(Moniteur belge n°123, du 3 mai 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier.
M. le président. - Quelqu’un demande-t-il la parole sur le procès-verbal ?
M. Pirson. - Messieurs, dans la séance d’hier, j’ai demandé par forme de rectification au procès-verbal que le vote que j’avais émis sur la clôture dans la précédente séance y fût mentionné. La chambre a décidé que les noms de tous les votants y seraient insérés. Je connais l’exactitude du bureau, et je suis assuré que la rectification a été faite au procès-verbal d’avant-hier ; mais j’aurais désiré que le procès-verbal de la séance d’hier en fît mention.
M. le président. - D’après la demande du préopinant et sa décision de la chambre, les noms des divers votants ont été insérés au procès-verbal de la séance d’avant-hier. (Erratum au Moniteur belge n°121, du 4 mai 1834 :) Il a été fait mention de cette rectification dans le procès-verbal de la séance d’hier.
M. Dellafaille donne lecture du passage du procès-verbal où la rectification, sur laquelle il y a réclamation, se trouve mentionnée.
M. le président. - S’il n’y a pas d’autre réclamation sur le procès-verbal, je le déclare adopté.
M. de Renesse fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.
« La régence de Verviers renouvelle sa demande, tendant à ce que les victimes des pillages soient indemnisées par le trésor public. »
« La régence de la commune de Lillo demande un à-compte sur l’indemnité qui revient aux habitants de cette commune du chef des inondations. »
- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
« Les propriétaires de la commune de Hollogne-aux-Princes demandent que la chambre sanctionne les opérations cadastrales. »
- Cette pétition est renvoyée à, la commission chargée d’examiner la situation des opérations cadastrales.
« Les régences des communes de Denderhausem, Aygem, Levin, Esche et Herzeele, district d’Alost, demandent que ces communes soient détachées du canton d’Audenaerde, et fassent partie de celui dont Mons serait le chef-lieu avec un tribunal de première instance. »
« Le sieur Verhulst, greffier du tribunal de simple police a Gand, réclame contre le projet de suppression des greffiers près les tribunaux de simple police. »
« Le conseil municipal de Somme-Laize (Dinant) demande que cette commune fasse de nouveau partie du canton judiciaire de Durbuy. »
« Les bourgmestres des communes du canton et arrondissement de la justice de paix de Jodoigne demandent la réunion de cette commune à l’arrondissement judiciaire de Louvain. »
« La régence de Waereghem demande que cette commune soit érigée en chef-lieu de canton à la place de Harelbeke. »
« Quelques habitants de la commune d’Ansegem demandent que la commune de Waereghem soit érigée en chef-lieu de canton. »
- Ces six pétitions sont renvoyées à la commission chargée de l’examen du projet de loi sur la circonscription des justices de paix.
Par un message, le sénat annonce qu’il vient d’adopter le projet de loi sur les routes en fer.
M. de Brouckere demande un congé de 10 jours.
- Accordé
M. Soudan de Niederwerth, commissaire du Roi. - Je vais tâcher de répondre aux observations développées à la fin de la séance d’hier par l’honorable rapporteur de la section centrale M. Quirini ; il a prétendu que le système dont il s’est constitué le défenseur n’avait reçu aucune atteinte, et était demeuré le seul juste au milieu de toutes les opinions si divergentes énoncées avec conviction par différents orateurs. Il me semble cependant que l’on a bien positivement démontré que ce serait une grave faute en économie politique que de favoriser l’imprévoyance, non seulement de la classe indigente, mais des autorités communales et provinciales, en mettant la dépense des enfants trouvés à la charge de l’Etat. J’ajouterai qu’une des conséquences de ce système, et une conséquence que l’on n’a pas encore fait remarquer, serait d’enlever les enfants trouvés à la curatelle des administrations locales. Leur tutelle et la surveillance du régime des hospices ouverts pour les recevoir passeraient au gouvernement et à ses agents, du moment où lui seul serait chargé du soin de pourvoir à leur entretien, puisqu’il serait seul responsable de l’emploi des fonds à ce destinés.
La loi, proposée par la section centrale, aurait donc pour effet de donner naissance à un nouveau rouage administratif.
Je dois aussi faire observer que c’est à tort que M. Quirini a affirmé que depuis quarante ans les enfants trouvés n’ont pas cessé en France d’être entretenus à la charge de l’Etat. C’est là une distraction de la part de l’honorable membre. Ce système n’existe plus en France depuis plusieurs années ; et maintenant la dépense des enfants trouvés y est à la charge des départements.
D’ailleurs, ici où le gouvernement n’a pas la même action qu’en France sur les communes, quel moyen aurait-il de réprimer les fraudes et les abus que certaines administrations locales pourraient commettre ?
Depuis la révolution de 89, le gouvernement a accordé de grands privilèges aux hospices, et leur a donné le moyen d’augmenter leurs revenus. Le gouvernement a publié récemment un état d’où il résulte que les legs faits aux hospices depuis 1830 s’élèvent à 1,561,168-52 ; leur avoir s’est accru de ce capital énorme et s’élève maintenant à 10 millions. Il semble que ces richesses sont assez grandes, pour que la province et la commune se passent de l’intervention de l’Etat pour tout ce qui concerne l’assistance à donner aux pauvres.
En mettant l’entretien des enfants trouvés à la charge de la province, vous l’obligerez à surveiller de plus près la gestion des administrations de charité. Il est impossible, si la gestion de ces administrations est dirigée d’une manière éclairée, qu’elle n’ait pas à la longue pour résultat de prévenir l’exposition des enfants trouvés. La province a intérêt à atteindre ce but dont l’effet serait d’alléger ses charges.
Avant de terminer, j’ai un aveu à faire ; c’est que l’administration partageait primitivement l’avis de la section centrale. Elle a même envoyé, il y a un an, aux députations des états, un projet de loi conforme à celui proposé par la section centrale. il est revenu accompagné de tant d’opinions de beaucoup de poids qui contredisaient ce système, qu’elle n’a pas hésité à changer d’avis, et vous a présenté comme plus équitable le projet qui est maintenant l’objet de vos délibérations.
M. Angillis. - Messieurs, les différents systèmes qu’on a proposés pour l’entretien des enfants trouvés, ceux qu’on pourrait proposer encore offrent plus ou moins d’inconvénients graves. C’est qu’il est de la nature de la question qui nous occupe, de quelque côté qu’on l’envisage, de présenter une somme d’arguments également péremptoires.
Ayant occupé quelque poste important dans l’administration civile, j’ai été à même d’examiner la question en théorie et en pratique ; je dirai donc mon avis sur le projet présenté par le gouvernement, lequel, au moins en ce qui concerne l’article premier, me parait préférable à celui de la section centrale.
Si l’observation faite dans la section que j’avais l’honneur de présider, avait été accueillie par la section centrale, sa proposition aurait mon approbation ; mais, dans l’état des choses, le projet du gouvernement est celui qui se rapproche le plus du principe ; il obtiendra donc mon adhésion. Quant au système qui tend à mettre la dépense à la charge de l’Etat, je suis si peu disposé à l’accueillir, que, s’il prévalait et qu’on mît la question de savoir s’il faut ou non supprimer tous les tours, je prononcerais sans hésiter qu’ils doivent tous être supprimés. L’esprit est d’abord épouvanté d’une telle assertion ; mais si j’examine la question avec les lumières de la statistique, on verra que cette opinion n’est pas paradoxale, mais qu’elle est fondée sur des faits incontestables. Puisque j’ai lancé mon opinion dans l’assemblée, je citerai à l’appui quelques faits statistiques qui ne sont pas longs et qui trouveront peut-être leur application.
« La mortalité générale en Europe n’est dans les familles pour les enfants que de 23 sur cent, tandis que dans l’hospice de Dublin elle s’élève au chiffre effrayant de 95 pour cent et dans les hospices de St-Pétersbourg et de Moscou elle est constamment depuis 1800 de 80 pour cent. On connaît celle de Paris et de Vienne ; elle n’est pas moins effrayante.
« A Cassel, l’électeur fonda en 1763 une maison d’enfants trouvés ; elle exista l’espace de 24 ans, c’est-à-dire jusqu’en 1787 ; dans cet intervalle elle reçut 817 enfants, et il n’y en eut que 59 qui parvinrent à leur 13ème année. »
Je vais prouver, messieurs, que la trop grande facilité qu’on donne aux paresseux, aux ivrognes, aux gens sans cœur et sans honneur, de se défaire de leurs enfants, au moyen des tours établis dans les hospices, est contagieuse, augmente considérablement le nombre de ces malheureuses victimes, qu’on abandonne à la charité publique.
« En France il y a 362 établissements pour les enfants trouvés, et on en expose tous les jours davantage. A Londres, il n’y a aucun hospice de ce genre, car le Fondeling Hospital, malgré sa dénomination, ne reçoit aucun enfant trouvé ; à Londres, dont la population est de 1,250,000 âmes, il n’y a eu dans l’espace de 5 ans, depuis 1819 jusqu’à 1823, que 151 enfants exposés, tandis qu’à Paris, qui n’a que les deux tiers de la population de Londres, on a compté, dans les mêmes années, 25,277 enfants trouvés.
« Mayence n’avait point d’établissement de ce genre ; depuis 1799 jusqu’en 1811, on y exposa 30 enfants : c’est deux à trois par an. Napoléon, qui s’imaginait qu’en multipliant les maisons des enfants trouvés, il multipliait les soldats et les matelots, ordonna d’établir un tour dans cette ville. Ce tour fut ouvert le 7 novembre 1811, et subsista jusqu’au mois de mars 1815, quand le grand-duc de Hesse-Darmstadt le fit supprimer. Pendant ces 3 et 4 années, la maison reçut 516 enfants trouvés. Une fois qu’elle fut supprimée, tout rentra dans l’ordre ; on ne vit, dans le cours des neuf années suivantes, que sept enfants exposés. »
En France, on proclamait les enfants trouvés les enfants de la patrie. Napoléon fit un bataillon de ces malheureux dont le plus âgé n’avait pas 16 ans. Là il était très rationnel que l’Etat supportât les frais d’entretien. Mais en Belgique les enfants trouvés ne sont pas reconnus pour les enfants de la patrie. Ce sont des enfants de malheur, exposés à la commisération publique ; c’est la société qui doit les secourir. Quelle est cette société qui leur doit des secours ? là toute la question.
Dans mon opinion ce doit être la société du domicile de l’enfant trouvé, où sera le domicile de l’enfant. Il sera dans la commune sur le territoire de laquelle il a été exposé. Ce n’est, dira-t-on, qu’une présomption. Oui, sans doute, ce n’est qu’une présomption. Mais la législation n’a-t-elle pas basée sur des présomptions des choses plus graves encore ? Ainsi un point bien plus important, la paternité n’est-elle pas réglée dans l’intérêt de la paix des familles d’après une présomption ? (On rit.) Is pater est quem nuptiae demonstrant.
Vous pouvez décider une présomption aussi bien là qu’ailleurs. Vous devez établir le domicile là où il est le plus raisonnable de l’admettre ; or la commune est la présomption de domicile la plus raisonnable.
On a dit que les Flandres n’avaient pas d’hospices d’enfants trouvés ; c’est là une de ces mille erreurs qui se débitent journellement dans cette assemblée. Les Flandres ont trois établissements de ce genre, et sont imposées pour subvenir à leurs dépenses. La ville d’Anvers qui réclame toujours a reçu 30,000 florins de l’argent de la Flandre occidentale. L’honorable M. Verdussen a dit que la Flandre occidentale envoyait des enfants trouvés aux tours de la province d’Anvers. Mais ce n’est véritablement qu’une lumineuse absurdité ; car les limites de la Flandre occidentale les plus rapprochées de la province d’Anvers en sont à 16 mortelles lieues. Et je vous demande s’il entrera jamais dans la tête de gens du peuple d’envoyer des enfants à 16 lieues de leur domicile, lorsqu’ils ont des tours à leur porte.
Il y a des villes, a-t-on dit, qui seront évidemment lésées par le grand nombre de ces petits malheureux inséparable de la position de ces villes, les villes où il y a un grand concours d’étrangers. ; mais alors il y a une sorte de compensation.
A Anvers où l’on vient de tous les points du globe, où débarque un grand nombre de matelots, tous ces gens-là travaillent à la propagation de l’espèce humaine. Et la preuve, c’est que depuis 1830 que le commerce a diminué, le nombre des enfants trouvés a également beaucoup diminué. Ce ne sont donc pas les enfants trouvés de la Flandre occidentale qui augmentent le nombre des enfants trouvés entretenus par la province d’Anvers.
De même à Bruxelles, qui n’est pas une ville de commerce, mais où affluent beaucoup d’étrangers, le nombre des enfants trouvés est considérable, et il n’a pas diminué depuis 1830 ; car les mêmes causes n’ont pas plus existé pour cette ville que pour Anvers.
Il y aurait une seul exception à faire ; ce serait pour la ville de Namur qui se trouve dans une position toute particulière.
On pourrait avoir recours pour cette ville au moyen indiqué dans le projet du gouvernement, aux subsides offerts par l’Etat.
En résumé, je déclare que je voterai pour l’article du projet du gouvernement et contre les amendements proposés sur cet article.
M. Seron. - Messieurs, hier M. le ministre de la justice vous a dit que les hospices d’enfants trouvés sont par eux-mêmes un mal ; qu’en les multipliant on multiplie les naissances illégitimes et les enfants abandonnés, et que, de plus, on multiplie les infanticides.
Il a ajouté : « Cette énonciation, qui heurte beaucoup d’idées reçues, semble au premier aspect un paradoxe. Pour peu, cependant, qu’on veuille y réfléchir, on se convaincra que cette conséquence est rigoureuse. Et d’abord, messieurs, la principale cause de la multiplicité du crime d’infanticide, c’est évidemment le nombre croissant des enfants illégitimes ; or, si les hospices d’enfants trouvés provoquent la multiplicité des enfants trouvés, ils engendrent la première, la principale cause de la multiplicité des infanticides. Il faut considérer le véritable caractère de la faiblesse qui amène une naissance illégitime : au moment où l’acte de faiblesse a été consommé, il se peut que la victime de la séduction ait compté sur un facile accès aux hospices d’enfants trouvés, qu’elle se soit dissimulé les obstacles qui viendraient détruire tous les effets des précautions qu’elle pourrait prendre pour ensevelir sa faute dans le mystère. Lorsque le moment de la naissance arrive, les obstacles que l’on s’était dissimulés se représentent, et souvent l’exposition à l’hospice ne pouvant avoir lieu sans dévoiler la honte de la fille mère, elle est amenée, dans l’égarement du désespoir, à commettre un infanticide. »
Il me semble, messieurs, que M. Lebeau prend l’effet pour la cause. Il y avait des enfants trouvés avant qu’il existât des hospices pour les recevoir. Ce ne sont pas ces hospices qui ont multiplié les enfants trouvés, ce sont les enfants trouvés qui ont multiplié les hospices et le nombre des enfants trouvés a augmenté avec la population parce que nos mœurs n’ont pas changé ; parce que nos lois, abandonnant l’instruction du peuple à de très mauvais précepteurs et n’ayant rien fait pour améliorer sa condition, n’ont pas favorisé le mariage, seul moyen de diminuer le mal, quoiqu’en dise M. Lebeau. Concluons donc que les hospices d’enfants trouvés ne provoquent pas la multiplicité des enfants trouvés et n’engendrent pas la principale cause de la multiplicité des infanticides.
Quant au caractère de la faiblesse qui amène une naissance illégitime, il faut, pour en juger comme M. Lebeau, ne connaître ni le cœur humain, ni le jeu des passions. Qui croira, en effet, qu’au moment où, pour parler comme lui, l’acte de faiblesse a été consommé, la victime de la séduction ait pu songer à en envoyer le fruit à l'hospice ? Que c’est le défaut d’hospices qui multiplie les infanticides ; et c’est ce que m’écrivait une personne très respectable et très croyable de la ville de Liége lors de la première discussion, citant à l’appui de son opinion des faits tout récents et non des théories frivoles.
Après M. Lebeau vous avez entendu M. le commissaire du Roi ; il a débuté par l’éloge du discours remarquable de M. Henri de Brouckere. Les arguments que celui-ci a fait valoir, a dit M. le commissaire du Roi, rendent difficile la justification de tout autre système que celui qu’il a défendu. J’ai combattu le système de M. de Brouckere et crois en avoir montré les vices ; j’aurais désiré que M. le commissaire du Roi daignât me réfuter ; il a trouvé plus simple et plus commode de garder le silence sur mes objections.
En revanche, il soutient que c’est le système propagateur du paupérisme qu’un des défenseurs du projet de la section centrale veut établir en Belgique lorsqu’il demande que l’Etat se charge de l’entretien de tous les enfants pauvres. Mais c’est là une assertion sans preuves.
Au fait, que veulent les adversaires du projet de la section centrale ? - Diminuer le nombre des enfants trouvés ? Ils le disent, mais ils n’en présentent pas les moyens. - Soulager les contribuables ? Non, puisque l’adoption de leur système ne diminuera pas le nombre des enfants trouvés. Seulement, au lieu d’en mettre la dépense à la charge de l’Etat, ils veulent la faire tomber sur les provinces et sur les communes, particulièrement sur ces dernières pour lesquelles, ainsi que je l’ai déjà dit, elles seront souvent accablantes et ruineuses. En un mot, toute la différence entre notre système et le leur, c’est qu’ils veulent une répartition inégale et que nous voulons, nous, une répartition proportionnelle. Voilà ce que j’avais à dire ; et comme dans les longs discours que j’ai entendus rien ne m’a paru détruire les principes par moi exposés lors de la première discussion, je persiste dans mon opinion et voterai l’article premier du projet de la section centrale.
M. Ernst. - Si j’avais à choisir entre le système de la section centrale et celui du gouvernement, je n’hésiterais pas à adopter le dernier ; mais je préfère encore la proposition qui fait de la charge des enfants trouvés une obligation mixte, qui fait intervenir les communes et les provinces dans la dépense, avec un subside de l’Etat.
Dans cette matière plusieurs principes se présentent ; il est dangereux de sacrifier tout à un seul, la prudence législative commande de tenir compte de tous, et de donnera une juste part d’influence qu’il doit avoir dans la solution de la difficulté.
Il me semble que dans cette discussion on n’a pas eu assez égard à cette observation.
La première question est celle de savoir s’il faut augmenter le nombre des établissements d’enfants trouvés ; cette question serait résolue par celle-ci : les établissements d’enfants trouvés exercent-ils une heureuse influence sur la société ?
M. le ministre de la justice vous a donné les raisons principales pour prouver que les établissements d’enfant trouvés font un grand mal et n’occasionnent point le bien qu’on en attend.
Je pense que les considérations présentées par l’honorable préopinant sont loin de réfuter ces raisons. Je soutiens avec M. le ministre que les hospices d’enfants trouvés favorisent l’immoralité et augmentent beaucoup le nombre de ces enfants ; je soutiens que la facilité de se débarrasser des enfants peut porter à la débauche la jeune mère qui a succombé à la séduction.
En facilitant le dépôt de l’enfant dans les hospices, on veut sauver sa vie, prévenir le crime de la mère, et le plus souvent on fait le malheur de tous deux. La grande mortalité des enfants exposés est un fait certain ; d’un autre côte il n’est pas prouvé que le nombre des infanticides augmente par la suppression des établissements d’enfants trouvés.
Ensuite, les enfants élevés dans les hospices sont jetés dans la société, sans appui, sans direction, sans famille ; ils deviennent ordinairement un sujet de scandale. On les retrouve dans les lieux de prostitution, ou dans les prisons.
Ce ne sont pas là de simples suppositions, mais des faits constatés par l’expérience. Je tiens à la main un ouvrage dont l’auteur vient de faire hommage à la chambre ; cet ouvrage est peu volumineux, mais il est difficile de réunir dans un aussi petit cadre plus de faits intéressants, plus de raisonnements judicieux.
Il est difficile de mieux établir, que ne l’a fait M. Ducpétiaux, combien les établissements des enfants trouvés sont dangereux pour les enfants eux-mêmes, pour la morale publique et le bien-être de la société en général. Cette publication est venue très à propos pour éclairer la législature. Il y avait des enfants trouvés avant qu’il y eût des hospices pour les recevoir, a dit l’honorable préopinant : cela est incontestable ; mais si ces hospices en augmentent le nombre au lieu de le diminuer, il faut chercher le remède ailleurs.
Améliorer la condition de la classe pauvre, améliorer leur éducation morale et religieuse, propager l’instruction primaire, voilà des moyens puissants. D’un autre côté, il importe, ainsi que le dit M. Ducpétiaux, de ne pas laisser sans application la loi relative à l’exposition d’enfants ; il importe de changer la peine de l’infanticide, afin de rendre la répression de ce crime plus efficace.
S’il est démontré que les hospices d’enfants trouvés ont pour résultat de favoriser l’immoralité publique, il ne faut pas en augmenter le nombre, ni permettre d’ouvrir des tours. Il serait absurde d’imposer aux provinces qui n’en possèdent pas, l’obligation d’en établir à leurs frais, comme le gouvernement le propose.
Il y a plus ; la tendance de la législation doit être de supprimer successivement les établissements d’enfants trouvés qui existent.
On ne peut subitement bouleverser un système de législation : pour faciliter la transition, il importe de réduire autant que possible le nombre des enfants qu’on nourrirait dans les hospices. Il ne faut plus recevoir les enfants légitimes, il faut donner des secours aux parents pauvres, afin que les enfants soient entretenus dans les familles ; on prévient ainsi les inconvénients des hospices et on parvient au but qu’on veut atteindre.
D’un autre côté, il est quelquefois nécessaire de recevoir les enfants illégitimes, soit parce que les soins de leur mère leur manqueraient, soit parce que sa conduite ou sa position pourrait mettre leur vie en danger. On établirait la nécessité que les parents des enfants déposés se fissent connaître. (Oh ! Oh !)
Cette proposition paraît bizarre ; mais, messieurs, cette nécessité peut déterminer beaucoup de mères à ne pas déposer leurs enfants : la crainte qu’on a de l’infanticide est exagérée, comme je l’ai déjà dit.
En général, il est reconnu que les enfants trouvés ne sont pas déposés à l’époque où leurs jours sont le plus en danger ; cela résulte encore des documents statistiques que j’ai consultés.
La charge des enfants trouvés doit-elle peser sur les communes, les provinces ou l’Etat ? On a dit que depuis 1793 cette dépense a été supportée en France par le trésor public ; pour moi l’époque seule est déjà une forte raison de défiance, ce n’était pas le temps des bons principes, soit en morale, soit en législation. D’ailleurs, en France même, comme M. le commissaire du Roi l’a fait observer, les enfants trouvés sont entretenus par les départements.
Pour établir que la dépense n’est pas communale ou provinciale, on raisonne de cette manière : il n’est pas prouvé que l’enfant exposé dans une commune appartient à cette commune, et il n’est pas prouvé davantage qu’il appartient à la province ; c’est l’enfant du pays ; les frais de son entretien sont une dette de l’humanité, et cette dette, c’est l’Etat qui doit la payer. Ce raisonnement a quelque chose de spécieux, mais la conclusion est essentiellement fausse.
C’est une dette de l’humanité, oui ; mais les dettes de cette nature ne sont pas à charge de l’Etat ; la charité fait un devoir à tous les citoyens de les acquitter.
Je n’aime pas la charité qui s’exerce au nom de l’Etat. Je dis ensuite que la nature de l’obligation est mal considérée.
L’enfant exposé dans une commune, ne pouvant être nourri par sa famille, doit l’être par l’agrégation qui prend la place de la famille, par la commune : voilà le principe de l’obligation. Mais l’équité veut qu’on tienne compte du transport des enfants d’une commune à l’autre.
Est-il probable que l’enfant appartient à la commune où il a été recueilli, ou au moins à la province ? La réponse affirmative est évidente : le cas du transport d’enfants de province à province est l’exception et non pas la règle. Il est donc naturel que la commune et la province contribuent ensemble aux frais.
J’appuie l’amendement de l’honorable M. de Theux, qui partage la dette par moitié entre la commune et la province ; il serait difficile de prendre pour base une autre proportion. L’honorable membre propose un subside de 100,000 francs à charge de l’Etat ; un subside est en harmonie avec le système général de la législation, mais pourquoi 100,000 francs ? Cette somme me paraît fixée arbitrairement ; cependant je ne vois aucun point de départ pour en proposer une autre.
L’honorable député de Namur, auteur d’un amendement conçu dans le même sens que le projet de la section centrale, fait l’objection suivante :
La commune ne doit pas être responsable d’un fait qui lui est étranger : comment faire plutôt retomber sur elle les résultats du délit d’exposition d’enfant (car c’est un délit) que de tout autre ? C’est que l’enfant qui se trouve dans cette commune a besoin de pain, et que la commune nourrit ceux qui ont faim. Voilà pourquoi la commune doit être chargée de l’entretien de l’enfant ; il ne s’agit pas de responsabilité d’un dommage.
J’ajouterai que la commune donne la nourriture à un indigent alors qu’il y est domicilié, quoiqu’elle ne soit pas cause que cet homme est venu s’y établir, ou qu’il est tombé dans la misère. Le vagabond n’est pas à charge de la commune où il est arrêté, c’est vrai ; il est comme l’animal dans sa liberté naturelle, s’il est permis de faire cette comparaison ; il ne tient pas au sol ; il n’appartient à personne. Il en est autrement de l’enfant trouvé : la loi, d’accord avec la nature, doit le placer sous la garde de l’autorité qui se trouve le plus près pour le défendre. L’honorable M. Fallon a opposé au système que je défends que les présomptions que lui servent de base ne sont pas graves, précises et concordantes... Je répondrai que les règles qui servent à juger les droits et obligations entre les particuliers ne lient point le législateur ; il se détermine dans les cas difficiles pour ce qui est le plus probable ; l’amendement de M. de Theux satisfait à cette condition.
Quoi qu’on en dise, je suis convaincu que la moitié des enfants trouvés au moins appartient aux grandes villes où se trouvent les hospices ; je conviens que ce n’est pas la débauche qui produit le grand nombre des enfants trouvés ; c’est le concubinage qui en est la principale source ; or, le concubinage qui est si rare dans les campagnes est très commun dans les grandes villes. Les servantes y contribuent surtout à peupler les établissements d’enfants trouvés. Il est donc juste que ces villes paient la moitié de la dépense.
D’autres considérations viennent à l’appui de ce système : j’attache beaucoup de prix à ce que les enfants trouvés soient confiés à l’administration morale et tutélaire des municipalités ; il est certain aussi qu’il y aura économie dans la gestion ; en outre, si les communes supportent une grande partie de la dépense, elles seront intéressées à surveiller les expositions d’enfants, à ne pas se charger des enfants légitimes.
En votant pour l’amendement de l’honorable M. de Theux, je proposerai aussi de supprimer l’article du projet ministériel qui ordonne d’ouvrir un hospice d’enfants trouvés dans chaque province et d’y placer un tour.
Avant la suppression des hospices d’enfants trouvés actuellement existants, quelques localités pourront en souffrir ; la ville de Namur est dans une position particulière qui mérite d’être prise en considération. Les renseignements statistiques qui nous seront données par les honorables députés de cette province éclaireront la chambre. Je ferai remarquer que si l’équité l’exige, on doit augmenter le subside de l’Etat et faire à Namur une part plus forte dans ce subside ; de cette manière nous arriverons sans une transition trop brusque à une législation réclamée par la morale publique et l’utilité générale.
M. Legrelle. - Sur la question qui nous occupe, trois systèmes sont en présence : le système à la charge de la commune, le système à la charge de la province, et le système à la charge générale de l’Etat. Je vous avoue qu’après avoir examiné ces trois systèmes, je donnerai la préférence à celui qui oblige la commune à fournir les subsides, s’il était praticable ; mais de son admission, il résulterait à mes yeux une injustice si manifeste, si exorbitante, que je ne saurais lui donner mon assentiment. L’injustice est palpable, quand on considère que ce sont les villes où il y a des tours, des hospices, qui supporteraient la dépense, tandis que les autres villes n’auraient aucune dépense à supporter, en envoyant les enfants dans les cités où un tour est établi.
Je donnerai encore moins mon assentiment au système de la section centrale. Voulez-vous multiplier le nombre des enfants trouvés ? adoptez ce système ; il en résultera infailliblement que dans plusieurs endroits on favorisera l’abandon des enfants afin d’éviter la dépense des secours à domicile. Aujourd’hui vous avez l’exemple de plusieurs communes, qui se renvoient l’une à l’autre les pauvres qu’elles ont à secourir.
Un autre inconvénient grave du système de la section centrale, c’est l’augmentation de la dépense. Dans le Moniteur, je vois un tableau d’après lequel chaque enfant coûte, dans certaines provinces, 48 francs par année. Si le gouvernement est chargé de la dépense des enfants trouvés, il ne la pourra pas faire à aussi bas prix. En France, où le gouvernement pourvoit aux frais, le taux moyen de la dépense annuelle de chaque enfant est de 75 francs. Dans six de nos provinces, le taux est inférieur à ce chiffre ; mais si le gouvernement belge est obligé de fournir les subsides, le taux annuel pour chaque enfant sera supérieur au taux annuel en France.
Dans la supposition que le gouvernement soit chargé de faire la dépense, il faudra, à l’administration et à la bureaucratie qu’il emploiera pour ce service particulier, une ample part dans les sommes consacrées aux subsides des enfants trouvés.
Ce n’est pas tout. De ce que le gouvernement sera chargé de la dépense, il en résultera des conflits perpétuels entre l’administration centrale et l’administration des hospices ; de ces conflits naîtront des écritures, et encore des écritures, et tous les embarras de la bureaucratie ; il faudra une correspondance du gouvernement avec le gouverneur de la province, une correspondance du gouverneur avec la régence, et une correspondance de la régence avec l’administration de l’hospice. Que de lenteurs ! que de temps perdu que de dégoûts pour des hommes empressés de secourir des créatures qui souffrent, pour des hommes qui se consacrent au culte de l’humanité !
Dans le moment où vous devez organiser la commune et la rendre indépendante, voulez-vous la mettre en tutelle ?
Le système proposé par M. Fallon consisterait à faire supporter la dépense par les provinces, et à créer un fonds commun administré par l’Etat ; ce système présente plusieurs des inconvénients que j’ai signalés, sans dégrever les provinces, puisqu’elles paieraient et que l’administration centrale réglerait tout. Des conflits naîtraient de ce système. Il est aujourd’hui des états provinciaux qui paient des subsides aux communes et qui sont loin de s’entendre avec elles sur des questions fort importantes ; par exemple, il est telle province qui prétend que les enfants au-dessus de 16 ans doivent être abandonnés à eux-mêmes ; les communes et les administrations des hospices soutiennent, au contraire, que l’on ne peut pas abandonner les enfants à cet âge : le sentiment moral qui les a portées à secourir les enfants nouveau-nés leur fait entendre qu’à 16 ans les enfants ont besoin de guides ; que les filles ont surtout lors besoin d’être sous la tutelle des administrations locales.
Ces motifs me déterminent à rejeter le projet de la section centrale, à voter contre l’amendement de M. Fallon.
Je voterai l’adoption de la proposition de M. Doignon, Et dans le cas où cette proposition ne serait pas admise, j’appuierais celle de M. de Theux ou de M. Polfvliet.
M. de Theux. - En adoptant le projet du gouvernement, le pouvoir législatif entrerait dans une voie rétrograde ; il ferait perdre, par sa décision, tous les avantages introduits successivement en Belgique depuis plusieurs années dans l’administration des enfants trouvés.
Hier, un honorable membre, M. Polfvliet, nous a appris que la ville de Malines vient de supprimer le tour de son hospice des enfants trouvés, et que, depuis cette suppression, la diminution dans le nombre des enfants exposés à la charité publique est dans la proportion de 1 à 10, c’est-à-dire, qu’au lieu de recevoir 100 enfants, on n’en reçoit plus que 10. Ce fait suffit pour repousser le système proposé par le ministre de la justice. Tout en apercevant lui-même les inconvénients d’établir de nouveaux hospices pour les enfants trouvés et d’établit de nouveaux tours, il a cependant dit que la justice exigeait que toutes les provinces fussent mises sur la même ligne.
Au lieu d’adopter cette marche, il faudrait que l’administration fît des efforts pour détruire les tours existants. Dans mon opinion, le nombre en est trop considérable. Il n’est même pas possible de conserver des établissements dans le Hainaut, dans le Brabant, dans la province d’Anvers, alors que d’autres provinces n’en ont qu’un seul, et que d’autres n’en ont pas du tout.
L’honorable M. Ernst, dans les développements qu’il vient de donner, a tellement bien appuyé le système que je propose, que je ne puis rien ajouter : seulement, j’éclaircirai le doute qu’il a élevé sur le chiffre de 100 mille francs que j’ai posé.
En établissant le subside du gouvernement dans la proportion du sixième de la dépense totale, j’ai cru que cette proportion était suffisante. Pendant plusieurs années, l’Etat n’a rien donné, et ce sixième serait un allègement pour les provinces qui ont peu de ressources.
J’ai cru qu’il fallait fixer un chiffre pour éviter les discussions qui se présentent annuellement dans les délibérations sur la loi de finances. Ce sera aussi un motif pour les communes de prendre des moyens pour diminuer le nombre des enfants trouvés.
Je dois faire observer à M. Doignon qu’en faisant supporter la moitié de la dépense aux provinces, je n’ôte pas aux villes, aux communes, l’éducation des enfants trouvés ; bien qu’en principe la dépense des enfants trouvés soit une dépense communale, je crois que l’équité nous autorise à venir à leur secours.
Quant à l’article 4 du projet ministériel, j’en ai proposé la suppression ; car, dans mon opinion, il n’y a pas lieu à établir de nouveaux hospices ; tout au contraire, je désirerais que l’administration prît des mesures pour arriver graduellement à la suppression de ces établissements.
M. Brabant. - L’existence des enfants trouvés et abandonnés est un grand mal ; il s’agit d’empêcher la propagation de ce mal, et de le restreindre dans les limites les plus étroites ; il s’agit en même temps de pourvoir à la subsistance de ces malheureux délaissés par leurs parents ; on a cru, en présentant un système de secours, parer à ce mal ; on n’y peut parvenir aucunement de cette manière.
L’on croit que l’existence d’établissements propres à recevoir les enfants délaissés peut le perpétuer, peut même le propager ; de quelque part que viennent les secours, le mal continuera : peu importe à la fille mère qui abandonne son enfant, qu’il soit nourri sur les fonds de la commune, sur les fonds de la province, sur les fonds de l’Etat ; le seul sentiment qui la domine, c’est que son enfant puisse trouver secours. Ainsi, lorsqu’on veut porter remède au mal, ce n’est pas de mettre le secours à la charge de la commune ou de la province, c’est de supprimer le secours : mais personne, messieurs, n’a été assez inhumain pour vouloir frapper un secours accordé à ces malheureux enfants, et la seule question que nous ayons à résoudre, c’est celle de savoir par qui ils seront secourus.
Trois systèmes se trouvent en présence, un seul me paraît raisonnable ; c’est le secours accordé par l’Etat.
Là où il existe des fondations, que les fondations pourvoient au secours.
Quand les parents de l’enfant seront connus, qu’il soit à la charge de ses parents ou de celui de ses parents qui serait connu, et qu’il soit à la charge de la commune où demeurent ses parents quand leur domicile est connu : tout le monde est d’accord sur ce point ; nous n’avons de discussion que sur l’enfant dont les père et mère sont inconnus.
A défaut de cette connaissance on a recours aux présomptions pour établir le domicile de secours. Qu’est-ce que c’est qu’une présomption ? La loi en donne la définition : c’est une conséquence que la loi tire d’un fait connu à un fait inconnu. Quel est le fait connu ? c’est qu’il y a un très grand nombre d’enfants dont les parents sont complètement inconnus.
Quelle conséquence tirer de là ? Si sur le grand nombre d’enfants qui sont dans un hospice il y en avait un tiers, la moitié, ou les trois quarts dont les parents soient domiciliés dans la commune où est l’hospice, faudrait-il accorder que le domicile des autres enfants appartient au domicile de secours ? On vous disait tout à l’heure qu’un fait bien plus grave, celui de la filiation, ne s’établissait que par la présomption ; mais ici la présomption est établie parce que la fait est connu, et il serait immoral de l’interpréter autrement, car la présomption est que l’enfant appartient au père que le ménage dénonce : en est-il de même dans la circonstance, qui nous occupe ?
Un de nos honorables collègues a demandé des détails statistiques sur la ville et la province auxquelles j’appartiens : sur la province je n’en ai pas, car tous les enfants trouvés ont un secours au domicile de la ville de Namur.
J’ai fait relever sur le registre tenu en vertu l’article 58 du code civil le nombre d’expositions dénoncées dans la commune de Namur.
De 1820 à 1833, pendant 14 ans, 1,962 enfants ont été inscrits.
Pendant le même nombre d’années il y a eu 9,455 inscriptions d’enfants légitimes ; d’enfants naturels dont la mère seule était connue, 667 ; et d’enfants naturels reconnus par père et mères, 53. La proportion des enfants naturels au nombre total des naissances a été de un à quatorze.
Le nombre des enfants déposés dans la commune de Namur et qui ont été à sa charge depuis 1823 jusqu’au moment de la révolution, était de 1,966, un cinquième du nombre total des naissances. Croyez-vous sur ces faits pouvoir établir une présomption ?
Maintenant, sur ces 1,966 expositions, combien s’en trouve-t-il dont on ait pu connaître les auteurs ?
17 expositions sont parvenues à la connaissance du ministère public pendant ces quatorze années.
Il s’est trouvé 23 présences ; 8 ordonnances de non-lieu ont été rendues ; on a prononcé 15 condamnations, un renvoi au criminel et un acquittement.
Calculez de 17 à 1,966, et voyez si vous aurez établi une présomption comme la loi veut que vous l’établissiez ?
Ne pouvant se fonder en justice pour attribuer le domicile de secours à ces malheureux enfants, on a dit : Dans l’intérêt de leur bonne éducation, et afin que la dépense se fasse à meilleur compte, nous les mettrons à la charge de la commune ou à la charge de la province, parce que la surveillance étant plus immédiate, on portera remède au mal. Mais vous venez de voir quel remède on peut porter au mal quand, dans une ville où la police se fait admirablement, on a constaté 17 délits sur 1,966 expositions.
Dans l’intérêt de l’éducation.... Eh bien ! l’éducation sera la même, lorsque l’Etat paiera, qu’elle est maintenant ou qu’elle a été quand les communes et les provinces payaient.
La première loi publiée en Belgique sur la matière est celle du 27 frimaire an V : elle décrète que les enfants nouveau-nés seront reçus dans les hospices de la république, que le trésor national pourvoira aux dépenses des hospices qui n’ont pas de fonds ; que les enfants abandonnés seront, jusqu’à leur majorité ou leur émancipation, sous la tutelle de l’administration,... D’ailleurs, dès l’introduction, le régime français a été le même qu’il est aujourd’hui. Par conséquent, vous voyez que l’éducation a dû être la même sous tous les régimes, à la différence de la composition des administrations.
Sous le rapport de l’économie… Eh bien ! nous avons fait l’épreuve des secours donnés par l’Etat, donnés par la province, donnés par la commune ; et les choses se sont toujours passées de la même manière.
On croit en général que ces enfants sont reçus dans un hospice, et qu’ils y restent constamment. Les choses ne vont pas ainsi. Il n’y a presque aucun de ces enfants qui demeure dans l’hospice. Aussitôt qu’ils y sont apportés, l’administration tâche de trouver des nourrices à la campagne, d’honnêtes gens, et les enfants y restent jusqu’à l’époque où l’on cesse de leur donner des secours, c’est-à-dire jusqu’à leur douzième année, selon le décret de 1811.
L’administration… Je sais que l’indemnité accordée aux nourrices varie selon les âges ; il y a trois âges, et la commune qui a été chargée de payer la dépense, n’a jamais un mot à dire sur la fixation.
J’en reviens aux conséquences morales que l’on a voulu tirer de l’impôt ou de la charge qui pèserait sur la commune. On a cru diminuer le mal en en faisant supporter les charges par la commune ; eh bien, examinez comment les choses se sont passées en Angleterre ! On croit, en faisant une charge communale des secours à accorder aux malheureux, nous préserver du paupérisme, et en Angleterre c’est justement en faisant de ces secours une charge communale que le paupérisme s’est établi.
Car en Angleterre la taxe des pauvres n’a jamais été payée par la généralité, elle a été payée par les paroisses ou les communes qui étaient obligées d’en faire les fonds. Ainsi, que l’on ne prétende plus que le seul remède au paupérisme, que le seul remède à la multiplicité des enfants, se trouve dans une véritable extorsion. On ne peut la qualifier autrement ; il n’est pas possible d’établir que la commune soit tenue plus particulièrement que la province, que l’Etat, à fournir les secours, il y a injustice à lui demander ce qu’elle ne doit pas.
Un honorable membre a trouvé une présomption que la charge doit peser sur la commune ; il a dit qu’il était plus probable que l’enfant trouvé appartenait à la ville où on l’a déposé, ou au moins à la province, qu’à toute autre localité. Pour la commune à laquelle j’appartiens, je vais vous faire voir avec des chiffres combien il est peu probable que tous les enfants qu’elle nourrit lui appartiennent. Quant à la province, vous voudrez bien tenir compte de sa position particulière.
La ville de Namur ne se trouve pas placée au centre d’une seule province, mais au centre de 5 provinces ; et elle reçoit beaucoup d’enfants trouvés du département des Ardennes. La province de Liège est venue pendant longtemps jusqu’à une lieue de Namur. Ses limites en sont maintenant à deux lieues, deux lieues et demie. Les provinces du Brabant en sont aussi très rapprochées, elles en sont à quatre lieues. Et pour certaines parties de ces provinces les communications sont plus faciles avec Namur qu’avec les voies des mêmes provinces où il y a des tours.
Pour le Luxembourg, une partie de cette province faisait partie du département de Sambre et Meuse et a conservé des relations avec Namur ; surtout en ce qui concerne les enfants trouvés, les relations ont été soigneusement conservées. Les arrondissements de Marche et de St-Hubert ont été séparés de la province de Namur et réunis à celle de Luxembourg ; mais ils apportent plutôt leurs enfants à Namur qu’à Luxembourg. Vous voyez donc, messieurs, que ce serait une injustice criante de vouloir que la province ou la commune de Namur subisse un tel fardeau. Je dois d’ailleurs le déclarer, il nous serait impossible d’y satisfaire.
M. Jullien. - Messieurs, j’appuierai le principe posé par l’article premier du projet du gouvernement, parce que, de tous les systèmes proposés, c’est celui qui est à mon avis le plus près de la vérité et de la justice distributive.
Tout le monde convient que, d’après la loi naturelle et la loi civile, les parents sont obligés de nourrir et d’entretenir leurs enfants. Lors donc qu’il s’agit d’enfants abandonnés, si leurs parents sont connus, il n’y a pas de difficulté. Il faut simplement les forcer à remplir leurs obligations. Si par indigence ils sont hors d’état de les nourrir, ces enfants tombent dans le droit commun, ils sont à la charge des bureaux de bienfaisance. Ces principes sont clairs, ils ont pour fondement la législation sur la matière.
Mais lorsque les parents sont inconnues, c’est là où la difficulté commence ; et elle a donné lieu non pas à deux, non pas à trois systèmes, comme on vient de le dire, mais à cinq systèmes présentés pas différents orateurs.
Si les parents sont inconnus, dit l’un, les enfants seront à la charge de la commune du lieu de l’exposition. Voila le premier système.
Le deuxième système qui est, je crois, celui de l’honorable M. de Theux, est que les enfants trouvés soient à la charge cumulativement de la commune et de la province.
Le troisième est celui de la section centrale, qui met les enfants trouvés à la charge de l’Etat.
Le quatrième est celui du gouvernement, qui veut que les enfants trouvés soient à la charge des provinces, qui contribuèrent à la dépense en proportion de leurs besoins.
Le cinquième enfin est celui de l’honorable M. Polfvliet, qui veut que ce soient l’Etat, la province et la commune qui supportent la dépense.
Voilà les cinq systèmes sur lesquels vous avez à choisir et que je vais examiner brièvement l’un après l’autre.
C’est une grande question d’économie sociale que celles des enfants trouvés. Depuis saint Vincent de Paule, on s’en est plus particulièrement occupé et on s’en occupera encore après vous. On a prétendu que l’augmentation des hospices augmentait le nombre des enfants trouvés, qu’il fallait supprimer les tours ; mais pendant qu’on discutait toutes ces théories, les philanthropes ont continué d’imiter ce bienfaiteur de l’humanité, et d’ouvrir des asiles à ces infortunés, afin de ne pas les laisser mourir dans les rues, et pour ôter aux filles mères un motif de détruire leurs enfants. C’est ce que vous allez faire encore, ou du moins c’est ce qu’on vous propose.
Je reviens au premier système que je ne puis admettre. Pour mettre l’enfant trouvé à la charge de la commune où il a été exposé, on se fonde sur la présomption qu’il y est né. Mais il est de la nature de toute présomption de s’évanouir devant la réalité ; or, il n’est pas un de vous qui ne soit convaincu que tout enfant exposé dans une commune ne vienne réellement d’une autre. La raison en est simple : la fille mère qui se débarrasse de son enfant y est déterminée ou par une extrême misère, ou par la crainte de la honte, si elle est découverte. Mettez tout cela ensemble, et dites si elle ne doit pas envoyer son enfant ailleurs pour échapper aux recherches de la justice ou au déshonneur. On ne peut donc admettre qu’un enfant qui vient d’ailleurs soit à la charge de la commune de l’exposition, car c’est consacrer une injustice, c’est punir une commune d’un délit auquel, suivant toutes les probabilités, elle est étrangère.
Un autre inconvénient qu’il y a à faire de ces présomptions une charge des communes, le voici : les orateurs eux-mêmes qui soutiennent ce système, conviennent qu’il serait injuste dans la pratique, entendu d’une manière absolue. Aussi, l’honorable M. Doignon propose-t-il aux communes une indemnité ; et si vous obligez l’Etat à accorder une indemnité, il y aura au sujet de la fixation de sa quotité autant de contestations administratives que d’enfants trouvés. Il y a plus, les grandes villes où il existe des tours servent de lieu d’exposition pour les enfants de toutes les communes voisines.
Un autre inconvénient extrêmement grave, c’est que chaque commune se croirait autorisée à faire vis-à-vis d’une autre commune ce qu’on aurait fait vis-à-vis d’elle-même. L’enfant exposé sur son territoire serait transporté ailleurs. Et qui en souffrirait ? Ce seraient ces misérables petites créatures qui périraient victimes des calculs de tous ces intérêts de localité.
Le second système, celui de M. de Theux, met la dépense moitié à la charge de la commune, moitié à la charge de la province. Je lui objecterai le raisonnement de mon honorable ami M. Fallon : et si on a démontré qu’il est injuste de mettre la dépense à la charge de la commune, je ne m’explique pas comment on pourra justifier cette demi-contribution. S’il est injuste que l’enfant qui n’est pas né dans une commune soit à sa charge, que signifie cette espèce de composition avec un principe ? Ce serait le plus mauvais de tous les juste-milieu. (On rit.) Je préférerais le système de M. Doignon qui se dessine franchement et nettement ; mais ce système de transaction n’est pas conforme aux bons principes.
Vient le troisième système, celui qui met les enfants trouvés à la charge de l’Etat. Celui-là, je l’avoue, au premier abord m’avait séduit. Entre les raisons données contre ce système et qui m’ont déterminé à le rejeter aussi, je ferai connaître celles qui ont produit le plus d’impression sur mon esprit.
Déclarer que c’est à l’Etat qu’il appartient de nourrir les enfants trouvés, c’est faire un appel à l’immoralité, c’est provoquer les manœuvres frauduleuses des mauvais parents pour se débarrasser de leurs enfants et les mettre au compte de l’Etat.
Ce deviendra une charge de l’Etat comme tous les services publics, et une fois le peuple accoutumé à s’exempter des charges et des devoirs imposés par la nature, il n’y aura plus de prudence ni de précautions pour l’avenir dans la formation des alliances ; on en sera quitte pour chercher les moyens d’endosser la charge des enfants à l’Etat, et de cette manière nous arriverons à ce paupérisme qui dévore l’Angleterre, et à cette taxe des pauvres qui est devenue dans ce royaume une charge effrayante.
Encore un grand inconvénient, c’est que dans ces sortes de ménages publics, défrayés par l’Etat, ce sera un pêle-mêle des enfants de tout le royaume ; et vous savez combien il est difficile de maintenir l’ordre et l’économie dans ces grands établissements, et ce désordre tournera au préjudice de ces infortunés.
En adoptant ce système, vous détruisez les moyens les plus efficaces de ramener le peuple à de meilleures mœurs ; car vous détruisez la surveillance locale sur les désordres que les administrations n’ont plus un intérêt direct à réprimer.
La morale est d’autant plus intéressée à rejeter ce système, qu’au lieu de tendre à diminuer le vice, il ne fait qu’en augmenter le cercle. En effet, si vous laissez les charges aux provinces, il y aura entre elles et les communes émulation d’efforts pour ramener leurs populations à des mœurs plus conformes à la nature, et si une province parvient par le zèle de ses administrateurs à obtenir ces résultats, il y aurait injustice révoltante à la faire contribuer dans la même proportion que telle autre province qui par l’incurie de son administration aura augmenté le désordre et la dépense. C’est cependant ce que vous propose la section centrale, et c’est pourquoi je rejette sa proposition de mettre les enfants trouvés à la charge de l’Etat.
Le quatrième système est celui proposé par le gouvernement, et les raisons qui m’ont fait rejeter les autres me conduisent à adopter celui-là. Je ne dis pas qu’il ne présente aucun inconvénient, car rien de parfait ne sort de la main des hommes, mais il est, comme je l’ai dit, le plus près de la vérité et de la justice.
J’ai rejeté la présomption pour la commune que le lieu de l’exposition fût celui de la naissance de l’enfant ; mais ici je l’admets, parce qu’en effet cette présomption est grave, que l’enfant trouvé sur une commune est né dans la province dont elle dépend ; on ne me fera pas croire qu’une fille mère qui a intérêt à cacher sa faute éloigne son enfant à 8 ou 10 lieues d’elle ; son but est d’éviter les poursuites du ministère public, la honte pour sa famille et pour elle-même ; une fois que l’enfant est dépaysé, ce but est rempli. Il y a donc présomption que l’enfant trouvé dans une province y a reçu le jour.
On a parlé de présomptions graves, concordantes, qu’on devrait admettre que dans les cas ou la loi admet les preuves testimoniales ; mais messieurs, il ne s’agit pas ici d’une contestation judiciaire, ni de présomptions légales ; celles qui doivent vous décider sont entièrement abandonnées à vos lumières et à votre prudence, et elles sont plus que suffisantes pour décider la question.
Il y a, dit-on, des différences entre une province et une autre ; une province frontière est exposée à recevoir les enfants abandonnés du pays voisin. Mais je ne comprends pas une province frontière pour un pays sans que ce pays soit lui-même frontière pour cette province. S’il vient dans une province des enfants d’un Etat voisin, cette province lui portera de même les siens. Ainsi il s’établira une compensation, et personne ne sera lésé.
On a parlé de l’inconvénient de l’établissement des tours ; les observations sur cette question seront mieux placées lorsque nous discuterons l’article 4 ; je ne prolongerai donc pas la discussion en m’en occupant. Je me bornerai à rencontrer quelques observations faites par mes honorables amis MM. Angillis et Ernst. Le premier a dit qu’à Londres les expositions d’enfants trouvés n’étaient pas aussi nombreuses qu’à Paris, à St-Pétersbourg, et enfin dans notre pays. La raison de cette différence est qu’à Londres, à cause de la taxe des pauvres, il y a une pension par enfant ; que cette pension va trouver l’enfant à domicile : plus les parents ont d’enfants, plus ils sont secourus ; ils ont donc plus d’avantage à garder leurs enfants chez eux qu’à les abandonner.
M. Ernst a dit qu’on ne peut pas imposer à une province l’obligation d’ouvrir des hospices s’il n’y a pas nécessité. Je répondrai que le premier devoir d’un bon gouvernement est de veiller à une répartition égale des charges entre tous. Dans les provinces qui ont deux tours, les enfants trouvés y abondent ; dans les provinces qui n’ont pas de tour, il y a peu d’enfants trouvés. Le gouvernement doit donc empêché que des provinces soient surchargées, parce que d’autres provinces leur envoient leurs enfants ; il doit rétablir l’équilibre des charges.
Mon honorable ami M. Ernst a dit qu’il pensait que dans les grandes villes la moitié au moins des enfants trouvés appartenait à la ville où ils étaient exposés. Si nous rapprochons cette opinion des renseignements que nous a donnés M. Rouppe, bourgmestre de la ville où nous siégeons, nous voyons qu’il a déclaré que les 5/6 des enfants exposés à l’hospice de Bruxelles étaient étrangers à la ville. De quel côté voulez-vous que soit la vérité ? Sera-ce la moitié, sera-ce les 5/6 qui seront dus à des étrangers. ? Quoi que vous décidiez, il sera toujours constant que dans une ville capitale, cette charge ne provient pas des habitants seuls, mais que les étrangers y sont pour beaucoup. Il faut donc trouver le moyen de rétablir l’équilibre.
M. Ernst. - La ville de Bruxelles profite seule des étrangers qui y viennent.
M. Jullien. - Cette considération que la ville seule profite des étrangers peut être vraie, mais elle doit être appréciée à sa juste valeur, car cela n’empêche pas que les grandes villes, et surtout celles qui ont un tour ou un hospice d’enfants trouvés, ne reçoivent les enfants des communes voisines, qui ainsi sont déchargées au préjudice de la ville ; et ceci nous ramène à la nécessité de faire supporter la charge par la province. Je voterai pour l’article premier du projet du gouvernement. Plus tard, c’est-à-dire lors de la discussion de l’article 4, je m’expliquerai sur l’établissement des tours dans chaque province ou sur l’avantage de les supprimer partout.
M. Quirini. - Je ferai remarquer que, dans cette séance, on a rattaché la question de l’entretien des enfants à celle de l’établissement des tours ou des hospices ; on a voulu sans doute insinuer par là que l’établissement des hospices devait influer sur la décision de la question qui nous est soumise en ce moment. Je pense que les deux questions sont distinctes, essentiellement séparées.
S’il est vrai que l’établissement des tours ou hospices peut augmenter le nombre des expositions, je crois que le gouvernement pourra plus aisément que tout autre diminuer le nombre des tours, alors qu’on pourrait le faire sans commettre d’injustices à l’égard des communes où de pareils établissements sont fondés.
L’honorable M. Ernst n’a pas bien apprécié les motifs qui ont déterminé la section centrale. Le système de la section centrale est fondé surtout sur cette présomption grave que l’enfant n’a pas vu le jour dans la commune où il a été déposé, mais qu’il a été transporté d’une autre commune.
Je dois rappeler ce que dans la séance d’hier on a dit sur la surveillance que les communes et les autorités municipales doivent exercer à l’égard des expositions. Je demande encore sur quoi serait constituée cette surveillance, et quels résultats elle peut procurer. Cette surveillance serait tout à fait nulle ; car du moment qu’un administrateur d’un hospice peut connaître la mère d’un enfant déposé, la mère n’hésite jamais à dénier la maternité. Il est donc impossible que les administrations des hospices établissent la maternité, et il faut reconnaître que la question de la surveillance ne peut agir dans la discussion qui nous occupe.
Du moment que la surveillance qu’on veut attribuer aux autorités municipales disparaît, peu importe que la dépense soit à la charge de la commune, de la province ou de l’Etat. Toujours est-il que la mère qui voudra délaisser son enfant ne viendra pas s’enquérir à la charge de qui cet enfant retombera, et qu’elle continuera à transporter ses enfants dans une autre commune que celle qu’elle habite. La présomption sera toujours que l’enfant n’appartient point à la commune ; et, à cette occasion, M. Brabant a prouvé que les enfants transportés à Namur viennent non seulement de cette ville, mais du Hainaut, de Liége et du Luxembourg ; dès lors il est prouvé qu’on ne peut établir l’obligation de faire de l’entretien de l’enfant une charge à la province, sur la présomption qu’il a vu le jour dans cette province.
M. Ernst pense qu’il y aurait danger à établir de nouveau des tours ou des hospices ; il a dit que ce serait autoriser les mères à abandonner leurs enfants, et qu’il faut mettre les enfants à la charge et des communes et des provinces. Quelle est la conséquence que M. Ernst a tirée de cette proposition ? C’est que l’on doit diminuer le nombre des hospices et des tours. Je dis que cette proposition a une conséquence tout autre. S’il est vrai que l’existence des hospices d’enfants trouvés soit un appel fait aux mères, une cause de l’exposition trop nombreuse des enfants, il faut, non diminuer le nombre des hospices, mais il faut les supprimer tous. Il serait, en effet, injuste de supprimer le mal dans une province et de le maintenir dans une autre.
On a fait cette observation, que le nombre des enfants trouvés est moins considérable dans les villes où il n’existe point de tours que dans les villes où il en a été établi ; de là, la conséquence que la suppression des tours est un moyen de diminuer l’intensité du mal. Je ferai cette autre observation, que si vous supprimez le tour dans telle ou telle commune, vous faites disparaître le mal dans cette commune, mais vous le faites reparaître beaucoup plus fort dans la commune voisine. Il en est de même à l’égard des provinces où les tours seront supprimés ; les expositions deviendront moins fréquentes, mais dans les provinces limitrophes vous verrez que le nombre des enfants exposés sera augmenté.
Je regrette de n’avoir pas lu la brochure de M. Ducpétiaux ; je rends hommage aux lumières de cet habile administrateur, mais je dois ajouter que M. Ducpétiaux a partagé l’opinion de la section centrale dans une autre brochure sur les dépôts de mendicité.
On dit qu’il faut supprimer les hospices : c’est ce qui déjà a été fait. Après le funeste arrêté porté en 1823, presque toutes les communes avaient supprimé leurs tours et leurs hospices ; mais on n’a pas tardé à voir les malheureuses conséquences de cette suppression, et force a été au gouvernement de rétablir les hospices et les tours. Dans un rapport fait dans cette même année 1823, le ministre de l’intérieur a demandé que les tours fussent rétablis, par le motif que bien que ces établissements eussent été fermés seulement pendant quelque temps, les inconvénients qui en résultaient étaient tellement graves qu’on ne pouvait trop se presser de les rouvrir.
(Erratum Moniteur belge n°123, du 3 mai 1834 :) Messieurs, la question qui vous est soumise doit être décidée, non d’après l’application d’un principe rigoureux de droit civil, mais d’après des considérations d’équité, de justice et de morale publique.
Le système de la section centrale a été combattu par des raisons extrêmement puissantes ; la plus forte, celle qui a fait le plus d’impression sur mon esprit, est, comme l’a dit un orateur, que ce système a pour conséquence de constituer en quelque sorte un appel à l’immoralité, et d’accorder un encouragement à l’exposition des enfants nouveau-nés. Si cette conséquence était juste, elle devrait suffire pour faire rejeter le système de la section centrale.
La proposition de M. Fallon ne fait que reproduire sous d’autres formes celle de la section centrale ; l’idée de M. Fallon n’est pas heureuse, et son système est uniquement celui qui a été établi en 1816. A cette époque on avait ordonné qu’il serait constitué un fonds commun pour l’entretien des enfants trouvés. Et vous vous rappelez, messieurs, combien de réclamations a fait naître ce système ; vous vous rappelez que dans plusieurs provinces, les états se sont fortement élevés contre ce qu’ils appelaient une révoltante injustice à leur égard.
L’honorable M. Angillis vous a donné sur la Flandre occidentale des renseignements et des chiffres officiels ; en 1816, sous le système dont je viens de parler, la Flandre occidentale avait payé pour l’entretien des enfants trouvés 72,500 florins, tandis que cet entretien ne coûtait que 13,039 florins. De telle sorte que cette province avait payé au-delà de ce qu’elle devait payer plus de 59,000 florins ; cette dernière somme avait été détournée au profit d’autres provinces.
Il existe dans la Flandre occidentale trois hospices d’enfants trouvés qui sont établis à Bruges et dans deux autres chefs-lieux d’arrondissement. Ces hospices se trouvent répartis de manière à ce qu’il faut faire moins de chemin pour y déposer un enfant, que pour le porter à l’hospice d’une province limitrophe. Il est à présumer que les enfants nés dans la province étaient laissés à l’un ou à l’autre des hospices qui y existaient. La Flandre occidentale payait donc, en conséquence, cinq fois au-delà de ce que devait lui coûter l’entretien des enfants qui lui appartenaient.
Un autre inconvénient du système de M. Fallon, c’est que si le contingent de la Flandre occidentale est fourni au moyen de centimes additionnels ou de tout autre moyen de contribution, le fonds commun doit être réparti dans toutes les provinces en raison de la contribution foncière indirecte et mobilière. Or, il existe de grandes inégalités dans la répartition de l’impôt foncier ; vous savez que Namur ne paie que huit 3/4, tandis que les deux Flandres paient 13. Il en résulte que nous paierons une forte somme an profit de Namur.
Voilà des considérations qui, je pense, doivent faire rejeter la proposition de M. Fallon.
Mais, messieurs, à la charge de qui convient-il de mettre l’entretien de l’enfant ? Est-ce à la charge de la commune exclusivement, est-ce à la charge exclusive de la province, ou bien en partie à la charge de la commune et en partie à la charge de la province ? Il y aurait, dit-on, injustice, à l’égard de la commune attendu qu’il n’est pas certain que l’enfant lui appartienne ; mais si on raisonne ainsi, il y aurait aussi injustice, bien qu’elle fût moindre peut-être, à mettre l’enfant à la charge de la province, car, jamais vous n’aurez la certitude qu’il n’appartient point aux provinces et surtout aux communes limitrophes. Vous ne serez donc jamais à l’abri du reproche ; aussi je crois que ce n’est pas par l’obligation de l’entretien des enfants qu’il faut décider la question.
Pour moi, ce n’est pas la crainte de commettre une injustice envers les communes qui m’empêcherait de mettre l’entretien des enfants à leur charge ; mais je crains, s’il en est ainsi, comme l’a fait remarquer M. Jullien, que les communes, pour se soustraire à l’obligation, n’emploient dans certaines circonstances des moyens détournés et même frauduleux, et que ces moyens ne soient au détriment des enfants exposés.
Cette considération me semble suffisante pour ne pas mettre les enfants à la charge des communes.
Un meilleur moyen à adopter serait un système mixte tel que celui proposé par M. de Theux : ce serait de mettre l’enfant partie à la charge de la commune, partie à la charge de la province ; on diminuerait ainsi l’intérêt que les administrations communales auraient de se débarrasser par des moyens frauduleux de la charge qui devrait leur incomber.
Le but du législateur est de diminuer successivement le nombre des expositions ; quant à moi, j’ai la conviction que les hospices augmentent le nombre des expositions. Je crois qu’il vous a été prouvé, d’après les documents qui ont été fournis, qu’un grand mal résulte de l’existence des hospices et des tours. Un fait qui résulte de ces documents, c’est que plus l’exposition des enfants est facile dans une localité, plus il y a d’enfants exposés. Dans une ville où il existe un hospice, vous avez plus d’enfants exposés que dans une ville où il n’en existe pas. Si le nombre des enfants augmente en raison de la facilité qu’on a de les déposer, il me semble qu’on doit en tirer cette conséquence que ce n’est pas le plus grand nombre d’enfants trouvés qui a fait augmenter le nombre des hospices, mais que, au contraire, c’est la multiplicité des hospices, et surtout plus de facilité dans les moyens de l’exposition, qui ont fait augmenter le nombre des enfants exposés.
Pour arriver à ce but de faire diminuer le nombre des expositions, tout en veillant à l’entretien des enfants, il faut faire en sorte qu’il y ait des autorités qui y soient intéressées. Or, je ne reconnais qu’une seule autorité qui puisse être intéressée à surveiller les expositions : c’est l’autorité municipale.
Les communes doivent être pécuniairement intéressées à réprimer les abus des expositions. Elles auront recours aux tribunaux, lorsqu’il y aura lieu de poursuivre des mères coupables.
Il n’est pas possible de supprimer maintenant tous les hospices d’enfants trouvés, Les villes qui ont des hospices et surtout des tours éprouveraient un préjudice considérable, elles seraient obligées de payer la part d’entretien qui par suite serait mise à leur charge. La position des villes doit être aussi prise en considération ; ce qui serait une injustice pour la ville de Namur, par exemple, pourrait être juste pour la Flandre occidentale.
Je crois qu’il est préférable de ne pas déterminer dans la loi dans quelle proportion les communes et les provinces devront contribuer à la dépense. Il faut, selon moi, laisser ce soin à l’autorité provinciale.
M. Doignon. - Il paraît que quelques membres n’ont pas compris mon système ; on a dit qu’il était purement communal, c’est une erreur, il est mixte ; il est communal et provincial. D’après mon amendement, c’est à la commune qu’incombe l’obligation de fournir les aliments à l’enfant trouvé ; mais en même temps il impose à la province de lui donner un subside dans une proportion égale à la dépense des enfants qui lui sont étrangers. Il diffère de l’amendement de M. de Theux, en ce que, d’après lui, c’est à titre de subside que la province concourt au paiement de cette dépense ; tandis que, suivant la proposition de cet honorable membre, une moitié de cette dépense est mise directement à la charge de celle-ci. Il existe encore une autre différence : selon le système de M. de Theux la quote-part de la province est dans tous les cas réglée à la moitié de toute la dépense, de sorte que si le nombre des enfants étrangers à la commune est supérieur ou inférieur à la moitié, ce système accorde trop ou pas assez à la commune.
Au contraire, en adoptant mon amendement, il est alloué à la commune une somme moralement suffisante pour couvrir dans tous les cas la dépense qu’elle doit faire pour les enfants étrangers.
Voici les termes du paragraphe 2 de cet amendement :
« La province est tenue de fournir chaque année des subsides aux communes dans la proportion à fixer par le gouvernement. »
L’objet de cette disposition est de rendre indemne la commune du dommage qu’elle souffre de ce que des enfants qui lui sont étrangers sont fortuitement exposés chez elle.
On a demandé comment et sur quelle base ce subside sera calculé ?
Cette question doit se résoudre comme toutes les autres lorsqu’il s’agit de dommages et intérêts ; il doit être pris égard à toutes les circonstances, et l’on ne saurait en pareille matière poser une règle fixe. C’est au gouvernement à recueillir tous les renseignements et à faire un calcul qui approche le plus possible de la vérité.
La première base de ce calcul doit être le nombre présumé de ces enfants étrangers dont il n’est pas équitable de faire supporter la dépense par la commune où on les expose.
Les auteurs des divers amendements fixent le nombre d’une manière invariable, tantôt à la moitié, tantôt au tiers, tantôt à quelques dixièmes. Mais ce désaccord, qui existe entre eux, prouve lui-même qu’on ne pourrait sans être injuste procéder de cette manière, et ce n’est point le cas de faire faire de l’arbitraire à la loi. Tel parti qu’on prenne en pareille matière, il y a toujours quelques inconvénients ; mais l’arbitraire de l’homme en présente toujours beaucoup moins que celui de la loi.
Si la province et la commune ne peuvent s’entendre à l’amiable sur la hauteur du subside, c’est alors que le gouvernement décidera entre elles comme jury. Chacune des parties produira ses observations et ses pièces. Une administration tant soit peu vigilante peut facilement, sans commettre d’imprudence, connaître (à quelques-unes près peut-être) le nombre des naissances d’enfants naturels et les femmes qui ont ou non retenu leurs enfants près d’elles.
Sans même devoir recourir à aucune recherche spéciale de la maternité, il suffirait pour cela de recueillir dans chaque quartier ou rue de la ville les bruits et les faits qui sont de notoriété : mais il est de fait, au moins dans les villes de province, que les préposés au service des enfants trouvés, connaissent assez souvent l’origine de ceux qu’on expose et qu’il n’est pas rare qu’ils ont même quelques relations avec les individus qui les apportent à l’hospice.
Loin donc que la police administrative aille dans ce cas, pousser ses inquisitions jusqu’à l’indiscrétion, faire subir aux mères et aux parents, comme on l’a supposé, des interrogatoires qui jetteraient le trouble dans les familles, je le répète, cette police pourrait même s’en tenir à ce qui est de notoriété dans chaque quartier ou rue. Les chefs des administrations locales certifieraient d’ailleurs les renseignements produits sous leur responsabilité personnelle.
De son côté l’administration provinciale communiquera également tous ses moyens et observations, et il lui sera facultatif de faire vérifier les faits allégués par les régences, bien entendu avec toute la prudence dont je parle plus haut ; et si la députation des états était induite en erreur, elle ne le serait pas probablement pour longtemps. Au moyen des renseignements qu’elle peut aussi faire prendre elle-même, elle finira toujours par découvrir l’exacte vérité.
Ce qui vous prouve que des renseignements suffisants peuvent être obtenus pour asseoir une opinion, c’est que dans une ville de 100 mille âmes, comme Bruxelles, on peut parvenir à une évaluation approximative. Combien donc sera-t-il plus facile de faire cette opération dans des villes de 20 à 30 mille habitants seulement !
Vous avez entendu et M. le bourgmestre de Bruxelles, et un membre de l’administration des enfants trouvés, dont les opinions ne sont toutefois pas d’accord sur le chiffre ; mais ces deux opinions vous font voir qu’il existe réellement des éléments pour en établir une, et si ces deux magistrats étaient entendus contradictoirement, le juge qui les écouterait pourrait prononcer et adopter, sinon, l’avis de l’un ou de l’autre, au moins une autre opinion qui s’écarterait le moins possible de la vérité. Or, en cette matière, on ne peut exiger plus qu’une semblable opinion.
Mais le système des subsides provinciaux pour les enfants trouvés n’est pas nouveau. Toutes les fois que les états en ont accordé et en accordent encore, ils se font remettre toute espèce de renseignements par les autorités locales qui en réclament. Celles-ci se fondent principalement, comme elles le feront encore aujourd’hui, sur ce qu’un grand nombre de ces enfants trouvés ne leur appartiennent point ; et toujours elles ont fourni pour l’appréciation de ce fait, tous les éclaircissements possibles. Or, ce qu’elles ont déjà fait, elles pourront le faire encore, et elles le feront cette fois avec d’autant plus d’exactitude qu’elles sauront qu’aux termes de la loi le subside doit être assez élevé pour couvrir toute la dépense de ces enfants étrangers.
En France, où les communes aussi concourent directement aux frais d’entretien des enfants trouvés, on leur accorde tous les ans par forme de subside des centimes additionnels sur les fonds départementaux : en leur donnant ce secours, qui varie souvent d’année en année, on prend sans doute également en considération le nombre d’enfants étrangers que les communes sont tenues de recevoir, et dès lors les mêmes renseignements dont nous parlons doivent être produits.
Au surplus, si dès le principe il y a quelque difficulté à établir dans quelle proportion la province pourvoira à ses frais, la loi aura cela de commun avec beaucoup d’autres dispositions législatives, dont la première exécution n’est pas toujours facile : il est moralement impossible qu’avant peu d’années l’autorité supérieure, qui tous les ans s’occupera activement de cet objet, n’acquière point des données certaines pour fixer cette proportion de la manière la plus juste qu’il soit possible.
On ne peut mettre en balance quelques difficultés d’exécution avec la nécessité de maintenir et de sauver le principe que l’entretien des enfants trouvés est et doit être une charge communale.
Si l’on pouvait croire que d’après l’amendement il n’est point suffisamment entendu que la première base de cette proportion doit être le nombre présumé des enfants étrangers que la commune se voit obligée de nourrir à ses frais, ou pourrait faire disparaître tout doute si l’on y ajoutait ces mots : en prenant pour base le nombre présumé des enfants venant des autres communes de la province.
Enfin si la chambre, ne croyant pas pouvoir abandonner au gouvernement le soin de régler lui-même cette proportion, pouvait penser qu’il valût mieux la fixer d’avance et dès à présent il y aurait lieu dans ce cas à modifier les amendements et à ajouter que c’est à titre de subside ; car puisqu’on paraît s’accorder généralement sur le principe que la charge de ces enfants est une charge communale, ce n’est qu’à titre de secours que la province doit contribuer, soit qu’on en fixe maintenant la quotité, soit qu’on donne au gouvernement un pouvoir discrétionnaire pour la déterminer.
En conséquence il y aurait lieu dans tous les cas à adopter le premier paragraphe de mon amendement.
Ceux qui contestent ce principe raisonnent toujours comme s’il ne s’agissait que d’une simple question de présomption et de droit, tandis qu’il faut voir l’objet de bien plus haut et que c’est principalement par des considérations d’ordre social et de morale publique que nous avons établi hier que l’enfant trouvé doit être regardé comme l’enfant adoptif de la commune.
Qu’on ne nous dise plus, d’ailleurs, que cet enfant n’a point de domicile connu ; à l’instant même de son exposition dans une commune, il y acquiert domicile par la seule force de la loi, mais ce domicile est nécessairement un domicile de secours, puisque la loi le remet dans le moment même entre les mains de l’administration des hospices pour lui procurer tout ce qui est nécessaire à la vie et administrer même sa personne jusqu’à son âge de majorité.
Sans doute, si l’enfant est étranger, il a pu dans le court intervalle de sa naissance à l’exposition avoir un autre domicile, celui de sa mère naturelle ; et c’est précisément parce qu’on reconnaît que ce fait est possible et qu’il porte alors un préjudice à la commune, que celle-ci doit obtenir une juste indemnité de la province : mais pour fixer le sort de l’enfant vis-à-vis de la commune, c’est le moment même où il est exposé qu’il faut considérer, alors qu’aux yeux de la loi il devient à l’instant un enfant trouvé. Or nous avons démontré que si déjà il n’était point vrai que la législation existante lui assigne cette paroisse pour domicile de secours et le regarde comme un de ses enfants, il faudrait dire que l’intérêt de la société comme celui de l’enfant nous commanderaient d’admettre de principe.
Une autre raison déterminante et qu’on n’a pu également réfuter, c’est que la commune étant intéressée pour le tout dans la dépense, elle aura contre tous les abus nombreux une surveillance bien plus active et bien plus efficace que la province et l’Etat : elle a en mains tous les moyens de contrôle et d’investigation qu’elle pourrait plus ou moins négliger si elle savait d’avance qu’elle travaille directement pour une partie, non pour son propre compte, mais pour celui de l’Etat ou de la province dont elle ne serait en quelque sorte que le mandataire : sachant au contraire que le subside peut diminuer et même lui être retiré, rien n’échappera à son attention et à sa sollicitude pour faire diminuer autant que possible les expositions et par suite la dépense.
L’on a dit qu’en mettant directement la dépense à la charge de l’Etat ou de la province, l’enfant recevrait la même éducation morale ; c’est une erreur démontrée par l’expérience. Cette idée, qui date de la république française, que les enfants trouvés sont les enfants de la patrie, et qu’il faut leur donner une éducation nationale est une véritable utopie, elle a servi à faire de ces enfants un grand nombre de vagabonds ou d’hommes vicieux. Or, si l’enfant trouvé ne peut être l’enfant de la patrie, ou de l’Etat, et traité comme tel, les mêmes motifs militent en grande partie pour qu’il ne puisse être également l’enfant de la province : par rapport à lui, l’Etat et la province ne sont réellement que des êtres abstraits.
C’est donc évidemment aux mains de l’administration, toujours paternelle, d’une commune qu’il doit être confié à l’exclusion de tout autre. On ne peut pas plus diviser les devoirs que les obligations du père de famille. L’autorité paternelle comme l’obligation de fournir des aliments sont toutes deux indivisibles de leur nature ; il faut donc laisser l’une et l’autre à la commune exclusivement, sauf son recours pour une partie de la dépense s’il y a lieu.
Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !
M. Jullien. - Je n’ai que deux mots à dire.
Je demande la parole une seconde fois pour répondre à quelques observations faites par M. de Muelenaere, observations conformes à celles de M. Doignon.
Pour mettre la dépense à la charge des communes, il est certain que l’on se fonde sur la présomption de la naissance de l’enfant dans le lieu de l’exposition ; eh bien, je me bornerai à faire remarquer que bien loin que le fait de l’exposition renferme la présomption que l’enfant est né où il a été exposé, c’est précisément la présomption contraire que ce fait établit : cela est évident d’après l’expérience, d’après ce que vous connaissez du cœur humain. Ainsi, en bonne justice peut-on fonder une charge sur la manière dont on raisonne ?
Qui est-ce qui paiera en définitive les dépenses des enfants trouvés, quand vous les aurez mises à la charge des provinces ? Ce sont les communes. Mais de cette manière l’impôt sera perçu sans difficulté, sans observation, tandis que si vous voulez mettre la moitié à la charge de la commune, la moitié à la charge de la province, vous allez renouveler toutes les querelles, tous les embarras qu’il est dans notre intention d’éviter entre les communes d’une même province.
Vous dites que la surveillance sera moindre par la province ; je dis qu’elle sera plus grande que par la commune, parce que la province représente toutes les communes à la fois, parce que dans le conseil provincial il y a des députés de toutes les communes.
On administrera avec beaucoup plus de précaution et de sagesse dans le conseil provincial que dans le conseil communal ; car vous savez de quelle manière on a administré dans certaines campagnes.
En me proposant de voter pour l’article premier, je me suis proposé de voter aussi pour l’article 4. Je veux qu’il y ait des tours partout, ou qu’il n’y en ait nulle part. Je ne veux pas pour ma province un avantage que n’aurait pas une autre province : il faut des tours partout pour rétablir l’équilibre s’il est rompu.
S’il est encore quelque province qui souffre, comme Namur, ce sera le cas d’admettre l’amendement de M. Pirson.
Je suis bien aise de faire connaître mes intentions pour que l’on ne m’accuse pas d’avoir des vues étroites de localité. (Bien ! bien !)
M. le président. - Voici dans quel ordre je me propose de mettre aux voix les différents amendements : je commencerai par celui de la section centrale, puis je mettrai successivement aux voix ceux de MM. Fallon, Doignon, de Theux, Polfvliet, et enfin le projet du gouvernement.
M. Trentesaux. - Il me semble que vous pourriez commencer par celui du gouvernement.
M. le président. - Cela n’est pas possible ; aux termes du règlement il faut mettre aux voix d’abord les amendements.
- L’article premier de la section centrale, mis aux voix, est rejeté.
Les amendements de MM. Fallon et Doignon éprouvent le même sort.
L’amendement de M. de Theux est mis aux voix ; il est ainsi conçu :
« A partir du 1er janvier 1835, les frais d’entretien des enfants trouvés, de père et mère inconnus, seront supportés pour moitié par les communes, sans préjudice des établissements de bienfaisance, et pour l’autre moitié par la province à laquelle ces communes appartiennent. »
Deux épreuves par assis et levé sont douteuses. On procède à l’appel nominal.
55 membres sont présents.
29 votent l’adoption.
26 votent le rejet.
En conséquence l’amendement de M. de Theux est adopté.
Ont voté pour :
MM. Bekaert, Davignon, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Man d’Attenrode, de Nef, C. Vuylsteke, de Roo, de Stembier, de Theux, Dewitte, d’Huart, Doignon, Dubois, Ernst, Fleussu, Helias d’Huddeghem, Milcamps, Morel-Danheel, A. Rodenbach, Schaetzen, Simons, Thienpont, (Erratum Moniteur belge n°123, du 3 mai 1834 :) Vanderheyden, Vuylsteke, Raikem.
Ont voté contre :
MM. Angillis, Boucqueau de Villeraie, Brabant, Cols, Dautrebande, de Meer de Moorsel, de Renesse, Desmanet de Biesme, Desmet, Eloy de Burdinne, Fallon, Cornez de Grez, Jadot, Jullien, Legrelle, Pirson, Poschet, Quirini, Seron, Trentesaux, Ullens, Verdussen, Watlet.