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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 3 avril 1838

(Moniteur belge n°94, du 4 avril 1838)

(Présidence de M. Fallon.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à 1 heure.

M. Lejeune donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.

Projet de loi modifiant le tarif des douanes en ce qui concerne les tabacs

Rapport de la section centrale

M. Mercier présente, au nom d’une section centrale, le rapport sur le projet de loi relatif aux droits d’entrée sur les tabacs.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Mast de Vries dépose un rapport sur plusieurs demandes en naturalisation.

M. Milcamps dépose aussi un rapport sur plusieurs demandes en naturalisation.

Projet de loi ouvrant des crédits au département de l'intérieur, pour secours et traitements à des ecclésiastiques

Rapport de la commission

M. Lejeune, au nom d’une commission spéciale, dépose un rapport sur le projet relatif à un crédit supplémentaire demandé pour le département de l’intérieur.

M. Andries. - S’il était possible, je voudrais que la chambre s’occupât prochainement du projet de loi concernant les crédits demandés pour les créances arriérées de 1830 et 1831. Ces créances ont été reconnues justes par la commission chargée de leur examen ; il est de la dignité nationale de ne pas se montrer mauvais payeur. Le projet ne peut donner lieu à aucune discussion ; on pourra s’en rapporter à l’avis de la commission. Je demanderai que la chambre veuille mettre à l’ordre du jour, après les pensions militaires, les créances arriérées de 1830 et 1831 ; ce sera l’affaire d’un quart d’heure.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi sur les pensions militaires

Discussion générale

M. le président. - Dans une des séances précédentes, M. le ministre de la guerre s’est réuni à l’ensemble du projet présenté par la section centrale, sauf quelques amendements qu’il présentera.

La discussion générale est ouverte.

M. Desmaisières. - Messieurs, lors de la discussion du budget de 1837, un libelle, dont le but évident était une espèce de 18 brumaire moral (si le mot moral peut être prononcé en cette occurrence), dont la tendance évidente était de placer la chambre sous le coup d’une accusation aussi grave que peu méritée vis-à-vis de l’armée ; un libelle publié par la presse qui s’adresse quotidiennement à l’armée, et qui, ailleurs qu’en Belgique où il suffit du bon sens du peuple et de l’armée pour en faire justice, aurait pu peut-être amener la réalisation des coupables projets de son auteur, fut lancé dans le public la veille du jour même fixé pour le commencement de la discussion du budget.

Je n’aurais alors, comme vous tous, messieurs, répondu à ce libelle que par le silence du mépris ; mais quelques-unes des allégations erronées de ce libelle trouvèrent malheureusement place dans des discours qui furent prononcés dans cette enceinte, et dès lors je crus qu’en ma qualité de rapporteur de la section centrale, de procureur délégué pour soutenir les opinions des sections de la chambre, j’avais une tâche honorable à remplir, et heureusement je n’eus qu’à vous faire passer sous les yeux, sous ceux de la nation et de l’armée, qui ne doit jamais en être séparée, le tableau exact et fidèle des diverses discussions et votes des budgets du département de la guerre, depuis l’époque où l’on avait cherché à incriminer vos sentiments envers l’armée pour renverser de fond en comble, pour réduire au néant tout cet échafaudage d’accusations mal fondées lancées contre la chambre, et pour démontrer à tout le monde, si ce n’est peut-être à quelques personnes habituées à vivre d’abus, combien avait toujours été grande la sollicitude de la chambre pour les vrais intérêts des braves défenseurs de la patrie.

(Addendum inséré au Moniteur belge n°95, du 5 avril 1837) Messieurs, ce que ce libelle a tenté alors contre toute la chambre vient d’être tenté hier par un journal contre la section centrale et son rapporteur, à l’occasion du projet de loi sur les pensions militaires dont, par une bienveillance et par une marque d’estime et de confiance, vous avez ajourné la discussion à aujourd’hui, afin que je puisse y assister.

Ici, messieurs, la rumeur publique attribue la propriété du journal en question à un membre du cabinet, et désigne certaine personne attachée au département de la guerre comme prenant part à sa rédaction.

J’espère, je suis certain même, j’en ai pour garant leur loyauté reconnue, que c’est à leur insu que cet article a paru ; mais en présence de ces bruits publics, j’ai cru ne point pouvoir me dispenser de repousser de toutes mes forces ces reproches aussi graves que mensongers faits à la section centrale et particulièrement au rapporteur. Avant même que je connusse l’article dont j’entends parler (n’ayant trouvé chez moi qu’à mon retour de la séance, le journal qu’y avait déposé un honorable ami, membre de cette chambre), j’ai assisté hier à la séance de la commission, où l’honorable M. de Puydt a donné lecture de son rapport, et là, en présence de M. le ministre de la guerre, j’ai cru devoir faire connaître à la commission ce qu’un sentiment de délicatesse, que vous apprécierez tous, messieurs, m’a empêché de consigner dans mon rapport ; j’ai fait voir comment il se fait que j’ai à joindre mon vote approbatif aux résolutions prises, en mon absence, samedi dernier par ladite commission.

Les membres de cette chambre qui ont fait partie souvent de sections centrales et de commissions savent bien que quelquefois, à raison de ce que tous les membres ne sont pas présents lors de l’examen des projets de loi avant la nomination du rapporteur, il se trouve que lors de la lecture du rapport la majorité change. Et c’est ce qui est arrivé pour les pensions militaires, et c’est ce que, je le répète, mû en cela par un sentiment de délicatesse que tous vous apprécierez, messieurs, je n’ai pas voulu consigner dans mon rapport, au risque de me voir taxé de m’être opposé en qualité de délégué de la sixième section, tandis que je représente au contraire la quatrième section, aux conditions d’ancienneté de service et à l’élévation du taux des pensions proposées par le ministère, et au risque de me voir prêter des opinions tout à fait opposées à celles que j’ai soutenues dans le sein de la section centrale comme membre de la majorité du second vote lors de la lecture de mon rapport.

Maintenant, messieurs, je suis loin de prétendre que l’opinion de la majorité, qui d’ailleurs a prouvé par les nombreuses améliorations qu’elle a introduites dans le projet de loi, combien sa haute sollicitude pour les intérêts de notre brave armée luttait dans son esprit contre la crainte de trop surcharger les contribuables ; je suis loin de prétendre que l’opinion de la majorité n’est pas soutenable en elle-même ; je la crois même tellement fondée en principe, que ce n’est qu’une considération de fait qui m’a empêché de m’y rallier. Je m’expliquerai lors de la discussion des articles.

Je me bornerai seulement à justifier de nouveau, quant à présent, le retard que la chambre m’accuse d’avoir mis dans l’examen du projet de loi d’un aussi haut intérêt pour notre armée.

Ce retard, messieurs, se justifie assez par ce haut intérêt lui- même, qui exigeait un long et mûr examen, devenu possible lorsque la chambre a décidé, peu de mois après la présentation du projet définitif du ministère, qu’en attendant que ce projet fût converti en loi, l’arrêté-loi de 1814 pouvait et devait être appliqué aux militaires admis à la retraite.

C’est probablement par les mêmes motifs que l’honorable ministre de la guerre n’a demandé la mise en discussion du projet qu’un an après la présentation du rapport.

Personne ne demandant la parole sur l’ensemble de la loi, la chambre passe à la discussion des articles.

Discussion des articles

Titre I. Droits à la pension de retraite pour ancienneté de service

Article premier

« Art. 1er (proposé par la section centrale). Les militaires de toute arme et de tout grade ont droit à une pension de retraite après la durée du temps réglé pour l’obtenir, pourvu qu’ils soient reconnus hors d’état de continuer à servir. »

L’amendement suivant est présenté par M. le ministre de la guerre :

« Les militaires de tout grade et de toute arme ont droit à une pension de retraite, après quarante années de service, y compris les campagnes de guerre. »

La commission spéciale propose d’ajouter à cet amendement le paragraphe suivant :

« Néanmoins ils ne pourront exiger leur mise à la retraite qu’après avoir atteint en outre l’âge de 55 ans accomplis. »

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je reconnais que la commission spéciale a apporté des améliorations sensibles au projet ; toutefois je dois dire que je vois avec regret la restriction qu’elle a apportée à l’article premier que j’ai présenté ; cet article devait être conservé dans son entier. L’amendement avait pour objet d’établir que le droit à une pension résultait d’une certaine durée de service ; la commission spéciale n’a pas admis ce principe puisqu’à côté d’une certaine durée de service elle a placé une condition d’âge. Je suis convaincu que dans le plus grand nombre des cas la condition d’âge sera remplie ; cependant il pourrait arriver que dans quelques cas particuliers la condition d’âge n’existât pas en même temps que celle du nombre d’années de service, et je voudrais voir consacrer dans la loi qu’un homme qui a consacré quarante ans de sa vie au service militaire, a le droit de se livrer au repos, s’il croit que le repos lui est nécessaire.

La section centrale a reconnu qu’il ne fallait pas trop retarder le temps où les officiers supérieurs pourraient être admis à la pension ; d’un autre côté, cependant elle a paru craindre que le temps de service étant diminué, un grand nombre de militaires voulussent quitter trop tôt la carrière, et dans un âge où ils seraient encore capables de rendre de bons services : ce danger me paraît très peu à craindre ; je crois que très peu d’officiers demanderont leur retraite et voudront vivre de leur pension. D’après le tarif présenté par le gouvernement, la différence est grande entre le traitement de retraite et celui d’activité ; il faudra qu’un homme ait des raisons graves pour qu’il consente à apporter des changements si grands dans sa manière de vivre ; et le nombre de ceux qui voudront profiter de cet avantage sera très restreint. On doit reconnaître en outre que vouloir forcer des hommes à rester dans l’armée, c’est s’exposer à les voir ne pas rendre de bons services.

Dans tous les pays, c’est un droit absolu que l’on reconnaît aux militaires de tous grades de pouvoir se retirer, après un certain temps, du service. En France, ce droit existe après 30 ans de service effectif pour tous les fonctionnaires. Si les fonctionnaires civils ont cette faculté, elle doit à plus forte raison exister dans une carrière qui use promptement les hommes.

Je demanderais donc que la chambre voulût reconnaître que tout homme a droit de prendre congé, de prendre la retraite après 40 ans de services, campagnes comprises.

M. Mast de Vries. - Je pense que vous devez admettre l’amendement de la commission spéciale. Elle a été guidée par plusieurs raisons pour exiger 55 années d’âge.

La section centrale avait posé 50 années de service ; le ministre de la guerre a réclamé avec justice, parce que les officiers auraient pu avoir 70 ans ; mais en admettant 40 ans, campagnes comprises, les officiers pourraient être retraités à 50 ans.

Par l’article 14 de la loi, vous autorisez l’officier à cumuler sa pension de retraite avec le traitement d’un emploi civil, à condition qu’il ait 55 ans d’âge ; vous voyez donc que la disposition présentée par la commission spéciale est dans l’intérêt du militaire, parce qu’à 55 ans on peut s’occuper encore de beaucoup de choses.

Le chiffre de 55 ans a été posé par le gouvernement lui-même, car il a demandé à être autorisé à mettre à la retraite les militaires ayant cet âge, même quand ils ne la demanderaient pas.

Par ces considérations je persiste dans l’amendement que j’ai proposé dans le sein de la commission spéciale.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - L’honorable membre n’a répondu à aucune des objections que j’ai présentées. Il me dit qu’à 55 ans on peut changer de carrière ; je lui ferai observer que cela est très difficile, mais surtout pour les militaires, par ce que, ainsi que je l’ai déjà dit, le service militaire use promptement les hommes. Le nombre des militaires capables de remplir des emplois civils sera donc très restreint.

Ce fait-là est susceptible d’être vérifié par tout le monde, et par conséquent il répond par lui-même aux craintes que l’honorable préopinant a manifestées.

L’honorable préopinant dit que le gouvernement a demandé l’autorisation de mettre à la retraite à 55 d’âge. Ce fait n’est pas exact, la proposition en a été faite par la section centrale. Mais ici il y a une grande différence, la proposition n’est nullement dans l’intérêt des officiers. C’est l’intérêt du service qui fait désirer qu’à un certain âge, lorsqu’un homme n’est plus propre à remplir un service actif, le gouvernement ait le droit de donner la pension.

M. Desmaisières. - Messieurs, lorsque la section centrale a proposé de restreindre le droit de tout militaire à l’obtention d’une pension de retraite, quand il y a un certain nombre d’années de service ; de le restreindre, dis-je, à ce qu’il fût reconnu hors d’état de continuer à servir, elle a considéré cette restriction comme un principe tout à fait conservateur de la bonne organisation de l’armée ; et dès lors je m’étonne que M. le ministre de la guerre s’oppose aussi formellement à ce que ce principe soit inscrit dans la loi.

Si la section centrale a proposé de dire, dans l’article premier, que, pour avoir droit à la pension de retraite, le militaire doit être reconnu hors d’état de continuer à servir, c’est qu’elle a trouvé que, dans l’arrêté de 1814, cette restriction est établie d’une manière encore plus rigoureuse.

Et ici, je vous prierai de remarquer, messieurs, que loin d’avoir aggravé la position des officiers, la section centrale l’a au contraire améliorée, relativement à l’arrêté de 1814.

L’article 2 de cet arrêté porte une exception en faveur des militaires qui, par suite d’indisposition ou d’infirmités contractées par des causes indépendantes de leur volonté, se trouveront dans l’impossibilité de continuer le service actif, « même dans une compagnie sédentaire. »

Voilà ce que la section centrale n’a pas voulu vous proposer. Elle a cru qu’il suffisait que le militaire fût reconnu hors d’état de continuer à servir dans l’armée de ligne, pour qu’il ait droit à la pension ; et qu’il ne devait pas être obligé probablement à faire partie d’une compagnie sédentaire.

Maintenant, la commission chargée d’examiner les amendements de M. le ministre de la guerre a modifié la proposition de la section centrale, en ce sens qu’au lieu d’exiger que les militaires, pour avoir droit à la pension, soient reconnus hors d’état de servir dans l’armée active, elle exige simplement qu’ils remplissent la condition de 55 ans d’âge ; cela est un nouvel adoucissement porté aux prescriptions de l’arrêté de 1814. Et pour le dire en passant, j’ai eu l’honneur de faire voir hier à la commission que lors de la discussion du projet de loi dans la section centrale, j’avais aussi professé l’opinion qu’il valait mieux prescrire la condition des 55 ans d’âge que celle d’être reconnu hors d’état de servir.

Maintenant M. le ministre de la guerre vous dit : Mais il y aura peu d’officiers qui demanderont leur retraite avant qu’ils aient atteint 55 ans d’âge, lorsqu’ils pourront encore rendre des services actifs. Il est évident en effet que leur position dans le service actif est beaucoup plus brillante sous le rapport pécuniaire que ne le serait leur position de pensionnaire.

Mais, messieurs, comme je l’ai déjà dit, cette clause me paraît pouvoir être insérée dans la loi, parce qu’elle est un principe conservaient de la bonne organisation de l’armée. Si réellement l’expérience prouve qu’il y a peu d’officiers qui demandent leur pension avant d’avoir atteint l’âge de 55 ans, eh bien cette clause dont l’on propose l’insertion dans la loi, présentera d’autant moins d’inconvénient dans son exécution, que M. le ministre de la guerre n’aura que très peu de refus à faire.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Il me semble que la dernière réflexion de l’honorable préopinant n’est pas juste. Il est au moins inutile d’écrire dans la loi une condition onéreuse à l’armée, si cette condition ne doit jamais être appliquée.

Quant à l’opinion du même orateur que ce principe est conservateur de la bonne organisation de l’armée, j’avoue que je ne suis pas frappé de sa justesse. Je ne vois pas comment l’obligation qui en résulterait pour quelques-uns des officiers de rester 4 ou 5 ans de plus au service, pourrait garantir la bonne organisation de l’armée. Il est un fait, je ne dirai pas un principe ; c’est que dans le service militaire, il ne faut pas qu’on serve avec dégoût.

M. Desmaisières a dit que les dispositions proposées par la section centrale sont plus avantageuses à l’armée que l’arrêté de 1814. Ce qui a influé sur la plupart de mes amendements, c’est le désir de faire en sorte que l’armée ne perde rien par la nouvelle législation. Or, je suis d’avis que la condition des 55 ans d’âge serait une aggravation de la position actuelle de l’armée, quant aux pensions. Pour s’en convaincre, la chambre n’a qu’à examiner l’article 2 de la loi que l’honorable préopinant a citée.

Le premier paragraphe de cet article accorde le droit absolu à la pension pour ancienneté, après 40 ans de service, campagnes comprises : c’est ce que j’ai demandé. Le paragraphe suivant, relatif à la mise à la retraite pour cause d’incapacité, ne s’applique qu’aux cas où les 40 ans de service, campagnes comprises, n’existent pas. C’est une disposition analogue à celle qui est proposée dans l’article 3 du projet en discussion.

M. Verhaegen. - Je partage tout à fait l’opinion du ministre, et je voterai dans son sens. Mais la rédaction une paraît équivoque. On dit : « Les militaires de tout grade et de toute arme ont droit une pension de retraite après 40 années de services, y compris les campagnes de guerre. »

Qu’entend-on par ces derniers mots ? Ne faut-il pas mettre l’article en rapport avec l’article 15 qui statue que tout le temps du service des militaires aux armées mises sur le pied de guerre sera compté double dans le règlement de leurs années de service. Je ne sais pas si la rédaction de l’article en discussion comporte réellement cette idée.

On dit : « après 40 ans de service y compris les campagnes de guerre. » Il me paraît inutile d’ajouter ces derniers mots, puisque l’article 16 porte que le temps du service aux armées sur pied de guerre sera compté double ; l’article 15 sert de complément à l’article premier.

Il est quelquefois dangereux d’ajouter à une disposition une chose inutile, parce qu’on pourrait lui donner un sens autre que celui qu’elle doit comporter. Je m’explique en deux mots : d’après l’article premier, il faut 40 années de service ; voilà un principe ; l’article 15 en consacre un autre : celui du calcul au double du temps du service aux armées sur pied de guerre. Or, en disant dans l’article premier : « Après 40 années de service, y compris les campagnes de guerre,» on peut donner lieu à des équivoques.

M. de Jaegher. - Je pense que le doute où se trouve M. Verhaegen serait levé, s’il se rendait compte de ce qu’on entend par campagne de guerre, et des avantages qu’elle procure. Une campagne de guerre a le privilège de faire compter double l’année de service dans laquelle elle a eu lieu. Cette définition une fois admise, il me semble que lorsqu’on dit : autant d’années de service, y compris les campagnes de guerre, cela doit s’entendre de cette manière, que les années de service effectif seront comptées, plus encore autant d’années de service qu’il y a eu de campagnes ; c’est-à-dire, en d’autres termes, qu’un militaire qui aura 30 années de service effectif, pendant lesquelles il comptera 10 campagnes, aura 40 années de service. Voilà comment je comprends la loi, et je pense que sous ce rapport il ne conviendrait pas de retrancher la disposition.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, je ne vois pas que l’interprétation défavorable à l’armée que paraît redouter l’honorable M. Verhaegen puisse avoir lieu. Je dois reconnaître cependant qu’il est assez peu utile que l’on conserve les mots dont l’honorable membre voudrait la suppression. Je le répète toutefois, il n’y a aucun inconvénient à les laisser.

M. Verhaegen. - Je n’ai fait mon observation que dans l’intérêt de la chose même. Je me rallie, du reste, entièrement à l’opinion de M. le ministre. Toutefois il me semble qu’en maintenant dans l’article en discussion les mots « y compris les campagnes de guerre, » on restreint la portée de l’article au lieu de l’étendre. Il y a d’autres hypothèses dans l’article 15, que l’on semble exclure dans l’article Je trouve donc qu’il vaudrait mieux retrancher l’expression dont il s’agit ; j’en fais la proposition.

M. Dubus (aîné). - Je voudrais m’assurer que je saisis bien le sous-amendement de la section centrale. Je pense que, d’après ce sous-amendement, les officiers ne peuvent exiger leur mise en retraite qu’après avoir atteint l’âge de 55 ans. Mais il en résulte aussi qu’avant qu’ils aient atteint cet âge, et lorsque les officiers ont 40 années de service, ils peuvent demander leur mise à la retraite. Le gouvernement n’est juge de leurs motifs que dans ce cas ; mais il se présente alors une question tout individuelle. D’une part, il peut arriver, il arrivera (je l’admets) qu’il y aura des motifs l’équité pour accorder la mise à la retraite avait l’âge de 55 ans accomplis ; mais il peut arriver d’un autre côté, que ces officiers se trouvent encore en état de rendre des services, et que l’Etat ait encore besoin d’eux ; dans ce cas la section centrale veut que le gouvernement, juste appréciateur dans cette question individuelle, puisse refuser la mise à la retraite, lorsque l’officier n’a pas 55 ans de service. Il me semble que M. le ministre ne devrait pas s’opposer autant qu’il le fait à la proposition que la section centrale nous soumet à cet égard, car il doit admettre avec moi que le gouvernement est, en général, bon juge en ces matières, et dès lors la disposition dont il s’agit ne peut en aucune façon aggraver la position des officiers, seulement elle garantirait l’intérêt de l’Etat. Quant à moi, quand le cas où le gouvernement devrait refuser la mise à la retraite, ne se présenterait qu’une fois sur cent demandes, j’y verrais encore un motif suffisant pour admettre le sous-amendement de la section centrale.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, chez les nations essentiellement militaires, on a admis le principe qu’une certaine durée de service donne aux militaires des droits absolus à la retraite, et l’expérience a démontré qu’il ne résulte de là aucun inconvénient ; en effet, il est excessivement rare qu’un homme soit absolument nécessaire ; un homme n’est pas unique dans sa position, et on trouvera toujours l’équivalent de celui qu’on voudra laisser jouir d’un avantage qu’on a partout regardé comme équitable ; je crois d’un autre côté que l’intérêt des individus n’est jamais aussi bien garanti quand on laisse au gouvernement le soin de statuer sur leur sort que quand on écrit à cet égard des dispositions formelles dans la loi même. Un militaire peut, ce me semble, désirer du repos quand il a servi pendant 40 ans y compris ou d’utilité publique pour refuser à l’armée belge un avantage qui s’accorde partout. Je le répète, c’est dans l’intérêt de l’armée que je demande le maintien de ma proposition, afin que les militaires ne soient pas traités moins bien que la législation nouvelle que par la législation ancienne, qui établissait le droit absolu sans laisser au gouvernement la faculté de le restreindre.

- Le sous-amendement de la commission est mis aux voix et adopté.

L’amendement de M. Verhaegen est également mis aux voix et adopté.

L’article premier avec ces amendements est ensuite mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2 (proposé par la section centrale). Le temps fixé pour avoir droit à une pension de retraite est de 30 années de service effectif, ou de 50 années pour les officiers, de 40 années pour les sous-officiers, caporaux, brigadiers et soldats, les campagnes de guerre compris. »

« Art. 2 (proposé comme amendement par M. le ministre de la guerre). Le Roi a la faculté de mettre à la faculté de mettre à la pension de retraite, les militaires qui comptent 30 années de service effectif, et qui sont reconnus hors d’état de continuer à servir. »

M. Gendebien. - Il est excessivement fâcheux, messieurs, qu’à la fin d’une session beaucoup trop longue, nous soyons appelés du jour au lendemain à discuter une loi aussi importante, qui a été déposée sur le bureau de la chambre il y a 4 ou 5 ans, et dont beaucoup de membres n’ont pas seulement pu se procurer le projet primitif ; quant à moi, je déclare, non seulement que je n’ai pas lu le projet ni les rapports, mais que je n’ai pas même pu les retrouver ; je viens, à l’instant, de recevoir le premier rapport, et je suis encore à me demander quel est le mécanisme de la loi. Je ne sais si je me trompe, mais je ne comprends pas l’analogie qu’il peut y avoir entre l’article 2 du projet de la section centrale, qui nous a été présenté au mois d’avril de l’année dernière, et l’article amendé par M. le ministre de la guerre.

L’article 2 de la section centrale porte :

« Art. 2. Le temps fixé pour avoir droit à une pension de retraite est de 30 années de service effectif, ou de 50 années pour les officiers, de 40 années pour les sous-officiers, caporaux, brigadiers et soldats, les campagnes de guerre compris. »

L’article 2 de M. le ministre de la guerre est ainsi conçu :

« Art. 2. Le Roi a la faculté de mettre à la faculté de mettre à la pension de retraite, les militaires qui comptent 30 années de service effectif, et qui sont reconnus hors d’état de continuer à servir. »

Vous le voyez, messieurs, d’un côté c’est un droit qu’on accorde aux officiers ; et d’un autre côté c’est une faculté qu’on laisse au gouvernement ; c’est-à-dire que le projet de M. le ministre, tout en voulant accorder un droit aux officiers, donne au Roi la faculté de les mettre à la retraite sans leur demande et malgré eux. Je crains que si une telle disposition était adoptée, on n’en fît ce qu’on a fait en France après la campagne de 1815, où tous les partis se sont successivement emparés de la loi sur la retraite pour écarter les hommes qui offusquaient les hommes avec lesquels les « revenants » (on sait qu’il y a toujours des revenants, même de nos jours) ne pouvaient pas soutenir la comparaison. Je vois dans cette disposition une source d’abus dangereux. Il est possible que je me trompe, mais je demande qu’on me donne des apaisements à cet égard ; car je le répète, ce n’est que samedi dernier que le nouveau projet nous a été révélé, et j’ai seulement reçu tout à l’heure le rapport improvisé de la commission : elle-même vous dit qu’elle n’a pu l’examiner que très sommairement ; dans cet état de choses, je ne puis voter une disposition qui, à la première vue, me paraît tout à fait en opposition avec le but qu’on semble se proposer.

Je ne sais pas si d’autres membres se trouvent dans la même position que moi, mais je n’ai pas même reçu de convocation pour la séance d’aujourd’hui, et si quelqu’un n’était pas venu me voir à une heure et demie, au moment où j’allais sortir pour me promener, croyant qu’il n’y avait pas séance, je ne serais pas venu ; au milieu de toutes ces circonstances, il est fort difficile, pour moi au moins, il est très dangereux pour tous, de discuter une loi dont dépend tout l’avenir de nos plus braves militaires ; je ne pourrai voter sur l’article qui nous occupe, sans avoir reçu des explications satisfaisantes de M. le ministre de la guerre.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je pense que l’honorable M. Gendebien sera satisfait des explications que je vais lui donner. Je lui ferai d’abord remarquer que l’article 3 du projet de la section centrale est ainsi conçu :

« Le gouvernement a la faculté de mettre à la pension de retraite les militaires qui ont atteint les années de service indiquées à l’article précédent.

« Il peut aussi mettre à la retraite les militaires qui ont atteint l’âge de 55 ans accomplis.

« Dans ce dernier cas la pension sera proportionnée au nombre d’années de service. »

C’est là précisément ce que stipule l’article 2 des amendements que j’ai présentés à la chambre, seulement j’ai restreint la disposition dans des termes moins absolus. L’économie de la partie de la loi qui a pour objet de déterminer les droits à la pension résultant du temps de service, se trouve dans les articles 1, 2 et 3 du projet de la section centrale : le premier de ces articles établit, d’une manière absolue, qu’il résulte des droits à la retraite de la durée du service, pourvu qu’elle soit accompagnée de l’incapacité de continuer ce service, le deuxième fixe le temps nécessaire pour donner ces droits ; le troisième accorde au gouvernement la faculté de mettre d’office à la retraite les militaires qui ont acquis ces mêmes droits.

Eh bien, messieurs, le système que j’ai substitué à celui de la section centrale est celui-ci : par l’article premier je détermine les cas dans lesquels le droit à la pension existe d’une manière absolue ; je regrette de n’avoir pas été soutenu par l’honorable M. Gendebien lorsque je défendais cet article, que je ne suis pas parvenu à faire adopter tel que je l’avais proposé ; il a dû voir que j’abondais dans son sens ; dans l’article premier, j’établissais les droits des militaires ; dans l’article 2 j’établis les droits que par son article 3, la section centrale proposait d’accorder au gouvernement, en restreignant la faculté de mettre les militaires à la retraite aux cas où ils ont 30 années de service effectif.

Je fais remarquer que ce que la commission spéciale a bien voulu faire sur ma demande, c’est d’admettre le droit à la retraite après 40 ans de service au lieu de 50 ans et d’effacer la condition qu’il fallait incapacité de service, dont le gouvernement était juge, pour y substituer la condition moins onéreuse d’avoir atteint l’âge de 55 ans.

Quant à la distribution tardive du rapport, c’est un fait dont je ne suis pas responsable. Il y a huit jours, je crois, que la loi sur les pensions militaires a été mise à l’ordre du jour. Je n’étais pas présente quand la chambre a pris cette décision, et jeudi, quand on ne s’est pas trouvé en mesure de commencer la discussion, la chambre a nommé une commission spéciale pour prendre connaissance des changements que je proposais au projet de la section centrale et pour fournir à la chambre les moyens de continuer ses délibérations.

M. Gendebien. - Je dois d’abord répondre à une espèce de reproche que m’a fait M. le ministre de la guerre de ne lui être pas venu en aide pour repousser l’amendement proposé à l’article premier. Il y avait pour cela une bonne raison, c’est que je ne comprenais pas, à tel point qu’à la première épreuve je me suis abstenu. Mais à la seconde épreuve, je me suis levé pour appuyer le ministre. Il me reproche de ne pas l’avoir secondé par la parole. Je ne pouvais pas l’appuyer de ma parole, car pendant la première épreuve, je priais M. le rapporteur de m’exprimer le mécanisme du projet, ou plutôt des trois ou quatre projets qui se croisent et se heurtent. Je ne pouvais pas prendre la parole pour soutenir une proposition que je ne comprenais pas.

Quant aux observations que j’ai faites, on n’y a pas répondu. Si, comme le dit le ministre, le gouvernement ne veut pouvoir mettre à la pension de retraite que les militaires comptant 30 années de service effectif, et qui se trouveraient réellement hors d’état de continuer à servir, il ne peut s’opposer à mon amendement ; or, je propose d’ajouter que ce soit sur la demande de l’officier. Par ce moyen, on évitera les abus qu’on a signalés en France et qu’on y signale encore tous les jours ; car on applique encore en France arbitrairement les dispositions d’une loi de la restauration pour mettre à la pension de retraite des généraux, des officiers supérieurs et de tous grades qui déplaisent. A chaque instant la chambre des députés de France reçoit des réclamations de la part d’officiers généraux qui se plaignent d’avoir été mis à la pension de retraite contre leur gré, et alors qu’ils pouvaient encore rendre de longs et bons services.

L’article, tel qu’il est rédigé, ne présente aucune garantie contre cet abus ; cette garantie existera quand il sera dit que c’est sur leur demande que les officiers seront mis à la retraite.

L’article 2 porte : « Le Roi a la faculté de mettre à la pension de retraite les militaires qui comptent 30 années de service effectif, et qui sont reconnus hors d’état de continuer à servir. »

Ce sera le gouvernement qui reconnaîtra si les militaires sont hors d’état de continuer à servir. Dans la loi française, c’est la même chose. Un officier mis à la retraite a beau réclamer et dire qu’il est encore en état de continuer à servir, on ne l’écoute pas. L’arbitraire est poussé si loin que nous voyons, à chaque instant, le conseil d’Etat de France saisi de contestations pour règlement de pensions sans pouvoir faire respecter la loi contre la jurisprudence ministérielle. Je voyais encore hier au Moniteur français une décision du conseil d’Etat en faveur d’un ancien militaire qui, en 1815, était lieutenant, et il fut mis, sous la restauration, à la pension de retraite en cette qualité.

Lors des événements de juillet 1830, il concouru au renversement de Charles X et fut remis en activité avec le grade de capitaine et envoyé aux colonies. Là il contracta des infirmités qui l’obligèrent à demander sa retraite. On la lui donna, mais on ne voulut l’admettre qu’à la pension de lieutenant, ne tenant aucun compte du grade de capitaine qu’il avait occupé depuis la révolution ; le conseil d’Etat dut intervenir, et donna gain de gain au réclamant. Il rendit plusieurs décisions favorables à grand nombre de militaires, et malgré cela, le ministre de la guerre ne continue pas moins à refuser de faire droit à des réclamations analogues, et à refuser arbitrairement ce que le conseil d’Etat a reconnu être dû.

Si un officier n’a pas des amis parmi les avocats au conseil d’Etat, qui se chargent de faire les démarches nécessaires et de défendre ses droits gratis, il ne peut pas obtenir justice.

Ce qui se passe en France se passera à plus forte raison en Belgique, puisqu’il n’y a pas de recours contre les décisions des ministres. C’est d’ailleurs toujours le même esprit qui préside dans tous les gouvernements à la conduite qu’on tient envers l’armée. Quand on a besoin d’une armée, on fait tout ce qu’on peut pour flatter les citoyens, les attirer dans ses rangs, et les pousser sur les champs de bataille ; mais quand on croit qu’on n’a plus besoin de leurs services, quand on croit que d’autres, dans des circonstances données, pourront rendre plus de services, ou un autre genre de services, on écarte les premiers, et on use pour cela, ou plutôt on abuse, de tous les moyens qu’on a à sa disposition. C’est ainsi qu’on abusera de la disposition dont il s’agit, du moins je le crains beaucoup, pour faire en Belgique ce qu’on a fait en France sous la restauration, et ce qu’on veut faire encore aujourd’hui.

Si le ministre de la guerre veut sincèrement, comme il le dit, agir dans l’intérêt de l’armée, qu’il ajoute à l’article 2 que la mise à la pension n’aura lieu que du consentement de l’officier. Sans cela on mettra à la retraite un officier du moment qu’il déplaira au ministère. On le privera ainsi de son grade et des avantages qu’il ara obtenus pour prix de plusieurs campagnes, dans lesquelles il aura versé son sang pour son pays.

Je demande qu’on ajoute à l’article 2 que les militaires, dans les cas qui y sont mentionnés, ne pourront être mis à la retraite que de leur consentement.

M. de Jaegher. - Je demande la parole pour prier M. le ministre de la guerre de me donner quelques explications à l’égard d’une catégorie d’officiers, concernant lesquels je ne vois aucune disposition dans le projet de loi qui nous occupe. Après la révolution, appel fut fait aux militaires belges servant dans l’armée hollandaise pour les inviter à revenir dans le pays. Un grand nombre d’entre eux servaient dans les Indes. Ces officiers se sont successivement, à des époques plus ou moins rapprochées, rendus à l’invitation qui leur était faite en rentrant au service de la Belgique, après avoir donné leur démission du service hollandais.

Vous savez que le service militaire aux Indes, pour ce qui regarde la liquidation de la pension, est régie par des dispositions particulières : après 20 années de service dans l’Inde, on obtenait la pension qui n’était accordée dans l’armée d’Europe qu’après 40 années de service. Je désire savoir si M. le ministre de la guerre a compris ces officiers dans une disposition spéciale pour les années de service passées aux Indes. Il est un grand nombre d’officiers de notre armée qui ont servi pendant un certain nombre d’années dans l’armée des Indes. Il en est aussi qui y ont été envoyés en 1826, pour une expédition extraordinaire dont le terme était limité à 3 ans. Je pense que ces militaires, comme ceux dont j’ai parlé avant, doivent faire l’objet d’une catégorie spéciale.

M. Desmaisières. - J’avais demandé la parole, parce que je croyais que l’honorable M. Gendebien m’avait demandé, en qualité de rapporteur de la section centrale, des explications sur l’économie du projet en discussion. J’ai renoncé ensuite à la parole, parce que, d’après les observations du ministre de la guerre, il m’a paru que c’était au rapporteur de la commission spéciale que M. Gendebien voulait faire allusion.

M. Gendebien trouvera à la page 83 de mon rapport le projet du gouvernement et celui de la section centrale, en regard l’un de l’autre, article par article ; seulement ces numéros ne concordent pas, parce que la section centrale ayant trouvé la division du gouvernement défectueuse, l’a entièrement refondue. Je crois que M. le ministre de la guerre s’est rallié à cette nouvelle division. Il est donc plus simple, maintenant, de suivre pour la discussion l’ordre du projet de la section centrale. Les articles 2 et 3 de ce projet correspondent aux articles 6, 7 et 8 du projet du gouvernement et aux articles 2 et 3 des amendements du ministre de la guerre.

La section centrale, en acquiesçant à la demande du projet ministériel d’accorder au Roi la faculté de mettre à la pension de retraite les militaires ayant 30 années de service effectif, ne s’est pas dissimulé que cela pouvait donner lieu quelquefois à des abus. C’est pour cela qu’elle a proposé le nouvel article 27 de son projet qui se trouve page 38 de mon rapport, où il est dit : « Les pensions de toute nature sont accordées par un arrêté royal précisant les motifs pour lesquels elles ont été données. Ces arrêtés sont insérés textuellement au Bulletin officiel. » La section centrale a pensé que cette disposition présentait toute garantie quant aux abus qui pouvaient résulter de la faculté accordée au gouvernement de mettre à la pension de retraite les officiers qui comptent 30 années de service effectif et qui sont reconnus hors d’état de continuer à servir. Cependant, quant à moi, je ne m’opposerai pas à ce que la garantie supplémentaire, demandée par M. Gendebien, soit admise par la chambre.

M. le président. - Voici comment M. Gendebien propose de rédiger l’article 2 :

« Le Roi a la faculté de mettre à la pension de retraite, sur leur demande, les militaires qui comptent trente années de service, etc. »

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je suis heureux d’avoir eu occasion de défendre les intérêts de l’armée autant que cela était en mon pouvoir, car je ne puis pas appuyer l’amendement proposé par l’honorable M. Gendebien .

Je crois que la garantie qu’il réclame se trouve jusqu’à certain point dans ces trente années de service effectif exigées par l’article 2 ; cela suppose environ 50 ans d’âge. On peut admettre que, soit par maladie, soit par affaiblissement des facultés intellectuelles, un homme à cet âge ne soit plus capable de servir. Il est rare qu’on se rende justice quand il s’agit de se condamner à une position différente de celle qu’on occupe. Personne ne demande à être mis à la pension de retraite.

Cependant il pourrait y avoir de graves inconvénients à laisser dans l’armée des officiers d’un rang élevé qui seraient incapables de remplir leurs fonctions. Il en résulterait le plus grand préjudice pour le service comme pour l’esprit de l’armée. Il est convenable que quand un homme ne peut plus servir, on puisse le mettre à la pension. Quand on demande la faculté de prendre une mesure semblable avec les hommes qui ont trente années de service effectif, il me semble qu’on ne doit pas supposer qu’on veuille en faire abus. Il est vrai que c’est le gouvernement qui est juge de l’aptitude. Il n’y a pas possibilité de faire autrement. S’il en peut résulter quelques abus, il y en aurait de plus grands encore à laisser dans l’armée le principe d’inertie et de mort, ce qui arriverait si le gouvernement n’en écartait les hommes qui ne sont plus en état de servir. L’article 2 tel qu’il est doit donc être maintenu. C’est dans l’intérêt même de l’armée que je le demande.

J’aurai maintenant quelques mots à répondre à l’honorable M. de Jaegher . L’article 23 du projet de la section centrale réserve les droits des officiers qui ont servi dans l’armée hollandaise, quant à l’époque à laquelle ils auraient déclaré vouloir servir dans l’armée belge. Il supprime l’inconvénient résultant de leur éloignement. L’article 33 réserve tous les droits acquis avant 1831 aux officiers qui ont servi dans les Indes. Je pense que l’honorable membre se trouvera satisfait sur cette disposition et ne persistera pas à demander qu’il en soit inséré une spéciale.

M. Dumortier. - Je pense avec mon honorable ami M. Gendebien que l’article 2 doit être supprimé ou considérablement modifié. Il s’agit de donner des garanties aux officiers qui servent dans l’arme belge. Vous exigez qu’ils ne puissent demander leur retraite qu’après 40 ans de service et quand ils ont 55 ans d’âge, et vous voulez qu’on puisse la leur donner lorsqu’ils n’ont que 30 années de service.

Le service militaire est un contrat synallagmatique entre le gouvernement et l’officier ; de même que le gouvernement a le droit d’exiger que l’officier serve 40 ans et ait atteint 55 ans d’âge pour avoir droit à sa retraite, de même l’officier doit avoir le droit de rester au service jusqu’à ce qu’il ait 40 ans de service et soit âgé de 55 ans.

En vain m’objectera-t-on l’impossibilité où se trouverait un officier de continuer à servir. Cela ne doit pas vous toucher. Car un officier dans cette position, un officier dont les facultés physiques et morales seraient affaiblies comme le suppose le ministre de la guerre ne pourrait pas continuer le service de place ou le service de garnison, ou ce qui est plus fatigant, le service de campagne. Il devrait alors demander à être mis à la retraite. C’est le cas de l’amendement de M. Gendebien. Si, au contraire, l’officier à cet âge peut continuer son service, pourquoi voulez-vous le mettre dans une position exceptionnelle ? Si M. le ministre de la guerre veut sincèrement l’intérêt de l’armée, s’il veut être favorable aux officiers, il ne doit pas demander qu’on les mette dans une position exceptionnelle. Car il ne fera jamais croire à personne qu’une mesure exceptionnelle de cette nature peut être favorable à ceux qui en sont l’objet.

Je le répète, le service militaire est un contrat synallagmatique entre le gouvernement et ceux qui composent l’armée. Le gouvernement ne peut pas avoir le droit de les mettre à la retraite avait l’époque à laquelle ils peuvent demander à y être mis. Il est vrai qu’il s’agit ici du cas où ils seraient reconnus hors d’état de continuer à servir. Mais quel sera le juge de l’incapacité ? Celui-là même qui aura intérêt à mettre tel ou tel officier à la retraite. Ainsi, un colonel qui aura 30 années de service sera mis de côté précisément parce qu’il aura pris part à la révolution. Je ne veux pas donner la main à de pareilles choses. Si l’amendement de M. Gendebien n’est pas admis, je voterai contre l’article entier.

M. Lebeau. - Je voudrais une explication. M. le ministre vient de dire que les 30 années dont il est question dans l’article 2 sont non compris les campagnes. Cette explication me semble contraire à celle qui a été donnée à l’article premier, car on a dit que l’expression 40 années de service comprenait les campagnes. Il doit en être de même ici, à moins que le mot effectif n’implique l’exclusion des campagnes.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Précisément.

M. F. de Mérode. - Quand on parle de mesures favorables à l’armée, on entend à l’armée prise dans son ensemble. S’il s’agissait seulement des intérêts des individus qui appartiennent à l’armée, il serait possible que le système de M. Dumortier serait préférable, mais nous ne devons nous occuper que de l’intérêt de l’ensemble de l’armée, parce que l’intérêt de l’ensemble de l’armée est en même temps l’intérêt du pays.

Si un officier pouvait rester dans l’armée quand ses services ne sont plus utiles au pays, sans doute il serait très favorisé ; il serait très agréable pour lui de rester bon gré mal gré au service. Mais si cela est contraire à l’intérêt du pays, vous devez donner au gouvernement le droit de mettre cet officier à la pension.

Personne ne s’avoue que l’âge a affaibli ses facultés. On ne se rend pas justice. Je connais des hommes qui se croient encore très aptes à remplir des fonctions, et qui cependant ne le sont pas.

Quant à la crainte manifestée par l’honorable préopinant de voir écarter les officiers qui ont pris part à la révolution, elle n’est pas fondée ; car, dans 12 ou 15 ans que la loi que nous faisons sera mise à exécution, la révolution grandissant de jour en jour dans l’esprit public, il sera difficile d’attaquer les hommes qui y auront pris une part spéciale.

M. Gendebien. - L’honorable rapporteur de la section centrale avait cité l’article 27 comme pouvant présenter une garantie suffisante coure l’abus qu’on pourrait faire de l’article. 2. Mais il a senti et il n’a pas tardé à convenir que cette garantie n’était pas suffisante, puisqu’il m’a fait l’honneur d’appuyer mon amendement. En effet, cet article 27 ne signifie rien. La seule garantie que donne cet article, c’est que les arrêtés seront motivés et insérés au Bulletin officiel ; or, nous savons quelle est la valeur des motifs d’un arrêté. Quand il a été question de la décoration de l’ordre civil arrachée à la chambre malgré la constitution, on a offert comme garantie contre les abus possibles la condition que les arrêtés conférant la décoration seraient motivés. Eh bien, quels sont les motifs qu’on donne, quand on confère la décoration de l’ordre civil qui est déjà un abus en elle-même devant le texte de la constitution ? « Pour services rendus. » Quand il s’agira de mettre à la retraite un officier malgré lui, on se servira d’un motif aussi banal.

Je ne vois pas pourquoi les ministres prendraient plus de peine pour motiver une mise à la retraite, qu’ils n’en prennent pour motiver un arrêté conférant une décoration d’abord repoussée par la majorité de la chambre, et qui n’a été admise après tout que par vous savez quel tour de passe-passe. Pardonnez-moi l’expression.

Cette décoration ayant été rejetée énergiquement par la chambre comme par la constitution, c’était une raison puissante pour les ministres d’être très circonspects dans leurs choix et surtout de les bien motiver ; mais on ne s’est jamais donné cette peine. Il en sera à plus forte raison de même pour les arrêter de mise à la retraite.

Quel inconvénient signale-t-on pour repousser l’amendement que je propose et que je considère comme la seule garantie contre les abus auxquels peut donner lieu l’article 2 tel qu’il est conçu ? On n’en signale aucun. Mais on veut pouvoir faire en Belgique ce qu’on fait en France ; voilà le seul inconvénient de mn amendement. Il faut en Belgique les mêmes dispositions qu’en France ; parce que le gouvernement belge ne vaut pas mieux que le gouvernement français ; tous les gouvernements se ressemblent.

Le ministre de la guerre vous a dit que, si ma proposition était admise, on ne pourrait jamais mettre à la retraite, après 30 ans de service, un officier qui serait hors d’état de continuer à servir, parce que chacun désire conserver sa position, que personne ne conviendrait de ses infirmités ; que par conséquent il y aurait impossibilité d’appliquer la mesure.

C’est là une erreur grave ; je ne sais pas comment le ministre a pu la commettre. Quand un officier sera dans l’impossibilité de faire son service par suite de maladie chronique qui ne lui laissera plus d’espoir de remplir activement et utilement ses fonctions, je compte assez sur l’honneur des officiers belges pour penser qu’il demandera lui-même sa retraite. Mais en supposant que nos officiers n’aient pas cette délicatesse, supposition que je repousse de toutes mes forces, si, dis-je, des officiers n’avaient pas, comme le suppose le ministre, la délicatesse de demander à être mis à la retraite quand ils ne sont plus capables de faire leur service, leurs chefs sont là pour exiger qu’ils remplissent leurs devoirs et pour les punir s’ils ne le font pas. Si les punitions s’accumulent, vous êtes armés d’une loi qui vous donne le droit de les mettre en disponibilité, en non-activité, et même en traitement de réforme. Vous avez toutes les armes nécessaires contre le mauvais vouloir, s’il y a mauvais vouloir, ou entêtement de la part d’un officier qui doit légalement être mis à la retraite, ces lois suffisent, un nouvel élément d’arbitraire et inutile.

Le remède que je propose est une garantie contre les abus, et ne peut présenter aucun des inconvénients signalés par le ministre de la guerre.

On vous a dit, messieurs, que quand on s’occupait des intérêts de l’armée, il fallait s’occuper de l’ensemble de l’armée. De l’ensemble de l’armée ! Je le veux bien. Mais qu’est-ce qui compose l’ensemble de l’armée ? Ce sont toutes les individualités qui en font partie ; et croyez-vous que vous ne manquez pas à toute l’armée quand vous mettez en doute les droits des officiers de tous grades, quand vous soumettrez chacun d’eux aux caprices ministériels ? Mais vous attaquez l’ensemble de l’armée en mettant en péril la position de chacun des membres qui la composent. Vous y jetez la défiance et des germes dangereux de dissolution.

Ainsi je prie M. de Mérode de remarquer que s’il veut satisfaire les besoins de l’ensemble de l’armée, il doit satisfaire les besoins des individus qui la composent ; et le premier besoin de tous, c’est la justice, c’est un abri contre l’arbitraire.

Quant aux officiers de la révolution, dont on a fait mention, je n’avais pas cru devoir en faire une catégorie spéciale, bien que sous le rapport de l’arbitraire ils aient toujours été traités dans une catégorie spéciale. J’ai plaidé la cause de tous. Mais il est évident qu’il est un grand nombre d’officiers de l’armée qui sont l’objet d’investigations, de récriminations et de molestations de toute espèce, et ces hommes n’ont pas attendu 10, 15 ou 20 ans pour avoir 30 ans de service comme on vous l’a dit ; il en est qui ont déjà 50 années de service, il en est de même qui ont déjà 30 années de service. Mais, je le répète, je ne veux pas faire de catégorie ; je défends ici tous les officiers de l’armée, parce que tous peuvent se trouver un jour dans ces disposions générale de la loi : tantôt parce que telle opinion dominera dans le ministère, tantôt parce que telle autre opinion y sera toute puissance ; je ne veux pas que les exemples de bascule de 1831 se reproduisent. Que l’armée le sache bien : toutes les catégories d’officiers sont exposées à l’abus que j’ai signalé dans l’article 2 ; c’est ce que je veux éviter par mon amendement.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - L’interprétation du mot « effectifs » est une chose généralement admise ; quand on dit : « services effectifs, » on dit services réels quant au temps. Lorsque l’on dit simplement « services, » sans joindre le mot « effectif, » cela veut dire services, comme on les compte, en doublant les années de campagne. Je crois donc que l’on peut laisser la rédaction.

Je répondrai ensuite à M. Gendebien que ma conviction intime est que le gouvernement a besoin d’avoir la faculté demandée dans l’article 2, parce que s’il ne l’a pas, il est exposé à devoir laisser dans l’armée des hommes qui ne peuvent plus lui rendre aucun service, et qui pourraient s’y multiplier de telle sorte que l’armée s’en trouverait paralysée.

Mais, dit l’honorable membre, on peut mettre à la pension des officiers uniquement parce que l’on serait mécontent d’eux : je reconnais la possibilité de l’abus ; mais je dirai qu’il n’est pas autant à craindre pour les pensions de retraite, que la faculté de mettre en disponibilité, à la non-activité et au traitement de réforme qui est bien plus grave ; cependant la législation accorde cette faculté au gouvernement. L’honorable orateur invoque cette législation pour forcer à servir des officiers qui montreraient de la mauvaise volonté ; mais ce serait prendre une mesure contraire au bien du service ; ce serait obliger les chefs à employer toute leur activité à stimuler des hommes qui ne voudraient pas aller.

Ce sont là des moyens de rigueur que l’on n’emploie qu’avec regret et qui ne produisent rien de bon.

La disposition est présentée dans l’intérêt général de l’armée et les abus en seront, j’en suis sûr, très rares. Si les membres de la chambre voulaient se rappeler plusieurs discours prononcés pendant la discussion des budgets, ils verraient que cette disposition est conforme aux opinions émises alors.

L’honorable M. Dumortier a dit qu’entre le gouvernement et les officiers, il devait y avoir des droits parallèles ; mais l’article renferme cette condition. Il est évident qu’on doit pouvoir mettre à la retraite un officier qui après 30 ans n’est plus capable de servir.

On a érigé une commission d’officiers supérieurs pour examiner les titres des officiers demandant leur retraite ; c’est sur l’avis de cette commission que les pensions sont accordées, les officiers sont des juges naturels.

M. Verhaegen. - Le ministre de la guerre nous dit que dans quelques circonstances l’article 2 peut donner lieu à des abus ; je ne pense pas que nous ayons à les craindre pour le présent ; mais nous disposons pour l’avenir, et je ne suis pas d’avis d’adopter l’article 2 comme il est.

S’il y avait une autorité quelconque qui reconnût quand un officier après 30 ans de service est incapable, j’admettrais cet article 2 ; on pourrait en former une avec des gens de l’art.

- L’amendement de M. Gendebien, mis aux voix, n’est pas admis. L’article 2 est ensuite mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. Le Roi a aussi la faculté de mettre à la pension de retraite les militaires qui se trouvent dans le cas de l’article premier, et ceux qui ont atteint l’âge de 55 ans accomplis. »

M. Verhaegen. - Je pense, messieurs, que cet article doit nécessairement subir des changements, surtout par suite de l’amendement qui a été introduit dans l’article premier. Dans l’article 3, la particule « et » est disjonctive, c’est-à-dire qu’il donne au Roi la faculté de mettre à la pension de retraite les militaires qui se trouvent dans le cas de l’article premier, et, en outre, ceux qui ont seulement atteint l’âge de 55 ans accomplis. L’article premier exige deux choses pour que le militaire ait droit à la pension de retraite : qu’il ait autant d’années de service et de plus 55 ans d’âge ; l’article 3, au contraire, accorde au gouvernement la faculté de mettre à la retraite les militaires qui se trouvent dans l’un de ces deux cas ; il me paraît qu’il serait juste de mettre sur la même ligne la faculté de mettre à la retraite et le droit de demander cette retraite.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Cette disposition qui accorde au gouvernement la faculté de mettre d’office à la retraite les officiers qui ont atteint 55 ans d’âge, ne se trouvait pas dans le projet primitif du gouvernement ; elle a été introduite par la section centrale, mais il me paraît que dans l’intérêt du service elle devrait être adoptée, car il se peut qu’à l’âge de 55 ans un homme ne soit véritablement plus en état de servir, quelle que soit d’ailleurs la durée du temps pendant lequel il a fait partie de l’armée. Toutefois j’ai proposé, au titre de la fixation des pensions, un amendement dans lequel on trouvera un correctif équitable à ce qui pourrait déplaire dans le droit accordé au gouvernement, de mettre à la retraite pour cause d’âge ; par cet amendement je propose d’établir que dans le cas où l’officier est mis à la retraite par le seul motif qu’il a 55 ans d’âge, la pension ne pourra jamais être au-dessous du minimum des pensions accordées, quelle que soit la durée du service du militaire mis à la retraite. Je crois qu’avec cette disposition l’article en discussion peut être adopté sans inconvénient, et dans l’intérêt du service il est très utile qu’il le soit.

M. Verhaegen. - Il est évident, messieurs, que aucun cas l’article 3 ne peut rester tel qu’il est, car il avait été rédigé pour être en rapport avec l’article premier proposé par M. le ministre, et cet article ayant été amendé, il est nécessaire que l’article 3 le soit également ; comme l’a fort bien dit l’honorable M. Dumortier, il faut ici un engagement réciproque, il fait que tout le monde soit mis sur la même ligne ; lorsque l’officier ne peut obtenir, sur sa demande, la pension de retraite que quand il se trouve dans tel cas, il est raisonnable que la retraite ne puisse lui être imposée que quand il se trouve dans un cas semblable. Je propose donc à la chambre de retrancher de l’article 3 les mots : « et ceux qui ont atteint l’âge de 55 ans accomplis. »

M. de Jaegher. - Il me semble, messieurs, que l’amendement introduit dans l’article premier ne doit changer en rien la disposition de l’article 3. En effet, que trouve-t-on dans cet article ? D’abord la faculté de mettre à la retraite les officiers qui ont 40 années de service et 55 ans d’âge, et en deuxième lieu la faculté de mettre encore à la retraite ceux qui n’ont pas 40 années de service, mais qui ont 55 ans d’âge ; si l’on retranchait cette dernière disposition, il en résulterait qu’un officier ne pourrait être mis à la retraite que quand il aurait 40 années de service, quelque avancé que fût son âge. Eh bien, messieurs, j’ai beaucoup de considérations pour l’âge ; mais je vous avoue que la carrière militaire étant celle qui exige le plus de vigueur, le plus de forces physiques, il me paraît qu’un officier qui serait âgé de plus de 55 ans et qui serait jugé par le gouvernement incapable de continuer son service, devra nécessairement l’être ; car le gouvernement n’ira pas, contre l’intérêt du service, mettre de côté des hommes qui peuvent encore être utiles ; cela n’est pas à craindre ; ce qui est à craindre, c’est de voir surtout les grades subalternes, occupés par des hommes d’un âge trop avancé pour qu’ils puissent encore remplir convenablement leurs fonctions. Par ces motifs, j’adopterai la disposition de l’article 3, contre laquelle réclame l’honorable M. Verhaegen, et qui dans l’intérêt du service doit être conservée.

M. Lebeau. - Je crois, messieurs, que si M. le ministre veut mettre l’article 3 en harmonie avec l’amendement qui a été introduit dans l’article premier, il devrait modifier la rédaction de l’article 3 ; je crois que cet article devrait être conçu dans les termes suivants, que je soumets à l’appréciation de M. le ministre :

« Le Roi a aussi la faculté de mettre à la pension de retraite les militaires qui ont 40 années de service, et ceux qui ont atteint l’âge de 55 ans. »

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je trouve que l’amendement proposé par l’honorable M. Lebeau est défavorable aux officiers, qu’il aggrave leur position, et que par conséquent il ne faut pas l’admettre ; l’article premier ne donne le droit d’avoir une pension qu’aux militaires qui ont 40 années de service et en outre 55 ans d’âge ; tandis que l’article 3 donnerait au gouvernement la faculté de mettre les officiers à la retraite, quand ils auraient soit 40 années de service, soit 55 ans d’âge ; on donnerait donc au gouvernement un avantage qu’on n’a pas donné aux intéressés ; cela ne doit pas être, et il vaut mieux adopter la disposition que j’ai présentée et qui met le gouvernement et les intéressés sur la même ligne, tout en permettant au premier de mettre à la retraite les officiers qui par leur âge sont incapables de continuer utilement leur service.

M. Lebeau. - Je n’entends pas insister pour l’adoption de mon amendement ; je l’avais seulement présenté parce que je le croyais de nature à mettre l’article 3 en harmonie avec l’article premier, modifié par la chambre. Quant à la question de prérogative du gouvernement, j’en laisse volontiers l’appréciation à M. le ministre de la guerre.

Je déclare par conséquent retirer ma proposition.

M. Dubus (aîné). - Il me semble, messieurs, que l’amendement proposé par l’honorable M. Lebeau ne changeait aucunement la portée de l’article 3, il ne faisait que rendre la rédaction plus claire. Si nous adoptons l’article tel qu’il est, quelle en sera la portée ? D’après l’opinion de M. le ministre il en résultera que le roi pourra mettre à la retraite les militaires de tout grade qui ont 40 années de service et ceux qui ont atteint l’âge de 55 ans ; c’est ainsi aussi que je comprends l’article. Eh bien, la rédaction de M. Lebeau ne fait qu’exprimer cela d’une manière plus claire. Si maintenant l’on veut restreindre la faculté de mettre à la retraite au seul cas où l’officier aurait tout à la fois 40 années de service et 55 ans d’âge, il en résulterait que quand un militaire qui n’aurait pas l’âge de 55 ans, demanderait la pension de retraite on ne pourrait pas la lui accorder : c’est précisément là ce que la chambre n’a pas voulu quand elle a adopté l’amendement proposé à l’article premier.

Je ne sais donc pas pourquoi M. le ministre repousse la proposition de l’honorable député de Bruxelles, qui me paraît uniquement porter sur la rédaction sans changer le moins du monde la portée de l’article.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Messieurs, l’article premier, avec l’amendement de la commission, est celui-ci : « Les militaires de tout grade ont le droit d’obtenir une pension de retraite lorsqu’ils ont 40 ans de service et 55 ans d’âge. » Ils ne peuvent l’obtenir plus tôt, si ce n’est dans des circonstances spéciales, comme, par exemple, lorsqu’un militaire n’a que 30 ans de service, et qu’il est hors d’état de continuer à servir. Le seul cas, je le répète, où le droit absolu existe pour les militaires, c’est celui où ils ont 40 ans de service et 55 ans d’âge ; voilà le résultat de l’amendement de la commission.

L’article premier consacre donc seulement les droits des militaires ; l’article 3 a pour objet de dire que dans le même cas où les militaires de tout grade ont un droit absolu à l’obtention de la retraite, le gouvernement a aussi le droit de la leur donner.

L’article a également pour objet d’attribuer au gouvernement la faculté de mettre à la retraite, lorsqu’il existe seulement la condition de 55 ans d’âge, abstraction faite de toute durée de service. Voilà donc en quoi l’article 3 diffère de l’article 2.

L’intention de M. Lebeau, en proposant son amendement, me paraît être que le gouvernement ait le droit, d’abord d’accorder une pension aux officiers dans les mêmes cas que ceux où le militaire a le droit absolu de l’exiger ; en second lieu, de donner cette pension lorsque la condition d’âge seule existe. (M. Lebeau fait un signe négatif.)

Puisque telle n’est pas la pensée de M. Lebeau, je dirai que son amendement serait plus défavorable à l’armée que ne l’est l’amendement qui vient d’être adopté, parce qu’il en résulterait que le gouvernement aurait le droit de mettre un officier à la retraite après 40 années de service sans qu’il ait rempli la condition d’âge ; tandis que d’après l’article premier, tel qu’il est conçu, le gouvernement ne peut pas mettre à la retraite un officier qui a 40 ans de service, s’il n’a en même temps 55 ans d’âge.

M. Lebeau. - Messieurs, j’avoue que je ne suis pas d’accord avec M. le ministre de la guerre dans ce qu’il veut aujourd’hui ; mais je suis parfaitement d’accord avec ce qu’il voulait hier, et avec ce qu’il voulait tout à l’heure, alors qu’on n’avait pas encore admis l’amendement qu’il a repoussé. Il est certain que si vous voulez mettre l’article en parfaite harmonie avec l’article amendé, il faut adopter l’article tel que M. le ministre de la guerre vient de l’indiquer. Mais je crois que par mon amendement je restitue au gouvernement le droit qu’il avait sollicité hier, et qu’il a perdu en partie par l’amendement qui vient d’être adopté, Car, que demandait M. le ministre de la guerre avant l’adoption de cet amendement ? Il demandait à pouvoir mettre à la retraite dans deux cas, à savoir lorsqu’il y avait 40 ans de service, ou lorsqu’en l’absence de 40 ans de service, il y avait 55 ans d’âge. M. le ministre de la guerre est conséquent avec l’amendement qui a prévalu, mais il ne l’est plus avec lui-même ; le ministre de la guerre d’aujourd’hui est en contradiction avec le ministre de la guerre d’hier.

Je crois pour ma part qu’on peut donner au gouvernement le droit de mettre à la retraite, lorsqu’il y a 40 ans de service et un âge indéterminé ; ou bien, lorsqu’il y a 55 ans d’âge, sans qu’il y ait 40 ans de service. Si M. le ministre repousse ce système, je n’ai pas mission de le soutenir, et je n’insisterai pas davantage.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - C’est uniquement parce que l’article premier a aggravé la position des militaires, que je crois devoir renoncer à la faculté d’établir un droit corrélatif qui ne serait plus en proportion avec le droit que l’article premier attribue aux militaires.

M. Devaux. - L’article 3, tel qu’il est rédigé, n’est pas adoptable ; c’est à la fois une énigme et un non-sens. En effet, que dit cet article ? Il donne au gouvernement la faculté de mettre un officier à la retraite, lorsqu’il se trouve dans le cas de l’article premier ou lorsqu’il a 55 ans d’âge. Qu’entend-on par le cas de l’article premier ? Est-ce la disposition qui concerne les 40 ans de service ? ou bien est-ce celle qui se rapporte aux 55 ans d’âge, au bout desquels l’officier vient exiger une pension ? Evidemment, il y a là obscurité.

Ce n’est pas tout. L’article, tel qu’il est rédigé, est un non-sens. En effet, vous dites : pour que le gouvernement puisse mettre un officier à la retraite, il faut qu’il ait 40 ans de service, ou deuxièmement qu’il ait 55 d’âge ; vous ajoutez donc un secundo qui se trouve déjà dans le numéro primo.

Il est très difficile de discuter simultanément quatre projets, car nous sommes en présence de quatre projets. Aussi, je vous avoue que quand on a voté l’article premier, j’ai cru devoir m’abstenir. Je le répète, l’article 3 s’il reste tel qu’il est, est très obscur ; le cas de l’article premier est une chose à éclaircir.

Venant au fond de la question, je dirai que pour ma part je pense que l’amendement de la commission qui a été adopté ne change rien. Si le gouvernement a eu des motifs plausibles pour réclamer le droit de mettre à la retraite, d’un côté l’officier qui a 40 ans de service, sans remplir la condition d’âge, et de l’autre l’officier qui a 55 ans d’âge, sans avoir servi pendant 40 ans, ces motifs existent encore. Bien qu’on ait donné au gouvernement le droit de refuser la pension dans tel ou tel cas, cela ne change rien à l’article 3. Je ne vois pas la raison de l’alternative qu’on propose, je désirerais qu’on me la fît connaître.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - J’avoue qu’il doit résulter en général de l’obscurité du nombre de projets qui se trouvent en présence ; mais je ne puis admettre que cette obscurité existe dans l’article 3. Cet article porte : « Le Roi a aussi la faculté de mettre à la pension de retraite les militaires qui se trouvent dans le cas de l’article premier et ceux qui ont atteint l’âge de 55 ans accomplis, » c’est-à-dire que le Roi aura aussi la faculté de mettre à la pension de retraite les militaires ayant 40 ans de service et 55 ans d’âge, et ceux qui auront 55 ans d’âge, quel que soit leur temps de service. Je ne pense pas qu’il puisse s’élever de doute sur la signification de cet article. Il veut dire cela et il ne veut dire que cela.

Quant aux raisons qui avaient porté le gouvernement à avoir la faculté dont il s’agit dans cet article, ce sont celles qui ont été développées à propos de l’article 2 par lequel le gouvernement a demandé la faculté de mettre à la retraite des officiers hors d’état de continuer à servir, dans l’intérêt des besoins généraux du service.

Cependant, comme on a aggravé la position des militaires à l’article premier, je pense que le gouvernement a une action suffisante pour ne pas laisser dans les rangs de l’armée des officiers incapables de servir. L’article 2 lui donne le droit de mettre à la retraite les officiers ayant 30 ans de service effectif, quel que soit leur âge, qui seront reconnus hors d’état de continuer à servir, il suffit que l’article 3 lui donne la faculté de mettre à la retraite les officiers ayant 55 ans d’âge, abstraction faite du temps de service.

M. Donny. - Il n’y a pas de non-sens dans l’article 3, mais il y a une redondance. L’article 3 donne au gouvernement le droit de mettre à la retraite l’officier ayant 55 ans d’âge, quelle que soit la durée de son service, et ensuite l’officier ayant 40 ans de service et 55 ans d’âge. Or, s’il peut mettre à la retraite l’officier ayant 55 ans d’âge, quelle que soit la durée de son service, qu’a-t-on besoin d’ajouter qu’il a aussi le droit de mettre à la retraite celui qui, outre ses 55 ans d’âge, a 40 ans de service. Il suffit de donner au gouvernement par l’article 3 la faculté de mettre à la retraite les militaires ayant 55 ans d’âge.

M. de Muelenaere. - J’avais demandé la parole pour présenter la même observation, que l’honorable préopinant.

D’après l’article premier, les militaires ont droit à la pension quand ils ont 40 ans de service et 55 ans d’âge. Remarquez que la condition ne se trouvait pas dans l’article premier tel qu’il avait été proposé. C’est par amendement qu’on a exigé que le militaire, pour avoir droit à la retraite, eut, outre les 40 ans de service, 55 ans d’âge. Quand l’article premier se bornait à exiger 40 ans de service pour le droit à la retraite, la rédaction de l’article 3 était plus claire. Mais aujourd’hui le gouvernement réclame le droit de mettre à la retraite le militaire ayant 55 ans d’âge, n’importe la durée de son service ; n’eût-il que 10 ans de service, le gouvernement demande à pouvoir le mettre à la retraite, s’il a 55 ans d’âge.

Il devient inutile pour le droit du gouvernement de parler des années de service, puisqu’il réclame un droit indépendamment des années de service. Vous ne devez pas fixer l’âge auquel vous voulez donner au gouvernement le droit de mettre un militaire à la retraite malgré lui. Il faut réduire l’article à la partie qui détermine cet âge, et supprimer le reste.

M. Verhaegen. - On a fini par où j’avais commencé ; j’ai dit que l’article 3 ne pouvait pas rester tel qu’il était après l’amendement adopté à l’article premier. C’est évident ; c’est ce que vient de prouver M. de Muelenaere. Dès que l’âge suffit pour donner au gouvernement le droit de mettre un militaire à la retraite, inutile de dire qu’il aura également ce droit quand outre l’âge déterminé, le militaire aura un certain nombre d’années de service, car le plus comporte le moins. Il n’y a pas l’ombre d’un doute.

Après ces observations, j’en viens à mon amendement. M. le ministre de la guerre, répondant à M. Devaux, a dit que par un sentiment d’équité, il voulait mettre les officiers dans cette position que la justice réclamait, qu’il voulait leur donner l’équivalent des obligations qu’on leur imposait. Je rends hommage à ces motifs d’équité exprimés par M. le ministre de la guerre, et je pense qu’ils vous engageront à adopter l’amendement dans lequel je persiste.

Les officiers ne peuvent demander leur retraite que pour autant qu’ils aient 40 ans de service et 55 ans d’âge. D’après le projet du gouvernement, il suffisait de 40 ans de service pour avoir droit à la retraite. En ajoutant la condition de 55 ans d’âge, on a traité les militaires moins favorablement qu’ils ne l’étaient d’abord ; c’est par un sentiment de justice et pour les dédommager, que M. le ministre propose à borner l’article 3 à donner au Roi le droit de mettre à la pension de retraite les militaires qui ont atteint l’âge de 55 accomplis. Mais pour rétablir cet équilibre, pour mettre les officiers dans la position où on avait voulu les placer, il faut que les obligations soient en rapport avec les droits.

L’officier n’a le droit de réclamer la pension de retraite qu’autant qu’il ait 40 ans de service et 55 ans d’âge ; il ne faut donner à d’autres la faculté de le mettre à la retraite que dans les mêmes circonstances. Il faut alors que les deux conditions soient réunies et non qu’on les divise. D’un côté le « et » serait disjonctif, et de l’autre il serait conjonctif : il faut que dans les deux cas il soit conjonctif, il faut que le gouvernement ne puisse mettre un officier à la retraite que dans les conditions où celui-ci a le droit de la demander.

Je demande qu’on supprime de l’article 3 les mots : « et ceux qui ont atteint l’âge de 55 ans accomplis. »

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - L’article premier exige que les militaires, pour avoir droit à la pension de retraite, aient 40 ans de service et 55 ans d’âge. Je désirerais qu’il y eût réciprocité quant au gouvernement, c’est-à-dire que le gouvernement n’eut pas le droit de mettre à la retraite des officiers ayant 40 ans de service s’ils n’ont pas 55 ans d’âge ; mais je crois qu’à 55 ans d’âge, quelle que soit la durée du service, il peut être nécessaire de mettre un officier à la pension. Cela doit être d’une manière absolue. Mais comme on a enlevé aux militaires le droit de demander la pension quand ils ont 40 ans de service s’ils n’ont pas 55 ans d’âge, le gouvernement peut renoncer au droit de donner la pension aux officiers qui auraient 40 ans de service, ou qui n’auraient pas 55 ans d’âge.

Après tout, si le gouvernement peut donner la pension à un militaire ayant 55 ans d’âge, la question du temps de service est peu importante.

M. Desmaisières. - La chambre devrait adopter l’article 3 tel qu’il est rédigé, si elle avait adopté l’article premier primitivement proposé, mais maintenant elle doit se borner à admettre l’article 3 tel que l’a sous-amendé M. Donny, car l’article premier voté au commencement de la séance confère aux militaires le droit d’exiger leur pension quand ils ont 40 ans de service et 55 ans d’âge. Or, si on maintenait la rédaction de l’article 3 telle qu’elle est proposée par le ministre, il s’en suivrait qu’il y aurait dans la loi un véritable pléonasme. On dirait deux fois la même chose : d’abord que le Roi aurait la faculté de mettre à la pension de retraite les militaires qui se trouvent dans le cas de l’article premier, c’est-à-dire les militaires ayant 40 ans de service et 55 ans d’âge, et ensuite qu’il aurait la faculté de mettre à la pension de retraite ceux qui ont atteint l’âge de 55 ans.

Peu importe, s’il peut mettre à la pension tout militaire ayant 55 ans d’âge, que les uns aient 40 ans de service ou non, puisque cette faculté de mettre un militaire âgé de 55 ans à la retraite, est indépendante de la durée du service.

Il faut se borner à adopter l’article tel que le propose M. Donny, qui n’est que la reproduction du paragraphe 2 de l’article 3 du projet de la section centrale.

M. Lebeau. - Je ne sais s’il est nécessaire d’insister pour faire rejeter l’amendement de M. Verhaegen et adopter la rédaction proposée par M. Donny. Les opinions paraissent unanimes à cet égard ; la section centrale et la commission spéciale ont admis, à l’unanimité, le principe de l’article 13.

Qu’arriverait-il, si on adoptait l’amendement de M. Verhaegen ? Que tel officier entré au service à 40 ans, j’ai des parents qui sont dans ce cas, ne pourrait être mis à la retraite qu’à 80 ans. Les conséquences effraieraient l’auteur de l’amendement s’il les connaissait. Le fait que je viens de citer est une éventualité qui pourrait se réaliser à la suite de son amendement. Je pense donc, que d’accord avec la section centrale et la commission spéciale, il faut adopter l’amendement de M. Donny.

M. Dubus (aîné). - Pour juger du sens de l’article 3, il faut le rapprocher de l’article premier, tel qu’il était d’abord conçu, moins la disposition additionnelle qu’on a adoptée aujourd’hui. Quand je compare ces deux dispositions, il me paraît certain que l’article 3 attribuait au Roi la faculté de mettre à la pension de retraite : 1° les militaires qui se trouvaient dans le cas de l’article premier, c’est-à-dire ayant 40 ans de service, quel que soit leur âge, et deuxièmement ceux ayant 55 ans d’âge, quel que soit le nombre de leurs années de service.

Voilà quel est le sens de la rédaction primitive.

On me dit que c’est là l’opinion de la commission. Pour la maintenir, il faudrait adopter la rédaction qu’avait proposée M. Lebeau et qu’il a ensuite retirée.

Il n’y aurait que ce moyen de maintenir la disposition dans son sens primitif. Cette rédaction était ainsi conçue :

« Le Roi a aussi la faculté de mettre à la pension de retraite les militaires qui ont 40 ans de service et ceux qui ont atteint l’âge de 55 ans accomplis. »

Mais, dit-on, le gouvernement ne veut plus de cette disposition parce que, dit le ministre, on a modifié à l’article premier les droits des militaires ; le gouvernement peut aussi relâcher quelque chose de ce qu’il avait demandé à l’article 3. S’il en est ainsi, je ne m’y opposerai pas. Mais j’ai besoin ici d’une explication.

Je rappellerai que quand je me suis prononcé sur l’article premier, j’ai dit comme j’entendais cette disposition du projet rapprochée de celles qui suivaient. J’ai dit que les militaires ayant 40 ans de service et n’ayant pas 55 ans d’âge, pouvaient demander d’être à la pension et que le gouvernement était juge de la question de savoir s’il y avait lieu de les admettre. Mais si vous rédigez l’article comme le propose M. Donny, le gouvernement ne pourra plus mettre à la pension de retraite les militaires ayant seulement les 40 ans de service, parce que la condition d’âge ne s’y trouvera pas. Il arrivera ce que je supposais et ce que supposait la section centrale quand l’amendement a été proposé à l’article premier.

Que le militaire ayant 40 ans de service pût avoir la pension, quoiqu’il n’eût pas 55 ans d’âge, mais qu’il ne pût pas l’exiger. Voilà ce que voulait la section centrale. Avec la rédaction qu’on propose, ce militaire ne pourra, dans ce cas, ni exiger, ni obtenir la pension.

Si le gouvernement veut restreindre l’article 3 au cas unique de 55 ans accomplis, il faudra ajouter que le gouvernement pourra même avant cet âge de 55 ans, admettre à la pension de retraite les militaires ayant 40 ans de service, quand ils le demanderont.

Je crois que, vu l’heure avancée, nous ferions sagement de remettre le vote à demain ; on pourrait examiner avec plus de maturité le rapport dont nous ne sommes saisis que depuis ce matin.

M. Verhaegen. - Je demande la parole pour faire une observation en réponse à M. Lebeau qui a trouvé dans mon amendement une contradiction et a prétendu qu’il ferait naître des inconvénients graves. Il a dit que d’après mon amendement un militaire de 80 ans ne pourrait pas être mis à la pension de retraite. Je retourne l’amendement contre mon honorable adversaire et vous verrez quels inconvénients peuvent résulter de la faculté de mettre à la retraite un militaire ayant 40 ans de service.

Voici quel serait le résultat de ce système. Un militaire entré au service à 18 ans, passe 20 ans dans les camps, c’est un militaire consommé, il n’a que 38 ans et le gouvernement pourra le mettre à la retraite. S’il est entré au service à 15 ans et qu’il ait fait 20 années de campagne, le gouvernement pourra le mettre à la retraite à 35 ans. Je vous demande si cela est fait pour encourager les militaires. Vous voyez que l’argument tourne contre son auteur.

Mon amendement ne présente pas cet inconvénient. Celui cité par l’honorable M. Lebeau peut être évité avec toutes les mesures qui donnent au gouvernement le moyen d’agir comme il voudra dans un cas semblable. Il ne faut pas lui donner une arme de plus contre des hommes qui méritent votre sollicitude.

Si on voulait suivre les idées de justice qui ont engagé le ministre à abandonner une partie de l’article 3, pourquoi ne pas aller plus loin que 55 ans ? Si, d’une part, les militaires ne peuvent demander la pension de retraite que quand ils ont 40 ans de service et 55 ans d’âge, on pourrait ne donner au gouvernement le droit de ne les mettre à la retraite qu’à 60 ans d’âge, abstraction faite du temps du service. Au moins y aurait-il dans cette différence d’âge une espèce d’équivalent.

M. Desmaisières. - Comme l’a dit l’honorable M. Dubus, il est évident que dans le système de la section centrale et de la commission, il faudrait rédiger l’article 3 comme l’avait proposé M. Lebeau . Mais j’ai dit tout à l’heure que si la chambre voulait adopter le nouveau système proposé par le ministre de la guerre, il fallait admettre la rédaction de M. Donny .

Le système que le ministre de la guerre a développé tout à l’heure consiste à dire : J’avais demandé que le militaire eût le droit d’exiger sa pension, dès que seulement il avait 40 années de service. Mais la chambre a exigé qu’il eût en outre 55 ans d’âge. Maintenant, par suite de cette aggravation, je demande que la faculté accordée au gouvernement par l’article 3 soit restreinte dans les mêmes limites. Mais MM Donny et de Muelenaere ont fait observer que dans ce système il suffisait de dire que le gouvernement avait la faculté de donner la pension quand les militaires avaient 55 ans d’âge. Inutile de parler de l’article premier, puisque là il fallait toujours la condition d’âge pour avoir la pension. Mais je dis que si le système de la section centrale qui est le même que celui de la commission spéciale obtient la préférence, il faut dire que le Roi aura la faculté de mettre à la pension les militaires ayant 40 années de service et ceux ayant 55 ans d’âge.

M. le président. - Voici l’amendement déposé par M. Dubus (aîné) :

« Il pourra, même avant cet âge, mais sur leur demande, mettre à la pension ceux qui auront 40 années de service. »

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je crois entrer dans l’intention de M. Dubus en proposant une autre rédaction de l’article 2.

Il serait ainsi conçu :

« Le Roi a la faculté de mettre à la pension de retraite : 1° sur leur demande les militaires ayant 40 années de service ; 2° les militaires ayant 30 années de service effectif, qui seraient reconnu hors d’état de continuer à servir ; 3° les militaires ayant 55 ans accomplis. »

Plusieurs membres demandent l’impression des amendements proposés par M. le ministre de la guerre et le renvoi de la discussion à demain, attendu l’heure avancée.

MM. les députés quittent leurs banquettes et la séance est levée.