(Moniteur belge n°97, du 7 avril 1835 et Moniteur belge n°98, du 8 avril 1835)
(Moniteur belge n°97, du 7 avril 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Verdussen procède à l’appel nominal à une heure.
M. Brixhe donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est adoptée.
M. Verdussen fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.
« Plusieurs propriétaires de moulins à Liége s’élèvent contre la faveur accordée à MM. Dubois et compagnie, d’introduire en franchise de droit les farines provenant de leur moulin situé à Maestricht. »
« Le sieur Herman Martin, à Bruxelles, demande qu’il lui soit confié des chevaux morveux qu’il prétend guérir. »
« Le sieur Louvroy demande que la chambre adopte une loi qui fixe la péréquation cadastrale pour servir de base à la contribution foncière. »
« Les habitants de Nieuport exposent la détresse du commerce de cette ville et demandent qu’il y soit établi une garnison. »
- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions.
« Les fabricants de tissus de coton de St-Nicolas, Iseghem et Roulers, en adhérant aux mémoires présentés par les industriels de Gand, demandent que la chambre discute, avant la fin de la session, la proposition de loi faite par les députés des Flandres. »
«Le sieur Villiot Mayaud, fabricant, demande que la chambre s’occupe au plus tôt de la proposition des représentants des Flandres. »
- Ces pétitions sont renvoyées à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’industrie cotonnière.
Il est donné lecture de deux messages du sénat faisant connaître l’adoption par cette chambre d’un projet de loi autorisant un transfert de 73,000 fr. au budget des non-valeurs de 1831, et d’un projet de loi relatif aux pensions civiques.
M. A. Rodenbach. - J’ai entendu lire l’analyse d’une pétition sur l’industrie cotonnière de St-Nicolas, Roulers, Iseghem. Je demande que cette pétition soit renvoyée à la section centrale, car si on la renvoyait à la commission des pétitions, on ne pourrait pas en avoir communication.
- La proposition de M. Rodenbach est mise aux voix et adoptée.
M. Milcamps monte à la tribune pour donner lecture d’un rapport relatif à la proposition de M. H. de Brouckere.
M. de Brouckere. - Je demande que la chambre veuille bien entendre le rapport de l’honorable M. Milcamps. Ce rapport est très court et n’occupera que très peu de temps.
M. Milcamps. - Messieurs, la section centrale chargée d’examiner la proposition faite par M. de Brouckere pour l’abolition de la peine de mort et pour la suppression de la mutilation du poing et de la marque, m’a confié la mission de rendre compte du résultat de ses délibérations.
Aucune des sections n’a examiné le fond de la proposition de M. de Brouckere, toutes ont été d’avis de l’ajourner jusqu’à l’époque où l’on s’occuperait du projet de loi présenté par le gouvernement portant des modifications au code pénal. Quelques-unes se sont arrêtées à l’idée qu’il s’agissait d’une question à laquelle se rapportait la réforme entière de notre système pénal ; les 3ème, 4ème et 6ème ont pensé que sur une matière aussi grave, il convenait de consulter préalablement les cours et les tribunaux.
Les sections ne s’étant pas prononcées explicitement sur l’utilité et l’opportunité de l’abolition de la peine de mort, j’éprouve le besoin de dire que MM. les rapporteurs ont déclaré dans le sein de la section centrale que, dans l’opinion commune des sections, il importait de chercher les moyens de diminuer le nombre des cas où la peine de mort est textuellement prononcée par la loi.
C’est dans cet état que la proposition de notre honorable collègue s’est présentée à la délibération de la section centrale.
Deux questions ont été proposées. Enverra-t-on l’examen de la proposition de M. de Brouckere à l’époque de l’examen du projet de loi présenté par le gouvernement ? Appellera-t-on sur cette proposition les lumières des cours et des tribunaux ?
Une discussion s’est élevée à cet égard dans le sein de la section centrale. D’une part, on reconnaissait que ces questions : « Si la peine de mort doit disparaître entièrement de nos codes criminels ; si le nombre des cas où cette peine est prononcée par la loi doit être diminué ; si, quant aux peines pour crimes politiques, l’état de nos mœurs et de la civilisation réclame un adoucissement, » étaient des questions d’une grande gravité, qui se rattachaient au système pénal en général.
D’autre part on observait qu’à une époque où les mœurs tendent à adoucir les lois, où des cœurs généreux voudraient que le législateur eût déjà diminué le nombre des cas où la peine de mort est textuellement prononcée par la loi, il y avait utilité et opportunité de s’occuper de ces questions, quelque graves qu’elles fussent.
Après cette discussion la section centrale a été d’avis à l’unanimité qu’il y avait lieu de s’occuper de la proposition de M. de Brouckere, séparément du projet de loi présente par le gouvernement, et de consulter les cours et les tribunaux des chefs-lieux des provinces sur les questions suivantes :
« Y a-t-il lieu d’abolir la peine de mort dans tous les cas ? »
« Dans la négative indiquer les cas où l’on penserait que la peine de mort dût être abolie et remplacée par une autre peine ? »
« Quelle serait cette peine ? »
Si la chambre partage l’opinion de la section centrale, il y aura lieu d’inviter les autorités auxquelles ces questions seront transmises à y répondre séparément de l’avis qu’elles sont appelées à donner sur le projet de loi présenté par le gouvernement tendant à introduire des améliorations dans le code pénal.
Au nom de la section centrale j’ai l’honneur de vous proposer l’adoption des propositions qui précèdent.
M. Jullien. - Je demande si cette proposition est à l’ordre du jour et si on délibérera de suite.
M. de Brouckere. - Si l’honorable préopinant a des observations à faire sur les conclusions de la section centrale, il lui sera aussi facile de les faire maintenant qu’un autre jour.
M. de Roo. - M. le ministre de la justice nous avait promis une statistique sur les crimes commis avant et depuis la révolution ; je demande, si cette statistique est faite, qu’elle soit jointe au rapport de la section centrale.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Depuis que j’ai fait à la chambre la promesse de fournir cette statistique, on y a travaillé sans relâche dans les bureaux de mon ministère, et je ne pourrai cependant la déposer avant six semaines environ.
M. Devaux. - Ce que nous avons demandé à M. le ministre de la justice n’est pas une statistique judiciaire complète, il faudrait plus de 6 mois pour cela. J’ai demandé un état des grands crimes commis avant et depuis la révolution en une même période de temps, et j’ai dit que pour cela il faudrait tout au plus deux fois 24 heures. Je conçois que si nous exigions une statistique avec mention d’âge, de lieu, de nom, de circonstances cela demanderait beaucoup de temps ; mais ce n’est pas ce que nous avons entendu, et je regrette beaucoup que M. le ministre de la justice ne puisse pas nous fournir l’état dont j’ai parlé.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je n’ai point l’intention de publier une statistique judiciaire complète ; le but des travaux ordonnés dans les bureaux du ministère de la justice, c’est de recueillir une statistique exacte des crimes et délits commis depuis et avant la révolution, et de comparer ces crimes et délits depuis l’abolition de la peine de mort, avec ce qu’ils étaient préalablement.
Si l’on ne demande cette statistique que pour les grands crimes, il faut d’abord dire ce qu’on entend par grands crimes. Il n’est personne qui connaisse exactement le nombre de ces crimes. J’ai recueilli des matériaux à cet égard, mais ils ne sont pas complets ; le travail dont on s’occupe ne pourra être terminé que dans six semaines. J’ai mis tous mes soins à ce qu’il se fît promptement ; j’ai même distrait, d’autres divisions, des employés pour les y faire concourir. Dans tous les cas, je crois bien préférable de faire un travail presque complet qu’un autre qui ne s’appliquerait qu’aux grands crimes dont on parle.
M. Jullien. - Je crois que M. le ministre de la justice doit avoir dans ses bureaux tous les éléments des renseignements qu’on lui demande, d’autant plus qu’il y a été déposé une statistique faite par un administrateur des prisons, l’honorable M. Ducpétiaux. Dans cette statistique on a parfaitement distingué le nombre, la nature des grands crimes commis. Si ces documents sont dans les bureaux de M. le ministre ou en possession d’un administrateur des prisons, il me semble très facile de se les procurer.
Je ne vois pas, d’ailleurs, d’inconvénients à renvoyer la proposition de l’honorable M. de Brouckere à l’avis des cours et des tribunaux du royaume. C’est une question immense, une question de la plus haute gravité, et je suis disposé à adopter les conclusions de la section centrale.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Personne ne s’est opposé jusqu’ici aux conclusions de la section centrale. Je crois que c’est une proposition très sage et qui mérite d’être bien accueillie.
Je dois répondre à un honorable préopinant que les renseignements dont il parle ne sont pas dans les bureaux, et que dans tous les cas personne n’en possède de complets. Quand j’affirme que, dès le principe, je me suis empressé de demander aux autorités compétentes les matériaux qu’elles pouvaient me fournir, quand j’ajoute que sous six semaines ces travaux pourront être terminés, il me semble que toute insistance devient inutile.
M. Gendebien. - Dès l’instant qu’on est d’accord de renvoyer la question à l’avis des cours et des tribunaux, je n’ai rien à dire. Mais je persiste à faire remarquer à M. le ministre de la justice qu’il y a plus de six semaines que l’honorable M. de Brouckere a demandé non pas une statistique générale, mais une simple liste des crimes emportant peine de mort avant la révolution et depuis, afin qu’on puisse faire une comparaison et répondre à des assertions au moins fort légères qui prétendaient qu’il se commettait plus de crimes depuis la révolution qu’auparavant.
Trois semaines avant l’honorable M. de Brouckere, j’avais fait cette demande à M. le ministre de la justice qui avait promis d’y faire droit. Il n’a pas rempli le but qu’on se proposait, qui était, selon moi, de détruire des assertions qui étaient à mes yeux des calomnies envers le pays et la révolution. Je trouve bien que M. le ministre s’entoure de tous les renseignements nécessaires, mais je ne crois pas qu’il doive attendre six semaines pour donner une simple liste des crimes emportant peine de mort.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Dans une séance à laquelle vient de faire allusion l’honorable préopinant, il n’a jamais été demandé précisément de donner un tableau des crimes emportant peine capitale. Si j’avais pensé que tel était le vœu de la chambre, je m’y serais rendu ; mais j’avais la persuasion qu’on ne s’occuperait pas de la proposition de l’honorable M. de Brouckere assez tôt pour qu’il me fût impossible de recueillir les documents que je jugeais essentiels. J’avais déjà répondu que les condamnations avaient été bien plus nombreuses en 1834 que dans les années précédentes. Car elles se sont élevées, en 1834, sans parler des condamnations militaires, de 25 à 30. De manière que, si j’avais fourni un tableau, il aurait évidemment prouvé ce que j’avance.
M. de Brouckere. - Je ne m’oppose pas à ce que les conclusions de la section centrale soient adoptées. Il est bon de dire que je ne m’attends pas à ce que la plupart des corps judiciaires se déclarent en faveur de l’abolition de la peine de mort, mais je désire que ceux qui se prononceraient contre motivent leur opinion : je ne reculerai pas devant l’énonciation d’une opinion contraire à la mienne ; mais je juge à propos de dire que je ne m’abuse pas sur le sort qu’aura ma proposition.
- Les conclusions de la section centrale sont mises aux voix et adoptées.
M. le président. - La discussion générale est ouverte sur l’ensemble du projet de la section centrale auquel s’est rallié M. le ministre de l'intérieur.
M. de Puydt. - Messieurs, je n’ai pas la prétention d’empêcher le gouvernement de s’engager dans la malencontreuse voie où l’entraîne l’influence de quelques fausses idées en matière de travaux publics ; je ne présenterai donc que quelques considérations courtes et générales sur la loi qui nous est soumise.
Cependant il ne faut pas qu’on se trompe sur mes intentions.
En 1834, j’ai combattu le projet de loi sur le chemin de fer non en ennemi de ce genre de communication, mais en adversaire de son exécution par le gouvernement. Je suis partisan des chemins de fer comme je le suis de tous les progrès : ce n’est pas d’aujourd’hui seulement que j’ai reconnu leur utilité, car longtemps avant la révolution j’avais exposé dans plusieurs mémoires mes vues sur leur application à l’industrie du pays.
En 1835, je viens de nouveau, dirigé par les mêmes convictions, m’opposer au projet présenté, parce que je considère la libre concurrence de l’industrie privée comme aussi essentielle à la prospérité de l’exploitation du chemin de fer, qu’indispensable à sa bonne exécution, parce que je voudrais que le succès de cette entreprise fût un exempte propre à en multiplier l’application.
L’exposé des motifs du projet de loi, expliqué plus amplement par M. le ministre de l’intérieur à la section centrale, fait connaître le but que le gouvernement s’est proposé.
J’examinerai d’abord ces motifs, et j’espère démontrer qu’il n’y a aucune nécessité d’établir une régie de transport, mais qu’il y a toute convenance de mettre l’exploitation de la route en adjudication publique.
Considérant ensuite la proposition en elle-même, j’espère également pouvoir démontrer qu’elle serait nuisible au commerce si elle était adoptée.
On lit dans l’exposé dont il s’agit : « Lors de la mémorable discussion qui a eu lieu dans le sein des chambres, sur le projet général du chemin de fer, il a été reconnu en principe que la nouveauté en Belgique des moyens de transport par une pareille voie rendait nécessaire l’intervention directe du gouvernement dans l’exploitation première de la route, attendu que cette intervention devait le mettre à même d’apprécier exactement et les revenus et les besoins du service. »
Ce fait que l’on avance ici, messieurs, je le conteste et je déclare que, quant à moi, je n’ai jamais compris que le principe dont il s’agit fût reconnu. Rien dans la loi du 1er mai ne le prouve.
L’article 5 de cette loi, le seul qui fasse mention des produits de la route, s’exprime ainsi :
« Les produits de la route provenant des péages, qui devront annuellement être réglés par une loi, serviront à couvrir les intérêts et l’amortissement de l’emprunt, ainsi que les dépenses annuelles d’entretien et d’administration de la nouvelle voie. »
De cet article, il résulte clairement que l’on n’a entendu prescrire l’intervention du gouvernement qu’à l’égard des péages, et non de l’exploitation.
Je vais expliquer la différence que cela présente :
Les dépenses de transports sur une route quelconque se composent de deux éléments principaux : le fret simple et le péage.
Le fret simple, c’est la dépense de transport proprement dite comprenant l’usure des moteurs et autres moyens matériels de locomotive, le bénéfice et les frais de roulage, etc.
Le péage ou droit de barrière est une taxe entièrement relative à la construction de la route dont elle est destinée à couvrir l’entretien et à amortir le capital.
On conçoit l’intervention du gouvernement en ce qui concerne le péage d’une route qu’il a construite. La loi fixe le taux de ce péage et l’administration en règle la perception : il n’y a là rien que de juste. La loi peut encore autoriser des réductions de péage sur des routes concédées avec l’assentiment des concessionnaires et moyennant indemnité.
Mais la loi peut-elle intervenir, dans les dépenses de transports, les régler d’autorité, les abaisser, les hausser arbitrairement ? Ce serait créer un privilège sur une route ou en faveur d’un moyen de transport quelconque.
L’article 5 de la loi du 1er mai n’a eu en vue que la perception du péage de la route en fer. Elle a voulu qu’une modération de ce péage pût au besoin avoir une influence sur le prix des transports, et cela en regard d’une concurrence étrangère : cette modération ainsi opérée ne blesse aucun intérêt national, elle suffit pour le but qu’on s’était proposé : on n’avait donc eu besoin de poser aucun autre principe.
Cette explication détruit, ce me semble, le premier motif présenté en tête de la loi.
Je passe à la nécessité d’une expérience préalable que le gouvernement veut faire considérer comme indispensable pour fixer la hauteur du péage.
En général, est-on dans l’habitude de faire de pareilles expériences ? J’avoue que je n’en ai jamais entendu parler, et dans l’espèce il ne m’est pas démontré que la nouveauté des chemins de fer en Belgique soit un motif valable.
Industriellement parlant, il n’y a pas de nouveauté dans le cas dont il s’agit. Quand une chose existe, quand elle est connue dans ses moyens d’exécution, dans ses moyens d’action, elle n’est plus nouvelle pour personne ; il n’y a de nouveauté qu’au moment de l’invention, et l’inventeur pourrait tout au plus déclarer alors d’en faire l’expérience avant de l’appliquer ; mais cela n’est pas même arrivé à l’égard des chemins de fer.
Construite dans l’origine pour l’usage des établissements industriels, pour l’exploitation des mines, les chemins de fer n’ont été appliqués à l’usage du public et des transports généraux que depuis quinze ans au plus ; mais outre que c’est assez pour apprendre à connaître leur puissance d’action, je dirai que, même avant de faire cette application, il n’y a jamais eu d’incertitude à ce sujet.
Les inventeurs de cette amélioration étaient de simples particuliers ; ils n’ont jamais songé à dire à leurs gouvernements : Autorisez-nous à faire un essai de chemin de fer, à y établir par forme d’expérience un mode d’exploitation qui nous permette d’en apprécier les effets. Ces particuliers, clairvoyants comme le sont toujours les industriels agissant dans la plénitude de leur liberté, ont pu au contraire fixer du premier coup la hauteur des divers frais. Ils ont proposé des tarifs que des enquêtes publiques ont réglés, et c’est spontanément, sans tâtonnements préalables, que l’on a vu naître et se développer avec tant de rapidité l’un des plus remarquables perfectionnements industriels de l’époque.
Eh bien, ce que l’on a pu faire avant qu’il existât aucun exemple d’application en grand des chemins de fer, pourquoi ne le pourrait-on plus après 15 ans d’exemples nombreux et de succès constatés !
Quand des particuliers ont pu mettre ces chemins en exploitation en Angleterre, en France, en Bohème, à la satisfaction générale du commerce, faut-il qu’un gouvernement, qui a certes le droit de se dire éclairé, vienne avouer ici son impuissance et poser en principe la nécessité de mettre en expérience une chose connue, appréciée dans ses résultats, soumise depuis longtemps à des calculs rigoureux à la portée de tout le monde ? Cela n’est pas concevable, et je ne puis l’admettre en thèse générale. L’essai qu’on veut faire n’est nullement justifié ; tout s’accorde au contraire pour le faire considérer comme superflu.
D’ailleurs pourquoi nous écarter des règles suivies et fondées sur notre propre législation ? Sommes-nous dans un cas particulier ?
La loi sur les travaux publics veut que les péages soient fixés par une enquête et mis en adjudication ; est-il besoin de prendre aujourd’hui une autre marche ? l’expérience que l’on voudrait faire n’est-elle pas au contraire tout entière dans une adjudication ? C’est, selon moi, la seule bonne expérience à tenter.
Voyons cependant ce que dit l’exposé des motifs.
« Le mode de régie directe auquel nous avons cru devoir nous arrêter n’offre d’ailleurs aucun inconvénient ; mais il présente l’inappréciable avantage de faire fructifier immédiatement au profit de l’Etat toutes les parties du chemin de fer au fur et à mesure de leur achèvement (…) Aujourd’hui les péages ne sauraient être que provisoires et variables suivant les localités et le plus ou moins d’étendue des parties de route qui seront mises en exploitation ; mais c’est parce qu’il ne saurait en être autrement et que les intérêts de l’Etat pourraient être gravement lésés, si, de prime abord, et sans connaître les produits exacts de la communication, on livrait celle-ci à l’exploitation particulière, que le mode de régie par le gouvernement doit être préféré. »
Je ne vois dans ces mots rien qui oblige à mettre la route en fer dans un cas exceptionnel ; j’y vois ce qui se rencontre partout quand une nouvelle communication s’ouvre, de quelque mode qu’elle soit.
L’Etat doit tirer fruit de sa route puisqu’il l’a construite ; cela est vrai en ce sens qu’il doit assurer, par le produit du péage, l’intérêt des fonds qu’il aura employés, l’entretien annuel et la prime de remboursement du capital : tout autre produit doit lui être interdit, parce qu’il ne pourrait l’obtenir qu’aux dépens de la liberté du commerce. Eh bien, est-il si difficile de déterminer le montant des charges annuelles ? On en possède tous les éléments, il suffit de les soumettre à un calcul très simple.
Rendre la route productive à mesure qu’une section est achevée, c’est d’une administration sage ; mais on atteindra plutôt ce but par l’exploitation particulière que par une régie.
Chaque section de route peut être considérée isolément comme une route entière, du moment qu’elle est prise entre deux points assez importants pour avoir des relations réciproques de commerce. Rien ne s’oppose à ce que les péages sur ces sections soient variables, et lorsque toutes les sections exploitées successivement et séparément seront achevées, on pourra établir, si on le juge à propos, une moyenne de péage pour la totalité de la route.
Il est impossible que les intérêts de l’Etat soient lésés par ce mode si l’on a eu soin de prendre pour base de calculs les charges annuelles de chaque section.
Ainsi, par exemple, en admettant que la partie entre Bruxelles et Malines ait coûté un million et demi, et qu’il faille, pour couvrir les charges annuelles, un produit brut de 8 p. c. ou 120,000 francs, le gouvernement mettra ce prix en adjudication publique en fixant un maximum de tarif par tonneau et par kilomètre.
Ce qui se pratiquerait pour la section de Malines serait également suivi pour les autres.
On ne peut disconvenir que par là l’intérêt de l’Etat ne soit garanti, et qu’en outre les intérêts du commerce ne s’en trouvent bien, puisque la concurrence aura fait opérer des rabais sur les données premières, si elles étaient trop élevées, car le commerce est bien meilleur juge de ses intérêts que le gouvernement.
Je voudrais que l’on pût me démontrer que cela n’est pas praticable, ou que cela présente des inconvénients.
Le maximum du tarif ne peut-il être fixé au moins provisoirement, et pour avoir un point de départ ? Mais les ingénieurs, auteurs du projet, ont établi des calculs à ce sujet. Sans les admettre comme rigoureux, on peut les considérer comme une mise à prix d’adjudication : on agit de même dans tous les cas semblables.
Quand on met en concession un canal, en France ou ailleurs, le maximum du péage n’est jamais qu’une hypothèse que l’adjudication sanctionne ou modifie, et que les ingénieurs ont préalablement établie par des calculs et des raisonnements. C’est pour cela que les ingénieurs sont faits. Si, au lieu de marcher de la sorte franchement et droit à son but, on a besoin d’essayer, de tâtonner pour atteindre le résultat le plus simple, je ne vois plus à quoi les ingénieurs peuvent être bons.
On m’objectera, je le sais bien, qu’il peut ne pas y avoir de concurrence, ou même que personne ne se présentera pour exploiter la partie de route achevée, ce qui rendrait le péage nul. Je me permettrai de n’en rien croire, ou bien je considérerai cette supposition comme une preuve que l’on aurait eu tort de faire la route, car si personne ne se présente pour l’exploiter, c’est qu’elle n’est pas exploitable. Si, au contraire, il y a chance d’activité de transport, comme je n’en doute pas, l’industrie ne l’ignorera pas, elle saura bien apprécier cette activité et la réduire en valeur. D’ailleurs, il n’est pas raisonnable de condamner les résultats de l’adjudication avant de l’avoir tentée.
En présence d’un moyen d’exploitation si bien en harmonie avec notre législation, il m’est difficile de comprendre que le gouvernement puisse vouloir prendre sur lui la responsabilité d’une régie qui embrasserait non seulement le péage, mais même les transports.
Les conséquences d’un pareil système seraient ruineuses pour lui et pour le commerce.
En effet, une régie exigera l’acquisition d’un matériel qui coûtera toujours au gouvernement plus cher qu’il ne coûterait à des particuliers. C’est là une vérité reconnue de tous temps.
Une régie exigera l’organisation d’un personnel dont les traitements devront être d’autant plus élevés que la durée du service sera d’une nature plus temporaire.
Le gouvernement enfin qui n’est ni industriel ni spéculateur, ne pouvant surveiller par lui-même ses agents subalternes, devra placer entre eux et lui des agents principaux pour diriger le service.
Or, si toutes les conditions premières de l’exploitation sont ainsi aggravées, il est évident que l’excédant de dépense qui en résulte influera sur le prix des transports : le gouvernement et le commerce seront donc lésés tous deux, et loin qu’une pareille expérience conduise à bien établir les véritables effets de l’introduction des chemins de fer en Belgique, elle vous trompera sur ces effets. C’est enfin, à mon avis, le coup le plus funeste que l’on puisse porter à l’avenir de ce moyen de communication.
Si plus tard on veut renoncer à cette régie et mettre l’exploitation entre les mains du public, il faudra faire abandon du matériel avec plus ou moins de perte, et l’on restera chargé de tout ou partie d’un personnel que l’on ne cède pas aussi facilement que l’on cède des locomotives.
Le but cherché, le minimum des prix, ne peut donc être atteint par la régie du gouvernement. Au moyen de l’adjudication et de la libre exploitation, vous appelez la concurrence ; les éléments des prix sont fournis par les lumières et l’expérience des industriels. Par le monopole vous restez seul arbitre, vous n’avez plus d’éléments que ceux qui se déduisent de vos dépenses, et comme elles sont plus élevées, vous arrivez à des prix désavantageux, et vous pesez sur le commerce dont vous comprimez l’élan.
Messieurs, nous avons un exemple sous les yeux, c’est la régie des postes en Prusse.
Sous le rapport de la régularité du service, on ne peut rien désirer de mieux ; mais sous le rapport des intérêts du commerce il n’en est pas de même, je le prouve par un seul fait.
Le prix des diligences du gouvernement en Prusse est d’environ 75 c. par lieue.
Le prix des diligences sur nos routes les plus fréquentées est de 33 à 40 c, et sur les routes de France, de 50 c. par lieue.
C’est-à-dire que la libre concurrence établie en France et en Belgique présente un avantage de près de 50 à 100 p. c . sur le monopole des transports exercé par le gouvernement prussien.
Voilà en deux mots le résultat des deux systèmes comparés. Le gouvernement a d’autant plus tort de se défier de l’industrie particulière et de chercher à la paralyser, que la Belgique me semble destituée à s’élever au premier rang par sa force industrielle et commerciale, si le travail y est encouragé par des mesures sagement libérales. Nous ne pouvons nous dissimuler qu’il règne en général dans le pays une soif de spéculation qui ne demande qu’une application. Qu’on sache tourner cette disposition vers les travaux publics, et on aura procuré aux capitaux improductifs un emploi solide et favorable au développement des ressources matérielles de la Belgique. Mais, pour cela faire, il faut que le gouvernement se garde bien d’intervenir directement ou indirectement dans les spéculations ; il faut qu’il les autorise et les facilite. S’il y prend part, il arrêtera tout.
Je n’en dirai pas davantage sur cette question si souvent débattue.
Je m’opposerai par mon vote au monopole que le gouvernement veut établir.
M. Legrelle. - L’honorable préopinant a longuement argumenté en faveur de la libre concurrence ; c’est aussi mon avis : mais il faut aussi que les bases de cette libre concurrence puissent être établies d’une manière positive, c’est-à-dire que le gouvernement, après une épreuve de quelques mois, puisse avoir un tarif arrêté. La question est de savoir si le gouvernement peut exploiter provisoirement les chemins de fer : cette question a été résolue affirmativement dans la section centrale à la majorité de 5 voix contre 1.
Je crois que le terme fixé pour cet essai va jusqu’au premier juillet 1836. Je suis d’avis qu’il pourrait être raccourci de quelques mois et fixé au 1er mai 1836, si même on ne le raccourcit pas davantage. C’est là le seul amendement que je veux porter à cet article.
Je me permettrai une autre réflexion à l’égard de ce que dit le rapport relativement aux péages. Voici ce qu’il dit :
« Selon toute apparence, les rétributions pour le transport des personnes pourront être réglées, sur la section de Malines à Bruxelles, au maximum ci-après :
Voitures de 1ère classe, fr. 3 00
Voitures de 2ème classe, fr. 2 35
Voitures de 3ème classe, fr. 1 75 »
Notez bien qu’aujourd’hui, pour faire la route de Bruxelles à Anvers, il n’en coûterait guère davantage d’avoir les meilleures places dans les voitures publiques. Il s’agit de fixer un maximum ; celui-ci me paraît trop élevé. Si on veut retirer des chemins de fer tout le fruit qu’on s’en propose, il faut les rendre accessibles à tout le monde. Quant au mode d’essai, je pense que le gouvernement peut le faire tout en raccourcissant le terme.
(Moniteur belge n°98, du 8 avril 1835) M. Gendebien. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Dans la dernière séance, j’ai dit que je n’avais pas compris d’après le projet de loi présenté qu’il s’agît de l’exploitation complète de la route en fer. C’est ce qui semblerait résulter de toute la discussion. Or je ne vois rien de cela dans la loi. Entend-on percevoir le prix des places des voyageurs qui iront par la route en fer de Bruxelles à Malines, et le prix du transport des marchandises ? (Oui ! oui !) Mais, encore une fois, il n’y a rien de cela dans la loi.
Que M. le ministre de l’intérieur veuille bien s’expliquer à cet égard et dire sa pensée tout entière. Je sais qu’il est fort difficile d’établir le péage par kilomètres sur une pareille route ; mais est-ce un motif pour que le gouvernement adopte un système par lequel il se constituerait conducteur de voitures, entrepreneur de diligences !
Avant tout, je demande que le gouvernement s’explique afin que nous sachions ce qui est en discussion.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’explication que réclame l’honorable préopinant se trouve consignée dans le rapport de la section centrale ; il y est dit :
« L’intention du gouvernement est d’exploiter par lui-même, au moins provisoirement, les transports de la route en fer, au moyen de ses voitures ou tout au moins de ses moteurs, à l’effet de remorquer, dans ce dernier cas, les voitures appartenant à des particuliers, et d’en percevoir une rétribution de ceux qui useront de la route pour la parcourir, ou pour faire transporter des marchandises ou autres objets. »
Ainsi le péage ne comprend pas seulement le remboursement du capital employé à la construction de la route, et des frais de son entretien, mais il comprend aussi les frais de transports effectués dans des voitures par le gouvernement et pour son compte.
C’est exactement comme si la concession était accordée à un entrepreneur ; il fixerait le prix des places et du transport des marchandises pour s’indemniser des frais de l’établissement de la route et des frais de transport dans des voitures ; la position est exactement la même.
M. Gendebien. - Je le répète, je ne vois rien dans la loi qui ressemble à ce que demande maintenant le gouvernement.
Je reproduis mon observation. Je demande si l’intention du gouvernement est d’établir à Bruxelles, Vilvorde, Malines et successivement à Anvers, des bureaux à l’effet de recevoir la déclaration des voyageurs et vice-versa, de recevoir les marchandises et de les faire arriver à leur destination. Si telle est l’intention du gouvernement, il importe de le consigner dans la loi.
Si le gouvernement se constitue ainsi voiturier et entrepreneur de diligences, ce devient une régie comme celle des tabacs en France, comme celles de messageries en Prusse. Quand on sera entre dans cette voie, il sera difficile d’en sortir.
Voilà l’observation que je voulais présenter. Si tel est le sens de la loi, il me sera impossible de voter pour son adoption.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je donnerai toutes les explications ultérieures que l’on pourra désirer pour prouver que le projet présenté est en harmonie avec le projet adopté par la chambre dans la dernière session, quant à l’exploitation provisoire par le gouvernement ; car, comme il est dit dans l’exposé des motifs, ce n’est pas un système permanent que nous proposons ; nous voulons seulement acquérir par une exploitation provisoire tous les éléments d’une tarification définitive.
J’attendrai la continuation de la discussion, pour donner toutes les explications que l’on pourra demander.
M. Jullien. - Lorsque, dans la dernière session, on agitait dans cette enceinte la question des routes en fer, vous vous rappelez sans doute que la construction de ces routes ne rencontra par elle-même aucune opposition. Mais tous les efforts de l’opposition portèrent sur la question de savoir si l’on mettrait les chemins de fer en concession, ou si on en abandonnerait le monopole au gouvernement : c’est ce monopole du gouvernement que l’opposition voulait éviter.
Rappelez-vous ce que l’on disait pour contredire notre opposition. Nous soutenions que le système des concessions était plus favorable à l’industrie et au commerce, qu’il était suivi en Angleterre et en France ; et il s’est tellement perfectionné, surtout dans ce dernier pays, que vous avez pu voir qu’un projet vient d’être présenté à la chambre française par le ministre de l’intérieur de France, projet qui tend à mettre en adjudication la construction d’un chemin de fer de Paris au Havre, parce que de tous côtés, l’industrie est attentive et recherche de telles spéculations, parce que pour toute entreprise de ce genre on trouvera des concessionnaires.
Lorsque nous faisions valoir cet argument, le gouvernement répondait qu’il savait que des concessionnaires feraient d’immenses bénéfices, et qu’il ne fallait pas abandonner ces bénéfices à des particuliers, quand le gouvernement pouvait les faire lui-même. Ainsi, d’un côté on disait qu’il ne fallait pas abandonner à des concessionnaires le bénéfice immense qui résulterait de cette concession ; et d’un autre coté, quand nous demandions la concession, on disait qu’il ne se présenterait aucun concessionnaire, parce qu’il était très difficile d’apprécier la dépense. L’expérience de très peu de temps a suffi pour démentir les prévisions du gouvernement ; car, dans la province du Hainaut, on se dispute la concession de chemins de fer pour l’exploitation des houillères. Déjà de telles concessions ont été données par le gouvernement ; d’autres entrepreneurs demandent des concessions nouvelles ; les anciens concessionnaires s’y opposent. Enfin de tous côtés on se presse pour obtenir des concessions.
Quand vous arrêtez des capitaux qui veulent se porter sur les travaux publics, qu’en résulte-t-il ? Il en résulte ce que vous voyez tous les jours, c’est que ces capitaux se portent sur l’agiotage, sur l’usure. Dieu sait si ces spéculations profiteront autant à leurs auteurs que celles qu’ils auraient faites sur l’exécution de travaux publics !
Comme vous l’observait très bien tout à l’heure un honorable préopinant, quelles raisons peuvent-vous porter à demander le monopole ? Vous allez être obligés de vous faire entrepreneur de diligences, de faire des achats de voitures, de wagons, de vous munir d’un matériel considérable, de créer tout un personnel ; cela pour une exploitation qui ne doit durer qu’une année, et dont vous ne savez pas calculer par avance le produit.
Calculez d’abord les inconvénients qui sont la suite de ce projet. Le gouvernement se faisant monopoleur crée un personnel qui va s’attacher au budget, et vous savez que quand on a attaché au budget un personnel quelconque, il est difficile de l’en détacher.
On ne sait pas, dit-on, quel serait le produit de l’exploitation du chemin de fer. Mais il n’y a pas de meilleurs moyens pour connaître le produit réel de cette exploitation que la concession, que l’adjudication publique.
Déjà j’ai entendu que dans le commerce on réclamait contre le projet du gouvernement. Les spéculateurs n’en sont pas à la première expérience de chemins de fer ; ils ont vu comment cela se passe en Angleterre et en France ; ils peuvent établir leurs calculs ; ils demandent pourquoi le gouvernement se saisit de ces bénéfices au préjudice du commerce et de l’industrie. Ce système décourage l’industrie qui ne demande qu’à se livrer à de telles spéculations.
J’avoue que jusqu’à présent, je n’ai pas compris pourquoi M. le ministre de l’intérieur insistait si fort pour l’exploitation par le gouvernement. Si M. le ministre pouvait démontrer la nécessité de l’exploitation directe, mon vote serait acquis au projet de loi. Mais, s’il ne peut démontrer cette nécessité, je voterai contre le projet, parce que je voterai toujours contre le monopole.
Le monopole, nous le savons, est paresseux ; le monopole est insouciant ; le monopole est insolent. (On rit.)
Lorsque les voyageurs seront obligés de s’adresser aux employés du gouvernement pour des places dans les voitures publiques, ils n’obtiendront jamais les avantages et les facilités que leur offriraient le commerce et l’industrie. Le commerce et l’industrie vont toujours au-devant des besoins parce que cela leur est nécessaire pour augmenter leur produit.
Vous voulez connaître le produit de l’exploitation de la route en fer. Précisément, avec le système que vous voulez faire prévaloir, vous ne pouvez le connaître. Comment vérifierez-vous ce produit ? Vous serez obligés de vous fier à des employés nouveaux et souvent infidèles ; tandis que si vous livrez l’exploitation à l’adjudication publique, en surveillant bien les entrepreneurs, vous connaîtrez aussi exactement que possible le produit du chemin de fer.
L’adjudication vous offre encore cet avantage que vous n’aurez pas à vous débarrasser, et à vous débarrasser avec perte, d’un matériel immense ; que vous n’aurez pas à faire droit aux réclamations des nouveaux employés que vous aurez placés et qui seront sans pain, si vous êtes obligés d’abandonner l’exploitation directe. Ainsi, de tous côtés des inconvénients dans le système du gouvernement, tandis que je n’aperçois que des avantages dans le système des concessions.
Cependant, d’après l’assurance avec laquelle M. le ministre de l'intérieur a parlé de la nécessité de l’exploitation directe, je crois devoir réserver mon vote. Mais, si M. le ministre de l’intérieur ne démontre pas cette nécessité, je voterai contre le projet.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Ce que le gouvernement vous demande aujourd’hui, messieurs, n’est autre chose que ce qu’avaient proposé, dès le principe, les ingénieurs auteur du projet de chemin de fer, autre chose que ce qu’avait demandé le gouvernement dans le projet qu’il a présenté, ce que la section centrale a admis et que dès lors la chambre a sanctionné.
En effet, dans le premier mémoire qui fut distribué aux membres de la législature et qui fut rédigé par les ingénieurs auteurs du projet, on trouve à la page 101, au paragraphe Exploitation de transports, « qu’afin de rendre la route utile au public dès l’achèvement de chaque section, et d’empêcher qu’avant l’établissement d’une concurrence suffisante, des intérêts particuliers ne viennent faire peser un monopole sur les premiers transports, ce qui arrêterait l’essor du mouvement commercial et compromettrait la rentrée des recettes, il importe que la commission directrice (on supposait alors que la loi établirait une commission directrice) soit autorisée à maintenir en activité des moyens de transport capables d’assurer le service et de réduire le prix du fret à un taux raisonnable. L’emprunt supplémentaire qui serait autorisé à cet effet serait spécialement couvert par les sommes payées pour le transport, et par la location ou la rente successive dudit matériel. »
Les frais de l’établissement d’une route en fer d’Anvers à la frontière de Prusse avaient, en effet, été évalués à 16 millions et demi, et les frais d’exploitation à un million et demi.
Voici ce qu’on lit dans l’exposé des motifs en date du 19 juin 1833 : « C’est d’après ces motifs et d’autres qui pourront être ultérieurement développés, que le gouvernement a été conduit à vous demander l’autorisation de pouvoir faire un emprunt de 18 millions de francs, nécessaire pour la première partie de la route à construire, y compris un million et demi pour les dépenses d’exploitation. »
Dès lors la chose avait été clairement annoncée par le gouvernement.
Voici maintenant ce que nous lisons dans le rapport de la section centrale ; d’abord à la page 8 : « Il n’y a, d’ailleurs, aucun motif plausible d’abandonner à des particuliers les bénéfices certains de l’exploitation, et qu’il est, au contraire, de son devoir de les faire tourner au profit de la généralité, en en faisant l’objet d’un revenu après l’extinction des charges. »
Dans le sein de la section centrale un membre avait fait la proposition que l’honorable M. de Puydt renouvelle aujourd’hui ; voici comment la section centrale combattit cette proposition :
« Enfin, messieurs, et pour terminer la partie de ce rapport qui a trait à la discussion générale du projet, nous croyons devoir vous rendre compte encore qu’un membre de la section centrale a demandé que la perception des péages et l’exploitation des transports fussent mises en affermage, mais que cette proposition a été écartée, afin de ne pas tomber dans les inconvénients semblables à ceux qu’on a voulu éviter par le rejet du mode des concessions, c’est-à-dire pour ne pas subordonner le gouvernement à la volonté d’un fermier, et ne pas le forcer à des transactions onéreuses, lorsqu’il jugerait devoir réduire les tarifs. »
La section centrale, en conséquence de son opinion, avait non seulement admis les 18 millions demandés par le gouvernement tant pour l’établissement d’un chemin de fer que pour les frais de son entretien et de son exploitation ; elle y avait ajouté 500,000 francs et avait porté l’allocation à 18,500,000 fr. pour la partie du chemin comprise dans le projet du gouvernement.
Mais on dit que l’article 5 de la loi du 1er mai 1834 est en opposition avec ce projet ; je dis que c’est là une erreur. En effet, la section centrale, qui avait admis et la dépense d’exploitation et l’exploitation même, avait dès lors proposé un article tout à fait semblable à l’article 5 et dans les mêmes termes. Voilà ce que portait l’article 8 proposé par la section centrale et qui a été converti en loi :
« Les produits de la route provenant des péages qui devront être annuellement réglés par la loi, serviront à couvrir les intérêts et l’amortissement de l’emprunt ainsi que les dépenses annuelles d’entretien et d’administration de la nouvelle voie. »
Et cependant vous venez d’entendre par le rapport de la section centrale qu’elle fournit au gouvernement les moyens d’exploiter la route, et que son intention était que le gouvernement fît lui-même cette exploitation.
L’on fait diverses objections sur les inconvénients qui pourraient résulter de l’exploitation faite par le gouvernement et pour son propre compte. Ces mêmes inconvénients pourraient être également signalés pour le cas où un fermier exploiterait la route pour son propre compte.
En effet, le fermier de la route en fer serait obligés d’établir des receveurs pour percevoir le montant des péages, un contrôleur pour surveiller cette perception, des gardes magasins et autres employés subalternes de la même manière que le gouvernement. Il ne pourrait pas faire le service avec moins d’employés et à moins de frais que le gouvernement. Il ne pourrait pas plus que le gouvernement même assurer un sort aux employés, puisqu’il serait incertain si l’année suivante la ferme de la route lui serait continuée. Sous ces divers rapports, la position serait la même.
De même, pour les transports, le fermier de la route devrait, comme le gouvernement, se procurer des locomoteurs et des diligences, et si après l’expiration du bail, il n’était pas renouvelé, le fermier serait dans le cas de vendre les locomoteurs et les diligences.
Mais je demanderai de quelle manière on entend que le gouvernement concède à un tiers ou à des tiers l’exploitation de la route.
Sera-ce un seul individu qui aura la faculté d’établir exclusivement et sans concurrence des locomoteurs et des diligences sur la route en fer ? Mais dès lors n’est-il pas préférable que ce soit le gouvernement qui ait provisoirement cette faculté ! N’est-il pas juste que le gouvernement se procure par cette exploitation provisoire toutes les lumières nécessaires pour assurer au pays les bénéfices qu’il doit tirer de la route en fer !
Est-il juste de laisser ces éléments d’appréciation à un tiers, qui les tiendra secrets, et qui pourra dès lors, à l’époque de la réadjudication, écarter toute espèce de concurrence, personne n’étant à même de soumissionner avec les mêmes avantages l’exploitation ultérieure de la route ! Au contraire, le gouvernement exploitant lui-même la route rendra un compte détaillé des opérations, le rendra public et assurera ainsi une concurrence réelle et efficace.
Entend-on au contraire que le gouvernement permette à différents individus d’établir des locomoteurs et des diligences sur le chemin de fer ? Mais alors quelle règle adoptera-t-on ? Quel sera le taux de la perception à opérer sur ceux qui établiront des locomoteurs et des diligences ? Evidemment, nous manquons ici d’antécédents.
Mais, dit-on, lorsque, dans les concessions, le gouvernement fixe les péages pour un temps déterminé, il faut qu’il abandonne ces premiers éléments d’appréciation. Je dirai qu’en effet le gouvernement est forcé de fixer les péages uniformément pour toute la durée de la concession. Mais ce sont précisément les arguments que l’on a tirés de cet état de choses qui ont déterminé la construction de la route aux frais de l’Etat. On a dit qu’il y avait le plus grand danger à abandonner à des tiers l’exploitation d’une pareille route, alors que l’on n’avait aucun moyen d’en apprécier à l’avance le produit.
Ainsi les arguments que l’on reproduit pour écarter la proposition du gouvernement sont ceux qui ont succombé dans la mémorable discussion de la loi relative à la construction du chemin de fer. Au contraire, les motifs que le gouvernement met en avant pour faire un essai d’exploitation sont ceux qui ont triomphé dans cette discussion. Dès lors, je ne pense pas que vous reveniez sur ce que vous avez décidé ; je ne doute pas que vous n’adoptiez les conséquences immédiates de votre précédente décision.
M. Desmet. - Messieurs, je ne parle pas sur le texte de la loi qu’on vous présente, car dans celui-là je ne vois qu’un péage ; mais je parle sur la déclaration que vient de vous faire M. le ministre de l’intérieur ; et dans ce cas, je suis fâché de le dire, messieurs, mais vous devez reconnaître que c’est un véritable monopole qu’on vous propose de sanctionner.
C’est l’honorable ministre de l’intérieur qui désire que vous lui prêtiez une main sacrilège pour encore une fois enlever à la pauvre Belgique une de ses libertés, et la faire traiter à la prussienne.
Il vient vous engager à ce que vous lui donniez l’autorisation d’établir lui seul, sur une de vos routes publiques, tous les post-wagen et vragt-karren qu’il trouvera bon et profitable d’y faire circuler.
Il veut avoir à lui seul, sur la nouvelle route, le transport exclusif des voyageurs et des marchandises. Le public n’aura usage de la voie publique, y circulera et y fera passer ses marchandises que quand il plaira à M. de Theux, ou à ses deux commissaires MM. de Ridder et Simons, et vous paierez tout ce qu’ils vous ordonneront de payer.
Qui aurait pu croire qu’en Belgique on aurait jamais dû subir l’exécrable régime du monopole, et que c’est surtout après une si belle révolution que nous sommes forcés de voir cette horreur ?
Jamais notre pays ne l’avait dû supporter ; et toujours les Belges ont eu le monopole en exécration...
Je pense que l’honorable M. de Theux connaît l’histoire de son pays et qu’il a quelque connaissance de sa législation ancienne. Eh bien qu’il veuille regarder un peu derrière lui, il se persuadera que l’on n’a jamais su en Belgique ce que c’était qu’un monopole et que, quand des imprudents ont, d’une manière quelconque, voulu l’introduire, toujours il a causé les plus grands troubles.
Charles-Quint, qui savait si bien apprécier le caractère et les moeurs des Belges, s’était pénétré que pour conserver la tranquillité dans le pays et se faire aimer de nos ancêtres, il devait prévenir toute espèce de monopole qui aurait pu s’établir. C’est pourquoi, entre autres lois, il publia son édit du 4 octobre 1540, par lequel ce prince prévoyant statua que : « Vu les dommages qui procèdent des monopoles pour la chose publique, il défendait à toute ville, communauté, collège d’administration, consuls et suppôts, corps de métiers ou confréries ou autres, de faire aucuns statuts, ordonnances ou édits sentant monopole et préjudiciables à la chose publique, et déclara nuls et de nulle valeur tous semblables qui auraient existé (…) »
Oui, messieurs, jamais votre pays n’a dû subir les vexations d’un monopole quelconque, toujours ils y ont été condamnés.
C’est pour cette raison que la loi du 29 août 1790 sur la liberté des messageries n’a porté aucun changement dans notre législation sur cette matière…
Vous savez, messieurs, que c’est par cette loi du 29 août 1790 qu’en France le droit connu sous le nom de droit de permis et celui du transport exclusif des voyageurs et marchandises au profit du gouvernement ont été abolis, et qu’à compter de la même époque, tout particulier a pu voyager, conduire ou faire conduire librement les voyageurs, ballots, paquets et les marchandises de toutes les espèces sur les voies publiques, ainsi et de la manière dont les voyageurs, expéditionnaires et voituriers, trouveraient convenable.
Je le dis encore, qui aurait pu soupçonner que sous l’égide d’une constitution aussi libérale que celle que nous a procurée la révolution de septembre, et qui consacre si positivement le principe de liberté et d’égalité universelles, nous aurions vu arriver le monopole des Prussiens, et qu’après quatre ans seulement qu’on s’est défait d’un gouvernement, pour ses vexations et son administration tyrannique et abusive, on serait venu donner un démenti aussi formel à cette révolution, et qu’après un si petit laps de temps la nouvelle administration aurait fait renaître tous les griefs pour lesquels nous nous sommes, avec tant de raison et de justice, révoltés contre le gouvernement des Van Maanen et des autres suppôts du régime despotique des Hollandais ? On ne saurait mieux servir la cause de Guillaume ! Et les imprudents qui osent tout et ne respectent rien ne connaissent pas, je veux le croire, le mal qu’ils font au pays et au nouvel ordre des choses et la considération qu’ils ôtent au gouvernement du digne prince que la Belgique a élu pour son chef et souverain.
Rien de plus détestable et de plus dangereux pour un pays qu’un régime de déception et de tromperie !
Il est clair comme le jour qu’on a tenté de surprendre la religion de la chambre.
On a eu l’intention d’introduire en Belgique cet exécrable monopole qu’elle n’a jamais connu, et dans les développements qu’on vous présente du projet, on n’en dit pas un mot ; c’est tellement vrai qu’aucune de vos sections n’en a eu le moindre soupçon, qu’aucune ne s’en est occupée : toutes n’ont eu en vue que de simples péages.
D’ailleurs le texte du projet parle uniquement de péages ; et ce mot, le péage est assez bien connu et défini pour qu’on ne puisse jamais l’appliquer à l’exploitation d’une route. Qui peut l’entendre autrement que pour le droit de passe ?
Pourquoi n’a-t-on pas déclaré franchement, comme on a été obligé de le faire après à la section centrale, qu’on voulait introduire dans le pays le monopole des transports sur la nouvelle route ? Alors du moins les sections auraient pu délibérer sur cette importante question ; je pense qu’elle en valait bien la peine.
Et je me demande toujours pourquoi, dans le texte de la disposition de l’article du projet, on a cité l’article 6 de la loi du 1er mai 1834, au lieu de citer l’article 5, qui était le seul dont on pouvait faire mention.
Peut-être avait-on reconnu que la disposition de l’article 5 de la loi sur le chemin de fer était absolument contraire au système que l’on veut introduire !
Et il est certain, messieurs, que quand vous avez voté la loi de la confection du chemin de fer, vous n’avez jamais songé à ce que le gouvernement aurait exigé le monopole de la route. Dans toute la longue discussion qui a eu lieu pour le chemin de fer, on n’en a dit mot ; et d’ailleurs, on ne pouvait traiter cette question, puisque le gouvernement n’en a jamais fourni l’occasion : au contraire, le ministre et les commissaires du gouvernement qui ont défendu le projet ont toujours raisonné et posé leurs calculs sur les péages proprement dits, sur un simple droit de passe ; consultez leurs nombreux et volumineux mémoires et leurs notes multipliées, vous trouverez qu’on n’y traite que de droits de péages, et vous verrez que leurs calculs étaient établis, du produit des péages, à raison de 4 centimes par tonneau et par kilom., et de 30 centimes pour le passage de chaque plan incliné (page 92 du mémoire des auteurs du projet).
Mais on vous dit : Ce n’est qu’un essai qu’on désire de faire, pour s’assurer quels seront les produits de la nouvelle route. Mais, en faisant cet aveu, on reconnaît qu’on a l’intention d’y établir le monopole des transports d’une manière ou d’autre ; car, quand on veut faire un essai par l’administration ou régie, c’est une preuve qu’on veut continuer le mode sur lequel on fait l’essai, autrement je ne connais aucun essai possible.
Et il doit vous paraître étrange, messieurs, qu’on vienne vous parler aujourd’hui d’un essai à faire, pour connaître le produit des péages sur la route, quand vous devez vous ressouvenir avec quelle assurance et certitude on vous a posé les calculs du produit qu’on vous a certifiés mathématiquement exacts et ne pouvant jamais manquer.
M. le rapporteur de la section centrale dit que ce n’est qu’une question domaniale, que le gouvernement a le droit de se l’attribuer. Mais la gestion domaniale de l’honorable M. Milcamps constitue un véritable monopole ; cet honorable membre croit-il que nous pouvons le laisser exercer par le gouvernement ? Pense-t-il que le monopole n’est pas contraire à l’esprit de liberté et d’égalité qui domine dans notre constitution ? Pourrait-il assurer que quand il a voté le chemin de fer, il a voulu que le gouvernement eût ce monopole ?
Ce n’est pas ainsi qu’on peut comprendre une gestion domaniale ; l’honorable membre sait mieux que moi que le monopole de l’exploitation d’une route publique, d’une route nationale est tout autre chose que l’administration particulière d’un fonds ou d’un bien quelconque appartenant au domaine ; il sait bien aussi qu’ici le monopole n’est pas douteux, comme il sait aussi qu’il sera très difficile de trouver le droit que nous aurons d’exclure le public de l’usage d’une voie publique.
Je ne parlerai point des résultats de ce monopole, je crains qu’on ne les sente que trop tôt, ni de tous les dommages qu’il causera au trésor même. Je ferai ici une seule remarque, celle que le public ne cesse de faire, c’est que ce gigantesque travail du chemin de fer est uniquement abandonné aux soins de deux individus, et que tous les millions que le trésor y verse le sont d’après leur unique et bon plaisir ! Pour une simple réparation de route vous exigez que toute la hiérarchie des ponts et chaussées soit consultée, et quand vous allez dépenser un demi-budget, vous mettez toute votre confiance dans les deux plus jeunes ingénieurs du corps ! Ceci est chose difficile à expliquer, surtout quand on ne peut ignorer que de criants abus ont eu lieu et ont encore lieu tous les jours dans la confection du chemin.
Dans ce que le ministre vient de vous dire, il a toujours parlé d’établir ou de laisser établir des locomotives, d’exploiter ou de mettre en ferme l’exploitation de la route ; mais si M. le ministre n’a pas traité la véritable question, il l’a toujours esquivée ; il ne peut s’agir d’exploiter ou de laisser exploiter la route, il ne peut être question que de percevoir des péages ou des droits de passe. C’est ainsi que vous avez voté la loi sur le chemin de fer, et jamais, messieurs, vous n’avez songé qu’un jour le gouvernement aurait eu l’exploitation exclusive du transport ; la délibération des sections l’a prouvé à l’évidence, aucune n’a songé de discuter la matière de l’exploitation, toutes n’ont eu en vue que les droits de péages.
Vraiment je ne sais pas ce que veut M. le ministre : une fois il vous dit qu’on veut exclusivement exploiter le transport sur la route par le gouvernement, et une autre fois il vous assure que cette exploitation ne doit durer qu’un an, que ce n’est qu’un simple essai qu’on veut faire, et qu’après ce temps le gouvernement ne touchera que le droit de passage. Mais je le dis encore, à quoi peut servir l’essai d’un mode qu’on dit ne vouloir continuer, et quelle expérience ferez-vous sur le produit des péages, quand vous aurez un an exercé l’exploitation des transports ? Si vous voulez faire une expérience utile, faites-le sur le produit du droit de passage. Tout ce que je puis soupçonner, c’est que réellement on a l’intention d’exploiter exclusivement le transport, et que M. le ministre veut introduire en Belgique ce qui existe en Prusse ; que le gouvernement aura l’exploitation exclusive de la nouvelle route.
M. Jullien. - Le ministre de l’intérieur a demandé tout à l’heure pourquoi le gouvernement abandonnerait des bénéfices certains, lorsqu’il peut maintenant réaliser ces bénéfices. Messieurs, la réponse à cette interpellation est extrêmement facile ; c’est que le gouvernement ne doit jamais faire de bénéfice au moyen du monopole.
Je demanderai, moi, à M. le ministre pourquoi le gouvernement n’abandonnerait pas au commerce et à l’industrie les bénéfices qu’ils peuvent faire, lorsqu’il est reconnu que c’est le commerce et l’industrie qui font la prospérité d’un pays ? Quand le gouvernement, au moyen de péages établis, en appelant la concurrence, retire l’intérêt des capitaux qu’il a employés, et de quoi fournir à l’amortissement des avances qu’il a faites et aux frais d’entretien des constructions qu’il a achevées, que peut-il exiger davantage ?
Si le raisonnement de M. le ministre de l’intérieur était juste, ne pourrait-on pas lui demander encore pourquoi il ne l’applique pas aux bénéfices que l’on peut faire sur les diligences qui circulent sur les routes pavées, et aux transports qui se font par voie d’eau ? car les routes et les canaux appartiennent aussi bien au gouvernement que les chemins de fer. Dès que vous introduisez le monopole dans une branche d’industrie, vous pouvez l’introduire partout : il n’y a pas de différence entre une voie ferrée et une voie pavée ou une voie par eau.
En étendant davantage l’argumentation ministérielle, le gouvernement pourrait faire aussi des bénéfices sur les mines, sur les charbonnages, et par conséquent pourrait s’emparer de ces exploitations.
Voilà des vérités élémentaires comprises par tout le monde, et je serais étonné que M. le ministre de l’intérieur fût le seul qui ne les comprît pas.
On a parlé des inconvénients pour le gouvernement d’acheter des diligences, des wagons, un matériel considérable, de créer en outre un nombreux personnel, et M. le ministre a répondu que cet inconvénient existera pour les adjudicataires comme pour le gouvernement ; mais il y a cette différence que nous ne sommes pas ici pour défendre les intérêts des spéculateurs, lesquels doivent jouir de toute liberté, même de la liberté de se ruiner, et que nous sommes ici pour défendre les intérêts du commerce et de l’industrie. Il me semble que c’est mal connaître des derniers intérêts que de placer le monopole dans les mains du gouvernement. Prenez-y garde, cet abus porterait tôt ou tard ses fruits.
Il ne se présentera pas d’adjudicataires, a-t-on objecté contre le système de concurrence ; il n’y a pas de spéculateur assez insensé, a-t-on ajouté pour acheter un matériel qui ne servirait qu’une seule année peut-être à l’exploitation du chemin de fer. Moi, je suis convaincu qu’il se présentera des adjudicataires.
S’il ne s’en présentait pas, eh bien, vous resteriez dans votre droit ; vous seriez maîtres d’exploiter par vous-mêmes ; mais le gouvernement, du moins, aurait fait ce qu’il doit faire pour le commerce et pour l’industrie, et on n’aurait pas de reproche à lui adresser. Jusqu’à présent je ne suis pas convaincu de l’impossibilité de faire un appel à l’industrie pour l’exploitation du chemin de fer.
M. A. Rodenbach. - Je ne suis pas plus partisan du monopole que les honorables préopinants ; cependant il est des cas où une espèce de monopole est tout à fait nécessaire, et je crois que nous nous trouvons précisément dans un de ces cas.
Il ne s’agit pas d’accorder au gouvernement une exploitation exclusive pour cinq ou six ans, ni même pour quatre ou cinq ans ; il s’agit de l’autoriser à faire un essai pendant une année environ. Et encore remarquez que l’autorisation ne sera pas aussi exclusive qu’on le dit. Si j’ai bien compris les développements dans lesquels la section centrale est entrée, le gouvernement n’aurait que le monopole des machines locomotives ; tout entrepreneur de diligences ou de transports de marchandises pourrait entrer en arrangement avec le gouvernement, avoir ses voitures ou ses wagons pour le transport des voyageurs et des marchandises, et les faire remorquer.
Les particuliers pourraient même posséder des machines locomotives : en sorte que le gouvernement n’aurait que le monopole de la route en fer elle-même. En ce sens, je fais l’apologie du monopole. Je ne veux pas qu’une entreprise qui peut être si utile au pays soit cédée, même pour une année, à ces grands spéculateurs ; car ils sauraient bien ensuite se la faire donner exclusivement pour un temps indéfini. Je crains les intrigues et la puissance des moyens immoraux qu’ils savent employer pour parvenir à leurs fins. Il y aurait danger pour le commerce que la route en fer fût exploitée par des particuliers ; il y aurait danger peut-être pour les voyageurs qu’il en fût ainsi : c’est au gouvernement à veiller dans les premières années à leur sécurité.
Je le répète, je ne veux pas que le gouvernement se mette entrepreneur de diligences, ni entrepreneur de roulage ; je veux qu’il prenne des arrangements avec tous les parties tiers qui voudront acheter des diligences et des wagons. Je ne crois pas alors que ce soit là un monopole que l’on puisse attaquer.
M. Liedts. - Le peu de mots que j’ai à dire a moins pour but d’éclairer la question que de m’éclairer moi-même.
Tout le monde convient que le monopole est un mal ; cependant on veut, dans le cas dont il s’agit, nous le faire considérer comme un mal nécessaire, parce qu’il peut servir à déterminer, plus tard, des tarifs qu’on ne saurait établir maintenant. J’ai peu de connaissances en cette matière ; toutefois il me semble que le moyen proposé par le gouvernement est le moins propre à conduire à une évaluation juste des taxes pour le transport des voyageurs et des marchandises sur le chemin de fer.
Un voyageur, de Bruxelles à Malines, paierait au moins 1 fr. 75 centimes, et au plus 3 fr. ; c’est ce qu’a déclaré M. le ministre de l’intérieur à la section centrale. Comparez ces prix à ceux qui existent. Vous savez que d’Anvers à Bruxelles un voyageur ne paie que 3 fr., et que de Bruxelles à Malines il ne paie que 4 fr. 50 c. ; d’après cela voyez quel avantage il pourra y avoir à prendre le chemin de fer ? Cet avantage ne sera pas dans le prix, il se trouvera dans la vitesse.
Mais, dans les circonstances dont il s’agit, la rapidité sera-t-elle réellement un avantage ?
Malines n’est pas un lieu de destination ; cette ville n’est qu’une espèce de relais pour les voyageurs ; c’est Anvers, c’est la Hollande qui sont des lieux de destination lorsque on part de Bruxelles ; ainsi, le gouvernement laissera les voyageurs en chemin.
On me répondra que des entrepreneurs de messageries s’empresseront de leur offrir les moyens de le continuer ; néanmoins, qui assurera que tous les voyageurs trouveront des places dans les diligences ? Par la route en fer, on peut transporter en une seule fois cent voyageurs : pourront-ils tous monter dans des diligences qui offrent douze ou quinze places ? Voilà donc un grave inconvénient.
Il est évident qu’ils préféreront aller moins vite dans une courte partie de la route qu’ils ont à parcourir, payer moins cher, et être assurés qu’ils seront transportés sans retard là où ils veulent arriver.
Je crains que vous n’ayez aucun voyageur si vous ne diminuez pas vos tarifs, ou si vous n’employez pas un autre mode d’exploitation que celui qui est proposé dans le projet de loi.
Je voudrais qu’il fût permis à tous les entrepreneurs de messageries de faire remorquer des diligences aux machines locomotives sur le chemin de fer.
On prétend qu’on est sans base pour évaluer la rétribution à exiger des entrepreneurs de messageries ; mais vous n’en savez réellement pas davantage pour évaluer la rétribution à exiger des voyageurs ; vous ne pouvez faire autre chose que d’établir maintenant des prix variables et par approximation.
En donnant actuellement au gouvernement l’exploitation de la section du chemin de fer de Bruxelles à Malines, j’ai encore d’autres craintes ; j’ai peur qu’il ne se serve de ce vote comme d’un précédent, pour obtenir l’exploitation de toutes les autres sections du chemin de fer à mesure qu’elles seront exécutées. A défaut de raisons on ne manquera pas de prétexter pour vous faire des demandes semblables à celle sur laquelle nous délibérons, on vous dira que la section de Bruxelles à Malines ne pourrait rien apprendre quant aux tarifs ; que l’expérience était incomplète ; qu’il faut étudier ce que produit le transport des voyageurs de Bruxelles à Anvers, par exemple, avant de dresser un tableau des prix : on fera des raisonnements pareils pour les autres embranchements.
D’année en année, on obtiendra de vous la continuation de l’exploitation, et, en attendant l’application d’un autre système, on vous créera un personnel nombreux que vous ne pourrez plus faire sortir de vos budgets.
D’après ces considérations, je demande que les particuliers soient autorisés à faire remorquer des diligences ou des wagons aux machines locomotives, et que le gouvernement ait le droit de hausser et de baisser les prix de transport, selon les indications données par l’expérience.
M. Milcamps, rapporteur. - On prétend qu’en accordant au gouvernement l’autorisation d’opérer le transport des voyageurs et des marchandises, on constituera en faveur de l’Etat un véritable monopole.
Messieurs, je ferai remarquer qu’on donne à ce mot de monopole une signification fort large, et qu’on l’applique à bien des choses. On va même jusqu’à dire que celui qui, dans une assemblée, parle souvent, a le monopole de la parole. Cependant, quand on emploie un mot, il faut lui donner un sens légal. Or, dans le sens de la loi, le monopole est la spéculation que font des particuliers pour s’emparer de toutes les marchandises d’une même espèce, afin de les vendre plus cher.
C’est en prenant le monopole dans cette acception que Charles-Quint a en effet rendu un édit pour le proscrire, ainsi que vient de le rappeler un honorable membre. C’est dans cette acception que la législation a toujours frappé le monopole. Par cette explication vous voyez, messieurs, que l’objection que l’on fait n’est que spécieuse, et que le projet de loi en discussion n’a point pour but de créer un monopole au profit de l’Etat.
Pour constituer un monopole quelconque, il faut arriver à ce but que le consommateur soit entièrement dans la dépendance du spéculateur ou de l’exploitateur ; or, vous ne supposez pas que ce soit ici l’intention du gouvernement ni celle de la section centrale. Examinez l’économie de la loi, et vous verrez que le gouvernement ne pourra point exiger des prix plus élevés que les prix demandés par des entrepreneurs particuliers.
Si la section centrale a voulu que le gouvernement fît seul les transports sur le chemin de fer, c’est qu’elle a senti la nécessité de débuter ainsi dans cette exploitation. On manque des moyens d’établir un tarif ; on ne peut donc mettre l’entreprise en adjudication. Le gouvernement verra jusqu’à quel point il peut baisser les prix ; c’est dans l’intérêt du commerce et de l’industrie que la section centrale a conclu à l’adoption du projet du gouvernement.
M. Legrelle. - Je conviens que le gouvernement doit faire un essai, qu’il lui serait impossible actuellement de dresser un tarif ; mais, tout en donnant au gouvernement le moyen de faire cet essai, je pense qu’il ne doit pas s’emparer de tous les transports, qu’il doit admettre sur le chemin de fer les diligences et les wagons des particuliers, qu’il doit entrer en arrangement avec les entrepreneurs de messageries, et qu’il ne doit se réserver que le monopole des machines locomotives et des rails du chemin de fer. Mais combien prendra-t-il aux entrepreneurs de transports, ou combien prendra-t-il pour effectuer lui-même les transports ? c’est là ce qu’il apprendra de l’expérience.
Une adjudication est donc impossible maintenant. Il faut au moins un essai d’une année, avant de rien pouvoir évaluer même approximativement. Donnons donc au gouvernement la faculté de faire cet essai ; et ne lui défendons pas tout à fait d’adjuger tout ou partie de la route s’il le juge convenable.
M. Jullien. - Qui garantit cela ?
M. Legrelle. - L’article 2 du projet de loi est ainsi conçu :
« Le gouvernement pourra également établir des règlements pour l’exploitation et la police de la nouvelle voie. » C’est encore une nécessité de laisser au gouvernement le droit de faire ces règlements ; mais je voudrais que le gouvernement ne pût les faire que pour un temps fixé, par exemple, que pour jusqu’au 1er mai 1836. A cet égard je crois qu’un de mes honorables amis proposera un amendement.
M. Dumont. - Il est difficile de se faire une idée exacte de ce que veut le gouvernement. Dans le projet de loi, il n’est nullement question de lui donner le monopole de l’exploitation ; il n’y est question que des péages. On voit bien que ces péages seront perçus par les agents du gouvernement ; mais on ne voit pas que le gouvernement exploitera exclusivement la route ; c’est d’après les explications données par le ministre de l’intérieur que l’on a compris qu’il s’agissait réellement de concéder un monopole à l’Etat. Nul autre que le gouvernement ne pourra avoir sur le chemin de fer, ni machines locomotives, ni diligences, ni wagons : on ne pourra faire usage de la route en fer qu’en s’adressant au gouvernement.
Les adversaires du projet de loi présentent un autre système. Ils voudraient que les particuliers fussent autorisés à mettre sur le chemin de fer des diligences, des wagons ; et qu’enfin la concurrence pût s’établir pour le transport soit des marchandises, soit des voyageurs.
Tel le est la pensée de M. de Puydt ; et elle paraît conçue dans l’intérêt du commerce et des voyageurs.
Si le gouvernement se charge lui seul de l’exploitation. on fait remarquer combien seront immenses les dépenses qu’entraînera ce monopole. Le gouvernement devra acheter toutes les machines locomotives, toutes les diligences, tous les wagons, tandis que d’après le système de la concurrence, ces objets seraient achetés par un grand nombre de particuliers intéressés à lier leurs entreprises à celle du chemin de fer. Un particulier pourrait n’avoir qu’un wagon ; un autre pourrait en avoir deux ; de cette matière le matériel serait très divisé, et il n’y aurait, pour personne, danger de faire des pertes énormes ; le gouvernement serait au contraire exposé à ce danger s’il voulait être entrepreneur exclusif.
Mais, dit-on, le gouvernement n’exploitera par lui-même que pour connaître les prix qu’il faudra mettre aux transports. Messieurs, veuillez remarquer que ce n’est là qu’un prétexte ; tous les jours le gouvernement met en adjudication des objets dont il ne connaît pas la valeur ; ce sont les enchérisseurs qui lui font connaître cette valeur : quand le gouvernement vend une coupe de bois, se fait-il auparavant marchand de bois afin de connaître le prix des arbres ?
Quand il s’agit d’une route nouvelle, voit-on le gouvernement commencer par l’exploiter lui-même ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Sans doute.
M. Dumont. - Veuillez me citer des exemples. Quant à moi je ne le crois pas. Il en est de même pour les canaux. Je pense que le plus mauvais moyen de connaître les revenus exacts de la route est l’exploitation par le gouvernement. Il est bien certain que le gouvernement ne travaille pas à aussi bon marché que l’industrie particulière. Il fera donc des frais plus considérables que les particuliers. Il en résultera qu’il élèvera beaucoup trop les conditions de son adjudication, et peut-être plus tard y aurait-il impossibilité de trouver des adjudicataires. Je crois qu’il n’y a que l’industrie particulière qui puisse exploiter la route avec avantage. J’attendrai les réponses que l’on voudra bien faire à mes observations.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Il me semble que la chambre ne doit pas s’effrayer d’un fantôme. En effet s’agit-il réellement d’un monopole dans le sens véritable de ce mot ?
Voyons l’article premier de la loi :
« Provisoirement, en attendant que l’expérience ait permis de fixer d’une manière définitive les péages à percevoir sur la route susdite, conformément à l’article 5 de la loi du 1er mai 1834 ces péages seront réglés par un arrêté royal. La perception s’en fera, en vertu de cet arrêté, jusqu’au 1er juillet 1836. »
Vous voyez, messieurs, que ce que le gouvernement propose est une mesure purement provisoire. Le monopole du transport des personnes et des marchandises serait odieux entre les mains du gouvernement ; mais ce monopole ne serait pas moins odieux entre les mains d’un particulier ou d’une société. C’est un mal qu’il faut éviter. Or, pour éviter ce mal, il faut que le gouvernement parvienne à acquérir les éléments nécessaires pour pouvoir mettre en adjudication publique soit l’exploitation de la route, soit la perception du droit à payer sur la route.
Dans le moment actuel cela me paraît impossible, en supposant même qu’une adjudication pût avoir lieu. Il n’y aurait qu’une société ou un particulier par trop entreprenant qui osât se présenter comme adjudicataire soit de l’exploitation de la route, soit de la perception du droit : c’est un mal qu’il faut éviter.
Il faut que l’adjudication ait lieu avec concurrence et publicité. Pour qu’il y ait concurrence, il faut que l’on connaisse les produits de la route et les avantages qu’elle peut offrir.
L’exploitation par le gouvernement et la perception du droit doivent avoir pour but principal d’arriver à une connaissance aussi exacte que possible des frais affectés à cette exploitation et des bénéfices que la route peut donner, afin d’arriver à une adjudication qui soit réellement publique, dans laquelle tous les intéressés puissent concourir. Pour cela il me semble que le gouvernement doit commencer par percevoir le droit par lui-même et rendre publics en temps utile les frais qui auront été faits, et les bénéfices que la route a pu donner. Quand cette publicité aura eu lieu, les particuliers pourront établir leur concurrence. Alors seulement il y aura réellement concurrence.
La loi ne parle pas de l’exploitation de la route en elle-même. La loi ne parle que de la perception des péages. Je crois que c’est là une chose fort sage. La perception des péages se fera par le gouvernement lui-même, qui fixera le montant du droit à payer.
Quant à l’exploitation, vous laissez au gouvernement une latitude indéfinie. La route une fois établie, il faut qu’elle soit exploitée dans l’intérêt du trésor, du commerce et de l’industrie. L’exploiter uniquement dans l’intérêt du trésor serait une absurdité. La route a été construite dans l’intérêt du commerce et de l’industrie. C’est ce but qu’elle doit atteindre avant tout.
Si le gouvernement, après quelques mois d’expérience, parvient à une exploitation plus régulière de la route en admettant les particuliers à la concurrence, sauf à percevoir lui-même le péage pendant un certain laps de temps, ce sera le moyen le plus utile et le plus favorable au commerce, à l’industrie et au trésor en même temps. La loi ne dit rien à cet égard, et en cela, je le répète, elle agit fort sagement. Si des concurrents ne se présentaient pas à l’époque où la route sera ouverte (en supposant qu’on en mette l’exploitation en adjudication), personne n’en ferait donc usage. Il est dès lors nécessaire que le gouvernement l’exploite lui-même, puisqu’il est intéressé à ce que la route soit employée du moment qu’elle pourra être livrée à la circulation.
Je crois que c’est ainsi que la loi en discussion doit être comprise. Le droit des péages sera réglé par un arrêté royal. La perception s’en fera en vertu de l’arrêté du gouvernement jusqu’au 1er juillet 1836. Elle mettra l’administration à même de ne pas être sans données lors des adjudications qui pourront avoir lieu plus tard.
Quant à l’exploitation de la route elle-même, la loi ne pose aucune règle. Il est désirable qu’il y ait concurrence, que les particuliers soient admis à cette concurrence. Mais il n’y a pas de certitude qu’elle puisse exister. Dès lors vous devez permettre au gouvernement de faire l’exploitation lui-même. Si les résultats des adjudications ne satisfont pas le gouvernement, il fera encore l’exploitation de la route par lui-même. Dans tous les cas, il ne sera en possession de le faire que pour un délai déterminé, que pour un terme très court.
L’on a cité contre le système du gouvernement des exemples qui ne prouvent rien. L’on a assimilé l’exploitation du chemin de fer à la vente d’une coupe de bois. Mais chaque propriétaire connaît à peu près la valeur des bois à l’époque où se fait la vente. Les administrations sont même à cet égard obligées de procéder avec la plus grande circonspection, quand les coupes sont d’une certaine importance, que ce sont des coupes de haute futaie ; l’on fait procéder à une expertise préalable des bois, et les adjudications n’ont lieu qu’à la condition que le prix de vente ne soit pas au-dessous du prix de l’expertise.
L’on a parlé des routes nouvelles. Vous savez tous, messieurs, que le droit de barrière sur les routes nouvelles, appartenant au gouvernement, à la province ou à la commune, est perçu d’abord pendant un certain temps par des employés du gouvernement, que la perception se fasse pour son compte ou pour celui de la province ou de la commune. C’est le seul moyen d’arriver à une base certaine pour les adjudications.
Dans le cas présent l’on veut appliquer le même principe. Je n’y vois aucun inconvénient ; il n’y a pas là de monopole proprement dit. Le gouvernement ne demande pas l’exploitation du chemin de fer pour un temps indéterminé. Il la demande pour un délai fixé de quelques mois afin d’arriver à obtenir tous les éléments nécessaires pour mettre la route en adjudication et renoncer ainsi au monopole afin qu’il ne puisse s’établir au profit d’une société ou de particuliers.
Si l’on mettait immédiatement la route en adjudication, une société ou un particulier qui aurait calculé ses bénéfices d’avance, se présenterait comme adjudicataire, et l’on créerait ainsi un monopole au profit d’une société ou d’un particulier.
L’adjudication d’une route d’une importance aussi grande, ne pourrait se faire en ce moment que pour un terme assez long, pour un terme de 3 ou de 6 ans. Il n’entre certainement dans la pensée de personne d’engager pour un aussi long espace de temps les produits d’une route sur lesquels nous n’avons aucune espèce de renseignements quelconques.
C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la loi. Elle n’exclura pas la concurrence des particuliers, sauf à eux à s’entendre avec le gouvernement sur la part qu’ils auront dans l’exploitation. (La clôture !)
M. Gendebien. - Il faut que les ministres se mettent d’accord avec différents membres avant que nous abordions la discussion des articles. J’ai demandé que l’on s’expliquât catégoriquement sur la portée de la loi. J’ai adressé à MM. les ministres cette question :
Le gouvernement entend-il faire autre chose que d’établir des locomoteurs sur la route ? Entend-il faire courir à ses frais les wagons, les diligences ? Entend-il se faire aussi entrepreneur des moyens de transport ? M. le ministre de l’intérieur a répondu oui. L’honorable M. Legrelle a répondu non. Le gouvernement ne se chargera pas de transporter les personnes et les marchandises, de percevoir le prix des places.
J’admets un moment qu’il faille que le gouvernement s’immisce dans ces opérations pour pouvoir apprécier les produits. C’est une concession que je fais. Car tel n’est pas mon avis. Je crois que l’intérêt aura deviné plus tôt que le gouvernement les véritables bénéfices que présente l’entreprise de la route en fer. Mais en admettant que le gouvernement soit obligé de s’instruire par sa propre expérience, s’en suit-il qu’il faille qu’il se constitue entrepreneur de diligences ou de roulage ?
Que le gouvernement se borne à faire construire des locomotives. Il en a déjà trois, à ce que l’on vous a dit : qu’il en construise davantage si cela est nécessaire, qu’il fasse payer un droit aux particuliers qui attacheront leurs diligences ou wagons à la remorque de ces locomotives pour le transport des personnes ou des marchandises.
J’admets cette faculté, quoique je n’en reconnaisse pas la nécessité. Mais si vous voulez aller au-delà, que ce soit un monopole ou non, peu m’importe : il est certain qu’il faudra un bureau à Bruxelles, un entre Bruxelles et Malines, un troisième à Malines, un quatrième entre Anvers et Malines, un cinquième à Anvers.
Il faudra des employés du gouvernement dans ces bureaux. Vous constituerez toute une administration, un personnel complet. Qu’en ferez-vous au bout de l’année ? Votre matériel, vous trouverez toujours moyen de vous en défaire quand vous le voudrez ; mais votre personnel, qu’en ferez-vous ?
M. Jullien. - On en fera ce que l’on fera du matériel.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Cela est dit dans le rapport.
M. Gendebien. - Je ne m’occupe pas de ce que dit le rapport. Nous ne faisons pas des lois pour consacrer des rapports. Les rapports ne servent qu’à expliquer le but de la loi.
Demandez aux chambres la liberté d’exploiter la route en fer comme bon vous semblera. Dites que vous voulez faire l’essai de locomoteurs, de transports, de wagons ; nous saurons à quoi nous en tenir.
M. le ministre des affaires étrangères vient de nous dire que les particuliers seront admis à concourir dans l’exploitation de la route. Soit ; mais dites-le dans la loi.
Je suis convaincu que l’intérêt privé, toujours plus actif que le gouvernement, saura évaluer mieux et plus sûrement que lui les bénéfices de la route.
Faites une expérience. Livrez la route au public pendant trois mois sans demander un sou. Etablissez de distance en distance des commis chargés de tenir note de ce qui s’y passe. Je suis convaincu que vous rendrez un service au public. Et vous ferez une économie en vous privant du produit qui sera très grand dans les commencements.
Mais j’aimerais mieux voir le gouvernement faire ce sacrifice que de le savoir chargé d’un personnel dont plus tard il ne saura plus que faire. S’il faut parler franchement, je crois que la pensée du gouvernement est de s’embarrasser d’un personnel nombreux, afin de le garder indéfiniment.
M. A. Rodenbach. - Les chambres ne sont-elles pas là !
M. Gendebien. - Sans doute les chambres sont là. Mais une fois que le gouvernement aura obtenu d’elles la faculté de nommer ce personnel, il viendra vous dire : La circulation croissante de la route nous a forcés à acheter un plus grand nombre de locomotives, de diligences, de wagons ; le personnel s’est accru en raison de cette augmentation. D’autres sections de la route sont achevées. Faisons servir ce personnel à la même expérience sur ces portions nouvelles. Ainsi se perpétuera la régie par le gouvernement. Vous serez entrés dans une fausse voie. Vous reculerez devant les pertes qu’occasionnera un changement de système, et pour faire une économie, vous consacrerez le monopole.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Quelques orateurs ont paru ne pas comprendre la portée du mot péage. Il est évident que le péage sur la route en fer est analogue à celui sur les rivières qui comprend le droit et l’usage des bacs et des bateaux. Ainsi il y aurait analogie en tant que le gouvernement ferait lui-même le transport des marchandises et des personnes au moyen de ses locomotives.
Mais, ainsi que l’a dit M. le ministre des affaires étrangères, le gouvernement ne prend pas l’obligation de continuer pendant une année le transport des personnes et des marchandises. Il lui sera libre de se défaire de ses diligences, de ses wagons, et d’admettre la concurrence de l’industrie particulière. Mais il a pensé que le moment opportun n’était pas encore venu. En effet, si vous ne voulez pas livrer tout à fait la route en fer à la spéculation d’un seul individu, qui en fera son bénéfice, vous êtes obligés d’admettre le mode que le gouvernement vous propose.
Quelle espèce de concurrence y aurait-il en ce moment pour l’exploitation de la route en fer, exploitation qui commencera le 1er jour du mois de mai ? Quels sont les individus qui ont les locomotives, les diligences préparées à cet effet ? Il n’y en a pas.
Le gouvernement a cru devoir se procurer les locomotives et les diligences nécessaires à l’exploitation de la route. Il pourra en faire la vente, lorsque cette exploitation sera livrée au public. Si l’on admettait immédiatement le mode d’adjudication, tous les entrepreneurs des diligences vers Anvers seraient ruinés. Aujourd’hui, au contraire, le gouvernement transportera les voyageurs jusqu’à Malines, et là les entrepreneurs de diligences les prendront pour les transporter jusqu’à Anvers. Si le gouvernement se trouve assez éclairé, il pourra, avant l’expiration du délai fixé dans la présente loi (délai qui n’est après tout que d’une année), vendre ses locomotives, ou admettre les particuliers à en établir de concurrence avec lui. Il y a toute garantie à cet égard, puisque le gouvernement sera obligé de rendre des comptes au bout de l’année. Le gouvernement, s’il ne le faisait par zèle pour l’intérêt public, le ferait par zèle pour sa réputation administrative, Il ne voudrait pas s’exposer au désagrément d’avoir fait une mauvaise affaire pour le compte de l’Etat.
L’on est encore revenu sur le personnel que le gouvernement sera obligé de créer. Les employés ne seront que temporaires. Le gouvernement fera ce qu’un entrepreneur ferait. Il sera dans la même position que les particuliers. Un particulier, à l’expiration de son bail, serait obligé de vendre son matériel et de renvoyer ses employés. C’est ce que fera le gouvernement.
Il n’est pas à craindre qu’il ne vende son matériel avantageusement. La nécessité des locomotives se fera sentir à mesure que le gouvernement achèvera les parties de la route qui sont en instruction.
Un orateur a voulu établir une comparaison entre l’exploitation d’une route pavée et celle d’une route en fer. Il n’y a aucun terme de comparaison. Tout le monde a des voitures nécessaires à l’exploitation des routes ordinaires. Chacun en connaît les bénéfices. Les routes en fer exigent au contraire des moyens de transport plus dispendieux et d’une autre nature.
La route en fer ne pourra être livrée à la concurrence que quand l’expérience aura éclairé le gouvernement sur ses produits. Lorsqu’il en aura livré les résultats à la publicité, chacun établira ses calculs et il s’en suivra un grand bien pour le pays.
Il est donc d’une utilité évidente d’autoriser le gouvernement à fixer le taux des péages, à exploiter provisoirement le chemin de fer, sauf, lorsqu’il le jugera convenable, à lui laisser la faculté d’admettre la concurrence particulière.
- La discussion générale est fermée.
M. le président. - « Art. 1er. Provisoirement, en attendant que l’expérience ait permis de fixer d’une manière définitive les péages à percevoir sur la route susdite, conformément à l’article 5 de la loi du 1er mai 1834, ces péages seront règles par un arrêté royal. La perception s’en fera, en vertu de cet arrêté, jusqu’au 1er juillet 1836. »
M. de Puydt propose l’amendement suivant :
« La section de route en fer de Bruxelles à Malines sera livrée à la circulation publique immédiatement après son achèvement : Le gouvernement mettra en adjudication la perception du péage sur un maximum de tarif et sur un minimum de produit.
« Dans le cas où il ne se présenterait pas d’adjudicataires pour faire des rabais sur le tarif, le gouvernement pourra faire percevoir le péage en régie. »
La parole est à M. de Puydt pour développer son amendement.
M. de Puydt. - Les considérations que j’ai fait valoir dans la discussion générale expliquent suffisamment mon amendement. J’attendrai qu’on le combatte pour répondre aux objections qu’on pourra présenter.
M. le président. - Voici la disposition additionnelle proposée par M. Liedts :
« Chacun aura la faculté de faire remorquer ses voitures par les locomotives appartenant au gouvernement, en payant la rétribution et en se soumettant aux conditions qui seront ultérieurement fixées par un règlement d’administration générale. »
La parole est à M. Liedts.
M. Liedts. - J’ai fait connaître dans la discussion générale les motifs qui m’ont déterminé à présenter mon amendement.
Je veux rendre impossible le monopole du gouvernement comme celui des particuliers, et mon amendement a de plus cet avantage qu’il évite la création d’une administration coûteuse dont on ne pourra pas se débarrasser plus tard.
On dit, il est vrai, qu’on ne nommera que des employés temporaires qu’on pourra renvoyer quand on voudra. Mais nous avons, dans ce qui se passe pour l’administration du cadastre, un exemple de ce qui arrivera quand il faudra remettre sur le pavé tous ces employés qu’on aura nommés. L’administration du cadastre vient de terminer se travaux, les employés de cette administration ne devaient avoir droit ni à une indemnité, ni à une place nouvelle ; cependant on les place au détriment des anciens employés ; la même chose arrivera pour les individus qu’on emploiera dans l’administration de la route en fer.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne ferai qu’une seule observation. Je crois qu’il est impossible de comparer les employés d’une administration provisoire, comme celle de la route en fer, avec les employés du cadastre qui, depuis tant d’années, sont occupés dans cette partie.
M. Liedts. - L’essai que le gouvernement demande aujourd’hui à être autorisé de faire, devra être poussé plus loin. Car d’ici à Malines on ne transportera pas de marchandises, et quand la section de Malines à Anvers sera terminée, le gouvernement viendra nous dire : Nous avons bien pu faire un essai pour le transport des voyageurs, en exploitant la route de Bruxelles à Malines ; il faut maintenant que nous fassions un essai pour le transport des marchandises, et pour cela nous vous demandons de nous autoriser à exploiter la route jusqu’à Anvers. Et vous verrez ainsi se perpétuer cette administration qu’on ne veut créer, comme on dit, que pour un temps,
M. Jullien. - Nous avons à peu près tous compris dans la discussion générale que l’expérience que le gouvernement se propose de faire, ne durerait que jusqu’au 1er juillet 1836. Cependant, d’après la manière dont l’article premier est rédigé, il me semble que le gouvernement se propose de continuer l’expérience aussi longtemps qu’il pourra nous dire qu’il n’a pas acquis la connaissance des produits de la route et qu’il ne peut pas fixer d’une manière définitive les péages à percevoir. Je vous prie de faire attention à cette rédaction et, je demande au ministre de vouloir au moins nous dire quelle est sa pensée.
« En attendant, dit l’article premier, que l’expérience ait permis de fixer d’une manière définitive les péages à percevoir sur la route susdite, conformément à l’article 5 de la loi du 1er mai 1834, ces péages seront réglés par un arrêté royal. La perception s’en fera, en vertu de cet arrêté, jusqu’au 1er juillet 1836. »
Je vois, par cet article, que la perception se fera, en vertu de l’arrêté royal, jusqu’au 1er juillet 1836, mais que l’exploitation sera conservée au gouvernement jusqu’à ce qu’il lui soit permis de fixer les péages d’une manière définitive.
Je désirerais que le ministre voulût bien s’expliquer sur ce point, nous dire s’il entend terminer l’expérience au 1er juillet 1836 ou bien si à cette époque il pourra nous venir dire que l’essai doit être continué indéfiniment. C’est ce que je crains, si on laisse subsister l’article tel qu’il est rédigé, car nous n’avons pas d’assurance que l’expérience doive cesser au 1er juillet 1836.
Je pense que les ministres, fatigués d’être traînés à la remorque, veulent se donner la petite satisfaction de remorquer les autres. (On rit.)
Mais je voudrais savoir pendant combien de temps ils veulent conserver cette faculté. C’est là le but de l’interpellation que j’ai l’honneur d’adresser à M. le ministre.
M. de Puydt. - Je crois que mon amendement a besoin de quelques explications pour être compris.
La section de route en fer de Bruxelles à Malines sera livrée à la circulation publique immédiatement après son achèvement, c’est-à-dire que l’exploitation sera entièrement libre, que tous les particuliers pourront établir des moyens de transport pour les voyageurs et les marchandises. Le gouvernement n’est pas exclu de cette exploitation.
Le gouvernement mettra en adjudication la perception du péage sur un maximum de tarif que provisoirement il est autorisé à fixer, et sur un minimum de produit.
Le gouvernement ayant construit la route à ses frais, il est juste qu’il rentre dans ses fonds, qu’il couvre annuellement l’intérêt de son capital et les frais d’entretien de cette route. Le gouvernement évaluera à quelle somme doivent s’élever ces frais annuels, et fixera cette somme comme le produit que l’adjudicataire doit lui payer. Il fixera ensuite le maximum du tarif sur lequel la concurrence sera appelée à faire des rabais. De cette manière le gouvernement sera couvert de ses frais, et le public jouira de la route au tarif porté au minimum par ceux qui se présenteront pour obtenir l’adjudication.
Dans le cas où il ne se présenterait pas d’adjudicataires pour faire des rabais sur le tarif, le gouvernement pourra faire percevoir le péage en régie.
S’il ne se présente pas d’adjudicataires pour la perception des péages sur la route en fer, il est tout à fait naturel que le gouvernement soit autorisé à établir une régie, comme il le ferait sur toute autre route qu’il aurait ouverte à ses frais dans une contrée où il n’existerait pas de communication.
M. Smits. - Messieurs, la discussion générale a suffisamment expliqué le projet de loi présenté par le gouvernement. L’amendement de l’honorable M. de Puydt en détruirait toute l’économie.
Cet honorable membre propose de mettre immédiatement en adjudication le produit des péages, sans que le gouvernement sache quel sera ce produit. Pourquoi le gouvernement demande-t-il qu’on lui laisse faire une année d’expérience ? C’est pour connaître les revenus que pourra produire la route. Or on ne peut connaître ces revenus qu’autant qu’on aura pu évaluer les dépenses de l’exploitation.
On connaîtra bien le produit du droit de barrière pour le trajet des voitures mais on ne connaîtra pas les dépenses du matériel et il faut connaître ces dépenses pour évaluer les produits de la route.
D’après la proposition de M. de Puydt, le gouvernement rentrera dans l’intérêt et l’amortissement de son argent. Je suppose que la section du chemin de fer de Bruxelles à Malines coûte un million et demi, l’intérêt serait de 75 mille fr. ; en ajoutant 1 p. c. d’amortissement, soit 15 mille fr., vous avez un total de 90 mille francs qui serait le maximum que le gouvernement devrait recevoir. Mais si la route est susceptible de produire 300 mille fr., pourquoi laisser ce bénéfice à l’exploitation particulière, et ne pas le faire entrer dans les caisses de l’Etat ?
On a dit : Il est inutile que le gouvernement ait des machines locomotives et tout le matériel nécessaire à l’exploitation d’une pareille route.
Je ferai observer que ce matériel est indispensable dans tout état de choses. Le gouvernement doit avoir ce matériel précisément pour prévenir le monopole.
Qu’arriverait-il, si la route était laissée à l’exploitation particulière ? Il en résulterait qu’un seul individu, une compagnie pourrait exploiter la route à son bénéfice. Si les particuliers voulaient porter à un prix trop élevé les places des voyageurs, le gouvernement viendrait avec son matériel sur la route établir la concurrence et détruire le monopole. Je crois donc qu’il faut adopter le projet du gouvernement, et écarter l’amendement de M. de Puydt ainsi que celui de M. Liedts.
Comme l’ont dit MM. les ministres de l’intérieur et des affaires étrangères, ce n’est qu’après quelques mois d’exploitation que le gouvernement pourra voir s’il peut admettre les voitures particulières sur la section de route qui va s’ouvrir. (Aux voix ! aux voix !)
- L’amendement de M. de Puydt est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
M. le président. - L’amendement de M. Liedts est une disposition additionnelle à l’article premier ; je le mettrai aux voix après cet article.
M. Gendebien. - Je ne voterai pour l’article premier qu’autant que cet amendement sera adopté. Ainsi il faut le mettre d’abord aux voix.
- L’amendement de M. Liedts est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
« Art. 1er. Provisoirement, en attendant que l’expérience ait permis de fixer d’une manière définitive les péages à percevoir sur la route susdite, conformément à l’article 5 de la loi du 1er mai 1834, ces péages seront réglés par un arrêté royal. La perception s’en fera, en vertu de cet arrêté, jusqu’au 1er juillet 1836. »
M. Jullien. - J’ai tout à l’heure prié M. le ministre de l'intérieur d’expliquer la portée de cet article ; de nous dire s’il entend que l’expérience pourra durer au-delà du 1er juillet 1836, ou si elle devra cesser à cette époque. La rédaction a quelque chose d’obscur.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il est évident que cet article n’a d’effet que jusqu’au 1er juillet 1836.
- L’article premier est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Le gouvernement pourra également établir des règlements pour l’exploitation et la police de la nouvelle voie. »
- Adopté.
« Art. 3. Il pourra déterminer les peines, conformément à la loi du 6 mars 1818, pour réprimer les infractions aux dispositions prises en vertu de la présente loi. »
- Adopté.
« Art. 4. Le produit des péages sera versé au trésor pour servir aux dépenses d’entretien et d’administration de la route, ainsi qu’au remboursement des intérêts et des capitaux affectés à sa construction. »
- Adopté.
M. le président. - Je vais maintenant mettre aux voix les considérants :
« Considérant que des parties du chemin de fer décrété par la loi du 1er mai 1834, n°330 (Bulletin officiel, XXIX), pourront être prochainement livrées à la circulation publique.
« Vu l’article 110 de la constitution ;
« Nous avons, de commun accord avec les chambres, etc. »
- Adopté.
On passe à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi.
En voici le résultat.
Nombre des votants, 59.
Pour, 48.
Contre, 11.
Le projet est adopté. En conséquence il sera transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM. Bekaert, Bosquet, Brixhe, Coghen, Coppieters, Cornet de Grez, Davignon, de Behr, de Foere, A. Dellafaille, F. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Stembier, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Hane, Donny, Eloy de Burdinne, Ernst, Hye-Hoys, Lardinois, Legrelle, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rouppe, Schaetzen, Simons, Smits, Trentesaux, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Vanderheyden, Verdussen, L. Vuylsteke, Watlet et Raikem.
Ont répondu non : MM. de Meer de Moorsel, de Puydt, Desmet, Doignon, Dumont, Gendebien, Jullien, Liedts, Troye, Vanden Wiele et Vergauwen.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - J’aurai l’honneur de proposer à la chambre le projet de loi sur l’avancement des officiers dans l’armée. C’est le complément du travail commencé pour le classement des officiers. Comme le projet de loi et le rapport explicatif sont très longs, je demanderai la permission de les déposer sur le bureau. (Oui ! oui !)
M. le président. - La chambre donne acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi qu’il vient de déposer sur le bureau. Ce projet et les motifs qui l’accompagnent seront imprimés et distribués aux membres de la chambre.
Entend-on renvoyer ce projet aux sections ou à une commission ?
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Les conclusions de mon rapport tendent au renvoi à une commission.
M. de Puydt. - Je pense qu’on pourrait renvoyer à la section centrale chargée de l’examen de la loi relative à l’organisation de l’école militaire, la loi relative à l’avancement dans l’armée. Cette section centrale pourrait être organisée en commission et saisie de ce projet de loi.
M. le président. - Je vais d’abord mettre aux voix le renvoi à une commission. Je consulterai ensuite l’assemblée sur la proposition de M. de Puydt.
- La chambre consultée décide que le projet de loi sera renvoyé à une commission.
M. le président. - Je vais mettre maintenant la proposition de M. de Puydt de constituer en commission la section centrale chargée d’examiner la loi relative à l’organisation de l’école militaire, pour la saisir du projet de loi sur l’avancement dans l’armée.
M. Jullien. - Je vois bien qu’il s’agit de militaires de part et d’autre, mais je ne trouve pas de connexité entre la loi d’organisation de l’école militaire et celle de l’avancement dans l’armée.
M. de Puydt. - Plusieurs rapporteurs ont témoigné de la part de leurs sections le désir de voir la loi sur l’avancement dans l’armée présentée avant le vote de celle relative à l’organisation de l’école militaire, afin de connaître dans quelle proportion les élèves pourraient concourir aux emplois de sous-lieutenant. Ce rapport entre les deux lois a fait désirer que la même commission s’occupât de toutes deux. La section centrale nommée pour examiner l’une pourrait être saisie de l’autre et chargée d’en faire le rapport.
- La proposition de M. de Puydt est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - Il faut maintenant fixer le jour et l’ordre du jour de la prochaine séance.
- Plusieurs voix. - Il faut s’ajourner jusqu’à convocation.
M. Legrelle. - Je vous prie, messieurs, de vous rappeler que nous avons des pétitions importantes qui nous ont été adressées il y a plusieurs mois et dont le rapport est prêt. C’est faute de temps si dans notre dernière séance vous n’avez pas entendu M. Verrue-Lafrancq. Je demande que ces rapports soient mis à l’ordre du jour de demain.
- Plusieurs membres. - Le rapporteur est absent.
M. Verdussen. - Je demanderai qu’on mette à l’ordre du jour une loi dont le rapport est fait depuis longtemps, la loi d’organisation des cantons judiciaires.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - J’apprends à l’instant que la section centrale a terminé son travail sur la loi des expropriations pour cause d’utilité publique, et que demain le rapport sera livré à l’impression. Si la chambre voulait s’occuper des pétitions demain, après-demain ou jeudi, on pourrait s’occuper de cette loi, et le temps serait employé d’une manière utile.
- Plusieurs membres. - A jeudi ! à jeudi !
- La séance est fixée à jeudi à midi.
La séance est levée à 4 heures un quart.