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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 22 avril 1836

(Moniteur belge n°114, du 23 avril 1836 et Moniteur belge n°115, du 24 avril 1836)

(Moniteur belge n°114, du 23 avril 1836)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Dechamps fait l’appel nominal à une heure.

M. de Renesse lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dechamps fait connaître l’objet de la pièce ci-jointe adressée à la chambre.

« Le sieur Davreux aîné, fabricant de tulles à Bouillon, adresse des observations contre le projet de loi portant des modifications au tarif des douanes, en ce qui concerne les tulles. »

- Cette pétition est renvoyée à la commission des pétitions, chargée d’en faire le rapport.

Projet de loi modifiant certaines limites communales

Rapport de la commission

M. B. Dubus dépose sur le bureau un rapport sur des délimitations communales.

- Ce rapport sera imprimé et distribué ; il sera discuté simultanément avec d’autres projets de même nature, dont la discussion a déjà été fixée précédemment par la chambre.

Loi qui ouvre un crédit de six millions de francs pour construction de routes

Second vote des articles et vote sur l’ensemble

Les articles du projet, amendés lors du premier vote, sont successivement mis en délibération et confirmés par la chambre.

Il est procédé par appel nominal au vote sur l’ensemble du projet.

59 membres prennent part au vote.

57 répondent oui.

1 répond non.

1 membre s’est abstenu (M. Gendebien).

En conséquence le projet de loi est adopté, et sera transmis au sénat.

Ont répondu oui : MM. Beerenbroeck, Bekaert, Brabant, Cols, Cornet de Grez, David, Dechamps, de Jaegher, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, W.de Mérode, de Nef, de Puydt, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmanet de Biesme, Desmet, de Terbecq, de Theux, d’Hoffschmidt, d’Huart, B. Dubus, Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Hye-Hoys, Jadot, Julien, Keppenne, Kervyn, Lardinois, Lebeau, Lejeune, Liedts, Milcamps, Morel-Danheel, Polfvliet, Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Scheyven, Simons, Smits, Thienpont, Troye, Ullens, Vandenbossche, Vanderbelen, Verdussen, Van Hoobrouck, C. Vuylsteke, Wallaert, Watlet, Zoude et Raikem.

A répondu non : M. Pirmez.

M. le président. - M. Gendebien est invité, aux termes du règlement, à faire connaître les motifs de son abstention.

M. Gendebien. - Messieurs, mon opinion n’est pas douteuse sur l’utilité des fonds destinés aux canaux et aux routes ; je me suis nettement expliqué à cet égard.

J’aurais donc voté pour la loi, si l’on n’y avait pas consacré un principe que je ne puis admettre, celui d’hypothéquer les revenus des routes.

Dans mon opinion, on arrivera un jour à supprimer les droits sur les routes et les canaux.

J’ai dû m’abstenir de voter, parce que je n’ai pas voulu me lier les mains dans une question que je regarde comme vitale pour les intérêts de l’industrie et du commerce.

M. Watlet (pour une motion d’ordre.) - Par suite de la loi que vous venez d’adopter, la proposition de la commission des travaux publics, relative au dépôt de toutes les pétitions concernant les routes, devient sans objet.

Je proposerai en conséquence de renvoyer toutes ces pétitions à M. le ministre de l’intérieur qui demeure chargé d’y donner suite. (Appuyé ! Appuyé !)

M. Eloy de Burdinne. - Je dois faire observer qu’une pétition relative au même objet a été remise aujourd’hui à la chambre ; l’analyse n’en a pas été faite ; je pense que si le renvoi de toutes les pétitions au ministre de l’intérieur est ordonné, on y comprendra celle dont je parle. (Oui ! oui !)

- La proposition de M. Watlet est mise aux voix et adoptée.

M. Gendebien. - Je prendrai la liberté de recommander particulièrement à M. le ministre de l’intérieur les pétitions qui sont arrivées du Luxembourg.

Messieurs, c’est le pays où l’on a plus particulièrement besoin de routes, et celui où il y en a le moins ; c’est aussi le pays où les routes seront les plus productives.

Nous avons à acquitter envers le Luxembourg une dette que tous les gouvernements précédents se sont abstenus de lui payer ; il est temps que justice se fasse ; il est temps que le pays ne se montre plus ingrat envers une province qui a donné des gages nombreux de patriotisme et qui néanmoins a été délaissée jusqu’ici.

Projet de loi portant création d'un conseil des mines

Motion d’ordre

M. Verdussen. - La motion que j’ai l’honneur de soumettre à la chambre a rapport à la loi que nous allons discuter. Messieurs, vous avez pu remarquer dans l’exposé des motifs présenté par le gouvernement, ainsi que dans le rapport fait sur le projet par M. Brixhe, qu’une des raisons majeures sur lesquelles on s’est appuyé pour faire ressortir l’urgence de la loi, a été l’absence d’un conseil d’Etat, absence qui rend impossible toute décision en matière de concession de mines.

Cependant, messieurs, la chambre est saisie depuis le mois de mai 1834 d’un projet de loi qui se rapporte à la création d’un conseil d’Etat et qui lui a été adressée par l’autre chambre.

Je ne sais pas, messieurs, s’il ne serait pas nécessaire de faite précéder la discussion de la loi à l’ordre du jour de l’examen du projet dont il s’agit.

Car, si la partie du projet de loi relative à l’établissement d’un conseil des mines pouvait être élaguée dans l’hypothèse de l’existence d’un conseil d’Etat, il deviendrait possible, messieurs, que la loi que nous voterions aujourd’hui, fût abrogée dans quelques mois.

C’est dans l’intérêt seul du sort de la loi que je fais cette remarque ; car, s’il entrait dans les vues du sénat de rendre au conseil d’Etat une partie de ses attributions précédentes, et particulièrement celle de connaître des concessions de mines, il serait possible que le sénat laissât dans ses cartons la loi sur le conseil des mines, jusqu’à ce que la chambre des représentants eût statué sur le projet relatif au conseil d’Etat.

Voilà, messieurs, l’objet de ma motion d’ordre. Si cependant la majorité de cette assemblée jugeait à propos de ne plus abandonner au conseil d’Etat les décisions à prendre en matière de concessions, je pense qu’on pourrait procéder immédiatement à la discussion de la loi.

M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, tout en partageant l’opinion de M. Verdussen sur la convenance de nous occuper du projet qui nous est transmis par le sénat, je ne pense pas que cette circonstance puisse établir une fin de non-recevoir pour le projet dont nous allons nous occuper. Car, dans tous les cas, si la chambre se décidait à adopter la proposition du sénat, le conseil des mines pourrait entrer comme section dans le conseil d’Etat.

Je crois donc qu’il n’y a pas lieu de s’arrêter pour le moment à la proposition de M. Verdussen, et je demande qu’il soit passé outre à la discussion.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - La question que vient de soulever l’honorable M. Verdussen se trouve rencontrée dans l’exposé des motifs accompagnant le projet de loi qui vous a été soumis.

Il y est dit que parmi les inconvénients qu’a présentés l’exécution de la loi sur les mines, il en est quelques-uns qui doivent être particulièrement attribués à cette circonstance que le conseil d’Etat était chargé des demandes en concession de mines.

On lit entre autres dans cet exposé de motifs :

« Toutefois nous devons convenir, messieurs, que dans l’exécution de cette loi, l’on a rencontré quelques inconvénients ; et d’abord les demandes en maintenue et en concession devaient être délibérées au conseil d’Etat, et quelque distingués qu’aient été la plupart de ceux que Napoléon appelait à l’honneur de siéger dans ce conseil, l’on ne peut se dissimuler qu’ils étaient en général étrangers à la partie des mines ; de là, lenteur dans l’expédition des affaires, et quelques mauvaises décisions. Les inconvénients se firent sentir davantage sous le gouvernement des Pays-Bas.

« Beaucoup d’affaires étaient pendantes au conseil d’Etat au moment de la révolution ; il existe un grand nombre de demandes en maintenue, en extension de concessions, et de concession nouvelles. »

Vous voyez donc que dans notre pensée le conseil des mines serait tout à fait indépendant de l’institution d’un conseil d’Etat. Nous avons cru que, dans tous les cas, il serait utile d’avoir une commission spéciale chargée de l’examen des affaires concernant les mines.

D’après ces considérations je pense qu’il n’y a pas lieu de s’arrêter à la motion faite par l’honorable M. Verdussen, sauf à la chambre à s’occuper ultérieurement du projet sur le conseil d’Etat.

M. Verdussen. - Messieurs, je n’ai pas fait de proposition formelle ; je n’ai pas demandé que la discussion du projet sur le conseil d’Etat précédât la discussion sur la concession des mines ; je désirais seulement provoquer une explication ; et celle qui vient d’être donnée me donne mes apaisements. La nécessité d’un conseil des mines me paraît démontrée ; mais il était digne de la chambre de s’expliquer à cet égard ; car très souvent, dans cette enceinte, on avait dit que si le conseil d’Etat existait, il rendrait inutile le conseil des mines ; moi je crois que le conseil des mines doit être établi, quand même il y aurait un conseil d’Etat, et je vois avec plaisir que le gouvernement et la chambre partagent cette opinion.

Discussion générale

M. Pirmez. - Messieurs, mon intention est de combattre, dans ce projet, ce qui est relatif à la concession des mines de fer ; mais comme mes motifs comprennent des considérations générales, je crois devoir prendre actuellement la parole. Au reste, comme il y a beaucoup de membres peu familiers avec cette exploitation, ce que je dirai aujourd’hui pourra être examiné par eux d’ici au moment où nous arriverons à la délibération sur l’art. 8.

Messieurs, de toutes les questions qui puissent jamais être soumises à nos délibérations, la plus importante est peut-être celle des concessions de mines. Il s’agit d’investir un conseil composé de cinq personnes d’un pouvoir immense, du droit de disposer arbitrairement des plus précieuses richesses du pays ; richesses augmentées chaque jour par les progrès de l’industrie, et qui surpassent déjà toutes les prévisions et tous les calculs.

Les concessions de mines de fer surtout ont acquis une importance qu’on n’aurait pu leur supposer il y a peu d’années. Proportionnée à l’abondance du combustible végétal dont la quantité est toujours très bornée, la valeur de ces mines était presque nulle autrefois, et elles s’exploitaient dans des localités très circonscrites. Aujourd’hui que le coak a remplacé le bois, l’abondance de cet élément de productions a influé considérablement sur la valeur du minerai de fer et le fait rechercher et exploiter dans quatre de nos provinces, le Hainaut, Namur, le Luxembourg et Liége.

D’autres provinces encore prendront bientôt leur part des dons que la nature a répandues d’une main si généreuse sur notre pays. L’exploitation des mines de fer que recèle le Brabant ajoutera bientôt à l’aisance qui lui procure l’état si parfait de son agriculture. Et des recherches faites récemment avec succès dans la Campine lui font concevoir l’espoir d’atteindre un jour la prospérité des autres contrées. Le chemin de fer projeté de Louvain à Charleroy, en la rapprochant de houillères, fécondera ces richesses jusqu’ici négligées, parce que l’éloignement du combustible les rendait stériles.

La loi qui vous est soumise, en établissant que les mines de fer pourront encore être concédées, trouble et inquiète par conséquent des intérêts nombreux. Je viens encore prendre leur défense, messieurs, ainsi que je le fis dans cette enceinte en octobre 1831, en prouvant que cette disposition froisse non seulement les principes sacrés de la justice, mais qu’elle est contraire aux intérêts généraux du pays.

Avant notre réunion à la France, messieurs, les mines de fer ne furent jamais considérées comme bien du souverain. Jamais elles ne furent séparées de la propriété du dessus. La loi de 1791, faite par une assemblée éclairée, et à une époque semblable à la nôtre, entoura la propriété des garanties que le favoritisme et l’intrigue lui avaient fait perdre successivement. Sous le régime de cette loi, le propriétaire était préféré à tous autres pour toute espèce de concession.

La haine des abus flagrants alors porta, il est vrai, le législateur au-delà des bornes d’une saine réforme. Un respect outré pour la propriété remplaça le mépris qu’on faisait de ce droit. On sembla oublier que dans certaines circonstances (rares il est vrai mais impérieuses) l’utilité privée devait être sacrifiée à l’utilité publique.

Vint la loi de 1810 qui se ressentit de l’époque où elle fut faite. L’esprit d’envahissement du pouvoir ne connaissait alors ni règle ni mesure. Il s’empara du droit de disposer de toutes les mines ; il n’excepta que le minerai de fer d’alluvion, lorsqu’il peut être exploité à ciel ouvert ; exception ridicule, et qui pourrait à peine recevoir en Belgique une rare application.

Mais il n’usa pas, chez nous, du moins, en ce qui concerne les mines de fer, du droit exorbitant qu’une législature obséquieuse lui avait accordé. Reculant devant son propre pouvoir, il comprit que l’usage n’en pouvait être qu’odieux au peuple sans utilité pour lui-même. Il ne donna aucune concession de mines de fer.

Pendant la longue domination hollandaise, absurdement oppressive sous tant de rapports, même crainte d’user de ce droit reconnu inutile. Deux ou trois concessions furent seulement accordées dans les derniers temps. Je ne sais si ce gouvernement vécut assez pour en apercevoir les conséquences funestes et en recueillir les tristes fruits ; mais ceux qui furent depuis à la tête de l’administration n’ignorent pas les réclamations, les procès et le mécontentement qui en résultèrent. Malheureusement le remède n’était pas dans leurs mains.

Les concessions de mines de fer produiraient des maux bien plus grands et plus irréparables encore aujourd’hui que l’industrie toujours croissante les fait rechercher partout et en a fait découvrir un grand nombre. D’ailleurs, messieurs, après une révolution réparatrice, chacun s’accoutume à l’idée de l’inviolabilité de ses droits, et s’il en est un qui dans l’opinion revêt surtout ce caractère, c’est le droit de propriété ; il semble qu’on n’y peut porter atteinte sans ébranler la société elle-même, dont il est regardé comme la plus solide base.

Ce droit doit fléchir cependant quand l’exige l’intérêt du plus grand nombre, considération qui domine tout dans les sociétés. Tel est le cas d’expropriation pour cause d’utilité publique, où l’on enlève au citoyen son patrimoine pour la construction de routes, de canaux et les travaux nécessaires ou seulement avantageux à l’Etat ; tel est encore le cas où on lui enlève ses mines, lorsque, transmises en des mains plus habiles, elles contribuent davantage à augmenter la somme des richesses nationales.

De ces deux cas de guerre de l’Etat contre la propriété, le dernier est celui où la propriété a le plus à craindre, parce que l’intérêt de l’Etat ne venant qu’en seconde ligne, il a pour auxiliaire les intérêts privés qui, en devant recueillir les premiers avantages, lui prêtent l’aide de leur activité et de leur énergie. Il semble donc que la loi devrait redoubler les garanties du propriétaire menacé mais point : dans la première espèce d’expropriation, le propriétaire a pour se défendre la publicité des débats, plusieurs degrés de juridiction, les plaidoiries orales : ici la loi l’abandonne à un tribunal secret qui prononce sans appel sur des mémoires écrits que nul ne lira peut-être.

Il est donc à craindre que le propriétaire ne succombe, quelles que soient la force de son droit et l’évidence de ses raisons ; et s’il résiste à une première attaque, à une seconde, il succombera à la troisième. Sa sécurité est du moins évidemment diminuée pas la loi, et c’est déjà un mal. L’intérêt général, mot vague, indéfini, que vous avez entendu invoquer dans cette chambre par tant d’intérêt divers, opposes entre eux, le menace dans la loi elle-même, et j’ai déjà eu l’occasion de montrer quel est le pouvoir de fascination de ce mot.

Le gouvernement hollandais accorda deux ou trois concessions de mines de fer à quelques grands propriétaires territoriaux. Que serait-il arrivé si ce gouvernement, se départissant de cette lenteur qui le caractérisait, les eût, dès le principe de son existence, concédé toutes ? Certainement l’industrie du fer n’eût point pris cet admirable développement qui contribue tant à la prospérité du pays et qui lui fait tant d’honneur. Nous n’eussions pas vu s’élever à l’envi ces nombreux fourneaux qui répandent le travail et l’aisance partout, et particulièrement dans le district qui m’a honoré de son mandat. Les hommes recommandables qui y sont venus des autres provinces et de l’étranger n’eussent point apporté leurs capitaux et leur génie dans des localités où tout eût été envahi, et où le monopole leur eût peut-être refusé une part des richesses qui sont stériles ou qui avortent entre ses mains.

Si un conseil quelconque était aujourd’hui investi du droit de disposer des mines de fer, imiterait-il la lenteur hollandaise ? Il est bien plus naturel de supposer qu’il se hâterait d’user du pouvoir immense qui lui serait conféré, parce que l’homme aime à user du pouvoir. Et alors, quelque discernement qu’on lui suppose dans la distribution de ses faveurs, s’il ne nuit pas à l’industrie présente, n’arrêtera-t-il pas pour toujours ses progrès futurs dont il n’est donne à personne de dire où ils peuvent atteindre ?

Un motif surtout est allégué par ceux qui veulent donner à l’Etat la disposition des mines de fer : les travaux d’art, c’est-à-dire l’établissement de grands puits, de galeries et de machines auquel s’opposent les exploitations morcelées comme les propriétés. Un autre motif, mais celui-ci n’a pas été exprimé dans les exposés qui nous sont soumis, serait l’intérêt de l’industrie qui exigeait que les propriétaires des fourneaux fussent mis en possession de toutes les mines du pays.

Des travaux d’art... Mais les travaux d’art sont rarement nécessaires pour l’extraction du minerai de fer. En Belgique, le minerai de fer se trouve à la surface de la terre ou à quelques toises de profondeur. A moins que l’on n’appelle travaux d’art, car il y a encore du vague dans ce mot, les travaux exécutés jusqu’à présent, les travaux d’art ne sont pas nécessaires.

Ce fut en 1828, dix-huit ans seulement après la loi de 1810 ; après que le propriétaire eût joui de ses mines sans trouble pendant des siècles, que le gouvernement hollandais, je ne sais par quelle inspiration soudaine, songea enfin aux travaux d’art.

Et les concessions demandées et données alors, par amour pour l’art, ont sans doute produit dans nos mines de fer ces travaux gigantesques que l’étranger admire dans nos mines de houille. La terre a été creusée à de grandes profondeurs, de puissantes machines d’épuisement se sont élevées à sa surface. Il n’en est rien, messieurs, ces faveurs n’ont été que de pures faveurs, sans utilité pour l’art, sans utilité pour le pays je dirai presque, sans utilité pour les concessionnaires eux-mêmes car les exploitations concédées, loin de croître en produits devinrent languissantes, et à tel point qu’elles forment contraste avec les exploitations des communes où la propriété fut respectée.

Dans quelques endroits, il est vrai, le concessionnaire laissa exploiter la mine par d’autres, souvent par le propriétaire lui-même, moyennant une redevance, soit en argent, soit en nature proportionnée au produit. Et, dans ce cas, qui me prouvera que l’Etat s’enrichit par les contributions établies au profit des particuliers ? Il arriva même que le concessionnaire laissa le propriétaire se mettre en possession de son bien sans rien exiger ; et en ce cas, à quoi avait servi de le déposséder ?

Dans son exposé des motifs, le ministre qui nous a présenté le projet du gouvernement reconnaît lui-même les abus qui ont en lieu sous le gouvernement hollandais. Mais si, après s’être abstenu dix-huit ans d’appliquer la loi de 1810 aux mines de fer, l’expérience qui enfin en fut faite a été malheureuse, croirons-nous qu’une application sage puisse en être faite à l’avenir ? Donnerons-nous plus de temps à nos réflexions, plus de maturité à notre examen ? Qui devons-nous croire si ce n’est l’expérience ?

L’art. 8 du projet est ainsi conçu :

« Il ne pourra être accordé de concession pour les mines de fer que dans les cas suivants :

« 1° Si l’exploitation à ciel ouvert cesse d’être possible ;

« 2° Si l’exploitation à ciel ouvert, quoique possible encore, doit durer peu d’années et rendre ensuite impossible l’exploitation régulière par travaux d’art.

« Est considérée comme exploitation à ciel ouvert celle dont les travaux s’exécutent, par tranchées et par puits et galeries.

« Il en est de même de l’exploitation pratiquée à l’aide d’une arène lorsque les travaux ne s’étendent pas au-dessous de cette arène, et que celle-ci est établie de concert avec les propriétaires des fonds sous lesquels elle passe. »

Les abus seront-ils désormais impossibles parce que dans l’article nous aurons défini les termes, c’est-à-dire parce que nous leur aurons donné un sens qu’ils ne présentent pas naturellement ; parce que nous aurons appelé exploitation à ciel ouvert celle qui n’est pas à ciel ouvert, pour paraître étendre un peu les droits du propriétaire de la surface ? Non, messieurs, l’abus ne le menace pas moins, car les renseignements, où les puiserons-nous ? aurons-nous quelque base certaine pour appuyer nos décisions ?

Il y a lieu à concession d’après l’article, « si l’exploitation à ciel ouvert, quoique possible encore, doit durer peu d’années et rendre ensuite impossible l’exploitation régulière par travaux d’art. » C’est ici surtout, messieurs, que la propriété est livrée à l’arbitraire et au caprice. L’exploitation dure ordinairement jusqu’à ce que la veine soit épuisée, l’intérêt de l’exploitant l’exige et le nombre d’années de même que la régularité des travaux importe peu. Nul, quelque habileté qu’on lui suppose, ne peut prévoir la durée d’une exploitation ? Et pût-on le prévoir, qui nous dira le sens de ces expressions « peu d’années » appliquées à une exploitation ? Est-ce dix ans, ou est-ce cinquante ans ? Tout est donc vague, confus, indéfini. Que, si l’on suppose que le concessionnaire découvrira de nouvelles veines et prolongera ainsi la durée de son exploitation, cette conjecture que rien ne motive suffira-t-elle pour justifier l’expropriation ? Messieurs, les lois les plus claires s’appliquent mal aux faits les mieux établis ; que sera-ce si nous n’avons pour règle qu’une loi obscure, applicable à un fait douteux, hypothétique, conjectural ?

Pourquoi les concessionnaires doués d’une sagacité refusée aux propriétaires découvriraient-ils plutôt que ceux-ci de nouvelles veines dans le fonds concédé ?

Et quant à la régularité des travaux, on en jugera le propriétaire incapable, lorsqu’il n’offrira pas les ressources pécuniaires suffisantes ou lorsque son héritage ne présentera pas assez d’étendue. Remarquez, messieurs, que, par je ne sais quelle cause fatale et certainement bien éloignée de nos vœux, toutes nos lois d’ordre matériel oppriment la petite propriété. Ici encore la grande propriété sera respectée, et la petite propriété, le produit de toute une vie de travail et de peine, deviendra la proie des grandes fortunes. Je ne déclame pas, messieurs, j’énonce simplement un fait, conséquence nécessaire et en quelque sorte but unique de la loi ; un fait déjà réalisé sous les Hollandais dans les deux dernières années.

Qui cependant a plus de soin de son patrimoine que le petit propriétaire pour qui il est l’existence même ? La nécessité ne le force-t-elle pas à retirer de son fonds jusqu’aux dernières parcelles des richesses qui y sont renfermées ? En agriculture, dont vous avez tous vu et apprécié les faits, les grandes exploitations l’emportent-elles sur les petites ? et cependant c’est en agriculture que les avantages d’une grande étendue de terrain paraissent évidents en théorie, sous le rapport de l’assolement et sous mille autres rapports.

Les capitaux et la grande étendue de terrain fussent-ils aussi nécessaires qu’ils sont inutiles pour l’exploitation de la mine de fer, ne craignez point qu’elle reste éternellement enfouie dans les petites propriétés. Les capitaux iront s’y placer au moyen du prêt comme d’eux-mêmes et sans loi qui les violente. Les propriétés se réuniront naturellement par l’association ou par la cession volontaire des droits à la mine ; car c’est surtout des capitaux et des intérêts qu’on peut dire aujourd’hui qu’ils sont intelligents.

Les particuliers ne sont pas les seuls exposés à perdre la plus grande partie de leur fortune dans les concessions de mines de ter ; tes communes pour qui ces mines sont une source importante de revenu, courent les mêmes dangers. Ce système leur est d’autant plus funeste que jamais aucune d’elles ne trouvera, comme certains particuliers, une sorte de compensation à cette perte, dans l’espoir de devenir elle-même concessionnaire ; non qu’elles soient expressément exclues par la loi, mais les administrations des communes, souvent divisées dans leurs membres, placées sous la tutelle des conseils provinciaux, arrêtées par mille formalités, ne sauraient triompher de la concurrence d’intérêts privés, libres d’entraves. Ce que je dis des communes s’applique également aux fabriques, aux hospices et à tous les établissements publics.

J’ai dit, messieurs, qu’outre la prétendue nécessité des travaux d’art on pouvait donner pour motifs à la loi la nécessité de favoriser les maîtres de forges. Une partie du moins des dispositions de la loi de 1810 paraissent avoir été rédigées dans cet esprit. C’est pourquoi j’en parle quoique l’exposé des motifs du gouvernement et celui de votre commission n’en disent rien.

Si tel était le but de la loi, il faudrait le déclarer expressément afin d’éviter de suivre les errements du gouvernement hollandais qui, pour distribuer ses faveurs, ne distinguait point entre les grands propriétaires.

Mais, messieurs, quoique les saines doctrines progressent lentement à travers les mille obstacles qui les arrêtent à chaque pas, nous laissons déjà bien loin derrière nous en économie sociale cette malheureuse époque de l’empire, ou tout commerce était un privilège, toute industrie un monopole, époque d’inconcevable aveuglement et de grande misère, ou la force de l’émulation, la puissance du courage spontané de l’homme étaient méconnues, où la protection même était accablante pour le protégé ; car plusieurs d’entre nous se rappellent comment marchaient les industries que le gouvernement menait à la misère.

Et pourquoi cette immense faveur aux maîtres de forges qui existent aujourd’hui ? La loi leur donne le droit de se mettre à la place du propriétaire lorsqu’il refuse d’extraire la mine qui se trouve dans son fonds, et nous devons le leur conserver dans toute sa plénitude. Mais de ce droit à celui d’empêcher le propriétaire d’extraire sa mine, il y a loin. Non messieurs, ces maîtres de forges n’ont pas et ne peuvent avoir cette prétention étrange, et l’eussent-ils cette prétention, oh ! c’est alors qu’il faudrait s’arrêter, car que ne seraient-ils pas fondés à demander plus tard ? Comment concevoir qu’il est utile à une nation de voir l’intérêt de tous ses membres absorbé et englouti dans une ou deux industries colossales ?

Je ne sais pas d’ailleurs comment le conseil des mines, quelque capacité, quelque équité qu’on lui suppose, pourra distribuer sagement entre ces industriels les dépouilles du propriétaire. Ses regards ne pénétreront certainement pas l’opacité de la terre, et les richesses qu’elle recouvre lui demeureront toujours inconnues. Il ne faudrait pas s’étonner si les uns recevaient le centuple des autres à ce jeu de pur hasard, et les perdants, hors d’état de lutter à l’avenir contre une concurrence si favorisée, n’auront pas alors assez de malédictions pour ces funestes faveurs.

Et si les concessions de mines de fer pouvaient demeurer réparties entre tous les industriels d’aujourd’hui, la carrière serait irrévocablement fermée à tous ceux qui y seraient appelés dans la suite, car l’industrie que vous prétendriez étendre, vous y auriez posé d’infranchissables bornes. Le point où elle est serait le nec plus ultra du progrès. A moins cependant que, mettant de côté un certain nombre de concessions pour les besoins des industriels futurs, vous ne tarissiez dès à présent sur un grands nombre de points cette source de la richesse publique ; ou bien que, donnant des concessions provisoires seulement, vous ne vous réserviez le droit de les annuler en tout ou en partie au profit de ceux qui se présenteraient à l’avenir. Dans cette alternative, quelque parti que l’on prenne, l’absurdité saute tellement aux yeux, que tenter de la montrer serait suspecter la sagesse et faire injure au bon sens du pays.

Parmi les concessionnaires du gouvernement hollandais, il se trouvait des maîtres de forges où de fourneaux. Eh bien, le minerai qu’ils exploitèrent ne servit point, pour la grande partie du moins, à alimenter leurs usines. Ils le vendirent précisément comme eût fait le propriétaire lui-même, qui est encore à comprendre l’utilité de la confiscation qu’il a subie.

Et, de même que le minerai, la concession elle-même peut être vendue, si vous la distrayez de la propriété. Elle peut être donnée, léguée ; car elle est soumise aux lois qui régissent toutes les propriétés. L’exploitation peut en être divisée entre différentes personnes par la volonté du concessionnaire. Ainsi vous vous serez plu à voir réunis sur la même tête les fourneaux et les mines, et demain elles en seront séparées. Vous aurez pris plaisir à former de grandes concessions, et demain elles se diviseront en plusieurs petites exploitations distinctes. Ainsi l’édifice que nous élevons péniblement aujourd’hui en froissant des droits et en lésant des intérêts qui sont l’ouvrage des siècles, demain ce qu’il y a de plus incertain et de plus inconstant au monde, la volonté de l’homme, viendra le renverser.

Mais je suppose la fabrication de fer et les mines indissolublement unies ; je suppose, par exemple, que les sociétés dont le capital se divise en actions, useront rarement du droit de vendre séparément leurs concessions. Ici, messieurs, la nature de ces propriétés souterraines serait changée ; d’immobilières et inhérentes au sol qu’elles sont aujourd’hui, elles deviendraient en quelque sorte mobilières et transmissibles de main en main ; au lieu d’être l’objet de transactions ordinaires, on les verrait devenir l’objet des spéculations de la bourse, et quoiqu’à mon sens le jeu de la bourse ne nuise pas ordinairement à l’Etat, il présente ici quelques inconvénients.

D’abord, sous le rapport fiscal, il importe à l’Etat que les mines de fer ne soient pas séparées de la propriété pour être vendues à la bourse. Unies à la propriété, elles augmentent évidemment sa valeur. De là, par conséquent, augmentation du produit des droits de mutation. Et cette considération, frivole en apparence, mérite cependant de fixer l’attention du législateur d’une manière sérieuse à cause de la grande étendue de terrain occupée par les mines de fer.

Il est d’autres inconvénients encore. Loin de moi la pensée que le conseil des mines pourra être corruptible et vénal ; j’aime à croire que le ministre n’appellera à ces hautes et délicates fonctions que des hommes d’une intégrité éprouvée et que leur vie entière met à l’abri du plus léger soupçon ; qu’il les reconnaîtra facilement au milieu de la multitude des probités équivoques, qui dans cette occasion encore se presseront dans ses antichambres. Nous verrons les hommes choisis par le gouvernement, de même que nos magistrats de l’ordre judiciaire, marcher environnés de l’estime et de la confiance publique.

Mais, messieurs, les hommes les plus intègres subissent quelquefois, à leur insu et malgré eux, l’influence de leur intérêt et de leur affection. Vous connaissez les précautions minutieuses prises par le code de procédure à l’égard des juges au titre de la récusation, précautions que, malgré leur foi dans l’impartialité des organes de la justice, les législateurs d’aucune époque et d’aucun pays n’ont négligé. Ici cette garantie nous échappe, la loi ne pouvait pas nous l’offrir. Non seulement les parents au sixième degré d’un conseiller de mines, mais tous les membres du conseil de mines seraient porteurs d’une société sur une demande de laquelle il aurait à prononcer, qu’aucune investigation ne parviendrait à le découvrir.

N’est-il pas à craindre qu’il ne s’opère quelque confusion dans une conscience vertueuse même, lorsque la voix de la justice et celle de l’intérêt ou de l’amitié y parleront à la fois ? Ce n’est pas une raison, messieurs, contre l’établissement d’un conseil de mines qui est une institution indispensable, de quelques abus qu’elle doive être suivie ; mais c’est une raison pour restreindre ses attributions au lieu de les étendre, et pour ne pas soumettre à sa juridiction les mines dont le conseil d’Etat avait cru pendant 18 ans inutile, injuste ou dangereux de disposer.

Par la raison que les membres du conseil des mines, dispensateurs absolus d’inappréciables richesses, tiendront dans leurs mains les destinées des sociétés industrielles et qu’ils en feront hausser à leur gré les actions, la malignité publique les accusera, à tort assurément, mais accusera de spéculer la veille sur les variations que le lendemain il leur fera subir. Et cette accusation, tout injuste et invraisemblable qu’elle puisse être, jettera de la déconsidération sur ce corps éminent, qui, pour opérer quelque bien, ne doit laisser aucune prise au soupçon, aucun prétexte à la calomnie.

Pour les mines de houille, ce danger n’existe pas ou du moins n’existe pas au même degré. Les mines de houille les plus précieuses sont pour la plupart concédées, et la prévarication à laquelle on suppose toujours un intérêt considérable, n’y trouverait plus qu’à glaner.

Je n’ai pas parlé jusqu’ici de l’indemnité accordée par la loi au propriétaire. Elle est convenable, sans doute, quant aux concessions de mines de houille. Mais que si l’on me dit que le propriétaire de mines de fer n’a pas à se plaindre, puisqu’il est indemnisé, je répondrai qu’il n’y a pas ici d’indemnité ; je n’y vois qu’une amère dérision, une insulte cruelle au malheur.

En effet, messieurs, tel propriétaire qui eût pu extraire facilement lui-même et sans frais pour 50,000 fr. de minerai de fer dans l’étendue d’un hectare, recevra pour cela deux indemnités ; mais on ne devinerait jamais quelles : la première sera de 25 centimes au moins ou 1 fr. au plus, c’est la redevance fixe ; la seconde sera fixée à 1 p. c. du produit net de la mine, c’est la redevance proportionnelle. Cette indemnité mérite-t-elle qu’on s’en occupe ? mérite-t-elle qu’on la demande ? et serait-il décent de l’aller offrir au propriétaire ruiné, que son infortune du moins rend digne d’égards ?

Ne craignez pas, messieurs, que le bénéfice du propriétaire sur le minerai soit une cause d’élévation de prix du fer. Le minerai est répandu sur le sol des trois quarts du pays, et dès que l’attention publique qui est encore endormie sur cette source de richesse sera entièrement éveillée, une multitude de petites exploitations paraîtront à la surface de la terre, et par leur concurrence empêcheront le prix du minerai de s’élever. Mais la concession serait une cause du haut prix du fer. Non seulement vous diminueriez, vous aboliriez presque la concurrence entre les possesseurs de minerai, mais vous empêcheriez l’établissement de nouveaux hauts fourneaux, à cause de l’incertitude que chacun éprouverait sur les moyens de se procurer cette matière première, et vous vous livreriez, pour le prix du fer, à la discrétion de quelques sociétés puissantes qui se ligueraient pour vous faire la loi.

Votre commission, messieurs, aux vues sages et libérales de laquelle je rends hommage, se borne dans l’article 8 à expliquer, à amender, à atténuer les funestes dispositions de la loi de 1810. C’est un pas vers le bien sans doute. Mais puisqu’elle reconnaît et nous signale le mal, pourquoi ne pas le saper radicalement et nous proposer une de ces demi-mesures qui, dirigées seulement vers une partie du but, nous exposent à le manquer entièrement, et qui, en parant à une partie des inconvénients, en entraînent d’autres presqu’aussi considérables ?

Pour l’exploitation de la houille les concessions sont nécessaires, c’est une vérité que personne encore n’a contestée ; mais malheureusement, dans une partie de notre pays, elles ont été données par couches ou veines, en sorte que dans plusieurs localités des exploitations diverses se trouvent placées les unes sur les autres. De là des contestations et des procès sans nombre entre les concessionnaires qui rarement s’entendent sur les frais d’épuisement, et qui souvent se disputent des couches qu’ils ne peuvent reconnaître. De là encore un mode vicieux d’exploitation, car chacun se hâte de prendre le plus de mines possible sans s’enquérir si par là il ne nuira pas à la concession voisine.

Des inconvénients plus grands encore paraissent devoir résulter pour les mines de fer du dernier paragraphe de l’art. 8. Selon ce paragraphe (qui pourrait être plus clair), le propriétaire semble conserver le droit d’exploiter la mine à une profondeur indéfinie, lorsqu’il ne pratiquera pas d’arène. Mais lorsqu’il aura recours à ce moyen de faciliter ses travaux, il courra risque de perdre la partie inférieure de la mine, laquelle pourra être concédée.

Il arrivera donc que, dans la crainte d’être dépossédés, les propriétaires exploiteront rarement à l’aide d’une arène. La plupart préféreront travailler à plus grands frais pour exploiter plus mal. Cette augmentation improductive de travail et de frais est une perte évidente pour la société.

Et s’il en est qui, pour la régularité de leurs travaux, régularité qui paraît être le but principal de la disposition, se déterminent à pratiquer une arène, alors non seulement nous verrons, comme dans les mines de houille, des exploitations à plusieurs étages dans des couches distinctes et séparées par des minéraux d’une autre nature, mais nous verrons le propriétaire et le concessionnaire exploiter la même veine sans que rien les y sépare qu’une ligne imaginaire au niveau de l’arène. Et cela arrivera non pas rarement, mais toujours, car les mines de fer n’ont pas une direction absolument horizontale, elles sont inclinées en sorte qu’elles atteignent toujours la ligne fatale. Je vous laisse à penser, messieurs, le désordre, la confusion, les procès, les rixes et le gaspillage qui s’en doivent suivre.

Messieurs, en fait d’exploitation de mines de fer, de tous les systèmes imaginables, le seul bon, le seul rationnel, le seul productif est le système suivi jusqu’à ce jour. Tous les autres, se plaçant à côté du vrai et du juste, n’entraînent que misère et que ruine. Au lieu donc de nous ingénier à remplacer par des combinaisons nouvelles, dont tous les résultats prévus sont des calamités sociales, un état de choses prospère, fondé sur la nature, enraciné dans nos mœurs, consacre par les siècles, hâtons-nous de le consolider par une disposition expresse de la loi. En statuant que désormais les mines de fer ne seront plus concessibles, vous aurez rendu pour toujours le calme et la sécurité à des populations nombreuses. Car, messieurs, qu’il me soit permis de le dire, si je me déclare l’interprète des vœux de populations nombreuses, je ne crains d’être démenti par personne.

M. David. - Ce que j’ai à dire à l’occasion de la loi sur les mines, trouverait peut-être mieux sa place à la discussion des articles que dans la discussion générale ; mais j’ai trois observations à faire valoir qu’il sera peut-être utile de présenter de prime abord, afin de faire marcher la discussion avec rapidité et faire justice à ces observations, si la chambre les croit suffisamment fondées.

Le projet de loi qui nous occupe fixe bien les redevances en cas de concession, mais il n’y a pas de redevance limitée pour les exploitations stipulées à l’article 8. Il serait réellement à désirer que la loi pût établir, dans le cas d’exploitation à ciel ouvert, une redevance uniforme à payer au propriétaire de la part de l’exploitant. Si l’on ne prend point de mesure sous ce rapport, on ne sait où peut s’arrêter l’exigence des propriétaires, et dans un moment où la mine de fer est aussi recherchée qu’aujourd’hui, les hauts-fourneaux courent le risque d’en manquer à moins qu’ils ne passent par la taxe arbitraire que pourra vous imposer le propriétaire.

Il est des localités où ils exigent le quart, le cinquième des mines extraites, tandis qu’ils n’ont participé à aucuns frais. Cet état de choses n’est pas tolérable. On me dira que la loi d’avril 1810 supplée par son art. 66 à la lacune d’une stipulation sur les redevances de cette nature, mais les formalités qu’il faut remplir pour parvenir à s’entendre avec un propriétaire obstiné ne peuvent guère s’accomplir sans avoir recours aux tribunaux ; et d’ailleurs, en contraignant ce propriétaire, on court risque de le voir se venger d’une manière ou de l’autre, soit en inondant les travaux pendant la nuit, soit en causant d’autres préjudices. Ces choses-là se sont vues très souvent. Je proposerais donc que dans les cas d’exploitation à ciel ouvert la loi accordât au propriétaire du terrain le dixième de la mine extraite.

Je suis très satisfait de la modification apportée par la commission à l’article 8 du projet qui nous est soumis. Cette dérogation à la sévérité de la loi du 21 avril convient parfaitement à une foule de localités et ne peut en léser aucune. Il est cependant une chose sur laquelle je désirerais appeler votre attention, c’est que quand vous dites dans le projet au 5ème paragraphe de l’article que je viens de citer : « Il en est de même de l’exploitation pratiquée à l’aide d’une arène lorsque les travaux ne s’étendent pas au-dessous de cette arène, » il me semble, messieurs, que dans beaucoup de cas vous allez paralyser, si pas empêcher tout à fait, une quantité d’extractions qui pourraient donner de très bons résultats, et voici comment : combien de fois par exemple ne se présentera pas l’occasion d’attaquer un filon ou un amas de mine de fer par la pied d’une côte dans laquelle vous pratiqueriez par exemple une arène de 100 ou de 200 pieds dans le dessein d’aller d’une manière horizontale rencontrer la mine qui à ce point peut plonger plus bas sans que vous puissiez la suivre, à moins de violer l’art. 8.

Je suppose encore un autre cas, et toujours à propos des arènes : j’aurai exploité par le haut des collines ou côtes une mine de fer à la profondeur de 25 toises. Je suis gêné par les eaux du fond, et je trouve la possibilité de construire au pied de ma côte une galerie qui pourra me servir d’écoulement. Me voilà seulement, moi exploitant, placé dans une position favorable pour l’extraction, parce qu’ayant une galerie d’écoulement, je pose mon simple treuil à l’extrémité inférieure de mon arène et de là je puis approfondir à petits frais et extraire vite eau et minerai. Ces deux suppositions vous représentent pourtant, messieurs, des minières de l’espèce de celles que le gouvernement n’a pas intérêt d’interdire et en faveur desquelles il serait à désirer que la loi pût stipuler quelque chose.

On me dira : Pour remédier au mal que vous craignez, proposez un amendement à l’art. 8. Ici j’avouerai, messieurs, que je serais fort embarrassé d’en formuler un. J’y ai beaucoup réfléchi, et plus je le médite, plus je crois sa rédaction difficile. Il est possible que la chambre ne considère pas comme très grave la question que je viens de soulever ; mais si elle partage ma pensée, on pourrait nommer, quoique je trouve cette manière de procéder fort irrégulière, une commission qui proposât un amendement ou paragraphe supplémentaire à l’art. 8.

Il y a selon mot une phrase très louche à l’art. 63, également deuxième section, lorsqu’il dit : « Quand un maître de forges cessera d’exploiter un terrain, il sera tenu de le rendre propre à la culture ou d’indemniser le propriétaire. »

Je vois ici, messieurs, que si le propriétaire était un homme cauteleux, il pourrait exiger à la sortie de l’exploitant un terrain propre à la culture, tandis que jamais auparavant ce terrain n’aurait été cultivable.

Je proposerais donc de dire : « Quand un maître de forges cessera d’exploiter un terrain, il sera tenu de le rendre dans un état aussi propre à la culture qu’il l’était auparavant, ou d’indemniser le propriétaire. »

(Moniteur belge n°115, du 24 avril 1836) M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Les observations n’ont, jusqu’ici, roulé que sur le titre 4 relatif aux mines de fer. Je pense que l’on pourrait attendre que nous en soyons à la discussion des articles pour approfondir cette matière ; mais en attendant, je me bornerai à présenter à la chambre quelques observations.

Deux honorables membres pensent que le projet du gouvernement et que le projet de la commission accordent trop de latitude relativement aux concessions des mines de fer. Je crois, messieurs, que ces honorables membres n’ont pas assez médité l’ensemble de la loi, et qu’ils n’ont pas été assez pénétrés des garanties que cette loi accorde aux propriétaires de la surface.

Les trois ingénieurs des mines qui ont été appelés à donner leur avis sur le projet trouvent que celui du gouvernement, et à plus forte raison, que celui de la commission, ne laissent pas assez de latitude pour la commission des mines de fer dans l’intérêt général.

La commission propose d’autoriser le propriétaire à exploiter, toutes les fois qu’il le peut, par tranchées, par puits et par galeries ; les ingénieurs, au contraire, voudraient que l’exploitation ne pût jamais avoir lieu par le propriétaire, sans concession, toutes les fois que les galeries d’écoulement ou que les machines pour l’épuisement sont nécessaires. On voit donc que ces propositions sont diamétralement opposées.

Je ferai connaître succinctement les opinions de ces ingénieurs, opinions que j’avais déjà demandées en 1832 lorsque M. Poschet eut proposé de suspendre la concession des minerais de fer.

Voici ce que disait à cet égard l’ingénieur en chef du Hainaut :

« Je ne vois aucun inconvénient à ce qu’il soit ajouté au projet un article portant qu’il ne pourra être concédé de mines de fer jusqu’à nouvelle disposition.

« On se donnera ainsi le temps de réfléchir bien mûrement sur ce qu’il convient de faire à cet égard dans l’intérêt de l’industrie belge en général. »

Ce conseil a été suivi, car le temps qui s’est écoulé depuis 1832 a été mis à profit pour méditer la loi sur les mines. C’est ainsi que le gouvernement s’est entouré des lumières des jurisconsultes les plus distingués et les plus versés dans la connaissance de cette matière, et si mes souvenirs sont exacts, les dispositions qui viennent d’être critiquées ont réuni l’unanimité des opinions de la commission.

L’ingénieur que j’ai cité ajoutait :

« C’est avec inquiétude que je vois proposer maintenant des changements à la loi du 21 avril 1810, parce que j’ai lieu de craindre qu’on ne mette trop de précipitation à prendre certaines mesures qui n’auraient été dictées que par l’intérêt particulier des propriétaires du sol au grand détriment de l’exploitation de nos mines.

« Quoique les principes consacrés par la loi de 1810 soient excellents et très favorables au développement des travaux d’exploitation, je les crois susceptibles d’améliorations mais je crois aussi qu’il ne faut en proposer dans ce moment que le moins possible ; peut-être même serait-il prudent de n’en proposer aucune, car l’on verra surgir de nombreux amendements qui outrepasseront le but et compromettront peut-être les intérêts les plus graves et les plus chers.

« D’ailleurs, si l’on examine bien l’esprit de la lettre de la loi, on sera convaincu qu’à peu de chose près, il ne s’agit que de la bien exécuter. »

Voici quelle était l’opinion de M. Devaux, ingénieur des mines à Liége, sur cette question relative à la suspension momentanée des concessions de mines de fer :

« L’opportunité de cette mesure ne pourrait être motivée que sur quelques abus locaux auxquels a donné lieu l’application mal entendue du principe de concessibilité de ce genre de minerai.

« Il suffit en effet de lire attentivement les dispositions sages établies par la section 2, titre 7 de la loi du 21 avril 1810 pour se convaincre : 1° que les concessions de cette espèce ne doivent s’accorder que dans des cas très rares, c’est-à-dire lorsque la continuation de l’exploitation, qui est du moins commandée par l’intérêt général, exige le secours de travaux trop coûteux pour que les propriétaires puissent les entreprendre isolément ; 2° que les concessionnaires éventuels devant fournir aux usines qui s’approvisionnaient de minerais sur les lieux concédés la quantité nécessaire à leur exploitation, ils devront s’entendre au préalable avec les propriétaires de ces mines sur les prix, auxquels ils leur livreront le minerai, ou laisser fixer les prix d’office par l’administration ; enfin indemniser convenablement les propriétaires au profil desquels l’exploitation avait lieu auparavant. Ces obligations judicieusement observées sont de nature à éloigner tous les abus dont on a pu avoir à se plaindre jusqu’ici.

Voici qu’elle était, sur la même question, l’opinion de M. Cauchy, ingénieur des mines à Namur :

« Pour ce qui concerne les droits des propriétaires de la surface sur les mines qu’elle peut recouvrir, nous dirons d’abord que le droit régalien admis dans tous les pays civilisés, au moins pour certaines mines, ne reconnaît aux propriétaires de la surface aucun droit sur les mines, mais que la loi du 21 avril 1810 leur assure, par les articles 6 et 42, tous les avantages que l’on pouvait raisonnablement accorder à des propriétaires dont les domaines ont trop peu d’étendue ou trop peu de relations avec les gîtes des substances minérales, pour qu’ils puissent exploiter avec bénéfice celles qui y sont renfermées, ni obtenir la concession de ces gîtes ou de quelqu’une des divisions que permettent leur nature et leurs allures. »

Les opinions des ingénieurs des mines émises en 1830 sur l’objet qui nous occupe n’ont pas variés ; nous trouvons dans une lettre du mois de juin dernier, écrite par les mêmes ingénieurs, que l’article de la loi qui est relatif à la concession des mines de fer devrait être rédigé de la manière suivante, pour donner plus de garanties à l’industrie en général :

« « Il ne pourra être accordé de concession pour les gîtes de minerai de fer que dans les cas suivants :

« 1° Si l’exploitation nécessite le concours de travaux d’art ;

« 2° Si l’exploitation quoique pouvant se faire sans ce concours, est de nature à rendre ensuite impossible l’exploitation régulière par travaux d’art ; ne sont considérés comme travaux d’art que les galeries d’écoulements et les machines d’épuisement, dont l’assèchement de la mine exige l’emploi. »

Vous voyez donc, messieurs, que, comme je le disais tout à l’heure, le projet du gouvernement accorde aux propriétaires plus de droits qu’ils n’en devraient avoir, suivant cette opinion des ingénieurs.

Ce projet renferme des garanties réelles en faveur des propriétaires, car il ne faut pas lire l’art. 8 isolément, mais il faut aussi considérer ce que dit l’art. 6 ; cet article porte :

« Le propriétaire de la surface, dont l’étendue est reconnu suffisante à l’exploitation régulière et profitable de la mine, obtiendra la préférence pour les concessions nouvelles, s’il justifie des facultés nécessaires pour entreprendre et conduire les travaux de la manière prescrite par la loi. »

Ainsi, dans les cas même où l’article 8 interdit l’exploitation sans concession, l’article 6 assure au propriétaire de la surface qu’il obtiendra la préférence, s’il peut opérer l’exploitation conformément à la loi. L’article 6 corrige donc ce que l’article 8 laisse à désirer.

L’article 6 ajoute :

« Il en sera de même si cette surface appartient à plusieurs propriétaires réunis en société et qui offriront les mêmes garanties.

« Néanmoins, le gouvernement pourra, de l’avis du conseil des mines, s’écarter de cette règle dans les cas où les propriétaires de la surface se trouveraient en concurrence, soit avec l’inventeur, soit avec un demandeur en extension, ou bien dans tous autres cas où des motifs d’équité ou des considérations d’intérêt général exigeraient d’accorder la concession à tous autres.

« En cas que l’inventeur n’obtienne pas la concession d’une mine, il aura droit à une indemnité de la part du concessionnaire ; elle sera réglée par l’acte de concession.

« Celui qui se trouve substitué aux droits du propriétaire de la surface, quant à la mine, jouira de la préférence accordée à celui-ci par le présent article. »

Je pense donc, messieurs, qu’en combinant l’article 8 avec l’article 6, on doit demeurer convaincu que le projet de loi accorde réellement des garanties suffisantes aux propriétaires du sol ; chaque fois que des galeries d’écoulement ou des machines d’épuisement ne seront pas nécessaires pour l’exploitation d’une mine, le propriétaire du sol pourra l’exploiter sans concession ; toutes les fois qu’il faudra des galeries d’écoulement, des machines d’épuisement, il ne pourra l’exploiter que moyennant une concession ; mais il est assuré d’obtenir cette concession s’il peut, soit par ses propres moyens, soit en s’associant avec les propriétaires voisins, procéder à l’exploitation régulière de la mine. Certainement, messieurs, il n’entrera pas dans la pensée de la législature d’autoriser les propriétaires à entreprendre des exploitations qu’ils ne pourraient pas diriger convenablement, à faire des travaux qui n’auraient d’autre effet que de détruire les mines, au lieu de les utiliser dans l’intérêt de l’industrie.

Il me semble que si l’on examine le projet du gouvernement avec attention, l’on doit demeurer convaincu qu’il offre une double garantie à la propriété et à l’industrie. Le propriétaire ne sera jamais sacrifié lorsqu’il pourra exploiter la mine conformément à la loi, mais lorsqu’il ne pourra pas l’exploiter convenablement lui-même, il faut bien que d’autres puissent le faire.

Il est un troisième point à débattre, c’est ce qui est relatif à l’indemnité à accorder au propriétaire lorsque la concession sera donnée à d’autres ; j’attendrai la discussion des articles pour traiter cette question.

M. Fallon. - Messieurs, depuis la révolution deux obstacles ont empêché l’exécution de la loi de 1810 :

1° Absence d’un conseil d’Etat ;

2° Griefs articulés contre la fausse application de la loi sous le gouvernement précédent et contre de nombreux abus d’exécution.

En 1831, on essaya de lever le premier obstacle ; il fut proposé un projet de loi tendant à remplacer le conseil d’Etat par le conseil des ministres.

Ce projet souleva de vives et longues discussions ; on ne voulut pas de ce mode de replacement et on insista pour qu’avant tout la loi fût révisée.

Ces discussions n’amènent aucun résultat ; elles se terminent par la nomination d’une commission chargée d’examiner la question et de présenter un projet qui la décidât.

En 1832, cette commission fit son rapport ; ce rapport souleva des discussions beaucoup plus vives encore : on insista pour qu’il ne fût accordé aucune concession nouvelle, ni exploitation de concession avant une révision de la loi.

Les débats ne produisirent qu’une loi transitoire, celle du 1er juillet 1832. Par cette loi, il fut créé un conseil des mines pour les demandes en maintenue seulement ; il fut composé d’un membre de chaque chambre, de trois jurisconsultes et de deux ingénieurs ; la durée de la loi fut fixée au 31 janvier 1834.

Bornée aux demandes en maintenue, cette loi ne produisit que peu d’effets, mais elle donna de l’expérience sur le mode d’organisation d’un conseil de mines.

Profitant des leçons de cette expérience, le gouvernement propose une tout autre organisation de ce conseil.

Sauf quelques légers changements, la commission a adopté cette nouvelle organisation.

Le gouvernement ne s’est pas arrêté là : le développement de l’industrie, les demandes nombreuses en concession qui lui parvinrent, lui firent un devoir de ne pas tarder davantage à s’occuper sérieusement de cette matière importante.

Il s’entoura des connaissances d’hommes spéciaux ; il profita des lumières que les discussions dans cette chambre avaient jetées sur la matière, et examinant avec attention les divers abus reprochés à la loi de 1810, il fut convaincu que ce n’était pas la loi qu’il fallait principalement en accuser, mais l’application abusive qui avait été faite de quelques-unes de ses dispositions, et il conclut, avec raison, qu’il ne pouvait pas être question de réviser cette loi, qu’elle était bonne ; qu’il fallait la conserver et se borner à y apporter des améliorations propres à lui assurer une exécution plus équitable dans quelques-unes de ses dispositions.

Les discussions qui avaient eu lieu avaient spécialement appelé l’attention sur les points suivants :

L’indemnité due au propriétaire de la surface.

La préférence en faveur du propriétaire de la surface à la concession, à garanties égales.

L’exploitation de la mine de fer.

L’ouverture de communications pour faciliter l’exploitation de la mine et favoriser la concurrence.

C’est dans ces divers points, les plus importants de la loi de 1810, que se résume tout le projet qui est livré à la discussion.

La commission a partagé à cet égard l’opinion du ministre de l’intérieur ; elle a pensé que c’était effectivement dans ces divers points que devaient se résumer toutes les discussions qui avaient eu lieu, et, en conséquence, sauf quelques légères modifications de détail, elle a adopté tout le système du projet et elle nous en a proposé l’adoption.

Ces considérations semblent suffire à la discussion générale.

La loi ne doit pas être révisée, mais améliorée dans son exécution.

Le projet tend à livrer à la discussion les améliorations qui ont été réclamées.

Il faut donc reconnaître l’opportunité du projet et passer outre à la discussion des articles. Ce n’est que dans l’ordre de cette discussion qu’il conviendra de répondre avec avantage et économie de temps aux diverses considérations sur quelques-unes des dispositions du projet, et notamment en ce qui concerne la mine de fer.

M. Gendebien. - Messieurs, je n’ai pas l’intention de réfuter ni de commenter les discours que vous avez entendus. Je crois inutile de me lancer dans des théories plus ou moins abstraites et dont il a été fait justice dans la pratique et jusqu’à un certain point, dans les différentes lois qui ont été portées sur la matière.

J’admets en grande partie le projet qui nous est soumis, mais il renferme quelques dispositions que je repousse ; je voudrais donc, comme l’honorable M. Fallon, que l’on abordât la discussion des articles. Cependant je dois dire quelques mots qui rentrent plutôt dans la discussion générale que dans celle des articles.

Quoique je sois membre de la commission qui a examiné le projet de loi en discussion, je n’adopte pas en tous points ce projet, et je repousse la solidarité du rapport de la commission. Ce travail a suscité des difficultés assez graves, il a été abandonné aux soins de l’honorable M. Fallon d’en arrêter la rédaction avec le rapporteur qui s’est plus occupé de ses théories et de celles qu’il s’est appropriées, que des opinions de la commission ou de ses membres. Aussi je n’assume aucunement la solidarité des théories développées dans ce rapport.

Je suis en dissidence avec la commission sur un point essentiel, la composition du conseil des mines. Il me paraît d’abord très difficile de trouver le personnel dont devra être forme ce conseil, d’après le projet qui nous est soumis ; et, en effet, comment peut-on croire que des jurisconsultes viendront à Bruxelles remplir des fonctions amovibles à raison de six mille francs, avec la condition de s’abstenir de toutes affaires, d’être complètement désintéressés dans toutes les mines ? Je félicite le gouvernement s’il peut rencontrer des hommes spéciaux, capables, intègres qui abandonnent leur clientèle ou leurs autres affaires pour se dévouer tout entiers aux fonctions de membres du conseil des mines ; je félicite le ministre s’il peut rencontrer, pour remplir de semblables fonctions, des hommes qui réunissent aux connaissances supérieures une probité au-dessus de tout espèce de soupçon.

Ensuite je ne puis admettre qu’on institue un conseil de trois membres pour prononcer sur des questions où il s’agira souvent de sommes considérables, et quelquefois de plusieurs millions ; je ne puis admettre que trois hommes décident de pareilles questions et les décident définitivement sans appel. Je désapprouve un semblable conseil, et sous le rapport du personnel, et sous celui de la juridiction ; mais si l’on veut absolument établir cette juridiction, il faudrait au moins que le conseil fût composé de sept ou au moins de cinq membres, et, dans le commencement sept membres au moins seraient indispensables, car, en supposant que le conseil travaillât jour et nuit, il n’aurait pas fini d’ici trois ou quatre ans les travaux dont il serait chargé : il y a, d’un côté 307 demandes, et d’un autre, 159, ensemble 466 demandes qui lui seraient soumises dès le jour de son institution, sans compter celles qui arriveront encore en grand nombre, sans compter également les autres occupations résultant de la juridiction que lui accordent d’autres articles du projet de loi ; il faudrait donc en quelque façon un conseil double pendant un certain temps, sauf à fixer une époque après laquelle on ne nommerait plus aux vacatures. Cette nécessité de composer le conseil des mines d’un grand nombre de membres, est à mes yeux un nouvel obstacle à la formation de ce conseil.

Un moyen, messieurs, qui m’avait paru beaucoup plus simple et qui aurait présenté plus de garanties à des intérêts aussi importants que ceux dont il s’agit, c’était d’attribuer aux cours d’appel et aux tribunaux, la connaissance de tout ce qui est relatif à la concession des mines ; la double investigation de la cour d’appel et de la cour de cassation serait nécessaire, et veuillez bien remarquer que, si l’on veut exécuter franchement la loi de 1810, et j’aime à croire qu’on le fera, la plupart des concessions de mines seront soumises à ces cours : en effet, il n’y aura pour ainsi dire pas une concession qui ne fasse surgir des questions de propriété, puisque le plus grand nombre d’oppositions en cette matière est fondé sur des questions de propriété ; eh bien, aux termes de l’article 28 de la loi de 1810 sur les mines, ces questions doivent être nécessairement renvoyées au jugement des cours et tribunaux.

On faisait au conseil d’Etat une obligation de renvoyer les parties par devant les cours et tribunaux, toutes les fois que l’opposition était fondée sur un droit de propriété de mine acquise par concession ou autrement.

Comme je le disais tout à l’heure, il est bien peu d’oppositions qui ne soient fondées pour tout ou partie de la concession sur des droits de propriété ; le plus grand nombre de demandes en concession doivent donc être renvoyées devant les tribunaux ; ainsi il y aura double juridiction, double instruction.

Mais il est surtout nécessaire d’éviter un grave inconvénient qui, dans l’application de l’art. 28, a été la source de nombreux abus : c’est que le conseil d’Etat jugeait a priori de la question de propriété. Lorsque l’opposition était fondée sur la propriété de la mine acquise il devait renvoyer la question devant les tribunaux. Mais avant que les parties pussent saisir les tribunaux de leur contestation, elles devaient y être renvoyées par le conseil d’Etat, et il est arrivé souvent que le conseil d’Etat décidait que l’opposition n’était pas fondée sur la propriété et par conséquent il décidait a priori sur un droit de propriété.

Voilà, messieurs, une juridiction toute exceptionnelle, qui pourrait se trouver dans le cas de faire ce que le conseil d’Etat a fait souvent en France, et dans le royaume des Pays-Bas. Il y en a des exemples dans le Hainaut, et je suis sûr qu’il y en a aussi dans les provinces de Liége et de Namur. Je pourrais en citer un qui entraîna un procès très long que j’ai terminé en 1832 ou 1833, où une question de propriété avait été jugée a priori par un décret impérial qui avait décide a priori, sur l’avis du conseil d’Etat, de France, qu’une opposition n’était pas fondée sur un droit de propriété.

Le décret a été révoqué par le roi Guillaume, qui a donné ouverture de justice aux parties qui plaidèrent depuis 1816 jusqu’à 1833.

On expose donc les parties, après de longues discussions administratives, à recommencer de nouveaux procès devant l’autorité judiciaire. Cet inconvénient se renouvellera ou pourra se renouveler dès l’instant que vous choisissez, en dehors de la magistrature, les juges des oppositions à des demandes en concession.

Maintenant, quel inconvénient y a-t-il a demander l’avis des cours et tribunaux et même de la cour de cassation en dernier degré ? Pour moi, je n’en trouve pas. C’est, dira-t-on (et cette objection on l’a déjà faite), c’est qu’on intervertit l’ordre des juridictions. Oui, si on appelait les cours et tribunaux à juger des questions appartenant à l’administration. Mais je vous prie de remarquer qu’il ne s’agit que d’un avis, et que les cours et tribunaux ne porteront de jugement que sur des questions de propriété. Or, si on veut exécuter franchement et loyalement la loi de 1810, ces questions de propriété sont réservées exclusivement aux cours et tribunaux, d’après l’art. 28 dont j’ai déjà parlé.

Vous trouverez là une magistrature respectable par son inamovibilité, par les connaissances requises pour arriver à ses fonctions ; vous trouverez des hommes habitués à juger entre tous les citoyens ; vous trouverez des hommes de choix, à l’abri de suspicion, des hommes indépendants.

De l’autre côté, vous aurez des hommes amovibles, et quant aux spécialités que je désire que vous puissiez rencontrer, certainement vous ne les trouverez pas si vous ne les payez pas mieux qu’on ne se propose de le faire.

Ainsi, me résumant sur ce point, je dirai qu’il faut choisir ailleurs que dans ce qu’on appelle les jurisconsultes, les juges des oppositions, et que c’est dans les cours et tribunaux et même dans la cour de cassation, si l’on veut, qu’il faut placer la juridiction.

Le projet de la commission a été l’objet d’attaques spéciales au sujet de l’art. 8 qui est relatif aux concessions des mines de fer.

Messieurs, nous ne nous sommes pas dissimulé toutes les difficultés attachées à cette question de la plus haute importance. Nous avons longtemps hésité avant de nous prononcer. Cependant, je crois que c’est à l’unanimité, moins une voix, que l’article a été adopté par la commission. J’ai été du nombre des membres qui ont voté pour son adoption.

Il est certain qu’en fait de mines de fer, il n’y a pas d’analogie à établir avec les mines de houille. La houille se trouve par couches bien distinctes du sol, tandis que le minerai de fer est pour ainsi dire confondu avec la superficie.

Ainsi pas d’argument à tirer par analogie de tout ce qui se pratique en matière de charbon. Certainement il y a lieu de s’occuper quant aux mines de fer des intérêts des propriétaires, parce que c’est, pour ainsi dire, leur propriété qu’on exploite.

Cependant s’il est vrai que l’intérêt général doit toujours l’emporter sur l’intérêt particulier, si l’intérêt particulier doit toujours céder devant l’intérêt général, il est du devoir du législateur d’examiner jusqu’à quel point il y a lieu d’appliquer ici ces principes qui n’ont jamais été désavoues par aucun peuple.

Quand on abandonne au propriétaire de la surface toute la mine qu’il peut exploiter sans compromettre la partie inférieure, et quand cette parte superficielle est exploitée, si on lui assure par préférence la concession nécessaire pour l’exploitation ultérieure, de quoi peut-il se plaindre ?

Veuillez remarquer que l’article 8 est conçu tout autrement que l’article 69 de la loi de 1810.

Messieurs, la loi de 1810 était vague et restreignait trop les droits des propriétaires de la surface. L’article 8 donne à ces droits toute l’extension dont ils sont susceptibles. Comparons l’art. 69 de la loi de 1810 avec l’art. 8 du nouveau projet.

L’art. 69 est ainsi conçu :

« Il ne pourra être accordé aucune concession de ces minerais d’alluvion ou pour les mines en filons ou eu couche que dans les cas suivants :

« 1° Si l’exploitation a ciel ouvert cesse d’être possible, et si l’établissement de puits, galeries et travaux d’art est nécessaire ;

« 2° Si l’exploitation quoique possible encore, doit durer peu d’années et rendre ensuite impossible l’exploitation par puits et galeries. »

Vous voyez qu’il y avait beaucoup de vague dans cet article, et je conviens qu’il en existe encore dans l’art. 8 que nous proposons. .

Mais, en fait, jamais cet article n’a été exécuté en Belgique ; car il y a bien peu de mines de fer qui ne s’exploitent pas au moyen de simples bourriquets, passez-moi l’expression, et de puits faits à la hâte qui descendent jusqu’à 40 ou 50 pieds et même à de plus grandes profondeurs, sans qu’il y ait été porté obstacle par l’administration.

Nous voulons assurer aux propriétaires cette exploitation qui n’est que tolérée depuis la loi de 1810 ; nous voulons l’assurer même à des profondeurs plus grandes, comme vous le verrez tout à l’heure.

L’art. 8 est ainsi conçu :

« Il ne pourra être accordé de concession pour les mines de fer que dans les cas suivants :

« 1° Si l’exploitation à ciel ouvert cesse d’être possible ;

« 2° Si l’exploitation à ciel ouvert, quoique possible encore, doit durer peu d’années et rendre ensuite impossible l’exploitation régulière par travaux d’art. »

Je vous prie de remarquer le paragraphe que la commission propose d’ajouter comme amendement à la proposition ministérielle :

« Est considérée comme exploitation à ciel ouvert celle dont les travaux s’exécutent, par tranchées et par puits et galeries.

« Il en est de même de l’exploitation pratiquée à l’aide d’une arène lorsque les travaux ne s’étendent pas au-dessous de cette arène, et que celle-ci est établie de concert avec les propriétaires des fonds sous lesquels elle passe. »

Vous voyez donc, messieurs, que nous accordons aux propriétaires de la surface, et sans en déterminer la profondeur, toutes les mines qu’ils pourront exploiter à l’aide d’une galerie, et jusqu’au niveau de la galerie d écoulement. Seulement ils ne pourront pas exploiter au-dessous de l’arène, c’est-à-dire, en termes du métier, par défoncement. Et, voici la raison. C’est que lorsque vous établissez une galerie d’écoulement, vous asséchez tous les terrains supérieurs au niveau de la galerie, et vous ne compromettez pas les parties inférieures. Tandis que quand vous exploitez en descendant, sans moyen d’écoulement, vous établissez ce qu’on appelle des bains d’eau, des greniers d’eau, des réservoirs, de telle façon que lorsque plus tard on veut exploiter à des profondeurs plus grandes, les travaux inférieurs sont tout à coup submergés, les exploitants, sont souvent ruinés et les ouvriers périssent.

Il y a beaucoup d’exemples de malheurs semblables arrivés dans des exploitations de houilles qui avaient été faites superficiellement et d’une manière irrégulière à des époques antérieures,

Dès l’instant que vous conservez la partie inférieure de la mine intacte au niveau de l’arène, vous avez satisfait à cette prévoyance sage et indispensable à l’intérêt public, et il est clair que personne n’a à se plaindre au nom de l’intérêt public.

D’un autre côté, dès que vous accordez au propriétaire le droit d’exploiter toute sa superficie jusqu’à cette profondeur, il n’a pas à se plaindre, parce qu’une fois arrive à ce point, s’il demande la concession, aux termes de l’art. 6, elle devra lui être accordée. Alors même qu’une disposition expresse ne la lui accorderait pas, il devrait encore l’avoir comme inventeur, comme exploitant et demandant une extension de son exploitation. Dans cet état de choses, l’intérêt public et l’intérêt du propriétaire se trouvent donc conciliés.

Mais, vous dit-on, comment sera exécutée cette disposition ? Je conviens, avec l’honorable M. Pirmez, que cela est très difficile. Je conviens que cette disposition pourra ouvrir la voie à l’intrigue et à l’arbitraire. Cependant il faut une règle. Quand on fait des lois, il ne faut pas s’arrêter à des individualités, il ne faut pas considérer les personnes qui pourraient en abuser, car vous ne feriez pas de lois.

Il n’y aurait pas un législateur consciencieux qui osât prononcer la moindre peine s’il pouvait élever des doutes sur la malveillance de celui qui serait chargé de l’appliquer.

J’admets les honorables scrupules de M. Pirmez ; je les partage jusqu’à un certain point. Mais, que résulte-t-il de là ? C’est qu’il faut aviser aux moyens de faire disparaître cet inconvénient. Le moyen le plus sûr est de recourir à la magistrature judiciaire, à laquelle nous confions tous les jours nos intérêts les plus chers, notre fortune, notre vie, notre honneur.

Pourquoi la magistrature ne serait-elle pas appelée à se prononcer sur la réalité des faits avancés par des concessionnaires ou par des opposants tracassiers ou avides peut-être ? C’est par des enquêtes, des expertises, des rapports d’ingénieurs qu’elle arrive à un résultat et qu’elle se prononce sur des objets bien autrement difficiles, bien autrement importants.

S’il vous reste encore des scrupules avec un pareil moyen, il faut alors changer les hommes avant de faire une nouvelle loi des mines.

Ainsi, me résumant, je considère cette question comme la plus importante, la plus difficile, la plus épineuse. Je crois en conscience avoir concilié, autant que faire se pouvait, les intérêts des particuliers et les intérêts de l’Etat, ou plutôt de l’avenir, en laissant aux propriétaires de la surface du sol la faculté d’exploiter tout ce qu’ils peuvent exploiter sans compromettre les richesses souterraines. (L’intérêt général n’a rien à réclamer et le gouvernement ne peut s’y opposer.) D’un autre côté, en assurant à ces propriétaires la concession de préférence à leurs concurrents, personne ne pourra se plaindre encore.

Si le propriétaire qui exploite à la superficie a l’espoir fondé d’avoir la concession de la partie inférieure, il exploitera avec d’autant plus de soin.

La garantie que l’on veut et que je demande aussi, c’est que ce soit la magistrature qui soit chargée d’intervenir dans la question de propriété de la concession.

En donnant la garantie de l’intérêt des propriétaires et celle de la magistrature chargée de juger entre le diverses prétentions, la chambre a fait tout ce qu’elle devait faire.

Je suis prêt à admettre toute modification qui tendrait à améliorer mon système. Jusque-là on me permettra de persister dans la proposition de la concession. Je me réserve d’ailleurs de traiter ultérieurement d’autre points.

J’attendrai pour cela la discussion des divers articles.

M. Pirmez. - M. le ministre de l'intérieur ne m’a pas répondu d’une manière satisfaisante. Il est vrai qu’il n’a cité que l’opinion des ingénieurs dont il nous a fait connaître le rapport. Aussi je ne lui en fais pas un reproche. J’espère seulement qu’il entrera dans de plus longs développements dans le cours de la discussion.

Toute la question est de savoir comment on décidera que les travaux d’art sont nécessaires. Cette question sera résolue purement et simplement par un ingénieur. Ce n’est pas le conseil des mines qui se rendra sur les lieux pour examiner s’il y a nécessité d’exécuter des travaux d’arts.

Vous sentez, messieurs, que s’il est laissé au caprice d’un ingénieur de décider une question aussi importante lorsqu’il s’agit de richesses considérables, la propriété des particuliers se trouvera exposée au pur arbitraire. Vous ne laissez pas au propriétaire la liberté de discuter si les travaux sont nécessaires. Lorsque le gouvernement aura prononcé, qu’il aura décidé qu’il faut établir des galeries, il n’y aura pas d’appel sur ce point.

Si l’on exigeait que cette question fût plaidée devant les tribunaux ordinaires et que les faits fussent discutés devant l’autorité judiciaire, je pourrais admettre l’art. 8 de la commission. C’est ce que propose l’honorable M. Gendebien. Mais dans ce cas il faudrait que la loi fixât en même temps la procédure à suivre dans ces sortes d’affaires, et établît, par exemple, que les choses devraient se passer comme dans les affaires civiles, que l’on plaiderait sur la question des faits. Je pourrais admettre l’article, parce que vous donneriez aux propriétaires du sol qui renferme une mine de fer la garantie qu’ont les autres propriétés.

L’honorable M. Gendebien a parlé des dégradations occasionnées dans les mines par l’absence des travaux d’art. Je lui dirai qu’on ne peut dégrader les mines de fer. On peut creuser un trou de 100 pieds de profondeur pour exploiter une mine de fer et l’abandonner ensuite. L’eau y séjournera pendant quelque temps. Mais peu à peu le trou sera comblé par les éboulements. Il ne se forma jamais un mas d’eau permanent. Aussi n’a-t-on jamais parlé d’un homme noyé dans un trou de mines de fer.

L’honorable M. Gendebien a dit que le propriétaire exploiterait mieux quand il croirait avoir plus tard la concession. Mais il peut dire aussi qu’il exploitera plus mal quand il croira ne pas l’obtenir. Ainsi cet argument prouve tout autant contre M. Gendebien.

Je persiste à penser que les mines de fer ne peuvent être concédées, à moins que la question de savoir si les travaux d art sont nécessaires ne soit traitée devant les tribunaux. Comme les autres questions de propriété, avec toutes les formalités voulues.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je conviendrai avec l’honorable préopinant que les ingénieurs des mines ne sont pas entrés dans de très longs développements pour justifier leur opinion. Mais indépendamment des raisons succinctes qu’ils ont alléguées, l’on doit leur tenir compte de leur longue expérience dans cette partie.

Sous ce rapport leur autorité doit être d’un grand poids.

J’ai dit, messieurs, (et à son tour, l’honorable préopinant ne m’a pas répondu), que la loi offrira aux propriétaires toutes les garanties qu’il est possible de leur offrir sans compromettre l’intérêt général, la faculté d’exploiter quand il ne s’agit pas d’établir des moyens extraordinaires d’exploitation, l’assurance pour les propriétaires d’obtenir la concession lorsque des travaux d’art seront jugés nécessaires, soit seuls, soit conjointement avec leurs voisins ; en outre, la faculté de céder la mine indépendamment de la propriété de la surface du sol. La loi a poussé pour les propriétaires les garanties aussi loin qu’il était possible de le faire. Maintenant le conseil des mines, le gouvernement, abuseront-ils de la faculté que leur accorde la loi ? Il faut espérer qu’il n’en sera pas ainsi. Dans toutes les affaires d’intérêt public, il faut toujours en venir à la décision qui est confiée à des hommes, et il faut naturellement avoir confiance dans leurs lumières et dans leur probité pour la bonne exécution des lois.

Un honorable membre avait trouvé plus de garanties dans un système qui conférerait l’instruction préalable des affaires des mines aux cours de justice. Ce membre, selon moi, est tout à fait dans l’erreur. Car, il ne faut pas oublier que les fonctions du conseil des mines sont en grande partie administratives, et qu’il faut avoir fait une étude spéciale des principes d’économie politique dans cette matière aussi bien que des principes de droit qui y sont applicables. C’est par la réunion de cette double circonstance que l’on peut espérer la bonne exécution des lois sur les mines et offrir à tous les intéressés toutes les garanties désirables.

Certainement, si le gouvernement avait la faculté de faire un choix dans la magistrature, il trouverait dans ce corps des hommes distingués par des connaissances spéciales dans cette matière. A cet égard il n’y a pas de doute. Mais on sait que la constitution s’oppose ce qu’un traitement soit offert à des magistrats lorsqu’ils sont chargés d’une mission spéciale de la part du gouvernement. Dès lors on serait réduit, ou à charger les magistrats d’un travail considérable sans aucune indemnité, ou à les faire renoncer à leurs fonctions judiciaires, en les appelant à faire partie du conseil des mines.

Sans ces difficultés nous eussions été les premiers à proposer un choix dans le sein de la magistrature, puisqu’il aurait donné toutes les garanties désirables et une grande économie ; car il aurait suffi d’ajouter un supplément au traitement des magistrats, en les chargeant de l’instruction de ces affaires-là.

Les observations de l’honorable membre ont également roulé sur le nombre des membres du conseil des mines. Je ne pense pas qu’il y ait lieu d’augmenter le nombre proposé. Trois jurisconsultes occupés exclusivement de l’expédition de ces sortes d’affaires, étant d’accord sur les principes à suivre dans la décision, n’ayant plus, ensuite, qu’à examiner séparément les affaires qui peuvent se présenter, feront beaucoup de besogne ; ils en feront d’autant plus qu’ils seront moins nombreux car on n’ignore pas que, dans les commissions nombreuses, les débats se prolongent a l’infini sans qu’il jaillisse beaucoup de lumières de la discussion.

Je crois que trois jurisconsultes sont à même d’émettre sur ces questions un avis judicieux et à l’abri de toute critique.

On a parlé des questions de propriété qui peuvent se rencontrer. Mais lorsqu’il s’élève une question de propriété dans les affaires de mines, le conseil le renvoie aux tribunaux. Par là même, le nombre des affaires soumises au conseil viendra à diminuer.

Je pense que le conseil, tel qu’il est proposé par le gouvernement, composé de trois jurisconsultes, est assez nombreux pour expédier en peu de temps toutes les affaires qui peuvent se présenter, et je pense même que les affaires seront expédiées plus vite que si le conseil était plus nombreux.

J’ajouterai une dernière considération, c’est qu’il est difficile de trouver trois ou quatre personnes pour former le conseil des mines, à plus forte raison serait-il difficile d’augmenter ce nombre et de faire un choix plus nombreux. Aussi il vaut mieux avoir un petit nombre d’hommes spéciaux qu’un plus grand nombre d’hommes peut-être moins versés dans les principes de la matière.

M. Gendebien. - M. le ministre de l'intérieur prétend qu’il y aura plus de débats infructueux dans le conseil des mines s’il est composé de 5 ou 7 membres, au lieu d’être composé de 3 membres seulement. Mais il est certain aussi que si les débats sont plus longs, il y aura plus de lumières, et par conséquent plus de garanties de justice et d’équité dans un conseil de 7 membres ; car il y a toujours plus de lumières dans 7 têtes que dans 3. Les débats seront plus longs ; mais ils seront plus fructueux. Ainsi l’objection de M. le ministre de l'intérieur sur un plus grand nombre de membres du conseil doit disparaître.

Veuillez remarquer que lorsqu’il s’est agi d’organiser les cours d’appel et la cour de cassation, on n’a pas considéré que le nombre de cinq membres pour les cours d’appel fût un obstacle à l’expédition des affaires. Il y a des débats plus longs, lorsqu’il y a cinq personnes au lieu de trois. Soit ; mais si on a jugé qu’il était utile de charger cinq personne de juger des questions d’un mince intérêt, des affaire d’une valeur indéterminée souvent en dessous de 1,000 fr., des affaires d’une valeur déterminée de 1,000 fr. et au-dessus, on doit à plus forte raison appliquer le même principe à un conseil qui doit juger des questions toujours très importantes. Mais comment jugera ce conseil ? Sans publicité, sans débats contradictoires.

Il me semble que la publicité qui est regardée comme une condition essentielle, comme une garantie pour les procédures ordinaires, n’est pas moins nécessaires pour des objets d’autant plus importants qu’ils deviennent des objets de convoitise pour beaucoup de monde depuis quelque temps. Aussi longtemps que ces affaires ont été dans le vague des spéculations d’avenir, on ne les a pas recherchées ; mais depuis que, par les découvertes et par le mouvement de l’industrie, elles sont devenues importantes, tout le monde se presse, l’intrigue se mêle de la partie. Or quelle garantie y a-t-il de déjouer l’intrigue devant un conseil à huis clos ?

Pour peu que, dans ce conseil de trois membres, il y en ait un qui ait plus de capacités, plus d’habitude des affaires que les deux autres (j’écarte d’autres suppositions qui peuvent aussi se réaliser), son opinion prévaudra ; et il arrivera souvent qu’une affaire importante sera jugée en dernier ressort par ce seul membre, attendu que personne n’aura réfuté ses sophismes. Les principes de publicité et de débats contradictoires qui sont admis dans les matières ordinaires, vous devez assurément les appliquer dans des matières qui sont les plus importantes pour la prospérité du pays.

On vous a dit : « Le conseil pourra en peu de temps expédier toutes les affaires. » Mais depuis que l’on a publié la loi de 1791 en Belgique (et cette loi a été publiée en 1795), qu’on veuille bien me dire combien de concessions ont été accordées ? Combien en a-t-il été accordé de 1814 à 1830 par le conseil d’Etat du roi Guillaume ? Et vous voulez qu’un conseil expédie en peu de temps tout cet arriéré, accumulé d’une manière effrayante depuis 30 années ! C’est se faire volontairement illusion, c’est fermer les yeux à l’évidence.

Il arrivera nécessairement de deux choses l’une : ou vous serez obligés, si vous voulez sincèrement l’expédition prompte des affaires dans l’intérêt général, de nommer un conseil si nombreux qu’au bout de quelque temps ces places deviendront des sinécures ; ou bien, vous composerez le conseil d’un très petit nombre de membres, comme on le propose, et alors l’arriéré accumulé depuis 30 ans ne fera qu’accroître ; tandis que si vous mettez ces affaires dans les attributions des tribunaux d’arrondissement, sauf la révision en cour d’appel, vous répartirez la besogne entre 12 ou 15 corps différents, vous aurez l’espoir de voir bientôt vider l’arriéré, et vous aurez pour juges les hommes les mieux à même, par leurs éludes, par leur position, à décider ces questions, des hommes qui hésiteront sur très peu de questions, par la grande habitude de juger ces sortes d’affaires.

Je n’en dirai pas davantage. Mais il me semble que pour décider ces affaires, le corps qui y est le plus propre par sa nature, par ses études et par les garanties qu’il donne à la société, c’est la magistrature judiciaire.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ferai remarquer à l’honorable préopinant que les tribunaux peuvent très bien décider les questions de propriété, mais qu’ils ne sont nullement appelés à connaître les questions d’économie politique. La différence est très notable ; le conseil des mines, tel qu’il sera formé pour l’exécution de la loi, sera composé d’hommes réunissant ces doubles connaissances.

L’honorable membre croit que l’instruction des affaires sera lente mais elle sera plus lente s’il faut aller en premier degré devant les tribunaux de première instance, en deuxième degré devant les cours d’appel.

L’honorable membre craint que si le conseil est peu nombreux, les affaires ne soient pas suffisamment discutées, et qu’on n’aille pas assez vite. Je crois que l’on peut faire ici une double réponse. D’abord il ne faut pas perdre de vue que l’affaire subit une instruction préparatoire de la part de la députation du conseil provincial, avant d’être soumise au conseil des mines ; le conseil des mines ne juge donc qu’en deuxième degré. D’autre part je ne pense pas qu’augmenter le nombre des membres du conseil, ce fût hâter l’expédition des affaires ; car veuillez remarquer que si le conseil est composé de sept membres, il faudra que chacun de ces sept membres puisse connaître l’affaire sur laquelle il aurait à prononcer. Il est vrai qu’il entendra la lecture du rapport ; mais ce n’est pas sur cette simple lecture qu’il pourra se prononcer ; et il faudra qu’il examine et discute l’affaire pour décider en connaissance de cause. Dès lors il est incontestable que plus le nombre des membres du conseil sera grand, plus les résolutions seront lentes.

Je crois en avoir dit assez pour justifier le nombre des conseillers propose par le projet.

M. Gendebien. - M. le ministre de l’intérieur vous a dit qu’on peut trouver dans les tribunaux des hommes ayant les connaissances spéciales, nécessaires pour juger les questions de propriété, mais que les membres des tribunaux ne connaissent pas souvent les éléments des questions d’économie politique Voilà précisément ce que je veux éviter. L’économie politique est un mot magique ; c’est même, si vous voulez, une fort belle chose en théorie ; mais en pratique elle n’est souvent que le prétexte de grandes injustices. Car c’est le manteau dont se couvrent tous les intrigants qui obsèdent tous les gouvernements.

C’est pour satisfaire a de prétendus principes d’économie politique que le roi Guillaume a donné des concessions ; et l’honorable M. Pirmez, faisant allusion à une de ces concessions, vous a dit que bien que d’après la loi de 1810 aucune concession ne devait être accordée quand il y avait nécessité d’exécuter des travaux d’art que les propriétaires n’avaient pas le moyen de faire, cependant la concession à laquelle il faisait allusion avait été accordée, et que les concessionnaires n’ont pas fait depuis les moindres travaux d’art, la moindre machine reconnus nécessaires par toute la hiérarchie administrative, le conseil d’Etat compris ; les concessionnaires ont fait précisément ce que faisaient les propriétaires qu’ils ont spoliés ; ils ont fait exploiter par des ouvriers moyennant une rétribution qu’ils perçoivent au lieu et place des propriétaires.

Ce qui s’est passé sous l’ancien gouvernement peut ne pas se reproduire sous celui-ci, je le veux bien. Mais pourquoi laisser une porte ouverte aux abus ? Il est de la dignité comme du devoir du législateur de ne rien abandonner au hasard, ou aux chances de l’intrigue. C’est précisément pour cela que nous ne voulons plus que, dans l’appréciation des questions des concessions, on recherche des questions d’économie politique. Nous voulons que l’on n’y voie que des questions de faits et que l’on consulte les tribunaux sur ce points de fait. Si vous vous écartez de ces théories, vous tombez dans le vague, dans l’arbitraire. Et l’honorable M. de Theux, fût-il encore ministre, lorsqu’il y aura à prononcer sur ces affaires, ne serait pas assuré plus qu’aucun autre de ne pas être trompé, de ne pas faire de nombreuses injustices. L’intrigue est si puissante, si habile !

Après tout, comment le ministre de l’intérieur juge-t-il ? D’après ses subordonnés. Je rends le même hommage que M. Pirmez au corps des mines. J’ai la plus grande confiance en ce corps. Mais qu’est-ce qu’un rapport du corps des mines ? Est-ce le rapport d’un ingénieur en chef, d’un ingénieur provincial, d’un ingénieur de district ? Non, c’est souvent le rapport d’un simple conducteur. Le ministre oserait-il répondre des capacités et de la délicatesse de tous les conducteurs, de tous les employés des mines ? Oserait-il répondre de tous les employés présents et futurs qui sont dans ses bureaux ? Quant à moi, je ne voudrais pas prendre sur moi une telle responsabilité.

Je ne suspecte pas plus le conseil que l’on veut établir que le conseil d’Etat du roi Guillaume et le conseil d’Etat de l’empire. Il y avait dans le conseil d’Etat du roi Guillaume des hommes très honorables de notre pays ; eh bien, ces hommes ont, sans le savoir, commis les injustices les plus palpables. S’ils se rendaient sur les lieux, s’ils allaient voir des terrains qu’ils ont concédés pour des mines de fer, sous le prétexte de nécessité de travaux, ils seraient les premiers à reconnaître qu’ils ont consacré une iniquité palpable, ils en rougiraient. Eh bien, ! la même chose arriverait au ministre actuel, il serait tout étonné d’avoir compromis sa responsabilité et la signature du Roi à un acte souvent injuste, évidemment inique.

Nous voulons éviter jusqu’à la possibilité d’une injustice ; et, pour y parvenir, nous croyons que la magistrature est le corps le plus convenable pour décider de ces questions de fait : les tribunaux d’arrondissement ont quinze ou vingt procès par an à décider sur des questions de faits analogues ; ils y procèdent par voie d’enquêtes et d’expertises et d’après les rapports des ingénieurs et autres employés des mines. Les juges ont les moyens de connaître les capacités et la moralité des ingénieurs, des sous-ingénieurs, des conducteurs de mines, dont les rapports leur sont soumis, Ils ont toutes les connaissances nécessaires sur les personnes et sur les choses. Comment voulez-vous que ces hommes, jurisconsultes ou non, réunis fortuitement à Bruxelles, possèdent ces connaissances comme les tribunaux de Namur, de Charleroy, de Mons, de Huy, de Liège, et d’autres encore dont les noms ne me viennent pas ? Comment voulez-vous que ces hommes connaissent la vérité, qu’ils arrivent au point de vérité le mieux appréciable ?

Je prie M. le ministre de l'intérieur de penser jusqu’à demain à l’art premier du projet qui est la base de la loi, au moins sa disposition essentielle ; quant à moi, je parle de conviction. Je n’ai aucun intérêt personnel dans la question ; j’y suis complètement désintéressé. Je crois que la formation du conseil proposé renouvellerait les injustices et les récriminations dont on s’est plaint ; il ne serait pas plus à l’abri de reproches que le conseil d’Etat de France et celui du roi Guillaume.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je dirai un seul mot pour faire sentir la différence qu’il y aura entre un conseil spécial des mines et le conseil d’Etat établi sous le gouvernement précédent à la Haye, composé d’hommes étrangers à la matière et hors d’état de se prononcer en connaissance de cause comme le sera un conseil spécial.

J’ajouterai que ce conseil pourra s’entourer de toutes les lumières désirables ; il pourra même faire une descente sur les lieux lorsqu’il le jugera nécessaire.

Je sais que ce conseil pourra quelquefois commettre des erreurs. Il en sera à cet égard de ce conseil comme de toutes les institutions humaines. Qui oserait dire que les tribunaux de première instance, les cours d’appel, la cour de cassation ne commettraient pas d’erreur ? Personne ne peut soutenu cela. Il en sera, je le répète, de ce conseil comme de toutes les autres institutions. Mais je crois que le conseil des mines fera beaucoup moins d’erreurs que n’en a fait le conseil d’Etat.

(Note du webmaster : Le Moniteur n°115 du 24 avril contient en outre le discours suivant, sans indication du moment où il a été prononcé dans la séance du 22 avril 1836 : ) M. Dechamps. - Messieurs, s’il s’agissait de construire à neuf toute une nouvelle législation sur les mines ; s’il s’agissait de recommencer la discussion solennelle de la constituante sur les principes de cette législation, et dont le résultat fut la loi de 1791, nous aurions à remuer l’une des questions les plus graves et les plus difficiles à résoudre, celle de savoir si les mines sont une propriété domaniale ou bien si elles peuvent constituer une propriété distincte de celle de la superficie du sol ; nous aurions à tenter de nouveau ce travail difficile, de concilier le principe de propriété du dessus et du dessous, sanctionné par l’art. 552 du code Napoléon, avec l’intérêt général de la société qui exige souvent des exceptions à ce principe, à l’égard des richesses minérales. Mais ce n’est pas ainsi que j’ai compris la marche de la discussion actuelle. Je ne pense pas que nous ayons à refaire ce travail important ; la seule mission qui, je crois, nous est aujourd’hui imposée, est celle de réviser les points de la législation de 1810 que l’expérience a permis de considérer comme défectueux ou comme peu appropriés aux mines de la Belgique, tout en conservant les principes adoptés par le corps législatif de l’empire. Cependant pour prendre pied sur le terrain de cette discussion, et pour procéder avec entente à cette révision, il est indispensable de se ressouvenir de ces principes afin de savoir si les modifications à apporter à la loi de 1810 doivent se faire ou bien en donnant une nouvelle extension au principe de concession par l’Etat, ou bien en corrigeant ce principe en offrant, dans certains cas, de nouvelles garanties au propriétaire de la surface, et en nous rapprochant ainsi de la législation de 1791.

Messieurs, ces deux lois de 1791 et de 1810, ont voulu atteindre un double but, celui de mettre à la disposition et sous la surveillance du gouvernement les richesses disséminées sous la terre afin de les concéder à celui qui les ferait fructifier le mieux dans l’intérêt de tous, et en même temps celui de tenir compte des droits du propriétaire de la surface ; mais si ce double but a été celui que les législateurs de 1791 et de 1810 ont voulu atteindre, la manière d’y arriver dans l’application a été très différente, et si la législation de la constituante n’a pas assez tenu compte de l’intérêt général et des besoins que réclamaient les progrès de l’industrie, la législation de l’empire, bien supérieure à son aînée sous ce point de vue a, cependant trop méconnu, dans certaines dispositions, le principe de propriété qui est le premier garant du pacte social. Ainsi, dans l’exposé des motifs de 1810, le gouvernement affirmait « que tout se conciliait dans ce système : l’intérêt des exploitants et l’intérêt des propriétaires ; et que la loi avait strictement satisfait à tous les droits et désintéressé même toutes les prétentions ; » mais le comte de Givardin, président de la commission d’administration, a été plus franc dans son rapport, et il a avoué que si le code ne leur avait pas lié les mains, ils auraient fait bon marché de ce droit du propriétaire que la commission ne reconnaissait pas ; voici comment il s’exprime :

« A qui la propriété de mines doit-elle appartenir ? L’opinion de votre commission est qu’elle doit être à l’Etat. Elle présume que le projet l’eût dit nettement s’il eût précédé le code civil, mais le déclarer positivement eût été blesser une de ses dispositions fondamentales. ». Aussi, messieurs, si la loi de 1810 n’a pas déclaré ouvertement ce principe, en fait, c’est comme s’il s’y trouvait écrit en toutes lettres. L’art. 6 établit, il est vrai, « que cet acte de concession réglera les droits des propriétaires de la surface sur le produit des mines concédées ; » mais le vague de cette disposition a rendu son exécution tout à fait illusoire à l’égard du propriétaire, de manière que cette indemnité qui devait désintéresser même toutes les prétentions, se réduit dans l’usage à la somme de 10 ou 15 centimes par bonnier, que le propriétaire néglige le plus souvent de percevoir à cause de son peu d’importance.

L’art. 4 du projet en discussion a porté remède à ce vague des articles 6 et 42 de la loi de 1810, et la manière dont le projet à déterminer l’indemnité en redevance fixe et proportionnelle empêchera que cette indemnité redevienne illusoire, laissée comme elle l’était à l’appréciation arbitraire de l’administration, et son peu d’élévation fera que les richesses minérales ne seront nullement entravées dans leurs productions.

Ce qui a rendu la loi de 1791 inexécutable dans les premières années de sa publication ; ce qui a causé l’espèce d’anarchie que sa promulgation a produite dans l’exploitation des usines et qui a duré jusqu’à ce que le comité de salut public y remédiât partiellement par la création d’une administration spéciale, ce n’a pas été, comme on l’indique dans les motifs qui accompagnent la loi de 1810, la préférence accordée au propriétaire par l’article 3, mais bien l’influence de deux autres principes qui forment la base de la législation de 1791 et dont l’effet devait être la ruine de ces richesses que la terre recèle : le premier de ces principes était celui qui accordait au propriétaire de la surface la jouissance des mines avec fosse et lumière jusqu’à 100 pieds de profondeur. Cette disposition devait amener tous les inconvénients du système de concession par veines et par couches horizontales, malheureusement encore en vigueur dans quelques bassins houillers de la Belgique, et d’ailleurs elle était diamétralement opposée à l’extraction régulière de la houille qui exige de commencer les travaux par les veines les plus profondes. L’art. 19 de la loi de 1810 posa un principe contraire qui corrigea ce vice de la législation précédente, et ce principe c’est la distinction nettement posée de la propriété de mine d’avec la propriété de la surface. Le second de ces principes vicieux de la loi de 91 était celui qui n’établissait que des concessions temporaires, de 50 ans au plus. Le peu de fixité, l’état précaire qui était ainsi attribué à ces possessions empêchaient d’abord les capitaux de se diriger de ce côté, vers un but aussi incertain, aussi peu stable ; en second lieu ces concessionnaires à terme dont l’intérêt était la jouissance hâtive des produits qui s’exploitaient le plus rapidement et à moindres frais, ne pouvaient avoir l’esprit de prévoyance et de conservation qu’exige l’intérêt de la société, et se refusaient naturellement à établir leurs extractions sur une échelle assez grande pour que l’avenir ne fût pas sacrifié à l’intérêt étroit du présent.

La loi de 1810, en donnant au concessionnaire la propriété perpétuelle de la mine, en détachant ainsi cette propriété de celle de la surface, a donné aux richesses minérales une valeur qu’elles n’avaient pas alors qu’elles n’étaient pas fixées par une législation précise, et le mode d’exploitation s’améliora de tous les avantages que le droit de propriété amène après lui.

Ainsi, messieurs, les deux vices organiques de la loi de 1791, la mutabilité des concessions, et l’amalgame de la propriété de la surface avec celle de la mine à 100 pieds de profondeur ; ces deux vices ont été déracinés par la loi de 1810, et, sous ce rapport je pense qu’il serait dangereux dans notre travail de révision de toucher aux bases de la législation en vigueur ; mais une disposition de la loi de 1791 que le gouvernement impérial n’a pas trouvé bon de reproduire, m’a toujours paru regrettable, et j’ai remarqué avec satisfaction que le projet de loi qui nous est soumis l’a rétablie, je veux parler de la préférence accordée aux propriétaires par les articles 5 et 10 de la loi de 1791, sous les conditions exigées par l’intérêt public.

Le motif sur lequel le gouvernement impérial avait appuyé le principe de concession, était que ces propriétés devaient appartenir à celui qui avait le moyen de les exploiter convenablement ; il paraît simple, dès lors, de donner la préférence au propriétaire de la surface, lorsqu’il remplit les conditions que l’utilité commune lui impose.

Ce droit de préférence est aussi le moyen le plus loyal de se conformer à l’art. 552 du code civil, qui autorise des modifications au principe général de propriété, relativement aux lois sur les mines, mais qui n’autorise pas la violation flagrante de ce principe, et c’est cependant le résultat de la loi de 1810. En effet, nous avons vu que malgré la reconnaissance formelle que l’art. 6 de la loi du 21 avril avait admise, du droit des propriétaires de la surface sur le produit des mines concédées, ce droit dans l’usage se bornait au prélèvement de quelques centimes, non pas sur le produit de la mine, mais par bonnier ; et n’est-il pas dérisoire après cela de lire dans les motifs de la loi que « le propriétaire étant désintéressé par cette redevance, n’a plus à la concession aucun droit de préférence » ? Ainsi, la commission d’administration chargée du rapport sur la loi ne s’est-elle pas associée à cette assertion, et si elle n’a pas milité, dit le rapporteur, pour faire consacrer par une nouvelle rédaction ce droit de préférence, c’est qu’elle était persuadée que le gouvernement en tiendrait compte dans l’application. Cette confiance ressemblait un peu à de la bonhomie, et vous savez, messieurs, que ni le gouvernement français, ni celui des Pays-Bas n’ont tenu compte de cet avis de la commission.

Ainsi donc, messieurs, les deux lacunes que la loi du 21 avril laissait au détriment des propriétaires de la surface, le manqué de redevance sur le produit de la mine concédée, et la négation du droit de préférence, ces deux lacunes sont heureusement comblées par les articles 4 et 6 du projet de loi en discussion.

J’aborde maintenant la question des minerais de fer, qui est la plus importante, et je dois déclarer que je ne puis adopter aussi entièrement que je viens de le faire pour les articles 4 et 6, la manière de révision adoptée dans la rédaction proposée.

Le défaut capital de la loi de 1810, c’est de n’avoir pas fait une distinction marquée entre les mines de fer et les autres espèces de mines, comme la différence qui existait entre elles l’exigeait. Je sais bien que le titre VII de la loi renferme des dispositions spéciales aux minerais d’alluvion ; mais comme il est resté toujours des doutes dans l’application sur la définition qui caractérise ces minières, un vague dangereux est resté dans la loi et le gouvernement précédent n’a pas manqué de l’exploiter au profit de son bon plaisir.

Pour bien comprendre dans quelle catégorie nous devons placer les mines de fer, je n’ai pas besoin de sortir du principe fondamental de la loi de 1810. Ce principe fondamental, comme je l’ai déjà indiqué plus haut, c’est la distinction absolue de la propriété de la surface et de la propriété de la mine. Mais comme les minières et les carrières qui s’exploitent à tranchée ouverte, soit à peu de profondeur, bouleversent tellement la propriété de la surface que celle-ci disparaît tout à fait, les législateurs de l’empire en ont conclu que l’une de ces deux propriétés absorbant l’autre, elles devaient naturellement n’en constituer qu’une seule, et les minières aussi bien que les carrières furent considérées en principe comme appartenant aux propriétaires de la surface. Mais ce bouleversement de la propriété de la surface résulte aussi bien de l’exploitation des mines de fer que de celle des minerais d’alluvion si on entend par mines celles qui nécessitent l’établissement de puits et galeries.

Les mines ou minières de fer ne s’exploitent en Belgique qu’à une profondeur qui varie entre 20 et 100 ou 150 pieds au plus, et comme le minerai ne forme pas seulement des filons, mais aussi des amas considérables, vous concevez que les affaissements de terrains doivent rendre la superficie du sol tout à fait incultivable ; et dès lors, en suivant le principe même de la loi de 1810, nous devons assimiler les mines de fer aux minières proprement dites, et ne les rendre jamais concessibles sauf les garanties établies dans l’intérêt général par les articles 60 et suivants.

Pour bien saisir la nécessité de distinguer nettement dans la loi, comme il a été fait dans la loi de 1791, les mines de fer des autres mines, il suffit de remarquer la différence profonde qui existe sous tous les rapports entre l’exploitation des houillères et celle des mines de fer, différence qui est marquée à tel point que les dispositions législatives qui conviennent aux unes ne peuvent s’appliquer aucunement aux autres.

Et d’abord sous le rapport des dégâts que l’extraction du minerai occasionne à la surface du sol, nous venons de voir que l’exploitation des mines de fer la bouleverse entièrement, tandis que l’exploitation des houillères ne nécessite l’expropriation que de l’espace minime que circonscrivent le puits et l’emplacement des machines ; du reste, la propriété de la surface n’en est nullement détériorée.

Pour que l’exploitation d’une mine de houille soit faite d’une manière régulière et avantageuse, il faut nécessairement qu’elle comprenne une étendue assez considérable, et cela se conçoit parfaitement.

Les couches de houille se prolongent d’après un système régulier, et leur gisement n’a aucun rapport avec la direction des limites de la surface. Le mode requis d’exploitation exigeant que les travaux s’entament par les veines les plus bas placées, et d’un autre côte, les allures des veines étant dans la direction d’un plan incliné, il est évident qu’on ne peut les traiter qu’en masse, selon l’expression du rapport du comte de Girardin, et qu’une assez grande étendue de terrain rend seule possible l’exploitation des houillères. Si à cette considération vous ajoutez celle des immenses capitaux qu’exigent les travaux d’art, le creusement des galeries souterraines et des barres qui s’enfoncent à 12 ou 1,500 pieds de profondeur, l’établissement des machines de grande force, pour épuiser les niveaux d’eau, et toute cette série de travaux difficiles et dispendieux que nécessité l’exploitation de la houillère la moins importante, vous concevrez que très rarement le propriétaire de la surface remplira les conditions nécessaires pour l’exploiter convenablement dans l’intérêt général. Mais aucun de ces motifs ne peut être allégué relativement aux mines et minières de fer : ces minerais sont jetés pêle-mêle à la surface du sol ou à si peu de profondeur que le dernier échelon où il a été reconnu jusqu’ici, à 20 toises environ, est le commencement ordinaire des veines de houille.

L’extraction des minerais de fer ne demande ni travaux d’art dispendieux, ni machines ou très rarement du moins, et dès lors les capitaux dont le plus mince propriétaire peut disposer suffiront d’ordinaire pour cette extraction.

Il résulte de ces faits que la disposition confuse des minerais de fer, presqu’à la surface du sol, au lieu d’exiger que l’exploitation se fasse dans des sections d’une assez grande étendue, commande au contraire la division de la propriété ; le propriétaire de la surface mettra un soin scrupuleux à extraire tout le minerai qui se trouve dans son fond d’une minime étendue, tandis que le possesseur d’une concession considérable négligera les filons peu productifs pour s’attacher exclusivement à ceux qui le sont davantage.

Cette vérité a été bien comprise en Suède, dont la législation sur les mines a servi de modèle presqu’en tout point à la loi de 1791, et là d’après une ordonnance de 1741, une concession de mines de fer ne peut être accordée que dans la limite de 200 toises carrées. Une preuve palpable de l’aptitude du propriétaire de la surface à l’extraction du minerai de fer, c’est que les concessionnaires existants ont dû finir par s’entendre avec les propriétaires antérieurs, anciens exploitants, qui se sont chargés de l’exploitation moyennant de payer au concessionnaire une rente annuelle. La crainte que l’on pourrait concevoir de ce mode d’exploitation par le propriétaire par rapport au renchérissement du prix du minerai ne peut exister en face du fait qui s’est passé sous nos yeux. Lorsqu’après la révolution il fut loisible aux propriétaires de la surface d’exploiter les minerais de fer qui s’y trouvaient enfouis, le prix baissa aussitôt de 50 p. c. pour se maintenir longtemps à ce taux, et cela quand les forgeries prenaient un développement considérable. Ce n’est que depuis qu’il s’agit de renouveler la loi sur les mines que la crainte de voir les minières de fer concessibles de nouveau, a augmenté le prix du minerai.

J’arrive à la raison déterminante, selon moi, pour que les mines de fer appartiennent au propriétaire de la surface, et je vous prie, messieurs, d’y porter une attention scrupuleuse : Presque toutes les concessions de mines accordées par le gouvernement précédent ou actuellement en instruction, le sont par les possesseurs des forgeries et des hauts-fourneaux, et si en déclarant par la loi les mines de fer concessibles, ces demandes en concession nouvelles étaient accordées, il en résulterait que les producteurs de minerais en seraient en même temps les seuls consommateurs. En effet, leur intérêt comme maîtres de forges prédominant sur leur intérêt comme extracteurs de minerais, il est évident qu’ils borneraient l’extraction de ces minerais aux seuls besoins de leurs propres forgeries, et qu’ils se garderaient bleu surtout d’en livrer à la consommation des hauts-fourneaux en concurrence avec eux.

Or, ce serait là, messieurs, le plus effrayant monopole qu’il soit possible d’imaginer, et je pose en fait que le jour où le système de concession, si avantageux à l’exploitation des mines de houille serait adopté dans la même étendue à l’égard des mines de fer, ce jour-là, la création de nouveaux établissements de forgeries et hauts-fourneaux serait rendue impossible, et cette industrie qui a pris, depuis la révolution, un élan si remarquable, serait arrêté court dans son progrès.

Examinons maintenant, messieurs, la rédaction nouvelle proposée par la commission, et voyons si elle remplit le but que je me propose d’atteindre : La modification qu’elle a apportée sous ce rapport, consiste à mieux définir les expressions à ciel ouvert qui se trouvent dans la loi de 1810, et qui ont été appréciées si diversement par les différentes administrations qui se sont succédé.

(L’orateur énumère plusieurs inconvénients au système de la commission qui établit l’arène comme limite au-delà de laquelle une concession peut être accordée et termine ainsi :)

Je me rallierai donc à l’amendement que se propose de présenter M. Pirmez, c’est-à-dire, de déclarer les mines de fer non concessibles sous les conditions de formalités exigées par la loi de 1810 pour les minerais de fer d’alluvion.

- La séance est levée à 4 heures et demie.