à ce peuple, car d’autres malheurs sont prêts à descendre sur lui.
Mais est-ce que l’auteur voudrait peut-être jeter un blâme sur la guerre que nous avons faite aux bandes de Guillaume, pour nous délivrer de son despotisme et de son oppression ? C’est peut-être pour nous habituer à ce genre d’argument, quand on viendra nous prêcher la restauration de la maison d’Orange-Nassau, mais avec une modification pareille de celle qu’une partie des députés belges avait été offrir à Guillaume en septembre 1830…
Oui, messieurs, je défie qui que ce soit de me prouver qu’on puisse céder à une puissance étrangère une partie de notre population contre son gré et sans son consentement.
Les honorables membres Hume et O’Connell avaient demandé au ministre Palmerston si le gouvernement anglais avait prêté la main pour séparer de la Belgique toute une population qui était à elle et contre le gré de la nation et de la population cédée.
Voici comment sir Hume s’exprimait :
« J’ai la ferme conviction que S.M. reviendra sur le conseil, le mauvais conseil qu’on lui a donné, sur la mauvaise politique qu’on l’a engagée à suivre, politique qui viole toutes les lois divines et humaines ; oui, c’est une violation de la loi de Dieu. La loi de Dieu n’a jamais permis qu’on livre 3 à 400,000 hommes à un gouvernement qu’ils méprisent et qu’ils abhorrent.
« Si l’on a fait un reproche à la politique de l’Angleterre d’avoir abandonné la Pologne, quel ne serait pas le déshonneur attaché à une mesure qui livrerait à la Hollande le Limbourg et le Luxembourg.
« La voix du monde entier s’élèverait contre nous, et cette union elle-même ne pourrait pas durer. J’espère que je ne vivrai pas pour voir faire un tel reproche à l’Angleterre, et que nous nous garderons bien de bous couvrir d’une telle honte. »
M. O’Connell s’exprimait ainsi : « qu’il voit avec regret que le gouvernement anglais ait dédaigné la cause belge. Il ne peut y avoir de plus faux principes de politique que ceux qui consistent à contraindre un pays d’abandonner un gouvernement avec lequel il sympathise, pour l’unir à une nation et à un gouvernement pour lequel il éprouve de l’éloignement. Quel droit avons-nous d’en agir ainsi ? »
Eh bien, que répondit le ministre Palmerston ? il répondit par un fait inexact en affirmant que les populations à céder à la Hollande n’avaient point d’antipathie pour cette nation et son gouvernement.
Il n’a pas osé répondre au principe ; il s’est attaché à un fait incertain et que même il devait connaître pour inexact.
Je demanderai si nos ministres ont relevé ce fait si inexactement avancé par un membre de la conférence et qui prouve de plus en plus combien nos ministres et nos agents nous ont pitoyablement défendu. Comme tôt ou tard tout vient au jour, car la Providence veut que jamais crime ne reste caché pour toujours, combien ne sera curieuse l’histoire de cette négociation qu’on veut cacher aujourd’hui.
Mais dépêchez-vous, s’écrie la section centrale, cédez de suite, vous ne pouvez trop vite abandonner vos frères, votre nationalité, et tous les bienfaits que vous avez acquis par votre révolution, car vous connaissez la position de votre industrie.
Pauvre Belgique, pourquoi avez-vous mérité ce sort ? Quel est le crime que vous avez commis pour devenir aussi dépravée ? Où est votre patriotisme. Où est votre religion ? Où est votre courage. Où sont les souvenirs, je ne dirai pas des anciens temps, mais de l’époque toute récente ou pour ainsi dire sans armée, sans armes et sans poudre vous détruisiez et vous chassiez de votre terre toute l’armée hollandaise ?
Je demanderai à la section centrale de quelle industrie elle veut parler.
Est-ce de cette industrie réelle et morale qui donne de l’occupation et l’existence à nos nombreux ouvriers, qui toute divisée fait profiter toutes les populations travailleuses de ses de bénéfices ; et qui particulièrement a toujours fait le bien-être de la Belgique ? Ou est-ce cette nouvelle industrie que la section centrale prendrait à coeur ? cette industrie factice, monopoliste, usuraire, destructive, qui pour enrichir quelques agioteurs détruit toutes celles qui font la prospérité du pays ?
Cette industrie, dont les branches ont à leur direction des comtes et des barons, vieux et nouveaux, qui donnent des dividendes sans encore avoir fait de bénéfices, dont les agents eux-mêmes font mousser les actions pour ainsi tromper les simples rentiers, étrangers et indigènes, qui achètent des établissements abandonnés dix fois leur valeur, dans l’unique but de mieux placer les actions qui leur étaient arrivées sans devoir sortir un sol de leur bourse ? Est-ce cette industrie qui dans ces derniers jours, a fait des millionnaires de gens qui n’avaient pas le sol. Si c’est sur cette industrie que la section centrale fait tant de jérémiades, il y aura peu d’honnêtes gens qui viendront partager ses lamentations et pleurer avec elle. Au contraire on y verra le bonheur de la Belgique, on y verra peut-être pour son honneur, le dernier jour de l’usure, de l’escroquerie et de la tromperie, l’anéantissement de cette ligue cupide et anti-nationale qui avait pour plan arrêté de détruire toutes les industries particulières en Belgique, ainsi anéantir l’aisance et la prospérité du pays, en faire un pays d’esclaves et de mendiants afin de la dominer, et d’en être les gouvernants.
Mais si la section centrale voit, comme elle le déclare, tout le bonheur de la Belgique dans les intérêts matériels ; alors je peux lui dire qu’elle cache perfidement sa pensée, qu’elle voit la restauration nécessaire à la Belgique et de son principal intérêt !
Car, quelle prospérité, quel commerce pourrons-nous avoir, quand d’un côté la Hollande tient entre ses mains les clefs de la mer, et que de l’autre côté elle vous coupe toute communication avec l’Allemagne ?
Ne préparez-vous pas le moment où votre pays, fatigué de l’état de misère, sera forcée de s’ouvrir et se déclarera, qu’elle ne trouve plus d’autre planche de salut que le retour de la réunion à la Hollande ?
Mais quand le gouvernement et la section centrale ont tant à cœur les intérêts matériels, et qu’ils se plaignent si amèrement de la crise actuelle, pourquoi est-ce que M. de Theux, qui avait à lui le moyen d’arrêter cette crise et de prévenir des désastres dans le commerce et dans l’industrie, et particulièrement sans cette industrie particulière, qui seule fait la prospérité et donne l’aisance au peuple, pourquoi ce ministère a-t-il repoussé ce moyen ? Des capitaux étrangers seraient entrés en grande quantité dans le pays et auraient ultimement remplacé l’escompte que le commerce avait perdu par la chute de la banque de Belgique !
Et quels ont été les motifs de M. de Theux pour ne pas autoriser la banque anglo-belge ? Il a consulté les chambres de commerce d’Anvers et de Bruxelles, et il a eu la conviction que ce nouveau établissement d’escompte n’était pas, pour le moment, nécessaire au commerce !
Beaucoup d’orateurs l’ont déjà fait remarquer, et toujours avec indignité, que la conduite des trois ministres est incompréhensible et inexplicable.
On a été témoin de nos armements, de nos préparatifs de défense, en approvisionnements, en achat de chevaux et en fortifications.
On a compté les promotions nombreuses et rappels d’officiers.
Tout le monde a pesé l’importance de la nomination du général Daine au commandement de Venloo.
Tout le pays a été agréablement surpris de l’entrée de l’illustre Polonais dans notre armée.
Tout le monde a cru que tous ces actes, toutes les paroles, tous ces votes, toutes ces demandes d’hommes et d’argent étaient sincères et sérieux.
On a eu foi dans notre résolution de résister, et dans le peuple comme dans l’armée les esprits s’étaient exaltés.
L’espoir de pouvoir se battre pour la défense de la patrie et la conservation de ses frères et celui de nous venger de l’affront que l’attaque déloyale du roi Guillaume a fait peser sur nous s’est introduit dans tous les cœurs : l’armée, cette belle et fière armée vivait surtout de cet espoir ! c’est le général Willmar qui l’a dit lui-même au Roi et en face de la nation le premier jour de l’an !
Un fait plus grave encore s’est accompli.
A la vue de nos démonstrations, les populations du territoire menacé ont pris confiance et courage, persuadés d’être soutenues par quatre millions de Belges, et leur gouvernement ; elles ont compté sur le maintien du statu quo, elles s’assuraient que jamais le crime d’abandon n’aurait eu lieu, et que la cruauté de les refouler sous la vengeance des Nassau était pour toujours évanouie !
Elles se sont compromises à l’égard de leur gouvernement futur, tandis que la Belgique entière et son Roi se compromettaient à l’égard de l’Europe.
Et c’est lorsque nous nous sommes avancés de la sorte aux yeux du monde entier, c’est après avoir fait assez de bruit pour tenir tous les peuples éveillés sur notre cause, sur une résolution qui avait été hautement proclamée comme invariable par le Roi, par tous les pouvoirs, par toutes les corporations que l’on prétend nous faire reculer, je ne dirai pas sans combattre, mais même sans avoir été menacé !
Pourquoi devons-nous tant nous hâter de courir au-devant du malheur et du déshonneur ; montrez-moi, si vous le pouvez, la nécessité ! Où est-elle ? dans votre panique, dans votre incompréhensible timidité, dans votre bonne foi même, de croire tout ce que nos ennemis du dehors comme du dedans vous font accroire, de donner foi aux paroles et aux insinuations de ces gens qui ne connaissent de patrie et d’honneur national que dans leur coffre-fort, et qui vendraient leur âme et leur pays pour le rendre plus plein !
Le peuple belge est éminemment catholique ; la première vertu est la résignation quand il s’agit de la défense de la foi. Il est convaincu que la guerre, si elle doit se faire pour la défense du pays est juste ; il est prêt à tous les sacrifices, persuadé de la sainteté du but.
Il sait que ceux de ses concitoyens qu’on veut enlever à la Belgique sont également catholiques ; il regarderait, non seulement comme une trahison, mais comme une impiété l’acte par lequel on les livrerait sans défense au joug des calvinistes de la Hollande ; le pacte de famille des Nassau est connu, ils savent quel sort leur est réservé pour eux et leurs descendants.
Le peuple belge regarde comme des engagements sacrés pris envers des frères les démonstrations auxquelles nous nous sommes laissés aller sans discontinuer et sans aucune opposition, et ces engagements il veut qu’on les remplisse. Tous les jours, il le prouve ; si nous demandons de l’argent, il s’empresse de le donner ; faut-il du sang, il est prêt à le verser ! jamais il ne murmure, il court au-devant de vos demandes, il ne voit que la sainteté de la cause !
Mais allez-vous lui répondre : L’argent que vous avez donné va servir à consommer la vente de vos frères ; le sang que vous voulez verser sera pour rendre le supplice plus complet et pour punir ceux qui ne pourraient se retenir à la combattre et à repousser l’agression.
Je ne puis croire à pareille pensée ; je la repousse pour la chambre et pour l’auguste cœur qui est tendre pour tous ses enfants, et qui, j’en suis sûr, ne voudra la perte d’aucun.
Avant donc de nous soumettre aux propositions de la conférence, examinons bien attentivement si l’exécution en est possible.
Cette exécution, elle est impossible ! Non, si nous ne nous chargeons pas nous-mêmes de livrer ces frères que nous avons juré de défendre ! et s’ils résistaient seuls à leurs oppresseurs, nous ne pourrions assister longtemps de sang-froid à leur massacre.
Puisque l’exécution est impossible, nous ne donnerons pas l’odieux d’y consentir.
La situation dans laquelle les catholiques sont aujourd’hui placés dans les deux hémisphères est pour moi une cause d’espérance d’un meilleur avenir ! c’est aussi ce qui frappe la majorité de la nation.
Les catholiques sont les plus nombreux et cependant partout ils se laissent opprimer ; le jour de leur délivrance approche ; nous ne choisirons pas ce moment pour reculer devant nos ennemis.
Les catholiques souffraient au Canada et en Irlande, ils se sont levés en masse avec courage et confiance contre l’oppression !
En Pologne, ce sont encore les catholiques qui souffrent et qui méditent leur affranchissement.
En Prusse, tout près de nous, nous assistons à la même lutte ! et sur tous les points, que voyons nous ? Impossibilité pour les catholiques de vivre en paix et de conserver leur croyance, sous un gouvernement, ennemi de leur foi !
Partout on les provoque ; on n’attend pas qu’ils se révoltent, on les excite !
Si nous sommes trop faibles à porter secours à tous ces hommes, qui partagent notre foi, nous leur donnerons du moins l’idée du courage !
Nous ne permettrons donc pas, que sans en appeler à la protection divine, sans compter sur les événements imprévus qu’elle peut nous envoyez pour nous secourir et nous sauver, par notre propre faute, par notre lâcheté, le nombre des opprimés augmente, avec l’orgueil des oppresseurs et le mépris qu’ils nous témoignent !
Nous pouvons ajouter au nom belge un nouveau lustre par un acte d’héroïsme quand nous avons la certitude que Dieu sera pour nous dans cette lutte, n’allons pas nous avilir et nous perdre en désespérant de nous-mêmes !
J’ai voulu essayer de percer l’avenir, je me suis posé une double alternative et je me suis demandé ce qui arriverait si l’on résistait ; voici ce que je crois entrevoir :
Si l’on cède, disent les partisans de la soumission immédiate, l’on met fin à l’agitation, on relève les intérêts menacés, on étouffe les espérances orangistes et républicaines, que l’état actuel des choses entretient ; les populations auxquelles nous nous intéressons se consoleront peu à peu, nous aurons rétabli une paix durable.
Si, au contraire, nous résistons, nous ne pourrons pas sauver les populations que nous voudrons défendre. C’est pour le compte de la restauration ou de la république que nous travaillons. Nous devons craindre que notre nationalité n’aille se dissoudre dans un démembrement, où elle ira grossir le nombre des départements français qui, au premier mouvement s’étendront jusqu’au Rhin !
Mais ceux qui pensent et qui voient ce qui se passe dans l’Europe, n’avancent pas ces craintes sérieusement ; ils savent bien que ce n’est pas dans le moment où nous déploierons de l’énergie et où nous retremperons notre nationalité dans des actions d’éclat que notre nationalité pourrait se trouver sérieusement compromise ? Il n’y a qu’une chose qui puisse compromettre et menacer notre nationalité, c’est la faiblesse !
Si nous cédons, nous aurons des mécontents, des émeutes peut-être dans l’intérieur ; les parties à céder pourront peut-être servir de foyer aux mécontents des deux voisinages, qui se joindront à ceux qui y seront pour se défendre contre l’agression et alors seulement vous aurez cette guerre générale que vous craignez !
Et quelle Belgique aurez-vous après la cession ? Ou le trône sera sourdement attaqué par les ennemis du dehors comme du dedans, ou la gêne sera continuelle sans espoir d’un meilleur avenir ; et quand alors une crise restauratrice éclatera, on ne trouvera plus que des défenseurs découragés, intimidés par avance, puisque nous n’aurions cessé de leur montrer de la défiance, puisque nous les aurons habités par nos exemples à écouter les désirs ou les ordres de l’étranger plus que nos sentiments et notre courage !
Dans la main et dans la bouche des mécontents, tout deviendra une arme et une source de grief, pour exciter les uns à désaffectionner les autres.
On s’emparera surtout de tant de millions inutilement dépensés ; on dira au pays qu’il doit en demander compte, on fera rougir tous les jours le peuple, d’une faiblesse qui n’est pas la sienne, et de la sorte on l’accoutumera peu à peu à demander un autre ordre de choses, où il croira trouver plus de gloire et de bien-être ; en regard de ses dangers qui sont certains, si l’on cède, qu’avons-nous à craindre si nous résistons ?
Il ne s’agit pas de soutenir une lutte désespérée de nature à compromettre nos ressources financières et notre armée, mais de ne reculer que devant des forces évidemment supérieures.
Eh bien, dans ce cas, si nous mettons les choses au pis, la Belgique, en résistant, ne saurait jamais périr, car la France et l’Angleterre s’entendront toujours pour protéger le territoire des 24 articles.
Notre seule chance malheureuse est donc de finir par perdre ce qu’une soumission immédiate doit nous enlever.
Mais n’avons-nous aucune chance malheureuse ? Nous avons en première ligne, celle qu’aucune puissance n’osera nous attaquer ; nous conserverons le statu quo, et ce statu quo pour la Belgique deviendra un des plus beaux souvenirs, pour le règne de Léopold son plus beau titre.
La résistance ne fût-elle qu’apparente, nous serons conséquents avec nos démonstrations de la veille, avec nos actes et nos discours, dont ces voûtes ont retenti depuis six mois, nous satisfaisons l’armée, nous sauvons l’honneur.
Telle est ma conviction, l’admission des nouvelles propositions de la conférence est, avec plus de certitude que le traité des 24 articles, l’humiliation et la misère : c’est la restauration !
Avec la résistance au contraire, c’est l’affermissement de notre nationalité, l’union dans le pays et la consolidation de la dynastie de Léopold.
Mais le traité des 24 articles n’était pas encore assez écrasant pour la Belgique. Après l’avoir restaurée en partie, après lui avoir fait souscrire une dette qu’elle ne doit qu’en partie, il fallait porté un nouveau coup en frappant de mort son commerce et sa prospérité.
Tel est le but des propositions du 23 janvier ; elles sont la continuation du fameux traité de Munster, de ce traité qui figure comme un scandale d’iniquité dans les annales de la diplomatie ; de ce traité qui a été un témoignage incontestable de la décadence où étaient tombés les descendants de Charles Quint et de Philippe II, et où la Belgique a encore une fois été sacrifiée pour les dettes espagnoles.
L’esprit du traité de Munster était visiblement que les souverains des Pays-Bas catholiques se chargeassent d’interdire à leurs sujets la navigation où les Hollandais tremblaient de les avoir pour rivaux ; et cet espoir s’est développé dans toute son étendue lors de la suppression de la compagnie d’Ostende, à ce moment où la maison d’Autriche, qui avait pris récemment possession de ces provinces, fut forcée de révoquer une concession qu’elle venait d’accorder, de renverser elle-même un édifice qu’elle venait de construire, de ruiner une foule de sujets qui avaient sur sa parole hasardé leur fortune dans une association dont elle était le garant.
Après la passation du traité de Munster, voici ce que les Hollandais disaient : « Si nous avons attaqué, c’est en lions et pour dévorer pour nous nourrir nous-mêmes ; après 80 ans de batailles et de victoires, nous avons enfin saisi notre proie ; nous lui avons sans scrupule donné à Munster le coup mortel, parce que notre existence en dépendait ; c'est le grand axiome de tous les temps : Vae victis !
« Vous pleurez sur la décadence d’Anvers ; mais songez à la prospérité d’Amsterdam ; ne voyez pas l’Escaut fermé et désert ; voyez le Texel ouvert et peuplé ; si l’aspect de l’humiliation des Pays-Bas autrichiens vous afflige, vous trouverez de quoi vous consoler en fixant vos regards sur les nôtres.
« Songez que sans la léthargie de l’Escaut, cet entrepôt immense d’Amsterdam et cent autres, dont notre industrie aussi courageuse qu’infatigable l’a entouré, n’existeraient pas. Des milliers d’hommes y cultivent en paix tous les arts utiles et agréables ; ils y font fleurir le commerce et la navigation ; ils sont dans l’univers entier les nourriciers dans l’agriculture et les pourvoyeurs généraux de tous les peuples.
« Levez la barrière qui a repoussé de ce côté les trésors et l’activité dont autrefois l’Escaut était la source, ces cités si animées redeviendraient ce qu’elles étaient, des marais inaccessibles, le tombeau des générations futures, et la honte du siècle qui aura produit cette affreuse révolution. » C’est bien là le langage des Hollandais et une prophétie réelle de ce qui est réservé à notre commerce.
Si le traité de Munster a toujours été envisagé comme n’étant que l’abus de la force, celui que la conférence veut vous faire accepter a le même but, celui d’anéantir notre commerce et notre prospérité.
Quand les puissances eurent arrêté dans le congrès de Vienne, en 1815, les stipulations de la paix générale, on a cru qu’elles avaient et la sincère pensée et le louable désir de condamner à toujours le principe inique du traité de Munster ; le traité signé dans ce congrès, le 20 mars 1815, avait donné lieu de l’espérer. Voici les articles :
« Règlement sur la libre navigation des rivières. »
« Art. 4. La navigation dans tout le cours des rivières indiquées dans le précédent article (celles qui séparent ou traversent les différents états), du point où chacune d’elles devient navigable jusqu’à son embouchure, sera entièrement libre et ne pourra, sous le rapport du commerce ; être interdite à personne, en se conformant toutefois aux règlements qui seront arrêtés pour sa police d’une manière uniforme pour tous, et aussi favorable que possible au commerce de toutes les nations. »
« Art. 2. Les droits sur la navigation seront fixés d’une manière uniforme, invariable et assez indépendante de la qualité différente des marchandises, pour ne pas rendre nécessaire un examen détaillé de la cargaison autrement que pour cause de fraude et de contravention. La quotité de ces droits, qui, en aucun cas, ne pourront excéder ceux existants actuellement, sera déterminé d’après les circonstances locales qui ne permettent guère d’établir une règle générale à cet égard. On partira néanmoins, en dressant le tarif, du point de vue d’encourager le commerce… Le tarif une fois réglé, il ne pourra plus être augmenté que par un arrangement commun des états riverains, ni la navigation grevée d’autres droits. »
Les deux traités, ceux des 18 et des 24 articles, consacrent la liberté de navigation garantie par le traité de Vienne ; aucun ne parle du péage à établir d Anvers à la mer, sur l’Escaut occidental ou le Hondt ; le dernier paragraphe de l’article 9 du traité du 15 novembre parle, il est vrai, d’un péage ; mais ce dernier paragraphe ne s’applique qu’aux eaux qui conduisent d’Anvers au Rhin sur l’Escaut oriental. Nous invoquons la maxime qui dit : Qui dicit de uno, de altera negat.
Veut-on nous contester les bénéfices de ce principe ? Nous pouvons encore remonter aux dispositions du traité de Vienne. L’établissement des droits de péage est, à la vérité, permis par ce traité ; mais il est formellement stipulé que ces droits ne peuvent outrepasser ceux qui existent. Or, quels étaient les droits dont la navigation de l’Escaut était charge, soit en 1814, soit en 1830 ?
Il est étonnant que ceux qui ont défendu les droits de la Belgique, n’aient point fait attention à ce piège du nouveau traité ; mais on n’a pas été moins surpris de lire dans le rapport que M. le ministre des affaires étrangères a fait à la chambre le 1er février, ce passage : « En ce qui concerne l’Escaut, un péage de 1 florin 50 c. moyennant certaines conditions, parut être consenti par le gouvernement belge. » Si un ignorant diplomate a fait une faute, la Belgique doit-elle être solidaire ?
On n’a pas remarqué que par cette clause la Belgique est placée dans la dépendance de sa rivale, et que son commerce sera un jour ou l’autre victime d’un accès de mauvaise humeur ou d’une chicane du gouvernement hollandais.
On n’a pas remarqué que c’était reconnaître la souveraineté de la Hollande sur l’Escaut.
On n’a pas remarqué que, par cette disposition du nouveau traité, les principes posés par le congrès de Vienne étaient méconnus, les bases posées par le traité du 15 novembre profondément modifiées ; puisque, d’après ce dernier traité, il ne peut être établi de péage que sur le bras oriental de l’Escaut qui conduit d’Anvers au Rhin, et puisque, d’après le traité de Vienne, il ne peut être imposé sur aucun fleuve de péages plus élevés que ceux qui existaient précédemment.
On n’a pas remarqué qu’après avoir compris dans les cinq millions de florins de dette qu’on nous impose, 600,000 florins pour avantages commerciaux faits à la Belgique par la Hollande, on nous rend la jouissance de ces avantages impossible, ou l’on s’apprête à nous faire payer deux fois ceux qu’on nous laisse.
L’Allemagne et l’Angleterre ont intérêt à se ménager une double issue, l’une vers la mer, l’autre vers l’Allemagne ; cette double issue les deux contrées la trouvent par la Belgique et la Hollande, et l’on n’a pas remarqué qu’on donnait les mains à la Hollande qui pour ressaisir son ancien monopole commercial sur le continent, s’attache à envelopper la Belgique sur tous les points accessibles ; on travaillait non seulement contre les intérêts de la Belgique, mais encore contre tous ceux du commerce en général ; on n’a pas remarqué que déjà la Hollande, qui ne tient l’Escaut ouvert que sous certaines conditions, a tellement resserré la Belgique du côté de ses frontières de terre, qu’elle ne pourra plus correspondre avec l’Allemagne que par un point extrêmement étroit, et qu’il sera toujours facile, au premier mouvement favorable, d’intercepter.
On n’a pas remarqué qu’on cernait tellement la Belgique, que son indépendance, son commerce deviennent impossibles ; que c’était lui porter le coup de mort et la faire mourir de marasme et de mécontentement.
On n’a pas remarqué que le but de la conférence était de nous préparer à la restauration.
On n’a pas remarqué qu’en laissant restaurer les parties du Limbourg et du Luxembourg, on laissait condamner par les puissances notre révolution, que le principe en était anéanti ; que les journées de septembre n’étaient plus qu’une révolte contre le roi Guillaume et que Léopold était un usurpateur. Voilà ce qu’on n’a pas remarqué.
Ils n’ont pas remarqué qu’ils prêtaient la main à l’asservissement commercial de la Belgique, comme ils n’ont pas remarqué que par la séparation territoriale on porte atteinte au principe en vertu duquel la Belgique s’est reconstituée comme nation, et ces ministres patriotes n’on pas remarqué qu’ils prêtaient la main aux vues surtout de la Russie, et préparaient le champ à la plus odieuse restauration.
La question de la navigation de l’Escaut et du territoire est mieux comprise par les provinces industrielles du Rhin que par nos gouvernants. Là du moins on se montre profondément convaincu qu’en conservant son fleuve et son territoire, surtout celui qui nous unit au Rhin dans la direction de Düsseldorf, la Belgique peut élever Anvers au-dessus d’Amsterdam, de Hambourg et de Brême. C’est là qu’on connaît les avantages immenses que cette partie de l’Allemagne et notre pays pouvaient retirer de l’achèvement du canal du Nord et de la construction d’un railway qui traverserait la Campine. C’est à ce titre seul, et abstraction faite de la question religieuse que nous comptons en Allemagne de nombreux partisans ; on peut y compter trois quarts de la population qui poussent notre cause, même les protestants ont plus d’attachement pour les Belges que pour les Hollandais ; le commerce y a trop expérimenté ce qu’étaient les tracasseries et les chicanes que le gouvernement hollandais lui a fait souffrir.
Je comptais parler sur la dette, mais j’ai déjà été si long, que je crains, et avec raison, vous fatiguer. D’ailleurs cette question sera mieux traitée par d’autres membres.
Je me bornerai à vous faire remarquer que la conférence en faisant ainsi peser avec tant d’iniquité une dette hollandaise sur la Belgique, a surtout avantagé la fortune particulière du roi Guillaume, car c’est Guillaume qui avait acheté, en grande partie, les fonds de la dette hollandaise, il avait déjà fait de grandes acquisition étant en Angleterre, et à son retour en Hollande comme souverain. Il a mis au pair ces fonds qui étaient tiercés sous le règne du roi Louis. Et une remarque qu’on a fait dans le temps, c’est que le roi Guillaume a fait tenir secret ce décret qui élevait au pair les fonds tiercés pendant un an, qu’il a eu le temps d’en faire encore de considérables achats. Cette remarque me paraît utile, car elle prouvera que l’injuste dette qu’on met à notre charge ne sera même pas au profit des Hollandais, mais à celui du roi Guillaume.
Je désire avoir quelques explications du ministère à quelques questions que je compte lui faire et qui ont été faites dans la section, mais dont la section centrale ne parle point.
1° Par l’acceptation du traité que deviendra la liquidation du syndicat d’amortissement ?
2° Que deviendront les domaines cédés au même syndicat et non aliénés, ainsi que les sommes dues des ventes faites ou celles entrées dans notre caisse depuis la révolution ?
3° Que deviendra la liquidation de la société générale d’après ses statuts comme débitrice du syndicat ?
4° Que deviendra la liquidation de la même société générale comme caissier de l’état ?
5° A qui est la propriété du canal de Pommeroeul ? au roi Guillaume, à l’état ou au syndicat ?
6° Quand le roi Guillaume a emprunté un capital à la société générale, l’a-t-il fait comme particulier ou dans sa qualité de souverain ?
7° Que deviendront les fonds d’agriculteurs qui sont en Hollande ?
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Messieurs, si je demande un instant la parole, ce n’est pas parce que, dans le discours que l’on vient d’entendre, il y a des expressions injurieuses, qui ont déjà scandalisé la chambre ; on est d’accord maintenant que ces expressions n’ont aucune portée ; qu’elles ne peuvent atteindre ni la majorité de la nation qui est pour le traité, ni les membres de cette chambre qui partagent cet avis, ni le ministère dont la conduite leur a donné un démenti éclatant, et qui a cru se devoir à lui-même d’ajouter sa propre déclaration à ce démenti, résultat de sa conduite.
Ce que je veux, c’est de répondre sur-le-champ à la première réfutation qu’on croit avoir présentée, de ce système : que l’honneur national et l’honneur de l’armée seraient complètement en dehors de la question.
L’on n’a nullement formulé le système de résistance qu’on voudrait opposer à l’exécution du traité, et de tout ce qu’on a dit, il résulte bien positivement qu’on ne veut pas la guerre ; il en résulte que si l’on déploie des forces contre nous, l’on cédera. L’on veut que nous soyons en attitude de nous défendre, aussi longtemps que l’on ne nous attaquera pas.
Eh bien, c’est ce système que je regarde comme compromettant et contre lequel je l’élève.
Je dis, moi, qu’une résistance sérieuse pourrait seule conserver sauf l’honneur de l’armée et celui du pays, s’il était engagé, ce que je nie.
Je dirai encore un mot sur une question militaire, parce qu’elle a été traitée.
On a dit qu’il n’y aurait aucun moyen de prendre une mesure quelconque de défense pour le pays ; on a prétendu que la neutralité était pour nous une véritable impuissance qui devrait nous livrer sans défense à la merci de notre ennemi. Messieurs, si la neutralité doit devenir synonyme d’impuissance, ce ne sera pas la faute du traité, mais bien celle du pays. Le traité ne condamne pas le pays à l’impuissance de se défendre lui-même ; il donne la garantie qu’il y aura toujours des arrangements territoriaux qui empêcheront la Belgique d’être attaquée.
Mais il ne lui défend pas de se défendre lui-même ; et, je le répète, si le pays ne garde pas une armée pour la défendre, ce sera pas sa faute, celle de sa représentation, et non par celle du traité. L’on est revenu sur la question d’industrie. Quoiqu’elle ne regarde par le ministre de la guerre, j’ai néanmoins un mot à répondre. On a mis continuellement en avant les sociétés anonymes ; eh bien, j’ai dans ce moment un rapport officiel qui a été fait par des personnes qui doivent veiller à l’ordre public, et d’où il résulte que pour une ville que je pourrais nommer quatre établissements particuliers, qui n’ont aucun rapport avec les sociétés anonymes, ont ferme leurs ateliers. J’ai donc eu raison de dire que la classe ouvrière souffre, c’est au pays à voir si, pour une éventualité très incertaine, une impossibilité réelle, selon moi, il faut maintenir cette classe si digne d’intérêt dans l’état de souffrance où elle est aujourd’hui.
M. Desmet (pour un fait personnel) – Je ne me suis pas servi d’expressions injurieuses, comme le prétend M. le ministre de la guerre. Je me suis permis de critique son discours ; voilà tout. Je crois que cela est parlementaire. Il n’y a aucune parole dans mon discours où M. Willmar puisse être personnellement offensé.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – J’ai entendu deux fois dans le discours de M. Desmet, ce mot « lâchement ». Je sais bien qu’il n’a pas appliqué ce mot à moi, je ne le souffrirais pas de qui que ce soit. Ce sont là des expressions injurieuses qu’à mon avis on ne devrait jamais entendre dans cette enceinte.
M. Desmet – De la manière dont je me suis servi du mot « lâchement », il m’était permis sans doute de le faire. Il n’y a pas de chambre où l’on ne se soit permis un langage bien plus fort ; dans d’autres chambres, l’on eût prononcé le mot de trahison. Dans le cas grave qui nous occupe, je pense que j’ai pu sans inconvenance me servir du mot « lâchement ». (Des voix : oui ! oui !)
M. le président – Il convient de s’abstenir de toute expression injurieuse.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, je dois de mon côté protester contre des paroles que j’ai entendues, et qui renferment la critique de la conduite d’un homme qui, dans le cours d’une longue carrière, a rendu au pays les plus grands services ; d’un homme aussi distingué par son caractère que par ses lumières et par sa haute position, et qui récemment a rendu à la Belgique deux services éclatants, en se chargeant d’abord d’une mission difficile, et en ayant ensuite le courage de professer hautement une opinion qu’il croyait conforme à l’intérêt général du pays.
Du reste, messieurs, la critique que vous avez entendue ne prouve que trop quelle a été l’étendue des services qu’a rendus cet honorable magistrat par l’écrit qu’il a publié.
Mais, nous dit-on, est-ce le même langage qu’il a tenu à la conférence de Londres ? Je dirai que je considère cette demande comme injurieuse. Votre bon sens, messieurs, y a déjà répondu pour moi. De quoi s’agissait-il à la conférence de Londres ? S’agissait-il d’aller faire un long plaidoyer pour démontrer aux plénipotentiaires des cinq cours que la diète germanique n’avait aucun droit sur le Luxembourg ? Sans doute, un semblable rôle, personne ne l’eût accepté au point où était venue la négociation ; tout effort à cet égard eut été complètement inutile. De qui s’agissait-il donc ? Il s’agissait uniquement d’amener les puissances à accepter la proposition d’arrangement que nous leu soumettons.
M. Desmet – Nous aurions pu ne pas soupçonner le nom de l’auteur de la brochure dont il est question, mais de qui le tenons-nous ? D’un journal qui soutient le système ministériel ; puis du Moniteur lui-même.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, l’auteur de la brochure a usé librement du droit qui appartient à tout citoyen belge. Il a cru remplir un devoir, et à cet égard, il ne peut être l’objet d’aucune critique.
Mais j’ai omis de répondre à une autre interpellation qui a été faite par le même orateur ; il a demandé si c’était par ordre du gouvernement et aux frais de l’état que la brochure avait été publiée. Je dirai hautement ici, messieurs, que cette opinion a été émise spontanément et publiée aux frais de l’auteur ; ce qui prouve de plus en plus que cet honorable magistrat est au-dessus des attaques auxquelles il a été en butte.
M. Pirson (pour une motion d’ordre) – Il y a déjà quelques jours que la discussion générale du projet se prolonge ; il me semble que s’il y avait quelques membres qui eussent des amendements à déposer, ils devraient les présenter, parce qu’on pourrait rencontrer ces amendements dans la discussion générale qui se prolongera probablement pendant quelques jours, et l’on aurait au moins le temps de les examiner. Si l’assemblée me le permet, je déposerai un amendement.
M. Liedts – Il me serait sans doute fort agréable d’entendre l’honorable M. Pirson ; mais je crois qu’il se propose de développer une proposition. Eh bien, dans ce cas, je pense que ce serait contraire au règlement. Je conçois fort bien que, lorsqu’en dehors d’une discussion entamée, on a à présenter un amendement, on le dépose ; mais je ne conçois pas qu’on vienne prendre le tour d’un autre sur un projet dont la discussion est entamée. M. Pirson a certainement le droit de parler « sur », il n’aura que le droit de parler à son tour. Puisque le mien est arrivé, et que l’ordre d’inscription a déjà été souvent interverti, j’insiste pour que cette fois l’on m’accorde la parole.
De toutes parts – Parlez ! parlez !
M. Liedts – Messieurs, lorsque j’ai demandé la parole, un honorable député de Tournay descendait de cette tribune. Dans la première partie de son discours, il a développé les motifs qui lui font considérer l’acceptation du traité comme violant la constitution que nous avons juré d’observer. C’est à cette partie de son discours que je me propose de répondre, et, pour ménager les moments de l’assemblée, je tâcherai de ne pas répéter les considérations exposées avec tant de lucidité dans le rapport de la section centrale, et que l’honorable député de Tournay n’a pas renversées.
Le pouvoir législatif excéderait-il ses pouvoirs constitutionnels en adoptant le traité de paix que les cinq grandes puissances de l’Europe imposent à la Belgique ? Voilà la question que quelques personnes ont envisagée comme une question préalable.
Messieurs, il n’est pas de peuple au monde qui, à une époque plus ou moins reculée, n’ait vu les limites de l’état s’étendre par des adjonctions ou diminuer par des cessions de territoires. Il ne faut donc pas s’étonner que tous les auteurs qui ont consacrée leurs veilles à l’étude du droit public, se soient occupés de la grave question de savoir dans quels cas une nation a le droit de céder une partie de son territoire à une autre nation : et à cette question, tous, d’une voix unanime, à quelqu’époque, à quelque religion, à quelqu’opinion politique qu’ils appartiennent, proclament qu’il n’existe qu’un seul cas où cette cession soit permise : c’est celui d’une urgence nécessité. Hors ce seul cas, céder une ville ou une province c’est faire un abus monstrueux de la force. Quel que soit le pouvoir qui consomme cet acte, sans y être contraint, il fait plus que violer une constitution ;: il viole les lois les plus sacrées de l’humanité.
C’est dans ce sens, messieurs, mais dans ce sens seulement que plusieurs constitutions modernes portent en tête, comme première base de l’état social, que le territoire du pays forme un tout indivisible et inaliénable.
Ce principe n’est pas écrit dans la constitution de 1830, mais il s’y trouve virtuellement, parce que c’est un principe qui domine toutes les constitutions et qu’aucune constitution ne peut même détruire.
Il est donc bien entendu, messieurs, que de l’assentiment universel des nations civilisées, une partie du territoire ne peut être cédée que dans le cas d’une urgente nécessité. Mais aussi, lorsque la nécessité y contraint, comme la première loi d’une nation est celle de sa propre conservation, il n’est pas seulement permis, c’est un devoir de subir la loi de la nécessité. Un individu pourrait peut-être se dire : plutôt perdre la vie qu’un seul de mes membres ; mais une nation n’a pas le droit de tenir ce langage. Nier ces vérités, c’est outrager le bon sens et la religion, que l’on a osé invoquer en cette circonstance.
Quel est maintenant celui qui décide qu’il y a nécessité ? Quel est celui qui a le droit de déclarer que le moment de faire le sacrifice d’une partie à la conservation du tout, est arrivé ?
Dans les gouvernements absolus, la réponse est toute simple : c’est le souverain et le souverain seul, qui n’a de compte à rendre de ses actes qu’à Dieu.
Mais dans les gouvernements libres, il n’en est pas de même.
Chez nous la difficulté vient du sens que certaines personnes attachent aux expressions employées par l’article 68 de la constitution, dont le dernier paragraphe est ainsi conçu : Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire ne peut avoir lieu qu’en vertu d’une loi. »
On ne disconvient pas que, d’après la lettre de ce texte, le pouvoir législatif est constitué juge souverain de la nécessité de céder une partie du territoire du pays ; mais nos adversaires opposent l’esprit à la lettre de la loi, et méconnaissant cette règle dictée par la saine raison, que lorsque les parole d’une loi sont claires, il n’en faut pas limiter le seul naturel sous prétexte d’en rechercher l’esprit, ils prétendent que, dans l’esprit du législateur, la cession ne peut-être d’une province entière, ni même d’une demi-province. Recherchons donc cet esprit que l’on invoque, et, à cet effet, on ne peut rien faire de mieux que de comparer les dispositions de notre constitution avec celles des autres pays constitutionnels et notamment avec celle du royaume des Pays-bas, que nous avons voulu corriger.
Vous le savez, messieurs, lorsqu’une disposition quelconque se présentait à discuter au congrès, notre premier soin était de la mettre en regard de la disposition analogue de la constitution de 1815 et d’examiner si le nouveau projet remédiait aux abus qu’une expérience de 15 ans fait découvrir dans la constitution ancienne.
Que disent les constitutions des autres peuples ?
En Angleterre et en France, quelles que soient les clauses d’un traité de paix, eussent-elles pour résultat de céder des possessions ou des territoires importants, le gouvernement seul est juge de la cession ou de l’échange. Seul, il conclut le traité. Ce traité, à la vérité, est soumis ensuite à l’examen des chambres ; non pour le rejeter ou l’approuver, mais pour voir si les ministres ont rempli leurs devoirs dans les négociations ; le rejet du traité c’est la mise en accusation des ministres qui ont trahi les intérêts du pays, mais le traité n’en conserve pas moins sa force.
Voici maintenant ce que statuait la constitution du royaume des Pays-bas ; elle distinguait le cas où la cession ou l’échange d’une partie du territoire ou de ses colonies étaient faits en temps de guerre de celui où la cession ou l’échange étaient faits en temps de paix.
Si le traité stipulant la cession ou l’échange avait lieu à la suite d’une guerre, le gouvernement était maître absolu de faire la cession ou l’échange, sans l’assentiment des états-généraux. La seule obligation du ministère était d’en donner connaissance aux états-généraux lorsque l’intérêt et la sûreté de l’état le permettaient. C’est cette disposition de la loi fondamentale qui reçoit aujourd’hui son application en Hollande.
La Hollande étant en hostilité avec la Belgique depuis 1830, le traité de paix, quoiqu’il contienne pour la Hollande abandon d’une partie du royaume et en outre l’échange d’une demi-province, le traité a été accepté par le roi Guillaume seul, et personne en Hollande ne s’avise de dire qu’il n’a pas agi dans le cercle de ses pouvoirs constitutionnels ; tout ce que la constitution lui ordonne c’est de porter le traité à la connaissances des états-généraux et c’est ce qu’il vient de faire, comme les journaux de hier nous l’apprennent.
Voilà pour les traités faits en temps de guerre ; mais, en temps de paix la constitution de 1815 veut que le gouvernement obtienne l’assentiment préalable des états-généraux pour ratifier un traité stipulant des cession de territoires.
Maintenant qu’avons-nous fait au congrès belge ? Nous avons rejeté la distinction de la constitution qui nous avait régi jusqu’en 1830, nous n’avons pas voulu qu’on y parlât de cessions à faire en temps de paix, nous n’avons pas voulu qu’il fût possible que dans tous les cas le gouvernement obtînt l’assentiment préalable des chambres ; et que jamais, sans cet assentiment, le gouvernement ne pût stipuler dans un traité de paix, une cession, un échange ou une adjonction de territoire.
Résumons-nous.
En Angleterre et en France c’est le gouvernement seul qui est juge, dans tous les cas, de la nécessité de céder une partie du territoire du royaume.
En Hollande, c’est le gouvernement qui est seul juge en temps de guerre, et le pouvoir législatif en temps de paix.
En Belgique, c’est le pouvoir législatif dans tous les cas.
Vous voyez d’après cela, messieurs, que le congrès n’a fait que transporter au pouvoir législatif un pouvoir qui, en temps de guerre, résidait dans le gouvernement seul avant la révolution.
La constitution belge dit au gouvernement ; On vous propose un traité de paix qui opère une cession de territoire vous ne pouvez l’accepter. Vous le pouviez d’après notre ancienne constitution, mais le pouvoir qu’avait le gouvernement d’alors appartient aujourd’hui à la loi, au pouvoir législatif. Ce qui pouvait se faire avant la révolution de 1830 par le roi, ne peut aujourd’hui se faire que concurremment avec les chambres. Voilà toute la différence.
Qui oserait soutenir d’après cela que le congrès n’a pas voulu conférer au pouvoir législatif les mêmes droits que ceux qu’avait le roi seul avant la révolution ? Rien n’autorise à le croire ; ni le texte de l’article 68, ni l’esprit qui animait le congrès.
On avait au congrès une méfiance extrême du pouvoir royal, on n’en avait pas du pouvoir législatif.
Ainsi de même que d’après la constitution de 1815, le roi Guillaume peut céder, comme il le prouve en ce moment même, une province entière de son royaume, de même d’après la constitution de 1830, le pouvoir législatif peut céder une province entière ; le juge de la nécessité a seul changé ; mais les limites de la cession n’ont pas éprouvé de restriction, et ne pouvaient en recevoir.
Je dis qu’il eût été impossible de fixer les limites que la législature ne peut franchir dans les cessions ou échanges stipulés par un traité de paix ; l’honorable député de Tournay s’est chargé lui-même de le prouver.
Il admet la possibilité d’un échange, d’une cession, pourvu qu’elle ne soit pas trop considérable. Mais si le congrès avait exprimé cette idée dans l’article 68 de la constitution, il n’eût rien fait, car restait toujours la question de savoir ce que c’est qu’une partie considérable du territoire. Dix villages paraîtront considérables à l’un, et peu importants à l’autre.
Le congrès n’eût pas été plus heureux si, comme le député de Tournay le prétend, il eût dit que la cession dont parle l’article 68 doit être telle que le territoire cédé n’entame pas une des provinces indiquées à l’article 1er de la constitution. Car là encore on eût demandé quand une province sera considérée comme entamée ? est-ce une cession d’une, ou de deux ou de trois lieues de territoire qui forme un démembrement de province ?
Non, messieurs, là n’est pas la question. Le droit de céder n’est pas subordonné à la plus ou moins grande étendue du territoire. Ce droit dérive de la contrainte que le territoire soit plus ou moins étendu, la question est la même ; vous n’avez pas le droit de céder une partie du pays parce qu’il est petit, mais parce que vous y êtes contraints, et, sous ce rapport, le congrès a bien fait d’employer l’expression indéfinie : « nul échange, nulle cession. »
Qu’on ne demande donc pas ce qui adviendrait, si un pouvoir législatif corrompu cédait successivement toutes le provinces du pays ; car à ceux qui raisonnent ainsi de l’absurde, on pourrait demander ce qui adviendrait en Angleterre, en France et même en Hollande, si le ministère dont la corruption est bien plus facile que celle des trois branches du pouvoir législatif, cédait successivement tout le pays.
Quand on suppose l’absurde, il n’y a plus de nation, il n’y a plus de gouvernement possible, chaque pouvoir peut bouleverser l’état ; le Roi peut dissoudre 50 fois, 100 fois de suite les chambres, et, sous prétexte d’user de son droit, détruire la constitution. Les chambres peuvent centupler les contributions, rejeter tous les budgets qu’on lui présente, quels que soient les ministres dont la couronne s’entoure, réduire en temps de guerre l’armée à quelques bataillons, perdre en un mot de mille manières l’état en faisant un usage absurde, inimaginable de ses droits constitutionnels.
Messieurs, si un reproche peut être adressé à la constitution de 1830, c’est d’avoir peut-être trop généralisé la disposition finale de l’article 68.
En effet, cette disposition est si générale que le roi ne peut consentir à une cession, un échange, une adjonction de territoire dans aucun cas, sauf une loi qui l’y autorise. D’une autre part, cette disposition ne peut recevoir son application qu’aux cas d’une urgente nécessité, puisque nous avons fait voir que les cessions à l’amiable sont défendues.
Or, quels seront dans la pratique ces cas d’urgence ?
Si l’on excepte les révolutions, dont le renouvellement ne doit pas entrer dan nos prévisions, je ne connais que les cessions, échanges ou adjonctions de territoire à la suite d’une guerre, qui puissent être commandés par la nécessité.
Ainsi, par exemple, une invasion a lieu par l’armée belge dans les provinces rhénanes ; c’est en vain que le roi de Prusse offrirait à la Belgique l’abandon de ces provinces, pour être adjointes à notre pays, le gouvernement belge devrait laisser les armées en présence, et demander à la législature une loi qui lui permît d’accepter ces provinces.
Voilà ce que veut l’article 68 de la constitution ; son texte est clair et précis. Eh bien, je dis que le congrès a été trop rigoureux, trop méfiant du gouvernement en généralisant sa disposition.
Oui, messieurs, et c’est Benjamin Constant qui le dit : il eût mieux valu peut-être laisser la responsabilité du traité aux ministres seuls, sauf au besoin, leur mise en accusation. « Car, disait ce grand publiciste, elle ne peut en conséquence être juge de la nécessité d’un traité de paix. Quand la constitution l’en fait juge, les ministres peuvent entourer la représentation nationale de la haine populaire. Un seul article, jeté avec adresse, au milieu des conditions de la paix, place une assemblée dans l’alternative, ou de perpétuer la guerre, ou de sanctionner des dispositions attentatoires à la liberté ou à l’honneur. »
Vous le voyez, messieurs, ce n’est pas moi, mais les amis les plus dévoués à la cause de la liberté, qui font la critique de l’article 68 de notre constitution.
Je le répète donc, on doit regretter peut-être que le congrès, cédant au désir exagéré de transporter le plus de pouvoir possible dans les chambres, ait constitué dans tous les cas le pouvoir législatif juge des traités de paix stipulant une cession, un échange ou une adjonction de territoires.
Et cependant, le croirait-on, nos adversaires prétendent que le congrès n’est pas allé assez loin, qu’il ne suffit pas que les chambres donnent leur assentiment au traité, qu’il ne suffit pas au gouvernement de provoquer une loi, et qu’il faut en outre que les chambres, après avoir pris le projet de loi en considération, soient dissoutes, que les collèges électoraux sont réunis, que de nouvelles chambres soient convoquées, que de nouveaux débats s’établissent, et que les deux tiers de membres consentent à l’agrandissement comme à la cession d’une partie du territoire.
Je vous le demande, messieurs, ne suffit-il pas de poser l’objection pour en faire sentir l’absurdité ? Comment, toutes ces opérations électorales et législatives exigeraient un délai de trois mois et les armées resteraient en présence pendant tout cet intervalle ! L’occupation militaire continuerait et l’on permettrait aux vaincus de refaire leurs forces, de remonter l’esprit de l’armée et de faire perdre peut-être un jour les avantages obtenus par l’ennemi. Non, messieurs, à moins de supposer que tous les membres du congrès fussent des insensés, vous ne pouvez admettre que tel est l’esprit du paragraphe final de l’article 68.
Je sais que le député de Tournay me répondra que dans ce cas, la législature ordinaire serait compétente pour accorder la cession ou l’adjonction de territoire, mais que, dans le cas actuel, il n’y a pas d’invasion ennemie.
Vous avouez donc que s’il y avait invasion, vous seriez compétents, non parce qu’il y aurait invasion, mais parce qu’il y aurait contrainte. Eh bien, c’est tout ce que nous voulons : c’est donc une simple question de fait dont dépend la solution. Y a-t-il ou non contrainte ? y a-t-il ou non force majeure ? Vous répondez non. Nous pensions que oui. Vous croyez qu’il n’y aurait contrainte que lorsqu’une armée ennemie aurait foulé le solde belge et entraîné à sa suite tous les malheurs, tous les désastres d’une invasion. Nous croyons au contraire que lorsqu’une victime se voit cernée par cinq colosses, il y a contrainte dès qu’il y a sommation menaçante, sans attendre que des actes de violence soient consommés. Convenez donc que les chambres son compétentes.
On doit s’étonner, d’après tout ce que nous avons eu l’honneur de vous dire, messieurs, que l’honorable député de Tournay ne se soit pas aperçus que c’est une hérésie constitutionnelle de prétendre que le cas de cession dont parle l’article 68 de la constitution ne s’applique qu’aux traités ordinaires, et non pas aux traités extraordinaires, comme celui qui nous occupe.
C’est l’inverse qui est vrai, c’est pour des traités extraordinaires seuls que le paragraphe final de l’article 68 a été fait.
Dans des circonstances ordinaires, aucun pouvoir ne peut, sans violer les lois sacrées de l’humanité, sans faire un abus de la force, céder une province. Ce serait alors que l’article 68 de la constitution serait faussé, violé. Ainsi, par exemple, la Hollande, après la paix, nous offrirait d’échanger tout le Brabant septentrional contre la moitié de la province de Liége ; quand même les convenances politiques et administratives, la richesse du sol, l’étendue du territoire, nous offriraient d’immenses avantages à accepter ce traité, nous serions coupables d’un crime, si nous l’acceptions ; précisément parce qu’il s’agirait d’un traité ordinaire qui ne serait pas imposé par la contrainte, parce que, hors le cas d’urgente nécessité, aucun pouvoir ne peut céder une fraction du territoire du royaume, parce qu’en un mot le paragraphe final de l’article 68 n’est fait que pour les cas extraordinaires.
Je finirai, messieurs, par cette considération dont je vous prie de peser toute l’importance, c’est qu’il ne suffirait pas que nos adversaires fissent naître du doute dans vos esprits, pour faire admettre votre incompétence, doute qui n’existe pas ; mais il faudrait que cette incompétence fût claire, expresse, palpable pour tout le monde. S’il y a du doute, c’est pour la compétence que le pouvoir législation doit se déclarer.
Cette opinion est fondées sur deux motifs : le premier, messieurs, c’est que la question qui nous occupe n’est pas neuve. La législature de 1831 a eu à la résoudre, et c’est pour la compétence qu’elle s’est déclarée à une grande majorité. Il n’y a pas eu de vote, dit M. Desmet, c’est vrai ; mais la question a été longuement discutée, et certainement ceux qui ont adopté le traité du 15 novembre, ont eu la conviction qu’ils ne violaient pas la constitution en votant de cette manière. Sans doute le pouvoir législatif n’est jamais lié par des antécédents. Mais ce que vous devez admettre, c’est que le pouvoir législatif de 1831, composé en grande partie de tous les membres du congrès, imbus par conséquent des principes qui avaient guidé cette mémorable assemblée, n’a pas porté légèrement une si grave décision ; ce que vous devez admettre, c’est que la présomption du bien jugé existe, et qu’il ne suffit pas d’un simple doute pour le détruire ; ce que vous devez admettre, c’est que la législature de 1839 ne doit pas facilement admettre que la législature de 1831 a agi inconstitutionnellement.
Un autre motif également puissant vient s’y joindre.
Moins absolu que le parlement anglais, le parlement belge possède cependant une plénitude de pouvoirs, une omnipotence législative, qui n’a d’autres limites que celles qui lui sont formellement posées par la constitution. C’est un axiome qui est incontestable ; c'est le revers de l’article 78 de la constitution.
Le Roi n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribue formellement la constitution.
Le pouvoir législatif a tous les pouvoirs que ne lui dénie pas formellement la constitution.
Ainsi la règle c’est l’omnipotence, l’exception, c’est l’incompétence, et par conséquent, s’il n’y a que du doute, si l’exception n’est pas précise et formelle. La règle générale doit être admise, le pouvoir législatif est compétent.
En résumant donc, messieurs, soit que l’on consulte les termes de la constitution, soit qu’on en recherche l’esprit et le but, votre compétence est évidente, incontestable ; vous pouvez sans violer la constitution adopter le traité, vous le devez même si votre conscience vous crie que la loi de la nécessité le commande.
C’est là, messieurs, le seul pour que, pour le moment, j’avais à cœur de démontrer, me réservant d’examiner plus tard le fond du traité.
M. le président – La parole est à M. d’Hoffschmidt.
M. d’Hoffschmidt – Député de l’une des provinces sur le sort desquelles vous êtes appelés à prononcer un arrêt d’existence ou d’anéantissement politique, j’ai lu avec désespoir le rapport de la section centrale chargé de l’examen du trop fameux projet de loi qui vous a été présenté au nom du Roi de votre choix.
Je vous avoue, messieurs, que je n’ai pu voir sans indignation la défection produite par la réaction, aussi subite que déplorable, qui s’est opérée dans notre population industrielle et ses représentants.
Cette réaction ne peut s’être faite que par une ligue puissante formée par les égoïstes et les ambitieux qui n’ont en vue que la conservation de la position et des postes brillants qu’ils se sont créés à la suite de notre révolution.
J’arrête ici, messieurs, les récriminations qui pourraient dégénérer en personnalités ; ce langage irritant est inutile, surtout pour défendre la plus juste des causes. Je vous dirai cependant encore que j’ai la plus profonde conviction, malgré les explications de Messieurs les ministres, que si la nation se trouve aujourd’hui dans la plus cruelle alternative, ce n’est que par suite de la faiblesse inouïe de son gouvernement, et des fautes accumulées qui en ont été la conséquence.
Mais ce n’est ni l’historique des fautes commises, ni celui de nos droits méconnus que je veux vous tracer ; ce serait répéter ce qui a été dit jusqu’à satiété. La cause belge est parfaitement connue, non seulement de vous, messieurs, mais elle l’est de l’Europe entière, parce que c’est une question de principe qui intéresse tous les peuples et tous les gouvernements.
D’illustres orateurs, d’illustres publicistes belges et étrangers l’ont épuisée en répondant victorieusement aux théories qui n’ont été que reproduites par messieurs Nothomb, Devaux et autres orateurs qui se sont constitués comme les avocats des dynasties.
Je me bornerai donc à vous dire en résumé que notre cause était à la fois si noble, su belle, qu’elle excitait les sympathies des hommes généreux de tous les pays, en même temps qu’elle faisait l’effroi des gouvernement absolus et de ceux qui tendent à le devenir.
Aussi pas une voix n’avait osé s’élever pour soutenir que la Belgique devait s’humilier, tandis qu’elle pouvait s’élever au rang des plus glorieuses nations, par une attitude conforme à sa position.
Maintenant encore, les partisans de la tranquillité à tout prix qui sont parvenus à entraîner notre gouvernement pusillanime dans la voix humiliante et funeste qu’il a embrassée, conviennent tous avec M. Verhaegen que le traité, qu’ils n’acceptent que parce qu’ils sont, disent-ils, forcés par les circonstances est aussi contraire aux intérêts matériels du pays qu’attentatoire aux droits des gens, qu’attentatoire à l’honneur national.
Le gouvernement en convient aussi, messieurs ; il en convient et cependant trois ministres sont restés au pouvoir pour vous proposer le démembrement du pays au nom du Roi qui a juré à la face de la nation et de l’Europe de maintenir l’intégrité du territoire belge !
Et c’est pendant que l’armée était complétée par un matériel immense et par d’innombrables nominations d’officiers, c’est pendant que la nation applaudissait avec vous et cette brave armée, à tous les sacrifices qui se faisaient pour résister aux iniques prétentions de nos ennemis, c’est pendant même que l’on appelait un illustre guerrier parmi nous, que s’élaborait le projet honteusement pacifique qui vous a été présenté avec persévérance et courage !
Ah messieurs, n’est-ce pas là nous rendre la risée du monde entier ? N’est-ce pas exposer les Belges a être insultés comme de lâches fanfarons chaque fois qu’ils devront décliner leur origine à l’étranger ?
J’ai l’âme navrée quand je pense à l’avilissement qui nous menace et dont la Belgique ne pourrait jamais se relever.
Mais d’où vient, messieurs, d’où peut venir le revirement inconcevable qui s’est opéré parmi nous et que le rapport de la section centrale et une partie des discours que vous avez entendus ne font que trop connaître ?
Ce changement subit que nous a fait passer du sublime à l’abject. Je ne puis l’attribuer qu’à la peur qui, chez certains hommes, a remplacé le courage, dont il n’a été fait qu’une vaine et ridicule parade.
Les deux Luxembourgeois, messieurs, et après eux M. Verhaegen, vous ont parlé d’une guerre immédiate, qui anéantirait indubitablement la nationalité belge ; l’on vous représente l’Europe entière armée pour nous exterminer si nous faisions le moindre signe de résistance ; et de tout cet échafaudage de terreur, l’on conclut qu’il vaut mieux sacrifier quatre cent mille Belges que d’en sacrifier quatre millions.
Et où puise-t-on la certitude, ou même la probabilité, que tous les maux dont on vous effraient, vont fondre sur nous ?
Soyez-en persuadés, messieurs, l’on vous abuse, l’on vous exagère le danger, l’on veut vous faire trembler afin de vous arracher un vote déshonorant pour votre pays, déshonorant pour vous, pour vos enfants, qui rougiront un jour de voir, dans l’histoire de leur nation, leur nom attaché à un acte fatal, qui imprimera une tache indélébile à tous ceux qui s’en rendront solidairement coupables.
Votre royauté sera dépopularisée à jamais, votre armée découragée, démoralisée, au point que nos braves officiers rougiraient de porter leurs épaulettes, comme les vrais patriotes rougiraient de la nationalité que vous leur auriez faire.
Je vous en conjure donc, messieurs, au nom de ce que vous avez de plus cher, ne vous laissez pas entraîner par les brillantes théories qui nous sont débitées ici par des hommes habiles sans doute, mais qui ne placent pas toujours l’intérêt des nations en première ligne.
Faites attention que les orateurs, et entre autres M. Devaux, au talent distingué duquel je me plais d’ailleurs à rendre hommage, n’ont appuyé leur principe argumentation que sur des principes de gouvernement, pour soutenir les dynasties contre les guerres de propagande, qu’ils redoutent par-dessus tout ; ils n’ont fait qu’effleurer le côté moral de la question, ils ont compris que l’on ne dépouille pas les populations de leurs droits les plus sacrés, sans froisser les principes de la justice et de l’honneur qui dominent tous les autres.
J’aborde encore, messieurs, l’argument qui paraît faire le plus d’impression sur vos esprits effrayés ;
Nous ne cédons qu’à la force ; l’Europe entière est liguée contre nous.
Voilà ce que tous les partisans de la paix nous répètent sous toutes les formes oratoires possibles, comme si l’Europe s’armait encore à la voix de quelques hommes qui ne rêvent que pouvoir et domination.
Où donc est la force majeure dont M. Nothomb surtout nous a parlé, et derrière laquelle se retranche en tremblant notre gouvernement ?
Où sont les armées innombrables prêtes à fondre sur nous ?
Où sont même, dans les protocoles, les menaces de nous anéantir si nous résistons ? je n’en connais aucune. Et où puise-t-on donc la certitude que les puissances, y compris la France et l’Angleterre, viendront nous envahir ? je ne la trouve moi que dans l’imagination effrayée des hommes qui nous gouvernent. Faites-y bien attention je vous prie, la conférence ne vous fait pas aujourd’hui les mêmes menaces qu’en 1831 ; et pourquoi, messieurs ? parce que les puissances qui forment les aréopages ont compris mieux que nos hommes d’état l’immense danger, pour ne pas dire l’impossibilité qu’il y aurait à exécuter par la force le traité si révoltant, qui ne vous est soumis tel qu’il est que parce que notre gouvernement n’a que trop souvent trahi sa déplorable faiblesse ; mais d’un autre côté l’attitude ferme de la nation belge a fait croire à la possibilité d’une résistance, et la conférence n’a pas voulu s’exposer à la possibilité d’une résistance, et la conférence n’a pas voulu s’exposer à reculer, comme elle l’avait fait en 1831, devant le courageux refus du roi Guillaume ; elle n’a pas voulu faire une seconde fois des menaces qui n’auraient eu pour effet que de blesser vivement l’amour-propre des puissances qui les auraient encore renouvelées vainement.
Soyez-en convaincus, messieurs, si encore aujourd’hui nous repoussions ce fatal et inique traité avec la ferme volonté de résister, jamais les puissances ne tenteraient de l’exécuter à main armée ; quant à moi, j’en ai la conviction, et je la puise dans le précédent que je viens de citer.
Je la puise dans la situation actuelle des gouvernements et des esprits en Europe ; dans notre situation près des limites de la France, dont on craint l’ardente et généreuse population.
Je la puisse enfin et surtout, messieurs, dans la terreur que les puissances liguées contre nous, éprouvent d’allumer une guerre générale qui menacerait bien plutôt les souverains absolus que la nationalité belge.
Non, messieurs, une exécution à main armée n’est pas à craindre, mais le fût-elle, devrions-nous pour cela courber servilement la tête au premier doute qui s’élèverait sur cette possibilité ?
N’avons-nous pas une armée de 110 mille hommes qui brûlent tous du désir de défendre l’honneur national outragé ? Vous connaissez, messieurs, quel est l’espoir qui anime cette belle et brave armée ; elle attend avec impatience le moment de prouver à la nation qu’elle peut la servir autrement qu’à bivouaquer l’arme au bras, et surtout qu’à se déployer avec fracas jusqu’aux portes de cette enceinte pour maintenir l’ordre légal, que personne ne cherche à troubler.
Et cette armée n’est-elle pas soutenue par une jeunesse belliqueuse prête à marcher avec elle à nos frontières ?
Rappelez-vous, messieurs, les nobles et énergiques protestations parties de nos universités. Là s’élève une génération nouvelle qui frémi d’indignation lorsqu’il s’agit du déshonneur de sa patrie, et qui ne nous pardonnerait jamais de lui avoir transmis pour tout héritage politique, une tâche ignominieuse pour le nom belge.
D’ailleurs, croyez-vous que les peuples qui nous entourent, et que nos adversaires confondent toujours avec leurs gouvernements, soient bien disposés à venir nous plonger le poignard dans le sein, parce que nous aurions le courage de dire aux souverains, qui s’arrogent et se reconnaissent mutuellement le droit de disposer des nations selon leur bon plaisir, que, nous Belges, nous ne voulons pas leur reconnaître ce droit, ne nous y soumettre en cédant bénévolement nos concitoyens à celui d’entre eux qui les réclame comme une propriété.
Non, messieurs, toute notre question se résume en ce peu de mots ; mais, croyez-moi, nous trouverions bien autant d’auxiliaires que d’ennemis parmi ces peuples qui comprennent, même ceux de l’Allemagne, que notre cause est celle de toutes les nations qui ne veulent pas se laisser transmettre et partager comme des héritages de famille.
Oui, messieurs, la question belge était belle parce qu’elle avait pour elle la sympathie des peuples et c’est là ce qui a effrayé les gouvernements y compris ceux de la France et de l’Angleterre et même le nôtre, messieurs, qui, depuis que ces sympathies se sont manifestées, n’a plus pensé à lutter contre les ennemis de la nation belge, mais contre les siens, que l’on a qualifiées de propagandistes.
C’est là aussi la lutte qu’a soutenue le ministère funeste qui pèse encore sur la France ; mais il va tomber !
Enfin la position de la Belgique était telle que la Belgique seule pouvait la gâter.
Et quand je dis les Belges, je veux parler du gouvernement, d’accord avec la nation, car il eût suffi que l’un ou l’autre voulût sincèrement et fortement soutenir nos droits pour qu’il ne leur soit porté aucune atteinte.
Je dois vous dire ici, messieurs, que le gouvernement ne m’a jamais inspiré une bien grande confiance parce qu’à côté de la question politique se trouve la question dynastique.
Aussi c’est dans la représentation nationale et dans le pays que j’avais placé tout mon espoir. Je suis fermement convaincu que si la nation eût soutenu l’attitude qu’elle a prise, l’exécution du traité que nous redoutons, n’eût jamais eu lieu.
Non, messieurs, dans la position où se trouve la Belgique, position qui la rend forte, elle ne devrait céder devant aucune menace et je vous le répète, ces menaces n’existent même pas, à moins qu’elles n’aient été faites seulement à ceux dont l’on sait si bien maintenant apprécier le courage.
Mais le blocus, s’écrie-t-on près de ceux qui sont avant tout préoccupés des intérêts de l’industrie et du commerce.
Le blocus vous fera périr petit à petit et le pays sera vaincu par la force seule de l’inertie.
Mais y pense-t-on sérieusement, tandis qu’il est évident que ce blocus serait plus nuisible aux intérêts commerciaux des pays qui le feraient qu’à la Belgique elle-même, n’est-il pas incontestable dès lors que ce terrible blocus dont on se sert comme d’épouvantail ne peut avoir lieu d’une manière réelle et durable ?
L’industrie est en souffrance, s’écrie-t-on encore et surtout ceux qui auraient voulu faire une société en commandite de la Belgique entière et qui aujourd’hui ont intérêt d’accuser nos démêlés politiques de tous les mécomptes financiers qui se préparent et qui ont déjà eu lieu.
Oui, messieurs, l’industrie est en souffrance et je conviens même que l’incertitude qui règne depuis longtemps sur l’issue de la question politique contribue à la stagnation des affaires commerciales ; mais là n’est pas, comme on vous l’a déjà démontré, la véritable cause de la crise industrielle qui se fait ressentir si vivement en Belgique.
Les catastrophes financières arrivées récemment, comme préludes peut-être de beaucoup d’autres, ont été causées, non par la situation politique, mais par les fausses spéculations dans lesquelles le public trop confiant a été entraîné.
Ces catastrophes ont peut-être été hâtées par les événements, mais elles étaient inévitables, et la paix ignominieuse que réclament si vivement les industriels ne rétablira pas la confiance que les principaux d’entre eux ont perdue, non seulement pour eux, mais pour la Belgique qui sera longtemps victime de l’abus effrayant qui a été fait d’un principe qui pouvait, s’il était resté dans de justes bornes, faire prospérer une nation laborieuse et productive comme l’est la nôtre ; mais malheureusement ce beau principe de l’association, qui pouvait être si fécond en heureux résultats, s’est transformé en un agiotage scandaleux auquel bien des étrangers sont venus prendre part, et aujourd’hui des milliers de familles en sont victimes ; mais que ces familles malheureuses se désabusent ; la perte de leur fortune ne vient pas de la question politique qui nous agite, et le jour approche, je pense, où il n’y aura plus de doute à cet égard, car la vérité perce toujours.
Il y a sans doute des industries qui souffrent uniquement par suite de cette question politique, mais, messieurs, n’est-il pas dans la vie des nations comme dans celle des individus des moments pénibles mais solennels où elles doivent savoir souffrir pou remplir des engagements sacrés, pour maintenir leur indépendance et leur honneur. Lorsque les Belges du Limbourg et du Luxembourg ont fait avec vous la révolution qui vous a amenés dans cette enceinte, ont-ils reculé devant l’œuvre de votre indépendance dans la crainte de détruire leur industrie ? non, messieurs, ils ont tous exposé leur vie même pour voler à votre secours.
Et aujourd’hui, qui le croirait ? ce sont ceux qui se sont élevés par suite de ce dévouement de leurs frères qui sont précisément ceux qui mettent tout en œuvre pour que le sacrifice de ces généreuses victimes soit vite consommé.
Et vous, messieurs, représentants d’une nation qui n’a pas oublié que ce sont les mêmes Luxembourgeois que l’on voudrait sacrifier qui ont fait triompher la révolution belge à Walhem et à Berchem, voudriez-vous aujourd’hui repousser des concitoyens qui vous disaient naguère encore dans leurs protestations contre le morcellement :
« Pour soutenir l’honneur national et nos droits voulez-vous de l’or ? disposez de nos fortunes.
« Voulez-vous des défenseurs de notre patrie commune, disposez de notre sang, nous sommes tous prêts à marcher à son secours. »
Ah, messieurs, n’entendez-vous pas, lorsque vous sondez jusqu’aux plus profonds replis de votre conscience, n’entendez-vous pas une voix secrète qui dit : « Si je vote pour qu’il y ait une Belgique tranquille et prospère, je vais, d’un autre côté, commettre la plus noire ingratitude ; je vais me rende coupable d’une trahison en vouant aux malheurs des hommes qui m’ont secouru et qui me supplient de ne pas les abandonner après qu’ils ont mérité mon appui et mon amitié fraternelle ! »
Si vous pouviez être témoins du désespoir et de l’indignation qui agitent ces malheureuses populations qui n’entrevoient, si vous les abandonnez, que désastres et que malheurs, vous n’auriez pas la force de prononcer l’arrêt fatal qui déjà nous fait frémir. Quant à moi, messieurs, qui suis de la partie non contestée du Luxembourg, je puis cependant vous dire du plus profond de mon âme que l’on m’arracherait plutôt mille fois la vie que de m’arracher un vote qui m’oppresserait le reste de mes jours.
Jamais les malheureux compatriotes du Limbourg et du Luxembourg ne pourront me dire :
Vous avez forfait à l’honneur, car vous nous avez lâchement trahis. (Applaudissements.)
M. Mercier – Lorsque répondant à d’augustes paroles, nous avons, il y a quatre mois, unanimement exprimé la résolution de ne reculer devant aucun sacrifice pour conserver nos compatriotes du Limbourg et du Luxembourg, confiants dans l’avenir, nous obéissions à des sympathies, qu’aujourd’hui comme alors, nous portons dans nos cœurs non moins vives, non moins sincères ; mais sans espérance, mais subjuguées par d’impérieuses nécessités.
Est-il un seul d’entre nous, messieurs, qui à cette époque ait conçu la pensée d’exposer la Belgique, seule, abandonnée de ses alliés, aux fatalités d’une guerre avec les grandes puissances de l’Europe ?
Est-il un seul d’entre nous qui ait pu former le projet insensé d’une lutte aussi démesurément inégale ?
Non, car autant il y aurait de lâcheté à céder, s’il nous était permis de vider notre querelle avec la Hollande seulement, autant il y aurait de délire dans une détermination qui n’offrirait en perspective que des désastres sans compensation.
Hâtons-nous de le dire, les partisans mêmes les plus exaltés de la résistance, ne la veulent que parce qu’ils conservent des illusions qui les aveuglent, et que nous ne pouvons plus partager. Après que tant de circonstances nouvelles sont venues nous révéler la gravité de notre situation, ils s’obstinent dans leur erreur et sur les dispositions des états voisins à notre égard, et sur les moyens coercitifs qu’il est en leur pouvoir d’employer contre nous : en nous appelant à la résistance, la plupart d’entre eux s’imaginent encore qu’elle peut se borner à de simples démonstrations ; ils ne tiennent pas compte d’actes politiques que nous voulions prévenir en novembre et qui aujourd’hui sont consommés.
Pour nous, messieurs, cette phase de la résistance est passée.
Comme eux, nous avons été dirigés par un but politique dans une manifestation publique et éclatante.
Ce but était de faire apprécier à l’étranger et la sainteté et la justice d’une cause trop méconnue, et d’apprendre à ceux que nous devions croire nos fidèles alliés à quels efforts nous étions préparés, s’ils ne nous abandonnaient pas à la merci d’ennemis trop puissants et trop nombreux.
Un mois à peine s’était écoulé depuis la réunion de nos chambres, que déjà des bruits alarmants se répandaient sur les actes de la conférence et sur la tiédeur de nos alliés.
Un premier fait vint jeter la consternation parmi nous : les journaux étrangers nous apprirent qu’un traité définitif avait été arrêté par les puissances, et qu’ reproduisait cette clause fatale, objet de toutes nos appréhensions, celle d’une douloureuse séparation d’avec une partie de nos concitoyens.
Cependant tout espoir n’était pas perdu ; la France ne s’était pas encore associée à ce nouvel acte ; avec elle nous étions résolu à braver l’Europe entière, à entrer, pour maintenir l’intégrité de la Belgique,dans une lutte qui n’était pas exempte de dangers pour notre nationalité, mais qui du moins nous offrait des chances de succès.
Nous attendions avec anxiété l’ouverture des chambres françaises ; il nous tardait de connaître le dernier mot de la politique que suivrait à notre égard notre puissant voisin.
Nous devions éprouver bientôt d’amères déceptions : Le passage qui nous concerne dans le discours du trône ne fit que trop présager la décision dont nous étions menacés ; cependant une faible lueur d’espérance nous restait encore : le gouvernement français avait voulu consulter les chambres, et nous comptions trouver dans leur sein de nombreux et zélés défenseurs.
Des généreux citoyens, nos collègues, se rendirent alors dans la capitale de la France, pour éclairer l’opinion publique sur le sentiment profond de nationalité qui s’est développé chez nous, pour représenter combien il serait odieux pour la France de juillet de sacrifier la Belgique, et de permettre qu’on arrache de son sein des populations qui partagent ses croyances, qui avec elle ont conquis la liberté et qui lui sont unis depuis des siècles.
C’est en vain qu’un instant nous nous réjouîmes de voir la majorité de la commission de l’adresse choisie dans les rangs de l’opposition : cette commission fut hostile au ministère français, mais ne fut pas favorables à la Belgique. Le projet d’adresse ne renfermait aucun engagement vis-à-vis de nous, aucun conseil même donné au gouvernement en notre faveur. Dans la mémorable discussion qui eut lieu à cette occasion, peu d’orateurs défendirent notre cause avec sincérité. Les chefs de l’opposition surtout mirent une telle réserve dans leurs discours, qu’il fut facile de prévoir que la Belgique n’avait rien à espérer de leur avènement éventuel au pouvoir.
La commission de l’adresse, en parlant des négociations qui devaient décider de nos intérêts les plus chers, avait terminé le paragraphe relatif à la Belgique en disant : « La chambre attend l’issue des négociations » ; les partisans du ministère proposèrent d’ajouter à cette phrase les mots « avec confiance ». De là un grand débat dont la Belgique, il est affligeant d’en convenir, n’était pas le principal objet ; le ministère français était le véritable but de l’attaque et de la défense de la plupart des orateurs, et il faut bien le dire encore, parmi ceux qui combattaient le ministère, se trouvaient un parti ennemi de la révolution de juillet et de la nôtre, et un autre parti qui aspire à de nouveaux bouleversements politiques, et rêve pour la France des frontières derrière lesquelles serait effacée la nationalité belge.
Dans la chambre des pairs à peine deux voix isolées s’élevèrent en notre faveur.
Nous acquîmes donc la douloureuse conviction que ni la majorité, ni l’opposition dans les chambres françaises n’étaient disposées à entrer avec la Belgique indépendante dans une lutte européenne.
Bien tôt le plénipotentiaire du roi de France près la conférence reçut l’ordre de signer le traité, et le 22 janvier cet acte fut consommé.
Nous voilà donc restés livrés à nos propres forces, abandonnés de la France et de l’Angleterre, et ayant pour adversaires la confédération germanique, la Hollande et les grandes puissances du Nord.
D’autres faits sont venus ajouter un nouveau poids à cette décision de la conférence : l’adhésion du roi de Hollande, les paroles de la rein d’Angleterre à l’ouverture du parlement, et l’approbation des chambres anglaises à la conduite du gouvernement dans l’affaire hollando-belge.
Après un tel concours de circonstances toutes défavorables à notre cause, peut-on prétendre encore de bonne foi que rien n’est changé dans notre position depuis le vote de notre adresse.
A vous qui prétendez que les puissances du Nord, absorbées par d’autres embarras, sont hors d’état de faire une invasion en Belgique et de nous imposer leurs conditions par la force, j’opposerai l’opinion de la France qui ne s’abuse pas, elle, sur les ressources militaires de l’Allemagne et de la Russie. Je vous demanderai si la France, elle aussi, n’a pas des affronts à venger ? si elle n’est pas atteinte elle même par les coups portées à notre nationalité ? si vous pensez qu’elle ne s’aperçoive pas que nous sommes moins la cause que le prétexte de la conduite des puissances du Nord, et que le véritable objet des dispositions hostiles ont nous sommes victimes, c’est la France elle-même, que c’est sa force et sa prépondérance que ces puissances veulent affaiblir ou craignent d’augmenter ? et qu’il leur importe assez peu que la Belgique, état secondaire possède quelques districts de plus ou de moins.
La France, messieurs, ne méconnaît pas ce véritable état de choses ; elle n’a pas oublié ses humiliations ; l’occupation étrangère, un tribut de 8 cent millions de francs ont profondément blessé son orgueil national ; ses ressentiments ne sont pas éteints ; mais elle se rappelle aussi ses revers de 1812 et de 1815, alors qu’elle combattait ces mêmes forces coalisées qu’il faudrait encore rencontrer aujourd’hui.
Eh bien ce que la France, cette nation puissante, cette nation de 32 millions d’habitants, dont l’indépendance, en aucun cas ne peut être menacée ; ce que la France, dis-je, n’ose pas tenter, secondée par cent mille combattants, pleins de courage et de patriotisme que nous lui offrons comme auxiliaires, des hommes aussi imprudents qu’injustes imputent à déshonneur à la Belgique de ne pas l’entreprendre seule.
Ils font un appel aux passions et veulent nous engager dans un lutte qui ne présente d’autre perspective que des revers, des charges accablantes et même la perte de notre nationalité si chèrement acquise.
Il est sans exemple, s’écrient-ils, qu’un peuple ait cédé une portion de son territoire sans combattre : ceux qui tiennent ce langage ne veulent pas se rappeler que c’est en combattant que nous avons conquis notre indépendance ; que le Luxembourg nous a été contesté dès le lendemain de notre révolution, et que le traité qui nous est présenté n’apporte pas le moindre changement sous le rapport territorial à celui du 15 novembre 1831 qui a été la suite de nos désastres. Nos revers sans doute firent l’effet d’une surprise déloyale ; mais il n’en est pas moins vrai que cette cession est le résultat du sort des armes.
Les différents systèmes de défense produits par nos adversaires sont assez difficiles à saisir ; ils se ressentent de la fausse position dans laquelle se trouvent leurs auteurs. Il paraît évident cependant qu’au fond la plupart d’entre eux partagent nos convictions sur l’impossibilité d’une défense complète et efficace ; ils se contenteraient volontiers d’un simulacre de résistance qui, à mon avis, ne sauverait rien et compromettrait tout. Pour les uns il suffirait d’un peu de sang répandu, d’un certain nombre de victimes. Je ne puis donner mon assentiment à un système contre lequel l’humanité se révolte et qui consisterait à offrir quelques-uns de nos concitoyens en holocauste à des susceptibilités déplacées. D’autres nous conseillent de ne céder qu’en présence d’une force majeure, et pour ainsi dire au moment de subir la contrainte.
Croient-ils que la Belgique, par sa seule attitude, pourrait forcer les cinq grandes puissances à violer leurs engagements solennels par lesquels elles viennent de se lier tant entre elles qu’envers la Hollande et la confédération germanique ? A-t-on pu se livrer à de parelles illusions au moment où, par l’adhésion du roi Guillaume, ces puissances ont atteint le seul but de longues et pénibles négociations, objet de leurs efforts pendant sept années consécutives.
Cet espoir n’existant pas on ne s’exposerait donc aux chances dangereuses d’une opposition au traité que pour céder quand il y aura force majeure, c’est-à-dire quand des armées étrangères franchiront nos frontières, quand elles seront assez près de nos soldats pour que ceux-ci ne puissent plus se retirer sans affront. Je ne comprends pas quelles conséquences honorables produirait un pareil système.
Ce qu’on prévoit facilement, c’est l’immense danger d’une quasi-résistance qu’on peut organiser dans la pensée, mais qu’il serait impossible de maîtriser dans l’exécution ; d’une résistance dont le résultat le moins déplorable serait de nous replacer sous l’application du traité du 15 novembre, beaucoup plus onéreux que celui qui nous est présenté, et de faire immédiatement retomber sur la Belgique les arrérages de la dette depuis le 1er janvier 1832, arrérages qui s’élèvent à plus de 105 millions de francs ; car, messieurs, nous ne sommes dispensés de ce paiement que parce que le roi Guillaume seul s’est opposé à l’exécution du traité ; du moment que cette inexécution sera prolongée par notre fait, ce motif disparaîtra, et la conférence, sur les instantes réclamations de notre adversaire, ne manquera pas de nous imposer cette énorme charge.
D’autres moyens analogues sont encore produits, mais tous aussi inefficaces et aussi dangereux.
Il est un système enfin que personne n’ose aborder et auquel cependant tous les autres doivent conduire, à moins de devenir ridicules ou déshonorants, c’est celui d’une guerre franche, d’une guerre à extinction contre toutes les puissances qui prétendent nous imposer l’abandon des territoires. Sans doute ce serait de la folie, ce serait un suicide, et l’honneur national ne peut consentir dans des actes de délire ou de désespoir ; mais alors qu’on cesse de mettre l’honneur national en jeu, quand on n’a à proposer que des mesures qui tendent à le compromettre ; quand on ne cherche plus à avilir le peuple belge à ses propres yeux, alors qu’on sait qu’une résistance véritablement sérieuse est impossible, et qu’on doit prévoir que la raison publique fera bientôt justice des exagérations auxquelles on s’est livré.
Il existe d’ailleurs des considérations de haute probité politique qui intéressent aussi l’honneur national et qui méritent de fixer toute notre attention. Frappés du malheur qui nous menaçait, en proie à des sentiments douloureux, comptant sur les sympathies de nos alliés et n’ayant qu’une connaissance incomplète de la suite des négociations et de l’attitude prise depuis 1833 par notre gouvernement dans la question territoriale, vis-à-vis des puissances signataires du traité du 15 novembre, nous n’avons suivi que l’impulsion de notre attachement pour des concitoyens dont nous appréhendions d’être séparés, et nous nous sommes facilement abandonnés à cette pensée consolante que le traité du 15 novembre avait cessé d’être obligatoire pour nous.
Le moment est venu où nous avons à décider des destinés de la patrie ; notre arrêt doit être pour elle un arrêt de vie ou de mort ; dans des circonstances aussi solennelles, il faut se recueillir, imposer silence aux passions tumultueuses qui perdent les nations, et examiner avec calme notre situation, non telle que nous voudrions qu’elle fût, mais telle qu’elle existe dans sa triste réalité.
Nos vœux, nos affections, notre intérêt ne peuvent seuls nous servir de guide ; notre position vis-à-vis des puissances représentées à la conférence, doit faire l’objet de nos sérieuses réflexions.
Quels sont nos engagements formels ou tacites vis-à-vis d’elles ? Nous les trouvons, messieurs, dans les faits politiques auxquels nous avons participé soit directement, soit indirectement, et dans l’enchaînement des négociations dont l’exécution du traité du 15 novembre a été le but constant.
Je vais les passer rapidement en revue :
Nous alléguions que nous n’avons accepté le traité du 15 novembre que sous la condition qu’il serait exécuté immédiatement : la conférence nous oppose que ce traité ne renferme aucune stipulation de déchéance en cas de retard dans sa mise à exécution ; que même l’échange des ratifications avec l’Autriche et la Russie n’a eu lieu que le 18 avril et le 4 mai 1832, Et qu’en outre la Belgique ne pourrait jamais invoquer un tel motif de déchéance, puisqu’une année après l’acceptation du traité, elle en a elle-même réclamé l’exécution par une somation adressée, sous la date du 5 octobre 1832, et renouvelée le 20 du même mois aux gouvernements de France et d’Angleterre.
Nous nous rappelons, messieurs, que par suite de cette sommation dès le 5 novembre 1832 l’embargo fut mis sur les vaisseaux hollandais dans les ports de la France et de la Grande-Bretagne, et que les flottes combinées de ces deux puissances firent le blocus des côtés de la Hollande ; que c’est encore pour procéder à l’exécution du même traité et sur le désir exprimé par le gouvernement belge, que le 9 novembre 1832 une armée française entra en Belgique et força les Hollandais à nous abandonner la citadelle qui tenait sous le canon notre principale cité commerciale.
Plus tard , en 1833, la Belgique a accepté la convention du 21 mai comme un bienfait, comme une mesure coercitive envers le roi Guillaume ; après cette convention, le gouvernement belge a continué les négociations relatives à l’exécution des 24 articles qu’il réclamait encore avec instance.
Un rapport fait par M. le ministre des affaires étrangères à la chambre des représentants, dans sa séance du 4 octobre 1833, nous apprend qu’à cette époque, deux ans après l’acceptation du traité, nos plénipotentiaires, par une note du 23 septembre 1833, ont invoqué officiellement une déclaration faite par la conférence, et portant que le traité du 15 novembre était la base invariable de la séparation, de l’indépendance, de la nationalité et de l’état de possession territoriale de la Belgique.
Ainsi, messieurs, loin d’opposer quelqu’entrave à la continuation des négociations avec la Hollande pour amener l’exécution des 24 articles, le gouvernement belge, d’accord en cela avec les cinq grandes puissances, a voulu que la convention du 21mai ne fût qu’un retard dans la mise en vigueur du traité du 15 novembre, et il était à sa parfaite connaissance, qu’en ce qui concerne les stipulations territoriales, il ne devait y avoir de question en litige qu’entre la confédération germanique et les agnats de la maison de Nassau d’une part, et la Hollande d’autre part ; il savait que la Belgique à cet égard n’était plus en cause.
L’état provisoire consacrée par la convention du 21 mai se prolongea longtemps par le fait du roi Guillaume, qui ne pouvait se décider à souscrire définitivement à la renonciation de tout droit, à la plus belle moitié d’un royaume qu’il avait gouverné pendant quinze ans.
Mais, messieurs, ce retard a-t-il apporté aucun changement à la nature de la convention du 21 mai ? le gouvernement belge a-t-il fait pendant cet espace de temps une manifestation contraire à celle de son plénipotentiaire ? Nous n’en voyons nulle part aucune trace. Rien n’est donc venu nous délier de nos engagement vis-à-vis des puissances.
Cependant différentes circonstances durent, dans cet intervalle, éveiller l’attention de la Belgique et de son gouvernement.
Le 18 août 1836 la diète germanique prit une décision dans laquelle elle invoqua, en ce qui la concerne, l’exécution des articles 2, 4 et 5 du traité du 15 novembre, relatifs à ses droits sur les parties des territoires à céder.
Le 27 octobre suivant des tentatives furent faites par le roi Guillaume pour reprendre les négociations ; ce fut par des motifs puisés dans le traité du 15 novembre que lord Palmerston déclara ne pouvoir réunir la conférence et accéder au désire de S.M. néerlandaise.
A la suite de ces démarches et de la déclaration qui les a suivies, non seulement le gouvernement belge resta dans l’inaction, et aucune protestation n’intervint de sa part, soit pour décliner la validité des 24 articles, soit pour poser un délai après lequel il se considérerait comme délié de ses engagements en ce qui concerne les stipulations territoriales ; mais durant cet intervalle les discours d’ouverture de nos sessions parlementaires, en 1834 et en 1836, vinrent témoigner encore du respect du cabinet belge pour le traité du 15 novembre.
Votre position vis-à-vis des puissances avec lesquelles nous avions contracté, ne subit donc aucune modification.
Cependant le roi Guillaume, cédant à d’impérieuses nécessités fit annoncer officiellement, le 14 mars 1838, par son plénipotentiaire à Londres, qu’il adhérait au traité du 15 novembre 1831.
Il était trop tard alors pour décliner la force obligatoire du traité ; aucun doute ne fut d’ailleurs élevé à cet égard, ni à cette époque, ni lorsque, le 6 décembre suivant, les plénipotentiaires de quatre des cinq puissances signèrent un protocole qui renfermait des arrangements définitifs pour la conclusion de nos affaires.
La note du 15 janvier dernier, qui avait pour but d’obtenir le désistement de toute prétention sur les territoires du Limbourg et du Luxembourg, moyennant des compensations pécuniaires, était implicitement elle-même une nouvelle reconnaissance du traité du 15 novembre.
La transaction offerte ne fut pas accueillie, et le 22 janvier le protocole fut signé par le plénipotentiaire de la cinquième des grandes puissances représentées à la conférence.
Il est donc avéré que le gouvernement belge a toujours reconnu le traité du 15 novembre, que les puissances n’ont jamais pu cesser de nous considérer comme liés par ses stipulations, et qu’elles ont constamment suivi un même système de négociations, à la connaissance et avec l’assentiment formel ou tacite de notre cabinet. Contester aujourd’hui ce traité, c’est déclarer que pendant sept années nous nous sommes joués des cinq grandes puissances ; une telle conduite, messieurs, ne pourrait se justifier que par le droit du plus fort, et ce droit n’est pas de notre côté.
La conséquence évidente de tous les faits que je viens d’exposer c’est que nous sommes invinciblement amenés à la seule alternative de choisir entre le traité du 15 novembre et celui qui vient de notre être présente.
Nous ne sommes donc en réalité appelés à nous prononcer que sur les modifications apportées par la conférence, sur la demande de la Belgique, aux articles 9 et 13 du traité du 15 novembre.
Quant à toutes les autres stipulations, nous ne pouvons les rejeter sans nous mettre en hostilité flagrante avec les cinq puissances et en opposition avec les actes formels ou tacites de notre gouvernement depuis 1831 dans ses rapports avec la conférence de Londres.
Les modifications qui nous sont proposées et que la Belgique elle-même a réclamées se rapportent à la navigation de l’Escaut et au partage de la dette du royaume des Pays-Bas.
Ces modifications améliorent-elles les conditions du traité primitif ? Telle est la véritable question dont nous ayons à nous occuper, et à,l’égard de laquelle nous ne sommes pas engagés vis-à-vis de la conférence.
Examinons d’abord ce qui est relatif à la navigation de l’Escaut.
On a prétendu qu’aucun droit de péage n’était établi sur ce fleuve par l’article 9 du traite du 15 novembre.
On n’ignore pas cependant qu’au premier doute qui s’est élevé à cet égard, la conférence, auteur du traité, a déclaré que son intention formelle avait été de poser le principe de la perception d’un péage et d’adopter provisoirement les tarifs de la convention de Mayence.
Un examen attentif de l’article 9 du traité du 15 novembre, nous fait reconnaître en effet que la conférence n’a jamais voulu nous affranchir de tout péage.
Le premier paragraphe de cet article porte que les dispositions des articles 108 à 117 inclusivement , de l’acte général du congrès de Vienne, relatifs à la libre navigation des fleuves et rivières navigables seront appliquées aux fleuves et rivières navigables qui séparent ou traversent à la fois le territoire belge et le territoire hollandais.
Cette disposition est maintenue dans le nouveau traité.
La quatrième paragraphe établit qu’il sera formé un règlement général pour l’exécution des dispositions de cet article.
Le cinquième et dernier paragraphe stipule qu’en attendant le règlement général, la navigation des fleuves et rivières « mentionnés dans cet article » restera libre au commerce des deux pays qui adopteront provisoirement à cet égard les tarifs de la convention signée le 31 mars 1831, à Mayence, pour la libre navigation du Rhin.
Quelques efforts que nous ayons faits pour repousser tout droit de péage sur l’Escaut, je ne sais comment on pourrait établir avec quelque fondement que ce dernier paragraphe, qui ne consacre aucune exception, ne s’applique pas indistinctement à tous les fleuves et rivières navigables dont il est fait mention dans l’article, et par conséquent aussi à l’Escaut.
L’intention des auteurs du traité du 15 novembre sera plus manifeste encore, si l’on compare le texte, avec les notes remises sur cet objet à la conférence par notre plénipotentiaire, le 30 septembre et le 6 octobre 1831. On remarque, en effet, qu’en adoptant la plus grande partie des dispositions proposées par M. Van de Weyer, la conférence a eu soin d’en retrancher la clause que la navigation de l’Escaut, jusqu’à l’embouchure de ce fleuve, ne pourra sous aucun prétexte, être frappée d’autres droits que ceux qui étaient établis et perçus en 1814.
On s’aperçoit aussi que la conférence a rendu applicables à l’Escaut jusqu’à son embouchure, les articles 108 et 117 inclusivement de l’acte général du congrès de Vienne, relativement à la libre navigation des fleuves et rivières navigables, tandis que d’après la note du 6 octobre, ils n’auraient dû conserver que les eaux navigables qui mènent au Rhin
Il est à remarquer en outre que le principe de libre navigation proclamé par l’article 109 de l’acte du congrès de Vienne, n’exclut en aucune manière la perception d’un droit de péage ; l’existence d’un droit est au contraire supposé aux articles 110, 111 et 112 de ce traité ; seulement l’article 114 supprime tout droit d’étape, d’échelle et de relâche forcée.
L’article 117 renvoie, pour différents fleuves et entre autres pour l’Escaut, aux règlements particuliers joints à l’acte des traités du congrès de Vienne. Or, le premier des articles relatifs au Neckar, au Mein, à la Meuse et à l’Escaut, porte que la liberté de la navigation, « telle qu’elle est déterminée pour le Rhin », est étendue à la Meuse, à l’Escaut, etc., du point où chacune de ces rivières devient navigable jusqu’à son embouchure.
Le septième et dernier de ces articles établit, entre autres, que tout ce qui aurait besoin d’être fixé ultérieurement sur la navigation de l’Escaut, sera ultérieurement réglé de la manière la plus analogue à ce qui a été fixé pour le Rhin.
Or, messieurs, le principe de la quotité des droits à percevoir pour la navigation du Rhin, étant déterminé par l’article 3 du règement particulier relatif à ce fleuve, il en résulte que les auteurs du traité de Vienne ont autorisé la perception d’un droit analogue sur l’Escaut ; il est facile de comprendre pourquoi ce droit n’a pas été établi pendant la réunion de la Belgique à la Hollande : il était parfaitement inutile, puisque l’on n’arrivait par l’Escaut que dans le royaume des Pays-Bas, et que dès lors tout droit de péage eût formé double emploi avec les droits de douane, qu’un gouvernement a toujours la faculté de porter à tel taux qu’il juge convenable.
Ainsi, messieurs, le texte des 24 articles, les déclarations de la conférence, les négociations diplomatiques, et le traité de Vienne lui-même, concourent à prouver que le traité du 15 novembre soumettait formellement la navigation de l’Escaut à un droit de péage fixé provisoirement à plus de quatre florins par tonneau d’après les tarifs de la convention de Mayence.
Ce droit, malgré les vives réclamations du gouvernement hollandais, se trouvent réduits à 1 florin 50 cents dans le nouveau traité.
D’autres améliorations accessoires ont encore été apportées aux stipulations relatives à la navigation de l’Escaut.
Ainsi, en attendant un tarif définitif fixant le droit de pilotage, ce droit ne pourra être plus élevé que ceux qui ont été établis en 1827 pour les bouches de la Meuse, depuis la mer jusqu’à Helvoet, et depuis Helvoet jusqu’à Rotterdam, en proportion des distances.
Les navires ne seront assujettis à aucune visite en descendant ni en remontant l’Escaut.
Il nous est loisible d’établir dans tout le cours de ce fleuve et à son embouchure les services de pilotage que nous jugerons nécessaires.
Ainsi se trouve consacré notre droit de co-souveraineté sur l’Escaut.
Les navires arrivant de la pleine mer et venant d’endroits suspects, sous le rapport sanitaire, auront la faculté de continuer leur route sans entraves ni retards ; cette disposition est utile en ce qu’elle ôte tout prétexte de vexation.
Il est stipulé d’une manière précise quels navires se rendant d’Anvers à Terneuze, ou faisant dans le fleuve même le cabotage ou la pêche, ne seront assujettis à aucun droit.
Enfin, et cette disposition e st fort importante, il est ajouté : que si des événements naturels ou des travaux d’art venaient par la suite à rendre impraticables les voies de navigation indiquées, le gouvernement des Pays-Bas assignera à la navigation belge d’autres voies aussi sûres et aussi bonnes et commodes en remplacement desdites voies de navigation devenues impraticables.
D’un autre côté aucune concession n’a été faite à la Hollande, et nous avons, malgré les vives réclamations de son gouvernement, conservé le droit de pêche dans toute l’étendue du fleuve.
On ne doit pas non plus s’exagérer l’importance de la charge qui pourra résulter d’un péage : en prenant la moyenne de tonnage des navires venus de la mer par l’Escaut pendant les années les plus prospères de notre commerce maritime, et en opérant les déductions nécessaires pour les bateaux à vapeur du chef de l’espace occupé par la machine et par son approvisionnement, j’ai trouvé que le produit du droit fixe à 1 fl. 50 c. se serait élevé à environ 250,000 fl. annuellement.
Tout en déplorant que nous devions être assujettis à un droit de péage quelconque sur ce fleuve, nous ne faisons que rendre hommage à la vérité en convenant franchement que les conditions que renferme à cet égard le nouveau traité, sont moins onéreuses que celles auxquelles nous étions assujettis par les 24 articles.
La seconde modification apportée au traité des 24 articles est celle de la dette ; elle était fixée à une rente de 8,400,000 fl., et nous avions droit à la moitié de l’actif éventuel de la liquidation du syndicat ; toutefois la rente de 8,400,000 fl. devait être transcrite au 1er janvier 1832, dont avant cette liquidation.
Une étude approfondie et consciencieuse de la question de la dette a été faite, d’abord par un de nos honorables collègues qui, par ce travail a rendu un véritable service au pays, et ensuite par une commission dont il a fait partie.
Après avoir soumis à une sévère investigation chacun des éléments du chiffre de 8,400,000 florins la commission a prouvé à toute évidence :
Qu’un chiffre de 67,292,000 florins de dette active devait être réduit à 24,292,000 florins ;
Que les 110,000 d’obligations du syndicat ne constituaient pas une dette contractée pendant la communauté ;
Qu’un autre chiffre de 30,000,000 d’obligations ne pouvait en aucune manière concerner la Belgique ;
Que la dette austro-belge devait être réduite de 225 mille florins ;
Qu’un chiffre de 2 millions de rente qu’on prétendait provenir du grand-livre de la dette française était erroné, et ne pouvait pour aucune quotité être imposé à la Belgique.
Ces différentes réductions devaient ramener le chiffre de notre quote-part dans la dette à une somme de 2 millions 215 mille florins, à laquelle toutefois il fallait, d’après le traité des 24 articles, ajouter une rente de 600 mille florins qui nous état imposée par la conférence pour prix d’avantages de commerce et de navigation ; de sorte que le total de la dette à supporter par la Belgique, sauf la liquidation avec le syndicat, ne devait s’élever qu’à 2 millions 735 mille florins, d’après les principes mêmes admis par la conférence, principes dont l’application nous portait encore un grand préjudice, puisqu’on n’avait aucun égard, ni à l’amortissement de la dette hollandaise auquel nous avions concouru pour de fortes sommes, ni aux bâtiments de guerre construits pendant la réunion et qui ont été pour nous l’objet de charges annuelles fort considérables, ni enfin aux avantages coloniaux dont la Hollande seule restait en possession.
Cependant la conférence n’a admis qu’une partie de nos légitimes réclamations, et de plus, pour éviter toute contestation ultérieure, il paraît qu’elle a refusé d’entrer dans des explications officielles sur les éléments du chiffre total de la dette, réduite à 5 millions de florins ; chacun peut le décomposer d’après un système plus ou moins plausible, basé sur des probabilités ; mais il n’en est pas moins vrai qu’on ne possède aucune donnée positive à cet égard.
Toutefois, il nous est permis de croire que les chiffres indiqués dans le rapport des M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères, en date du 1er février, n’ont pas été posés arbitrairement, et que s’ils ne résultant pas d’une déclaration précise de la conférence, les négociations qui ont eu lieu donnent au moins de fortes présomptions que les éléments du chiffre de 5 millions de florins sont tels qu’ils sont rapportés dans la note officielle du 14 janvier dernier.
La décomposition de ce chiffre est autrement présentée dans une lettre livrée à la publicité par l’honorable député de Tournay, qui s’est occupé de la question de la dette, mais il reste vrai que sur ce point on ne peut former que des conjectures.
Dans son opinion, nous n’aurions obtenu aucune réduction, ni sur la dette austro-belge, ni sur la dette française, tandis que la note de M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères accuse de ces deux chefs une réduction de 1,225,000 florins de rente. D’un autre côté, l’honorable député ne comprend dans le chiffre de 5 millions aucune partie du passif du syndicat d’amortissement ; la note du ministre au contraire fait figurer de ce chef une dette de 1,185,000 florins.
Nous devons croire, messieurs, que c’est d’après des renseignements officieux et bien fondés que le gouvernement a présenté les détails du chiffre de la dette, et que, par conséquent, le passif du syndicat s’élevait à 2,370,000 florins.
Chacun de nous sait quel mystère couvrait les opérations du syndicat et combien il serait hasardeux de prétendre indiquer avec quelque certitude la situation financière de cet établissement. Il est toutefois à remarquer qu’en ce qui concerne la liquidation qui devait avoir lieu, aucun principe n’avait été posé par la conférence ; qu’ainsi nous n’aurions été admis à faire aucune distinction d’origine entre les différentes dettes qui constituent son passif, ou que du moins nous eussions trouvé dans cette liquidation une source de difficultés rendues inextricables par les entraves qui nous auraient été suscitées et qui eussent pu prolonger indéfiniment cette opération.
J’admets donc, en adoptant le chiffre indiqué par le gouvernement qu’après avoir reporté au profit du syndicat les 140 millions d’obligations comprises dans le chiffre global qui a servi de base à la dette de 8,400,000 florins, le passif de cet établissement eût été de 2,370,000 florins.
Si aucune modification n’eût été apportée à ce chiffre global, l’actif du syndicat, d’après les mêmes données, et y compris toutes les valeurs dont nous sommes actuellement en possession eût dû être de 3,630,000 florins, dont la moitié, 1,815,000 florins, eût été dévolue à la Belgique.
Mais nous aurions été obligés de rapporter au syndicat une valeur de 19 millions de francs, provenant, soit de biens vendus par le syndicat et restés au domaine par suite de déchéance, soit de recouvrements effectués ou à effectuer en numéraire sur le prix de vente des domaines, et en outre une somme de sept millions de francs recouvrés ou à recouvrir sur le fonds de l’industrie.
Ce capital de 26 millions de francs ou 12 millions 285 mille florins à 4 ½ p.c. forme une rente de 552,000 florins. Par la privation de cette somme le boni dont je viens de parler se serait trouvé dans la réalité pour nous à une rente de 1,263,000 florins.
La dette que nous aurions supportée en définitive d’après les 24 articles, eût été par conséquent de 7,137,000 florins.
Elle est réduite par le nouveau traité à 5,000,000.
La différence est de 2 millions 137 mille florins, ou 4 millions 522 mille francs de rente ; il doit être entendu en outre, que par suite de la suppression de toute liquidation, nous restons en possession de l’intégralité du boni de l’encaisse du caissier général au 30 septembre 1830, dont la moitié, 5 millions 500 mille francs, eût dû être remboursée à la Hollande. Ce capital forme encore une rente de 247 mille francs qui réduit la dette que nous avons à supporter, d’après le nouveau traité, à 4 millions 769 mille francs au-dessous de celle qui nous avait été imposée par les 24 articles.
Les arrérages d’un autre côté s’élèvent à 105,733,000 fr. donnant 4 ½ p.c. une rente annuelle de 4,758,000 fr.
Ainsi, messieurs, nous obtenons en définitive un dégrèvement d’une dette annuelle de 9,52,000 fr.
Liés que nous sommes vis-à-vis des cinq puissances signataires du traité du 15 novembre, nous ne pouvons, sans méconnaître nos intérêts, rejeter les modifications favorables que renferme celui qui nous est présenté.
Quant à moi, messieurs, je suis en outre déterminé par la conviction que la résistance doit surtout devenir fatale aux populations que nous voudrions défendre ; elles ont pour elles la garantie des traités ; que les territoires deviennent un vaste champ de bataille, ainsi que le conseillent d’imprudents amis, le sacrifice peut-être sera retardé de quelques mois ; mais il faudra toujours succomber sous le nombre. Alors ces populations décimées et en proie à la misère seront livrées à la vengeance d’un maître irrité.
Telle serait, messieurs, le résultat inévitable d’une résistance inconsidérée. Tout nous fait donc une loi de nous résigner à la plus douloureuse comme à la plus impérieuse des nécessités.
M. Corneli – Messieurs, dans des circonstances malheureuses, en 1831, la Belgique a donné son assentiment aux bases du traité qu’on prétend vous imposer aujourd’hui.
Je ne rechercherai point si alors vous avez cédé à un funeste entraînement ou à l’impérieuse nécessité, et si par l’acceptation vous avez garanti l’existence politique de la Belgique d’une ruine imminente, ou l’avez précipitée dans la fausse route qu’elle a suivie depuis. J’aime à croire que la seule pensée de conservation a guidé la majorité qui a donné son adhésion au traité du 15 novembre 1831.
Mais si les circonstances étaient alors telles qu’il fallait se soumettre, bien des changements se sont opérés dans notre situation politique et dans l’opinion générale du pays.
Si l’on avait mis le traité à exécution en 1831 ou du moins avant toutes les démonstrations des conseils communaux et provinciaux, les populations frappées par les fatales stipulations se seraient soumises, certes non sans regrets amers, mais avec calme, à ce que l’on avait, à tort ou à raison, déclaré être une impérieuse nécessité.
Depuis que la nullité et l’injustice du traité ont été mises au grand jour, depuis que les écrits lumineux d’hommes distingués par leur patriotisme ont fait connaître à la Belgique ses droits et sa position, surtout que ces écrits ont été répandu dans le pays cédé principalement, les paroles graves d’un de nos magistrats jurisconsulte du premier mérite et dans les lumières duquel nos populations avaient grande confiance, qui en parlant des avantages de la légalité avait parfaitement démontré que l’inexécution et les circonstances avaient fait perdre toute force obligatoire au traité des 24 articles ; les paroles solennelles du discours du trône et de notre adresse, ont ajouté une puissance nouvelle à tout ce qui avait été dit. C’est alors qu’un enthousiasme sans pareil s’est emparé du pays : ayons confiance dans notre gouvernent, disait-on de toute part, il nous défendra avec courage ; le ministre des affaires étrangères lui-même ne reconnaît plus le traité de 1831, il ne négociera un nouveau en harmonie avec notre situation, il encourage nos démonstrations, ayons confiance en lui. On s’attendait donc à le voir agir conformément à la politique qu’il annonçait, et à le voir proposer des bases d’un traité conforme à notre honneur et à nos droits, on croyait qu’il présenterait à la conférence cet ultimatum derrière lequel la Belgique se serait, comme le lui disait notre adresse, tenue serrée autour du trône, pour attendre les événements. On attendait surtout qu’il imprimerait aux négociations le caractère d’indépendance et de nationalité qui devaient faire comprendre à la conférence ce que nous voulions et ce que nous étions résolus de faire.
Qu’a fait le ministre ? Nous étions assez confiants pour croire que la négociation porterait principalement sur la question territoriale. On eut soin de nous cacher les pièces diplomatiques pour nous en laisser aux conjectures. Toutefois, nous apprenons quelque chose là-dessus dans le discours de l’un de nos ministres, quand il dit : La Belgique a dit en quelque sorte aux populations du Limbourg et du Luxembourg : J’essaierai de vous défendre, mais sans me condamner au suicide ; je prévois des obstacles tellement insurmontables que peut-être je pourrais m’abstenir de tenter de les surmonter. M. le ministre ne dit point où et dans quelles circonstances le gouvernement a donné pareil avertissement ; mais dans un autre passage de son discours, il dit : Le gouvernement a reconnu que les modifications au territoire étaient irrévocables ; mais il fallait obtenir d’autres modifications. On en a obtenu de notables. Ce passage m’explique tout : il m’a dit pourquoi on a laissé exalter les populations, pourquoi on les a laissé contribuer à toutes les charges extraordinaires, et comment et pourquoi il a fallu leur inspirer de vaines espérances.
Mais, d’après les paroles du discours que je viens de citer, on croirait que le gouvernement a essayé de faire des efforts pour conserver le Limbourg et le Luxembourg, on l’assure même assez positivement. Mais jusqu’à présent, rien ne m’oblige d’ajouter foi à ces assertions.
Si je n’en juge que d’après les rapports qu’on nous a présentés, il a fait peu de chose, peut-être même le contraire de ce qu’on devait faire. Il s’est, pour ainsi dire, effacé dans les négociations, s’est placé sous le patronage intéressé de la France, et s’est plus ou moins aliéné l’Allemagne en se fiant probablement à la providence de la gestion de nos affaires. Il a négligé de faire connaître les besoins et les sympathies du pays, à tel point qu’un ministre anglais qui cependant avait assisté aux réunions de la conférence,a cru pouvoir dire au parlement qu’il n’était point convaincu de l’intérêt que les populations dont le traité des 24 articles disposait, pouvaient avoir de rester unies à la Belgique.
Ce seul fait m’en apprend assez, je puis en conclure au reste. Il m’est permis d’ajouter foi aux autres paroles de lord Palmerston. Que c’est pour répondre aux vifs désirs des diplomates belges que le premier morcellement du territoire a été opéré et une partie de la province de Limbourg substituée à une partie de celle du Luxembourg. M. le ministre des affaires étrangères, il est vrai, en répondant à l’honorable M. Pollénus, qui, pour soutenir la même opinion, s’appuyait sur le contenu d’une note du roi de Hollande annexée au protocole n°63, a dit : je puis déclarer que non. La chose peut être vraie, mais encore une fois rien ne m ’oblige à le croire, surtout si je fais attention à la note de la diète germanique du 18 août 1836. Et entre ces deux assertions contradictoires, j’ajouterai foi au ministre anglais qui assistait aux réunions de la conférence, et je croirai que ces complications avec la diète germanique sont le résultat des désirs du gouvernement belge, et que c’est pour ne point faire comprendre la fausseté de la démarche qu’on a si mal interpréter les sentiments des habitants du pays cédé.
Quoi qu’il en soit, le gouvernement belge devait s’opposer à une pareille transaction qui autorisait, en quelque sorte, le morcellement futur de tout le pays, j’espère que M. le ministre satisfera à cet égard aux sommations de plusieurs de nos collègues et s’expliquera catégoriquement.
Si notre système politique avait été aussi bien exposé et défendu qu’on nous l’a annoncé au début de la session, certes il y a tout lieu de croire que notre cause si juste, dont le triomphe intéresse l’humanité entière, n’aurait point été perdue, car la conférence de Londres, qui avait la haute mission de reconstituer l’équilibre européen sur des bases solides et durables, n’aurait point mis les intérêts et surtout les sympathies de 350,000 habitants hors cause, car l’expérience avait constaté que la diplomatie ne les méconnaît jamais impunément. Cette conférence avait avant tout en vue de refaire l’œuvre du congrès de Vienne sur une autre base, il est vrai, mais avec le même but. Certes elle aurait admis que la Belgique devait être forte et indépendante, et surtout contente, constituée avec des principes, un ordre de choses tout à fait en dehors de toute puissance hostile ou considérée comme opposée à l’Europe, telle enfin qu’à Vienne on avait cru l’avoir constituée. Mais il fallait pour cela prouver à la conférence que la Belgique pouvait exister par elle-même, qu’elle avait une nationalité véritable, que placée à côté de la Hollande, elle pouvait remplir le but que les grandes puissances lui avaient assigné en l’unissant à ce royaume. Il fallait vous montrer forts par vous-mêmes et non par la protection d’une autre puissance, et j’en appelle à vos souvenirs : le congrès n’a-t-il pas, parce qu’il était fort de sa constitution, obtenu les 18 articles, et parce que la Belgique n’a point su se défendre par elle-même en 1831, ne lui a-t-on pas retiré la garde des forteresses élevées contre la France ? car si je dois croire les organes de l’opinion publique en Allemagne, ce n’est nullement pour satisfaire la France qu’on avait décidé la démolition des forteresses, mais seulement parce que l’on croyait la Belgique trop faible pour les défendre convenablement.
Si aujourd’hui vous vous montrez faibles, vous perdrez à jamais toute considération en Allemagne, peut-être vous contenterez la France, qui, selon moi, doit se réjouir de votre faiblesse. Les puissances sont intervenues dans nos différends avec la Hollande pour maintenir la paix ; et certes pour y parvenir, et surtout pour l’établir durable, une condition première était de ne point humilier les nations, de ne point attaquer les principales bases de leur existence politique. Si vous aviez prouvé à la conférence que vous étiez vraiment résolus à faire ce que notre adresse vous commandait de faire, et que vous pouviez vous suffire à vous-mêmes en dehors du patronage d’une nation hostile à la plupart des puissances européennes, vous auriez eu de meilleures conditions ; car l’Allemagne veut que vous ne soyez point Français, mais elle n’exige point que vous soyez Allemands, elle veut que vous soyez Belges, si je dois croire les organes de l’opinion publique qui, comme on sait, sont toujours en Allemagne d’accord avec la diplomatie et ceux qui la dirigent.
Jusqu’ici, prétendent-ils, vous êtes Wallons, Flamands, Liégeois : mais nous doutons que vous soyez Belges ; vous prouverez que vous êtes vraiment Belgique, que des liens nationaux véritables existent en cherchant chez vous le véritable appui, en nous montrant que vous êtes vraiment constitués en état social, que vous formez un tout basé sur l’attachement réciproque des populations. Notre adresse a pu faire croire un instant à un tel état d’ordre et d’esprit unanime, et sous ce rapport elle était un document remarquable. Mais, sans doute, nos ministres ont eu soin de faire dire leur pensée à la conférence et de faire présenter cette adresse comme une vaine parade de patriotisme ; surtout il m’est permis de croire que nos ministres en ont agi ainsi depuis que j’ai entendu M. le ministre des affaires étrangères s’applaudir de nombreuses pétitions qui appuient ce qu’il appelle son système, et qui, selon moi, sont la preuve manifeste du refus de mutuel secours entre les diverses provinces, le signe manifeste de la décadence de votre nationalité.
C’est selon moi parce que le gouvernement a laissé douter la conférence d’une alliance pareille entre vos populations que vous vous trouvez en présence d’un traité qui ne satisfait aucune des parties, qui ne sera considéré que comme un assez mauvais replâtrage du système politique européen et qui après tout n’est point le résultat d’une négociation régulière, mais d’une intrigue diplomatique. Nos ministres ont cru pouvoir faire deux choses impossibles à la fois, ils ont voulu laisser subsister les traités et laisser détruire la tendance, le but de ces mêmes traités, constituer la Belgique en état indépendant et cependant la laisser sous la tutelle de la France.
Voilà pourquoi tout a été essayé et pourquoi tout a échoué ; c’est donc, à mon avis parce que nos intérêts ont été mal défendus, que nous sommes en présence de ce fatal projet. Si maintenant vous croyez vous trouver, ce que je suis cependant loin d’admettre, sous l’impérieuse nécessité d’adhérer à ce projet, et que vous lui donniez votre sanction, j’ai du moins la consolation de pouvoir dire à mes commettants que ce n’est point à la nation belge, mais à ceux qui ont mal mené nos affaires que nous devons notre malheur. J’en appelle à tous les orateurs, même au discours tout éloquent de l’honorable M. Devaux. Comme je me trouve frappé dans ma nationalité par ce traité, je ne puis peut-être point considérer notre position avec tout le calme et le sang-froid nécessaire pour me prononcer convenablement, mais je ne partage point les craintes sur notre position qu’on semble vouloir nous inspirer ; vous avez d’ailleurs entendu des voix plus compétentes. Il y a toutefois une assertion qui me paraît peu fondée ; c’est que si vous n’acceptez point vous aurez la guerre, la guerre et tous ses maux : chose effrayante, et que pour mon compte, je le déclare franchement, je voudrais éviter à tout prix. Mais on devrait du moins nous dire contre qui. Le rapport de M. le ministre des affaires étrangères semble nous dire que c’est avec l’Allemagne, car il nous parle d’armements qui se préparent avec l’assentiment de la conférence. Mais quoi qu’il en dise je ne le croirai jamais. Non point que je croie, comme je l’ai lu et entendu soutenir, que la confédération germanique n’oserait point ; car je connais trop bien les forces des puissances qui composent cette confédération. Mais parce que je me fais une autre idée de la politique prudente de ces puissances qui comprennent trop bien leur intérêt et le but que l’Europe attend de la nation belge pour s’aliéner à jamais, par une attaque violente, l’esprit des populations qui, d’après les intentions des diplomates de Vienne et de Londres, doivent former un gage constant, par leur indépendance, de paix européenne.
(Erratum, Moniteur du 10 mars 1839 : ) Que la confédération germanique vous ferait la guerre pour détruire des principes de propagande révolutionnaire ou d’envahissement sur ses principes et sa puissance, ou qui attaqueraient les garanties de sécurité que nous lui devons ; cela pouvait être, je l’admets : mais pour soumettre quelque lambeau de province à telle ou telle puissance, sans profit pour ses principes ou son indépendance, jamais je ne le croirais, encore moins comme je crois l’avoir entendu soutenir, pour nous faire entre dans la confédération germanique ; à coup sûr nous n’y serions qu’un embarras.
Aussi, ce qui est dit dans le rapport du ministre, me semble n’être qu’une excuse basée sur des renseignements inexacts que lord Palmerston est en partie chargé de rectifier. L’Allemagne, comme je l’ai dit, attend un trop grand résultat de votre avenir politique, comme barrière pour elle contre l’esprit d’envahissement d’une autre puissance qui dans certaines données pourrait peut-être vouloir votre anéantissement, pour que la nécessité de vous détruire pût entrer dans son système politique, surtout depuis qu’une solennelle décision a reconnu l’impossibilité de refaire complètement l’œuvre du congrès de Vienne, à moins toutefois qu’il ne fût prouvé que vous ne serez à jamais qu’une avant-garde française, ce que, Dieu merci, on n’est pas tout à fait obligé de croire.
L’Allemagne, dit-on est intéressée à avoir une forte ligne sur la Meuse. Je n’ai jusqu’ici vu cette idée nulle part, surtout si je comprends bien la note dont j’ai parlé plus haut, de la confédération germanique du 18 août 1836, car il me paraît résulter que c’est la Belgique qui lui a donné la ligne de la Meuse, sans qu’elle l’eût réclamé ; mais aujourd’hui je comprends très bien qu’elle cherche à conserver ce qu’elle a, surtout tant que la Belgique ne lui donner point dans son système politique et dans sa nationalité de grandes preuves d’indépendance véritable et de force, émancipée de toute influence étrangère. Mais quand, par un gouvernement vraiment libre, fort et indépendant, vous ferez sentir à l’Allemagne qu’elle peut s’appuyer sur votre sagesse et esprit d’ordre, certes elle vous abandonnera la garde de la Meuse, car l’Allemagne ne cherche point les garanties de son indépendance politique dans des fortes lignes de défense, mais dans son unité de principes et d’intérêt ; car elle se rappelle que ce ne sont point ces forteresses mais bien son esprit national qui a fait chasser les ennemis de son territoire lorsqu’elle eut fait un appel à ses enfants au nom de son indépendance et de ses droits méconnus.
Si vous aviez eu des hommes près de la conférence capables de faire comprendre votre situation et vos droits, vous auriez obtenu, du moins c’est mon opinion, un meilleur résultat des négociations. Et certes de tels hommes ne manquent point en Belgique, au lieu de cela, vous avez envoyé, si je dois croire tout ce qui se dit des hommes qui méconnaissaient la sainteté de notre cause, qui, même avant leur départ, regardait notre cause comme perdue et qui, loin d’attendre quelque chose des négociations dont ils étaient chargés, attendaient votre futur agrandissement, l’accomplissement de vos destinées, d’un esprit de conquête ou de propagande révolutionnaire ; car je ne saurais imaginer un autre moyen de faire retourner les Limbourgeois et Luxembourgeois à l’unité belge qu’on nous prédit, et au-delà. Je vous demande, messieurs, si des hommes avec de pareilles idées pouvaient comme négociateurs exercer une grande influence et donner des idées justes de votre sagesse et de votre esprit social, à des diplomates hautement intéressés à comprimer toutes les tendances de propagande et d’envahissement ; heureusement cependant ces idées de troubles et de révolutions futures n’existent que dans l’imagination malade de leur auteur. Pour mon compte et pour les populations que j’ai l’honneur de représenter, je désavoue hautement de pareilles insinuations perfides. Nous désirons vivre en paix et en liberté ; nous l’avons prouvé avant 1830, mais nulle part moins que chez nous il n’y a d’esprit de propagande et désordre. Nous comprenons que pour être libre il faut que les lois civiles et sociales règnent et triomphent avant tout. Nous laissons la responsabilité à qui doit la supporter. Nous nous soumettons à la force de la loi et à la nécessité européenne. Je partage d’ailleurs la position et les sentiments que mon honorable ami M. Beerenbroeck vous a présentés avec tant de conviction, je dirai d’éloquente vérité.
Mais qu’il me permette de me trouver en désaccord avec lui sur un seul point, nous serions, a-t-il dit, vos plus grands ennemis. Nous, messieurs, ennemis de cette Belgique avec laquelle nous sommes unis depuis la glorieuse bataille de Woeringen, 5 juin 1288, avec laquelle nous avons vécu sous Marie-Thérèse, dont nous avons partagé les jours de bonheur et de malheur, (erratum, Moniteur du 10 mars 1839 : ) jamais ! Nous dirons à nos populations que ce n’est point la Belgique mais le ministère, qui est leur plus cruel ennemi.
Si maintenant comme résultat final des fautes du gouvernement, il m’était prouvé, je le déclare hautement, que du refus d’autoriser le roi d’accepter le traité des 24 articles devait naître la guerre générale, que je crois cependant avoir prouvé être impossible, ou la ruine future de la Belgique, et qu’elle doive transiger avec les principes et la constitution territoriale pour remplir ce suprême devoir de sa propre conservation, je m’abstiendrais de toute participation au vote.
Ce n’est cependant point sur des hypothèses, des suppositions et des raisonnements que je veux former ma conviction, mais sur les pièces qui ont servi à former l’opinion du ministère même ; je voterai de toutes mes forces contre le projet.
Je termine en renouvelant l’interpellation que j’ai motivée plus haut sur les négociations qui ont amené la substitution du Limbourg au Luxembourg. Si le gouvernement persiste à dire que le désir de ces échanges ne provient point de sa part, que M. de Theux produise les pièces qui constatent qu’on a combattu le projet d’échange, s’il a été présenté d’autre part.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – A entendre certains orateurs, il semblerait que l’échange d’une partie du Limbourg contre une partie du Luxembourg serait le fait des négociations de 1838. Je dois rappeler à leur mémoire le traité du 15 novembre 1831. C’est dans la discussion de ce traité, négocié par l’un de mes prédécesseurs, qu’on aurait dû demander des explications sur cet échange ; toutefois, je suis à même de les donner.
L’échange a été proposé non par le gouvernement belge mais par la conférence elle-même, afin d’établir la contiguïté du territoire dans le Limbourg avec la place de Maestricht. Il y avait encore un autre but : celui de couvrir la frontière de France par la partie wallonne du Luxembourg. Cet arrangement résolvait aussi la question d’enclave dans le Limbourg. Dans la discussion des 18 articles, on a prétendu que l’intégrité du Limbourg était assurée à la Belgique, mais telle n’a pas été la pensée de la conférence : elle a cru que la Hollande pourrait réclamer une partie des anciennes enclaves.
On vient encore se prévaloir d’une note émanée de la diète, le 18 août 1836, mais le sens de cette note n’a pas été compris par le préopinant. Cette note n’a pas pour objet de remettre en question le principe d’un échange, ce principe étant admis par la diète aussi bien que pour la conférence. Ce qu’on réserve dans cette note, c’est le droit de la diète sur cette partie du Limbourg, sauf à régler ce qui doit être incorporé à la Hollande à titre d’enclave.
Dans la négociation de 1838, le gouvernement ne pouvait pas proposer d’abandonner le Luxembourg wallon pour récupérer le Limbourg et il eût d’ailleurs été inutile de faire une semblable démarche.
M. Corneli – Ce n’est pas des explications que je demande mais des pièces, tant que je n’aurai pas de pièces, je ne croirai rien.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Il serait difficile de fournir des pièces. La seule que nous ayons c’est la proposition du traité qui nous a été faite par la conférence. Cet échange a été arrêté d’une manière tellement subtile dans la conférence que le gouvernement n’a pas eu le temps de s’y opposer.
- La séance est levée à 4 heures et demie.
La discussion est renvoyée à demain.