(Moniteur belge n°271, du 28 septembre 1833)
(Présidence de M. Raikem)
La séance est ouverte à 10 heures et demie.
M. Liedts, l’un des secrétaires, donne lecture du procès-verbal. La rédaction en est adoptée.
Deux propositions sont renvoyées à la commission d’industrie, et l’autre à la commission des pétitions.
M. le président. - Voici quelle était la rédaction proposée par la section centrale :
« Art. 7 Travaux urgents aux rives de la Meuse, sauf recouvrement en tout ou en partie à la charge des propriétaires riverains, et, s’il y a lieu, à la charge de la province. »
Mais cette rédaction devra être modifiée.
M. de Theux. - Je crois, en commençant, devoir déclarer à l’assemblée qu’en présentant mon amendement, je n’ai eu nullement en vue de soutenir un intérêt de localité. Aussi ma proposition ne concerne-t-elle nullement l’arrondissement qui m’a député parmi vous, messieurs, mais un autre arrondissement de la province. Je n’ai été déterminé que par la certitude de 1’urgence des travaux.
On a semblé faire un reproche à l’administration provinciale des fautes préexistantes, à l’époque de la révolution. Vous remarquerez que si cette administration avait eu la disposition des revenus de la Meuse, qui s’élevaient au-delà de 40,000 fr. par an, il ne s’agirait pas aujourd’hui de demander un subside à titre d’avance pour la réparation des rives de cette rivière. Une somme de plus de 30,000 fr. aurait pu être appliquée à ces ouvrages. Mais l’administration provinciale, ayant été privée de la totalité de ces revenus, il était impossible qu’elle restât grevée de la dépense nécessitée par les réparations soit en tout, soit en partie ; mais il ne s’agit pas de se décider aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, une partie de cette dépense concerne évidemment les propriétaires riverains.
Je dois prévenir ici une objection : on me dirait peut-être : Pourquoi les riverains n’ont-ils pas fait la dépense qui était à leur charge ?
Messieurs, l’arrêté de 1819 a déterminé la part des travaux qui concernent la province et celle qui concerne les propriétaires ; mais le règlement général que fit l’administration provinciale en 1827 pour répartir les charges, et qui devait être suivi d’un règlement d’exécution, a excité tant de réclamations qu’il a été impossible de l’exécuter. Mais le crédit que vous voterez aujourd’hui n’empêchera nullement de faire la répartition plus tard : seulement il est impossible de réunir les fonds nécessaires dans le moment actuel, et d’un autre côté l’urgence des travaux est évidente. Je crois donc qu’il est de l’intérêt général d’accorder l’allocation à titre d’avance, d’autant plus qu’il s’agit d’ouvrages tendant à conserver la navigation de la Meuse qui, certainement, souffrirait s’ils n’étaient pas promptement exécutés.
M. Dewitte. - Messieurs, les motifs que l’honorable M. Dubus a développés dans son rapport m’ont paru suffisants pour établir la nécessité et l’urgence des travaux pour lesquels un crédit est demandé par l’honorable M. de Theux et j’estime par conséquent qu’il y a lieu à l’allouer.
Car de deux choses l’une : ou l’Etat est tenu de les faire, ou non.
Au premier cas, tout en remplissant un devoir il aura à s’applaudir d’avoir prévenu des désastres dont les suites sont incalculables.
Dans le cas contraire, il exercera son recours contre les propriétaires riverains, ou contre la province, enfin contre ceux qui de droit y sont tenus ; par cette voix il recouvrera l’avance qu’il sera faite. Il y a donc, je le répète, nécessité et urgence de faire exécuter de suite les travaux dont s’agit ; et ainsi je voterai pour l’adoption de la proposition.
M. Milcamps. - A titre d’avance je donnerai mon assentiment à la proposition, car il me paraît hors de doute que l’entretien des rives des fleuves et des rivières navigables ou flottables incombe aux propriétaires riverains.
Les terrains, atterrissements et graviers produits par les fleuves ou par les rivières navigables ou flottables, sont de deux espèces et susceptibles de deux sortes de propriétés : l’une publique, l’autre privée.
La première, sur les terrains, atterrissements et graviers qui naissent dans leur lit et qui sont attribués à l’Etat. (Article 560 du code civil.)
La seconde sont ceux qui se forment successivement et imperceptiblement sur leurs rives, et qui sont dévolus aux propriétaires riverains. (Article 556.)
Du principe que les terrains qui forment les rives des fleuves sont des propriétés particulières, que les alluvions des fleuves appartenaient aux riverains, que chaque riverain a intérêt de préserver sa propriété, il suit qu’ils sont tenus aux réparations des rives.
L’Etat ne doit réparer et entretenir que les lits des fleuves, par cette raison que les atterrissements qui se forment dans le lit des fleuves ou des rivières navigables ou flottables sont des propriétés publiques.
La province ne peut être tenue aux réparations des rives que par suite des dispositions législatives ou de règlements d’administration générale.
Ainsi, si l’Etat, maître du fleuve, accorde à une province de percevoir des droits de barrière, de pont, d’écluse, etc., d’établir un droit de navigation à la charge de certaines dépenses d’entretien, la province en est tenue.
Telle paraît être la position de la province du Limbourg.
M. de Theux. - Lorsque cette proposition a été faite incidemment par M. de Theux (note pour le webmaster : ce ne peut pas être M. de Theux qui parle de M. de Theux), tout le monde en a compris la difficulté, et il me semble que depuis deux jours la question n’a pas changé de face. Il s’agit toujours de savoir à qui incombent les frais de séparation des rires de la Meuse. Or, quant à moi je ne doute pas que cette charge n’incombe, suit aux riverains, soit à la province, soit aux riverains et à la province conjointement.
On dit qu’il y a une grande urgence ; mais si cela est, je ne conçois pas comment la province qui était le plus intéressée à faire ces réparations, ne se soit pas mise en mesure, de concert avec les riverains, de prévenir les dangers auxquels on dit qu’elle est exposée. D’un autre côté, j’ai entendu mettre en doute cette urgence elle-même par un honorable membre de la section centrale, M. d’Huart, qui a dit, si, je m’en souviens bien, que d’après tous les documents communiqués à cette section, il n’avait pas vu que l’urgence soit démontrée.
M. de Theux vient de nous faire savoir qu’il s’est élevé un débat entre les riverains et la province sur la répartition des charges. Dans cette circonstance, comment veut-on que le gouvernement puisse recouvrer les frais qu’il aura faits ? Du reste, des explications de M. le ministre de l’intérieur que j’ai provoquées, il ne résulte pas que l’urgence soit bien justifiée. M. le ministre nous a même dit que la province est riche, et elle pourrait faire elle-même la dépense : à moins que des explications précises et pertinentes de la part du gouvernement ne me démontrent qu’il y aurait danger à ne pas commencer les travaux avant l’hiver, je voterai contre la proposition.
M. Teichmann, commissaire du Roi. - Messieurs, l’urgence d’exécuter des travaux sur les rives de la Meuse pour une somme de 73,000 fr. est reconnue par le gouvernement. Une visite de ces rives a eu lieu au mois d’août. L’ingénieur a établi le projet des ouvrages à opérer, et leur estimation, en se bornant à ce qui était strictement nécessaire. Si ces ouvrages ne sont pas exécutés promptement, les eaux se déverseront par-dessus les digues et porteront le ravage dans les terrains avoisinants.
Quant à la question de savoir à qui incombe l’obligation de supporter les frais de ces travaux, il est à remarquer que cette obligation pour la province naît de celle qu’elle a de conserver et d’entretenir la navigation, et pour les riverains, de celle qu’ils ont de garantir leurs propriétés. Dans la province du Limbourg il n’y a pas de travaux qui assurent la navigation ; il n’existe pas d’écluses, de barrage et de déversoir ; il n’y a que les rives dans certaines parties pour favoriser le halage, et d’après les règlements existants sur la matière les riverains sont tenus de laisser un certain espace à cet effet.
Il n’y aurait pas justice à obliger la province d’entretenir les rives de la Meuse sur tous les points ; elle ne doit le faire que dans les parties où l’intérêt de la navigation l’exige. La loi de 1807 qu’on a citée a prévu le cas où les propriétaires ne feraient pas les travaux nécessaires et où il pourrait résulter des désastres de leur négligence ; le gouvernement est autorisé à exécuter ces travaux, sauf à se faire rembourser par la suite ; elle permet aussi au gouvernement d’accorder des secours. Dans tous les cas, comme il y a urgence, je crois que la proposition devrait être adoptée, sauf recours contre qui de droit.
M. Legrelle. - J’ai voté également dans la section centrale pour l’allocation de la somme de 73,000 francs, mais seulement à titre d’avance. J’y ai été déterminé par la considération de l’urgence des travaux dont il s’agit, urgence reconnue par M. le ministre de l’intérieur et l’ingénieur de la province.
Toutefois je ne puis admettre que la province ne soit tenue qu’à l’exécution d’une partie des travaux. L’arrêté de 1819, qui a abandonné aux provinces les produits de la navigation des fleuves et rivières, a mis à leur charge tous les frais d’entretien et de réparation. Voici ce que porte l’article 3 :
« A partir du premier janvier prochain, tous les frais qu’entraîneront les ouvrages dont la direction est confiée par la présente aux états des provinces, seront à la charge desdits états, lesquels devront aviser aux moyens de pourvoir à cette dépense, etc. »
L’allocation de 73,000 fr. n’est, je le répète, qu’une avance et devra être recouvrée soit sur les propriétaires riverains, soit sur la province, ou sur les riverains et la province en même temps. Du reste, on m’a assuré que l’urgence est telle que si les travaux ne sont pas exécutés avant l’hiver, des villages seront inondés, et que le gouvernement perdrait plus qu’il ne donnera par suite de la diminution des contributions foncières.
M. Dubus, rapporteur. - Messieurs, les explications qui viennent d’être données par M. le commissaire du Roi ont répondu aux objections émises par un des honorables préopinants. Je prends la parole pour répéter à la chambre qu’il ne s’agit ici que d’un vote d’urgence, que d’une avance à faire, et sauf recouvrement contre les propriétaires riverains dont elle a pour but de conserver les propriétés, et contre la province comme gérant la navigation de la Meuse.
Quant à la province, il résulte des renseignements officiellement transmis à votre section par le département de l’intérieur que, sous l’empire de l’arrêté de 1819, la province a fait les travaux de l’espèce jusqu’en 1830. Mais c’est une question de savoir si depuis la révolution la province, qui n’a pas joui des produits de la navigation, parce qu’ils sont devenus nuls, doit encore supporter la dépense. C’est parce que votre section centrale n’a pas voulu trancher cette question, qui présente des difficultés, qu’elle vous a proposé de ne mentionner le recouvrement à la charge de la province que s’il y a lieu.
Elle s’est déterminée encore par un autre motif : c’est qu’aux termes mêmes de l’arrêté de 1819, le gouvernement s’est réservé d’accorder des subsides aux provinces ; et peut-être que, prenant en considération les événements qui ont fait tarir les produits sur lesquels devaient être payées ces réparations, il fera quelque chose en faveur de la province de Limbourg. Pour ce qui concerne les particuliers, la loi de 1807 dit qu’il pourra aussi leur être accordé des secours, et il existe des circonstances assez défavorables aux propriétaires du Limbourg depuis quelques années pour leur laisser une partie de la somme à titre de secours.
Maintenant qu’on fait de la proposition une loi séparée, il faut changer entièrement la rédaction.
Voici celle que je propose ;
« Il est alloué au département de l’intérieur un crédit extraordinaire de 73,000 fr. pour travaux urgents aux rives de la Meuse, sauf recouvrement en tout ou en partie à charge des propriétaires riverains, et, s’il y a lieu, à charge de la province.
« Cette allocation formera l’article 7 du chapitre VIII du budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1833. »
M. Jullien. - Les explications très positives et très pertinentes dans lesquelles est entré M. le commissaire du Roi, expert en cette matière, me déterminent à voter pour la proposition, mais je voudrais qu’on y insérât les mots : à titre d’avance.
- Après avoir entendu une deuxième lecture de la rédaction de la section centrale. M. Jullien n’insiste pas sur sa proposition.
M. Desmet. - Je demanderai à M. le commissaire du Roi, si la province du Limbourg n’a pas de règlement de police pour la conservation en bon état d’entretien des chemins de halage et des bords des fleuves et rivières.
Dans les provinces de Flandre nous avons de tels règlements ; ceux de 1740, 1744 obligent les propriétaires riverains à entretenir en bon état les chemins de halage et les bords des rivières, et quand les propriétaires sont trouvés en défaut, ils sont, en vertu desdits règlements frappés de fortes amendes, et les réparations sont faites d’office et à leurs frais. La direction des ponts et chaussées veille scrupuleusement à cette police, et ses agents ont grand soin de verbaliser contre les délinquants et de faire faire les réparations à leurs frais. C’est à cette utile surveillance que nous devons que les chemins de halage et les rives de l’Escaut, de la Lys de la Dendre, etc.... ont conservé leur bon état, et que nous sommes mis à l’abri d’avoir de grands dégâts et réparations extraordinaires.
Si la même police eût eu lieu dans la province du Limbourg, elle ne se trouverait pas obligée dans ce moment de faire de grands frais pour des réparations extraordinaires, et vous n’auriez pas été obligés de voter des subsides pour venir à son secours et couvrir la négligence de l’administration de cette province.
M. de Theux. - Je répondrai à l’honorable préopinant que dans la province de Limbourg l’entretien des chemins de halage et les ouvrages concernant la navigation de la Meuse sont à charge de la province depuis l’arrêté de 1819, et que les ouvrages ayant pour objet la défense des propriétés sont à charge des propriétaires intéressés. Quant au règlement de police pour prévenir les dégâts, il en existait un dans l’ancien pays de Liége et qui est applicable à la Meuse ; mais il s’agit ici de dégâts commis par les eaux de la Meuse et dont personne n’est responsable.
M. le président. - Nous allons passer à l’appel nominal sur l’article unique du projet de loi.
M. A. Rodenbach. - Je demanderai s’il est bien constitutionnel de voter un article additionnel à un budget qui a été voté ; il me semble que cela n’est pas très régulier.
M. Brabant. - Je ferai observer à l’honorable membre qu’un article de la constitution prescrit de comprendre toutes les dépenses de l’Etat dans les budgets ; ainsi, par la marche que l’on propose de suivre, on se conforme à cet article. Quand il s’agit de dépenses pour des exercices écoulés, elles s’inscrivent par transferts dans les budgets. Aujourd’hui nous votons une dépense qui, si elle eût été adoptée hier, aurait été comprise dans le budget de l’intérieur ; je ne vois pas pourquoi elle n’y serait pas comprise maintenant.
M. A. Rodenbach. - Est-ce que dans six mois nous pourrions encore comprendre des articles dans le budget ? Six mois ou un jour c’est la même chose. Je soulève une question ; je ne veux pas la décider.
M. Desmet. - C’est un post-scriptum au budget.
M. Schaetzen. - Quand la proposition a été faite, on discutait le budget de l’intérieur ; cette proposition a été ajournée avec la réserve qu’elle ferait partie du budget de l’intérieur.
M. Dubus, rapporteur. - Il n’y a pas d’inconvénient à voter l’article tel que je l’ai soumis aujourd’hui : on craint que cela ne soit pas constitutionnel ; cependant nous prenons le parti qui semble le plus conforme à la constitution, laquelle prescrit de comprendre toutes les dépenses au budget. Je ne comprends pas comment la constitution serait intéressée dans la marche que nous suivons, sinon sous le rapport du respect que nous portons à ses dispositions.
M. Dumortier. - Il ne s’agit pas ici d’une question de fait, mais d’une question de principe. Quand nous serons à la fin du budget des finances, je serai obligé de présenter des articles qui comprendront tous les budgets : il faut que toutes les dépenses trouvent place dans les budgets, sans quoi on ne pourrait régulariser les lois des comptes.
L’appel nominal a lieu ; en voici le résultat : 54 membres ont répondu à l’appel.
53 membres ont répondu oui.
1 membre (M. Liedts) a répondu non. En conséquence, le projet est adopté.
M. le président. - L’ordre du jour appelle la discussion générale sur le budget du ministère des finances.
M. Jullien (pour une motion d’ordre). - Je demande s’il convient d’ouvrir une discussion aussi importante, alors que la chambre est à peine en nombre suffisant pour délibérer. Plusieurs de nos collègues sont partis, croyant que la chambre ne reprendrait ses travaux que samedi ou lundi. Il ne faut pas nous priver volontairement de leurs lumières, et mettre tant de précipitation, lorsqu’il s’agit d’un sujet comme celui-là. Je demande le renvoi de la discussion à samedi.
- Plusieurs membres. - A lundi !
M. A. Rodenbach. - J’appuie l’observation de M. Jullien, et d’autant plus volontiers que beaucoup de nos collègues ont pu penser qu’il n’y aurait pas de séances pendant les fêtes.
Il convient d’entendre tous les avis sur un budget qui renferme plusieurs millions.
M. Dumortier. - Je ne comprends que qu’on vienne nous demander le renvoi de la discussion à lundi, comme si l’on avait oublié que nous avons eu, il y a quelques jours, une séance du soir, pour avancer nos travaux. Allons-nous perdre maintenant plusieurs jours ? Mais, messieurs, voilà bien des mois que nous sommes réunis, et le jour où nous devons nous réunir pour une session nouvelle n’est pas très éloigné. Il n’y aura donc aucun intervalle. Cependant, messieurs, le repos est un besoin pour beaucoup d’entre nous. Quant à moi, messieurs, je désire vivement m’en retourner ; je ne pourrai pas le faire si nous perdons un seul jour.
Il me semble que vous pouvez entendre les observations de MM. les commissaires du Roi. Chacun d’eux aura sans doute des observations à vous soumettre sur son département ou son quasi-ministère. (On rit.) Nous pourrions bien commencer par les entendre, car nous sommes ici pour faire des lois et non pour assister à des fêtes.
M. Legrelle. - Messieurs, jetez les yeux sur le banc des ministres, vous y verrez le grand nombre de commissaires du Roi qui nous sont envoyés ; vous pouvez vous attendre à ce qu’ils soutiendront avec force l’opinion du ministre. Par conséquent la discussion sera longue et il n’y a pas de temps à perdre.
Sans doute la dignité nationale exigerait que nous fussions plus qu’en nombre pour délibérer, mais le retard que l’on demande n’aura pas l’effet qu’on espère, tandis que si les membres absents voient les discours de MM. les commissaires du Roi insérer dans le Moniteur, cela pourra les décider à assister à nos séances.
M. Jullien. - Sans doute nous sommes ici pour faire des lois, mais aussi pour les faire bonnes et avec maturité. J’ai présenté ma proposition pour que la chambre ne fût pas privée des lumières des membres absents. Voilà mon seul motif. Si maintenant il est vrai que MM. les commissaires du Roi aient des observations à nous présenter, je ne m’oppose pas à ce qu’on les entende, mais je crois que MM. les commissaires sont disposés à nous répondre et non pas à provoquer la discussion. S’ils déclarent qu’ils sont prêts à parler, je retire ma proposition.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Aucun de MM. les commissaires du Roi n’a le projet de prendre la parole avant que la discussion en ait fait naître la nécessité ; ils sont ici pour répliquer et non pour attaquer. Quant à moi, j’ai seulement quelques observations introductives à vous soumettre. (Parlez ! parlez !)
M. de Brouckere. - Oui, messieurs, nous sommes envoyés pour faire des lois ; mais ce n’est pas en y mettant de la précipitation, comme hier, que nous en ferons jamais de bonnes ; j’invite ceux qui nous pressent à relire la loi que nous avons votée dans la dernière séance.
M. Dumortier. - Il ne s’agit pas seulement de se hâter, mais de bien faire. C’est aussi mon opinion. Pour bien faire, il faut de l’assiduité, du travail ; or, ce n’est pas en allant aux courses aux concerts, que l’on prépare les questions : c’est en restant à son poste, et non pas en se rendant là où le devoir ne nous appelle pas.
M. Jullien. - Le reproche de l’honorable préopinant sent un peu l’école. Il ne s’agit pas de savoir si nous irons aux courses, mais s’il convient d’entendre ceux de nos collègues dont on apprécie le travail et les lumières. C’est pour que la chambre ne soit pas privée de leurs observations, je le répète, que j’ai fait ma proposition. Il y a aujourd’hui un discours introductif à entendre, je désire qu’il soit entendu séance tenante.
M. Pollénus. - Si un retard de deux ou trois jours devait avoir pour résultat de nous faire aider des lumières de quelques membres aujourd’hui absents, je serais le premier à appuyer la remise de la discussion. Mais l’expérience des jours derniers nous interdit cet espoir. Nous savons qu’un grand nombre de membres ont quitté la ville ; nous savons que plusieurs n’ont pour ainsi dire pas assisté aux débats de cette session ; et maintenant devons-nous, pour attendre des collègues si peu empressés, nous exposer à perdre ceux qui ont été jusqu’ici assidus à nos séances ? Je ne le crois pas. Nous désirons tous en finir ; nous sommes tous d’accord aussi sur ce point qu’il faut faire les lois les meilleures, ou du moins les moins mauvaises possible : eh bien, le moyen d’atteindre ce double résultat n’est assurément pas de perdre plusieurs jours.
M. de Brouckere. - Il me semble que nous sommes tous d’accord pour entendre M. le ministre des finances. (Oui ! oui !)
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Messieurs, je me bornerai à quelques réflexions générales sur le rapport de la section centrale concernant le budget du ministère des finances, me réservant de fournir dans la discussion des articles les répliques aux objections qui y ont été faites.
(Erratum au Moniteur belge n°272, du 29 septembre 1833 :) « Une même volonté, dit le rapport, a été manifestée de toutes parts, celle de s’opposer à toute espèce de majoration dont la nécessité ne serait pas complètement justifiée. »
Il faut conclure de cet énoncé, rapproché des propositions qui nous sont faites, que le département des finances a été bien peu heureux dans la justification des motifs qui l’ont amené à demander quelques majorations ; car aucune n’est admise par la section centrale.
Il n’en est pas de même des réductions que le ministre a pu opérer : là, tout est approuvé, et son administration ne donne lieu à aucune critique.
Cependant, messieurs, lorsqu’un gouvernement est assez loyal pour s’empresser de faire connaître les améliorations en moins qu’il a pu introduire dans un service, n’est-ce pas une présomption favorable que les demande en plus, qu’il vous fait pour un autre service, ne sont que le résultat d’une nécessité démontrée à ses yeux, et n’est-ce pas un acte d’administration dont il doit être le meilleur juge ? Si vous lui refusiez ce qu’il considère comme indispensable, ne serait-ce pas assumer sur la chambre la responsabilité qui ne doit peser que sur lui ?
Je conçois, messieurs, le rejet complet du budget. Je conçois encore le rejet de tout un service, de toute une allocation : de cette manière la chambre refuse sa sanction, sa coopération à tel ou tel acte administratif, à telle ou telle institution ; mais je ne pus concevoir la mutilation d’un service qu’on approuve ; je ne puis concevoir qu’on le reconnaisse nécessaire et qu’on rende son exécution impossible ou mauvaise.
C’est cependant ce qui doit résulter des refus faits par la section centrale de certaines majorations. Chacun de nous sait, messieurs, combien le budget de l’an dernier fut maltraité. Présenté consciencieusement par mon honorable prédécesseur, ii crut devoir un instant en abandonner la discussion en présence des réductions qu’on opérait, parce qu’il était intimement convaincu qu’il ne lui était pas possible de faire marcher l’administration avec les fonds qu’on lui accordait ; et en effet, ce ne fut qu’au moyen d’un retard mis à l’organisation de la commission des monnaies qu’on y est parvenu.
La chambre, toutefois, modifia au second vote quelques-unes de ses premières rigueurs ; eh bien, messieurs, la demande que je vous fais pour l’administration centrale n’est pas plus élevée que celle portée au projet de budget de 1832 ; et malgré le surcroît de besogne, malgré l’expérience de trois années, malgré les réductions majeures qui ont été apportées partout où cela a été reconnu praticable, la section centrale s’oppose aux allocations, et considère le budget adopté l’an dernier comme un type dont elle ne veut pas s’écarter.
Je ne sais si la chambre en jugera comme elle ; mais toujours est-il que si la législature se refuse à voter l’intégralité des dépenses, dont une partie est déjà faite pour les deux tiers de l’année, et dont le principe a reçu son approbation, elle affranchit le ministre de la responsabilité morale qui devrait peser sur lui, si l’exécution administrative laissait quelque chose à désirer.
Le département des finances coûte près de 11 millions, dit la section centrale, pour opérer 80 millions de recettes. C’est précisément, messieurs, parce que le ministère des finances ne coûte pas 11 millions pour percevoir 88 millions et non 80, c’est-à-dire, ne coûte que 12 p. c. des revenus pour le recevoir et solder les dépenses, qu’il n’a point à redouter de critiques fondées, ni le résultat d’aucune comparaison avec l’administration des pays voisins. En France, le taux des frais de perception est de 14 p. c. des produits, et cependant la ligne de douane coûte et doit coûter proportionnellement beaucoup plus en Belgique qu’en France, ainsi que le reconnaît la section centrale elle-même.
Cette section suppose qu’on amènerait des réductions notables dan nos dépenses publiques, en les basant sur celles qui se font à l’étranger pour le même objet.
Voici des faits :
En France, les contributions directes coûtent près de 5 p. c. des produits, 210,000 fr. par département et 57 c. par habitant. En Belgique, elles coûtent aussi près de 5 p. c. des produits, mais elles ne coûtent que 152,000 fr. par province et 36 c. par habitant.
En France, les droits indirects coûtent 23 p. c. des produits, 270.000 fr. par département et 70 c. par tête. Chez nous les accises coûtent 182,000 fr. par province, 50 c. par tête et seulement 12 à 13 p. c. des produits.
Quant à notre douane, nous devons avouer qu’elle coûte à peu près le double p.c. de celle de France, et qu’elle absorbe plus du tiers des produits ; mais, la section centrale en convient, le mal tient à la nature des choses : toutefois, comme elle paraît n’attribuer cette différence qu’à l’étendue ou à la circonférence comparative des pays, il ne sera pas inutile d’indiquer d’autres causes, qui tendent à augmenter les dépenses du service de la douane, comparativement aux produits.
La quotité des droits et les difficultés de surveillance que présentent les localités exercent autant d’influence sur le tantième des frais de perception que la circonférence ou l’étendue du pays. Ainsi, continuant la comparaison avec la France, nous y trouvons des droits en général fort élevés, tandis que notre tarif est très modéré. L’on sait cependant que, toutes choses égales d’ailleurs, les frais comparés aux produits doivent être en raison inverse de l’élévation des droits, car les droits modérés ne dispensent pas de garnir suffisamment la frontière.
Quant aux localités, la France bornée au nord, à l’ouest et au sud par les mers, les Pyrénées et les Alpes, trouve dans ces accidents naturels de puissants obstacles contre la fraude. Chez nous au contraire, les frontières sont presque partout fort difficiles à garder.
Il a été démontré l’an dernier que l’administration de l’enregistrement coûtait également moins chez nous que chez nos voisins. Cependant, à peu de chose près, c’est la même législation qui régit cette matière.
Ainsi, en détail comme en masse, il demeure établi que le ministère des finances coûte proportionnellement moins qu’en France, malgré les motifs qui pouvaient justifier un plus haut taux de perception.
Si l’on établissait rigoureusement le calcul pour parvenir à un résultat exact, il conviendrait de déduire des 11 millions portés au budget des finances les dépenses relatives à des services publics qui ne forment pas des branches de revenus, ou qui ne font que couvrir à peu près leurs frais, ou enfin qui ne sont qu’accidentelles, ou résultant de notre position politique. Telles sont les dépenses pour le service du cadastre, les avances à un industriel, les avances au séquestre, le prix d’achat du canal d’Antoing, les poids et mesures, la garantie des matières d’or et d’argent, et même le service de la poste et celui de la douane qui ne sont institués que dans l’intérêt du commerce, de la protection due à l’industrie, et qui coûtent de 30 à 40 p. c. des recettes qui en résultent.
On s’est souvent plaint, dit le rapport, de la complication du ministère des finances qui forme six petits ministères en un seul.
Le ministère des finances se compose en effet de six branches très distinctes, et l’importance de chacune de ces branches exige à sa tête un employé d’un rang supérieur.
En France, au lieu de six branches de service, il y en a 14, ayant chacune à leur tête un haut fonctionnaire sous le titre de directeur, dont le traitement est double de celui des administrateurs qui gèrent ici diverses branches réunies ; cependant l’on y considère l’administration financière comme extrêmement simplifiée.
Sous le régime hollandais, les administrations des recettes formaient réellement un ministère, et le secrétariat et la trésorerie un autre.
En Belgique, tout est réuni en un seul faisceau ; le secrétariat s’occupe des affaires générales qui ne dépendent d’aucune administration, mais qui se rattachent à toutes, et dont la solution appartient au ministre sans intermédiaire.
Comparer cela à un bureau d’expédition, c’est, en vérité, n’avoir aucune idée du travail qui incombe au secrétariat des finances, de même que vouloir que ce ministère soit organisé comme celui de l’intérieur, c’est méconnaître les différences notables qui existent entre ces deux départements, dont l’un a du travail pour 7,000 agents, tandis que l’autre n’en occupe pas 1,300.
L’organisation dont on se plaint aujourd’hui a été faite d’ailleurs par un ministre (M. Ch. de Brouckere) dont on ne peut méconnaître ni les vastes connaissances, ni les intentions d’économie ; et l’arrêté du régent, du 18 mars 1831, qui consacre cette organisation, fut l’objet des éloges lorsqu’il fut publié.
Quant au rétablissement des directeurs, il est une conséquence de la responsabilité des ministres dans le cercle de leurs attributions.
Il y eût eu anomalie choquante d’exiger que le ministre des finances fût responsable des actes de ses agents, alors qu’ils étaient placés sous l’autorité d’un fonctionnaire du ministère de l’intérieur, que le ministre des finances ne pouvait ni placer, ni révoquer.
Je me réserve d’ailleurs de prouver, à l’article relatif aux directeurs, que la dépense est aujourd’hui moins forte que lorsque les administrations des finances étaient placées sous l’autorité des gouverneurs.
Ces administrations ne furent d’ailleurs placées sous cette autorité que dans des intentions absolutistes du roi Guillaume, et l’arrêté qui portait cette perturbation dans la hiérarchie administrative fut pris à l’insu du ministre Appelius, sur la proposition secrète d’une commission privée qui secondait les vues despotiques du roi déchu.
Ce n’est certes pas vers un tel régime que veut nous ramener la chambre.
Je terminerai ces observations générales en vous faisant remarquer, messieurs, qu’il n’est pas possible d’adopter la classification proposée par la section centrale. Outre que cette classification n’est pas régulièrement faite, elle est en contradiction manifeste avec le désir exprimé par la section centrale elle-même, qui dit, page 4 du rapport : « Qu’il serait convenable de stipuler que les indications données jusqu’à ce jour à la cour des comptes, sur les demandes de paiements faites par les divers ministères, et tendantes à indiquer les titres, chapitres et articles des dépenses ne pourront pas être changées. »
En effet, messieurs, les dépenses, quoique faites sur un crédit global, ont été imputées dans les écritures sur les articles portés au projet de budget pour 1833, conformément à celui adopté par la législature pour 1832.
Vous ne changerez pas, messieurs, après neuf mois d’exécution, la classification qui a été faite par la chambre elle-même l’an dernier ; ce serait apporter le désordre dans les écritures déjà passées, et forcer à renouveler, sans utilité aucune, tout le travail de comptabilité des trois quarts de l’année.
Puisque la section centrale semble désirer que certains articles soient divisés, on aura égard à son vœu pour le budget de 1834 ; mais, pour celui de l’exercice actuel, la chose est à peu près impraticable et tout à fait inutile ; elle donnerait lieu à un travail tellement considérable, qu’il serait impossible de l’exécuter avec le personnel qui existe actuellement à l’administration centrale du ministère.
M. Jadot. - Messieurs, la section centrale, ayant dû s’expliquer sur le crédit demandé pour solder la remise du caissier-général de l’Etat pour l’exercice 1833, a saisi cette occasion pour exprimer le vœu que le gouvernement conservât cet emploi à la banque ; mais d’un autre côté votre commission spéciale des finances, après avoir examiné les motifs du refus fait par le caissier, de compter avec le gouvernement, vous a dit dans son rapport du 25 juillet dernier :
« Voilà, messieurs, les raisons que la banque fait valoir à l’appui de son refus de liquider avec le gouvernement belge. Cette question mérite un examen sérieux : elle est de nature à soulever de grand débats ; elle doit être résolue d’une manière quelconque, car une grande responsabilité pèse et sur le gouvernement, et sur la chambre, et sur la banque. » Et plus loin : « Le système de comptabilité que la cour des comptes trouve vicieux n’est pas en harmonie avec les dispositions de l’article 116 de la constitution ; ce système réclame un examen approfondi. »
Je me suis donc livré à l’examen des questions que cette divergence d’opinion fait naître. J’ai consulté les documents cités dans le rapport de la commission des finances, et je vais avoir l’honneur de communiquer à l’assemblée les observations qui en sont le résultat.
J’aime à croire qu’elles lèveront tous les doutes sur le parti qu’il conviendrait que le gouvernement prît dans l’intérêt qui me les dictées : l’intérêt du pays.
Je dirai d’abord quelles sont les sommes appartenant an trésor dont la banque est dépositaire, et dont le gouvernement aurait droit de disposer.
§ 1er. Solde en caisse des receveurs des diverses administrations.
Le solde en caisse des receveurs des diverses administrations, au 30 septembre 1830, qui était de 1,775,176 fl. 34 c., et que votre commission spéciale des finances propose de fixer à 1,318,369 fl. 94 c., tel qu’il résulte du compte présenté par la trésorerie, a été diminué de 224,679 fl. 70 c., montant des traitements dont les quittances devraient être régularisées et qui l’on été depuis. Cette déduction n’est susceptible d’aucune observation ; mais il n’en est pas de même de celle de 339,780 fl. 75 c., montant des récépissés de versements effectués dans les caisses du gouvernement précédent.
Je vous prie, messieurs, de remarquer que cette seconde déduction comprend les recettes faites pour le compte du gouvernement provisoire dans les derniers jours de septembre, la banque prétendant qu’à raison de ce qu’elles ont été faites avant le 1er octobre, elles doivent appartenir au solde au 30 septembre, à partager entre les deux gouvernements.
Ainsi, suivant le caissier général de l’Etat, le gouvernement de Guillaume subsistait encore à Bruxelles le 30 septembre, et c’était pour son compte que ce jour même elle encaissait les revenus publics qu’on lui versait au nom du gouvernement provisoire.
On peut remarquer en effet que ce n’est pas le caissier général qui a pourvu aux premiers besoins de la révolution ; en septembre, et tandis qu’il avait en caisse ce qui y avait été versé depuis la révolution, c’est à la caisse des dons patriotiques qu’on a dû recourir pour y faire face.
Il importe peu à la banque que le gouvernement se soit constitué dès le 24 septembre ; elle a soutenu et soutient encore aujourd’hui, avec infiniment de succès, que la gestion du caissier-général de l’Etat sous le nouvel ordre de choses n’a commencé que le 1er octobre 1830, et qu’elle ne doit au gouvernement actuel aucun compte de ce qu’elle avait en caisse au 30 septembre, ni même des 281,300 fl. provenant d’anciennes espèces appartenant au gouvernement, déposées à la monnaie pour être fondues, qui l’ont été depuis la révolution, et dont on a consenti que la remise fut faire à la banque dans les derniers jours de décembre 1830.
On verra plus loin les motifs qu’elle a mis successivement en avant pour faire prévaloir cette étrange prétention.
§ 2. Encaisse au 30 septembre 1830 du caissier-général.
Il est à remarquer que la situation du caissier-général au 30 septembre 1830, telle qu’elle est rapportée au compte du trésor, n’est que la copie de celle adressée au ministre des finances par le gouverneur de la banque, en exécution d’un article de la convention du 3 octobre 1823, qui lui prescrit d’en former une semblable chaque quinzaine ; ce compte est donc celui que la banque elle-même a présenté à cette époque, c’est ce qu’il ne faut pas perdre de vue.
La situation que l’on trouve dans le compte rendu à la banque par son gouverneur, et que la commission a comparée au soi-disant compte du trésor, est celle du solde au 30 décembre suivant, c’est-à-dire trois mois plus tard ; et c’est encore la banque qui l’a présentée.
Voici la comparaison de ces deux situations :
(A) Situation au 30 septembre 1830 :
Solde en caisse : 10,526,501 fl. 21 c.
A déduire, solde chez ses agents en Hollande : 2,348,446 fl.
Reste, 1° Dispositions courantes : 6,386,506 fr. 50 c.
Reste, 2° En numéraire : 1,789,548 fl. 71 c.
Reste, total : 7,176,055 fr. 21 c.
(B) Situation au 30 décembre 1830 :
Solde en caisse : 9,115,348 fl. 71 c.
A déduire, solde chez ses agents en Hollande : 2,970,353 fl. 40 c.
Reste, 1° Dispositions courantes : -
Reste, 2° En numéraire : fl. 6,144,995 fl. 31 c.
Reste, total : 6,144,995 fl. 31 c.
Différence en plus au 30 septembre 1830 (-) et au 30 décembre 1830 (+)
Solde en caisse : (-) 1,411,152 fl. 50 c.
A déduire, solde chez ses agents en Hollande : (+) 621,906 fl. 60 c.
Reste, 1° Dispositions courantes : (-) 6,386,506 fr. 50
Reste, 2° En numéraire : (+) 4,355,446 fl. 60 c.
Il résulte de la comparaison de ces deux situations que l’encaisse au 30 décembre 1830 était inférieur à celui du 30 septembre précédent, de 1,411,152 fl. 50 c.
Cette différence provient sans doute des assignations acquittées dans l’intervalle, mais il est de fait que la banque n’a jamais voulu renvoyer ces assignations acquittées à la trésorerie, bien qu’elle l’ait toujours fait pour les autres.
Quant à l’augmentation de 621,906 fl. qu’a subie le solde en caisse au 30 septembre 1830, des agents de la banque en Hollande, il m’est impossible d’en deviner le motif.
Suivant la première situation, celle du 30 septembre, c’était pour acquitter les dispositions faites par le gouvernement des Pays-Bas que la banque avait distraite de son solde et mis en réserve la somme de 6,386,506 fl. 50 c. C’est là du moins le motif qu’elle faisait valoir alors pour conserver cette somme, bien qu’il fût incontestable que les assignations qui n’étaient pas acquittées ne pouvaient plus l’être ; en effet c’eût été trahir le pays que d’acquitter après la révolution des mandats délivrés par le gouvernement que la révolution avait renversé, du moins avant qu’ils fussent réordonnancés ou revêtus d’une formalité quelconque ; car on eût risqué de mettre ainsi les ressources du pays à la disposition de ses ennemis.
Il convenait aux intérêts de la banque que ce prétexte de dispositions à acquitter, qu’elle avait mis en avant dans les premiers moments de la révolution, fût provisoirement trouvé bon, et ses intérêts prévalurent. Plus tard, et lorsqu’elle se fut bien convaincue qu’elle pouvait tout oser, elle en fit valoir d’autres, ainsi que nous le verrons ci-après.
Dans la deuxième situation, celle au 30 décembre 1830, qui se trouve au compte rendu le 1er avril 1833, il n’est plus question de dispositions courantes : le solde en caisse de 6,144,990 fr. 31 c., bien qu’il comprenne les sommes reçues en septembre par les préposés du gouvernement provisoire et versées pour son comptes ; les 281,300 fl. versés par la monnaie en décembre 1830, et d’autres sommes appartenant aux provinces, ou à des tiers, et qui sont conséquemment étrangères au trésor public, la banque entend les conserver pour se couvrir des avances qu’elle dit avoir faites au gouvernement des Pays-Bas aux termes d’un contrat du 26 octobre 1827, par lequel elle se serait engagée à lui prêter dix millions à l’intérêt de 5 p. c.
Je ferai remarquer d’abord que la stipulation d’un intérêt prouve qu’il s’agit dans ce contrat, qui du reste est inconnu au ministère des finances et que la banque refuse de produire, qu’il s’agit, dis-je, d’un traité que la banque a fait en sa qualité de société générale, d’un traité nécessairement étranger au caissier-général, dont les fonctions se bornent à encaisser les revenus de l’Etat ; qui ne peut acquitter de pièces de dépenses que celles délivrées par le ministre des finances, dans les formes voulues pour leur régularité ; qui ne peut traiter avec personne, et avec lequel il est ridicule de supposer que l’Etat lui-même a traité pour en recevoir, moyennant un sacrifice de 5 p. c. des sommes qui lui appartiennent et dont il peut disposer intégralement et sans traité.
Ainsi la banque, caissier-général, n’a pu s’obliger envers la banque, société générale ; ni celle-ci traiter valablement avec lui.
D’un autre côté, la banque sait aussi bien que personne que le gouvernement des Pays-Bas n’a pu contracter d’emprunt sans y avoir été autorisé par une loi.
Aussi tout porte à croire que les avances qu’elle réclame ont été faites à des sociétés ou entreprises dans lesquelles le roi Guillaume, sa famille ou ses ministres étaient actionnaires dans leurs intérêts privés ; toutefois elle n’en persiste pas moins à soutenir que c’est au gouvernement des Pays-Bas qu’elle-a prêté jusqu’en 1828 des sommes qui, avec les intérêts échus au 31 décembre 1832, s’élèvent à 7,141,075 fl. 51 c.
Enfin, dans votre séance du 1er décembre 1832, on vous a donné un aperçu de notre situation financière. L’on n’y a pas fait figurer ce que doit la banque au pays ; on s’est borné à dire : « Il y aura encore un solde de la banque qui sera dû par elle lors de la liquidation de la caisse de l’ancien gouvernement, » et l’on termine par ces mots : « Messieurs, vous devez être tranquilles sur notre question financière, et je suis heureux de pouvoir vous l’assurer. »
Vous le voyez, messieurs, nonobstant les dispositions courantes qui devaient absorber le solde en caisse, nonobstant les avances de la banque qui devaient l’excéder, on en promet une part au pays ; mais il n’en jouira qu’après la liquidation. Voilà l’essentiel pour la banque, bien entendu ; en attendant, le pays emprunte, et la banque prêtera au pays.
Ce rapport fut accueilli, et l’on en demanda l’impression.
A la vérité quelques-uns des honorables membres qui siègent encore aujourd’hui dans cette enceinte, déclarèrent que les renseignements qu’il contenait n’étaient pas satisfaisants : il n’en fut pas moins approuvé par la majorité de la chambre, et cette approbation, qui s’étendait naturellement à la mention relative au débet du caissier-général, a été dans l’opinion de l’orateur, un bill d’indemnité qui légalise la négligence passée, et autorise celle à venir. C’était là, vraisemblablement, le principal but qu’on s’était proposé de ce rapport.
Je doute toutefois, messieurs, que l’on puisse prétendre que ce qui s’est passé à la chambre dans cette circonstance est un témoignage de son consentement à ce que la demande du compte du caissier-général soit différée jusqu’à la liquidation d’Utrecht.
Quant à moi, je maintiens qu’après comme avant le traité des 24 articles, il y avait lieu d’obliger la banque de compter avec le gouvernement, ou tout au moins de lui remettre le montant des versements faits en septembre pour le compte du gouvernement provisoire, et d’une somme égale à celle remise au roi Guillaume par les agents de la banque en Hollande.
Non seulement la banque a gardé le solde du caissier-général au 30 septembre, mais elle prétend encore que les actions et dividendes appartenant au roi Guillaume dans la société générale sont insuffisants pour couvrir certaines avances qu’elle lui a faites ou dont il s’est porté garant, et qui sont probablement les mêmes que celles dont il a déjà été parlé. Et quant aux redevances annuelles de 500,000 fl., chacune à payer au roi et au syndicat, elle soutient qu’elles sont dues au roi et au syndicat existant en 1822, et nous renvoie également pour cet objet à la future liquidation.
Mais ce n’est pas tout ; non, messieurs : le solde du caissier-général au 30 septembre, les redevances dues en vertu de l’article 12 des statuts de la société, les valeurs appartenant au séquestre, les 281,300 fl. versés par la monnaie en décembre 1830, ne sont pas les seules sommes que le gouvernement a pu et a dû exiger de la banque.
Il résulte de l’état de situation du syndicat d’amortissement au 15 janvier 1829, approuvé en assemblée générale le 13 mars suivant, que la banque de Bruxelles lui doit un solde de six millions cinq cent mille fl.
Voici le texte même de cet article : « n°18. Solde à charge de la société générale des Pays-Bas pour favoriser l’industrie nationale : 6,500,00 fr.
« Ce solde provenant de fournissements que la société générale a dû faire dans la négociation de 46 millions de rentes remboursables sur les domaines, ouvertes par l’avis du 19 avril 1826, a été laissé à ladite société, et le paiement peut en être réclamé à toute heure, soit en entier ou en partie, selon les besoins du syndicat d’amortissement. »
Eh bien, messieurs, ce solde, exigible à toute heure, on ne l’a pas non plus exigé ; il n’en a même jamais été question ici ni ailleurs.
C’est ainsi que la banque a pu, jusqu’à ce jour, utiliser dans ses intérêts particuliers tant d’énormes capitaux, dont l’Etat avait le plus pressant besoin ; un peu d’énergie eût suffi pour les faire mettre à sa disposition ; on préféra emprunter.
Il se peut toutefois que la banque, qui a nécessairement un compte ouvert avec le syndicat, ait à lui faire des répétitions qui devraient être diminuées des sommes que l’on indique ici comme devant être mises à la disposition du gouvernement : il eût été facile à la banque de le prouver par ses registres ; mais vous savez, messieurs, que jusqu’à ce jour il n’a pas été possible d’en avoir communication. Je laisse à d’autres le soin d’apprécier les motifs que la banque fait valoir pour s’y refuser, et ce qu’il convient de faire pour lever les difficultés qu’elle oppose.
Examinons maintenant le seul moyen employé par la banque pour retarder sa libération.
Elle prétend donc que les droits de la Belgique au solde en caisse du caissier-général du royaume des Pays-Bas, au 30 septembre 1830, sont incertains ; d’où elle tire la conséquence qu’on ne pourra l’obliger à rendre compte au gouvernement belge qu’après que la liquidation, dont parle l’article 13 du traité du 15 novembre, lui en aura assigné une part.
Le principe posé et la conséquence qu’on en tire sont également faux.
Les droits de la Belgique à une portion quelconque de ce solde sont incontestables ; le traité même que l’on invoque contre elle le consacre.
La liquidation à en faire n’aura pour objet que d’établir la proportion pour laquelle chaque gouvernement y participera ; il n’y a incertitude que quant à la quotité, et nullement quant au droit de propriété.
Il est à observer que la disposition du traité qui prescrit la liquidation, ne s’applique pas au caissier-général ; elle est ainsi conçue :
« Art. 13, § 5. - Des commissaires nommés de part et d'autre se réuniront, dans le délai de quinze jours, en la ville d'Utrecht, afin de procéder à la liquidation du fonds du syndicat d'amortissement et de la Banque de Bruxelles, chargés du service du Trésor Général du Royaume-Uni des Pays-Bas. Il ne pourra résulter de cette liquidation aucune charge nouvelle pour la Belgique, la somme de huit millions quatre cent mille florins de rentes annuelles comprenant le total de ses passifs. Mais s'il découlait un actif de la dite liquidation, la Belgique et la Hollande le partageront dans la proportion des impôts acquittés par chacun des deux pays pendant leur réunion, d'après les budgets consentis par les Etats généraux du Royaume Uni des Pays-Bas. »
Il a dû résulté d’abord que l’on considère le syndicat comme ayant été chargé, aussi bien que la banque, du service du trésor général, et en second lieu que toutes les sommes payées au trésor commun des deux pays, non seulement celles reçues par le syndicat et le caissier-général, mais encore celles qui se trouvaient dans toutes les caisses publiques de la Hollande et de la Belgique au moment de la séparation, doivent entrer dans la liquidation.
Il n’existe donc pas de motif pour que la banque seule jouisse du privilège de conserver jusqu’après cette liquidation des fonds qui ont la même origine et la même destination que ceux que ses agents des provinces septentrionales ont remis au gouvernement hollandais ou que celui-ci et le gouvernement belge ont reçus des autres comptables du royaume des Pays-Bas.
En vérité, on ne sait trop ce qui doit le plus étonner, de la prétention de la banque ou de la longanimité du gouvernement qui s’y soumet au préjudice des intérêts du pays.
Je conviens avec la banque que la liquidation aura lieu entre les deux gouvernements, et non entre le gouvernement belge et la société générale ; cela est incontestable ; mais il l’est également qu’elle se fera sans l’intervention d’aucun comptable hollandais ou belge, sans l’intervention de la banque, malgré l’importance qu’elle se donne ; chacun rapportera ce qu’il aura perçu, et si définitivement il revient quelque chose à la Hollande, ce n’est pas à la banque qu’elle en demandera le paiement, mais à la Belgique, à la Belgique plus solvable que ceux qui l’insultent en disant qu’ils craindraient de se compromettre et de devoir payer deux fois s’ils lui remettaient des sommes qui sont sa propriété pour la plus grande partie, qui pour le surplus leur appartiennent quant à présent par droit de conquête, sauf le droit réservé au tiers par le traité, mais qui dans aucun cas ne peuvent être réclamées par la banque, qui n’en est que dépositaire.
A la vérité, il lui convient fort de les conserver le plus longtemps possible afin de les faire valoir dans ses seuls intérêts ; et c’est là le secret de la résistance qu’elle oppose à leur remise, et après cela elle se félicitera de n’avoir jamais séparé ses intérêts de ceux du pays ! Elle aurait tort en effet de rompre une communauté dont elle retire tous les bénéfices, tandis que c’est le pays qui fait la mise des fonds. Elle se félicitera d’avoir en même temps formé, élevé et soutenu le crédit public ; ce qui veut encore dire son crédit ; car, quant à ce qu’elle prétend avoir prêté son soutien à l’Etat, on pourrait dire d’elle ce que le marquis de Souvrai disait des fermiers-généraux de France (« Ils soutiennent l’Etat comme la corde soutient le pendu. »)
La société générale n’a pas été instituée dans l’intérêt public, aucune idée généreuse n’a participé à sa création ; elle est une association de spéculateurs dont le principal est Guillaume de Nassau qui l’a favorisée dans ses seuls intérêts par tous les moyens dont il pouvait disposer comme roi.
C’est lui qui l’a constamment surveillée et dirigée, qui exerce encore sur elle en ce moment l’influence que lui donnent le nombre et l’importance de ses actions sociales non séquestrées, nonobstant l’arrêté du gouvernement provisoire, de sorte qu’on peut dire qu’il est encore aujourd’hui notre caissier-général.
Le titre que le roi Guillaume a donné à cette société est une contre-vérité ; elle n’a jamais été destinée à favoriser l’industrie nationale. C’est le trésor public qui a donné ou prêté, avec ou sans intérêt, aux industriels, chaque fois que les chances de réussite étaient tant soit peu douteuses : dix millions de francs, qui étaient dus au moment de la révolution, et qui sont en partie irrécouvrables, sont là pour l’attester.
Nonobstant tout cela, la banque veut absolument que le public croie qu’elle a rendu des services au pays ; car, ce compte-rendu dont elle se sert pour cela, c’est au pays qu’il a été spécialement destiné ; ce n’est pas là le bilan présenté à la société.
On lit dans ce compte rendu ;
« On est allé jusqu’à argumenter des services rendus par la société générale en 1830, à la Belgique non constituée, pour démontrer combien il est dangereux de laisser la fortune publique à la disposition d’une société particulière. »
Que penser d’un pareil langage lorsqu’il est de notoriété publique que c’est le gouvernement provisoire, ou son ministre des finances, qui a sauvé la banque en faisant annoncer et publier partout que les billets de banque dont le public demandait le remboursement continueraient à être reçus comme numéraire dans les caisses de l’Etat !
Lorsque c’est au privilège, inconstitutionnel d’ailleurs, dont la banque continue à jouir, de faire admettre son papier monnaie comme numéraire dans les caisses publiques, qu’elle doit toute sa prospérité !
Lorsqu’en 1830, époque qu’elle assigne aux services par elle rendus à la Belgique non constituée, c’est le gouvernement de la Belgique non constituée qui a prêté 100,000 fl. à un des membres de la société générale, sans que celle-ci ait revendiqué l’honneur de faire elle-même une si belle action !
Lorsque les 75,000 fl. qu’en 1831 son agent à Turnhout semble avoir conservés exprès dans sa caisse pour procurer aux Hollandais l’occasion de s’en emparer, ce qu’ils n’ont pas manqué de faire, n’ont pas encore été remis à la disposition du gouvernement, qui supporte ainsi le dommage résultant du fait d’un agent qui n’est pas à sa nomination et qu’il ne peut révoquer !
Lorsqu’enfin elle n’a rien fait pour le pays, tandis que, comme on vient de le voir, le pays fait tout pour elle !
Après avoir fait connaître les titres de la banque à la protection toute spéciale dont elle est l’objet de la part du gouvernement, et avant de parler des vices du système de comptabilité introduit dans ses seuls intérêts, je dirai un mot de l’économie pour l’Etat qui, suivant elle, résulte de ce système.
Le compte-rendu, après avoir annoncé que les recettes faites pour l’Etat en 1832 se sont élevées à 51,281,733 fl. 61 1/2 c., et ont donné lieu à une commission de 105,083 fl. 74 c., dit plus loin : « Il n’est pas probable que dans ce système (celui des receveurs généraux) l’encaissement d’un côté et d’autre, soit le paiement d’une somme de 51 millions de florins par exemple, et les transports multipliés d’espèce auxquels cet emploi donnent lieu, puissent s’effectuer au moyen d’une dépense de 100,000 fl. »
Vous croiriez peut-être, messieurs, d’après cela que cette recette de 51 millions n’a coûté que 100,000 fl. à l’Etat ; en effet, ce passage est bien propre à le faire croire ; mais détrompez-vous, messieurs, ce calcul du compte rendu n’est pas plus exact que bien d’autres.
Vous avez allouer au budget de 1832 une somme de 110,000 fl. pour remise : fl. 110,000.
Incessamment on vous demandera un supplément de 11,656 fl. 60 c., attendu que les ports de lettres à rembourser à la banque, aux termes d’un article de la convention du 3 octobre, s’élèvent à 16,656 fl. 60 c. : fl. 11,620 34 c.
Total : fl. 121,620 34 c.
A ce total, il faut ajouter :
1° les traitements des administrateurs du trésor créés par suite du système qui a établi le caissier-général : fl. 33,750
2° le caissier-général et ses agents ne tenant aucune écriture relative à la comptabilité de l’Etat, il a fallu créer des employés pour faire celles dont les receveurs-généraux et particuliers étaient chargés. L’augmentation de dépenses qui en est résulté peut être portée à moins de 25,000 fl. : fl. 25,000
3° les suppléments de traitement dus aux anciens receveurs-généraux et particuliers nommés à des emplois moins rétribués : fl. 25,600
Total double et au-delà du coût indiqué par le compte-rendu : fl. 205,970 34 c.
Or, avec cette somme on pourvoira aux besoins d’un service quelconque.
Mais, dira-t-on, la chambre a refusé d’accorder le crédit de 25,600 fl. demandé pour payer ces traitements supplémentaires, bien qu’ils soient dus à titre d’indemnité pour une sorte d’expropriation dans l’intérêt du trésor ; mais cela ne prouve rien ; car si le traité du 15 novembre s’exécute, et nous y avons consenti, l’acquit de cette dette n’aura été que différé.
Au reste, je n’entends ni préconiser, ni faire prévaloir aucun système, je veux seulement démontré que celui actuel doit être abandonné, non parce qu’il profile à la banque, mais parce qu’il est vicieux, parce qu’il nuit au pays, parce qu’il tient le gouvernement dans une dépendance qui le déconsidère, parce qu’enfin il est absurde de voir le caissier de l’Etat en être en même temps le traitant. Et qu’on ne vienne pas objecter l’économie qui, du reste, n’existe pas ; il est des circonstances pour un gouvernement comme pour un particulier, où il n’est pas permis du marchander.
§ 3. Du caissier-général ; cautionnement, contrôle.
Les vices du système de comptabilité suivi depuis que la banque est devenue caissier-général de l’Etat, vous ont été signalés dans un cahier d’observations, rédigé par la cour des comptes.
Je n’ajouterai rien à ce qu’elle a dit pour démontrer qu’avec ce système il lui est impossible d’exercer le contrôle dont elle est chargée par la loi qui l’institue, et conséquemment que la garantie que devait donner ce contrôle au pays n’existe pas. Cela est évident. Je ferai facilement ressortir quelques-unes des considérations qui doivent déterminer le gouvernement à en adopter un autre.
De tout temps les receveurs-généraux et particuliers, le caissier-général du trésor public, les payeurs divisionnaires, et en général tous les employés chargés du maniement des deniers publics, ont été assujettis à un cautionnement en numéraire.
Indépendamment de ce, la loi du 5 septembre 1807, rendue pour régler le privilège du trésor public et l’ordre dans lequel il doit s’exercer au vœu de l’article 2098 du code civil, a prescrit aux receveurs de l’enregistrement et aux conservateurs des hypothèques, à peine de destitution et des dommages et intérêts, de requérir ou de faire au vu des actes de vente, d’acquisition, de partage, d’échange et autres translatifs de propriété passés par les comptables de l’Etat, une inscription hypothécaire sur ces propriétés.
Cette loi n’a pas cessé d’être exécutée dans ce pays, même depuis l’établissement de la banque, excepté à l’égard de celle-ci.
Si on ne lui en a pas fait l’application, c’est vraisemblablement parce que l’article 10 de ses statuts, approuvés le 13 décembre 1822, dit qu’elle aura la plus grande latitude pour l’aliénation de ses domaines.
Mais un règlement, quoique revêtu de l’approbation du Roi, n’a pu dispenser les receveurs et conservateurs de l’obligation que la loi leur impose ; or, quelle que soit la qualification donnée à la banque, elle n’est que le trésorier-général de l’Etat, et la loi a dû lui être appliquée. Quant à moi, je crois fermement que le principe que j’émets ici prévaudra devant les tribunaux le jour où ils seront appelés à décider cette question.
Il est à remarquer d’ailleurs que la convention du 3 octobre 1823, qui confie à la banque l’emploi de caissier-général de l’Etat, est postérieure aux statuts et qu’elle ne contient aucune clause qui déroge à la loi de 1807. Au contraire, l’article 6 exige de la banque un cautionnement de dix millions en inscriptions sur le grand livre, et ce cautionnement avait été fourni ; mais deux arrêtés du roi Guillaume, dont le dernier est du 25 mai 1826, ont remis ces inscriptions à la disposition de la banque, et laissent par là le trésor public sans garantie.
Les motifs pour lesquels le gouvernement précédent a été déterminé à adopter cette mesure sont faciles à deviner et à justifier.
A cette époque, aucune des opérations de la société ne pouvait échapper au roi, son principal actionnaire, à qui d’ailleurs on n’aurait osé contester, ainsi qu’on le fait maintenant, la surveillance que lui attribuent les statuts.
A cette époque, la société possédait encore tous ses immeubles tant ceux provenant de la dotation que ceux qu’elle avait tout récemment acquis du syndicat : car il est à remarquer qu’avant la révolution, la banque acquérait, et que depuis elle n’a cessé d’aliéner.
On n’avait pas à craindre alors des émissions de billets de banque sans la permission que l’article 5 des statuts veut qu’on obtienne du roi, ni que ces émissions excédassent le capital entier et réel de la société.
Enfin à cette époque la société n’était pas ce qu’elle se dit maintenant, un établissement libre et indépendant, un Etat dans l’Etat ; elle avait un maître. Dans la personne du roi, principal actionnaire, lequel se faisait représenter par un gouverneur de son choix, initié dans le secret de ses vues et de ses intérêts, tenant la main à l’exécution des statuts pour empêcher la société de se livrer à des spéculations interdites, et destiné ainsi à la préserver de tout acte propre à déconsidérer une majesté actionnaire.
Cette dernière considération était pour le pays une garantie que la banque, disposant du trésor public sans cautionnement et jouissant entre autres privilèges de celui de fabriquer un papier monnaie qui a cours légal, et pouvant aussi doubler, tripler, décupler même à son capital sans nouvelle mise de fonds, n’abuserait pas de ces avantages.
On pouvait croire, sans craindre de se tromper, que le roi Guillaume, a qui elle les devait et qui s’en était fait le modérateur dans l’intérêt de la dignité royale, ne le souffrirait pas. Car un roi, aussi cupide qu’il soit, ne permettra jamais qu’on l’expose au reproche de s’être placé à la tête d’une société d’industrie, sans y être déterminé par l’utilité publique, et uniquement pour faire la bourse, tandis que la banque séparée de son auguste spéculateur ne peut avoir d’autre but que de s’enrichir, et sans qu’on puisse l’en blâmer toutefois. Car, si lors de l’institution de la société il y a réellement eu intention de favoriser une autre industrie que la sienne, ce n’a pu être que de la part du roi et nullement de la part de ses co-sociétaires ; et si depuis la révolution ils prétendent former une société libre et indépendante, c’est vous signifier qu’ils sont dégagés des obligations stipulées par leur fondateur dans l’intérêt du pays, et que, libres de tout soin étranger et de toute surveillance, ils peuvent ne s’occuper que de leurs propres intérêts.
La banque a toutefois maintenu à l’autorité souveraine le droit de nommer le gouverneur, les directeurs, le trésorier et le secrétaire, que lui donnent les articles 33 et 34 des statuts. Son indépendance ne va pas encore jusqu’à nommer elle-même à ces fonctions. Cette autorité qu’elle méconnaît dans tous les autres cas, parce que son intervention la gênerait, lui est nécessaire dans celui-ci.
La nomination des administrateurs par le souverain est un laissez-passer délivré aux billets de banque revêtus de leur signature ; mais son intervention se borne là, car indépendamment du refus qu’on lui fait de liquider avec lui le compte du syndicat et de la liste civile, on ne lui a pas permis de contrôler ses opérations à la banque, ni conséquemment d’empêcher ni de suspendre celles qui seraient contraires aux intérêts du royaume, comme le veut l’article 61 des statuts, ni de s’assurer si les billets de banque créés n’excèdent pas le montant réel du capital, maximum qui leur est assigné, et lorsque dans l’intérêt général il a voulu faire ces vérifications, la banque s’est révoltée d’une semblable prétention, a fait de la dignité, l’on s’est abstenu.
Je suis loin de révoquer en doute les talents et les connaissances qu’on attribue à MM. les administrateurs de la société générale. On doit toutefois avouer que ce n’est pas à leur savoir-faire qu’est le succès qu’ils ont obtenu dans leur opposition aux demandes du gouvernement.
Quoi qu’il en soit, le caissier-général de l’Etat doit subir la loi commune à tous les comptables de l’Etat, c’est-à-dire qu’il doit fournir un cautionnement pour sûreté de sa gestion et de celle de ses agents ; et toutefois cela ne suffirait pas encore. Il faudrait de plus que des employés à ce proposés par le gouvernement puissent en tout temps vérifier la situation de ces comptables vis-à-vis du trésor public, au vu de leurs registres, sans que sous aucun prétexte on pût leur en refuser la communication ; il faudrait enfin qu’ils fussent tenus de se conformer aux instructions que le gouvernement trouverait à propos de donner pour la tenue de ces registres et l’ordre de la comptabilité.
La banque ne souscrira pas sans doute à ces conditions ; sa liberté, sa dignité en seraient compromises ; forte du succès qu’elle a déjà obtenu, elle voudra faire la loi et non la recevoir. Eh bien, dans ce cas le gouvernement, qui a aussi sa dignité et les intérêts du pays à défendre, n’aura qu’un parti à prendre : il devra rompre avec une société qui depuis longtemps a rompu avec elle.
M. Legrelle. - Messieurs, la question que l’honorable préopinant a traitée est extrêmement grave ; les vérités qu’il nous a fait entendre doivent attirer votre attention. Le nouveau système qu’il propose tendrait à mettre le pays en dehors de la curatelle de la banque, et à établir le principe de contrôle si indispensable à l’égard des dépôts de nos finances.
Je m’abstiendrai pour le moment de présenter aucune considération sur cette question ; mais d’après le discours très remarquable qui vient d’être prononcé, et que la position de l’honorable préopinant rend plus remarquable encore, il résulterait qu’avec un peu d’énergie on pourrait faire cesser un état de choses fâcheux pour la nation ; je demanderai alors où nous devons trouver cette énergie, si ce n’est dans le ministère ? je m’étonne en effet que cette énergie ne soit pas là où elle devrait être, et que celui qui est un des plus intéressés à faire cesser cette situation abusive ne s’occupe pas des moyens d’arriver à ce but.
Vous le savez, 75,000 fl. se trouvaient entre les mains de l’agent financier à Turnhout, et ils furent livrés aux Hollandais. Eh bien, si les Hollandais fussent venus jusqu’à Bruxelles, le dépôt de la banque aurait-il été plus sacré ? Et que seraient devenues, dans ce cas, notre indépendance, notre nationalité, que nous ne pouvions reconquérir sans des sacrifices journaliers ? Messieurs, il vaut mieux faire quelques dépenses que de continuer un ordre de choses aussi dangereux que celui qui existe aujourd’hui, et dont le moindre inconvénient est de nous faire payer l’intérêt de fonds qui nous appartiennent.
Une commission a été nommée pour examiner, sous ce rapport, notre situation financière ; mais si je suis bien informé, cette commission, formée dans le premier trimestre de l’année, n’a encore rien fait ; je doute même qu’elle soit constituée. Je demanderai à M. le ministre des finances si en effet cette commission est constituée, et quel est le résultat de ses travaux.
M. Jullien. - La question soulevée par l’honorable M. Jadot est très importante, et c’est à cause de son importance qu’il faut que nous soyons en nombre pour en délibérer ; or nous ne sommes que 49.
M. Coghen. - Je demande la parole pour un fait personnel. Je ne veux pas entreprendre de répondre au discours de M. Jadot, discours qui renferme beaucoup de vérités ; on sait d’ailleurs que je partage l’opinion de l’honorable orateur en beaucoup de points. Quoi qu’il en soit, je ne m’occuperai que d’un seul fait. On vous a parlé de l’agent de Turnhout : le ministère n’a cessé de réclamer contre cet acte et de réclamer la restitution de la somme.
M. Legrelle, tirant par induction des conséquences de ce fait, a demandé ce que serait devenue la nationalité belge si les Hollandais fussent parvenus jusqu’à Bruxelles : je dois lui répondre sur ce point que le gouvernement avait pris toutes les précautions nécessaires, et que tous les trésors de l’Etat étaient déjà loin quand les Hollandais marchaient sur Bruxelles.
M. Dumortier. - La question que l’on vient de poser et de développer est trop importante pour que nous n’en commencions pas l’examen sur le champ. Nous ne sommes pas en nombre, dit-on ; soit, nous ne sommes pas en nombre pour délibérer mais nous sommes toujours en nombre pour discuter. Il n’est pas un de nous qui n’ait quelque chose à faire connaître sur cet objet ; mais on veut aller au concert…
M. Jullien. - Vous ne pouvez pas faire que la chambre soit constituée régulièrement avec 48 membres.
M. le président. - Veut-on qu’il y ait séance demain ? (Oui ! Oui !) Et à quelle heure ?
- Plusieurs membres. - A neuf heures.
- D’autres membres. - A dix heures.
M. Donny. - Il sera huit heures au moins quand nous recevrons le Moniteur qui contiendra le discours de M. Jadot, et il sera environ dix heures avant que nous l’ayons lu ; je demande que la séance soit remise à dix heures. (Oui ! oui !)
M. le président. - Demain séance publique à dix heures précises.
Il ne faut pas indiquer une heure pour venir à une autre. Il est bien entendu que nous fixons pour demain une heure militaire. (Oui ! oui ! oui !)
- La séance est levée à une heure.