(Moniteur belge n°126, du 6 mai 1834)
(Présidence de M. Raikem)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse donne lecture des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Le sieur Adrien Kennis, échevin de la commune de Capellion, demande d’être indemnisé pour la perte qu’il éprouve par suite de l’inondation de sa propriété sise dans les polders près du fort Lillo. »
« Quatre fabricants de carreaux et briques de terre des communes de Macon, Momignies et St.-Remy, demandent que le droit d’entrée de France en Belgique soit mis en harmonie avec le droit français. »
- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
« Quinze propriétaires de la province de Namur réclament contre la valeur exagérée donnée par le cadastre au revenu des bois. »
- Cette pétition est renvoyée à la commission chargée d’examiner la situation des opérations cadastrales.
« Les régences des communes d’Isenghien, Meulebeke, Ingelmunster, etc,, réclament en faveur du maintien des cantons judiciaires d’Iseghem. »
« La chambre des notaires de Termonde adresse des observations sur le projet relatif à la circonscription des cantons en ce qui concerne le notariat. »
« Les notaires de troisième classe de l’arrondissement d’Ypres réclament en faveur de la disposition du projet de loi sur la circonscription des justices de paix, en ce qui concerne le notariat. »
« La régence et les habitants notables de Proven réclament contre le projet de suppression du canton judiciaire de Haringhe. »
« Même réclamation des communes d’lsenberghe, Ghyverinehove, Hoogsteede. »
« Les notaires de l’arrondissement de Nivelles, réclament contre la disposition du projet de loi de circonscription de justice de paix en ce qui concerne le notariat. »
- Ces six pétitions sont renvoyées à l’examen de la commission du projet de loi sur la circonscription des justices de paix.
« Plusieurs habitants du canton de Héron demandent un droit plus élevé à l’entrée des grains étrangers, afin de venir au secours de l’état de souffrance où se trouve l’agriculture. »
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, vous venez d’entendre l’analyse d’une pétition du canton de Héron relative aux céréales ; je demande qu’elle soit renvoyée à la commission d’industrie déjà chargée de faire un rapport sur la proposition que j’ai eu l’honneur de faire à la chambre relativement aux céréales. Je prierai la chambre d’intercéder auprès de cette commission pour qu’elle veuille bien faire prochainement son rapport tant sur ma proposition que sur les pétitions qui ont le même objet. J’aurai l’honneur de faire observer que si la commission ne faisait pas son rapport dans un bref délai, je proposerais, vu l’urgence, un projet de loi transitoire.
- La chambre ordonne le renvoi de cette pétition à la commission d’industrie.
Il est donné lecture d’une lettre de M. Rouppe, par laquelle il demande, vu l’état de sa santé, un congé de 15 jours.
- Accordé.
M. Dewitte. - A la séance de vendredi dernier ; la chambre a décidé qu’elle fixerait aujourd’hui le jour où elle s’occuperait de la prise en considération de ma proposition. Je demande que la chambre veuille bien s’en occuper aujourd’hui même. (Adhésion générale.)
M. le président. - La discussion est ouverte sur la prise en considération des propositions de MM. Dewitte et Desmet.
M. de Terbecq. - Messieurs, les deux projets de loi, présentés respectivement par MM. Dewitte et Desmet pour diviser la Flandre orientale en quatre arrondissements judiciaires, et dont on demande la prise en considération, ne tendent à rien moins qu’à jeter la perturbation, non seulement dans la province de la Flandre orientale, mais dans le royaume entier. Ils dérangeront plusieurs positions sociales, rompront un grand nombre de relations établies depuis la plus grande prescription, et causeront un préjudice notable à une foule d’intérêts particuliers.
Je m’explique : ils causeront une perturbation dans la province, parce que tous les établissements judiciaires seront attaqués, et toutes les circonscriptions existantes détruites ; et la preuve de cette assertion se trouve dans les plans des honorables auteurs des propositions.
Ils causeront une perturbation dans le royaume entier ; car du moment que la prise en considération sera autorisée, il arrivera une foule de réclamations de toutes les provinces pour déplacer, pour supprimer des tribunaux, et pour en créer de nouveaux. La loi organisatrice de l’ordre judiciaire recevrait une grave atteinte, et aucun établissement de cette nature ne pourrait plus compter sur trois mois d’existence.
Ils déplaceront beaucoup de positions sociales, parce que tous les membres de l’ordre judiciaire, tous les membres du barreau et toutes les personnes attachées au tribunal, qui ont pu croire à une existence durable et qui ont formé des établissements particuliers, devront les abandonner avec perte d’une partie de leur fortune pour s’établir, avec de nouveaux frais, dans le lieu de la nouvelle résidence des tribunaux.
Les anciennes relations seront rompues, parce que depuis trente années au moins elles ont été établies entre les justiciables et le lieu du siège du tribunal.
Ils causeront un préjudice notable à plusieurs fortunes particulières, parce que toutes les inscriptions hypothécaires seront comme non avenues ; elles devraient être renouvelées à grands frais pour l’Etat et pour les particuliers qui, par l’effet ou d’une omission ou d’une négligence, pourront perdre une grande partie de leur fortune.
Voilà, messieurs, en abrégé le but et la tendance des projets qui vous sont soumis ; vous jugerez maintenant dans votre conscience si vous pouvez autoriser la prise en considération, à laquelle je m’oppose, pour maintenir les trois tribunaux placés dans la province de la Flandre orientale à Gand, Audenaerde et Termonde, tels qu’ils existent depuis plus de trente années.
M. Dewitte. - Je serai bref dans ma réponse à l’honorable préopinant, lequel redoute la prise en considération de ma proposition. Elle doit, d’après lui, déranger quelques fortunes particulières. Mais je crois avoir démontré que ma proposition avait pour but l’intérêt général, devant lequel doivent se taire tous les intérêts particuliers. Je pense que les observations de l’honorable M. de Terbecq ne sont pas de nature à devoir empêcher la chambre d’accueillir ma proposition.
M. de Terbecq. - Messieurs, je crois inutile de répondre aux motifs allégués par le préopinant. Dans l’exposé que je viens d’avoir eu l’honneur de vous faire, je crois avoir cité des faits péremptoires auxquels il est difficile, sinon impossible de répondre, Comme tout ce que M. Dewitte a dit ne détruit en rien mes assertions, je persiste dans mes conclusions tendantes à m’opposer à la prise en considération,
M. Jullien. - J’ai toujours considéré la prise en considération d’une proposition comme une déclaration qu’il y a lieu à délibérer sur une proposition. Je ne puis donc partager la crainte exprimée par l’honorable préopinant qu’elle n’apporte le désordre et la perturbation dans l’Etat, qu’elle n’amène une foule de demandes de changement de circonscription. En décidant la prise en considération, vous décidez que la chambre examinera la question ; lorsqu’elle aura mis en présence de la réclamation du canton d’Alost les droits que je considéré comme consacrés en faveur de l’arrondissement de Termonde, elle décidera si la proposition devra être accueillie ou rejetée. Pour moi je déclare que je voterai pour la prise en considération.
- La prise en considération des propositions de MM. Dewitte et Desmet est mise aux voix et adoptée.
La chambre décide que ces propositions seront renvoyées à une commission de 7 membres nommés par le bureau.
M. le président. - La suite de l’ordre du jour est le vote définitif du projet de loi relatif à l’entretien des enfants trouvés. L’article premier ayant été amendé doit être soumis au vote de la chambre. Voici le texte de l’article premier du projet du gouvernement :
« A partir du 1er janvier 1834, les frais d’entretien des enfants trouvés, nés de père et mère inconnus, seront supportés par les provinces sur le territoire desquelles ils auront été exposés, concurremment avec les hospices qui ont des revenus spécialement affectés à cette dépense. »
Voici le texte de l’article premier tel qu’il a été adopté par la chambre :
« A partir du 1er janvier 1835, les frais d’entretien des enfants trouvés, nés de père et mère inconnus, seront supportés pour une moitié par les communes sur le territoire desquels ils auront été exposés, sans préjudice du concours des établissements de bienfaisance, et pour l’autre moitié par la province à laquelle ces communes appartiennent.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je dois dire que c’est par erreur que le projet du gouvernement porte : A partir du 1er janvier 1834 ; il devrait y avoir : 1835 ; l’erreur provient de ce que le projet a été présenté en 1833.
- Plusieurs voix. - C’est juste.
M. Fallon. - Messieurs, lorsque, sur une première épreuve, un amendement n’a été adopté qu’à une majorité de 3 voix, non seulement il est permis, mais il est de devoir de le soumettre à un nouvel examen.
De tous les systèmes qui ont pris part aux débats, deux seulement restent en présence.
Aux termes de l’article 45 de notre règlement, la discussion ne peut plus porter que sur l’amendement de M. de Theux accueilli par une aussi faible majorité, et sur l’article premier du projet du gouvernement.
Je mettrai donc hors de cause les exceptions qui s’appliquaient également à ces deux systèmes, et je ne rentrerai pas dans la discussion des principes sur lesquels ces exceptions reposent.
Il faut opter maintenant entre le projet de gouvernement et l’amendement de M. de Theux, et tout ce qu’il nous reste à faire, c’est de donner la préférence à celui de ces systèmes qui atteint le but que l’on se propose, je ne dirai pas, avec plus de respect, mais avec plus de ménagement pour les exigences de l’équité et de la justice distributive, et qui, dans son exécution, produira le moins de froissement et d’arbitraire.
Le but que chacun de ces systèmes veut atteindre est maintenant clairement indiqué. C’est de diminuer successivement le nombre des expositions, en stimulant par l’intérêt les autorités que l’on chargera de la dépense.
Le système du gouvernement va franchement et sans détour vers ce but. Entre deux présomptions qui se détruisent réciproquement, entre la présomption que l’enfant provient de la commune de l’exposition, et la présomption contraire résultant de l’intérêt de l’exposer hors du lieu de son origine pour rendre plus difficile la recherche de la maternité, il ne place pas la conséquence bizarre d’une demi-vérité, d’une portion de vérité qu’aucun calcul ne peut justifier. La vérité pour lui est tout uniquement ce qui s’en rapproche le plus. Dans les cas difficiles, ont dit plusieurs orateurs, qui ont voté en faveur de l’amendement de M. de Theux, le législateur doit se déterminer par ce qui est plus probable et ces orateurs ne peuvent contester qu’il est beaucoup plus probable que l’enfant provient de la province que de la commune du lieu où il a été exposé.
Le système du gouvernement, plus rationnel dans sa base, atteindra enfin plus efficacement le but par le moyen que l’on veut employer, celui de stimuler l’intérêt des autorités chargées de la dépense. Cet intérêt, messieurs, qui sera incontestablement excité par la charge de la dépense, agira le plus utilement là où il se trouvera plus de moyens de surveillance, Or, je vous le demande, n’est-il pas vrai que l’autorité provinciale, dont l’action s’étend sur toutes les communes de la province, et qui par conséquent pourra faire ses recherches, non seulement dans la commune du lieu de l’exposition, mais dans les autres communes voisines ou plus éloignées, a bien plus de moyens de faire utilement les perquisitions que l’autorité municipale du lieu de l’exposition, dont l’action ne peut sortir du cercle de la commune, et qui le plus souvent aura des motifs de présumer que l’enfant vient de la commune voisine, sans pouvoir étendre ses recherches dans cette commune où toute perquisition lui est interdite.
On conçoit que l’autorité provinciale soit responsable des conséquences d’un fait alors qu’elle a le pouvoir d’exercer les recherches dans tout le cercle de la province ; mais l’on ne comprendra pas comment on peut placer précisément sur la même ligne, dans le partage de cette responsabilité, l’autorité communale dont les pouvoirs et la surveillance se trouvent resserrés dans le cercle étroit de la commune.
Comparez, messieurs, la position de la commune avec la position de la province, et voyez si ce n’est pas outrager la vérité et le bon sens que de dire que l’une a précisément autant que l’autre le moyen de parvenir à découvrir l’origine de l’enfant.
Le système de gouvernement a encore cet avantage sur celui de M. de Theux qu’il est d’une exécution plus facile et que les charges en sont moins compliquées. L’autorité provinciale établira son administration de surveillance comme elle le trouvera convenir aux intérêts provinciaux, et dans cette partie d’administration elle pourra agir librement partout sans être contrariée par aucune autorité communale.
Dans le système de M. de Theux au contraire, l’autorité communale se trouvera continuellement en contact, soit avec l’autorité provinciale dans le partage de la moitié de la dépense, soit avec le gouvernement dans la portion qu’elle croira lui être due dans la répartition du subside. De là, complication dans le règlement des budgets provinciaux et communaux, complication dans le régime financier de ces administrations, complication dans leurs relations, et enfin intervention continuelle de l’autorité gouvernementale sur les réclamations des communes qui se croiront lésées et sur des collisions entre elles et l’autorité provinciale.
Le système du gouvernement va au-devant de ces difficultés.
Une considération puissante qui réclame encore la préférence en faveur du système du gouvernement, c’est qu’il approprie mieux l’avenir au passé ; la transition est moins brusque, froisse moins d’intérêts, et par suite il rencontrera moins de résistance et soulèvera moins de réclamations.
Ici, messieurs, en réglant l’avenir vous ne pouvez pas méconnaître l’effet que vous allez exercer sur le passé, le préjudice dont vous allez injustement frapper certaines localités auxquelles vous ne pouvez adresser le reproche d’imprévoyance ni de négligence.
N’oubliez pas, je vous prie, que si, dans certaines localités, il existe un nombre disproportionné d’enfants trouvés, cela provient, non du fait de la commune, mais de ce que l’établissement qui y a été ouvert en exécution de la loi de l’an V, établissement qui était départemental et non communal, y a fait affluer les enfants trouvés.
Les choses étaient dans cet état lorsque l’arrêté du 6 novembre 1822 reporta la dépense à la charge de la commune de l’exposition, et par suite à la charge des communes où ces établissements avaient été ouverts par la volonté de la loi.
L’application de cet arrêté aux communes du lieu de ces établissements parut tellement révoltante qu’il fallut reculer devant son exécution. Là ce sont les hospices et les bureaux de bienfaisance qui furent chargés de la dépense de ces établissements ; là ce fut les villes et en même temps toutes les communes de la province ; là ce fut la province et les communes concurremment, et là enfin la province exclusivement.
L’arrêté du 6 novembre 1822 ne put recevoir son exécution par là même qu’en faisant du domicile de l’exposition le domicile de secours, il établissait un système inapplicable au passé sans la plus monstrueuse injustice.
Il s’agit aujourd’hui de faire cesser la confusion qui a été la suite de cet arrêté, et l’amendement de M. de Theux nous demande de rétablir pour une moitié la même injustice. Car, pensez-y bien, telle est la portée de cet amendement dans son exécution.
Vous condamnez d’un seul trait les villes d’Anvers, Malines, Bruxelles, Bruges, Gand, Mons, Tournay, Liège et Namur à supporter d’abord entre elles, non pas en raison de l’importance et des ressources de chacune de ces localités, mais en raison de la population des enfants trouvés qui, se trouvent dans leurs établissements, la moitié de la dépense de tous les enfants trouvés qui existent actuellement dans le royaume, c’est-à-dire l’énorme somme de 300,000 francs, outre la part que chacune de ces villes devra encore supporter dans les trois autres cent mille francs nécessaires pour parfaire la dépense. Mettez la main sur la conscience, messieurs, et je ne doute pas que, comme on a dû le faire lorsqu’on a voulu exécuter l’arrêté du 6 novembre 1822, vous ne reculiez aussi devant une pareille iniquité.
Je sais que l’on me répond que le subside à fournir par l’Etat viendra tempérer cette iniquité ; mais voyez combien ce tempérament sera peu réparateur.
En supposant que ce subside puisse atteindre la somme de cent mille francs, car c’est là le maximum que de l’amendement nous permet d’espérer, deux cent cinquante mille francs n’en pèseront pas moins encore sur ces localités, outre leur contingent dans les 350 autres mille francs, auxquels elle doivent encore fournir dans la même proportion que toutes les autres communes. Je dis que 250 mille francs et non 200 mille francs pèseront encore exclusivement sur ces villes ; car c’est encore là une observation digne de remarque dans le système de M. de Theux, c’est qu’elles profiteront seulement de la moitié du subside, tandis que les autres communes de la province qui n’ont aucun droit à être subsidiées puisqu’elles n’ont pas d’enfants trouvés, seront gratifiées de l’autre moitié.
Si les enfants trouvés dont les communes ont pu légalement se débarrasser jusqu’à ce jour, ne se trouvaient pas actuellement réunis dans les établissements existants, s’il était possible d’en faire la répartition entre les communes d’où ils proviennent réellement, je verrais peu d’inconvénients à admettre l’amendement de M. de Theux, parce que pour l’avenir c’est un système tout comme un autre. Mais je ne puis comprendre comment on peut l’admettre, alors qu’il doit produire une si fatale impression sur le passé, alors qu’il est impossible d’éviter l’injuste rétroaction qu’il doit produire.
Eh bien, messieurs, le projet du gouvernement n’a à sa suite aucun de ces graves inconvénients, et si, comme celui de M. de Theux, il fait également impression sur le passé, la transition est moins brusque ; il ne cause pas le moindre préjudice aux provinces de Limbourg et de Luxembourg, et, dans les autres provinces, il n’atteint spécialement aucune localité : elles concourent toutes également dans la répartition de la charge provinciale.
Ce n’est pas tout encore, messieurs : dans la prévision où vous êtes que l’intérêt sera le mobile le plus puissant de la surveillance et par suite de la diminution d’expositions, rapprocher les deux systèmes, et vous devrez reconnaître encore que tout l’avantage reste au projet du gouvernement.
Ne vous y trompez pas, messieurs, l’intérêt communal sur l’efficacité duquel vous comptez, pourra bien agir et agira infailliblement en sens inverse. L’intérêt, comme vous savez, est aussi l’artisan de la fraude. Or, lorsqu’une administration communale saura qu’elle doit charger pour douze ans son budget de la moitié de l’entretien de l’enfant exposé sur son territoire, pensez-vous qu’alors qu’elle aura la certitude que cet enfant ne provient pas de la commune, tandis qu’elle se trouvera dépourvue du moyen de rechercher son origine puisqu’elle ne peut étendre son action à la commune voisine ; pensez-vous, dis-je, que, dans une semblable impuissance, elle ne donnera pas pour instruction à ses agents d’essayer d’abord de ne pas ramasser l’enfant pour voir si l’on ne viendra pas le reprendre pour le porter ailleurs ? Pensez-vous que cela n’ira pas même jusqu’au point de le faire porter sur le territoire de la commune voisine ? Ce sera là, tant que vous voudrez, une fraude qui répugne à l’humanité et à la délicatesse.
Mais si l’administration communale a la conviction que l’enfant ne provient pas de la commune, et si, comme moi, elle a la conviction que dans ce cas la mesure est d’une injustice révoltante, il n’y aura ni humanité ni délicatesse qui tiendra ; et comme on nous l’a répété assez ces jours derniers, tous les moyens, quelque mauvais qu’ils soient, sont bons pour résister à l’oppression.
Avec le système du gouvernement aucune fraude n’est à craindre ; avec celui de M. de Theux il faut s’attendre à toutes les supercheries et à voir ballotter les enfants trouvés de commune en commune, jusqu’à ce que mort s’en suive.
Dans l’intérêt de la morale publique comme de l’existence de ces enfants, c’est encore toujours le système du gouvernement qu’il faut préférer.
Enfin, messieurs, il est une considération tout à fait décisive, dont l’honorable M. de Muelenaere a déposé le germe dans la discussion, lorsqu’en terminant il vous a dit qu’il lui semblait préférable de ne pas déterminer dans la loi dans quelle proportion les communes et les provinces devront contribuer à la dépense, et qu’il fallait, selon lui, laisser ce soin à l’autorité provinciale.
En effet, les conseils provinciaux que nous allons organiser immédiatement seront bien plus en état que nous de juger ce qui conviendra le mieux à chaque localité. Chargés de régler la dépense des enfants trouvés, d’en faire la répartition dans leur province et de rechercher les moyens les moins onéreux pour y pourvoir, ils établiront, dans chaque province, le régime qui leur paraîtra le plus économe et le plus propre à diminuer les causes de la dépense.
Connaissant les localités, leurs besoins et leurs ressources, entourés de renseignements locaux que nous n’avons pas, ils sauront mieux que nous faire choix des moyens d’associer la surveillance de la commune à celle de la province. Ils sauront mieux que nous faire une équitable répartition de la charge provinciale ; ils sauront mieux que nous s’il convient d’en faire peser une portion sur la commune de l’exposition et quelle doit être cette portion eu égard à la situation de cette commune. Ils sauront mieux que nous si, à raison de la position toute spéciale à certaines localités, il ne convient pas de faire une distinction entre le passé et le futur, entre la dépense des enfants trouvés actuellement existants dans les dépôts et ceux qui seront exposés à l’avenir ; s’il ne convient pas de borner à ceux-ci la mesure qui fait peser la dépense en tout ou en partie sur la commune de l’exposition, et, en ce qui concerne les enfants actuellement existants dans les dépôts, s’il convient ou ne contient pas de leur appliquer la même mesure, et, dans tous les cas, dans quelle proportion elle pourrait être appliquée aux villes où ces établissements se trouvent.
Tout cela est affaire de ménage provincial. Tout cela est affaire de régime intérieur de chaque province, et je ne vois pas pourquoi nous irions imposer aux provinces un régime absolu de répartition intérieure, alors que la mesure peut fort bien convenir à une province et n’être pas praticable dans telle autre province, alors que la mesure abandonnée à la discrétion des conseils provinciaux sera appliquée ou modifiée avec discernement et suivant les exigences de chaque localité.
Le conseil provincial, c’est l’association des communes. Là les communes seront entendues. Elles discuteront la mesure. Elles en feront l’application, si cette application peut se faire pour le passé comme pour l’avenir sans froisser trop d’intérêts, sans commettre trop d’injustices ; elles feront enfin subir à cette mesure les modifications qu’elles jugeront convenables.
Comme vous voyez, messieurs, le système du gouvernement ne présente aucun des inconvénients de l’amendement de M. de Theux, et il en offre tous les avantages. Il va franchement et sans détour au même but. En imposant principalement la charge à la province, il impose la surveillance à la seule autorité qui ait en main le moyen et le pouvoir de faire efficacement la recherche de l’origine de l’enfant, non seulement dans la commune de l’exposition, mais dans les autres communes de la province, moyen que la commune de l’exposition n’a pas. En stimulant par l’intérêt l’autorité provinciale, il nous donne la garantie que celle-ci saura à son tour stimuler par le même moyen la surveillance des autorités communales. Dans la transition qui se fait d’un régime à l’autre, il n’opère aucune rétroaction, il ne froisse aucun intérêt, il ne confond pas le passé avec l’avenir, il laisse aux conseils provinciaux le soin de concilier les choses de manière à arriver successivement, sans secousses et sans injustices surtout, aux améliorations que nous voulons introduire dans le régime des enfants trouvés. Enfin, le système de M. de Theux est tout entier dans le système du gouvernement, moins les graves inconvénients que produirait son exécution.
J’insiste, messieurs, à vous supplier de donner définitivement la préférence au système du gouvernement, parce qu’il ne me semble pas possible de se faire illusion sur ce que l’amendement de M. de Theux aura de désastreux pour les villes où se trouvent les dépôts existants, et spécialement pour la ville de Namur.
Pour l’avenir, le système de M. de Theux sera déjà funeste à la ville que j’habite ainsi qu’à d’autres localités. On ne rompt pas facilement des habitudes contractées depuis 40 ans. La ville de Namur ne peut pas empêcher qu’on ne continue à y venir déposer les enfants de la province et des provinces voisines. La charger de ces enfants pour une moitié, c’est déjà lui causer préjudice.
Pour le passé, c’est plus que de l’arbitraire, c’est plus qu’une injustice. C’est une improbité, c’est une véritable exaction. Depuis 40 ans la loi lui a fait un devoir de recevoir les enfants trouvés de partout, sans y apporter aucun obstacle, sans pouvoir se permettre aucune recherche, au point qu’actuellement il s’y trouve un enfant trouvé sur 18 habitants ; et c’est lorsqu’en se soumettant ainsi à la loi, le nombre des enfants trouvés s’y est accru à ce point, que, changeant brusquement de système, vous la condamneriez en outre à supporter également la moitié de la dépense de ces enfants, plus son contingent dans l’autre moitié !
Si ce tableau, qui s’applique également à d’autres villes qui se trouvent dans la même situation, ne fait pas impression sur vos consciences ; si la fatale rétroaction du système de M. de Theux ne vous touche pas ; si enfin vous pensez que l’on puisse ainsi, par mesure d’intérêt général, répudier le passé et ruiner certaines localités, je renonce à l’espoir de vous convaincre ; car, ne l’oubliez pas, messieurs, ce n’est pas avec tout le subside de l’Etat, mais avec la moitié seulement de ce subside que vous pourriez venir au secours des villes où se trouvent les enfants exposés du passé, et je vous ai prouvé par des chiffres combien peu ce secours serait réparateur.
Pour indemniser équitablement ces villes, il faudrait élever ce subside à trois cent mille francs au moins pendant un certain nombre d’années encore, tandis que, dans le système du gouvernement, ce subside peut être moindre, se réduire successivement chaque année et finir par disparaître tout à fait du budget de l’Etat, alors que le ménage provincial sera parvenu, à l’aide du système du gouvernement, à délivrer certaines localités du préjudice que leur cause la transition d’un régime à l’autre.
M. de Theux. - A entendre l’honorable député de Namur, il semble que la chambre doive soulager la commune plus encore qu’elle ne l’a fait, et repousser un système qui met pour moitié à la charge de la commune la dépense de l’entretien des enfants trouvés. Il suffit d’expliquer les faits pour faire disparaître les conséquences qu’en tire l’honorable préopinant.
Il est constant que jusqu’à présent la dépense des enfants trouvés a été une charge de la commune, et que ce sont seulement des subsides qui ont été accordés par la province. Je pense qu’il est équitable et qu’il a été établi jusqu’à l’évidence que l’entretien des enfants trouvés est une dette communale de sa nature. L’exposition de l’enfant est un fait qui réclame le secours de la commune. Il a été démontré que ni en droit ni en principe la commune n’avait de recours à exercer contre personne.
Vous avez raisonnablement établi en faveur de la commune des subsides de la part de la province et de la part de l’Etat par le système que vous avez consacré dans l’une de vos dernières séances. Je ferai une remarque qui s’applique aux provinces de Namur et du Brabant que l’on a souvent citées dans cette discussion, c’est qu’avec ce système Namur et Bruxelles éprouveront un allègement de charges considérable. En effet, tant que la dépense a été à la charge de la commune, elle s’est élevée à Namur à 105,000 fr ; le subside accordé par la province a été de 19,000 fr.
Il est donc resté à la charge de la ville de Namur 86,000 fr.
Avec le système que vous avez adopté il n’y aura plus à la charge de la ville que 52,500 fr. ; d’où encore il faudra déduire les subsides qui seront accordés par l’Etat.
Il en est de même pour Bruxelles ; dans cette ville la dépense s’est élevée annuellement à 197,000 fr. La province fournissait un subside de 30,000 fr. Restait à la charge de la ville 147,000 fr.
Aujourd’hui la dépense à la charge de la ville ne s’élèvera qu’à 98,500 francs sans préjudice des subsides de l’Etat.
On a parlé de l’inégalité qui existait entre certaines villes ; on a donc perdu de vue l’article 3, qui porte que des subsides accordés par l’Etat seront répartis entre les provinces et les communes. Evidemment, les villes les plus grevées trouveront dans ces subsides un soulagement proportionné à leur charge.
Dans le Hainaut, province qui, par une sorte d’anomalie, alors que le système communal était en vigueur dans toutes les autres, supportait seule et sans le concours des communes les frais d’entretien des enfants trouvés, leur nombre a été toujours croissant. De 1822 à 1832, il s’est élevé de 1,600 à 2,000. Ce fait prouve à l’évidence que l’administration provinciale a moins de facilité pour arrêter l’exposition et l’abandon des enfants trouvés que l’administration municipale.
Je bornerai là mes observations pour ne pas reproduire les arguments présentés dans cette discussion déjà si longue.
M. Jullien. - Le projet du gouvernement et celui de la section centrale mettaient en présence deux systèmes : l’un faisait de l’entretien des enfants trouvés une charge de la province ; l’autre, une charge de l’Etat. Voilà les deux principaux systèmes dont vous vous êtes occupés. Après une discussion générale assez approfondie, vous avez rejeté le projet de la section centrale qui tendait à faire de la dépense une charge de l’Etat. Je ne vous répéterai pas les considérations qui vous ont déterminés, la chambre les a senties puisqu’elle a rejeté ce système à une forte majorité. Quant à celui du gouvernement, vous l’avez gâté avec l’amendement de M. de Theux.
Ces deux systèmes avaient au moins quelque chose de franc, tous deux avaient un principe simple et d’une application facile ; tandis que l’amendement de M. de Theux consacre je ne sais quel système mixte et compliqué. Dans la discussion de l’article 2, je me propose de vous démontrer qu’il est souverainement injuste de faire contribuer la commune pour la moitié ou toute autre fraction de la dépense.
On s’est fondé, pour admettre cet amendement, sur ce qu’il y avait présomption de la naissance dans le lieu de l’exposition.
J’ai souvent entendu dire que l’on pouvait faire dériver une obligation de présomptions qui en faisaient supposer l’existence ; mais je n’ai jamais entendu dans le cours de ma vie professer l’opinion que l’on pût faire dériver une obligation de présomptions contraires, et c’est cependant ce qui arrive ici. Car personne de vous ne doute que lorsqu’un enfant est exposé dans une commune, il n’y ait été apporté d’un autre lieu. Si vous avez suivi ces sortes de procès, vous avez dû remarquer que quand on recherchait qui avait ordonné ou fait l’exposition, on reconnaissait presque toujours que l’enfant avait été apporté d’une autre commune. Il y a donc présomption que l’enfant exposé dans une commune est né dans une autre.
Cependant c’est en vertu de cette présomption que vous endossez à la commune de l’exposition l’obligation de nourrir et d’entretenir l’enfant pour la moitié. C’est aller contre les principes reconnus de la justice et de l’équité.
Mais, dit-on, il n’y a pas seulement la présomption de naissance dans la commune de l’exposition, c’est du fait même de l’exposition que dérive l’obligation d’entretenir l’enfant.
Je réponds qu’en droit on n’est responsable que de son fait ou de celui de ceux dont, d’après la loi, on doit répondre soi-même ; il y a donc injustice à rendre une commune responsable d’un délit que vous êtes obligés de convenir avoir été commis par une autre.
La circonstance que l’enfant doit être secouru au lieu même où il a été exposé est indifférente, parce qu’il ne s’agit pas de retirer ces secours, mais uniquement de les payer.
Mais, dit-on, les enfants ont été jusqu’à présent à la charge des communes. La vérité est qu’on a voulu les y mettre, mais que toutes les communes ont réclamé contre cette mesure, qu’elles ont toujours considérée comme une révoltante injustice.
Je ne conçois pas d’ailleurs quelle importance on attache à cette singulière composition de faire payer moitié par moitié. La commune doit tout ou ne doit rien, d’après vos principes : pourquoi donc cette demi-injustice, si elle ne doit pas ? On vous l’a déjà dit, ce sont dans tous les cas les communes qui fournissent la caisse de la province, ce sont donc elles qui en définitive paieront les frais d’entretien. Mais le projet du gouvernement tendait à distribuer équitablement cette charge entre toutes les communes, et à éviter surtout les contestations interminables qui existaient entre les communes et la province.
Vous ne devez pas surtout perdre de vue que ce sont les grandes villes qui seront écrasées par l’obligation que vous venez de créer, car c’est là qu’on apporte presque tous les enfants des communes environnantes. Je continuerai donc à appuyer le projet du gouvernement, et je voterai encore une fois contre l’amendement de M. de Theux.
M. Ernst. - Comme j’ai soutenu l’amendement de M. de Theux dans la précédente discussion, je crois nécessaire de l’appuyer encore pour qu’on ne suppose pas que j’ai changé d’opinion et que j’en ai adopté une contraire au droit et à la justice.
Comme l’a dit l’honorable préopinant, l’obligation de faire ne peut résulter d’une présomption contraire à l’existence de l’obligation. Si telle était la base de l’obligation, non seulement il serait injuste, mais il serait absurde de l’établir. Personne ne soutiendrait une telle opinion. Mais une grave erreur a été avancée par l’honorable préopinant.
La présomption, a-t-il dit, est que l’enfant est né dans une autre commune que celle de l’exposition ; cependant, la dépense de son entretien est mise à la charge de cette commune. Or ce n’est pas sur ce motif qu’est fondée pour la commune l’obligation de nourrir et d’entretenir l’enfant exposé sur son territoire. Voici la raison de cette obligation : l’enfant exposé a besoin d’un protecteur. La nature et l’humanité ont toujours placé le protecteur à côté de celui qui en a besoin. Cet enfant, voulez-vous le faire périr, voulez-vous le tuer ? Il faut le nourrir ; et cette obligation doit être imposée à celui qui, étant le plus près de l’enfant, est le plus à même de la remplir.
C’est l’idée fondamentale du droit naturel. Ainsi l’enfant a pour protecteur le père, à défaut du père la famille, à défaut de la famille la commune, à défaut de la commune l’Etat ; l’enfant qui a le malheur de ne pas avoir de parents doit être protégé par l’agrégation dont il est le plus rapproché.
Il serait facile de rétorquer l’argument que l’on a fait valoir contre l’amendement de M. de Theux. Il faut que la commune nourrisse l’enfant ; contre qui, dit-on, exercera-t-elle son droit de répétition ? Mais sur quoi se fonde ce droit de répétition ? L’obligation pour la commune de nourrir l’enfant n’est pas fondée sur une ridicule présomption ; mais sur les principes fondamentaux de la jurisprudence.
On objecte qu’on ne répond pas du fait d’autrui ; cela est vrai, mais si l’obligation est fondée en elle-même, si elle est juste, pourquoi faudrait-il que l’obligation eût un autre fondement ?
Pourquoi une commune doit-elle nourrir l’indigent étranger ? Est-elle cause de sa misère ? Non ; et néanmoins elle est obligée de le nourrir ; la même règle d’équité l’oblige à nourrir l’enfant exposé sur son territoire.
Toutes les grandes villes, a dit l’honorable préopinant, ont réclamé contre le système qui faisait de cette dépense une charge communale ; mais la question n’est pas de savoir si des villes ont réclamé : la seule question est de savoir si elles avaient droit de réclamer ; et je prouverai qu’elles avaient tort : en effet, si les grandes villes contribuent le plus à la dépense des enfants trouvés, c’est qu’elles fournissent aussi le plus grand nombre de ces enfants. C’est là qu’est le concubinage, source fréquente de l’abandon des enfants. Faut-il donc rendre les communes rurales responsables de l’immoralité des villes ?
M. Jullien. - Les adversaires du projet du gouvernement sont contraints d’avouer que la présomption que l’enfant est né dans une commune ne vient pas du fait de l’exposition ; ils avouent également ce principe, que personne ne peut répondre du fait d’un autre. Mais voici ce que l’on dit maintenant, et uniquement pour fonder la proposition de mettre l’enfant à la charge de la commune pour la moitié : l’enfant a besoin d’un protecteur ; ce protecteur est naturellement celui qui est placé plus près de lui ; c’est donc la commune dans laquelle l’enfant a été exposé. Qui est-ce qui conteste cela ? Personne n’a contesté que l’enfant a droit à une protection et qu’on ne fait pas bien d’obliger la commune à lui accorder cette protection. Toutefois est-ce une raison pour rendre la commune responsable des frais de protection ?
Assurément, loin d’obtenir pour les enfants trouvés et délaissés cette protection qu’on réclame, en laissant la dépense à la charge de la commune on ne la trouvera pas ; car dès que les communes sauront que l’enfant apporté sur leur territoire sera à leur charge, guidés par des motifs d’intérêt, elles le feront transporter sur le territoire d’une autre commune. Le projet du gouvernement assure une protection plus grande que le système adopté, parce que dès que la commune saura que l’enfant exposé n’est pas à sa charge, elle ne cherchera pas à s’en débarrasser au préjudice d’une commune voisine : c’est la province qui paiera les secours accordés. Voici comment, en adoptant le projet soutenu par mon honorable ami M. Ernst, on irait contre ses propres intentions.
M. de Muelenaere. - MM. de Theux et Ernst ont répondu en grande partie aux objections faites contre l’amendement adopté dans une de vos précédentes séances, et j’ai peu de chose à ajouter.
L’honorable préopinant prétend que nous établissons une présomption contraire à la vérité, parce que la présomption est que la naissance de l’enfant trouvé n’a pas eu lieu sur le territoire ou son exposition a été opérée, et pour cela on veut mettre l’enfant à la charge de la province. L’objection du préopinant prouve trop car on peut dire aussi que la naissance des enfants n’a pas eu lieu sur le territoire de la province où l’exposition a été faite.
Dans une séance précédente, à une très forte majorité vous avez rejeté le système de la section centrale qui tendait à mettre à la charge de l’Etat l’entretien des enfants trouvés, et vous avez adopté un amendement qui tend à diviser la dépense, à en mettre une partie à la charge de la commune et une partie à la charge de la province.
Lors de la discussion précédente, j’ai fait observer à la chambre, et je persiste dans ma première opinion, que ce n’est pas par l’application d’un principe rigoureux de droit, mais par des considérations de morale publique, que les questions relatives aux enfants trouvés doivent être décidées par une assemblée législative.
Par quels motifs avez-vous rejeté le système de la section centrale ? C’est parce que ce système constituait une sorte d’appel à l’immoralité, une sorte d’encouragement offert au vice ; et la majorité de l’assemblée a été conséquente avec elle-même, en rejetant le système d’après lequel on mettait l’enfant trouvé à la charge de la province. En effet, en mettant les enfants trouvés à la charge des provinces, vous ne diminuerez pas leur nombre, parce que personne ne sera intéressé à surveiller les abus qui se commettent dans les expositions. La division de la dépense que vous avez admise est tout à fait équitable, et de plus elle crée une surveillance suffisante sur les expositions.
Mais dit-on, de cette division il en résultera une charge accablante pour les communes : on vous a déjà fait observer que vous améliorez le sort des communes. Les frais d’entretien sont aujourd’hui entièrement à la charge des communes ; nous vous proposons de diminuer de moitié cette charge ; et en faisant concourir à l’entretien des enfants trouvés les communes, vous atteignez le but que vous vous proposiez, celui d’établir une surveillance assez efficace pour diminuer s’il est possible le nombre des expositions publiques d’enfants. En mettant une partie de la dépense à la charge des provinces et de l’Etat, vous allez rendre le fardeau presque insensible pour certaines communes.
Je sais qu’il est telle ville qui se trouve dans une position exceptionnelle ; et c’est parce que nous en sommes tous convaincus que nous avons admis un subside par l’Etat, subside qui pourra être partagé entre les villes qui sont surchargées.
On avait proposé de limiter le subside, on a ôté cette limite : vous n’avez déterminé ni le montant, ni la quotité des subsides ; et, lors de la discussion du budget, vous aurez à examiner quels sont les besoins de ces villes qui sont, par rapport aux enfants trouvés, dans une position exceptionnelle.
Je pense donc, messieurs, que vous avez réellement, en adoptant l’article premier, concilié tous les intérêts, ceux de la morale, ceux des villes et ceux des provinces ; et j’ai l’espoir qu’avec ce système nous verrons successivement diminuer le nombre des expositions d’enfants, tandis qu’en adoptant tout autre système, soit celui de la section centrale, soit celui du gouvernement, vous détruiriez toute surveillance et vous pourriez craindre de faire augmenter le nombre des expositions.
M. Verdussen. - Lorsque j’ai appuyé l’opinion de la section centrale (erratum inséré au Moniteur belge n°127, du 7 mai 1834 à laquelle la chambre n'a point fait un accueil favorable, j'ai déclaré que, dans le cas où ce système ne fût pas admis, je préférais celui du gouvernement à l’amendement présenté par M. de Theux. Je suis encore dans la même conviction. Le système, qui existe et qui a été établi par l’arrêté du 6 novembre 1822 a été qualifié de funeste, d’injuste par le rapporteur de la section centrale ; M. de Theux vient de dire que ce système sera changé essentiellement par son amendement, et que les communes seront déchargées d’un poids accablant pour elles : j’ai voulu rechercher jusqu’à quel point cette assertion pouvait être vraie, et sans me livrer à des dissertations, j’ai consulté les faits ; or, voici ce que j’ai trouvé relativement à la ville d’Anvers :
Depuis l’année 1826 jusques et y compris l’année 1830, c’est-à-dire pendant cinq années, la totalité des frais des enfants trouvés et abandonnés s’élevait à 240,000 florins, et la part que la province a fournie s’élevait à 160,090 florins, de façon que la province a fourni de ses fonds particuliers plus des deux tiers de la totalité de la dépense. Comment concilier ces chiffres, qui sont puisés dans des documents officiels, comment les concilier avec l’assertion de M. de Theux, qui prétend que son amendement soulagera les communes ? Par son amendement, moitié de la dépense sera à la charge de la commune, et l’autre moitié à la charge de la province. Eh bien ! autrefois la commune d’Anvers n’était pas chargée de la moitié de la dépense, mais du tiers de la dépense.
L’honorable M. Ernst a dit que l’enfant doit être nourri là où il se trouvait. C’est une vérité incontestable ; mais est-ce à dire par là que cette dépense doit être considérée comme étant définitive ? Ne doit-elle pas au contraire être considérée comme une avance ? Telle est la question. Que les enfants soient à la charge de la province ou de la commune, ils n’en seront ni plus ni moins nourris.
L’honorable M. de Muelenaere a parlé d’une ville tout à fait dans une position exceptionnelle ; c’est la ville de Namur. Il est presque généralement connu que les enfants qu’elle nourrit dans son hospice ne lui appartiennent pas ; eh bien, voulez-vous consacrer un principe d’injustice en lui faisant payer la moitié de la dépense ?
Je n’en dirai pas davantage. Il n’y a rien à ajouter à ce qu’ont dit MM. Jullien et Fallon ; et je pense qu’il vaut mieux mettre les enfants à la charge des provinces.
M. Fallon. - Nous ne pouvons pas nous entendre parce que, dans l’exécution du nouveau système, on ne peut pas faire la part de l’avenir et celle du passé. Si l’on pouvait faire table rase, je n’insisterais pas contre le système de M. de Theux. Il sera funeste à bien des localités où des habitudes ont été contractées. Quant au passé, que répond-on ? Le système adopté n’est pas une innovation ; c’est le système communal : c’est là une grande erreur en fait. Prenez le tableau qui se trouve au projet du gouvernement et vous verrez l’erreur. Lorsqu’on a essayé de mettre à exécution l’arrêté du 6 novembre 1822, il a fallu reculer partout : dans la province de Liège vous remarquerez que la charge des enfants trouvés ne pesait pas uniquement sur la commune où l’exposition de l’enfant avait eu lieu ; cette charge est repartie sur les hospices et les bureaux de bienfaisance, sur les villes, les communes rurales et sur la province.
Dans la Flandre orientale c’est la province entière qui a supporté la charge.
Dans le Limbourg la charge a été supportée par les bureaux de bienfaisance et les hospices.
Il en a été à peu près de même dans la Flandre occidentale. Enfin, l’arrêté de novembre 1822 n’a pu recevoir son exécution. Il eût été trop injuste que l’on accablât certaines communes. Maintenant vous voulez imposer les villes qui ont des hospices d’enfants ; vous voulez leur faire supporter la moitié de la dépense ; jamais elles n’ont été condamnées à des dépenses aussi considérables, La totalité de la dépense des enfants trouvés est évaluée en Belgique à 600,000 francs ; ainsi les villes qui ont des hospices paieront d’abord 300,000 francs et paieront en outre leur contingent dans les 300,000 francs restant. Le système de M. de Theux agit donc d’une manière désastreuse sur les communes, et vous ne pouvez persister à l’adopter.
On prétend diminuer le nombre des expositions, en donnant une surveillance aux communes ; eh bien, il est impossible que la surveillance d’une commune soit telle qu’elle diminue effectivement le nombre des expositions d’enfants nouveau-nés ; la province seule, par son action simultanée sur toutes les communes, peut exercer une surveillance utile pour connaître l’origine des enfants.
M. de Theux. - En m’appuyant sur les documents que le gouvernement a fournis, je conteste que les enfants soient actuellement à la charge des provinces. Dans la province d’Anvers la commune où sont les hospices paie les trois septièmes de la dépense, et la province paie le reste. Il y a trois provinces qui ne fournissent aucun subside, et d’autres qui fournissent des subsides très faibles à celles de leurs communes où se trouvent des hospices.
Je ferai remarquer que l’amendement qui a été adopté dans la dernière séance, n’empêche pas le concours des hospices et des bureaux de bienfaisance dans les dépenses relatives aux enfants trouvés. (Aux voix ! aux voix ! aux voix !)
M. Brabant. - Je demande l’appel nominal.
- La chambre procède en effet par appel nominal sur le second vote de l’article premier ou de l’amendement de M. de Theux.
59 membres sont présents.
35 votent l’adoption de l’amendement de M. de Theux.
24 votent le rejet.
M. Donny s’abstient.
En conséquence l’amendement de M. de Theux est adopté.
Ont voté l’adoption :
MM. Bekaert, Davignon, de Laminne, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Muelenaere, de Nef, C. Vuylsteke, de Roo, de Stembier, de Terbecq, de Theux, Dewitte, d’Hane, d’Huart, Dubois, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Fleussu, Helias d’Huddeghem, Lebeau, Morel-Danheel, Olislagers, Poschet, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Schaetzen, Simons, Vanderheyden, C. Vilain XIIII, Watlet, Raikem.
Ont voté le rejet :
MM. Angillis, Boucqueau de Villeraie, Brabant, Dams, Dautrebande, de Behr, de Meer de Moorsel, de Puydt, de Renesse, Desmanet de Biesme, Desmet, d’Hoffschmidt, Fallon, Cornez de Grez, Jadot, Jullien, Lardinois, Polfvliet, Pollénus, Quirini, Smits, Trentesaux, Verdussen.
M. Donny s’est abstenu, parce qu’il n’a pas assisté aux discussions qui ont eu lieu sur la loi en délibération.
M. le président. - On passe à l’article 2. (Deuxième du projet de la section centrale.)
« Les frais des enfants abandonnés et des orphelins indigents, nés de père et mère connus, seront supportés par les hospices et bureaux de bienfaisance du lieu du domicile de secours, sans préjudice du concours des communes ; si le domicile de secours ne peut être déterminé, ces enfants seront assimiles aux enfants trouvés nés de parents inconnus.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je dois faire remarquer que le gouvernement s’était rallié à l’article 2, et dès lors je ne sais si on doit le considérer comme amendement.
- Voix diverses. - Ce n’est plus un amendement.
M. Dumortier. - Je veux faire seulement une observation : nous sommes tous d’accord sur le fond de l’article, mais cet article contient une faute de rédaction qui aurait des conséquences très graves. L’article dit : « Les frais d’entretien des enfants abandonnés et des orphelins indigents, nés de père et mère connus, seront supportés par les hospices et bureaux de bienfaisance du lieu du domicile de secours, etc. »
Dans l’état actuel des choses, la charge des orphelins indigents incombait aux hospices, et aucunement aux bureaux de bienfaisance, tandis qu’au contraire la charge des enfants abandonnés retombait uniquement aux bureaux de bienfaisance, les hospices n’y ayant aucune part. Ce système a été consacré par la loi, mais la rédaction de l’article 2 est fautive et pourrait, ainsi que je l’ai dit, donner lieu à de graves abus. En effet, si on argumente du texte de l’article, il en résulterait que les hospices devraient intervenir dans la charge des enfants abandonnés, et que les bureaux de bienfaisance devraient intervenir dans la charge des orphelins indigents ; cela est contraire à ce qui a été opéré jusqu’à ce jour.
Quel est le but que l’on se propose ? On se propose de donner des éléments de moralité et d’apporter un obstacle aux tentatives des administrations communales qui voudraient se débarrasser par des moyens détournés de la dépense qui leur incomberait. C’est précisément cet inconvénient qui résulterait de la rédaction qui vous est soumise.
Je suppose des parents ayant 5, 6 ou 7 enfants. Ils reçoivent du bureau de bienfaisance une somme mensuelle de 5 à 10 francs, ce qui, pour le bureau de bienfaisance, fait au bout de l’année une somme assez forte. Si cette charge n’est pas une charge exclusive des bureaux de bienfaisance, ces établissements presseront les parents d’abandonner leurs enfants, afin de se débarrasser de la charge qui pèserait sur eux. Ces craintes que j’exprime se sont réalisées plusieurs fois.
Il faudrait que le sens de l’article fût plus clair ; il faudrait dire : « Les frais d’entretien des enfants abandonnés et des orphelins indigents seront supportés, les premiers par les bureaux de bienfaisance, les seconds par les hospices, etc. » (Appuyé !)
- Une voix. - Et lorsqu’il n’y aura pas d’hospice ?
M. Dumortier. - Alors ce sera le bureau de bienfaisance qui supportera les charges. J’appelle l’attention de la chambre sur l’inconvénient que j’ai signalé. Il faut éviter toute espèce d’ambiguïté dans l’article. On pourrait aussi commencer l’article ainsi : « Les frais d’entretien des orphelins indigents et des enfants abandonnés etc. » Cette transposition suffirait. (Appuyé ! Appuyé.)
M. Jullien. - Je commence par féliciter l’honorable M. Lebeau de ce qu’il y a bien réellement deux hommes en lui, le ministre et le député ; car comme ministre il a très bien soutenu le projet de loi qu’il avait présenté et comme député, il vient de voter contre. (On rit.) Il faut convenir qu’il y a là de quoi déconcerter ceux qui seraient tentés à l’avenir d’appuyer comme moi les projets du ministère.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je demande la parole.
M. Jullien. - Quoi qu’il en soit, malgré le vote du député je continuerai à appuyer le projet du ministre et je prendrai la liberté d’ajouter quelques observations à celles qui viennent de vous être présentées sur l’article 2 par l’honorable M. Dumortier, je demanderai par exemple ce qu’on entend par cette dernière partie de l’article : « si le domicile de secours ne peut être déterminé, ces enfants seront assimilés aux enfant trouvés nés de parents inconnus. »
Dans le projet de loi, soit du gouvernement soit de la section centrale, la disposition était claire et précise ; s’il était impossible de déterminer le domicile de l’enfant délaissé, il était en tout point assimilé à l’enfant exposé, et il tombait à la charge soit de l’Etat soit de la province.
Mais actuellement qu’il y a un système mixte par l’adoption de l’amendement de M. de Theux, je demande quels sont les cas et les circonstances dans lesquels on pourra reconnaître qu’il est impossible de déterminer le domicile de secours et par conséquent mettre les frais d’entretien à la charge de la province et de la commune.
Faites attention, je vous prie qu’il ne s’agit plus ici d’enfants trouves ou exposés, il s’agit d’orphelins indigents à qui il est impossible d’assigner un domicile de secours.
Or ces enfants sont ordinairement des petits malheureux qui ont été égarés à dessein, ou qui errent de commune en commune, ou bien qui viennent de l’étranger.
Car s’ils avaient une résidence dans une commune, et qu’il y eût contestation avec d’autres communes sur le domicile de secours, l’administration déciderait. Ce n’est donc pas de cela qu’il s’agit, mais bien d’enfants errants qui seraient recueillis par la police des villes ou des campagnes, or, si vous voulez faire retomber la charge de l’entretien sur les communes, je vous demande s’il y en a beaucoup qui s’empresseront de donner asile à ces enfants, et si au contraire on ne les chassera pas de commune en commune pour ne pas en avoir la charge ; voilà, messieurs, le sort que vous leur préparez avec le système bâtard que vous venez d’adopter.
Et comme dans l’exécution, je ne doute pas que toutes ces difficultés ne se présentent, je prie l’honorable M. Lebeau, soit comme ministre, soit comme députe, de vouloir bien nous donner là-dessus quelques explications.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je ne comprends pas véritablement la surprise de l’honorable préopinant : je pourrais, à mon tour, l’opposer à lui-même, et dire qu’il y a deux hommes dans l’honorable M. Jullien : Le député de l’opposition et le député ministériel, puisqu’il a fait l’honneur au ministère de soutenir son projet, bonne fortune qui n’arrive pas souvent au gouvernement.
Je conçois que l’honorable préopinant joue de malheur. Pour la première fois peut être qu’il suit la bannière ministérielle, elle lui fait défaut. (Hilarité générale.)
Je prie la chambre de vouloir bien se rappeler que c’est avec beaucoup de réserve que j’ai énoncé mon opinion dans la discussion générale. J’ai déclaré que j’étais opposé de tout point au système de la section centrale, mais que j’étais partisan du principe qui faisait de l’entretien des enfants trouvés une charge communale ; que ce système me paraissait le plus moral et le plus économique : j’ai déclaré que je n’étais arrêté que par des difficultés d’exécution, mais que si dans le cours de la discussion on pouvait affaiblir mes scrupules, je serais disposé à me rallier à l’amendement qui aurait ce résultat ; j’ai fait remarquer ensuite que la matière était neuve, qu’aucune discussion législative ne s’était antérieurement établie sur ce sujet.
Voilà ce que j’ai dit, et comme il est permis à tout ministre, comme à tout député, de s’éclairer dans une discussion, j’ai écouté avec une grande attention les adversaires du système provincial, n’ayant aucun intérêt à faire prévaloir ici mon opinion ; les objections qui m’ont été faites m’ont ébranlé de manière à me faire penser que la réalisation du système semi-provincial et semi-communal ne présentait pas les inconvénients qui d’abord s’étaient offerts à mon esprit.
J’ai trouvé que le système qui a été adopté attaque la source du mal mieux que le système provincial pur ; je me suis rappelé que le système communal qui prévaut encore aujourd’hui en grande partie, a amené moins d’inconvénients qu’on n’en a signalé.
En voilà assez sur ce point ; ce n’est que pour ne pas prolonger la discussion, que je n’avais pas déjà présenté les explications que je viens de donner.
L’observation de M. Dumortier me paraît fondée. L’article est celui qui devait être adopté, mais la rédaction laisse quelque chose à désirer.
Quant à ce qu’a dit M. Jullien sur la position des enfants abandonnés, je répondrai qu’on procédera à leur égard ainsi qu’on le fait encore aujourd’hui : lorsque la police d’une commune aura recueilli quelques-uns de ces enfants ils seront considérés comme appartenant aux communes où ils auront été trouvés, et traités aussi comme des enfants exposés. Cela se passe actuellement de cette manière, sans qu’aucun conflit se soit établi entre les communes diverses.
L’expérience doit donc faire taire les scrupules de l’honorable préopinant, et sauf une légère modification dans la rédaction, je ne vois pas plus aujourd’hui que dans les séances précédentes, d’objection à faire contre l’article.
M. le président donne lecture de la dernière rédaction de M. Dumortier.
M. de Muelenaere. - Je demande qu’on mette dans l’article ces mots : les premiers et les seconds, ainsi que l’avait d’abord proposé M. Dumortier.
M. Smits. - Messieurs, dans les grandes villes, les bureaux de bienfaisance sont seulement chargés de secourir à domicile, ils ne supportent aucunement la charge des orphelins ou des enfants abandonnés qui sont aux frais des hospices. Je crois qu’il faut retrancher les mots que M. de Muelenaere propose d’introduire dans l’article, parce que dans les campagnes, là où il n’y a pas d’hospices, les bureaux de bienfaisance cumulent les charges qui doivent tomber sur les hospices.
M. Dumortier. - Je ne m’oppose pas au retranchement proposé, puisque le sens de l’article restera le même que celui que j’ai proposé.
M. Smits est tombé dans une grave erreur, lorsqu’il a dit que les bureaux de bienfaisance des grandes villes n’étaient pas chargés des secours aux enfants abandonnés. Cela est démenti par les faits, par ce qui existe.
Le système actuel doit être maintenu, il est sensé, rationnel ; si vous y portez atteinte, vous verrez les bureaux de bienfaisance engager les parents qui ont une grande famille, (même en leur donnant de l’argent, car je l’ai vu) à abandonner leurs enfants afin de faire une économie sur leur caisse de secours.
Ces faits, je le répète, je les ai vus.
M. de Theux. - M. Dumortier consent-il au retranchement proposé ?
M. Dumortier. - Oui.
M. de Theux. - Nous ne voulons rien innover relativement aux bureaux de bienfaisance ; d’après ce principe il faut retrancher toutes les expressions qui pourraient apporter quelques innovations dans le système établi.
M. Quirini. - Je ne sais si la proposition de M. Dumortier constitue un changement de rédaction, ou si c’est un nouvel article. Ce que je sais très bien, c’est que souvent les bureaux de bienfaisance contribuent avec les hospices à l’entretien des enfants abandonnés. Les administrations des bureaux de bienfaisance et celles des hospices forment un conseil général qui établissent la répartition des frais au marc-le-franc. Si cela est ainsi, et cela existe dans les villes que je représente, l’amendement propose pourrait changer le système qui est établi.
M. Dumortier. - Il suffit pour prévenir tout abus des changements que j’ai proposés ; je n’insiste pas contre le retranchement des mots dont il s’agit.
- L’article avec le changement proposé par M. Dumortier est mis aux voix et définitivement adopté.
M. le président. - La chambre passe à la discussion de l’article 3 ; il est ainsi conçu dans le projet du gouvernement :
« Une somme annuelle sera allouée au budget de l’Etat pour contribuer au paiement des frais d’entretien des enfants trouvés mentionnés à l’article premier.
« La répartition en sera faite par le gouvernement en proportion des dépenses effectuées, pour cet objet, par les provinces et les hospices, destinés à recevoir ces enfants. »
Voici le texte de l’article tel qu’il a été adopté :
« Il sera alloué au budget de l’Etat un subside annuel pour l’entretien des enfants trouvés. Ce subside sera réparti par le gouvernement entre les provinces, en proportion de la dépense relative à cet objet ; la moitié du subside, accordé à une province, sera répartie d’après la même base entre les communes. »
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - J’ai adhéré à cet article.
M. Fallon. - La dernière partie de l’article peut être entendu d’une manière différente. A la première lecture de cet article j’ai pensé que la moitié du subside accordé à la province, devait profiter à toutes les communes de cette province ; tandis que l’intention de M. de Theux a été sans doute de dire que cette moitié devait profiter seulement aux communes chargées de l’entretien des enfants.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - C’est évident.
M. Fallon. - Il faut que cela soit expliqué, il y a incertitude dans l’article.
M. de Theux. - Les premières expressions de l’article lèvent toutes difficultés ; elles établissent que ce n’est qu’aux communes qui seront chargées de l’entretien que les subsides pourront être accordés. (Oui ! oui !)
M. Fallon. - Je préfère la rédaction du gouvernement. Il me paraît qu’il pourrait résulter un inconvénient de la rédaction de M. de Theux. Ainsi par exemple, d’après cet article, dans la répartition, si une province est riche et qu’une commune soit pauvre, il n’en faut pas moins que la province ait la moitié du subside. Je pense qu’il ne doit pas en être ainsi, et je proposerais de ne pas statuer sur la répartition du subside, et de laisser cette affaire à régler aux administrations provinciales.
M. de Theux. - La proposition du gouvernement et l’amendement que j’ai présenté sont identiques sauf un changement dans la rédaction. Tous deux prennent la dépense pour base de la répartition.
M. Fallon. - Il me semble qu’il n’y a aucun inconvénient à laisser aux provinces le soin de faire la répartition.
M. de Theux. - Les subsides seront répartis d’après le système actuel, entre les provinces et les communes ; il n’y a aucun motif de changer ce qui est établi.
M. de Muelenaere. - Messieurs, il est peu étrange que dans une foule d’amendements improvisés et discutés dans une seule séance, il se soit glissé dans leur rédaction des incorrections et des contradictions apparentes ou même réelles.
L’honorable préopinant a expliqué les motifs de la rédaction de son amendement qui doit former l’article 3. D’après l’amendement que vous avez adopté sur l’article premier, vous avez mis la dépense des enfants trouvés, pour moitié à la charge des communes et pour moitié à la charge des provinces. L’honorable préopinant voudrait que les subsides fussent aussi également répartis entre les provinces et les communes. Toutefois vous reconnaîtrez sans doute qu’il n’y aurait pas d’inconvénient à ce que la répartition des subsides fût abandonnée entièrement au gouvernement. Les motifs qui me portent à émettre cette opinion sont puisés dans la position exceptionnelle de quelques villes dont on a parlé dans cette discussion.
Si l’état financier d’une ville ne lui permet pas de faire face à la dépense que l’article premier met à sa charge, il faut bien que la province ou l’Etat lui accorde un subside. Et si l’état financier d’une province est assez florissant pour qu’elle n’ait pas besoin des subsides de l’Etat, il n’y a aucun inconvénient à ce que le subside soit accordé en entier à la ville.
M. de Theux. - Ce que vient de dire l’honorable préopinant ne s’opposera pas, je l’espère, à l’adoption de mon amendement. Il a pour but de fixer les droits de la commune et de la province, et d’éviter qu’on ne donne arbitrairement un subside considérable à une commune et rien à une autre.
Il peut arriver, a-t-on dit, qu’une commune ne puisse pas faire face à la totalité de la dépense mise à sa charge ; mais je ferai remarquer que vous pouvez voter des fonds en sa faveur pour suppléer à l’insuffisance de ses revenus ; la disposition que vous avez adoptée en réglant les droits respectifs de la commune et de la province, n’empêche pas que vous ne veniez par le vote de subsides spéciaux, à l’aide d’une commune obérée.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Les observations que vous venez d’entendre me portent à penser qu’en effet l’article 3 du projet du gouvernement est préférable à l’article 3 de l’honorable M. de Theux. Car je remarque qu’il s’agit de la répartition de la quotité des subsides et cela est du domaine de l’exécution. On doit pouvoir proportionner à telle ou telle position particulière d’une ou de plusieurs communes.
M. de Theux a établi la base des subsides d’après la dépense, sans prendre en considération les ressources de la commune et de la province. Mais il se pourrait que certaines localités auxquelles on a fait allusion dans la discussion, aient droit à une part plus forte que celle qui leur reviendrait, si elle était calculée seulement sur la dépense ; on devra prendre en considération l’état de la caisse communale ou provinciale. Il y a quelques positions spéciales résultant de l’usage, de l’habitude où on est de porter les enfants trouvés dans certaines communes. Il faut qu’on puisse dans ces cas-là, forcer la province à tenir compte à la commune de cette situation particulière. Or, d’après l’amendement de M. de Theux, on ne pourrait tenir compte que de la dépense.
M. de Theux propose de remédier à cet inconvénient par un moyen indirect, l’allocation de fonds spéciaux pour cause d’insuffisance des ressources. C’est un circuit que nous pouvons éviter. Vous arrivez directement à ce résultat si vous adoptez purement et simplement le premier paragraphe de l’article 3 du projet du gouvernement ou de l’amendement de M. de Theux.
M. Dumortier. - Dans mon opinion, l’article dont on s’occupe maintenant doit être retranché tout entier.
Sous le roi Guillaume, l’Etat n’intervenait pas pour un cents dans l’entretien des enfants trouvés. Ces dépenses étaient exclusivement à la charge de la province ou de la commune. Lorsque la révolution est arrivée, la commune a été subitement grevée par la nécessité de maintenir les ouvriers dans l’ordre et de leur donner le travail nécessaire à leur existence. Qu’a dû faire le congrès à cet égard ? Voter des sommes considérables pour subvenir aux besoins des communes, les dégrever de dépenses qui leur incombaient, et notamment de celle des enfants trouvés, afin qu’elles pussent subvenir à leurs autres charges. Ces décisions ont été prises uniquement en présence des besoins du moment, besoins qui n’existent plus aujourd’hui. Devez-vous donc aujourd’hui faire concourir l’Etat aux dépenses de la commune, et augmenter ainsi le budget. Toutes les fois que les dépenses du budget sont en discussion, qu’il s’agit du trésor public, je me suis toujours prononcé en sa faveur. C’est encore dans l’intérêt du trésor que je demande le rejet de l’article en discussion.
Si la législature reconnaît la nécessité d’un subside, elle en votera un au budget. Mais pourquoi lier la législature par cette disposition de la loi ? Ce serait une grave inconséquence.
Vous avez admis un principe juste, lorsque vous avez reconnu que les tours ont été une grande cause d’immoralité dans le pays. Si vous perpétuez les subsides, vous perpétuez les tours ; car dans le but d’avoir des subsides, on ne fermera aucun tour.
Si on avait stipulé que le crédit qui figure à votre budget ne sera que pour les enfants trouvés antérieurs à la présente loi, cela aurait un but ; mais dire qu’il est destiné à faire face à la dépense des enfants trouvés postérieurs à cette loi, c’est une superfluité, c’est dangereux pour la société.
Le système que je propose est parfaitement conséquent avec ce que vous avez décidé dans la loi sur les mendiants, et avec les principes posés dans la loi provinciale (article 52, n°14).
Sous le roi Guillaume, la province marchait régulièrement ; les dépenses étaient couvertes par les recettes ; les moyens faisaient face aux dépenses. Depuis lors le trésor provincial s’est amélioré. Un grand nombre de dépenses qui incombaient aux provinces ont été mises à la charge de l’Etat. Je citerai dans ce nombre des routes de première et de deuxième classe, l’entretien des traverses des villes ; je pourrais en énumérer beaucoup d’autres. Il faut un terme à ces mesures si préjudiciables à l’Etat. Il est juste au moins que l’Etat ne participe en rien aux dépenses de l’entretien des enfants trouvés. Vous avez admis un principe équitable dans l’article premier de la loi. Vous le détruiriez par l’adoption de la loi en discussion.
M. Fallon. - Je ferai observer que l’honorable M. Dumortier a reproduit le système qu’il avait présenté au début de la discussion, système dont vous avez fait justice ; car vous l’avez sagement rejeté.
L’honorable M. Dumortier est dans l’erreur lorsqu’il dit que, sous le roi Guillaume le trésor ne fournissait aucun subside pour l’entretien des enfants trouvés.
Je trouve dans l’arrêté du 4 mars 1816 :
« Relèvement ordonné de 5/9 des centimes additionnels communaux de 1815, dans toutes les provinces méridionales, à l’effet de fournir un fonds commun destiné à subvenir concurremment avec les fonds du trésor, à l’acquit des dépenses des enfants trouvés et abandonnés pour ledit exercice. »
Je vois aussi dans l’arrêté du 1er juin 1816 :
« Les sommes nécessaires pour les dépenses des enfants trouvés et abandonnés, pendant l’année 1816, indépendamment des 42,500 florins alloués sur le trésor, seront prélevées sur les revenus des communes, en raison de leur population respective, à l’effet de former un fond commun pour toutes les provinces méridionales. »
Il est donc inexact de dire, que sous le roi Guillaume, l’Etat ne fournissait aucun subside pour l’entretien des enfants trouvés.
M. Dumortier. - Il est évident que lorsque j’ai dit que sous le roi Guillaume aucun subside n’était fourni par l’Etat pour l’entretien des enfants trouvés, j’ai voulu parler des dernières années de ce règne où il en était ainsi.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - En soi il est assez indifférent que cet article figure ou non dans la loi. Ce n’est pas parce que le principe ne serait pas écrit dans la loi que la chambre refuserait un subside, si on lui en démontrait la nécessité.
Vous avez décidé que l’entretien des enfants trouvés est une charge de la commune et de la province ; cela est vrai en principe. Mais personne n’a voulu que le gouvernement restât étranger à des intérêts des enfants trouvés ; elle est trop importante pour que le gouvernement la perde entièrement de vue. Si le gouvernement accorde des subsides il interviendra plus efficacement ; comme condition des subsides il pourra prescrire des améliorations ; et s’il était vrai qu’on multipliât les tours pour avoir des subsides plus forts, le gouvernement aurait bientôt arrêté un tel abus.
Si vous supprimez l’énonciation du subside, il est à craindre que la commune ne soit trop dure envers les enfants trouvés, qu’elle soit même conduite à fermer brusquement le tour sans ménagement, sans transition. Et si nous voulons arriver à ce résultat, au moins n’est-ce pas de cette manière. Je persiste à demander le maintien du premier paragraphe de l’article 3 du projet du gouvernement : le deuxième paragraphe dans le système qui a prévalu dans la loi pourrait présenter de l’inconvénient ; il détruirait l’effet que vous devez attendre du premier paragraphe.
- Le premier paragraphe de l’article 3 du gouvernement est mis aux voix et adopté ; il formera l’article 3 de la loi.
La chambre confirme par son vote la suppression des articles 4 et 5.
La chambre confirme successivement par son vote l’adoption des articles suivants.
« Art. 4. Il n’est pas dérogé au régime légal actuel sur le placement, l’éducation et la tutelle des enfants trouvés et abandonnés. »
« Art. 5. Jusqu’au 31 décembre 1834, les hospices, les bureaux de bienfaisance, les communes et les provinces seront tenus au paiement des frais d’entretien des enfants trouvés et abandonnés, mis à leur charge pendant l’exercice courant et les années antérieures, jusqu’à concurrence des sommes qu’il leur restera à payer après la répétition du subside alloué au budget de l’Etat. »
« Art. 6. Dans le cas où les communes ou les provinces chercheraient à se soustraire à l’une ou l’autre des dispositions précédentes, il sera fait application, à leur égard, des mesures coercitives autorisées par la loi du 13 août 1833. »
La chambre vote par appel nominal sur l’ensemble de la loi.
57 membres répondent à l’appel.
36 votent l’adoption de la loi.
21 votent le rejet.
En conséquence le projet de loi est adopté et sera transmis au sénat.
Ont voté l’adoption :
MM. Bekaert, Davignon, de Behr, de Lamine, A. Dellafaille, H. Dellafaille, F. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, C. Vuylsteke, de Roo, de Stembier, de Terbecq, de Theux, Dewitte, d’Hane, Dubois, Eloy de Burdinne, Ernst, Fleussu, Helias d’Huddeghem, Lebeau, Morel-Danheel, Olislagers, Poschet, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Schaetzen, Simons, Trentesaux, Vanderheyden, Watlet, Raikem.
Ont voté le rejet :
MM. Angillis, Brabant, Dams, Dautrebande, de Meer de Moorsel, de Renesse, Desmanet de Biesme, de Smet, d’Hoffschmidt, Dumortier, Fallon, Cornet de Grez, Jadot, Jullien, Lardinois, Polfvliet, Pollénus, Quirini, Smits, Ullens, Verdussen.
M. le président. - La loi concernant l’organisation provinciale est à l’ordre du jour.
- De toutes parts. - A demain ! à demain, il est quatre heures.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - On peut ouvrir la discussion générale ; y a-t-il des orateurs inscrits ?
M. le président. - Non ; personne ne s’est fait inscrire.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - La chambre pourrait en ce cas décider qu’il n’y aura pas de discussion générale.
M. le président. - La discussion générale est ouverte sur l’ensemble du projet de loi.
M. Jullien. - Est-il bien décent d’ouvrir une discussion générale quand la moitié des membres de la chambre n’assiste pas à la séance ? Attendez à demain, quand nos collègues seront revenus.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Il ne faut pas perdre son temps parce que des membres sont absents.
M. Jullien. - Je demande que la discussion générale soit renvoyée à demain ; il est quatre heures. (Non ! non ! commençons aujourd’hui.)
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Tous les membres de la chambre ont été avertis que la discussion générale s’ouvrirait aujourd’hui. M. Dumortier qui était absent de la capitale, en conséquence de l’avertissement qu’il a reçu, s’est rendu ici ; les autres ont pu faire de même. La discussion générale est ouverte, si aucun membre ne demande la parole, on pourrait la clore. Toutes les questions générales se représenteront d’ailleurs dans la discussion des articles.
M. Dumortier. - Dans une discussion de principe, la discussion générale est d’une haute importance ; mais ici elle ne servirait à rien ; et je pense qu’on peut renvoyer la discussion des articles à demain. La délibération sur l’article premier permettra d’entrer dans la discussion générale si on le désire.
M. de Muelenaere. - Il est assez indifférent que l’on ferme la discussion aujourd’hui ou qu’on la remette à demain ; peu d’orateurs prendront la parole sur l’ensemble de la loi ; et les idées générales se présenteront quand on discutera certains articles ; elles se présenteront même sur chaque titre. Je pense qu’il faut remettre la séance à demain.
- Tous les membres se lèvent et quittent leurs banquettes.
La discussion est renvoyée à demain midi.
La séance est levée à quatre heures.