(Moniteur belge n°53, du 22 février 1838)
(Présidence de M. Raikem.)
M. B. Dubus procède à l’appel nominal à une heure.
M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. B. Dubus présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« L’administration communale de Lavaux-Ste-Anne (Namur) demande qu’il soit apporté des modifications à la loi de 1817 sur la milice nationale. »
« Le sieur van Dael, chevalier de la légion d’honneur, à Mons, demande que la chambre fasse droit aux réclamations des légionnaires. »
« Des négociants en toiles et fils de lin, filateurs, fileuses et tisserands de la ville de Tournay et de la commune de Luingné (Flandre occidentale) demandent qu’il soit frappé les mêmes droits sur les fils et les lins venant de l’étranger que ceux que nous payons à l’entrée en France. »
« Le sieur Bumolle, receveur de l’enregistrement et des domaines à Arlon, adresse des observations sur le projet relatif aux frais d’adjudication des barrières. »
« Le sieur de Bruyne, à Furnes, demande une augmentation d’indemnité en faveur des jurés. »
- Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
« Le sieur Hubert Rogittart, propriétaire à Mons (Luxembourg), né en France et habitant la Belgique depuis 1821, demande la naturalisation.
- Cette pétition est renvoyée à M. le ministre de la justice.
M. de Foere, au nom de la section centrale chargée de l’examen du projet de loi relatif aux droits d’importation et d’exportation sur le café, dépose le rapport sur le projet de loi.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport, et en fixe la discussion au lundi 5 mars.
M. Peeters. - Un projet de canalisation de la Grande-Nèthe a été présenté à la chambre par M. le ministre de l’intérieur, le 28 avril 1835 ; ce projet (sur lequel une commission d’enquête a été convoquée il y a plus de deux ans) a été envoyé à une commission de neuf membres, laquelle jusqu’ici n’a fait aucun rapport.
Je propose donc que cette commission soit invitée à présenter son rapport le plus tôt possible, afin que ce projet puisse être mis à l’ordre du jour en même temps que le canal de Zelzaete.
J’insiste d’autant plus sur cette proposition, que je vois dans le rapport de M. l’ingénieur en chef des ponts et chaussés que les pavés pour la route de Turnhout à Diest, décrétée il y a quatre ans, et dont on attend l’exécution avec impatience, doivent être transportés en partie par cette rivière canalisée, et que d’ailleurs l’économie que l’on trouvera sur le transport des pavés par eau, couvrirait en partie les frais à faire pour la canalisation, avantage que l’on perdrait entièrement si l’on remettait la construction de ce canal.
- La proposition de M. Peeters est adoptée ; en conséquence la commission est invitée à faire un prompt rapport sur le projet de canalisation de la Grande-Nèthe.
M. le président. - La discussion continue sur l’article premier et sur l’amendement proposé à cet article par M. Lebeau .
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - La chambre a témoigné le désir qu’il fût produit pour les autres provinces du pays, un tableau comme il en a été présenté un hier pour la province du Brabant.
J’ai eu l’honneur de dire à la chambre que si les matériaux se trouvaient dans mon ministère, je ferais faire cette statistique le plus tôt possible. Je puis annoncer que les matériaux se trouvent dans mon ministère, et qu’on n’a pas cessé de s’occuper de ce travail : mais quelque activité qu’on y ait apporté, il a été impossible de le terminer. Une partie du travail pour quelques provinces sera terminée pendant le courant de la séance ; tout sera terminé pour demain.
Je puis prendre l’engagement de produire demain le tableau statistique dont il est question.
La chambre renvoie à demain la discussion du n°1 de l’article premier, et passe au n°2 du projet de la section centrale, auquel le gouvernement se rallie et qui est ainsi conçu :
« Les jurés seront pris (…)
« Et 2°, indépendamment de toute contribution, parmi les classes de citoyens ci-dessous désignées :
« a. Les membres de la chambre des représentants.
« b. Les membres des conseils provinciaux.
« c. Les bourgmestres, échevins, conseillers communaux, secrétaires et receveurs des communes de 4,000 âmes et au-dessus.
« d. Les docteurs et licenciés en droit, en médecine, en chirurgie, en sciences et en lettres ; les officiers de santé, chirurgiens de campagne et artistes vétérinaires.
« e. Les notaires, avoués, agents de change ou courtiers.
« f. Les pensionnaires de l’Etat jouissant d’une pension de retraite de 1,000 fr. au moins.
« Ces citoyens rempliront les fonctions de juré près la cour d’assises dans le ressort de laquelle est établi leur domicile réel. »
- Cette disposition est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - La chambre passe à l’article 2 qui est ainsi conçu :
« Art. 2 (projet du gouvernement). Ne seront pas portés ou cesseront d’être portés sur la liste des jurés :
« 1° Ceux qui ont atteint leur 70ème année ;
« 2° Les ministres, les gouverneurs des provinces, les membres des députations permanentes des conseils provinciaux, les commissaires de district, les juges, procureurs-généraux, procureurs du Roi et les substituts ;
« 3° Les ministres des cultes ;
« 4° Les membres de la cour des comptes ;
« 5° Les secrétaires-généraux et les directeurs d’administration près d’un département ministériel ;
« 6° Les militaires en service actif, les auditeurs militaires et les membres des tribunaux militaires. »
« Art. 2 (projet de la section centrale). Ceux qui ont atteint leur soixante-dixième année ne seront point portés sur la liste générale du jury. »
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je maintiens le projet du gouvernement tel qu’il est. Voici les deux raisons pour lesquelles je n’ai pas pu me rallier au projet de la section centrale. J’ai vu un avantage à ce que les exemptions fussent indiquées dans la loi à côté des conditions exigées pour être juré. Ensuite, il y a dans l’article du projet du gouvernement des exemptions qui ne se trouvent pas dans le code d’instruction criminelle, et qu’il est utile de maintenir.
Je prie l’honorable rapporteur de vouloir bien nous dire s’il est entré dans la pensée de la section centrale de ne pas maintenir les exemptions formulées dans l’article 2. Je lui serai obligé de vouloir bien donner à cet égard une explication.
M. de Behr, rapporteur. - Il y a, relativement aux motifs de dispense, des dispositions très précises dans le code d’instruction criminelle. Je les crois suffisantes.
On parle, dans l’article du gouvernement, des membres des députations permanentes ; mais, dans le code d’instruction criminelle, les conseillers de préfecture ne sont pas dispensés.
Quant aux ministres des cultes et aux directeurs d’administration générale, ils sont dispensés par le code d’instruction criminelle.
Un autre motif qui a déterminé la section centrale à s’en tenir aux dispositions en vigueur, c’est la crainte d’aller trop loin en établissant de nouvelles exemptions ; car d’autres fonctionnaires et les médecins de campagne auraient des droits à faire valoir à l’exemption. En nous en tenant aux motifs de dispense admis aujourd’hui, personne n’aura à se plaindre, voilà ce qui a détermine la section centrale.
M. Dubus (aîné). - Je lis dans l’article. 384 du code d’instruction criminelle :
« Art. 384. Les fonctions de juré sont incompatibles avec celles de ministre, de préfet, de sous-préfet, de juge, de procureur-général, de procureur du Roi et de leurs substituts.
« Elles sont également incompatibles avec celles de ministre d’un culte quelconque.
« Les conseillers d’Etat chargés d’une partie d’administration, les commissaires du Roi près les administrations ou régies, les septuagénaires, seront dispensés, s’ils le requièrent. »
Je lis ensuite dans le décret du congrès du 19 juillet 1831 :
« Art. 3. L’incompatibilité établie par l’art. 384 du code d’instruction criminelle, pour les fonctions de préfet et de sous-préfet, est remplacée par celle de membre de la commission permanente du conseil provincial, de gouverneur et de commissaire de district, sans préjudice des autres incompatibilités établies par ledit article 384. »
Il résulte de ces deux dispositions, dont l’une maintient et explique l’autre, que la plus grande partie de l’article est inutile.
Quant aux nouvelles dispenses proposées dans l’article du gouvernement, il faudrait, ce me semble, les justifier.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il s’est présenté des doutes à l’égard des fonctionnaires indiqués dans cet article. C’est pour cela qu’il a paru nécessaire d’en donner l’énumération.
Pour les membres de la cour des comptes, il a paru convenable de les mettre, relativement au jury, sur la même ligne que les membres de l’ordre judiciaire.
La même observation s’applique aux secrétaires-généraux des départements ministériels et aux directeurs-généraux des branches d’administration. Chacun comprendra combien serait embarrassée dans un ministère la marche des affaires lorsqu’un secrétaire-général serait pendant 15 jours à la cour d’assises. Il en est de même pour un directeur d’administration. Ce n’est pas dans l’intérêt de ces fonctionnaires que l’exemption est proposée, ce n’est pas pour leur procurer un avantage ; car ils seront moins occupés, ils auront moins de charge en suivant les audiences de la cour d’assises qu’en travaillant de 9 à 5 heures dans les bureaux de l’administration.
M. de Behr, rapporteur. - La loi que nous faisons n’est pas complète. La section centrale a proposé la suppression de la disposition relative à l’âge de 25 ans. Il faudra donc bien recourir pour l’âge au code d’instruction criminelle. Pourquoi ne ferait-on pas de même pour les dispenses ?
Quant aux membres de la cour des comptes, je ne vois pas le motif d’exemption. On veut des jurés éclairés. Il ne faut pas exclure toutes les professions où il y a des garanties de lumières. Les travaux de la cour des comptes ne seront entravés que si plusieurs de ses membres étaient appelés dans une même session à faire partir du jury. Cela est possible, mais ce n’est pas probable. Dans ce cas on pourra faire valoir ce motif d’excuse, et la cour en jugera. Je ne vois aucun motif pour admettre ces innovations.
M. Lebeau. - Je conviens, messieurs que ce n’est pas un très grand avantage que de reproduire dans la loi actuelle les incompatibilités établies par les lois antérieures ; cependant c’est un avantage puisque la loi mettra sous les yeux des autorités locales qui doivent dresser les listes, la nomenclature des personnes qui ne peuvent pas y être portées.
L’honorable rapporteur de la section centrale vous a parlé de plusieurs catégories de fonctionnaires qui ne sont pas compris dans les lois antérieures : par l’effet de l’appel de deux membres de la cour des comptes, dans un jury, ce qui est possible, vous vous exposez à paralyser l’action de cette cour.
Il s’élève un doute relativement aux membres de cette cour ; on pourrait soutenir que ce sont des juges. Ce sont des magistrats, et leurs fonctions présentent beaucoup de similitude avec celles des juges. Il ne faut pas proposer des énigmes aux députations permanentes qui dresseront les listes des jurés ; il faut trancher la question. Il y a plus de raisons pour exempter les membres de la cour des comptes que pour exempter les membres des députations provinciales qui se composent de sept membres, et qui peuvent prendre des décisions à quatre membres. Cependant personne ne veut qu’on mette les membres des députations permanentes sur les listes : il y aurait un inconvénient bien plus grave à y porter les membres de la cour des comptes.
Je demande que l’on adopte les dispositions des différents paragraphes de l’article 3.
M. de Muelenaere. - Le projet de loi ne renferme que quelques modifications ; il me semble qu’il faudrait faire une loi complète sur cette matière, et qu’il serait urgent de s’en occuper. Je remarque dans le rapport de la section centrale que quatre sections ont adopté le paragraphe 2 du gouvernement, et qu’une cinquième, en l’adoptant, a proposé d’exempter les personnes âgées de 70 ans. La section centrale a admis l’exemption pour l’âge, mais a rejeté le paragraphe 2, en disant qu’il n’y avait pas d’importance à répéter ce que disent les lois antérieures.
Ce n’est pas là un motif bien impérieux.
Dans le projet du gouvernement ni dans le code d’instruction criminelle on ne parle pas des avocats-généraux, on n’y parle pas non plus des greffiers ; cependant, il faut exempter les uns et les autres. Les greffiers des tribunaux de première instance peuvent être appelés à être greffiers d’une cour d’assises elle-même ; il y a donc incompatibilité réelle entre leurs fonctions et celles de juré. Dans le code d’instruction criminelle, il est parlé des sous-préfets ; mais les commissaires d’arrondissement ne sont pas exactement des sous-préfets. Il y aurait donc avantage à déclarer, dans l’article 3, quelles personnes ne doivent pas faire partie du jury, afin de lever tous les doutes. En ce sens, la nomenclature proposée par le gouvernement dans l’article 3 a un grand degré d’utilité. A moins de motifs puissants pour écarter cet article, il faut l’adopter. C’est beaucoup que de faire cesser des doutes.
M. Pollénus. - Messieurs, ainsi que l’a déjà dit M. le rapporteur de la section centrale, elle a pensé que les motifs d’exemption devaient être puisés dans des considérations d’incompatibilité et non dans des considérations de convenance. On a dit que les fonctions de juré étaient envisagées comme une charge ; mais les particuliers ainsi que les fonctionnaires sont chargés de travaux et de travaux continuels ; cependant ils ne sont pas exemptés, parce qu’il n’y a pas incompatibilité ; il faut de même ne pas exempter les magistrats dont les fonctions ne sont pas incompatibles avec celles des jurés.
Un honorable préopinant a demandé si les avocats-généraux étaient compris dans les incompatibilités. Le texte de la loi sur l’organisation judiciaire répond à cette objection ; ce sont deux des substituts du procureur-général qui prennent le titre d’avocats-généraux, et qui se trouvent ainsi compris dans la dénomination de substitut.
On a fait une objection relativement à la cour des comptes : je crois devoir l’examiner. Si deux membres de la cour des comptes étaient appelés à faire partie d’un même jury, cette cour serait exposée à voir entraver ses travaux.
D’abord je ferai remarquer que les membres de la cour des comptes siègent dans la même ville où siège le jury, par conséquent les inconvénients du déplacement n’existent pas. Mais il y a une autre considération à faire valoir ; c’est que si deux membres d’un même collège se trouvaient, par l’effet du hasard, appelés à fane partie d’un même jury, ils obtiendraient facilement que l’un d’eux pût se retirer, à l’aide des récusations. C’est ce qui aurait lieu en faisant valoir de bons motifs.
J’ai entendu soulever la question de savoir si les juges de paix se trouvaient compris dans les catégories d’incompatibilités du code d’instruction criminelle. Il n’y a pas de doute, puisque les juges de paix sont des juges.
On voudrait voir réunies dans la même loi toutes les dispositions qui ont quelque corrélation entre elles. Mais ne voyez-vous pas que ces réunions sont impossibles par suite des lois successives que nous faisons sur les mêmes matières. Dans la loi qui nous occupe. par exemple, le ministre de la justice ne vient-il pas demander qu’on donne le caractère correctionnel à une foule de faits qualifiés crimes par le code pénal ? Ainsi on change d’un trait de plume toute l’économie du code criminel.
Nous avons entendu, depuis quelque temps, parler des travaux nombreux dont sont chargés les conseillers des mines : si l’on n’envisageait que cette considération, on pourrait les exempter avec autant de raison que les membres de la cour des comptes ; mais la section centrale, je le répète a posé le principe : les exemptions doivent résulter d’incompatibilités, et non de convenances ; et c’est d’après ce principe qu’il faut juger les diverses propositions qu’elle a faites.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs si l’article 3 proposé par le gouvernement n’avait d’autre but que de réunir en quelque sorte dans un même cadre les diverses exemptions, on pourrait en contester l’utilité ; mais il a encore pour objet de faire cesser les contestations qui se sont élevées relativement aux exemptions et en outre d’introduire quelques exemptions nouvelles ; on ne s’est pas suffisamment expliqué sur ces nouvelles exemptions, mais si nous sommes d’accord pour les sanctionner ainsi que celles qui ne sont que répétées dans l’article, on conviendra que cet article ne peut donner lieu à aucun inconvénient et qu’il réunit certains avantages. Est-il vrai, oui ou non, qu’il y a actuellement des doutes sur la question de savoir si les membres de la cour des comptes doivent faire partie du jury ? Plusieurs honorables membres de l’assemblée disent que ces fonctionnaires sont des juges et que comme tels ils doivent être exemptés ; d’un autre côté, le personnel de la cour des comptes est extrêmement limité, et c’est encore une raison pour exempter du jury les membres de cette cour, car si deux d’entre eux étaient appelés à faire en même temps partie du jury, le service si important de la cour des comptes serait interrompu. De plus un membre de la cour pourrait être empêché par d’autres motifs et alors il suffirait qu’un seul membre fît partie d’un jury pour que l’inconvénient dont je viens de parler existât. On dit que les récusations peuvent remédier à ce mal ; c’est là une erreur ; les récusations ne sont pas établies dans un but semblable.
Je pense comme l’honorable préopinant que les juges de paix ne doivent pas être portés sur la liste des jurés, parce qu’ils sont compris dans la dénomination générale de juges.
Quant aux membres du conseil des mines, si l’on croyait nécessaire de les exempter. on pourrait le proposer, mais, je pense qu’il n’y pas les mêmes motifs que pour les membres de la cour des comptes ; il ne s’est pas présenté jusqu’à présent des doutes à cet égard.
Je persiste donc soutenir la proposition du gouvernement, et je répéterai en finissant que ce n’est pas par des motifs de convenance, que ce n’est pas dans l’intérêt des fonctionnaires dont il s’agit qu’on propose de les exempter ; c’est dans l’intérêt du service et dans ce sens il y a incompatibilité, puisqu’ils ne peuvent pas remplir convenablement leurs fonctions pendant qu’ils sont obligés de prendre part aux travaux du jury.
M. Angillis. - Tout le monde convient, messieurs, qu’il faut chercher à composer le jury de manière qu’il réunisse le plus d’hommes capables possible ; cependant le projet du gouvernement dispense une foule d’hommes capables. Je ne sais pas, par exemple, pour quel motif on veut dispenser les gouverneurs de provinces ; il en est plusieurs qui siègent dans cette chambre, qui y sont fort assidus, et cependant dans les provinces qu’ils administrent tout le monde dit qu’on est très content d’eux. Ces fonctionnaires peuvent donc sans inconvénient s’absenter quelquefois et ils pourraient d’autant mieux faire partie du jury que la cour d’assises siège ordinairement dans la ville où ils résident. Ces observations s’appliquent également en partie aux maires, aux membres des députations permanentes ; ces fonctionnaires n’ont pas une besogne tellement forte qu’ils ne puissent pas s’absenter tous les trois ans ou tous les six ans, peut-être, pour assister à quelques jugements.
Quant aux membres de la cour des comptes, je crois qu’il y a réellement des motifs pour les exempter, parce que ces fonctionnaires ne peuvent pas se faire remplacer comme les gouverneurs ; ceux-là donc ont droit à l’exemption.
Des personnes qu’il faudrait peut-être exempter aussi, ce sont les médecins et les chirurgiens dont la présence est quelquefois très nécessaire dans leur commune : un médecin traite une personne atteinte d’une maladie dangereuse dont il a seul le secret ; s’il doit abandonner son malade, il peut en résulter les conséquences les plus graves pour celui-ci ; quoiqu’il en soit, je ne proposerai pas d’exemptions nouvelles, et j’adopterai plutôt la proposition de la section centrale que celle du gouvernement, à moins qu’on ne maintienne pas l’exemption des gouverneurs et des membres des députations provinciales.
M. Pollénus. - L’honorable préopinant a perdu de vue, messieurs, que d’après le décret du 19 juillet 1831, ce sont les députations permanentes présidées par le gouverneur qui sont chargées de dresser les listes du jury ; c’est là un motif pour que les gouverneurs et les membres des députations provinciales ne fassent pas partie du jury.
M. Gendebien. - Je commencerai, messieurs, par exprimer le regret de ce qu’on ne veut pas dévier de cette malheureuse habitude de toujours faire ce qu’on est convenu d’appeler des bouts de lois. Il n’est rien de plus pernicieux, il n’est rien de plus difficile à faire que ces bouts de loi. Il résultera de la loi que nous discutons, si elle est adoptée, que la population tout entière qui doit composer le jury, aura à consulter le code d’instruction criminelle, la loi du congrès, la loi de 1832 et la loi que vous allez faire ; ainsi quatre lois à rechercher, à consulter. L’institution du jury est, dit-on, une charge peu goûtée. Eh bien, messieurs, le moyen d’en dégoûter encore plus nos concitoyens, c’est de les laisser toujours dans l’incertitude sur les devoirs qu’ils ont à remplir ; dans l’impossibilité ou peu s’en faut de s’en instruire.
Je voudrais, messieurs, qu’une bonne fois on vînt à faire une loi complète sur le jury, et que cette loi complète fût distribuée au meilleur marché possible, ou plutôt distribuée gratuitement à toutes les personnes qui peuvent être appelées à faire partie du jury : alors chaque citoyen dans ses moments de loisir, pourrait s’occuper des devoirs qu’il peut avoir à remplir, comme membre du jury, et l’on ne verrait plus, comme l’a affirmé le ministre de la justice, des hommes qui ignorent complétement leurs devoirs de juré ; ce qui n’est pas étonnant puisqu’on ne fait rien pour instruire les citoyens ; qu’au contraire on semble faire tout ce qu’on peut pour embrouiller les lois qui doivent les instruire de leurs devoirs.
Je voterai en faveur de l’article proposé par le gouvernement parce qu’il tend à compléter la loi et que j’espère qu’avant de finir cette discussion, on sentira la nécessité de faire une loi qui comprenne toutes les dispositions concernant le jury, tant celles du code d’instruction criminelle, que celle de la loi du congrès qu’on jugera utiles de conserver.
Si j’ai bien compris l’honorable rapporteur de la section centrale et un membre qui siège à sa gauche, et qui a parlé après lui, il résulterait des observations de ces deux honorables préopinants que l’un pense qu’en adoptant l’article 2 tel qu’il est proposé par la section centrale, on maintiendrait toutes les exemptions déterminées par l’article 384 du code d’instruction criminelle, et que l’autre orateur est d’avis qu’on supprimerait par ce fait toutes ces exemptions ; au moins j’ai entendu le second orateur combattre même les exemptions prononcées par le code d’instruction. Je le demande, messieurs, dans cet état de choses, n’est-il pas nécessaire de faire une loi complète qui dise positivement quels sont les droits et les devoirs de chacun ; car en admettant que ces deux honorables membres soient d’accord, toujours est-il certain qu’il faut compulser et combiner plusieurs textes, ce qui n’est pas toujours fait le mieux par les hommes qui en font leur état.
Je regrette de ne pouvoir partager l’opinion de l’honorable préopinant qui ne trouve aucune espèce d’inconvénient à admettre dans le jury les gouverneurs, les commissaires de district et les membres des députations provinciales, etc. J’y vois, moi, de graves inconvénients, non pas précisément parce que cela les distrairait de l’exercice de leurs fonctions de tous les jours, de tous les instants ; mais à cause de l’influence qu’ils pourraient exercer sur la délibération du jury. On veut le vote secret parce que, disait-on hier et avant-hier, on craint l’influence de certains hommes sur leurs collègues ; et l’on voudrait admettre dans le jury des hommes qui par leur position, peuvent exercer la plus grande des influences, celle des gouverneurs, des premiers magistrats administratifs des provinces.
Je déclare qu’il n’y a absolument rien de personnel dans ce que je dis ; je considère tous les gouverneurs et commissaires de districts en masse et chacun d’eux en particulier, comme des hommes incapables d’exercer une influence soit nuisible soit trop favorable à l’accusé ; mais enfin, messieurs, la loi aura toujours cet inconvénient de mettre les gouverneurs et les commissaires dans une fausse position, surtout dans les cas où il s’agirait de délits politiques ou de presse.
Mais, dira-t-on, la récusation pourra remédier à cet inconvénient. Eh pourquoi, messieurs, exposer les fonctionnaires dont il s’agit à l’affront d’une récusation presque certaine ? Je pense, messieurs, que nous ne pouvons mieux faire que de suivre l’exemple qui nous est donné par le code napoléonien qui n’est pas trop libéral, et que nous ferons sagement de maintenir les dispenses imposées aux gouverneurs, aux commissaires de district et aux fonctionnaires indiqués dans l’article 384. Je voterai l’article 3 dans ce but et afin de préparer un acheminement à une loi générale et complète, et j’espère qu’avant la fin de la discussion, on comprendra la nécessité de renvoyer le tout à la section centrale, afin qu’elle nous présente une loi complète, afin que tous les citoyens qui peuvent être appelés à faire partie du jury puissent y recourir sans recherches et s’y instruire facilement de leurs droits et devoirs du jury.
M. Pollénus. - L’honorable préopinant a mal saisi mes paroles ; il n’existe pas le moindre dissentiment sur le point qui nous occupe entre l’honorable rapporteur et moi. Nous avons entendu l’un et l’autre maintenir les dispositions actuellement en vigueur sur les incompatibilités, sans modification aucune. Du reste, je me joins à l’honorable M. Gendebien pour émettre le désir qu’il ne soit pas ainsi introduit des changements partiels dans la législation ; je comprends tous les inconvénients de cette manière de procéder qui détruit complétement les avantages de la codification.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, il est peut-être inutile de répondre à une observation d’un honorable préopinant, que la tendance du projet serait d’éloigner les hommes capables du jury, lorsque nous cherchons tous à y faire rentrer le plus possible d’hommes capables. Comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, c’est la nécessité du service qui exige que nous éloignions certains fonctionnaires. Quant à ce qui concerne les gouverneurs, c’est ici une question d’incompatibilité à raison de leurs fonctions, c’est une question de convenance que tous les membres de cette chambre comprendront, et je ne pense pas que personne songe à modifier l’état de la législation actuelle à cet égard.
M. de Behr, rapporteur. - Je conviens avec l’honorable M. Gendebien, qu’il y aurait une grande utilité à avoir une loi complète ; mais le code d’instruction criminelle n’est réellement qu’une loi d’exécution du code pénal, c’est donc seulement après la révision de ce code que l’on pourra songer à réviser le code d’instruction criminelle. D’ailleurs, c’est une obligation que le congrès nous a déférée.
M. Gendebien. - Je dois répondre à l’honorable préopinant que si nous devons attendre la révision du code d’instruction criminelle pour organiser définitivement le jury, nous attendrons encore longtemps.
D’un autre côté, je ne puis voir aucune espèce d’inconvénient à organiser le jury dès aujourd’hui d’une manière complète ; car si le travail est jugé complet, on pourra, lorsqu’on s’occupera de la révision générale du code d’instruction criminelle ; on pourra, dis-je, l’y enchâsser. Si le travail n’est pas complet, eh bien, l’on aura l’avantage de quelques années d’expérience pour le compléter.
Je pense qu’en attendant, il est utile et même urgent de s’occuper d’une loi destinée à compléter l’organisation du jury.
- L’article 3 du projet du gouvernement est adopté.
M. le président. - La chambre passe à la discussion de l’article 3 du projet de la section centrale, ainsi conçu :
« Ne seront point compris sur la liste des 36 jurés ou seront dispensés d’office, les membres du sénat et de la chambre des représentants, pendant la durée de la session législative, les membres de conseils provinciaux durant l’assemblée de ces corps ; ceux qui déjà auraient fait partie d’un jury pendant l’une des trois derniers sessions de la cour d’assises. »
Cet article 3 remplace l’article 4 du projet du gouvernement ainsi conçu :
« Les membres du sénat, de la chambre des représentants et des conseils provinciaux qui auront été désignés par le sort pour faire partie d’un jury pendant la durée de la session législative ou des conseils provinciaux, en seront dispensés d’office pendant la durée de cette session. »
M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il à l’article de la section centrale ?
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Non, M. le président, je maintiens la proposition du gouvernement.
M. Pollénus. - Messieurs, il me paraît qu’à l’occasion de l’article 3 se présente la question qui a été soulevée dans la séance d’hier, celle de savoir s’il n’y aurait pas utilité à réduire le nombre de 36 jurés à 24. Je crois que les développements qui ont été donnés hier par l’honorable M. de Muelenaere me dispensent d’entrer dans aucune considération. Je me borne à proposer un article qui serait ainsi conçu et qui précéderait l’article 3 :
« La liste des jurés est réduite à 24. »
- L’amendement est appuyé.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, ainsi que j’ai eu l’honneur de le dire hier, un changement aussi notable que celui-là ne peut être introduit dans la législation, avant qu’on ait eu le temps de l’examiner d’une manière approfondie et d’en calculer les conséquences. Je crois qu’il serait convenable de renvoyer cette disposition à la section centrale ; j’en fais la proposition.
- Le renvoi à la section centrale, auquel M. Pollénus déclare se rallier, est mis aux voix et adopté.
M. Dumortier. - Messieurs, je crois qu’il y a lieu d’adopter l’article 3 de la section centrale, qui remplace l’article 4 du projet du gouvernement, sauf à supprimer provisoirement le nombre 36 qui y est relaté, puisque ce nombre donnera lieu à une discussion nouvelle.
Il résulte du texte de l’article du gouvernement que les membres des deux chambres et ceux des conseils provinciaux seront portés sur la liste des jurés, et c’est seulement lors de l’assemblée du jury qu’ils en seront dispensés par la cour d’assises, séance tenante. Or, il y a une différence notable dans le texte de la section centrale ; car, d’après ce texte, les membres des deux chambres et des députations provinciales ne sont pas portés sur la liste des jurés, lorsque la session de la cour d’assises est en rapport avec la session des chambres ou celle du conseil provincial. Pour mon compte, je préférerais beaucoup le système de la section centrale.
Si, comme on le propose, le nombre des jurés est réduit à 24, et qu’au moment où la cour d’assises est assemblée, quatre ou cinq membres de la législature ou du conseil provincial sont désignés par le sort, comment voulez-vous encore former un jury ? Vous ne le pourrez plus. Il est donc de toute nécessité d’adopter la rédaction de la section centrale qui est préférable à celle du gouvernement.
D’ailleurs, il y a une autre observation. Pour mon compte, j’aurais désiré vivement que les membres de la législature eussent été exempts de faire partie du jury ; et pourquoi ? parce que la chambre est un grand jury national qui siège pendant huit ou neuf mois de l’année, et qui certainement peut alors obtenir un congé de quelques mois pour se reposer de ses travaux.
Il peut ensuite arriver que la session de la cour d’assises coïncide avec une dissolution ou un renouvellement partiel de la chambre, et que plusieurs des membres qui doivent être réélus fassent partie du jury, et seraient ainsi éloignés du chef-lieu électoral où ils doivent être élus, cela pourrait donner lieu à de graves inconvénients.
Comme l’article de la section centrale apporte une modération à cet état de choses, je voterai pour cet article, sauf à supprimer provisoirement le nombre 36 qui y est énoncé, puisque l’adoption de ce chiffre préjugerait une question qui est pendante devant la chambre.
M. de Behr, rapporteur. - Messieurs, l’honorable préopinant vous a déjà fait connaître une partie des motifs qui ont déterminé la section centrale. Il y avait doute sur la question de savoir quel tribunal était chargé d’arrêter la liste des 36 jurés. Or, si ce soin devait appartenir au président de la cour d’assises, il aurait pu arriver que dans les listes des jurés se trouvassent compris plusieurs membres des chambres.
Et alors vous aurez une grande difficulté pour composer le jury. Voilà un des motifs qui ont déterminé la section centrale. Il y en un deuxième, c’est l’obscurité de la rédaction du projet. Voici comme elle est conçue :
« Les membres du sénat, de la chambre des représentants et des conseils provinciaux qui auront été désignés par le sort pour faire partie d’un jury pendant la durée de la session législative ou des conseils provinciaux, en seront dispensés d’office pendant la durée de cette session. »
Eh bien, la conséquence toute naturelle de cet article est que lors mène qu’il n’y aurait pas de session législative, les membres des deux chambres auraient pu se faire dispenser dans le cas où les conseils provinciaux seraient réunis, car ils auraient dit que la loi les exemptait quand les chambres législatives ou les conseils provinciaux se trouvaient réunis.
La rédaction, comme vous voyez, laissait beaucoup à désirer.
Nous ayons ajouté une disposition sur la proposition d’une section, pour autoriser le président du tribunal de première instance à ne pas comprendre dans la liste des jurés celui qui a déjà fait partie d’une des sessions précédentes, et à le remplacer en tirant une autre nom de l’urne.
Je persiste dans la rédaction de la section centrale, parce qu’elle est plus claire et prévient les doutes que présente l’article du gouvernement.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je reconnais la justesse des observations de l’honorable préopinant ; la rédaction de la section centrale est meilleure, je déclare m’y rallier.
M. de Behr, rapporteur. - Toutes les fois qu’on accorde une faveur à quelqu’un, il est libre d’y renoncer. Nous avons dit que des membres des deux chambres et des conseils provinciaux pourront renoncer au droit d’être dispensés de faire partie du jury ; alors ils en témoigneront l’intention par écrit au président du tribunal de première instance qui les portera sur la liste.
M. Metz. - Je partage l’opinion que la rédaction de la section centrale est meilleure que celle du gouvernement et qu’il faut l’admettre. Mais j’ai cru que par ces mots « ne seront pas compris sur la liste les 36 jurés ou seront dispensés d’office, » on avait entendu que si, par erreur, la députation provinciale avait compris dans les jurés des personnes ayant droit à l’exemption, le président de la cour, au moment du tirage, écarterait les personnes qui sont dispensées par la loi. C’est ainsi que j’ai entendu l’article de la section centrale, et je crois que c’est comme cela qu’il doit l’être.
D’après l’article 3, la députation ne doit pas comprendre les membres des deux chambres et des conseils provinciaux ; si la députation se trompe, il faut ouvrir un autre moyen d’assurer à celui qui est porté par erreur sur la liste des jurés, la dispense que lui accorde la loi. Le président ne mettra pas leurs noms dans l’urne du tirage, il les dispensera d’office.
L’honorable M. Dumortier a pensé que si on comprenait des membres des deux chambres parmi des citoyens appelés à remplir les fonctions de juré, on ne pourrait souvent parvenir à composer un jury de jugement, si on réduit le nombre à 24 au lieu de 36. D’après la loi, quand le nombre des jurés est incomplet, on fait un tirage supplémentaire parmi les jurés résidant dans le lieu où siège la cour.
M. de Behr, rapporteur. - Je vais ajouter quelques mots pour répondre à l’observation présentée par le préopinant. La députation n’intervient pas pour éliminer de la liste générale du jury les personnes qui feraient partie de la représentation nationale et du conseil provincial ; c’est le président, chargé de former la liste des 36 jurés pour la session, qui, quand ces noms sortent de l’urne, ne les porte pas sur la liste et continue à tirer. Mais il peut arriver que le président du tribunal ignore que telles et telles personnes font partie de la représentation nationale ou du conseil provincial ; il peut y avoir une session extraordinaire après le tirage des 36 jurés, la cour d’assises peut seule alors prononcer la dispense.
Le président écartera tous ceux qui auront droit à l’exemption aux termes de la loi ; si quelques erreurs sont commises par lui, la cour d’assises sera investie du même droit, elle pourra dispenser d’office. Sous ce rapport, je pense que la rédaction de la section centrale doit avoir la préférence.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je répète la déclaration que j’ai faite, que d’après les observations de M. le rapporteur, que je trouve satisfaisantes, je voterai pour la rédaction de la section centrale.
M. Verdussen. - Je proposerai un léger changement de rédaction, qui est de substituer au mot « l’assemblée » de ces corps, ceux-ci : « les sessions » de ces corps, parce qu’on pourrait supposer qu’on n’entend parler que du temps pendant lequel ils sont en séance.
- Cet amendement est adopté.
M. Dumortier. - Il faudrait provisoirement supprimer le chiffre 36 pour ne pas préjuger la question de nombre.
Par suite de ces modifications l’article est mis aux voix et adopté dans les termes suivants :
« Ne seront point compris sur la liste des jurés ou seront dispensés d’office, les membres du sénat et de la chambre des représentants, pendant la durée de la session législative ; les membres des conseils provinciaux pendant les sessions de ces corps ; ceux qui déjà auraient fait partie d’un jury pendant l’une des 4 dernières sessions de la cour d’assises. »
M. le président. - Viennent maintenant les dispositions additionnelles, présentées par MM. Raymaeckers et Pollénus.
M. Raymaeckers. - M. Pollénus proposant de réduire à 24 le nombre des jurés, que je propose de maintenir à 36, mon amendement ne peut venir qu’après que la chambre se sera décidée sur la question du nombre.
M. de Behr, rapporteur. - Je ne pense pas qu’on puisse réduire le nombre des jurés. Aux termes du code d’instruction criminelle on ne peut procéder au tirage que quand il y en a 30. Si vous réduisez le nombre à 24, il sera à plus forte raison nécessaire d’avoir des jurés supplémentaires. Je ne vois aucun motif pour renvoyer ces propositions à la section centrale. Nous pouvons les discuter immédiatement.
M. Pollénus. - La proposition de M. Raymaeckers est rationnelle. Il est impossible de se dispenser de renvoyer à la section centrale les articles additionnels. Vous verrez si dans le système de mon amendement il y a lieu de conserver le nombre de jurés supplémentaires que l’on propose.
M. le rapporteur qui ne partage pas mon avis, objecte que si le nombre des jurés se trouve réduit à 24, il faut admettre le nombre des jurés supplémentaires qu’il propose dans ses articles additionnels.
Je ferai remarquer que la question du nombre des jurés supplémentaires dépendra d’une autre question, de celle des récusations.
Je proposerai donc un article portant :
« L’accusé aura la faculté de récuser six jurés, le ministère public aura la faculté d’en récuser quatre. »
Dans ce système il resterait toujours deux jurés disponibles : on pourrait se contenter de ces deux jurés comme jurés supplémentaires.
- La chambre, consultée, prononce le renvoi à la section centrale des diverses propositions additionnelles.
La chambre passe à la discussion de l’article 4 du projet de la section centrale auquel le gouvernement se rallie et qui est ainsi conçu :
« Art. 4. Lorsqu’un procès criminel paraître de nature à entraîner de longs débats, la cour d’assises pourra ordonner, avant le tirage de la liste des jurés, qu’indépendamment des douze jurés, il en sera tiré au sort un ou deux autres qui assisteront aux débats ; en ce cas les récusations que pourront faire l’accusé et le procureur-général s’arrêteront respectivement lorsqu’il ne restera que treize ou quatorze jurés.
« Si l’un ou deux des douze jurés se trouvaient empêchés de suivre les débats jusqu’à la déclaration définitive du jury, ils seront remplacés par les jurés suppléants.
« La cause de l’empêchement sera jugée par la cour et le remplacement se fera suivant l’ordre dans lequel les jurés suppléants auront été appelés par le sort. »
M. Verhaegen. - Je lis dans l’article en discussion :
« Si l’un ou deux des douze jurés se trouvaient empêchés de suivre les débats jusqu’à la déclaration définitive du jury, ils seront remplacés par les jurés suppléants. »
Je désire savoir ce que l’on fera des jurés supplémentaires lorsque les jurés seront entrés en délibération. Entreront-ils dans la chambre des jurés ? J’entends que l’on répond non. Dans ce cas je demande ce que vous faites de l’article 343 du code d’instruction criminelle. D’après cet article, une fois que les jurés ont commencé leurs délibérations, ils ne peuvent communiquer avec personne. Les jurés supplémentaires resteront donc chez eux pendant que les jurés délibéreront. Mais si un juré tombe malade, on laissera donc sortir ce juré et on ira chercher le juré supplémentaire qui aura quitté la cour d’assises ? Cela aurait de grands inconvénients et ce serait mettre entièrement de côté l’article 343 du code d’instruction criminelle ; il est impossible de le méconnaître. Cela me fait voir que ces bouts de lois, comme on le disait, présentent de grands inconvénients.
J’ai l’honneur de prier M. le ministre de la justice et MM. les membres de la section centrale de vouloir bien dire comment on agira dans leur opinion à l’égard des jurés supplémentaires.
Je pense que ce qu’il y aurait à faire, ce serait de supprimer dans cet article les mots : « Jusqu’à la déclaration définitive du jury, etc. ; » de cette manière, si un juré est empêché, après la délibération commencée, on fera comme aujourd’hui, on recommencera les débats. Car il y aurait les plus graves inconvénients à ce qu’un juré supplémentaire, qui n’aurait pas assisté au commencement de la délibération du jury, vint prendre part à sa décision après avoir communiqué avec le dehors.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il me semble que le texte doit être entendu dans le sens indiqué par l’honorable préopinant. L’article dit : « Si l’un ou deux des douze jurés se trouvaient empêchés de suivre les débats, » il en résulte que la possibilité de l’empêchement pour laquelle des jurés suppléants sont institués, ne concerne que les débats, et qu’il ne peut plus être question d’appeler ces jurés quand ces débats sont clos, quand la délibération est commencée.
M. Verhaegen. - Il ne s’agit pas de rédaction, l’article est très clair. Il faudrait seulement en retrancher les mots : « jusqu’à la déclaration définitive du jury. »
M. de Behr, rapporteur : L’article a été emprunté textuellement à la loi française du 2 mai 1827. Quant à moi, j’ai toujours compris que si un juré était empêché dans la chambre des délibérations du jury, il devait être remplacé par un juré supplémentaire, et qu’’il faut dans les affaires extraordinaires et dont les débats durent longtemps, que les jurés supplémentaires restent à part jusqu’à la rentrée du jury.
Il n’y pas d’inconvénient à ce qu’il en soit ainsi, c’est ainsi que cette disposition s’exécute en France.
M. Verhaegen. - Il me semble que ces messieurs de la section centrale ne sont plus d’accord avec M. le ministre de la justice ; cependant la rédaction de la section centrale est la même que celle du gouvernement. D’après M. le ministre de la justice, une fois que les jurés sont entrés dans la salle des délibérations, on ne peut plus appeler les jurés supplémentaires ; d’après les membres de la section centrale, on peut encore les appeler alors même que la délibération du jury est commencée ; cette dernière opinion ne me paraît pas admissible :j’admettrais plutôt l’opinion de M. le ministre de la justice qui consiste à dire que lorsqu’un jury est empêché, une fois la délibération commencée, il faut recommencer les débats, ce qui se fait aujourd’hui.
La disposition est empruntée, dit-on, à la loi française ; mais ce n’est pas une raison pour que nous l’adoptions. Vous empruntez à la loi française des dispositions qui ne valent rien. Ce n’est pas là un argument en faveur de ces dispositions. Nous avons prouvé que ce qu’on a emprunté à la loi française ne vaut rien. La circonstance que cette disposition est en vigueur dans un pays voisin ne peut prévaloir contre cette preuve. Pour moi, je pense qu’il y a eu erreur dans cet article et je trouve qu’il est nécessaire d’en retrancher les mots : « Jusqu’à la déclaration définitive du jury. »
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Ce qui m’a toujours fait croire, ainsi que je l’ai déjà dit, qu’il ne pouvait être question que du terme marqué par la clôture des débats, c’est qu’il n’y a aucune disposition spéciale qui dise ce que deviennent les deux jurés supplémentaires pendant la délibération des douze jurés. J’en ai conclu que leur mission cesse dès que la clôture des débats est prononcée.
M. Gendebien. - La seule raison donnée par la section centrale pour justifier sa proposition de faire intervenir les jurés supplémentaires après la clôture des débats, c’est qu’elle l’a puisée dans la législation française. Eh bien, elle a eu tort d’adopter la disposition française ; car l’expérience a démontré combien elle était vicieuse.
Au milieu d’une délibération, un ou deux membres du jury n’osant pas se prononcer, peuvent se déclarer malades, ce qui est arrivé ; on fit venir des hommes de l’art pour constater l’état de leur santé ; il fallut attendre longtemps et suspendre la délibération du jury. Il arrivera donc souvent que dans les procès très graves, les douze jurés étant dans la chambre des délibérations, s’il y en a un ou deux qui se déclarent malades, il faudra constater cette cause de maladie ; et il en résultera que les jurés supplémentaires qui entreront dans la chambre des délibérations forceront leurs collègues à recommencer la délibération.
Ainsi il y aura communication inévitable des jurés avec le dehors, puisqu’il faudra constater les maladies. Cela arrivera d’autant plus fréquemment que la disposition proposée encouragera les jurés timides à en agir ainsi, certains qu’ils seront de pouvoir se faire remplacer par des jurés suppléants. On ne peut donc pas admettre la disposition dont il s’agit, non parce qu’elle vient de France, je n’improuve pas tout ce qui vient de France, mais parce qu’elle est mauvaise. Tout bons Belges que nous sommes, nous ne sommes pas obligés d’adopter ce qui vient de l’étranger, aveuglément et sans discussion.
M. Metz. - On ne peut se dissimuler qu’il n’y ait des difficultés des deux côtés. Le ministre de la justice entend la disposition dans ce sens : Que les jurés suppléants restent jusqu’à la clôture des débats, et qu’ils peuvent s’en aller chez eux quand les douze jurés entreront dans la salle des délibérations. Mais si, comme l’a dit M. Gendebien, parmi les douze un ou deux se déclarent malades, les jurés supplémentaires ayant communiqué avec le dehors, puisqu’ils auront pu retourner chez eux, ne pourront plus faire partie du jury. Ainsi il faudra recommencer les débats. Ceci est très grave puisqu’il faudra renouveler les tortures morales que l’accusé a déjà subies par une première épreuve judiciaire, et prolonger sa détention provisoire.
Si on regarde les fonctions de jurés comme une charge, il faut la faire peser de tout leur poids sur ceux qui sont appelés à les remplir ; il faut donc retenir les jurés supplémentaires dans une chambre à part pendant que les autres délibèrent ; mais ceci est-il sans inconvénients ?
Il y a des affaires où on pose six mille questions, les jurés suppléants seront-ils séquestrés pendant leur solution ? Il y a assez souvent cinquante questions dans une affaire criminelle, et la délibération des jutés dure quelquefois douze heures ; peut-on séquestrer les jurés supplémentaires pendant douze heures ?
Il est donc nécessaire de faire une loi complète, puisque des inconvénients se présentent de toutes parts dans le projet qui nous occupe. Renvoyons la loi entière sur le jury à la section centrale, cela vaudra mieux que de faire une loi partielle.
M. Lebeau. - Je suis de l’avis du préopinant qu’il vaudrait mieux faire une loi complète. Mais le projet actuel, composé de cinq articles, ayant pour but de mettre un terme à des réclamations nombreuses, est là depuis quatre ans, et il est probable que nous ne l’aurions pas encore abordé s’il eût compris un grand nombre d’articles. Il faut considérer en outre que cinquante projets sont soumis à la chambre, et sur lesquels il y a des rapports faits ou à faire. D’après la marche des travaux de la chambre, si l’on voulait une loi complète sur le jury, ce serait vouloir ajourner indéfiniment des améliorations dont l’urgence est reconnue de tout le monde.
Je doute d’ailleurs qu’on puisse faire une bonne loi sur le jury sans réforme auparavant le code d’instruction criminelle, lequel ne peut être réformé sans réformer le code criminel lui-même. Il faut donc céder à l’empire des circonstances qui veulent qu’on ne procède que par des améliorations partielles.
On dit qu’il peut résulter des inconvénients de la disposition dont il s’agit. Mais ces inconvénients existent aujourd’hui ; ils sont dans la nature des choses.
Faut-il faire une loi pour prévoir le cas où il y a six mille questions ? Mais on ne fait pas des lois pour des cas exceptionnels. Le cas de maladie des jurés, pendant qu’ils sont dans la chambre des délibérations, est aussi fort rare. Continuons donc notre ouvrage.
Quelque parti que l’on prenne, on ne peut éviter les inconvénients. Mais si un juré se trouve malade, il faut renvoyer la cause à quelques mois, retenir un malheureux, rappeler les témoins : ces inconvénients sautent aux yeux.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je me réfère aux observations faites par l’honorable préopinant ; j’ajouterai que s’il pouvait arriver qu’un juré timide se déclarât malade pour ne pas se prononcer, pour ne pas donner un vote qui lui coûte, cet inconvénient se présenterait d’autant plus souvent que vous prendriez plus de précautions pour y porter remède ; ainsi il ne faut pas prévoir ce cas, il suffit de retrancher les expressions qui ont été critiquées. Quand la délibération est commencée, les jures suppléants cessent leurs fonctions.
M. Gendebien. - Je crois avec M. Metz qu’il conviendrait de renvoyer la loi à la section centrale. On dit que depuis quatre ans la chambre est saisie du projet en discussion, et qu’on pourrait attendre encore quatre autres années avant d’avoir une loi complète : je ne crois pas qu’il puisse en être ainsi. Je crains bien plus que parce qu’on aura fait ce que l’on appelle un bout de loi, on ne croie avoir satisfait aux réclamations, et que l’on reste vingt ans peut-être dans la même situation.
Pendant tout ce temps on dira, comme l’a dit le ministre de la justice, que c’est parce que le plus grand nombre des membres du jury ne connaissent pas leurs devoirs qu’il arrive tant d’erreurs, et qu’on en trouve si peu de disposés à remplir leurs devoirs de juré. En attendant, vous allez dégoûtez le peuple belge du jury si vous ne lui facilitez pas les moyens de s’instruire de ses devoirs sur ce point. Je le répète, je crois qu’il faudrait renvoyer le tout à la section centrale ou à une commission, pour qu’il nous soit présenté un projet complet. Maintenant que nous avons élaboré quelques articles, il deviendra facile d’en finir. Et je déclare, pour mon compte et pour la centième fois, qu’il est cent fois plus difficile de faire ce qu’on appelle un bout de loi qu’une loi complète.
Si l’on avait proposé de prime abord une loi complète, vous n’auriez pas été obligés de recourir tantôt à tel texte, tantôt à tel autre ; de rechercher si tel libellé est conforme au code d’instruction criminelle ou à la loi du congrès. Un projet de loi complet vous débarrasserait de la moitié des questions qui ont été agitées. Depuis quatre jours que l’on discute, la moitié du temps a été employée pour savoir si l’on était d’accord avec les dispositions des lois existantes. En un mot, si l’on voulait que les discussions fussent moins longues dans la chambre, il faudrait que le travail fût complet dans les sections. Eh bien, investissons la section centrale du droit de compléter le projet sans avoir autrement égard aux propositions qui ont été faites que comme moyen d’y prendre des dispositions pour faire quelque chose de complet.
On vous a dit, messieurs, qu’il y aurait des inconvénients à retrancher la disposition, parce que dans le cas où il serait nécessaire de recommencer, il faudrait renvoyer l’accusé en prison pour trois mois ; oui, messieurs, c’est là un inconvénient très grave et que j’ai signalé dans d’autres circonstances et à plusieurs reprises ; mais je demanderai pourquoi il n’y a que quatre sessions par an. Pourquoi ne pas en faire 8 ou 12 ? Si vous faisiez un plus grand nombre de sessions, les prévenus n’attendraient pas justice pendant plusieurs mois ; d’un autre côté, on ne tiendrait pas les citoyens absents de chez eux pendant 6 semaines et même souvent pendant deux mois, sans qu’ils sachent seulement s’ils devront siéger comme jurés une seule fois pendant la session ; l’absence des jurés ne se prolongerait plus guère alors au-delà de 8 ou 10 jours, et l’on peut bien abandonner ses affaires pendant 8 ou 10 jours qu’on ne peut pas les abandonner pendant 6 semaines ou 2 mois ; il y a une grande différence.
Multipliez donc les sessions, il n’en résultera pas de graves inconvénients si vous retranchez de la loi les dispositions qui obligent les cours d’appel de fournir des conseillers aux cours d’assises du chef-lieu du ressort de la cour d’appel ; il y aurait à cela l’avantage de ne pas disloquer les cours d’appel, de ne pas les empêcher, comme on l’a dit, de vaquer à leurs affaires par suite de l’obligation où elles sont d’envoyer quatre fois par an 5 conseillers à la cour d’assises, Vous aurez ainsi plusieurs avantages à la fois : vous déchargerez l’ordre judiciaire d’une partie de la besogne dont il est accablé ; vous ne retiendrez plus les jurés pendant un temps considérable éloignés de leurs affaires ; vous ne renverrez plus l’accusé en prison pendant trois mois parce qu’il aura manqué quelques témoins, ou quelques formes à la procédure ; au moins alors, quand il faudra le renvoyer, ce ne sera pas pour longtemps, et il saura que dans un mois ou six semaines au plus tard son sort sera déterminé d’une manière définitive ; le trésor y gagnera aussi sous tous les rapports. C’est encore là un point sur lequel il y a lieu de renvoyer ce projet à la section centrale.
Je ne puis, messieurs, qu’appuyer l’observation faite par M. le ministre de la justice et que j’avais déjà faite avant lui, que si vous admettez des jurés supplémentaires qui pourraient intervenir dans la délibération par suite de maladie ou d’autre empêchement d’un membre du jury, vous provoquerez par là des excuses nombreuses ; on s’excusera d’autant plus facilement qu’on aura derrière soi un ou deux hommes par lesquels on saura pouvoir être remplacé ; tandis que quand un juré saura que son départ devra faire recommencer toute l’affaire, il y pensera à deux fois avant de chercher des prétextes pour s’abstenir.
M. Metz. - Je dois déclarer à la chambre que quoique j’aie insisté pour le renvoi à la section centrale, je n’en étais pas moins décidé, comme je le suis encore, à voter avec l’honorable M. Verhaegen le retranchement proposé, dans le cas où la chambre n’admettrait pas le renvoi.
M. Verhaegen. - Certes, messieurs, je suis parfaitement d’accord avec l’honorable M. Gendebien, que s’il n’y a pas d’autre moyen de parer aux inconvénients qu’il a signalés, il faudrait augmenter le nombre des sessions ; toutefois cela serait peut-être nuisible à l’administration de la justice. On pourrait arriver d’une autre manière au résultat que désire l’honorable préopinant : il y a aujourd’hui plusieurs séries ; s’il se présente dans une série des événements de force majeure, qui empêchent de terminer une affaire, on pourrait permettre le renvoi à une série prochaine au lieu du renvoi à la prochaine session ; j’aurai l’honneur de présenter à cet égard une disposition ainsi conçue :
« Si, en raison d’événements de force majeure, une affaire doit être remise, le renvoi d’une série à une autre pourra être demandé et prononcé. »
L’article 331 du code d’instruction criminelle ne permet le renvoi d’une affaire que d’une session à une autre ; mais lorsque le législateur a placé cet article dans la loi, il n’y avait pas plusieurs séries ; aujourd’hui cela existe, et nous avons vu les cours d’assises trouver des difficultés à prononcer le renvoi d’une série à une autre, s’appuyant de l’article 331 ; nous pouvons parer à cet inconvénient en levant tous les doutes par une disposition formelle. Si le renvoi d’une série à une autre peut être prononcé, l’accusé n’aura plus à subir des délais aussi longs, et l’administration de la justice n’en souffrira pas. Je soumets donc aux méditations de la chambre la disposition que je viens d’avoir l’honneur de lui proposer et que je vais déposer sur le bureau.
- La proposition de M. Verhaegen est appuyée.
M. de Behr, rapporteur. - Je crois, messieurs, que la proposition de l’honorable M. Verhaegen peut offrir certains avantages ; mais elle sera sans résultat dans beaucoup de provinces : dans la province de Liége, dans le Luxembourg, dans le Limbourg, dans la province de Namur, il n’y a jamais plus d’une série par session, de sorte que dans ces provinces la disposition proposée par l’honorable préopinant ne changera rien à l’état actuel des choses.
(Moniteur belge n°54, du 23 février 1838) M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, un honorable préopinant a témoigné le désir de voir multiplier les sessions, mais en même temps il a élevé l’objection que la cour d’appel pourrait être entravée dans ses travaux par un trop grand nombre de sessions ; en effet, cet inconvénient est grave. Il a ajouté qu’on y remédierait en faisant siéger aux cours d’assises les membres des tribunaux de première instance des chefs-lieux des cours l’appel, comme cela se fait dans les autres chefs-lieux des provinces, mais j’aurai l’honneur de rappeler à la chambre qu’elle est saisie depuis nombre d’années d’un projet de loi qui renferme une disposition de ce genre. Si le rapport est fait, ce projet pourra, l’un ou l’autre jour, être soumis aux délibérations de l’assemblée.
Quant à l’idée de renvoyer tout le projet à la section centrale pour qu’elle formule une loi complète dans laquelle elle réunirait toutes les dispositions concernant le jury, je crois que l’honorable M. Lebeau a déjà fait comprendre à la chambre les graves inconvénients qui résulteraient d’une semblable manière de procéder. Depuis longtemps on réclame des améliorations dans l’institution du jury ; vous ne perdrez pas l’occasion, messieurs, de faire jouir le pays de ces améliorations ; si un projet complet vous était présenté, il est certain qu’on ne pourrait pas s’attendre à le voir discuter avant deux ou trois ans. Je vous rappellerai, messieurs, un projet qui semblait si urgent, le projet de loi qui avait pour objet d’étendre les attributions des juges de paix, et d’augmenter leurs traitements, afin de débarrasser les tribunaux de l’arriéré. Combien de fois n’a-t-on pas demandé ce projet ? Eh bien, messieurs, il y a plus de trois ans qu’il est présenté ; il contient une trentaine d’articles, et c’est peut-être là la cause des retards qu’éprouve la discussion de ce projet.
Messieurs, la proposition de l’honorable M. Verhaegen, si elle est nécessaire, me paraît utile ; je m’explique : le code d’instruction criminelle parle du renvoi de la cause d’une session à une autre ; l’honorable membre s’est demandé si la cour ne pourrait pas renvoyer d’une série à une autre ? Je pense qu’elle le pourrait, messieurs, et c’est aussi l’opinion d’un grand nombre de magistrats et de jurisconsultes. Cependant, s’il y a quelques difficultés à cet égard, je ne m’opposerai pas à ce qu’on les lève par une disposition expresse ; si une semblable disposition est inutile dans les provinces où il n’y a qu’une série par session, au moins elle serait très utile dans quelques autres provinces, dans le Brabant et la Flandre orientale où il y a souvent un grand nombre de séries.
(Moniteur belge n°53, du 22 février 1838) M. Maertens. - Je vous ferai remarquer messieurs, qu’à mon avis, la proposition de l’honorable M. Verhaegen est tout à fait inutile ; certainement les dispositions des lois actuelles permettent au président de la cour d’assises de renvoyer une affaire d’une série à une autre ; ceci n’a jamais souffert de difficulté, les présidents ne se sont jamais fait scrupule de renvoyer à la seconde série des affaires qui n’ont pu être jugées dans la première ; mais dans l’état de notre législation actuelle, je pense que ce résultat peut être rarement atteint.
D’abord, l’article 3 de la loi du 1er mars 1832, dont vous a parlé l’honorable M. de Muelenaere, et dont il a eu quelque sorte demandé l’abrogation, oblige d’afficher 24 heures avant le tirage des jurés, le rôle des affaires qui seront comprises dans cette série. Les séries se succèdent régulièrement l’une après l’autre, de telle manière qu’il n’y a aucun intervalle entre elles. La première série dure de 10 à 15 jours, la seconde est ouverte le 15ème jour. Pour l’ouverture de la seconde, il faut dix ou douze jours d’avance pour faire le tirage des jurés ; il faut donc connaître dix ou douze jours à l’avance les affaires qui seront comprises dans cette série, Or, à cette époque on ne pourrait savoir si telle ou telle affaire devra ou ne devra pas, pourra ou ne pourra pas être jugée, de manière que la proposition dont il s’agit me paraît inutile d’une part, et d’autre part ne me semble pas susceptible d’amener aucun résultat.
Je bornerai là mes observations. J’engagerai M. le ministre de la justice à nous présenter un projet de loi tendant à abroger l’article 3 de la loi du 1er mars 1832.
M. Metz. - Messieurs, l’honorable rapporteur de la section centrale vous a fait connaître que la proposition qui vous a été soumise par l’honorable M. Verhaegen, serait pour ainsi dire inapplicable dans beaucoup de cas et dans la plupart des provinces. A la vérité, il est peu de provinces où se présente le cas de deux séries dans une session ; mais enfin, il se présente des circonstances où la proposition trouve son application et peut produire du bon, et c’est assez pour que nous devions nécessairement accepter la proposition.
Mais à entendre l’honorable préopinant, la proposition est inutile, parce qu’elle se trouverait déjà comprise dans les lois qui nous régissent aujourd’hui ; c’est une erreur, ou au moins je crois que l’opinion de l’honorable M. Maertens n’est pas partagée par plusieurs présidents de cour d’assises.
J’ai entendu avec étonnement l’honorable M. Lebeau soutenir qu’il fallait songer avant tout à réviser le code d’instruction criminelle et le code pénal. L’honorable M. Lebeau sait aussi bien que moi, que le jury constitue un titre entièrement à part, qu’il forme réellement une parenthèse dans le code d’instruction criminelle ; et que dès lors l’on peut faire du jury l’objet d’une loi complète, sans qu’il faille pour cela changer une lettre au code d’instruction criminelle.
Je voterai pour la proposition de l’honorable M. Verhaegen.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, il serait prudent de renvoyer cette proposition à l’examen de la section centrale, comme la chambre l’a décidé pour les autres amendements. La section centrale pourrait s’occuper simultanément de la question soulevée par l’honorable M. Maertens, concernant la nécessité d’afficher le tableau des causes quinze jours avant l’ouverture des assises.
M. Gendebien. - Messieurs, je n’ai pas perdu l’espoir de voir renvoyer toute la loi à la section centrale, car je ne vois absolument aucun motif pour qu’on ne fasse pas une loi complète. Qu’a-t-on dit pour repousser cette proposition ? On vous a dit qu’il faudrait au moins quatre ans pour faire ce travail. Une simple observation répond à cette objection : nous faisons en ce moment une loi de dérogation au code d’instruction criminelle, une loi destinée à introduire des améliorations dans ce code.
Eh bien, si les projets des deux ministres et celui de la section centrale n’ont amélioré que les points qui sont indiqués dans chacun d’eux, c’est, il faut bien le supposer pour leur honneur, qu’ils n’ont pas cru nécessaire de déroger aux autres parties du code d’instruction criminelle et à la loi du congrès. Il suffirait donc de reproduire pour former un code unique, de reproduire dans la loi les articles du code d’instruction criminelle. Il me semble dès lors qu’il n’y a aucune espèce de difficulté qui nous empêche d’améliorer la loi dans son ensemble.
Vous voulez des améliorations ? et moi aussi ; mais je veux des améliorations réelles, je ne veux pas une complication plus grande, et c’est ce que vous allez faire ; car, messieurs, vous avez d’abord le code d’instruction criminelle : voilà une première loi qu’il faut se procurer quand on est membre du jury ; vous avez ensuite le décret du congrès dont on doit également se pourvoir ; vous avez la loi de 1832 ; vous allez avoir la loi actuelle, et je pense qu’il sera assez convenable de se procurer également la loi sur la composition des cours d’assises dont nous avons parlé tout à l’heure.
Au lieu de laisser subsister ces lois dans leur isolement, je propose de réunir dans un seul texte de loi toutes les dispositions qui régissent, tant les dispositions nouvelles que celles auxquelles on n’a pas dérogé.
Ainsi, la question se réduit à ceci : s’il faut reculer devant un mince travail, celui de transcrire hors du code et des lois que nous avons précédemment votées, les dispositions relatives au jury, qui manquent à la loi actuelle, et de les insérer dans un seul texte de loi.
Si nous avions commencé par là, nous aurions évité une grande perte de temps, car nous avons consacré plus de la moitié de la discussion à nous assurer si l’un ou l’autre des articles du projet de loi actuel n’était pas en opposition ou n’était pas compris dans une des dispositions législatives qui ont régi le jury jusqu’ici. Eh bien, tous ces doutes disparaîtraient, s’il y avait un ensemble ; mais on ne veut pas de cet ensemble, sous prétexte qu’il faudra trois ou quatre ans pour arriver à ce résultat. Qu’on y mette un peu plus de franchise ; qu’on dise qu’on veut dégoûter le peuple belge du jury. Dans le fait, le meilleur moyen d’y parvenir, c’est d’augmenter la difficulté de connaître ses devoirs et de les accomplir.
M. Lebeau. - Messieurs, je crois que si l’on renvoie la loi à la section centrale, pour avoir un projet complet, la section centrale sera fort embarrassée de remplir sa mission, car qu’est-ce qu’un projet complet sur le jury ? C’est tout ce qu’il y a de plus vague. A l’occasion de 4 ou 5 articles, tendant à faire cesser des abus, vous avez vu pleuvoir une masse d’amendements. Que serait-ce, si nous avions à discuter en ce moment une loi complète sur le jury ?
Messieurs, quand il s’agit de faire des lois complètes, la chambre recule constamment. Depuis trois ou quatre ans, aux termes d’une disposition sur l’organisation de la cour des comptes, la chambre aurait dû vérifier cette loi, et elle n’a encore rien fait. Il y a quatre ans qu’un projet de refonte du code pénal vous a été soumis, et je doute qu’il soit livré à la discussion dans quatre ans.
Voulez-vous, dans l’espoir d’avoir un projet de loi complet sur le jury, perpétuer des abus qui sont notoires ? Voulez-vous permettre à certaines députations provinciales de continuer à appliquer la loi, de manière à considérer comme jurés de droit les membres des conseils communaux dans les communes les plus infimes, les membres des bureaux de bienfaisance, les conseillers de fabrique, etc. ? Quel moyen auriez-vous de faire cesser une semblable interprétation de la loi actuelle ? Voilà des abus sur lesquels tout le monde est d’accord ; il est urgent d’y porter remède, et lorsque la chambre est mise en position de le faire, elle assume en quelque sorte la responsabilité des graves inconvénients qui résultent de l’état actuel des choses.
Je crois donc qu’il ne faut pas vouloir atteindre tout d’un coup le but que se propose l’honorable préopinant. En fait de réforme législative, le mieux est l’ennemi du bien. Quand l’occasion se présente de faire cesser des abus contre lesquels tour le monde réclame, il faut s’empresser de la saisir. Quant aux autres réformes, elles seront l’objet d’un examen ultérieur. Mais celles qui ont été examinées par les sections et ont obtenu leur adhésion ainsi que celle de la section centrale, après avoir été de sa part aussi l’objet d’un mûr examen, il n’y a pas de raison pour ne pas les adopter.
Si on a discuté longuement, ce n’est pas, comme on le prétend, par suite de la nécessité où on s’est trouvé de coordonner les dispositions avec celles auxquelles on ne proposait pas de modifications, mais parce qu’on a prématurément occupé l’assemblée du vote secret pendant deux séances.
Je me bornerai à demander le renvoi des dispositions nouvelle à la section centrale ; mais, quant aux articles qui lui ont déjà été soumis, que nous passions immédiatement au vote.
M. Dubus (aîné). - J’avais demandé la parole pour combattre l’opinion de ceux qui proposent le renvoi à la section centrale pour avoir une loi complète sur la matière. Je ne pense pas qu’il y ait lieu de prendre ce parti. Je crois que ce serait renvoyer à une époque indéterminée et assurément à une autre session les améliorations que réclame la loi du jury. Ce n’est pas peu de chose que de revoir toute la législation sur cette matière.
On a dit que les affaires soumises au jury font l’objet d’un titre à part dans le code d’instruction criminelle. Mais je ferai observer que ce titre comprend 200 articles sur 643 dont se compose le code d’instruction criminelle.
Si on me dit qu’on doit en négliger une partie et ne prendre que ceux qui affectent particulièrement le jury, je répondrai que c’est encore compliquer considérablement la question. On dit qu’il ne s’agira, pour beaucoup de dispositions, qu’à les rappeler et à les mettre matériellement dans la loi Mais alors vous allez les soumettre à une discussion et à une foule d’amendements qui surgiront de toutes parts, et vous aurez une discussion interminable qui sera beaucoup plus longue, n’ayant pas eu de travail de révision, que s’il y en avait eu. Si vous ne voulez pas ajourner les améliorations que réclame l’organisation du jury, vous ne pouvez pas admettre une semblable motion.
Quant aux inconvénients de faire des lois partielles, on les a beaucoup exagérés. Je ne vois pas que ce soit un si grand inconvénient pour ceux qui doivent appliquer la loi comme pour ceux qu’elle doit régir, que d’être obligé de recourir à deux et même trois lois distinctes, contenant des dispositions différentes, car alors qu’il n’existait que le code d’instruction criminelle, il fallait bien que le juré cherchât dans un code de 600 articles ce qui pouvait le concerner, combiner ces dispositions entre elles pour en comprendre le véritable sens. Tout ce qu’on peut faire si la loi est admise, c’est de publier une édition du code d’instruction criminelle qui contiendra en note la loi que nous faisons et celle du congrès, ou seulement la loi que nous faisons si elle comprend toutes les dispositions de la loi du congrès, et le juré pourra combiner les articles du code et de ces lois, avec autant de facilité que quand ces dispositions étaient confondues au milieu de toutes celles qui se trouvent dans le code d’instruction criminelle,. Plus tard on révisera le code d’instruction criminelle ; on pourra alors tout refondre, ou faire un seul code où le juré trouvera toutes les dispositions qui le concernent.
Fréquemment nous faisons des lois incomplètes. Quand le besoin d’une amélioration se fait sentir, on peut, sans refaire tout le code, voter la disposition améliorant. Nous sommes saisis d’un projet de loi relatif au renouvellement des inscriptions hypothécaires : faut-il pour cela refaire tout le code hypothécaire ? Quoique cette amélioration soit nécessaire, faut-il la reculer jusqu’au moment où nous pourrons réviser le code civil lui-même ? Quand la chambre des représentants élue après le congrès a fait la loi d’organisation judiciaire, elle a reconnu qu’à moins de renvoyer cette loi à une époque éloignée, elle devait se former et s’occuper des dispositions relatives aux points sur lesquels un changement, une amélioration était urgente. Je crois que jusqu’à ce que nous puissions nous occuper de la révision du code nous devons procéder de la même manière. (Aux voix ! aux voix !)
- La proposition de M. Verhaegen est renvoyée à la section centrale.
L’article est ensuite adopté avec le retranchement des mots : « jusqu’à la délibération définitive du jury. »
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai eu l’honneur de proposer un amendement à l’article 13. J’en demanderai le renvoi à la section centrale, afin qu’elle puisse s’en occuper en même temps que les autres amendements qui lui sont déjà renvoyés.
« Art. 5. Le vote du jury aura lieu au scrutin secret sur les questions posées en exécution des articles 337 et suivants du code d’instruction criminelle.
« A cet effet, des bulletins seront imprimés et marqués du timbre de la cour d’assises. Ils porteront en tête les mots : « sur mon honneur et ma conscience, ma déclaration est. »
« Au milieu, en lettres noires très lisibles, le mot : « non. »
« Et au bas, en lettres rouges très lisibles, le mot ; « oui. »
« A côté de ces mots seront imprimés de mêmes ceux correspondants de l’idiome flamand ou allemand, dans les provinces où ces langues sont en usage. »
M. Verdussen. - Je demande la suppression des mots : « sur mon honneur et ma conscience, ma déclaration est, » qu’on propose de mettre en tête de chaque bulletin, et de n’y porter que les mots « oui » et « non. »
On a supposé le cas où un juré ne saurait pas lire : avec l’adjonction de ces mots, il pourrait se méprendre sur ce qu’il doit effacer, et rayer le préambule au lieu d’effacer le oui ou le non. Je demande donc qu’on borne le bulletin à ces deux mots.
(Moniteur belge n°54, du 23 février 1838) M. Gendebien. - Messieurs, je ne puis consentir à laisser voter sur cet article, sans présenter quelques observations sur le système qu’on veut adopter.
Je ne vous rappellerai pas qu’en France on a adopté le vote secret dans un moment d’intimidation, et parce que le gouvernement voulait faire de l’intimidation son système. Comme l’action violente est ordinairement suivie d’une réaction, le gouvernement d’intimidation avait raison de craindre qu’une réaction ne se fît sentir jusque dans le jury. Nous ne sommes pas dans la même position.
Il n’y a aucune raison politique, aucune raison d’expérience qui puisse nous déterminer à introduire un changement aussi exorbitant dans notre législation. J’y vois de graves inconvénients et je n’y vois aucun avantage. Le premier inconvénient, c’est que vous supprimez toute discussion. Il est impossible qu’alors que la législature avertit les membres du jury qu’il y a danger pour eux dans les conséquences de l’expression de leur opinion ; il est impossible que le citoyen averti législativement de ce danger n’éprouve quelque inquiétude à discuter. Il est certain que le plus grand nombre ne discutera pas. Mais, a-t-on dit, il n’y a pas nécessité, il n’y pas obligation à discuter. Sans doute, il n’y a pas nécessité de discuter dans la salle des délibérations du jury ; ici aussi, nous pourrions nous dispenser de discuter, et venir chacun de notre côté, avec notre contingent individuel de science, de lumière, et d’expérience, voter sur les propositions qui nous sont faites ; mais il faut convenir que le vote alors ne représentera plus que la capacité individuelle. Il ne présentera plus le résultat de toute délibération, c’est-à-dire une moyenne de capacités et de lumières ; ce sera un vote de hasard, selon que la chambre sera composée de tels ou tels éléments individuels. Ici, le vote secret peut être une calamité ou une bonne chose ; à plus forte raison pour le jury, où il y a une préoccupation que nous n’avons pas en entrant dans cette chambre. Là vous avez réuni 12 hommes, les uns timides et inexperts, les autres plus habiles, instruits ou peu instruits ; si vous les avertissez qu’il y a danger pour eux à exprimer leur opinion, il n’y aura pas de discussion, par de moyen de s’éclairer, celui qui doutera en entrant dans la salle du conseil, doutera jusqu’à la fin de la délibération. Dans le doute, que fera-t-il ? il s’abstiendra toujours ; et le vote secret, que vous proposez dans le but de diminuer les acquittements que vous trouvez trop nombreux, ira en sens contraire de ce que vous vous proposez ; car s’il n’y a pas de discussion, il y aura plus de doutes, et s’il y a plus de doutes, il y aura plus de chances d’acquittement.
Pour l’exécution, viennent des difficultés sans nombre. Sur chaque question, on remettra aux jurés une liste sur laquelle ils doivent biffer le oui ou le non. Je ne parle pas des inconvénients résultant de la circonstance où le juré ne sait pas lire.
Dans la crainte de se tromper, il n’effacera ni oui ni non ; il n’osera pas communiquer sou embarras à son voisin, d’abord parce qu’il est averti du danger de communiquer son opinion, et ensuite il n’osera pas par amour-propre, parce qu’on éprouve quelque pudeur à avouer qu’on ne sait pas lire. Dans le doute, il ne raiera ni oui ni non, ou il les bâtonnera tous deux, ce qui amènera un acquittement, d’après votre loi. L’acquittement trouve donc encore là une chance de plus. Vous vous plaignez que les grands coupables échappent à la justice ; mais ils échapperont plus facilement encore.
On a parlé de l’influence qu’un juré habitué aux affaires peut exercer sur ceux qui sont inexpérimentés ; on prétend que le vote secret parera à cet inconvénient. Mais vous n’y échapperez pas à cette influence, parce qu’il sera libre à ce membre influent de parler, et que si personne ne lui répond, sa parole n’en aura que plus de poids. Et précisément parce que personne n’osera répondre, parce que chacun aura été averti par la législature du danger qu’il y a à exprimer son opinion, les hommes à influence seront plus à craindre précisément parce qu’il n’y aura pas de discussion. Cette influence qui aurait pu être neutralisée par la discussion, entraînera des absolutions. Ainsi nouvelles chances de plus nombreux acquittements, alors que vous prétendez les diminuer.
La corruption, mais avec le vote secret et quand il n’y aura pas de discussion, la corruption sera plus facile que quand on votait par oui ou par non ; car tel juré disposé à céder à la corruption n’aurait pas osé dire non, en face de ses collègues et pour ainsi dire contrôlé par eux ; il osera le dire par bulletin secret, quelle que soit l’évidence des preuves. C’est encore là une chance d’acquittement ; cependant, vous vous plaignez de ce qu’ils sont trop nombreux, et vous favorisez la corruption ; vous tuez le jury.
Maintenant examinons l’opération matérielle en elle-même. On vous a parlé de certaines causes où il y a eu jusqu’à six mille questions. Ces circonstances sont rares, mais vous allez nécessairement multiplier le nombre des questions ; car il est telle question qui, devant être résolue par oui ou par non comme aujourd’hui, pourrait être soumise seule au jury, et qui, avec le vote secret, devra être subdivisée en 10 ou 15 questions. Ainsi, en général le nombre des questions étant de 25 à 30 ou 40 dans les affaires un peu importantes, ce nombre sera décuplé.
Les débats d’une affaire grave pourront durer 10 ou 15 jours ; le jury arrivera exténué dans la chambre des délibérations ; là il pourra y avoir une discussion qui absorbera un certain temps. Il pourra y avoir discussion sur chaque question. Si après discussion on procédait au vote oral par oui ou par non, la discussion abrégerait l’opération ; mais, par le vote secret, ce sera tout autre chose ; car qu’il y ait délibération ou non. Il faudra toujours en venir à l’opération matérielle du vote par écrit ; il faudra remettre un bulletin à chaque juré ; chacun se rendra dans sa case, il faudra qu’il réfléchisse avant d’émettre son vote, il pourra réfléchir longtemps. car rien ne pourra contraindre le juré de voter immédiatement ; sans doute vous ne placerez pas derrière chaque juré un huissier chargé de le stimuler et qui le mettra en demeure de voter de suite ; si un seul juré déclare qu’il lui faut un quart d’heure pour se faire une opinion sur chaque question, il faudra bien que ses onze collègues attendent ; il faudra toujours, alors même qu’on n’y inclura pas mauvaise volonté, un temps moral pour la réflexion ; après le vote, il faudra faire le dépouillement avec certaine précaution, tenir note du résultat, puis il faudra distribuer de nouveaux bulletins, recommencer la même opération.
Il en sera ainsi pour la première question, ainsi pour la seconde, ainsi jusqu’à la 100ème ou la 300ème, s’il y a 100 ou 300 questions. Combien de temps cela prendra-t-il ? Il résultera de là de deux choses l’une : ou les opinions se formeront avec maturité, avec conscience et réflexion : dans ce cas, vous prolongerez à l’infini la durée des opérations du jury, qui deviendront interminables, et vous dégoûterez ainsi des fonctions de juré, dont on n’est que trop déjà dégoûté ; ou bien, les jurés voudront en finir au plus vite, alors il y aura nécessairement de la précipitation pour arriver à la solution de 100 ou 200 questions. Alors que d’erreurs funestes, sanglantes ! Ils effaceront un oui pour un non, ou plutôt, dans le doute, ils n’effaceront ni l’un ni l’autre. Et dans ce cas, d’après votre loi, il y a acquittement : mais déjà vous vous plaignez de ce qu’il y a trop d’acquittements, et vous proposez le vote secret pour en diminuer le nombre.
Je vous demande si ces inconvénients ne sont pas de nature à vous arrêter ? Quels avantages espérez-vous de ce secret ? Qu’on veuille bien le dire ? Je n’en vois aucun, et il en faudrait d’immenses pour compenser les inconvénients que j’ai signalés. Je n’en ai montré qu’une partie minime, les premiers qui se sont montrés à mon esprit. On en signalera bien d’autres dans l’exécution.
On a discuté cette question en France en août 1835. Malgré toute la préoccupation de la chambre, résultat d’une tentative d’attentat sur la personne du roi, tous ces graves inconvénients ont été reconnus ; le ministre de la justice lui-même a reconnu qu’il était impossible de mettre à exécution ce système. C’est ce que vous reconnaîtrez aussi dans la pratique. Consultez les débats de cette époque et vous ne pourrez pas en douter.
Il vous reste donc le vote par boules ; mais le ministre, la section centrale, tout le monde est et doit être d’avis que ce système est inadmissible. Dès lors, vous devez vous en tenir au système suivi aujourd’hui, à moins de réfuter ce que nous avons dit contre le système du vote secret ; or, toute cette discussion a démontré votre impuissance à nous réfuter, et la chose est impossible, car nous sommes dans le vrai.
Je crois en avoir dit assez pour justifier mon opinion ; je voterai contre le système du vote secret, parce qu’il rendra le jury impossible dans son exécution, ou funeste dans ses résultats.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je serai aussi court que possible, car il n’y a plus rien de neuf à dire sur cette question.
Le vote secret a été introduit en France à l’occasion de circonstances extraordinaires qui n’existent pas chez nous, j’en conviendrai volontiers ; mais la question est de savoir si la mesure en elle-même est bonne et utile. C’est précisément parce que la proposition de la section centrale a été faite dans un temps calme, sans influence, sans aucune préoccupation politique, qu’il y a lieu de croire qu’une maturité plus grande a présidé à ses délibérations, qu’une conviction plus profonde a dicté sa résolution.
La section centrale, a-t-on dit, s’est faite gouvernement ; non, messieurs, la section centrale a donné à la justice une garantie importante dont elle avait besoin ; elle a voulu protéger le jury, la vérité, la société, prévenir les acquittements scandaleux, les condamnations injustes.
On prétend que le vote secret est une innovation qu’aucun motif ne justifie ; mais ; entourer le suffrage du juré d’une liberté complète, garantir son indépendance, sa sécurité, faire en sorte que le dernier juré vote avec la même conviction que le premier, ne sont-ce pas là des raisons puissantes confirmées par l’expérience ?
Qu’on ne se trompe pas, le secret du vote n’est pas une innovation, seulement les moyens d’assurer ce secret sont nouveaux. Le secret des suffrages des jurés est dans l’esprit de toute la législation, il est de l’essence même de l’institution. Le juré ne doit compte de son opinion qu’à sa conscience et à Dieu. C’est un droit pour chaque juré que son vote ne soit pas connu ; c’est un devoir pour chaque juré de conserver un silence absolu sur tout ce qui se fait dans la chambre des délibérations. Si tous les jurés remplissaient toujours ce devoir, il serait inutile de recourir à des moyens extraordinaires pour empêcher la publicité des votes ; mais l’expérience a démontré la nécessité de donner une sanction législative à une obligation morale, d’introduire des dispositions nouvelles pour prévenir la violation du secret.
Le vote secret entraîne-t-il la suppression de la délibération ? Evidemment non : chaque juré pourra discuter les faits, élever des doutes sur tel ou tel point, provoquer des éclaircissements de ses collègues, relever des assertions inexactes, des raisonnements erronés, rappeler telle ou telle preuve, délibérer enfin sans qu’on puisse en conclure quel sera son vote ; délibérer ce n’est pas voter, sinon il serait inutile de conférer pour s’éclairer.
Le juré qui a des raisons particulières de craindre pour lui ou pour sa famille, pour sa personne ou pour ses propriétés, la vengeance de l’accusé, des amis, des ennemis puissants de l’accusé, ce juré pourra ne pas faire connaître son opinion ; on est d’autant plus sûr qu’il votera d’après sa conscience.
On objecte que le vote secret favorise la corruption des jurés, je pense le contraire. Supposez que l’accusé soit en butte aux clameurs, aux accusations passionnées d’ennemis nombreux, actifs, que la presse le poursuive avec acharnement ; les exemples ne sont pas loin de nous, et je ne fais pas allusion à des délits politiques. Le juré aura-t-il toujours assez de force pour voter en faveur de l’accusé innocent ? La crainte même de l’autorité publique ne peut-elle pas exercer de l’influence sur le juré fonctionnaire, lorsqu’il la croit intéressée à une condamnation ? Le secret du vote n’est-il pas encore, sous ce point de vue, une garantie ?
De quelque manière que j’envisage la question, je ne puis voir qu’un grand bienfait dans les dispositions qui assurent le secret du vote, et si une chose m’étonne, c’est qu’elles n’aient pas toujours existé. Si elles existaient, et qu’on tentât de les abolir, ah ! alors il faudrait être sur ses gardes.
C’est faire injure aux jurés que de les supposer pusillanimes Il faut prendre les hommes comme ils sont et non tels qu’ils devraient être ; le courage civil n’est pas donné à tous, il est le partage du petit nombre.
(Moniteur belge n°53, du 22 février 1838) M. de Langhe. - Je demande que le dernier paragraphe de l’article 5 soit ainsi rédigé : « A côté de ces mots seront imprimés de même ceux correspondant en flamand ou en allemand dans les provinces où ces langues sont en usage. »
M. Metz. - Il ne faut pas se dissimuler que la demande du vote secret proposé par la section centrale n’a en réellement d’autre cause que les acquittements appelés scandaleux et dont la société aurait eu à gémir ; mais la section centrale s’est-elle bien rendu compte de cette première pensée qui aurait dû la dominer : le vote secret que l’on va proposer empêchera-t-il les acquittements que nous déplorons ?
A cette question, la section centrale a-t-elle répondu oui ? Les observations faites par le ministre de la justice vous ont-elles fait sentir cette vérité ? Quant à moi, mon doute existe encore, et je partage l’opinion émise par M. Gendebien, émise hier par moi, que bien loin de diminuer cette rage d’acquittement, comme on dit, qui possède le jury, on l’augmentera. Voyons quelles sont les causes des acquittements.
Le jury, ainsi que l’a dit M. Angillis, n’est pas une institution à laquelle on façonne tout un peuple en un jour ; c’est une haute magistrature que l’on n’apprend pas à remplir à des hommes de la campagne en quelques heures. On avait bien plus à se plaindre du jury dans les commencements qu’actuellement ; le jury marche mieux que jamais, et j’ai entendu des présidents de cours d’assises dire aux jurés : Nous aurions été fiers d’avoir rendu les mêmes verdicts que vous. Il faut attribuer les nombreux acquittements aux essais, aux tâtonnements, à l’hésitation des jurés, mais ces hésitations se dissipent tous les jours.
En France, avez-vous entendu une voix s’élever pour dire qu’il fallait s’empresser d’abolir le jury ? Le ministre de la justice dit : La loi nouvelle est présentée par nous dans une occasion plus favorable que celle où elle a été présentée en France ; nous ne sommes pas dans un mouvement politique ; nous pouvons délibérer, abstraction faite de tout intérêt politique : mais c’est là justement ce qui devrait nous faire écarter le vote secret. Il ne serait jamais venu dans l’esprit du gouvernement de le proposer, s’il n’y avait été entraîné par les graves inconvénients résultant de l’abus de la presse.
Ce sont ces abus qui ont déterminé la chambre française, malgré ses scrupules, malgré ses répugnances, à adopter le vote secret. Cette nécessité n’existe pas chez nous, on a fait un mauvais emprunt à la France qui n’a admis ce vote secret qu’à raison des crimes politiques.
Mais dit-on, on ne doit compte de son vote qu’à Dieu et à sa conscience ; un vote étant une affaire de conscience est par là même une chose essentiellement secrète. Pourquoi s’il en est ainsi, ne faites-vous pas voter les juges secrètement ?
Le principe doit être le même pour tous, et eux aussi ne doivent compte qu’à Dieu et à leur conscience de leur vote. Mais c’est une autre pensée qui a dicté la manière dont les magistrats doivent voter : il faut que les hommes qui en jugent un autre puissent rendre compte de leurs opinions à toute la société ; voilà la haute pensée qui a présidé au vote des juges.
Si vous intimidez le jury, si vous lui fermez la bouche quand il doit prononcer, vous allez multiplier les acquittements.
Ce sont les menaces qu’on peut faire aux jurés qui motivent le vote en secret ; mais quels sont donc les jurés qui ont été menacés dans leurs biens ou dans leurs personnes ?
Le ministre de la justice a dit quelque chose qui me rendrait encore plus sensible la nécessité du vote public : selon lui la disposition n’empêchera pas la délibération ; seulement celui qui craindra d’être l’objet des vengeances de l’accusé ou de ses amis sera libre de n’y pas prendre part. Mais de là on conclura que tout individu qui a gardé le silence a voté la condamnation. Un vote secret permettra d’exercer sur le jury une influence fort ordinaire, celle de bienveillance. Si une affaire intéresse un homme tant soit peu considéré dans le pays, il aura toujours pour auxiliaires quelques individus qui aborderont les jurés pour les rappeler à des sentiments d’indulgence, sinon de miséricorde ; l’urne muette sera très favorable pour satisfaire à ces sentiments, tandis qu’on n’oserait pas s’en prévaloir en face de la société qui demande réparation et un exemple.
Mais qu’arrivera-t-il quand par le moyen du vote secret, un juré ne voudra pas déposer son vote dans l’urne ? Tout est enveloppé de ténèbres dans la manière de déposer le vote ; vous dites aux jurés : défiez-vous de vos collègues, faites tout en secret. On dépouille le scrutin ; et on ne trouve que onze bulletins au lieu de douze ; faudra-t-il recommencer ? Trouverez-vous le moyen d’obtenir la condamnation ou l’acquittement dans un semblable cas ?
Il n’y a pas de meilleur moyen d’arriver promptement à un beau résultat que de laisser au vote sa publicité ; cette publicité est digne du jury ; n’altérons pas une des plus belles institutions, et une des plus belles conquêtes de notre révolution. (Aux voix ! aux voix !)
(Moniteur belge n°54, du 23 février 1838) M. Gendebien. - Il me semble que la question est assez importante pour continuer la discussion. Si vous êtes pressés de consacrer une anomalie, une monstruosité dans les institutions du gouvernement représentatif, je ne serai pas long ; ainsi veuillez prendre quelque peu patience. Je n’ajouterai que peu de mots à ce que j’ai dit.
Messieurs, je vous ai signalé tout à l’heure les inconvénients du mode proposé par la section centrale. M. le ministre s’est bien gardé de me répondre ; il est venu, comme si la discussion commençait, proposer des généralités, des lieux communs qui ont laissé debout toutes mes objections. J’ai dit, messieurs, que le vote secret devait, au dire de ses partisans, diminuer le grand nombre d’acquittements dont on se plaint, et je vous ai démontré que le système proposé aura pour effet d’augmenter ces acquittements.
On vous a dit, messieurs, que si le vote n’est pas secret, lorsque sept jurés auraient voté dans un sens et quatre dans un autre, le dernier juré serait intimidé et se prononcerait toujours pour l’acquittement ; l’honorable M. Metz a détruit cette objection, et personne n’a essayé de le réfuter, parce qu’il n’était pas réfutable. Je suis ce raisonnement et je dis : Lorsqu’on vote par oui et par non sur l’interpellation du chef du jury, si la question est grave, s’il y a doute, et si 4 jurés ont voté dans un sens et 7 dans un autre, le dernier n’hésite pas à se ranger du côté de la minorité qui a voté la condamnation, parce qu’alors il compte sur les lumières de la cour, qui se joint au jury pour décider ; isolez maintenant chaque juré, placez-le séparément dans sa loge ; ne sachant pas ce que font ses collègues, s’il y a doute, si le cas est grave, le jure, qui n’eût pas hésité à se mettre du côté de la minorité des quatre qui votent pour la condamnation, votera sans doute pour l’acquittement, tandis que si l’on avait voté oralement par oui et par non, il se serait prononcé de manière à décharger sa conscience du doute qui l’obsède, en laissant à la cour le soin de décider l’affaire par son intervention ; il y aura donc ainsi une chance d’acquittement de plus, et c’est du trop grand nombre d’acquittement que vous vous plaignez ! Et veuillez bien le remarquer, messieurs, dans les affaires graves les votes de sept contre cinq se présentent très fréquemment.
Je ne répondrai plus qu’à une seule observation du ministre. Si l’autorité, a dit M. le ministre de la justice, pouvait être intéressée à obtenir une condamnation, si elle attachait de l’importance à obtenir une condamnation, des fonctionnaires publics qui se trouveraient au nombre des jurés pourraient hésiter à se prononcer pour l’acquittement ; mais si le vote est secret, nul n’hésitera à voter selon sa conscience. Je n’ai pas voulu, messieurs, mettre la discussion sur ce terrain, je n’ai pas voulu faire une supposition semblable ; mais puisqu’elle a été faite par le ministre lui-même, j’en ferai usage. Si le gouvernement se croyait un jour intéressé à obtenir une condamnation, avec le vote secret il arrivera bien plus facilement à son but, au moyen de la corruption, qu’avec le mode actuel de voter ; un fonctionnaire public qui a le courage de l’indépendance et vote selon sa conscience, a rarement à craindre des indiscrétions de la part de ses collègues du jury, et si une indiscrétion était commise, le gouvernement qui voudrait molester un fonctionnaire, membre du jury, qui aurait voté oralement, selon sa conscience, serait atroce ; ce gouvernement serait flétri. Ce cas n’est donc pas à craindre ; mais ce qui est à craindre, dans la supposition faite par M. le ministre et qui est sans doute possible, c’est la corruption. Supposez que le gouvernement se croie intéressé à faire condamner un accusé, qu’il mette de l’acharnement à le poursuivre ; de là à la corruption il n’y a qu’un pas que les gouvernements hésitent rarement à faire ; or, la corruption est sans remède avec le vote secret, elle agit dans l’ombre, elle n’a rien à craindre. Je le demande donc, messieurs, la seule observation qui a été faite par M. le ministre ne doit-elle pas nous faire repousser le vote secret ?
Je crains, messieurs, que sous l’apparence de vouloir protéger le jury, on ne veuille en venir à un système d’intimidation comme en France, qu’on ne cherche plus tard à obtenir des condamnations par l’obsession, par la corruption. L’importance qu’on met à obtenir le vote secret me donne le droit d’être défiant, car c’est toujours dans l’ombre que s’agitent les mauvaises passions ; c’est dans l’ombre que l’hypocrisie et les plus lâches vengeances trouvent leur aliment.
Il faut bien, en finissant, messieurs, que je répète ce que j’ai dit au commencement des débats. Vous voulez, dites-vous, soustraire un juré timide, menacé dans sa personne, dans ses biens, dans sa famille ; vous voulez le soustraire à la vengeance de celui qu’il aura condamné ; mais réfléchissez-y, messieurs ; si vous reconnaissez la nécessité de donner de pareilles garanties aux membres du jury qui votent aujourd’hui à huis clos et sous la promesse du secret, que ferez-vous donc pour donner des garanties aux témoins qui appartiennent presque toujours à la commune de l’accusé, qui se trouveront chaque jour en contact avec les amis, avec les parents de l’accusé, avec l’accusé lui-même, s’il n’est pas condamné ? Si d’un côté vous croyez devoir avertir les membres du jury qu’ils ont quelque danger à redouter des conséquences de leur vote, si vous croyez devoir leur assurer une garantie, pourquoi laissez-vous les témoins sans garantie ? Que ferez-vous pour les témoins lorsque vous proclamez législativement qu’il y a des dangers à courir pour les jurés, lorsqu’ils exercent leurs fonctions de manière que leur vote soit connu ? Lorsque vous faites une semblable déclaration, ne déclarez-vous pas en même temps que les témoins ont un danger bien plus grand ? Car ce n’est pas le jury qui crée le fait entraînant la condamnation, il ne fait que déclarer en son âme et conscience qu’il résulte des débats que ce fait est constant ; ce qui constitue le fait, le corps du délit, c’est la déposition des témoins ; la position des témoins est donc cent fois plus redoutable que celle des jurés, et cependant vous reconnaissez votre impuissance pour venir au secours des témoins ! Dans un pareil état de choses le législateur prudent doit dissimuler le danger au lieu de le proclamer, s’il existe. Mais, encore une fois, ce danger existe-t-il réellement ? On a interpellé tout à l’heure encore les partisans du vote secret, on leur a demandé dans quelle circonstance un juré avait été menacé dans sa personne, dans ses propriétés, dans sa famille ; personne n’a pu citer un seul fait.
Vous voyez donc, messieurs, que, de quelque manière qu’on envisage la proposition, elle ne présente que les plus grands inconvénients. J’ai signalé l’impossibilité physique d’exécuter le nouveau mode ; on ne m’a pas répondu un mot ; j’ai dit qu’on allait introduire dans les délibérations du jury un moyen de corruption, et j’ai fait ressortir la facilité qu’il y aura à s’acquitter des engagements de la corruption, parce que personne ne pourra contrôler le vote. Quand il sera constant qu’un homme a été assassiné, quand il résultera de la déposition de 20 témoins que l’accusé a assassiné un citoyen, avec le vote secret vous n’avez aucune garantie qu’un juré corrompu ne votera pas pour l’acquittement, tandis qu’il n’oserait pas le faire s’il devait se prononcer à haute voix en présence de ses collègues. (Aux voix ! aux voix !)
(Moniteur belge n°53, du 22 février 1838) Sur la demande de plus de membres, la chambre vote par appel nominal sur la disposition qui établit que le vote du jury aura lieu au scrutin secret.
Voici le résultat du vote :
57 membres sont présents.
47 adoptent.
10 rejettent.
En conséquence la disposition est adoptée.
Ont voté l’adoption : MM. Andries, Beerenbroeck, Coppieters, David, de Behr, Dechamps, de Langhe, de Longrée, de Meer de Moorsel. F. de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, Dequesne, de Renesse, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Theux, Devaux, Donny, Dubus aîné, Eloy de Burdinne. Ernst, Heptia, Hye-Hoys, Keppenne, Kervyn, Lebeau, Liedts, Maertens, Manilius, Meeus, Milcamps, Morel-Danheel, Pirmez, Polfvliet, Pollénus, Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Scheyven, Ullens, Verdussen, Vergauwen, Zoude, Peeters et Raikem.
Ont voté le rejet : MM. Angillis, Gendebien, Lecreps, Metz, Pirson, Seron, Stas de Volder, Vandenbossche, Van Volxem et Verhaegen.
- La séance est levée à 5 heures.