(Moniteur belge n°56, du 25 février 1834 et Moniteur belge n°57, du 26 février 1834)
(Moniteur belge n°56, du 25 février 1834)
(Présidence de M. Raikem)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure moins un quart.
La séance est ouverte a une heure.
M. Liedts donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse donne communication des réclamations adressées à la chambre.
Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions.
Il donne ensuite lecture de la lettre suivante :
« A MM. les membres de la chambre des représentants
« Messieurs, le conseil de régence de la ville de Namur sent le besoin de vous adresser ses félicitations pour la conduite énergique que vous avez tenue à l’occasion de l’attentat commis sur notre territoire par les troupes de la confédération germanique. Quoique cet affront sanglant doive principalement être ressenti par la France et l’Angleterre qui se sont constituées nos protecteurs, il n’en a pas moins vivement indigné nos concitoyens, et la ville de Namur ne sera pas en retard de mettre à la disposition du gouvernement tous les moyens nécessaires pour en effacer la tache.
« « Agréez, messieurs les représentants, l’hommage de notre profond respect.
« Lemielle, Masure, Anciaux, Kegeljan, Polet, Dufer fils, Wautlet, Hubau, Danday, Delaittre, Braas. »
M. le président. - L’ordre du jour est la suite de la discussion du budget de l’intérieur.
Nous en sommes au chapitre XI. Lettres, sciences et arts.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je prends la parole pour excuser M. le ministre de l’intérieur de n’être pas en ce moment ici : il s’est présenté il y a quelques instants ; la chambre n’était pas en nombre, il s’est retiré. Il vient de perdre le secrétaire-général de son ministère, il avait à prendre les ordres du Roi sur divers objets ; quoi qu’il soit beaucoup occupé, il ne tardera pas à prendre part à la séance. Si l’on veut commencer sur-le-champ je prendrai des notes.
- En ce moment, M. le ministre de l’intérieur entre en séance.
« Art. 1er. : fr. 233,400. »
La section centrale propose 150,440.
M. de Brouckere. - Lors de la discussion du budget de 1833, j’ai fait dans l’intérêt des beaux-arts des efforts qui, grâce au secours que m’ont prêté quelques honorables orateurs, ne sont pas restés sans succès ; si la chambre n’a pas voté la somme que j’eusse voulu voir allouer au gouvernement, du moins a-t-elle rejeté la sanction que proposait la section centrale sur le chiffre ministériel.
Je viens encore défendre aujourd’hui la cause que je soutenais en 1833 ; je viens m’opposer à la réduction de 30,000 fr. qu’on vous demande, parce que cette réduction me paraîtrait non seulement impolitique, mais encore souverainement injuste.
L’influence des beaux-arts sur les arts industriels, et l’intime corrélation qui existe entre eux, sont aujourd’hui évidentes aux yeux de tous, et c’est une vérité qu’une longue expérience a démontrée que les arts industriels doivent leur bonne direction et leur perfectionnement aux arts libéraux.
Qu’on parcoure les pages de notre histoire, on y verra que les beaux-arts et l’industrie ont eu les mêmes phases, qu’ils ont toujours prospéré ou dépéri ensemble, parce qu’en effet les beaux-arts influent directement sur une foule d’arts subalternes, qu’ils font même naître, auxquels ils donnent l’impulsion qui leur convient, et dont ils règlent la destinée.
Pour citer un seul exemple, je vous rappellerai cette foule d’objets qui, sans être de première nécessité, sont devenus un besoin d’habitude pour les classes riches, ou même pour les classes aisées de la société ; eh bien ! ces objets ne se débitent qu’autant que le goût d’exécution se trouve joint à la bonté de fabrication ; et ce bon goût ne peut s’introduire ou se conserver qu’autant que les beaux-arts exercent à cet égard une heureuse influence.
Il est incontestable que la France a acquis en Europe la suprématie pour tous les objets de goût ; cette supériorité, elle la doit à l’influence des beaux-arts, influence qui doit à son tour être attribuée à l’impulsion du gouvernement.
Vous avez accordé 300,000 fr. pour encouragements à l’industrie et au commerce ; est-ce trop demander que la cinquième partie de cette somme pour les beaux-arts, les sciences et les lettres, alors que cette allocation tournera moins encore au profit des artistes et des écrivains qu’à celui des industriels et de la généralité des habitants ? Voyez, messieurs, le nombre d’artistes, de littérateurs qui honorent le pays ! Les hommes distingués en tout genre semblent s’être donné le mot pour rendre à l’indépendante Belgique ce lustre dont elle brilla jadis. Peintres, sculpteurs, graveurs, architectes, littérateurs, tous sont animés d’un beau zèle, d’une noble émulation. Que le gouvernement puisse les encourager, qu’il puisse, dans certains cas, les dédommager de leurs peines et de leurs frais, et ce zèle et cette émulation iront toujours croissant.
Vous ne l’ignorez pas, messieurs, il n’est pas dans le monde de pays où les arts aient de tout temps été plus en honneur que chez nous, où ils aient été cultivés avec plus de succès. Un historien, presque classique, n’hésite pas, quoique étranger, à avancer que les Belges réunissent au génie le plus fécond en inventions nouvelles l’heureux talent de perfectionner celles des peuples étrangers. Il est, selon lui, peu de manufactures et d’arts mécaniques, qui n’aient pris naissance dans les provinces belgiques, ou n’y soient parvenus à un plus haut degré de perfection.
Et quant à la peinture, l’architecture, la sculpture et la gravure, il ne craint pas d’ajouter, que si c’est de l’Italie plus éclairée, où Côme de Médicis avait fait renaître l’âge d’or, que ces arts ont été transplantés dans notre pays, ils n’ont pas tardé à y faire de nouveaux progrès, que l’école flamande, née de l’école italienne, rivalisa bientôt avec elle, et que, digne émule de son modèle, elle donna des lois à l’Europe entière.
Vous parlerai-je ici, messieurs, des capitaux dont les artistes enrichissent le pays ? Vous mettrai-je devant les yeux une toile achetée avec quelques pièces de monnaie, devenue par le talent d’un seul homme, et au bout de peu de mois, d’une valeur de plusieurs milliers de francs ? un morceau de marbre ou de pierre changé en un buste, une statue que l’on achète à grand prix ? Que ceux qui ont parcouru notre dernier salon d’exposition calculent la valeur des objets qui y étaient étalés, et qu’ils me disent après cela s’il n’est pas vrai que les artistes rendent au centuple ce que le pays peut avoir fait pour eux.
Mais voyons sur quelles raisons se fonde la section centrale pour demander que la somme de 60,000 fr., destinée par le gouvernement à l’encouragement des lettres, des sciences et des arts, soit réduite à 30,000.
Une expérience toute récente a démontré, dit-elle, que ce sont les amateurs riches et éclairés qui, en achetant les bons tableaux, accordent les meilleurs encouragements et les décernent au véritable mérite, et cette sorte d’encouragement n’a point manqué.
Cette sorte d’encouragement n’a point manqué, cela est vrai, et le pays en doit de la reconnaissance aux amis des arts, qui font de leur fortune un si noble usage. Mais pourquoi, quand les particuliers font tout pour les arts, le gouvernement seul ne ferait-il rien ? Il est des productions, et des productions de grand mérite, qui ne conviennent pas aux amateurs ; on conviendra, par exemple, que les tableaux d’histoire sont peu recherchés aujourd’hui, que les petits tableaux sont achetés de préférence à ceux de plus grande dimension, Il faut, dans ces cas, dans d’autres encore que je pourrais citer, que le gouvernement fasse ce que ne font point ces particuliers. Remarquez que cela est d’autant plus juste, que les villes ne sont pas restées en demeure : Bruxelles a fait de nombreuses acquisitions ; Liége a voté une somme de 3,000 fr. pour l’exposition qui doit s’ouvrir chez elle le mois prochain.
On a fait observer, dit encore la section centrale, que la création d’une classe de beaux-arts dans le sein de l’académie de Bruxelles, qui va être réorganisée, serait par ses effets un encouragement des plus utiles dont les arts ont été privés jusqu’ici en Belgique.
J’admets sans peine la justesse de cette allégation ; mais cet encouragement ne suffira pas à lui seul, et d’ailleurs il est certain que la réorganisation de l’académie, annoncée par l’honorable rapporteur, ne se fera pas dans le courant de cette année, de manière que l’observation pourra tout au plus être prise en considération lorsque nous nous occuperons du budget de 1835. Cela est si vrai, qu’il réduit lui-même, et par ce motif, à 12,000 fr. la somme de 50,000 fr. demandée par le gouvernement pour l’académie.
Enfin, dit la section centrale, il est sorti des sections des plaintes sur l’usage qui a été fait du crédit voté en 1833. On a fait observer, dans l’une d’elles, que ce n’est point parmi les restes de l’exposition que l’on pouvait espérer de trouver des chefs-d’œuvre destinés à composer un musée belge.
Ce mauvais usage qu’on aurait fait d’un crédit ne prouverait pas qu’il faille se montrer moins généreux par la suite ; il devrait seulement engager les membres de la chambre à faire à cet égard leurs représentations, afin qu’on ne tombe plus dans les abus qui auraient été commis.
Pour moi, messieurs, j’emprunterai à un homme d’esprit cette pensée qui me paraît pleine de justesse (car il est difficile de dire quelque chose de neuf sur la matière qui nous occupe) : « Il est un art, peut-être aussi difficile que les beaux-arts eux-mêmes ; c’est l’art de les protéger. Exercer cet art est un privilège honorable et l’un des plus puissants du pouvoir éclairé. Les arts dangereux, proscrivez-lez ; les arts frivoles, rançonnez-les ; les arts agréables, souffrez-les ; les arts utiles, protégez-les. »
Je voterai pour les 60,000 fr. demandés par le gouvernement.
M. H. Vilain XIIII. - Messieurs, je ne puis me rallier à la réduction de 30,000 francs proposée par la section centrale sur l’article relatif à l’encouragement des arts et belles-lettres.
Je ne puis surtout me rallier aux motifs qu’allègue la section centrale pour opérer cette réduction.
D’abord je dois faire observer que cette commission, en s’attachant uniquement à signaler l’abus ou l’inutilité de l’emploi de ces fonds en 1833 pour achat de tableaux (abus que je ne puis reconnaître), a paru perdre de vue que cette même allocation doit servir à l’encouragement des sciences et des lettres ; ainsi dans cette catégorie viennent se ranger les nombreuses souscriptions aux ouvrages de littérature belge, souscriptions d’autant plus nécessaires que les auteurs trouvent dans ce moment une faible compensation de leurs travaux dans un débit bien plus restreint en Belgique que partout ailleurs, et secours cependant indispensable à donner si l’on veut fonder une littérature nationale. On doit aussi compter les avances faites à quelques écrivains pour les frais d’impression de leurs ouvrages ; en troisième lieu, les pensions et les secours temporaires accordés à de jeunes artistes pour aller terminer leurs études à l’étranger. Il reste également des médailles et des prix à décerner aux diverses académies de peinture et de dessin du royaume, académies qui se multiplient chaque jour et dont l’extension a été même plus favorisée sous l’ancien gouvernement que de nos jours, vu les économies apportées à cet objet par nos décisions.
On voit donc que ce n’est point au seul achat de tableaux que doit être consacrée la somme demandée par le ministre, et que l’allocation restreinte à 30,000 fr. serait insuffisante. Mais quant à l’achat même de ces tableaux et aux observations émises par la section centrale, que ce sont les amateurs riches qui, en achetant les bons tableaux, accordent les meilleurs encouragements et que ce genre d’encouragement doit en quelque sorte suffire, je réponds qu’afin que ces amateurs puissent acheter des bons tableaux, il faut qu’on en fasse, et que pour former des hommes capables de produire des chefs-d’œuvre de l’art, il importe que nos jeunes gens soient encouragés par des achats et des récompenses. Les amateurs éclairés se présentent ensuite, alors que les bons tableaux sont exposés, et les acquisitions de l’Etat sont faites naturellement parmi les meilleurs tableaux de notre jeunesse travailleuse, et non chez des peintres déjà enrichis par leurs ouvrages. Une commission, du reste, fait un choix de ces tableaux ; et ce ne sont pas des médiocrités qu’elle a achetées, ce sont au contraire des chefs-d’œuvre naissants et des brillants pronostics de toutes les merveilles que promet notre nouvelle école flamande.
Finalement la section centrale a cru devoir réduire la susdite allocation dans la prévision qu’une exposition publique n’était point tempestive en 1834. J’ignore, messieurs, quelles sont à cet égard les intentions du gouvernement ; mais il est à observer qu’à Bruxelles seul ne sont pas bornées les expositions publiques, et que les villes de Gand et d’Anvers sont dans l’usage d’alterner avec celle de Bruxelles pour l’ouverture des mêmes exhibitions. Là, comme dans la capitale, le gouvernement a l’occasion de faire des acquisitions, et il est de son devoir impérieux de le faire, car plus d’un jeune artiste se distingue dans les musées de provinces, et les bienfaits du trésor public doivent s’étendre sur les villes et sur les capacités qu’ils y trouvent. Il serait même utile que le gouvernement répandît quelques faveurs sur les expositions moins complètes, mais quelquefois très curieuses, des villes moins importantes, telles que celles de Liége, Courtray, Bruges, Tournay, et pût ainsi allumer partout une noble émulation.
On voit donc que, pour atteindre ce but, le crédit demandé est loin d’être exorbitant, puisqu’il s’agit, aux yeux des hommes de goût, de fonder et de régénérer les arts sur tout le sol de la patrie. Et que l’on ne vienne point proportionner des encouragements et par suite la supputation du nombre des productions remarquables des artistes belges à l’étendue du territoire de la Belgique. Jamais le génie belge ne s’est trouvé restreint par les lignes étroites des frontières du pays ; et tel petit royaume, d’après les dispositions de ses habitants, peut plus produire et en moins de temps dans ce genre que tel autre empire beaucoup plus étendu. Telle a été au 16ème siècle la Belgique, où surgissaient alors toutes les illustrations qui éclairaient l’Europe ; telle elle se présente encore aujourd’hui, en faisant éclore ces nombreux talents qui vont recueillir des distinctions flatteuses dans toutes les capitales du monde civilisé.
Je crois donc, contrairement à la section centrale, que le travail de nos artistes peut chaque année enrichir nos expositions d’œuvres méritoires, d’autant plus que les peintres étrangers s’empressent d’y présenter leurs ouvrages. C’est dans cette opinion, c’est dans la connaissance que je possède et l’estime dont je suis pénétré pour les productions de nos hommes de mérite, enfin dans la conviction où je suis que le pays repousserait des économies qui tendraient à arrêter le développement des branches d’instruction qui ont fait sa gloire et son orgueil dans tous les temps, que je m’empresserai d’appuyer de mon vote la somme de 60,000 fr. demandée par le ministère.
M. Legrelle. - Quoique disposé à voter des sommes pour les beaux-arts, je ne suis pas disposé à voter des sommes qui ne seraient pas indispensables. A la première lecture du rapport de la section centrale, il paraîtrait qu’il n’existerait pas de motifs pour allouer cette année une somme plus forte pour les beaux-arts que celle qui a été allouée l’année dernière, en considérant surtout qu’il n’y aura pas d’exposition publique de tableaux à Bruxelles. Je dois montrer que cette considération n’est pas fondée. En 1834, il n’y aura pas d’exposition publique à Bruxelles ; mais, d’après les renseignements, plusieurs villes du royaume feraient des expositions des ouvrages des peintres vivants.
Cette année c’est le tour de la ville d’Anvers. La régence de cette cité, non contente d’avoir fait construire un salon pour les tableaux des peintres anciens, y a joint un salon pour les tableaux des peintres modernes. Il doit donc être question de savoir à combien monteront les frais de l’exposition à Anvers, ou plutôt à combien sont montés les frais de l’exposition à Bruxelles.
Pour le savoir, il faut que M. le ministre veuille nous dire quel a été l’emploi de la somme de 30,000 fr. allouée l’année dernière, et quel emploi il veut faire de la somme de 60,000 fr qu’il demande cette année.
Je ne suis pas contraire aux beaux-arts, cependant je ne voudrais pas d’augmentation dans nos dépenses : quand les dévastations hollandaises n’ont pas encore été réparées, ou indemnisées, ce n’est pas le moment de faire des sacrifices considérables pour les arts. Ceux que nous avons déjà faits ont-ils été bien employés ?
Je partage l’avis de M. Vilain XIIII, on n’a pas assez encouragé les peintres d’histoire ; c’est au goût que l’on montre pour le beau, pour le grandiose que le peintre d’histoire doit le développement de son génie. Les tableaux d’histoire pourraient surtout décorer nos églises. Ce n’est pas un amour excessif de localité qui m’anime ici, parce que la plupart des églises de la ville où j’habite n’ont pas besoin de tableaux ; mais il est de petites communes où je voudrais voir les églises décorées plus noblement. Le ministre pourrait tour à tour accorder un tableau aux églises des communes…
M. Dumortier. - Il y aura plus de deux mille tableaux à faire.
M. Legrelle. - Je le répète, il faut encourager la peinture d’histoire, la peinture qui représente les actions généreuses, héroïques, les grandes actions, et qui a pour but d’élever l’âme en même temps que d’étonner les yeux.
M. Jullien. - Je demande la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Est-ce pour ou contre l’allocation ?
M. Jullien. - C’est sur l’allocation. Je ne répèterai pas, après les honorables orateurs que vous avez entendus, qu’il faut encourager les beaux-arts, que les beaux-arts font la gloire des empires, indépendamment des avantages qu’ils procurent au pays. Ces vérités sont si généralement senties qu’il suffit de les énoncer pour convaincre ; j’irai donc tout droit à la question.
Le gouvernement demande pour encouragements aux beaux-arts, pour des souscriptions, pour achats, la somme de 60,000 francs ; la section centrale propose de réduire à 30,000 francs. Un des motifs de la section centrale pour proposer sa réduction, c’est que l’année dernière, en 1833, la plus grande partie du crédit voté pour encouragements aux beaux-arts a été employée en frais d’exposition de tableaux ; or, comme cette année il est apparent qu’une exposition n’aura pas lieu, il n’y a pas nécessité d’accorder une aussi forte somme que celle que l’on demande. S’il était vrai que la chambre dût apprécier sur ce motif, et uniquement sur ce motif l’avis de la section centrale, je serais profondément de cet avis, parce que je crois qu’on ne fera pas d’exposition cette année ; il faut laisser d’assez longs intervalles entre les expositions ; il faut que les peintres soient avertis au moins un an ou deux à l’avance pour travailler au concours.
Mais, parce qu’on ne fera pas d’exposition, s’ensuit-il que l’on ne doive pas accorder 60,000 francs pour souscriptions, pour achat de tableaux, pour tout ce qui peut donner de la vie aux beaux-arts ? Non messieurs ; 60,000 francs sont bien peu de chose, et pour atteindre le but désiré, il faudrait consentir à des sacrifices plus considérables si notre position financière le permettait.
Je suis de l’avis de M. Legrelle ; il faut encourager la peinture historique, même les peintres qui font des tableaux d’église ; car il m’importe peu de voir un tableau dans une église ou dans un musée. Mais comment voulez-vous que le ministre donne des tableaux aux églises, s’il n’a pas 60,000 fr ? Quel sera le peintre qui osera entreprendre de grandes pages, s’il sait que le ministre a à peine quelques mille francs à sa disposition ? Considérez que les 60,000 francs sont pour toute la Belgique ; tous vos peintres tous vos peintres d’église, tous ceux qui feront des déluges, qui feront des saints, trouveront-ils là de quoi être encouragés ?
La somme de 60,000 fr. n’est rien, moins que rien ; elle est insuffisante. Je voterai cette somme en regrettant que nos ressources ne nous permettent pas de voter davantage.
M. Angillis. - M. Legrelle demande des économies ; sous ce rapport général je suis de son avis ; mais une bonne économie à faire est de bien employer son argent, et je ne connais pas de meilleur emploi de l’argent que de soutenir les beaux-arts qui ont toujours fait la gloire du pays où ils ont été cultivés, et surtout de notre Belgique.
Un de mes honorables amis a prononcé un discours aussi bien écrit que bien pensé sur la nécessité d’encourager les beaux-arts en Belgique, et me dispense d’entrer dans d’autres développements : je dirai seulement avec M. Jullien que je regrette que nos ressources ne nous permettent pas d’employer une somme plus considérable.
Pour appuyer la réduction proposée par la section centrale, on a prétendu que la distribution des sommes accordées par le gouvernement n’a pas été faite d’une manière bien équitable : c’est un abus ; mais l’abus fait songer au remède, et il ne faut pas pour cela supprimer la somme. Cette somme est très minime ; que peut-on faire avec 60,000 fr. ? Si vous la réduisez, vous mettrez le gouvernement dans l’impossibilité de rien faire d’utile. Si la chambre s’aperçoit que l’emploi de la somme n’est pas convenable, elle appellera le ministre dans une meilleure voie.
Je ne crois pas à la possibilité cette année d’une exposition pour la peinture et l’industrie ; il faut que les peintres et les industriels soient prévenus plusieurs mois à l’avance, et l’année est fort avancée ; mais sans exposition la somme de 60,000 fr. me paraît très faible. Je m’arrêterai là, car tout a été dit.
M. Legrelle. - L’orateur remarque avec raison que les artistes doivent être prévenus longtemps à l’avance, pour se préparer aux concours des expositions : mais les artistes sont tous prévenus en Belgique qu’il y aura exposition à Anvers, et je crois qu’ils s’empresseront d’enrichir cette exposition de leurs travaux.
M. Desmet. - Si nous étions bien riches et fort à notre aise, certainement on ne devrait pas lésiner sur une somme de 30,000 francs pour encourager les arts et les sciences ; mais dans un moment que notre budget est obéré et que nous devons nécessairement, pour le bien du pays, viser à faire des économies, je crois que nous pouvons nous borner à allouer ce qui est convenablement suffisant pour donner l'encouragement que les beaux-arts exigent en Belgique, surtout dans un moment que les affaires politiques nous forcent encore à faire de fortes dépenses extraordinaires et surchargent le budget. C’est pour ces motifs que la majorité de votre section centrale, d’accord avec quatre de vos sections, repousse la majoration de 30,000 francs sur la somme allouée l’an dernier.
Vous voudrez aussi remarquer que dans vos sections on s’est plaint que ces fonds n’ont pas eu l’année dernière leur véritable destination, qu’en général ils n’ont été employés que pour acheter des tableaux de très médiocre qualité, que dans l’intérêt même de l’art on ferait très bien de ne pas conserver ; et l’on aussi remarqué que si l’administration n’eût pas fait de la dépense pour stimuler les achats, les bons tableaux n’auraient pas moins été vendus à des particuliers, comme ils l’ont été, et qu’on n’a laissé pour les achats du gouvernement que le rebut.
Quand donc on voit que l’encouragement se fait suffisamment par les particuliers, il n’y a point d’utilité de le faire faire par le gouvernement, et cette considération devrait être mieux comprise par les personnes qui nous gouvernent, et qui devraient sentir que les protections du gouvernement ne sont nécessaires que quand les particuliers n’y mettent que de l’insouciance et restent en arrière ; alors on dépenserait avec fruit l’argent des contribuables, et l’on n’entendrait pas tant de plaintes sur le mauvais emploi des deniers publics et les effets du patriotisme.
Messieurs, ce sont là les motifs pour lesquels votre section centrale interprétant les vœux de quatre de vos sections, vous propose le rejet de la majoration.
Et je crois pouvoir terminer, comme l’a fait l’honorable membre qui le premier a pris la parole dans cette discussion : Encouragez tout ce qui est bon ; mais on me permettra d’y ajouter : Encouragez quand il faut, et faites-le quand vous n’avez pas d’autres besoins plus pressants et que vous êtes en pleine paix.
(Moniteur belge n°57, du 26 février 1834) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, l’allocation de 60,000 fr. n’a pas seulement pour but d’encourager les beaux-arts ainsi qu’ont paru le croire quelques honorables membres, ainsi qu’a paru le penser surtout la section centrale. Le gouvernement avec cette somme donne des encouragements aux lettres, aux sciences, aux arts par des souscriptions, par des achats et par les autres moyens usités.
La section centrale a adressé quelques reproches au gouvernement sur l’emploi qui aurait été fait du crédit accordé en 1833 : on lui a reproché de n’avoir acheté de l’exposition que ce que les amateurs n’ont point voulu ; on aurait désiré qu’il achetât des chefs-d’œuvre. Messieurs, le but du gouvernement n’était pas seulement d’acheter des chefs-d’œuvre ; il voulait aussi encourager les talents naissants, des talents révélés même par des essais. Il est à remarquer que, pour acheter des chefs-d’œuvre, il en coûte fort cher, et que la chambre n’avait pas mis le gouvernement à même de remplir, à cet égard, les vœux de la section centrale.
Ce n’est pas avec une partie de 30,000 fr., avec 15,000 fr environ que l’on peut acheter beaucoup de chefs-d’œuvre, que l’on peut encourager, ainsi que le désire M. Legrelle le grandiose : le grandiose n’est pas à bas prix, et je vais vous citer un fait qui montrera que le gouvernement serait fort embarrassé s’il voulait avoir du grandiose.
Chacun de vous se rappelle le magnifique tableau du peintre Martin ; le gouvernement s’informa du prix de ce tableau grandiose ; le peintre demanda 50,000 francs, plus que le triple de la somme qui était à la disposition du ministère ; des instances furent faites près de l’auteur du tableau ; il consentit à en réduire le prix à 42,000 fr. Vous le voyez, il faut beaucoup d’argent pour se procurer des chefs-d’œuvre, un grand et bon tableau historique vaut toujours, au minimum, 6,000 fr., 10,000 fr, ou 15,000 fr ; si donc le gouvernement doit encourager la peinture historique, il faudra lui mettre entre les mains d’autres sommes que celles qu’on lui accorde.
On a prétendu que c’étaient les amateurs riches et éclairés qui accordaient de véritables encouragements et les décernaient au mérite : je ferai observer que les tableaux de prix de la dernière exposition n’ont pas été achetés par les amateurs riches et éclairés ; que les tableaux de prix sont retournés à leurs auteurs, et que nous avons eu le regret de les renvoyer par le même chemin qu’ils étaient venus. Je dois encore citer un fait connu de plusieurs membres de l’assemblée. Il existait un tableau d’un prix modéré, plusieurs personnes qui ont à cœur l’encouragement de la peinture nationale désiraient qu’il fût acheté ; on ouvrit une souscription : eh bien, on ne put pas réunir les 3,000 francs qui étaient, je crois, le prix du tableau. M. Dumortier pourra vous donner de plus amples renseignements sur ce fait : le tableau est d’une jeune peintre de Tournay.
Messieurs, ainsi que plusieurs préopinants l’ont déjà remarqué, il ne s’agit pas cette année d’une exposition à Bruxelles des produits des beaux-arts ; mais il s’en agit dans d’autres villes : à Anvers, à Liége, il y aura cette année des expositions. Et on ne pourrait, sans injustice, refuser à ces localités des encouragements qui ont été accordés dans la capitale. C’est pour remplir l’obligation imposée au gouvernement d’encourager les beaux-arts dans tout le royaume que la somme demandée doit être maintenue.
Entrerai-je dans d’autres détails pour prouver que lorsque nous aurons pris un tiers ou la moitié de 60 000 francs, ce qui restera ne suffira pas pour encourager convenablement la gravure, l’architecture, la sculpture, la ciselure, les lettres, les sciences, les ouvrages scientifiques, les ouvrages traitant de l’histoire nationale, etc. Cette somme de 30,000 francs, moitié de l’allocation, suffira-t-elle seulement aux réparations urgentes que réclament plusieurs monuments nationaux.
A l’église de Ste-Gudule on a à déplorer des dégâts aux superbes vitraux qui la décorent : le gouvernement est dans l’impossibilité de venir au secours de la fabrique qui réclame l’intervention de l’administration pour empêcher la ruine de ces chefs-d’œuvre de la peinture sur verre. Ce serait pourtant un acte de vandalisme que de ne pas mettre à la disposition du gouvernement les moyens de conserver ces monuments de l’art.
Si nous ne voulons pas que les talents nationaux, éclos ou en germe, ne quittent pas le pays, il faut aussi que vous mettiez le gouvernement à même de suppléer aux ressources qui manqueront toujours aux talents chez nous, vu les limites étroites de notre territoire : par exemple, il n’est pas de travail littéraire, de quelque intérêt national qu’il puisse être, qui procurera jamais à son auteur un encouragement qui réponde à plusieurs années de travail consciencieux.
Les imprimeurs belges, livrés à la contrefaçon des ouvrages français, repoussent les manuscrits des auteurs nationaux qui entraîneraient pour eux des avances de fonds un peu considérables.
Le théâtre de Bruxelles et les autres théâtres de la Belgique n’offriront jamais aux auteurs dramatiques ou lyriques une récompense convenable à leurs travaux ; il faut donc que le gouvernement encourage les travaux dramatiques, si nous voulons avoir un théâtre national, sans quoi les hommes qui se sentiront inspirés iront à Paris où ils trouveront et plus de gloire et plus de profit.
Il est des arts peu à la portée des particuliers et qu’il faut encourager : la sculpture, l’architecture, sont de ce nombre. C’est surtout pour encourager les artistes qui les cultivent qu’il faut que le gouvernement intervienne. Un projet qui aurait pour but de charger quelques-uns de nos meilleurs sculpteurs de faire les bustes, les statues de la plupart de nos grands hommes, je demande si un tel projet ne mériterait pas d’être accueilli par la chambre ?
Eh bien, ce projet est dans les prévisions du gouvernement ; chacun de vous n’aidera-t-il pas l’administration dans les moyens de les mettre à exécution ? (Marques d’adhésion.)
Il est inutile d’insister davantage : vous êtes convaincus que la somme de 60,000 fr., est insuffisante pour tous les besoins. Au reste, je prends acte des réserves faites et des regrets manifestés par MM. Jullien et Angillis : à une époque meilleure, j’aurai soin de les rappeler.
M. Gendebien. - Je ne viens pas combattre le chiffre proposé par le gouvernement. Je n’étais pas du nombre des cinq membres de la section centrale qui se sont occupés de la demande de l’administration relativement aux beaux-arts ; je n’adopte pas les conclusions de la section centrale ; cependant je crois qu’il est facile de justifier les motifs qui l’ont déterminée à proposer une réduction.
Il est certain que des abus graves se sont introduits depuis longtemps dans la distribution des sommes allouées au gouvernement, et il paraît que ces abus doivent se prolonger longtemps encore, si la magistrature n’y met obstacle. Tous les achats n’ont pas été heureux lors de l’exposition dernière, il eu est même qui ont été malencontreux. Un tableau de genre méritait l’attention du gouvernement, il pouvait servir de modèle à nos jeunes peintres ; je veux parler du tableau de M. Verboeckhoven. Le gouvernement a négligé l’occasion d’enrichir notre musée d’une production digue de l’ancienne réputation de l’école flamande.
La somme qu’il aurait fallu pour les acquérir eût-elle été double de celle qu’un amateur a donnée, il ne fallait pas hésiter. C’est un tableau à offrir comme modèle et aux peintres actuels et à la postérité.
On veut encourager les talents naissants ; c’est une très mauvaise manière de procéder. Il y a un moyen plus efficace à employer pour favoriser les beaux-arts ; c’est d’accorder des primes aux peintres et de leur laisser leurs ouvrages, qu’ils pourraient vendre ou au prix de leur valeur réelle ou au-dessous. Par là vous éviteriez l’inconvénient d’offrir aux jeunes artistes et au public, comme modèles, des tableaux qu’on peut appeler des croûtes. Il y a cependant de ces croûtes qui ont été achetées par l’Etat. Voilà ce qui a frappé la section centrale.
Je voudrais que tous les ans il y eût une exposition et que des prix ou des primes fussent accordés aux talents naissants et à ceux qui ont donné des preuves de progrès. On éviterait par là toute espèce d’intrigue, toute espèce de camaraderie ; car la camaraderie, dans le beau siècle où nous vivons, s’introduit partout. Par le moyen que je propose on aurait pour contrôleurs le public et la presse. Les artistes trouvent dans l’opinion publique, dans le jugement prononcé par les journaux qui ne sont ordinairement que l’écho du jugement rendu par le public, un véritable encouragement, une véritable direction à leurs travaux, et cet encouragement serait plus efficace pour les arts que les largesses du trésor.
Ceux qui reçoivent de l’argent trouvent souvent que les faveurs entraînent de pénibles désappointements quand les jugements portés clandestinement ne sont pas sanctionnés pas l’opinion publique.
Ceux qui ont mérité les encouragements pécuniaires trouveront dans la sanction du public un stimulant de plus.
Je veux que l’on encourage les beaux-arts, comme je veux et de la même manière que je veux encourager l’industrie et le commerce ; mais je repousse pour les arts, comme pour l’industrie, les moyens employés par le gouvernement. En un mot je ne veux pas donner au gouvernement le moyen de faire du favoritisme.
Si vous prenez le chemin que j’indique, ce n’est pas 60,000 fr. que j’accorderai, c’est le double ; et quand la situation du pays sera prospère, j’en accorderai davantage.
Je voudrais accorder des pensions aux artistes pour voyager, mais toujours au concours et après jugement par jury : quelque avancée que soit la Belgique, il est toujours bon que nos jeunes gens consultent les chefs-d’œuvre des autres nations.
Je donnerais aussi des primes d’encouragement aux sciences, à la littérature, aux auteurs dramatiques ou autres : bien entendu aux productions imprimées ou à imprimer, car je veux toujours que le public les contrôle, les guide ; et je ne veux pas qu’on emploie l’argent du peuple à favoriser des passions en dehors des intérêts du peuple et souvent contraires à ses intérêts.
On remarquera que je parle ici en théorie générale et que je n’entends faire aucune application de toutes mes paroles au ministre actuel.
On vous a entretenus de la difficulté, de l’impossibilité d’acquérir les « ouvrages grandioses, » et on a cité une négociation au sujet du tableau de Martin. Pour ma part, je regrette que le gouvernement ait jeté les yeux sur le tableau de M. Martin ; j’aurais préféré qu’il les portât sur d’autres tableaux moins grandioses à la vérité, mais non moins précieux ni moins admirables. L’œuvre romantique ne peut servir de modèle à nos artistes ; il ne peut, à mon avis, faire faire des progrès à l’art ; il ne peut que l’égarer.
En me résumant, j’accorde 60,000 fr., et j’exprime le regret de ne pouvoir en donner davantage. J’accorde 60,000 fr. cette année à la condition que l’on cherchera les moyens de récompenser le vrai mérite et non l’intrigue ou l’obsession. Je demande une exposition annuelle ; je demande que des primes soient accordées aux ouvrages exposés. Je ne demande des prix et des primes que pour autant que le public puisse exercer son contrôle, puisqu’en définitive c’est dans le jugement du public que les artistes doivent trouver de véritables encouragements et la vraie gloire. Ce que je dis pour les artistes je le dis aussi pour les littérateurs.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - L’honorable préopinant vient de vous avertir que la partie critique de son discours était de pure théorie et ne s’appliquait point au ministère actuel.
M. Gendebien. - En général.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je lui répondrai que la plupart des théories qu’il vient de mettre en avant sont d’accord avec les actes du ministère. L’administration n’accorde rien à l’intrigue ni à l’influence que pourraient avoir des amis ou des camarades. Quant aux encouragement donnés aux ouvrages littéraires, on attend presque toujours que l’impression en soit faite ; de même qu’on attend que des ouvrages d’arts aient été exposés pour savoir ce que l’on doit faire pour leurs auteurs.
On a critiqué le favoritisme qui, dit-on, a présidé à l’achat des tableaux, lors de la dernière expédition : le gouvernement avait fait tous ses efforts pour échapper à cette critique.
Il avait rendu un arrêté d’après lequel trois commissions étaient chargées de tout ce qui concerne les beaux-arts. L’une d’elles avait la direction de l’exposition, une autre prononçait sur l’admission des ouvrages envoyés, la troisième désignait au gouvernement les ouvrages qui selon elle méritaient des encouragements à leurs auteurs. C’est sur le travail de cette dernière commission que les encouragements ont été donnés. Le gouvernement avait tâché de la composer de la manière la plus impartiale ; il avait appelé à en faire partie des artistes, il leur avait adjoint quelques amateurs éclairés, afin d’éviter autant que possible les préférences auxquelles auraient pu s’abandonner les artistes en faveur de leurs imitateurs.
Je n’ai pas été peu étonné d’entendre le reproche de favoritisme sortir de la bouche du préopinant, alors que le gouvernement avait fait tout ce qui était en lui pour que les récompenses fussent décernées en dehors de toute considération de camaraderie : je serai toujours l’ami, même le camarade de tous les artistes ; mais je ne céderai pas à des conseils, à des influences de pure camaraderie. Au reste, je livre tous mes actes au public. Je les lui notifie par la voie du Moniteur ; et j’attends avec confiance cette fois qu’il prononce.
M. Dumortier. - En me levant pour appuyer l’opinion de la section centrale, je sais quel accueil défavorable attend mes paroles. Je sais qu’en faisant quelques phrases en faveur des beaux-arts on entend prouver son goût éclairé ; on voit sa figure chez tous les marchands d’estampes du pays.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier), en riant. - Je n’ai pas eu cet honneur-là.
M. Dumortier. - On obtient même des cadeaux des artistes.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - A qui l’orateur s’adresse-t-il ?
M. Dumortier. - Il est plus agréable de défendre les beaux-arts que de défendre les contribuables ; cependant, comme j’ai un devoir à remplir envers ceux qui m’ont envoyé, je déclare que je combattrai la proposition ministérielle et que je voterai pour le chiffre de la section centrale qui me paraît même très considérable.
J’ai entendu d’honorables membres dire que les beaux-arts étaient une chose tellement belle qu’on ne saurait trop les payer ; ne leur en déplaise, je crois qu’il faut prendre en considération l’état financier du pays avant de faire de semblables dépenses.
Il en est de l’Etat comme des particuliers : il faut se rendre compte de sa situation pécuniaire, avant d’acheter des tableaux ou des livres. Avec les arguments employés en faveur des lettres et des arts on pourrait demander un demi-million tout aussi bien que 60,000 fr. ; leur exagération indique qu’ils ne prouvent rien. Sous le gouvernement des Pays-Bas, les beaux-arts étaient encouragés, et cependant aucune somme n’était portée au budget dans ce but ; les ouvrages des artistes étaient achetés par la liste civile. Je le sais : rapporteur de la section centrale pour la discussion de l’un des budgets des Pays-Bas, je sais qu’on a demande qu’elle fût enflée de 300,000 fr. pour encouragements aux beaux-arts.
Quels sont les encouragements que le gouvernement doit donner ?
Ces encouragements peuvent s’appliquer à des artistes consommés, ou bien à des élèves. S’il s’agit d’artistes consommés, nommez-les à des places de professeurs dans les académies royales ; c’est une position qu’ils recherchent ; donnez-leur des décorations : ce qui a été fait à cet égard reçoit mon approbation. Quant à l’achat de tableaux je le regarde comme inutile, parce que les bons artistes trouvent toujours à vendre leurs ouvrages. Je connais un artiste auquel 30 tableaux sont commandés ; il ne pourra satisfaire à toutes les demandes que dans cinq ans. C’est toujours ainsi que les artistes ont été encouragés chez nous.
Quand le gouvernement achète les tableaux des élèves, il ne fait pas une chose inutile, il fait une faute. Je ne blâme pas la conduite de M. le ministre de l’intérieur ; j’apprécie beaucoup les efforts qu’il fait en faveur des beaux-arts ; mais, tout en appréciant ses efforts, j’émettrai une opinion consciencieuse. Les encouragements aux élèves, ce sont des pensions pour voyager, pour voir le ciel de la Grèce et de l’Italie. Il ne faut pas mettre dans nos musées les tableaux des élèves : l’étranger se formerait un mince idée des artistes du nôtre en voyant de tels ouvrages. Ces acquisitions auraient encore un autre inconvénient : les jeunes peintres les copieraient ; le copiste fait toujours plus mal que le maître qu’il s’efforce d’imiter, et l’art irait en décadence. Il faut que nos musées soient pleins de chefs-d’œuvre ; ainsi le veulent toutes les convenances.
Remarquez encore qu’il est tel élève qui aujourd’hui est charmé qu’on ait acheté son tableau, et qui dans dix ans rougira peut-être de voir ses premiers essais figurer dans les collections publiques.
L’honorable M. Rogier m’a interpellé relativement au tableau d’un jeune artiste de Tournay qui donne les plus hautes espérances ; je le remercie de bien bon cœur de ce qu’il a voulu faire pour ce jeune homme ; toutefois je montrerai combien sont fallacieux les encouragements du gouvernement.
Une distribution de médailles a été faite à l’exposition ; eh bien, le jeune artiste de Tournay auquel on reconnaît les germes du beau talent n’a pas reçu de médaille. Cela prouve, messieurs, que les personnes animées des meilleures intentions n’arrivent pas toujours à leur but. Je dois dire que si la souscription ouverte pour l’achat du tableau de ce jeune artiste n’a pas produit une somme assez forte, nous parviendrons cependant à l’acquérir, et qu’il figurera dans la cathédrale de Tournay.
Le ministre vous a entretenus de la nécessité de réparer les vitraux de l’église de Sainte-Gudule ; ces vitraux sont une des plus belles choses que nous ayons en Europe et dans notre pays ; mais c’est au budget des travaux publics que l’on peut s’occuper de cette question ; ici il ne s’agit que d’encouragements aux artistes.
Je veux répondre deux mots à ce qu’a dit le bourgmestre d’Anvers. Il voudrait que le gouvernement achetât tous les ans un tableau d’histoire pour le placer dans l’église d’une commune ; comme il y à en Belgique 2,500 communes, il faudra 2,500 ans pour que chaque église ait un tableau. (On rit.)
Messieurs, nous ne devons faire de tout ceci qu’une question de budget. Eh bien, comme question de budget, j’aurai l’honneur de rappeler à la chambre qu’il n’y avait sous l’ancien gouvernement, rien dans la loi des dépenses pour encouragements aux beaux-arts ; que c’est en 1832 qu’on a commencé d’allouer quelque chose, 7,000 florins je crois ; qu’en 1833 vous avez alloué 30,000 francs. Pour quels motifs avez-vous élevé l’allocation si haut ? C’est qu’il devait y avoir une exposition ; non pas une exposition comme à Anvers, exposition locale s’il en fût jamais, mais une exposition générale : vous eûtes raison alors d’allouer une somme plus forte qu’en 1832. Mais si le gouvernement avec 30,000 francs a pu subvenir aux frais de l’exposition nationale, il pourra marcher encore plus facilement cette année. Je ne voterai donc aucun crédit supérieur à cette somme.
Nous devons un peu examiner, comme l’a dit M. Desmet, l’intérêt des contribuables : nous sommes forcés de continuer la perception des centimes additionnels ; ce n’est pas en présence d’une pareille nécessité qu’il faut augmenter les chiffres du budget.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je veux simplement relever une erreur assez grande échappée à l’honorable préopinant. Sous l’ancien gouvernement, il existait un arrêté du 1er avril 1827, qui accordait annuellement 20,000 florins pour achat des tableaux figurant dans les expositions nationales.
M. Dumortier. - Expositions qui avaient lieu tous les quatre ans.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il y avait exposition annuellement ; mais c’était alternativement à Liége, à Anvers, à Bruxelles, et la somme était accordée annuellement.
Je veux aussi relever une erreur échappée à M. Gendebien et à son ami M. Dumortier ; c’est que les achats de tableaux n’ont pas pour but la formation d’un musée national ; il n’est écrit nulle part que des tableaux achetés récemment figureront dans les collections publiques. Rien n’empêche le gouvernement de donner les tableaux aux communes qui ont vu naître les artistes ou aux églises de ces communes. De cette manière, les églises pourraient être dotées de bons tableaux, et il ne faudrait pas attendre 2,500 ans pour cela. Si le gouvernement songeait à fonder un musée national, ce ne serait pas 30,000 fr qu’il demanderait, ce serait 300,000 fr.
Les encouragements pécuniaires aux élèves, réclamés par un orateur, sont mis en pratique ; mais il en est qui les refusent, et qui ne demandent rien autre chose que la vente de leurs tableaux.
M. de Foere. - Pour que l’allocation demandée fût justifiée, il faudrait que le ministre prouvât que l’ouvrage manque à nos bons artistes ; ce fait établi, alors la chambre pourrait être déterminée à voter le chiffre ministériel : mais bien au contraire, je suis en mesure de prouver que nos bons artistes ne peuvent suffire aux commandes. Je pourrais citer plusieurs personnes qui ne peuvent obtenir les tableaux qu’ils ont commandés que dans plusieurs années, parce que le peintre ne peut les servir que les unes après les autres.
Une deuxième règle que nous devons suivre dans les encouragements à donner, c’est que dans toute industrie la production doit toujours répondre à la proportion de la demande qui est faite de cette production ; ce n’est que dans la juste proportion entre la demande et le produit que se trouve le bien-être des nations. Il faudrait donc examiner s’il y a avantage à multiplier les artistes ; si cette multiplication est un bon moyen de créer le bien-être de la nation. Il aurait donc fallu constater si le nombre des artistes ne suffit pas aux besoins, et si notre commerce et notre industrie, rendant la nation plus riche, ne peuvent pas eux-mêmes augmenter le nombre des artistes sans le concours du gouvernement. C’est ce que l’on n’a pas fait.
La troisième règle, développée par un orateur, et qu’il faut encore rigoureusement suivre, c’est d’examiner si le budget des dépenses n’excède pas les ressources du pays, et s’il est possible de créer une dépense de luxe quand on ne peut pas couvrir les dépenses que nécessiteraient notre industrie et notre navigation marchande.
Les beaux-arts n’ont jamais été encouragés par des subsides accordés par le gouvernement ; mais toujours ils l’ont été par le commerce, par la richesse des nations. Les beaux-arts ont prospéré chez nous et ont même fondé une école, quand le gouvernement ne leur accordait pas une obole. L’encouragement aux beaux-arts date du despotisme de Louis XIV et de Bonaparte ; dès que le gouvernement a protégé les beaux-arts, ils ont perdu l’éclat de leur perfection. Cet encouragement n’appartient pas aux administrations : la rivalité, la concurrence, en est la vie. L’honorable M. Legrelle a voulu intéresser dans cette question les églises. Si des dépenses sont nécessaires pour les églises, ce ne sont pas des dépenses de ce genre. Depuis que la population est augmentée, c’est l’agrandissement du nombre des églises qui est nécessaire.
Je me contenterai, messieurs, de ce peu de réflexions pour motiver mon vote qui sera contre l’allocation toute entière.
M. A. Rodenbach. - Des exemples pourraient prouver l’exactitude de ce qu’a dit M. Dumortier touchant les regrets qu’éprouvent par la suite de jeunes peintres, de voir figurer leurs tableaux dans les musées. Je connais un artiste habile qui est maintenant dans ce cas-là.
Le gouvernement néerlandais recevait par an 20,000 florins pour encouragement aux beaux-arts ; eh bien le chiffre 30,000 fr. que m’on propose d’accorder est proportionnellement plus fort puisque le royaume est partagé en deux. On ne peut donc pas nous accuser de ne pas protéger suffisamment les sciences et les arts.
Plusieurs orateurs se sont efforcés à prouver qu’il fallait protéger les arts, les sciences, les belles-lettres ; mais je pense que les peintres, les savants, les littérateurs ministériels, ne sont jamais à la hauteur de ceux qui travaillent pour acquérir simplement de la gloire.
C’est cette gloire que les administrations ne peuvent décerner, qui est le véritable stimulant des hommes de génie. Quand on supposerait que le gouvernement peut avoir de l’influence sur les beaux-arts, je demanderai : Que peut-on faire avec 60,000 fr ?
Si nos affaires étaient terminées avec la Hollande, si les millions qu’elle réclamera étaient payés, et que notre industrie et notre commerce fussent dans un grand état de prospérité, je consentirais volontiers à charger nos budgets d’allocations pour les beaux-arts ; mais les millions pour la Hollande ne sont pas payés. Le ministre de la guerre, de son côté, est venu nous faire des demandes de subsides ; le moment n’est donc pas venu d’accorder au-delà des 30,000 fr. proposés par la section centrale. Cette année, il n’y aura pas d’exposition nationale des produits de l’industrie et des productions des beaux-arts ; il n’y aura que des expositions locales. On pourra sans doute accorder quelques encouragements dans les expositions ; mais puisque 30,000 fr. ont suffi en 1833, ils pourront suffire en 1834. (Aux voix ! aux voix ! aux voix !)
M. Legrelle. - Vous le savez, messieurs, il n’est pas d’opinion qui, poussée presque dans ses dernières conséquences, ne puisse pas tomber dans l’absurde. C’est ainsi qu’il a plu à mon voisin de gauche de me faire dire des choses auxquelles je n’avais pas même pensé.
Quand j’ai engagé le gouvernement à exposer les productions de nos peintres d’histoire dans les églises des communes, je pas voulu dire qu’il fallait donner chaque année un tableau à une de nos églises, ce qui, effectivement, nous mènerait à 2,500 ans ; mais il est évident que j’ai dit le tout au lieu de la partie ; et qu’il ne s’agissait que d’un certain nombre d’églises ; que je ne demandais des expositions que dans les églises des communes qui auraient le plus de droit, soit pour avoir donner naissance à des artistes estimables, soit à cause de leur importance. Je n’ai pas non plus voulu exciter votre tendresse en faveur des églises. Ce n’est pas sous ce rapport que j’ai conseillé les expositions dans les églises. Le culte n’a ici rien de commun avec les arts. Le genre d’histoire qui est grandiose a besoin d’être encouragé ; c’est en exposant leurs productions au grand jour que vous exciterez l’émulation des artistes.
Je dois relever encore une observation de M. Dumortier qui a établi deux catégories d’expositions, les unes locales, les autres nationales. L’honorable membre nous avait bien dit qu’une exposition nationale n’était pas locale, mais c’est à cela que s’est borné ce qu’il a dit. Je désirerais qu’il voulût dire en quoi une exposition est locale. Il est facile avec de grands mots de venir dénigrer telle localité. Mais je vous demanderai si les expositions qui ont lieu à Gand, à Anvers, à Liége, etc., sont antinationales ou moins nationales que celle de Bruxelles. Ce ne sont pas les villes où se font les expositions qui en profitent, mais les habitants en général. Ce n’est pas en faveur des habitants de la ville, mais de toute la nation, qu’à Anvers on a établi trois prix de peinture : l’histoire, le paysage et le genre ; un prix d’architecture, de gravure et de sculpture. Ce ne sont pas les habitants seulement qui concourent pour ces prix, c’est tout le pays ; les expositions sont donc nationales ; et ou aurait fort mauvaise grâce d’appeler locales et non nationales des dépenses faites dans l’intérêt de la nationalité et pour lesquelles des communes s’imposent tant de sacrifices.
M. Dumortier. - L’honorable préopinant a eu tort de penser que je trouvais l’exposition d’Anvers antinationale. Je n’ai rien dit de semblable : j’approuve les sentiments patriotiques des personnes qui prennent part à ces expositions, j’approuve les dépenses qu’elles font dans l’intérêt de la nationalité. Mais ce n’est pas une exposition faite par le gouvernement. C’est parce que les particuliers en font les frais, que le gouvernement n’a pas à les faire, et que le crédit de 30,000 fr. sera plus que suffisant. (La clôture ! la clôture !)
- La chambre consultée ferme la discussion.
M. le président. - Je vais mettre aux voix l’article premier du chapitre XI.
M. le ministre demande 233,440 fr. La section centrale propose le chiffre 150,440 fr.
M. Jullien. - Je demande la division. Il me semble qu’on est convenu de voter par lettre.
M. Gendebien. - On n’a parlé que sur le chiffre de 60 mille fr. demandé par le gouvernement pour encouragements, souscriptions et achats. Je suis disposé à accorder cette somme, mais non celle de 30 mille fr. demandée pour la création d’une académie qui est encore dans les brouillards des sections. Il est certain que l’académie ne sera pas instituée avant 5 mois, si toutefois vous votez la loi cette année. Ainsi, dans tous les cas, le crédit serait trop fort.
M. le président. - La division est de droit : puisqu’elle est demandée, nous voterons par division.
« Littera A. Encouragements, souscriptions, achats. »
Le gouvernement demande 60,000 fr.
La section centrale propose le chiffre de 30,000 fr.
Le chiffre du gouvernement est adopté.
« Littera B. Académie des sciences et des belles-lettres. »
Le gouvernement demande 50,000 fr.
La section centrale propose de n’allouer que 12,000 fr.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - J’adhère à l’amendement de la section centrale.
M. Dumortier. - Je demande que la chambre alloue pour l’académie qui n’est pas dans les brouillards des sections, puisque le rapport a été fait, la somme de 25 mille francs comme l’a proposé la commission chargée d’examiner le projet de loi, et dont j’ai déposé le rapport sur le bureau. C’est un crédit éventuel qui ne recevra d’application qu’autant que le projet de loi, ce que j’espère, serait voté dans le cours de cette session.
Quant à la réorganisation de l’académie, je suis persuadé que vous sentirez la nécessité de vous en occuper. En général on s’est plaint dans le pays que cette loi ait été écartée à l’époque où elle avait été mise à l’ordre du jour. Je crois que ce serait infiniment injuste envers les sciences et les lettres que de réduire à 12,000 fr. le crédit qu’on vous demande pour cet objet, lorsque vous venez d’accorder 60,000 fr. pour encouragements aux arts. Le plus bel encouragement qu’on puisse accorder aux sciences, aux lettres et aux arts, c’est de fonder des sociétés savantes. Vous prendriez ici le contrepied de ce que vous désirez faire ; après avoir accordé au ministre des sommes énormes qu’il peut dépenser à son gré, vous refuseriez le crédit qu’on vous demande pour une institution qui doit avoir dans le pays la plus grande influence sur les progrès de la civilisation. Je ne pourrais concevoir un pareil système. Je persiste à demander que la chambre alloue le crédit proposé par la commission spéciale qui a fait le rapport sur la réorganisation de l’académie.
M. Jullien. - J’estime et j’honore les savants, mais ce sont ceux à qui la voix de leurs concitoyens a décerné librement ce titre. Quant aux savants de par le Roi ou de par la loi, j’avoue que je n’ai aucune sympathie pour eux. C’est de savants de cette deuxième catégorie que le projet de loi sur l’académie menace d’enrichir la Belgique. Si ce projet est soumis à vos délibérations, mon intention est de le combattre. Je ne dirai pas par quels moyens, car cela nous entraînerait dans une discussion prématurée. Mais mon intention bien arrêtée est de combattre tout projet d’académie de savants de par la loi et de par le Roi.
Tout ce qu’on eut faire dans l’intérêt des sciences et des lettres, c’est d’encourager les associations savantes. Les corps savants n’ont montré dans tous les temps que des preuves de servilisme, et jamais je ne voterai de loi ayant pour but d’en constituer. Je ne suis donc pas disposé à accorder les 50,000 francs demandés sur la prévision de l’organisation de l’académie.
J’approuve très fortement l’opinion de la section centrale qui a été d’ajourner le vote des 38 mille fr. d’augmentation à la discussion du projet de loi relatif à l’académie. Si vous adoptez la loi, il sera toujours facile de stipuler le crédit nécessaire pour faire face à la dépense. Lorsque vous organiserez l’académie, si vous l’organisez, vous fixerez la base de l’organisation, vous déterminer le nombre des membres, et c’est d’après ce nombre que vous pourrez calculer la dépense. Pourquoi irions-nous voter aujourd’hui une dépense de 38 mille francs par prévision d’une académie, qui peut-être ne verra jamais le jour et lorsque vous ne pouvez pas avoir la certitude que cette somme sera suffisante ? La section centrale propose d’allouer pour l’académie telle qu’elle existe la somme de 12 mille francs comme l’année dernière ; c’est pour ce chiffre que je voterai.
M. Ernst. - Je présenterai de simples observations, qui, j’espère, détermineront M. Dumortier à retirer sa proposition.
La commission chargée d’examiner la loi relative à l’académie a demandé pour la nouvelle académie une allocation de 25 mille fr. ; mais la commission a motivé cette augmentation de crédit, et la chambre ne pourrait la voter maintenant en connaissance de cause.
La commission propose en outre de fonder une dotation perpétuelle. Ces deux propositions ont besoin d’être examinées pour que la chambre puisse apprécier si le crédit demandé est trop élevé ou pas assez, ce qui peut arriver.
Par ces motifs, je pense que M. Dumortier retirera sa proposition et laissera la question entière.
M. de Brouckere. - Je n’ai pas de motif pour élever le crédit alloué l’année dernière. Quand la loi aura été adoptée, si on l’adopte, je serai le premier à voter l’allocation qui sera reconnue nécessaire. Mais tant que la réorganisation n’a pas eu lieu, il est inutile d’allouer plus de 12 mille fr.
M. Dumortier. - Il existe un projet de loi qui a été pris en considération et par conséquent en faveur duquel il y a préjugé. Il a de plus subi l’épreuve d’une commission qui vous en a proposé l’adoption. Le crédit nécessaire pour faire face à la dépense a été évalué à 25 mille fr. C’est par ce motif que je proposais d’en porter l’allocation au budget. Je pensais que vous ne seriez pas moins généreux envers les lettres et les sciences qu’envers les beaux-arts. Mais puisqu’on vient de dire que rien ne sera préjugé par le vote qu’on va émettre, et que le projet sur l’académie ne sera pas pour cela renvoyé aux calendes grecques, je retire ma proposition.
Un honorable préopinant a dit qu’il ne voulait pas de savants, d’académiciens de par le Roi ou de par la loi. Je ne veux pas non plus de savants de par le Roi, je reconnais que c’est un grave abus ; mais, quant aux savants de par sa loi, l’honorable membre me permettra de n’être pas de son avis.
La convention nationale qui savait ce qui convenait à la dignité d’un peuple libre fonda l’institut national, et les savants qui y furent admis furent nommés non par la loi mais en vertu de la loi. De semblables institutions ne pourraient être méconnues que par des hommes qui n’auraient aucune espèce de connaissance. Personne n’ignore les services que l’institut, l’académie des sciences en France, a rendus et rend tous les jours sous le rapport de l’industrie. Une institution de ce genre peut avoir chez nous les plus grands résultats.
Je pense que ce peu de mots suffit pour répondre à l’honorable membre.
M. de Brouckere. - L’honorable préopinant se plaint de ce que nous nous montrons peu généreux pour les sciences et les lettres, alors que nous avons voté 30,000 fr. pour les arts. Je le prie de jeter les yeux sur le budget, il verra que cette somme est destinée à encourager les sciences et les lettres aussi bien que les arts.
M. Dumortier. - Personne n’ignore que cette somme est presque exclusivement consacrée aux arts. Je défie qu’on me cite un seul mémoire de sciences pour l’impression duquel le gouvernement ait accordé le moindre subside. Les encouragements aux sciences ont toujours été accordés sur les fonds de l’académie des sciences.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Des encouragements ont été donnés aux lettres et aux sciences sur l’allocation dont il s’agit. Des sommes ont été accordées à plusieurs ouvrages littéraires ; quant aux sciences, ma mémoire me fournit trois exemples d’encouragement : une somme a été donnée à un de nos savants les plus distingués, pour un voyage en Angleterre ; un jeune médecin a été envoyé en Prusse pour étudier l’ophtalmie ; un jeune savant est allé en France continuer l’étude des langues orientales.
Je pourrais citer d’autres exemples encore, mais tous ces encouragements sont mis à la connaissance du public par le Moniteur, je suis étonné qu’on paraisse les ignorer.
Quant à l’académie de Bruxelles, nous sommes aussi désireux que qui que ce soit qu’elle reçoive une institution vraiment libérale. Nous avons été animés de sentiments si peu hostiles à son égard, que c’est sur notre proposition que l’allocation qui n’était d’abord que de 4 mille florins a été portée à 12 mille francs.
M. Dumortier. - C’est moi qui ai proposé cette augmentation.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - M. Dumortier prétend que cette augmentation a été adoptée sur sa proposition. Je veux bien lui laisser l’honneur qu’il revendique. Cependant, dans l’intérêt de la vérité, je vous prie de revoir les développements du budget de l’année dernière, vous y verrez que c’est le ministre qui a proposé l’augmentation.
- M. Dumortier ayant retiré sa proposition, et M. le ministre adhérant à la réduction de la section centrale, le chiffre de 12,000 fr. est mis aux voix et adopté.
« Littera C. Musée des arts et de l’industrie. »
Le gouvernement demande 40,000 fr.
La section centrale propose d’allouer 25,000 fr.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Comme il est possible que la loi sur l’instruction publique apporte des modifications à cette institution, telle que nous l’avions conçue, je pense qu’on peut réduire l’allocation à la somme fixée par la section centrale. Cependant je ferai observer que la commission du musée pense que cette somme sera insuffisante, et réclame 30,000 fr. Il est question de transporter au palais de l’industrie nationale les objets qui sont au musée ; il manque beaucoup d’instruments, il est nécessaire d’en compléter la collection. Je laisserai la chambre juge entre la commission du musée et la section centrale.
- Le chiffre de 30,000 fr. est mis aux voix et adopté.
« Littera D. Observatoire astronomique : fr. 29,640 fr. »
- Adopté.
« Littera E. Bibliothèque des manuscrits de l’Etat, dite des ducs de Bourgogne : fr. 10,000. »
M. Dumortier. - Je regrette que M. le ministre n’ait pas demandé davantage. La plupart de nos manuscrits historiques se trouvent dans les mains de particuliers ; les Anglais les recherchent et si l’Etat ne se hâte de les acquérir, ils seront perdus pour nous à tout jamais, et nous serons privés des principaux documents de notre histoire. Au reste, comme je pense que le crédit de 60 mille fr. présentera un excédant, j’engage le ministre à en disposer pour compléter autant que possible les collections de manuscrits qui se trouvent à la bibliothèque des ducs de Bourgogne.
- Le chiffre de 10,000 fr. est mis aux voix et adopté.
« Littera F. Académie royale des beaux arts à Anvers : fr. 13,400. »
- Adopté.
« Littera G. Académie des beaux-arts à Bruxelles : fr. 4,200. »
- Adopté.
« Littera H. Académie des beaux-arts à Bruges : fr. 4,200. »
- Adopté.
« Littera I. Conservatoire de musique à Bruxelles : fr. 13,000. »
- Adopté.
« Littera J. Conservatoire de musique à Liége : fr. 9,000. »
- Adopté.
- L’ensemble de l’article réduit à 185,440 francs est également adopté.
« Art. 2. Monument de la place des Martyrs : fr. 30,000. »
M. Helias d’Huddeghem. - Messieurs, il a semblée à votre section centrale qu’au lieu du monument projeté à la place des Martyrs, il faudrait y établir une simple pierre sépulcrale sur le lieu de l’inhumation, à l’endroit où la première pierre a été placée par le congrès national, et qu’il faudrait établir le monument au Parc.
Je ne puis partager cette opinion ; le monument doit être posé à la place des Martyrs, d’après la volonté expresse du congrès, qui décréta que le monument serait élevé dans ce lieu, dans la vue d’honorer les cendres et de rappeler à nos arrière-neveux les noms des braves qui sont morts en combattant pour l’indépendance de la Belgique.
Placer ce monument expiatoire ailleurs, ce serait servir, sans doute contre votre intention, les vues de ceux qui sont opposés à l’établissement du monument. Quant au monument tel que le modèle en a été exposé pendant l’anniversaire des journées de septembre, il ne pourrait être convenablement établi à la place des Martyrs ; mais conviendrait-il mieux au Parc ? Je crois que ce plan ne trouvera pas de défenseur dans cette enceinte.
On a émis déjà plusieurs fois, à cette tribune le vœu de voir renouveler un concours pour la construction d’un autre plan. Il a été dit que le premier concours n’avait produit aucun effet, parce que la prime était trop modique ; que si elle avait été de 1,000 fl. à 1,500 fl., il est certain que les artistes les plus distingués auraient pu concourir.
Si ma mémoire est fidèle, M. le ministre de l’intérieur, ainsi que son prédécesseur, nous ont parlé de renouveler le concours. Je désirerais connaître s’il a été donné suite à la proposition d’établir un nouveau concours, pour la construction d’un monument à ériger à la place des Martyrs.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Un concours a eu lieu pour le monument de la place des Martyrs, mais ce concours n’ayant pas produit le résultat qu’on en espérait, le gouvernement a cru devoir consulter la commission chargée de l’examen des projets envoyés au concours, pour savoir s’il serait utile de le renouveler. La commission a pensé qu’un nouveau concours ne donnerait pas de meilleur résultat. Le gouvernement, ne voulant pas s’en tenir à cet avis, a soumis la question à une nouvelle commission plus nombreuse. Cette nouvelle commission a partagé l’avis de la première.
Quant à l’opinion de la section centrale, je n’avais pas cru devoir la combattre ; je ne la croyais pas de nature à lier le gouvernement dans cette circonstance. Le gouvernement a décidé que le monument serait érigé sur la place des Martyrs, et en prenant cette résolution, il n’a fait que se conformer à la décision du gouvernement provisoire qui, le 24 septembre 1830, tandis qu’on se battait au Parc, décréta en même temps que les citoyens morts pour l’indépendance de la Belgique seraient enterrés dans cet endroit, et qu’un monument y serait érigé à leur mémoire. L’avis des artistes est que le monument doit être élevé sur la place des Martyrs ; que, par cela même qu’elle est étroite, elle convient mieux à la sculpture qu’au grand emplacement où les monuments de ce genre font peu d’effet.
Il serait peut-être moins convenable d’ériger un monument triomphal dans un jardin public que de conserver un souvenir plus modeste et plus religieux de ceux qui se sont dévoués pour leur patrie, et de le consacrer dans le lieu même où ils ont été enterrés.
L’opinion des artistes a été unanime, et il est convenu, avec celui que le gouvernement a chargé de l’exécution du monument, que c’est sur la place des Martyrs que ce monument doit être élevé.
M. Helias d’Huddeghem. - M. le ministre nous a dit que les deux commissions avaient été d’avis de ne pas recommencer le concours. Pour le premier concours on ne donnait que 500 florins, il n’est pas étonnant qu’il ait été sans résultat. Il était impossible d’espérer que pour ce prix les premiers maîtres vinssent concourir. Pour le monument du général Belliard, la prime était beaucoup plus élevée, et le concours qui eut lieu révéla un jeune talent inconnu jusqu’alors, M. Geefs. C’est lui qui fut chargé de faire le monument.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - C’est précisément M. Geefs que le gouvernement a chargé de faire le monument de la place des Martyrs. (La clôture ! la clôture !)
M. Gendebien. - Je demande pardon à la chambre, je demande à ajouter deux mots pour démontrer la nécessité d’un nouveau concours, non pas que le projet ne me paraisse pas convenable, mais parce qu’il est récemment arrivé de Rome un artiste très distingué appartenant à la ville de Tournay, Craene, qui dit-on mérite d’être cité comme une des merveilles du siècle. Je désirerais que le concours fût recommencé afin de donner à cet artiste l’occasion de montrer son talent. Ce serait une protection accordée aux arts, une occasion de dédommager un artiste du sacrifice de vingt années à un art aussi stérile que l’architecture, art qui reçoit en Belgique si peu d’encouragement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Si en effet comme j’aime à le croire, le talent dont il s’agit est une des merveilles de l’époque, je ferai remarquer que la question ne serait pas d’ouvrir un nouveau concours, mais de lui donner immédiatement le travail à faire. Ce n’est pas lorsqu’on est sûr de trouver un homme capable, qu’il est utile de faire un concours.
Rentrant plus spécialement dans la question, je ferai observer que le talent qu’on vient de citer est un architecte. On a décide que le monument ne serait pas architectural, mais que la sculpture y dominerait ; ainsi il n’y aurait pas lieu d’utiliser ici le talent de l’artiste dont on vient de parler.
M. Gendebien. - Il pourra donner un plan monumental, et vous pourrez faire entrer toutes les sculptures que vous voudrez. Pour avoir une bonne sculpture il tout d’abord avoir un bon plan.
M. A. Rodenbach. - La presse et les artistes ont beaucoup critiqué le monument en bois qui existe sur la place des Martyrs. Je demande si c’est celui-là que M. le sculpteur d’Anvers est chargé d’exécuter. Si on avait arrêté un autre projet, nous devrions en savoir quelque chose.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - On a, dit-on, élevé des critiques contre le monument provisoire de la place des Martyrs. Cela est vrai ; mais quand on élève de semblables monuments, c’est pour provoquer les critiques des hommes de l’art et du public.
M. Dumortier. - Il n’est que trop vrai que ce monument a donné lieu à des critiques. Elles sont même arrivées en abondance. Il est plusieurs manières d’arriver à un résultat heureux, quand on veut ériger un monument d’architecture. Il en est une qu’on emploie en Angleterre et qu’on devrait employer en tout pays. Quand le gouvernement décide l’érection d’un monument, il ne le met pas au concours, parce que les artistes les plus distingués, dans la crainte d’exposer leur réputation, ne voudraient pas concourir ; mais il se fait donner des plans par les artistes qui ont le plus de mérite, sans s’engager à les exécuter, et il choisit celui qu’il trouve le mieux. C’est ce qu’on a fait pour la nouvelle salle des communes qu’on se propose de construire. Je tiens ces détails de l’honorable M. Hume, et on a eu les plus beaux plans des premiers artistes.
Je crains qu’avec le mode actuel on ne donne tout au favoritisme, à la camaraderie, ce qui est extrêmement dangereux.. J’appuie les observations qui ont été faites sur la nécessité de revenir sur le monument projeté, il est impossible de l’exécuter comme cela.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il s’agit de faire un monument durable qui puisse témoigner du goût de l’époque. Le gouvernement n’a pas entendu s’engager à exécuter le plan figuré. C’est pour recueillir toutes les observations des artistes et du public que le monument a été exécuté en bois. Toutes les critiques plus ou moins justes, plus ou moins acerbes ont été soumises à la commission spéciale qui a donné son avis au ministre après les avoir toutes examinées. Diverses modifications seront apportées au plan primitif. La sculpture dominera le monument au lieu d’en être l’accessoire. C’est pour cela que la place des Martyrs convient mieux que tout autre emplacement.
M. A. Rodenbach. - Il paraît qu’il y a un nouveau plan ; je désirerais avant de le faire exécuter, que le ministre le fît publier ; tout le monde n’est pas architecte et sculpteur, mais il n’est pas nécessaire de l’être pour juger de la beauté d’un monument. Le public est toujours très bon juge.
- Le chiffre de 30,000 fr. porté à l’article 2 est mis aux voix et adopté.
« Art. 3. Primes, encouragements aux arts et à l’industrie aux termes de la loi du 25 janvier 1817, sur les fonds provenant des droits de brevet et frais occasionnés par la délivrance des brevets : fr. 10,000 fr. »
M. de Brouckere. - A plusieurs reprises j’ai demandé la révision de la loi sur les brevets. Le gouvernement lui-même avait manifesté l’intention de présenter un projet de loi sur cette matière. Je rappellerai cet objet à son souvenir. Je sais que des plaintes nombreuses se sont élevées contre cette législation et contre la manière dont elle est exécutée. J’espère que le gouvernement voudra bien entendre ma voix et les observations que d’honorables députés lui ont déjà faites.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Si on voulait lire les développements de la section centrale, on verrait que le gouvernement a consulté tous les corps compétents sur la matière, les chambres de commerce, les administrations provinciales, et que toutes ont pensé que la législation n’offrait pas de défauts tels qu’elle dût être remplacée par une législation nouvelle. Je ne nie pas que des plaintes fréquentes m’aient été adressées, mais ces plaintes n’étaient pas nombreuses.
La manière dont la loi est exécutée est conforme à son esprit ; elle est exécutée dans un sens libéral, dans l’intérêt de l’industrie.
M. Gendebien. - Je ne citerai qu’un seul exemple, pour prouver combien la loi est mauvaise ou mal appliquée. Un Belge a demandé un brevet sous l’ancien gouvernement, l’administration le lui refusa. Après la révolution, un étranger fait la même demande pour le même objet, il obtient son brevet au préjudice du Belge.
Des plaintes fréquentes sont faites par les journaux sur l’application de la loi relative aux brevets d’importation. Pour ma part, j’ai fait remarquer plusieurs fois, combien il était injuste de faire payer des sommes toujours à l’arbitrage de l’administration pour une idée nouvelle, pour laquelle l’inventeur demande un brevet d’invention. Si cette idée est bonne, vous devez encourager son auteur ; si elle si mauvaise, vous devez plaindre celui qui a passé peut-être une grande partie de sa vie à des recherches inutiles, mais vous ne devez pas les condamner à une espèce d’amende, sous le titre de brevet, pour en distribuer le produit à celui qui sollicitera plus longtemps et plus vivement.
On doit protéger autrement les hommes qui passent une partie de leur vie à chercher l’application de quelque idée utile.
M. de Brouckere. - Les plaintes contre la loi relative aux brevets d’invention sont fréquentes, dit M. le ministre,. Mais ne sont pas nombreuses. Je n’avais pas compris d’abord, mais j’ai pu entendre que cela voulait dire qu’il y avait beaucoup de plaintes, mais que ces plaintes venaient de la même personne. Cela n’est pas exact ; la meilleure preuve, c’est qu’il y a peu de jours une plainte a été faite par plusieurs personnes, et contre la législation, et contre la manière dont elle est interprétée. Je ne veux pas insister maintenant ; j’attendrai pour émettre mon opinion que la chambre soit appelée à prononcer sur la pétition.
M. Jullien. - La matière est extrêmement intéressante. Il s’agit des brevets d’importation ; mais puisqu’on paraît vouloir ajourner cette discussion au vote sur la pétition dont parle M. de Brouckere, j’ajournerai à cette époque mes observations sur les vices de la loi et sur la manière plus vicieuse encore dont elle est exécutée.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je réserve aussi mes observations pour cette époque.
- Le chiffre de 10,000 fr. est mis aux voix et adopté.
« Art. 4. Service de santé : fr. 40,000. »
- Adopté.
« Art. 1er. Frais d’administration. Personnel. »
Le gouvernement demande 19,400 fr. La section propose d’allouer 17,870 fr.
M. Desmet. - Je crois qu’il faut revenir au chapitre VIII.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Une allocation de 150.000 francs pour un local à construire a été renvoyée du chapitre VIII au chapitre XII dont nous nous occupons. Elle devra faire l’objet d’un article nouveau qui serait l’article 6.
M. Legrelle. - Messieurs, vous avez entendu la discussion de l’année dernière ; nous avons voté le chiffre que propose la section centrale, nous avons cru que l’allocation était suffisante. Si le ministre désire qu’il soit augmenté, je le prie de nous en donner les motifs.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il a paru que l’augmentation que je demande était suffisamment justifiée par les développements du budget. Je dois m’y référer. Je demande la permission de les lire :
« L’augmentation du crédit est destinée à attacher à l’administration des archives du royaume un nouvel employé, afin d’activer la mise en ordre des archives, et de former un inventaire qui n’est complet pour aucune partie du dépôt. »
Je ne pense pas pouvoir justifier autrement cette augmentation. La section centrale a senti la nécessité de faire un triage pour le cas où les archives seraient transportées dans un autre local, ce qui est devenu absolument nécessaire. On s’occupe en ce moment de la rédaction d’un catalogue général des archives ; ainsi que j’ai eu l’honneur de le dire, les archives manquent encore de catalogue, le pays ignore complètement les richesses à cet égard. Le nombre d’employés est insuffisant pour faire ce catalogue ; il est indispensable de le renforcer, si on veut faire avancer le travail. Ensuite le gouvernement a pris vis-à-vis d’un jeune savant des engagements auxquels il ne pourrait pas renoncer. Il suffirait, j’en suis sûr, de nommer la personne à laquelle je fais allusion pour que la chambre accordât sans hésiter l’augmentation demandée.
Quant aux archives dans les provinces, si des explications sont nécessaires, je les donnerai lorsque nous en serons à l’article que les concerne.
M. Dumortier. - Messieurs je pense que nous devons accorder au ministre le crédit demandé. Quand nous avons examiné le budget des finances, nous avons supprimé l’allocation pour l’archiviste du département des finances où se trouvent les archives d’anciennes corporations, par la raison que ces archives devaient être reportées au ministère du l’intérieur. Je pense que c’est un motif pour accorder l’allocation.
M. Jullien. - Il est certain, d’après les développements du budget et les renseignements particuliers que je me suis procurés, que le personnel du bureau des archives doit être augmenté si on veut avoir un catalogue complet des archives. Il y a déjà 25 mille articles catalogués, et si on n’ajoute pas un employé, on sera encore 25 ans avant d’avoir un catalogue complet. Il y a déjà nécessité d’augmenter le personnel, d’après l'observation de M. Dumortier qui me paraît décisive. Quand on s’est occupé du budget des finances, on a supprimé une allocation de 1,940 fr. pour les archives des domaines, par la raison que cet article devait être reporté au ministère de l’intérieur, dans le département duquel se trouvent les archives du royaume. D’après ces considérations je pense qu’il y a lieu d’allouer le chiffre demandé.
- Le chiffre de 19,400 fr. est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Frais d’administration. Matériel. »
Le gouvernement demande 2,600 fr. La section centrale alloue 1,600 fr.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je n’abuserai pas des moments de la chambre. J’aurai voulu que la section centrale motivât la réduction qu’elle demande. Le chiffre que je propose est le même que celui de l’année dernière.
M. de Brouckere. - La section centrale dit que l’examen détaillé de l’emploi de ce crédit motive la réduction qu’elle propose ; il serait à désirer que le membre de la section centrale qui s’est occupé de cet examen voulût nous dire sur quoi est basée cette réduction de mille francs ; sans cela, je ne sais pas comment nous pourrions la voter. Je suis disposé à l’adopter si on m’en démontre la possibilité.
M. Legrelle. - Il suffit de parcourir le tableau détaillé de l’emploi de la somme demandée pour s’assurer qu’une économie de mille francs est impossible. La section centrale n’a pas motivé sa proposition. Je pense, cependant, qu’une économie de 400 francs serait possible, mais ce n’est peut-être pas la peine de faire une proposition.
- Le chiffre de 2.600 francs est mis aux voix et après une première épreuve douteuse, il est adopté.
« Art. 3. Archives de l’Etat dans les provinces. »
Le gouvernement demande 9,000 fr. - La section centrale propose d’allouer 4,500 fr.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je regrette que les réductions tombent sur une dépense dont le but est généralement reconnu utile. L’augmentation que je demande est suffisamment motivée aux développements du budget. Elle est destinée :
1° A acquitter le traitement du conservateur du dépôt des archives à Bruges ;
2° A couvrir les frais d’exécution de l’arrête royal du 15 octobre 1832, portant : que les titres historiques et administratifs existant dans les archives des provinces, en seraient séparés pour être réunis aux dépôts appartenant au gouvernement ;
3° A indemniser des employés temporaires qui seront adjoints aux conservateurs des dépôts de Liège, Mons, Bruges et Gand, pour les aider à activer le classement des archives.
Voilà les trois motifs qui m’ont engagé à demander une augmentation de 4.500 fr.
M. Legrelle. - Il est fâcheux de devoir reproduire chaque année les mêmes arguments. L’année dernière on a demandé si les archives qui étaient dans les dépôts des provinces, et pour l’entretien desquelles on demandait une allocation, appartenaient à l’Etat. Voilà toute la question. Si ces archives appartiennent à l’Etat, c’est l’Etat qui doit donc faire la dépense ; si au contraire aux provinces, c’est aux provinces à supporter les frais de leur conservation. L’année dernière aucun des députés des provinces où se trouvent des dépôts d’archives n’a osé nier que ces archives fussent purement provinciales ou locales. C’est donc aux provinces ou aux localités à faire les frais de leur entretien. Je renouvelle ma demande pour les archives dont il s’agit, et si M. le ministre ne m’assure pas que ces archives appartiennent à l’Etat, je voterai contre l’allocation.
M. Jullien. - Puisque le député d’Anvers adresse la même demande que l’année dernière, je lui ferai la même réponse. Il demande si les archives de Bruges, qui sont considérables, appartiennent à l’Etat. Je lui ai répondu et lui réponds encore oui et non. Elles appartiennent à l’Etat et à la province. Ce n’est qu’au moyen d’un triage devenu nécessaire, qu’on pourra savoir ce qui est propriété de l’Etat et ce qui est propriété de la province. Jusque-là il est certain que ce dépôt doit rester sous la main du gouvernement et être soigneusement conservé. Bruges qui fut autrefois le siège du gouvernement des Pays-Bas, du temps des ducs de Bourgogne, a dans son dépôt des documents très précieux. Je n’entrerai pas dans les mêmes développements que l’année dernière, ma mémoire ne me les rappelle pas. J’avais alors pris des notes.
Je ne croyais pas que cet article viendrait en discussion aujourd’hui, mais je puis rassurer M. Legrelle sur ses doutes et lui affirmer qu’une partie des archives de Bruges appartient à l’Etat. Jusqu’à ce que le triage soit fait, les frais d’entretien comme de triage doivent être à la charge de l’Etat.
M. Dumortier. - Je ne conçois pas qu’on mette à la charge de l’Etat des dépenses qui sont purement provinciales. Qu’il soit nécessaire d’avoir un archiviste à Gand, à Mons, à Bruges, à Liége, à Tournay, je le veux bien, mais que le gouvernement doive payer ces archivistes, c’est ce que je ne puis admettre. S’il s’agissait des archives de l’Etat, incontestablement nous devrions payer les conservateurs. Mais personne ne doute que ce sont des archives complètement provinciales.
Si l’Etat voulait s’en emparer, les provinces s’y opposeraient. C’est donc aux provinces a payer les frais de leur entretien. C’est une absurdité de porter au budget une allocation pour archivistes de dépôts d’archives provinciales. Quand nous avons examiné la question à la section centrale, nous avons décidé que la Flandre orientale, le Hainaut, le Limbourg, le Luxembourg, toutes les provinces devaient payer leur archiviste. Si vous en payez un sur les fonds de l’Etat il n’y a pas de raison pour ne pas lui faire payer tous les archivistes du royaume. Comme cette proposition serait absurde, je demande qu’on n’accorde pas l’augmentation demandée pour cet objet.
M. Legrelle. - L’honorable M. Jullien a eu la bonté de me répondre catégoriquement. J’avais prié qu’il me répondît oui ou non, et l’honorable membre m’a répondu oui et non ; c’est-à-dire qu’il y a des archives appartenant à l’Etat et d’autres appartenant aux provinces. Mais dit-il, les fonds servent uniquement à faire la division de ces archives. Je lui demanderai s’il consentirait, au nom de sa province, au transport à Bruxelles de la partie des archives du dépôt de Bruges, qu’il dit appartenir à l’Etat, et si la province ne croirait pas devoir s’y opposer.
Si cependant une partie des archives du dépôt de Bruges appartient à la richesse commune, je désire qu’elle soit transportée à Bruxelles, et qu’elle soit jointe au dépôt général que vous entretenez à grands frais, et pour lequel vous venez de voter une augmentation de dépenses ; vous devez réunir toutes les richesses de ce genre qui sont éparpillées dans les provinces. Car c’est à Bruxelles que se trouvent les personnes qui sont à même de profiter de ces documents. Mais je crains que ces archives ne sortent jamais des provinces où elles se trouvent. Vous accorderez des fonds pour payer les employés qui les mettront en ordre et vous ne pourrez pas en disposer.
Si vous faites la dépense de l’archiviste pour quelques provinces, la province d’Anvers comme tant d’autres demanderont qu’on en fasse autant pour elles. Si mes honorables amis entendaient les intérêts de leur province ils tiendraient à la conservation de leur dépôt de monuments historiques et littéraires, et consentiraient à en payer les frais.
M. Jullien. - Je dois déclarer que mon mandat ne va pas jusqu’à disposer des richesses littéraires qui se trouvent dans le dépôt de Bruges. Je ne sais pas pourquoi on m’interpelle sur la question de savoir si je consens ou si je ne consens pas au transport d’une partie de ce dépôt à Bruxelles. Je répète à M. Legrelle et j’ai l’honneur de répéter à la chambre que ce dépôt renferme des richesses appartient en partie à l’Etat, en partie à la province. Si on s’occupait d’en faire le triage, le gouvernement y trouverait de grands avantages. C’est parce que je pense qu’il faut rendre à chacun ce qui lui appartient que je demande qu’on accorde une somme pour faire ce triage. Ce n’est que quand il sera fait qu’on pourra savoir ce qui appartient à l’Etat et ce qui appartient à la province. Jusque-là, c’est l’Etat qui doit conserver le dépôt.
M. A. Rodenbach. - J’appuie les observations de l’honorable député de Bruges. Il est très vrai que plusieurs dépôts de province renferment des archives appartenant à l’Etat et que le gouvernement devra peut-être faire transporter à Bruxelles. Cette question n’est pas décidée et aussi longtemps qu’elle ne le sera pas, le gouvernement est intéressé à veiller à la conservation de ces dépôts.
Il faut donc qu’il y ait un archiviste à Bruges, on ne peut pas abandonner ces archives qui sont les plus curieuses du royaume.
M. Dumortier. - Il ne s’agit pas de savoir si on créera ou non un archiviste à Bruges, mais si on dégrèvera cette province du paiement de son archiviste pour le mettre à la charge de l’Etat. Si la chambre admet cette proposition, je lui demanderai la même faveur pour Tournay, Anvers, Mons, Namur. Il est évident que c’est là une dépense provinciale.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Les dépôts des archives dans certaines provinces sont une propriété mixte ; ils contiennent des richesses appartenant à l’Etat et des richesses locales ou provinciales. Il est tout naturel que le gouvernement se fasse représenter là où il a intérêt à ce qu’on n’enlève pas les archives qui doivent lui revenir. On dit que les provinces contestent au gouvernement la propriété de ces archives. Ce n’est pas une raison pour ne pas veiller à leur conservation en attendant que cette question de propriété soit décidée.
La province de Liége prétend avoir succédé à l’Etat des princes de Liège, et s’attribuer toutes les archives de l’Etat. Le gouvernement de son côté prétend y avoir des droits ; il a nommé son représentant près de ce dépôt, qui surveille et classe les documents. Quand le triage aura été fait et que l’Etat n’aura plus rien à réclamer, il retirera ses conservateurs et laissera aux provinces la garde de leurs dépôts, comme il fait pour celles où il ne croit pas avoir intérêt à les surveiller, comme dans la province d’Anvers, par exemple, où il n’existe pas d’archives appartenant à l’Etat, ou du moins en assez grande quantité, ou d’une assez grande importance pour nécessiter la présence d’un agent du gouvernement. Pour Bruges, la question est différente, il y a des documents d’un assez grand intérêt, c’est pourquoi j’insiste depuis deux ans pour pouvoir y nommer un conservateur.
M. Dumortier. - Mais je pense qu’il y en a un.
M. Jullien. - C’est un employé de la régence qui est là pour empêcher qu’on ne pille.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ferai observer que l’augmentation demandée n’a pas seulement pour objet de payer le traitement du conservateur à Bruges, mais encore comme je l’ai dit tout à l’heure, elle doit couvrir les frais d’exécution de l’arrêté de M. de Theux, du 15 octobre 1832, qui contient des mesures sages auxquelles j’applaudis.
Si on me signalait quelques localités, quelques dépôts où le gouvernement eût intérêt à se faire représenter, je ferais une demande formelle d’allocation pour y nommer un archiviste. Il ne faut pas perdre de vue que ces dépenses ne sont que temporaires.
Je ne comprends pas les résistances de la part des provinces pour s’opposer à ce qu’on réunisse au dépôt général des archives celles qui se trouvent dans leurs dépôts et qui seraient reconnues appartenir à l’Etat. Il nous serait facile de vaincre ces résistances.
Je ferai remarquer à l’honorable membre, qui tout à l’heure regrettait qu’on n’eût pas demandé une plus forte allocation pour la bibliothèque des ducs de Bourgogne, que dans les archives des provinces, il se trouve des documents précieux qu’il serait déplorable de laisser sous la poussière où ils dorment depuis des années.
M. Dumortier. - M. le ministre vient de dire que l’augmentation de crédit était demandée pour faire face aux frais d’exécution d’un arrêté pris par M. de Theux, pour réunir toutes les archives de l’Etat. J’aime M. de Theux, mais je désapprouve cet arrête s’il a été pris. Il peut offrir les plus grands dangers. A quoi servira-t-il de réunir à Bruxelles les archives de Liége, par exemple ? Ces archives sont d’un très grand intérêt pour l’histoire spéciale de la ville de Liége. Ce sont les Liégeois qui sont les premiers intéressés à les posséder, ils s’occuperont de l’histoire de la province de Liége, avec infiniment de profit pour l’histoire du pays. Les archives de Gand sont du plus haut intérêt pour la Flandre et d’intérêt secondaire pour les autres localités. Si ces archives restent dans les lieux où elles sont placées, il se trouvera dans ces localités des hommes livrés à l’étude qui pourront enrichir l’histoire nationale de documents précieux. Si au contraire, vous les centralisez à Bruxelles, elles seront le domaine exclusif de quelques personnes de Bruxelles ; et s’il arrivait un sinistre, il ne resterait rien dans des archives nationales ; tandis que si vous laissiez dans les dépôts des provinces les archives qui s’y trouvent, en supposant que le dépôt de Bruxelles fût consumé, il resterait encore beaucoup de documents.
Je ne saurais donc que désapprouver le système de centralisation des archives. M. le ministre de l'intérieur a pensé me mettre en contradiction avec moi-même, en rappelant que j’avais regretté qu’il n’eût pas demande une somme plus considérable pour la bibliothèque des manuscrits dite des ducs de Bourgogne. Je lui ferai observer que c’était parce qu’une foule de manuscrits précieux sont dans les mains des particuliers et que chaque jour ils quittent le pays. Ici la chose est différente, il ne s’agit pas de recueillir des archives en danger d’être perdus, mais de réunir aux archives de l’Etat celles qui sont dans les dépôts des provinces.
Si leur conservation était compromise dans les dépôts où elles se trouvent, je serais le premier à appuyer la proposition du gouvernement, mais comme ce danger n’existe pas, je ne puis donner mon assentiment à cette proposition. Au reste quand vous examinerez la loi provinciale, vous déciderez si la centralisation de archives doit avoir lieu.
Je suis persuadé que l’honorable M. Jullien ne voudra pas consentir à ce qu’on dépouille la ville de Bruges des richesses historiques et littéraires qu’elle possède. Quant à moi, je ne voudrais pas qu’on enlevât à la ville de Tournay celles que renferment ses archives. C’est une raison de plus pour voter contre le chiffre proposé par le ministre.
M. Jullien. - Je n’ai pas d’amour particulier pour le ministre actuel, non plus que pour son prédécesseur, mais j’aime avant tout la justice. Il faut donner à chacun le sien. C’est d’après la première règle du droit que je ne m’opposerai jamais à ce que les archives appartenant à l’Etat lui soient rendues. Mais ce n’est pas là la question, ; il s’agit d’une question de conservation. Il est évident que le dépôt de Bruges appartient à l’Etat et à la province. Tout ce qu’on demande, c’est de conserver les richesses historiques et littéraires que renferme ce dépôt. Tout le monde est d’avis qu’on doit pourvoir à sa conservation. Il est évident que les frais doivent être à la charge de l’Etat, jusqu’à ce qu’on ait fait le triage et décidé si on distraira ou non les archives appartenant à l’Etat ; car l’Etat a intérêt à surveiller les documents qu’il revendique.
M. de Theux. - L’arrêté dont on a parlé a pour objet de rechercher les documents administratifs qui se trouvent dans les greffes des anciennes cours et tribunaux et de les réunir au dépôt central de Bruxelles. Cet arrêté, jusqu’ici, n’avait été l’objet d’aucune critique.
Je pense qu’il y aurait inconvénient à allouer des fonds pour les archivistes des provinces avant le vote de la loi provinciale, car si cette loi met la dépense à la charge des provinces, ce seront des employés qui tomberont à la charge de l’Etat et auxquels il faudra procurer d’autres emplois.
Quant au second motif donné par M. le ministre à l’augmentation qu’il demande, les frais d’exécution de l’arrêté royal du 15 octobre 1832, je pense que cette dépense eût été mieux placée à l’article 4, qui est relatif aux frais d’inspection des archives dans les provinces, de recherches, et de recouvrement des archives manquantes.
Je ne vois pas de motif pour diviser des dépenses qui tendent au même résultat. Il faudrait augmenter l’article 4 de la somme que M. le ministre destine à cet objet.
Je voterai donc l’amendement de la section centrale, sauf à augmenter, s’il y a lieu, le crédit porté à l’article suivant.
M. Legrelle. - L’honorable M. Jullien s’est appuyé sur ce principe de justice qu’il faut donner à chacun le sien, pour soutenir l’allocation demandée par le ministre. C’est aussi un principe de justice que chacun doit payer ses dettes. Je demanderai la permission de relever une assertion inexacte de M. le ministre de l'intérieur, qui pourrait induire la chambre en erreur. M. le ministre vous a dit que le crédit qu’il demandait n’avait pour objet que de faire face à des besoins temporaires. Je ferai observer que dans les développements du budget, les deux premières dépenses dont il s’agit sont présentées comme perpétuelles et qu’il n’y a de temporaires que les employés adjoints aux conservateurs.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - J’ai dit que le traitement du conservateur de Bruges était temporaire, que quand il aurait terminé son travail et que le gouvernement n’aurait plus d’intérêt à avoir un représentant près de ce dépôt, on le retirerait ; si on veut ajouter le mot temporaire pour le conservateur de Bruges, je ne m’y oppose pas.
Je dois ajouter un mot sur la doctrine émise contre la centralisation des archives. Cette doctrine a été combattue par l’honorable ami de M. Dumortier, M. Dubus, qui s’est prononcé pour la centralisation.
Le meilleur moyen d’aider ceux qui s’occupent de recherches historiques c’est de réunir, autant que possible, tous les documents, afin qu’on ne soit pas obligé de courir de Bruxelles à Bruges, à Gand, à Liége pour les consulter. Si on craint les incendies, je ne vois pas pourquoi l’honorable membre, qui a soutenu cette doctrine, se plaignait tout à l’heure que la somme demandée pour augmenter les manuscrits de la bibliothèque des ducs de Bourgogne fût trop faible ; il faudrait alors éparpiller par tout le royaume les richesses que renferme cette bibliothèque, tous les habitants seraient appelés à y prendre leur part, et si dans une province un incendie venait à dévorer une partie des manuscrits, il en resterait encore beaucoup dans les autres provinces.
M. Dumortier. - Je répète à M. le ministre que si tout à l’heure j’ai exprimé le regret que le crédit demandé pour achat de manuscrits ne fût pas plus élevé, c’était pour empêcher que des documents précieux qui sont entre les mains des particuliers ne soient perdus pour le pays.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je demande la parole pour une communication du gouvernement.
Je me bornerai à vous lire le dispositif de la loi.
« Projet de loi.
« Léopold, roi des Belges, à tous présents et à venir, salut.
« Sur le rapport de notre ministre de l’intérieur, et de l’avis du conseil des ministres,
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Notre ministre de l’intérieur est chargé de présenter aux chambres, en notre nom, le projet de loi dont la teneur suit :
« Vu l’article 28 de la constitution ;
« Considérant qu’il est utile de déterminer, par voie d’interprétation législative, les droits du pouvoir royal et ceux de l’autorité provinciale à l’égard de l’annulation, de la suspension ou de l’approbation de certains actes des administrations communales ou provinciales, ainsi que le droit d’annulation, conféré aux gouverneurs des provinces par l’article 8 de l’arrêté du 8 octobre 1830 ;
« De commun accord avec les chambres, nous avons arrêté et arrêtons :
« Art. 1er. Le Roi, les états-députés et les gouverneurs des provinces ont respectivement conservé, et conservent, jusqu’à ce que la loi y ait autrement pourvu, à l’égard de l’approbation, de la suspension et de l’annulation des actes des administrations communales ou provinciales, tous les droits que leur confèrent les anciens statuts provinciaux et locaux.
« Art. 2. En vertu de l’article 8 de l’arrêté du 8 octobre 1830, les gouverneurs des provinces ont le droit d’annuler les élections communales pour irrégularités graves, sans distinction des irrégularités commises avant ou pendant les opérations électorales, et qui vicieraient, soit la forme, soit le fond des élections.
« Art. 3. Tous actes des administrations communales et provinciales ou des collèges électoraux antérieurs à la présente loi, et dont l’annulation ou la suspension a été ou sera prononcée conformément aux articles précédents, seront considérés comme légalement annulés ou suspendus.
« Art. 4. Toute décision d’un conseil de régence qui accepte ou refuse la démission d’un bourgmestre, d’un échevin ou d’un conseiller de régence, est soumise à l’approbation des états députés, et ne sort son effet qu’après avoir reçu cette approbation.
« Cette disposition s’applique aux décisions antérieures à la présente loi. Néanmoins, sont considérées comme valables et suffisamment approuvées celles de ces décisions qui n'ont éprouvé aucune réclamation ou opposition, soit de la part du titulaire intéressé, soit de la part des états-députés ou du pouvoir royal.
« Art 5. Tout membre d’une administration communale ou provinciale qui, sous quelque prétexte que ce soit, aura refusé de se conformer aux dispositions de la présente loi, ou se sera opposé à son exécution, et qui aura, après avertissement ou injonction du gouverneur, persévéré dans son refus ou opposition, pourra être suspendu de ses fonctions par le Roi. Il pourra en outre être poursuivi, et sera puni de l’interdiction des droits politiques pendant deux ans au moins, et cinq ans au plus, sans préjudice des plus fortes peines portées par le code pénal.
« Mandons et ordonnons, etc.
« Bruxelles le 24 février 1834.
« Par le Roi,
« Le ministre de l’intérieur,
« Ch. Rogier. »
M. le président. - La chambre donne acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi dont il vient d’être donné lecture.
Ce projet et les motifs qui l’accompagnent seront imprimés et distribués.
- La séance est levée quatre heures et demie.