(Moniteur belge n°24, du 24 janvier 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi ; la séance ne peut être ouverte, la chambre n’est pas encore en nombre.
M. Brixhe donne lecture du procès-verbal à une heure. La rédaction en est adoptée.
M. de Renesse donne communication des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Plusieurs propriétaires de Burght et Zwyndrecht demandent une indemnité pour emprise de terrains. »
« Les bourgmestres de 21 communes de la Flandre occidentale demandent que leurs églises maintenant établies comme annexes soient déclarées succursales. »
« Le sieur H. Desmet, propriétaire, demande qu’il soit établi deux écluses sur l’Escaut, la première à Esconoffe et la deuxième à Gavre. »
« La dame Marie-Hélène Grauven, veuve de Lauwens, ex-notaire à Eschen, demande une indemnité pour les pertes assignées par elle en août 1831, à la suite de l’agression hollandaise. »
« Le sieur Sugmond Fremerey demande que la chambre adopte une disposition qui permette de faire l’acquisition des domaines de l’Etat. »
« Le sieur Kock Monligneau, chevalier de la légion d’honneur, demande le paiement de l’arriéré de sa pension comme légionnaire. »
« Le sieur Kone Chasteleyn adresse des observations sur le projet de loi relatif aux sels. »
- Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétillons.
M. le président. - A la dernière séance, la chambre s’est arrêtée à l’art. 6 du chapitre IV.
Cet article est ainsi conçu : « Indemnités aux professeurs démissionnés dans les athénées et collèges : fr. 10,000 fr.
La section centrale propose de réduire ce chiffre à 6,760 fr.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je crois que, vu le grand nombre de professeurs actuellement placés et par conséquent n’ayant plus droit à l’indemnité, je puis me rallier au chiffre de la section centrale. Avec l’allocation qu’elle propose, les professeurs qui ne sont pas placés pourront encore recevoir le subside qu’ils ont reçu jusqu’à présent.
- Le chiffre proposé par la section centrale pour l’article 6 est mis aux voix et adopté.
« Art. 7. Instruction primaire : fr. 252,000. »
La section centrale propose de repousser l’augmentation de 10 mille fr. demandée, et par conséquent de n’accorder que 242,000 fr.
M. de Foere. - A l’occasion de la discussion sur l’instruction primaire, je demanderai la permission d’occuper la chambre d’un objet digne de son attention, je veux parler de l’instruction des sourds-muets.
Dans tous les pays, on travaille avec ardeur à la propagation et au perfectionnement de l’instruction des sourds et muets, et on parvient à obtenir d’heureux résultats. Jusqu’à présent, nous sommes restés, nous, indifférents sur le sort de ces malheureux ; nous n’avons pas même de statistique à cet égard, nous ne connaissons pas l’étendue du mal qui afflige une partie de nos concitoyens. Il est vrai qu’en 1829 le ministre de l’intérieur présenta aux états-généraux un rapport constatant qu’il y avait dans tout le royaume 2,166 sourds et muets. Je suis persuadé que si une statistique était levée avec exactitude, on trouverait un nombre plus considérable. D’après la statistique de tous les pays où le nombre des sourds et muets est connu, le terme moyen est dans la proportion de 1 sur 1,585. D’après ce calcul, en Belgique, il devrait y avoir 2,396 sourds et muets. On en compte en France 20,189,et en Prusse 8,223.
Sur le nombre de sourds et muets existant dans le royaume des Pays-Bas, d’après le rapport présenté par M. le ministre de l’intérieur en 1829, 1,915 étaient en âge de fréquenter les écoles, et 249 seulement y allaient, de sorte que 766 se trouvaient privés de tout moyen d’instruction.
Vous voyez donc que les moyens d’instruction pour les sourds et muets manquent en Belgique, dans une proportion considérable, tandis que, dans un grand nombre de pays, cette classe malheureuse de la société est entourée des soins les plus bienveillants et les plus charitables ; on crée des établissements pour la faire jouir des bienfaits de l’instruction. Je pourrais en donner des preuves à la chambre, Je tiens en main un tableau de toutes les institutions fondées en Europe, pour procurer l’instruction aux sourds et muets.
Je suis persuadé que la chambre voudra bien accueillir avec bienveillance la proposition que je lui ferai de donner au gouvernement les moyens de procurer l’instruction aux sourds et muets, en suivant les nouvelles méthodes inventées depuis quelques années, et au moyen desquelles on a obtenu les résultats les plus heureux.
Nous ne possédons encore en Belgique que deux fractions d’établissement. Non seulement l’instruction est incomplète dans ces établissements, mais leur accès est très difficile pour quelques-uns et impossible pour le plus grand nombre des sourds et muets. On s’y sert encore de l’alphabet manuel, malgré le succès dont de nombreuses expériences ont couronné les nouvelles méthodes de la prononciation artificielle et de la lecture sur les livres.
L’institut royal de France, où ces moyens ont été mis en pratique après avoir été employés en Prusse, les a depuis deux ans substitués à son ancienne méthode. Les signes de l’alphabet méthodique et purement de convention, est-il dit dans son règlement, sont définitivement bannis du système d’enseignement en usage dans l’institut royal.
Si la chambre voulait veiller quelque peu à l’instruction des sourds et muets, il en résulterait d’autres bienfaits pour cette classe malheureuse de la société, Il est à remarquer que la surdité apparente est plus fréquente que la surdité réelle. En exerçant l’attention et les facultés d’audition, quelque faibles et quelque minces qu’elles soient, de ceux qui sont dans ce cas, on parvient à leur faire distinguer les impressions les plus faibles.
On doit à M... la découverte de procédés ingénieux pour l’instruction des sourds et muets. Mais ces procédés sont totalement négligés en Belgique. On parvient quelquefois, au moyen de ces procédés, à rendre la parole et l’ouïe à des enfants sourds et muets. Il est à remarquer que presque tous les sourds et muets montrent l’envie d’apprendre à lire et à écrire. En suivant cette méthode simple et ingénieuse, on parvient non seulement à leur donner des connaissances ordinaires, mais encore une instruction supérieure. Dans presque tous les pays des institutions sont formées, dans ce but, aux frais de l’Etat.
Nous allons bientôt voter des fonds pour les artistes vétérinaires, pour guérir les chevaux ; si la chambre voulait porter quelque attention sur les maux de ses semblables, elle ne refuserait pas, je pense, d’accorder les fonds nécessaires pour organiser dans le pays un établissement d’instruction, bien entendu réglé sur les nouvelles expériences, afin de venir au secours de cette classe malheureuse de la société.
Je me bornerai, pour le moment, à demander à la chambre d’ordonner au ministre de lever la statistique des sourds-muets qui se trouvent dans le pays. Si la chambre accueille ma proposition, je remettrai au ministre de l’intérieur les questions qu’il est nécessaire de faire d’après les usages suivis en Allemagne, afin de bien classifier les sourds-muets et donner les moyens à employer pour leur apprendre la lecture, l’écriture, et leur rendre même l’usage de la parole, soit par l’articulation artificielle, soit par la lecture sur les livres.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il est inutile, je pense, que la chambre prenne aucune espèce de résolution à l’égard de la proposition qui vient de lui être faite. Si l’honorable abbé de Foere m’avait exprimé le désir d’avoir la statistique qui fait l’objet de sa proposition, j’aurais bien volontiers pris l’engagement de la lui donner. Au reste, il suffit qu’il ait appelé mon attention sur cet objet, pour que je le fasse avec plaisir.
M. de Foere. - Je me déclare satisfait de la promesse de M. le ministre.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, dans une précédente séance, j’ai fait remarquer qu’on votait des fonds pour les universités, pour les collèges et pour l’instruction primaire, et qu’on oubliait deux classes malheureuses de la société, les sourds et muets et les aveugles. L’honorable préopinant a demandé une statistique des sourds et muets qui existent en Belgique. J’ai parcouru un ouvrage de M. Quételet, d’après lequel il y aurait en Belgique environ 3,500 aveugles et 2,500 sourds et muets. Ces calculs sont approximatifs. Mais M. Quételet dit que dans la Flandre occidentale il y a un aveugle par 1,000 habitants, ce qui fait 600 aveugles pour cette province seulement.
J’ai déjà dit plusieurs fois que dans tous les pays, en France en Prusse, en Allemagne, il y avait des instituts royaux pour les aveugles et les sourds et muets ; qu’en Bavière, dont la population n’est pas plus forte que celle de la Belgique, il y en avait trois, tandis que nous n’en avions pas un seul ; tandis que jusqu’à présent il n’est pas un seul aveugle qui ait reçu la moindre instruction. Et dans la somme demandée pour l’instruction primaire, il n’y a pas un seul centime destiné à l’instruction des aveugles et des sourds et muets.
Si les 10 mille francs d’augmentation demandés sont encore destinés à l’instruction des personnes ayant tous leurs sens, je les refuserai. Mais si le ministre veut les affecter à l’instruction de deux classes de malheureux qui ont plus besoin de secours, pour qui l’instruction est indispensable pour gagner leur vie, je m’empresserai de les voter. Il y aurait d’ailleurs une grands injustice à ne pas venir au secours de ces malheureux.
L’année dernière la somme allouée pour les écoles primaire était de 242,000 francs. Cette année, le ministre en demande 232,000. Je dirai d’abord que la répartition de cette allocation est très mal faite, que tel district reçoit à lui seul plus qu’ailleurs toute une province. Je sais que ces injustices tiennent à ce que nous n’avons pas de loi sur la matière, mais on peut espérer que la loi dont nous allons nous occuper les fera disparaître. Ces injustices subsistant, le ministre serait embarrassé pour faire un bon usage de l’augmentation qu’il demande.
Je fais la proposition formelle d’allouer les dix mille fr. demandés et de les appliquer à l’instruction des deux classes de malheureux sur lesquels je viens d’appeler l’attention de la chambre.
Si l’instruction primaire souffrait en Belgique, je serais le premier à demander qu’on vînt son secours, et j’accorderais l’augmentation qu’on sollicite. Mais voyons l’état de l’instruction primaire en Belgique. Déjà l’année dernière j’ai eu l’honneur de vous dire qu’il résultait de travaux statistiques qu’en Belgique, sur dix habitants, un fréquente les écoles, tandis que, sous le précédent gouvernement, sur 15, un seulement se rendait aux écoles. Il y a donc amélioration dans l’état de l’instruction primaire chez nous.
Voyons dans les autres pays, en France par exemple : et bien, dans ce pays si instruit, les écoles ne sont fréquentées que par un habitant sur vingt. De sorte que chez nous deux enfants suivent les écoles, alors qu’en France il n’y en a qu’un. Nous ne sommes donc pas en arrière à l’égard de la France. Que donne-t-on en France pour l’instruction ? 900,000 fr. et si la France protégeait son instruction primaire dans la même proportion que nous, elle devrait accorder au-delà de deux millions.
En Angleterre, sur onze habitants on envoie un élève aux écoles comme en Belgique ; en Prusse, sur 7 habitants il y a un élève ; en Russie, sur 375 habitants il y a un élève ; en Autriche, sur 13 habitants il y a un élève. Je pourrais parcourir tous les pays de l’Europe, mais je ne trouverai nulle part une proportion plus forte qu’en Belgique. Pourquoi donnerions-nous deux ou trois fois plus de fonds que dans aucun autre pays ? En Angleterre, le gouvernement accorde un demi-million ; il y existe quatre mille écoles dotées anciennement, indépendamment des établissements soutenus par les villes. Je demande donc que les dix mille francs soient appliqués aux sourds et muets et aux aveugles.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Ainsi que j’ai eu l’occasion de le dire en d’autres circonstances, le gouvernement a fait tout ce qui dépendait de lui pour favoriser l’instruction des sourds-muets. A Liège il existe un établissement très recommandable où cette instruction est donnée : on a demandé des secours au gouvernement, ils ont été accordés. A Bruxelles on va créer une semblable institution qui sera dirigé par M. l’abbé Triest ; 5,000 fr. ont été alloués à la régence de cette ville pour contribuer aux frais de premier établissement.
J’ai aussi eu occasion de dire que si, dans les Flandres, les instituts de sourds-muets qui y sont formés n’ont pas obtenu de subsides, c’est qu’ils n’ont pas fait connaître leur existence au gouvernement. Mais les discussions qui ont eu lieu récemment ont déjà amené ce résultat que la maison dirigée par une religieuse, élève de M. Triest, s’est adressée à mon ministère pour un subside : il sera fait droit à cette demande.
Je n’ai pas de fonds pour créer des établissements de sourds-muets ou d’aveugles. C’est par des associations beaucoup mieux que par l’initiative du gouvernement que de bons établissements de cette espèce pourront être formés. Cependant je ne négligerai aucune occasion d’en stimuler la création.
M. Lebeau. - Je m’associe aux témoignages d’intérêt donnés aux aveugles et aux sourds-muets ; mais il y a une troisième classe de malheureux sur laquelle j’appellerai la sollicitude du gouvernement et celle de la chambre ; ce sont les insensés ; quand ils sont dans l’indigence, leur position est déplorable.
Je ferai remarquer que les observations présentées par les préopinants sont tardives : il est évident que les allocations demandées doivent être placées au budget de la justice ; tout ce qui concerne la charité publique est dans les attributions de ce ministère.
Il y a des entreprises formées par des particuliers ou des associations, et dont le but est de soulager les sourds-muets et les aveugles. Il faudrait que le gouvernement encourageât ces entreprises en y concourant. Mais je ne crois pas que le ministère doive lui-même créer de semblables institutions. C’est aux particuliers, aux communes qu’il faut laisser l’organisation des établissements pour les sourds-muets et les aveugles ; ensuite il faut que le gouvernement leur accorde des subsides.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Les hospices pour les insensés réclament toute la sollicitude du gouvernement. Il est cependant des parties de la Belgique où ces établissements ont été beaucoup améliorés ; je veux parler des Flandres et notamment de Bruges.
Les maisons d’aliénés qui sont dans d’autres provinces n’ont pas réclamé de secours du gouvernement. Il est probable que, par suite des efforts des localités qui recevront l’impulsion du gouvernement, elles seront également améliorées.
A Bruxelles, il y a longtemps que l’on sent la nécessité de créer un grand hospice pour les aliénés. Le gouvernement a stimulé cette commune ; il a mis à sa disposition une somme considérable pour cette année, et j’espère que sous peu cet hospice sera ouvert aux insensés.
M. Lebeau. - Ce sera un établissement central.
M. de Foere. - Je m’opposerai à l’admission de l’amendement de M. Rodenbach, parce qu’aujourd’hui rien n’est organisé. L’instruction des sourds-muets dans nos contrées est très incomplète et les subsides que vous accorderiez seraient distribués de la manière la plus arbitraire, et sans savoir si leur application est convenable. Il faut commencer par une organisation complète des établissements dans les provinces. Pour y parvenir, j’ai demandé que l’on dressât sous ce rapport la statistique de ces provinces, afin que la chambre puisse juger et voter en connaissance de cause les sommes nécessaires. J’ai remis à M. le ministre de l’intérieur les questions qu’il faut adresser aux parents pour bien classer les sourds-muets.
Le préopinant a manifesté le regret de ce que mes réflexions n’ont pas été faites lors de la discussion du budget du ministère de la justice ; je lui ferai observer que mes réflexions sont relatives à l’instruction des sourds -muets et des aveugles, et non aux secours qu’ils ont droit comme indigents.
Ce n’est pas à la seule charité qu’il faut abandonner l’éducation de ces malheureux. Dans presque tous les pays cette éducation est aux frais de l’Etat. Mais pour créer une institution de sourds-muets, il faut connaître les méthodes employées en France et en Allemagne, afin de les mettre en pratique chez nous. D’après ces méthodes on est parvenu à mettre en rapport les sourds-muets avec ceux qui ne le sont pas ; ils comprennent ce que l’un dit aux mouvements des lèvres.
Je le répète en terminant, avant de donner des secours aux maisons d’éducation, il faut organiser ce genre spécial d’instruction.
M. Van Hoobrouck. - Dans la séance d’hier, M. Fleussu, avec le talent qui le caractérise, a fait un tableau des devoirs du gouvernement, relativement à l’instruction publique ; je n’ajouterai rien à ce qu’il a dit de peur d’affaiblir l’effet qu’a produit son discours. Je ferai remarquer seulement que le chiffre posé cette année pour l’instruction primaire est le même que celui de l’année dernière. Il résulte de là que si cette somme est absorbée, et que le ministre soit cependant dans la nécessité de venir au secours de quelque commune, il ne pourra satisfaire même aux besoins les plus impérieux.
Je suis en conséquence obligé de recourir à votre bienveillance pour obtenir la somme minime de 300 francs pour une école primaire.
Il existe dans la Flandre une commune de mille habitants, sans moyens de communication avec celles qui l’environnent, et dont l’administration ne peut pourvoir aux frais de l’instruction primaire. Cette commune est malheureusement célèbre dans les annales du crime. Vous avez tous pu lire le récit du forfait dont le secrétaire de l’administration communale lui-même s’était rendu coupable ; un journal que je reçois à l’instant contient le détail d’autres forfaits commis aussi par des habitants de cette commune, et enregistre ainsi une nouvelle condamnation à mort contre des individus qui lui appartiennent.
Il n’y a aucune session de cour d’assise à laquelle cette malheureuse commune ne fournisse son contingent d’accusés.
J’ai souvent recherché, messieurs, quelle pouvait être la cause de cette propension au crime qui se manifeste dans ses habitants ; je suis arrivé à cette conclusion que c’est le manque d’instruction qui en est la principale cause.
La régence de cette commune avait demandé un subside à M. le ministre de l'intérieur pour l’instituteur s’offrant de donner les bâtiments pour l’école ; et c’était un sacrifice presque au-dessus de ses moyens. Si vous ne venez pas à son secours, il sera impossible que l’instruction la plus élémentaire ne s’y répande. Les habitants y sont pauvres ; les chemins qui les mettent en relation avec le pays environnant sont impraticables : je pense que par ces considérations vous n’hésiterez pas à voter la minime somme de 300 fr. Hier, quand on a voté plusieurs mille francs pour le Luxembourg, je me suis réuni à ceux qui ont accordé cette augmentation ; aujourd’hui vous accorderez le même secours, proportionnellement, pour une autre localité ; car vous êtes persuadés que les principes de religion et de morale adoucissent les mœurs.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - J’exposerai en peu de mots les motifs de l’augmentation que j’ai demandée ; auparavant j’entrerai dans quelques détails sur la répartition des fonds pour l’instruction primaire.
On a critiqué l’inégalité qui existait dans cette répartition ; il est facile d’en trouver la cause. Cette cause est indépendante de la volonté de l’administration. Par exemple sous le gouvernement précédent, beaucoup de communes craignaient de solliciter des subsides du gouvernement, ne voulant pas s’exposer à son influence en matière de doctrines, d’autres communes, au contraire, ne partageant pas cette crainte, ont demandé des subsides et les ont obtenus. Telle est la principale cause de l’inégalité de répartition. Il en existe sans doute d’autres, mais elles ne sont que secondaires. L’administration doit tendre à rétablir l’équilibre, en attendant que les provinces, suivant le projet d’organisation de l’instruction publique, soient chargées elles-mêmes de faire cette répartition.
Il restait au budget de l’année dernière une somme disponible assez considérable pour l’instruction primaire : cette somme a été répartie par un arrêté du 15 octobre 1834. En proposant cette répartition, je me suis surtout attaché à réparer, autant que possible, l’inégalité des distributions existantes. C’est ainsi que je n’ai donné à la province de Namur que trois nouveaux traitements, tandis que j’en ai accordé 36 à la province de Luxembourg. J’ai partagé les secours dans une proportion analogie entre les autres provinces. Cependant, il existe dans les provinces les mieux partagées des communes où les besoins sont impérieux : dans ce cas, il faut bien encore faire droit à leurs réclamations. Voilà les règles qui m’ont guidé dans la distribution que j’ai proposée au Roi en octobre dernier.
Maintenant, les fonds sont absorbés, et il me serait impossible d’accorder un seul traitement nouveau. La somme de 10,000 fr. que j’ai demandée est pour venir au secours des localités qui ont les besoins les plus pressants.
Vous savez qu’il y a des communes étendues, dont les centres profitent davantage de l’instruction, tandis que les parties éloignées du centre ne peuvent en profiter. Il faut que l’on donne aux hameaux les moyens de se procurer de l’instruction ; il faut tâcher de réunir plusieurs hameaux pour qu’un instituteur les enseigne en commun. Tel est l’usage que je me propose de faire principalement de la somme de 10,000 fr. Au moyen de cette somme je pense pouvoir satisfaire aux besoins les plus pressants.
Je dois dire un mot maintenant sur les aveugles et les sourds-muets.
Les secours pour les sourds-muets étaient autrefois portés au budget de l’intérieur, mais lorsque les établissements de bienfaisance ont été distraits de ce ministère sous mon prédécesseur, ces secours ont été portés au ministère de la justice ; cependant je dois convenir, avec quelques honorables membres, que ces établissements peuvent être envisagés sous un autre rapport que celui de la bienfaisance ; qu’on peut les considérer sous le rapport de l’instruction, et qu’alors ils dépendent du département de l’intérieur, et qu’ainsi les subsides devraient être portés à ce département. Mais n’ayant pas eu jusqu’à présent cette attribution, j’ai eu peu d’occasions de m’occuper des besoins des sourds et muets.
Cependant, conformément à la promesse que j’ai faite, je commencerai par rassembler des renseignements sur les sourds-muets, sur les lieux où il conviendrait qu’il y eût des établissements et sur les moyens de les créer. Il faudra aussi connaître les moyens que les familles pourraient avoir pour envoyer les individus qui leur appartiennent aux établissements, et les secours que les communes pourraient leur accorder ; car si l’Etat devait totalement entretenir ces individus, la dépense deviendrait considérable. Ce n’est qu’après avoir recueilli ces divers renseignements que l’on parviendra véritablement à connaître quelles sont les mesures qu’il y aura lieu d’employer pour venir à leur secours.
M. Doignon. - Messieurs, j’avais le dessein de ne point prendre la parole sur le chapitre de l’instruction publique, mais ce qu’a dit hier M. le ministre des finances m’oblige à rompre le silence.
L’honorable ministre vous a dit que son projet de loi sur l’instruction publique était accueilli, et avait le bonheur de rallier les esprits sur les questions que soulève cette matière. Il me permettra de lui dire qu’il se trompe, et qu’il est mal informé à cet égard. Je connais plusieurs membres distingués de cette chambre qui ne sont aucunement d’accord avec ce projet sur plusieurs points fondamentaux, spécialement à l’égard de l’instruction primaire. Je vais les rappeler très brièvement.
Premièrement, aux termes de la constitution, ce n’est que l’instruction publique donnée aux frais de l’Etat, qui doit être réglée par la loi ; et cependant, par votre projet, vous faites régler non l’enseignement qui se donne aux frais de l’Etat, mais bien celui que la commune elle-même donne à ses frais.
Vous proclamez la liberté de l’enseignement pour les communes comme pour les particuliers, et cependant vous imposez à celles-là des conditions préventives, et vous déclarez qu’à défaut d’y satisfaire sur l’un ou l’autre point, l’autorité supérieure établira une école dans chaque commune d’office, et à leurs frais. Ces conditions sont tellement larges, que sous prétexte, par exemple, qu’un objet n’y est point enseigné d’après le mode, la méthode et les doctrines qu’il plaira à cette autorité, celle-ci pourra toujours dire qu’une condition manque et créer son école d’office aux dépens des habitants : comme sous le roi Guillaume, les états députés, présidés par le gouverneur, les commissions provinciales, les conseils supérieurs d’instruction publique (article 106), des inspecteurs sont chargés d’exécuter ces dispositions. Les auteurs du projet ont pris soin de parler peu de l’intervention du gouvernement. Mais, aux termes de l’article 29 de la constitution, c’est au pouvoir exécutif qu’appartient l’exécution des lois, et d’après l’article 67, il fait les règlements et arrêtés nécessaires pour leur exécution. Aucune législature ne saurait donc soustraire au pouvoir exécutif la surveillance de toutes ces dispositions.
Ainsi, d’une part, vous dites que lorsque la commune établit une école à ses frais, elle jouit d’une entière liberté, et de l’autre, vous vous réservez le droit de la renverser et de contraindre les habitants à en établir une autre à leurs dépens, dès l’instant qu’elle ne remplit pas à votre gré l’une ou l’autre des conditions imposées dont les seuls juges de l’exécution sont ces commissions et ces autres autorités qui, quoi qu’on dise et qu’on fasse, seront d’ailleurs toujours subordonnées au gouvernement.
Vous proclamez la liberté de l’enseignement pour la commune comme pour chaque citoyen, et cependant, outre ces conditions préventives pour lesquelles vous vous réservez de faire violence à la commune, vous la forcez encore dans le choix de son instituteur, en l’obligeant à le prendre dans la liste de trois candidats que lui présente l’autorité supérieure, candidats qui devront aussi être munis de certificats de moralité et de capacité. Ce projet de loi tend donc à faire renouveler, sur une matière bien délicate, les plaintes et les susceptibilités dont le régime précédent a été l’objet.
Je prie instamment les membres de cette assemblée de l’examiner avec la plus grande attention, car il est rédigé avec tant de finesse, que ce n’est point en examinant isolément chaque disposition, mais en considérant leur ensemble, qu’on peut apercevoir combien il est hostile et dangereux pour l’une de nos plus chères libertés.
Un autre point fondamental, c’est le système de subsides avec le droit de surveillance au profit de l’autorité supérieure et du gouvernement, système que la chambre a déjà proscrit en 1833 lorsqu’elle a refusé au ministre de l’intérieur une augmentation de crédit pour l’instruction primaire, parce que ce ministre prétendait qu’au moyen de ce subside il avait un droit acquis de surveillance même morale sur les écoles subsidiées parce que son inspecteur-général avait même déjà vanté ce droit dans une circulaire.
Comme en général toutes nos communes ont peu de ressources et qu’elles sont même pauvres, on sait que les subsides offerts ou non par l’Etat seraient pour elles un appât irrésistible et que presque toutes elles donneraient dans le piège en vendant leur liberté pour quelque argent. Je veux bien admettre des subsides, mais sans conditions préventives tendant à asservir de fait l’enseignement dans nos communes ; que l’on continue à cet égard le régime actuel : je ne vois par exemple aucun inconvénient à ce que l’Etat exige que l’école subsidiée reçoive un certain nombre d’indigents, ou à ce qu’il surveille la construction d’un bâtiment pour lequel il aura accordé un subside.
Ce n’est point le moment de discuter le projet de loi sur l’instruction publique ; mais voici en très peu de mots toute notre pensée :
Je ne vois rien d’inconstitutionnel à ce que l’Etat continue, comme il le fait en ce moment, à accorder des subsides sous l’agréation des chambres ; que l’Etat soit autorisé par celles-ci à ériger à ses frais des écoles dans certaines localités où il y a négligence grave ou refus de l’établir, ou lorsque la commune oubliant ses devoirs repousse absolument toute amélioration. C’est de cette instruction donnée aux frais de l’Etat que nous devons seule nous occuper ; c’est elle seule qui doit être réglée par la loi. Que l’Etat soit encore autorisé à user de toute espèce d’encouragements pour améliorer l’instruction dans les campagnes et dans les villes ; qu’il ait à cet effet à sa disposition des subsides, des primes, des écoles modèles, des écoles normales, etc. Et certes tous ces moyens, j’en suis convaincu, joints à l’influence morale de l’autorité administrative, suffiraient pour amener peu à peu les améliorations dont l’état de l’instruction peut avoir besoin.
Cette pensée est aussi celle de l’ancien gouverneur du Luxembourg, M. Thorn, aujourd’hui gouverneur du Hainaut. J’engage mes collègues à jeter un coup d’œil sur les vues sages que ce fonctionnaire expose sur cette matière dans son rapport de 1834 sur la situation administrative de la province du Luxembourg. On y verra qu’il est aussi d’avis que le projet ministériel viole la liberté constitutionnelle de l’enseignement à l’égard des communes.
Mais je ne puis consentir en présence de l’article 17 de la constitution à ce qu’une autorité supérieure quelconque ait le droit d’établir des écoles d’office et aux frais de chaque commune, à peu près toutes les fois qu’elle le jugerait convenable ; à ce qu’on leur impose des conditions préventives en cette matière, et que par tous ces moyens, comme à l’aide des subsides, avec le droit de surveillance, on puisse s’emparer de fait des établissements communaux d’instruction primaire.
M. de Robaulx. - Messieurs, je ne crois pas que ce soit le moment de nous occuper des questions que vient de soulever l’honorable M. Doignon ; ces questions sont assez graves pour n’être traitées qu’après examen et point par improvisation. Je pense qu’il n’a jeté ces idées en avant que parce que chacun de nous peut en profiter avant notre réunion en sections. Nous ne négligerons pas l’avertissement. Toutefois, s’il veut qu’on ne laisse pas tomber ce qu’il a dit, je connais assez la matière pour la discuter de suite ; mais je crois qu’actuellement cette discussion serait inopportune. (Oui ! oui !)
Je n’ai pris la parole que pour appuyer la demande d’augmentation de fonds demandée par M. le ministre de l’intérieur.
Vous vous apercevrez par là que lorsqu’on nous accuse de faire de l’opposition systématique, on se trompe, puisque je viens voter en faveur de la proposition ministérielle, laquelle est une augmentation.
J’appuierai les propositions des ministres chaque fois qu’elles tendront au bien public, au développement d’un principe salutaire pour le pays. Messieurs, je ne conçois pas de fonds mieux employés que ceux qui ont pour but de décrasser le peuple de son ignorance, de donner un peu de lumière à ceux qui n’en ont pas et qui sont dans la position de ne pouvoir s’en procurer.
J’ai toujours cru que l’instruction publique gratuite et aux frais de l’Etat était une dette de l’Etat, envers les indigents au moins : tout ce que le ministère demandera dans un but aussi philanthropique, je l’accorderai.
J’ai vu que l’on se plaignait de la répartition plus ou moins inégale faite dans les exercices précédents ; je n’examinerai pas si telle ou telle province a été plus ou moins favorisée ; ce n’est pas par province qu’on doit procéder, c’est par commune. Dans la même province, à côté d’une commune riche par son industrie et par ses propriétés foncières, il peut se trouver d’autres communes tellement pauvres qu’elles soient obligées de se cotiser pour faire face aux frais de leur administration.
Dans la province de Namur par exemple, il est constant qu’il y a une foule de communes qui ont conservé une quantité immense de bois, dont les produits se distribuent aux habitants. Il en est de même dans une partie du Hainaut. Il y a des communes qui possèdent de 1,600 à 2,000 hectares de bois. Cependant la province de Namur est loin d’être une des premières de la Belgique sous le rapport de la richesse territoriale, et même minérales, quoique sous ce dernier point de vue elle occupe un rang plus distingué. Si, pour répartir les subsides alloués à l’instruction primaire, il ne fallait considérer que la richesse globale de la province, la province de Namur, comme pauvre dans son ensemble, recevrait une plus large part que les autres.
Dans une province très pauvre, il peut se trouver des communes dont les propriétés foncières soient beaucoup plus considérables que celles que possèdent d’autres communes dans un province très riche. Je citerai, par exemple, le Brabant. C’est une province très riche ; cependant, il n’y en a pas où les communes soient plus pauvres. Je vous citerai des villes, comme Anvers, comme Bruxelles : sont-elles riches ? Loin de là ; les événements de la révolution, et plus tard des événements locaux, comme ceux d’avril, ont obéré les administrations municipales. Si donc vous deviez n’avoir égard, dans la répartition des fonds pour l’instruction primaire, qu’à la richesse relative d’une province par rapport aux autres, vous vous tromperiez étrangement.
Quand on accorde à un ministre dans son budget des fonds de secours, on lui laisse le soin d’examiner les pièce produites de chaque procédure, de chaque instruction, jusqu’à quel point chaque commune individuellement a besoin de ces secours. Si l’on nous dit que la Flandre orientale est moins favorisée, je n’en aurai la conviction que quand on me l’aura démontré en présentant les besoins de chaque commune spécialement.
Ainsi, quand vous votez des fonds de secours pour l’instruction primaire, vous devez vous en rapporter à la répartition plus ou moins arbitraire, (je ne dis pas le contraire) du ministre au budget duquel vous les allouez. C’est une nécessité. Ainsi, lorsque dans le budget de la justice vous avez voté des fonds de secours pour les veuves de magistrats qui n’ont pas droit à la pension, vous avez laissé au ministre le soin d’en faire la répartition dans sa sagesse. Nous n’avons jamais examiné s’il y avait dans cette province plus de veuves de magistrats ayant droit à être secourues que dans telle autre.
Je voterai donc la majoration proposée par M. le ministre de l'intérieur.
Quant à la proposition que l’honorable M. Van Hoobroock a faite en faveur de la commune de… Je ne me rappelle plus le nom de la commune.
M. Van Hoobrouck. - La commune de Maeter.
M. de Robaulx. - La commune de Mater. J’espère que ce pas la mère de M. Van Hoobrouck. Car elle a produit de trop mauvais sujets. (Hilarité.) Elle a produit un contingent trop considérable dans le chiffre des crimes que les cours d’assises ont eu à examiner à chacune de leurs sessions trimestrielles. On a tiré parti de cette circonstance pour vous demander 300 fr. en faveur de l’instruction dans cette localité.
Je suis loin de m’opposer à ce que l’on fasse tout ce qu’il possible pour dissiper les ténèbres de l’ignorance dans une commune aussi malheureuse. Mais il me semble que, dans un budget, nous ne pouvons voter spécialement un subside en faveur d’une commune. Si l’on veut majorer le chiffre total des secours de la somme que l’on croit nécessaire, je ne m’y oppose pas. Mais si nous commençons jamais à voter des fonds spéciaux pour une localité, il nous arrivera à chacune des communes du district que nous représentons des demandes aussi fondées peut-être que celle de M. Van Hoobrouck, et ce ne sera plus le ministre, mais la chambre qui fera la répartition. Je ne crois pas que ce soit aussi qu’il faille entendre l’administration.
M. Van Hoobrouck. - Que M. de Robaulx veuille bien écouter la lecture de mon amendement. Il verra dans quel sens je l’ai rédigé.
M. le président. - M. Van Hoobrouck de Fiennes a présenté l’amendement suivant :
« J’ai l’honneur de proposer à la chambre de majorer de trois cents francs la somme de 242,000 fr. consacrée à l’instruction primaire. »
M. de Robaulx. - C’est différent.
M. le président. - M. A. Rodenbach a également présenté un amendement qui consiste à majorer de 10,000 fr. la somme de 242,000 fr. pour l’instruction des sourds et muets et des aveugles.
M. Liedts. - J’appuierai la demande faite par l’honorable M. Van Hoobrouck, si toutefois le ministre ne croit pas qu’il puisse prélever sur les fonds qu’il a à sa disposition une somme qui satisfasse à sa juste demande.
L’honorable M. Van Hoobrouck, en demandant une majoration de 300 fr., n’a pas voulu que cette somme fût accordée spécialement à la commune de Maeter. Il a dirigé seulement l’attention de M. le ministre de l'intérieur sur les besoins de cette commune. Ainsi, lorsque dans la séance d’hier, la nécessité d’allouer un subside au collège d’Arlon a fait augmenter la somme destinée à l’instruction moyenne, la majoration n’a pas été spécialement affectée à cette ville ; mais le ministre a été invité à prendre sa position en considération.
Je n’examinerai pas si la commune de Maeter fournit un contingent plus considérable aux cours d’assises. Si je voulais entrer dans quelques détails, je pourrais prouver que les chiffres publiés sur le nombre de crimes commis dans le royaume, notamment ceux de M. l’inspecteur des prisons, sont fort exagérés, et que les inductions que ce fonctionnaire en tire manquent et d’exactitude et de logique.
Mais si la commune de Maeter n’occupe pas le sommet de l’échelle de criminalité, je ne la représenterai cependant pas comme la plus morale du royaume. Il n’y est donné aucune instruction. L’état des finances de la commune ne permet pas de rétribuer l’enseignement élémentaire. Cette considération seule me paraît suffisante pour que la chambre accorde le subside réclamé. J’espère que la section centrale n’y formera pas d’opposition.
Si elle refuse une augmentation de subside parce qu’elle trouve qu’il n’y a pas de motifs suffisants pour y donner lieu, elle pourra faire une exception pour la commune de Maeter, puisqu’il est reconnu qu’il n’y a aucune espèce d’instruction primaire. Je crois en avoir dit assez pour soutenir l’amendement présenté par l’honorable M. Van Hoobrouck.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Du moment que l’on assure qu’il n’y a pas d’instituteur dans la commune de Maeter, je puis déclarer que je suis très disposé à accorder le subside demandé pour une commune qui se trouve dans les circonstances qui ont motivé l’allocation de subsides à d’autres localités. Mais je ne puis prendre aucune espèce d’engagement à cet égard, parce que ce serait établir un mauvais antécédent vis-à-vis des communes auxquelles un subside aurait été accordé dans cette enceinte. Je ne puis dire à la chambre que j’accorderai des fonds à cette commune, mais je me contente de lui assurer que la répartition de l’allocation se fera entre les communes qui sentiront le plus grand besoin d’un secours. Je pense que la commune de Maeter sera du nombre.
Quant à l’amendement de l’honorable M. Rodenbach, je ne m’oppose pas à ce que la chambre l’adopte ; mais je ne puis prendre l’engagement d’en disposer dans le courant de cette année. Cela dépendra des renseignements que je recevrai. Il faut laisser au ministre le soin d’employer le crédit s’il peut en faire un emploi utile.
M. A. Rodenbach. - Je crois être d’accord avec M. le ministre de l’intérieur. Ce n’est qu’un crédit éventuel que je demande. Je désire que le ministre en fasse un bon usage. Je ne veux pas que l’on donne cet argent au premier instituteur venu ; je veux que les instituteurs aient les connaissances spéciales. Plusieurs chefs d’établissements d’instruction m’ont déclaré que, s’ils obtenaient un subside, ils achèteraient des livres, des instruments spécialement affectés à l’éducation des aveugles, tels que lettres en relief, cartes géographiques.
Je suis persuadé que M. le ministre de l’intérieur trouvera le moyen d’employer d’une manière utile quelques milliers de francs sur l’allocation que je propose. Je citerai, par exemple, un instituteur très distingué, M. Pissin-Sicard. Il a donné à Bruxelles des cours sur l’éducation des sourds-muets. Il demandait 300 fr. pour ce cours. Beaucoup d’instituteurs y seraient venus s’ils avaient pu donner cette somme. Ici je relèverai une erreur commise par M. le ministre de la justice ; il a parlé d’une sœur de charité, élève de M. le chanoine Triest ; c’est M. Pissin-Sicard qui lui a donné des leçons. Et c’est après avoir reçu ces leçons qu’elle a admis dans son institution des sourds-muets dont l’éducation sera faite conjointement avec ceux qui ont leurs cinq sens.
J’ajouterai au sujet du sieur Pissin-Sicard qu’il est l’élève de l’abbé Sicard, et que c’est pour cette raison que le gouvernement français lui a permis de prendre le nom de son maître. Si le gouvernement belge avait consenti à lui donner seulement 4,000 fr., il aurait établi à Bruxelles une école normale où l’on aurait enseigné le mode d’instruction dont on doit se servir à l’égard des aveugles et des sourds-muets. Cela eût amené un grand bien et n’eût pas coûté des sommes immenses.
Un honorable député de Bruxelles a comparé, sans intention, je le crois, les aveugles et les sourds-muets aux aliénés, aux insensés qu’on enferme dans les hôpitaux. Je le demande, est-il possible d’établir un pareil parallèle ?
Les sourds-muets et les aveugles ne sont pas des automates. Ils peuvent acquérir de l’instruction, exercer une industrie. L’on ne peut donc les comparer aux incurables que l’on enferme dans les hôpitaux.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je crois que rien ne s’oppose à l’adoption de la proposition de M. Rodenbach ; mais je pense qu’il serait plus convenable de faire un article spécial de l’allocation qu’il demande.
M. A. Rodenbach. - Je me rallie à la nouvelle proposition de M. le ministre.
M. Van Hoobrouck. - J’avais demandé la parole pour dire qu’en sollicitant une somme de 300 francs, j’avais seulement voulu augmenter la somme globale, sans pourtant demander que ces 300 fr. eussent dans le budget une destination spéciale. J’espère qu’après les explications données par mon honorable ami M. Liedts, de Robaulx ne trouvera rien d’insolite dans la proposition que j’ai faite, rien qui s’écarte des usages reçus par la chambre.
En suite des explications de M. le ministre, je déclare retirer mon amendement qui devient sans objet.
M. H. Dellafaille, rapporteur. - Je ne pense pas que dans la proportion des secours il faille ne pas avoir égard aux provinces. Il est vrai que, dans les provinces très riches, il se trouve des communes pauvres, et dans les provinces pauvres des communes riches. Mais je crois que les communes qui possèdent des biens-fonds ne se trouvent guère que dans le Hainaut, la province de Namur et peut-être dans celle de Liége. Mais, dans la plupart des provinces, les communes n’ont de revenu autre que celui que leur constituent les impositions locales. C’est donc la richesse des habitants qui forme la richesse de la commune.
M. le ministre de l’intérieur a avoué que la répartition actuelle était inégale. Il n’avait pas besoin d’ajouter que cette inégalité n’était pas le fait de l’administration actuelle, mais bien du gouvernement précédent. Je ne suis cependant pas d’accord avec lui sur un point. Beaucoup de communes, a-t-il dit, ont hésité à demander des subsides de peur de se soumettre aux exigences de l’ancien gouvernement. Toutes les écoles sans aucune distinction étaient soumises au gouvernement qui considérait les établissements d’instruction primaire comme écoles communales. Celles qui n’avaient pas ce rang étaient dans une position exceptionnelle pour quelques années. Toutes les communes avaient donc leur intérêt à demander des secours au gouvernement, puisque cela les dégrevait d’autant. Le gouvernement accordait ces subsides en raison du plus ou moins de servilité qu’il trouvait dans l’administration communale. Voilà la véritable cause de l’inégalité de répartition des subsides.
M. le ministre de l'intérieur se flatte de détruire cette inégalité au moyen de la majoration qu’il demande. Je ne doute pas de ses bonnes intentions. Mais il reste à savoir si elles auront de l’efficacité. Je remarque que dans la liste des demandes il y a une très grande différence entre les provinces. Déjà l’année dernière la section centrale avait remarqué que les demandes provenaient des districts les plus favorisés.
Les quatre provinces qui reçoivent le moins sont les provinces d’Anvers, de Brabant et des deux Flandres. Dans la nouvelle répartition de la majoration du subside, la province d’Anvers recevait le 13ème de plus que ce qu’elle reçoit, celle du Brabant la moitié, celle de la Flandre occidentale le 8ème, celle de la Flandre orientale le 5ème, le Hainaut qui reçoit déjà 16,000 fr. le 10ème, la province de Liège du 1/3 au 1/4, le Limbourg la mollie, le Luxembourg du 7ème au 8ème et la province de Namur le 1/3, elle qui avec une population très faible reçoit déjà 30,000 fr. Vous voyez combien cette répartition est inégale.
M. le ministre de l'intérieur, quelque bonne volonté qu’il ait, ne parviendra jamais à l’établir d’une manière convenable. Il n’y a qu’un moyen de répartition. C’est de consulter les délibérations des conseils provinciaux. Eux seuls peuvent examiner les besoins des communes, arrêtent leurs budgets, ils connaissent leurs ressources, les moyens qu’elles ont de faire face à leurs dépenses. Ils distingueront bien les communes véritablement pauvres de celles qui n’ont pas droit à des subsides. Je maintiens qu’il est impossible que le gouvernement fasse, du crédit qu’il demande, une distribution qui satisfasse tout le monde.
Je citerai une raison du rapport qui me paraît militer contre l’augmentation du subside. Lorsque nous discuterons le projet de loi sur l’instruction publique, il est probable que les secours accordés maintenant aux communes seront continués en grande partie. Il vaut donc mieux ne pas imposer de nouvelles obligations au gouvernement, qui entravent la répartition plus égale qui voudra faire plus tard la législature.
Quant à l’amendement de M. Rodenbach, je pense avec M. le ministre qu’il serait bien d’en faire un article spécial.
Je propose le maintien du chiffre admis par la section centrale.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je répondrai deux mots à l’honorable préopinant. Je dois informer l’assemblée que le tableau des demandes communiqué à la section centrale n’influera en rien sur la distribution que j’ai l’intention de faire de la majoration demandée. Je me réserve d’en examiner la justice. Quant aux subsides accordés l’année dernière, aucun ne l’a été qu’en connaissance de cause, qu’après une comparaison des ressources de la commune qui a adressé la demande, avec celles des autres communes.
- Le chiffre de 252,000 fr. demandé par le gouvernement est mis aux voix et adopté.
Le chiffre de 10,000 fr., proposé par M. A. Rodenbach, pour l’éducation des sourds-muets et des aveugles, est également adopté. Il formera l’objet d’un article spécial.
« Art. 1er. Culte catholique : fr. 3,392,900. »
- Adopté.
« Art. 2. Culte protestant : fr. 80,000 fr. »
M. le président. - M. le ministre de l'intérieur demande une majoration de 10,000 fr.
La section centrale propose 65,000 fr.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne puis me rallier au chiffre de la section centrale. La somme de 15,000 fr. qu’elle supprime est demandée pour la construction de temples protestants dans la province du Limbourg. Il existe entre les catholiques et les protestants de cette province une dissension qui remonte à l’époque de la Réforme. Lorsque les protestants furent en force, ils prirent possession des temples catholiques.
La dissension s’est renouvelée à l’époque de la révolution. Si le traité des 24 articles remet sous l’autorité hollandaise cette province, il n’est pas douteux que les catholiques auront à supporter des vexations pour la possession de leurs églises : laisser subsister un pareil état de choses, c’est laisser subsister une cause perpétuelle de dissension. Je ne pense pas que la chambre hésite à y porter un remède, la somme étant très modique. Si ces communes restent à la Belgique, nous aurons amené pour l’avenir un heureux résultat. Si elles passent à la Hollande, nous pourrons nous féliciter d’avoir évité à leurs habitants une partie des inconvénients que leur occasionnera cette cession. J’insiste de toutes mes forces pour le maintien du subside.
M. Simons. - J’appuie le crédit de 15,000 francs pétitionné par le gouvernement qui forme la partie contestée de l’article en discussion. J’insiste même tout particulièrement à ce que la chambre y donne un accueil favorable, parce que la dépense laquelle il est destiné n’a pas seulement un but utile, mais dans les circonstances actuelles cette dépense est devenue d’une nécessité indispensable.
Pour vous faire partager ma conviction à cet égard, je me permettrai de vous faire connaître brièvement l’état de choses vraiment révoltant, par rapport à l’exercice du culte religieux, dans lequel se trouvent les quatre communes auxquelles cette somme est destinée.
Chacune de ces communes, qui sont très populeuses et toutes chefs-lieux de cantons, ne possèdent qu’un temple pour l’exercice du culte, et des documents irréfragables prouvent que ces temples ont tous été construits par les catholiques avant que la secte calviniste ne fût connue. Aussi, les catholiques en ont-ils exclusivement et paisiblement été en possession jusque vers l’an 1650, lorsque quelques familles protestantes de la Hollande sont venues s’établir dans le pays, et se sont emparées de force des temps consacrés au culte catholique.
Les communes que l’on appelait hollandaises, se trouvant sous le joug tyrannique de la maison des Nassau, force fut bien de souffrir cet acte brutal ; toute réclamation contre cette spoliation sacrilège ne pouvait servir qu’à aigrir de plus en plus le zèle fanatique de leurs maîtres : quoique propriétaires incontestables de ces temples, les catholiques opprimés en furent donc réduits au point de s’estimer heureux de pouvoir y exercer leur culte conjointement avec les protestants.
La jouissance en commun de ces temples par les catholiques et les protestants date donc à peu près de l’an 1650.
il sera sans doute inutile de vous énumérer les inconvénients graves auxquels cette communauté de jouissance a continuellement donné lieu. Il me répugne de vous retracer à quel point les catholiques devaient en quelque sorte acheter cette faveur sous la domination hollandaise avant 1790. Je me bornerai à vous dire que chaque changement de gouvernement amena dans ces malheureuses communes des désordres vraiment déplorables, et fut constamment le signal de rixes et de batailles sanglantes entre les deux partis, qui se disputaient à outrance la possession exclusive de ces temples. Maintes fois la force armée a été obligée d’intervenir pour rétablir l’ordre et arrêter l’effusion du sang. De là naturellement une haine implacable entre les habitants, et une tendance fanatique à se nuire les uns aux autres, et à se susciter réciproquement des tracasseries de toute espèce.
Combien de fois n’a-t-on pas vu, les dimanches et jours de fêtes, une poignée de protestants prolonger à dessein le service religieux pour empêcher les catholiques d’entrer dans l’église ? Combien de fois, n’a-t-on pas vu le ministre du culte catholique avec un grand nombre de fidèles groupés autour de leur temple, bravant les intempéries de la saison, pour attendre durant des heures entières jusqu’à ce qu’il plût aux protestants de leur en accorder l’entrée ? Oui, messieurs, souvent les curés ont été dans l’impossibilité d’administrer aux moribonds les derniers secours de la religion, faute d’avoir accès à l’église. Je ne finirais pas si je voulais vous dérouler le tableau affligeant des avanies de toute espèce auxquelles les catholiques ont été en butte surtout avant l’époque de 1790.
Eh bien, messieurs, c’est pour faire cesser cet état de choses, que je qualifie non sans-raison de révoltant, que la somme de 15,000 fr. vous est demandée.
Pour faire renaître une bonne fois la paix et l’harmonie entre les habitants, les communes ont résolu de faire construire des temples exclusivement destinés au culte protestant. A cet effet elles ont respectivement voté des subsides ; les habitants de leur côté se sont cotisés, et la province aussi n’est pas reste en arrière pour atteindre ce but si longtemps désiré.
Vous avoir indiqué l’emploi de ces fonds, c’est sans doute avoir justifié la demande qui vous en est faite ; je ne doute donc nullement qu’elle ne soit accueillie favorablement par la chambre.
Cependant, à l’appui de ce que j’ai eu l’honneur de dire, je ne puis me dispenser de vous citer un passage du rapport de M. le gouverneur de la province du Limbourg en date du 1er décembre 1833, sur la situation administrative de cette province. Ce passage est relatif à l’objet qui nous occupe.
Après avoir énuméré quelques faits auxquels, dans la première effervescence de la révolution, ce déplorable état de choses avait encore donné lieu dans ces quatre communes ; après avoir démontré, d’une manière irrésistible, qu’il est de toute nécessité de le faire cesser, ce fonctionnaire supérieur s’exprime ainsi : « La députation des états s’occupe des moyens de procurer, à l’aide de fonds offerts par les communes et de subsides du gouvernement et de la province, des temples séparés aux protestants, et de faire cesser ainsi ce simultanaeum qui depuis deux siècles, à chaque changement de gouvernement, a été une source de nouvelles inimitiés et de graves embarras. »
En présence de faits aussi graves la législature, j’ose m’en flatter, ne reculera pas devant le sacrifice extraordinaire qui lui est demandé, pour aider ces communes à faire cesser un état de choses qui choque autant la raison qu’il est contraire à la constitution qui garantit d’une manière si large la liberté des cultes.
J’ajouterai que depuis longtemps l’exercice simultané de deux cultes différents dans un même temple a été formellement proscrit. La loi organique du 18 germinal an VI est positive à cet égard. L’article 46 porte en termes « que le même temple ne pourra être consacré qu’à un même culte. »
Malgré une disposition si formelle, et malgré les suites funestes, conséquences inévitables de l’état de choses, que l’on a eu tant de fois à déplorer, les gouvernements sous la domination desquels ce pays a successivement passé, sont constamment restés sourds aux vives réclamations que n’ont cessé de leur adresser ces malheureuses communes.
A vous, messieurs, il est réservé de faire droit à leurs justes doléances, et de porter remède à un mal qui deviendra insupportable si ce pays doit un jour retourner à la Hollande.
J’aime toujours à me flatter que cette heure ne sonnera jamais pour ces infortunés ; mais s’il en doit être autrement, laissons au moins à cette population intéressante un monument qui lui permette de se rappeler avantageusement le trop peu de moments qu’elle a eu le bonheur d’avoir été réunie au peuple belge. Si un acte de faiblesse, qui déparera éternellement les pages de l’histoire de notre révolution, doit replonger nos malheureux compatriotes dans une espèce d’esclavage religieux, faisons au moins tout ce qui est en nous pour les dégager d’une servitude qui les affecte d’autant plus péniblement qu’ils sont sincèrement attachés à la religion de leurs pères. Si enfin, en les livrant à leur ancien maître ; nous ne pouvons leur léguer la disposition de l’article 14 de la constitution avec toutes ses conséquences, tâchons au moins de leur assurer, autant que possible, l’exercice paisible de leur culte, pour lequel ils ont versé avec nous leur sang sous la même bannière.
M. H. Dellafaille, rapporteur. - La section centrale, comme vous le voyez, n’a pas cru devoir rejeter l’allocation de la somme demandée ; elle a voulu vous laisser la question à juger. Nous ne connaissions pas les détails que vient de donner l’honorable préopinant ; nous n’avons consulté que ce qui était porté au budget. Nous avons envisagé des choses qui existaient depuis longtemps ; et il vient de nous être appris que des débats entre les catholiques et les protestants se sont renouvelés depuis la révolution. Ce n’est donc pas au nom de la section centrale que je parle, et je crois, pour ma part, qu’il y a lieu d’allouer la somme portée à 80,000 fr.
M. de Robaulx. - Mon intention n’est pas de contester l’allocation de la somme réclamée ; mais avant que de voter, j’ai cru devoir demander des éclaircissements à M. le ministre de l'intérieur. En votant la somme de 15,000 fr. pour bâtir les temples, et il en faut quatre, je ne pense pas qu’on bâtira quelque chose de bien convenable avec une somme si minime. Je demanderai donc si l’on croit qu’en votant ces 15,000 fr. la question sera terminée entre les catholiques et les protestants.
Quand vous aurez voté des fonds, vous aurez attribué la propriété des temples aux catholiques, et vous aurez par là trancher la question de propriété. Ce n’est pas le moment de décider ce point de droit. Je demande seulement à M. le ministre si, après avoir voté des temples, il croira avoir satisfait aux exigences des protestants. Il peut arriver que ceux-ci ne soient pas très enchantés d’avoir à édifier des temples avec la somme de 15,000 fr. et une autre somme peut-être aussi minime qui leur sera fournie d’ailleurs. Je pense que si cette allocation ne fait pas cesser le débat, il est fort inutile de l’accorder. Il faudrait, pour que le but de la chambre fût rempli, que cela mît un terme à toute discussion ultérieure.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Les questions que vient de faire l’honorable préopinant sont très judicieuses, mais prévues. C’est dans ce but que l’administration provinciale a ouvert une correspondance avec la direction du culte protestant dans la province du Limbourg. Il y a quatre temples à construire ; la somme qui est destinée à ces constructions est de 40,000 fr. Elle est très minime, j’en conviens, puisqu’il ne donne que 10,000 pour chaque temple ; mais le nombre de protestants est également fort restreint dans les communes dont il s’agit : il est de 68 à Beck, de 61 à Meersen, de 95 à Heersin, de 60 à Galoppe, c’est-à-dire que si chacun de ces temples peut contenir 100 ou 150 personnes, cela sera plus que suffisant. Les communes, la province interviendront dans la dépense, et je crois que le consistoire protestant n’est pas éloigné d’y participer. C’est au moyen du concours de tous les intéressés que la dépense nécessaire pourra être faite. Quant à la question de propriété, on aurait bien soin de s’assurer du consentement requis, pour prévenir toutes difficultés. Car il serait déplacé d’allouer une somme quelconque, si par cette allocation onon n’en arrivait pas à mettre un terme à tous les débats.
Je dois donner quelques explications en ce qui concerne une majoration de 10,000 fr. pour le culte anglican. Depuis 4 ans les anglicans n’ont pas cessé de réclamer un subside pour leurs ministres ; jusqu’à présent nous avons toujours pensé qu’il n’y avait pas de fonds au budget et que nous ne pouvions en accorder sans une autorisation de la chambre.
Les anglicans ne sont pas Belges, et voilà ce qui a motivé le refus de la section centrale, mais il y en a parmi eux un assez grand nombre de domiciliés en Belgique ; d’autres, il est vrai, n’y viennent que passagèrement. Tous contribuent dans les impôts de l’Etat, pour les impositions indirectes par exemple, pour les impôts de consommation. Une partie d’entre eux paient également l’impôt personnel.
Maintenant je rendrai compte de ce qui se passait antérieurement à ce sujet.
Sous le gouvernement hollandais, il n’y avait qu’un seul pasteur anglican qui fût rétribué ; c’était celui de Spa. Il n’était pas à charge du budget de l’Etat, mais sur le produit des jeux de Spa. Cela se pratiquait de même pour la police.
Le gouvernement affermait les jeux ; il imposait à l’entrepreneur de cet établissement la charge de payer le pasteur anglican et les frais de police, et percevait en outre, pour son propre compte, une somme annuelle. Il existe aujourd’hui une contestation entre l’administration des jeux de Spa et le gouvernement. Dans cet état de choses aucun paiement ne se fait ; le pasteur ne pourra être rétribué que lorsque le gouvernement pourra être en possession des revenus des jeux.
A Spa il n’y pas d’anglicans domiciliés ; il s’y rend, à la saison des eaux, un nombre de familles anglaises qui n’y séjournent que pendant un laps de temps ; voilà ce qui avait déterminé le gouvernement précédent à payer le pasteur anglican sur le produit des jeux.
A Ostende il y a 4 ou 500 anglicans, domiciliés pour la plupart ; d’autres y arrivent et y demeurent seulement pour la saison des bains. Sous le gouvernement précédent le pasteur anglican n’était pas payé dans cette ville, mais voici ce qui se passait : il y avait à Ostende un certain nombre de protestants qui n’étaient pas anglicans.
Pour ces protestants, le gouvernement avait accordé un temple et alloué le traitement d’un ministre. Cette dépense était faite sur le budget de la guerre, spécialement à cause de la garnison qui se trouvait à Ostende. Mais le même ministre pour le culte réformé remplissait les fonctions de pasteur du culte anglican, de telle manière que les anglicans n’étaient pas constitués en dépenses et profitaient de ce que la garnison hollandaise pouvait compter de protestants.
Aujourd’hui le parti protestant a disparu d’Ostende, et c’est un pasteur anglican qui officie pour les anglicans et le peu de protestants qui y sont restés. Il est payé par les uns et les autres, et non par le gouvernement. Cependant la régence d’Ostende a appuyé la réclamation des anglicans, tendant à obtenir un subside de 2,000 francs pour leur pasteur. Elle s’est fondée sur ce que la plus grande partie était domiciliée, sur ce qu’Ostende est un port de mer, et qu’il arrive fort souvent et surtout à la saison des bains une foule d’Anglais. Indépendamment de cela, il y aborde un assez grand nombre de navires commerciaux qui viennent d’Angleterre. Cette demande est, je pense, appuyée par la députation des états.
Quant à Anvers, il n’y a que 179 anglicans qui habitent la ville, mais, en outre, il en arrive toujours un certain nombre à raison d’affaires commerciales. Ces habitants ont également réclamé un traitement pour leur pasteur, et la régence d’Anvers a aussi appuyé cette réclamation.
A Bruxelles, il y a environ 300 anglicans qui suivent leur culte et contribuent aux frais qu’il nécessite ; il y a d’autres anglicans qui ne sont pas réputés habitants. Sous le gouvernement précédent, le nombre des personnes qui suivaient cette religion était bien plus considérable à Bruxelles. Mais ils demandèrent au gouvernement la permission d’avoir deux temples qui leur furent accordés à leurs frais ; mais le gouvernement refusa d’allouer un traitement aux pasteurs. La charge alors n’était pas pesante, parce qu’un plus grand nombre de personnes concourait à la supporter.
Aujourd’hui que ce nombre a éprouvé une forte réduction, les anglicans réclament. Une somme de 1,000 fr. est proposée en leur faveur à titre de subside et non de traitement. Mais il est à penser que du moment où un traitement sera accordé à Spa, à Ostende et à Anvers, les anglicans de Bruxelles réclameront un traitement fixe et plus considérable qu’un subside de 1,000 fr.
C’est en calculant le traitement de quatre pasteurs à 2,000 fr. et une dépense éventuel[e de 2,000 fr., qu’on est arrivé à proposer 10,000 fr.
Sous le gouvernement précédent on cherchait à influencer les opinions religieuses des anglicans ; ainsi l’on avait offert un traitement au ministre anglican à Anvers, à condition qu’on suivrait le service presbytérien ; mais cette condition ayant été repoussée, le traitement ne fut pas alloué.
Tel est l’exposé des faits dans toute leur simplicité ; vous êtes à même d’examiner ce que prescrit l’équité, soit à titre de subside, soit à titre de traitement, puisque ceux qui suivent ces cultes contribuent au paiement des impôts de l’Etat.
M. Rogier. - Après l’explication très lumineuse que vient de donner M. le ministre de l’intérieur, j’aurai très peu de chose à dire.
Le ministre a demandé deux augmentations pour le culte protestant, l’une de 15,000 francs destinée à faire cesser les abus qui existent notamment dans le Limbourg, par la nécessité où se trouvent les catholiques et les protestants d’user du même temple. Je ne crains pas que cette allocation souffre la moindre objection, surtout maintenant que la section centrale vient de s’y rallier.
Je passe à l’allocation des 10,000 francs demandés par le ministre pour mettre les anglicans dans la même position que les protestants. Beaucoup de ces derniers sont également étrangers à la Belgique, et cependant on n’a pas hésité à leur accorder un subside. Les anglicans, quant à la localité que je connais, sont établis en Belgique depuis nombre d’années ; quelques-uns même sont naturalisés, et je vous parle ici de familles fort respectables et qui ont acquis les mêmes droits que si elles étaient belges.
On vous a cité un trait qui à lui seul suffit pour caractériser l’ancien gouvernement. Il offrait des subsides aux ministres anglicans pour qu’ils participassent au culte réformé : aujourd’hui le culte anglican s’exerce librement à Anvers, mais il ne reçoit aucune espèce de subside. M. le ministre de l’intérieur a admis la pétition qui lui a été adressée par ce culte, avec l’impartialité qui le caractérise.
Quant au nombre des anglicans, messieurs, je dirai qu’il est aussi grand que celui des protestants, à la seule différence qu’ils ont livré le chiffre de leur population tout entière, tandis que les protestants ont constamment refusé de donner le leur. Je désirerais donc, si on ne fait pas un article à part, qu’il fût enjoint au pasteur protestant qui recevra le subside d’en donner une partie au ministre du culte anglican, ou mieux encore que l’on adressât au ministre anglican lui-même une part de la somme qui lui serait allouée. Car cette influence que le gouvernement hollandais avait voulu introduire existe encore, et les protestants voudraient retenir parmi eux tout ce qui est attaché au culte anglican.
M. de Roo. - Si nous admettons l’allocation de 10,000 fr. demandée par les ministres anglicans de Spa, d’Anvers et d’Ostende il est certain qu’on en réclamera de même pour les villes de Gand ou Bruges. Il est pourtant prouvé, messieurs, que parmi tous ces anglicans il n’y en a aucun qui soit Belge, aucun qui soit naturalisé, quoi qu’on en dise. Ce sont tous des étrangers, et en cette qualité d’étrangers, aucun n’a droit à ce subside. L’article 110 de la constitution s’y oppose formellement et n’a pas voulu comprendre parmi les ministres des cultes des sectaires étrangers qui, au moindre événement, peuvent quitter la Belgique, et desquels il ne restera peut-être que le pasteur à cause du traitement qu’il reçoit. Il n’y a, à mon avis, aucun subside à accorder aux ministres anglicans.
M. H. Dellafaille, rapporteur. - Je ne peux qu’appuyer la proposition de l’honorable M. de Roo ; jusqu’à présent, le budget est destiné à payer les Belges et non les étrangers. Si ceux-ci paient des contributions à l’Etat, ils trouvent en échange sûreté et protection. Jadis il y avait un ministre à Bruxelles et à Spa ; ceux qui suivaient ce culte avait obtenu un local ; et quant au traitement ils concouraient à le payer ; c’était une charge qui leur incomba jusqu’à la révolution. A cette époque, les anglicans se sont retirés pour la plupart ; ceux qui sont restés ont assiégé M. le ministre et l’ont amené à proposer pour eux une allocation de 10,000 francs. Je ne vois pas, messieurs, pourquoi le gouvernement s’imposerait cette dépense.
Il y a beaucoup de protestants, dit-on, étrangers à la Belgique. Les protestants pour la plupart sont Belges : les anglicans sont tous étrangers. Il y en a peut-être 4 ou 5 de naturalisés Belges.
Je demanderai à M. le ministre de l’intérieur, si des Belges allaient en Angleterre demander qu’on leur allouât des subsides pour l’exercice de leur culte, s’il croit que le gouvernement anglais en accorderait à leur demande ? Pourquoi ferions-nous pour eux ce qu’ils ne feraient pas pour nous ? S’il nous arrivait quelque Turc (on rit), lui voterions-nous une mosquée ? Il n’y aurait pas de raison pour ne pas faire des allocations distinctes, tantôt pour les ministres presbytériens, tantôt pour ceux qui professent la religion des quakers, enfin pour toutes les sectes possibles.
M. Desmet. - J’appuierai la proposition de M. le ministre de l’intérieur ; ce ne sont pas seulement des étrangers qui suivent le culte presbytérien, mais je connais plusieurs familles belges qui observent cette religion. C’est donc dans ce sens que je voterai.
M. F. de Mérode. - Il me semble que nous devons maintenir ce qui existe sans rétribuer de nouveaux cultes. Si nous entrons dans cette nouvelle voie, nous ne savons pas où elle nous conduira. Si les anglicans, les presbytériens veulent avoir un ministre, ils doivent le payer eux-mêmes. Nous ne devons pas accorder à ces étrangers plus que nous n’accorderions à d’autres. S’il y a des Belges parmi ces anglicans, des presbytériens, ils sont en si petit nombre que nous ne pouvons pas nous en occuper.
M. de Robaulx. - Comme vous vous opposez à la proposition de M. de Theux, moi je dois à mon opinion de l’appuyer. Je crois que nous devons l’admettre si nous voulons être franchement libéraux. Nous devons, en conformité de la grande proclamation de principes de notre constitution, également appuyer, protéger et rétribuer tous les cultes. Vous ne pouvez pas faire d’exception pour le culte anglican.
Je ne veux pas ici faire du prosélytisme en faveur de l’église anglicane ; ce n’est pas là la question ; c’est uniquement une question d’intérêt.
Veuillez-vous-le rappeler : dans le temps, quand il s’est agi de nommer le chef de l’Etat ; « nommez-le, » disait-on, et bientôt trente hôtels à Bruxelles seront occupés par les Anglais ; ils viendront dépenser leurs revenus à Bruxelles, et c’est un avantage immense pour le pays ; nous devons faire tout notre possible pour attirer les étrangers. Je crois, moi, que cela est possible, car tel qui est pauvre en Angleterre est riche en Belgique.
Je crois en outre que les avantages attribués à la présence des étrangers sont réels, et que le grand nombre de familles anglaises établies en Belgique depuis la révolution font, en dépensant ici leurs revenus, un bien véritable au pays. Eh bien, n’est-il pas juste que ces étrangers. dont un certain nombre est domicilié, et qui par suite concourent à la milice nationale et font le service de la garde civique, que ces étrangers, qui tous supportent une partie des charges de l’Etat, jouissent des avantages que la constitution assure à tous les cultes ?
Je déclare que je ne veux pas du prosélytisme en faveur de la religion anglicane ; je ne veux pas me faire anglican (hilarité) ; c’est bien assez d’être ce que je suis. (Hilarité générale.)
Je ne veux engager personne à devenir apostat ; il y a assez d’apostats comme cela (on rit) ; je n’en veux pas davantage. Mais je trouve que vous ne pouvez pas refuser aux anglicans qui viennent faire un séjour passager ou durable dans le pays, la somme minime nécessaire pour la rétribution d’un pasteur. Cette allocation vous est demandée par M. le ministre de l’intérieur, que l’on n’accusera pas d’être un protestant, un anglican, qui est un excellent catholique ; je ne crois pas non plus être un apostat en appuyant cette proposition.
Vous devez avoir un pasteur anglican à Bruxelles, à Spa et à Ostende, cette ville où l’on veut établir des bains de mer que l’on cherche à rendre plus fameux par la présence de certains grands personnages. Si vous rétribuez des pasteurs, vous aurez des étrangers dans ces villes ; si vous n’avez pas de pasteurs, les étrangers qui viendront ne changeront pas pour cela de religion.
Ainsi vous attirez dans le pays l’argent des étrangers : nous trouvons assez de moyens de perdre le nôtre : par suite du traité fait avec la France, nous éprouvons assez de difficultés pour l’écoulement de nos produits, de nos marchandises, pour que nous ne négligions pas ce moyen de faire rentrer de l’argent dans le pays. La mesure que j’appuie doit être particulièrement favorable à Bruxelles, Spa et Ostende ; ce n’est donc pas un intérêt de localité qui me fait parler, puisque je n’appartiens à aucune de ces villes. Mais il me semble que vous ne devez pas refuser l’allocation qui vous est demandée, et qui est destinée à rétribuer un ou deux pasteurs.
Par les motifs que j’ai énoncés, j’appuie la proposition de M. de Theux ministre de l’intérieur.
- L’article 2 est adopté avec le chiffre de 90,000 francs.
Article 3
M. le président. - La section centrale propose 5,600 fr. Réduction, 4,400 fr.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je crois qu’il y a erreur. Voici l’état des traitement fixes qui s’élèvent à 7,500 fr. Il est demandé pour dépenses éventuelles, 2,500 fr. Total, 10,000 fr.
M. Lebeau. - Je me proposais de demander à M. le ministre de l’intérieur les motifs de cette réduction de 4,400 fr. à laquelle le gouvernement paraissait avoir consenti. Mes observations deviennent à peu près sans objet depuis que M. le ministre de l’intérieur a déclaré que c’était une erreur. En effet je concevrais difficilement comment la section centrale pourrait écarter une somme de 1,900 fr. pour entretien des synagogues et des cimetières israélites dans toute l’étendue du royaume, et une somme de 2,500 fr. pour dépenses éventuelles.
M. Gendebien. - On est d’accord.
M. Lebeau. - C’est-à-dire que M. le ministre de l’intérieur ne consent pas à la réduction proposée par la section centrale ; mais néanmoins cette proposition subsiste. Toutefois je vais écouter M. le rapporteur pour savoir s’il persiste à cet égard.
M. H. Dellafaille, rapporteur. - Tout ce que je puis dire, c’est que je trouve sur le carnet de M. le président 5,600 francs ; nous avions cru d’après les documents que M. le ministre de l’intérieur nous avait fournis, qu’il consentait à une réduction de 4,400. Mais je dois dire que les conclusions de la section centrale ont été l’adoption du chiffre proposé par le ministre.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable préopinant a cru que j’avais consenti à une réduction ; mais je ne pense pas l’avoir proposée. Il n’y a aucune réduction possible sur la somme demandée, laquelle, comme je l’ai dit, comprend 7,500 fr. pour traitements et 2,500 fr. pour dépenses éventuelles.
M. Lebeau. - Bien que tout le monde soit d’accord sur cet article, j’insisterai pour une rectification.
Je crois qu’il est utile d’attirer l’attention de M. le ministre de l’intérieur sur la convenance qu’il y aurait d’engager le consistoire de Bruxelles, à qui est remise, je crois, la totalité de l’allocation, à faire en sorte que, dans les provinces qui ont des besoins de cette nature, il y soit satisfait. Car le culte israélite n’est pas professé seulement dans la capitale, mais aussi dans plusieurs de nos villes les plus importantes.
J’engage donc M. le ministre à veiller à ce que le consistoire de Bruxelles ne s’applique pas la totalité de l’allocation, et fasse participer, au moins sur le chiffre des dépenses imprévues et dans une juste proportion, les synagogues établies dans plusieurs de nos villes et notamment à Anvers. Il y a même eu des réclamations de ce chef.
Il n’y a pas de réduction possible sur cet article.
- L’article 3 est adopté avec le chiffre de 10,000 fr.
« Art. 4. Secours : fr. 45,000. »
- Adopté.
« Art. 1er. Frais de voyage et d’administration : fr. 9,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Réparation et entretien des armes de la garde civique : fr. 16,000. »
M. Gendebien. - A l’occasion de cet article je ne puis me dispenser de rappeler l’attention de M. le ministre de l’intérieur sur la loi qu’il a emportée d’assaut dernièrement, ayant que la chambre se séparât. Je persiste à dire que cette loi est inexécutable relativement au premier ban de la garde civique, parce que vous avez inséré dans cette loi deux dispositions dont une impose l’uniforme militaire aux habitants des communes de 5,000 âmes et au-dessus, l’autre impose la blouse aux habitants des communes d’une population moindre.
J’ai dit qu’il serait impossible de réunir non seulement des légions, mais des bataillons, des compagnies de la garde civique sans une bigarrure choquante entre les blouses et les uniformes. M. le ministre a dit en dernier lieu, et je n’ai pas eu l’occasion de lui répliquer, que lorsqu’il y aurait lieu à mettre en activité le premier ban, le ministre de la guerre pourvoirait à son uniforme. Je répondrai à M. le ministre que dans le cas même où la garde civique sortirait de ses foyers pour la défense du pays, le premier ban serait composé d’hommes en uniforme et d’hommes habillés en blouse. Car il est impossible que le ministre de la guerre fasse habiller les hommes à moins d’avoir 2 mois devant lui.
Avant que la chambre se prononce sur le chiffre relatif à l’entretien des armes, je veux savoir si l’on est en mesure d’user de ces armes.
Lors de la discussion de la loi du 2 janvier, on disait que l’uniforme était la pierre angulaire de la garde civique, et vous avez posé dans cette loi, relativement à l’uniforme, deux principes qui semblent se détruire : l’un prescrit l’uniforme, l’autre prescrit la blouse. De manière qu’évidemment il faut une autre loi.
M. le ministre nous a dit que des circulaires avaient été adressées pour l’exécution de cette loi ; mais M. le ministre se trompe ou on l’a trompé dans ses bureaux ; car on n’a reçu de circulaires nulle part, pas même chez les gouverneurs. (Réclamations.) Messieurs, pas plus tard qu’hier j’ai vu un colonel de la garde civique qui m’a dit n’avoir reçu aucune instruction, et cependant il demeure près de Bruxelles.
Au reste, vous aurez beau donner des instructions, votre loi ne sera pas, ne pourra pas être exécutée. Quand vous aurez donné vos instructions et fait procéder aux élections, un mois se sera écoulé ; il vous faudra après cela encore deux mois pour habiller les hommes qui, en conformité de la loi, n’auront pas pris l’uniforme militaire, c’est-à-dire les habitants des communes de 5,000 âmes et au-dessous.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - La disposition de la loi du 2 janvier qui autorise l’uniforme militaire pour la garde civique dans les communes de 5,000 âmes et au-dessus, a particulièrement pour objet le service intérieur, que l’on ne pouvait plus obtenir parce que les gardes civiques ne voulaient plus prendre les armes avec la blouse. Quant à la garde civique mobilisée, c’est le département de la guerre qui fournit le petit uniforme, il l’a fourni aux 15 bataillons qui ont été mobilisés ; ces 15 bataillons conservent leur uniforme. Maintenant si on venait à prévoir la nécessité de mobiliser un plus grand nombre de gardes civiques, le département de la guerre se mettrait en mesure de procurer le petit uniforme de la garde civique aux habitants des communes qui n’auraient pas l’uniforme, que la loi du 2 janvier autorise le gouvernement de poursuivre.
C’est principalement dans les grandes communes que l’on avait le plus de répugnance pour la blouse ; et le service intérieur en souffrait. Au moins la loi du 2 janvier a pourvu à cet inconvénient.
S’agit-il de mobiliser au-delà des 15 bataillons déjà mobilisés ? Je répondrai que le département de la guerre peut à l’avance faire confectionner tous les uniformes nécessaires pour les délivrer au fur et à mesure de la mobilisation, il n’y aura donc pas de bigarrure.
M. Gendebien. - On ne veut pas me comprendre ; je m’expliquerai de nouveau et je tâcherai d’être plus clair.
L’adoption de l’uniforme militaire n’est pas une faculté qu’on laisse à la garde civique. On donne au Roi le choix de l’uniforme, mais cet uniforme est prescrit impérieusement à tout individu de la garde civique d’une commune de 5,000 âmes et au-dessus. Maintenant dans les autres communes, dans celles de 5,000 âmes et au-dessous, l’uniforme prescrit par la loi est la blouse. Comment M. le ministre de la guerre forcera-t-il les habitants de ces communes à adopter l’uniforme militaire, alors que la blouse est l’habillement prescrit à ces gardes civiques par la loi du 31 décembre 1830 et par celle du 2 janvier ? M. le ministre de l’intérieur et M. le ministre de la guerre ne sont pas au-dessus de la loi. Or la loi prescrit la blouse aux gardes civiques des communes de moins de 5,000 âmes ; si donc ils ne veulent pas adopter d’autre habillement, il vous sera impossible de les contraindre.
Mais je veux supposer que les gardes civiques aient toute la bonne volonté possible et consentent à prendre un autre uniforme que celui prescrit par la loi, vous n’aurez rien obtenu, car il vous manquera le temps nécessaire pour les habiller. Il n’y aurait qu’un moyen, ce serait que le ministre de la guerre eût en magasin tous les uniformes nécessaires dans la prévision de toute éventualité. Sans cela vous n’obtiendrez rien. Vous aurez au contraire cette bigarrure que vous avez voulu éviter.
M. F. de Mérode. - Sans doute il serait à désirer que l’on pût organiser la garde civique du premier ban par bataillons, par circonscriptions territoriales ; le nom n’y fait rien . Ceci n’a pas été atteint par la loi du 2 janvier ; aussi n’est-ce pas une loi complète ; elle donne seulement au gouvernement le moyen de faire prendre les armes à la garde civique ; or, il peut se présenter telle circonstance où cela serait nécessaire. Mais ce que dit l’honorable M. Gendebien est vrai, et avec la loi que nous avons, dans le cas où il serait nécessaire de mobiliser la garde civique l’on ne pourrait pas profiter de toutes les ressources qu’elle peut offrir au pays. Ceci sera l’objet d’un travail peu étendu. On le fera sans doute quand on aura plus de temps.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - La loi du 2 janvier ne déroge pas aux dispositions antérieures ; or, sous l’empire des dispositions antérieures le ministre de la guerre a donné un uniforme aux 15 bataillons de la garde civique mobilisée. S’il y avait nécessité de mobiliser un plus grand nombre de gardes civiques le ministre de la guerre continuerait d’agir comme il a fait sous l’empire de la loi de décembre 1830 qui prescrivait également la blouse à la garde civique mobilisée.
Quant aux instructions pour l’exécution de la loi sur la garde civique, elles ont été adressées aux gouverneurs. Mais aucune instruction n’a encore été adressée aux officiers de la garde civique ; le moment n’est pas encore venu. Sous peu de jours ils recevront les instructions dont ils ont besoin pour l’exécution de la loi. Ainsi, d’un côté j’ai eu raison d’assurer que des instructions avaient été adressées, et de l’autre, l’honorable M. Gendebien a pu dire que les officiers de la garde civique n’en avaient reçu aucune. Au fur et à mesure que la réorganisation se fera, des instructions seront adressées à tous les fonctionnaires chargées de l’exécution de la loi.
M. Gendebien. - Singulière manière d’argumenter, que de répondre par des faits à des questions de droit ! M. le ministre de l’intérieur reconnaît que, d’après la loi du 6 décembre 1830, la blouse était l’habillement prescrit par la loi ; mais il ajoute que, sous l’empire de cette loi, le ministre de la guerre a donné l’uniforme militaire aux 15 bataillons de la garde civique mobilisée ; et il en conclut qu’il pourra également, sous l’empire de la loi actuelle, donner l’uniforme à la garde civique qu’il y aurait lieu de mobiliser.
Mais la question n’est pas de savoir ce qu’a fait le ministre ; elle est de savoir ce qu’il a le droit de faire. Or, la loi du 6 décembre et la loi du 2 janvier prescrivent la blouse comme habillement des gardes civiques des communes de 5,000 âmes et au-dessous : si donc il se trouve des individus récalcitrants qui ne veuillent pas adopter l’uniforme, vous ne pourrez pas les y contraindre. La loi est pour eux ; vous ne pourrez pas les condamner.
Lors de la discussion de la loi du 2 janvier, l’honorable M. F. de Mérode a insisté pour l’adoption d’un uniforme, en se fondant sur ce que les événements d’août 1831 auraient eu pour cause le défaut d’uniforme. Je n’admets pas cela. Mais je fais remarquer qu’il y a désaccord entre ce langage et le vote d’une loi qui n’introduit pas, tant s’en faut, de l’uniformité dans l’habillement de la garde civique.
En un mot comme en cent les dispositions de votre loi ont le résultat contraire de celui qu’elle semblait se proposer ; car elle consacre une bigarrure, puisqu’elle prescrit deux uniformes.
Vous pouvez le faire par des actes arbitraires ; mais nous ne raisonnons pas d’après l’arbitraire ; c’est d’après la loi. Que le ministre y réfléchisse, car j’aurai encore l’occasion de revenir sur ce sujet. Vous pourrez faire faire une dépense inutile par les villes de 5.000 habitants et au-dessus, car vous ne pourrez tirer parti de la garde civique après cette dépense : les hommes de ces villes qui feront partie de la garde civique vous diront : Nous ne sommes pas plus obligés à partir que ceux des petites communes qui restent chez eux parce qu’ils sont en blouses.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il est évident que la loi qui a prescrit l’uniforme ou la blouse n’est applicable qu’au service intérieur ; lorsqu’il s’agit d’un service actif de campagne, la garde civique est alors assimilée à l’armée. Et voilà pourquoi le ministre de la guerre lui a donné un uniforme. Il y aurait impossibilité qu’elle fît un service de campagne avec la blouse. Aussi la loi du 31 décembre 1830 n’a jamais été considérée comme obligatoire relativement à l’uniforme que pour le service sédentaire.
Ceci est tellement vrai que la loi prescrit aux gardes civiques de s’habiller eux-mêmes et aux communes de fournir l’habillement à ceux qui ne peuvent se le procurer, et que cependant les communes ont réclamé contre cette disposition qui n’a pas reçu d’exécution relativement à la garde civique mobilisée. Je crois que la loi actuelle ne présentera aucune difficulté dans l’application.
Quant à ce que le préopinant a répété de nouveau concernant la nécessité de faire confectionner des habillements en nombre suffisant, pour en fournir à la garde civique, en cas de mobilisation, c’est, comme je l’ai dit, un soin qui regarde le ministre de la guerre.
Enfin, relativement au service sédentaire, je crois que la loi dernière atteindra le but que l’on se proposait.
M. F. de Mérode. - Je conviens que par la dernière loi on n’est pas arrivé au but désiré ; cependant elle est une amélioration. Plus tard on pourra la généraliser encore, et l’uniforme sera introduit partout. Faute de mieux, je me contente de l’obligation de l’uniforme pour les villes de 5,000 habitants et au-dessus.
Je pense que les observations présentées par M. Gendebien ne sont pas sans fondement et qu’on pourra porter remède au mal qu’il signale.
M. de Robaulx. - On a fait une amélioration en donnant une tournure plus militaire à la garde civique des villes. Mais la garde civique en général n’est pas destinée uniquement à faire la guerre sur les places publiques ; elle a pour but principalement d’appuyer l’armée et d’agir activement dans les cas où nous serions attaqués à l’extérieur.
Qu’a dit M. Gendebien ? D’ici à peu de temps nous pourrions être attaqués ; eh bien, votre loi du 31 décembre 1834 n’aura aucun effet, car votre garde civique ne pourra se réunir par légions, ou même par bataillons, sans présenter de la bigarrure dans les rangs ; vous aurez des hommes dans toutes les tenues, les uns en uniforme à côté des porteurs de blouses. La garde civique manque donc au but de son institution, c’est-à-dire à la possibilité de se mettre en ligne.
M. de Mérode a reconnu l’exactitude des observations présentées par M. Gendebien. Le passé nous donne des craintes pour l’avenir ; nous craignons le renouvellement des scènes affligeantes de 1831. Quelles que soient nos relations diplomatiques actuelles, la garde civique doit pouvoir être prête à se porter à l’extérieur, et c’est ce qui est impossible maintenant.
Pourquoi les ministres ne promettent-ils pas de revenir sur une faute qui leur est signalée ? Pourquoi n’auraient-ils pas égard à des observations pleines de justesse ?
Les gardes civiques des communes de moins de 5,000 habitants vont faire faire une blouse ; la loi le veut ainsi ; quand elles auront cette blouse, vous ferez bien vite un petit bout de loi qui ordonnera la tenue militaire quand la garde civique se mettra en ligne ; ainsi voilà deux habillements pour un. D’ici à trois mois, si vous êtes forcés d’avoir recours à la garde civique, l’uniforme est nécessaire ; ainsi mettez-vous en mesure dès aujourd’hui, pour le répandre partout ; ainsi rectifiez promptement votre loi.
Mais, dit le ministre de l’intérieur, quand l’uniforme a été réglé, on n’a eu en vue que le service à l’intérieur ; et dès que la garde civique sera obligée de se mettre en rang, elle aura une tenue militaire. Réfléchissez donc que vous vous mettez en contradiction avec votre loi, car tout, dans cette loi, est prescrit d’une manière impérieuse ; et il y est dit formellement : les gardes civiques des communes de moins de 5,000 habitants seront en blouses. Le ministre pourra-t-il ne pas appliquer la loi ? Si vous l’exécutez, je le répète, l’institution de la garde civique manque son but essentiel qui est de se mettre en ligne. Voyez donc si vous n’avez pas les moyens d’effacer les bigarrures qu’on vous a signalées et les impossibilités qui en sont la conséquence.
- Le chiffre mis aux voix est adopté.
« Art. unique. Impressions des listes alphabétiques d’inscription des miliciens : fr. 2,000. »
- Adopté sans discussion.
« Art. unique. Subsides aux villes et communes dont les revenus sont insuffisants : fr. 50,000 fr. »
M. le président. - La section centrale propose de réduire le chiffre à 20,000 fr.
M. Gendebien. - Tous les ans je me suis opposé à l’allocation de cette somme. Il faut s’habituer chacun à vivre selon ses moyens. Je voudrais que le gouvernement commençât lui-même à mettre ce principe en pratique, à donner l’exemple ; les communes le suivraient sans doute. Il faut débarrasser le gouvernement de cette multitude de demandes importunes de fonds qui ne s’accordent en définitive qu’à l’intrigue et à l’obsession. Dans les administrations on perd plus de temps à repousser des demandes injustes qu’on n’en emploie en travaux utiles. Je ne connais pas de commune qui ne puisse s’administrer avec ses propres ressources : si elle est riche, elle fait beaucoup de dépenses ; si elle est pauvre, elle en fait peu.
On dit autour de moi que la section centrale propose de réduire le chiffre de 50,000 fr. à 20,000 fr. ; eh bien, si on a trouvé le moyen de le réduire ainsi, je crois qu’on peut trouver celui de le réduire à zéro. Cette allocation, je le répète, serait une prime pour l’intrigue. J’accorderai tout ce que l’on demandera pour l’instruction publique ; j’accorderai plutôt un million pour des objets semblables que 20,000 fr. pour cet article.
M. Rogier. - Il s’agit ici de la discussion d’un principe. Si la proposition de M. Gendebien était adoptée, il s’en suivrait que, dans aucun cas, l’administration ne pourrait venir au secours d’une commune ; cependant il est des cas où il serait injuste et même impolitique de ne pas les aider.
Je citerai une inondation. Un pareil état de choses existe souvent en Belgique. Il est telle commune inondée depuis quatre ans qui n’a plus aucune espèce de revenu, qui serait hors d’état de s’administrer. Je suppose un incendie comme celui qui a dévoré la ville de Limbourg. Vous ne pouvez pas imposer les habitants déjà à moitié ruinés. Pour venir au secours des communes dans de semblables calamités, il faut que nous maintenions au budget l’article en discussion.
La preuve que l’on n’a pas abusé de ce crédit ce sont les réductions successives qu’il a subies d’année en année de telle manière que, de 300,000 fr. qu’il comprenait, il est descendu à n’être plus cette année que de 20,000. Si mes souvenirs sont exacts, très peu de demandes ont été envoyées au gouvernement. Il n’y a pas eu d’obsession et encore moins d’intrigues.
Dans certaines circonstances cette allocation a été d’une utilité incontestable. Je crois que la prudence exige que nous la maintenions. Il n’en est pas résulté d’abus. Les abus ne peuvent se multiplier alors que le chiffre va en diminuant.
M. H. Dellafaille, rapporteur. - L’honorable M. Gendebien aurait raison de combattre ce chiffre, s’il était destiné à subvenir aux dépenses des communes dont les administrations par incurie ou par imprévoyance ont épuisé les revenus. Il ne s’agit que de subvenir au manque de ressources qu’amènent d’une manière imprévue des calamités extraordinaires. Il y a mille autres circonstances où ce subside peut être d’une grande efficacité. Il ne s’agit pas ici des grandes villes. Les grandes villes ont toujours des ressources comme les riches particuliers. Mais il est des communes à qui quelques centaines de francs feraient grand bien, et qui ne pourraient trouver une pareille somme. C’est au manque de ressources que le subside peut parer. Il n’a été fait aucun abus, puisque sur 50,000 francs le gouvernement n’a dépensé l’année dernière que 1,354 fr. Je crois qu’il est prudent de laisser ce crédit ouvert dans le budget.
M. de Brouckere. - Je ne prétends pas qu’il ne puisse se présenter des occasions où il est nécessaire que l’Etat vienne au secours d’une commune. Je ne sais pas si l’honorable M. Rogier a bien interprété le sens de cette disposition. Selon lui, les 20,000 fr. demandés sont destinés à venir au secours des communes victimes d’événements malheureux.
Remarquez que l’allocation porte le titre de « Subsides aux villes et aux communes dont les revenus sont insuffisants. » Il suit de ce libellé que le subside n’est destiné qu’à subvenir à l’insuffisance des revenus d’une ou plusieurs communes, sans que la circonstance d’événements extraordinaires soit nécessaire.
Il résulte des documents que nous avons sous les yeux, que sur une somme de 50,000 fr. accordée au gouvernement, une somme de 1,354 fr. seulement a été dépensée. Je prie M. le ministre de l’intérieur de nous expliquer l’usage auquel ont servi ces 1.354 fr. Puisque l’honorable M. Rogier a parlé du Limbourg, je voudrais savoir si des secours ont été accordés à cette malheureuse ville.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il est évident que le gouvernement n’est pas limité dans l’emploi de ce subside. Il peut l’accorder à une commune qui a éprouvé un grand malheur, à une commune qui se trouve dans un grand embarras financier.
C’est ainsi qu’à l’époque de la révolution, il a été fait des avances aux villes de Bruxelles, Anvers, Liège et Namur. On ne peut énumérer ici les cas qui peuvent mettre une commune dans la nécessité de réclamer un secours. Je partage l’opinion des membres qui pensent qu’il faut des circonstances extraordinaires. Il est certain qu’il faut les motifs les plus graves pour donner des secours à des communes. Sans quoi, toutes les communes voudraient figurer pour une somme au budget de l’Etat. C’est un abus qu’il ne faut pas favoriser.
Je ferai savoir à la chambre que je viens d’accorder il y a peu de jours une somme en faveur de quelques communes inondées de la province d’Anvers, somme que j’ai prélevée sur le chiffre de 50,000 francs. Les habitants de ces communes étaient sans ressources. Les communes n’avaient par conséquent aucune espèce de revenus.
Le subside accordé aura le double avantage d’amener un travail utile, et de permettre aux administrations communales de donner des secours aux indigents. Elles seront à même de réparer une partie des dégâts occasionnés par les inondations ; et les habitants, par ce travail, pourront se procurer du pain. Voilà un emploi de fonds véritablement utile.
Je pense qu’un subside de quelques milliers de francs a été accordé à la ville de Limbourg. Tout ce que je puis me rappeler c’est que la somme n’était pas considérable.
M. Gendebien. - Je crois inutile de prolonger la discussion. Cependant, je dirai que c’est surtout l’intitulé de cet article que je blâme. En effet, comme l’a dit l’honorable M. de Brouckere, il résulte que le subside de 20,000 fr. servira à venir au secours des villes et communes dont les revenus sont insuffisants. C’est ce que je ne veux pas.
S’il arrive des événements malheureux, des inondations, des incendies, n’avez-vous pas le chapitre des dépenses imprévues ? Autre chose est de réparer des malheurs indépendants de la volonté des administrations communales et de venir au secours des communes qui n’ont pas de revenus suffisants.
Je suis loin de m’opposer à ce que l’on vienne au secours de la ville de Limbourg et des communes inondées. Mais c’est contre un autre genre de subsides que je m’élève. Je veux que les communes fassent comme les particuliers ; qu’elles ne dépensent que ce qu’elles ont. Le gouvernement, les provinces, les communes ne sont que des familles plus ou moins grandes. Qu’ils fassent comme dans les familles, en proportionnant la dépense au montant des revenus.
Si l’on n’a dépensé qu’une somme de 1,354 sur 50,000 que comprenait l’article dans le budget précédent, cela prouve qu’il y a chez le Belge un fond de pudeur qui l’empêche de demander. Mais du moment que l’on saura qu’il figure depuis quelques années une somme au budget de l’Etat pour suppléer à l’insuffisance des revenus communaux, on vous enverra des demandes de toutes parts, on vous fera des budgets tout exprès. Le subside sera partagé entre les plus fins. C’est pour éviter d’allécher les administrations communales, que je propose la suppression de l’article.
M. de Brouckere. - Les explications de M. le ministre de l’intérieur me prouvent que j’avais très bien compris le libellé de l’article et que le titre ne peut demeurer tel qu’il est.
Je ne me refuse pas à mettre le gouvernement à même de venir au secours des communes victimes d’événements malheureux. Mais ce que je ne veux pas c’est que le gouvernement accorde des secours à celles dont les revenus sont insuffisants. De ce que les revenus sont mal administrés, de ce qu’une régence aura fait des dépenses exorbitantes, faudra-t-il que ce soit l’Etat qui en supporte les conséquences ? M. le ministre de l’intérieur déclare qu’il désire que la chambre lui laisse la disposition libre de cette somme.
Messieurs, remarquez que lorsque les communes éprouvent des événements malheureux, le ministère n’est pas sans fonds pour venir à leur secours.
J’ai ici sous les yeux l’exposé des motifs accompagnant le projet de loi présenté par M. le ministre des finances et autorisant à disposer d’une somme de 73,000 fr. ; et voici ce que j’y lis : « Cette somme est divisée en trois tiers. Le premier est destiné à, etc. ; le second à … et enfin le troisième tiers est mis à la disposition du ministre de l’intérieur pour accorder des secours aux contribuables. »
- Plusieurs voix. - Mais c’est aux contribuables.
M. de Brouckere. - Je comprends bien. Vous voyez donc que le gouvernement a entendu s’allouer un fonds assez considérable pour venir au secours des gens qui pouvaient avoir éprouve des pertes par suite d’événements imprévus et malheureux. Un quartier d’une ville est brûlé, M. le ministre peut prélever sur ce tiers de quoi venir au secours des incendiés, qui ont perdu, ou leur propriété mobilière, ou quoi que ce soit, qui les réduise à la misère.
J’ai déclaré que j’accorderais une allocation ; mais ce qui ne me convient pas, c’est le libellé de l’article. Ainsi je voudrais, au lieu de : « Subsides aux villes et communes dont les revenus sont insuffisants, » cette rédaction : « Aux villes et communes dont les revenus sont insuffisants par suite d’événements malheureux et imprévus. » Alors il ne dépendra pas du ministre de donner à telle commune qui aura fait des dépenses au-delà de ses moyens, pour un simple caprice à telle commune, enfin, qui aura su captiver sa bienveillance, ce qui revient de droit aux victimes d’événements malheureux. Si la chambre adopte ma rédaction, je voterai pour l’article, sinon je voterai contre.
M. de Robaulx. - Mon intention était de proposer un amendement dans le sens de celui de l’honorable M. de Brouckere. Je proposais d’ajouter, « par suite d’événements calamiteux. » Mais les expressions de M. de Brouckere et celles-là indiquent également que le secours ne peut être qu’extraordinaire.
Dès l’instant où l’on indiquera dans le corps de l’article que ces subsides ne seront pas accordés pour des cas ordinaires, à une commune, mais bien pour des cas extraordinaires et imprévus, je ne vois aucune difficulté à ce qu’il soit voté. Mais sachant qu’il y a des communes qui n’ont d’autres revenus, que ceux qu’elles se créent par cotisation, et ceux qui résultent de leur imposition personnelle : Braine-le-Comte, par exemple, et d’autres que je pourrais citer ; je pourrais craindre que, s’il y avait espoir d’obtenir du budget des subsides, en raison de leurs revenus, ces communes ne vinssent vous exposer leurs titres, suivant le libellé actuel de l’article. Je me rallie donc à l’opinion de l’honorable M. de Brouckere : que l’on mette calamiteux ou malheureux, je n’y tiens pas.
M. Lebeau. - Si on admet la proposition de l’honorable M. de Robaulx, si on met dans le libellé de l’article : « Subsides extraordinaires aux villes, etc., » je m’y rallierai volontiers, Mais je crois que l’amendement de l’honorable M. de Brouckere présenterait quelques inconvénients dans la pratique.
Sans aucun doute, par cela seul que les revenus des communes seraient insuffisants, le gouvernement ne veut pas établir des droits à ces subsides. Car ce serait mettre les communes dans la position de s’épargner des centimes additionnels. Il ne peut entrer dans les vues du ministère de consacrer un pareil abus. Mais si on vous mettait sous les yeux qu’il y a telle commune qui est dans l’impossibilité de se construire une maison communale et qui, sans le secours du gouvernement, ne parviendrait pas à pouvoir quitter le mauvais cabaret qui sert aux réunions de l’administration communale, voila un cas qui se trouve combattu par l’amendement de M. de Brouckere, mais qui rentre dans l’intention de M. de Robaulx. La meilleure manière, d’ailleurs, que l’abus que l’on semble craindre ne se réalise, c’est de limiter l’allocation au chiffre minime qui est demandé. Ce n’est pas avec 20 mille francs que l’on pourra donner lieu à de graves inconvénients sur ce point. J’appuie donc le système de M. de Robaulx qui consiste à mettre en « cas extraordinaires. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Si l’on désire insérer le mot extraordinaires, je n’y vois pas d’opposition ; mais comme on a fort bien dit, l’exigüité de la somme préviendrait tout abus, s’il y en avait à craindre. Mais je ferai observer qu’il y a déjà eu des subsides antérieurement accordés, mais la plupart à titre de prêts. Ces sommes doivent être remboursées. Ce n’est pas une innovation qu’on a voulu introduire.
M. de Robaulx. - Messieurs, quand j’ai parlé de subsides extraordinaires, je me suis expliqué. J’ai dit que je ne concevais jamais que l’on pût accorder des subsides par la seule cause que les revenus des communes étaient insuffisants. J’ai compris qu’il fallait des cas imprévus, extraordinaires, tels qu’on pouvait y ajouter le mot de calamiteux. Au surplus, je demande que l’on vote sur l’amendement de M. de Brouckere qui me paraît encore plus satisfaisant.
M. de Brouckere. - Ce n’est pas ici un jeu de mots. Si vous admettez mon amendement, il a une autre portée que celui de l’honorable M. de Robaulx qui préfère le mien. En effet, les explications de M. Lebeau suffisent pour que j’insiste dans ma proposition. Je veux précisément empêcher l’emploi que M. Lebeau voudrait faire de ces subsides. Je ne veux pas que ce soit pour faire bâtir une maison communale. Mon intention est que cela serve à indemniser de malheurs causés par des événements imprévus. Mais pour les constructions de maisons communales ou pour tout autre motif de ce genre, voilà justement ce que je veux empêcher par mon amendement.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je vais proposer une rédaction qui paraît devoir satisfaire tout le monde. « Subsides pour dépenses extraordinaires aux villes et communes dont les ressources sont insuffisantes. » Je ne mets pas revenus, et alors il me semble suffisamment prouvé que ces subsides ne sont accordés que lorsque la commune n’a aucune ressource pour subvenir aux besoins qu’elle peut éprouver.
M. Lebeau. - Je crois qu’il faut s’en tenir à la proposition de l’honorable M. de Robaulx ; et s’il l’abandonne, je déclare que je la fais mienne.
L’honorable M. de Brouckere a traité assez légèrement l’exemple que j’ai cité tout à l’heure, il a paru croire que la construction d’une maison commune dépendait du caprice ou de l’amour-propre d’une localité ; il n’en est pas ainsi.
M. de Brouckere. - Aussi n’ai-je pas dit un seul mot de tout cela.
M. Lebeau. - Je connais des communes qui ont été invitées par la province à faire construire une maison commune, parce qu’il y avait péril pour les archives, pour les registres de l’état-civil, à en laisser le dépôt dans le local où ils étaient. Qu’ont répondu les collèges ? Qu’ils ne demandaient pas mieux que d’avoir une maison commune, qu’ils appréciaient le danger qu’il y avait pour leurs archives à rester où elles étaient, mais qu’ils avaient de la peine avec leurs cotisations personnelles et les revenus ordinaires à faire les fonds des dépenses de l’administration communale, et que s’ils n’obtenaient pas un subside de la province ou de l’Etat, il leur était impossible de faire construire une maison isolée où leurs archives fussent en sûreté.
Il est arrivé, dans le cas que je cite, que la province ne pouvait pas donner ce subside, qu’elle n’avait pas de fonds ; elle engageait alors la commune à recourir au gouvernement. Je demande à la chambre si dans une telle circonstance un subside de 1,000 ou 1,500 fr. accordé par l’Etat à la commune, subside destiné à assurer la conservation des pièces qui intéressent le plus toutes les familles, ne serait pas approuvé par tout le monde.
Veuillez remarquer que le budget est sérieusement examiné tant par les sections et la section centrale que par la chambre et que chaque année lorsque ces subsides seront demandés, l’on s’enquerra de l’emploi qui a été fait des fonds antérieurement ; il sera donc impossible d’en faire un mauvais emploi. Cet examen sévère proscrit jusqu’à l’idée même d’un abus.
M. Gendebien. - Vous aurez beau parler de subsides extraordinaires, de dépenses extraordinaires, vous ne changerez rien à l’effet de l’article, vous n’arriverez jamais au but qu’atteint la proposition de mon honorable ami M. de Brouckere. Dans toutes les communes il y a un budget de dépenses ordinaires et un budget des dépenses extraordinaires ; par conséquent il n’y a pas de commune qui ne soit en position de demander des subsides pour dépenses extraordinaires. Votre changement ne change donc rien à l’effet de l’article.
Qu’est-ce d’ailleurs qu’un subside extraordinaire ? Y a-t-il des subsides ordinaires du gouvernement ? Non. Ces mots ne signifient rien.
Maintenant vous avez à choisir. Voulez-vous que ce subside soit une prime pour l’intrigue et l’obsession ? Adoptez la rédaction du gouvernement. Voulez-vous qu’il n’y ait des subsides que pour les communes victimes d’événements malheureux ? Adoptez la proposition de M. de Brouckere. Je voterai, quant à moi, pour cet amendement.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - J’ai proposé de dire :
« Subsides extraordinaires aux villes et communes dont les ressources sont insuffisantes. »
J’ai substitué le mot « ressources » au mot « revenus. »
- L’amendement de M. de Brouckere est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
M. de Robaulx. - Je retire mon amendement.
M. le président. - M. Lebeau l’a repris.
M. Lebeau. - Je me rallie à la proposition de M. le ministre de l’intérieur.
- L’article unique du chapitre VIII est adopté avec la rédaction proposée par M. le ministre de l’intérieur et avec le chiffre de 20,000 fr.
La séance est levée à 4 heures 1/2.