(Moniteur belge n°105, du 14 avril 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Verdussen procède à l’appel nominal à midi.
M. de Renesse donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est adoptée.
M. Verdussen fait l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les membres du tribunal de première instance de Tongres demandent que ce tribunal soit élevé au rang des tribunaux de première classe. »
« Le sieur P. Taelemans, négociant à Bruxelles, demande que la partie de bois dont il s’est rendu acquéreur, et qui est située sous Braine-Lalleud, soit placée sous Rhode-Ste-Genèse. »
M. le ministre de l'intérieur communique à la chambre le pièces relatives à l’élection de M. Blargnies, nommé récemment membre de la chambre à Mons.
M. Verdussen fait connaître l’organisation des sections renouvelées. Voici cette organisation :
Première section
Président : M. de Behr.
Vice-président : M. de Mérode.
Secrétaire : M. Dequesne.
Membre de la commission des pétitions : M. Bosquet.
Deuxième section
Président : M. Coppieters.
Vice-président : M. Thienpont.
Secrétaire : M. Scheyven.
Membre de la commission des pétitions : M. Zoude.
Troisième section
Président : M. Duvivier.
Vice-président : M. Dubus aîné.
Secrétaire : M. Jadot.
Membre de la commission des pétitions : M. Hye-Hoys.
Quatrième section
Président : M. Watlet.
Vice-président : M. Desmet.
Secrétaire : M. Beerenbroeck.
Membre de la commission des pétitions : M. Quirini.
Cinquième section
Président : M. Vanderbelen.
Vice-président : M. Lejeune.
Secrétaire : M. de Jaegher.
Membre de la commission des pétitions : M. Vuylsteke.
Sixième section
Président : M. Desmaisières.
Vice-président : M. Milcamps.
Secrétaire : M. Kervyn.
Membre de la commission des pétitions : M. Morel-Danheel.
M. Watlet. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
Messieurs, la chambre a ordonné hier l’insertion dans le Moniteur d’un procès-verbal, présenté par les ingénieurs, relativement aux réparations à faire aux rives de la Meuse.
Je rappellerai que la chambre a demandé précédemment que le ministre nous communiquât les pièces qui se rapportent au point de droit, c’est-à-dire à la question de savoir à qui incombe l’obligation de pourvoir aux frais desdites réparations.
J’insisterai de nouveau pour que cette communication nous soit faite avant la discussion du projet relatif à cet objet. Nous saurons alors si c’est à titre de subside, d’avance, ou à tout autre titre, que nous voterons la somme réclamée aujourd’hui.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Le fond de la discussion se trouve dans le texte des différentes lois et arrêtés déjà cités, et que chacun peut consulter.
M. Watlet. - Messieurs, vous savez que sous le régime précédent on avait l’habitude de n’insérer au journal officiel (le Staats-Courant) que celles des dispositions ceux des arrêtés royaux qui avaient un intérêt général. Comme il ne s’agissait ici que d’un intérêt purement provincial ou local, les arrêtés pris à ce sujet par le roi n’ont pas été insérés dans le Staat-Courant. Du moins, des pièces écrites qui ont été communiquées à la section centrale l’année dernière.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, l’arrêté de 1819 qui fait le fondement de la discussion, se trouve inséré au Bulletin officiel.
M. Donny. - Messieurs, l’honorable M. Lejeune, à qui la parole revient de droit, veut bien me la céder pour quelques instants afin que je puisse rétablir certains faits qui ont été exposés d’une manière assez peu exacte par l’honorable orateur qui a parlé le dernier dans la séance précédente,
L’honorable M. Dumortier vous a dit que c’est l’écoulement du canal d’Ostende qui a désensablé le port.
M. Dumortier. - Je n’ai pas dit cela. Avant la séance, je m’étais plaint à MM. les questeurs de la manière dont on a imprimé mon discours.
J’ai dit que le canal d’Ostende avait aussi servi à l’écoulement des eaux et non à désensabler le port.
M. Donny. - Puisque l’honorable M. Dumortier explique aujourd’hui la pensée qu’il a émise hier, nous devons nous en tenir à son explication actuelle, bien que ma mémoire, d’accord en cela avec le Moniteur, me retrace les choses d’une manière toute différente.
Maintenant que l’honorable orateur ne soutient plus que l’écoulement des eaux par le port d’Ostende est indispensable à l’approfondissement de ce port, ma tâche se trouve considérablement simplifiée, et je puis me borner à établir que, loin d’être avantageux au port, cet écoulement lui est préjudiciable.
Il est impossible, messieurs, de faire marcher de front l’écoulement des eaux dont il s’agit et le jeu efficace de l’écluse de chasse construite par les Hollandais. La raison en est bien simple. Pour opérer des chasses profitables au port, il faut nécessairement qu’il y ait une différence assez considérable entre le niveau de la basse mer et le niveau des eaux qu’on veut y déverser. Pour obtenir cette différence, il faut tenir ces eaux aussi élevées que possible, et l’on conçoit que cette élévation met obstacle à l’écoulement des eaux qui couvrent les terrains inondés. Si l’on veut chasser d’une manière convenable, il faut arrêter l’écoulement ; si l’on veut écouler les eaux intérieures, il faut suspendre le jeu de l’écluse hollandaise, et lorsqu’on veut obtenir les deux effets à la fois, on ne fait que perdre son temps et ses soins sans résultats utiles.
Je n’insisterai pas davantage sur ce point, puisque nous sommes avec l’honorable M. Dumortier. J’ai à dire quelques mots sur un autre objet.
M. Dumortier a dit, ou de moins le Moniteur lui a fait dire, que le port d’Ostende était tellement mauvais, que d’après des lettres reçues d’Angleterre, non seulement on ne voulait en aucune manière assurer à Londres pour Ostende, mais encore qu’aucun capitaine ne voulait partir pour cette destination.
J’ignore, messieurs, jusqu’à quel point les renseignements transmis à l’honorable membre sont conformes à la vérité ; mais, en supposant, que l’écrivain anglais n’ait rien exagéré, en supposant que pendant le gros temps, comme on dit, ou comme je dis, moi, pendant les tempêtes effroyables qui ont régné dans nos parages, des assureurs et des capitaines aient refusé de s’exposer aux dangers imminents et certains qu’ils avaient devant les yeux, il n’y aurait là assurément rien d’extraordinaire. Mais ce n’était pas le port d’Ostende qu’on craignait, c’était la tempête, c’était la mer, les côtes quelles qu’elles fussent, et si l’on a refusé de partir pour Ostende, on aurait refusé tout aussi bien de se mettre en route pour Anvers, pour Dunkerque, pour Calais, en un mot pour un port quelconque.
La tempête a causé un nombre considérable de sinistres ; on me dit qu’il y en a eu 376 ; eh bien dans un temps pareil, aucun capitaine prudent ne s’aventure à prendre la mer ; il n’y a guère que des casse-cou qui affrontent des dangers pareils.
Quoi qu’il en soit, il suffit qu’on ait manifesté à cette tribune des doutes sur la sûreté actuelle du port d’Ostende, pour que le gouvernement sente qu’il est de son devoir de prendre immédiatement des renseignements sur le véritable état des choses. Je suis persuadé que non seulement il s’empressera de se faire donner des éclaircissements sur ce point, mais qu’il se hâtera aussi de porter un remède efficace au mal, si tant est qu’il existe, chose dont, je l’avoue, je suis porté à douter.
Pour ne pas abuser de la complaisance de l’honorable M. Lejeune, je n’entrerai pas dans la discussion du fond. Je dirai simplement à M. Dumortier que s’il s’agissait réellement, comme il le suppose, d’établir un canal à grande section, de créer une ligne de navigation parallèle à celle qui existe par le port d’Ostende et les canaux qui viennent y aboutir, je me porterais avec lui sur la brèche, pour repousser ce projet avec autant d’énergie que lui-même ; et je suis persuadé que mon exemple serait suivi par la plupart de ceux qui se montrent aujourd’hui les plus zélés soutiens du projet actuel.
M. Lejeune. - Messieurs, parmi les questions soumises à vos délibérations, celle du canal de Zelzaete n’en pas la moins importante.
S’il est à regretter que cette question n’ait pas été résolue depuis longtemps, nous devons reconnaître que le temps écoulé n’a pas été entièrement perdu.
L’objet était d’un intérêt assez élevé pour être bien mûri.
Les divers rapports et les renseignements fournis sur la matière, l’examen auquel chacun de nous a pu se livrer, auront produit maintenant leur effet.
Le projet du canal de Zelzaete est du nombre de ceux sur lesquels l’action du temps est nécessairement favorable, parce qu’il ne peut que gagner à être connu par une étude approfondie.
Le canal projeté doit fixer notre attention surtout sous le rapport des motifs qui l’ont rendu nécessaire, sous le rapport de l’exécution, et sous le rapport des avantages qu’il présente au pays.
En prenant part à cette discussion, je suis loin de vouloir traiter la question dans toute son étendue ; d’autres honorables membres sauront mieux s’acquitter de cette tâche. Pour moi, je me bornerai, autant que possible, à ce qui se rattache plus particulièrement au district dont je tiens mon mandat. J’épargnerai ainsi les moments de la chambre, tout en accomplissant un de mes premiers devoirs, celui d’être ici l’interprète des habitants du district d’Eecloo, qui, pour l’objet qui nous occupe se sont adressés à vous si souvent et avec tant d’unanimité.
Sous le rapport de l’écoulement des eaux pluviales, l’histoire de cette partie de notre Flandre, qui touche à la Flandre zélandaise, n’est, depuis bientôt deux siècles, qu’une suite de calamites, de réclamations et d’exactions.
L’analogie qu’il y a entre la position de notre pays vis-à-vis de la Hollande, depuis notre insurrection, et la position respective de ces deux pays, après l’insurrection de la Hollande, en 1572, nous oblige à jeter un coup d’œil en arrière.
C’est depuis le traité de Munster (1648) que date cette déplorable limite entre la Flandre et la Hollande, limite à laquelle il serait difficile d’assigner une autre cause, un autre motif, que la puissance et l’exigence des Etats unis de la Hollande indépendante.
Cette limite, définitivement fixée en 1664, est encore la même aujourd’hui.
La révolution a fourni aux Belges l’occasion de changer favorablement une frontière aussi désavantageuse ; mais, au lieu de faire cette conquête qui eût été soutenue par l’intérêt et la sympathie du plus grand nombre ses habitants, nous avons vu quelques hommes, dont les événements ont prouvé bientôt les intentions coupables et la profonde impéritie, qui n’ont montré du patriotisme un jour que pour captiver la confiance du gouvernement provisoire, et mieux exploiter la révolution ; nous avons vu ces hommes, dis-je, plonger cette partie de la Flandre dans la désolation et en compromettre jusqu’à l’existence.
L’occasion de faire une belle conquête, une fois perdue, la simple occupation de Philippine et du Capitalen-Dam suffisait du moins pour défendre notre territoire et préserver presque tout le district d’Eecloo de ces inondations ruineuses, qui en font le malheur.
On ne s’est guère inquiété de Philippine, l’écluse du Capitalen-Dam était à nous ; les habitants des communes environnantes, dont le patriotisme est plus efficace et plus vrai que bruyant, avaient occupé ce point important dès le commencement de la révolution et l’avaient gardé jusqu’au moment où des troupes réglées en ont pris possession, avec la mission de le défendre.
Nous avons conservé le Capitalen-Dam jusqu’à la campagne du mois d’août 1831.
A cette époque on a cédé, pour ainsi dire, aux Hollandais cette position, qui était notre dernière ressource. Loin de moi de jeter le moindre blâme sur les officiers et les soldats qui occupaient alors ce poste ; ils se trouvaient abandonnés à eux-mêmes, en trop petit nombre et sans les moyens de défense nécessaires qu’ils avaient réclamés en vain. Les cendres des braves qui reposent à Watervliet et à Eecloo nous rappellent chaque jour leur belle conduite, ainsi que la conduite (que je m’abstiens de qualifier) de leurs chefs, soit immédiats, soit supérieurs.
J’ajouterai même qu’après, que le Capitalen-Dam fut envahi par les Hollandais, il se présentait assez d’hommes courageux pour le reprendre ; mais ils n’en obtinrent ni l’ordre, ni la permission, et les demi-mesures dont on se contenta amenèrent de nouveaux désastres : notamment l’inondation du Clara Polder, dont les Hollandais percèrent la digue pour se mettre à couvert.
Peut-être enfin aurions-nous dû rentrer en possession, du moins provisoire, du Capitalen-Dam, s’il est vrai qu’après la campagne du mois d’août chacune des parties belligérantes devait évacuer le territoire qu’elle n’occupait pas en vertu de l’armistice de novembre 1830. J’ignore par quel tour de diplomatie les Hollandais sont restés en possession de ce poste important.
Je ne m’étendrais davantage, messieurs, sur les deux épisodes de la révolution auxquelles j’ai fait allusion ; les détails appartiennent à l’histoire. Ce sont des faits accomplis, selon le langage de la diplomatie ; je n’ai dû en parler que pour rappeler comment nous en sommes revenus aujourd’hui à la limite et à la position de 1664.
Le but avoué des états généraux, en faisant le traité des limites de 1664 et en se réservant les écluses de mer, était de pouvoir, sous le moindre prétexte, établir une ligne de défense par des inondations ; ainsi, selon leur bon plaisir, ils pouvaient toujours se mettre couvert, et nous ruiner en submergeant nos terres.
C’est encore pour les mêmes motifs que depuis notre insurrection la Hollande a attaché tant d’importance à l’occupation de ces mêmes places, et qu’en 1831 elle a repris celle qu’elle n’avait pas.
A l’une comme à l’autre époque, les Hollandais se sont servis largement de ces moyens d’inondation pour leur défense et pour notre ruine.
Ce n’est pas que dans tous les traités ils aient manqué de protester de leurs bonnes intentions, ou de reconnaître qu’ils voulaient et qu’ils devaient recevoir les eaux des Flandres ; que, pour obtenir de résultat, on pouvait même construire des canaux et des écluses sur leur territoire.
Ils accordaient facilement ces insignes faveurs ; ils n’y ajoutaient qu’une condition : c’est qu’ils conservassent la souveraineté sur les ouvrages établis à nos frais, et d’après leurs plans, sur leur territoire ; voyez l’art. 6 du traité de Fontainebleau (8 novembre 1785), article qui fait partie intégrante du traité du 15 novembre 1831.
Veut-on une dernière preuve de l’importance que les Hollandais ont toujours attachée à tenir la clef de toutes les issues, on n’a qu’à jeter un coup d’œil sur ce qui s’est passé après le traité des limites de 1664.
Par ce traité, le havre de Bouchaute restait à notre pays ; ce point de contact avec la mer était d’un immense secours pour l’assèchement du territoire. Les métiers de Bouchaute et d’Assenede, la seigneurie de Waterdyk, Watervliet, Capryck et Lembeke, n’avaient pas d’inondations à craindre.
Les écluses de Bouchaute (qui n’étaient pas dans la dépendance de la Hollande) jetaient les eaux dans le Braekman.
Cet état de choses ne dura pas longtemps, les états-généraux trouvèrent le moyen de priver cette partie du territoire de ses écluses d’évacuation en faisant endiguer, en 1690, malgré toutes les réclamations et représentations faites, tant par les intéressés et les autorités de la Flandre que par l’ambassadeur du roi d’Espagne, à La Haye ; en faisant endiguer, dis-je, les deux schorres d’Isabelle, situées de chaque côté du havre, et en fermant le chenal de Bouchaute par une digue, qui s’étendait de l’un à l’autre nouveau polder.
Privés de leur dernière ressource, les habitants de nos contrées ont fait continuellement la triste expérience que la Hollande pouvait à son gré submerger leurs terres.
Tout nous démontre les intentions et la tendance que la Hollande n’a cessé d’avoir.
Le traité de la barrière de 1715, par son article 17, relatif à la frontière dont je parle, renchérit encore sur celui de 1664.
Je ne m’arrêterai pas, messieurs, à vous rappeler les pertes, les vexations, les exactions que la Hollande fit subir aux habitants des Flandres ; la série en est longue, comme la série des plaintes, des doléances, des réclamations dont ils firent retentir la cour d’Autriche.
Ce malheureux état de choses n’a cessé qu’avec notre réunion à la France.
Notre Flandre et la Flandre zélandaise étant restées réunies sous un même gouvernement jusqu’en 1830, presque toutes les plaintes ont dû cesser jusqu’alors, mais les mêmes motifs qui les avaient excitées, avant la réunion à la France, les ont fait renaître après la révolution belge.
Comparez les requêtes et les réclamations qui vous sont adressées depuis 1830, avec celles du dix-septième et du dix-huitième siècle, vous y trouverez peu de différence.
Volet, messieurs, la situation actuelle du district d’Eecloo sous le rapport de l’évacuation des eaux, en 1830 et depuis cette époque.
Les eaux pluviales doivent s’écouler par l’écluse d’Amélie au sas de Gand, par l’écluse de mer à Philippine, l’écluse d’Isabelle près de Bouchaute, l’écluse du Capitalen-Dam, par l’écluse dite Pas-Water, et celle de l’est près de la ville de l’Ecluse.
Toutes ces écluses, qui sont indispensables pour l’assèchement de cette partie du territoire belge, sont au pouvoir des Hollandais, à l’exception de l’écluse d’Isabelle, seul point de contact que nous ayons encore avec la mer sur cette ligne et qui, ce qu’à Dieu ne plaise, devrait être remise à la Hollande d’après le traite des 24 articles.
L’écluse d’Isabelle ne pouvant procurer l’assèchement qu’à huit ou neuf mille hectares tout au plus, vous concevez, messieurs, comment il s’est fait que nous ayons eu à subir des inondations si étendues et si ruineuses.
Les Hollandais ont empêché l’écoulement de nos eaux, en se servant des écluses pour submerger leur propre territoire, et former ainsi leur ligue de défense.
Je ne parlerais pas des légers changements qui ont été apportés à nos canaux d’évacuation, dans le dessein de jeter dans le Braeckman par l’écluse Isabelle toutes les eaux pluviales, tant d’Assenede et des environs que de la wateringue du Capitalen-Dam, s’il était permis de laisser sans réponse les erreurs dans lesquelles mon honorable collègue, M. Dumortier, est tombe hier, en parlant de ces travaux d’une très mince importance.
Les détails auxquels l’honorable député s’est livré me forcent à entrer aussi dans quelques détails dont j’aurais voulu m’abstenir de parler.
M. Dumortier à parlé avec une assurance capable d’ébranler la conviction des personnes qui ne connaissent pas bien ces contrées. J’ai vu, dit-il, ce pays, je puis en parler avec connaissance de cause ; et il engage tous ses collègues à voir et à juger par eux-mêmes.
Messieurs, j’ai parcouru cinquante fois cette lisière. J’ai vu et revu les travaux dans leurs détails, j’ai consulté partout, et mes renseignements ne ressemblent guère à ceux que vous a donnés hier l’honorable député de Tournay. Les renseignements de M. Dumortier ne sont pas exacts, sa mémoire l’aura mal servi ; j’en appelle à sa loyauté, s’il veut encore se donner la peine de revenir sur les lieux et de revoir en détail.
L’écluse Isabelle, dit l’honorable membre, peut faire écouler toutes les eaux ; nous n’avons pas besoin de nouveaux moyens.
Entendons-nous d’abord. Oui, les eaux pourraient s’écouler par l’écluse Isabelle lorsqu’elles auraient séjourné assez longtemps sur les terres ; mais ce pas là certainement ce que vous voulez.
Il ne s’agit pas ici d’évacuation des eaux dans un temps donné, mais de l’assèchement du territoire ; il s’agit de préserver les terres d’inondations qui, en quelques jours, enlèvent l’espoir de la récolte en détruisant les travaux agricoles de toute une année. Dans ce sens, l’écluse Isabelle peut sauver huit à neuf mille hectares, comme je l’ai dit plus haut ; elle suffit, dans les temps ordinaires, à assécher l’arrondissement de la wateringue d’Isabelle. Lorsque les saisons sont peu pluvieuses, on peut y amener sans danger les eaux d’une plus grande étendue de terrains ; mais, dans des temps de pluies abondantes, l’arrondissement lui-même est en souffrance, comme l’année 1829 l’a suffisamment prouvé.
L’honorable M. Dumortier, en parlant de l’assèchement du territoire de la wateringue du Capitalen-Dam, après la perte de l’écluse de ce nom, dit : « On creusa une rigole d’écoulement vers l’écluse Isabelle, et toutes les eaux s’écoulèrent par là. » C’est là une réponse bien courte, bien tranchante, et bien peu fondée, à ces masses de pétitionnaires qui vous ont si souvent représenté très humblement, et prouvé par des faits, que cette rigole ne les sauve pas, et ne peut pas les sauver que ce sont les Hollandais qui dans ce moment les préservent d’une ruine totale.
En voulez-vous des preuves, messieurs, voici des faits que j’ai constatés sur les lieux longtemps avant que j’eusse l’honneur de siéger dans cette assemblée, et sans songer à pouvoir les rappeler ici :
Extrait d’un rapport adressé au gouverneur le 18 janvier 1834 :
« L’écluse du Capitalem-Dam tomba au pouvoir des Hollandais, au mois d’août 1831 ; elle fut employée par ceux-ci pour inonder d’eau de mer leur propre territoire, afin de se former une ligne de défense.
« Pour dériver les eaux par l’écluse Isabelle, on a mis les canaux de la wateringue du Capitalem-Dam en communication avec les canaux de la wateringue d’Isabelle. Ces ouvrages d’essai, peu proportionnés aux besoins qui les avaient suggérés, ne pouvaient être que d’un faible secours.
« Les inondations de 1831-1832 et celles de 1832-1833 furent à peu près de la même étendue ; en 1833, les terres ne furent débarrassées que vers le milieu du mois de mai ; un peu plus tôt que l’année précédente.
« Pendant l’été de 1833, les travaux de communication avec la wateringue d’Isabelle ont été considérablement améliorés. La capacité des eaux est plus que doublée. Malgré ces améliorations, les inondations étaient, au mois de décembre dernier, à peu près aussi étendues que l’année précédente. Ce résultat doit être sans doute attribué en partie à l’abondance des pluies, aux vents contraires qui ont souvent empêché l’ouverture de l’écluse de mer. Toutefois les moyens d’écoulement actuels, par la voie de l’écluse Isabelle, ne peuvent suffire, même dans des circonstances ordinaires, pour assurer l’assèchement du territoire des communes dépendant de la wateringue du Capitalen-Dam.
L’année suivante, nous n’étions pas plus avancés ; permettez-moi de citer encore quelques mots d’un rapport du 28 janvier 1835 :
« Tous les ouvrages effectués jusqu’ici pour suppléer à l’écluse du Capitalen-Dam sont complètement insuffisants ; ils ne peuvent pas servir à assurer l’assèchement du territoire.
« Si les terrains inondés au mois de janvier 1834 ont été débarrassés d’eau dans le courant du mois de février suivant, ce n’est pas par les voies d’écoulement dont nous disposons que nous avons obtenu ce résultat, mais par l’effet de la volonté des Hollandais, et d’un temps extrêmement favorable.
« La wateringue d’Assenede a été beaucoup soulagée par l’ouverture (au mois de décembre 1833) de l’écluse Amélie, près du Sas-de-Gand, et la wateringue du Capitalen-Dam, par l’ouverture (vers la même époque) de l’écluse du Capitalen-Dam. »
Les années suivantes, ce fut la même chose ; au mois de mars 1835, et dans ce moment même, messieurs, nous aurions voyagé en barquette sur les terres les plus fertiles du pays, si nous avions été réduits à faire écouler toutes nos eaux par les écluses d’Isabelle. Il y a loin des résultats que je viens de communiquer à cette assertion : « On creusa une rigole vers l’écluse Isabelle, et toutes les eaux s’écoulèrent par là. »
Ces travaux, pour ce qu’ils sont, ont coûté beaucoup trop à l’Etat et aux propriétaires intéressés ; ils ne sont pas ce que M. Dumortier les croit être ; ils ne le seront jamais. On ne pourrait assécher par ce point qu’une vingtaine de mille hectares, et non les quatre-vingt mille hectares et plus dont parlent les rapports que vous avez sous les yeux ; et l’on ne pourrait obtenir ce résultat partiel, qu’au moyen de travaux dont les dépenses seraient proportionnellement beaucoup plus grandes que celles que nécessiteront les travaux qu’on vous propose de faire dans la direction de Blankenbergh.
Ces seules considérations suffisent, sans doute, pour faire voir que nous ne pouvons pas songer à établir ces travaux dispendieux sur ce point. Il y a encore d’autres raisons non moins péremptoires, Quand même la position de l’écluse Isabelle ne nous serait pas contestée, il faudrait remarquer que les atterrissements dans le Braekman continuent avec une rapidité étonnante depuis que les courants d’eau du Axelsche-Gat et du Sascche-Gat sont fermés, par suite de la construction du canal de Terneuzen. On passe aujourd’hui à pied sec dans des endroits où, il y a peu d’années, il y avait encore plusieurs mètres de profondeur. La Hollande trouverait bientôt le moyen de neutraliser tous nos travaux. Vous ne pourriez pas empêcher l’endigage des schorres devant nos écluses, comme nous en avons vu un exemple en 1690. L’écoulement serait donc ou entièrement barré, ou du moins soumis au bon plaisir de la Hollande.
Invoquera-t-on la garantie des traités ? Mais j’ai fait voir plus haut, messieurs, que deux siècles d’expérience ont donné la mesure de cette garantie.
L’honorable M. Dumortier a consulté beaucoup d’hommes instruits, des ingénieurs, qui sont de son avis, et d’autres plus savants que les ingénieurs, il a cité le nom de M. Dubosch. Je déclare, messieurs, que je ne me mêlerai jamais, dans cette enceinte, de la discussion du mérite des personnes.
Il s’agit de discuter les faits ; je me bornerai à dire à mon honorable collègue que je pourrais aussi citer des noms de personnes recommandables qui sont d’un avis contraire. Il trouvera aussi parmi les nombreux pétitionnaires des noms de personnes qui sont nées dans les polders, qui y ont toujours habité, qui connaissent parfaitement tout ce qui concerne les canaux et les écluses, des personnes dont toute la fortune dépend de l’écoulement des eaux, et qui ont une opinion contraire. La citation de ces noms ne serait pas un argument.
Je n’aurais pas fait cette longue digression, messieurs, si un honorable orateur n’avait pas place le premier la question sur ce terrain, en parlant des travaux effectués pour faire écouler les eaux par l’écluse Isabelle.
Si nos souffrances sont moindres qu’en 1831, 1832, 1833, ce n’est pas à nos propres moyens que nous pouvons l’attribuer, c’est à la volonté des Hollandais qui nous tiennent complètement dans leur dépendance. La fermeture des écluses comme leur ouverture dépend d’eux uniquement. Nous l’avons déjà dit, la Hollande a toujours prétendu tenir la clef des débouchés, et en disposer d’après son bon plaisir.
Depuis plus de deux ans la Hollande nous fait le plus grand bien, elle reçoit assez bénévolement les eaux, elle ouvre les écluses ; mais pourquoi cette bienveillance ? pouvons-nous y compter un instant ? Non, messieurs, nous ne pouvons pas y compter. Voici pourquoi la Hollande vient à notre secours depuis quelque temps ; ceci mérite toute votre attention : Nos voisins ont été frappés de l’accueil qu’ont trouvé, auprès de la représentation nationale, et auprès du gouvernement, nos doléances et nos réclamations, dont ils apprécient si bien toute la justesse ; ils craignent l’exécution du projet du canal de Zelzaete, qui doit nous soustraire à leur dépendance et changer totalement notre position à leur égard ; ils conçoivent tout ce qu’un pareil ouvrage présente d’avantageux pour les Belges et de défavorable pour eux ; ils n’ont pas vu sans peine l’attention toute spéciale que notre Roi a donnée au moyen d’assécher notre territoire, sans devoir emprunter le sol hollandais ; et, depuis plus de deux ans qu’il est sérieusement question du canal de Zelzaete, ils ont fait tout ce qui leur a été possible pour faire cesser nos plaintes et pour détourner de ce projet l’attention des habitants, des chambres et du gouvernement.
Ces moyens n’ont pas réussi, et nous espérons bien que personne ne s’y laissera prendre. Nous attendons avec confiance que la chambre autorisera l’établissement du canal de Zelzaete, n’y eût-il d’autre raison que celle de soustraire ce pays à la dépendance de la Hollande et de faire disparaître l’unique motif pour lequel ou a établi, d’ancienne date, une frontière aussi ridicule et aussi défavorable la Hollande qu’à la Belgique sous le rapport de l’administration et de la police.
Nous venons de voir, messieurs, que le canal de Zelzaete est devenu absolument nécessaire pour l’écoulement des eaux.
Je ne m’arrêterai pas beaucoup à vous entretenir de cet ouvrage sous le rapport de l’exécution ; j’abandonne les questions d’art à MM. les ingénieurs ; je dois seulement les engager à peser mûrement les observations, quelquefois très judicieuses, des personnes impartiales qui connaissent bien les localités et ont l’expérience pour guide.
Depuis plus de deux ans, l’objet qui nous occupe a été livré à la publicité, toutes les parties intéressées ont été entendues, et l’on trouverait à peine un doute sur les bons effets qu’on nous promet d’obtenir au moyen du canal, et que nous sommes en droit d’en attendre. En effet, messieurs, avec une pente de deux mètres, que MM. les ingénieurs nous assurent pouvoir donner au canal, l’assèchement des terres les plus éloignées du débouché et les moins élevées sera mieux assuré qu’il ne l’a jamais été, si l’on a soin de donner au canal et à l’ouverture à la mer une largeur suffisante. Nous devons espérer que le gouvernement prendra toutes les précautions nécessaires pour que les dimensions des ouvrages soient calculées sur l’étendue du territoire à dessécher, sur la distance que l’eau doit parcourir, sur la rapidité avec laquelle elle doit pouvoir s’écouler, et sur les obstacles que peuvent faire naître momentanément les marées extraordinaires et les temps trop pluvieux.
Parmi les avantages que présentera le canal de Zelzaete, on peut mettre sans doute en première ligne celui de soustraire une grande partie du pays à la dépendance de la Hollande, pour l’écoulement des eaux ; dépendance qui a toujours coûté si cher et causé tant de souffrances aux Belges.
En assurant l’évacuation des eaux d’une grande étendue des meilleures terres, le canal fera renaître la prospérité dans ces contrées très intéressantes pour le trésor public, et trop souvent oubliées. D’excellentes terres, marécageuses maintenant, deviendront labourables.
Le bien-être de cette partie du pays, qui alors seulement se verra définitivement incorporée dans la Belgique, fera augmenter la population et les relations commerciales ; il exercera ainsi l’influence la plus salutaire sur les revenus de l’Etat.
Il y a une autre considération de la plus haute importance : le pays des polders est extrêmement malsain ; M. le ministre des finances ne le sait que trop bien, puisqu’il doit y entretenir, pour la douane, un nombreux personnel, quelquefois réduit au quart et plongé dans la misère par suite de maladie.
La stagnation des eaux est la cause principale de cette insalubrité. Le canal mettra en mouvement les eaux stagnantes et constituera ainsi un moyen efficace d’assainissement.
Le canal, longeant d’assez près la frontière, n’est peut-être pas sans importance pour le service de la douane. Il est certain qu’il rendra la surveillance beaucoup plus facile et la répression de la fraude possible, dans ce pays qui n’a aucune limite naturelle.
Nous trouverons enfin dans le canal de Zelzaete une ligne de défense, et je ne crois pas que sous ce rapport il ait été assez bien apprécié.
Jusqu’à aujourd’hui et depuis plus de deux siècles, les Hollandais ont tiré parti, en temps de guerre, de la possession des écluses de mer, et pour se mettre eux-mêmes à couvert et pour porter préjudice à leurs adversaires.
Au lieu de faire évacuer les eaux, pour peu que leur intérêt le commande, ils se servent des écluses pour submerger les terres, et se tiennent derrière ces inondations qui forment une bonne ligne de défense, sans avoir à redouter les attaques de l’ennemi.
Si l’on donne au canal les dimensions qu’il doit avoir, pour en faire un ouvrage digne de la nation, non seulement nous n’aurons plus à craindre que les Hollandais arrêtent nos eaux et inondent nos terres, mais nous leur ôtons encore cette grande facilité de former, à tout propos, leur ligne de défense ; nous les privons en outre de nos eaux douces dont ils ont grand besoin.
Les commandants militaires, les officiers du génie qui ont étudié cette frontière depuis la campagne de 1831, ont su apprécier quel avantage nous pourrions tirer de ce dernier moyen en temps de guerre.
Je m’abstiendrai, messieurs, de parler des autres avantages que le canal de Blankenbergh présentera ; je l’ai déjà dit, je me suis attaché particulièrement à examiner l’objet en discussion dans ses rapports avec la partie du pays que je connais le mieux.
D’autres honorables membres vous démontreront, mieux que moi, combien le canal de Blankenbergh est devenu nécessaire pour pouvoir conserver au commerce les canaux de Bruges et d’Ostende, et combien, sous ce rapport encore, cet ouvrage est favorable à tout le pays.
L’honorable M. Dumortier a élevé du doute sur le point de savoir si le canal de Zelzaete devait être construit aux frais de l’Etat.
Il est certain, messieurs, que les Flandres trouveront dans cette construction un avantage plus considérable que les autres provinces ; mais n’en est-il pas de même de tous les travaux publics, de toutes les routes ? Tous les canaux ne sont-ils pas notablement plus favorables aux localités qu’ils traversent qu’aux autres endroits plus éloignés ?
En conclurez-vous que ces travaux doivent se faire aux frais des localités auxquelles ils procurent le plus de profit, et non aux frais de l’Etat ? Assurément non. D’après ce système l’Etat n’aurait presque rien à faire ; les provinces et même les districts, au lieu de se prêter mutuellement secours, et d’avoir, par leur union, la force de faire de grandes choses, ne formeraient plus que de petites associations impuissantes et rivales.
Prétendra-t-on peut-être que le canal de Blankenbergh n’est pas un ouvrage national, d’intérêt général ?... Je ne répéterai pas, pour prouver le contraire, tous les motifs qui commandent cette construction et tous les avantages qui en résulteront pour le pays ; vous l’avez compris, messieurs : il s’agit, non seulement du bien-être, mais de l’indépendance, de l’existence même d’une partie du pays. Il est de l’intérêt, de l’honneur, de la dignité de la nation d’entreprendre un pareil ouvrage.
Mais, continue mon honorable collègue M. Dumortier, ne pouvez-vous pas obtenir le même résultat au moyen de travaux à faire à l’écluse du Hazegras, et qui ne coûteraient que deux ou trois cent mille francs ? Il ne faudra qu’abaisser le radier de cette écluse.
Non, messieurs, on n’obtiendrait pas par ce moyen le même résultat, et, qui plus est, l’exécution de ce plan ne serait pas plus économique que celui du projet qui vous est soumis.
L’écluse du Hazegras est une des huit écluses d’évacuation qu’on vous propose de remplacer par une seule, qui jette les eaux dans la mer du Nord. Cette seule remarque suffit pour faire voir que les dimensions de l’écluse du Hazegras (qui n’est pas la plus grande des huit écluses à remplacer) ne sont absolument rien, en proportion de ce qu’elles devraient être pour donner passage à toutes les eaux.
Il faudrait donc, de toute nécessité, construire une nouvelle écluse au Hazegras ; cette construction ne coûterait guère moins en cet endroit que près de Blankenbergh.
Il reste les travaux de terrassement, et sur cette partie il n’y a pas non plus d’économie à faire : car la distance de Zelzaete, ou, pour mieux dire, de Bouchaute, où le canal prendrait naissance jusqu’à Dam, la distance serait toujours la même dans l’un et l’autre plan, et la distance de Dam au Hazegras est, à peu de choses près, la même que de Dam à Heyst. Où serait donc l’économie ?
il n’y a qu’une seule différence entre ces deux plans ; c’est que le débouché qu’on se créera dans la mer du Nord sera toujours efficace, et que toutes les dépenses qu’on ferait encore maintenant pour jeter les eaux dans le Zwyn (au Hazegras), seraient en pure perte, puisque les ensablements dont M. Dumortier s’inquiète trop peu continuent à se former avec rapidité, et qu’ainsi le temps n’est pas éloigné où les Hollandais pourraient facilement (à défaut de la force des choses) nous barrer le passage que nous aurions cherché à grands frais. Ce que j’ai eu l’honneur de dire en parlant du Braekman, est également applicable ici.
J’ai une dernière objection à rencontrer. L’honorable M. Dumortier a manifesté la crainte que la construction du canal de Zelzaete ne compromette la souveraineté de l’Escaut. Si cette objection est sérieuse, je tiens beaucoup à rassurer mon honorable collègue.
La crainte de voir arriver des navires à Anvers, par le canal en question, paraîtra d’abord assez prématurée si l’on considère que le canal n’aurait à sa naissance, à Bouchaute, que sept mètres de largeur, et serait couvert de seize ponts fixes dont l’ouverture serait proportionnée à la largeur du canal.
Il y a une autre considération qui détruit entièrement l’objection.
Le canal d’évacuation que nous réclamons ne peut jamais devenir canal de navigation. Ces deux destinations différentes qu’on peut donner à un canal, sont tellement opposées l’une à l’autre, qu’elles s’excluent mutuellement : c’est pour ce motif qu’on dit avec raison que le canal d’Ostende ne peut servir en même temps à l’assèchement du territoire et à la navigation ; pour peu que l’on baisse les eaux (et l’on est obligé maintenant de les baisser assez souvent de douze pieds), on nuit à la navigation ; quand on les retient, l’assèchement des terres devient impossible. Il faut nécessairement faire servir le canal à l’une ou l’autre destination.
Si l’on s’avisait de faire du canal de Zelzaete un canal de navigation, toutes les terres qu’on nous demande aujourd’hui d’assécher seraient inévitablement perdues par des inondations continuelles ; tous ceux qui demandent maintenant la construction du canal avec tant d’instances, seraient les premiers à s’y opposer de tous leurs moyens.
Que l’on ne craigne donc pas qu’il puisse être question ici de remplacer l’Escaut par un canal de navigation.
Si l’on concevait plus tard un pareil projet, il est bien certain que, par la construction du canal de Zelzaete, on n’aurait rien fait pour l’exécution de ce nouveau plan, et qu’on devrait commencer de nouveaux travaux entièrement indépendants du canal d’évacuation, tout comme si celui-ci n’existait pas.
Messieurs, je borne ici mes observations, que je crains d’avoir trop prolongées. Je m’estimerais heureux si j’avais réussi à faire partager mon opinion, sur l’objet qui nous occupe, à quelques-uns de mes honorables collègues. Je suis du moins certain d’avoir prouvé que c’est avec la plus profonde conviction que je voterai pour les conclusions de votre commission des travaux publics, et que je nourris l’espoir que ces conclusions seront adoptées par la grande majorité de la chambre. Je regrette seulement que le crédit proposé soit si peu élevé pour commencer un ouvrage aussi considérable, aussi nécessaire, aussi national.
Si, comme je l’espère, la chambre accorde les fonds nécessaires, nous devons émettre les vœux de voir pousser les travaux avec la plus grande activité, de leur voir donner des dimensions telles que nous puissions pour toujours être délivrés du fléau des inondations, et que les plaies profondes qui saignent depuis si longtemps puissent être entièrement cicatrisées.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, déjà plusieurs orateurs ont démontré l’utilité, je dirai même la nécessite du canal de Dam à la mer ; en effet, messieurs, ce canal a pour objet de conserver libre la navigation de celui de Gand à Bruges, par conséquent une des principales lignes de notre navigation, puisque 1,000 à 1,200 bateaux la parcourent annuellement.
Il a pour objet d’améliorer l’état sanitaire d’une contrée étendue, et enfin de sécher des terres d’une valeur considérable.
En ce qui concerne la navigation l’on sait combien elle est fréquemment interrompue par la baisse des eaux du canal de Bruges pour l’écoulement de celles qu’il s’agit d’évacuer par le nouveau canal ; l’on sait les retards et les frais qui résultent pour les bâtiments de ces interruptions qui les forcent de s’arrêter à Bruges
J’ajouterai que la province de la Flandre occidentale est entraînée dans des dépenses considérables par suite de la baisse des eaux du canal de Bruges, car rien n’est plus préjudiciable à la conservation des canaux que d’en baisser souvent les eaux.
Sous ce rapport donc l’utilité du canal est évidente.
En ce qui concerne l’état sanitaire, il est facile de comprendre combien les habitants de ces contrées doivent souffrir : cet état de choses est encore plus préjudiciable aux troupes et aux douaniers. C’est un objet d’une très grande importance et d’intérêt général.
Relativement aux produits des terres, je ferai remarquer à la chambre que dans la Flandre occidentale seulement, il y a plus de 29,000 hectares de propriétés qui sont condamnées à souffrir des pertes considérables : on conçoit par là les immenses avantages qui résulteront de la construction du canal.
Je dirai en outre que la confection de cette dernière partie du canal de Dam à la mer, sera une garantie permanente qu’à l’avenir la Hollande ne cherchera pas à entraver l’écoulement des eaux de la Flandre orientale ; rien ne serait plus aisé que de pousser le canal de Dam à Zelzaete, ce qui occasionnerait de très grands préjudices aux Hollandais ; ils auront ainsi un intérêt aussi grand que les Belges de maintenir libre l’évacuation de nos eaux.
Il est incontestable que le nouveau moyen d’écoulement que l’on propose d’établir est préférable à celui qui existe aujourd’hui. Ainsi qu’on l’a dit, le Zwyn s’ensable continuellement, de manière que l’on ne peut nullement compter, quand même on ferait les travaux dont a parlé M. Dumortier, sur l’écoulement permanent par le Zwyn. Au contraire, par un canal de Dam à la mer, il y aura toujours un écoulement assuré.
Et en effet ce canal ne s’ensablera pas plus que le port d’Ostende ; au contraire, il s’ensablera moins, parce qu’il n’y aura que 400 mètres de chasse de la nouvelle écluse à la mer, tandis que l’écluse d’Ostende a mille mètres de longueur, en sorte que l’on comprend que l’écluse de chasse opérera de telle manière qu’il n’y aura pas de sable dans cette partie.
Il restait une question à traiter, savoir si la province devait intervenir dans la dépense. Cet objet a attiré spécialement notre attention. J’en ai écrit aux états de la Flandre orientale et occidentale, mais ils n’ont pas voulu coopérer à la dépense.
L’on a fait remarquer qu’il ne s’agissait pas ici d’une affaire locale, mais bien d’une affaire d’intérêt général : qu’à l’égard de la navigation, la province du Hainaut avait un intérêt plus direct que les deux Flandres au libre usage du canal de Bruges, usage qui est en partie subordonné à l’ouverture du canal projeté.
Relativement aux propriétaires dont les terres sont actuellement en souffrance, on a fait remarquer que ces propriétaires, pour profiter du canal, seraient obligés de construire des rigoles, que leurs moyens d’écoulement sont compromis, et qu’il importe à l’Etat que des terrains aussi considérables soient rendus à un état de fertilité.
Il est inutile de relever ce qu’on a dit que ceci n’est qu’un commencement d’un grand canal de navigation qui nous dispenserait de nous servir de l’Escaut. Je crois que cette assertion n’a pas besoin d’être réfutée. On a déjà dit qu’un canal d’écoulement ne peut servir de canal de navigation, au moins dans les terres basses.
Je dirai en outre que si jamais il était question d’établir un canal de navigation, ce n’est pas dans cette direction qu’il devrait être établi.
Je ne relèverai pas non plus des considérations politiques qu’on a supposées ; car la politique est tout à fait en dehors de cette question. C’est une simple question d’utilité intérieure. Des travaux sont-ils utiles pour assurer la libre navigation des canaux des Flandres, pour soustraire cette partie du territoire à un état d’insalubrité à des pertes considérables ? Voilà les seules questions à résoudre ; aucune considération de politique étrangère ne peut être mêlée à ces questions.
Quant à l’exécution des travaux qu’un honorable membre a réclamée prompte, nous ne pouvons maintenant y consacrer plus de 550,000 fr. Ce ne sera qu’après ces travaux qu’on pourra entreprendre la construction de l’écluse. Alors on arrivera à l’approfondissement complet du canal. Mais ces travaux ne peuvent être commencés que l’année suivante.
M. Andries. - Le pays que j’habite est vraiment un pays de malheur, Les gouvernements qui ont précédé le gouvernement actuel, l’ont presque toujours traité comme un pays indigne de leur attention. Qu’ont-ils fait ? Le gouvernement autrichien, en 1717, par le traité des barrières, a admis par l’art. 17 de ce traité que notre pays pouvait être inondé pour la défense de la Hollande, en cas de guerre. La politique engageait alors l’Autriche à faire cause commune avec la Hollande contre la France. Encore aujourd’hui, la Hollande a la possibilité d’entourer d’eau toutes les places fortes sur la rive gauche de l’Escaut.
Je voudrais que l’on enlevât à la Hollande jusqu’au dernier espoir de suivre ce système.
L’exécution d’un nouveau canal aura cet effet-là. Sous ce rapport, ces travaux ont évidemment un but politique.
Quel intérêt a la Hollande à la possession de la rive gauche de l’Escaut ?
C’est un pays qui ne produit pas ce qu’il coûte à l’Etat, et est à charge à la Hollande. Il est bien certain que la rentrée des impôts ne suffit pas pour payer les frais à charge de l’Etat. Le gouvernement est obligé d’y mettre du sien.
La position de la rive gauche de l’Escaut est cependant intéressante pour la Hollande, sous deux rapports. Elle veut conserver cette position pour dominer l’Escaut. J’espère que le statu quo deviendra permanent, que la Hollande doit abandonner à jamais l’espoir de dominer l’Escaut. Je mets ma confiance dans l’esprit national, dans l’esprit même des peuples qui regardent les grands fleuves comme appartenant à tout le monde.
La rive gauche perdra ainsi une partie de son importance pour la Hollande.
Le second motif qui engage la Hollande à conserver la rive gauche de l’Escaut, c’est la position militaire. La Hollande peut débarquer ses troupes à Breskens et introduire des garnisons dans les places les plus avancées sans aucun risque, car ces places sont inattaquables à cause des eaux. Les garnisons de ces places ont la faculté de faire des sorties dans notre pays quand elles le jugent convenable.
Ainsi les négociations et la position du canal de Zelzaete feront en sorte que la rive gauche de l’Escaut n’aura plus aucune importance pour la Hollande. Si l’honorable M. Dumortier craint que la construction de ce canal ne nous enlève la libre navigation de l’Escaut (ce que je ne crains en aucune manière), moi j’ai une espérance tout opposée, c’est que cette construction nous amènera insensiblement la possession de la rive gauche de l’Escaut, parce que la position des habitants ne sera plus tenable.
La rive gauche ne produit que des céréales. C’est un pays uniquement adonné à l’agriculture, il n’a d’autre débouché que le chez nous. Nos lois de douanes ont beau imposer un droit considérable sur l’entrée de leurs grains, ils n’hésitent pas à les vendre chez nous. Ils s’estiment heureux de faire un bénéfice de 4 fr. seulement sur chaque sac de grains, tant sont lourds les impôts qu’ils ont à payer au gouvernement hollandais. Vous ne sauriez croire jusqu’à quel point de misère en est arrivé ce pays qui était considéré naguère comme un modèle de prospérité agricole. La révolution lui a porté un coup mortel. Les ennemis les plus déclarés de la révolution regrettent de ne s’y être pas ralliés.
Quelles seront les conséquences de la construction du canal de Zelzaete pour ce pays ? Ce canal leur enlèvera l’eau douce, car il n’y a guère d’eau potable que celle des citernes. On ne trouve le plus souvent dans les puits que l’on creuse, que de l’eau tant soit saumâtre. En un mot, beaucoup d’habitants de la Zélande ne boivent leur thé qu’avec l’eau des Flamands. (Hilarité.) Par ce canal, ils seront privés de leur eau douce. De plus, ils se trouveront privés également des débouchés que la nature leur conserve encore, mais qu’elle leur enlève journellement.
C’est un fait que nous luttons depuis trois siècles contre les atterrissements que la mer forme de tous les côtés. La ville de Dam a été un port de mer, aujourd’hui elle se trouve à deux lieues de la mer. L’histoire atteste ce fait.
Le jeudi qui précéda la Pentecôte de l’année 1213 eut lieu une bataille navale dans le port de Dam, où quatre cents vaisseaux furent enlevés aux Français par la flotte combinée des Anglais et des Flamands. Le roi Philippe-Auguste mit le feu à mille bâtiments qui lui restaient encore, parce qu’il ne put les soustraire autrement à l’ennemi ; et cependant aujourd’hui la ville de Dam est à deux lieues de la mer.
Ardenburg a été également un port de mer. D’après les témoignages les plus dignes de foi, son port pouvait contenir 600 vaisseaux. En 1811, je me rappelle y avoir vu un petit bâtiment de commerce. Aujourd’hui il n’y a plus même d’eau salée dans cette ville.
La concession accordée par l’empereur au général Vandamme consistant dans la faculté d’endiguer toutes les terres que celui-ci jugerait convenable d’endiguer a eu pour résultat de fermer le canal qui faisait communiquer Ardenburg avec la mer, et de mettre à sec toutes les terres environnantes.
Allez à Philippine : c’était un port assez considérable en 1600, si l’on en croit l’histoire. C’est là que le prince Maurice a abordé avec 1,000 vaisseaux et de là s’est rendu à Nieuport pour y livrer la célèbre bataille de ce nom. Là où manœuvrait une belle flotte au XVIIème siècle, paissent aujourd’hui dans la belle saison des troupeaux de moutons.
Le golfe ou la mer de Zwyn (Portus Euvinus) a été un bras de mer, aussi large que l’embouchure de l’Escaut. L’histoire est encore la pour affirmer le fait. Il fut donné à l’écluse du Hazegras une bataille navale, c’est-à-dire dans un endroit où un vaisseau de médiocre grandeur aurait peine à passer aujourd’hui. L’historien français où je puise ces renseignements cite le nom de Assegarse (Hazegras).
Cette bataille eut lieu en 1340, 260 vaisseaux anglais commandés par Edouard IIl y mirent en déroute une flotte française supérieure en nombre. Aujourd’hui l’on passe à gué cet endroit. L’on va presque à pied sec jusqu’au territoire hollandais.
L’on a constaté un fait qui explique la progression prodigieuse des atterrissements, c’est que les eaux intérieures qui débouchent dans ces parages sont chargées de molécules terreuse qui leur donnent les propriétés fécondantes du Nil. Aussi, les bancs que forment ces atterrissements ne manquent pas, dès qu’ils sont découverts par la marée, de se couvrir de végétation et d’empiéter avec rapidité sur les eaux. Naturellement, si nous enlevons aux Hollandais le secours de nos eaux, il arrivera que ces atterrissements seront plus rapides, et nul doute que dans quelques années l’on ne verra plus arriver une seule barque à l’Ecluse.
Je sais de source non suspecte que depuis la révolution le port de l’Ecluse est sensiblement comblé. Cela prouvé de ce que la Hollande ayant tenu les alentours continuellement sous les eaux, il n’a pas été possible de profiter des écluses de chasse. Ainsi, voilà un changement qui est sensible au bout de cinq ans. N’envoyez plus une seule goutte d’eau dans la Flandre hollandaise, et dans peu le Capitalen-Dam ne sera plus qu’une écluse secondaire. Il faudra aller 500 mètres plus loin pour trouver un débouché plus stable. C’est pour combattre ces atterrissements que les habitants des Flandres ont exécuté avec des frais énormes des travaux qui n’ont produit que de minces résultats.
Résumons-nous en peu de mots.
Sous le rapport politique, la construction du canal produira un grand bien, en forçant insensiblement la Hollande à abandonner le territoire de la rive gauche de l’Escaut, en lui enlevant à peu près tous les débouchés vers la mer par les ensablements successifs.
De plus, l’entretien de ces débouchés restera exclusivement à la charge de la Hollande. Aujourd’hui c’est la Belgique qui paie la meilleure partie. Mais du moment que la Belgique n’a plus besoin de ces débouchés, elle pourra se dispenser de payer les frais de leur entretien.
Ainsi, après avoir été victimes des vexations de nos voisins pendant tant de temps, le moment est venu où nous devons changer de position. Nous avons maintenant le bonheur d’être gouvernés par des Belges et de n’avoir plus à débattre nos intérêts particuliers qu’entre Belges. Les rôles vont donc changer. Les Hollandais, au lieu de continuer à nous vexer comme ils font fait pendant trois cents ans, seront forcés de nous demander la permission de prendre part à notre canal, car leurs débouchés, le Pas-Water, le Capitalen-Dam et l’écluse Isabelle, se fermeront. Ils viendront alors nous demander la participation à notre canal, et ce sera à nous à leur dicter la loi.
Cet ensablement des différents débouchés de la Hollande qu’on peut si facilement constater, se constate également au débouché de Hazegras auquel certain député attache une si grande importance. J’attache moi une grande importance au suffrage de cet honorable membre, parce qu’il a dit que si on parvenait à le convaincre de la nécessité du canal, il donnerait son assentiment au projet.
Il est certain que le Hazegras devant lequel une bataille navale très marquante dans l’histoire a été livrée, se trouve réduit à une simple rigole. Devant l’embouchure même de l’écluse du Hazegras se trouve un grand banc de sable qu’on appelle schorre. Schorre, dans son sens primitif, veut dire un terrain qui est tantôt couvert et tantôt découvert par la marée.
Il est couvert à marée haute et découvert à marée basse. Et ce bras de mer sur lequel naviguaient autrefois des flottes considérables, on peut aujourd’hui, à marée basse, le passer à gué.
S’il plaît aux Hollandais, ils peuvent endiguer ce schorre, le rendre cultivable, en l’entourant d’une digne, afin que la marée n’y entre pas. On laisse pendant un certain temps ces lagunes dans cet état, et ensuite elles produisent pendant plusieurs années sans frais de culture.
N’en doutez pas, ces messieurs ne manqueront pas d’inventer toutes sortes de moyens pour vous vexer, parce qu’ils ont été trop longtemps dans l’orgueilleuse position de nous vexer et de nous dicter la loi, et ils s’en sont trouvés fort bien, parce que s’ils vous ont rendu des services, ce n’a été qu’en se faisant bien payer, malgré les traités. On a invoqué le traité de Fontainebleau, mais il n’a rien produit. L’empereur Joseph Il avait envoyé dans les Flandres un commissaire spécial, le colonel du génie de Brou, chargé de l’exécution de tous les travaux relatifs aux eaux des Flandres. Il attachait une grande importance à finir cette affaire, comme il faut la finir une bonne fois ; il donna à cet ingénieur des pouvoirs extraordinaires ; il ne correspondait qu’avec le ministre qui était à Bruxelles.
Le colonel de Brou a assisté à toutes les conférences avec les commissaires hollandais. Heureusement j’ai trouvé aux archives du royaume la correspondance du colonel ; j’ai fait quelques extraits qui trouveront ici leur place.
L’honorable M. Dumortier ne révoquera pas en doute les vexations que nous ont fait éprouver les Hollandais. Il a avoué hier que les Hollandais mettaient toujours entraves sur entraves.
Il est possible qu’il parlait d’une époque antérieure. Mais je dis que, depuis le traité de Fontainebleau, ce n’allait pas mieux qu’auparavant.
Le colonel de Brou, fatigué de l’inutilité de ses démarches, et des faux-fuyants que lui opposaient les commissaires hollandais, dit dans un mémoire qu’il envoya au ministre Relgiojoso à Bruxelles :
« Je prévois, y est-il dit, malgré toutes nos réclamations, que les Hollandais ne céderont jamais à nos justes prétentions. Le seul moyen de parer aux maux que les écluses hollandaises causent aux sujets de S. M., c’est de faire un canal de décharge depuis les environs du Sas-de-Gand jusqu’à la mer vers l’écluse d’Isabelle près du Hazegras. »
C’est véritablement là l’origine de l’idée du projet dont il s’agit. M. Dumortier a exhumé un autre projet qui date de 1698, de faire un canal du fort Sainte-Marie sur l’Escaut jusqu’à la mer. Mais ce projet n’était pas tel qu’il vous l’a décrit. Ce projet était de creuser un canal du fort Sainte-Marie à travers le pays de Waes jusqu’à Gand, en prenant là les canaux de Bruges et d’Ostende. Mais l’orateur n’a pas dit que le roi d’Espagne, Charles II, rattachait ce projet à un autre, à savoir le commerce avec les Indes ; il a octroyé à la même époque une compagnie de commerce avec les Indes. Mais ces projets n’ont été que des projets en l’air, qui ont expiré avec le souverain qui est venu à mourir quelque temps après.
Il faut remarquer que les négociateurs autrichiens se sont laissé jouer assez joliment, en se contentant de l’insertion, dans l’art. 6 du traité, des mots : « A la satisfaction de l’empereur. » D’après cela, ces messieurs se flattaient d’obtenir la cession de Philippine, parce que, de ce côté, il était incontestable qu’il n’y avait que ce seul moyen d’assécher les terrains. Mais lorsqu’on est venu à lâcher le mot, quand on a lâché cette prétention, elle a été hautement repoussée par les commissaires hollandais. C’est alors que le colonel de Brou a été si découragé qu’il a proposé la construction du canal qui, aujourd’hui, j’espère, n’aura pas le malheur d’être repoussé.
L’honorable M. Dumortier, dans la séance d’hier, a dit qu’avec le canal de Terneuzen on pourrait inonder les Hollandais. Je prie la chambre de remarquer que je ne trouve aucunement cette faculté pour nous dans le canal de Terneuzen ; je trouve au contraire que ce canal a un trop plein qu’il reçoit de l’Escaut et que les Hollandais ont eu le soin de former une belle écluse en amont du Sas-de Gand, de telle sorte qu’au lieu de pouvoir leur envoyer plus d’eau qu’ils n’en veulent, c’est à leur bon plaisir que nous nous trouverons livrés, et que si le trop plein du canal de Terneuzen n’est pas déchargé par les Hollandais, ils peuvent nous inonder les deux rives jusqu’à la ville de Gand.
Ainsi ce canal au lieu de vous présenter un avantage, est une épée que les Hollandais peuvent vous enfoncer.
J’espère que le ministre de l’intérieur sera convaincu que le projet soumis à notre vote est indispensable. Je crains cependant qu’il ne veuille que bercer la nation par un commencement d’exécution sans avoir la bonne volonté d’achever le travail. Le but du ministre est de mettre à couvert le canal d’Ostende. Ainsi, quand le canal de Dam sera fait, le canal d’Ostende sera à couvert, et la tâche du gouvernement se trouvera accomplie.
D’après mes explications, la nécessité de le continuer jusqu’à Zelzaete est démontrée, pour enlever aux Hollandais le moyen de faire des inondations, et pour donner aux propriétés un desséchement complet et suffisant. Le ministre de l’intérieur voudrait que pour la continuation du canal depuis Dam jusqu’à Zelzaete on attendît : il ne sera jamais difficile, dit-il, de l’exécuter, ce sera un moyen d’obliger les Hollandais à être sages à notre égard.
Cela me fait croire que le gouvernement n’est pas convaincu de la nécessité d’achever le travail, et qu’il veut se contenter d’être en position de menacer, se borner à des menaces pendant des années tandis que des habitants des frontières continueront à souffrir et à être victimes d’un fléau qui désole le pays. Car, il faut que vous sachiez que les Flandres ne supportent pas seulement les pertes qu’on constate officiellement, il en est beaucoup d’autres qui sont inappréciables, mais dont l’appréciation est difficile ; par exemple, la moins-value annuelle des terres qui ne sont pas littéralement inondées, mais qui ne répondent pas aux sacrifices du cultivateur, à cause des quasi-inondations auxquelles elles sont annuellement sujettes. Vous seriez effrayés, messieurs, de l’énorme perte à laquelle l’insouciance des gouvernements nous a condamnés, si je pouvais vous en présenter la juste appréciation.
Quant à ce qui regarde l’emploi du canal pour dessécher les terres, j’ai aussi trouvé sur cet objet l’opinion de l’ingénieur déjà cité. Il prétendait que faire un canal à deux fins, que faire un canal pour la navigation et l’écoulement des eaux, c’était faire chose mauvaise et pour l’agriculture et pour le commerce. C’est dans un mémoire adressé au même ministre plénipotentiaire à Bruxelles que l’on trouve son opinion.
Voici ce qu’il dit : « Les inondations se forment au printemps et à l’automne. C’est aussi le moment que le commerce a le plus besoin du canal d’Ostende. Il arrive que le commerce arrête l’opération de baisser les eaux le plus longtemps possible ; et en attendant les inondations se forment dans tout le pays, et une fois les terres couvertes d’eau à l’arrière-saison, leur décharge complète est devenue impossible à cause de toutes les pluies d’hiver qui viennent s’y joindre ; néanmoins pendant une partie de l’arrière-saison et presque pendant tout l’hiver, la navigation est tout à fait interrompue par la baisse des eaux du canal, et malgré ce sacrifice du commerce, les terres restent toujours inondées et cessent d’être propres aux grandes cultures. Cet état subsiste toutes les années jusque vers le mois de mai, temps où il n’est plus permis d’y semer d’autres grains que des grains de mars. »
Par la construction d’un canal de décharge il résultera des avantages incalculables pour une vallée qui comprend cent mille hectares et cent mille habitants, c’est-à-dire la quarantième partie de la population du royaume. Des terres qui maintenant sont de peu de valeur doubleront, tripleront de prix. Il y un village, celui de St-Laurent, qui a une étendue de deux à trois mille bonniers, dont la population n’est pas en proportion de son étendue, et qui est destiné à devenir un des plus beaux villages du royaume, car il pourra avoir facilement quatre à cinq mille habitants, ses terres étant des meilleures de la contrée.
Mais le canal aura encore pour effet inévitable d’alimenter le trésor, car rien n’alimente autant le trésor que l’augmentation de la valeur des terres.
Messieurs, ce n’est pas par un esprit étroit d’intérêt local que j’ai porte la parole aujourd’hui. Je n’écoute pas de pareilles inspirations ; c’est comme Belge et non comme Flamand que j’ai émis mon avis : comme Belge, je m’intéresse à toutes les parties de mon pays, car c’est du bien-être de toutes les parties du royaume que résulte le bien-être de son ensemble. On verra que telle est en effet ma pensée quand plus tard on discutera le projet de loi relatif aux réparations qu’exigent les rives de la Meuse ; ce n’est pas moi qui, par mon vote, repousserai les moyens que l’on peut avoir pour empêcher d’engloutir les habitations des propriétaires des bords de ce fleuve. Je voterai également pour l’emprunt des six millions que l’on propose d’affecter à la construction des routes dans la Belgique.
Cependant je sais bien que les Flandres n’obtiendront pas, sur cette somme, une portion proportionnelle à leur importance ; elles font le tiers de la totalité du pays ; on ne leur appliquera certainement pas le tiers de l’allocation. Quoi qu’il en soit, je voterai pour que des routes soient ouvertes dans les provinces moins heureuses que les nôtres. Je suis sensible à tous les malheurs ; c’est ainsi que j’entends ma mission ; c’est avec le caractère de Belge et non avec celui de l’élu de telle ou telle localité, que je contribuerai de tout mon pouvoir au bonheur de tous les Belges.
M. Gendebien. - Je ne conteste pas l’utilité du canal de Dam, pas même celle du canal de Zelzaete jusqu’à la mer. Je reconnais même la nécessité de ces travaux. La demande que l’on vous fait, l’énorme contribution que l’on veut faire peser sur le pays, est une conséquence de toutes les déceptions diplomatiques, au moyen desquelles on a fait les affaires de tout le monde, excepté de la Belgique.
Lorsqu’il s’est agi des 18 et des 24 articles, nous avons démontré, l’histoire à la main, que la promesse formelle, l’engagement d’honneur, que le pays jouirait de toutes ses immunités et privilèges territoriaux, spécialement du droit de faire écouler ses eaux par la Zélande, n’étaient qu’un leurre, qu’une manière de tromper le pays. Nous avons soutenu alors que le seul moyen de conserver l’écoulement naturel de nos eaux était d’insister sur notre droit incontestable sur toute la rive gauche de l’Escaut.
On a arraché au congrès un vote pour l’abandon de la rive gauche de l’Escaut, en faisant entrevoir le peu d’intérêt que nous aurions à sa possession, parce qu’elle n’avait d’autre avantage que cet écoulement des eaux ; et on donnait l’assurance formelle que nous continuerions de conserver l’écoulement naturel de nos eaux ; que cette stipulation était garantie par les cinq puissances.
Depuis lors beaucoup d’autres déceptions sont venues nous dessiller les yeux.
Ce sera donc une contribution à ajouter à la dette énorme de 8,400,000 florins par année, qui, remarquez-le bien, était destinée à dédommager la Hollande de la servitude que nous lui imposions de recevoir nos eaux.
Une partie de la dette représentait, disait-on, l’indemnité due à la Hollande pour l’entretien des travaux hydrauliques, nécessaires à cet écoulement.
On a annoncé, à cette époque, que le budget de la guerre allait être diminué de 25 millions, et les impôts réduits de 50 pour cent.
Depuis, les impôts ont toujours été en augmentant ; et on va encore ajouter à ces impôts les charges résultant d’un travail devenu nécessaire parce que le gouvernement n’a pas eu l’énergie nécessaire pour faire exécuter un traité ; et remarquez-le bien, notre dette de 8,400,000 florins ne diminuera pas d’un centime.
Quoi qu’il en soit, sans admettre aussi facilement que nos doctrinaires, sans doctrines et sans principes, les faits consommés, et tout en espérant au contraire que l’on aura un jour le courage de reprendre ce que l’on a eu la faiblesse d’abandonner, et précisément parce que le projet peut faciliter la conquête de ce qu’on a arraché à la faiblesse de notre gouvernement, je suis disposé à voter pour la proposition en discussion. Mais j’ai besoin de quelques explications avant de me prononcer définitivement.
Il est une question que j’ai déjà soulevée hier, et sur laquelle je demande une explication franche et nette : aux frais de qui le canal, soit de Dam à la mer, soit de Zelzaete à la mer, doit-il être exécuté ? Le canal réduit à la simple proportion d’un canal d’écoulement des eaux de Dam à la mer pourrait être à la charge de ceux qui en profitent.
On pourrait soutenir cette thèse, surtout ceux qui ont contesté la nécessité d’indemniser complètement tous ceux qui ont souffert pendant les glorieuses journées de septembre à Bruxelles, et que par conséquent les charges du canal projeté doivent incomber à ceux qui en profiteront. Je n’ai jamais varié de principe sur cette question. Je ne varierai pas encore aujourd’hui. J’ai dit depuis 5 ans que tous les désastres de la guerre doivent être supportés par la nation. Si la moitié de la nation était ruinée, disais-je en novembre 1830, l’autre moitié devrait partager avec elle.
Partant de ce principe, je dis : Le canal de Dam à la mer, surtout s’il part de Zelzaete, ne peut pas être en totalité à la charge des propriétaires des Flandres, parce que ce canal est le résultat d’une nécessité politique admise par le congrès ou plutôt par le gouvernement produit du congrès. Les habitants des Flandres avaient un écoulement naturel à travers la Zélande ; ils avaient des rigoles, des écluses débouchant à la mer. Il est certain que par suite du traité des 18 et 24 articles non exécuté, ou plutôt à cause de la non-exécution de ces traités, les propriétaires des Flandres se sont trouvés privés du moyen d’écouler leurs eaux, de tous les travaux qu’ils avaient faits pour se procurer cet écoulement. Il faut donc que la généralité y pourvoie, que la généralité remette ces habitants dans l’état où ils étaient avant notre séparation de la Hollande.
Mais si d’un côté nous devons remettre les habitants des Flandres dans la position où ils étaient avant notre séparation de la Hollande, d’un autre côté, nous devons être dans la même position ; or, avant notre séparation de la Hollande, les propriétaires des terrains asséchés, au moyen de travaux hydrauliques maintenant en possession de la Hollande, payaient une contribution à une association connue sous le nom de wateringues ; cette association prélevait une contribution sur tous les propriétaires qui profitaient de l’écoulement des eaux. Ils paient encore, dit-on ; soit, mais la question est de savoir s’ils paieront tout ce qu’ils payaient avant la guerre.
Plusieurs membres. - Oui ! oui !
M. Gendebien. - Nous verrons bien ; mais ce point est le point délicat, le point difficile à établir, le point qu’il est indispensable d’établir dans la loi.
Je répète mon argument ; il est certain que l’on ne peut imposer la charge entière aux propriétaires, puisque c’est par le fait du gouvernement qu’il y a des travaux à exécuter. Mais il est certain qu’ils doivent payer la même contribution qu’ils payaient avant l’exécution des travaux.
Je voudrais donc que les députés des Flandres qui connaissent la position des lieux, les rapports des propriétaires à l’égard des wateringues, s’exprimassent avec la même netteté, avec la même franchise (j’ai le droit de le dire) que j’apporte dans cette discussion.
Je demande que l’on insère dans la loi un article qui détermine les rapports nouveaux des propriétaires avec le gouvernement, en raison des travaux qu’il va exécuter aux frais de la généralité. Précédemment ils étaient en rapport avec l’association des wateringues. Maintenant ils vont être en rapport avec le gouvernement.
Je désire que ces rapports soient établis par une loi. Je ne veux pas retarder la discussion. Je demande simplement qu’il soit fait une réserve dans la proposition. Je ne veux pas que quand les travaux seront faits, on s’oppose à une contribution équitable ou qu’on se plaigne d’un impôt énorme. Je demande que l’on discute les bases de la ventilation qui doit nécessairement s’établir sur la quotité des charges de chacun, en raison de la position nouvelle des propriétaires des Flandres. Voilà un des points sur lesquels je demande à être éclairé.
J’aborde maintenant la question du canal en elle-même ; elle me semble devoir être résolue affirmativement. Je reconnais l’utilité du canal de Dam à la mer, mais si j’ai bien compris tout ce qui a été dit dans les séances d’hier et surtout d’aujourd’hui, je considère le canal de Zelzaete à Dam comme bien autrement important que celui de Dam à la mer. Ce dernier est d’un intérêt purement local, qui n’a aucun point de contact avec l’intérêt général. Mais celui de Zelzaete à la mer est d’un intérêt général qui me semble incontestable.
Si vraiment le canal de Zelzaete à la mer est une bonne ligne de défense contre la Hollande, si vraiment il est un obstacle à la défense des Hollandais dans la Zélande, nous ne pouvons mettre trop tôt la main à l’œuvre. C’est un moyen économique de défendre notre territoire ; car les inondations, comme l’honorable préopinant le faisait connaître tout à l’heure, ne mettent pas seulement à couvert les garnisons qui conservent la rive gauche de l’Escaut au profit de la Hollande, mais elles donnent à la Hollande la possibilité de réunir dans un temps donné des forces assez considérables pour envahir les Flandres et pour arriver au cœur du pays.
Les Hollandais forceraient ainsi notre armée occupant la ligne de la Campine à faire diversion pour venir défendre les Flandres ; et pendant une marche assez longue de nos troupes, ils auraient bientôt abîmé ce beau pays.
Je ne comprends donc pas comment le ministre abandonne si légèrement et même si dédaigneusement la question politique ; car pour moi, la question principale que doit soulever le canal est purement politique, et je n’y vois d’intérêt général proprement dit que dans ce point.
Peut-on dire sérieusement que le pays tout entier est intéressé à l’écoulement des eaux des Flandres, parce que les eaux entrant dans le canal de Bruges à Ostende peuvent entraver la navigation de ce canal ? Peut-on dire que les habitants du Hainaut, usant de la navigation dans le canal de Bruges, sont intéressés à en conserver la bonne navigation, et que par conséquent ils doivent contribuer à faire le nouveau canal ? Mais si ces raisons étaient vraies, l’Angleterre, la France, les Etats-Unis, tous les pays qui usent de nos canaux, devraient contribuer à l’exécution de ce canal ; car leurs marchandises passent sur le canal de Bruges, comme les produits de la province du Hainaut. Vous voyez donc que vous allez trop loin, et que par conséquent vous n’arrivez nulle part car qui prouve trop, en bonne logique, ne prouve rien.
Il faut donc abandonner ce misérable argument qui n’est qu’une véritable niaiserie. Ce n’est pas ainsi que j’entends l’intérêt général, ce n’est pas avec de pareils arguments qu’on me convaincra.
Les Flandres ont un intérêt incontestable, et j’ose le dire, local, à l’exécution des travaux projetés ; le pays y est également intéressé. Cela est incontestable, mais il n’est pas intéressé dans le sens qu’on affecte de le dire.
Ne réduisons pas la question à de mesquines discussions, à de misérables arguties d’intérêt particulier. L’intérêt général est tout entier dans la solution de cette question : Est-il vrai que le canal de Zelzaete à la mer soit un moyen de défense contre la Hollande ? Quant à moi, je pense que cette question doit être résolue affirmativement.
Est-il vrai que la Hollande peut être privée, par le projet en discussion, de moyens de défense et en même temps de moyens d’agression facile et instantanée ?
Je le pense ; mais sur ce point, qui est évidemment d’intérêt général, je demande d’être éclairé.
J’ai dit que les travaux sont sous certains rapports d’un intérêt général ; j’en conclus que la généralité doit contribuer à son exécution. Il y a donc deux motifs pour mettre en partie (sans en régler la quotité, ce que l’on fera plus tard par une ventilation), à la charge de l’Etat, une partie des dépenses : le premier, parce que les Flandres sont privées du moyen d’écouler leurs eaux ; le gouvernement ou plutôt la généralité leur doit donc une indemnité de ce chef. Le second motif pour mettre une partie de ces frais à la charge de l’Etat, c’est que le canal est utile pour la défense du pays et pour nous mettre en mesure un jour de reprendre (comme cela arrivera, je l’espère) la rive gauche de l’Escaut, que l’on a abandonnée, lâchement peut-être, mais, à coup sûr, par ignorance impardonnable des conséquences de cette faiblesse.
Après que l’on aura donné les explications que j’ai demandées, si je suis convaincu, je voterai pour la proposition. Je n’ai pas besoin de déclarer que je ne m’occupe pas d’intérêt particulier. Je ne stipulerai pas que les Flandres voteront dans tel ou tel sens, quand il s’agira de la province qui m’a confié le mandat de député. Je me confie dans la justice de la chambre ; je n’invoquerai jamais que sa justice, et je saurai toujours la réclamer avec force et indépendance en faveur de toutes les localités, mais aussi envers et contre toutes.
M. Hye-Hoys. - Messieurs, la nécessité de construire un canal d’écoulement pour les eaux des deux Flandres est d’une imminence généralement reconnue, non seulement dans l’intérêt agricole de ces provinces, mais aussi dans celui du trésor, qui voit lui échapper l’impôt foncier des terres inondées. Elle ne pas moins non plus dans l’intérêt des provinces, auxquelles la navigation sert de moyen de transport à leurs produits. Ce sont ces considérations puissantes et d’intérêt général, bien plus encore que d’intérêt local, qui ont fait proposer à votre commission des travaux publics d’accorder au gouvernement l’allocation qu’il demande pour commencer le creusement du canal de Zelzaete.
Voilà la sixième année, messieurs, que les Hollandais sont maîtres de nos écluses d’écoulement, et que les Flandres restent en grande partie inondées, dans la saison des pluies, par les eaux qui s’écoulaient auparavant par ces écluses ; calamité à laquelle on n’a trouvé d’autre remède temporaire que dans l’écoulement de ces eaux par le canal de Bruges à Ostende.
Mais ce moyen d’écoulement, insuffisant d’ailleurs, a sous tous les rapports, surtout sous celui de la navigation et du commerce les plus fâcheux résultats, en ce qu’il exige, pendant la moitié de l’année, la baisse des eaux du canal, et que la navigation se trouve ainsi interrompue, au grand préjudice du commerce qu’il paralyse.
Cette baisse des eaux, qui surprend toujours nécessairement un plus ou moins grand nombre de bateaux dans leur cours de navigation, est particulièrement à craindre pour ceux qui transportent les houilles et la chaux du Hainaut, en ce que reposant alors sur le fond du canal, et pouvant y reposer, tantôt obliquement, tantôt sur un fond inégal, le poids de leur chargement les disloque et les met toujours dans le plus grand danger.
Je crois inutile de m’étendre davantage sur l’urgence de procéder immédiatement à la construction du canal de Zelzaete, je ferai seulement remarquer qu’il y a urgence d’y procéder simultanément dans les deux Flandres, la Flandre orientale ne souffrant pas moins que la Flandre occidentale du défaut de moyen d’écoulement de ses eaux, et qu’il est de toute justice distributive de les soulager à la fois et au même titre.
Je ne ferai plus qu’une réflexion, messieurs, c’est que la construction du canal de Zelzaete, si elle est commandée par les souffrances de l’agriculture, de la navigation, du commerce, par l’intérêt général du pays, l’est aussi par l’honneur national qui ne nous permet pas sans lui porter une atteinte sensible, de laisser nos concitoyens dans la position de ne recevoir le soulagement qu’ils réclament que du bon plaisir de nos ennemis, et nous impose le devoir de les soustraire nous-mêmes par une dépense utile et qu’il est en notre pouvoir de faire l’humiliation d’en solliciter une faveur, que nous devons, en vrais Belges, en Belges indépendants de nos voisins, avoir la noble fierté de ne pas attendre de leur capricieuse commisération.
Je voterai par ces considérations pour l’allocation du subside demandé par le gouvernement.
M. A. Rodenbach. - M. Gendebien convient que, lorsque par suite d’une révolution, un pays a perdu une limite, une frontière qui le défendait, il est juste, pour que l’ennemi ne profite pas de l’absence d’une ligne défensive, de lui donner une nouvelle frontière.
Il a dit également qu’il suppose que la province doit subvenir dans la dépense dont nous examinons l’utilité en ce moment. Sans doute, lorsqu’il s’agit de travaux hydrauliques de peu d’importance, c’est à la province à en payer la dépense ; mais lorsqu’il s’agit de grands travaux qui intéressent la généralité, c’est à l’Etat à les payer.
C’est ainsi que nous votons annuellement au budget une somme de 250,000 fr, pour réparations et entretien des digues de la mer.
Il s’agit aujourd’hui de donner aux Flandres une frontière qui les mette à l’abri d’une inondation de 100 à 200,000 bonniers, attendu que les Hollandais sont maîtres des eaux de ces deux provinces. Il ne s’agit donc pas ici de construire un canal provincial, mais un canal gouvernemental.
Je conviens avec l’honorable préopinant que les propriétaires devront contribuer à la dépense. Mais il faut remarquer qu’aujourd’hui ils paient aux Hollandais un florin par bonnier pour entretien des digues. Le canal construit, ils ne seront plus soumis à cet impôt. Quelquefois l’on exige une cotisation plus forte encore de la part des habitants des polders, il y a des laboureurs qui sont obligés de payer pour les eaux qui viennent de Hollande en même temps que pour les eaux qui viennent de la France et du Hainaut.
Est-il juste que la charge résultant de la construction du canal de Dam retombe sur eux seuls ? C’est comme si l’on voulait faire payer aux habitants voisins de la mer les frais des digues. De même que l’Etat empêche la mer de submerger le pays, l’Etat est tenu de préserver les Flandres de l’inondation qui résulterait des eaux venant du Hainaut et de la France.
En terminant, je prierai la chambre de ne pas oublier le passage du rapport de M. Vifquain, où il est dit que la Flandre est prête à abandonner au gouvernement le produit de ses canaux. Ce qui prouve qu’elle n’est pas guidée par un étroit esprit d’égoïsme.
M. Gendebien. - L’honorable M. Rodenbach ne m’a pas compris. Je m’en réfère au Moniteur et à la manière dont d’autres honorables membres m’auront compris. Pour que l’on ne garde aucun doute sur les principes que je professe dans cette matière, je déclare, comme je l’ai déjà dit à dix reprises différentes que, si la nation est juste, elle doit indemniser tous les propriétaires dont les propriétés ont été inondées depuis le commencement de la révolution.
Maintenant il n’y a plus moyen de contester le principe que j’ai avancé. Je n’en dirai pas davantage. Je le répète, M. Rodenbach ne m’a pas compris.
M. Van Hoobrouck. - En adoptant le projet présenté par M. le ministre de l’intérieur, je demande qu’il ne soit rien préjugé sur la nécessité de construire le canal jusqu’à Zelzaete. Je vous prie de remarquer que les considérations que l’on a fait valoir dans la discussion se rapportent particulièrement à la partie du canal entre Dam et Zelzaete. Je ne répéterai pas les considérations de la plus haute importance qu’a fait valoir l’honorable M. Andries.
Je crois cependant devoir répondre un mot à l’honorable M. Gendebien.
L’honorable membre, si je l’ai bien compris, a demandé si les propriétaires des polders qui paient une contribution extraordinaire pour les travaux des digues, continueraient à la payer lorsque la construction du canal viendrait à rendre ces travaux inutiles.
Je pense que partout où la construction du canal rendra inutiles les travaux destinés à l’écoulement des eaux, les propriétaires devront continuer à payer cette contribution extraordinaire qui serait alors perçue par le gouvernement. Mais c’est une question qui doit être mûrement pesée. Cela peut faire l’objet d’une loi et même d’une administration particulière. Si je ne me trompe, la province elle-même a offert de céder au gouvernement les péages sur les canaux de navigation et d’écoulement, à condition que le gouvernement se charge de l’écoulement des eaux. Mais il faut que ce travail soit entier, qu’il pare à tous les inconvénients qui se sont présentes depuis la révolution dans les Flandres.
Je puis assurer que dans ce cas, les propriétaires consentiraient à payer au gouvernement les impôts qu’ils paient à des administrations privées.
M. Andries. - J’ai dit que chaque polder a une administration particulière composée d’un directeur et d’un secrétaire-trésorier. D’après la loi française les propriétaires des polders se réunissent chaque année pour s’imposer une cotisation par bonnier qui couvre les frais d’entretien des rigoles et des chemins. Ces administrations sont donc indépendantes. Elles se cotisent elles-mêmes, elles font un rôle de recouvrement. Il faut être possesseur de tant de bonniers pour avoir droit de voter à l’assemblée générale.
Le rôle de recouvrement est soumis à l’approbation du gouvernement ; et il devient dès lors exécutoire. Le secrétaire-trésorier a les mêmes droits qu’un receveur de contributions directes.
Dans quelques localités, les impositions sont excessivement élevées. Il y a des polders où l’on paie jusqu’à dix francs par bonnier. Ainsi un propriétaire de cent bonniers paie mille fr. et s’estime trop heureux d’échapper aux ravages de l’inondation.
Chaque polder a en outre une autre charge s’il est éloigné de la mer. Si ses eaux doivent passer par un autre polder avant d’arriver à la mer, il faut qu’il s’entende avec le polder voisin.
Ainsi, le polder de Middelbourg se décharge dans un polder au sud de la digue de St-Pierre. Il paie à celui-ci 10 cents par bonnier, à cette condition qu’une éclusette soit construite à l’entrée du second polder pour l’écoulement des eaux du premier, éclusette dont celui-là a la clef et qu’il n’ouvre que quand l’écoulement de ses propres eaux le permet. Ce n’est pas tout. Entre ce second polder et la mer, il y en a un troisième à qui le premier, celui de Middelbourg, paie aussi une redevance de 10 cents par bonnier. Ainsi, outre les charges particulières, il paie encore 60 florins pour faire écouler ses eaux jusqu’à la mer.
Enfin il existe une troisième charge commune à tous les polders, qui sert à l’entretien de l’écluse de mer. Il y a à cet effet une direction composée de députés de tous les polders qui déchargent par cette écluse de mer : c’est ainsi que l’écluse du Pas-Water donne passage aux eaux d’une dizaine de polders. Elle est confiée aux soins d’une direction particulière, et chaque polder contribue aux frais de son entretien selon son étendue particulière.
Depuis plusieurs années, l’on a reconnu l’insuffisance de ces écluses. C’est ainsi qu’en 1829, lorsque les deux royaumes étaient unis encore, alors que le gouverneur de la Flandre orientale était en relation continuelle avec le gouverneur de la Zélande, province qu’il avait lui-même administrée, aucune précaution n’a pu empêcher l’inondation d’une quantité de terres. Je regrette de ne m’être pas informé auprès du directeur des contributions à Gand, du montant des non-valeurs que les recettes de l’Etat ont éprouvées dans cette année.
C’est en 1831 que le gouvernement a dû payer cela, qu’il a réparé un tort fait au pays avant la révolution. Je regrette de ne pouvoir pas donner le chiffre auquel cela s’est monté.
Mais d’où vient que les écluses ne sont pas suffisantes pour l’écoulement des eaux ? C’est l’ensablement qui en est d’abord une cause générale et permanente. Ensuite l’agriculture a fait des progrès très grands. Autrefois les cultivateurs exploitaient de plus grandes fermes ; mais l’accroissement de la population a entraîné le morcellement des propriétés, et l’industrie est devenue plus active. Autrefois un bon fermier qui cultivait 300 bonniers se promenait tranquillement sur ses terres, et s’il trouvait quelque bassin ou bas-fond sur ses terres, rempli d’eaux pluviales, il disait : J’en ai vu autant du temps de mon père, et il ne s’inquiétait pas de donner une issue aux eaux.
Aujourd’hui l’eau du ciel tombe : un quart d’heure après, c’est à peine si on s’en aperçoit sur les terres. Elle se trouve dans la rigole, et elle passe de là dans les canaux qui ne peuvent plus suffire.
Il y a d’autres causes à l’insuffisance des écluses, c’est le défrichement des bois ; rien ne retient plus les eaux que les bois. Car elles se trouvent arrêtées dans les fossés rarement curés et remplis de feuillages. Or, plus de mille hectares de bois sont devenus des terres labourables : les eaux qui séjournaient là autrefois pendant des mois en descendent et forment des masses d’eau qui tombent dans des rigoles trop étroites, s’y accumulent et débordent, devant tarder trop longtemps avant la mer.
D’après ce que je viens de dire des trois obligations qui incombent aux polders, je veux bien avouer qu’il y aura soulagement ; sous tous les rapports, ce sera une conséquence du meilleur débouché que vous allez faire. Ce ne sera pas un ouvrage mesquin, ce sera quelque chose de solide ; et dans les temps orageux, malgré les marées contraires, on pourra décharger facilement les eaux de tous les polders ; ou le canal les traversera, ou il passera à peu de distance, tandis que maintenant les eaux doivent aller chercher la mer à deux ou trois lieues.
Toutefois, le canal construit, chaque polder sera obligé à une augmentation de frais à cause du changement à donner aux rigoles qui autrefois allaient vers la Hollande et qui maintenant devront porter leurs eaux vers le nouveau canal. Dans plusieurs polders les rigoles actuelles ne seront d’aucune utilité ; il faudra en faire de nouvelles, et une fois faites, il faudra les entretenir.
Si on devait entamer la discussion sur l’administration qui devra être organisée plus tard, je reconnaîtrais que la construction du canal va entraîner un grand changement dans l’administration ; il faudra une direction générale pour tous les polders.
Il y a des communes qui ne savent où mener leurs eaux. A Waerschoot, par exemple, quelques terres sont condamnées à une perpétuelle stérilité ; ces terres se trouveront soulagées et devront entrer dans l’association et contribuer à l’administration générale de tous les polders.
Je désire que dans cette administration générale, il entre des délégués de l’administration publique ; je le désire de tout mon cœur, parce que la réunion des wateringues donne lieu à de grands abus. Ils ne se réunissent que pour dîner, c’est l’appât d’un bon dîner qui les fait venir. Ils font quelquefois d’énormes dépenses. Il y a eu tel dîner, dans le compte duquel on a porté la petite somme de 500 florins pour le dessert et les vins. (On rit.)
Il faut donc de toute nécessité que cette association générale soit composée d’abord de grands propriétaires, mais ensuite de quelques agents responsables. Mais je reconnais qu’il ne s’agit pas de cela en ce moment.
M. Dumortier. - Je crois devoir prendre de nouveau la parole dans cette discussion pour répondre aux allégations de quelques honorables membres.
Je ne pense pas qu’on ait en aucune manière détruit aucun des faits que j’avais avancés. Je suis convaincu au contraire que ce qui a été avancé à la séance d’aujourd’hui par nos adversaires tend à démontrer la vérité que j’ai énoncée que la dépense dans laquelle on veut nous entraîner sera faite en pure perte pour l’Etat, et qu’il y a un moyen plus économique d’arriver au résultat qu’on se propose.
Je répéterai ce que j’ai dit dans la séance d’hier que les polders ont droit d’exiger qu’il leur soit donné un moyen découlement qui les indemnise de la perte de ceux qu’ils avaient sous le gouvernement hollandais. Je reconnais aussi d’une autre part que l’écoulement qu’on projette est inutile et qu’il suffit d’améliorer l’écoulement du Zwyn par le Hazegras.
Je vais en quelques mots rétablir la vérité des faits.
Si vous vous en rapportez à ce que vous a dit l’honorable M. Andries qui a le plus franchement abordé la question, cette écluse ne peut pas satisfaire à l’écoulement des eaux des Flandres, parce que toutes les eaux salées des Flandres tendent vers un atterrissement continuel, de sorte que dans quelques années tous les ports seront comblés.
L’honorable membre a invoqué l’histoire : il vous a dit qu’à Philippine où autrefois naviguaient de belles flottes, à peine un petit bâtiment pouvait entrer ; que des batailles navales s’étaient livrées dans le Zwyn, et qu’à peine un navire pourrait y passer. Je suis convenu de tous ces faits hier, j’ai reconnu que tous les bras latéraux de l’Escaut avaient une tendance à s’encombrer, qu’il s’opérait des atterrissements continuels ; mais j’ai dit qu’il ne fallait pas séparer ces faits d’autres faits aussi positifs. C’est que s’il se forme un atterrissement au centre, il reste un écoulement pour les eaux pluviales qui n’a jamais pu être comblé et ne le sera jamais.
Pour prendre un exemple dans une autre localité, je vous rappellerai que Nieuport a été le premier port de la Belgique, et aujourd’hui cette ville se trouve éloignée de plus d’une lieue de l’océan. Nieuport, qui était si florissant autrefois, n’est plus qu’un simple écoulement des eaux bâtardes de la Belgique, et ne peut plus recevoir aucun gros vaisseau ; à peine si les barques des pêcheurs peuvent y entrer à haute marée ; aux basses eaux les barques restent sur la vase.
Nieuport, comme tous les ports situés sur un bras de mer de la Flandre septentrionale, a disparu comme port de la Belgique ; mais l’écoulement des eaux ne s’en fait pas moins par Nieuport, parce que si l’atterrissement auquel l’ensablement a donné lieu a fait disparaître le port, il est resté une rigole qui sert à l’écoulement des eaux des Flandres ; ce qui est arrivé à Nieuport est arrivé aussi dans les autres localités.
Ainsi le Zwyn a disparu de la carte comme port de mer, mais il restera toujours dans le Zwyn une rigole d’écoulement et qui suffira à l’écoulement des eaux de cette contrée.
Le Zwyn autrefois formait un golfe qui aujourd’hui a disparu, mais il est resté un canal d’écoulement qui existera toujours.
L’honorable M. Andries s’est trompé sur les faits, lorsqu’il a dit que vis-à-vis de l’écluse de Hazegras, il s’était formé un îlot qui se trouvait à sec à marée basse, sur lequel les bestiaux allaient paître et dont il dépendait des Hollandais de faire un polder comme de l’ancien port de Bouchaute, ce qui priverais la Belgique de l’écoulement du Hazegras. Si les faits étaient ainsi, je conviens qu’on pourrait nous enlever ce moyen d’écoulement ; mais je ne sais si M. Andries, qui ne demeure pas loin de là, connaît bien les localités ; mais il est constant que les limites de la Belgique sont au-delà de l’îlot formé en avant de l’écluse du Hazegras, qu’il n’appartient en aucune manière à la Hollande, et que la Hollande ne pourra jamais l’endiguer : c’est nous-mêmes qui pourrions l’endiguer. Ainsi il est vrai que le bras de Zwyn par lequel s’écoulent les eaux qui sortent de l’écluse, est exclusivement belge. J’ai sous les yeux une carte dressée en 1831 par ordre du gouvernement hollandais, relativement aux limites des deux territoires, et il en résulte que l’îlot dont il s’agit est belge.
Le bras méridional de Zwyn appartient aussi à la Belgique, et jamais la Hollande ne pourra, sous aucun prétexte, nous l’enlever.
J’ai donc détruit par leur base les arguments présentés par M. Andries, et il reste constant que le canal d’écoulement ne peut jamais être détruit.
Si l’îlot est en notre possession, il est facile de comprendre que la Hollande ne pourra nous empêcher de nous servir du Hazegras pour l’écoulement des eaux des Flandres. Car il suffira pour cela de conduire les eaux qui vont à la ville de l’Ecluse, vers le canal de Hazegras.
Il s’agit d’une seule chose, savoir : de remplacer par un canal nouveau l’écoulement que nous avions autrefois par la ville de l’Ecluse. Or, si nous pouvions continuer à être en possession de l’écoulement par la ville de l’Ecluse, on ne viendrait pas nous demander le canal de Zelzaete. Les Flandres ont droit à une chose, c’est qu’on leur rende l’écoulement qui maintenant leur manque ; et comme les eaux pluviales qui s’écoulent par l’écluse passent devant le Hazegras, il suffit d’amener ces eaux dans le Hazegras pour rendre aux Flandres ce qu’elles ont perdu, et il y aura par là compensation complète. Ceci est incontestable, et jamais on ne répondra à mes arguments.
L’homme qui, dans les Flandres, connaît le mieux ce qui est relatif à l’écoulement des eaux, et dont les députés des Flandres ont souvent invoqué les opinions, cet homme, si savant en cette matière, et si digne d’être cité par son expérience, est tout à fait d’avis que la dépense que l’on propose est en pure perte ; qu’il ne faut pas deux ou quatre millions ; que 200 à 300 mille francs suffiraient. Tel est l’avis d’un homme qui depuis quarante années s’occupe de l’écoulement des eaux et est directeur des wateringues ; et cet avis est d’un grand poids.
Je conçois que l’opinion que je défends, toute fondée, toute sage qu’elle est, aura peu de succès, d’après la manière dont je vois l’assemblée composée ; quoi qu’il en soit, j’exprimerai ma pensée ; je remplirai mon mandat, parce que je ne veux pas voir grever le trésor public. On parle de patriotisme, d’intérêt de clocher ; mais comment ne pas voir d’intérêt de clocher quand on vient exiger que le trésor public paie des dépenses qui profiteront seulement à quelques particuliers ? Cependant, ce n est pas à nous à jeter au vent les deniers publics pour arriver à un tel résultat.
Mais voyez comment on raisonne dans cette discussion : s’agit-il du canal, on vous présente les Flandres comme étant sous les eaux ; mais s’agit-il de faire contribuer les habitants qui gagneront par la plus value de leurs propriétés desséchées, on vous dit que les eaux à peine tombées sont écoulées.
M. Andries. - Elles sont écoulées dans les canaux par les rigoles, mais point à la mer.
M. Dumortier. - Il n’y a qu’un instant que vous venez de déclarer que l’eau ne séjourne plus actuellement dans les propriétés : autrefois, disiez-vous, un propriétaire ne s’inquiétait pas de voir une nappe d’eau au milieu de son champ ; ses pères avaient souffert la présence de cette eau, il pouvait bien la souffrir lui-même ; maintenant, avez-vous ajouté, on ne veut plus voir de nappe d’eau au milieu de ses champs, et on la fait écouler : et puis, après avoir dit cela, quand il s’agit d’obtenir une dépense de quatre millions, vous nous représentez les terres des Flandres comme étant inondées.
Comment arranger de tels dires ? Quant à moi, je n’en sais rien.
Hier, j’ai fait un argument auquel on n’a pas répondu, c’est celui relatif à la dépense. Car on ne veut pas se contenter du canal de Dam à la mer ; on veut le canal jusqu’à Zelzaete. Or, ce canal coûtera quatre millions ; qui paiera cette dépense ? On ne l’a pas dit. Je soutiens que la dépense est toute provinciale, et qu’elle doit être supportée par la province au profit de laquelle elle sera faite ; qu’ainsi ce sont les Flandres qui doivent payer le canal.
M. A. Rodenbach. - Mais gardez vos eaux !
M. Dumortier. - Je n’interromps pas M. Rodenbach quand il parle ; qu’il fasse de même quand je parle.
Messieurs, il n’est pas juste que le Limbourg, que le Luxembourg, que le Hainaut se cotisent pour payer une telle dépense. Personne n’a abordé cette objection que j’ai déjà produite hier.
Quant à moi, je le déclare, si le système de la dépense est admis, je demanderai que les canaux des Flandres soient déclarés canaux de l’Etat : si on veut que l’Etat en paie les frais, il faut qu’il en ait les bénéfices. (Bruit.)
Remarquez bien où on va vous mener : on commencera par vous faire faire une dépense de 4 millions pour le canal jusqu’à Zelzaete ; mais en serez-vous quittes ? non ; il faudra payer des frais d’administration pour le canal : dans l’état actuel des choses, l’administration des canaux et celle des polders sont séparées. Pour les polders ce sont les intéressés qui font tout exécuter par eux-mêmes, et qui paient tous les frais qu’exige la conservation de leurs propriétés ; mais ils ne paieront rien pour les canaux ; ce sera le trésor qui sera encore chargé de cette dépense. La mesure est ruineuse pour l’Etat sous tous les rapports.
C’est aux Flandres à payer tout ce qui concerne les eaux des Flandres ; c’est aux Flandres à payer le canal, mais l’intérêt particulier ne veut pas comprendre des raisonnements aussi simples. Nous avons acté des dépenses plus élevées que nos recettes (bruit), et quand on demandait 10,000 francs de subventions pour des objets qui honorent le pays, on était sûr de voir M. A. Rodenbach s’y opposer ; mais quand on vous demandera quatre millions pour les Flandres, vous serez sûrs de voir M. Rodenbach voter l’allocation. (Bruit.)
Avec quoi allez-vous faire face à ce surcroît de dépenses ? Quant à moi, je ne le vois point ; je n’aime pas à voir la chambre entrer dans un système ruineux d’emprunt.
Autre chose est de faire un emprunt pour les routes dont on propose la construction, et autre chose est d’en faire pour le canal de Zelzaete. Et pourquoi ? parce que le produit des routes a par la loi une affectation spéciale ; or, l’excédant de ce produit ne devant pas entrer dans la caisse de l’Etat, vous ne serez pas obligés de grever le trésor public, si vous faites un emprunt pour les routes nouvelles.
Mais, messieurs, on ne peut nullement invoquer cette considération en faveur du projet du canal de Zelzaete.
On propose une dépense qui s’élèvera à environ 2 millions ; avec quoi paierez-vous cette somme ? Il n’y a pas ici de fonds spécial. Ferez-vous un emprunt ? mais cet emprunt va à jamais obérer la Belgique ; et cela pourquoi ? pour servir de dégrèvement à une province qui s’est déjà puissamment dégrevée dans la dernière session.
Comment, messieurs, quand il s’agissait de nous démontrer combien les Flandres étaient surtaxées dans l’impôt foncier, on prétendait que les terres n’y rapportaient qu’un revenu insignifiant ! et aujourd’hui, à l’occasion du projet qui nous occupe, on représente ces mêmes terres comme étant de grande valeur ! N’y a-t-il pas là contradiction flagrante ?
Je voudrais bien que mes adversaires rencontrassent cette objection que j’ai déjà faite et que je reproduis en passant ; et pour que tout le monde soit bien convaincu de l’exactitude de ma dernière assertion, je dirai qu’elle se trouve consignée à la page 13 du mémoire de M. Vifquain.
Maintenant, messieurs, j’en reviens au point où j’ai été interrompu.
Je le demande encore, qui paiera la dépense considérable dans laquelle on veut nous entraîner ? Nous n’avons pas, je le répète, comme pour la création de nouvelles routes, un fonds spécial qui n’entre pas dans la caisse de l’Etat ; ainsi, puisque ce fonds nous manque, nous devrons créer les emprunts au détriment de l’Etat, qui n’auront aucune espèce de chance d’amortissement.
Ainsi, pour procurer des avantages à deux provinces, ou plutôt à quelques habitants d’une partie de ces deux provinces, vous allez à jamais grever le trésor public de l’intérêt de deux emprunts, et en supposant que ces deux emprunts se fassent, pour les obtenir au pair, au taux de 5 p. c., vous aurez à payer annuellement une somme de 200 mille fr. d’intérêt.
Outre cela, vous aurez peut-être la moitié de cette somme à porter pour frais d’administration ; et tandis qu’aujourd’hui ce sont les possesseurs des polders qui administrent à leurs frais les moyens d’écoulement, vous allez mettre cette administration à la charge de l’Etat.
Voilà où vous arriverez avec le système qu’on propose.
Il est donc manifeste que l’écoulement des eaux n’est que le prétexte, et que l’amélioration des terres de certains particuliers est le motif.
Messieurs, les considérations que j’ai eu l’honneur de présenter méritent certes qu’on y ait égard ; eh bien, tous les orateurs se sont bornés à alléguer des raisons très judicieuses sans doute, pour obtenir, aux dépens du trésor, la création d’un canal d’écoulement, que je suis aussi désireux qu’eux de voir exécuter ; mais je pense que le trésor ne doit intervenir que pour une faible partie dans une semblable dépense.
Un honorable membre, en faisant une espèce d’invocation aux députés des autres provinces, a dit que quand il s’agirait de voter des travaux à exécuter aux rives de la Meuse, nous voterions les fonds nécessaires pour leur exécution ; que quand il s’agirait d’un emprunt pour les routes, nous voterions encore les fonds nécessaires. Mais vraiment c’est comme si l’on disait : Les deniers de la Belgique sont au pillage ; prenons tous part à ce pillage ; c’est absolument comme si l’on parlait de la sorte.
Une pareille manière de s’exprimer est, à mon avis, un scandale dans le sein de la représentation nationale.
Je dirai à l’honorable membre qui s’exprime de la sorte, qu’il y a une grande différence entre les travaux à faire aux rives de la Meuse, s’élevant peut-être à 100,000 fr., et la construction d’un canal qui coûtera plus de 4 millions.
Je voterais sans hésiter, et de grand cœur, une dépense de 100 à 200 mille fr. pour l’écoulement des eaux des Flandres, surtout quand il est démontré (et cela a été démontré par l’honorable M. Dubus) que cet écoulement peut être opéré au moyen d’une dépense de moins de 200,000 fr.
Quant à ce qu’a dit l’honorable M. Andries que le canal que l’on projette serait un moyen de défense pour le pays ; que lorsque le canal serait fait, on entrerait à pied sec dans toutes les forteresses de la Flandre zélandaise, je ne sais si personne se laissera prendre à cette fantasmagorie ; car l’honorable membre doit savoir que les fossés qui environnent les villes sont toujours au-dessous du niveau des canaux.
M. Andries. - Il n’y en a plus.
M. Dumortier. - S’il n’y en a plus, la construction d’un canal ne vous sert à rien. Ces moyens militaires, résultant de l’exécution du canal, sont donc presque insignifiants.
Quant à ce qu’a dit l’honorable membre, que si on faisait ce canal, la Hollande ne pourrait plus boire du thé, à cet égard je crois que, quoi que vous fassiez, la Flandre zélandaise aura toujours de l’eau à satiété pour en boire. (On rit.)
Vous voyez donc qu’il est impossible d’admettre ainsi le système de l’honorable, préopinant.
J’ajoute que dans la proposition, du gouvernement rien n’est définitif. D’après la proposition déposée hier par M. le ministre de l’intérieur, on ne sait si la dépense s’élèvera à 4, 5, 6, 10 millions.
Et comment pourvoira-t-on à la dépense ? On fera un emprunt ; mais l’intérêt de cet emprunt, où le trouvera-t-on ? Il faudra donc augmenter les impôts déjà si considérables !
Comment peut-on songer à un pareil système, lorsqu’un système vingt fois plus économique doit donner le même résultat ?,
On a dit, messieurs, que ce canal de navigation n’était pas un canal d’écoulement. Nous savons cela tout aussi bien que l’honorable membre. Mais quand vous aurez fait l’acquisition des terrains, quand vous aurez tracé, construit votre canal d’écoulement, la conférence, chargée de régler les différends entre la Belgique et la Hollande, vous dira : Approfondissez votre canal ; faites-en un canal de navigation, et renoncez à la souveraineté de l’Escaut.
Par ces motifs je ne puis donner mon assentiment au projet.
Un mot encore. Votre canal construit, il faudra en protéger l’écluse contre les attaques de l’ennemi ; faute de quoi, les Flandres pourraient être inondées en un instant. Pour protéger cette écluse, il faudra construire un fort. De là des dépenses considérables à ajouter aux autres. C’est une considération que vous ne devez pas perdre de vue.
- La séance est levée à 5 heures.