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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 7 mars 1838

(Moniteur belge n°68, du 9 mars 1838)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure.

M. Kervyn donne lecture du procès-verbal de la séance d’avant-hier, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse donne communication des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Le sieur E.-H. Simoens, commis-greffier près le tribunal de première instance à Gand, demande une augmentation de salaire. »


« Le sieur F. Ronse, porteur de contraintes à Furnes, demande le paiement d’une somme de 274 fr 45 c. qu’il prétend lui revenir sur le recensement des patentes et remboursements. »


« Les fabricants de tabac de la ville de Fumes adressent des observations sus le projet relatif aux tabacs. »


« Des négociants et armateurs d’Anvers adressent des observations en faveur du droit différentiel sur les cafés. »


« Le sieur P. Duhoux, négociant en vins à Tirlemont, demande à être indemnisé des pertes qu’il a essuyées lors de l’agression hollandaise en 1831, par le pillage de ses caves. »


« Le sieur E. Woeste, né en Prusse, et habitant la Belgique depuis 1819, demande la naturalisation. »


- Cette dernière pétition est renvoyée à M. le ministre de la justice ; la pétition relative aux tabacs sera renvoyée à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur cet objet ; la pétition concernant le café restera déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la matière ; les autres pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions, chargée d’en faire le rapport.

Projet de loi sur le jury

Fait personnel

M. Devaux. - Messieurs, le procès-verbal dont on vient de donner lecture ne fait pas mention de l’incident qui s’est élevé hier entre un honorable membre et moi. Comme la chambre n’a pas pris de décision et qu’elle n’avait pas à en prendre, je ne me suis pas levé pour demander une rectification au procès-verbal. Mais la relation que le Moniteur donne de cet incident est telle que je ne puis permettre que cette affaire en reste là.

Je ne comptais prendre la parole que lorsque M. Dumortier serait entré à la séance ; mais puisqu’il y est, je vais m’expliquer devant la chambre.

Vous vous rappellerez, messieurs, qu’hier M. Dumortier s’est servi à mon égard d’une expression que je regardais comme outrageante ; j’en fis l’observation à M. le président, en lui demandant le rappel à l’ordre de l’orateur. Vous vous rappellerez que M. le président me répondit qu’avant de juger l’expression de M. Dumortier, il était juste de l’entendre dans ses explications ; que l’honorable membre s’étant expliqué, et ses explications ne n’ayant pas paru bien claires, je priai M. le président de prononcer ; qu’alors M. le président dit qu’il entendait les explications dans ce sens : que M. Dumortier n’avait aucunement inculpé mes intentions, mais qu’il avait voulu seulement critiquer l’amendement que j’avais eu l’honneur de soumettre à la chambre. Comme l’explication de M. le président ne me paraissait pas être en parfaite conformité avec l’opinion de M. Dumortier, je me suis levé pour demander à cet honorable membre si ses intentions avaient été telles que M. le président venait de les énoncer ; M. Dumortier a répondu affirmativement, en disant qu’il n’avait pu en avoir d’autres. Là-dessus, je me suis levé de nouveau, pour me déclarer satisfait. M. Dumortier ne s’est plus levé alors pour prendre la parole ; je ne sais si sur son banc il a dit quelque chose, du moins rien de ce qu’il a pu dire n’est arrivé jusqu’à moi ; mais je trouve dans le Moniteur, à la suite des dernières paroles que j’ai prononcées ces paroles de M. Dumortier :

« Il n’était pas difficile de vous satisfaire ; au reste ce n’est pas pour vous que j’ai répondu, mais pour M. le président. »

Comme l’orateur a l’habitude de réviser ses opinions, je dois croire que les paroles que je viens de citer, il les a prononcées, bien que je ne les aie pas entendues, et que beaucoup de membres m’aient déclaré ne pas les avoir entendues. Je ne veux pas mettre en doute la véracité du rapport du moniteur ; mais puisque le Moniteur a attribué de telles paroles à M. Dumortier, j’ai besoin d’une nouvelle explication ; car je dois savoir si ces paroles détruisent l’explication que M. Dumortier avait donnée ; en un mot, je veux savoir si M. Dumortier a entendu inculper mes intentions.

M. le président. - Notre honorable collège qui m’a remplacé hier au fauteuil, m’informe qu’il n’a pas entendu les paroles qu’on vient de rappeler.

M. Devaux. - Je prie M. Dumortier de s’expliquer ; je le prie de dire s’il a prononcé ces paroles oui ou non.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne veux pas me charger de ce que je n’ai pas dit mais je ne veux pas non plus retrancher un mot à ce que j’ai dit.

Voici comment les choses se sont passées :

Quand M. le président eut fini de parler, j’ai déclaré qu’on ne pouvait entendre mes paroles que de la manière dont les avait expliquées M. le président. M. Devaux s’est levé alors, et a dit qu’il retirait son observation, ou quelque chose de semblable. A cela, j’ai répondu : « Ce n’est pas pour vous que j’ai parlé, mais pour M. le président. » Mais je dois déclarer que je n’ai pas dit : « Vous êtes facile à satisfaire. » J’ai seulement répondu : « Ce n’est pas pour vous que j’ai parlé. » Comme mon honorable ami, M. Dubus, remplaçait alors le président, j’avais cru pouvoir répondre à son invitation ; mais si mon honorable ami n’avait pas été au fauteuil, j’aurai demandé à la chambre de décider si l’expression dont je m’étais servi était injurieuse ou non. Du reste, avant que M. Devaux ne demandât hier la parole, j’avais expliqué la manière dont j’entendais cette expression, et qui était tout à fait conforme à l’explication que M. le président a donnée à mes paroles ; de sorte qu’il ne m’a pas été possible de donner plus tard un autre sens à mes paroles.

Voilà la seule explication que je crois devoir donner en ce moment. Si M. Devaux croit que je suis disposé à me mettre à genoux, il se trompe ; c’est à la chambre et à la chambre seule à me censurer, s’il y a lieu.

De toutes parts. - Assez ! assez !

M. Devaux. - Puisque M. Dumortier déclare n’avoir pas prononcer les paroles dont il s’agit, je serais bien difficile si je ne me déclarais pas satisfait.

Projet de loi modifiant le tarif général du timbre

Rapport de la section centrale

M. Demonceau dépose le rapport sur le projet de loi relatif au timbre.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

Projet de loi sur le jury

Second vote des articles

- M. Dubus (aîné) occupe le fauteuil.

Article 8

M. le président. - Nous passons à l’objet du jour qui est la suite de la discussion de la loi concernant le jury.

M. de Behr, rapporteur. - Messieurs, je dois faire observer qu’il s’est glissé une erreur dans la rédaction de l’article 8, qui est devenu l’article 9 ; cet article porte que : « Ne seront pas compris sur la liste des 30 jurés… ; » il faudrait retrancher le chiffre 30 ; car ce chiffre n’est plus en harmonie avec les articles qui suivent. D’abord la liste n’est plus de 30 jurés, mais de 34, puisqu’il y a 4 jurés supplémentaires.

Je propose donc de retrancher le chiffre 30.

- Ce retranchement est mis aux voix et adopté.

Article 22 (et article 20)

M. le président. - Nous en sommes restés à l’article 22 ainsi conçu :

« Après chaque scrutin, le chef du jury le dépouillera en présence des jurés, et consignera immédiatement la résolution en marge de la question, sans exprimer le nombre des suffrages, et ce n’est dans le cas où la déclaration affirmative sur le fait principal n’aurait été formée qu’à la simple majorité. »

M. Pirmez. - Messieurs, j’avais demandé hier la parole pour faire une observation sur cet article, parce qu’il me paraissait qu’il y avait une lacune dans la loi ; jusqu’à présent, je pense qu’il a toujours été admis que jusqu’au moment de la lecture de la décision du jury, la résolution du jury pouvait être modifiée. Il me paraissait que le cas devait se présenter assez souvent, savoir qu’un juré, du moment qu’il connaissait les conséquences de son, demanderait à revenir sur ce vote ; jusqu’à présent, les jurés ont pu modifier leur vote jusqu’à la lecture de la déclaration.

Maintenant, en vertu de la loi que nous faisons, sera-ce encore jusqu’au moment de la lecture de la déclaration que le vote pourra être modifié ? Quand le scrutin sera-t-il définitif ? Voilà sur quoi la loi n’a rien dit jusqu’ici. Si c’est jusqu’à la lecture de la déclaration que l’on peut modifier son vote, il s’en suit qu’il doit y avoir plusieurs scrutins ; s’il peut y avoir plusieurs scrutins, il faut qu’il y ait une autorité qui décide si ces scrutins auront lieu. Ainsi, sera-ce à la majorité du jury à décider si un nouveau scrutin aura lieu ? ou, en d’autres termes, la majorité pourra-t-elle refuser à la minorité de procéder à un autre scrutin ? Un seul juré qui dirait qu’il s’est trompé, pourrait-il forcer la majorité du jury à recommencer le scrutin ? ou la majorité du jury pourra-t-elle se refuser, sur la demande d’un juré, à recommencer le scrutin. ? Voilà les observations que j’avais à soumettre à la chambre.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, quoiqu’en dise l’honorable préopinant, la législation actuelle ne contient aucune disposition sur les cas qu’il a supposés, et cependant depuis le grand nombre d’années que le code d’instruction criminelle est appliqué, nous n’avons pas vu qu’à cet égard il se soit présenté des difficultés.

Je crois, messieurs, qu’il n’y a aucune nécessité de prévoir ces cas dans la loi nouvelle malgré l’introduction du vote secret, cela pourrait même être dangereux. Il vaut mieux laisser ces questions dans le domaine des principes généraux du droit et les abandonner à la jurisprudence.

M. de Behr, rapporteur. - Messieurs, si on voulait tout prévoir, je ne sais où cela nous conduirait. On a supposé le cas où un juré voudrait changer l’opinion avant la lecture de la déclaration ; mais que serait-ce si, au moment où on donne lecture de la déclaration, un juré s’avisait de dire : J’ai changé d’opinion ; on n’a pas encore achevé la lecture ; j’ai le droit de modifier mou opinion ? Mais, messieurs, on ne s’arrêterait donc jamais.

Je pense que du moment que le juré a déposé son vote, comme il a eu le temps de réfléchir, et qu’on a délibéré, tout est consommé ; il y a droit acquis, soit en faveur de l’accusé, soit en faveur de la société. Il ne dépend plus d’un juré de dire : Je me suis trompé. En effet, quelle serait la conséquence d’un pareil système ? D’après le projet le vote doit être secret ; si un juré venait dire : J’ai voté pour l’accusation, mais j’ai changé d’avis, est-il certain qu’on croira ce juge sur parole ? Quelle preuve donnera-t-il qu’il a voté pour ou contre l’accusation ?

Je crois, avec M. le ministre de la justice, que nous ne devons pas prévoir de pareilles questions dans la loi.

M. Pirmez. - Les honorables préopinants ne paraissent pas avoir bien saisi mon observation ; j’avais demandé seulement s’il pouvait y avoir un second scrutin, et j’ai ajouté que la loi ne le disait pas : c’est une question que je soumettais aux jurisconsultes de la chambre. Puisque ces messieurs trouvent qu’il y aurait danger à prévoir ce cas dans la loi, je ne persiste pas dans mon observation.

M. Dolez. - Messieurs, je crois qu’il y a une observation péremptoire à ajouter à celles que vous ont soumises M. le ministre de la justice et M. le rapporteur de la section centrale : c’est que, dans le vote oral, ce vote appartient à celui qui l’émet jusqu’au moment où il est publiquement appelé ; aujourd’hui, au contraire, le vote est secret ; par la nature même de ce vote, le résultat en appartenant à tout le monde, il ne peut plus appartenir à un seul de le faire modifier.

M. Verhaegen. - Messieurs, l’article 22 mis en rapport avec les dispositions existantes me paraît inexécutable. La question, dans le système actuel de la législature est posée, d’une manière complexe, et je ne vois pas que l’article 337 du code d’instruction criminelle ait été abrogé par l’un ou l’autre des articles du projet en discussion. Ainsi la question devra être posée telle qu’elle résulte de l’acte d’accusation, c’est-à-dire d’une manière complexe : L’accusé est-il coupable, avec toutes les circonstances comprises dans le résumé de l’acte d’accusation ?

L’article 337 est resté en son entier, puisqu’il n’y est pas dérogé par aucun des articles du projet actuel. Ainsi l’on posera au jury la question telle qu’elle résulte du résumé de l’acte d’accusation. S’agit-il par exemple d’un meurtre, l’on demandera : Est-il constant qu’un tel se soit rendu coupable de meurtre avec les circonstances reprises dans l’acte d’accusation ?

Il en était, messieurs, tout autrement sous la législation précédente. Pour éviter des inconvénients, et surtout des erreurs, il eût mieux valu peut-être adopter les dispositions de cette législation.

La loi de 1791 divisait toutes les questions. On demandait : Tel fait est-il constant ? Ou tel est-il convaincu d’en être l’auteur ? L’a-t-il fait dans des intentions criminelles ? Y a-t-il telles circonstances aggravantes ?... Dans le code d’instruction criminelle, que nous suivons actuellement, ce n’est plus cela : les questions sont réunies ; on ne pose que des questions complexes.

Cependant, avec le vote secret on ne peut pas délibérer sur une question complexe comme le veut l’article 337 ; et puisque nous adoptons le vote secret, nous devons en subir les conséquences. Qu’ont fait les auteurs du projet et discussion ? Dans l’article 20 on dit que les jurés voteront séparément et distinctement sur le fait principal, sur chacune des circonstances aggravantes… Je vois là que le jury délibère sur des questions séparées, mais je voudrais bien qu’on me dît qui divisera les questions : sera-ce la cour ou le chef du jury ? La question complexe posée, il faut bien que quelqu’un la divise. Ce sera probablement le président du jury ; comment la divisera-t-on ? C’est ce que ne dit pas le projet.

Le chef du jury reçoit des mains du président de la cour d’assises la question complexe : Un tel est-il coupable d’avoir commis tel fait, avec les circonstances comprises dans le résumé de l’acte d’accusation ? Il entre dans la chambre du conseil ; comment fera-il la division ? Va-t-il séparer le fait de l’intention ; va-t-il prendre telle circonstance abstraction de telle autre ?

Quand le vote sera terminé, comme la question posée était complexe, il faut y faire une réponse complexe ; ainsi il faudra que le président du jury, après avoir divisé la question, réunisse les réponses. Voilà deux travaux intellectuels qui lui sont dévolus ; mais un tel système doit entraîner bien des inconvénients et peut même conduire à l’erreur.

D’après l’économie de votre loi, pour éviter de grands inconvénients, ne faudrait-il pas en revenir au système de la loi de 1791 et dire que les questions remises au jury seront divisées par la cour ? On demanderait aux jurés : Tel fait est-il constant ? un tel est-il convaincu d’en être l’auteur ? l’a-t-il commis dans une intention criminelle ? existe-t-il telle ou telle circonstance aggravante ?

L’expérience m’a appris que l’article 337 du code d’instruction criminelle donnait lieu aux plus graves abus. Il est arrivé à ma connaissance que des jurés, ayant à répondre à des questions complexes, ont conduit, par leurs réponses , à des résultats contraires à ceux qu’ils croyaient obtenir. Et les défenseurs ne sauraient trop s’attacher à montrer aux jurés les dangers ou les erreurs que peuvent entraîner les questions complexes qui leur sont soumises. Il n’y a pas longtemps qu’un juré, pensant acquitter, a occasionné une condamnation aux travaux perpétuels.

Le système du ministre n’est pas coordonné. Je l’engage à réfléchir sur les observations que je présente ; et je prie M. le rapporteur de vouloir nous éclairer.

M. de Behr, rapporteur. - Toute l’argumentation du l’honorable préopinant tend réellement à faire revenir la chambre sur son vote. Il sait bien que l’article 337 du code d’instruction criminelle n’est pas exécuté rigoureusement dans la pratique ; jamais on n’a vu un résumé d’acte d’accusation se terminer autrement que de cette manière : « En conséquente, un tel est accusé d’avoir commis volontairement un homicide sur la personne de tel. » Le jury, entrant dans la chambre du conseil, pourra facilement diviser cette question complexe en celle-ci : « Un tel a-t-il commis l’homicide ? l’a-t- il commis volontairement ? l’a-t-il commis avec préméditation ? Cette division est toute naturelle. »

On nous parle de la loi de 91 ; mais on a reconnu que cette loi avait donné lieu aux plus graves abus. Il y a peu de jurés qui se soient rendu compte de ces mots : « L’a-t-il fait dans une intention criminelle ? » Et l’on a vu qu’il fallait ne pas diviser les questions à l’infini.

Je crois qu’il n’y a rien à changer au projet que nous discutons pour la seconde fois. Quant à moi, je proposerais, contre tout changement, la question préalable.

M. Verhaegen. - Je suis véritablement étonné d’entendre dire que l’article 337 du code d’instruction criminelle n’a pas reçu d’exécution dans notre pays. Je ne pense pas que l’on puisse prétendre qu’il y ait abrogation d’une disposition aussi formelle par le non-usage. Il ne peut y avoir abrogation par abus ; mais l’honorable rapporteur de la section centrale est dans l’erreur. Depuis 2 ans que j’ai l’occasion de suivre la procédure de la cour d’assises, je n’ai pas vu d’autres questions que des questions complexes ; et j’en appelle ici à tous mes collègues qui peuvent avoir quelque chose de commun avec la justice criminelle ; j’en appelle à leurs souvenirs. Il est certain qu’on ne soumet pas les questions au jury d’une autre manière que celle indiquée dans l’article 337 du code d’instruction criminelle. On a souvent senti les inconvénients de cet état de choses. J’ai eu l’honneur de le dire. Des gens qui ne sont pas habitués aux affaires se sont trouvés dans le cas d’obtenir, en répondant aux questions posées, un résultat contraire à celui qu’ils croyaient avoir. L’exemple que j’ai cité tantôt est frappant. Que fera-t-on ? Probablement ce qu’on faisait précédemment, à moins que le législateur ne trace une autre ligne que celle tracée par l’article 337. Les cours d’assises continueront de poser les questions comme le veut l’article 337. C’est pour éviter cela que je propose de dire que l’article 337 sera abandonné, qu’on ne pourra plus poser de questions complexes, que les questions relatives au fait principal seront divisées des questions relatives aux circonstances aggravantes. De cette manière, s’il y a doute, on le fera disparaître.

Je ne puis croire qu’on veuille établir en principe qu’on ne doit rien changer au projet ; je me plais à croire que d’honorables collègues qui veulent le bien s’opposent par amour-propre à ce qu’il soit rien changé à leur travail. Loin de moi cette idée. Pourquoi, s’il n’en est pas ainsi, lorsqu’on démontre les inconvénients graves du système adopté au premier vote, opposer la question préalable à une proposition qui tend à une amélioration réelle ?

Je ne veux pas changer le système adopté au premier vote ; je respecte la majorité et les conséquences de son vote. Mais je suis intéressé à ce que les lois auxquelles je concours puissent être exécutées ; voilà pourquoi je présente mon observation. Je n’y attache pas d’autre importance que celle-là.

C’est une erreur de croire que l’article 337 du code d’instruction criminelle soit tombé en désuétude. Cet article existe ; il est appliqué tous les jours par la cour d’assises. Pour ne parler que de ce qui se passe à Bruxelles, jamais à Bruxelles on ne fait autrement. Il y a d’honorables collègues qui peuvent dire ce qui se fait dans d’autres provinces. Si l’article 337 existe, il ne se concilie pas avec les dispositions du projet relatives au vote secret, à moins qu’on ne veuille laisser au président la latitude de faire tout ce qu’il jugera à propos, ce qui pourrait être dangereux ; car le président peut se tromper.

En adoptant la proposition que j’ai l’honneur de vous soumettre, vous aurez introduit dans la législation nouvelle une amélioration réelle, et vous aurez évité les graves abus qui résultent de la disposition de l’article 337 du code d’instruction criminelle. Je pense donc qu’on peut s’accorder sur ce point, qu’il faut mettre de côté l’article 337 et déclarer, en principe, qu’on ne peut jamais poser au jury des questions complexes, mais qu’on devra proposer séparément les questions relatives au fait principal et celles relatives aux circonstances aggravantes, Je proposerai un amendement dans ce sens.

M. Dolez. - Sans revenir au système de la division du fait matériel, et de l’intention dans les questions soumises au jury, je pense qu’il importe de faire droit à une partie des observations de l’honorable préopinant. Je ne puis croire que, comme l’a dit l’honorable M. de Behr, il y ait des cours où l’on ne se conforme pas à l’article 337 du code d’instruction criminelle. Quant à moi, j’ai toujours vu suivre cette disposition. Je crois que l’honorable membre, en consultant ses souvenirs, les trouvera conformes aux nôtres.

Je crois qu’il serait facile de parer aux inconvénients signalés par l’honorable M. Verhaegen, sans entrer dans un système qui entraînerait la division des questions à l’infini, Il suffirait d’adopter une disposition ainsi conçue :

« Les questions remises au jury par le président de la cour d’assises seront conçues de façon à ce que les jurés votent séparément et distinctement, d’abord sur le fait principal, ensuite sur chacune des circonstances aggravantes. »

Je crois que la chambre ferait chose utile en adoptant cet article.

M. Verhaegen. - Je ne veux pas séparer le fait de l’intention, mais seulement le fait principal des circonstances aggravantes. Je proposerai dans ce but une disposition additionnelle à l’article 20, ainsi conçue :

« Il ne sera pas soumis au jury de questions complexes. La question relative au fait principal sera séparée des questions qui concernent les circonstances aggravantes. »

M. de Behr, rapporteur. - La disposition que la chambre a adoptée n’est pas une disposition nouvelle. C’est une disposition que j’ai prise littéralement dans la loi française. Cependant, cette loi française s’exécute depuis trois ans à peu près en France, et elle n’a donné lieu à aucune difficulté. Cependant, la législation française est la même que la nôtre. Les questions sont posées en France comme elles sont posées ici. Nous avons là une garantie qu’il n’y a pas beaucoup d’inconvénients et d’abus dans cette manière de procéder.

Ensuite, quand j’ai dit qu’on ne pose pas de questions complexes au jury, j’ai parlé de ce qui se fait à la cour de Liége. A. la cour d’appel de Liége les questions ne sont jamais complexes. On dit toujours, par exemple : « Un tel est prévenu d’avoir commis volontairement un homicide sur la personne d’un tel, » parce que le code pénal définit le meurtre l’homicide commis volontairement. Je ne sais pas à la vérité comment on procède dans les cours de Bruxelles et de Gand, si on procède dans ces cours par questions complexes. Cependant, je le répète, la disposition empruntée à la loi française s’exécute en France ; et l’on peut voir dans les ouvrages des criminalistes que jamais il n’y a eu de difficulté en France sur l’exécution de cette loi.

M. Raikem. - Je crois que l’amendement de l’honorable M. Verhaegen est dangereux, et qu’il ne remédie à aucun des inconvénients qu’on a voulu prévenir lors de la discussion du code d’instruction criminelle ; en effet, comme le porte l’amendement, la loi de 1791, la constitution de l’an III et le code de brumaire an IV, disposent formellement qu’il ne sera posé au jury aucune question complexe. Les inconvénients d’une telle disposition ont été reconnus lors de la discussion du code d’instruction criminelle ; et je crois qu’il est inutile d’entrer dans les détails des différents motifs qu’on a fait valoir contre une telle disposition.

En effet, quel serait le résultat de ce qu’il ne pourrait pas être posé de questions complexes ? Ce ne serait pas seulement de détacher des faits qui constituent le crime lui-même les circonstances appelées aggravantes, pour en faire l’objet de questions particulières, mais ce serait que la question elle-même qui se rapporte à la culpabilité devrait être divisée en ce qui concerne le fait matériel et en ce qui concerne l’intention. Voilà les conséquences nécessaires de la disposition de la loi qu’on vient de citer et qui portait : « Il ne sera posé aucune question complexe. «

Aujourd’hui les questions sont complexes, et il me semble qu’elles doivent nécessairement rester complexes. L’accusé est-il coupable d’avoir commis tel meurtre ? Eh bien, messieurs, quoique le fait matériel soit constant, quoique l’accusé ait commis l’homicide, si cependant il l’a commis dans le cas de légitime défense, le jury répondra : « Non, l’accusé n’est pas coupable. » Si vous divisez la question, il faudra poser des questions dont on ne saurait prévoir le nombre et qui embarrasseraient singulièrement le jury. Je crois donc qu’il faut maintenir les questions complexes comme elles existent maintenant ; je crois que la disposition qui nous occupe remplit parfaitement son objet et qu’il n’est besoin d’aucune disposition additionnelle.

J’en viens à l’article 337 du code d’instruction criminelle, qui porte :

« La question résultant de l’acte d’accusation sera posée en ces termes : « L’accusé est-il coupable d’avoir commis tel meurtre, tel vol on tel autre crime, avec toutes les circonstances comprises dans le résumé de l’acte d’accusation ? »

Remarquez, messieurs, qu’aux termes de l’article 341 du même code, l’acte d’accusation lui-même doit être remis au jury. Ainsi les jurés ont les questions posées par le président ; le président leur a rappelé les fonctions qu’ils ont à remplir ; il leur a donné toutes les explications relatives au nouveau mode de voter adopté par la chambre ; ils trouvent dans l’acte d’accusation l’énumération de toutes les circonstances qu’on prétend avoir accompagné le crime ; ils doivent d’abord répondre sur le fait principal ; je suppose le cas de meurtre : eh bien, la première question à laquelle le jury aura à répondre sera celle-ci : « L’accusé est-il coupable d’avoir commis tel meurtre ? » Si, par suite de la délibération et du vote (qu’il ait lieu, comme aujourd’hui, à haute voix, ou qu’il ait lieu au scrutin secret) ; si, dis-je, la réponse à cette première question est négative, il n’y a plus lieu d’interroger le jury sur aucune autre circonstance ; si, au contraire, la réponse est affirmative, alors il y a lieu d’interroger le jury sur les circonstances aggravantes qui peuvent se rattacher au fait principal et qui sont énumérées dans l’acte d’accusation, que les jurés ont sous les yeux. Soit que le jury vote à haute voix, soit qu’il vote au scrutin secret, toujours faut-il s’en rapporter à l’acte d’accusation, à moins que des circonstances ne soient signalées que pendant le débat, et alors le président doit poser une question particulière à cet égard ; il peut, s’il le trouve plus convenable, poser les questions d’une autre manière, cela est de jurisprudence. Or, messieurs, soit qu’on s’en rapporte à l’acte d’accusation, soit qu’on pose les questions d’après le résultat des débats publics, est-il plus difficile de répondre par le vote au scrutin secret que de répondre à haute voix ? Evidemment non, car il est aussi facile de rayer le mot oui que de dire non, de rayer le mot non que de dire oui ; il ne sera donc pas plus difficile au jury de voter au scrutin secret que de voter à haute voix, sur le fait principal, comme sur chacune des circonstances aggravantes, et je crois par conséquent que les amendements qu’on nous propose sont complétement inutiles et que la loi est très praticable.

Remarquez, messieurs, qu’aux termes de l’article 25, le président de la cour d’assises est obligé d’avertir les jurés sur la manière dont ils doivent procéder et émettre leurs votes ; on voudra bien me permettre de croire que le président connaîtra la loi, qu’il sera au courant de la cause ; eh bien, il apprendra aux jurés ce qu’ils ont à faire : il leur dira d’examiner d’abord le fait principal, de voter ensuite de telle ou telle manière, conformément à ce qui sera prescrit par la loi ; il leur dira que s’il résulte du vote que l’accusé est déclaré coupable d’avoir commis le fait principal, ils auront ensuite à examiner les circonstances de ce fait. Dans le cas, par exemple, où un individu sera accusé d’un meurtre avec préméditation, le président dira aux jurés : « Vous examinerez en premier lieu la question de savoir si l’accusé est coupable d’avoir commis le meurtre qui lui est imputé ; si la majorité du jury déclare que l’accusé n’est point coupable de ce crime, vous n’avez plus rien à examiner ; mais si la majorité du jury déclare que l’accusé est coupable, alors vous délibérerez sur la circonstance de la préméditation, et vous voterez ensuite au scrutin secret sur cette question. »

Je vous demande, messieurs, quand le président aura ainsi expliqué aux jurés ce qu’ils ont à faire, quand il leur aura tracé, dans les moindres détails la manière dont ils doivent procéder, l’intelligence la plus bornée ne comprendra-t-elle pas parfaitement ce qu’il y a à faire dans la chambre de délibération ? Je persiste donc à repousser l’amendement comme tout à fait inutile.

M. Verhaegen. - Messieurs, je n’abuserai pas de la parole, mais la chose est tellement importante que je ne puis m’empêcher de réclamer encore un instant votre attention. Je ne puis réellement concevoir pourquoi, lorsqu’on a obtenu le principe qu’on désirait obtenir, on met tant d’instance à ne pas vouloir l’expliquer d’une manière catégorique : ce que je propose ne doit avoir d’autre résultat que de donner les moyens d’exécuter la loi et de l’exécuter franchement et sans inconvénients ; je ne veux pas, comme l’a prétendu l’honorable M. Raikem, séparer l’intention du fait ; j’abandonne cette partie de la législation de 1791, parce que j’en reconnais les inconvénients ; mais je veux séparer les questions relatives au fait principal des questions relatives aux circonstances aggravantes ; je ne veux en un mot, que ce qu’ont voulu les auteurs du projet quand ils ont dit dans l’article 20 :

« Les jurés voteront séparément et distinctement, d’abord sur le fait principal, ensuite sur chacune des circonstances aggravantes, et, s’il y a lieu, sur chacune des questions posées dans les cas prévus par les articles 339 et 340 du code d’instruction criminelle. »

Je suis si loin de vouloir autre chose que ce qu’ont voulu les auteurs du projet que, si cela peut apaiser leurs scrupules, je consentirai volontiers à modifier la rédaction de mon amendement en me servant des mêmes expressions dont ils se sont servis.

Je voudrais qu’on me dît pourquoi l’on ne veut pas que le président soumette les questions au jury de la même manière que le jury doit les voter, d’après ce qu’on vient de dire dans l’article 20.

Dans cet article on établit que les jurés voteront séparément et distinctement, d’abord sur le fait principal et ensuite sur chacune des circonstances aggravantes ; pourquoi donc ne veut-on pas que le président de la cour d’assises leur soumette les questions de la même manière ?

Une chose vraiment singulière c’est que l’honorable M. Raikem et le rapporteur de la section centrale ne sont plus d’accord. M. Raikem veut que les questions restent complexes, il veut maintenir l’article 37, tandis que l’honorable rapporteur n’adopte pas le principe de cet article, qu’il prétend être tombé en désuétude.

Je crois qu’il faut en venir à cette idée que puisqu’on a changé la nature du vote, il faut nécessairement subir les conséquences du principe qu’on a posé ; on a admis le vote secret, dès lors il faut naturellement prendre des mesures pour que ce vote présente le moins d’inconvénients possible : lorsqu’on votait ouvertement, chacun des jurés disait son opinion tant sur le fait principal que sur les circonstances aggravantes ; le président tenait note de l’opinion de chacun des jurés, et chacun des jurés contrôlait la note du président ; aujourd’hui la manière de voter est complétement changée, et si la chambre n’adopte pas une disposition de la nature de celle que je lui propose, il sera impossible d’atteindre le but de l’article 345 du code d’instruction criminelle. En effet, voici ce que porte cet article :

« Le chef du jury interrogera les jurés d’après les questions posées, et chacun d’eux répondra ainsi qu’il suit : 1° si le juré pense que le fait n’est pas constant, ou que l’accusé n’en est pas convaincu, il dira : Non, l’accusé n’est pas coupable. En ce cas, le juré n’aura rien de plus à répondre ; 2° s’il pense que le fait est constant et que l’accusé en est convaincu, il dira : Oui, l’accusé est coupable d’avoir commis le crime avec toutes les circonstances comprises dans la position des questions ; 3° s’il pense que le fait est constant, que l’accusé en est convaincu, mais que la preuve n’existe qu’à l’égard de quelques-unes des circonstances, il dira : Oui, l’accusé est coupable d’avoir commis le crime avec telle circonstance, mais il n’est pas constant qu’il l’ait fait avec telle autre ; 4° s’il pense que le fait est constant, que l’accusé en est convaincu, mais qu’aucune des circonstances n’est prouvée, il dira : Oui, l’accusé est coupable, mais sans aucune des circonstances. »

Voilà donc les termes de cet article 345 du code d’instruction criminelle, qui donnent la preuve que c’est du résumé de l’acte d’accusation que sont tirées les questions que le président soumet au jury.

Tout cela allait très bien quand il n’y avait pas de vote secret, quand les jurés délibéraient ouvertement. Le président prenait le résumé de l’acte d’accusation, et soumettait les questions aux jurés qui répondaient verbalement ; tout était contrôlé. Mais il n’y a plus rien de ce contrôle, aujourd’hui que vous avez adopté le vote secret. Peut-on marcher encore avec des questions complexes ? Si vous dites que oui, vous abandonnez au président du jury la faculté de les diviser pour les soumettre aux jurés, et de les recomposer pour mettre la réponse en rapport avec la question posée par le président de la cour. Ce sont là deux fonctions très importantes que vous donnez au chef du jury.

Notre président vous a dit que maintenant les jurés seront des hommes ayant des connaissances et qu’on peut leur abandonner quelque chose. Si l’institution se trouve améliorée dans l’opinion de ceux qui ont été d’avis de l’épuration, il n’en est pas moins vrai que l’inconvenance qu’a cette faculté de faire peser une grande responsabilité sur le président du jury subsiste. Si ceux qui ne sont pas de mon avis signalaient des inconvénients devant résulter de mon amendement, je pourrais croire que j’ai eu tort de le présenter. Mais ils n’en signalent aucun, tandis que moi, je signale ceux auxquels ma proposition a pour but d’obvier. On a même reconnu la possibilité de quelques-uns des inconvénients, mais on a dit qu’ils seraient très rares. Quand, sur mille cas, l’inconvénient ne se présenterait qu’une seule fois, encore faudrait-il le prévenir si on en a la possibilité. Comme on n’objecte aucun inconvénient à ma proposition, je ne vois d’autre motif pour la repousser que celui de ne vouloir apporter aucun changement au projet qu’on a présenté. Un projet n’est cependant pas une arche sainte à laquelle on ne peut pas toucher.

Les principes généraux de la loi ont été admis, il ne s’agit plus que d’organiser l’exécution ; je ne comprends pas pourquoi on met tant d’insistance à repousser une modification qui est une véritable amélioration.

Je pense que mon amendement est de nature à fixer votre attention. Pour mettre de côté toute susceptibilité, je prendrai les termes des auteurs du projet, pour formuler mon amendement. Il serait ainsi rédigé.

« Le président de la cour d’assises remettra aux jurés les questions sur lesquelles ils auront à répondre, séparément et distinctement, d’abord sur le fait principal et ensuite sur chacune des circonstances aggravantes. »

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - L’opposition que nous faisons à l’amendement de l’honorable préopinant ne provient pas, comme il le suppose, de cette idée étroite de repousser tout changement aux dispositions proposées par la section centrale, mais de la crainte de faire naître des difficultés qui n’existent pas dans l’état actuel de la législation. Ainsi que notre honorable président l’a très bien expliqué, le code d’instruction criminelle a substitué au droit criminel antérieur de règles plus simples et plus claires : les doutes, les embarras causés par les questions complexes, par la division des questions, surtout en ce qui concerne l’intention, ont disparu complétement. Or, l’amendement de l’honorable député de Bruxelles soulèverait de nouveau tous ces doutes.

D’après les articles 337 et 344 du code d’instruction criminelle, les questions se divisent pour ainsi dire d’elles-mêmes ; le fait principal et chacune des circonstances qui s’y rattachent, en font successivement l’objet.

L’exécution de ces dispositions n’a présenté aucun inconvénient dans la pratique judiciaire, il n’y a donc pas de nécessité d’y apporter des changements. Il y a d’autant moins de raisons de le faire, que les jurés nous donneront à l’avenir plus de garanties de capacité.

On prétend que les dispositions qui introduisent le mode nouveau de répondre par bulletin secret ne seraient pas exécutables, qu’elles ne pourraient se concilier avec les articles du code d’instruction criminelle. Je ne puis partager cette opinion, il est tout aussi facile d’appliquer les règles du vote secret, que celles du vote oral, aux questions sur le fait principal et sur chacune des circonstances. Il n’y a là aucune difficulté sérieuse ; je rappellerai d’ailleurs que le président de la cour d’assises, en remettant les questions aux jurés, doit leur donner toutes les explications nécessaires.

Je le répète, l’amendement de l’honorable M. Verhaegen est inutile, et tel qu’il est conçu, il pourrait même donner lieu à des inconvénients.

M. Dolez. - Comme l’honorable M. Verhaegen, j’ai quelque peine à comprendre l’insistance qu’on met à repousser la moindre modification au projet primitivement adopté. Il me paraît cependant que dans l’espèce actuelle, il n’est question que d’une amélioration au projet du ministre, pour écarter tout doute dans la pratique. Quand chacun de nous reconnaît tout le danger qu’il y a ce que le juré éprouve de l’incertitude, au moment où il émettra son vote, il ne faut pas tenir à ce qu’une première disposition adoptée soit maintenue, il faut la modifier si on présente un moyen de prévenir cette incertitude.

On a prétendu qu’il y aurait des dangers à adopter l’amendement, mais on s’est gardé de les signaler. Je défie les honorables membres qui ne sont pas de notre avis, d’en signaler un seul.

Sera-ce de changer la pratique comme dit le ministre ? Mais quand on change la loi, il est tout naturel de changer la pratique. Si le code d’instruction criminelle était resté intact, je comprendrais cette objection ; mais quand on a changé une loi, le changement qu’on y apporté doit réagir sur la pratique nouvelle. C’est pour éviter toute incertitude sur cette pratique nouvelle que nous proposons de rendre la loi plus formelle.

Selon ce qu’a dit M. Raikem et, après lui, le ministre de la justice, rien ne serait changé par les dispositions actuelles, tout pourrait marcher de la même manière, il n’y aurait aucun danger de plus dans l’application. Si, disent-ils, avec l’institution du jury comme elle est maintenant, la pratique pourrait être telle qu’elle est aujourd’hui, si on pouvait s’en rapporter au bon sens du juré pour répondre par déclaration complexe, il n’y a pas de raison, aujourd’hui que les jurés seront choisis, pour faire diviser les questions par le président de la cour. Mais alors, comme on l’a déjà fait observer, il y avait un correctif dans le vote oral, dans les explications que le président et chacun des chefs du jury pouvaient donner à celui qui aurait eu quelque défiance sur la virtualité du vote qu’il allait émettre. Aujourd’hui que tout doit se résoudre par de simples oui et non exprimés en secret, où trouverez-vous le correctif ?

On m’a demandé de signaler les dangers que la loi présentait. Le plus saillant, c’est d’appeler le jury à répondre à d’autres questions que celles qui lui sont soumises par le président de la cour d’assises.

On a dit : la question sera présentée d’une manière complexe, mais dans le sein du jury on la divisera, on posera d’abord la question : l’accusé est-il coupable du fait principal ? Ensuite, est-il coupable avec telle ou telle circonstance ? En un mot, vous soumettrez à l’arbitraire du chef du jury dont le degré de connaissance est éminemment problématique, le soin de poser la question sur laquelle les jurés auront à répondre. Pourquoi ne pas remettre ce soin au magistrat chargé de diriger les débats et le jury et de lui prêter son assistance jusques dans le sein de la chambre du conseil, pourquoi ne pas charger le président des assises de poser d’une manière définitive la question sur laquelle le jury aura à répondre oui ou non ?

M. Verhaegen a présenté une rédaction qui répond à la crainte qu’on a exprimée de voir diviser à l’infini les questions. Elles resteront complexes, quant au fait d’intention, mais elles seront divisées de manière à pouvoir être résolues d’après le vœu de notre loi.

Tout à l’heure on me faisait une observation en ce sens qu’il est impossible de revenir sur l’article 20, que le règlement s’opposait à ce qu’on présentât une rédaction nouvelle d’un article adopté, au second vote. S’il en était ainsi, nous pourrions produire cette disposition à l’article 25. C’est à ce but que tend la nouvelle rédaction de l’article 25 que je propose. Je déclare abandonner le premier amendement que j’ai proposé tout à l’heure.

L’article 25 serait ainsi rédigé :

« Le président de la cour d’assises, en remettant les questions aux jurés, les avertira de la matière dont ils doivent émettre leur vote.

« La question relative au fait principal sera séparée des questions qui concernent chacune des circonstances aggravantes.. »

L’article continue.

Je ferai une dernière observation sur le danger du système présenté par M. Raikem . Suivant lui, on pourrait abandonner au chef du jury le soin de spécialiser les questions, afin d’avoir des solutions séparées qui seraient réunies pour former la réponse complexe du jury. Mais il est à remarquer que les circonstances aggravantes sont déterminées par la loi pénale, et comme les réponses devront être en concordance avec ces circonstances que la loi pénale détermine, vous appellerez les jurés à examiner les dispositions de la loi pénale, au moment de répondre aux questions posées. Or, cet examen est une chose à laquelle ou ne veut pas que le jury se livre. Ce serait un danger de plus dans le système préconisé par M. Raikem .

M. Raikem. - Dans le discours que vous venez d’entendre, on m’a prêté certain système que je ne crois pas avoir mis en avant.

En se plaçant dans cette position, il était facile de me combattre. L’honorable préopinant ne m’aura pas compris ; peut-être me serais-je mal exprimé, je vais tâcher de le faite plus clairement.

Auparavant, je crois devoir dire quelques mots relativement à ce qui a été avancé par l’orateur qui l’a précédé. Il nous a dit qu’il s’agissait d’améliorer la loi par des dispositions additionnelles qu’on proposait, qu’il s’agissait de lever un doute. Pour moi, je crois que si on examine attentivement le projet, on ne peut pas trouver de doute sur les diverses dispositions adoptées. Mais, dit-on, vous n’avez pas signalé le danger des dispositions que nous présentons, et nous, de notre côté, nous avons signalé les dangers résultant du nouveau mode introduit dans la loi. Je crois, au contraire, que quand on propose une innovation, on doit en démontrer les avantages : ce ne sont pas ceux qui combattent l’innovation qui doivent établir les avantages du système existant, qui a reçu la sanction de l’expérience.

Je ne crois pas qu’il résulte aucun danger nouveau du mode adopté, en suivant, pour la position des questions, les dispositions actuellement en vigueur. Voyons on l’on veut nous conduite avec le système qu’on nous propose actuellement. Il ne s’agit plus maintenant de la manière de voter, mais de la manière de poser les questions. C’est, dit-on, une amélioration de l’article 337 du code d’instruction criminelle. Maintenant on a abandonné le système de ne pas vouloir de question complexe, car on sait ce qu’on entendait par questions complexes, on séparait le fait matériel de l’intention. On veut bien que le mot coupable résume le fait matériel et l’intention, mais on veut que les circonstances aggravantes qui se rapportent au fait principal fassent l’objet de questions distinctes du fait principal lui-même. Ainsi, tandis que le président d’une cour d’assises a un pouvoir discrétionnaire pour diriger les débats, on ne voudrait pas s’en rapporter à ce magistrat pour la position des questions.

Car, c’est un point de jurisprudence conforme aux plus pures lumières de la raison que cet article est démonstratif et nullement limitatif, que le président peut poser les questions comme il le juge convenable, sans qu’il soit obligé de s’en référer littéralement à l’acte d’accusation, dès toutefois qu’il pose toutes les questions qui en résultent ; il peut comprendre les circonstances aggravantes dans la position de la question ; il doit, en outre, poser celles qui résultent des débats. Ainsi, l’amendement proposé ne présente aucun avantage sur le système existant, je crois l’avoir démontré.

On veut que l’on fasse toutes questions séparées. Mais l’acte d’accusation est remis aux jurés.

Dans le résumé de l’acte d’accusation se trouve par exemple « En conséquence N... est accusé d’avoir commis tel vol avec escalade et effraction. » Le jury doit répondre sur chacune des circonstances. Le président doit expliquer comment les réponses doivent être faites.

Je suppose que le président pose la question ainsi :

Un tel est-il coupable de vol avec escalade et effraction ?

Il n’y a pas de différence, l’acte d’accusation étant sous les yeux des jurés, si la question est posée comme je viens de l’indiquer, on a comme ceci : « Un tel est-il coupable de tel vol avec toutes les circonstances reprises dans l’acte d’accusation ? » Mais on ne se contenterait pas que la question fût posée ainsi : « Un tel est-il coupable de tel vol avec escalade et effraction ; » on voudrait qu’on dît :

1° Un tel est-il coupable de tel vol ?

2° Le vol a-t-il été commis avec escalade ?

3° Y a-t-il eu effraction ?

Eh bien, je vous le demande, un jury appelé à statuer sur toutes les questions que je viens de poser, trouvera-t-il une différence, soit que les circonstances se trouvent rappelées dans les questions du président, soit dans le résumé de l’acte d’accusation ? Tout ce qui pourrait résulter, ce serait non pas plus de facilité pour les jurés, car il y en a autant dans un cas que dans l’autre, mais c’est que si on ne se conformait pas au mode de numérotage prescrit par la loi, on pourrait faire casser des procédures et ouvrir la porte à de nouveaux procès. Voilà tout ce qui peut résulter du système qu’on propose, à moins qu’on ne suppose les jurés totalement dépourvus d’intelligence.

Mais on m’a fait dire que je voulais faire appeler le jury à répondre à d’autres questions que celles posées. C’est une erreur ; je n’ai jamais rien dit de semblable, ou du moins je n’en ai jamais eu l’intention ; s’il en était ainsi , je me serais mal exprimé. Toutes les questions sont posées par le président. Les jurés ayant l’acte d’accusation sous les yeux, il importe peu que le développement des questions soit pris dans le résumé de l’acte d’accusation ou écrit sur le papier du président.

Le juré peut aussi facilement répondre à la question dans un cas que dans l’autre. Il n’y a pas de différence. Tout revient à savoir si les questions seront écrites sur un papier ou sur un autre, et si on les divisera par numéro. Je demande quelle importance peut avoir un pareil amendement. C’est une innovation qui n’a aucune utilité et qui ne ferait naître que des inconvénients.

Je serais aussi convenu, dit-on, qu’on abandonnerait au chef du jury le soin de rechercher les circonstances aggravantes ; il devrait entrer dans la question de droit ! Je n’ai nullement dit cela. Je crois m’être expliqué assez clairement. Les jures, ai-je dit, ont sous les yeux et la question posée par le président et le résumé de l’acte d’accusation ; c’est là qu’ils doivent trouver les circonstances. Ils ne peuvent voter que sur la question du président ou sur le résumé de l’acte d’accusation, si la question s’y réfère.

En un mot, tout ce qui résulterait serait que les circonstances aggravantes se trouveraient sur un papier écrit par le président, et qu’il ne pourrait plus s’en référer au résumé de l’acte d’accusation. Je ne vois à cela aucune utilité. Le président a un pouvoir discrétionnaire bien plus étendu dans certains cas que celui qu’il s’agit de lui laisser. Il verra comment il doit poser les questions ; il suffit qu’il sache qu’il ne peut les puiser que dans l’acte d’accusation ou les débats ; il avertira les jurés de la manière dont il doivent répondre. Il leur donnera les éclaircissements nécessaires : n’en exigeons pas davantage ; et craignons qu’un surcroît de précautions, au moins inutiles, n’ait d’autre résultat que de faire naître des contestations et de donner lieu à des pourvois qui, lorsqu’ils n’ont pas pour objet des formalités essentielles, sont toujours préjudiciables au bien public. On a toute confiance dans les présidents de cour d’assises, et l’adoption de l’amendement serait une marque de défiance contre ces magistrats qui jouissent de la confiance publique.

M. de Brouckere. - Il me semblait que les orateurs qui ont pris la parole en faveur de l’amendement de M. Verhaegen avaient suffisamment démontré qu’il aurait pour but d’introduire dans la loi actuelle une grande amélioration. Cependant l’honorable préopinant a porté un défi à ceux qui partagent leur opinion, en disant que jusqu’ici ils étaient restés en demeure de démontrer l’intérêt et l’avantage qui pourraient résulter de cet amendement.

Je vais maintenant répondre à ce défi, parce que, comme je l’ai dit, je suis grand partisan de l’amendement de l’honorable M. Verhaegen .

Je m’en vais simplifier la question ; je l’exprimerai en très peu de mots telle qu’elle se présente réellement. D’après la législation actuelle, quand une question est complexe, quand il résulte de l’acte d’accusation que l’individu traduit devant la cour d’assises est accusé d’un fait avec plusieurs circonstances, le président de la cour d’assises pose la question d’une manière complexe. Je vais le prouver. L’article 337 du code d’instruction criminelle est ainsi conçu :

« Art. 337. La question résultant de l’acte d’accusation, sera posée en ces termes :

« L’accusé est-il coupable d’avoir commis tel meurtre ou tel autre crime, avec toutes les circonstances comprises dans le résumé de l’acte d’accusation ? »

Ainsi, d’après la loi, la question est posée d’une manière complexe par le président de la cour d’assises. Au dire d’un honorable adversaire on s’écarte en fait de cette disposition. Les magistrats ne doivent pas s’écarter de la disposition formelle de la loi. Si ce qu’a dit cet honorable orateur est vrai dans certaines localités, il n’est pas vrai dans d’autres. Je connais des localités où jamais le président de la cour d’assises ne s’écarte du prescrit de l’article 337. Ainsi il reste vrai que les présidents de cours d’assises qui se conforment au prescrit de la loi, posent la question d’une manière complexe lorsque le fait résultant de l’acte d’accusation est complexe.

Mais qu’arrive-t-il ? Comme on ne peut discuter à la fois beaucoup de questions, comme il peut s’en présenter beaucoup, par exemple lorsqu’un vol a été commis avec les circonstances suivantes : l’escalade, l’effraction intérieure et extérieure, la nuit, la maison habitée, la réunion de plusieurs personnes porteurs d’armes apparentes ou cachées ; voilà toutes circonstances qui peuvent à la fois accompagner un vol. Comme il est impossible que les jurés discutent toutes ces questions à la fois, le législateur a dit :

« Art. 344. (code d’instruction criminelle.) Les jurés délibéreront sur le fait principal, et ensuite sur chacune des circonstances. »

Ainsi donc la délibération dans la salle des jurés aura lieu sur chacune des circonstances ; mais comme la question a été posée d’une manière complexe, il faut que le jury réponde d’une manière complexe. C’est ce que prescrit formellement l’article 345 qui porte :

« Art. 345. Le chef du jury les interrogera (les jurés) d’après les questions posées, et chacun d’eux répondra ainsi qu’il suit :

« 1° (…)

« 2° S’il (le juré) pense que le fait est constant, que l’accusé en est convaincu et que la preuve existe à l’égard de toutes les circonstances, il dira :

« Oui, l’accusé est coupable d’avoir commis le crime avec toutes les circonstances comprises dans la position des questions.

« 3° S’il pense que le fait est constant, que l’accusé en est convaincu, mais que la preuve n’existe qu’à l’égard de quelques-unes des circonstances, il dira :

« Oui, l’accusé est coupable d’avoir commis le crime avec telle circonstance ; mais il n’est pas constant qu’il l’ait fait avec telle autre.

« 4° S’il pense que le fait est constant, que l’accusé en est convaincu, mais qu’aucune des circonstances n’est prouvée, il dira :

« Oui, l’accusé est coupable, mais sans aucune des circonstances. »

Vous voyez qu’il faut que le jury réponde par une seule et même réponse à tout le résumé de l’acte d’accusation. Comme on vous l’a dit, l’erreur est extrêmement facile lorsque les questions ne sont pas posées par l’homme qui a l’habitude de la discussion et qui se connaît un peu en matière criminelle.

A quoi maintenant se réduit toute la question ? A savoir si vous voulez que les questions soient simplifiées et divisées par le président de la cour d’assises, c’est-à-dire par un homme capable qui a l’habitude des affaires criminelles et qui mérite toute votre confiance, ou si vous voulez que ce soin soit abandonné au chef du jury qui peut être un homme sans aucune espèce de connaissances, sans aucune capacité, ce que je vais vous prouver : S’il était de toute nécessité que les 12 jurés choisissent leur chef, il serait alors à présumer que le chef serait le plus capable de tous, et, de la manière dont le jury sera composé, il est présumer que parmi les 12 jurés il y en aura un au moins qui sera un homme capable ; mais je vous prie de remarquer que le chef du jury ne sera pas toujours choisi par les jurés. En effet, le second paragraphe de l’article 342 porte : « Leur chef sera le premier juré sorti par le sort, ou celui qui sera désigné par eux et du consentement de ce dernier. » Vous voyez que le premier juré désigné par le sort est, de droit, chef du jury s’il le veut, et que les jurés ne désignent leur chef que si cela leur convient, et dans le cas où le premier juré sorti par le sort y consentît. De là résulte nettement qu’il peut se présenter des cas où le chef du jury ne sera pas un homme capable. Eh bien, je le répète, je ne conçois pas que l’on s’oppose à la proposition de M. Verhaegen, alors qu’elle a évidemment pour but de confier à un homme capable, à un magistrat, la division et la simplification des questions, confiées maintenant à un homme de la capacité duquel rien ne nous répond. Je le répète, l’amendement de M. Verhaegen est si bien une amélioration que M. le rapporteur a dû convenir qu’il est préférable à la législation actuelle.

Par ces motifs je voterai, et sans hésiter, pour l’amendement.

M. de Behr, rapporteur. - Il me semble que les honorables préopinants perdent de vue l’article 19 que la chambre a adopté :

« Art. 19. Après la délibération, chaque juré recevra un de ces bulletins, qui lui sera remis ouvert par le chef du jury.

« Dans les provinces où les langues flamande on allemande sont en usage, chaque juré recevra, outre le bulletin en français, un bulletin en flamand ou en allemand.

« Le juré qui veut répondre oui, efface ou raie le mot non, ou le mot correspondant en flamand ou en allemand. Le juré qui veut répondre non efface ou raie le mot oui ou le mot correspondant en flamand ou en allemand. »

« Il fermera ensuite son bulletin et le remettra au chef du jury, qui le déposera dans une urne à ce destinée. »

Voilà le devoir tracé aux jurés ; mais je ne sais où l’honorable M. de Brouckere a lu dans le projet de la section centrale que ce serait le chef du jury seul qui serait chargé de faire la division des questions. Les jurés concourront tous à ce travail qui sera d’ailleurs extrêmement facile ; car ils trouveront dans l’acte d’accusation qu’on est obligé de leur remettre, l’accusation principale et chacune des circonstances aggravantes. Mais je vais plus loin : à côté de chaque question, après le dépouillement, il faudra que le chef du jury consigne le résultat du scrutin. Pour consigner le résultat du scrutin, il faudra que les jurés soient d’accord sur la manière de voter ; il faudra dresser une liste des diverses questions qui feront l’objet des scrutins, et les jurés ne voteront sur le fait principal et chacune des circonstances qu’après s’être mis d’accord à cet égard. Quant à moi je ne vois aucun inconvénient à ce système.

Ce qu’on propose est un changement au code d’instruction criminelle dont je ne puis, quant à moi, mesurer toute la portée. Je crains qu’il ne donne ouverture à des pourvois en cassation qui sont déjà trop multipliés.

D’un autre côté, ne va-t-on pas avec le système proposé diviser les questions à l’infini ? C’est là vraiment où échoue d’ordinaire le jury. Ne prétendra-t-on pas qu’il faut diviser l’intention du fait matériel ? Les conseils des accusés ne viendront-ils pas le soutenir ? Ce sera encore la matière de pourvois en cassation.

Quant à moi, je crois qu’il serait dangereux de toucher au code d’instruction criminelle, et l’article 19 me semble prévenir tous les inconvénients.

M. de Brouckere. - Je n’ai nullement perdu de vue l’article 19. C’est parce que je le trouve incomplet que je veux le voir complété par la disposition que je défends. Je sais que la délibération aura lieu sur le point principal et sur chacune des circonstances. Il n’était même pas nécessaire de le dire, puisque l’article 344 du code d’instruction criminelle prescrit cette même obligation ; mais de l’article 19 il ne résulte nullement que le président de la cour d’assises pose les questions ; cet article abandonne à cet égard les jurés à eux-mêmes ; c’est ce que nous voulons éviter. Ainsi, on ne nous a nullement répondu.

Un argument plus singulier de l’honorable M. de Behr, c’est lorsqu’il dit qu’il serait dangereux de toucher au code d’instruction criminelle. Mais que fait toute votre loi ? Elle ne fait pas autre qu’apporter des modifications au code d’instruction criminelle. Nous en voulons une de plus parce qu’elle est bonne ; ce qui est tellement vrai, que ses adversaires mêmes n’en ont pas contesté les avantages. La seule raison par laquelle on s’est opposé à l’amendement de M. Verhaegen, c’est qu’on craint de changer quelque chose au projet. On n’a pas fait valoir d’autre argument.

J’ajoute un dernier mot : L’expérience a appris, j’en appelle à tous les hommes qui ont de l’expérience en cette matière, que lorsque des questions qui doivent être divisées sont soumises au jury, cela est cause qu’il se trompe. Il arrive souvent que quand le jury doit répondre d’une manière complexe, il doit rentrer dans la salle les délibérations pour recommencer, attendu qu’il a omis quelques circonstances ou qu’il n’a pas répondu complétement à une réponse tellement complexe qu’il n’a pas pu la saisir. Ainsi je crois que la chambre n’hésitera pas à adopter l’amendement de M. Verhaegen .

- La chambre, consultée. décide qu’il y a lieu de revenir sur la rédaction de l’article 20, par suite de la disposition additionnelle proposée par M. Verhaegen .

La rédaction proposée par M. Verhaegen est mise aux voix et adoptée, et forme l’article 20.

La chambre avait commencé hier la discussion de l’article 22 ainsi conçu ;

« Après chaque scrutin, le chef du jury le dépouillera en présence des jurés, et consignera immédiatement la résolution en marge de la question, sans exprimer le nombre des suffrages, si ce n’est dans le cas où la déclaration affirmative, sur le fait principal, n’aurait été formée qu’à la simple majorité. »

- Cet article est adopté.

Article 23

« Art. 23. Le bulletin sur lequel les mots oui et non seraient tous les deux effacés ou rayés, ou ne le seraient ni l’un ni l’autre, sera compté comme portant une réponse favorable. »

Sur la proposition de M. de Behr, rapporteur, on rédige ainsi cet article :

« Le bulletin sur lequel les mots oui et non, ou les mots correspondants en flamand on en allemand, seraient rayés, ou ne le seraient ni l’un ni l’autre, sera compté comme portant une réponse favorable à l’accusé. »

L’article 23 ainsi modifié est adopté.

Article 24

« Art. 24. Après le dépouillement de chaque scrutin, les bulletins seront brûlés en présence du jury. »

- Adopté.

Article 25

« Art. Le président de la cour d’assises, en remettant les questions aux jurés, les avertira de la matière dont ils doivent émettre leur vote.

« Les articles 18, 19, 20, 21, 23, 24 et 25 seront imprimés en gros caractères et affichés dans la salle des délibérations du jury. »

- Cet article est adopté.

Article 26

« Art. 26. Dans le cas où le fait imputé sera punissable de la réclusion, et que sur le rapport fait à la chambre du conseil les juges sont unanimement d’avis qu’il y a lieu de commuer cette peine en celle de l’emprisonnement, par application de l’arrêté du 9 septembre 1816 (Journal officiel, n°34), ils pourront renvoyer le prévenu au tribunal de police correctionnelle en exprimant les circonstances atténuantes, ainsi que le préjudice causé.

« La chambre des mises en accusation pourra, à la simple majorité, exercer la même faculté.

« Le ministère public et la partie civile pourront former opposition à l’ordonnance de la chambre du conseil, conformément aux dispositions du code d’instruction criminelle. »

Le commencement de l’article 26 résulte d’une rédaction présentée par M. de Behr, et il est adopté avec cette rédaction,

Article 27

« Art. 27. Le tribunal de police correctionnelle devant lequel le prévenu sera renvoyé, ne pourra décliner sa compétence en ce qui concerne les circonstances atténuantes et le préjudice causé. »

Adopté sans changement.

Articles 28 et 29

M. de Behr, rapporteur, propose de réunir les articles 28 et 29 en un seul avec la rédaction suivante

« L’article 2 du décret du 19 juillet 1831 (Bulletin officiel, n’ 185), l’article 3 de la loi du 1er mars 1832 (Bulletin officiel, n’ 128), et les articles 345, 346, 382, 384, 385 et 386 du code d’instruction criminelle, sont abrogés. »

M. Raikem. - Puisque l’on veut changer les dispositions de l’article 337 du code d’instruction criminelle, il faut qu’on nous présente une disposition complète qui remplace cet article ; sans cela on sera fort embarrassé pour poser les questions, et il y aura des difficultés pour les pourvois en cassation. Il faut lever tous les doutes.

M. Dolez. - Je ne pense pas qu’il y ait lieu à abroger l’article 337 qui, à mon sens, reste entier malgré l’amendement. Cet article a pour but de faire poser la question conformément au résumé de l’accusation ; eh bien, la question sera encore posée conformément au résumé de l’acte d’accusation, seulement elle ne sera plus complexe. L’article de notre loi est simplement explicatif de l’article 337 et ne l’abroge pas. Il n’y a pas lieu à faire cette abrogation.

M. Raikem. - On vient de dire, messieurs, que l’article est explicatif de l’article 337 : ainsi l’article 337 subsisterait, et en même temps la disposition dont il s’agit en ce moment ; mais ne craint-on pas que cela puisse donner lieu à des doutes ? et ne serait-il pas préférable qu’on nous présentât une disposition à insérer dans la loi, qui rappelât les dispositions de l’article 337 que l’on entend conserver, et les dispositions additionnelles qui seraient ou modificatives ou explicatives de cet article 337 ? Cela serait beaucoup plus rationnel.

M. de Brouckere. - D’abord, messieurs, il est de principe qu’une loi postérieure abroge toujours une loi antérieure avec laquelle elle est en opposition ; il est donc tout à fait inutile de dire que l’article 337 est abrogé. Ensuite, comme l’a fort bien dit M. Dolez, il y a encore quelque chose de l’article 337 qui reste debout ; c’est la disposition qui ordonne au président de la cour d’assises de poser la question qui résulte de l’acte d’accusation, seulement l’article 20 impose au président une obligation de plus, c’est celle de diviser la question : il me semble donc que la chose ne peut souffrir aucune difficulté, qu’il n’y a aucun doute à craindre,

- Les articles 28 et 29, réunis en un seul, sont mis aux voix et adoptés.

Article 30

L’art. 30, qui devient l’art. 29 est mis aux voix et adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

On procède à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi ; en voici le résultat :

81 membres prennent part au vote.

2 s’abstiennent.

72 adoptent.

9 rejettent.

En conséquence, la loi est adoptée.

Ont voté l’adoption : MM. Andries, Beerenbroeck, Bekaert-Baeckelandt, Berger, Coghen, Coppieters, Corneli, de Behr, de Brouckere, Dechamps, de Florisone, de Foere, de Jaegher, de Langhe, de Longrée, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, Demonceau, de Perceval, Dequesne, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dubois, Dubus (aîné), B. Dubus, Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Heptia, Hye-Hoys, Keppenne, Kervyn, Liedts, Maertens, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Pirmez, Polfvliet, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Scheyven, Simons, Smits, Thienpont, Troye, Ullens, Vandenbossche, Vandenhove, Vanderbelen, Van Hoobrouck, Verdussen, Vergauwen, H. Vilain XIIII, Wallaert, Willmar, Zoude.

Ont voté le rejet : MM. Desmaisières, Doignon, Dumortier, Jadot, Lecreps, Metz, Pirson, Seron et Stas de Volder.

MM. de Puydt et Verhaegen se sont abstenus ; ils sont appelés à énoncer les motifs de leur abstention.

M. de Puydt. - Messieurs, je n’ai pas voulu voter contre le jury, parce qu’il est établi en vertu de la constitution que je respecte ; d’un autre côté, je n’ai pas pu accepter une loi qui expose la vie et l’honneur des citoyens au hasard des décisions d’un tribunal qui peut être composé d’hommes qui ne savent ni lire, ni écrire.

M. Verhaegen. - J’ai trouvé, messieurs, que la loi apporte quelques améliorations dans l’institution du jury, et dès lors, je n’ai pas voulu la repousser par mon vote ; mais comme la loi renferme aussi des dispositions contraires à mes principes, je n’ai pas pu la sanctionner.

Projet de loi qui proroge celle du 22 septembre 1835 sur les expulsions des étrangers

Discussion générale

M. le président. - L’ordre du jour appelle maintenant la discussion du projet de loi, concernant les étrangers résidant en Belgique.

M. Desmanet de Biesme. - Je pense, messieurs, que la loi concernant les étrangers peut entraîner d’assez longs débats, tandis que la loi sur les barrières pourra encore être votée séance tenante ; cette loi est extrêmement urgente, car le 12 de ce mois on doit faire des adjudications qui ne pourront avoir lieu si la loi n’est pas promulguée. Je pense donc que nous ferions bien de commencer par la loi concernant les barrières, qui figure également à l’ordre du jour.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je ne prévois pas, messieurs, que la discussion du projet de loi concernant les étrangers puisse être longue ; je pense donc, puisque l’assemblée s’est attendue à discuter ce projet immédiatement après la loi sur le jury, qu’il convient de s’occuper maintenant de cette discussion et de passer aussitôt après à la loi des barrières.

- La chambre, consultée, décide qu’elle s’occupera immédiatement du projet de loi concernant les étrangers.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, la section centrale a proposé de proroger la loi jusqu’au 1er janvier 1842 ; je crois qu’en effet cette date est préférable, puisqu’à cette époque les chambres sont toujours réunies. J’adopte donc le motif de la section centrale, ainsi que sa proposition.

M. Dumortier. - Messieurs, je déclare que je fais mienne la proposition primitive du gouvernement, quant au terme de l’expiration de la loi, et vous allez, messieurs, en comprendre les motifs. Nous avons à voter, avant le 1er janvier, les budgets ainsi qu’une foule de lois obligatoires ; il me paraît dangereux d’accumuler ainsi à une seule et même époque, la discussion obligée de toutes les lois, tandis qu’en laissant l’échéance de la loi dont il s’agit au mois d’octobre, ainsi que l’a proposé le gouvernement, la chambre aura tout le temps nécessaire pour se livrer à une discussion convenable de la loi.

Vous le savez, messieurs, la loi qui nous occupe est une loi de confiance ; ces lois sont nécessairement momentanées ; celle qu’il s’agit de proroger a d’ailleurs été votée pour des circonstances données qui ne doivent pas exister toujours. Il restera, à l’expiration du terme de la loi, à examiner si la Belgique se trouve encore, oui ou non, dans de pareilles circonstances ; mais dans tout état de cause, il faut nous laisser le temps de nous livrer à cet examen.

Or, vous ne pourrez pas discuter convenablement une pareille loi, si elle doit être votée avant le 1er janvier. Rappelez-vous ce qui a lieu pour les lois qui doivent être portées avant le 1er janvier ? Plusieurs d’entre elles, ne nous sont présentées que quelques jours avant notre séparation. Il en résulte qu’il n’est pas possible de délibérer sur ces lois, comme il conviendrait de le faire.

Je ne pense pas, messieurs, qu’il faille encore augmenter la masse des lois obligatoires qui doivent être votées avant le 1er janvier ; il me paraît sage de proroger la loi dont il s’agit jusqu’à l’époque que le gouvernement avait lui-même proposée.

Venant maintenant au fond de la question, je déclare que je ne puis donner mon assentiment au projet de loi. Je ne pense pas que les circonstances qui nous ont engagés à voter la loi, il y a quelques années, soient encore les mêmes. Nous avons fait cette loi par suite des attentats politiques qui avaient eu lieu en France ; vous savez qu’à cette époque la Belgique était menacée d’être inondée d’une partie des personnes qui avaient pris part à ces attentats : c’est le motif principal qui nous a fait voter cette disposition ; Maintenant que ces circonstances n’existent plus, je vous le demande, est-il nécessaire de continuer une loi dont chacun de nous connaît les abus ? Car personne n’ignore qu’il y a eu un grand nombre d’abus en matière d’expulsion, on a et j’ai signalé à diverses reprises des abus graves qui ont été commis au moyen de la loi que nous avons votée ; il est à ma connaissance qu’il s’en est commis aujourd’hui même.

Le gouvernement n’est pas resté dans les termes de la loi. La loi ne lui permettait d’expulser que les étrangers qui, par leur conduite, compromettent la tranquillité publique. Il fallait donc que les étrangers eussent compromis la tranquillité publique par leur conduite, pour qu’il y eût lieu de les expulser. Eh bien, le gouvernement a expulsé, ou a voulu expulser, plusieurs étrangers dont la conduite était inoffensive envers la tranquillité publique.

Je ne pense pas, messieurs, que de pareils faits doivent engager la chambre à voter légèrement la continuation de la loi.

Je pourrais citer un commerçant de l’arrondissement de Tournay, auquel une expulsion a été notifiée sans qu’on pût alléguer contre lui la moindre charge. Je pourrais citer encore d’autres particuliers qu’on a voulu expulser, et contre lesquels il n’a jamais été dressé le moindre procès-verbal, de quelque nature que ce soit, soit pour délit politique, soit pour délit privé. L’on expulse les hommes paisibles qui viennent en Belgique se reposer à l’ombre de l’arbre de la liberté ; on les expulse impitoyablement comme des criminels, ou comme des gens qui ont troublé la tranquillité publique.

Quel recours avez-vous, messieurs, en pareil cas ? Il n’y en a aucun ; Vous avez pu vous en convaincre par l’affaire qui a été présentée à votre vote, il y a quelques mois ; on a dit que s’il y avait des abus dans l’exécution de la loi sur les expulsions, il n’y avait qu’à mettre le ministre en accusation. Je vous le demande, messieurs, mettra-t-on jamais un ministre en accusation, par le motif qu’une expulsion plus ou moins arbitraire a eu lieu ? Nous savons ce qu’est en pareil cas la mise en accusation d’un ministre, nous en avons déjà eu un exemple. Nous ne devons donc pas croire que la chambre mette jamais un ministre en accusation pour de pareils faits. La chambre, si tant est qu’elle se décide jamais à mettre un ministre en accusation, ne le mettra en accusation que pour des faits qui exposent la sûreté de l’Etat, et non pas pour des affaires particulières.

Ainsi, messieurs, l’arme que nous confions au gouvernement prend entre ses mains une extension immense, puisqu’il expulse des étrangers sans aucun motif ; et puisque j’ai la parole, j’appellerai votre attention sur une pétition que je reçois à l’instant et que je n’ai pu par conséquent déposer à l’ouverture de la séance. Elle est signée par M. Adolphe Soyez, l’un des plus honorables citoyens de la Champagne ; c’est le fils d’un des négociants les mieux famés de Reims. Il habitait la Belgique depuis cinq ans ; il était resté entièrement étranger à la politique ; il résidait paisiblement chez son beau-frère, brasseur à Bruxelles ; et on l’expulse sans qu’il ait troublé la tranquillité publique, sans qu’il y ait la moindre plainte à sa charge.

Et cependant la loi dont on propose la prorogation porte que, pour être expulsé, il faut avoir troublé la tranquillité publique par sa conduite, ou s’être rendu coupable d’un des crimes ou des délits qui donnent matière à extradition. Eh bien, messieurs, lorsqu’on force un étranger honorable, qui n’a rien à se reprocher, ni dans sa conduite politique, ni dans sa conduite privée ; qui n’a jamais, en aucune manière, troublé la tranquillité publique ; qui n’a jamais été condamné par les tribunaux étrangers pour aucun des crimes ou délits qui autorisent l’extradition ; lorsqu’on force, dis-je, un étranger de se retirer du pays, je dis qu’on viole la loi, et qu’une semblable loi entre les mains du ministère est une véritable calamité.

En présence de pareils faits, je vous demande si la loi qu’il s’agit de proroger est une bonne loi ; je vous demande si c’est une loi en harmonie avec nos mœurs. Comment ! un étranger honorable vient résider paisiblement en Belgique, et vous l’expulsez à cause qu’il ne vous convient pas. Mais, messieurs, réfléchissez donc que vous auriez pu vous trouver dans une position semblable, si à la suite de la révolution, le roi Guillaume eût triomphé ; nous aurions été heureux alors de trouver un pays qui nous aurait offert une pierre pour reposer notre tête.

Messieurs, tandis que le gouvernement expulse impitoyablement d’honorables citoyens français qui viennent sur notre sol exercer en paix leur industrie, une pareille rigueur ne se fait pas sentir envers ceux des étrangers qui troublent réellement la tranquillité publique ; car attenter à la prérogative de la chambre des représentants, chercher à la dénigrer dans l’opinion, c’est troubler la tranquillité publique. Eh bien ! je tiens en mains une brochure que je vous ai déjà signalée une fois et dans laquelle on représente la chambre des représentants comme étant l’ennemi le plus acharné de l’armée ; ce qui certainement n’est pas vrai, puisque la chambre s’est toujours montrée très libérale envers l’armée. Et quelles mesures le gouvernement a-t-il prises en pareil cas ? Il a laissé faire, comme s’il approuvait.

Un membre. - Quel est le nom de l’individu ?

M. Dumortier. - Le nom a été mentionné dans tous les journaux, et personne ne l’a ignoré. D’ailleurs, on a imprimé cette aux bureaux du Journal de l’armée Belge, aux bureaux d’un journal qui est destiné à être mis entre les mains des officiers ; la brochure a été répandue avec profusion dans les rangs de l’armée.

Ainsi, l’on tolère qu’on injurie la législature ; qu’on excite l’armée contre la représentation nationale, et l’on trouve que par là l’ordre et la tranquillité publique ne seront nullement compromis. Mais vienne en Belgique un honnête étranger, qui veut se reposer à l’arbre de la liberté ; qui désire exercer paisiblement son industrie chez nous ; oh s’il a le malheur de déplaire à M. l’administrateur de la sûreté publique, vite on l’expulse impitoyablement.

Je ne veux pas pour ma part confier au gouvernement une arme qui, entre ses mains, produit de pareils résultats. Je déclare que si la loi venait à passer, je déposerais un amendement, pour que le président de chacune des chambres ait le même pouvoir que le gouvernement pour les faits d’attentat qui seraient commis contre les chambres. Voilà ce que je ferai, et nous verrons si le gouvernement s’y opposera ; puisqu’il est aussi peu soucieux de la prérogative de la chambre, et qu’il tolère qu’on mette la représentation nationale au ban de l’armée. Nous ne pouvons avoir toute confiance dans sa conduite en pareil cas.

Messieurs, je viens de vous citer un fait très grave. Et voici un autre qui ne l’est pas moins. Il s’agit d’un sieur Floury, habitant Leuze, et qui faisait le commerce de vin. Cet homme, dans le commencement de son établissement, avait eu des malheurs, mais il avait depuis fait face à ses engagements. Il venait de faire un voyage lorsque, rentrant chez lui, il fut tout surpris de voir un arrêté qui l’expulsait. Il se demande : Qu’ai-je fait, moi qui exerce paisiblement mon industrie, qui vends du vin, qui paie mes marchands, qui fais un commerce licite ? Pourquoi puis-je être ainsi expulsé ? Il a fallu une protection auguste pour faire revenir sur cette mesure. Il paraît que le sieur Floury s’était trouvé avec un homme de M. François et qu’il l’avait traité de mouchard. Ce n’est pas une expression d’une grande politesse sans doute, mais ce n’est pas là un fait d’expulsion ; ce n’est pas troubler la tranquillité publique, ni un délit qui donne lieu à l’extradition. Voilà l’emploi qu’on fait de la loi. Je vous le répète, cette loi à laquelle vous avez mis une réserve dans l’intérêt du pays et non de ceux qui administrent, a été exécutée sans tenir compte de cette réserve et comme si le gouvernement pouvait expulser qui bon lui semble de la Belgique.

Je ne pense pas que nous puissions consentir à proroger cette loi. Nous y avions mis des garanties pour le pays, elles ont été manifestement violées ; nous avions mis des garanties en faveur des étrangers qui ne troublaient pas l’ordre public, elles ont été violées. Nous avions voulu que la loi fût une garantie d’ordre public, et le respect dû à la chambre des représentants tient à l’ordre public. En ce point, la loi a encore été violée. Dans un pareil état de choses, je ne puis voter la continuation de cette loi.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je commencerai par demander s’il y a un arrêté d’expulsion contre le sieur Soyez. Je ne crois pas qui y en ait. Je ne connais pas cette affaire ; je m’abstiendrai donc de la discuter en ce moment. Mais puisqu’il s’est adressé à la chambre, je prendrai des renseignements sur le fait. Quoi qu’il en soit, toute l’argumentation de l’honorable préopinant n’a aucun trait à la loi dont il s’agit, car cette loi exige pour toute expulsion un arrêté royal contresigné par un ministre responsable ; j’assume volontiers sur moi la responsabilité de chacune des expulsions qui ont eu lieu en vertu de la loi du 1er octobre 1835 ; j’assume sur moi la responsabilité de ces expulsions parce que je n’en ai proposé aucune qu’après avoir examiné l’affaire par moi-même.

Quant à Floury, il ne s’est pas adressé à la chambre ; je ne crois pas devoir entrer en explications à son égard. Lorsqu’il s’agit de questions de personnes, il faut user de beaucoup de réserve, à moins que la nécessité n’oblige à agir autrement.

Revenant au principe de la loi, je dis qu’elle a été extrêmement utile, parce qu’elle a fourni au gouvernement le moyen d’éloigner un grand nombre de personnes qui se trouvaient dans les cas déterminés par la loi sur les extraditions. Je dis qu’il n’a été fait aucun abus de la loi. Au contraire, le gouvernement a mis une grande réserve dans son exécution, puisqu’aucune expulsion véritablement politique n’a eu lieu ; c’est une preuve de l’extrême réserve avec laquelle on a fait usage de cette loi.

Il arrive souvent que des orateurs confondent la loi des passeports avec la loi d’expulsion. La loi d’expulsion n’est applicable qu’à des cas déterminés, à ceux qui compromettent la tranquillité publique et à ceux qui sont dans un des cas spécifiés dans la loi sur les extraditions.

L’honorable membre a parlé de l’auteur d’une brochure qui a été répandue dans l’armée et dans laquelle on aurait attaqué la chambre des représentants. Je ne l’ai jamais lue, je ne connais pas non plus l’auteur.

M. Dumortier. - Je vais vous la remettre.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Mais l’honorable membre qui critique avec tant de sévérité la conduite de l’administration envers les étrangers n’a pas toujours montré la même tolérance. Il s’est plaint, dans certaine circonstance, qu’on n’ait pas ordonné l’expulsion d’un étranger habitant depuis longtemps la Belgique, ayant une maison de commerce importante à Bruxelles, et cela sous le prétexte d’atteinte portée à la dignité de la chambre dans une pétition dans laquelle je ne pense pas que la chambre ait vu une atteinte portée à sa dignité, ni l’intention d’induire la législature en erreur.

Je me bornerai à ce peu d’explications, chacun de vous comprend la nécessité de maintenir la loi d’expulsion. On ne veut pas sans doute que la Belgique soit le rendez-vous de tous ceux qui ont à leur charge des griefs aussi graves que ceux compris dans la loi d’extradition. Si nous voulons que notre pays offre une résidence agréable aux étrangers honorables que seuls nous avons intérêt à attirer, il faut que le gouvernement puisse éloigner ceux dont la présence compromettrait l’ensemble des étrangers, pour qu’on ne puisse pas dire que la Belgique est le refuge des mauvais sujets.

M. de Brouckere. - Je voterai contre la loi, et je vais motiver mon vote.

La loi du 22 septembre 1835 contient des dispositions exorbitantes, on n’en saurait disconvenir. Je pourrais cependant consentir à en prolonger l’existence, si son exécution appartenait exclusivement à un ministre responsable, qui ait notre confiance. Mais le ministre lui-même met, sous ce rapport, toute sa confiance dans des fonctionnaires subalternes, qui n’ont pas la nôtre, qui n’ont à coup sûr pas la mienne. Le ministre s’en rapporte entièrement à eux ; il regardent les renseignements qu’ils lui donneraient comme exacts, les résolutions qu’ils lui présentent comme justes, et il en résulte que les décisions du ministre sont souvent entachées d’erreur et même vexatoires.

Je m’attends à ce que M. le ministre va me dire : Prouvez donc par des faits ce que vous avancez. Je pourrais le faire bien facilement, mais cela est inutile. Presque chaque année j’ai signalé de nombreux abus ; d’autres orateurs en ont fait autant, nous n’avons jamais obtenu du ministre une seule explication satisfaisante.

Pour toutes nos interpellations il a toujours trois réponses prêtes ; il n’en sort pas. Une fois il dit : « Je n’ai pas de renseignements suffisants, j’en prendrai. » En attendant, la loi ou le budget dont on s’occupe sont votés, et nous n’apprenons rien.

Une autre fois : « On a cité des noms propres ; je suis obligé d’user de réserves dans l’intérêt de ceux dont on parle, sous peine de leur faire tort ; » et nous ne sommes pas plus avancés.

Enfin, il nous dit d’une manière générale, et sans entrer en explications : « Je prends son ma responsabilité tout ce qui a été fait. » Il ne sort pas de ces trois réponses, dont l’une ne nous avance pas plus que l’autre.

Aujourd’hui encore je suis prêt à signaler des abus scandaleux, si le ministre m’en donne le défi, bien que je sache d’avance que je n’aurai pour toute satisfaction qu’une des trois réponses que je viens de dire.

Je voterai donc contre la loi, parce que le ministre ne veut pas, comme je le lui avais demandé lors de la discussion du budget, se charger personnellement de son exécution, et que je n’ai point confiance dans les fonctionnaires auxquels il abandonne cette exécution.

Puisque j’ai la parole, je vous demanderai, contre mon habitude, à vous dire quelques mots de moi : c’est la première fois que cela m’arrive.

En 1834, comme je l’ai fait à peu près chaque année, j’ai vivement attaqué, dans cette chambre, l’administration de la police ; l’administrateur m’a répondu dans une brochure qu’il a envoyée non seulement à chacun de vous, et aux différents journaux, mais à une foule de personnes. J’ai fait de cette brochure le cas que j’en devais faire ; Je n’ai pas répondu par la voie des journaux, et je n’en ai jamais dit mot ici. Cette année, j’ai encore attaque la marche de la police ; nouvelle brochure de la part de l’administrateur. Il est parfaitement dans son droit, et pendant dix ans encore, il pourra en publier contre moi, si cela lui convient ; cela m’est parfaitement égal, car cela ne peut me faire ni bien, ni mal. Mais voici ce que je dois relever. Du silence que j’ai gardé sur sa première brochure, et de ce que je suis sorti de la chambre au moment d’un certain vote (chose qui est possible, mais dont je ne me souviens pas), l’administrateur conclut que j’ai trouvé juste tout ce qu’il m’a adressé, et que je n’ai pas su le réfuter. Je veux seulement prévenir la chambre que si je ne réponds pas à ce que publient contre moi l’administrateur de la police et ses pareils, ce n’est pas impuissance de ma part, mais c’est que je pense qu’un député doit s’abstenir de semblables polémiques.

L’administrateur de la police peut donc écrire sur moi ou contre moi, avec ou sans l’approbation du gouvernement, autant de brochures qu’il voudra ; il peut être sûr de n’avoir jamais de ma part un seul mot de réponse.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - L’honorable préopinant a perdu de vue que dans plusieurs circonstances j’ai répondu à des interpellations, lorsque tout à l’heure il a dit que je n’avais jamais répondu. Dans plusieurs circonstances, des étrangers se sont adressés à la chambre, des discussions se sont élevées et des réponses détaillées ont été faites.

L’honorable membre est encore en erreur quand il dit que j’ai déclaré que je ne me mêlais pas de la loi d’expulsion, que je m’en rapportais à un subordonné. J’ai dit qu’avant de proposer au Roi une expulsion je me faisais toujours un devoir d’examiner chaque affaire en particulier, et que je ne proposais l’arrêté que quand je pensais que l’individu qui en était l’objet se trouvait dans les cas prévus par la loi.

Mais, messieurs, il est très vrai que je ne puis entrer dans les détails du service des passeports. C’est de toute impossibilité. Je puis indiquer des règles générales à l’administration de la sûreté publique, lui donner des instructions, éveiller son attention sur les abus qui sont signalés ; mais sans doute on n’exigera pas qu’un ministre se charge du service des passeports. (Non ! non ! ce serait trop exiger.) Voilà le seul sens dans lequel je me suis expliqué lors de la discussion du budget de l’intérieur, en disant que je ne voulais pas prendre sur moi d’entrer dans ces détails, parce qu’il me semble que les passeports sont un service spécial qui doit être abandonné à l’administrateur de la sûreté publique, et des détails duquel il est impossible à un ministre de s’occuper.

M. Verhaegen. - Moi aussi, je crois devoir m’opposer à la loi en discussion, et je pense que la déclaration de M. le ministre que le plus souvent on ne fait pas usage de la loi, est une indication donnée aux agents subalternes qui commettent de nombreux abus.

L’honorable M. Dumortier a signalé des faits ; M. le ministre a répondu qu’il n’y a pas d’arrêtés d’expulsion. En effet, le plus souvent il n’y a pas d’arrêtés d’expulsion ; on s’arrange de manière à ne pas en avoir besoin ; on se dit qu’il vaut mieux prévenir le mal avant qu’il soit fait, et par suite de ce raisonnement on empêche les étrangers d’entrer en Belgique, ceux-là même qui ont un passeport en règle et qui ont toutes les pièces nécessaires pour séjourner en Belgique. Voici comment les choses se passent ; car j’ai sous les yeux une réclamation qui mérite de fixer votre attention : Un nommé François Brakart, né à Amsterdam, habitait la Belgique avant la révolution ; il avait épousé une femme belge et avait eu trois enfants de ce mariage. Par des circonstances indépendantes de sa volonté, il fut obligé de retourner à Amsterdam. Un de ses parents étant mort à Bruxelles, il désira rentrer en Belgique.

Un de mes confrères du barreau de Bruxelles fit dans ce but des démarches multipliées ; mais il n’obtint rien. On prétendit que cet étranger ne pouvait se prévaloir de la disposition de l’article 2, portant que la loi d’expulsion ne sera pas appliqué à l’étranger marié avec une femme belge, attendu qu’il y a une restriction relative aux étrangers appartenant à un pays qui n’est pas en paix avec le nôtre. Si cet étranger était venu en Belgique, ou aurait pu l’expulser ; mais on n’a pas attendu qu’il y fût ; on lui a dit : Vous ne viendrez pas ; c’est comme cela qu’il n’y a pas d’arrêtés d’expulsion. Voilà le grand inconvénient, c’est que des autorités subalternes se servent de la loi pour s’arroger le droit d’interdire l’entrée de la Belgique à des étrangers qui, s’ils résidaient en Belgique, pourraient, dans l’opinion de ces agents subalternes, être expulsés en vertu de la loi d’expulsion. De cette manière il est bien certain que nous ne verrons guère d’arrêtés d’expulsion. J’appelle, messieurs, votre attention sur ce point, car je trouve qu’il est contraire à notre dignité et à notre intérêt national de repousser du sol belge des étrangers dont la conduite ne peut inspirer aucune crainte.

Sans doute, si l’on pouvait redouter que des étrangers vinssent chez nous pour exciter des désordres il faudrait prendre des mesures pour les éviter. A l’époque où on a voté cette loi, sans que je veuille m’associer à ce vote, il a pu y avoir des raison semblables ; il n’en est pas de même aujourd’hui, les raisons qui pouvaient exister alors n’existent plus maintenant. Vous voyez les abus qui résultent de la loi ; M. Dumortier vient d’en signaler plusieurs. M. de Brouckere vous en a signalé plusieurs fois, je viens d’en signaler un. Je crois que nous devons mettre un terme à cet état de choses en ne renouvelant pas la loi d’expulsion.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Alors même qu’il n’y aurait pas de loi d’expulsion, ce qui est arrivé au sieur Brakart pourrait se représenter. Je n’ai pas connaissance des motifs pour lesquels on lui a refusé l’entrée de la Belgique, ni des motifs pour lesquels il voulait y rentrer. Le sieur Brakart, à la révolution, est retourné en Hollande ; il a voulu revenir en Belgique, je ne sais pas dans quel but, mais cela importe peu. Je dis que pareille chose peut se représenter lors même qu’il n’y aurait pas de loi d’expulsion ; car les Hollandais ne peuvent venir en Belgique qu’avec une permission spéciale de l’administration de la sûreté publique. Je demanderai d’ailleurs si les Belges peuvent aller librement en Hollande, s’ils n’y sont soumis à aucune loi de police particulière ? Je ne le pense pas.

M. de Brouckere. - Nous ne voulons pas imiter le gouvernement hollandais.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je ne prétends pas non plus le prendre pour modèle.

M. Dumortier. - M. le ministre de l'intérieur a prétendu que j’ai demandé l’expulsion d’un étranger, cela n’est pas exact. Si j’avais voulu demander l’expulsion d’un étrange, je sais dans quels termes j’aurais dû le faire ; mais j’ai dit et je répète que, tandis que le gouvernement s’est montré si facile en matière d’expulsion dans mainte et mainte circonstance, ii n’en est pas de même lorsque l’on porte atteinte à la dignité de la chambre, lorsqu’on trompe la législature.

Dans sa réponse M. le ministre de l’intérieur, comme l’a fait remarquer l’honorable M. de Brouckere, s’est absolument renfermé dans des fins de non-recevoir. Il dit qu’il n’y a pas eu d’arrêté d’expulsion ; mais l’honorable M. Verhaegen vient de vous l’expliquer, s’il n’y a pas d’arrêté d’expulsion, c’est qu’on expulse sans arrêté, c’est qu’on viole la loi, ce qui est pis encore puisqu’on expulse sans accomplir les formalités que la loi avait prescrites pour donner des garanties aux étrangers. Dès que ces garanties sont effacées, dès qu’un agent subalterne trouve dans la loi d’expulsion la faculté d’expulser, sans rime ni raison, l’étranger qui lui déplaît, il est évident qu’il ne faut pas renouveler cette loi et qu’il faut laisser les étrangers résidant en Belgique dans la position que leur donne l’article 128 de la constitution, qui leur garantit la protection accordée aux personnes et aux biens.

Quant au sieur Floury, on dit qu’il n’y a pas de pétition ; qu’importe, dès qu’il est manifeste qu’on a voulu expulser cet étranger quoiqu’il ne soit dans aucun des cas prévus par la loi d’expulsion ou par la loi d’extradition ? Peu importe que cet individu ne se soit pas adressé à la chambre si je m’adresse à la chambre, si je la saisis de ce fait.

Sans nous égarer dans des questions particulières, n’a-t-on pas vu le gouvernement rester impassible en présence d’une provocation contre la chambre, alors qu’il expulse avec tant de facilité des étrangers paisibles qui ne troublent aucunement la tranquillité du pays ? Qu’a répondu M. le ministre de l'intérieur ? « Je ne connais pas la brochure dont il s’agit. » Mais M. le ministre de l'intérieur ne peut pas faire une pareille réponse ; le fait que je signale a déjà été signalé à la chambre avec publicité, et dès lors le gouvernement connaissait le fait qu’il prétend ne pas connaître. C’est là la circonstance la plus grave.

J’ai toujours regardé comme un grand malheur que le congrès, lorsqu’il a organisé le pouvoir des chambres législatives, les ait laissées sans aucun moyen de défense, en présence du pouvoir exécutif ; de telle sorte que si le pouvoir exécutif voulait miner, renverser la constitution, voulait faire un coup d’Etat, les chambres seraient absolument sans pouvoir pour l’en empêcher. Alors, ce ne seraient pas les Belges que l’on irait chercher pour renverser la constitution, ce seraient des étrangers, et l’on choisirait ceux qui déjà ont cherché à démonétiser la chambre dans l’opinion publique. Ce que je dis est autant dans l’intérêt bien entendu du gouvernement, que dans celui du pouvoir législatif, car le gouvernement doit désirer que la représentation nationale organisée par la constitution soit entourée de toute la dignité que la constitution a voulu lui donner.

Vous voyez combien il est facile de violer la constitution, surtout avec l’appui d’étrangers soudoyés peut-être par le gouvernement.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Nous ne soudoyons personne.

M. Dumortier. - Je ne dis pas que ce soit vous, je dis peut-être, chacun en prendra ce qu’il voudra.

Il faut de deux choses l’une, ou que l’expulsion n’existe plus, ou bien que les étrangers qui viennent en Belgique pour injurier la chambre ne puissent plus le faire. C’est dans ce sens que je déclare de nouveau que je rédigerai un article additionnel. Je voterai contre la loi ; mais si la majorité adopte la prorogation, je l’adjurerai de faire en sorte qu’on puisse sévir contre les étrangers qui ne viennent dans notre pays que pour nous insulter.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je n’ai qu’un mot à dire. Les étrangers ne se laissent pas expulser sans arrêté. Si un étranger a été renvoyé de la Belgique soit en vertu de la loi des passeports, soit de toute autre manière, sans mériter une mesure aussi sévère, il peut s’adresser au ministre. Mais la loi sur les passeports et la loi d’expulsion sont des choses distinctes, et les étrangers savent qu’ils peuvent invoquer la constitution et la loi si on les expulsait d’une manière arbitraire.

En ce qui concerne les chambres vous ne pouvez croire que le gouvernement favoriserait les étrangers qui se permettraient de l’attaquer. Du reste, le gouvernement a usé de la loi avec beaucoup de ménagement.

Vote sur les articles et sur l’ensemble du projet

M. le président. - M. Verdussen propose de proroger la loi du 22 septembre 1835, relative aux étrangers, jusqu’au 1er mai 1841 ; la section centrale propose la prorogation jusqu’au 1er janvier 1842. Le ministre se rallie à la proposition de la section centrale.

M. Verdussen. - C’est parce qu’au 1er janvier nous avons ordinairement beaucoup de travaux urgents à exécuter que j’ai proposé le 1er mai.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je crois que la date du 1er janvier, indiquée par la section centrale, est la plus convenable. Cette loi ne peut donner lieu à de grandes discussions, et les chambres auront toujours le temps nécessaire pour examiner la proposition de prorogation qui leur serait faite. Si la disposition du la section centrale n’est pas admise, je demanderai que la loi soit prorogée de trois ans ou jusqu’au 1er octobre 1841.

M. Demonceau, rapporteur. - D’après la constitution, les membres s’assemblent nécessairement le second mardi de novembre si la loi expirait le 1er octobre, elle pourrait être un temps sans vigueur ; c’est par ce motif que la section centrale a proposé le 1er janvier 1842.

- L’amendement de M. Verdussen n’est pas admis ; celui de la section centrale est adopté.

M. le président. - M. Dumortier propose un article additionnel qui a pour but d’accorder aux présidents des chambres législatives le même pouvoir qui est conféré, par l’article premier de la loi, au gouvernement.

M. Dumortier. - Je retire mon amendement et me réserve d’en faire l’objet d’une proposition spéciale.


On procède à l’appel nominal sur la prorogation de la loi concernant les étrangers.

65 membres sont présents.

57 votent la prorogation.

8 votent contre.

En conséquence, le projet est adopté et sera transmis au sénat.

Ont voté l’adoption : MM. Andries, Beerenbroeck, Bekaert, Berger, Corneli, Dechamps, de Foere, de Langhe, de Longrée, F. de Mérode, Demonceau, de Perceval, de Renesse, de Roo, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, d’Huart, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Duvivier, Eloy de Burdinne, Heptia, Keppenne, Kervyn, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Metz, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Pirson, Polfvliet, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont, Troye, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Van Hoobrouck, Van Volxem, Vergauwen, Wallaert, Peeters.

Ont voté contré : MM. De Brouckere, d’Hoffschmidt, Dumortier, Lecreps, Liedts, Vandenbossche, Verhaegen, H. Vilain XIIII.

La séance est levée à cinq heures.