(Moniteur belge n°164, du 13 juin 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
La séance est ouverte à midi et demi.
M. Liedts fait l’appel nominal.
M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. Liedts fait connaître l’analyse des pétitions suivantes adressées à la chambre.
« Le sieur Defournier capitaine retraite, membre de la légion d’honneur, réclame le paiement de sa pension comme légionnaire. »
« Le conseil de régence de la ville de Gand demande que la chambre avise aux moyens de venir au secours de l’industrie de cette ville. »
« Le sieur Botte, ex-capitaine adjudant-major de la légion mobilisée d’Anvers, réclame de la chambre pour obtenir une amélioration dans son sort. »
- Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. Quirini dépose, au nom de la commission chargée de l’examen de la loi relative aux circonscriptions judiciaires, un rapport sur la circonscription de la province du Brabant.
- L’impression de ce rapport est ordonnée.
M. le président. - La chambre est arrivée à l’article 90 du projet. Voici le nouvel article proposé par la section centrale :
« Art. 90. Toute réunion de conseillers provinciaux se constituant et délibérant comme conseil provincial, hors le lieu ou le temps déterminé aux articles 42, 44, 45 et 46, est illégale.
« Tout acte délibéré dans une réunion illégale est nul de plein droit.
« Le gouverneur prend les mesures nécessaires pour que l’assemblée se sépare immédiatement ; il rédige procès-verbal du fait et le transmet au procureur-général du ressort.
« Les conseillers qui auront pris part à la délibération seront punis de la peine comminée par l’article 258 du code pénal, et déclarés par le même arrêt exclus du conseil, et inéligibles aux conseils provinciaux pendant les quatre années qui suivront la condamnation. »
La section centrale propose comme conséquence de cet article un amendement qui tend à ajouter à l’article 40 portant : « Le conseil s’assemble au chef-lieu de la province, » ces mots : « à moins que, pour cause d’événement extraordinaire, il ne soit convoqué par le Roi dans une autre ville de la province. »
M. de Theux, rapporteur. - Vous aurez vu, messieurs, par le rapport qui vous a été distribué, que la section centrale a jugé à propos de faire un projet de loi séparé de la proposition de M. Dubus sur la formation des listes électorales. L’honorable auteur de la proposition avait lui-même proposé cette modification.
Quant à l’article 90 renvoyé à la section centrale, elle a trouvé à propos de déterminer dans les deux premiers paragraphes de cet article ce qui qualifiait la réunion illégale, et, comme une conséquence du premier paragraphe nouveau, elle propose à l’article 40 la modification que M. le président vient d’indiquer ; cette modification est fondée sur ce que le cas de guerre ou tout autre événement de force majeure pourrait empêcher le conseil provincial de se réunir au chef-lieu de la province.
Sur le dernier paragraphe de l’article 90, qui consiste à déclarer exclus du conseil, et inéligibles aux conseils provinciaux pendant quatre ans, les conseillers condamnés pour avoir pris part à une délibération illégale, il y a eu partage de voix dans la section centrale ; elle était composée de six membres : « trois ont voulu le maintien de l’article ; trois ont voulu rendre cette disposition seulement facultative. »
Les membres qui se sont prononcés pour cette dernière opinion se sont fondés sur ce que la peine comminée par l’article 258 du code pénal n’est que correctionnelle, sur ce que par conséquent, l’article 463 lui étant applicable, les juges peuvent réduire la peine même à une simple amende. On a ajouté que la disposition, telle qu’elle a été proposée, pourrait peut-être porter le jury à prononcer plus facilement la non-culpabilité.
D’autre part, on a répondu que le délit en lui-même était d’une nature assez grave, qu’il fallait deux circonstances pour le constituer : d’abord la réunion illégale, ensuite la participation aux délibérations qui auraient lieu dans une telle réunion. On a ajouté que le fait constituait évidemment l’abus du mandat, abus qui devait de droit entraîner l’exclusion du conseil, d’autant plus que le droit de dissolution a été rejeté à une grande majorité.
Quant à l’inéligibilité, on a pensé que les individus condamnés pour avoir pris part à une réunion illégale, et qui auraient été condamnés à ce titre, ne pouvaient être rééligibles pour la session suivante parce qu’ils devaient être animés d’un esprit d’hostilité ; ce serait d’ailleurs un scandale, une atteinte à l’ordre public que la présence immédiate de ces membres dans le conseil. Tels sont les motifs qui ont déterminé les trois autres membres du conseil provincial à proposer le maintien de l’article.
M. le président. - M. Ernst a proposé, sur l’article 90 un amendement qui tend à substituer dans le dernier paragraphe de cet article, aux mots : « seront punis, » ceux-ci : « pourront être punis. » Le reste comme au projet de la section centrale.
M. Ernst. - L’amendement que j’ai eu l’honneur de proposer a déjà été indiqué dans la séance d’hier ; il a pour objet de rendre facultatives l’exclusion et l’inéligibilité des membres du conseil provincial condamnés comme ayant pris part à une réunion illégale de ce conseil.
Voici les motifs qui m’ont engagé à proposer cet amendement : parmi les membres du conseil provincial qui auront pris part à une réunion illégale, il pourra y avoir une différence immense quant aux degrés de culpabilité. Or il serait très injuste que la même peine fût nécessairement applicable à des hommes qui seraient dans des positions différentes.
Lorsqu’un conseil provincial se réunira illégalement, certainement tous ceux de ses membres qui prendront part à cette réunion ne seront pas également coupables : il y en aura quelques-uns qui seront les moteurs ; il y en aura qui seront entraînés, qui ne seront que complaisants, auxquels il n’y aura à reprocher que de la faiblesse.
Maintenant, si le jury reconnaît l’existence du fait de la réunion illégale, la cour d’assises (car il s’agit d’un délit politique soumis à la cour d’assises) pourra appliquer l’article 258 ou l’article 463 du code pénal. Il y aura des conseillers qui pourront être condamnés à plusieurs années d’emprisonnement, il y en aura d’autres qui ne seront condamnés qu’à quelques jours de prison. Or, je le demande, n’y aurait-il pas de l’injustice à déclarer exclus du conseil et inéligibles ceux qui n’auraient été condamnés qu’à quelques jours de prison ? Telle est cependant la conséquence de l’article présenté par la section centrale. Une autre conséquence qu’aurait souvent cette disposition serait de déterminer le jury à déclarer la non-culpabilité de ceux qui ne se seraient montrés que faibles ; car, ainsi que le faisait observer dernièrement M. le ministre de la justice, l’impunité est la conséquence ordinaire des lois pénales trop sévères.
Voici l’objection que fait l’honorable rapporteur de la section centrale : ce serait, dit-il, un vrai scandale de voir siéger au conseil provincial des hommes qui viendraient d’être condamnés pour avoir contrevenu aussi gravement à la loi. Ce serait une atteinte à l’ordre public. Oui, messieurs, cela est vrai pour les moteurs de la réunion illégale, mais non pour les hommes de bonne foi qui ont été entraînés par faiblesse dans cette réunion.
Ainsi, si vous faites un appel aux principes de justice, vous ne devez pas appliquer la même peine à des hommes qui seraient dans une position différente, à des individus plus ou moins coupables, et condamnés les uns à plusieurs années, les autres à quelques jours de prison. C’est pour cela que, dans l’amendement que j’ai eu l’honneur de proposer, j’ai substitué à l’obligation de prononcer l’exclusion et l’inéligibilité la simple faculté d’appliquer cette peine suivant les circonstances.
M. Pollénus. - Dans les développements que vient de donner à son amendement l’honorable M. Ernst, il a déjà rendu compte des principaux motifs qui ont guidé la section centrale dans la résolution par laquelle elle maintient sa première proposition tendant à prononcer l’interdiction temporaire du droit d’éligibilité ; je ne dirai que peu de mots pour combattre l’amendement qui propose de rendre cette peine facultative.
Le fait d’une réunion illégale, telle qu’elle est définie par le projet amendé, présente un degré de gravité qui ne peut être révoqué en doute. Ces conseillers provinciaux qui foulent aux pieds les règles fondamentales tracées par une loi qu’ils avaient juré d’observer, et qui se mettent en hostilité ouverte avec les institutions du pays, ces hommes sont certes bien coupables ; une coalition semblable peut mettre une province entière en péril ; est-il conséquemment une peine plus rationnelle que cette privation du droit d’éligibilité contre ceux qui ont fait un abus aussi grave de leur mandat ?
Qu’arriverait-il si des conseillers provinciaux pouvaient rentrer immédiatement dans l’administration d’une province qu’ils viennent de troubler par leur résistance aux lois ? Ces hommes aigris par une condamnation récente n’apporteront dans les délibérations que haine et passions ; le conseil ne serait alors qu’une arène de récriminations ; il n’y a que le temps qui puisse ramener le calme nécessaire pour pouvoir se livrer aux intérêts administratifs de la province et effacer les traces que laisseront toujours après eux des événements semblables.
Mais, dit l’honorable préopinant, les degrés de culpabilité peuvent être différents ; les peines ne peuvent être les mêmes pour les moteurs et pour d’autres qui n’ont peut-être d’autre tort que de s’être laissé entraîner.
Je répondrai que l’application de l’article 258 laisse aux juges tous les moyens de calculer les degrés de culpabilité, et l’article 463 du code pénal permet encore d’étendre l’échelle de peines.
On se demandera peut-être s’il est bien sûr que cet article 463 puisse être appliqué au faits prévus par l’article que nous discutons. Il est vrai que cet article parle de tribunaux, tandis que c’est la cour d’assises qui est appelée à juger ces faits ; cependant, comme il s’agit ici de délits, je pense que les cours d’assises sont entièrement substitués aux tribunaux dans les cas où elles sont appelées à juger de simples délits ; et il me paraît que l’applicabilité de cet article peut d’autant moins être contestée que, le projet établissant une peine définie par le code pénal, ce ne peut être qu’aux mêmes conditions que cette peine est prononcée pour les cas prévus par ce code.
L’utilité de la peine de la privation du droit d’éligibilité me paraît bien établie ; dès lors l’application de cette peine ne peut être rendue facultative.
Il faut tenir compte de la situation pénible dans laquelle se trouve le juge en présence d’une peine facultative applicable aux délits politiques. Dans l’hypothèse qui nous occupe, je dis, moi, que le juge n’appliquera jamais cette peine, et dans mon opinion il serait préférable de retrancher cette peine plutôt que de la rendre facultative, parce que je suis d’avis que le législateur ne doit jamais établir des peines inutiles.
J’appellerai encore votre attention sur d’autres dispositions analogues que nous voyons dans le code pénal qui nous régit ; vous y trouverez que l’interdiction du droit d’éligibilité est attachée à presque tous les crimes et délits relatifs à l’exercice des droits civiques ; l’on peut consulter à cet égard les articles 109 et suivants du code.
D’après ces considérations, je maintiendrai la peine d’interdiction temporaire, telle qu’elle est proposée par la section centrale.
M. Milcamps. - Dans l’opinion du rapporteur de la section centrale et du préopinant, l’article 463 du code pénal serait applicable aux délits prévus par l’article 90 de la loi spéciale. Je dois faire remarquer à la chambre que c’est une question extrêmement controversée que celle de savoir si l’article 463 du code pénal peut s’appliquer à des délits prévus par une loi spéciale. Cette question a soulevé en France une grande controverse et les arrêts sont en plus grand nombre pour décider que l’article 463 n’est pas applicable aux délits prévus par une loi spéciale que pour décider le contraire. Je n’ai pas approfondi la question, mais si la chambre partageait l’opinion de M. le rapporteur, je crois qu’il serait nécessaire de le mentionner dans l’article 90 de la loi actuelle ; J’en ferai même la proposition, si je vois que cette opinion ne rencontre pas d’opposition.
M. Dubus. - Messieurs, dans la séance d’hier, j’ai soutenu que l’article 90 était, quant à présent, inutile ; qu’il était plus sage de ne pas porter maintenant de disposition pénale, sauf à insérer plus tard, dans le code pénal, toutes celles qu’il y aurait lieu d’y introduire en conséquence de la nouvelle organisation provinciale. Je partage encore cette manière de voir. Toutefois, pour le cas où l’on adopterait une autre opinion, je reconnais qu’il y a dans la nouvelle rédaction proposée par la section centrale une amélioration, en ce qu’on définit ce qu’on entend par réunion illégale. De sorte que j’adopterais cet amendement, sauf à rejeter l’ensemble de l’article.
C’est dans le même sens que j’appuie de toutes mes forces l’amendement proposé par notre honorable collègue le député de Liége. Je pense que cet amendement est absolument nécessaire. Si à la peine portée par 258 du code pénal vous ajoutez celle de la privation du droit d’éligibilité pendant quatre années, il est indispensable de rendre la peine facultative.
Je dirai de plus que vous ne devez pas forcer la cour à choisir entre la privation pendant quatre années, ou la privation absolue du droit d’éligibilité, mais fixer à quatre années le maximum de cette privation, et autoriser les juges à la prononcer pour trois, deux ou une année, suivant la gravité des circonstances.
Pour soutenir que la disposition doit demeurer inflexible, telle qu’on l’avait proposée d’abord, on suppose que les circonstances seront toujours les mêmes ; on suppose qu’il n’y aura pas de grande différence au moins d’un cas à l’autre, dès qu’il y aura le délit énoncé dans la première partie de l’article 90. Cette supposition est évidemment erronée. On vous a déjà fait remarquer que parmi ceux qui seront compris dans les mêmes poursuites, il y aura toujours des individus beaucoup plus coupables que d’autres, qui n’auront été qu’entraînés. Pourquoi obliger le juge à prononcer la même peine contre tous ?
Et ici, la peine la plus grave, la privation des droits civiques est la même contre tous. On dit qu’alors il y aura eu abus du mandat. Oui, il y aura abus grave du mandat de la part des plus coupables, mais il y aura eu un abus beaucoup moins blâmable de la part des autres.
On objecte le danger de laisser rentrer dans le conseil ceux qui auraient été condamnés et qui seraient aigris par la condamnation. Ce serait supposer que les peines comminées par les lois, loin de corriger ceux qui en sont frappés, auraient pour effet de les rendre plus mauvais, plus dangereux qu’auparavant. Je ne crois pas que ce soit sur ce principe que soient établies nos lois. Plus les peines seront graves et disproportionnées avec le délit, plus elles rendront dangereux et vindicatifs contre la loi et la société elle-même, ceux qui auront été victimes de cet abus de la législation.
On dit enfin que cette peine, si on la reconnaît utile dans quelques cas, on doit obliger les juges à la prononcer dans tous les cas, parce que sans cela, elle ne sera jamais appliquée.
C’est là que nous trouvons la véritable intention de ceux qui soutiennent l’article de la section centrale. Ce n’est plus des mandataires du peuple qu’on se défie, c’est des magistrats eux-mêmes. Vous ferez une loi, mais ils s’abstiendront de l’appliquer si vous ne les obligez pas de le faire dans tous les cas, même dans ceux où leur conscience leur crierait que la peine est injuste ; sans cela il ne l’appliqueraient pas, même quand la peine serait juste.
/p>Si vous voulez adopter de pareils principes, vous avez beaucoup à faire dans la réforme de nos lois pénales, non pour les rendre plus douces, pour abandonner davantage au discernement du juge qui doit apprécier les circonstances, mais pour les rendre plus sévères ; vous devez supprimer le maximum et le minimum, et y substituer des peines inflexibles qui devront être appliquées dans tous les cas.
Il faudrait en venir à ceci, qu’au lieu de mettre le juge à même de proportionner avec discernement la peine au délit, ce qui doit être le but de toute législation pénale, vous donnerez à la loi la mission de frapper en aveugle.
Je crois, messieurs, que jusqu’à ce que vous ayez introduit un changement de système aussi grave dans toute la législation pénale, vous devez rédiger l’article séparé qu’on vous propose, de manière qu’il soit en harmonie avec la législation existante. C’est pour cela que vous devez adopter l’amendement proposé par M. Ernst.
Sur ce point un honorable préopinant a fait remarquer qu’il y a plusieurs dispositions dans le code pénal actuel où n’est pas rendue facultative cette peine de la privation des droits civils pendant un certain temps. Cela est vrai, mais il y a aussi des dispositions rédigées dans un sens contraire.
Il y a plus, je prouverai tout à l’heure que notre législation a modifié en un point celle du code pénal de Napoléon. D’abord, même dans le cas où l’application de la privation des droits politiques n’est pas facultative, il reste toujours une différence extrême entre les dispositions du code pénal et celle que l’on vous propose. Il y a toujours dans le code un maximum et un minimum qui permet en quelque sorte au juge de proportionner la peine au délit.
La disposition de l’article 463 du code pénal est applicable aux délits correctionnels entraînant les peines d’emprisonnement et d’amende pour lesquels est comminée la privation des droits civiques, aussi bien qu’aux autres délits d’emprisonnement. C’est ce qui a été reconnu par la cour de cassation. Différents arrêts ont établi que le pouvoir modérateur du juge allait jusqu’à remettre au coupable l’application de la peine de privation des droits civiques de sorte que le juge peut d’abord graduer la peine au moyen du maximum et du minimum, puis prendre en considération la gravité de la culpabilité, et s’il y a des circonstances atténuantes, s’abstenir de prononcer l’interdiction des droits politiques.
De l’article que l’on vous propose il résulterait que le juge devrait dans tous les cas, alors même qu’il n’appliquerait qu’une peine de simple police, prononcer même l’interdiction de la jouissance des droits civiques pendant le terme de quatre années. La proposition de la section centrale n’est donc pas même en harmonie avec la législation napoléonienne.
Je trouve dans le code pénal une disposition qui a assez d’analogie avec celle que nous discutons, disposition où l’application de la peine que je combats est rendue facultative. Ce n’est pas l’article 258 du code pénal que j’ai en vue. Il n’autorise pas du tout le juge à se prononcer sur la question d’interdiction des droits civiques. C’est de l’article 123 que je parle. Cet article est porté contre les coalitions des fonctionnaires. En voici la teneur :
« Tout concert de mesures contraires aux lois, pratiqué soit par la réunion d’individus ou de corps dépositaires de quelque partie de l’autorité publique, soit par députation ou correspondance entre eux, sera puni d’un emprisonnement de deux mois au moins et de six mois an plus contre chaque coupable, qui pourra de plus être condamné à l’interdiction des droits civiques et de tout emploi public pendant 10 ans au plus. »
Ainsi il s’agit ici précisément du délit résultant du concert de plusieurs fonctionnaires publics. On a senti tout de suite que, dans une réunion de fonctionnaires, il devait y avoir des meneurs et des hommes entraînés, moins coupables ceux-là. Le législateur a donc autorisé le juge à faire la part des circonstances atténuantes et à punir chaque coupable suivant le degré de la culpabilité. D’abord la peine d’emprisonnement est fixée de 2 à 6 mois. Le coupable pourra être condamné à l’interdiction de ses droits politiques pendant dix ans au plus. Le juge a donc la faculté de borner cette interdiction à un espace de temps aussi court qu’il le jugera convenable.
L’analogie qui existe entre cet article et la proposition qui nous occupe est frappante. Dans les deux cas il s’agit d’une réunion illégale de fonctionnaires, chez qui la culpabilité doit être différente. Je pense donc que c’est au moins dans le sens de cet article 123 qu’il y a lieu de modifier la disposition proposée par la moitié de la section centrale.
J’ai dit tout à l’heure que notre législation belge s’est écartée de la législation de Napoléon dans une direction contraire à celle que suit la section centrale. Il suffit pour s’en convaincre de combiner le code pénal, et notamment l’article 334, avec le décret du congrès sur la presse. Les articles 367 et suivants portent des peines contre la calomnie. L’article 371 porte :
« Lorsque la preuve légale ne sera pas rapportée, le calomniateur sera puni des peines suivantes : si le fait imputé est de nature à mériter la peine de mort, les travaux forcés à perpétuité ou la déportation, le coupable sera puni d’un emprisonnement de deux à cinq ans, et d’une amende de 200 francs.
« Dans les autres cas l’emprisonnement sera d’un mois à six mois, et l’amende de 50 a 2,000 francs. »
L’article 374 ajoute : « Dans tous les cas le calomniateur sera, à compter du jour où il aura subi sa peine, interdit pendant cinq ans au moins et dix ans au plus, du droit mentionné en l’article 42 du présent code. »
Vous voyez qu’en vertu de cet article 374, par cela seul qu’un individu aurait été condamné comme calomniateur, il subirait la peine de la privation de ses droits civiques pendant cinq ans au moins, et dix ans au plus. Pour que cet article ne fût pas appliqué, il aurait fallu des circonstances atténuantes tellement particulières que le juge se croira obligé d’en faire presque toujours usage. Pour justifier cette disposition, on ne manquera pas de dire d’une manière générale :
« Tout homme proclamé calomniateur est indigne de remplir des fonctions publiques. »
C’est ainsi qu’au moyen de généralités on perd toujours de vue les cas spéciaux qui peuvent en démontrer l’injustice. C’est ce que le congrès à très bien senti. Le second paragraphe de l’article 15 de la loi du 20 juillet 1831 porte :
« Désormais il sera facultatif aux tribunaux de ne pas prononcer l’interdiction des droits civiques, dont parle l’article 374 du code pénal. »
Vous voyez que la législation, celle que nous pouvons appeler la législation belge tend à s’éloigner du système sur lequel renchérit l’amendement de la section centrale.
Si vous adoptez l’article qui vous est proposé, les tribunaux seront souvent obligés d’être injustes. C’est un point évident pour moi du moins. Je présume l’objection que l’on va me faire. On me dira que lorsqu’il y aura des circonstances atténuantes, le jury prononcera un verdict d’acquittement. Messieurs, n’habituons pas à examiner quelle sera la peine dont son verdict provoquera l’application. C’est un examen que la loi lui a interdit. Il ne doit s’attacher qu’au fait de la culpabilité. Que vos lois donc soient telles qu’il puisse prononcer toujours sur le fait et non sur la position de l’individu. Ne faisons pas des appels trop réitérés à ses sentiments aux dépens de sa conscience, en consacrant des injustices dans la loi.
On pourra m’objecter encore que si les condamnations résultant de l’article en discussion sont injustes, il y aura lieu d’appliquer le droit de grâce. Je suppose un conseil provincial composé de 50 à 60 membres condamnés pour réunions illégales. Ces hommes auront été entraînés à ce fait par 5 ou 6 d’entre eux, contre l’influence desquels ils auront eu la faiblesse de ne pas se garantir. Je suppose qu’il se soit élevé un doute sur la question de savoir si le conseil provincial avait le droit de se réunir. Si donc, dans ce cas, le jury prononce un verdict de condamnation, comme il sera obligé de le faire puisque la culpabilité sera prouvée, la cour sera obligée de priver ces 50 à 60 membres de la jouissance de leurs droits politiques, de les déclarer inéligibles pour la sessions suivante.
Le Roi, usant de son droit de grâce, remettra cette peine à tous ceux en faveur desquels militeront des circonstances atténuantes. Il résultera de l’exercice de ce droit de grâce une inconvénient très grave ; C’est que le pouvoir exécutif pourra, par son choix tout à fait dépendant de sa volonté, choisir ceux qu’il jugera dans son intérêt devoir rester sur les bancs des conseils provinciaux ; il pourra donner à certains individus le droit d’entrer dans ces assemblées, et dispenser cette faveur à des personnes qui lui auront donné des garanties de leur conduite à venir. Un pareil pouvoir ne doit pas être donné indirectement au gouvernement. Nous devons nous attacher, je le répète, à faire en sorte que le juge puisse proportionner la peine au délit.
J’ai entendu tout à l’heure mettre en doute si l’article 463 du code pénal serait véritablement applicable à l’article 90 du projet de la section centrale, en prenant cet article 90 comme il est rédigé. D’abord, je dirai à la chambre que tous les membres de la section centrale, sans exception, ont été d’avis que l’article 463 était applicable, et qu’ils ont raisonné dans ce sens.
L’article 90 nouveau ne commine pas une peine déterminée d’emprisonnement pour le délit dont il est question, seulement il se borne à appliquer au délit qu’il prévoir l’article 258 ou la disposition qui est dans le code ; or appliquer l’article 258, c’est prendre cet article dans les limites qui lui sont données par le code, c’est prendre cet article limité par l’article 463.
Si on doutait que la limite existât, on pourrait mettre dans l’article 90 : « Seront punis des peines comminées par les articles 258 et 463 du code pénal… »
En appuyant l’amendement de M. Ernst, je le sous-amenderai en demandant qu’il soit terminé ainsi : « Seront inéligibles aux conseils provinciaux, pendant un terme qui ne pourra excéder quatre années à partir de la condamnation… »
M. de Robaulx. - Messieurs, on sent assez que, tout en parlant sur les amendements, mon intention n’est pas d’adopter la disposition. En effet, je ne croyais pas, quoi qu’on en ait dit, qu’après avoir mis les conseils provinciaux sous la férule du pouvoir pour chaque pas qu’ils feront ; qu’après avoir soumis leurs actes à la mutilation, on peut pousser la prévoyance jusqu’à menacer les membres du conseil de les rendre inéligibles, de les jeter par les fenêtres et en prison pour avoir fait partie de réunions soi-disant illégales.
Comment peut-on pousser la défiance contre les conseils provinciaux et contre les électeurs qui les ont choisis, jusqu’à supposer qu’un conseil provincial se réunirait illégalement pour délibérer contre les lois ?
Après avoir fait une telle supposition, vous n’êtes pas satisfait de faire contre eux un petit 18 brumaire ; vous les déclarez inéligibles ; ce n’est pas tout, vous jetez tout le conseil en prison. Pourquoi êtes-vous plus exigeants que l’ancien gouvernement ? sommes-nous donc devenus pires que nous n’étions ? sommes-nous devenus des hommes sans frein, ne respectant aucun loi ? Les élus de la nation, les mandataires du peuple, les voyez-vous délibérer pour détruire toute représentations nationale ? Croyez-vous que les représentants des provinces se conduiront autrement que les représentants de la nation ? Pourquoi dans votre constitution n’avez-vous pas prévu le cas où la chambre des représentants et le sénat délibéreraient d’une manière illégale ?
Pourquoi n’avez-vous pas dit dans votre constitution que ceux qui prendraient part à une délibération illégale seraient inéligibles, expulsés avec violence de cette enceinte, et jetés en prison pendant deux à cinq ans ? Dans l’article 90 il y a injure faite au bon sens national, à l’esprit d’ordre qui a toujours dominé en Belgique. Pendant 15 années que vous avez joui des institutions provinciales sous Guillaume, a-t-on vu des exemples qui autorisent les précautions que l’on veut prendre ? Quand les gouverneurs de Guillaume s’efforçaient de mettre l’éteignoir sur les délibérations des conseils, quand ils votaient des pétitions contre les griefs, a-t-on vu les états provinciaux tenir des réunions illégales ? A-t-on vu alors sévir contre les conseillers provinciaux ?
L’administration actuelle marche dans l’arbitraire ; mais craignez-vous qu’elle ne devienne encore plus arbitraire que l’administration sous Guillaume ? Craignez-vous qu’à force d’arbitraire elle n’oblige les états provinciaux à s’insurger. Si c’est là votre crainte, faites des lois tant que vous voudrez, vous n’empêcherez pas les insurrections contre l’excès de l’arbitraire, vous ne les empêcherez pas quand même tous les procureurs du roi seraient là pour requérir des peines. (Bruit.)
Voilà les considérations générales qui m’engageront à rejeter l’ensemble de l’article 90.
Je ne vous demanderai pas comment vous administrerez une province après avoir frappé tout son conseil ? Dans le Hainaut, par exemple, il y a 60 membres dans le conseil ; après les avoir jetés par les fenêtres, puis traînés en prison, puis déclarés inéligibles, trouverez-vous facilement 60 autres membres pour composer le conseil dans un pays où il y a si peu de capacités administratives ? Si vous supposez que les lumières sont communes dans la nation, comminez la peine.
Le motif principal qui m’a fait prendre la parole, c’est de tâcher de rendre moins mauvaise la proposition que nous discutons ; cette tâche fait partie de notre mandat. Je crois que vous ne pouvez admettre les amendements relatifs à l’inéligibilité. Il ne peut en être de l’inéligibilité comme de l’emprisonnement ; l’emprisonnement a des limites ; il vous serait difficile d’en donner à l’inéligibilité. Vous voulez l’infliger pour quatre années ; mais si la condamnation est prononcée à une époque prochaine des élections, il pourra se faire que, pour arriver aux élections qui suivraient les plus prochaines, il y eût un intervalle de six années. Par les amendements de MM. Ernst et Dubus, vous ne voulez pas que des cas fortuits augmentent la peine.
Je voudrais que l’amendement fût modifié dans ce sens, et que les membres du conseil provincial ne pussent être déclarés inéligibles que lors de la première réélection qui suivrait la condamnation. Je ne crois pas que les partisans de l’inéligibilité tiennent à ce qu’elle soit de deux ans plutôt que de quatre ; sans doute ce n’est pas là leur but. Le but qu’on se propose est de ne pas renvoyer au conseil provincial des hommes aigris par une condamnation et qui n’apporteraient au conseil que fiel et passions. Eh bien, dès l’instant que la réélection n’est pas immédiate, il n’y a pas à craindre le fiel des membres qui auraient été condamnés. Leurs passions, que redoute tant M. Pollénus, auront le temps de s’amortir,. Dès lors il suffit que ces membres du conseil provincial ne puissent pas être réélus lors de la première réélection. Alors l’inéligibilité ne se trouvera pas étendue par hasard de 4 à 6 années. Je propose donc un amendement dans ce sens.
M. de Theux, rapporteur. - Je répondrai d’abord quelques mots à l’honorable M. Milcamps qui a demandé si l’article 463 du code pénal serait applicable à l’article en discussion. D’abord, l’honorable M. Ernst, dans la séance d’hier, a déjà établi l’applicabilité de cet article. Je ferai en outre observer que lorsque la chambre des députés a discuté la loi d’organisation départementale, elle a été unanimement d’avis que l’article 463 était applicable, à tel point que l’auteur d’une proposition contraire la retira. En effet, il s’agit de peines correctionnelles établies par le code pénal. Dès lors l’article 463 doit être appliqué.
Je reviens maintenant à la rédaction proposée par la section centrale. Un honorable orateur a combattu cette disposition, et a établi une comparaison entre elle et d’autres dispositions du code pénal. Mais il y a une différence énorme entre les cas qu’il a cités et celui de l’article en discussion.
Ainsi, il a dit que le congrès avait rendu facultative, dans le cas de condamnation pour diffamation, l’interdiction des droits civiques, tandis que le code pénal rend cette interdiction obligatoire. Mais une circonstance importante, c’est que d’une part le code pénal punit la diffamation alors même que le fait est vrai, du moment qu’on ne peut en administrer la preuve légale. En second lien l’article 373 est applicable à ce cas, et il ne commine qu’une peine légère d’emprisonnement, et cependant, dans ce cas, la peine de l’interdiction des droits civiques est très forte, puisqu’elle est de cinq ans au moins, et de dix ans au plus. Ainsi, dans le système du code pénal, la privation des droits n’est pas en rapport avec la durée de la peine de l’emprisonnement. Toute comparaison est donc impossible.
Relativement à l’article 123, la loi française du 22 juin 1833 l’a également déclaré applicable à certains cas prévus pour les conseils généraux de département. En effet cet article a été appliqué aux cas prévus par les articles 17 et 18 de la loi, mais non au cas d’une session prolongée ou illégale du conseil départemental.
Je ferai remarquer que l’article 123 est également plus sévère que la disposition proposée, au moins sous le rapport de l’interdiction des droits civiques ; car sous le rapport de l’emprisonnement il est moins sévère. Cet article porte :
« Tout concert de mesures contraires aux lois, pratiqué soit par la réunion d’individus ou de corps dépositaires de quelque partie de l’autorité publique, soit par députation ou correspondance entre eux, sera puni d’un emprisonnement de 2 mois au moins et de 6 mois au plus, contre chaque coupable, qui pourra de plus être condamné à l’interdiction des droits civiques et de tout emploi public pendant dix ans au plus. »
Vous voyez donc qu’il n’y a pas d’analogie entre les différents cas, entre cette disposition et celle proposée qui tend simplement à faire prononcer l’inéligibilité pendant quatre ans aux conseils provinciaux seulement.
M. Dubus. - Si vous trouvez l’article 123 plus sévère, il doit mieux vous convenir. Alors déclarez-le applicable.
M. de Theux, rapporteur. - Il est plus sévère, mais il n’est pas bien approprié au fait prévu ; la disposition du projet l’est beaucoup mieux, c’est pour cela que je la préfère.
Je dirai que toutes les objections qu’on a faites contre la disposition proposée à la chambre ont été faites à la chambre des députés ; mais elles n’ont pas prévalu. Un amendement fut présente pour rendre facultative l’interdiction des droits civiques, et nonobstant la chambre voulut que l’interdiction fût une conséquence nécessaire de la condamnation.
Je crois que la disposition est raisonnable en elle-même ; comme je l’ai déjà dit, si vous ne l’admettez pas, vous n’avez plus aucun moyen d’éliminer du conseil provincial les membres qui auraient fait partie d’une réunion illégale du conseil ; car le droit de dissolution a été rejeté. Cependant comment des membres qui auraient assisté à une telle réunion et pris part à ses délibérations, ne seraient-ils pas privés de leur mandat ? Je demande si leur présence dans le conseil provincial ne serait pas une atteinte permanente et flagrante à l’ordre public, si elle ne serait pas un véritable scandale.
L’honorable orateur auquel je réponds a dit que, par la disposition dont il s’agit, nous écarterions du conseil toutes les capacités qui pourraient s’y trouver. Il semblerait d’après cela que tous les conseils provinciaux vont se réunir en assemblées illégales, et que tous les citoyens honnêtes qui feront partie des conseils provinciaux devront être interdits des droits civique.
Si une réunion illégale avait lieu, je ne regretterais nullement que les capacités qui s’y trouveraient fussent écartées ; au contraire, je m’en applaudirais : plus les membres qui auraient pris part à ces réunions illégales seraient capables, plus j’applaudirais à leur exclusion du conseil, parce que plus les perturbateurs sont capables, plus ils sont dangereux pour la société.
M. de Robaulx. - C’est avec un argument semblable qu’on a expulsé M. Labrousse.
M. de Theux, rapporteur. - Je pense que si nous voulons atteindre le but que nous nous proposons, nous devons insérer dans la loi une disposition précise qui empêche les conseillers provinciaux de se laisser entraîner à aucun désordre. Sous ce rapport je considère la disposition proposée comme très utile. Les conseillers provinciaux verront à quoi ils s’exposent en ne s’abstenant pas de telles réunions.
On a dit que sous le gouvernement précédent une semblable garantie n’existait pas dans la loi. Mais c’est poser en fait ce qui est en question. On a soutenu en France que l’article 258 du code pénal était de plein droit applicable en l’espèce. Pourquoi ne pas supposer que le gouvernement des Pays-Bas avait aussi cette opinion ? Elle eût été d’autant plus fondée que les anciens états provinciaux ne pouvaient se réunir que sous la présidence du gouverneur, qui certainement n’aurait pas pris part à de telles réunions.
Je ferai remarquer que si la loi donne des garanties d’indépendance aux conseils provinciaux, en les faisant délibérer en public, en leur donnant le droit d’élire leur président, c’est un motif de plus pour admettre sans difficulté la disposition en discussion qui est une garantie réelle d’ordre public. Je crois ne pas devoir insister davantage sur cette question sur laquelle chaque membre de la chambre a sans doute une opinion formée.
M. Jullien. - La section centrale propose de punir des peines comminées par l’article 258 du code pénal les membres d’un conseil provincial qui auraient délibéré dans une réunion illégale. Sous ce rapport la section centrale a donné dans son nouvel article une définition qui doit satisfaire tout le monde. Mais quant au troisième paragraphe : « Le gouverneur prend des mesures pour que l’assemblée se sépare immédiatement, » j’aurais désiré, pour éviter des mesures plus ou moins acerbes, suivant le caractère de tel ou tel gouverneur, qu’on eût inséré dans la disposition : « Si après une sommation du gouverneur l’assemblée ne se sépare pas, il prendra les mesures nécessaires pour la dissoudre. » Une sommation eût été un acte de déférence vis-à-vis de la représentation provinciale, et je ne crois pas qu’elle eût déparé la loi. Cependant je n’en ferai pas l’objet d’un amendement. Mais je m’opposerai au dernier paragraphe : « Les conseillers qui auront pris part à la délibération, seront punis de la peine comminée par l’article 258 du code pénal et déclarés par le même arrêt exclus du conseil et inéligibles aux conseils provinciaux pendant les quatre années qui suivront la condamnation... »
J’attaque cette disposition sous le rapport de la forme comme sous le rapport du fond. Sous le rapport de la forme, je dis que si on déclare que les conseillers qui auront pris part à une délibération prise dans une réunion illégale, seront punis des peines comminées par l’article 258 du code pénal, c’est qu’on n’a pas osé dire qu’on appliquait l’article 258 au fait, parce que dans la discussion qui a eu lieu dans une précédente séance, hier, je crois, il a suffi de lire l’article pour prouver qu’il ne s’applique qu’à ceux qui usurpent des titres ou fonctions qu’ils n’ont pas, ou ont fait des actes de ces fonctions.
Ainsi on a dit : On ne peut pas faire à des fonctionnaires qui ont le titre en vertu duquel ils agissent, l’application d’un article qui suppose l’usurpation d’un titre, d’une qualité. C’est sur les observations de M. Ernst, qui me permettra de n’être pas de son avis, sur les motifs qu’il a donnés, que la section centrale a pensé que c’était la peine portée à l’article 258 du code pénal, et non l’article lui-même qu’il fallait appliquer aux délits mentionnés à l’article 90 de la loi que nous discutons.
Je ferai observer que c’est là une malheureuse innovation dans l’administration de la justice criminelle. Comme, toutes les fois qu’un tribunal prononce une peine, il faut que le jugement rappelle le fait et l’article applicable au fait, c’est une chose dont les juges ne peuvent pas se dispenser, l’article 258 n’étant pas applicable, on a déclaré que la peine portée à cet article serait appliquée.
Mais alors pourquoi ne pas prendre la peine comminée par tel ou tel autre article, par celui qui s’applique au meurtre ou à tel autre délit ? Pourvu que la peine vous satisfasse, vous serez contents. C’est là une chose intolérable en fait de jurisprudence criminelle. Vous aurez pris une peine faite pour un délit déterminé pour l’appliquer à un autre. Faites quelque chose de plus régulier, déterminez une peine vous-mêmes, puisque c’est une disposition nouvelle que vous faites ; dites que, dans le cas d’une délibération prise par un conseil dans une réunion illégale, les conseillers qui auront pris part à cette délibération seront punis de telle peine.
Vous n’aurez pas fait cette singulière confusion d’appliquer une disposition pénale à un fait que vous reconnaissez n’être pas celui prévu par cet article.
Permettez-moi maintenant d’examiner la question au fond. Sous ce rapport encore, je dirai que vous ne pouvez admettre la disposition, parce que la peine est exorbitante. Le code pénal a déterminé des peines très sévères contre ceux qui usurpent des titres ou des fonctions pour s’immiscer dans les affaires publiques, parce qu’il a supposé que quand des individus usurpaient des qualités ou titre, et agissaient en vertu de ces titres ou qualités, ils étaient ce qu’on appelle des faussaires. C’est si vrai, que l’article 258 a une disposition expresse ainsi conçue : « sans préjudice des poursuites pour crime de faux, si les actes ont ce caractère. »
En effet, il est très difficile que des hommes qui usurpent des qualités qu’ils n’ont pas, ne commettent pas le crime de faux. Je ne puis concevoir comment un homme qui se qualifierait de conseiller provincial ou de membre de l’ordre judiciaire, et ferait des actes en conséquence de ces qualités, ne commettrait pas le crime de faux. Voilà pourquoi la loi a comminé des peines aussi sévères. Et vous voulez appliquer ces peines comminées pour des faits aussi graves, à qui ? à des hommes qui sont véritablement conseillers provinciaux, qui ont légalement le titre et la qualité en vertu desquels ils agissent, mais seulement parce qu’ils ont abusé de ces titres et qualités, en se réunissant dans un autre lieu, ou bien à une autre époque que celle déterminée par la loi, faits dont les circonstances peuvent infiniment varier et être appréciées de manières tout à fait différentes.
Voilà cependant comment vous voulez appliquer à un délit infiniment moindre, des peines comminées pour des délits infiniment plus graves.
Est-ce là de la justice ?
L’honorable M. Dubus vous a dit : Puisque vous cherchez une peine dans le code, il y a un article qui se rapproche beaucoup plus du délit que vous voulez punir, car évidemment l’article 258 n’est pas applicable ; jamais vous n’obtiendrez d’un tribunal qu’il applique un article fait pour des usurpations de fonctions, à un homme qui n’a rien usurpé. Il vous a indiqué l’article 123 du code pénal qui est au titre des coalitions de fonctionnaires publics.
Je suppose plusieurs individus fonctionnaires qui se coalisent dans un but contraire aux lois. Eh bien, supposez deux conseils provinciaux ou un conseil provincial et un conseil communal qui se coaliseraient dans un but contraire aux lois ; ils seront condamnés de deux à six mois avec interdiction facultative des droits politiques pour dix ans au plus. Ainsi le crime le plus fort serait puni d’une peine moindre. Il y a plus d’analogie entre le délit de fonctionnaires qui se coalisent dans un but contraire aux lois qu’entre ce dernier délit et celui d’usurpation de titres ou fonctions, Maintenant comment pourrait-on persister à faire l’application de l’article 258 ?
Mais, dit l’honorable M. de Theux, cet article 123 commine une peine beaucoup plus considérable que l’article que nous proposons. J’avoue que je ne suis pas de son avis. En effet, la peine comminée par l’article 258 est de 2 ans à 5 ans d’emprisonnement, et, ajoute l’article, « sans préjudice des poursuites pour crime de faux, » poursuites qui auront toujours lieu, parce que dans le cas spécial de l’article, comme je l’ai démontré, il est presque impossible que le faux ne soit pas commis. Dans l’article 123, au contraire, la peine n’est que de 2 à 6 mois d’emprisonnement, avec l’interdiction facultative des droits civils et politiques pour 10 ans au plus, de sorte qu’on peut suivre l’échelle depuis 1 an jusqu’à 10, dans le cas où on appliquerait cette peine. D’ailleurs, l’article 463 pourrait encore être appliqué. Si M. de Theux pense que la peine portée par l’article 258 est moins considérable que celle comminée par l’article 123, libre à lui ; mais je ne pense pas que personne puisse être de son avis.
M. de Theux, rapporteur. - Quand j’ai dit que l’article 123 était plus sévère que l’article 258, je n’ai pas entendu parler de l’emprisonnement.
M. Jullien. - Quand je compare la sévérité de deux articles, je prends la peine tout entière.
Si je dois choisir entre les articles 258 et 123, je prendrai l’article 123 ; je suis convaincu qu’en le faisant vous vous rapprocherez plus de l’espèce et de la justice distributive. C’est pourquoi j’en ferai l’objet d’un amendement formel. Je proposerai de substituer les peines comminées par l’article 123 au lieu de celles portées à l’article 258.
Si cet amendement ne passait pas, je serais disposé à adopter l’amendement de M. Ernst. Comme c’est une peine nouvelle que vous voulez porter et que vous voulez l’établir par analogie, il faut prendre celle portée contre le fait qui se rapproche le plus de celui que vous voulez punir.
M. Desmet. - Messieurs, je ne pourrai non plus voter ce petit amendement d’amour et de libéralisme ; je ne vois aucune nécessité d’amplifier encore une fois le code de Bonaparte, et d’inventer une nouvelle pénalité pour la Belgique.
Vraiment, messieurs, je crois qu’on apprécie très mal le caractère et l’esprit pacifique du Belge ; il n’est pas dans ses mœurs, comme vous l’a dit l’honorable M. Dubus, d’être conduit avec une verge de fer ; gouvernez-le sagement, avec justice et impartialité ; respectez ses institutions, ne violez pas sa constitution et vous n’avez pas besoin de tous ces moyens violents.
Ne devez-vous pas être satisfaits quand vous avez déjà défendu aux conseils provinciaux de se réunir quand ils en verraient la nécessité et qu’ils le trouveraient bon, qu’hors d’une session par an vous ne les autorisez à se réunir que quand le gouvernement l’ordonnera ? Devez-vous encore laisser punir et mettre en prison les notabilités des provinces parce qu’elles auraient assisté à une réunion que vous aurez déclaré sans de justes motifs illégale ?
Ne craignez-vous pas qu’une telle mesure puisse amener de grands abus et que méchamment on pourra très souvent conduire sur la banquette correctionnelle tout un conseil provincial ? Avez-vous oublié que si cette chambre-ci eût été punissable, un jour toute l’assemblée aurait été mise en prison ? Vous devez vous ressouvenir de ce jour : c’est celui quand l’honorable M. de Theux, alors ministre de l’intérieur est venu, par surprise et à notre grand étonnement, clôturer la session, et qu’après qu’il était descendu de la tribune et avait consommé son acte de clôture, la chambre est encore restée quelques instants en délibération. Eh bien ! dans la rigueur la réunion était illégale, et si cette disposition pénale eût existé pour la chambre, le ministère public, sur les instances du gouvernement, aurait pu poursuivre tous les représentants présents et les jeter in corpore en prison.
Mais d’ailleurs, messieurs, pourquoi devez-vous avoir une telle peur du pouvoir des conseils provinciaux ? Vous devez cependant voir que, par la loi que vous allez peut-être voter, vous leur avez enlevé toute autorité et indépendance ; un corps dont tous les actes sont soumis au veto du gouvernement, et qui ne peut dépenser un centime ni porter un denier en recette, sans y être de même autorisé par le gouvernement, n’est plus qu’un cadavre qui ne peut donner le moindre ombrage.
Oui, messieurs, par la loi que vous allez peut-être voter, vous aurez anéanti toutes nos franchises provinciales ; on pourra dire que la Belgique n’aura plus de pouvoir provincial ; si c’est de la sorte qu’on veut modifier notre constitution, que les agents du pouvoir trouvent trop libérale, on aura réussi ; on pourra se glorifier que le commencement de cette œuvre liberticide a été couronné de réussite.
Mais croyez-vous travailler dans l’intérêt du pays et de la royauté même, que de vouloir centraliser tous les pouvoirs dans le gouvernement et anéantir les subalternes ? je ne le pense pas ; je crois au contraire que vous travaillez contre l’un comme contre l’autre, et que vous préparez à la Belgique de nouveaux malheurs.
Pour gouverner la Belgique et établir ses nouvelles institutions, pourquoi devez-vous toujours consulter cette France, ou du moins les actes de son gouvernement, qui certainement sont loin d’être frappés au coin du libéralisme, et surtout depuis que ce pauvre pays est dominé par le détestable juste-milieu ? Consultez plutôt un autre pays voisin, qui, quoiqu’il passe pour un gouvernement absolu et que son monarque fait partie de la sainte alliance, ne reconnaît pas moins que la meilleure politique d’un Etat est celle de laisser faire à chacun ses propres affaires, et qu’affermir le pouvoir sur les franchises communales et provinciales, sur la liberté et le bien-être de toutes les classes, est la seule politique possible.
Et ici, messieurs, je vous citerai un écrivain que vous ne pourrez accuser d’être trop libéral et de vouloir affaiblir le pouvoir royal ; je veux vous parler de l’allemand Haller qui veut que le pouvoir royal soit grand, fort, absolu même : et cependant lisez son ouvrage de la restauration de la science politique, vous y trouverez qu’une des causes permanentes de l’anarchie des gouvernements modernes, c’est que l’on oublie toujours que chacun a le droit d’administrer ses propres affaires, que le pouvoir ministériel veut tout gouverner, tout administrer, comme si à lui seul il devait remplir toutes les fonctions du corps politique ; qu’il considère la centralisation administrative comme le présent le plus funeste qu’on puisse faire à la royauté.
Je n’en dirai pas plus sur cet amendement et sur le projet de loi que nous allons voter ; il ne me restera qu’à rejeter toute la loi, si elle reste telle qu’elle existe dans ce moment : je n’aurai au moins aucun reproche à me faire d’avoir méconnu la constitution et d’avoir foulé aux pieds les franchises et les libertés que le peuple belge avait le droit d’attendre de sa révolution de septembre.
M. de Theux, rapporteur. - Je répondrai à l’honorable préopinant qui a semblé, dans son discours, considéré les libertés provinciales comme compromises, par cela seul que la loi prévoir et commine quelques peines contre des réunions illégales ; je répondrai que ce sont ces réunions illégales qui auraient pour résultat de détruire les libertés provinciales.
M. Jullien m’a bien mal compris, ou je me suis bien mal expliqué, si l’honorable membre a pensé que je croyais que l’article 123 portait des peines plus fortes que l’article 258 : il est évident que je ne pouvais avoir cette opinion, puisque l’article 258 porte la peine de 2 ans à 5 ans d’emprisonnement, tandis que les peines portées dans l’article 123 sont de 6 mois de prison à 2 ans. J’ai dit qu’à l’égard de l’interdiction des droits civiques il était accordé au juge, dans le cas de l’article 123, une latitude extrême, puisque le juge peut l’ordonner pour 10 ans, et l’étendre à tous les droits civils sous ce rapport ; il y a donc une grande différence avec l’article 258.
L’honorable M. Jullien prétend que c’est l’article 123 qui doit être appliqué, et non l’article 258 ; c’est une erreur manifeste de sa part.
M. Jullien. - J’ai dit ni l’un ni l’autre.
M. de Theux, rapporteur. - S’il faut choisir entre les articles, il faut appliquer celui qui a le plus d’analogie avec le cas prévu ; sous ce point de vue, il est impossible de ne pas reconnaître que l’article 258 a plus de rapport avec le cas prévu dans la disposition qui vous est soumise ; c’est ainsi que l’ont compris les auteurs de la loi du 22 juin 1833 ; ils ont appliqué l’article 123 aux cas où le conseil ferait des proclamations et des adresses, ou qu’il entrerait en correspondance avec d’autres conseils. On comprend, en effet, que dans ces cas ce soit l’article 123 qui doit être appliqué.
Mais l’article 258, qui est relatif à celui qui se sera immiscé sans titre dans des fonctions civiles ou militaires, me paraît évidemment applicable dans le cas dont il s’agit ici. Exercer des fonctions à une époque ou dans un lieu ou l’on n’a pas le droit de les exercer aux termes de la loi, c’est usurper des fonctions ; or si le conseil se réunit à une époque ou dans un lieu où la loi ne lui permet pas de se réunir, il commet une usurpation de fonctions ; on ne peut se réunir comme autorité publique qu’en vertu de dispositions de la loi ; l’autorité publique résulte de la constitution ou des lois ; personne ne peut se donner à lui-même cette autorité.
Pour que les membres des conseils provinciaux restent dans les termes de la loi, il ne faut pas qu’ils sortent des limites assignées à ces pouvoirs par la loi actuelle ; il ne faut pas qu’ils se créent à une extension de pouvoir par l’exercice de leurs droits dans une réunion illégalement prolongée ; alors il y aurait évidemment usurpation d’autorité. C’est sous ce rapport, je le répète, que l’on n’a pas hésité, dans la loi du 22 juin 1833, à déclarer que l’article 258 était applicable aux réunions tenues extra-légalement.
M. Gendebien. - Si, en général, on juge le degré de civilisation d’un peuple par son code pénal, il faut avouer que ce qui se passe ici depuis quelque temps doit donner à l’Europe une triste idée du peuple belge. Ce n’est pas assez de créer des délits politiques contre des ennemis, alors qu’on peut à peine compter des ennemis ; il faut que l’on prévoie des délits, que l’on commine des peines contre l’élite des habitants des provinces, contre les conseils provinciaux qu’on traite en ennemis avant qu’ils soient constitués.
Dans quel pays, messieurs, agit-on ainsi ? Dans un pays où le gouvernement représentatif existe depuis des siècles, où il a pour ainsi dire pris naissance, où il a poussé de profondes racines.
Depuis des siècles nos villes, nos provinces se réunissent, et sont constituées en corps délibérants pour s’occuper des intérêts publics, de la chose publique ; personne dans cette discussion, ni de la section centrale, ni de ceux qui ont parlé sur les amendements présentés, ne nous a cité des cas assez graves pour nécessiter des peines telles que celles que l’on propose de comminer contre les conseils provinciaux.
Messieurs, il est tel crime qu’il est plus prudent de ne pas prévoir que de punir ; il serait en effet facile de citer beaucoup de crimes qu’aucun législateur n’a osé prévoir par pudeur autant que par prudence ; je crois qu’il en est de même ici, et je ne vois pas de probabilité que le cas dont il s’agit puisse se présenter.
Si ce cas se présentait, toutes les dispositions que l’on se propose d’introduire dans l’article deviendraient impuissantes. Si l’élite des habitants de nos provinces jugent à propos de désobéir à la loi, de se réunir malgré elle, il n’y aurait aucune autorité, aucun frein à leur opposer ; dès ce moment, une révolution serait faite ; il pourrait s’agir d’une nouvelle constitution, de nouvelles lois, et la constitution et les lois que vous auriez faites ne serviraient plus à rien. Ainsi, indépendamment de l’inconvenance de cette disposition, il y a imprudence à créer des peines pour des délits jusqu’ici imaginaires.
Maintenant que punirez-vous par votre article ? Le fait de la réunion de citoyens ; eh bien, les arrêtés du gouvernement provisoire et l’article 19 de la constitution s’opposent à une pareille mesure : non pas que je veuille dire que la constitution s’oppose textuellement à toute peine portée contre des assemblées provinciales ou autres ; mais je dis que l’esprit de l’article 19 repousse toute mesure préventive et toute peine prononcée contre le seul fait d’une réunion de citoyens.
Il suffit de lire cet article pour s’en convaincre ; voici cet article :
« Les Belges ont le droit de s’assembler paisiblement et sans armes, en se conformant aux lois qui peuvent régler l’exercice de ce droit, sans néanmoins le soumettre à une autorisation préalable. Cette disposition ne s’applique point aux rassemblements en plein air qui restent entièrement soumis aux lois de police. »
Ainsi, messieurs, voilà le droit de réunion bien établi : le fait de réunion n’a donc rien de criminel, au contraire ; se réunir n’est que l’exercice d’un droit consacré par la constitution. Eh bien, dans le Hainaut par exemple, 61 citoyens sont choisis membres du conseil provincial ; ils sont les élus du peuple, parce qu’ils ont plus de capacité, plus de connaissances, et qu’ils jouissent d’une confiance plus grande parmi leurs concitoyens. Il sera possible, d’après votre article, lorsqu’ils seront réunis en raison même de la plus grande confiance dont ils jouissent, de leur appliquer des peines ; ces 61 membres pourront être condamnés, lorsque 6,000 personnes, 10,000 personnes pourraient se réunir et délibérer sans qu’il y eût un mot à dire, et qu’on pourrait seulement punir les actes contraires à la loi, émanés de cette assemblée.
Punissez les actes criminels d’un conseil provincial, réuni en dehors ou en dedans du temps, du lieu indiqué par la loi ; mais ne punissez pas le fait simple de la réunion des conseils provinciaux. Je vous défie de trouver une réunion qui soit criminelle en présence des principes proclamés par le gouvernement provisoire, et par l’article 19 de la constitution.
C’est pousser trop loin les précautions, c’est faire aux membres des conseils provinciaux, une injure que vous n’avez pas le droit de faire aux citoyens qui sont moins qu’eux investis de la confiance du pays.
J’admets que toute réunion de conseillers provinciaux délibérant comme conseil provincial, hors le lieu ou le temps déterminé par la loi, soit illégale comme conseil provincial ; j’admets la conséquence de cette disposition, que tout acte délibéré dans une réunion illégale soit nul de plein droit comme acte d’un conseil provincial ; mais faut-il punir la réunion ? Evidemment non, puisque la constitution autorise tous les genres de réunions, excepté celles en plein air.
Ce que vous pouvez punir, ce n’est pas la réunion, mais l’acte émané de cette réunion s’il est contraire aux lois. Eh bien, l’acte que tel ou tel conseil aura émis, s’il n’est pas criminel, le punirez-vous ? non encore, vous ne le pouvez pas, et vous ne proposez même aucune peine contre un acte même criminel, ce n’est que la réunion que vous condamnez.
Si l’acte est criminel, punissez-le, déterminez-les cas où l’acte sera criminel et appliquez la loi ; mais vous ne vous en occupez pas ; vous faites ce que la constitution ne vous permet pas de faire, et vous ne faites pas ce qu’elle autorise.
Vous déclarez que l’acte est nul de plein droit ; bornez-vous à cela, c’est tout ce que vous devez faire ; vous arrêtez par cette disposition le mal dans sa source. Voulez-vous aller plus loin ? punissez les actes condamnables, fixez les degrés de criminalité et établissez une échelle de peines en raison de ces degrés de criminalité ; mais ne vous attaquez pas à la réunion qui est placée par la constitution hors du domaine de la loi préventive.
L’article porte : « Le gouverneur prend les mesures nécessaires pour que l’assemblée se sépare immédiatement, et rédige procès-verbal du fait, et le transmet au procureur-général du ressort. » Ainsi voilà le gouverneur qui peut dissoudre immédiatement la réunion du conseil. Il arrive dans cette réunion, il s’adresse à 61 membres (je prends toujours pour exemple le Hainaut), et parce que ces 61 membres sont délégués par tous les cantons de la province, il peut les chasser en appelant l’aide de la force armée, et peut les faire sauter par les fenêtres, ainsi que l’a dit un honorable préopinant. Remarquez toujours que s’il s’agissait de la réunion de 60 autres citoyens, sans mission de la province, le gouverneur et aucune autorité ne pourraient lui adresser un seul mot de reproche.
Le gouverneur déclare que la session du conseil est close ; mais 61 citoyens composant le conseil trouvent à propos de se réunir dans un local quelconque, à l’effet de se consulter sur ce qu’ils ont à faire soit à la prochaine session, soit sur l’utilité de provoquer une session extraordinaire. S’ils font un acte, cet acte est illégal, il est déclaré nul ; mais vous ne le punissez pas. Si le gouverneur arrive dans l’assemblée avant que les membres n’aient fait un acte quelconque, il dissout le conseil par la force armée, il fait son rapport, et ces membres sont condamnables du chef de l’article 258 ; les voilà susceptibles d’être condamnés de deux à 5 ans de prison, et d’être privés du droit d’éligibilité de 2 à 4 années ; ainsi, non seulement vous avez le droit de punir le conseil réuni qui n’aura fait aucun acte, de la même peine que celle que vous appliqueriez au conseil réuni qui aurait fait des actes condamnables, mais vous allez plus loin ; vous punissez la réunion, alors que vous ne comminez aucune peine contre les actes de ce conseil quels qu’ils soient.
Je le demande, n’est-ce pas bouleverser tous les principes en matière de législation et de jurisprudence criminelle ?
Nous marchons dans une mauvaise voie ; on s’est préoccupé de dangers imaginaires, et tellement imaginaires, qu’après dix jours de discussion on n’est pas encore d’accord sur le fait qu’il faut punir, que l’on propose de punir ce qui n’est pas punissable, et que l’on omet de punir ce qui peut être condamnable.
Vous ne pouvez trouver une peine à appliquer. C’est qu’en effet, lorsque le fait ne peut se qualifier, la peine est indéfinissable, et qu’il est difficile de l’établir d’une manière juste et précise.
Quant à moi, messieurs, je n’adopterai point l’article, et je me suis déjà suffisamment expliqué à cet égard.
Vous vous efforcez de prendre des précautions contre les élus du peuple, mais jusqu’ici nous n’avons pas vu qu’on ait pris une seule précaution contre les représentants du gouvernement, vous traitez les représentants de la nation comme des bêtes fauves.
Il semble que ce soit un tigre affamé auquel il ne suffit pas d’avoir coupé les ongles, cassé les dents, il faut encore le museler et le bâillonner : après cela vous en avez encore peur. Pour celui qui sert de cornac au tigre ainsi garrotté, vous ne vous en êtes pas occupés.
Si votre prévoyance va jusqu’à craindre des crimes imaginaires, pourquoi n’avez-vous aucune prévoyance à l’égard de l’administration ? Si vous consultez l’histoire, vous verrez que c’est de la part des gouvernants que sont arrivés les empiétements sur les lois et les libertés, et non de la part des citoyens, surtout de la part des citoyens qui ont un mandat à remplir, et qui sont placés dans la catégorie de ceux qui feront partie des conseils provinciaux.
Maintenant jugez à quel degré d’absurdité on est conduit, lorsqu’on a une fois dévié des principes du droit civil ou criminel ; on punit de 2 à 5 ans de prison, de l’exclusion du conseil, pour un fait qui, ainsi que je l’ai démontré, est tout légal et même bien innocent ; le fait simple de la réunion de l’élite des provinces.
Eh bien, si vous voulez absolument punir, adoptez les dispositions de la législation de 1810. Restez dans les termes du droit commun : si vous n’êtes pas moins cruels que les législateurs de 1810, vous éviterez au moins l’insulte qui résultera de vos ombrageuses prévoyances, de vos dispositions spéciales contre les représentants du peuple.
Le seul article qui pourrait être applicable, c’est l’article 123 ; l’article 258 ne peut l’être ; il ne s’applique qu’aux fonctionnaires qui usurpent un titre, et de quelque manière que se forme la réunion du conseil, il ne peut y avoir d’usurpation de titre. Un membre du conseil provincial n’usurpe point ce titre ; il a cette qualité partout ; seulement il peut en abuser. Si vous constatez que la réunion du conseil est illégale, les membres de ce conseil auraient toujours le droit de se réunir comme simples citoyens, aux termes de l’article 19 de la constitution, il n’y a point de possibilité de leur ravir leur titre ou leur droit de se réunir. De quelque manière que vous envisagiez la question il n’y a pas usurpation de titre, car tout au moins les titres des membres qui se réuniraient sont dans l’article 19 de la constitution.
Comment maintenant appliquer l’article 258 à des citoyens qui ont un titre et qui se réunissent en vertu de ce titre ?
L’article 258 porte : « Quiconque, sans titre, se sera immiscé dans des fonctions publiques civiles ou militaires, ou aura fait des actes d’une de ces fonctions, sera puni d’un emprisonnement de 2 à 5 ans, sans préjudice de la peine du faux, si l’acte porte le caractère de ce crime. » Maintenant, messieurs, rapprochez de cet article le cas où se trouveront les citoyens membres du conseil qui se seront réunis en vertu de l’article 19 de la constitution, et je vous demande si vous pouvez les considérer comme ayant usurpé des titres qu’ils n’avaient pas.
Ils ont un titre comme conseillers provinciaux, que personne ne peut leur ôter ; ils ont un titre en vertu de l’article 19 de la constitution, personne également ne peut le leur ravir.
Passons maintenant à l’article 123. « Tout concert de mesures contraires aux lois, pratiqué soit par la réunion d’individus ou de dépositaires de quelque partie de l’autorité publique, soit par députation ou correspondance entre eux, sera puni d’un emprisonnement de deux mois au moins et de six mois au plus, contre chaque coupable, qui pourra de plus être condamné à l’interdiction des droits civiques, et de tout emploi public, pendant 10 ans au plus. »
Je suis loin de prétendre que cet article 123 soit tout à fait applicable dans ce cas. Son application seulement est plus directe car les membres des conseils provinciaux peuvent être en quelque sorte considérés comme des fonctionnaires publics. Ils peuvent se coaliser contrairement aux lois. Je verrais dans l’application de 123 à l’illégalité de leurs réunions quelque chose de plus rationnel ; la peine est d’ailleurs moindre. On ne l’a pas voulu ainsi. On a été jusqu’à vous dire que les peines comminées par l’article 123 étaient plus fortes, parce que ce n’est pas la durée de l’emprisonnement qui constitue la gravité de la punition, mais bien la perte des droits politiques.
Eh bien, en admettant ce principe, l’article de la section centrale ne montre-t-il pas plus de sévérité en obligeant le juge à appliquer au coupable deux ans ou quatre de perte des droits civiques, tandis que l’article 123 lui permet de restreindre cette dernière peine à deux mois, à un mois même, s’il le veut, puisque le code pénal, qui détermine le point ou s’arrête l’échelle ascendante, ne fixe pas celui où elle devra également s’arrêter dans le sens inverse ? Quant à la peine de la prison, il est évident, me semble-t-il, que cette peine n’a pas autant de gravité que celle de l’interdiction des droits civiques…
Si M. le ministre de l’intérieur voulait bien ne pas étaler cette grande pancarte au milieu de l’assemblée, je continuerais à parler.
M. Jullien. - On ne peut s’occuper de chemins de fer pendant la séance.
M. Gendebien. - Je conçois que M. le ministre tienne à s’occuper du chemin de fer. C’est son enfant chéri. Mais c’est peut-être le plan des prisons destinées aux conseils provinciaux.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ferai observer à l’assemblée que le temps que je consacre à la chambre, interrompant les travaux de mon ministère, il n’est pas étonnant que je doive signer certaines pièces dans la séance même.
M. Gendebien. - Vous pouvez les signer au ministère. Je ne parlerai que lorsque vous aurez fini, et comme j’ai la parole, je ne la céderai pas et je ne la reprendrai que lorsque le plan aura disparu.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Mon silence cependant n’a pu vous couper la parole.
M. de Robaulx. - On dirait que la chambre est un bazar, une salle d’exposition pour les chemins de fer.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - L’orateur pourrait continuer. Je ne l’ai nullement interrompu. (M. le ministre de l’intérieur roule le plan du chemin de fer qu’il tenait à la main.)
M. Gendebien. - Je pourrais concevoir que les conseils provinciaux, en se réunissant en dehors du temps fixé pour leur réunion, et pouvant commettre des choses répréhensibles, fussent coupables d’abus du pouvoir qui leur aurait été délégué par les électeurs. Voulez-vous comminer une peine pour cet abus de pouvoir ? Soit ; mais à coup sûr vous ne pouvez les punir pour usurpation de titres. Les membres des conseils ont cette qualité de députés ; ils ne l’ont pas usurpée. Cette qualité est inviolable, indélébile pendant quatre ans. Nulle circonstance, nul pouvoir ne peut la leur enlever pendant ce laps de temps.
Messieurs, je croirais faire injure à la chambre si j’insistais plus longtemps sur une chose, selon moi, aussi claire. En me résumant, je dis que c’est en quelque sorte insulter la nation tout entière que de mettre en état de suspicion les conseils provinciaux qu’elle choisira pour la représenter. C’est l’insulter que d’admettre la supposition que la nouvelle représentation provinciale sera moins sage que nos anciens états ne l’ont été depuis des siècles, c’est l’insulter que de lui appliquer un article portant condamnation à deux ou quatre ans de suspension des droits politiques pour usurpation de fonctions publiques. Je ne m’étendrai pas sur tous les résultats que pourrait avoir l’article en discussion. Mes honorables collègues MM. Dubus et Jullien les ont déjà signalés.
Je ne puis donc admettre de l’article 90 que les deux premiers paragraphes.
Je considère les autres dispositions comme inutiles, comme dangereuses. Je ne ferai qu’une observation. Si, lorsque le gouverneur se présentera avec la force armée pour dissoudre la réunion illégale d’un conseil provincial, ce conseil invoquait l’article 19 de la constitution, je serais curieux de savoir ce que le gouverneur pourrait résoudre, placé entre deux dispositions contradictoires. Si l’article passe, je donne pour ma part à la représentation provinciale le conseil d’en faire usage.
M. le président. - M. Doignon dépose un amendement ainsi conçu, à la première partie du paragraphe de l’article 90 : « Seront punis de 6 mois à deux ans d’emprisonnement, » et il propose d’ajouter au même article le paragraphe suivant :
« L’article 463 du code pénal est applicable aux délits prévus par le présent article. »
M. Doignon. - Si mon intention bien formelle est de voter contre l’ensemble de l’article 90, je sens cependant qu’il est de mon devoir, dans le cas où cet article passerait, de le rendre le moins mauvais possible. J’ai donc proposé qu’il y fût introduit un adoucissement, en portant la peine de l’emprisonnement de six mois à deux ans. Les honorables orateurs qui m’ont précédé ont démontré à satiété combien la peine proposée par M. de Theux est exorbitante. L’article 258 du code pénal prévoit le cas où quelques personnes, non revêtues d’un titre légal quelconque, usurperaient des fonctions publiques. Mais dans l’espèce les membres des conseils ont toujours un titre. Dès lors, vous ne pouvez sans injustice leur appliquer les dispositions de l’article précité. Mais vous leur infligeriez même une peine plus grave que celle prévue par l’article 258, car vous y ajoutez la perte des droits d’éligibilité.
Je préférerais cependant à mon amendement celui qu’a présenté l’honorable M. Jullien et qui consiste à demander l’application pure et simple des peines comminées par l’article 123 du code pénal. Si j’ai présenté la proposition dont je donne le développement, c’est pour le cas où l’amendement de M. Jullien ne serait pas accueilli.
Au surplus, comme je l’ai dit, je voterai contre l’ensemble de l’article.
Il y a dans la disposition que nous discutons une sévérité tout à fait inutile et dangereuse. Elle est inutile : car du moment que ces conseils délibèrent hors du temps et du lieu fixés par la loi, tout ce qu’ils font est nul de plein droit. Leurs pouvoirs sont épuisés. Il est donc tout à fait inutile de faire dire à la loi ce qui résulte de la nature même des choses.
Il est contre toute règle admise en matière de législation pénale de créer des peines pour prévenir des délits dont il n’y a pas eu d’exemple antérieur, et dont au moins aucune circonstance ne fait présumer la possibilité. Nous sommes actuellement dans ce cas. Jamais il n’y a eu dans nos annales d’exemples d’une session illégale de la représentation provinciale. Mais les partisans de l’article que je combats me répondront : Il n’est pas permis aux conseils de siéger hors du temps et du lieu fixés par la loi. Donc il faut sanctionner cette défense, donc il faut punir. Si nous devions créer des peines pour tout ce que les lois ne permettent pas, il faudrait en enrichir l’arsenal d’une foule de dispositions nouvelles ; il faudrait en remplir des in-folio.
La première sanction d’une loi est dans la moralité de la nation, dans l’amour du peuple pour l’ordre et les lois. Les lois ne sont rien sans cette moralité, sans cet amour de l’ordre qui est profond en Belgique, et vous pourrez dire que tout est perdu lorsque le pays ne pourra plus être gouverné sans recourir à de semblables pénalités.
Ces méfaits que l’on appréhende ne pourraient guère arriver qu’en cas de révolte, d’insurrection ouverte contre le pacte fondamental, et ils dégénéreraient alors en attentats contre la sûreté de l’Etat. Mais il y a des lois qui poursuivent ces crimes. Il est donc inutile d’y ajouter de nouvelles dispositions.
Nous devrions, messieurs, donner ici un témoignage de confiance aux hommes choisis par voie d’élection, et ne pas leur faire l’injure de croire qu’ils pourront se livrer à d’aussi coupables prévarications.
Il n’y a déjà dans la loi que trop de dispositions marquées au coin de la défiance. L’on se trompe grandement si l’on croit que cet échafaudage de peines, de menaces, fera marcher au gré du pouvoir notre future représentation provinciale.
M. Ernst. - Je dois prendre la parole pour répondre à quelques parties du discours de mon honorable ami M. Gendebien. Je suis du nombre de ceux qui ne pensent pas qu’il y ait grand danger à insérer dans la loi provinciale l’article sur lequel la discussion a été ouverte. Le cas ayant été prévu dans cette assemblée, il y aurait des inconvénients à ne pas déterminer les peines qu’encourraient les conseils s’ils réunissaient illégalement. Je crois que si l’on supprimait cette disposition, aujourd’hui que la chambre a abordé un système sur ce point, il pourrait en résulter une influence fâcheuse qu’il faut éviter, quoique j’admette qu’il eût mieux valu ne pas supposer une semblable éventualité.
L’honorable M. Gendebien croit que nous appliquons la peine dans un cas où, selon lui, les conseils ne seront pas sortis des limites que leur assigne la constitution. Plus tard, cependant, il a raisonné dans la supposition que les réunions que veut prévenir l’article en discussion seraient illégales. Il a donc admis deux bases qu’il me paraît bien difficile de concilier. Chaque fois qu’un conseil provincial se constituera hors du temps de sa réunion légale, loin d’agir dans les limites de la constitution, il violera ouvertement le pacte fondamental, sortira des limites que l’organisation provinciale assigne à son pouvoir, et portera l’atteinte la plus fâcheuse à l’ordre public.
Ne punissez pas la simple réunion ; punissez les faits : c’est ce que nous faisons. C’est un fait que de s’être constitué en conseil provincial hors du lieu et du temps déterminés par la loi ; et c’est ce seul fait qui soit punissable. Les actes, nous les atteignons en les déclarant nuls. La réunion simple, nous n’avons pas le droit de la punir, et nous ne la punissons pas.
Comment, s’écrie-t-on, vous punissez pour avoir pris part à une réunion ? Non c’est pour avoir pris part à une assemblée illégale et dont les caractères d’illégalité sont soigneusement déterminés par la loi. Vous ne punissez pas les fonctionnaires du gouvernement qui seraient sortis de leurs attributions, nous dit-on encore : c’est que l’article 114 du code pénal et d’autres articles ont prévu ce cas.
Pourquoi renvoyez-vous à l’article 258 ? c’est parce qu’il n’est pas applicable. Il fallait déterminer une peine dans la loi, ou renvoyer à un texte quelconque du code pénal. C’est ce dernier parti que l’on a pris.
Ceci me conduit à examiner si c’est à l’article 258 qu’il faut renvoyer, ou à l’article 123.
MM. Jullien et Gendebien ont cru qu’il y avait plus d’analogie entre le cas dont nous nous occupons et l’article 123 qu’entre ce même cas et l’article 258. J’admets avec eux que l’article 238 n’est pas applicable ; mais quels sont les cas prévus par l’article 258 ?
Ce sont les usurpations de titres qu’on n’a pas : or, ici il s’agit de conseillers qui se réunissent dans un temps et dans un lieu autres que le temps et le lieu déterminés par la loi ; ils ne sont donc pas légalement en fonctions, et ils usurpent des fonctions qu’ils n’ont qu’à certaines époques et que dans certaines localités.
Si les conseils provinciaux correspondaient entre eux et se concertaient pour violer les lois, alors ils seraient dans le cas de l’article 123.
Quoi qu’il en soit, j’aime mieux l’amendement de M. Doignon que la disposition de la section centrale ; car je crois que par cet amendement nous rentrons dans la vérité des choses.
L’article 258 prévoit un cas qui a de l’analogie avec le cas présent ; mais le cas prévu par l’article 258 n’est-il pas plus grave que celui dont nous nous occupons ? Oh ! il est plus grave : les conseillers provinciaux sont toujours conseillers ; et on ne peut sévir contre eux que parce qu’ils exercent leurs fonctions dans un temps et dans un lieu qui ne sont pas déterminés par la loi ; ainsi ce délit n’a pas le caractère du délit prévu par le code pénal. Il vaudrait donc mieux déterminer la peine dans l’article 90 même, et la déterminer moindre que dans le code, parce que le délit est moindre.
L’amendement de M. Doignon a encore un autre avantage. Par cet amendement on déclare l’article 463 applicable. Il suffit que l’on ait élevé des doutes sur l’applicabilité de cet article pour que nous levions ces doutes.
J’appuie donc l’amendement de M. Doignon ; et je crois qu’en l’introduisant dans le texte de l’article 90 nous atteignons le but que nous nous proposons. Nous voulons que le cas soit prévu ; nous voulons que les conseils provinciaux n’usurpent pas un pouvoir qu’ils n’ont point ; nous voulons produire un effet moral ; il sera produit par l’amendement. Notre but sera d’autant mieux atteint qu’on saura que nous avons fait une loi douce : il est dans la nature de l’homme de se soumettre à de telles lois et de se révolter contre celles dont la rigueur est excessive.
M. le président. - Voici l’amendement proposé par M. Trentesaux :
« Les conseillers qui auront pris part à la délibération seront punis d’une amende de 100 à 5,000 francs, et pourront, par le même arrêt, être déclarés exclus du conseil et inéligibles aux conseils provinciaux pendant les quatre années qui suivront la condamnation. »
M. Trentesaux. - Je substitue l’amende à la prison, ce qui est plus dans la nature des choses. Je rends facultative l’exclusion du conseil et l’inéligibilité. Les conseillers sont des hommes aisés : menacez leur bourse, mais n’allez pas au-delà. Elevez le taux de l’amende, et vous le pouvez, puisque je pose le chiffre 5,000 francs. Mes raisons sont simples, comme vous le voyez.
M. Jullien. - En émettant mon opinion sur l’article 90, j’ai soutenu que ni l’article 123 ni l’article 258 n’étaient applicables à l’espèce. Je préférais l’application de l’article 123 parce que je croyais qu’il avait plus d’analogie aux faits déterminés par l’article 90 que l’article 258. Je ne reviens pas sur la question d’analogie parce que l’amendement de M. Doignon l’a fait cesser. Cet honorable membre a déclaré préférer mon amendement au sien ; moi je préfère le sien au mien.
J’ai montré que la proposition de la section centrale était insolite, qu’elle jetait la perturbation dans la justice criminelle ; qu’il ne fallait pas se référer à un article du code pénal pour infliger une peine ; qu’il valait mieux prescrire la peine dans l’article 90 lui-même. Je me réunirai donc à l’amendement de M. Doignon, si toutefois l’amendement de M. Trentesaux n’a pas la préférence : il faut toujours rendre les peines les moins fortes possible. (Aux voix ! aux voix !)
M. Dubus. - Je prends la parole contre la clôture pour demander quelques explications sur l’amendement de M. Doignon. Cet amendement suppose qu’on votera sur la proposition de M. Ernst qui veut rendre la peine facultative. C’est là le sens des propositions de MM. Ernst et Jullien... (Oui ! oui !)
- La chambre ferme la discussion.
M. le président met aux voix les paragraphes de l’art. 90 présentés par la section centrale :
« Art. 90. Toute réunion de conseillers provinciaux se constituant et délibérant comme conseil provincial, hors le lieu ou le temps déterminé aux articles 42, 44, 45 et 46, est illégale. »
- Adopté.
« Tout acte délibéré dans une réunion illégale est nul de plein droit. »
- Adopté.
« Le gouverneur prend les mesures nécessaires pour que l’assemblée se sépare immédiatement ; il rédige procès-verbal du fait et le transmet au procureur-général du ressort. »
- Adopté.
La seconde partie de l’article est mise en délibération.
M. Jullien déclare retirer son amendement.
- L’amendement de M. Trentesaux n’est pas adopté.
L’amendement de M. Doignon : « Seront punis de six mois à deux ans d’emprisonnement, » est mis aux voix et adopté.
M. le président. (erratum au Moniteur belge n°165, du 14 juin 1834) met aux voix l’amendement de M. Ernst, tendant à rendre facultative la peine de l’exclusion du conseil provincial et de l’inéligibilité.
- Cet amendement est adopté.
M. de Robaulx. propose de mettre à la fin de l’article : « inéligibles aux conseils provinciaux, lors des premières élections qui suivront la condamnation. »
- Cet amendement n’est pas adopté.
L’amendement de M. Dubus, tendant à ce que le terme de la condamnation ne puisse excéder 4 ans, est adopté.
(Erratum au Moniteur belge n°165, du 14 juin 1834) La disposition additionnelle proposée par M. Doignon est également mise aux voix et adoptée dans les termes suivants : « L’article 463 du code pénal est applicable aux délits prévus dans le présent article. »
M. le président. se dispose à mettre aux voix l’ensemble de l’article.
- Voix nombreuses. - L’appel nominal.
- L’appel nominal est ordonné.
Voici le résultat du scrutin :
67 membres ont répondu à l’appel.
53 ont répondu oui.
13 ont répondu non.
En conséquence l’ensemble de l’article est adopté. Ont répondu oui :
MM. Bekaert, Boucqueau de Villeraie, Brixhe, Coghen, Cols, de Behr, de Foere, de Laminne, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Longrée, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, de Nef, C. Vuylsteke, de Roo, Desmanet de Biesme, de Stembier, de Terbecq, de Theux, Dewitte, d’Hane, Donny, Dubois, Deschamps, Eloy de Burdinne, Ernst, Fleussu, Cornet de Grez, Lardinois, Lebeau, Legrelle, Liedts, Milcamps, Morel-Danheel, Olislagers, Polfvliet, Pollénus, Poschet, Quirini, Rogier, Simons, Thienpont, Trentesaux, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Vanderheyden, Verdussen, H. Vilain XIIII, Vuylsteke, Zoude, Raikem.
Ont répondu non :
MM. Berger, Dams, Dautrebande, de Robaulx, Desmaisières, Desmet, d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Dubus, Fallon, Gendebien, Helias d’Huddeghem, Jullien.
M. le président. - Nous passons à l’amendement que la section centrale propose à l’article 40.
Cet article est ainsi conçu : « Le conseil provincial s’assemble au chef-lieu de la province. »
La section centrale propose d’ajouter : « à moins que, pour cause d’un événement extraordinaire, il ne soit convoqué par le Roi dans une autre ville de la province. »
- Cet amendement est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Dans la séance d’hier, on a ajourné le vote de l’article 69, parce que M. le ministre de la justice avait des amendements à proposer à cet article. La chambre veut-elle s’occuper aujourd’hui de ces amendements ?
- Plusieurs membres. - Nous n’avons pas ces amendements.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il était dans mon intention que mes amendements fussent renvoyés à la section centrale. On m’avait même invité à les lui transmettre. Si l’assemblée juge qu’on peut continuer la discussion suivant l’ordre des articles, et que la section centrale ne soit pas excédée de fatigue, car on a souvent fait appel à sa complaisance, je demanderai que mes amendements lui soient renvoyés ; je ne serais pas fâché qu’elle voulût bien s’en occuper.
M. de Theux, rapporteur. - Les amendements de M. le ministre de la justice ne sont pas d’une telle importance qu’avec quelques explications la chambre ne puisse pas en apprécier la portée. Je ferai remarquer qu’ils se trouvent imprimés à la suite de la proposition de M. Dubus.
M. Gendebien. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
Nous avons assez de besogne pour aujourd’hui ; nous pouvons remettre à demain la discussion des amendements du ministre de la justice.
M. Doignon. - Ces amendements ont été renvoyés à la section centrale ; il me semble qu’il est dans l’ordre qu’elle fasse un rapport.
M. de Theux, rapporteur. - Je ferai observer que les amendements dont il s’agit n’ont nullement été renvoyée à la section centrale. Elle n’a été saisie que des amendements de M. Dubus et de celui du ministre de la justice sur l’article que nous venons de voter.
M. le président. - M. le ministre persiste-t-il à demander le renvoi à la section centrale ?
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je m’en rapporté à la décision de la chambre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je crois qu’il serait convenable de continuer la discussion suivant les numéros des articles, vu l’analogie de ces articles avec celui qui vient d’être adopté, d’autant plus que j’ai une proposition à faire à l’article 90 du gouvernement qui a été supprimé et dont la suppression laisse une lacune dans les rapports qu’il avait avec l’article 89 du gouvernement et l’article 91 de la section centrale.
M. le président. - S’il n’y a pas d’opposition, nous suivrons cette marche.
M. le président. - L’article 89 du gouvernement (91 de la section centrale) est ainsi conçu :
« Aucun conseil provincial ne pourra se mettre en correspondance avec le conseil d’une autre province sur des objets qui sortent de ses attributions.
« Aucun conseil provincial ne pourra faire des proclamations ou adresses aux habitants sans l’assentiment du gouverneur. »
- Cet article est définitivement adopté.
M. le président. - Article 90 du gouvernement, dont la chambre a voté la suppression :
« Dans le cas de l’article précédent, si le gouvernement dissout le conseil, les membres qui auront contrevenu aux dispositions dudit article seront punir par les tribunaux de la suspension de droit d’éligibilité au conseil provincial pendant quatre ans au moins, et huit ans au plus, sans préjudice de l’application d'autres lois pénales, s’il y a lieu. »
M. le ministre de l’intérieur propose à cet article un amendement qui serait ainsi conçu :
« Les membres qui auront contrevenu aux dispositions de l’article précédent, seront punis des peines prévues à l’article 90. »
Cette disposition deviendrait l’article 92.
Avant de voter sur cette disposition, je dois mettre aux voix le principe du droit de dissolution posé dans l’article 96 dont la chambre a provisoirement prononcé la suppression.
- L’article 96 est mis aux voix.
La suppression en est confirmée.
M. le président. - M. le ministre de l’intérieur a la parole pour développer son amendement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - La chambre des représentants a cru devoir repousser de la loi le principe de la dissolution, mais elle n’a pas voulu laisser sans sanction l’article 91 sur lequel elle vient de voter.
D’après l’article 90 du projet du gouvernement, deux pénalités étaient prévues à l’égard des membres qui auraient adressé des proclamations aux habitants ou seraient entrés en correspondance illégale avec d’autres conseils. Ces deux pénalités étaient la dissolution du conseil et la privation du droit d’éligibilité pendant un certain temps, sans préjudice de l’application d’autres lois pénales, s’il y avait lieu. La dissolution ayant été rejetée en principe, cette pénalité se trouve supprimée ; mais il reste à voter sur l’autre peine que portait l’article contre les correspondances illégales et les proclamations adressées sans l’assentiment du gouverneur. Je demande qu’on applique dans ce cas les peines portées contre ceux qui auront pris part à des réunions illégales. C’est l’objet de mon amendement.
M. Jullien. - Messieurs, vous venez de voter des peines qui ont paru exorbitantes à beaucoup de membres de cette assemblée. Cependant l’article 90 avait prévu le cas où les conseils provinciaux se réuniraient hors du temps et du lieu déterminés par la loi. Il y avait dans cette violation de la loi une certaine gravité que l’on ne pouvait se dissimuler. Le ministre de l’intérieur à qui ces peines paraissent convenir demande qu’elles soient applicables aux faits prévus par l’article 91, c’est-à-dire aux cas où les conseils correspondraient entre eux sur des objets en dehors de leurs attributions ou adresseraient des adresses ou proclamations aux habitants.
S’il arrive qu’un conseil légalement assemblé dans le chef-lieu de la province et à l’époque fixée par la loi, en un mot légalement constitué, corresponde avec un autre conseil provincial, et que le juge décide que cette correspondance sort des attributions de la représentation provinciale, je vous demande si dans ce cas les peines comminées par l’article 90 ne sont pas évidemment exorbitantes.
Mais si vous n’établissez pas des peines, la loi, me dira-t-on, n’aura pas de sanction. Mais est-il nécessaire d’appliquer une sanction à toute défense faite par la loi, chaque fois qu’elle dira : Vous ne sortirez pas de telle attribution.
On vous l’a déjà dit : toutes ces sanctions n’aboutissent qu’à annoncer une défiance injurieuse pour le corps contre lequel elles sont dirigées. La disposition pénale de l’acte prévu par l’amendement de M. le ministre est dans la forfaiture. Un fonctionnaire public n’exécute pas la loi. Donc il y a forfaiture. Il y a plus : Je suppose, dans le cas proposé, qu’il existe une correspondance illégale entre deux conseils provinciaux, elle retombera dans les délits prévus par l’article 123 du code pénal. Ce sera une espèce de concert entre deux corps de fonctionnaires.
Il y aura par là une manière de procéder plus claire, plus rationnelle. Pourquoi cette exubérance de peines ? Je n’y vois aucune espèce d’utilité. S’il y a délit, si la correspondance se trouve être réellement illégale, l’article 123 est là. Que le juge en fasse l’application.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, je pourrais commencer par répondre à l’honorable M. Jullien que les peines comminées par l’article 90 ne me conviennent pas entièrement, attendu que je ne suis pour rien dans la disposition ni dans la rédaction de cet article. Tel qu’il est cependant, je l’ai accepté. L’article 90 du projet du gouvernement consacrait des peines qui m’auraient convenu beaucoup mieux que l’emprisonnement. Mais il paraît que l’emprisonnement convient beaucoup mieux à M. Jullien que le droit de dissolution.
M. Jullien. - C’est que l’emprisonnement ne me convient pas du tout.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - M. Jullien préfère donc l’emprisonnement à la dissolution. Il est tout aussi avide des peines que moi. Pour ma part, je préférais de beaucoup le droit de dissolution. Et ce n’est que parce que la chambre a retiré du pouvoir central cette faculté que nous sommes obligés d’insister pour l’emprisonnement. La loi défend la correspondance illégale entre deux corps provinciaux. Encore faut-il une sanction à cette disposition. On a dit que ce serait le cas d’appliquer l’article 123 du code pénal.
Je ne pense pas qu’il faille faire un appel aussi fréquent au code pénal. L’article 123 n’est pas de tout point applicable à l’article 91. Car il sera insuffisant lorsqu’il s’agira de proclamations adressées aux habitants de la province.
D’ailleurs, il faut réfléchir à cette différence entre des fonctionnaires pris individuellement et des corps de l’importance qu’auront les conseils provinciaux. Les délits qu’ils pourraient commettre auront bien plus de gravité. Il faut donc les punir de peines plus sévères.
Au moyen de l’article 163 du code pénal, dont l’application sera facultative, je ne pense cependant pas que les peines aient un trop grand caractère de sévérité, alors que l’importance des délits ne sera pas telle qu’elle exige une éclatante répression.
On a dit que si le gouverneur venait à trouver une correspondance entre deux conseils provinciaux illégale, il pourrait appliquer à ces corps les peines comminées par la loi.
Mais entre le gouverneur et le ministre, il y a quelqu’un à qui ce droit seul est réservé ; c’est le juge. Il s’agira de savoir si le juge trouve dans la correspondance inculpée un caractère d’illégalité. Ni le gouverneur ni le ministre ne pourront intenter légèrement des procès de cette nature.
Quant à l’injure que l’on prétend que le gouvernement fait en demandant la sanction de défenses faites dans la loi, je répondrai que c’est le rejet du droit de dissolution qui a obligé le ministère à demander ces sanctions, et que la chambre, en lui refusant la faculté de dissoudre les conseils, n’a voté négativement que sur le principe ; mais qu’elle n’a pas entendu repousser implicitement la sanction pénale que renfermait l’article 90. Cette sanction, il nous a bien fallu la demander, puisque le droit de dissolution, qui en était une, ne nous a pas été accordé.
M. Dubus. - Il n’y a aucun rapport entre le vote par lequel la chambre a repoussé l’article 90 et celui que M. le ministre de l'intérieur demande actuellement sur une partie de cet article. La section centrale a été d’avis qu’il fallait rejeter la proposition par laquelle le ministère demandait le droit de dissoudre les conseils provinciaux. La section centrale a donné dans les développements de son rapport les motifs qui l’avaient amenée à conclure à ce que l’article 90 fût rejeté. Elle a été d’avis que toutes les dispositions de la nature de celles qu’il comprenait fussent renvoyées au code pénal. On a dévié de cette règle dans le dernier vote, à mon grand regret, je l’avoue.
Lors de la discussion de l’article 90, à entendre les paroles prononcées dans cette enceinte, à l’appui de cet article, on eût dit que l’Etat était en péril si l’on tardait un seul instant à l’adopter. On vous a représenté les conseils provinciaux comme se constituant en révolte ouverte contre le pacte fondamental. On eût dit que nous étions à la veille d’une révolution amenée par les futurs conseils. Ils allaient s’assembler hors du temps fixé pour leur réunion et commencer leur campagne contre le gouvernement et les institutions du pays. Une disposition était urgente. Tels étaient les motifs que l’on mettait en avant pour enlever d’assaut le droit de dissolution.
Aujourd’hui, les mêmes manœuvres ne peuvent être employées. Il n’y a pas d’urgence à prévenir la correspondance illégale de deux conseils provinciaux. L’Etat ne périra pas, si elle a lieu. Pourquoi donc adopterions-nous la sanction que nous propose M. le ministre de l'intérieur ? Pourquoi ne pas attendre que nous nous occupions de la réforme du code pénal pour y formuler les dispositions qu’il réclame ? Je partage complètement, à cet égard, l’avis de la section centrale. Je remarque d’ailleurs que les dispositions proposées sont très mauvaises, d’une application difficile et presque toujours injuste. D’un autre côté, les cas sont prévus par le code pénal, comme l’a très bien fait observer l’honorable M. Jullien. (Erratum au Moniteur belge n°165, du 14 juin 1834) Je trouve les dispositions du code pénal tout à fait suffisantes.
J’ai dit que la disposition proposée par M. le ministre est injuste, parce qu’elle soumet aux mêmes peines deux délits d’une gravité bien différente. Dans l’article 90, il était question du cas où les conseils s’assembleraient hors du temps et du lieu fixés par la loi. Ici il s’agit d’une simple correspondance entre deux conseils, de proclamations adressées aux habitants. On veut punir ces délits des mêmes peines que les actes que l’on qualifiait de révolte, d’insurrection contre le pays.
Il n’y aurait certainement de proportion gardée. Il arrivera le plus souvent que les conseils provinciaux, en supposant qu’ils commettent les délits que veut punir M. le ministre, ne seraient en réalité passibles d’aucune peine. En effet, je conçois que des conseils provinciaux correspondent entre eux sur des objets d’une importance tout à fait insignifiante, et cependant sortent par ce fait, à leur insu peut-être, du cercle de leurs attributions. En conséquence, y aurait-il lieu de leur appliquer la peine comminée par la loi ?
Cependant elles seraient sous le coup de la disposition pénale proposée par M. le ministre de la justice, ce qui ne peut être admis. S’il faut une peine, la disposition doit être autrement rédigée. Il faut d’abord bien qualifier le délit, puis comminer une peine proportionnée au délit.
(Erratum au Moniteur belge n°165, du 14 juin 1834) En second lieu je ferai remarquer que les articles 123 et suivants seront applicables à tous les actes vraiment coupables du conseil. Il porte : « « Tout concert de mesures contraires aux lois, pratiqué soit par la réunion d’individus ou de corps dépositaires de quelque partie de l’autorité publique, soit par députation ou correspondance entre eux, sera puni d’un emprisonnement de etc. »
Rien donc ne périclite ; et nous pouvons attendre l’époque où nous réviserons le code pénal.
M. le président. - La parole est à M. le ministre de la justice.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - J’attendrai qu’un autre orateur ait parlé.
M. le président. - M. Gendebien a la parole.
M. Gendebien. - J’attendrai que M. le ministre de la justice ait parlé.
M. Pollénus. - Je pense qu’il convient de ne pas adopter l’amendement proposé par M. le ministre de l’intérieur.
Les faits prévus par l’article 91 en discussion, ne présentent aucune analogie avec ceux définis à l’article 90 que nous venons d’adopter : une simple correspondance qui ne compromet en rien l’exécution des lois, ne présente aucun élément de nature à pouvoir constituer un délit ; la seule circonstance qu’une correspondance se rapporte à des objets qui sortent des attributions des conseils n’est pas plus un élément de délit contre les conseils que contre toute autre autorité qui sort de ses attributions par une insignifiante correspondance.
L’amendement me paraît dangereux et inutile.
Je le crois inutile, parce que le code pénal présente tous les moyens nécessaires pour réprimer les correspondances et adresses qui tendraient à menacer l’ordre établi en exécution des lois. L’article 123 et au besoin l’article 60 du code pénal doivent rassurer tout le monde.
Il est dangereux, parce qu’il donne le moyen de frapper sur des faits inoffensifs.
Si les conseils croient devoir adresser des instructions aux autorités locales ou aux habitants sur des abus qui se seraient glissés dans des lois ou des règlements provinciaux, les instructions seront insérées dans le Mémorial administratif ; ces instructions deviendront ainsi des adresses qui tomberont dans les termes de l’amendement.
Mais je suppose, par exemple, que les conseils aient remarqué qu’il se pratiquait des machinations à l’occasion des élections : dira-t-on que les conseils ne peuvent, dans ce cas, donner des instructions à leurs mandataires, pour les prémunir contre les tentatives qui auraient été dirigées contre le libre exercice du droit électoral ou de toutes autres prérogatives constitutionnelles ? Mais pareille adresse serait tout en faveur des lois que vous voulez protéger et cette adresse deviendrait criminelle par cela seul que le gouverneur y refuserait son assentiment.
La section centrale a repoussé à l’unanimité je pense, la disposition de l’article 90 du projet du gouvernement, et les considérations que je viens de développer sont les mêmes que je fis valoir dans le temps au sein de la section centrale.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je ne crois pas que l’on puisse contester, sous le rapport du règlement, la convenance de la proposition faite par mon honorable ami le ministre de l’intérieur. Evidement d’après l’article 45, il a le droit de proposer un amendement qui n’est que la conséquence d’une suppression d’article. L’honorable M. Dubus lui-même, qui a présenté des objections tirées du règlement, avait interprété ses dispositions d’une manière bien autrement large au sujet de l’amendement qu’il avait proposé hier, et dont on a fait un projet de loi.
Je ne reviendrai pas sur le reproche qu’on a adressé pour la centième fois au gouvernement de faire injure aux membres des conseils provinciaux, en proposant contre eux des dispositions pénales pour les cas où ils sortiraient de leur attributions et violeraient la loi. Car en vérité, avec un pareil système, comment ferions-nous si nous avions à nous occuper des matières réglées par (Erratum au Moniteur belge n°165, du 14 juin 1834) le livre III du code pénal, cette partie du code où sont prévus la plupart des cas dans lesquels les autorités judiciaires ou administratives auraient commis des crimes ou délits ? Je ne pense pas qu’on ait montré, lors de cette discussion, la susceptibilité singulière qu’on affiche sans cessé au sujet des membres des conseils provinciaux.
En fait de prohibitions légales, il y en a de deux espèces ; et il faut les distinguer.
Il y a les prohibitions qui ne s’adressent qu’aux contraventions purement privées, contraventions qui n’intéressent pas l’ordre public. Pour celles-là qu’a fait le législateur ? Il a donné une sanction à sa disposition prohibitive, en déclarant dans le cas de contravention les actes nuls de plein droit ou en autorisant les parties à en poursuivre la nullité devant les tribunaux.
Quant aux prohibitions qui touchent à l’ordre public, je ne crois pas que jamais le législateur ait poussé l’imprévoyance au point de ne pas leur donner une sanction pénale. Dépourvues de cette sanction, elles seraient simplement un conseil pour les particuliers ou les corps auxquels elles s’appliqueraient ; elles ne seraient pas véritablement des prohibitions.
Mais la double prohibition de l’article 91 ne touche pas à l’intérêt privé, elle touche uniquement à l’intérêt public. S’il en était autrement vous ne vous en seriez pas occupés. Or, par cela seul que ces prohibitions sont d’intérêt public, la conséquence unique est que vous devez leur appliquer une sanction.
Maintenant quelle doit être cette sanction ? Je pense que c’est la seule chose dont nous avons à nous occuper : Ferez-vous appliquer au cas dont s’est occupé mon collègue, les dispositions de l’amendement que la chambre vient d’adopter à une très grande majorité ? Ou bien aurez-vous recours à une autre disposition du code pénal ? Ou encore, imitant la proposition de l’honorable M. Doignon, formulerez-vous dans la loi une peine spéciale ? Voilà les seules questions que nous ayons à résoudre.
D’abord, quant au reproche qu’on fait à la disposition pénale adoptée d’être exorbitante, cette objection ne serait de quelque poids que si la peine ne pouvait pas être modifiée. Mais l’applicabilité de l’article 463 du code pénal à l’article dont il s’agit détruit entièrement cette objection en créant une échelle pénale très étendue.
Mais enfin, si on ne veut pas de la proposition de M. Doignon, proposition que la chambre, je le répète, vient d’adopter à une grande majorité, on conviendra qu’il n’est pas exorbitant d’appliquer l’article 123 du code pénal, c’est même en soutenant que l’article 123 est applicable à la plupart des cas prévus par mon honorable ami, le ministre de l’intérieur, qu’on soutient la superfluité de la disposition pénale qu’il propose.
Je crois qu’il y a pour l’application de l’article 123 les mêmes doutes qui ont assiégé l’assemblée lorsqu’il s’est agi d’appliquer l’article 258 et par voie de conséquence, alors que vous persistez à soutenir qu’il y a doute, je dis que la loi doit faire cesser ce doute et décider l’applicabilité de l’article 123.
Je ferai remarquer que l’article 123, d’après ses termes et son esprit, ne peut s’appliquer à la prohibition la plus importante de l’article 91, aux adresses et aux proclamations.
On a dit qu’on profiterait de l’applicabilité de l’article 123 pour poursuivre et punir des adresses qui n’auraient rien que d’innocent.
Si des adresses sont innocentes, croyez-vous que le gouverneur ira de gaîté de cœur se mettre en rébellion contre le conseil provincial dont le concours lui est si précieux dans l’intérêt de la province à l’administration de laquelle il est préposé, concours qui est dans l’intérêt même du gouvernement ? Si des adresses du conseil sont innocentes, le gouverneur y apposera son visa sans difficulté. Mais sans doute, vous n’avez pas voulu que le conseil fût seul juge de l’innocence des adresses qu’il pourrait faire, puisque vous y avez attaché la condition d’un assentiment préalable de la part du gouverneur.
Ailleurs, messieurs, en France dont on nous reproche souvent de citer les exemples, on a interdit de la manière la plus absolue aux conseils généraux de département les correspondances, les adresses et les proclamations. Le gouvernement en ne se laissant pas aller à l’influence de cet exemple, a droit d’exiger que la précaution demandée et accordée ne soit pas illusoire, que la disposition prohibitive ne reste pas dépourvue de sanction. Sans cela vous n’avez qu’à rayer de la loi cette même prohibition, c’est un affront que vous épargnerez à la majesté de la loi.
Mais, dit-on, s’il y a des abus dans les provinces, si les lois restent inexécutées, interdirez-vous aux conseils provinciaux, intéressés comme tous les bons citoyens à l’observation des lois, de rappeler à leurs administrés que la loi doit être exécutée ? Eh ! Messieurs, le gouvernement n’est-il pas lui-même intéressé à l’observation des lois ? Leur exécution n’est-elle pas mise sous sa responsabilité ? Croyez-vous qu’il soit assez oublieux de ses devoirs, de ses intérêts pour repousser une telle adresse ? Ainsi, vous le voyez, on ne peut pas combattre la disposition présentée par le ministre de l’intérieur, qu’en condamnant le pouvoir central à se montrer toujours absurde.
Je ne parle pas des détails de la rédaction de cette proposition, Si on trouve que la pénalité de l’article 123 soit applicable, nous consentons qu’on l’applique, sinon, qu’on en propose une autre. Ce que nous vous demandons, c’est de sanctionner vos défenses, c’est d’en garantir l’exécution par une pénalité, et de la faire dans des termes qui proscrivent toute ambiguïté.
M. Gendebien. - L’article 91 est une nouvelle preuve des pas immenses que nous avons faits, depuis la révolution, vers l’arbitraire et le despotisme.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - L’arbitraire de la loi !
M. Gendebien. - Sous le congrès, messieurs, on a trouvé tout simple que la Belgique catholique, tout entière, s’adressât au chef de l’église, au pape, sans être entravée, sans être gênée par aucune autorité : on a consenti à ce que les catholiques belges s’adressassent au souverain étranger, on n’y a pas trouvé d’inconvénient, et je crois que l’on a bien fait.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Et moi aussi !
M. Gendebien. - Eh bien, si vous ne trouvez pas d’inconvénient à cette correspondance avec un souverain étranger, comment pouvez-vous trouver dangereuse la correspondance d’un conseil avec un autre conseil provincial ? Comment pouvez-vous la trouver tellement dangereuse que vous ne puissiez attendre jusqu’à la révision des codes pour donner une sanction à l’interdiction de cette correspondance ? Dès à présent il vous faut comminer des peines !
L’article est d’ailleurs bien vague : « Aucun conseil provincial ne pourra se mettre en correspondance avec le conseil d’une autre province sur des objets qui sortent de ses attributions. »... Sur des objets qui sortent de ses attributions !... Avons-nous fait une distinction quelconque quand il s’agissait de correspondance avec un prince étranger ? Non ; actuellement il suffira que la correspondance roule sur des objets qui sortent des attributions…
Dans ce cas le gouverneur dressera procès-verbal, fera une dénonciation au procureur du Roi ; et l’on prononcera la peine portée dans l’article 91 pour le simple fait matériel de correspondance ! Quel danger si grand y a-t-il donc que des conseils provinciaux correspondent entre eux ? Et s’il y a danger, croyez-vous y porter remède ? Nullement : si vous interdisez les communications directes, les communications officielles, vous trouverez toujours dans les conseils provinciaux des membres qui se chargeront de la correspondance extra-officielle.
Aucun conseil ne pourra faire de proclamation aux habitants sans l’assentiment du gouverneur.... Si l’adresse est conforme aux lois, si elle est innocente, le gouverneur y mettra son visa ; mais si cette adresse accuse ou semble accuser le gouverneur, si le conseil provincial croit dans l’intérêt de la province de décliner la responsabilité de certains actes, et de dire pourquoi telle ou telle chose ne s’est pas faite, croyez-vous que le gouverneur mette son visa ?
Je vous ferai remarquer que ce sera la chose du monde la plus facile que votre article 91. Il n’est pas interdit aux conseils provinciaux d’adresser des pétitions aux chambres ; eh bien, on discutera longuement, dans le conseil provincial, une pétition à adresser aux chambres ; cette pétition sera imprimée et distribuée dans toute la province, et l’effet qu’on aura voulu produire sera produit.
Vous voyez donc que vos défiances conduisent à l’absurde et que vos précautions ne pourront vous tranquilliser.
En législation, s’il faut être sobre de dispositions qui enlèvent des libertés, il faut encore être plus sobre de dispositions pénales. Laissez agir les conseils provinciaux ; moins vous mettrez d’entraves à leurs droits et moins vous trouverez de résistance en eux. S’il y a quelque chose de répréhensible, de contraire aux lois dans leurs correspondances, dans leurs proclamations, le code pénal est là ; il suffit. Si ces correspondances et ces proclamations ne sont pas contraires aux lois, je ne sais pas comment on pourrait comminer contre le simple fait d’une correspondance ou d’une proclamation.
Je voterai contre l’amendement du ministre. (A demain ! à demain !)
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Dans mon opinion la sanction donnée à l’article 90 eût été moins nécessaire si la dissolution avait été adoptée. La dissolution ayant été repoussée, il me semble que l’on ne peut sans inconséquence repousser la répression que nous réclamons dans l’article 91. La section se référait elle-même au code pénal pour rétablir la répression ; mais elle s’est désistée elle-même de ce système, puisque dans d’autres circonstances elle a introduit des pénalités dans les articles de la loi en délibération. L’article 90 prohibe les proclamations, les correspondances illégales ; veut-on que cette prohibition reste sans sanction ? On reproche au gouvernement de la défiance à l’égard des conseils provinciaux ; mais cette défiance est déjà dans l’article voté par la chambre.
Le gouvernement ne voulait de correspondance de province à province que par l’entremise du gouverneur ; on a voulu que la correspondance eût lieu sans cet intermédiaire, et l’on a ajouté une disposition, très vague, comme l’a fort bien dit M. Gendebien, pour prévenir les correspondances ; disposition qui comme l’a encore fait bien remarquer M. Gendebien, fournirait au conseil les moyens d’échapper à la prohibition ; mais qui rend plus nécessaire encore la sanction que nous réclamons.
On a été chercher dans les résolutions du congrès une comparaison avec le cas dont il s’agit, et que pour ma part, je ne trouve guère possible d’établir. Il s’agit d’interdire à des corps constitués de correspondre entre eux, ou d’adresser des proclamations au peuple ; et l’on vient nous rappeler que l’on a autorisé les catholiques à correspondre avec un souverain étranger : je ne vois en effet aucun rapport entre des catholiques qui individuellement correspondent avec le directeur de leur foi et des conseils provinciaux corps constitués, qui correspondent entre eux sur des matières intéressant au moins la généralité de leurs provinces, si ce n’est l’Etat tout entier. On a autorisé les catholiques à correspondre, comme on a autorisé les juifs, les protestants ; comme il est permis à chacun de nous de le faire, comme il est permis à M. Gendebien de correspondre avec des chefs étrangers ; toutes ces correspondances ne peuvent être susceptibles de punition qu’autant qu’elles se résoudraient en actes illégaux ; alors la loi atteint de pareilles correspondances, et elle les atteint avec beaucoup de raison.
Je le répète, si on dit qu’il s’agit d’une prohibition nouvelle, d’une prohibition injurieuse, on fait le procès de la loi déjà votée ; on ne fait pas le procès de la sanction que nous proposons ; car le but de cette sanction est de faire que la loi ne soit pas inutilement votée.
Messieurs, si les récriminations étaient permises dans cette enceinte, à l’égard des méfiances manifestées contre les conseils provinciaux, nous pourrions dire que les premiers symptômes de défiance, sont parties des bancs mêmes où siègent ceux qui nous ont accusés de montrer cette défiance ; n’est-ce pas M. Dubus, n’est-ce pas M. Doignon qui sont venus dénoncer les anciens états provinciaux, comme se livrant à des manœuvres répréhensibles à l’égard de l’arrondissement de Tournay.
Est-ce nous, qui nous sommes livrés à des hypothèses injurieuses contre les conseils provinciaux ? Loin de là, nous avons combattu le système des honorables membres comme renfermant des inductions outrageantes pour la moralité des futurs états provinciaux.
Du reste je ne tiens pas d’une manière absolue à la pénalité de l’article 90, dont l’échelle peut paraître cependant assez graduée ; mais si on trouve dans le code pénal une sanction équivalente, ou même plus douce, je serais disposé à m’y rallier ; si on préférait par exemple, l’article 115, je me rallierai à cette disposition.
- La séance est levée à 4 heures et demie.